"De guerre lasse, les Américains ont accepté un accord avec Moscou. Pour Fabrice Balanche, celui-ci pourrait affaiblir les «rebelles» islamistes, notamment le Front al-Nosra, et donner un avantage décisif au régime de Bachar al-Assad et à ses alliés.
Agrégé et docteur en Géographie, Fabrice Balanche est maître de conférences à l'Université Lyon-2 et chercheur invité au Washington Institute. Spécialiste du Moyen-Orient, il a publié notamment La région alaouite et le pouvoir syrien (éd. Karthala, 2006) et Atlas du Proche-Orient arabe (éd. RFI & PUPS, 2010).
L'été 2016 sera peut-être celui du dénouement en Syrie, non pas de la fin des combats car le conflit possède sa dynamique propre, mais de la victoire de la Russie et de l'Iran. L'accord de coopération militaire en Syrie contre les groupes djihadistes, que le gouvernement américain a conclu avec Vladimir Poutine fin juillet, est le résultat des désillusions américaines à l'égard d'une crise qui n'en finit pas, du succès de la stratégie russe en Syrie et du besoin de dégager le terrain pour Hilary Clinton. En effet, une attaque djihadiste majeure aux Etats Unis, avant l'élection présidentielle du 6 novembre prochain, risquerait de faire basculer les électeurs vers Donald Trump. L'opinion publique américaine considère que le principal danger, ce sont les groupes djihadistes et non le régime de Bachar al-Assad. Par conséquent, l'objectif du gouvernement américain devrait être de combattre fermement et sans ambiguïté al-Qaïda et l'Etat Islamique. Il semble que cela soit également l'avis de Barack Obama au grand désespoir des partisans du «regime change».
L'accord de coopération militaire contre les groupes djihadistes est le résultat des désillusions américaines à l'égard d'une crise qui n'en finit pas, du succès de la stratégie russe et du besoin de dégager le terrain pour Hilary Clinton.
L'accord américano-russe prévoit une coopération dans la lutte contre le Front al-Nosra. Le groupe terroriste a officiellement rompu ses liens avec al-Qaïda le 28 juillet dernier. Mais ce divorce à l'amiable est une manœuvre un peu grossière pour espérer éviter les frappes américaines. Washington a d'ailleurs déclaré que cela ne changerait rien à sa résolution d'éliminer le Front al-Nosra devenu désormais Fatah el-Sham (La conquête du Levant). Les discussions sur cet accord ont débuté au mois de mai. Les détails demeurent encore secrets, mais John Kerry s'est engagé à les dévoiler dans le courant du mois d'août. Sans doute les négociations sont-elles toujours en cours à propos des groupes et sur la délimitation des zones qui seront frappées par la nouvelle coalition. D'après les informations publiées par le Washington Post, un Etat-major commun doit être créé en Jordanie. En échange du soutien américain contre le groupe leader de la rébellion syrienne, les Russes se sont engagés à ne pas attaquer les «rebelles modérés» soutenus par les Etats-Unis. L'armée syrienne et les milices chiites étrangères sont en principe elles aussi tenues par cet accord.
L'élimination du Font al-Nosra se conçoit dans le cadre de la stratégie globale contre le terrorisme que mène les Etats Unis, mais également afin d'éviter qu'il ne comble le vide laissé par l'Etat Islamique une fois ce dernier éliminé. L'inconvénient est que le Front al-Nosra et les groupes rebelles qui combattent le régime de Bachar al-Assad dans tout l'Ouest de la Syrie sont entremêlés. La récente contre-offensive rebelle pour briser le siège des quartiers orientaux d'Alep constitue un excellent exemple. Il semble donc difficile de croire que les «groupes modérés» puissent se détacher du Front al-Nosra et ensuite s'emparer des territoires libérés par les djihadistes. Le scénario le plus crédible est que cela soit l'armée syrienne qui profite des attaques contre le Front al-Nosra pour avancer ou conclure des accords de cesser le feu locaux sur le modèle de la banlieue de Damas. L'accord russo-américain serait donc tout à l'avantage de Bachar al-Assad puisque son départ n'est même pas envisagé. Barak Obama semble renoncer à un changement de régime en Syrie et s'apprête à abandonner le pays à un condominium russo-iranien.
Barak Obama semble renoncer à un changement de régime en Syrie et s'apprête à abandonner le pays à un condominium russo-iranien.
La realpolitik a fini par rattraper le président américain. Ce dernier est conscient que les alliés de Bachar al-Assad ne plieront pas car ils sont trop engagés dans le conflit. Si Vladimir Poutine retirait le «gros de ses troupes» de Syrie, comme il l'a faussement annoncé en mars dernier, l'armée syrienne perdrait tout le terrain gagné depuis le début de l'intervention russe en septembre 2015. Cela serait une véritable humiliation pour Vladimir Poutine qui tente de projeter de nouveau la puissance russe à l'extérieur de l'ancien espace soviétique. L'Iran ne peut pas non plus se permettre de perdre la partie car la Syrie est une pièce maîtresse dans son dispositif géopolitique. Téhéran possède les moyens financiers de soutenir le régime de Bashar al-Assad et il peut puiser dans un réservoir de volontaires chiites suffisant pour contrebalancer la faiblesse numérique de l'armée syrienne. Au besoin, l'Iran peut envoyer quelques unités des gardiens de la révolution, comme ce fut le cas à l'automne 2015. Quant au Hezbollah, il joue tout simplement sa survie dans la guerre en Syrie." (...)