Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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November 19, 2024 11:24 AM
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Les CDN s'engagent pour la diversité !

Les CDN s'engagent pour la diversité ! | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Sceneweb - 19 nov. 2024

 

 

 

`Depuis quelques années, les Centres dramatiques nationaux, comme d’autres acteurs du spectacle vivant, s’emparent peu à peu de la question du manque de diversité sur les scènes publiques. Mais force est de constater que cela n’est pas suffisant : au-delà même de la période politique profondément troublée que nous traversons, les défis du présent exigent un engagement nouveau pour accomplir pleinement la mission publique de cohésion par l’Art et la Culture assignée aux CDN.

C’est pourquoi les directrices et directeurs des 38 CDN, après décision votée en réunion de réseau le 10 juillet 2024, s’engagent collectivement à ouvrir une nouvelle étape dans leur mission fondamentale de démocratisation culturelle.

 

Les Centres dramatiques nationaux sont engagés au service d’une culture publique démocratique, égalitaire et respectueuse de la population dans sa grande diversité. En décembre 2021, l’ensemble des directrices et directeurs des CDN a promulgué une charte de la parité visant à garantir l’égalité femmes-hommes au sein du réseau, notamment en termes d’accès aux moyens de production ainsi qu’en termes de visibilité des artistes et des œuvres dans les programmations.

Même s’il reste beaucoup à faire dans ce combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, les effets de cet engagement ont marqué une grande avancée : les objectifs de la charte ont été globalement atteints, sur l’ensemble du réseau des CDN lors des saisons 2022-23 et 2023-24.

Dans ce même esprit, les directrices et directeurs des CDN souhaitent aujourd’hui faire progresser leurs engagements en matière de diversité dans l’ensemble de leurs missions et de lutte contre les violences ethno-raciales dans le cadre professionnel. Notre pays traverse une période politique profondément troublée, et très paradoxale : les célébrations fédératrices et enthousiasmantes de la diversité de notre nation cohabitent désormais avec une radicalisation croissante d’une partie des sphères médiatiques et politiques, qui défendent avec une brutalité inouïe le repli sur soi, la haine de l’autre et la crispation identitaire. Il apparaît donc urgent de défendre une vision plus juste de notre pays, de son histoire, et de sa culture, en ouvrant largement les théâtres publics à la représentation de la nation dans toute sa diversité. Depuis plusieurs années, les CDN se sont emparés de cette question du manque de diversité sur les scènes de France. Peu à peu les distributions sur nos plateaux, les œuvres que nous produisons, les artistes que nous accompagnons, les équipes permanentes et intermittentes, les élèves des écoles supérieures, se sont mis à ressembler davantage à la population française.

Mais force est de constater que cela n’est pas suffisant, et que les défis du présent exigent un engagement nouveau pour accomplir pleinement notre mission publique de cohésion par l’Art et la Culture.

Nous sommes des Théâtres subventionnés par un peuple tout entier, nous nous devons de le représenter dignement. Nous nous devons de faire entendre ses récits multiples, de lutter contre les assignations, les discriminations, les mécanismes de racialisation, ainsi que contre l’oubli et l’invisibilisation qui frappent celles et ceux qui, en raison de leur couleur de peau, sont aussi peu ou mal représenté·e·s sur nos scènes que dans le récit de notre histoire.

D’après plusieurs études parues ces dernières années, en provenance de l’INED mais aussi du Collège de la Diversité du ministère de la Culture et du Défenseur des droits, il est estimé que 30% de la population française n’est pas perçue comme blanche. Nous devons prendre pleinement conscience de cette réalité et en faire un guide pour notre action publique.

C’est pourquoi, nous, directrices et directeurs, nous engageons :

À être des plus attentifs à la représentativité des distributions dans les œuvres que nous créons, que nous accueillons et que nous produisons.

À diversifier les artistes porteur·euse·s des projets que nous programmons et que nous produisons, et à leur assurer une vraie visibilité, aussi bien en termes de nombre de représentations que de jauge offerte.

À répartir les moyens de production de façon plus juste pour permettre à chacune et chacun de créer.

À accompagner, loin de toute injonction faite aux artistes, les esthétiques et les récits qui naissent depuis cette diversité, et à en valoriser une richesse capable de redonner à notre histoire collective toute sa complexité.

À poursuivre les efforts dans les écoles que nous dirigeons en matière de diversification des profils dans les recrutements des élèves comme des enseignant·e·s, mais aussi des œuvres étudiées.

À veiller à la diversité et à la représentativité dans les jurys, les instances délibératives, les conseils d’administration, dans les postes de direction des structures labellisées, ainsi qu’au sein des équipes permanentes et intermittentes qui travaillent dans nos théâtres.

À proposer des formations de lutte contre les violences ethno-raciales (VER) au sein de nos équipes sur le modèle des formations contre les VSS, en lien rapproché avec le Syndeac, et à mettre en place un plan de lutte contre toute forme de discrimination dans chaque CDN.

Par ces engagements, les Centres dramatiques nationaux souhaitent ouvrir une nouvelle étape dans leur mission fondamentale de démocratisation culturelle. Ils entendent aussi réaffirmer, contre les logiques racistes et séparatistes imposées par les forces réactionnaires dans notre pays, que la population que nous servons est une et indivisible, et que cette unité dépend de la reconnaissance et du respect des singularités de chacune et chacun.

 

 

 

L’ACDN pour les 20 directrices et les 21 directeurs des Centres dramatiques nationaux.


Pauline Bayle, Théâtre Public de Montreuil – CDN
Fréderic Bélier-Garcia, La Commune – CDN d’Aubervilliers
Jean Bellorini, Théâtre National Populaire
Lucie Berelowitsch, Le Préau – CDN de Normandie-Vire
Brice Berthoud, CDN de Normandie-Rouen
David Bobée, Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France
Émilie Capliez, La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
Matthieu Cruciani, La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
Chloé Dabert, La Comédie – CDN de Reims
Pascale Daniel-Lacombe, Le Méta – CDN Poitiers Nouvelle-Aquitaine
Fanny de Chaillé, TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Simon Delétang, Théâtre de Lorient CDN
Julie Deliquet, Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis
Nasser Djemaï, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne
Marcial Di Fonzo Bo, Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Aurore Fattier, La Comédie de Caen – CDN de Normandie
Nathalie Garraud, Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier
Cédric Gourmelon, La Comédie de Béthune, CDN Hauts-de-France
Kaori Ito, TJP – CDN Strasbourg-Grand Est
Daniel Jeanneteau, T2G – Théâtre de Gennevilliers
Marc Lainé, La Comédie de Valence – CDN Drôme Ardèche
Benoît Lambert, La Comédie de Saint-Etienne
Olivier Letellier, Les Tréteaux de France – CDN itinérant
Joris Mathieu, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon
Muriel Mayette-Holtz, Théâtre National de Nice – CDN Nice Côte d’Azur
Tommy Milliot, Nouveau Théâtre Besançon
Arthur Nauzyciel, Théâtre National de Bretagne
Maëlle Poésy, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
Christophe Rauck, Théâtre de Nanterre-Amandiers
Robin Renucci, La Criée – Théâtre national de Marseille
Emilie Rousset, CDN Orléans Centre-Val de Loire
Olivier Saccomano, Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier
Abdelwaheb Sefsaf, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN
Galin Stoev, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
Lolita Tergemina, CDN de l’océan Indien
Carole Thibaut, Théâtre des Îlets – CDN Montluçon Auvergne-Rhône-Alpes
Alexandra Tobelaim, NEST – CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est
Camille Trouvé, CDN de Normandie-Rouen
Aurélie Van Den Daele, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin
Bérangère Vantusso, Théâtre Olympia – CDN de Tours
Julia Vidit, Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy Lorraine

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November 19, 2024 4:12 AM
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"Je suis trop vert " : l'écologie dans la bouche des enfants 

"Je suis trop vert " : l'écologie dans la bouche des enfants  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Giraud dans Naja21 - publié le 15 nov. 2024

 

Le troisième opus que David Lescot adresse à la jeunesse enferme un sujet brûlant, l'écologie, dans un théâtre percutant. "Je suis trop vert" dresse un magnifique état des lieux de l'enfance, avec ses répliques cash, sans fard, quand elle évalue des choix de vie et d'usages qui divisent tant les adultes.

 

Avec David Lescot, le théâtre peut tenir dans une boîte. Et dix personnages dans les corps de trois comédiennes. Jouer avec les corps, les mots, avec les attitudes et réflexions propres aux enfants de onze ans, permet au dramaturge, metteur en scène et musicien d’aborder des sujets aussi graves que la peur de la rentrée en 6ème (J'ai trop peur), de se faire des amis (J'ai trop d'amis), l’écologie. Ce sujet, au centre de Je suis trop vert, dernier volet de la trilogie créé au Théâtre de la Ville, est abordé depuis la tête de l’enfant et des souvenirs de l’auteur. Le metteur en scène lui-même a grandi de 7 à 11 ans dans un petit village de l’Essonne et, alors que la terre brûle, les souvenirs de ces moments passés à la campagne lui sont revenus. Échappant toujours à la superficialité, au convenu, il a passé quelques temps chez Suzanne Aubert, l’une des actrices qui a créé J’ai trop peur et J’ai trop d’amis, devenue aujourd'hui agricultrice en Bretagne, pratiquant une agriculture raisonnée.

 

 

De ce terreau nourrissier, David Lescot a construit un narratif des liaisons difficiles entre ville et ruralité, entre conscience des dégâts liés à la surconsommation et repli vers un confort très XXe siècle, entre les plats tous prêts et les légumes du jardin. Moi, prodigieusement incarné par Élise Marie lors de la représentation du 14 novembre au Théâtre de la Ville, tient le fil narratif. Vivant ses paradoxes, à la fois raisonnable et incrédule vis-à-vis des adultes qui ne le comprennent jamais, incommodé par une petite sœur qui occupe beaucoup de place et dont les interventions cash l’exaspèrent.

 

 

La préoccupation de Moi est surtout d’aller en classe verte. Présentée comme un Eldorado où les heures de cours sont raréfiées au profit du plaisir de la découverte de la vie à la campagne. Premières transactions pour que toutes les familles acceptent de payer cette sortie, premier voyage sans les parents, premiers pas dans une campagne pas si calme ni si tranquille qu’imaginé, chaque moment est un défi. "C'est toujours pareil, ça se passe jamais comme on l'a prévu", dit Moi.

 

 

L’humour, les jeux de mots, les répliques cash de l’enfance, les rêves, la musique, enrobent avec grâce une réalité qui tient du tragique et un quotidien d’agriculteur qui tient du militantisme. Avantages et inconvénients se chevauchent sans diviser, la poésie de l'enfance l’emporte.

 

Véronique Giraud / Naja21.com

 

Création Je suis trop vert / David Lescot, artiste associé au Théâtre de la Ville. Texte et mise en scène David Lescot. Scénographie François Gauthier-Lafaye. Lumières Juliette Besançon. Costumes Mariane Delayre. Assistante à la mise en scène Mona Taïbi. Avec en alternance Lyn Thibault, Élise Marie, Sarah Brannens, Lia Khizioua-Ibanez, Marion Verstraeten, Camille Bernon.

 

Au Théâtre de la Ville jusqu'au 16 novembre. Les 9, 10 et 16 novembre, L’Intégrale de la trilogie au Théâtre de la Ville - Paris. À partir de 8 ans.

 

Puis, les 19 et 20 novembre au Théâtre+Cinéma - Scène nationale de Narbonne
21 novembre à Narbonne / programmation du Crédit Agricole
22 novembre à Lattes / programmation du Crédit Agricole
26 novembre à Nîmes / programmation du Crédit Agricole
28 novembre à Mende / programmation du Crédit Agricole
Du 9 au 18 décembre au TNG – Centre Dramatique de Lyon
Du 13 au 15 janvier au Théâtre de l’Olivier – Istres / Scènes et cinés
Du 30 janvier au 1er février au Théâtre des Sablons – Neuilly
Les 27 et 28 février à la MCL – Gauchy
Les 12 et 13 mars au Théâtre André Malraux – Reuil-Malmaison
Du 13 au 16 avril à Les Petits devant, les grands derrière – Poitiers
Les 28 et 29 avril au Théâtre du Champ du Roy – Guingamp

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November 18, 2024 11:12 AM
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"Portrait de l’artiste après sa mort" : Marcial Di Fonzo Bo en Argentine à la recherche de ses fantômes

"Portrait de l’artiste après sa mort" : Marcial Di Fonzo Bo en Argentine à la recherche de ses fantômes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hélène Kuttner pour ArtistikRezo.com - 17 nov. 2024

 

Au Théâtre de la Bastille, l’artiste Marcial Di Fonzo Bo nous invite à une fantastique enquête en Argentine sur les traces de son enfance, des disparus de sa famille et d’artistes dont la dictature des colonels a supprimé la trace. Un voyage théâtral composé par l’auteur italien Davide Carnevali et dont nous peinons à distinguer le vrai du faux. Fascinant et troublant art du théâtre et de l’écriture que ce projet qui fera le tour d’Europe.

 

Une mystérieuse lettre 

 

Nous sommes assis en face d’un appartement qu’un mystérieux témoin va nous faire visiter. Des techniciens sont en train de finir sa construction. Marcial Di Fonzo Bo nous accueille comme des invités, réunis pour se voir confier une confidence. Mais ses paroles sont aussi celles du juge argentin devant l’assemblée venue écouter l’histoire de ses disparus. Témoin, juge, commissaire, qui est ce mystérieux personnage qui nous parle ? Le comédien va à son bureau et trace les mots sanglants de DISPARITION, PROCES, RECONSTITUTION à la craie sur un tableau noir. L’affaire dont il va nous entretenir est très compliquée et nous devons tout comprendre. Passé ce prologue, une enquête va nous envoyer à Buenos Aires à la recherche d’un mystérieux locataire, Misiti, qui est en réalité le nom du musicien vivant qui a composé la sublime partition pour piano du spectacle. Puis nous voyageons dans les bureaux de l’administration argentine pour laquelle une demande de rendez-vous prend parfois plusieurs mois, dans l’habitacle d’une Ford ancien modèle conduite par un policier muni de lunettes noires Ray-Ban et au passé dictatorial peu recommandable. Quant à l’auteur présent aussi dans ce voyage, il sera vite hospitalisé en raison d’une forte fièvre.

 

De la dictature argentine aux dictatures européennes

 

De 1941 à 1973, du Piccolo Théâtre de Milan dont l’une des salles a été utilisée comme une salle de torture durant le fascisme, à la dictature argentine qui utilisait les mêmes méthodes pour arrêter, torturer ou faire disparaître les corps, le projet de Davide Carnevali immerge le spectateur, par le biais de l’intime, dans la trop longue histoire des desaparecido (disparus) de toutes les dictatures. Il adapte son récit pour chaque comédien à travers une enquête mémorielle basée sur sa propre histoire. C’est ainsi que Marcial Di Fonzo Bo, seul sur le plateau, nous prend littéralement par la main, par les yeux, le cœur et les oreilles. Il se présente, raconte la mystérieuse lettre reçue il y a un mois qui lui demande de se rendre à Buenos Aires pour reconnaître l’appartement confisqué d’un mystérieux pianiste, légué ensuite à son grand-père. Tout ce qu’il raconte est vrai, ses origines, son pays d’origine, l’arrivée à Paris dans les années 80, mais en même temps les termes et les raisons de son voyage, l’histoire familiale, le pianiste juif disparu, la jeune femme blonde, ne sont pas forcément vrais. La réalité tricote ici avec la fiction une représentation sidérante de  vérité, par le biais du talent immense de l’acteur et l’habileté littéraire de l’auteur.

 

 

Les dossiers ouverts des « desaparecidos »

 

Ces dernières années, sous les gouvernements Kirchner et Fernandez, l’Etat argentin a rouvert de nombreux dossiers de disparus entre 1976 et 1983 : opposants politiques, journalistes, artistes, juifs et homosexuels. Et nous plongeons dans cette reconstitution de cette période noire grâce à la représentation, devant nos yeux, de l’appartement de l’artiste. L’acteur nous raconte tout cela avec délicatesse et douceur, comme s’il s’excusait simplement de perdre ses moyens de contrôle émotionnel. Le piano déploie la splendeur d’une partition musicale envoûtante, signée Gianluca Misiti. Documents, piano, livres, bureau et balles de revolver sont remis à leur place pour être observés par le public qui monte sur le plateau. L’artifice de l’objet devient la marque d’un réel réinventé par le biais du théâtre. L’humour, très présent dans ce soliloque qui nous est adressé, se mêle au tragique des événements racontés, comme pour mieux digérer cette mémoire douloureuse. Une expérience décidément très réussie, captivante à tous points de vue et délibérément nécessaire.

 

Hélène Kuttner /ArtistikRezo.com 

Photo © Victor Tonelli 

 

Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 - Argentine 78)

Auteur : Davide Carnevali

Metteur en scène : Davide Carnevali

Distribution : Marcial Di Fonzo Bo

Production version italienne
Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa, créé en mars 2023. Coproduction Comédie de Caen – Centre dramatique national de Normandie, Comédie de Reims – Centre dramatique national, Théâtre de Liège et Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa
Le décor a été réalisé par l’Atelier de scénographie du Piccolo Teatro di Milano.


Le spectacle a été créé le 13 décembre 2023 à La Comédie de Caen – Centre dramatique national de Normandie.
www.lequai-angers.eu
Tournée :
15 et 16 janvier 2025
Théâtre des Îlets - Centre dramatique national de Montluçon


du 20 au 22 février Théâtre de Liège
du 26 avril au 16 mai


Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire

Du 15 au 27 Nov 2024

Tarifs :
12€ à 26€

Réservations en ligne

Réservations par téléphone :
+33 (0) 1 43 57 42 14

Durée : 1h30

 

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November 17, 2024 5:59 PM
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Sur le chemin des glaces de Werner Herzog par Bruno Geslin au Festival TNB- Théâtre National de Bretagne, Rennes

Sur le chemin des glaces de Werner Herzog par Bruno Geslin au Festival TNB- Théâtre National de Bretagne, Rennes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello  - 16 nov. 2024

 

Sur le chemin des glaces de Werner Herzog par Bruno Geslin (Cie La Grande Meslée), artiste associé. Texte Sur le chemin des glaces de Werner Herzog, traduction Anne Dutter (Éd. Payot), adaptation, mise en scène et scénographie Bruno Geslin. Avec Clément Bertani et Guilhem Logerot. Assistanat à la mise en scène Simon Elie-Galibert, images Bruno Geslin, Clément Bertani, musique Guilhem Logerot, son Pablo Da Silva, lumières et régie générale Jeff Desboeufs, vidéo Quentin Vigier, Julie Pareau, costumes Hanna Sjödin. 

 

 

Théâtre, vidéo et arts visuels, Bruno Geslin pratique l’hybridation des formes, re-créant au Théâtre National de Bretagne en 2023 Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… et Le Feu, la fumée, le soufre, et en 2022 encore Chroma. Le metteur en scène s’est penché ces derniers temps sur l’oeuvre du cinéaste allemand Werner Herzog, explorateur de l’existence et de la nature, selon une esthétique bien à lui, entre poésie et réalisme brut, beauté et cruauté du monde.

 

Bruno Geslin suit les pas, au sens propre, de l’artiste qu’il admire, puisqu’il a lui-même parcouru le même long chemin que le cinéaste, quand celui-ci entreprend, le 23 novembre 1974, le voyage à pied de Munich à Paris pour rejoindre son amie et mentor Lotte Eisner, gravement malade: il veut que la marche de 800 km la sauve. 

 

« En moi, une seule pensée, dominant toutes les autres: partir ! La Eisnerin ne doit pas mourir, elle ne mourra pas, je ne le permettrai pas (…) Non, elle le mourra pas maintenant parce qu’elle ne mourra pas. Mes pas se font pesants. Voilà la terre qui tremble. Quand j’arriverai à Paris, elle sera en vie. » Quête existentielle mystique.

Lotte Esner est vivante, approximativement remise, quand il arrivera à Paris. De cette aventure, Herzog publie un carnet de voyage Sur le chemin des glaces. En 2023, Bruno Geslin, le comédien Clément Bertani et le musicien Guilhem Logerot, prennent à leur tour la route et font le même parcours: « forêts austères et inhospitalières, sentiers boueux, où la neige, le grésil, les blessures ont été pour Herzog d’infatigables compagnons de route ». De ce voyage, sont rapportés images, paysages, sensations – matières-témoins des bouleversements privés de celui qui met un pas devant l’autre, arpentant des territoires intérieurs et extérieurs. 

 

L’écriture enchâsse plusieurs récits, de la description des paysages traversés à celle d’une terre intime, entre errance et transe. Le réel n’est pas repérable; de même, la véracité des événements survenus lors de la marche: les êtres croisés dans ce récit initiatique relèveraient du monde des vivants ou de celui des morts. 

 

De Münich à Paris, le marcheur ne conjure pas seulement la mort pour sauver la vie de son amie, « il reconstruit la sienne, comme s’il renaissait au monde, même si le chemin de cette renaissance passe par des territoires proches de la folie. L’histoire occidentale est peuplée de marcheurs fantômes… » (Bruno Geslin).

Revient à l’esprit du spectateur l’image mythique de Lenz de Büchner (parution posthume en 1839), figure qui aussi se met en route, 150 ans plus tôt, vers le village de montagne de Waldbach pour voir le pasteur Oberlin. Une randonnée à travers les montagnes hivernales, dont le marcheur ne ressent ni l’in-hospitalité ni le froid, perdant la notion de l’espace et du temps, entendant les voix des rochers, voyant les nuages courir et le soleil, «épée scintillante », couper le paysage. 

 

L’épuisement ne l’atteint plus, devenu lui-même partie de l’univers, entre bonheur fugace et longue indifférence. Les soirées sont solitude et peur, frayeur et folie. 

 

Le marcheur de Sur le chemin des glaces souffre d’une jambe et boitille, initiant un chemin de croix : « Mes jambes vont de l’avant. À la sortie de Geisingen, la neige recommence à tourbillonner, je presse le pas sans m’arrêter, pour ne pas geler sur place, car je suis trempé jusqu’aux os, de toute façon, je mijote dans la vapeur. Je suis obligé de fendre l’épaisse neige mouillée qui m’assaille de face, et parfois par les flancs. » Le narrateur se dit voler dans la forêt, oubliant les jambes endolories.

 

Et de citer Kaspar Hauser: qui ne savait d’où il venait et où il allait.:« Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu’est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde : Priez pour le pauvre Gaspard ». 

 

Le metteur en scène, l’acteur et le musicien jettent à leur tour leur corps dans la bataille, de même que leur chant, cinquante ans plus tard, tel le cinéma de Herzog, dont le corps des acteurs expérimente des environnements hostiles qui les déplacent, les obligent à devenir autres. Méditation et mysticisme de la marche.

Plan-séquence, travelling permanent autour du corps de l’acteur saisi dans son dispositif de marche – tapis roulant entraînant une marche en diagonale dans les images traversées, les vidéos projetées en temps réel ou décalé. Les paysages sonores imaginaires – dérèglements perceptifs du marcheur – sont admirables.

 

Un spectacle fascinant, hypnotique, rythmé par le pas du marcheur – un tableau animé, le portrait en pied d’un personnage en mouvement. En short de randonnée seventies, vêtu d’un t-shirt, d’un blouson coloré ou d’une cape imperméable de montagne rouge vif ou bien torse nu, Clément Bertani a certes du style.  On le suit volontiers dans sa marche esthétisante et poétique, porteur d’un récit de prose existentielle, accompagné de plus par les chants envoûtants de Guilhem Logerot.

 

 

Véronique Hotte

 

 

Sur le chemin des glaces de Werner Herzog par Bruno Geslin (Cie La Grande Meslée), artiste associé. Festival TNB – Théâtre National de Bretagne – Rennes, Hors-les-murs, du 13 novembre au 11 novembre 2024, à L’Aire Libre à Saint-Jacques de La Lande.

 

Crédit photo: Sandy Korzekwa

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November 17, 2024 6:14 AM
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« Sur l’autre rive », la fin de partie de Tchekhov et Cyril Teste

« Sur l’autre rive », la fin de partie de Tchekhov et Cyril Teste | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 13 nov. 2024

 

Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, le metteur en scène adapte librement « Platonov » pour conter la déliquescence d’une petite société provinciale.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/13/sur-l-autre-rive-la-fin-de-partie-de-tchekhov-et-cyril-teste_6392318_3246.html

 

La fête est triste, hélas, et les personnages en présence n’ont certainement pas lu tous les livres. Inspiré du Platonov de Tchekhov, qu’il adapte très librement, Cyril Teste met en scène une longue soirée qui tourne à vide, puis au tragique – au tragique à force de vide. Comme dans les films de Ruben Östlund, mais avec plus d’élégance et moins de cynisme, il fait sortir les monstres d’un grand corps collectif malade, contaminé jusqu’à la moelle par l’obsession de l’argent. Au point que l’amour et l’amitié y soient devenus impossibles.

 

Tout semble pourtant commencer dans la gaieté et l’insouciance d’une soirée d’été, sur le grand plateau nu, sans décor, où ont été disposées de grandes tables et une petite estrade pour le musicien qui va animer la soirée à coups de tubes disco et de bons vieux standards de rock. L’hôtesse, c’est Anna, une jeune veuve « pas dégueulasse », comme disent d’elle les personnages masculins de la pièce. Elle est criblée de dettes, et ne sait comment elle va pouvoir garder sa maison. Autour d’elle tournent les charognards, qui la veulent elle, veulent sa maison, ou les deux, ce serait mieux.

 

Alors elle va danser jusqu’au bout de la nuit, avec un côté « on achève bien les chevaux », tandis que, tout autour, quelque chose se corrompt, se brise et s’effondre dans cette petite société provinciale. Le catalyseur, l’agent perturbateur, l’astre noir de la pièce, c’est Platonov, le « petit Platon », surnommé ici Micha : il fera voler en éclats les mariages, y compris le sien, sortir la férocité des pères à l’égard des fils – des fils qui eux-mêmes peinent à échapper à la médiocrité –, jettera à la poubelle les sentiments quels qu’ils soient, y compris ceux qu’on lui porte. Il est porteur d’une lucidité stérile, comme on le serait d’un virus toxique.

Rituel sauvage

L’intelligence de Cyril Teste et de l’acteur qui joue Platonov, l’excellent Vincent Berger, c’est d’en faire l’un personnage sans flamboyance aucune, presque absent à lui-même dans son entreprise de destruction et d’autodestruction, dans ce monde qui ne demandait qu’une pichenette pour partir en vrille.

 

Poursuivant ses recherches sur la « performance filmique », un concept qu’il a inventé, Cyril Teste tisse le dialogue cinéma-théâtre de manière passionnante, comme toujours, dans les deux premières parties du spectacle, alors que, dans la dernière, le théâtre seul reprend ses droits, pour laisser libre cours à une sorte de rituel sauvage, où les personnages se défigurent, s’animalisent, tous leurs masques arrachés.

 

Le metteur en scène instaure surtout une énergie bien particulière, qui semble toujours sur le point de prendre sans prendre vraiment, une énergie avortée, perpétuellement retardée, sur le plateau où une trentaine d’« invités », figurants amateurs, se mêlent aux acteurs. Ils constituent ce corps collectif dans lequel l’œil et l’oreille du spectateur doivent chercher les personnages principaux, comme s’ils n’étaient que des échantillons prélevés sur un vaste organisme.

 

Le pari n’était pas gagné et, après avoir un peu tâtonné à la création à Annecy et au Printemps des comédiens de Montpellier, le spectacle, plus précis, plus aigu, a trouvé sa cohérence, porté par la sensibilité et l’humanité qui sont toujours celles de Cyril Teste. S’il en est ainsi, c’est largement grâce à ses acteurs et, surtout, à ses actrices. La révélation de la soirée s’appelle Haini Wang, jeune actrice d’origine chinoise, dans le rôle de Sacha, le bel ange fracassé de ce petit monde en perdition.

 

 

Lire le reportage (2024) : Article réservé à nos abonnés Au Printemps des comédiens, Cyril Teste invoque les monstres de « Platonov »
 

Emilie Incerti Formentini et Katia Ferreira sont également formidables. Quant à Olivia Corsini (Anna), elle évoque rien de moins que les grandes actrices de Cassavetes ou de Bergman, avec son énergie désespérée, son tragique sans pathos : une façon de regarder son malheur en face absolument bouleversante, qui s’exprime à l’image par des regards caméra que l’on n’oubliera pas.

 

 

Sur l’autre rive, d’après Platonov, d’Anton Tchekhov, mis en scène par Cyril Teste. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e. Jusqu’au 16 novembre. Puis tournée jusqu’à fin mars 2025, à Châteauroux, Amiens, Le Mans, Roubaix, Cergy-Pontoise, Valence, Lyon…

 

 

Fabienne Darge / Le Monde 

Légende photo : Sacha (Haini Wang) dans « Sur l’autre rive », mis en scène par Cyril Teste, à Bonlieu Scène nationale d’Annecy (Haute-Savoie), en avril 2024. SIMON GOSSELIN
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November 17, 2024 4:53 AM
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Émilie Rousset, la pensée active

Émilie Rousset, la pensée active | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Entretien avec Marie Plantin pour Sceneweb - 14 nov. 2024

 

Récemment nommée à la direction du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), succédant ainsi à Séverine Chavrier, Émilie Rousset s’inscrit dans un paysage théâtral contemporain qui porte haut des enjeux sociétaux primordiaux, des dramaturgies innovantes hybridant les médiums, un goût pointu pour le travail du son et de l’image, et un rapport singulier à nos oralités. Rencontre.

 

 

Passée par l’École du TNS en mise en scène, voilà dix ans maintenant qu’Émilie Rousset fabrique des formes inédites nourries d’archives et de témoignages récoltés, invente des dispositifs singuliers qui placent la parole au centre et renouvellent le rapport au public, élabore une écriture du montage dans des performances-pensantes qui croisent divers points de vue de spécialistes, élargit ses champs d’investigation à chaque nouvelle création, tisse et met en perspective un réseau de regards experts sur des sujets ciblés, comme autant de portes d’entrée sociologiques pour approcher nos réalités.

Nous l’avons rencontrée dans les sous-sols de Cromot, Maison d’artiste et de production, dans cette période charnière de prise de fonction à la tête du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), alors que viennent d’être repris à Paris deux de ses anciens spectacles : Reconstitution : le Procès de Bobignyune co-création avec Maya Boquet, et Rituel 5 : la Mortune co-création avec Louise Hémon. Deux propositions de tempérament qui viennent déplacer nos systèmes de représentation, deux expériences scéniques ritualisées, hautement représentatives de sa démarche. C’est ainsi qu’est née l’idée de cet entretien multipiste, en fonction des thématiques abordées lors de notre rencontre, montage d’une parole aussi claire que déliée, guidée par une pensée puissante et structurée. Un micro-dispositif en miroir des siens qui sont, à chaque fois, un cadre pertinent pour croiser les regards et les territoires.

Le CDNO – Projet, relation et partage de l’outil

Comment s’est déroulée votre arrivée à la tête du CDNO ?

Émilie Rousset : Pour le moment, j’engage tout juste une relation avec le public du CDNO, je vais présenter une de mes pièces en fin de saison et je prépare la suite. Le CDNO est une institution qui a suivi de près le dynamisme et les transformations de la scène théâtrale en France et en Europe. Son public est sensible aux recherches que proposent les artistes contemporains les plus novateur·rices. Je m’inscris donc naturellement dans la continuité de ce qu’a proposé Séverine Chavrier, tout en souhaitant ouvrir de nouveaux horizons.

En tant qu’artiste, j’aime repousser les frontières du théâtre, autant dans les formes que dans les sujets abordés. Je cherche à explorer d’autres terrains de réflexion, à créer des croisements, à provoquer des déplacements. Le projet pour le CDNO est en adéquation avec ce qui m’anime. Je pense aussi que les lieux de création comme les CDN, dirigés par un·e artiste, doivent être habités et réinventés par les artistes eux-mêmes.

Qu’est-ce qui vous anime dans ce projet ?

À un certain moment de mon parcours, j’ai réalisé que, plus mon travail était reconnu et diffusé, moins j’échangeais avec d’autres artistes indépendants. En réalité, nous évoluons dans des circuits ultra-concurrentiels qui ne sont pas conçus pour favoriser la rencontre et la collaboration. Les tensions économiques et politiques qui secouent la société et notre milieu tendent à exacerber cette situation.

C’est pourquoi le projet que je propose pour le CDNO réunit un collectif d’artistes européen pour penser et déployer le projet collectivement. Ce collectif sera composé des metteur·euses en scène, réalisateur·rices, Lola Arias, Marta Gornicka, Vanasay Khamphommala, Marcus Lindeen et Marianne Ségol-Samoy, Adeline Rosenstein, Gurshad Shaheman, Louise Hémon, ainsi que de la scénographe Nadia Lauro et de la chercheuse et curatrice Madeleine Planeix-Crocker.

Scénographier la rencontre et créer in situ

Concrètement, comment s’envisagent les temps de rencontre ?

Deux temps forts, La Caverne et La Biennale de Printemps, viendront nourrir le projet et rythmer la saison. La Caverne s’articule autour et à l’intérieur d’une scénographie immersive imaginée par Nadia Lauro. Elle proposera un environnement scénographique qui sera investi par des œuvres performatives et discursives. Avec le collectif d’artistes européens, nous y organiserons des rencontres, des débats, des lectures, des tours de chant, des projections de films… La Caverne accueillera les projets qu’on mène en parallèle de la scène, les projets collaboratifs, les projets en cours de recherche. Par exemple, je viens de réaliser une pièce radiophonique cosignée avec Alexandre Plank, réalisateur radio et cofondateur de Making Waves, à la suite d’une résidence proposée par le Festival d’Automne et l’AP-HP dans les services PMA, dons de gamètes et biologie de la reproduction de l’hôpital Jean Verdier à Bondy. Dans La Caverne nous proposerons une écoute de cette pièce audio, jouée en live.

Le deuxième temps fort, sous forme de Biennale au printemps, offrira un parcours d’œuvres créées in situ sur le territoire de la ville et de la région : salles de tribunal, gymnases, parkings, guinguette… J’y créerai avec Caroline Barneaud Alouettes – pièce de champ, une œuvre qui se joue dans un champ avec un·e agriculteur·rice local·e et son tracteur. L’idée de ces deux temps forts, c’est de créer d’autres rapports à l’œuvre et aux publics, en modifiant le dispositif. Sortir de la salle de théâtre et s’inscrire dans des paysages force à inventer d’autres formes et d’autres manières de produire, ça crée d’autres modalités de rencontres.

La co-création, synergies joyeuses

Vous co-signez souvent vos spectacles avec d’autres artistes. Que vous apporte ce processus de co-création ?

Cette liberté de fluctuation et d’alliances, je la trouve non seulement joyeuse, mais aussi dynamisante. Je ne cherche pas à créer des mariages à la vie à la mort. Ce sont plutôt des rencontres sur des désirs communs à un moment donné. Rituel 5 : la Mort est co-signée à l’écriture, à la mise en scène et à la réalisation avec Louise Hémon et nous avons fait ensemble trois pièces et quatre films courts ; Reconstitution : le Procès de Bobigny est co-signée à l’écriture avec Maya Boquet, avec qui j’ai aussi créé une série de performances intitulée Les Spécialistes. Je viens de terminer une tournée dans huit pays européens avec la pièce collective Paysages partagésprésentée en France au Festival d’Avignon 2023. Ce projet est un parcours dans la nature imaginé par Stefan Kaegi et Caroline Barneaud, qui réunit les œuvres de plusieurs artistes européens, et pour lequel j’ai signé l’une des pièces. Pour moi, la pensée émerge dans le dialogue ; il faut des convergences, des expériences et des sensibilités qui se connectent pour que quelque chose advienne de l’ordre de la création. L’image du créateur et du penseur solitaire n’est que l’incarnation d’un pouvoir, il faut s’en méfier.

Dispositifs : hybridation fertile

Dans votre travail, le cadre scénographique est une matrice dramaturgique. Pourquoi et comment élaborez-vous ces dispositifs ?

 

C’est ma manière de travailler, d’écrire et de créer. C’est comme ça que je réfléchis. Je travaille mes pièces autant sur le fond que sur la forme induite par le thème. À chaque fois, j’imagine un dispositif en rapport avec les matériaux et le sujet de collecte. Interroger le sens par le biais du dispositif de représentation s’apparente à des procédés plus caractéristiques de l’art contemporain ou du cinéma documentaire d’auteur·rice·s. Par exemple, chez Agnès Varda, Chantal Akerman, Alain Cavalier ou Peter Watkins, le sujet est exploré par le cinéma, qui est lui-même mis en scène, et le réel est interrogé par le regard du créateur qui s’expose dans un même mouvement.

 

Lorsque j’ai découvert ces films, je me suis sentie à l’aise, car j’ai perçu que le procédé d’écriture et de réflexion donnait les clefs aux spectateur·rice·s ; il portait en lui une certaine éthique, une transparence. Travailler avec des dispositifs implique également un côté très plastique. Je pense des agencements, et si ça marche, le sens s’en dégage. Ma pratique d’écriture emprunte au montage cinématographique. C’est du collage. Cette matérialité-là, cette manipulation des flux m’intéresse parce ce qu’elle est sensible et indissociable du geste. C’est comme dans la démarche documentaire : le corps et la présence sont en jeu dès le départ.

Oralité : ce que véhicule le langage

Le corps et la présence, certes, mais aussi la parole qui semble être un objet d’étude clef de l’ensemble de vos spectacles…

 

C’est l’épicentre de mon travail. Si on le considère uniquement sur l’angle thématique des pièces, on passe à côté de ce biais de lecture. Tout le processus d’écriture repose sur l’oralité et ses spécificités. Mes pièces explorent également, et surtout, ce qu’on ne dit pas dans ce qu’on dit, ce qu’on dit dans ce qu’on ne dit pas, et comment, malgré tout, on parvient à réfléchir ensemble. Quand je m’intéresse à des faits de société, à travers les rituels ou la question de l’avortement, j’utilise le théâtre pour partager mes recherches et ça passe par l’adresse et le langage. La parole, c’est quand même un phénomène ahurissant qui entretient un rapport au sens à la fois flou et mouvant. On parvient à saisir un sens, puis on le perd, puis on le reconquiert, et, finalement, on finit par se comprendre, ou pas. Mes spectacles s’ancrent dans cette perte et cette conquête perpétuelle, et invitent les spectateur·rice·s à en faire l’expérience sensible, mise à la loupe par le théâtre.

L’oreillette pour rejouer l’adresse

Vous utilisez souvent un système d’oreillette qui permet aux comédien·nes d’entendre la parole dont ils deviennent simultanément dépositaires. Pourquoi ce choix ?

 

Ma recherche est stratifiée et se déroule par étapes. Il y a d’une part un travail d’enquête à partir d’archives, un travail documentaire avec les entretiens que je mène, suivi d’un temps de montage fondamental. Ce qui est donné aux interprètes arrive ensuite, une fois les bandes-son montées. Ce sont des partitions qui n’existent pas à l’écrit. Le travail à l’oreillette découle de ce processus. J’aime ce qu’il implique dans la présence de l’acteur·ice parce qu’iels sont dans une action invisible des spectateur·rice·s et pourtant perceptible. L’oreillette influe forcément sur leur incarnation, puisqu’une autre voix est avec eux au même moment.

Néanmoins, iels ne sont pas conviés à rejouer la personne qu’iels entendent, mais à être eux-mêmes, en train de rejouer l’adresse et le mouvement de pensée. Ça les met dans un endroit de travail très particulier que j’explore depuis quelques années et qui interroge aussi spécifiquement cette chose-là : comment pense-t-on avec la personne en face, et comment la pensée serait différente sans elle, et comment cela se formule nécessairement à deux. Ici, je dirais même à trois, puisque le fantôme du document créé des impulsions et des interférences. C’est de la pure pensée vivante et cela n’a rien à voir avec de la pensée écrite. L’oreillette permet de toucher à cette matière : le flux, la pensée parlante, la parole pensante, et cet interstice entre les deux, où il se passe et se dit plein de choses.

Affaires familiales, affaire à suivre…

Vous êtes actuellement en train de composer votre nouvelle pièce, Affaires familiales, dont la création est prévue en 2025. Pourriez-vous nous en dire plus ?

 

Je suis en pleine écriture et mène des entretiens dans plusieurs pays d’Europe autour de cette juridiction, des lois et des pratiques. Il est difficile d’en parler de manière synthétique à cette étape du travail où la note d’intention est bousculée par la recherche. Les projets naissent de stratifications multiples, mais ce qui est certain, c’est que cette pièce découle de Bobigny, non pas tant pour l’aspect judiciaire, mais plutôt en ce qui concerne le rapport entre l’intime et le politique, entre le corps individuel et le corps collectif. Dans la défense du droit à l’avortement se joue le droit de disposer de son corps, et par là, l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour paraphraser la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie « l’avènement d’une réelle société démocratique » se trouve dans cette lutte.

 

Ce qui m’intéresse avec le sujet des affaires familiales, c’est ce trajet des récits entre l’histoire individuelle et l’histoire collective. Ces histoires, qui semblent appartenir à l’intimité du foyer et à des cas individuels, concernent en réalité l’ensemble de la société et la manière dont nous souhaitons nous structurer. Ce n’est pas pour rien que la famille est un des premiers champs investis par l’extrême droite et les conservateurs. Vladimir Poutine a supprimé les violences intrafamiliales du Code pénal, Giorgia Meloni a créé un crime universel pour la GPA, s’opposant ainsi à la reconnaissance des parentalités LGBT+. C’est intéressant de voir ce que nos institutions choisissent de prendre en charge ou refusent d’entendre. Comment nos histoires intimes, en fonction de l’écoute que la société leur accorde, prennent sens ou en perdent.

 

 

Marie Plantin  / Sceneweb

Portrait d'Emilie Rousset © Martin Argyrolo

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November 16, 2024 7:48 AM
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Sur scène, David Wahl fait sortir les mots de terre

Sur scène, David Wahl fait sortir les mots de terre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 14 nov. 2024

 

 

L’écrivain et performeur, qui mêle littérature et science dans ses spectacles, présente « Nos cœurs en terre » au Théâtre de la Tempête, avec le plasticien Olivier de Sagazan.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/14/sur-scene-david-wahl-fait-sortir-les-mots-de-terre_6393017_3246.html

 

Le taureau et le manchot. Ce duo d’animaux aux antipodes pourrait bien faire copain-copain dans un prochain spectacle en forme de « causerie » de l’écrivain et performeur David Wahl. Mardi 22 octobre, le premier est floqué sur la veste rouge criard – « parfaite pour qu’on me repère à vélo » – portée par l’artiste. Le second se dandine en symbole bienveillant de la compagnie fondée en 2013 par celui qui déclare direct : « C’est ma rencontre avec un manchot qui a décidé de mon engagement pour l’environnement. »

 

 

Envie d’en savoir davantage ? Sur scène comme dans la vie, David Wahl, pour qui « le propre de l’homme est de raconter des histoires », a déjà enclenché sa vitesse de croisière supersonique. Et zou, nous voilà en 2013. Jeune auteur, Wahl profite d’une résidence d’écriture à Océanopolis, centre national de culture scientifique consacré à l’océan, basé à Brest, dont il est désormais artiste associé. « Personne ne savait trop quoi me donner à faire, se souvient-il. Je me suis retrouvé avec un seau en métal plein de maquereaux à donner à manger aux manchots. Et soudain, j’ai senti une présence. C’était un manchot royal qui me faisait un câlin. J’ai été bouleversé. » Il apprend ensuite que l’animal s’appelle Dominique et « se prend pour un homme ».

 

Depuis ce « hug » inoubliable, David Wahl a beaucoup conversé et écrit à propos de « cet oiseau qui ne vole plus mais nage ». En vedette dans son récit La Visite curieuse et secrète, il le cite dans sa causerie Histoire spirituelle de la danse, en tournée depuis 2015, et à l’affiche jusqu’au 24 novembre, au Théâtre de la Tempête (Paris 12e). Parallèlement, Wahl performe aussi le fantastique Nos cœurs en terre, en duo avec le plasticien Olivier de Sagazan, dans la mise en scène de Gaëlle Hausermann. « Nous avons discuté sur les mythes fondateurs », glisse Wahl, qui croit à une « parenté secrète entre les fossiles et nous ». Cette conviction est partagée par de Sagazan qui travaille au corps « la question du vivant dans l’inerte » tout en métamorphosant son complice en superbe idole agricole d’argile et de fleurs. « Je le fais terre », résume-t-il joliment.

« Partager mon étonnement »

Enseveli sous 50 kilogrammes de matière organique, Wahl trouve néanmoins encore le moyen de se faire entendre. « J’aime bien être enterré à condition de ne pas étouffer, confie-t-il. Je suis dans un état second comme en autohypnose. Je ne vois plus, on ne me voit plus, je ne respire quasiment pas sous l’argile, mais je garde le contact avec Olivier et je parle toujours. » Rien d’étonnant de la part de Wahl, qui a naturellement la fable à fleur de bouche et un seul moteur : « émerveiller » son auditoire. « Je ne suis ni un conférencier ni un vulgarisateur, insiste-t-il. Je ne réponds qu’à des commandes pour découvrir des choses auxquelles je ne m’attends pas. »

 

 

Autant dire que les thèmes abordés par David Wahl dans ses spectacles et ses livres sont plus qu’extrêmement variés. On trouve ainsi un Traité de la boule de cristal (Riveneuve, 2014), un débat sur les déchets dans Le Sale Discours (Premier Parallèle, 2018) ou encore une recherche sur Le Sexe des pierres (Premier Parallèle, 2022). Chaque sujet exige un long temps de documentation et d’écriture. Les textes sont vérifiés par des experts avant de devenir parfois l’objet d’une lecture spectaculaire où Wahl fait palpiter chaque mot en tutoyant généralement le spectateur. « C’est le “tu” de la littérature humaniste, précise-t-il. Une relation privilégiée où l’on est entre nous. Je veux partager avec les spectateurs mon étonnement autour des questions que je me pose. »

 

 

Lire la critique (2021) : Article réservé à nos abonnés A Avignon, la science éveillée de David Wahl
 

Mais cet homme érudit pour qui « chercher à connaître, c’est chercher à aimer », est loin d’être un manchot de bibliothèque. Parallèlement à Océanopolis, il collabore avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’Ifremer. En 2017, il participe, en compagnie de marins et de scientifiques, à différentes expéditions sur le Pourquoi-Pas ?, navire amiral de la Flotte océanographique française, autour des sources hydrothermales entre les Açores et la dorsale atlantique. Un récit retrace ses aventures : La Vie profonde. Une expédition dans les abysses (Arthaud, 2023).

 

Le 12 octobre, toujours sur le Pourquoi-Pas ?, amarré dans le port de Brest, il est l’un des protagonistes de la rencontre nationale « S’engager pour l’océan, c’est garder un temps d’avance », sur l’état de santé des océans. Il a planché avec quatre scientifiques pour préparer leur intervention sur le réchauffement climatique face à deux ministres : Patrick Hetzel, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et Fabrice Loher, délégué à la mer et à la pêche. « Il s’agissait pour nous de convaincre les hommes politiques en évitant le jargon et la posture, commente Virginie Thierry, chercheuse en océanographie. David nous a interrogés sur les raisons pour lesquelles nous avons choisi notre métier. Il nous a ensuite conseillés d’être plus personnels dans nos textes et d’exprimer notre ressenti et nos doutes de façon percutante afin que nos cris d’alarme soient entendus. »

Un pas de deux éloquent

D’où vient donc cette fièvre littéraire et scientifique ? David Wahl est né dans une famille de médecins – le père est pneumologue et la mère, endocrinologue –, également bibliophiles. Il a d’ailleurs conservé certains livres d’enfance de son grand-père, datant de 1913. Il a posé sur sa cheminée un embryon de poulet dans du formol que sa grand-mère paternelle lui a légué. « Elle a été la première à imaginer percer un petit trou dans l’œuf pour observer la croissance de l’embryon », souligne-t-il.

 

 

Dans ce contexte, celui qui écrit depuis l’enfance se souvient qu’en CE1, alors qu’il avait 7-8 ans, il avait demandé à la maîtresse de raconter chaque lundi l’histoire d’un des cinquante dinosaures de sa collection. « C’était ma première causerie, sourit-il. Il y a évidemment un rapport de l’histoire à l’enfance. On habite le monde par notre langage. » Quelques années plus tard, il prépare l’Ecole des chartes – d’où ses nombreuses citations en latin –, et se forme au conservatoire d’art dramatique du 7e arrondissement de Paris. Depuis 2008, et une commande de la Revue des deux mondes sur les monstres, il combine l’écriture et la scène dans un pas de deux éloquent.

 

 

Si aucun sujet ne semble résister à David Wahl, qu’est-ce qui peut bien le laisser muet ? Il prend une grande respiration et murmure : « C’est peut-être difficile à croire, mais j’aime la solitude, j’aime me taire. Je suis alors dans une sorte d’état de grâce qui me permet de faire le vide et d’entendre des choses que mes paroles ne me permettent pas toujours de recevoir. »

 

 

Histoire spirituelle de la danse, de David Wahl, et Nos cœurs en terre, de David Wahl et Olivier de Sagazan. Jusqu’au 24 novembre, Théâtre de la Tempête, Paris 12e. Livres de David Wahl : La Vie profonde (Arthaud, 2023) ; Histoire spirituelle de la danse (Riveneuve/Archimbaud, 96 p., 10 €).

 

Exposition Olivier de Sagazan, au Salon Tout-Art , Paris 14e, jusqu’au 15 février 2025.

 

Rosita Boisseau /  Le Monde

 

Légende photo : Olivier de Sagazan et David Wahl, au Théâtre du Champ-au-Roy de Guingamp (Côtes-d’Armor), en mai 2021. Photo ©  ERWAN FLOC’H

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November 15, 2024 12:46 PM
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Jacques Rebotier, sa valse à trois filles

Jacques Rebotier, sa valse à trois filles | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 15 nov. 2024

 

 

Pour Six pieds sous ciel -chœur-, l’artiste de science et de fantaisie, réunit des interprètes épatantes, aussi cocasses dans leur présence qu’angoissantes (et drôles) dans leurs paroles.

 

On les découvre, imbriquées, avec des cerveaux sans calotte crânienne, et des bras d’écorchées. Pas encore nées, en quelque sorte. Mais déjà habillées. Des pantalons à larges rayures. Des dominantes différentes. L’une, jaune. C’est Anne Gouraud. L’autre, bleue. C’est Emilie Launay-Bobillot. La dernière verte. C’est Aurélia Labayle.

 

Jacques Rebotier les a réunies. Et il pense à nos petits cœurs : bientôt ces dames ôteront leurs bras pleins de veines apparentes…on sera soulagés. Et nos trois belles entameront leur parcours, accidenté, cocasse. Et déchirant.

 

Ce sont des voyageuses XXème siècle, avec leurs valises à roulettes. Des délurées. Des filles traversées par tous les discours du monde, des plus frivoles et futiles, aux plus graves. Elles sont entraînées dans le flot des discours du monde.

 

« Symphonie-langage. Concert de pensées. Composer comme on compose une toile, ou un quatuor. Mais en phrases. » , commente l’auteur et metteur en scène.

 

Les trois interprètes sont épatantes. Elles sont d’une précision de musiciennes et d’une fantaisie de clowns. Exactement ce que veut Jacques Rebotier, qui, avec le temps qui passe, n’a en rien renoncé à son art contrasté de rire et de gravité. Plus va le temps, plus il apparaît comme pessimiste. Voire désespéré. Rions, mieux vaut en rire, dit-il. On rit beaucoup, plus l’on médite…

 

 

La Colline, petit théâtre, mardi à 19h00, du mercredi au samedi à 20h00, dimanche à 16h00. Durée : 1h15. Tél : 01 44 62 52 52. Jusqu’au 24 novembre. Le 21 novembre à 14h30 et 20h00. www.colline.fr

 

Puis du 22 au 24 janvier, au Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon.

 

Sur la page de Jacques Rebotier : https://www.rebotier.net/spectacle/six-pieds-sous-ciel

 

 

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November 15, 2024 12:35 PM
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A l’Odéon, Stéphane Braunschweig révèle le tour prophétique de «la Mouette» 

A l’Odéon, Stéphane Braunschweig révèle le tour prophétique de «la Mouette»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it
par Sonya Faure dans Libération , publié le 11 novembre 2024
 
 

En choisissant d’ancrer la pièce de Tchekhov dans le contemporain, le metteur en scène lui donne un aspect visionnaire : on n’assiste plus seulement à la fin d’une société, mais à la fin d’un monde après la sixième extinction.

 

D’emblée l’horizon est bouché. Une immense palissade greige, un haut mur, a remplacé le rideau qui sépare le public de l’Odéon de la scène. Medvedenko et Macha, puis Sorine, puis Konstantin, tous les personnages de la Mouette de Tchekhov arrivent depuis la salle et se fichent dans l’étroit espace d’avant-scène resté libre devant le mur. La lumière crue leur dessine des ombres très hautes, qui les jaugent, tout près, juste dans leur dos. Tous attendent la représentation de la pièce du jeune Konstantin, avec l’objet de sa passion, l’ingénue Nina, dans le rôle principal. La mère de Konstantin, la grande actrice Irina Nikolaïevna Arkadina, sera-t-elle enfin fière de son fils ?

 

 

La palissade de l’Odéon s’ouvre quand la représentation de Konstantin commence. Spectacle dans le spectacle, œuvre un peu ridicule mais pas sans souffle, moquée et annonciatrice du pire, elle prend dans cette Mouette une place centrale. Trois fois rejouée, de manière de plus en plus désolée, la pièce du jeune homme n’est plus ce «quelque chose de décadent» dont se moque, désinvolte et cruelle, la mère de Konstantin. Elle n’est plus seulement cette «forme nouvelle» et d’avant-garde, elle est ce qui a déjà eu lieu : «En un mot, toutes les vies, toutes les vies, leur triste cycle accompli, se sont éteintes…» déclame Nina, en combinaison blanche comme en revêtaient les urgentistes au premier temps du Covid. «Voici déjà des milliers de siècles que la Terre ne porte plus un seul être vivant, et cette pauvre Lune allume en vain son fanal. Dans les prés, les grues ne s’éveillent plus en criant, on n’entend plus les hannetons de mai dans les bois de tilleul.»

Univers désolé

En portant si haut la pièce de Konstantin, en faisant le choix de placer sa Mouette dans un contemporain indéfini – salopettes et chemises lâches pour costumes, Macha (Boutaïna El Fekkak qui joue une belle gaîté triste) qui prise son tabac comme une cocaïnomane et Dorn le médecin (Sharif Andoura, égal à lui-même, c’est-à-dire parfait) qui embrasse sa maîtresse à pleine bouche, Stéphane Braunschweig révèle le tour prophétique de ce texte écrit en 1895 : c’est de la sixième extinction que nous parle le jeune Konstantin, face à ses aînés qui le snobent et ironisent. Ce n’est plus de la fin d’une société mais de la fin d’un monde dont nous parle Anton Tchekhov.

 

Dès lors l’univers désolé de Konstantin va étendre son ombre sur l’ensemble de la pièce. Dans la mise en scène de Braunschweig, le beau lac de Tchekhov est asséché. Les personnages ne mènent plus leurs travers touchants et ridicules, leurs déconvenues amoureuses et leurs vies jamais advenues sur ses rives mais au beau milieu de son lit sablonneux, entre deux rochers et une barque ruinée. Beau décor (un petit côté arte povera chic dans l’esthétique) où les personnages s’entrechoquent, tels les atomes du maître d’école Medvedenko, mais de manière de plus en plus amortie, dialogues d’abord vifs et drôles, chansons de variété fredonnées, et tout cela progressivement engourdi par le froid qui gagne. Tout cela aussi magnifiquement enveloppé par les nuages, voiles de fumée, vapeurs de cigarettes électroniques qui circulent sur scène. «Du vent. Du vent tout ça.»

«Ouvertures sur d’autres vies possibles»

Asséchant le lac, le metteur en scène a aussi choisi d’émacier ces personnages, au risque, malheureusement, de les rendre parfois trop évidents – Konstantin est de but en blanc buté et orgueilleux, Nina est foncièrement godiche (encore que, elle est la seule qui évoluera). Dès lors la terrible relation entre la mère et son fils n’émeut guère. Et comment imaginer ce Trigorine-là, bel écrivain définitivement vain et mesquin, quitter sa star pour une vie nouvelle ? Dans Au loin la liberté, paru ces jours-ci (la Fabrique), Jacques Rancière parle des nouvelles de Tchekhov comme des «ouvertures sur d’autres vies possibles», qui bien vite, le plus souvent, se referment. Ici les personnages volontairement découpés plus à plat, joués d’avance, ne permettent plus d’imaginer ce qu’ils auraient pu faire, ce qui aurait pu arriver.

Mais c’est sans doute parce que dans cette Mouette relue en 2024, le monde est déjà en train de se refermer. La lecture de Stéphane Braunschweig donne à voir autrement les vaches et les dindons décimés du domaine, et cette phrase qu’on avait jamais entendue ainsi : «Prends-moi chez toi. Notre temps s’en va.»

La Mouette d’Anton Tchekhov (traduction André Markowicz et Françoise Morvan), mise en scène de Stéphane Braunschweig. Jusqu’au 22 décembre à l’Odéon 6e.

 

Sonya Faure / Libération   

 

 

légende photo : Dans le beau décor magnifiquement enveloppé par les nuages, les personnages s’entrechoquent. (Crédit photo © Simon Gosselin)
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November 7, 2024 5:58 AM
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Avec « Sexe », Bérengère Krief se confie sur sa quête du plaisir

Avec « Sexe », Bérengère Krief se confie sur sa quête du plaisir | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 6 nov. 2024

 

La comédienne présente son spectacle le plus abouti, au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, puis en tournée.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/07/avec-sexe-berengere-krief-en-toute-liberte_6380803_3246.html

Son nouveau spectacle s’appelle Sexe. Sur l’affiche, Bérengère Krief est dans une salle de bains mauve, assise sur la cuvette d’un W.-C., la culotte à mi-mollet, le portable à la main, le regard perdu et son cocker anglais à ses pieds. Surtout, ne pas s’arrêter à ce plan de communication a priori too much. A 41 ans, l’humoriste signe son one-woman-show le plus abouti, en forme de rétrospective de sa sexualité, sans impudeur, mais avec une fringante et épatante liberté.

 

 

Plus de douze ans après son premier stand-up, Bérengère Krief a, reconnaît-elle, « enlevé [son] nez rouge », quitté son costume de tchatcheuse rigolote, de bonne copine qui donne la pêche, pour une introspection libératrice. « J’ai fait un chemin vers moi et je me suis fait confiance », résume la comédienne, qui a donné rendez-vous à Paris sur le rooftop du Terrass’’ Hotel, à Montmartre, pour la beauté de la vue. Chemin faisant, celle qui se fit connaître du grand public grâce à son personnage de Marla, le « plan cul » de la série humoristique Bref, sur Canal+, a opéré un virage fructueux dans la manière de s’adresser au public et s’est émancipée de son image réductrice de blonde gouailleuse.

 

Dans Sexe, pas la moindre vulgarité ni grossièreté, mais le désir très sain de parler librement d’un sujet qui nous concerne tous. « Mon projet n’était pas de revendiquer une liberté de ton mais de sortir le sexe de la petite chambre secrète où on l’enferme et de convoquer le moi sexuel qu’on a tous en nous », défend Bérengère Krief.

 

 

Souvenir de sa première fois et de sa peur de « ne pas faire le job », récit d’un « date » raté (« un mauvais coup, c’est comme un mauvais livre, je me sens toujours obligée de finir »), tentative sans lendemain de coucher avec une femme, confidences sur ce qu’elle ne fait pas (regarder des films porno) ou n’aime pas (« le délire de la performance »), expérience douloureuse de blocage sexuel : les thèmes peuvent paraître attendus, mais la manière décontractée avec laquelle elle s’en empare et la justesse du texte déclenchent des bouffées de rire libérateur.

Mise en scène élégante

Sexe est bien plus qu’un stand-up. A l’image de son précédent spectacle, Amour (né après une douloureuse rupture et un mariage annulé), ce nouveau show est intelligemment théâtralisé, grâce à la mise en scène élégante de Pamela Ravassard, et convoque quelques personnages dont celui, inénarrable, de sa mère, qui lui fournit des punchlines clé en main : « Attention, ma fille, la grossesse, c’est comme le Paic citron, une seule goutte suffit. » « Tout ce que je fais dire à ma mère est réel, je n’ai rien inventé », précise avec un sourire tendre Bérengère Krief.

 

Fille unique de parents aimants et encourageants, elle a grandi à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône), dans la banlieue cossue de l’Ouest lyonnais. « J’ai commencé l’humour sur un malentendu », se souvient-elle. A 15 ans, lors d’essais en cours de théâtre, elle lit « avec toute [son] âme » un extrait de La Maison de Bernarda Alba, de Federico Garcia Lorca. Sa professeure se met à rigoler et lui dit gentiment : « Bérengère, on va te trouver autre chose. » L’adolescente n’interprétera jamais de filles amoureuses et se demandera : « Ça veut dire quoi “autre chose” ? » Qu’elle avait été drôle sans chercher à l’être.

 

 

Lire la critique (2020) : Article réservé à nos abonnés Toutes les histoires d’amour de Bérengère Krief
 

Après le bac, elle s’inscrit en arts du spectacle à l’université Lyon-II, puis suit les cours de l’Acting Studio, de Joëlle Sevilla (la mère d’Alexandre Astier), avant de partir à Paris dans un « élan un peu inconscient d’être seule sur scène et de faire rire ».

 

Son premier spectacle la mènera du petit théâtre parisien Le Bout jusqu’à l’Olympia. Petite barrette rose pour tenir sa longue mèche blonde, robe légère et visage poupon, Bérengère Krief s’affiche alors en fille sympa et culottée qui a pour sujet de prédilection les relations filles-garçons, pour ennemis les machos, pour religion le chocolat et le Nutella, pour obsession sa garde-robe, pour occupation la télé-réalité et pour espoir dans la vie de trouver un « FidèleMan ». Le tout manque alors de nuance et le texte de profondeur. Sorte de Bridget Jones à la française, elle est qualifiée par la presse de « girly » et même de « blonde qui se rebiffe ». Quand elle repense à cette approche sexiste, elle n’en revient pas.

Appétit de lecture

Assumons les poncifs quand ils sont justifiés : Sexe peut être qualifié de spectacle de la maturité, riche de pérégrinations et d’anecdotes qui parlent à tous.

 

« La sexualité me passionne et m’intrigue », résume Bérengère Krief. A la rencontre de l’orgasme divin, de Margot Anand (Trédaniel, 2017), Foufoune cosmique, de Malory Malmasson (Massot, 2020), L’Intelligence érotique, d’Esther Perel (Robert Laffont, 2007), la comédienne ne se lasse pas de citer ses ouvrages préférés. Sur scène, cela donne : « Plus tu as de bouquins sur la sexualité – ou sur le développement personnel – dans ta bibliothèque, moins c’est bon signe. » Dans la vie, cet appétit de lecture correspond, dit-elle, « à mon côté bonne élève, j’aime apprendre, comprendre, donner du sens ».

 

 

Avec la complicité des humoristes Fanny Ruwet, Jessé et Lisa Delmoitiez, Bérengère Krief a peaufiné son texte et les situations. D’un sujet intime et casse-gueule, elle parvient à jongler entre autodérision et réflexion sur ce corps que l’on n’écoute pas assez, sur ces insistances à « coucher pour coucher ». Bérengère Krief ne donne pas de mode d’emploi, mais partage ses constats, ses maladresses, ses doutes et sa quête du plaisir, grand impensé de l’éducation à la sexualité. « J’ai arrêté de faire plaisir à tout le monde, sauf à moi », résume-t-elle. Une sorte de « crise d’ado à la quarantaine » d’une sincérité à se tordre de rire.

 

 

Sexe, de et avec Bérengère Krief, jusqu’au 31 décembre au Théâtre de l’Œuvre, Paris 9e, puis en tournée durant toute l’année 2025 (le 9 janvier à Reims, le 11 à Lens, le 15 à Toulouse, le 17 à Rennes, le 18 à Tours, etc.).

 

 

Sandrine Blanchard / LE MONDE

 

Légende photo : Bérengère Krief, à La Rochelle, en mai 2024. LAMBERT DAVIS

 

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November 6, 2024 5:36 PM
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Exit, de Karine Dubernet et Benjamin Gauthier, adapté du documentaire Exit de Fernand Melgar, par Charles Templon, au Théâtre 14, Paris.  

Exit, de Karine Dubernet et Benjamin Gauthier, adapté du documentaire Exit de Fernand Melgar, par Charles Templon, au Théâtre 14, Paris.   | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 6 nov. 2024

 



Exit, texte de Karine Dubernet et Benjamin Gauthier, avec la complicité de Charles Templon, adaptation du documentaire Exit de Fernand Melgar,  mise en scène, scénographie et costumes Charles Templon. Avec Philippe Awat, Marie-Sohna Condé, Lucie Gallo, Nanou Garcia, Benjamin Gauthier. Assistant metteur en scène Alexandre Paradis, création Lumière Loris Gemignani,  création sonore Camille Vitté,

 

La Suisse est le premier pays au monde où des associations telles qu’Exit, créée en 1982, proposent en toute légalité une assistance au suicide pour les personnes en fin de vie. Des bénévoles accompagnent des personnes atteintes de maladies graves et incurables vers une issue que ces dernières estiment plus digne.
Ces êtres nous montrent que choisir sa mort est certainement notre ultime liberté. 

 

Adel Hakim, comédien, metteur en scène, dramaturge et co-directeur artistique de longues années avec la metteuse en scène Elisabeth Chailloux du Théâtre des Quartiers d’Ivry, centre dramatique national du Val-de-Marne, souffrant d’une sclérose latérale amyotrophique, maladie dégénérative – et selon sa volonté consciente revendiquée, compte tenu des difficultés à survivre – a choisi de mettre fin à ses jours le 28 août 2017, après avoir adhéré à l’association suisse Dignitas.

 

« Il n’est pas nécessaire d’être angoissé par l’idée de la mort, écrit Adel Hakim dans une lettre émouvante, Il faut l’accepter car c’est un passage inéluctable vers l’au-delà. Aucun de nous n’est immortel. Aussi faut-il vivre avec plaisir, partage, solidarité, porter attention et secours, entre autres, aux démunis et aux migrants. »

Le spectacle Exit ne se déroule pas en France car y « donner la mort » est interdit. Seule est autorisée, pour les patients atteints d’une maladie grave et incurable, une sédation profonde et continue, évitant la souffrance avant la mort: décider de sa mort ainsi est impossible. Sclérose en plaques, paralysie évolutive, cancer des poumons, du pancréas…, la liste des vaines maladies douloureuses est longue.

 

Parallèlement à notre rapport à la mort, le spectacle explore les coulisses de l’association qui détient l’instrument de l’auto-délivrance de la souffrance, de la vie. 

 

La représentation s’articule autour des situations inspirées du documentaire de Fernand Melgar, Exit. Jacklyne, Manu, Laurent, Docteur Jean et Sophie sont accompagnateurs-bénévoles, héros du quotidien de nombreux malades, regardant la mort en face. Le public observe frontalement les aidants lors de leurs réunions et permanences téléphoniques, leur humanité – altruisme, prises de conscience, épuisement, croyances et doutes. De la prise de contact jusqu’à la mort, les anti-héros accompagnent malades et handicapés vers une issue estimée plus digne. 

 

La mise en scène, contre toute attente et avec vitalité, s’amuse des situations humaines incongrues – hésitation, doute, fatigue – donnant à ce contexte grave de fin de vie et de mort extrêmement prochaine, un humour salvateur de comédie.

 

Les personnages, du côté des accompagnateurs, sont forts d’une individualité et d’un quant-à-soi que les spectateurs ont loisir de découvrir et de contempler. Du côté des patients-demandeurs d’un salut choisi, les interprètes n’échappent pas à la maladresse de mimer la maladie, ses douleurs et amertumes; un réalisme déplacé et peu persuasif sur une scène de théâtre, quand les mêmes acteurs qui interprètent alors les aidants, n’échappent ni à la poésie ni au sentiment existentiel.

 

Marie-Sohna Condé vibre sincèrement et noblement de sa mission, Philippe Awat en médecin convainc ses interlocuteurs comme le public, et Nanou Garcia joue l’épreuve âcre d’un inconfort ultime, mais l’ironie aussi, et l’amusement, en dépit de tout.

 

 

Véronique Hotte

 

 

Du 5 au 23 novembre 2024, mardi, mercredi, vendredi 20h, Jeudi 19h, samedi 16h au Théâtre 14– 20 avenue Marc Sangnier 75014. Rés. theatre14.mapado.com, 01.45.45.49.77.

 

 

 

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

 

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November 5, 2024 6:18 PM
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Avec « Les Fausses Confidences » par Alain Françon, Marivaux à cœur ouvert

Avec « Les Fausses Confidences » par Alain Françon, Marivaux à cœur ouvert | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 5 nov. 2024

 

 

Le metteur en scène fait entendre merveilleusement la langue du dramaturge, dans son spectacle servi par des comédiens excellents.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/05/avec-les-fausses-confidences-par-alain-francon-marivaux-a-c-ur-ouvert_6377922_3246.html

« Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera. » L’homme qui le dit est un valet nommé Dubois, et il est le deus ex machina de ces Fausses Confidences. Chez Marivaux, l’amour parle, se parle, se dit autant pour s’avouer que pour se travestir, peut-être n’existe-t-il que parce qu’il se parle, dans une forme de performativité des mots. Les jeux de l’amour sont d’abord des jeux du langage, qui masque ou trompe autant qu’il dévoile. La langue est première chez le maître de l’amour français, et c’est d’abord elle qu’Alain Françon fait entendre, merveilleusement, dans ce spectacle limpide et subtil.

 

Rien de spectaculaire ici. Comme un maître zen, Alain Françon semble d’un spectacle à l’autre épurer son geste, poussant toujours plus loin son travail, devenu rare de nos jours, d’héritage vitézien, sur la manière dont la langue traverse le corps des acteurs, laissant affleurer aussi bien les non-dits que les dits de ce qui se joue. Et si l’ensemble de la représentation coule avec évidence, c’est que le mélange de naturel et de théâtralité au cœur de l’art de Marivaux est dosé de manière si parfaite que justement il ne se voit plus.

 
Que se joue-t-il ici, dans cette nouvelle variation sur la machination matrimoniale chère au divin Marivaux ? En sa demeure, Araminte, jeune veuve aussi belle que richissime, va être l’objet d’une étrange conspiration. Ayant besoin d’un nouvel intendant, elle se voit recommander par son oncle un jeune homme, Dorante, qui n’a pas réussi comme avocat et connaît un revers de fortune. En réalité, Dorante cherche à entrer dans la place pour conquérir la belle, dont il se dit fou amoureux, depuis qu’il l’a croisée un soir à l’opéra.
 
 
Lire la critique (en 2021) : Article réservé à nos abonnés Alain Françon décape Marivaux de tout académisme
 

Dorante (« d’or, hante », dirait un mauvais jeu de mots lacanien) est-il vraiment « timbré d’amour », est-il plutôt attiré par la position sociale d’Araminte, ou l’amour et le désir social se mêlent-ils, comme il en est souvent dans la vie ? Il n’y aura pas forcément de réponse. Un homme tire les ficelles, qui, lui, veut absolument que son poulain (son pantin ?) devienne le maître des lieux : Dubois, valet de Dorante, qui a autrefois servi chez Araminte. Que joue-t-il là-dedans ? Quel est son désir ? Ce désir est-il dirigé vers l’or, vers Dorante, vers Araminte ? Est-ce le seul plaisir du manipulateur ?

En attendant, Dubois permet à Marivaux de déployer sa machination théâtrale, à coups de billets doux, de portraits cachés et de fausses confidences tous azimuts. Autant de coups de théâtre réjouissants par lesquels il décline, avec un brio étincelant, les thèmes du double, du masque, de l’image de l’aimé(e) telle qu’on la construit comme une fiction.

Un grand art d’actrice

La beauté de la pièce tient tout entière dans le chemin que va faire Araminte, à travers cette manipulation, pour trouver sa liberté et décider d’aimer Dorante, malgré tout. C’est elle qui le choisit, au final, contre les conventions de son temps, contre sa mère, l’effroyable et moliéresque Madame Argante, qui voulait à tout prix la voir épouser un comte. Elle le fait au fil d’un parcours initiatique où la vérité de l’amour et l’amour de la vérité semblent aussi friables l’un que l’autre, mais doivent néanmoins faire l’objet d’un pari existentiel.

 

La beauté de ce personnage unique dans le théâtre du XVIIIe siècle, qui réussit à échapper aux rôles assignés de manipulatrice à la Merteuil ou de victime à la Cécile Volanges, tels que fixés par Laclos dans Les Liaisons dangereuses, a tenté nombre de grandes actrices – dans l’histoire récente, Anouk Grinberg et Isabelle Huppert, notamment. Georgia Scalliet, comédienne devenue trop rare, est une fois de plus magnifique en Araminte, laissant affleurer sur son visage et dans tout son être une infinité de sentiments.

 
 

Comme pour son metteur en scène, c’est bien un grand art d’actrice qui se déploie ici, de manière on ne peut plus subtile et anti-spectaculaire, au fur et à mesure que se dessine le portrait d’une femme qui, dépassant les coquetteries des bourgeoises et des aristocrates de son temps, trouve la voie de la générosité et de la sensibilité à travers le piège qui lui est tendu.

Un classicisme à la Kubrick

Autour d’elle, tous les comédiens sont excellents, dans le décor, étonnamment classique pour Alain Françon, signé par son fidèle scénographe Jacques Gabel. Encore s’agit-il là d’un classicisme à la Kubrick, empreint d’une forme d’abstraction, qui sert avant tout à ménager les hors-champ de l’histoire.

 

 

Pierre-François Garel est parfait en Dorante opaque – aux autres comme à lui-même, sans doute. Gilles Privat, merveilleux acteur qui tient du clown aérien et naïf, est un Dubois inattendu, à contre-emploi : il a un petit côté Nosferatu, avec son crâne rasé et son visage très blanc, qui suggère qu’il est bien le vrai vampire de l’histoire. Quant à Dominique Valadié, elle offre de grands moments dans la peau d’une Madame Argante dont la méchanceté s’appuie sur une bêtise crasse.

 

Le plus étonnant est peut-être que Françon fasse le choix d’un Marivaux à cœur ouvert, lui qui a longtemps fait montre d’une certaine radicalité, notamment à travers son compagnonnage avec l’auteur Edward Bond (1934-2024). Avec ces Fausses Confidences, il laisse s’exprimer une vibration rare au théâtre, digne d’un morceau de Schubert, où la gravité s’enveloppe de légèreté, où la fraîcheur et le sentiment semblent malgré tout à même de faire pièce à la noirceur et à la manipulation. « Toutes les œuvres de Marivaux sont des triomphes de l’amour », glissait le metteur en scène à la fin de la représentation, à Genève, où le spectacle a été créé.

 

« Dans tout ce qui s’est passé chez vous, il n’y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j’ai fait », dit Dorante à Araminte à la fin de la pièce. Mais l’art de Marivaux est bien celui du double jeu. Dans la peau de Pierre-François Garel, Dorante semble jusqu’au bout torturé par un secret ou une culpabilité sourde. Comme s’il n’était pas très sûr lui-même que son coup de foudre ne soit pas un coup de fourbe.

 

 

 

 

Voir le teaser vidéo 

 

« Les Fausses Confidences », de Marivaux. Mise en scène : Alain Françon. Théâtre des Célestins, Lyon, du 6 au 17 novembre. Théâtre Nanterre-Amandiers, Nanterre (Hauts-de-Seine), du 23 novembre au 21 décembre.

 

 

Fabienne Darge (Genève (Suisse), envoyée spéciale)

Légende photo : Dominique Valadié, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet et Yasmina Remil dans « Les Fausses Confidences », de Marivaux, dans une mise en scène d’Alain Françon, au Théâtre de Carouge, à Genève (Suisse), le 22 septembre 2024. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
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November 5, 2024 10:25 AM
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« Petites joueuses » de François Chaignaud au Louvre : une folie pure

« Petites joueuses » de François Chaignaud au Louvre : une folie pure | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Amélie Blaustein-Niddam dans Cult.news - 5 nov. 2024

 

 

Une nouvelle fois, le plus grand musée du monde et le Festival d’automne font alliance pour le meilleur. Le danseur et chorégraphe François Chaignaud nous invite dans les bas-fonds, pire, au donjon, pour une déambulation immersive dans les figures folles d’un Moyen Âge contemporain.

 

Passer l’hiver au Donjon

Tout l’hiver, le Louvre expose ses fous. Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques est un monument qui rassemble plus de 300 œuvres, dont un fonds d’enluminures du XIIIe siècle à se damner aux enfers. L’exposition est magistrale, elle donne à voir les dessins super queer du Maître E. S., les espiègleries de Jérôme Bosch, les anthropomorphies du duc de Berry, et tant d’autres. Tout cela est la matière première du spectacle. L’idée est de performer en résonance avec cet événement. Dans l’exposition, de façon brillante, le fou est vidé de la maladie, il est une figure à côté, qui déborde, qui révèle. Il est celui à combattre avant de devenir un modèle à suivre. Petites joueuses raconte exactement cela.

 

La pièce nous fait passer symboliquement de l’ombre à la lumière. Elle se tient dans les excavations des soubassements du Louvre avant le Louvre, quand il était un château. C’est un endroit du musée qui n’est pas un musée, il n’y a aucune œuvre d’art. Cet espace est un monument en soi. Nous entrons par le donjon où, subjugué.e.s, nous regardons ébahi.e.s « Les Ballonnées ». Samuel Famechon et Pierre Morillon jouent pieds nus dans la terre et sur la pierre, s’envoyant l’un à l’autre un énorme ballon de baudruche rouge. Leur visage toujours un peu penché vers l’arrière, la bouche effacée et les yeux immenses. Ils deviennent immenses, les bras vont haut, les dos se courbent comme dans les représentations de satyres. Mais déjà une voix nous appelle : juchée sur des échasses (dont une à l’effigie de Mirium, le chien de François), Maryfé Singy nous appelle. Elle penche, elle aussi, comme si elle était devenue elle-même une enluminure vivante ornant le texte « à la marge ». Selon les moments, vous la trouverez errante entre deux murs, enfermée dans sa démence, ou bien elle avancera décidée sur ses échasses, ou encore elle chante, envoûtante. Nous continuons, suivons les voix et les mélodies. Dans les représentations de la folie, les partitions sont omniprésentes, comme les instruments de musique.

Écouter la folie

C’est ainsi que nous avançons et sortons du donjon. L’espace est plus ouvert, on y croise Cassandre Munoz  qui s’amuse à enfoncer son corps et ses doigts dans une immense toile de parachute rose pâle qui s’étend comme un sexe difforme construit par Abigail Fowler. À côté, au-dessus, ça grouille. Cécile Banquey, Florence Gengoul, Marie Picaut, Alan Picol, Ryan Veillet surgissent d’en haut du chemin de garde ou s’extraient d’un trou que nous n’avions pas encore vu. Ils et elles se mettent à chanter, en chœur polyphonique médiéval, des recoins. Bientôt iels activeront des aquariums où nagent, heureux, des vibromasseurs clitoridiens tout aussi roses que le parachute précédent. Le son nous envoûte, nous rend fous et folles nous-mêmes. Et puis nous accédons au cœur de la performance. « Les Éventées » est un trio composé d’Esteban Appessèche, François Chaignaud, Antoine Roux-Briffaud. Vêtu.e.s tout en rouge comme dans la peinture de fin de l’exposition, Stańczyk de Jan Matejko. Iels dansent macabre, se chevauchent comme « Aristote et Phyllis ». Iels s’amusent de tresques, fuites et maurèques. Les portés étonnent. En pont, au sol, iels se soutiennent par les épaules les uns des autres, l’image est… folle. Leur danse est un tourbillon de puissance et de liberté. Solide, le trio danse comme si plus rien ne comptait et font de l’espace et du public une aire de jeu indivisible. La partition est envoûtante. Iels sont les deux fous dansants d’Hendrik Hondius, le genou haut, le pied pointu, le menton en avant.

 

La performance se termine par la première œuvre de l’exposition : c’est un personnage en pierre assis, tranquille, qui souffle dans une espèce de cornemuse. Elle devient vivante dans L’Exhalée, portée par Marie-Pierre Brebant

 

Petites joueuses est un monument pour un monument. Un pur chef-d’œuvre qu’il faut prendre le temps d’explorer. Nous vous conseillons de commencer par voir l’exposition, particulièrement les trois premières salles, et de vous glisser dans la performance vers 21 h 30 et d’en ressortir à la toute fin, vers 23 heures. Vous deviendrez un peu fous et folles, pas vraiment sûr.e.s de ce que vous avez vu apparaître et disparaître. Vous verrez des faunes et des fantômes, des corps tordus aux yeux bizarres. Dément !

 

 

Jusqu’au 16 novembre, au Louvre.

Informations et réservations

 

Amélie Blaustein-Niddam / Cult.news

 

Visuel : ©Florence Brochoire

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November 19, 2024 5:30 AM
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Assises nationales de la mise en scène  -   Entretien : « Ces assises répondent à un besoin profond »

Assises nationales de la mise en scène  -   Entretien : « Ces assises répondent à un besoin profond » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par  Jérôme Vallette sur le site de La Scène - 15 nov. 2024

 

 

 

Stéphane Fiévet, comédien et metteur en scène, ancien président du Syndeac (2003-2006), directeur de la culture à Paris 2024, et aujourd’hui consultant, conduit pour le compte du Syndicat national des metteuses et metteurs en scène (SNMS-CGT), les premières Assises nationales de la mise en scène (anms2024.fr) qui se déroulent, à tour de rôle, et jusqu’en janvier dans huit villes de France. 

 

Quel bilan pour les premières journées des Assises ?
Les deux premières dates ont eu lieu à Lille – date inaugurale – et à Strasbourg, avant Paris, le 21 octobre au CNSAD. Cela a été un vrai succès de fréquentation, avec plus de 200 personnes au Théâtre du Nord, Centre dramatique national Lille-Tourcoing, et près de 130 au Maillon, Théâtre de Strasbourg scène européenne. Pour l’étape de Paris, nous avons ouvert les inscriptions, sans publicité, et nous avons déjà 150 inscrits. Nous allons sans doute être obligés de doubler la date. Chaque édition sera différente puisque les territoires sont tous singuliers. C’est pour ça que nous coorganisons ces dates avec des théâtres très implantés, nous travaillons ensemble pour monter l’édition régionale. Là, des partenaires locaux, comme l’Agence culturelle Grand Est pour Strasbourg, les DRAC, et les lieux qui nous accueillent nous aident, notamment pour le casting des intervenants. C’est une co-construction.

 

Que tirer de ces deux débats ?
Le principe des huit éditions est que c’est cumulatif. Ce qui est évident, c’est que sur énormément de sujets, nous avons entendu les mêmes choses, avec des variantes locales ou un pas de côté, avec des propositions inédites. Mais des fondamentaux apparaissent, deux-trois éléments qui ressortent très nettement. D’abord, l’état d’esprit des participants. Ces assises répondent à un besoin profond, que les metteuses et metteurs en scène expriment très vite : ils se sentent un peu seuls et ont besoin de ce partage entre professionnels. Cela entraîne un état d’esprit extrêmement positif : être au travail, ensemble, c’est inédit. Ce sentiment d’isolement de ces artistes conduit à une véritable satisfaction d’être dans le partage.

 

Comment se déroulent ces journées ?
Il faut comprendre qu’on pose les mêmes questions sur les mêmes territoires, car ce sont des assises nationales et qu’on veut avoir une consolidation nationale, avec trois thématiques d’ateliers-débats : la trajectoire [pour définir le métier et les parcours], le processus [pour mettre en tension la question des publics] et la responsabilité [sur le rôle du professionnel face aux défis contemporains]. Mais il y a aussi une dimension territoriale. Ce qui peut changer, selon le lieu, ce ne sont pas les questions qu’on traite mais la méthodologie. Nous avons trois rapporteurs qui sont de toutes les éditions. Et des modérateurs venus des territoires. Et, en fin de journée, une plénière de restitution. 

 

Et ça marche ?
Les premiers retours valident les sujets mais on doit affiner certaines méthodes (par exemple, réduire certains temps) et donner plus de temps à la proposition. On est dans la dialectique du constat, parfois douloureux, parfois non, mais aussi de la proposition. Ce qui est fort, c’est que ça valide le fait qu’il y a un impensé de la définition de ce métier alors qu’il est au cœur de la plupart des projets. On travaille pour dire ce qu’est être metteur en scène en France aujourd’hui. En tous les cas, nous sommes très satisfaits des premiers pas. J’étais un peu inquiet au début de savoir si cela allait être compris, mais non seulement c’est entendu, mais aussi très attendu ! Cette réalité a d’ailleurs été pressentie par tous les partenaires des assises qui ont tout de suite compris qu’il y avait un enjeu, quelque chose qui n’était pas travaillé.

 

Quels sont vos moyens ?
Le budget global est de l’ordre de 250 000 euros, sans les interventions en industrie des partenaires. Les Assises sont à l’initiative du SNMS, le producteur, mais chaque date est montée avec les lieux qui accueillent, avec à chaque fois un vrai investissement en ce qui concerne l’accueil et la coordination. Il y a aussi d’autres partenaires, financiers et en industrie (Afdas, Audiens, SACD, ASTP) et, bien sûr, le ministère avec la DGCA qui nous accompagne, ainsi que les DRAC.  

 

Propos recueillis par Jérôme Vallette / La Scène

Crédit photo : D. R.

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November 18, 2024 12:06 PM
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Critique spectacle : "Hello, Dolly !", Caroline O'Connor magistrale pour les 60 ans du musical culte

Critique spectacle : "Hello, Dolly !", Caroline O'Connor magistrale pour les 60 ans du musical culte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Le débat critique sur France Culture, avec Marie Sorbier et Zoé Sfez - Diffusé le 18 nov. dans les Midis de France Culture.

 

Ecoute en ligne ou podcast 

 

 

Au programme du débat critique, des spectacles : "Hello, Dolly !", mise en scène et chorégraphié par Stephen Mear et "Memory of Mankind" de Marcus Lindeen. Ainsi que Julia Perazzini 

 

Avec
  • Zoé Sfez Productrice de La Série musicale sur France Culture
  • Marie Sorbier Rédactrice en chef de I/O et productrice du "Point Culture" sur France Culture

 

Les critiques discutent de deux spectacles : Hello, Dolly !, à l'occasion des 60 ans de la comédie musicale mise en scène et chorégraphiée par Stephen Mear et Memory of Mankind, un dialogue singulier nourri d'anecdotes réelles, proposé par Marcus Lindeen.

 

Hello, Dolly ! est une comédie musicale pétillante et pleine de cœur qui raconte l’histoire de Dolly Levi, une marieuse professionnelle pleine de ressources et d’esprit, qui voyage jusqu’à Yonkers, New York, pour trouver la compagne parfaite pour le célibataire grincheux et riche marchand, Horace Vandergelder. Dans sa quête pour unir les cœurs solitaires, Dolly concocte un plan audacieux qui implique des rencontres inattendues, des quiproquos hilarants, et une série d’événements comiques. Depuis 1964 et Carol Channing, on ne compte plus les grandes stars ayant interprété le rôle de Dolly Gallagher Levi. De Barbra Streisand au cinéma à Bette Midler à Broadway en passant par Bernadette Peters, Ethel Merman, Imelda Staunton à Londres ou encore Annie Cordy à Paris, toutes ont incarné cette marieuse bien décidée à retrouver un mari par tous les moyens.

 

En cette fin d'année 2024, la comédie musicale débarque à Paris pour les 60 ans de la pièce, avec Caroline O’Connor, légende de la scène des musicals internationaux qui interprétera pour la première fois ce rôle dans la nouvelle production de Stephen Mear.

 

 

L'avis des critiques :

  • Marie Sorbier : "Cette comédie musicale est la recette idéale pour l’hiver. C’est une promesse totalement remplie, vous en avez pour votre argent. Caroline O’Connor est pour moi l'incarnation même de l'imaginaire américain de Broadway. Elle a les deux pieds sur terre, dans l’histoire comme dans sa corporalité sur la scène. Elle pose magistralement sa voix, danse, s’impose. J’ai été hypnotisée par elle. Et puis cette histoire de femme de 60 ans qui prend sa vie en main et manipule tout le monde m’a fascinée. Bien que dramaturgiquement ça ne soit pas de la grande psychologie humaine, la musique apporte très bien ce que le texte ne fait pas. Ce n’est pas une simple bluette non plus, ça déborde de la scène, ça envahi le public. J’ai vécu quelque chose de très léger qui fait beaucoup de bien, presque une cure de jouvence."
  •  
  • Zoé Sfez : "Hello Dolly ! est un classique merveilleux de Broadway extrêmement bien exécuté. C’est un peu comme aller dans une brasserie qui vous fait un pot au feu, ce n’est pas innovant  ni de la cuisine moléculaire mais c’est tout à fait excellent. Il y a un respect total de la pièce originale de 1964, dans les costumes et dans le texte, qui n’a d’ailleurs pas mal vieilli. On y trouve beaucoup d’humour, de rythme, un paysage extraordinaire avec ce personnage central d’une femme d’un certain âge. Gene Kelly en a réalisé un très grand film mais a dénaturé une partie de la beauté de la pièce tournée autour de l’âge de Dolly. Ici, la gestion de la mise en scène et du rythme sont d’une maitrise incroyable, portées haut la main par Caroline O’Connor."

Le spectacles est joué du 7 novembre 2024 au 5 janvier 2025 au Théâtre du Lido.

"Memory of Mankind", Marcus Lindeen fait dialoguer ensemble les mémoires

Après La Trilogie des identités, l’auteur et metteur en scène suédois Marcus Lindeen et la dramaturge-traductrice Marianne Ségol signent une nouvelle pièce à la lisière du théâtre documentaire et de l’écriture intimiste. Il sera question d’un céramiste autrichien cherchant à stocker le récit de l’Humanité, d’un individu dont la mémoire s’efface régulièrement, de sa femme écrivaine qui l’aide à la retrouver, et d’un archéologue queer proposant une autre manière d’écrire l’histoire.

Marcus Lindeen et Marianne Ségol interrogent ici la notion de mémoire en restituant quatre histoires parfaitement extraordinaires, mais bien réelles. Dans leur théâtre où les paroles personnelles s’échangent et se nourrissent, ils inventent une œuvre singulière, aussi scrupuleuse que philosophique.

 

 

L'avis des critiques :

  • Marie Sorbier : "J’ai été déçue, j’avais beaucoup aimé La Trilogie des Identités. Mais ici, le spectacle pêche par didactisme et fini par trouver une forme plate. Les spectateurs sont face à une sorte d’arène en bois dans laquelle les quatre comédiens amateurs jouent de vrais témoignages enregistrés dans leurs oreillettes. Mais on a un décalage qui ne nous offre pas la grâce parfois présente dans le théâtre amateur. C’est très frustrant, le metteur en scène soulève parfois des questions que j’ai trouvé passionnantes, mais la démagogie avec laquelle il s’applique à les traiter en déconstruit l’intérêt. Pour moi, ça n’est pas vraiment une prestation théâtrale."
  •  
  • Zoé Sfez : "J’ai eu la sensation que Marcus Lindeen avait une véritable idée, mais qu'il concrétise finalement d'une manière trop vaste. On se demande si on est devant la tentative de quelque chose de très beau ou un podcast discussionnel incarné. Je trouve qu’il y a deux soucis à cette pièce : le sujet qui est énorme et à côté de ça des surgissements d’émotions provoqués plus par ce qui est raconté que par la prestation. Il y a tellement de sujets sur la mémoire, le temps, qui sont traités trop rapidement, sans la profondeur nécessaire et c’est un peu dommage."

 

Le spectacle se joue du 14 au 25 novembre au Théâtre de Gennevilliers avec le Festival d’Automne, puis en tournée :

  • Du 4 au 6 décembre 2024 Le Quai, CDN d'Angers
  • Du 13 au 15 décembre 2024 Le Lieu Unique Nantes avec Le Grand T hors-les-murs
  • Du 7 au 9 janvier 2025 La Comédie de Caen, CDN
  • Du 15 au 18 janvier 2025 Piccolo Teatro, Milan (Italie)
  • Du 22 au 24 janvier 2025 Festival Transforme à Clermont-Ferrand, Comédie de Clermont-Ferrand, Fondation d’entreprise Hermès
  • Les 5 et 6 février 2025 Festival Faraway, Comédie de Reims
  • Du 8 au 11 avril 2025 Nouveau Théâtre de Besançon, CDN
  • Les 15 et 16 mai 2025 Festival Transforme à Rennes, TNB / Fondation d’entreprise Hermès

Le coup de coeur critique : "Dans ton intérieur" de Julia Perazzini

Un jour, la grand-mère de Julia Perazzini décide de couper les liens avec son mari sans explication apparente. Comme si elle le faisait disparaître. À moins que ce ne soit l’inverse... Les souvenirs, les traces et les secrets que cette aïeule a laissés derrière elle après son décès accompagnent l'artiste dans sa recherche. Celle-ci décide alors de se mettre dans la peau de ses grands-parents et engage une investigation protéiforme, avec détective privé et séances d’hypnose. Explorant avec ingéniosité différents types d’existences, elle tisse une toile d’araignée pour peu à peu donner corps à son propre nom.

Dans la continuité de sa précédente pièce Le Souper  (2023), Julia Perazzini part en quête d’un autre membre fantôme de sa famille : le grand-père italien dont elle porte le nom et qu’elle n’a jamais connu. S’ouvre alors un troublant voyage en dialogue avec les personnes rencontrées durant cette enquête et les disparu·es à qui elle redonne vie.

 

 

  • Marie Sorbier : "Le spectacle est un seul en scène qui se tient extrêmement bien. Julia Perazzini a un talent de transformiste incroyable. On entre avec elle dans toute sa quête généalogique alors qu’elle fait parler à travers sa voix toutes les personnes qu’elle a rencontrées, de sa famille aux employés de pompes-funèbres. Les dernières scènes sont extrêmement drôles et parviennent à nous provoquer une empathie et une émotion tout à fait inattendues. C’est une expérience de théâtre que j’ai rarement vu."

Extraits sonores :

  • Chanson Hello Dolly, tirée de la captation de la comédie musicale Hello, Dolly ! de Stephen Mear
  • Extrait tiré de la pièce Memory of Mankind de Marcus Lindeen, 2024
 
 
Légende photo :  "Hello Dolly !" revient sur les planches de Paris, portée par Caroline O’Connor, 2024  - © Julien Benhamou
 
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November 17, 2024 6:23 PM
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Au Théâtre des Amandiers, la seconde vie des cahiers de doléances

Au Théâtre des Amandiers, la seconde vie des cahiers de doléances | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 17 nov. 2024

 

A l’initiative du directeur du théâtre de Nanterre, cinq auteurs se sont emparés des centaines de pages rédigées lors de la crise des « gilets jaunes » pour une soirée de lectures.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/17/aux-amandiers-la-seconde-vie-des-cahiers-de-doleances_6399443_3246.html

Michel Barnier aurait pu venir au théâtre des Amandiers à Nanterre, samedi 16 novembre. Le premier ministre, qui a annoncé dans Le Parisien le 26 octobre avoir demandé à ses équipes de se plonger dans les cahiers de doléances issus de la crise des « gilets jaunes » pour élaborer son futur « plan d’action », aurait constaté que le monde théâtral a pris les devants et s’est emparé de ces pages noircies par des citoyens mais oubliées sur les étagères des archives départementales et nationales depuis plus de cinq ans par le pouvoir politique.

 

 
 

Intitulée Ouvrir les cahiers de doléances, cette soirée de lectures a dévoilé les textes inédits de cinq auteurs et autrices auxquels Christophe Rauck, directeur du Théâtre des Amandiers, a proposé de faire vivre ces doléances pour faire « œuvre de mémoire ». Penda Diouf, Claudine Galea, Christophe Pellet, Constance de St Rémy, Noham Selcer, tous se sont rendus aux archives des Hauts-de-Seine et ont consulté cet impressionnant matériau, ces centaines de demandes, de propositions, de critiques, de témoignages de vie rédigées à la main.

 

Autant de bouteilles à la mer, de coups de gueule mis noir sur blanc dans l’espoir d’être entendus. « Comme une lettre au Père Noël sans étoiles dans les yeux (…) Toutes les phrases disent la même chose : nous ne vivons pas suffisamment bien », constate Penda Diouf dans un texte rétrospectif, judicieusement titré Et toi, tu y étais sur les ronds-points ?, à l’attention de tous ceux qui auraient déjà oublié ce mouvement de protestation.

« C’est tout un peuple qui s’exprime »

« Nous ne sommes pas du même côté, je n’ai pas fréquenté les ronds-points mais quand je vous lis, je suis émue et en colère », relate Claudine Galéa. « La lecture de cette matière brute et très politique est devenue pour moi une drogue. Dans ces cahiers, c’est tout un peuple qui s’exprime », témoigne Constance de Saint Rémy. De cette expérience, la jeune auteure a écrit Le Jeu démocratique, un texte puissant dans lequel elle imagine un jeune député séquestré dans la cuisine d’une auxiliaire de vie et femme de ménage en fin de carrière, à bout et en colère. « Je veux votre temps et votre écoute », lui martèle-t-elle. « Pourquoi suis-je à découvert le 15 du mois sans un excès, un écart, un plaisir ? J’ai passé ma vie à me casser le dos et à m’occuper des autres. Pourquoi se tuer au travail quand ce travail ne rapporte ni rentabilité, ni sécurité, ni dignité ? Pourquoi je vote ? Pour faire barrage ? Barrage de quoi, d’un parti qui parle avec mes mots ? Parce qu’ils me disent ce que je veux entendre, on me manipule, ce serait la première fois ? Pourquoi je ne défendrais pas mes intérêts pour défendre des principes, des droits ? Ça va me nourrir ça, ça va payer mes factures ? »

 

 
 

Rétablissement de l’impôt sur la grande fortune (ISF), augmentation des bas salaires, indexation des retraites… les demandes en faveur d’une plus grande justice sociale et fiscale reviennent sans cesse dans le document 2937W60, l’un des cahiers de la commune de Nanterre rédigé en 2019 et compulsé par Noham Selcer. Les problématiques de l’immigration et de la sécurité arrivent loin derrière celle du pouvoir d’achat.

 

Dans La Fin d’un gilet jaune, Christophe Pellet se penche sur le devenir d’un groupe lié par cette lutte passée. Il y a Fabien, 32 ans, toujours idéaliste (« on a encore le pouvoir de changer les choses »), Laurent, 59 ans, désabusé (« on en a gros sur le cœur mais chacun pour soi. Je n’ai toujours pas dépassé ma condition merdique, mon salaire merdique »), Sarah, 65 ans, qui a rejoint le collectif Les Soulèvements de la Terre, et Lucas, 22 ans, qui a basculé à l’extrême droite. Un dialogue percutant entre citoyens dont la prise de parole est restée lettre morte. En attendant d’être enfin pris en compte par les politiques, les cahiers de doléances pourraient devenir une riche matière théâtrale.

 

 

 

Sandrine Blanchard / LE MONDE

 

 

Légende photo : La soirée de lectures « Ouvrir les cahiers de doléances », au théâtre des Amandiers, à Nanterre, le 16 novembre 2024. GERALDINE ARESTEANU

 

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November 17, 2024 3:41 PM
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«Ombres portées», détours de pistes 

«Ombres portées», détours de pistes  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gilles Renault dans Libération - 17 nov. 2024

 

La metteuse en scène Raphaëlle Boitel continue de vouloir élargir le périmètre du cirque, en mêlant théâtre, danse et musique dans un spectacle méritoire, aussi ambitieux qu’inabouti.

 

Nul ne songerait reprocher à Raphaëlle Boitel de manquer d’idées, pas plus que d’ambition. D’abord circassienne (en contorsionniste révélée, au seuil de l’adolescence, dans la triomphale Symphonie du hanneton de James Thierrée), puis aussi actrice et chorégraphe de quelques opéras, la fille de Lilou Hérin (costumière et accessoiriste) et sœur des mêmement saltimbanques Camille et Silvère Boitel, n’a pas pour habitude de rester les deux pieds dans le même sabot. Une inclination aventureuse qui s’est affirmée lorsque la désormais quadragénaire a fondé sa propre compagnie, l’Oublié(e). Précisément le nom qu’elle donnait aussi à son premier spectacle-signature (comme on le dirait d’un plat, chez un chef reconnu), en 2014.

La carte du clair-obscur

Une forme d’étrangeté pénombreuse prévalait alors qui, dix années plus tard, continue d’envelopper assez littéralement Ombres portées. Une création, en réalité datée de 2021, mais dont l’exploitation, comme bien d’autres, a été contrariée par les vicissitudes consécutives à la pandémie de Covid. Ainsi la grande scène du Monfort accueille-t-elle enfin les six protagonistes d’un drame familial qui, élaboré sur un socle circassien, veille pourtant à élargir la considération à un vaste périmètre englobant des éléments en lien avec : la danse, le hip-hop versant sa quote-part au critère «spectaculaire», indispensable pour remplir les salles ; la musique, portée par une bande-son electro-rock très présente ; la magie nouvelle, à travers un quadrillage lumineux qui, jouant à fond la carte du clair-obscur, cisèle les effets, autant qu’il brouille les pistes ; et, plus encore, le théâtre.

C’est d’ailleurs cette dernière discipline qui constitue le fil rouge d’un récit fragmenté où, autour d’un père et de ses enfants, va se jouer, selon les termes de la metteuse en scène, «une plongée dans l’intime […], une réflexion, la construction de soi, les destins qui basculent, la fragilité des équilibres, mais aussi la question du sentiment de culpabilité ou de ses mensonges collatéraux». Bref, un costume qui taille sans doute un peu grand pour qu’on puisse en saisir toutes les intentions, compactées ici en quelques saynètes trop succinctes pour instaurer une dramaturgie suffisamment robuste et lisible dans la tragi-loufoquerie ambiante.

«Une poétique kafkaïenne»

Une réserve de fond, et de taille, qui cependant n’impacte pas l’élégance racée de la forme, quand, servant «une poétique kafkaïenne» majorée par le travail du scénographe et éclairagiste Tristan Baudoin, le cirque reprend ses droits – dans une distribution pour moitié composée de jeunes recrutés au Centre national des arts du cirque. A l’exemple de cette corde lisse dont il s’avère d’autant plus difficile de descendre, qu’elle remonte sans cesse. Ou de cette table facétieuse qui, s’élevant du sol, défie elle aussi la loi de l’apesanteur – à entendre ici au double sens phonétique du terme.

«Ombres portées», de Raphaëlle Boitel, Théâtre Silvia Monfort, 75015, jusqu’au 23 novembre, puis en tournée (Creil, Gap, Château-Arnoux, Marseille, Lyon).
 
Légende photo : Sur un socle circassien, la pièce incorpore musique, danse et lumière. (crédit : © Christophe Raynaud de Lage)
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November 17, 2024 5:05 AM
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Portrait de l'artiste après sa mort de Davide Carnevali : réécrire l'histoire

Portrait de l'artiste après sa mort de Davide Carnevali : réécrire l'histoire | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Samuel Gleyze-Esteban pour l'Oeil d'Olivier - 7 nov. 2024

 

 

Inspiré par les acteurs avec lesquels il remonte la pièce d'un pays à l'autre, le dramaturge italien plonge Marcial Di Fonzo Bo dans un enchevêtrement de mémoires des dictatures du XXe siècle.

 

Portrait de l’artiste après sa mort naît il y a un peu plus d’un an, au Teatro Piccolo de Milan, où le metteur en scène et dramaturge   Davide Carnevali est artiste associé. Depuis, le seul-en-scène se réécrit pour les différents pays dans lesquels il joue, au gré d’une distribution changeante. À une trame invariable — le récit d’un desaparecido de la dictature militaire argentine, un parmi des dizaines de miliers — se télescopent les histoires des fascismes en Europe au XXe siècle.

 

 

L’enquête a beau être déroulée de façon linéaire par Marcial Di Fonzo Bo, elle procède d’un entrelacement de mémoires assez vertigineux. L’acteur raconte : un jour, quand il vivait encore à Caen, il reçoit un courrier de la ville de Buenos Aires l’informant de l’existence d’un appartement à son nom (à une faute d’orthographe près) confisqué à l’époque par la junte militaire et désormais en passe d’être restitué. Lui et Davide Carnevali, qui cherche à jouer sa pièce dans l’hexagone, décident de se rendre sur place et de faire de cette recherche aussi personnelle qu’historique le sujet de ce « Portrait » français.

Convergence des peines

Pénétrant dans l’appartement abandonné, les deux hommes découvrent les stigmates d’un pays blessé par ses crises successives en même temps que les reliques d’une vie, celle de Luca Misiti, pianiste dissident dont demeurent, entre ces quatre murs, un piano, des partitions et quelques documents à son nom. Mais dans ceux-ci se dessine une seconde figure : celle de Schmit, un compositeur juif qui fuyait la France de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Misiti étudie les œuvres. Entre l’un et l’autre, les destins convergent, dessinant l’histoire croisée d’une condition commune — celle des dépossédés de la dictature — sans pour autant que soient niées leurs spécificités historiques.

En plaçant les spectateurs en position d’enquêteurs dans des épisodes de l’histoire que l’on aurait toujours trop vite fait d’oublier, Portrait de l’artiste après sa mort réussit à solliciter une posture active dans le travail de mémoire. Si le récit très factuel mené par le comédien laisse place, en dépit de la précision et la sensibilité de la mise en scène, à une théâtralité ténue, il finit par embarquer le public en l’invitant à descendre sur le plateau, dans un espace qui s’hybride alors entre spectacle et musée et où prend place, non sans émotion, une sorte de cérémonie d’exhumation de biographies jamais écrites. La pièce se lit alors comme un témoignage, factice mais collé au réel, des victimes des dictatures française et argentine, en même temps qu’un commentaire sur les possibilités d’activation de ces mémoires au présent.

 

 

Samuel Gleyze-Esteban

 

 

Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 – Argentine 78) de Davide Carnevali
Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette
75011 Paris
Du 15 au 27 novembre 2024
Durée 1h30

 

 

Tournée

Du 7 au 9 novembre au Quai, CDN Angers Pays de la Loire
15 et 16 janvier 2025 au Théâtre des Îlets, Centre dramatique national de Montluçon
20 au 22 février au Théâtre de Liège, Belgique
26 avril au 7 mai 2025 au Quai – CDN Angers Pays de Loire

Texte et mise en scène Davide Carnevali
Traduction de l’italien Caroline Michel
Avec Marcial Di Fonzo Bo
Scénographie Charlotte Pistorius
Lumières Luigi Biondi
Musique originale Gianluca Misiti

 

Crédit photo © Victor Tonelli

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November 16, 2024 10:18 AM
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«La Vegetariana», une pièce à côté de la plante 

«La Vegetariana», une pièce à côté de la plante  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 

L’adaptation du roman d’Han Kang par Daria Deflorian mêle horreur et burlesque avec intelligence mais pèche par une deuxième partie aux enjeux plus attendus.

 

 
 

«Quand on fait un rêve, on le prend pour la réalité. Mais quand finit la nuit, on sait qu’il n’en était rien… Donc si un jour on se réveille, alors…» La Vegeteriana s’achève avec cette phrase en suspens, qui résonne encore alors que le noir se fait sur un tableau saisissant : une jeune femme dénudée échouée sur un matelas sale, entourée de trois autres personnages, impuissants. Il existe indéniablement dans le spectacle de Daria Deflorian une terreur mêlée de mystère qui fait sa beauté, hélas irrégulière, car elle se heurte à d’autres partis pris plus attendus, et une interprétation semble-t-il erratique du texte de Han Kang.

 

 

Heureux hasard, la Végétarienne, publié en 2007, est le roman le plus connu de cette autrice sud-coréenne qui vient de remporter le prix Nobel de littérature. L’histoire de Yonghye, jeune épouse jusque-là irréprochable et, selon son mari, absolument normale qui une nuit, après avoir «fait un rêve», vide le frigidaire pour en jeter toute la viande congelée – anguilles hors de prix comprises – et décide de ne plus cuisiner ni manger de viande. Une décision irrévocable. Cela ressemble d’abord à une lubie, puis à une pathologie mentale ; c’est en fait une idée de plus en obsessive : devenir plante.

Murs glauques

Daria Deflorian a trouvé dans l’ossature du roman une forme qu’elle transpose presque directement au plateau, faisant alterner trois voix autour de la protagoniste (formidable Monica Piseddu) : celle du mari (Gabriele Portoghese), un personnage un peu grotesque, à la fois lâche et démuni ; celle du beau-frère (Paolo Musio), un artiste en pleine remise en question qui se prend de passion pour le corps de Yonghye ; enfin, interprétée par la metteuse en scène elle-même, celle de la belle-sœur préoccupée par la déchéance physique de la jeune femme.

 

Sur un décor sobre aux murs glauques très réussi, qui figure un intérieur que jouxtent deux petites pièces presque toujours en hors-champ, sont projetées les indications types d’un scénario de cinéma – «Intérieur jour - chambre du couple» / «Intérieur nuit - hôpital». Daria Deflorian tient sans doute là sa meilleure idée, celle du film de genre. La première séquence augure d’un spectacle tendu, qui mêle avec une intelligence dramatique évidente l’horreur et le burlesque – lorsque surgit devant le regard éberlué et idiot du mari, comme une zombie de série B évoluant sur un carrelage douteux, cette Yonghye aux clavicules saillantes sous la chemise, cheveux filasses devant le visage.

Accents pathétiques

Malheureusement le spectacle ne tient pas cette promesse, et s’affaisse, paradoxalement, à mesure que la situation de Yonghye devient de plus en plus critique, son entourage de plus en plus cruel, sa décision de plus en plus obscure, et les cauchemars qu’elle raconte de plus en plus insoutenables. L’étrangeté des motifs qui irriguent le roman d’Han Kang se banalise dans une deuxième partie aux enjeux plus attendus.

 

Précisons que les quatre comédiens interprètent en italien un texte qui évoque la société sud-coréenne contemporaine : la rigidité de son modèle familial, où la femme est encore largement au service du mari – c’est particulièrement important dans le roman d’Han Kang, où la préparation des repas est un rituel singulier. Dans ce hiatus entre deux cultures très différentes, Daria Deflorian évite l’exotisme, mais elle échoue aussi à loger le fameux mystère de cette femme, qui est moins en résistance féministe, qu’en devenir-plante – il y a là sans doute quelque chose de culturel qui échappe au spectateur occidental, et dont l’adaptation se trouve embarrassée. La dernière partie très longue, dont le texte est dit par la belle-sœur sur un mode emphatique aux accents pathétiques  très appuyés, contextualise avec outrance le spectacle hors de la Corée. On a alors l’impression d’assister à un drame familial autour d’une femme abusée souffrant de graves troubles alimentaires, ce que le roman n’est pas. Nous sauve de l’ennui cette image finale : la grâce horrifique de la comédienne sur ce matelas brut, irréductible à tout message.

La Vegetariana d’après Han Kang, mise en scène par Daria Deflorian au Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier jusqu’au 16 novembre, dans le cadre du Festival d’automne.

Lucile Commeaux dans Libération

Légende photo : Paolo Musio et Daria Deflorian dans «La Vegetariana». (Andrea Pizzalis/Théâtre de l'Odéon)

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November 16, 2024 7:24 AM
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«Dans ton intérieur» de Julia Perazzini, en quête d’aïeul 

«Dans ton intérieur» de Julia Perazzini, en quête d’aïeul  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 16 nov. 2024

 

Julia Perazzini explore dans une pièce à tiroirs l’identité d’un grand-père absent et paradoxal.

 

Au départ, on pense la démarche un rien convenue : partir à la recherche d’un grand-père jamais vu, mener l’enquête sur un fantôme familial – dont la grand-mère ne raconte pas grand-chose, et quand elle parlait c’était pour évoquer tout et son contraire – et penser que l’intime convoque la mémoire collective, bla bla bla. Et puis on se dit pourquoi pas, ce mobile en vaut bien un autre, curieux de comprendre ce que le théâtre aurait à voir là-dedans. Réponse ? Tout. Dans ton intérieur est absolument théâtral avec en son centre unique, naviguant sur son plateau de moquette immaculée ponctué de trois cubes blancs, Julia Perazzini. C’est elle, la petite-fille de cet homme disparu très tôt dans la famille, sans jamais plus donner de nouvelles : Giancarlo, né milanais, ayant vécu en Suisse, passé par Paris, installé quelques années au Québec, remarié, des enfants : un type «bien mais très spécial» pour les uns, un salaud de raciste pour les autres, qui n’aimait pas les gosses mais adorait son cheval, Patriote. Bref une vie comme une autre que Julia a pu reconstruire au fil de ses rencontres, sans jamais combler tous les trous. Et tant mieux, car la pièce se passe ailleurs, dans une série de faux-semblants, à l’image de cette collection de sacs de luxe de contrefaçon – appartenant à sa grand-mère – qu’elle dépose sur le plateau aux allures de display.

 

 

Le théâtre commençait sur un mode documentaire ? Il se poursuit en installation superbement plasticienne et se développe en one woman show – dans la lignée terrifiante de Zouc – avec une hallucinante galerie de personnages : une femme aux archives, une coiffeuse de Lausanne, la grand-mère, un couple qui a vécu les derniers moments du disparu, un médium. Julia Perazzini enfile lentement quelques perruques, se glisse doucement sous un manteau de fourrure, s’enveloppe d’un anorak rouge ; chaque geste est ralenti pour entrer hors de soi à l’«intérieur» de ces figures, au-delà de ce qu’on peut espérer de ce genre d’exercice. Elle ne les joue pas, mais se laisse envahir jusqu’à disparaître – c’est de famille ! – comme en état d’hypnose, possédée par les inflexions de leurs voix, les accents, les hésitations dans des monologues qui retracent au souffle près ce que ces témoins ont à dire.

 

 

Et ils ne disent pas grand-chose au fond, eux qui ne savent presque rien de Giancarlo l’insaisissable. Ce n’est pas ce qu’ils racontent qui fait théâtre cette fois, mais bien la forme de leur parole et le temps qu’il faut pour ne «presque rien» dire. Julia Perazzini ventriloquait la voix de son frère décédé dans sa première pièce le Souper ; pour la seconde, elle travaille sa lente disparition irrationnelle sous les lumières spectrales de Gildas Goujet. Les trois coffres blancs du plateau prennent alors des allures de pierres tombales. Sans inscription : il n’y a pas de morts au théâtre, seulement des fantômes.

Dans ton intérieur de Julia Perazzini, jusqu’au 23 novembre, Théâtre Public de Montreuil – CDN. Du 22 au 25 janvier 2025, Théâtre Saint-Gervais, Genève (CH)
Laurent Goumarre / Libération 

 

Légende photo : «Dans ton intérieur», de et avec Julia Perazzini. (Crédit : © Indra Crittin)

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November 15, 2024 12:43 PM
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Au Festival TNB, à Rennes, le théâtre sur les chemins de la fragilité humaine

Au Festival TNB, à Rennes, le théâtre sur les chemins de la fragilité humaine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Rennes, envoyée spéciale de Libération) le 15 nov. 2024

 

Sous la conduite d’Arthur Nauzyciel, la manifestation est marquée par une attention particulière aux souffrances qui montent dans nos sociétés.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/15/au-festival-tnb-a-rennes-le-theatre-sur-les-chemins-de-la-fragilite-humaine_6395656_3246.html

 

 

A Rennes, en novembre, les amateurs de spectacle vivant, d’ici ou d’ailleurs, ont leur rendez-vous : le Festival TNB du Théâtre national de Bretagne qui, de son vaisseau amiral à la façade de verre ouverte sur la ville, se déploie sur toute l’agglomération rennaise tout en gardant ses antennes pointées sur le monde. L’édition 2024, sous la conduite d’Arthur Nauzyciel, le directeur du TNB, n’affiche pas de thématique particulière. Mais on peut lire dans ce festival qui s’est ouvert le mercredi 13 novembre et se poursuit jusqu’au samedi 23, une attention particulière aux souffrances, aux fragilités qui montent dans nos sociétés, notamment à la question du handicap et de la « création adaptée ».

 

 

 

Les deux soirées d’ouverture des 13 et 14 novembre ont d’ores et déjà offert des bonheurs divers. Outre le Léviathan, de Lorraine de Sagazan, et le Hamlet créé par Chela De Ferrari avec des acteurs atteints de trisomie 21, déjà chroniqués dans nos colonnes, on a pu y découvrir deux belles créations semblant aux antipodes l’une de l’autre, mais réunies par une même confiance dans les pouvoirs poétiques du théâtre : Sur le chemin des glaces, par Bruno Geslin, et Comment se débarrasser de son crépi intérieur, par Valérie Mréjen.

 
La première se met dans les pas du cinéaste allemand Werner Herzog, alors que vient d’être publiée en France sa passionnante autobiographie, Chacun pour soi et Dieu contre tous (Séguier, 400 pages, 24, 90 euros). En 1974, Herzog a 32 ans, il a déjà réalisé Aguirre, la colère de Dieu (1972). Il apprend que son amie Lotte Eisner, grande critique et historienne du cinéma, est gravement malade, et qu’elle risque de mourir. Il décide alors d’entreprendre à pied le voyage de Munich à Paris, avec l’idée que cette course de 900 kilomètres contre la mort la sauvera.

Une poésie folle

De ce voyage initiatique, halluciné, il rend compte quelques années plus tard, en 1978, dans Sur le chemin des glaces, qui est bien plus qu’un carnet de route, plutôt le récit d’un voyage intérieur hanté par les fantômes et la folie. Herzog se met en marche, avec ses bottes, un sac et une boussole. Il dort sous des Abribus, dans des granges, dans des maisons de campagne où il entre par effraction. Il traverse des paysages déserts, dans un état proche de la transe, sous la pluie, la grêle, la neige, par le brouillard, le vent glacial. Le voyage d’hiver est une manière de mettre le corps à l’épreuve, de défier la mort. Lotte Eisner survivra, et vivra encore pendant dix ans.

 

Lire le portrait | Article réservé à nos abonnés Werner Herzog, les folies de la grandeur
 
 

Ce matériau a priori peu théâtral trouve une superbe traduction scénique, sous la conduite de Bruno Geslin, un des francs-tireurs les plus intéressants de la scène française. Il s’agissait pour lui d’« arpenter le récit comme un paysage », de « traverser une écriture autant qu’une géographie ». La cage de scène est une vaste chambre d’écho, où le texte, les images et la musique s’accordent magnifiquement pour mettre en route tout un imaginaire très allemand marqué du sceau d’un romantisme noir.

 

L’acteur qui porte le récit, Clément Bertani, remarquable – il a le style et la précision dans la diction d’un Stanislas Nordey –, offre son corps à la bataille. Il marche, tout du long, en une sorte de vaste plan-séquence, sur un tapis roulant installé en diagonale sur le plateau, tandis que l’espace se peuple d’images et de sons, de paysages comme dessinés en ombres chinoises, de riffs de guitare électrique ou de lieder. Le spectacle est d’une poésie folle, hypnotique, qui emmène chacun dans ses questions existentielles – qui, aujourd’hui, ferait 900 kilomètres à pied pour conjurer la mort d’un ami ?

L’étrangeté de la vie ordinaire

Avec Valérie Mréjen, on est en apparence dans un registre plus léger, que semble indiquer le titre irrésistible de son spectacle, Comment se débarrasser de son crépi intérieur. En apparence seulement. L’autrice, plasticienne, vidéaste et désormais metteuse en scène n’a pas son pareil, au théâtre comme ailleurs, pour se saisir de manière impavide de l’étrangeté de la vie ordinaire.

De quoi est-il question ici ? Une femme plus très jeune (l’excellente comédienne Charlotte Clamens) est assise, les deux mains posées bien à plat sur une table. Elle raconte à une autre femme, assise en face (Valérie Mréjen), qui pourrait être une amie, une psy ou une policière, quelques petites catastrophes de la vie quotidienne. Rien de grave, non : une bouteille d’huile d’olive qui explose dans un appartement de location, un sac à main oublié dans un train, des protections pour plaques électriques qui brûlent.

 

 

Valérie Mréjen note sur son ordinateur, et pose de temps en temps une question aussi précise qu’inutile (« Le sac, il était vert bouteille ou vert sapin ? »). Entre les deux femmes, un objet transitionnel d’un nouveau genre : un plateau de table tournant fonctionnant grâce à une télécommande, qui permet à Mréjen de servir à sa compagne des verres d’eau sans avoir à se lever pour aller jusqu’à elle.

Sens du burlesque

Anecdotique ? Pas du tout, c’est là que Valérie Mréjen est très forte. Son sens du burlesque fin et mélancolique l’inscrit dans une filiation où il s’agit bien de parler de la fragilité humaine – ici, en l’occurrence, l’inadaptation que l’on peut ressentir face à un monde de processus automatisés, d’objets inutiles, de systèmes absurdes.   L’autrice-metteuse en scène crée des rimes, des variations, des glissements qui troublent et intriguent : tout à coup, les deux femmes portent le même pull, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Quelque chose déraille doucement, très doucement, un petit chien prénommé Pina fait des siennes, et l’on rit, à n’en plus pouvoir, avant que le plateau de table tournant ne se transforme en minipodium pour une chorégraphie très personnelle sur la chanson Diamonds, de Rihanna.

 

 

Arpenter le monde chaussé de bottes de sept lieues ou l’embrasser de manière minimaliste dans ses détails qui en disent long : entre les deux, on ne choisit pas.

 

 

Festival TNB, au Théâtre national de Bretagne et dans toute l’agglomération rennaise, jusqu’au 23 novembre. Sur le chemin des glaces : Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff, les 28 et 29 novembre, puis tournée à Pau, Albi et Douai (Nord).

 

Fabienne Darge (Rennes, envoyée spéciale)

 

Légende photo : « Sur le chemin des glaces », par Bruno Geslin, à Montpellier, en octobre 2024. SANDY KORZEKWA

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November 7, 2024 8:52 AM
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Quand Robert Wilson feuillette Fernando Pessoa

Quand Robert Wilson feuillette Fernando Pessoa | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 7 nov. 2024

 

Dans « Since I’ve been here », Bob Wilson traverse l’univers de Fernando Pessoa et de ses hétéronymes, crayon et ciseaux en main, en étoilant ses choix dans son monde scénique habité par sept actrices et acteurs wilsonnisés, autant de figures du poète portugais. Belles rencontres.

 

Au fond du plateau,sur un ciel tourmenté, naissent un à un six ronds rouges, comme des planètes et, sur le côté, un vaisseau spatial en forme de crayon. Sont-ce là des points de suspension ? Ou bien ces points, symbolisent-ils six des hétéronymes dont Fernando Pessoa a été friand tout au long  de sa vie ? Ou bien… Sur scène, ils sont sept comme six avatars de Pessoa plus un, lui. Ou bien... Bob Wilson, comme toujours, n’impose aucune réponse. Ses spectacles sont nourris d’air, de corps, d’objets et d’espaces où le regard peut circuler, composer, décomposer, recomposer.

C’est alors que l’on entend en voix off, la voix de Robert Wilson lui-même, dire : « I Know not what tomorrow bring » (je ne sais pas de quoi demain serait fait). C’est là, qu’ont le sache ou pas, peu importe, la dernière phrase écrite par le poète portugais Fernando Pessoa sur son lit d’hôpital. Et il l’écrit en anglais, langue qu’il parlait couramment et dans laquelle il a écrit certaines de ses œuvres.

 

 

Après quoi commence le spectacle titré Since I’ve been here où évoluent, ensemble le plus souvent, parfois individuellement , sept actrices et acteurs de différentes origines ( Maria de Medeiros, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe et Janaina Suaudeau) . Chacun.e parle plusieurs langues dont leur langue natale (anglais, français, portugais, italien). Le spectacle est sous-titré en français, langue que parlait également Pessoa.

 

 

Alors, nous voici partis pour un voyage à travers un bouquet de textes, de phrases parfois solitaires autan d’extraits de poèmes, autant de mots signés Pessoa ou, le plus souvent, par les plus fameux de ses hétéronymes ( Bernardo Soares, Alberto Caeiro, Alvaros de Campos, Ricardo Reis), ces autres identités littéraires de lui-même. Certains textes sont bien connus de ses lecteurs comme Le gardeur de troupeaux ou Faust (« tragédie subjective »), nombre de poèmes figurent dans différents recueils ou ensemble comme Le livre de l’intranquillité. Et puis, au milieu du spectacle, une rareté, la lettre que Pessoa écrivit à Ophélia le 29 novembre 1920, une lettre de rupture au seul amour connu de sa vie solitaire, ce texte est dit en portugais par Sofia Menci et c’est le seul a être non traduit dans les sous-titres.

 

 

La plupart des œuvres de Pessoa ont été traduites et publiées chez Christian Bourgois et ici et là par d’autres éditeurs comme Le bureau de tabac merveilleusement traduit par Rémy Hourcade aux Éditions Unes et non présent dans le spectacle.Un récent volume de la Pléiade, fort de deux milles pages, rassemble son œuvre poétique .

 

 

Et puis, il y a, d’entrée de jeu et de bout en bout, la touch Wilson. Une science de l’éclairage des corps et du plateau, un soin apporté aux costumes (Jacques Reynaud), aux maquillages (Veronique Pfluger) et aux coiffures, un travail rythmique entre des scènes de groupe et d’autres plus solitaires, la musique (Nick Sagar) s’ajoutant insidieusement ou franchement à la partition. C’est du théâtre comme pianoté avec des lumières, des sons et des corps habités avec gourmandise. Le côté souvent décalé, hors circuits balisés, de Pessoa, sied à Bob Wilson. Alors, il picore dans ses textes, ici une phrase, là une séquence qui l’interpellent. Wilson est particulièrement sensible à la façon, récurrente, dont Pessoa parle des rêves. Il isole cette phrase de Bernardo Soares : « il semble que ce soit parce que je suis là, réveillé et rêvant dans les ténèbres , que cette lampe éclaire ». Il aurait pu choisir ces autres mots du même hétéronyme :  « Je vois les paysages rêvés avec la même précision que les paysages réels. Si je me penche sur mes rêves, je me penche sur quelque chose de bien réel » .

 

 

Par deux ou trois fois, sept petites tables wilsonniennes sont dressées au devant de la large scène, y prennent place les actrices et les acteurs au visage blancs et aux vêtements sombres, comme autant de figures de Pessoa et de ses hétéronymes, autant que d’êtres wilsonnisés. Cette ambivalence est délicieusement permanente.

La structure du spectacle est double : d’un côté,c’est un récital Pessoa (certains poèmes de Ricardo Reis, par exemple, sont dits intégralement, Le gardeur de troupeaux d’Alberto Caeiro largement cité, etc), de l’autre , c’est une chorégraphie visuelle de corps , de lumières, de maquillages blancs, des , un récital Robert Wilson. Les deux se frottent, s’entrelacent.

 

Théâtre de la ville, jusqu’au 16 novembre, dans le cadre du Festival d’automne.

Jean-Pierre Thibaudat / Balagan

 

Crédit photo © Lucie Jansch 

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November 6, 2024 5:42 PM
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«Pessoa», le flou du spectacle de Bob Wilson 

«Pessoa», le flou du spectacle de Bob Wilson  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux dans Libération - 6 nov. 2024

 

 

Fernando Pessoa version Groucho Marx ou drag queen, lyrisme immodéré ou bruitages assourdissants… Le metteur en scène américain perd le spectateur entre les personnalités de son héros inspiré par l’écrivain portugais et les artifices scéniques.

 

 

Sur une toile peinte toute bleue, se lèvent successivement six lunes rouges, présage étrange en cette nuit d’élections américaines, symbole tout à fait décalé et d’ailleurs involontaire de la victoire quelques heures plus tard du camp républicain. Une idée qu’on projette, qu’on chasse bien vite, et qui laisse place à un vide effrayant : on ne parvient pas à penser ou même à voir grand-chose devant ce spectacle filandreux, à la fois obscur et simpliste, dont le sens et les références échappent, à moins qu’ils n’existent pas.

Il est à gager que la représentation laissera perplexes à la fois ceux qui connaissent Fernando Pessoa, grand auteur du XXe siècle et représentant du modernisme portugais, et ceux qui ne le connaissent pas. A travers des tableaux de longueur inégale, le spectacle feuillette des pages du Livre de l’intranquillité – son grand œuvre, des poèmes, une interprétation de Faust et un extrait de sa correspondance : une lettre bouleversante de rupture à l’aimée, seul véritable moment de beauté, où le Bob Wilson qui nous avait saisis dans des images sublimes et inédites renaît fugacement de cendres malheureusement bien tièdes par ailleurs.

Moi insaisissable

Il semble que Bob Wilson et son dramaturge Darryl Pinckney aient pris cette manière très particulière qu’a eue Pessoa d’écrire – sous toutes sortes de noms qu’il appelait «hétéronymes» – comme un blanc-seing pour simplement juxtaposer des séquences mal rythmées, et dont aucun sens, ni littéraire ni théâtral, n’émerge vraiment. Comme si le spectacle confondait ces fameux hétéronymes – manifestation d’une relation très particulière au moi insaisissable, divers, tout entier constitué de sensations – avec de simples avatars.

 

Défilent donc un Pessoa années folles, un Pessoa Groucho Marx, un Pessoa grand mage, un Pessoa drag queen, interprétés par une dizaine de comédiens de tous horizons qui disent les textes dans des langues multiples – coquetterie inutile – et des tons dissemblables : parfois celui répétitif et mécanique qui a longtemps été signature de Wilson, parfois un lyrisme détonnant qui sonne particulièrement faux. Le tout, dans un montage sonore plutôt pénible, qui superpose à des mélodies sirupeuses incongrues, des bruitages assourdissants de bris de glace ou de vagues déferlantes, dont on peine là aussi à comprendre le sens.

Dégradation carnavalesque

De ce protocole littéraire complexe, Bob Wilson bâtit donc un cabaret maladroit où il représente confusément quelque chose de l’artifice ou de l’instabilité du moi, en escamotant à la fois la complexité de Pessoa à cet égard, et la poésie de ses textes dans des images auxquelles il paraît s’acharner à ôter sa précision habituelle. C’est la seule idée à laquelle on parvient finalement lorsque la rampe blanche de la scène s’éteint enfin : celle que peut-être ce grand du théâtre s’essaie là à une sorte de dégradation carnavalesque de sa légendaire manière, qu’on pouvait définir par un mot simple : la grâce – celle qui découpait des corps dans des lumières ahurissantes, celle qui bouclait ses phrases à l’infini dans une prosodie obsessive. Osons l’hypothèse douce-amère que Bob Wilson, 83 ans aujourd’hui, tente quelque chose de neuf, de réflexif, et dangereusement autodestructeur : il y manque malheureuse-ment  le fond et le panache.

 

 

«Pessoa, Since I’ve Been Me», de Bob Wilson d’après l’œuvre de Fernando Pessoa. Au Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt jusqu’au 16 novembre.

 

 
 
Légende photo : Sur une toile peinte en bleu, se lèvent successivement six lunes rouges. (© Lucie Jansch/© Lucie Jansch)
 
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November 6, 2024 4:15 PM
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« Pessoa. Since I’ve Been Me » : avec Robert Wilson, l’expérience de la beauté et du cataclysme

« Pessoa. Since I’ve Been Me » : avec Robert Wilson, l’expérience de la beauté et du cataclysme | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde, le 6 nov. 2024

 

Le metteur en scène présente au Théâtre de la Ville, une invitation à un voyage, visuel et sonore, à travers les textes du poète portugais.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/06/pessoa-since-i-ve-been-me-avec-robert-wilson-l-experience-de-la-beaute-et-du-cataclysme_6379684_3246.html

« Je ne sais pas de quoi demain sera fait. » Cette phrase qui surgit au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt est répétée en boucle dès le prologue de Pessoa. Since I’ve Been Me. Originaire du Texas, le metteur en scène Robert Wilson a beau avoir créé son spectacle au printemps en Italie, il vient d’être rattrapé par l’actualité de son pays natal. Joué à Paris à la veille de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, Pessoa est un chant prophétique qui célèbre ce qui, aux USA, est plus que jamais menacé : la fantaisie, la poésie, la création, la liberté.

Certains diront que Wilson fait une fois de plus du Wilson. Pas faux. Et quand bien même ? Sans remonter aux années 1970 et aux chefs-d’œuvre de l’artiste, Le Regard du sourd et Einstein on the Beach, le public qui découvrira son travail fera l’expérience impériale de la beauté. Son déferlement est inarrêtable : images, musiques, acteurs, textes de l’écrivain portugais Fernando Pessoa (1888-1935).

 

 

Découpés au scalpel, les tableaux qui se suivent transportent, sidèrent et troublent en générant un flot de sensations. Cyclos de couleurs qui montent et descendent en fond de scène, rampe lumineuse aveuglante, postures et gestes stylisés des interprètes, ballet crépusculaire de cyprès, lunes rouges, bestiaire chimérique, cale engloutie d’un navire : tout ce qui compose l’alphabet wilsonien est présent.

Lâcher-prise

Ce spectacle puise sa matière et sa raison d’être dans l’œuvre de Pessoa, poète qui a soustrait les mots au carcan de la rationalité. « Défaites-vous de cette habitude puérile de demander leur sens aux mots et aux choses. Rien n’a de sens », écrivait l’homme qui n’a cessé de s’inventer des doubles. Plus de 70 hétéronymes grâce auxquels il démultipliait ses perceptions du monde. Parmi ceux-ci, Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis ou encore Bernardo Soares dont les fictions (Le Gardeur de troupeaux, Lettre à la fiancée, Poèmes païens, etc.) forment la trame textuelle d’une pièce où les regards courent du plateau aux surtitrages projetés sur trois écrans (à cour, à jardin, en hauteur).

 

Inutile de tenter de tout lire, et encore moins d’assimiler les paroles de comédiens qui s’expriment en français, en italien, en anglais ou en portugais. Si quelques phrases subjuguent au point qu’on voudrait s’en souvenir pour toujours, beaucoup échappent à l’entendement. L’essentiel n’est pas de comprendre mais de ressentir. « Qui nous dit, à vous comme à moi, que je n’écris pas des symboles faits pour être compris des dieux ? », interrogera, en conclusion, l’auteur qu’incarne, chapeau sur la tête, fine moustache et lunettes cerclées de fer, l’actrice Maria de Medeiros.

 

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Robert Wilson : « Je fais du théâtre en vivant ma vie »
 

Ce lâcher-prise qu’encourage une représentation où la langue file à l’allure d’une comète est une invitation à se glisser dans la perception pure en s’abandonnant au voyage visuel et sonore proposé. Il mène des sommets aux bas-fonds, d’une danse allègre de cabaret à l’effroi d’une tempête, du blanc immaculé au rouge vermillon, de la clarté d’une voix cristalline au vacarme d’un brouhaha. Le cataclysme est une menace de chaque seconde. Fracas de ces vies intérieures avec lesquelles jouait, jouissait et luttait Fernando Pessoa. Fracas de la vie telle qu’elle est et qui brasse les âmes, la nature, les croyances, les pensées, l’amour, la poésie.

 

Ainsi en va-t-il du précipité de nos existences qui s’achèvent là où se termine le spectacle : l’échéance de la mort. Avant cela, on aura vécu, et pleinement, aux rythmes de phrases chorégraphiées d’un corps d’acteur à un autre, d’une musique liant ses notes aux stridences de verres brisés, du calme et de la tempête emmêlés. De ce chaos superbement ordonné, ne citons qu’une vision, celle, quasi inaugurale, d’un comédien qui entre à reculons sur la scène du théâtre, son œil fixé sur l’invisible coulisse. Qu’a-t-il vu ? L’enfer ou le paradis ? Robert Wilson ne fixe pas de limites à l’imagination. Tel n’était pas le cas du réel le 6 novembre.

 

 

Lire le portrait (en septembre 2013) : Article réservé à nos abonnés Les mille visages de Robert Wilson
 

« Pessoa. Since I’ve Been Me ». Mise en scène de Robert Wilson, texte de Fernando Pessoa. Avec Maria de Medeiros, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaina Suaudeau. Au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, Paris 1er. Dans le cadre du Festival d’automne. Jusqu’au 16 novembre. Theatredelaville-paris.com

 

 
Légende photo : « Pessoa. Since I’ve Been Me », mis en scène par Robert Wilson, au Teatro della Pergola, à Florence, en mai 2024. LUCIE JANSCH

 

 

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November 5, 2024 4:12 PM
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«Je suis trop vert» de David Lescot, devoir sur étable 

«Je suis trop vert» de David Lescot, devoir sur étable  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux dans Libération -  5 nov. 2024

 

Après «J’ai trop peur» et «J’ai trop d’amis», le metteur en scène emmène son jeune héros en classe verte et adopte un ton remarquablement juste pour aborder la question écologique avec des enfants.

 
 

Sur le plateau tout noir, un gros bloc de bois clair, et c’est tout. Autant dire que pour attirer le jeune chaland, David Lescot ne donne pas dans la surenchère. Mais cette sobriété première titille grands et petits, d’autant que très vite s’élèvent du module bavardages, chuchotis, rires, le bruit tout entier et bien vivant d’une classe de collège, vite représentée par deux gosses qui, soulevant un pan de ce qui se révèle un coffre multifonction, s’installent à leur bureau. Parmi eux, le protagoniste de cette histoire commencée il y a quelques années, et qui a déjà derrière elle deux autres volets : J’ai trop peur et J’ai trop d’amis.

 

 

14 janv. 2016
 
 

La 6e D a de la chance : elle devrait partir en classe verte. Pour ça, il faut cependant que tout le monde soit d’accord et en ait les moyens, et puis il va falloir s’adapter à ce nouveau lieu plein de bêtes, de bruits, d’odeurs, et aussi de labeur : la campagne. C’est peu dire qu’il est difficile d’écrire pour le jeune public. David Lescot trouve un ton remarquablement juste, protéiforme, en parvenant à situer le point de vue de son héros, qui est aussi celui qui raconte l’histoire, au niveau très juste d’une compréhension encore enfantine du monde, lacunaire donc, angoissée parfois, mais jamais simple. Comme le spectacle se déroule sans surplomb aucun, la pédagogie n’est pas son affaire et il aborde la question écologique sans l’asséner, comme une matière scénique avant tout.

Le sobre bloc de bois prend alors tout son sens, qui figure à la fois une classe, un bus, une étable, un dortoir, ou une chambre d’enfant, et d’où on extrait quelques feuilles mortes, deux poignées de maïs et un pyjama dinosaure. S’y activent trois comédiennes adultes qui interprètent à elles seules une petite dizaine de personnages, uniquement des enfants, dont une toute petite de trois ans, la sœur du protagoniste, personnage hilarant dont la tête à couette et la voix modifiée à l’hélium surgissent régulièrement, pour répéter la doctrine écolo la plus radicale du groupe. Le spectacle s’achève dans une liesse mi-boum mi-manif, et une forme d’intranquillité douce : on comprend là, dans ce signe des temps «bien soigné», comme on dit dans les cours de récré, ce qui fait la beauté si rare d’un spectacle jeunesse réussi.

Je suis trop vert, Texte et mise en scène de David Lescot. Avec en alternance Lyn Thibault, Elise Marie, Sarah Brannens, Lia Khizioua Ibanez, Marion Verstraeten et Camille Bernon. Spectacle à partir de 8 ans au Théâtre de la Ville à Paris jusqu’au 16 novembre puis en tournée.

 

Lucile Commeaux / Libération 

 

 

Légende photo : Dans «Je suis trop vert», les trois comédiennes adultes interprètent à elles seules une petite dizaine de personnages, uniquement des enfants. (Christophe Raynaud de Lage)
 
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