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« Pessoa. Since I’ve Been Me » : avec Robert Wilson, l’expérience de la beauté et du cataclysme

« Pessoa. Since I’ve Been Me » : avec Robert Wilson, l’expérience de la beauté et du cataclysme | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde, le 6 nov. 2024

 

Le metteur en scène présente au Théâtre de la Ville, une invitation à un voyage, visuel et sonore, à travers les textes du poète portugais.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/06/pessoa-since-i-ve-been-me-avec-robert-wilson-l-experience-de-la-beaute-et-du-cataclysme_6379684_3246.html

« Je ne sais pas de quoi demain sera fait. » Cette phrase qui surgit au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt est répétée en boucle dès le prologue de Pessoa. Since I’ve Been Me. Originaire du Texas, le metteur en scène Robert Wilson a beau avoir créé son spectacle au printemps en Italie, il vient d’être rattrapé par l’actualité de son pays natal. Joué à Paris à la veille de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, Pessoa est un chant prophétique qui célèbre ce qui, aux USA, est plus que jamais menacé : la fantaisie, la poésie, la création, la liberté.

Certains diront que Wilson fait une fois de plus du Wilson. Pas faux. Et quand bien même ? Sans remonter aux années 1970 et aux chefs-d’œuvre de l’artiste, Le Regard du sourd et Einstein on the Beach, le public qui découvrira son travail fera l’expérience impériale de la beauté. Son déferlement est inarrêtable : images, musiques, acteurs, textes de l’écrivain portugais Fernando Pessoa (1888-1935).

 

 

Découpés au scalpel, les tableaux qui se suivent transportent, sidèrent et troublent en générant un flot de sensations. Cyclos de couleurs qui montent et descendent en fond de scène, rampe lumineuse aveuglante, postures et gestes stylisés des interprètes, ballet crépusculaire de cyprès, lunes rouges, bestiaire chimérique, cale engloutie d’un navire : tout ce qui compose l’alphabet wilsonien est présent.

Lâcher-prise

Ce spectacle puise sa matière et sa raison d’être dans l’œuvre de Pessoa, poète qui a soustrait les mots au carcan de la rationalité. « Défaites-vous de cette habitude puérile de demander leur sens aux mots et aux choses. Rien n’a de sens », écrivait l’homme qui n’a cessé de s’inventer des doubles. Plus de 70 hétéronymes grâce auxquels il démultipliait ses perceptions du monde. Parmi ceux-ci, Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis ou encore Bernardo Soares dont les fictions (Le Gardeur de troupeaux, Lettre à la fiancée, Poèmes païens, etc.) forment la trame textuelle d’une pièce où les regards courent du plateau aux surtitrages projetés sur trois écrans (à cour, à jardin, en hauteur).

 

Inutile de tenter de tout lire, et encore moins d’assimiler les paroles de comédiens qui s’expriment en français, en italien, en anglais ou en portugais. Si quelques phrases subjuguent au point qu’on voudrait s’en souvenir pour toujours, beaucoup échappent à l’entendement. L’essentiel n’est pas de comprendre mais de ressentir. « Qui nous dit, à vous comme à moi, que je n’écris pas des symboles faits pour être compris des dieux ? », interrogera, en conclusion, l’auteur qu’incarne, chapeau sur la tête, fine moustache et lunettes cerclées de fer, l’actrice Maria de Medeiros.

 

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Robert Wilson : « Je fais du théâtre en vivant ma vie »
 

Ce lâcher-prise qu’encourage une représentation où la langue file à l’allure d’une comète est une invitation à se glisser dans la perception pure en s’abandonnant au voyage visuel et sonore proposé. Il mène des sommets aux bas-fonds, d’une danse allègre de cabaret à l’effroi d’une tempête, du blanc immaculé au rouge vermillon, de la clarté d’une voix cristalline au vacarme d’un brouhaha. Le cataclysme est une menace de chaque seconde. Fracas de ces vies intérieures avec lesquelles jouait, jouissait et luttait Fernando Pessoa. Fracas de la vie telle qu’elle est et qui brasse les âmes, la nature, les croyances, les pensées, l’amour, la poésie.

 

Ainsi en va-t-il du précipité de nos existences qui s’achèvent là où se termine le spectacle : l’échéance de la mort. Avant cela, on aura vécu, et pleinement, aux rythmes de phrases chorégraphiées d’un corps d’acteur à un autre, d’une musique liant ses notes aux stridences de verres brisés, du calme et de la tempête emmêlés. De ce chaos superbement ordonné, ne citons qu’une vision, celle, quasi inaugurale, d’un comédien qui entre à reculons sur la scène du théâtre, son œil fixé sur l’invisible coulisse. Qu’a-t-il vu ? L’enfer ou le paradis ? Robert Wilson ne fixe pas de limites à l’imagination. Tel n’était pas le cas du réel le 6 novembre.

 

 

Lire le portrait (en septembre 2013) : Article réservé à nos abonnés Les mille visages de Robert Wilson
 

« Pessoa. Since I’ve Been Me ». Mise en scène de Robert Wilson, texte de Fernando Pessoa. Avec Maria de Medeiros, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaina Suaudeau. Au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, Paris 1er. Dans le cadre du Festival d’automne. Jusqu’au 16 novembre. Theatredelaville-paris.com

 

 
Légende photo : « Pessoa. Since I’ve Been Me », mis en scène par Robert Wilson, au Teatro della Pergola, à Florence, en mai 2024. LUCIE JANSCH

 

 

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Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

Peut être utile au lycée

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Alain Françon, évidemment

Alain Françon, évidemment | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 24 nov. 2024

 

Renouant avec son cher Marivaux, il a réuni un groupe de comédiens exceptionnels, une troupe idéale qui donne aux Fausses confidences une alacrité merveilleuse.

 

 

On écrira ailleurs, et avec plus de précision réglementaire. On entend par « réglementaire » la politesse que l’on doit aux lecteurs de la presse écrite (Marianne ou La Tribune Dimanche) et le respect que l’on a pour les artistes, metteurs en scène, équipes artistiques, interprètes, tous ceux qui font la vie de l’art du théâtre.

Mais en sortant d’une représentation d’un chef-d’œuvre de Marivaux, Les Fausses Confidences, dans une mise en scène d’Alain Françon, comme il est impudent, voire grotesque, de rédiger ce que l’on intitule une « critique ».

 

Ainsi que ce fut le cas autrefois devant Giorgio Strehler, dans la génération précédente, on doit bien avouer que l’on ne possède aucune légitimité à décrire, à commenter, à analyser les choix du metteur en scène ou à distribuer des qualificatifs au jeu des interprètes.

 

Il y a une évidence dans la manière dont Alain Françon conduit la représentation des Fausses Confidences. Le premier point est l’amour qu’il déploie pour l’écrivain, sa langue, sa manière de construire et de mener les intrigues, la lumière qu’il jette sur ce miracle : la manière de parler, de raisonner des « personnages ».

Alain Françon circonscrit, avec une confondante intelligence, le mécanisme dramatique qui est au cœur de la pièce de Marivaux : « le coup de foudre de Dorante conduit au coup de force d’Araminte ». Trois actes en prose créés en 1737 par les Comédiens-Italiens. Françon a opéré une légère transformation : Arlequin disparaît, on le nomme Lubin (ici Séraphin Rousseau, personnage pataud apparemment, mais efficace à faire bouger les lignes).

Pourquoi écrire ici alors ? Parce que la perfection de la mise en scène, la finesse enivrante du jeu, tout ici séduit et donne au public, une heure quarante-cinq durant, un bonheur qui l’élève en « une transe légère et érotique » (ce que voulait Paul Claudel pour que l’on joue Le Soulier de satin dans sa juste humeur).

Pas de micros, un jeu offert au public, des adresses aux spectateurs pris à témoin. On nous parle, on s’adresse à nous mais rien qui puisse amoindrir la fascinante puissance du théâtre. On est chez Madame Argante. On est happé par la fiction. On oublie que l’on est ailleurs qu’avec ces personnages.

 

Saluons ici, une scénographie grave et efficace de Jacques Gabel, des lumières de Joël Hourbeigt et Thomas Marchalot, des costumes de Pétronille Salomé, seyants, harmonieux, dans lesquels les comédiennes et comédiens sont magnifiés. Caroline Marcadé n’est pas loin pour les mouvements, les déplacements, la chorégraphie des âmes et les coiffures et maquillages sont fins, signés Judith Scotto. La musique est du jour : Marie-Jeanne Séréro dose le fracas contemporain comme des coups de foudre.

L’intelligence profonde du texte, le savoir sur les tourments des cœurs, des âmes, la lucidité sociétale, qu’il mette en scène Edward Bond, Peter Handke, ou Eugène Labiche, tout ce qui nourrit la personnalité unique d’Alain Françon, donne ici une puissance, une profondeur, une évidence, bouleversantes au spectacle. La langue est d’une proximité bouleversante. 1737 ? C’est aujourd’hui. Rien de raide, rien de surveillé, mais une langue vivante magique.

Et puis gloire aux comédiens : Dominique Valadié, supérieure dans la rosserie d’une mère sévère et rigide chez qui se déroule l’action. Sa fille, jeune veuve, vit chez elle et devrait lui obéir…Mais Araminte va opérer son « coup de force ». La sublime Georgia Scalliet, dans une robe ivoire, fluide, près de corps, fine et sensuelle, est dans le rayonnant éclat de sa personnalité magistrale. La comédienne a apparemment une légère douleur à une jambe : ce détail minuscule ajoute on ne sait quoi d’encore plus évident à la bataille que doit mener cette jeune femme. qui, un moment ploie, se plie littéralement sur le dossier d’une chaise. Se couper en deux. Se briser. Rompre avec les décisions de sa mère, du Comte (l’excellentissime, élégant, nuancé, Alexandre Ruby), ne va pas de soi…d’autant qu’il y a pas mal de vérités biaisées…

 

Dans cette mise en scène, on s’énerve, on perd ses nerfs, comme le veut ce grand manipulateur de Marivaux, mais on ne perd pas sa noblesse. Blessée, égarée, flouée, la ravissante Marton de Yasmina Remil conserve quelque chose d’aristocratique. Presque le double d’Araminte. En miroir. Et l’équivoque : est-ce son portrait ou le portrait d’Araminte ? Une victime, cruellement traitée, mais qui demeure digne.

 

Guillaume Lévêque excelle en Monsieur Rémy, procureur affairé sinon affairiste. Un acteur à forte présence, magnifique timbre. Comme ses camarades. Pierre-François Garel, ici en blondinet ébouriffé, mais très chic, est un Dorante amoureux –intéressé ? on ne veut pas le croire…– et toujours aussi formidable. Un acteur immense et qui se tient toujours loin de toute démonstration. Remarquable.

 

Gilles Privat s’est rasé le crâne pour incarner mieux ce manipulateur de Dubois. Il a servi Dorante, il sert Araminte. Que veut-il vraiment ? Avec ses mines inquiétantes, ses inflexions particulières, il fait penser (fugitivement) à Daniel Emilfork…Quelle formidable personnalité que la sienne propre !

 

N’oublions pas Maxime Terlin, le garçon joaillier.

Il faut ajouter ici qu’Alain Françon a toujours eu le sens de l’harmonie des voix. C’est le plus musicien des hommes de théâtre, en vérité. Et les comédiennes et les comédiens qu’il rassemble, possèdent l’art du chant de l’âme. Des timbres, des inflexions, des suspens, des silences, des gravité, autant d’enchantements. La voix, c’est l’être même, et avec Alain Françon, les âmes s’expriment.

 

Quant à nous, taisons-nous. Tout le monde le sait : il faut courir partout où se donne ce spectacle magistral, « élitaire pour tous », comme disait Antoine Vitez, vous le savez. Voir Les Fausses Confidences, voir et retourner voir ces Fausses confidences.

Nanterre-Amandiers, jusqu’au 21 décembre. Puis en longue tournée.

 

Armelle Héliot

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« Les Forces vives » à l’Odéon, Simone de Beauvoir telle qu’en elle-même

« Les Forces vives » à l’Odéon, Simone de Beauvoir telle qu’en elle-même | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 5 déc. 2024

 

Le spectacle mis en scène et interprété par Camille Dagen évoque la personnalité de l’écrivaine à différents moments de sa vie.

 

Lire l'article sur le site du Monde :

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/05/les-forces-vives-a-l-odeon-simone-de-beauvoir-telle-qu-en-elle-meme_6430920_3246.html

Une première partie fraîche et enthousiasmante, une seconde plus pondérée : Les Forces vives, spectacle mis en scène à l’Odéon-Théâtre de l’Europe par Camille Dagen (en collaboration avec Emma Depoid) contraint la critique à une gymnastique dichotomique, ce qui n’est pas incohérent si on songe au caractère remuant et inaliénable du sujet exploré.

Simone de Beauvoir (1908-1986) est au cœur de l’attention. Découpé en deux temporalités (avant et après la seconde guerre mondiale, celle-ci étant éludée lors d’un entracte sous-titré « 1939-1945 ») le spectacle ne perd jamais de vue cette philosophe majeure du XXe siècle, dont les écrits (Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses, Cahiers de jeunesse et Le Deuxième Sexe) innervent chacun des mots.

 

La romancière fait mieux que stimuler la créativité des artistes. Son désir forcené d’avoir une vie voulue de A à Z donne lieu à une représentation qui ne doit sa forme qu’à elle-même. Les Forces vives n’est ni un biopic ni une plate entrée littérale dans l’œuvre, mais une suite résolue de choix dramaturgiques qui assument de laisser sur le bord de la route des pans entiers d’une existence.

Le titre est à prendre au pied de la lettre : par la médiation des acteurs, ce sont bien des vitalités énergiques qui se manifestent et résolvent, à mesure qu’ils se présentent, les problèmes de mise en scène. Camille Dagen ne s’interdit rien : le comique (jusqu’au vaudeville) comme le drame, le réel comme l’onirique, les accélérations et décélérations, les retours en arrière comme les bonds en avant. Son geste, d’une réelle fantaisie, s’en remet aux fondamentaux du théâtre – son immédiateté et son artisanat – avec une grande confiance. Si elle n’évite pas certaines maladresses, sa fougue est contagieuse, son talent évident.

Cinq Simone sur scène

Placés sous la haute autorité du « Castor » (surnom donné à Beauvoir par l’un de ses condisciples à l’Ecole normale supérieure), sept excellents comédiens évoluent dans des décors dont ne restent que les cadres ajourés. Dépliables et mobiles, ils permettent aux espaces d’être sans cesse reconfigurés. Pas question de figer le plateau et d’immobiliser une pensée qui se construit à vue. Consacrée à la jeune Simone, la première partie est un feu d’artifice de prises de conscience. Celles du spectateur qui réalise de quel terreau originel s’est extirpée l’écrivaine. Celle de l’écrivaine qui fait sécession avec la bigoterie de sa mère et les penchants réactionnaires ou misogynes de son père.

 

C’est ici vite résumer la trajectoire d’une émancipation dont Camille Dagen a fait un nerf ardent. La metteuse en scène ouvre elle-même le bal en se présentant face au public, dans un carré de lumière qui s’agrandit à mesure qu’elle marche vers les gradins en jean et débardeur marcel. Elle nous parle post mortem, s’inquiète de la trace qu’elle aura laissée. Elle est la première des Simone qui surgiront en scène (le rôle est partagé par cinq comédiennes).

 

Prélevées dans la masse considérable des Mémoires, des séquences éparpillées en flashs convoquent les parents de Beauvoir, sa sœur Poupette, son éphémère fiancé Jacques, sa grande amie Zaza morte à 21 ans, plus tard, Maurice Merleau-Ponty, Paul Nizan ou Jean-Paul Sartre. De la petite enfance à la vingtaine, une femme naît à elle-même. Fillette récalcitrante, adolescente sage, jeune fille réfractaire aux valeurs familiales, étudiante amoureuse, intellectuelle en devenir : ces étapes sont saisies et restituées avec allant par les acteurs qui virevoltent de personnage en personnage, les garçons jouant les filles et les filles les garçons.

Changement de régime

A la puissance d’une écriture qui ne s’est pas ternie, s’ajoute l’appétit illimité d’une personnalité hors norme. « Je vais avoir une vie, une vie à moi » s’exclame Beauvoir. Difficile de ne pas être contaminé par ce débordement d’envies tous azimuts et cette course effrénée du présent vers le futur. Difficile de ne pas vouloir toujours plus de cette force vive qui dynamise.

On l’espère donc de retour, après l’entracte, la joie d’être qui a déferlé pendant les deux premières heures. Mais le libre arbitre de Camille Dagen (qui n’a rien à envier à celui de son inspiratrice) en décide autrement. Raison pour laquelle la seconde partie, focalisée sur la guerre d’Algérie et les dernières pages de La Force des choses, effectue une mise sur pause qui déjoue nos attentes. La frustration étant mauvaise conseillère, ce qui était ailé paraît s’alourdir, ce qui sonnait juste semble chanter faux. C’est pourtant bien la même artiste qui est à la manœuvre et opère ce changement de régime. Que dit-il de l’héroïne ?

 

De retour devant le rideau noir où ils compilent, avec humour, les basses attaques dont a été victime la mère du Deuxième Sexe, les acteurs s’attardent notamment sur l’appel de Beauvoir (paru dans Le Monde en 1960) en faveur de la militante FLN Djamila Boupacha. Elle écrit : « Je suis française. Ces mots m’écorchent la gorge comme une tare. » L’espace se ramasse au centre du plateau. Camille Dagen prend la parole : « Tous les tomes de ce spectacle ont été écrits pendant la guerre d’Algérie. »

Beauvoir était donc cette femme-là, capable d’embrasser le politique et l’intime, d’écrire et de militer, de se concentrer, en simultané, sur son époque et sur elle-même. On ne l’a pas perdue, elle est juste moins légère. Ce dont rend compte, quoi qu’on en veuille, le final d’un spectacle qui ne passe pas la réalité à la trappe. En accéléré, Sartre se dégrade tandis que sa compagne, complice et âme sœur vieillit. « J’ai été flouée », conclut-elle. Pas nous.

 

 

Les Forces vives, d’après Simone de Beauvoir. Conception et mise en scène : Camille Dagen, en collaboration avec Emma Depoid. Avec Sarah Chaumette, Camille Dagen, Marie Depoorter, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova. Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier, Paris 17e. Jusqu’au 20 décembre (trois heures trente). Dans le cadre du Festival d’automne.

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : Marie Depoorter dans « Les Forces vives », d’après Simone de Beauvoir, mis en scène par Camille Dagen, en mars 2024. © SIMON GOSSELIN

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Sara Forestier, actrice : « C’est un système qui m’a écrasée »

Sara Forestier, actrice : « C’est un système qui m’a écrasée » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Mediapart le 3 décembre 2024

 

 

Article (incluant la vidéo de l'entretien avec Sara Forestier) en accès libre

 

Lien avec la vidéo (1h)

 

Invitée de « À l’air libre », l’actrice Sara Forestier revient sur son témoignage devant la commission d’enquête relative aux violences dans le cinéma. Elle s’exprime pour la première fois sur sa plainte déposée en 2023 contre Nicolas Duvauchelle, qu’elle accuse de l’avoir giflée sur un tournage.



C’est l’une des auditions les plus marquantes de la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le monde du cinéma. Le 7 novembre, l’actrice Sara Forestier a témoigné de violences subies pendant sa carrière, et décrit « la machine à broyer des talents », selon les mots du rapporteur (MoDem) Erwan Balanant.

Invitée de notre émission « À l’air libre », l’actrice de 38 ans, révélée dans L’Esquive (2003), d’Abdellatif Kechiche, relate la difficulté de l’industrie cinématographique à prendre en charge la question des violences, la « focalisation » sur les femmes qui dénoncent des violences, et les mauvaises « réputations » qui leur seraient faites en retour : « Ils cherchent peut-être Mère Teresa, mais il n’y a pas de victime parfaite. »

 

 

Elle revient aussi sur l’impact de la parole de la comédienne Adèle Haenel en 2019 – affaire dont le procès se tiendra les 9 et 10 décembre au tribunal correctionnel de Paris.

 

Sara Forestier révèle avoir elle-même témoigné à l’appui d’une plaignante dans la procédure visant Jacques Doillon, accusé de violences sexuelles par plusieurs femmes (le réalisateur conteste les faits et a déposé une plainte en diffamation contre la comédienne Judith Godrèche) : « J’ai tourné avec Jacques Doillon [dans le film Mes séances de lutte (2013) – ndlr], une plaignante a porté plainte contre lui, j’ai témoigné dans ce cadre-là pour dire des choses que j’avais vues et qu’avait faites Jacques Doillon sur ce tournage, sur cette fille-là. »

 

Sur notre plateau, la comédienne revient également sur son témoignage à l’égard de l’acteur Nicolas Duvauchelle, qu’elle accuse de l’avoir giflée sur le tournage du film Bonhomme en 2017.

Selon nos informations, elle a déposé une plainte en mars 2023 et une enquête préliminaire est en cours au parquet de Paris. Elle annonce qu’elle compte aussi porter plainte en diffamation contre le comédien, qui l’a qualifiée, le 8 novembre, sur le réseau social X, de « mythomane », et qui a assuré – à rebours de ses déclarations dans le dossier judiciaire – que c’est elle qui l’aurait « giflé ».

Sollicité par Mediapart pour un entretien vidéo, Nicolas Duvauchelle, qui est présumé innocent, a répondu qu’il ne souhaitait « pas [s’]exprimer davantage à ce stade ». Il nous a indiqué qu’il n’avait « jamais frappé Sara Forestier » et que les propos de l’actrice à son égard étaient « absolument faux ».

De son côté, le producteur du film, Denis Pineau-Valencienne, nous a fait savoir qu’il n’y avait eu « ni gifle ni violence physique » d’après les cinq témoignages écrits qu’il avait à l’époque recueillis auprès de « membres de l’équipe présents sur place ».

 

 

La réalisatrice, Marion Vernoux, nous a également répondu qu’à sa connaissance, aucune gifle n’avait été donnée par l’un ou par l’autre. « Qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’ils en viennent à de telles extrémités verbales ? Je m’approche pour tenter de les calmer. Ils continuent de se cracher au visage des insanités. Sans doute quelques postillons haineux atterrissent-ils sur le visage de l’autre. En termes de violence physique, je ne peux témoigner que de cela », écrit-elle dans le témoignage qu’elle a transmis à Mediapart. La cinéaste explique avoir, au moment des faits, refusé d’appuyer la main courante de Sara Forestier au commissariat, car elle ne voulait pas faire « un faux témoignage », même pour sauver son film, dit-elle.

 

 

Après l’enregistrement de cette émission le mardi 26 novembre, Sara Forestier a souhaité réagir à la réponse de Marion Vernoux : « J’ai fait cette émission parce que dans le cinéma et la société, il faut briser les chaînes des complicités. Les silences complices ça n’existe pas, ce sont des “tais-toi” complices, des culpabilisations complices, des minimisations d’actes des agresseurs. Il faut que cessent les complicités, pour que les agresseurs se retrouvent affaiblis, démunis, et moins forts dans leur domination. J’y crois. »

*

Une émission préparée et présentée par Mathieu Magnaudeix et Marine Turchi, journaliste au service enquêtes de Mediapart.

Retrouvez toutes nos émissions ici.

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December 3, 7:09 AM
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Face aux violences sexuelles, l’examen de conscience des institutions du cinéma français, à l’Assemblée nationale

Face aux violences sexuelles, l’examen de conscience des institutions du cinéma français, à l’Assemblée nationale | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Djaïd Yamak dans Le Monde - publié le 3 déc. 2024

 

 

Auditionnés au Palais-Bourbon, des organismes du cinéma, comme le Festival de Cannes et l’Académie des César, mais aussi du spectacle vivant ont exprimé leur volonté de lutter contre ce fléau, sans émettre d’idées neuves.


 

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/03/face-aux-violences-sexuelles-l-examen-de-conscience-des-institutions-du-cinema-francais-a-l-assemblee-nationale_6427396_3246.html

Leur parole était attendue. Le Festival de Cannes, l’Académie des César, le Festival du cinéma américain de Deauville, l’Académie des Molières et l’organisme UniFrance ont été entendus, lundi 2 décembre, au Palais-Bourbon, dans le cadre de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.

 

Réclamée par l’actrice Judith Godrèche, figure du mouvement #metoo en France, cette commission parlementaire a été créée en mai. Avec un objectif : faire la lumière sur les violences sexuelles et sexistes dans les métiers de la culture ; et faire émerger des propositions concrètes pour les combattre. Après trente-cinq heures d’audition et soixante-dix professionnels interrogés, la commission avait été enterrée par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin. Un nouveau groupe de travail a finalement été constitué et les auditions ont repris, le 5 novembre.

 

Devant les députés, le 2 décembre, les représentants de ces institutions détaillent les mesures prises pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes depuis l’émergence de #metoo, en 2017. La présidente du Festival de Cannes, Iris Knobloch, évoque la création d’une cellule d’écoute et la nomination de référents harcèlement au lendemain des révélations sur le producteur américain Harvey Weinstein. Patrick Sobelman, président de l’Académie des César, et Ariane Toscan du Plantier, vice-présidente, passent en revue les dispositifs mis en place durant la cérémonie, comme la « non-mise en lumière des personnes condamnées ou mises en examen » (effective depuis 2023) ou la distribution de flyers de sensibilisation.

 

 

Lire l’enquête (2024) | Article réservé à nos abonnés Aux Césars, la deuxième vague #metoo percute la fête de la grande famille du cinéma
 

Mais, tous en conviennent, ces outils de prévention restent insuffisants pour lutter contre les violences dans le cinéma. La question de l’omerta est évoquée ouvertement. « Je suis convaincu qu’il reste une peur économique de témoigner, de perdre son emploi, de perdre ses moyens financiers, a observé Iris Knobloch. Il faut renforcer les cellules d’écoute et l’accompagnement des victimes. L’industrie a fait des pas importants, mais je crois que nous avons encore du chemin à faire. »

« Multiplier les contre-pouvoirs »

Après l’inventaire de leurs politiques de prévention respectives, le député (Paris, Ecologiste et social) Pouria Amirshahi déplace la discussion sur la responsabilité collective de ces institutions dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : « C’est dans le monde du cinéma qu’a commencé #metoo. Vous êtes le point de départ de cette révolution. Vous avez donné des exemples – les référents, les chartes –, autant de choses qu’il faut faire (…), mais, au fond, à quel moment la grande famille du cinéma a porté un grand message, uni, en disant : c’est terminé, ça ne se passera plus comme cela ? »

 

 

Lire aussi (2020) | Article réservé à nos abonnés Les professionnels du cinéma vont devoir se former à la prévention
 
 

La « grande famille du cinéma » que désigne le député ne se reconnaît pas derrière ce sobriquet. « C’est une fiction, un fantasme. La grande famille n’existe pas », tonne Jean-Marc Dumontet, interrogé au titre de président de l’Académie des Molières. « On ne se voit plus là-dedans », abonde Daniela Elstner, directrice générale d’UniFrance, un organisme chargé de la promotion et de l’exportation du cinéma français dans le monde. « Nous ne faisons pas partie du problème, nous sommes des éléments de réponse au problème », poursuit le producteur de spectacles.

 

La présidente de la commission, la députée (Paris, Ecologiste et social) Sandrine Rousseau demande alors aux responsables de festivals et d’académies de se prêter à un exercice introspectif. « Vous avez un pouvoir énorme dans vos positions et vos mandats. Avez-vous conscience de votre pouvoir ? », demande l’élue. « Oui, on a du pouvoir sur nos équipes, sur les films qu’on sélectionne, reconnaît Aude Hesbert, directrice du Festival américain de Deauville. Nous avons un devoir d’exemplarité. Et nous devons multiplier les contre-pouvoirs. »

 

 

Lire l’enquête (2024) | Article réservé à nos abonnés Le Festival du cinéma américain de Deauville fait sa mue post-#metoo
 

Création d’une « base de données confidentielles »

Comment user de ce pouvoir pour lutter contre les violences sexuelles ? Les dirigeants d’institutions ont partagé les décisions prises lors de la sélection d’une œuvre ou lors du déroulement d’une cérémonie. « Nous avons une responsabilité, et nous devons l’assumer. Lors de la dernière Nuit des Molières, Caroline Vigneaux présentait la cérémonie et a décidé d’écarter des personnes qu’elle soupçonnait, à tort ou à raison, d’être susceptible d’avoir eu des comportements déplacés », a remarqué Jean-Marc Dumontet. « On est tous des cinéphiles, des intellectuels, on se pose des questions sur la violence en général, sur la représentation de l’histoire, sur la diversité à tous égards, a affirmé Thierry Frémaux. Il arrive parfois que, nous-mêmes, on ne soit pas toujours justes dans nos choix », a-t-il ajouté.

 

Plusieurs idées avaient été mises sur la table lors des auditions précédentes. La comédienne Mélodie Molinaro avait évoqué la création d’une « base de données confidentielles » permettant d’identifier les comportements ayant fait l’objet d’une plainte, qui soit accessible aux référents chargés de prévenir le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles sur les tournages. L’actrice Sara Forestier avait aussi suggéré, lorsqu’un cas de violence est signalé sur un plateau, de faire peser la responsabilité financière de l’interruption du tournage sur l’agresseur.

 

 

Lire la rencontre (2019) | Article réservé à nos abonnés Un apéro avec Sara Forestier : « La douleur ne me fait pas peur »
 
 

L’examen de conscience des institutions du cinéma français a été moins fertile en idées neuves. Les auditions se poursuivront jusqu’en avril 2025 et devraient aboutir au dépôt d’une proposition de loi.

 

Djaïd Yamak / Le Monde 

 

Légende photo : Judith Godrèche, à Cannes (Alpes-Maritimes), le 16 mai 2024. VALERY HACHE/AFP

 

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«Les Fausses Confidences», du beau jeu de dupes 

«Les Fausses Confidences», du beau jeu de dupes  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération - 2 déc. 2024

 

Alain Françon met en scène le monde de faux-semblants de Marivaux aux Amandiers de Nanterre dans une pièce à la mécanique belle et précise mais sans surprise.

 

Des colonnades aux ombres tranchantes comme dans un tableau de Chirico, des lueurs inquiètes à la Paul Delvaux. Et des ouvertures partout, des fenêtres, des portes, des coulisses d’où les personnages rôdent, épient, trompent, comme dans l’arrière-boutique de nos désirs. Les décors de Jacques Gabel ont convoqué à nos yeux le surréalisme, pourtant les colonnes ont la rigidité de l’ordre classique. Et à quelles époques se réfèrent ces costumes ? Les repères temporels sont ici des chausse-trappes car, au fond, quelle importance ? nous dit Alain Françon. Araminte et Dorante évoluent dans le monde corseté du XVIIIe siècle, celui où une jeune bourgeoise dotée ne peut épouser son intendant fort peu loti. Celui où, malgré tout, les sentiments peuvent s’imposer. Mais les sentiments de qui ? Ceux de la jeune veuve qui peu à peu trempe sa volonté, ceux de l’amoureux éperdu ou ceux du domestique calculateur Dubois ?

Jeune homme fauché

Dans la pièce de Marivaux, c’est bien par la ruse que chacun veut contrôler la pensée et les sentiments d’Araminte. Dubois (Gilles Privat) s’est fixé pour mission de la faire tomber dans les bras de son ancien maître Dorante. La mère d’Araminte (Dominique Valadié) refuse que sa fille épouse un jeune homme fauché, et lui préfère un comte. Dans ce monde de manipulation et de faux-semblants, Araminte tente, bravement, d’y voir clair dans ses propres sentiments. «Je suis la maîtresse», dit-elle, et peut-être le croit-elle vraiment. «Femme tentée, femme vaincue», rétorque plutôt Dubois.

Jeu propre et virevoltant

C’est du beau jeu, propre et virevoltant – qu’on entend bien le texte et quelle maîtrise dans le phrasé ! Pas de mauvaise surprise pour qui aime Françon. Pas de surprise du tout, regretterait-on tout de même, une mécanique précise mais pas d’éblouissement comme on a pu en avoir avec ce metteur en scène, dans ces Fausses Confidences pures et parfaites. Elles valent avant tout pour le jeu des comédiens. Georgia Scalliet, surtout, formidable Araminte, qui fait s’envoler le texte de Marivaux et le dédouble en incarnant ses doubles fonds : elle dit les mots quand son corps, son visage et ses mains disent tout autre chose. Quant à Pierre-François Garel (vu récemment en père immonde et incestueux dans le Voyage dans l’Est d’Angot et Nordey), sa diction parfaite et découpée rend à la longue son Dorante inconfortable, trop appuyé, et redonne toute son ambiguïté à ce «timbré d’amour» prêt à espionner pendant des jours une femme qui ne le sait pas. A la fin Araminte a-t-elle vraiment choisi ? Et choisi l’amour ? Questions heureusement laissées ouvertes à tout vent comme le décor le laissait présager.

Les Fausses Confidences de Marivaux, mis en scène par Alain Françon au théâtre des Amandiers de Nanterre jusqu’au 21 décembre. Puis en tournée en 2025 à Brive, Albi, Versailles, Massy, Nice, etc.

 

Sonya Faure / Libération

Légende photo : Les «Fausses Confidences» pures et parfaites d'Alain Françon valent avant tout pour le jeu des comédiens. (© Jean-Louis Fernandez)
 
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« Ici sont les dragons », le grand livre d’histoire animé d’Ariane Mnouchkine

« Ici sont les dragons », le grand livre d’histoire animé d’Ariane Mnouchkine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 déc. 2024

 

La metteuse en scène et sa troupe entreprennent le début d’un long voyage, théâtral et superbement cinématographique, fruit de sa colère éprouvée au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/02/ici-sont-les-dragons-le-grand-livre-d-histoire-anime-d-ariane-mnouchkine_6424590_3246.html


Comme souvent (comme toujours ?) chez Ariane Mnouchkine, tout est parti d’une saine et légitime colère. Colère, sidération, tristesse infinie, face à la guerre d’invasion lancée par le président russe, Vladimir Poutine, le 24 février 2022, sur l’Ukraine, et qui dure encore et encore, laissant un pays exsangue.

La colère et la tristesse ont engendré l’envie de comprendre de quel ventre avait pu sortir cette bête immonde. La directrice du Théâtre du Soleil et sa troupe se sont lancées dans une vaste recherche théâtrale sur les totalitarismes du XXe siècle qui donnera lieu à une fresque en plusieurs volets, dont ils présentent aujourd’hui la « première époque » : Ici sont les dragons – 1917, la victoire était entre nos mains.

 

La colère n’exclut pas le plaisir qui accompagne chaque excursion au Théâtre du Soleil, avec ses rituels immuables et réconfortants. Oui, Ariane Mnouchkine est bien là, sourire lumineux aux lèvres, devant l’entrée de son théâtre, pour accueillir en personne les spectateurs. Oui, la grande nef du Soleil a bien été transformée en restaurant – ukrainien, bien sûr, avec bortsch et pirojkis au menu –, et la chaleur humaine est au rendez-vous.

 

 

 

A partir de là, c’est un grand livre d’histoire animé qu’ouvrent devant nous la metteuse en scène et sa troupe. Tout commence, après l’apparition fugace d’un Poutine au visage et à la voix défigurés et déformés, en 1916, sur le front de la guerre de 1914-1918, quelque part dans le Pas-de-Calais. Et tout se finira le 5 janvier 1918, au Palais d’hiver à Petrograd, par la réunion du comité central où Lénine, Trotski et Staline scelleront le destin de l’Ukraine et de ses velléités d’indépendance. Entre les deux, c’est la révolution de 1917, et la manière dont ses idéaux vont d’emblée être dévoyés, qui sert de colonne vertébrale au spectacle.

C’est donc bien un voyage comme on aime à en vivre au Soleil que propose Ariane Mnouchkine. Voyage dans le temps et dans l’espace, où l’on saute en un clin d’œil du quartier général du tsar Nicolas II, incapable d’entendre les voix qui lui conseillent d’écouter la colère qui gronde dans son pays, au front de Picardie où un caporal nommé Adolf Hitler est miraculeusement épargné par un soldat anglais.

Rendre lisibles les rouages de l’histoire

La troupe a effectué un travail historique colossal et rigoureux, puis un travail de montage tout aussi phénoménal, pour composer un récit impeccablement et implacablement boutonné, rendre lisibles les rouages de l’histoire, la permanence de la soif de pouvoir. Se lit dans le spectacle la colère de Mnouchkine contre « le rapt opéré par une poignée de bolcheviks sur la révolution », tandis que court en ligne de fond la question du mal en politique, qui l’obsède depuis toujours.

 

Mais c’est la forme, ici, qui emporte et permet au voyage de s’accomplir. La mise en scène, superbe, déploie avec une fluidité cinématographique les lieux et les situations, tout en restant pleinement théâtrale, jouant sur une palette formelle riche et variée.

 

Selon un principe désormais bien rodé au Soleil, les décors arrivent et repartent en un clin d’œil, montés sur des roulettes, actionnés par les comédiens. Le tsar Nicolas II chevauche en compagnie de son ordonnance, Lénine débarque en train blindé en gare de Finlande à Petrograd, en avril 1917, un soldat disparaît, avalé par la neige, sans savoir s’il se trouve en Russie, en Pologne ou en Ukraine. Les ciels de Petrograd flamboient et palpitent, à l’aube ou au couchant, sur des toiles peintes ultrasensibles, discrètement animées d’images vidéo. Plaisir de ce théâtre qui ne cherche pas l’illusion et crée des atmosphères avec un art consommé de la lumière et de l’ombre.

 

 

 

Ariane Mnouchkine, par ailleurs, a opté pour un choix bien particulier : faire jouer toutes les situations dans leur langue originelle. Les comédiens ne parlent donc pas ici avec leur propre voix : ils jouent une partition corporelle sur des voix enregistrées, en un travail quasi marionnettique qui empêche le spectacle de sombrer dans le naturalisme historique et les écueils d’une reconstitution toujours problématique. Même démarche avec les masques, d’un réalisme stylisé, portés par les personnages, qui donnent à la réalité toute son étrangeté.

Une émotion indicible

Ces Dragons s’avancent donc comme un spectacle pédagogique au meilleur sens du terme, sans doute moins accessible toutefois que d’autres pièces du Soleil, où le déploiement épique pouvait permettre d’embarquer à son bord un public très large.

Il implique de par son principe même un gros travail de lecture des surtitres pour les spectateurs, qui peut mettre à distance. Mais il déplie tout du long un travail délicat et fin sur la figurine (vivante ou non), qui trouve son acmé dans le final du spectacle : les députés de la nouvelle assemblée ukrainienne de janvier 1918, qui viennent d’apprendre que la Russie bolchevique leur refuse leur autonomie, sont représentés par de minuscules poupées, filmées en gros plan dans leur stupeur figée pour l’éternité.

 

 

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Le Théâtre du Soleil crée une passerelle avec l’Ukraine
 

Cette coda provoque une émotion indicible, enfin libérée après avoir été tenue en bride au long du spectacle. « Les dragons pondent leurs œufs dans d’innombrables nids », alertent les trois Baba Yaga qui font office de chœur et ne sont pas sans évoquer les trois sorcières de Macbeth. A chacun de retenir la leçon.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE

 

« Ici sont les dragons. Première époque. 1917 : la victoire était entre nos mains ». Création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous, dirigée par Ariane Mnouchkine. Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’en avril.

 

 

 

Légende photo : Répétitions du spectacle « Ici sont les dragons », d’Ariane Mnouchkine, en novembre 2024. LUCILE COCITO / ARCHIVES THÉÂTRE DU SOLEIL

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November 30, 3:34 AM
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Eric Ruf, l’homme qui a insufflé un vent nouveau à la Comédie-Française

Eric Ruf, l’homme qui a insufflé un vent nouveau à la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Clément Ghys dans M le magazine du Monde - 30 nov. 2024

 

 

PORTRAIT     En dix ans à la tête de la Comédie-Française, l’acteur, metteur en scène et scénographe a profondément transformé l’institution théâtrale. Fin connaisseur de la maison, il a su y apaiser les tensions, et a contribué à la dépoussiérer. A quelques mois de passer le flambeau d’administrateur général, il s’attaque à l’œuvre monument de Paul Claudel, «Le Soulier de satin ».

Lire 'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/11/30/eric-ruf-l-homme-qui-a-insuffle-un-vent-nouveau-a-la-comedie-francaise_6421510_4500055.html

Marina Hands a arrêté de fumer. Elle a également cessé de boire de l’alcool et de manger du sucre. L’actrice met toute son énergie pour préparer un marathon. Mais la course dans laquelle elle s’apprête à se lancer est d’un genre particulier, elle durera plusieurs heures. Sept heures trente exactement, sur la scène de la salle Richelieu de la Comédie-Française, à Paris.

A partir du 21 décembre, la 542e sociétaire de l’institution sera Dona Prouhèze, l’héroïne du Soulier de satin, monumentale pièce de Paul Claudel datant de 1929. Des onze heures prévues par le texte intégral, le metteur en scène Eric Ruf en a gardé les deux tiers.

L’action, un amour impossible au temps des conquistadors, se déroule sur vingt ans et sur plusieurs continents. Les dialogues évoquent la foi catholique et la recherche de l’absolu, la grandeur de l’art et le poids du péché. Ce sera dur. « Eprouvant, même, précise la comédienne. Il faut adorer le théâtre pour accepter une chose pareille. » Elle sourit : « C’est mon cas. »

 

Avec elle, ils seront une vingtaine, débutants comme vétérans, à interpréter rois d’Espagne, grandes dames de la cour, suivantes, soldats et aventuriers… Tous vêtus par le couturier Christian Lacroix, tous impressionnés par cette œuvre tentaculaire et tous très fiers. Comme Birane Ba, 29 ans, dont la vocation est née quand, collégien en sortie scolaire, il était venu à la Comédie-Française. « Dans une vie d’acteur, on se dit qu’on ne jouera jamais Le Soulier de satin. Là, on atteint le Graal. »

Pièce mythique du répertoire

La pièce est si longue, si complexe à mettre en scène, qu’elle a rarement été montée. Un bon mot circule à son sujet, tantôt attribué à Jean Cocteau, tantôt à Sacha Guitry. Sortant d’une repré­sentation du Soulier de satin, l’un des deux aurait lancé : « Heureusement qu’il n’y avait pas la paire. »

 

La première a eu lieu dans le Paris occupé, en 1943 à la Comédie-Française, mise en scène par Jean-Louis Barrault, qui reprend la pièce quelques années plus tard, à l’Odéon. En 1987, Antoine Vitez marque les esprits au Festival d’Avignon et Olivier Py propose sa version au Théâtre de la Ville, en 2003. La pièce est un mythe du théâtre hexagonal, la baleine blanche des metteurs en scène.

« Ecoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. » Le soir du 21 décembre, l’apostrophe de Claudel aux spectateurs lancera la course. En coulisses, Eric Ruf observera chaque détail. L’administrateur général de la Comédie-Française depuis 2014 sait que ce Soulier marque une étape dans sa carrière.

A 55 ans, l’acteur, metteur en scène et scénographe, sociétaire depuis 1998, vit ses derniers mois à la tête de l’institution. Le 4 août 2025, son mandat arrivant à son terme et la durée totale de sa mission ne pouvant excéder onze ans, il quittera son poste. Après une décennie à tenir le gouvernail de la plus vieille institution théâtrale française, Le Soulier de satin est sa bulle d’air, son bouquet final.

 

Dans son bureau aux murs couverts du trombinoscope de la troupe et où le célèbre portrait de Molière en costume antique semble le surveiller, ses yeux de félin s’animent quand il parle de Claudel. Depuis ses années de jeunesse, quand, débarqué de Belfort, il avait intégré le Cours Florent après des études d’arts appliqués, il a « joué et rejoué, écouté et réécouté cette langue lumineuse et mystique, profonde et drôle ».

 

Claudélien comme d’autres sont shakespeariens, il dit avoir eu l’idée de monter Le Soulier de satin au printemps 2021, alors que l’épidémie de Covid-19 avait fermé les salles. Une lecture intégrale de la pièce par plusieurs comédiens de la Comédie-Française a alors été filmée et diffusée sur YouTube. « Ça aurait pu être l’Odyssée, la Bible, la Torah ou le Coran… » La journaliste Laure Adler, grande connaisseuse du théâtre et admiratrice d’Eric Ruf, se réjouit de voir « ce grand metteur en scène se lancer dans un pari supposément impossible. Il en a les capacités, avec son sens inouï de l’apaisement et de la diplomatie ».

Calmer les ego

La paix. C’est ce qu’avait promis Eric Ruf en 2014. L’institution est complexe et son fonctionnement unique au monde. La troupe, colonne vertébrale de la Maison de Molière, comporte deux grades, les pensionnaires, aujourd’hui au nombre de 23, et, au-dessus, les sociétaires, actuellement 38. Ce sont ces derniers qui votent pour l’admission des premiers au rang de sociétaires. Les rivalités peuvent être tenaces. A l’administrateur général la charge de veiller au bon fonctionnement, de calmer les ego.

Il s’agit aussi d’équilibrer la programmation des 900 représentations annuelles, d’organiser les agendas, d’alterner classiques du répertoire et auteurs contemporains. A cela s’ajoute la supervision des trois salles : Richelieu, place Colette, le Studio-Théâtre, situé dans le Carrousel du Louvre, toutes deux dans le 1er arrondissement parisien, et le Vieux-Colombier, dans le 6e arrondissement… Il faut aussi encadrer les 400 employés de la maison, divisés en plus de 70 métiers, dont beaucoup au sein des ateliers de décors et costumes.

Au début des années 2010, la Maison de Molière vit un moment compliqué. Administratrice générale depuis 2006, Muriel Mayette-Holtz (nommée par Jacques Chirac en 2006 et renouvelée par Nicolas Sarkozy en 2011) est contestée par la troupe, qui lui reproche son interventionnisme et ses choix artistiques. Le Français n’a plus la cote dans le paysage du théâtre contemporain, assurent sociétaires et critiques.

En 2014, à l’issue d’un pataquès digne d’un vaudeville qui a vu s’opposer les défenseurs de Muriel Mayette-Holtz et plusieurs candidats, le président François Hollande nomme Eric Ruf (sur proposition, comme il se doit, du ministre de la culture, à l’époque Aurélie Filippetti). S’ouvre une décennie de plus grande sérénité et de succès pour la Comédie-Française.

L’héritage de Vitez

Après vingt-trois ans d’absence, la troupe fait son retour dans la cour d’honneur du Palais des papes, à Avignon, avec une adaptation du film Les Damnés, de Luchino Visconti, mise en scène par Ivo van Hove en 2016. D’autres grands noms du théâtre contemporain viennent monter des spectacles, comme les Français Julie Deliquet et Christophe Honoré, l’Allemand Thomas Ostermeier, la Brésilienne Christiane Jatahy.

Récemment, en arrivant place Colette, Laure Adler a vu Eric Ruf accueillir les spectateurs. « La file d’attente était très longue et il passait de l’un à l’autre pour les rassurer, dire que cela n’allait pas durer. Eux ne le reconnaissaient pas, mais il tenait son poste, comme un artisan. »

 

 

Le tableau en évoque d’autres, célèbres dans l’histoire du théâtre français : Peter Brook, qui, jusqu’à sa mort, en 2022, déchirait lui-même les tickets à l’entrée des Bouffes du Nord (Paris 10e) ; Ariane Mnouchkine, elle aussi systématiquement présente pour accueillir le public à l’entrée de la Cartoucherie de Vincennes, servant de la soupe après une représentation et remboursant les spectateurs si la pièce avait été mauvaise ; Antoine Vitez, obsédé par l’idée d’un « théâtre élitaire pour tous », écoutant les réactions du public à la sortie de Chaillot.

 

Antoine Vitez… Ce sont ses traces qu’Eric Ruf essaie aujourd’hui de suivre. Mort en 1990 à l’âge de 60 ans, figure majeure du théâtre, connu pour avoir interprété les classiques de manière nouvelle, formé des générations d’acteurs et de metteurs en scène, son nom est encore omniprésent dans les conservatoires comme à la Comédie-Française (dont il a été l’administrateur de 1988 à sa mort).

 

Ruf a monté en 2022 La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, trente-deux ans après Vitez, dans la même salle Richelieu. Et le voici qui dirige Le Soulier de satin, cette même pièce grâce à laquelle Vitez a, en 1987, bouleversé le public du Festival d’Avignon. Le comédien Marcel Bozonnet (administrateur général du Français de 2001 à 2006) revoit encore « les spectateurs, emmitouflés dans des couvertures, et, au lever du jour, les hirondelles qui s’envolent au-dessus des acteurs ». Eric Ruf, qui ne l’a pas vu à l’époque, en parle comme s’il s’agissait d’un épisode mythologique : « Les acteurs s’endormaient en coulisses, à même le sol. Il fallait les enjamber, comme des corps dans un champ de bataille, pour rejoindre les planches de la cour d’honneur. »

 

 

La critique de 1987 : Article réservé à nos abonnés "Le Soulier de satin", mis en scène par Vitez : La communion avec l'aurore
 

Il s’inscrit à sa manière dans cette histoire. Pour le rôle de Don Pélage, le mari de Dona Prouhèze, qu’Antoine Vitez lui-même tenait en 1987, il a choisi Didier Sandre, qui, il y a près de quarante ans, était Don Rodrigue, l’amour impossible de Prouhèze. « Ce personnage est celui dont on me parle le plus, il n’a cessé de m’accompagner, confie le comédien au regard intense. Eric me fait un cadeau en m’offrant celui de Pélage, dont je découvre, des années après Antoine, la force. » Le théâtre est aussi fait de ces histoires intimes… La Dona Prouhèze d’Antoine Vitez, Ludmila Mikaël, est ainsi la mère de Marina Hands. « J’avais 12 ans, j’ai le souvenir précis d’être la seule enfant dans le public, raconte cette dernière. C’était vivant et c’était drôle. »

Chef de troupe et mentor

Comme son modèle autrefois, Eric Ruf fait aussi vivre des acteurs émergents. Ce qu’il était d’ailleurs lui-même à son arrivée dans la troupe, en 1993. « Des jeunes premiers aussi impressionnants, on n’en avait pas eu depuis bien longtemps », sourit Marcel Bozonnet.

Aujourd’hui, pour le rôle de Rodrigue, il a choisi Baptiste Chabauty, entré à la Comédie-Française en novembre 2023 en tant que pensionnaire et qui s’apprête à jouer pour la première fois dans la salle Richelieu. « Et pas avec n’importe quel rôle ! C’est beau d’être, à peine arrivé, plongé dans une telle histoire du théâtre », sourit l’acteur à la longue silhouette et aux cheveux blonds décolorés – « Je ne les aurai plus dans Le Soulier, Eric me l’a demandé », précise-t-il.



Avec sa haute taille, son autorité naturelle, Eric Ruf joue à merveille le rôle de chef de troupe qui tente de désamorcer les moments de tension avec une blague. En répétition, ce jour d’octobre dans un sous-sol du théâtre, une expression de Claudel, « reprendre son âme », déstabilise les comédiens. « Je n’y comprends rien, s’amuse Eric Ruf. Est-ce qu’il y a des catholiques dans la salle ? »

Surtout, il apprécie d’être un mentor. « Je m’adapte aux acteurs, explique-t-il. Marina, que je connais très bien, est comme un pur-sang pour qui je dois trouver le bon terrain. Avec Baptiste, c’est différent. » Il lui donne des conseils pratiques. « Dis le texte sans y penser, comme si tu récitais une formule mathématique. Deux plus cinq fois quatre plus cent divisé par six… » Baptiste Chabauty s’exécute. Le metteur en scène lui demande d’élever la voix : « Pense au public. Il est là depuis cinq heures, il s’endort. Il faut le réveiller un peu. »

 

Même attention pour Edith Proust, la petite nouvelle de la troupe, entrée en avril. Elle joue la suivante de Dona Prouhèze. La jeune femme est impressionnée. « Mais je suis avec des pros, sourit-elle. Marina, une très grande dame du théâtre, m’emmène. Et Eric me guide. » Quand, au cours d’une scène, elle fait tomber une chaise, le metteur en scène fait une plaisanterie, comme pour la rassurer : « On va la laisser comme ça, on dira que c’est ma scénographie. »

Des comédiens « bankables » au cinéma

En dix ans, il a fait entrer de nombreux pensionnaires. Sa plus grande fierté est « l’ouverture à la diversité » : « C’est Marcel Bozonnet qui avait lancé cet élan révolutionnaire. Je l’ai suivi. Des acteurs noirs comme Birane Ba, Claïna Clavaron, Séphora Pondi ou Sefa Yeboah sont arrivés. C’est capital de les considérer comme ce qu’ils sont, d’excellents comédiens, et de leur donner des rôles classiques. »

Ainsi de Birane Ba, qui s’apprête à jouer plusieurs rôles, dont celui du vice-roi de Naples. Il salive déjà à l’idée de ces moments où, assis en coulisses entre ses scènes, il ne perdra pas une miette des interprétations de ses camarades. Les jeunes assistent, fascinés, à l’aisance de leurs aînés. Ainsi de Serge Bagdassarian, sociétaire haut en couleur. Il répète une scène comique, puis décrit son costume : « Christian Lacroix m’a dessiné une gambas royale. C’est merveilleux. Mon chapeau ? Un Annapurna ! » Eclat de rire général.



Eric Ruf tient à faire de ces répétitions joyeuses le symbole de l’esprit apaisé qu’il a voulu insuffler à la Comédie-Française. Longtemps, la troupe s’est écharpée au sujet des « congés », ces moments accordés par l’administrateur général, au cours desquels pensionnaires et sociétaires allaient jouer dans d’autres théâtres ou dans des films.

La direction doit trouver le bon dosage entre des absences à volonté, qui font exister la troupe par le biais de la mention « de la Comédie-Française » dans les génériques, et un agenda plus contraint, nécessaire à un bon fonctionnement. « Quand je suis arrivé, seule une poignée de sociétaires tournait des films. Aujourd’hui, ils sont partout », se réjouit Ruf.

Certes, les grands noms (Denis Podalydès, Guillaume Gallienne, Michel Vuillermoz…) brillent, mais d’anciennes jeunes pousses ont réussi à se faire une jolie place : Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux… Au point que certains ont même quitté la Comédie-Française pour se consacrer au cinéma, tels Rebecca Marder, en 2021, et Laurent Lafitte, en 2024. Eric Ruf est ravi : « La troupe est bankable pour les directeurs de casting. »

Quel successeur pour le « jardinier » Ruf ?

Mais c’est une autre audition, très discrète, qui se joue en ce moment. Le Tout-Paris de la culture s’interroge sur le nom de son successeur, qui sera désigné par le locataire de l’Elysée. Le producteur de spectacles Jean-Marc Dumontet, proche du couple présidentiel, assure que « Brigitte et Emmanuel Macron sont des passionnés de théâtre et de la Comédie-Française ». « Ils s’y rendent souvent et le président suit de très près le dossier », dit-il. Selon l’usage, la nouvelle nomination devrait être annoncée peu de temps avant le départ d’Eric Ruf, soit au début de l’été.

Dans les couloirs de la Comédie-Française ou à la terrasse du Nemours, café de la place Colette où la troupe a ses habitudes, on se perd en conjectures. L’acteur et metteur en scène Clément Hervieu-Léger, 47 ans, serait candidat et aurait les faveurs de la troupe. D’autres noms, qui ne sont pas issus du Français, circulent.

Les questions se multiplient : Emmanuel Macron suivra-t-il, sur ce sujet précis, la proposition de la ministre de la culture, Rachida Dati ? Et écoute-t-il Guillaume Gallienne, l’une des rares personnalités culturelles présentes à son investiture, en mai 2022 ? Ou l’acteur et metteur en scène Christian Hecq, dont il apprécie le travail ?

 

Eric Ruf, de son côté, se dit « prêt à donner son avis » au ministère ou à l’Elysée : « Je pourrais faire mine de ne pas vouloir savoir, mais nous avons la chance d’avoir une maison qui va bien. Autant en profiter pour que le tuilage se déroule correctement. » Il sait qu’à un moment « la tutelle [le ministère et l’Elysée] va me demander mon avis ». A-t-il un candidat en tête ? Il assure que non.

Il se souvient de ses propres mots à François Hollande, lors de son entretien de candidature : « Vous avez le choix entre un jardinier et un paysagiste [Eric Ruf, donc, et le metteur en scène Stéphane Braunschweig]. Entre quelqu’un qui n’est peut-être pas révolutionnaire, mais qui connaît très bien le terrain, qui sait comment réagit l’humus, qui a l’historique des lieux, et un autre qui a une magnifique vision d’ensemble, mais qui risque de faire des erreurs avec les plantes. » Le pragmatisme l’avait emporté. L’époque est-elle la même ? Il ne répond pas, mais semble pencher pour qu’un « jardinier » – quelqu’un de la troupe – lui succède. Et donc, Clément Hervieu-Léger.

« Par les temps qui courent, assure Eric Huf, Il faut savoir naviguer dans le monde politique, avoir quelques numéros de téléphone. Les montées de sève idéologiques, ce n’est pas nécessaire. » Sans le démentir, Laure Adler précise néanmoins : « C’est formidable que des jeunes metteurs en scène, des gens qui ont une vision nouvelle, candidatent à la Comédie-Française. Cela dit la vitalité de l’institution. » Jean-Marc Dumontet, adepte du « en même temps » macroniste, assure qu’il faut « mêler la tradition et l’audace ».

Incertitudes budgétaires et politiques

La réalité, elle, est incertaine. En avril, dans le cadre d’une baisse de crédits de 204 millions d’euros pour le ministère de la culture, la Comédie-Française s’est vue amputée d’une enveloppe de 5 millions d’euros, le budget de 24,6 millions d’euros devant être conservé pour l’année 2025. D’autres institutions parisiennes (l’Opéra, le Louvre, les théâtres nationaux de Chaillot et de la Colline, entre autres) ont également été affectées.

Eric Ruf connaît « les coups de bambou des décisions budgétaires ». « La très grande déception » de ses mandats, comme il dit lui-même, aura été l’échec de la Cité du théâtre, ambitieuse opération lancée par François Hollande en 2016, visant à réunir sur le site des Ateliers Berthier (Paris 17e), le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, de nouveaux espaces pour le Théâtre national de l’Odéon (déjà présent dans les lieux) et une nouvelle salle pour la Comédie-Française. Le budget ayant explosé et les pouvoirs publics étant terrifiés par des accusations de parisianisme, le projet a été abandonné à l’automne 2023. « Je ne peux que souhaiter au Français d’avoir, enfin, cette nouvelle salle tant attendue. »

 

En deux mandats, Eric Ruf aura vécu deux élections présidentielles, au cours desquelles Marine Le Pen a, à chaque fois, accédé au second tour. Lui-même a, à plusieurs reprises, évoqué la figure de son père, cardiologue à Belfort, homme de haute culture et adhérent du Front national (aujourd’hui Rassemblement national).

 

En mai 2017, dans l’entre-deux-tours, il écrit dans Le Figaro une tribune où il raconte, « pour l’avoir vécu (intimement), ce que donneraient des générations nourries au lait empoisonné du Front national ». Il confie alors : « Mon père était un homme peu aimable, je l’ai aimé, je suis son fils, mais il m’a malheureusement légué une grande part de ses angoisses et de son incapacité au monde. (…) Mon métier, le théâtre, m’a sauvé. »

En 2027, son successeur verra-t-il sa tutelle passer à l’extrême droite ? Place Colette, l’angoisse est la même que dans les autres institutions patrimoniales (Le Louvre, l’Opéra…), où l’on craint l’ingérence d’un pouvoir qui les instrumentaliserait et en ferait les modèles d’une culture française étroite et cocardière.

Richelieu dans « Les Trois Mousquetaires »

La dernière du Soulier de satin aura lieu le 13 avril. Quelques mois plus tard, Eric Ruf quittera Molière et son bureau. Il assure ne pas savoir ce qu’il va faire. Diriger un autre théâtre ? « Aucun ne vaut la Comédie-Française. » Il ne balaie pas l’idée de prendre la tête d’une école, d’une maison d’art lyrique.

Devenu sociétaire honoraire au Français, titre prestigieux, il aimerait continuer d’y jouer et d’y faire des scénographies. Il voudrait faire plus de cinéma : l’exposition que lui a apportée son rôle du cardinal de Richelieu dans les deux volets des Trois Mousquetaires (2023), de Martin Bourboulon, n’est pas pour lui déplaire.

Sur un mur qui jouxte le bureau de l’administrateur général, une plaque de marbre porte le nom de tous ceux qui ont dirigé la troupe, de Molière à Muriel Mayette-Holtz, Antoine Vitez inclus. Il n’y a plus de place pour aucun nom. Un panneau sera alors installé sur le mur d’en face, avec celui d’Eric Ruf inscrit en lettres dorées. Il sera en bois. « Le marbre, ça fait monument aux morts. Là, c’est une page qui se tourne et une autre qui s’ouvre. » Pour lui comme pour la troupe.

 

Clément Ghys / Le Monde

 

Légende photo : Eric Ruf  Photo © BENJAMIN MALAPRIS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

 

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November 29, 5:31 AM
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Avec « Transfiguration », Olivier de Sagazan défigure des visages

Avec « Transfiguration », Olivier de Sagazan défigure des visages | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 29 nov. 2024

 

 

Le plasticien et metteur en scène, dont la performance « Transfiguration » a fasciné le public du monde entier, à l’exception de la France, sera exceptionnellement à l’affiche du Samovar, à Bagnolet, le 2 décembre.

 

Lire l'article sur le site du "Monde"  :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/29/avec-transfiguration-olivier-de-sagazan-defigure-des-visages_6419695_3246.html

Comment est-ce possible ? Shanghaï en Chine, Belo Horizonte au Brésil, Glasgow en Ecosse, Winnipeg au Canada… La liste des villes visitées par le plasticien et metteur en scène Olivier de Sagazan avec sa performance Transfiguration, créée en 1998, fait le tour du monde. Et plutôt deux fois qu’une. La vidéo sur YouTube de cette sidérante métamorphose mi-chair, mi-boue d’un homme en costard atteint 6,5 millions de vues. Curieusement, un pays semble résister à la fascination : le sien.

 

 

Très peu de dates en France et une majorité dans des lieux confidentiels, dont le Silencio, à Paris, sur une invitation de David Lynch, et aucune reconnaissance institutionnelle pour cet artiste au geste sauvage. « Sur plus de 400 représentations, il y en a eu à peine une dizaine chez nous, précise Sagazan. Je pense que mon travail échappe au texte et au théâtre chers à la culture française, ainsi qu’au rationalisme à la Descartes qui est le nôtre. L’union du corps et de l’âme dans lequel je crois trouble beaucoup. »

Questionner le visage

Incroyable mais vrai, une soirée pointe son nez avant la fin de l’année. Lundi 2 décembre, Olivier de Sagazan sera à l’affiche du Samovar, un lieu modeste de quelque 120 places, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). « Il appartient au réseau FLAG, Festival et lieux des arts du geste, qui réunit des programmateurs qui me soutiennent, dont le Théâtre de Châtillon, indique-t-il. Heureusement, je donne de nombreux ateliers à des jeunes. Le paradoxe est qu’on parle souvent de mon travail sans savoir qu’on parle de moi. »

Il cite différentes personnalités avec lesquelles il a collaboré, dont Mylène Farmer, le cinéaste Ron Fricke, le styliste Gareth Pugh ou le chorégraphe Wim Vandekeybus. En mode plus doux, il joue auprès du comédien David Wahl, qu’il enveloppe de 50 kilogrammes d’argile et de fleurs dans Nos cœurs en terre. « C’est toujours intéressant pour moi de voir comment Transfiguration se métamorphose au contact d’un texte, de la danse, de la mode, glisse-t-il. Même si c’est en quelque sorte une adaptation de la performance originale. »

 
 
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Sur scène, David Wahl fait sortir les mots de terre
 

Vivre et revivre le choc de Transfiguration, sous-titré De la sainte-face à la tête-viande, n’altère pas son impact féroce. La première fois explose sans prévenir pendant le spectacle pour six interprètes intitulé La Messe de l’âne, présenté à la Biennale de la danse de Venise, en 2021. Pas loin d’un film d’horreur ou de science-fiction, mais sans effets spéciaux, cette fable déplie une guirlande de créatures et de monstres dont les museaux de glaise malaxés en direct se font et se défont d’un revers de main. « C’est ce que Beckett appelle l’innommable », souligne Sagazan, également lecteur passionné de Merleau-Ponty, Artaud, Kafka et Renaud Barbaras.

 

 

Avec seulement de l’argile blanche, de la peinture noire et rouge « comme nos ancêtres dans les grottes », Olivier de Sagazan convoque la forme et l’informe. Il questionne le visage, ce masque, y pénètre, en fouille les orbites, le défigure. Il débusque la bête dans l’homme et inversement, s’amuse en joker balafré ou revisite Eraserhead, de David Lynch. « Je travaille à l’aveugle, décrit-il. Je disparais et me déconnecte du réel dans un état de transe jouissif. Je ne suis plus que dans le toucher, à la fois marionnette et marionnettiste, et je ne sais plus qui transforme qui. Le mouvement alors m’envahit. » Peinture, sculpture et danse ne font plus qu’un « dans ce bain originel, cette relation amoureuse avec l’argile ».

 
 
Lire la critique (2021) : Article réservé à nos abonnés Avignon : la science éveillée de David Wahl
 

Le philosophe Michel Surya nomme « humanimalité » cette performance durant laquelle Olivier de Sagazan devient sa propre œuvre d’art qui semble défier l’idée même de création, de magma. « Il y a cette fascination d’être au monde et de vouloir comprendre d’où vient le vivant apparu il y a quatre milliards d’années, explique Sagazan. C’est terrifiant comment on fait tous comme si de rien n’était, alors qu’on est apparu sur terre sans avoir la moindre explication. » D’où l’objectif de « rendre compte de l’étrangeté même d’être là en réveillant à travers des images fortes et inquiétantes la prise de conscience d’être en vie ».

 

Transfiguration relie les différentes périodes d’Olivier de Sagazan. D’abord biologiste, il enseigne cette matière durant deux ans, de 1984 à 1986, au Cameroun. Juste avant de partir, il tombe sous le choc d’œuvres de Rembrandt. « Je suis resté des heures à contempler les visages qui possèdent une humanité incroyable, se souvient-il. Il y a une douceur et une bonté fantastiques dans leurs traits, tandis que la touche de Rembrandt est épaisse, avec beaucoup de matière et donne l’apparence de la chair véritable. »

« Du Bacon en action »

De retour d’Afrique, Olivier de Sagazan décide de devenir peintre. « Je devais être instituteur comme ma femme, Gaëlle, qui m’a encouragé à faire ce que je désirais. » C’est un constat d’impuissance devant une de ses sculptures qui le fait chavirer. En juin 1998, dans son atelier à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), il se désespère devant une figure « d’un mutisme terrible ». Il entreprend de se couvrir lui-même d’argile. Il se filme, puis prend sa douche sans regarder le résultat. Jusqu’au jour où l’une de ses cinq filles, Yoko – il est le père de la chanteuse Zaho de Sagazan et de la chorégraphe Leïla Ka –, lui dit qu’elle a vu « un truc bizarre sur la caméra vidéo ». Il jette un œil. « J’ai cru voir du Bacon en action. »

Le rapprochement avec le plasticien irlandais, une autre de ses références, claque immédiatement. La sensation d’assister à l’arrachement à soi d’un personnage de Bacon dont le visage est trituré par ses multiples identités est de fait stupéfiante. « Certaines peintures de Bacon m’ont marqué à jamais car elles sont selon moi les représentations les plus efficaces et incroyables de cette tension entre le réel objectif et notre sentiment de solitude intérieure », confie-t-il.

 

 

Si l’ensevelissement et la disparition ne font pas peur à Olivier de Sagazan, il a tout de même eu un gros frisson lors d’une répétition en août de sa nouvelle pièce, Y a quelqu’un ?. Il s’y enterre sous une tonne d’argile. « Je creuse un trou et je me glisse dedans », raconte-t-il. Sauf que la masse s’est effondrée et a failli l’étouffer. « Heureusement, j’avais gardé la tête à l’extérieur. » De ce glissement de terrain de 200 kilogrammes, il émerge au bout d’une dizaine de minutes. Plus de peur que de mal. L’Homme de boue, comme il se présente dans le film qui lui est consacré réalisé par Alexandre Degardin, veut bien l’être, mais en restant debout.

 

 

Transfiguration, d’Olivier de Sagazan, le 2 décembre, au Samovar, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ; L’Homme de boue, d’Alexandre Degardin (Fr., 2024, 51 min), diffusé en replay sur France.tv ; Exposition Olivier de Sagazan, jusqu’au 28 février, au Salon Tout-Art, Paris 14e ; « Transfiguration », du 28 janvier au 1er février, au Théâtre et Centre culturel de Namur (Belgique) et exposition « De la sainte-face à la tête-viande », du 16 janvier au 22 février.

 

 

Rosita Boisseau / Le  Monde 

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November 29, 3:49 AM
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Werner Herzog, il était un froid 

Werner Herzog, il était un froid  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 28 nov. 2024

 

Bruno Geslin adapte le récit du voyage à pied du cinéaste et écrivain allemand entre Munich et Paris, «Sur le chemin des glaces», dans un soliloque exaltant porté par une composition musicale live.

 
 

Le cinéaste et écrivain Werner Herzog n’est pas seulement à Beaubourg grâce à une rétrospective de ses films les plus rares tournés entre 2010 à 2020. Il n’est pas seulement rivé solitairement à sa table de travail en train d’écrire de futurs chefs-d’œuvre ou d’y songer. Il n’est pas seulement occupé à tacler les journalistes qui osent évoquer sa filmographie et non son œuvre littéraire. Il est aussi au théâtre, du moins l’un de ses récits les plus remarquables, Sur le chemin des glaces, journal d’une marche de 775 kilomètres entre Munich et Paris et en ligne la plus droite possible, pour conjurer le sort : rejoindre une amie, l’historienne et conservatrice à la cinémathèque Lotte Eisner, très malade, afin qu’elle ne meure pas. Elle ne mourra pas, ou seulement dix ans plus tard. Ce voyage, Herzog l’a réellement effectué, avec pour seule arme une boussole et une carte, dormant où il pouvait, sous un Abribus, une «roulotte» servant à entreposer le bois, des granges, coupant les virages pour éviter la «laideur» des routes fréquentées, bénissant sa casquette et maudissant «la Création» pour tant de «neige, neige, pluie-grésil, pluie-grésil». Martelant parfois cette question : «A quoi bon tout ça ?» Le texte envoûte. L’adaptation scénique qu’en propose Bruno Geslin est absolument fidèle en ce qu’elle provoque également un état d’hallucination mentale, d’oubli de soi, de voyage exténuant et existentiel, alors qu’on n’est jamais que sur un siège dans une salle assez confortable et chauffée.

Eprouver l’expérience

Sur le plateau, le soliloque incarné par Clément Bertani tient de la transe et du voyage intérieur. Quasiment pas d’éléments de décor, mais une musique en live jouée par Guilhem Logerot et Pablo Da Silva, légèrement surélevés. Des pulsations, le rythme d’un cœur qui bat de plus en plus fort, puis des harmonies jusqu’à devenir vocales et chantées. En guise de route, un tapis de marche, de ceux qui transforment les humains en hamsters dans leur roue. Un homme marche. Il marche dans le blizzard, le froid, la neige, les projections vidéo en noir et blanc l’englobent et le frappent tel un paquet de neige. Il marche à pas ininterrompu des journées durant, avec ce but précis et cette croyance irrationnelle que ses pas maintiendront en vie son amie. Ce trajet, Clément Bertani, Bruno Geslin et Guilhem Logerot l’ont fait, entrant dans les traces de Werner Herzog du 23 novembre au 23 décembre 2023. Eux aussi éclusant une trentaine de kilomètres par jour sous des conditions météorologiques diverses et rudes, quoique sans doute différentes. Eprouver l’expérience n’est pas une coquetterie. Elle permet de la rendre tangible au plateau.

 

 

Werner Herzog avait déjà fait de multiples voyages à pied lorsqu’il entreprit ce périple fin novembre 1974. Alors dans la trentaine, il avait déjà tourné son film le plus connu, Aguirre ou la colère de Dieu avec son ennemi intime Klaus Kinski. Lotte Eisner, à l’époque, on ne la présentait pas : écrivaine, historienne de cinéma, conservatrice à la Cinémathèque française, amie d’Henri Langlois, mais aussi de Brecht et de Kurt Weill. Werner Herzog en était persuadé : si Lotte Eisner mourait, c’est tout le cinéma allemand et peut-être son renouveau – cette décennie 1970 voyant éclore les films de Wim Wenders, Rainer Werner Fassbinder et Volker Schlöndorff – qui disparaîtrait avec elle. Et aujourd’hui ? Quelle marche pour sauver quoi ?

 

 

Sur le chemin des glaces d’après Werner Herzog mis en scène par Bruno Geslin les 28 et 29 novembre à Malakoff (Hauts-de-Seine), le 30 janvier à Pau, et les 5 et 6 février à Albi, les 26 et 27 mars à Douai (Nord). Suite de la tournée en construction.

 

 

Anne Diatkine / Libération

 

Légende photo : Bruno Geslin a choisi un décor réduit pour son adaptation de «Sur le chemin des glaces» de Werner Herzog. ( © Sandy Korzekwa)

 
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November 27, 5:22 PM
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Avec « Ici sont les dragons », Ariane Mnouchkine sur le pied de guerre

Avec « Ici sont les dragons », Ariane Mnouchkine sur le pied de guerre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Reportage de Joëlle Gayot / Le Monde  - 27 nov. 2024

 

RÉCIT

Pour la première fois en soixante ans à la Cartoucherie, la metteuse en scène et directrice du Théâtre du Soleil a accepté d’ouvrir la porte des répétitions à la presse. Immersion dans les coulisses d’« Ici sont les dragons », sa nouvelle création jouée à partir du 27 novembre et inspirée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/27/avec-ici-sont-les-dragons-ariane-mnouchkine-sur-le-pied-de-guerre_6416612_3246.html

En soixante ans de présence à la Cartoucherie du bois de Vincennes, à Paris, jamais la metteuse en scène n’avait ouvert la porte des répétitions à la presse. Cette porte, nous la franchirons semaine après semaine avec d’autres visiteurs : classes de lycéens, amis de passage ou compagnons de route, comme l’autrice Hélène Cixous. Si cette dernière n’a plus écrit de pièces pour la troupe depuis Les Naufragés du fol espoir (2010), elle n’est pas absente pour autant. Conseils ou relectures, elle collabore « en harmonie » aux créations collectives.

 

Fidèles au poste eux aussi, des collégiens venus et revenus en train de Bourgogne, qui, chapeautés par leur professeur de français, ont même dormi dans la place. « Madame Mnouchkine, s’exclame l’un d’eux, même lorsque la répétition est excellente, vous trouvez toujours des problèmes à résoudre. » Cette définition sur mesure du métier de metteur en scène déclenche l’hilarité. Ce mardi 1er octobre, la journée a été fructueuse. L’humeur est bonne. « C’est difficile le théâtre, mais c’est amusant », dit l’artiste avec un sourire.

Ruche hyperactive

Depuis septembre, par temps froid ou soleil vif, du petit matin jusqu’à la nuit tombante, nous avons donc suivi la fabrication du dernier-né de la troupe du Soleil, Ici sont les dragons. Première Epoque. 1917. La Victoire était entre nos mains. Après six mois d’une intensive préparation collective entamée le 1er avril, ce « grand spectacle populaire inspiré par des faits réels » (dixit le programme) sort du bois pour se montrer au public. Etayée par des événements historiques, portée par une forme puissamment théâtrale, la fresque découle en droite ligne de l’actualité : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022.

 

« Comment est-il possible qu’on ait laissé faire ? », s’est demandé Ariane Mnouchkine, bien convaincue que, pour comprendre la nature de l’agression, il fallait scruter de près la naissance des totalitarismes. « Nous aurions pu remonter à l’émergence de l’impérialisme russe, mais février 1917, qui acte la fin d’un monde et le début d’un autre – le nôtre –, s’est imposé. » Elle a donc restreint ses investigations à l’irruption du bolchevisme en Russie et renvoyé à une Seconde Epoque ses incursions vers la seconde guerre mondiale.

 

En 1917, l’Allemagne mène la guerre. A l’ouest contre la France et ses alliés, à l’est contre la Russie que gouverne, pour peu de temps encore, le tsar Nicolas II (il abdique le 15 mars). Hitler est caporal sur le champ de bataille, quant à Lénine, il s’apprête à prendre le pouvoir, à plier la révolution sous sa botte et à tuer dans l’œuf l’utopie de la démocratie. « Pour pouvoir envisager qui est Vladimir Poutine, nous devions comprendre de quel ventre, encore fécond, il sortait », explique Ariane Mnouchkine.

 

 

Le Théâtre du Soleil est devenu l’antre de ce ventre. Une ruche hyperactive où ressuscitent des protagonistes qui ont réellement existé et dont la mémoire a retenu (ou pas) les noms. Vladimir Ilitch Lénine, Léon Trotski, Alexandre Kerenski, Irakli Tsereteli ou encore Félix Dzerjinski : pour le meilleur ou pour le pire, tous ont pesé sur le cours de l’histoire. Quant aux femmes, « il ne manquerait plus qu’elles ne soient pas là », s’indigne la metteuse en scène, 85 ans, qui a pris soin de ne pas les invisibiliser.

 

Toque sur la tête et col de fourrure, la comédienne Shaghayegh Beheshti promène sa silhouette d’aristocrate déchue et digne dans une rue reconstituée de Petrograd : « Je voulais, en évitant les clichés, être une femme qui incarne la perte d’un monde. Même si elle pense que la Révolution russe est celle de paysans, d’ouvriers et de domestiques analphabètes, elle ne maltraite pas sa bonne pour autant. » Un trio de comédiennes assume une narration poétique de la fable. Elles passent, repassent, hantent les lieux de leurs apparitions prophétiques. Repliée entre les gradins et la scène, derrière une table de régie, Hélène Cinque reprend une partition qu’elle connaît bien, pour l’avoir déjà jouée dans Une chambre en Inde (2016) et L’Ile d’or (2021). Elle est Cornelia, le double fictif de Mnouchkine, la clé qui relie passé et présent.

Pratique du circuit court

Le Soleil est un paquebot en surchauffe qui transporte à son bord 76 personnes dont les compétences s’articulent avec fluidité. Pas une pensée, un mot, un geste, qui ne converge vers le plateau. De 9 h 15 (heure à laquelle arrivent les équipes pour s’échauffer aux cours de Pilates) jusqu’à 18 h 30 (voire plus tard lorsque approche la date de la première publique), chacun sait ce qu’il a à faire. Veiller à la bonne marche de la maison : c’est la responsabilité du codirecteur, Charles-Henri Bradier. Assister la metteuse en scène : la mission d’Alexandre Zloto. Cuisiner et sonner la cloche lorsque le déjeuner est prêt : celle des chefs cuistots Karim Gougam et Azizullah Hamrah.

 

 

Déménager, les jours de « chantier », le mobilier inutile qui regagnera l’entrepôt de stockage à Evreux. Repeindre les murs du hall d’accueil pour qu’ils concordent avec la période et le thème traités. Poncer, percer, enduire, souder. De la menuiserie : poussés sur des châssis à roulettes sortent des façades, des palissades, des bunkers enneigés, des guérites, des canapés, des trains et même des encolures de cheval. Concepteur des décors, David Buizard en a construit une dizaine dont certains serviront pour la Seconde Epoque encore en gestation : « Je pars des croquis de Sibylle Pavageau, je dessine les volumes, je bâtis le décor, Eléna Antsiferova le patine avec des couleurs ou des matières. Une fois l’élément validé par Ariane, il repart en peinture. L’atelier est un bel outil qui nous permet de gagner un temps fou. »

 

 

 
 
 

Au Soleil, la pratique du circuit court démontre, en temps réel, son efficacité. A peine la metteuse en scène regrette-t-elle l’absence d’un réverbère qu’il surgit des coulisses. A peine suggère-t-elle d’agrandir une palissade que celle-ci gagne de l’envergure. Personne ne procrastine, et les problèmes, autant que faire se peut, sont résolus dans le quart d’heure. « Lumières, sous-titres, vidéo, jeu, costumes, textes… Ariane règle tout en même temps. C’est un travail total qui évite les pertes de temps », témoigne Arman Saribekyan.

 

Droit devant son micro sur pied, cet acteur bilingue profère, en russe, des mots que les comédiens en scène (qui restent mutiques de bout en bout, Hélène Cinque excepté) n’ont pas à prononcer. Ils en savent pourtant le contenu sur le bout de leurs doigts. Le spectacle est donné en version originale sous-titrée. Anglais, allemand, français, russe, ukrainien, les paroles qui résonnent sont préenregistrées dans les langues originelles.  « Il ne s’agit pas vraiment de play-back, nuance Duccio Bellugi Vannuccini, un pilier historique de la troupe, mais d’un jeu avec nos personnages. Nous travaillons la musicalité. Nous ne sommes pas dans le quotidien. Le corps doit raconter ce que dit la voix, la voix doit dire ce que raconte le texte. »

Un exercice de haute voltige que décuple le port des masques (une tradition à laquelle le Soleil ne déroge pas). Marionnettes consentantes, les acteurs sont les hôtes d’altérités qu’ils adoptent au point que les identités se confondent. C’est après bien des tâtonnements et des ajustements que s’épanouissent les personnages. « Les masques sont capricieux. Il faut les observer, les étudier, fraterniser avec eux pour qu’à leur tour ils guident les comédiens. Ils sont nos maîtres », note Arman Saribekyan.

Savoir historique

Quelques-uns de ces « maîtres » sont conçus par l’équipe de Xevi Ribas. Un commando perché sur une mezzanine à deux pas de la cantine, et qui manie à tour de bras la résine et le silicone. Mais le nec plus ultra des masques (ceux que portent les têtes pensantes de la révolution) surgit des mains d’Erhard Stiefel. Collaborateur du Soleil depuis 1975, le sculpteur suisse n’exerce pas sa créativité au cœur du réacteur. Il opère dans une pièce chaleureuse qui jouxte l’atelier costumes. Le bâtiment, une longue nef blanche, est replié à une centaine de mètres de la maison mère, « et c’est tant mieux, car, là-bas, c’est l’enfer alors qu’ici on travaille au calme ».

 

Les ciseaux de Marie-Hélène Bouvet claquent sous ses doigts habiles. Patrons, découpes et retouches… la couturière improvise avec les moyens du bord. Les uniformes de militaires sont taillés dans de la peau de chameau. La tunique des cosaques ? Des robes de curé customisées par une cape et une toque. « Rien ne se perd, tout se récupère » : telle est la devise des costumières qui gagnent la répétition d’un pas vif pour « savoir ce qu’y dit Ariane » et réagir en conséquence. Autonome, engagée et responsabilisée, l’équipe au grand complet ne se démobilise jamais.

Depuis des mois, les comédiens compulsent des ouvrages historiques et affinent leur connaissance de l’année 1917. Les livres s’entassent dans les loges entre miroirs, poudriers et perruques. Ils colonisent la salle d’étude propice aux cogitations communes. Lénine, l’inventeur du totalitarisme russe, de Stéphane Courtois, Pensées intempestives. 1917-1918, de Maxime Gorki, Mémoires de la grande guerre, de Winston Churchill… impossible de citer tous les titres. Et c’est compter sans les annexes documentaires dont regorge la « marmite », un espace de ressources en ligne qu’alimente l’acteur Sébastien Brottet-Michel, rompu, comme ses camarades, à une étourdissante polyvalence des tâches à mener.

 

 

Les 32 comédiens de la troupe planchent en universitaires et enquêtent en journalistes. Ils ingèrent et digèrent un savoir historique appelé à devenir matière artistique. A eux de transformer la théorie en théâtre et de donner du corps à l’idéologie. A eux d’extirper des pages imprimées la foule d’individus, le flux de propos et le flot d’actions que nécessite la représentation. Dans Ici sont les dragons, pas un propos ne relève de la pure fiction. Discours politiques, courriers intimes, invectives urbaines, tractations de bureau : tout ce qui se proclame sur le plateau a déjà été dit ou écrit à un moment précis de l’histoire. Tout peut donc être sourcé : « La vérité des faits a été trop trahie. Cette histoire est celle d’un mensonge de dimension planétaire dont nous subissons encore les conséquences », affirme Ariane Mnouchkine.

« Fabriquer des micropièces »

Ce processus de travail a ses règles. Parmi celles-ci : le « concoctage ». Un néologisme cousu main pour désigner un temps d’incubation qui peut prendre des jours ou des semaines. Solitaires ou en bande, les interprètes activent leur imagination. Un œil sur la réalité des faits, l’autre sur les possibles de la représentation, ils échafaudent des séquences de jeu qui étaieront la mise en scène en respectant la trame donnée par Ariane Mnouckhine. Quel personnage étoffer, quelle ligne narrative déployer ? Leaders ou seconds couteaux, paysans ou ouvriers, dialogues ou monologues : leurs idées deviennent des visions, et leurs visions des propositions.

 

 

Cooptée lors d’un stage, en avril, Elise Salmon, qui a laissé derrière elle une carrière d’orthophoniste pour devenir actrice, explique la méthode : « Nous fabriquons des sortes de micropièces avec amorces de costumes, de lumières et de décors. Dans l’idéal, elles développent un enjeu, des états forts, des relations entre les personnages, une dynamique, une musicalité. Nous travaillons ces propositions entre nous avant de les présenter à Ariane. » C’est Mnouchkine seule qui a le « final cut ». Pas une image n’apparaît au public qu’elle n’ait, au préalable, améliorée et validée. Pas une phrase énoncée qu’elle n’ait supervisée. Tôt le matin et tard le soir, seule devant son ordinateur, elle examine le manuscrit de la pièce, pourchasse ses approximations, affine ses transitions et va jusqu’à traquer les virgules superflues.

Début octobre. L’équipe fait face à une impasse. Que s’est-il passé exactement en Russie d’avril à octobre 1917 ? « Cette séquence nous pose des problèmes », témoigne le comédien aguerri Maurice Durozier : « Le déroulé des événements est confus, nous ne savons pas comment les raconter. Nous devons trouver une solution théâtrale pour ne pas perdre le fil de l’histoire. » Invité dans la salle d’étude, l’historien Stéphane Courtois fournit des éclaircissements. Deux heures d’échange à l’issue desquelles une piste semble se dessiner : « Ce fameux trou, conclut Mnouckhine, nous pourrions sans doute l’entreprendre par le biais de témoins français, afin que ce soit eux qui nous guident à travers le labyrinthe de la politique russe. »

Substance souterraine

Pas le choix, il faut reprendre son bâton de pèlerin. Lire, réfléchir, concocter. Le résultat est là. 17 octobre à 14 heures : neuf propositions sont sur le feu. « Mais c’est Noël », s’exclame, ravie, la cheffe de bande. « Les acteurs ont pensé que c’était leur dernière chance d’avoir une scène », lui répond du tac au tac la régisseuse (et actrice) Aline Borsari. Le fait est : si certains comédiens sont très bien distribués, d’autres n’auront pas cette chance. « On sait qu’on est au service d’une œuvre collective, nos ego doivent être placés au bon endroit », rappelle, fort de sa longue expérience, Vincent Mangado. Le narcissisme n’a pas sa place dans les murs. Engagé au printemps, Jean Schabel avait peaufiné pied à pied une séquence finalement rejetée, car devenue caduque : « J’espérais jouer l’un des concepteurs des fours crématoires. La seconde guerre mondiale n’étant plus au programme, j’ai dû renoncer. Une fois passée la frustration, j’ai compris qu’il me fallait lâcher prise sur mon désir d’être au premier plan. Ici, j’apprends à ne pas focaliser sur moi-même. »

 



Ces tentatives avortées ne sont pas renvoyées au néant. Qu’elles soient exploitées ou pas dans la Seconde Epoque, elles forment d’ores et déjà la chair d’Ici sont les dragons. Une substance souterraine qui irrigue les muscles et l’esprit de cette première période. « Tout est utile, plaide Ariane Mnouchkine, sauf les scènes au cours desquelles l’acteur succombe au désir de se trouver un rôle plutôt que d’apporter du sens au spectacle. »

Ballet millimétré

Les propositions s’enchaînent sous son regard intraitable, mais toujours bienveillant. Cinq heures quasi ininterrompues de remarques, de critiques et d’encouragements. Pas une seconde, son exigence ne faiblit : « Je n’écoutais plus, je regardais le réverbère, ce qui n’est pas bon signe », dit-elle en soupirant. L’œil collé à sa caméra, Lucile Cocito filme l’intégralité de ce qui se passe. « Toutes les séances sont chapitrées, numérotées et ordonnées. Les comédiens et Ariane s’en servent pour retravailler les scènes. » Dissimulée derrière un moucharabieh, la musicienne Clémence Fougea improvise. Quelques notes de piano, le grondement d’un orage, le souffle du vent. Cette jeune artiste a pris la relève du compositeur historique Jean-Jacques Lemêtre. De sa cabane à musique, elle a, dit-elle, le « nez rivé sur le plateau. » Hors de question de plaquer une partition qui figerait l’influx nerveux de la scène. « J’écoute les indications d’Ariane. Son ton, le sentiment et les couleurs qui traversent sa parole, tout ce qui vient d’elle m’inspire. »

Début novembre. Aussi oppressant qu’insidieux, le tempo s’accélère, la troupe est sur le pied de guerre : « Le compte à rebours a démarré. Nous allons devoir passer des heures à régler les entrées et les sorties, à apprendre à déplacer les décors sans un bruit. » Les bout-à-bout (premières ébauches de représentation) se suivent au pas de charge, bientôt remplacés par des séries de filages durant lesquelles les comédiens jouent le spectacle en intégralité. Les bunkers, les chevaux, les palissades, glissent en souplesse du plateau aux coulisses, où le décor valse, dans le silence ; un ballet millimétré. « Les enfants, ne vous faites pas mal, ne vous énervez pas », implore, maternelle, Ariane Mnouchkine. « Ce toit est sacré. Si vous voulez vous engueuler, allez le faire sur la pelouse. Nos problèmes personnels et nos rages n’ont pas à abîmer notre bien commun. »



20 novembre. Dernière ligne droite avant la première. Malgré les nuits trop courtes, les doutes et l’angoisse, elle garde le cap : « Vilar disait de la répétition qu’elle était l’orgasme de l’esprit. Je tiens avec passion. Je tiens avec plaisir. Il y a dans la troupe ce qu’il faut de jeunesse pour qu’on ait l’énergie et ce qu’il faut d’âge pour qu’on ait la sagesse et la civilité. » Le hall d’accueil est en ordre de marche. Les loges ont rejoint leur habitacle de toujours en dessous des gradins. Chacun, ici, sait ce qu’il a à faire. A commencer par la maîtresse des lieux qui, le 27 novembre, frappera trois coups sur la porte d’entrée, l’ouvrira en grand au public et déchirera les billets. Ainsi le veut la tradition. Loués soient les rituels qui font qu’existe le Théâtre du Soleil.

 

 

Ici sont les dragons. Première Epoque. 1917. La Victoire était entre nos mains. Une création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, en harmonie avec Hélène Cixous. Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e. Du mercredi au vendredi à 19 h 30, le samedi à 15 heures, le dimanche à 13 h 30.

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

Légende photo : Ariane Mnouchkine, lors des répétitions de sa pièce « Ici sont les dragons », au Théâtre du Soleil, à Paris, le 23 octobre 2024. CHLOE SHARROCK / MYOP POUR « LE MONDE »

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November 26, 8:05 PM
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La mort de Jany Gastaldi, comédienne emblématique du théâtre d’Antoine Vitez

La mort de Jany Gastaldi, comédienne emblématique du théâtre d’Antoine Vitez | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 26 nov. 2024

 

 

Très liée au metteur en scène qui la dirigea à quinze reprises, l’actrice s’était faite rare au théâtre depuis le début des années 2010. Elle est morte le 24 novembre, à 76 ans.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/11/26/la-mort-de-jany-gastaldi-comedienne-emblematique-du-theatre-d-antoine-vitez_6415675_3382.html

 

 

Née en mai 1948, la comédienne Jany Gastaldi, que le metteur en scène Antoine Vitez a dirigée à quinze reprises de 1971 à 1987, est morte, le 24 novembre, à l’âge de 76 ans, des suites d’un cancer.

L’actrice s’était faite rare sur les planches. Depuis 2011 et son rôle de Philaminte dans Les Femmes savantes, de Molière (mise en scène de Marc Paquien), elle n’était plus sollicitée. Quelques enregistrements de fictions pour la radio, une voix off en 2024, dans Palais, un montage de textes proposé par Matthieu Marie, voilà tout. « Pour beaucoup d’entre nous, elle était la Doña Sol d’Hernani et la Doña Musique du Soulier de satin. Deux rôles inoubliables, témoigne Marc Paquien. Mais la nouvelle génération d’artistes, qui ne la connaissait pas, ne l’avait vue ni dans le drame de Victor Hugo [1985] ni dans celui de Paul Claudel [1987], est passée à côté d’elle. »

 

Quel dommage de s’être privé de cette voix singulière au phrasé sensuel et chantant, de ce regard coquin sous la tignasse brune, de ce corps pas bien grand, d’une énergie saisissante, de cette présence intense et offerte ! Saluée en 1990 d’un Prix de la meilleure comédienne décerné par le Syndicat de la critique, Jany Gastaldi ne boudait pourtant pas le théâtre, contemporain ou classique. Dans sa biographie, les noms d’auteurs en disent long sur un appétit de jeu éclectique. Michel Vinaver, Philippe Minyana, Botho Strauss, Jean Genet y côtoient le fin du fin du répertoire : Shakespeare, Beaumarchais, Corneille et aussi Marivaux, travaillé, en 1973, avec Patrice Chéreau, qui la dirige dans La Dispute.

« Nature de tragédienne »

Dès 1971, dans Le Monde, Bertrand Poirot-Delpech soulignait en quelques lignes serrées l’évidence du talent de l’actrice. La débutante, 23 ans seulement, vient de rallier les plateaux d’Antoine Vitez, qui a été son professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Distribuée dans le rôle d’Hermione (Andromaque, de Racine), elle révèle déjà, selon Bertrand Poirot-Delpech, « une nature de tragédienne, à la fois frêle et tenace, tout en nerfs et déjà très maîtrisée ». Tragédienne, c’est vrai, elle l’était, mais aussi malicieuse, ironique, aimant rire et faire rire. « Il ne faut pas oublier à quel point elle savait être drôle », insiste Marc Paquien.

Lire aussi l’archive (1971) | Article réservé à nos abonnés « Andromaque », de Racine MISE EN SCÈNE PAR ANTOINE VITEZ
Lire plus tard

Avec Vitez, le compagnonnage est exemplaire. Elle est de toutes ses aventures. Jany Gastaldi le suit au Festival d’Avignon, où elle arpente trois des quatre pièces de Molière qu’il déroule dans un marathon de légende (Dom Juan, Le Misanthrope, Le Tartuffe, 1978). Plus tard, elle participe à la création (tout aussi iconique) du Soulier de satin (1987). Une traversée de la nuit sous les étoiles de la Cour d’honneur du Palais des papes, qui la voit pour la seule fois de sa vie s’attaquer à la prose de Claudel.

A Paris, elle est une figure familière du Théâtre national de Chaillot, que Vitez dirige de 1981 à 1988. Faust, de Goethe, Britannicus, de Racine, Tombeau pour cinq cent mille soldats, de Pierre Guyotat, mais aussi Hamlet, de Shakespeare, Le Prince travesti, de Marivaux, pas une saison sans Gastaldi en scène. Sur les réseaux sociaux, parmi un flot d’hommages émus, les mots du scénographe de Vitez, Yannis Kokkos, ramassent des éclats de souvenirs : « Sa grâce, sa voix, son talent ont enchanté les années Chaillot sous la direction d’Antoine. Vision aérienne de sa descente des escaliers d’Hernani, scène de la folie d’Ophélie dans Hamlet, Doña Musique enchantée, proue inoubliable dans Le Soulier de satin à Avignon, Catherine, la muette déchirante, dans Mère Courage, aux Amandiers, Nina dans le film de René Féret, Fernand, et tant d’autres interprétations inoubliables. »

Invitée sur France Inter en 2011, Jany Gastaldi confiait que vivre une vie de comédienne, c’est faire des adieux aux rôles qu’on ne jouera pas. Sa voix s’est tue, mais on peut lire d’elle un superbe et ultime entretien mené par Marion Chénetier-Alev, pour la Revue d’histoire du théâtre. Elle y parle d’elle et de théâtre, et ses propos sont lumineux.

 

 

Jany Gastaldi en quelques dates
 
 

Mai 1948 Naissance à Monaco

 

1971 Première collaboration avec Antoine Vitez dans « Andromaque », de Racine

 

1973 Comédienne dans « La Dispute », mise en scène de Patrice Chéreau

 

1987 Dernier rôle sous la direction de Vitez : Dona musique, dans « Le Soulier de Satin »

 

1990 Prix de la meilleure comédienne du Syndicat de la critique, pour son rôle dans « Phèdre » (mise en scène de Daisy Amias)

 

24 novembre 2024 Mort

 



Joëlle Gayot / Le Monde

 

 

Légende photo : Jany Gastaldi, dans les studios de l’ORTF, à Paris, en 1971. KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO

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Commentaire de Mathilde Labardonnie (Facebook)

Troublant comme sous cette neige et avec ce châle, elle (m'ap)parait avoir comme une lointaine ressemblance avec Madeleine Renaud. Impression fugace, un peu balourde.
Une Jany Gastaldi inhabituelle.
Jamais la même: sa force.
Funambule sur le fil de sa voix rien qu'à elle, inimitable, difficile à décrire.
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November 26, 2:19 AM
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FoRTE, la prime aux jeunes talents 

FoRTE, la prime aux jeunes talents  | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 
Arts visuels et de la scène, musique et cinéma : à travers son dispositif, la région Ile-de-France accompagne les artistes émergents locaux. Sept lauréats racontent à «Libération» ce que ce coup de pouce a changé pour eux.
 

Quand Maryse Estier se résout, en 2017, à implanter sa compagnie de théâtre en Ile-de-France, elle a conscience du caractère peu stratégique de sa décision. «Difficile, pour les jeunes artistes, de se démarquer dans une région qui fourmille de propositions culturelles concurrentielles, reconnaît cette comédienne et metteuse en scène qui a grandi et travaillé en Suisse, puis en Belgique. Mais je sortais de l’Académie [formation professionnalisante d’un an proposée par la Comédie-Française, ndlr], je réalisais mon rêve de gosse d’habiter à Paris et je n’avais pas d’autre ancrage territorial en France. Quand m’a été offerte l’opportunité de baser le siège social de ma compagnie dans le Val-de-Marne, j’ai accepté.» En 2019, alors qu’elle travaille à monter l’Aiglon, pièce d’Edmond Rostand largement éclipsée par son Cyrano de Bergerac, elle répond à l’appel à projets lancé par le dispositif FoRTE (Fonds régional pour les talents émergents), financé par la région Ile-de-France. Et décroche une subvention de 40 000 euros, impulsion essentielle à ce projet de grande ampleur.

 

Depuis 2018, FoRTE propose ainsi de soutenir chaque année une promotion d’une quarantaine de jeunes artistes issus des arts visuels, du cinéma et de l’audiovisuel, de la musique ou encore des arts de la scène. A ses lauréats, «talents émergents» âgés au maximum de 30 ans, le dispositif promet, pendant dix mois, une aide financière (un million d’euros au total), mais également un accompagnement professionnel. Chef d’orchestre formé en musique baroque et joueur de viole de gambe, Valentin Tournet a candidaté à la première édition, après des études au Conservatoire national supérieur de Paris. «J’avais 22 ans, et cette bourse de 25 000 euros m’a permis d’enregistrer mon premier disque, Chefs-d’œuvre oubliés, raconte-t-il. En me permettant de financer un certain nombre de dépenses à la fois artistiques, techniques et promotionnelles, ce coup de pouce a été absolument décisif.» Ce premier enregistrement est suivi d’autres, et, en 2022, Valentin Tournet est nommé dans la catégorie «soliste instrumental» des Victoires de la musique classique. Cet été, l’ensemble instrumental et vocal qu’il dirige, La Chapelle Harmonique, a aussi remporté son premier Diapason d’or, prestigieuse récompense de la musique classique en France.

«Une chance inouïe»

«Précieuse», «ambitieuse», «généreuse» : les anciens lauréats rivalisent de louanges pour qualifier cette bourse qui a, pour l’écrasante majorité d’entre eux, fait décoller leur carrière. «Peu de structures donnent autant à un seul artiste : en choisissant ce ciblage, FoRTE aide vraiment ceux qui sont sélectionnés», analyse Valentin Tournet. Maryse Estier abonde : «Qu’une compagnie non conventionnée, avec seulement un projet à son actif, reçoive 40 000 euros, c’est une chance inouïe !» La démarche de candidature, qui associe nécessairement un artiste et une structure d’accompagnement, peut être présentée sous forme d’une demande de bourse individuelle ou d’une subvention à la structure : un choix d’options qui permet de s’accorder au mieux aux modalités des différentes disciplines, dont les fonctionnements varient énormément. Ainsi, les postulants en cinéma, milieu habitué des circuits de subvention, entre Centre national du cinéma (CNC) et régions, font généralement la demande au titre d’une structure. C’était en tout cas le choix d’Isis Leterrier l’an dernier. «C’est mon producteur qui m’a conseillé de candidater, car la boîte avait déjà reçu ce genre d’aide, raconte-t-elle. Nous travaillions alors à une série d’animation intitulée Saisons d’oiseaux, et nous avons postulé pour créer l’épisode pilote. L’argent a permis de financer l’installation, le matériel, et la série est désormais en phase de développement final avec France Télévisions.»

 

Beaucoup de postulants ont plutôt eu vent de l’existence de FoRTE par le bouche à oreille ou encore via les réseaux sociaux. L’artiste-compositrice Gabi Hartmann a, par exemple, été renseignée par une amie cinéaste qui lui a précisé que le dispositif concernait aussi les musiciens. La guitariste et chanteuse a déjà un EP à son actif, financé par ses propres moyens, elle souhaite à présent sortir un véritable album. Qu’elle ait investi ses économies dans son travail préliminaire n’est pas un problème pour candidater : FoRTE juge sur projet et ne tient aucunement compte de critères sociaux. La nationalité française n’entre pas non plus en jeu – les étrangers sont même largement encouragés à candidater. C’est ce qu’a fait Odonchimeg Davaadorj, qui a quitté sa Mongolie natale à 17 ans pour la République tchèque, avant d’intégrer les Beaux-Arts de Paris. C’est aussi via les réseaux sociaux qu’elle a entendu parler de cette opportunité de faire acte de candidature et d’être potentiellement choisie. Elle qui souhaite devenir peintre, un rêve jusqu’ici hors de portée faute de fonds, avait alors juste l’âge limite : «Grâce à la bourse, j’ai pu investir dans le matériel adéquat, notamment des grandes toiles de 2 mètres par 1,8, explique-t-elle. Cette expérience a confirmé mon intérêt pour cette technique, que je pratique toujours, dans de plus petits formats que j’arrive maintenant à vendre.»

«Aller plus loin»

Djabril Boukhenaïssi a appris l’heureuse nouvelle à la rentrée : il figure dans la liste des lauréats de l’édition 2024 pour son projet de gravures sur la guerre d’Algérie, en partenariat avec le musée de l’Histoire de l’immigration. Chaque année, à la fin des dix mois impartis, les productions des créateurs sélectionnés en arts visuels sont présentées aux Réserves du Frac (Fonds régional d’art contemporain), à Romainville (Seine-Saint-Denis) : l’exposition de la promotion 2023, qui débute le 30 novembre, va durer jusqu’au 18 janvier. L’hiver prochain, le travail de cet adepte du pastel y sera donc présenté. Les lauréats des autres disciplines peuvent, quant à eux, dévoiler des extraits de leur travail à l’occasion d’une soirée événement : celle de la sixième promotion a lieu ce 28 novembre à l’Opéra Bastille, à Paris.

 

 

Ce qui est indispensable pour candidater, c’est un ancrage en territoire francilien : les postulants doivent résider et créer en Île-de-France. Et si certains ne font que passer, d’autres, comme Sébastien Kheroufi, sont là depuis toujours. Ce metteur en scène prometteur a grandi entre une cité des Hauts-de-Seine et un foyer du XXe arrondissement de Paris, à l’écart de toute offre culturelle. Il quitte l’école en classe de quatrième pour bifurquer en BEP, enchaîne «galères et bêtises», et croise la route du théâtre par hasard à l’occasion d’un séjour en Angleterre où il faisait des ménages dans un cinéma et s’y glissait régulièrement pour assister aux séances du matin. «Comme je comprenais mal l’anglais, j’étais surtout attentif au jeu, au décor, à la lumière, raconte-t-il. A mon retour en France, je me suis inscrit à un cours de théâtre municipal : c’est là qu’on m’a convaincu d’aller plus loin.» Il se décide à tenter les concours des écoles nationales «mais seulement parisiennes, pour rester près de ma mère». Ce sera donc l’Esad (Ecole supérieure d’art dramatique), en plein cœur de la capitale, qu’il intègre grâce à sa performance du personnage de Hans dans le texte imposé, tiré de Par les villages, de Peter Handke. «Je ne connaissais rien à l’histoire de Handke, mais je comprenais qu’il parlait de nous, les humiliés, les laissés-pour-compte. Ce texte n’a cessé depuis de m’accompagner.» Et c’est effectivement à nouveau grâce à ce texte qu’il a décroché la bourse FoRTE, accompagné par le Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne), le centre Pompidou et L’Azimut de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Dans le cadre du Festival d’automne, une «re-création» de la pièce est prévue en janvier et février : Par les villages est d’ailleurs le dernier spectacle qui se jouera au centre Pompidou avant sa fermeture pour travaux.

«Sentiment de légitimité»

Développement du réseau, de la visibilité, de la confiance en soi… Pour Sébastien Kheroufi, FoRTE n’est pas qu’une bourse, c’est une validation. «J’ai crié de joie en apprenant la nouvelle, sourit-il. Et pas que pour l’argent : être choisi par un jury spécialisé et pouvoir, à mon tour, intégrer un monde d’exigence artistique m’a donné un immense sentiment de légitimité. Cela a aussi crédibilisé la compagnie tout juste créée, rassuré les partenaires, appuyé nos démarches ultérieures.» Gabi Hartmann témoigne elle aussi d’une grande émotion lors de la soirée de présentation en rencontrant d’autres lauréats dont elle apprécie le travail et auxquels elle se sent désormais reliée. «Que la somme soit octroyée directement à l’artiste donne un sentiment de force inouï, atteste-t-elle. J’ai gagné en assurance, cessé de tergiverser : quand il n’y a qu’un an pour créer un projet, il faut y aller !»

La dimension psychologique de ce soutien se révèle donc particulièrement appréciée par de jeunes artistes souvent ébranlés par des conditions de travail éprouvantes, véritables freins à la création. «L’accompagnement, pourtant indispensable, fait encore défaut. Or, c’est souvent quand on a été mal accompagnés qu’on échoue, analyse Sébastien Kheroufi. Et c’est là que FoRTE marque une différence : les interlocuteurs sont présents dès les premières explications administratives et le restent bien après la fin du projet.» Gabi Hartmann salue aussi une structure flexible, qui s’ajuste en fonction des besoins de chacun : «Il n’y a pas de pression, d’attentes ou de comptes à rendre. Un coup de fil pour présenter le fonctionnement et le calendrier, une réunion de lancement et, si on le souhaite, les choses peuvent en rester là.» «La Région est très attentive à ce que les lauréats mènent à bien leurs projets et dans les meilleures conditions. Aussi, nous suivons leur progression tout au long des dix mois d’accompagnement, et après, afin de valoriser leurs œuvres dans le cadre du grand évènement annuel de restitution », complète Elsa Martin, cheffe du service Création-Diffusion de la Région, qui chapeaute le dispositif FoRTE.

 

La diversité des profils et des projets soutenus témoigne surtout d’une vraie volonté d’éclectisme. En arts de la scène, Maryse Estier a obtenu les fonds pour un projet qu’elle décrit comme «hors normes et hors mode» : l’Aiglon de Rostand est une pièce en six actes écrits en alexandrin, qui narre, en quatre heures et cinquante personnages, les dernières années de la vie du fils de Napoléon Ier. En cherchant à la monter, elle s’est heurtée à une «exigence de modernité» qu’elle trouve «omniprésente» dans les structures et festivals dédiés à la jeune création. «En promouvant un théâtre très contemporain et des projets basés sur l’écriture de plateau, ces dispositifs excluent des démarches comme la mienne qui souhaite, au contraire, remettre au goût du jour des textes anciens pour les faire résonner», regrette-t-elle. En lui ouvrant une porte, les jurys FoRTE assument le grand écart entre Napoléon II et Hans, le transfuge de classe de Peter Handke. Comme entre les accents baroques d’une viole de gambe et les rythmes de guitare bossa-nova.

 
 
Légende photo : Mise en scène de «l’Aiglon» par Maryse Estier. (Christophe Raynaud de Lage)
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December 7, 5:39 AM
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Au seuil des siècles, «Ici sont les dragons» d’Ariane Mnouchkine –

Au seuil des siècles, «Ici sont les dragons» d’Ariane Mnouchkine – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 7 décembre 2024

 

 

Bouleversée par l’invasion de l’Ukraine, la metteuse en scène a conçu une fresque ambitieuse sur les origines de l’impérialisme russe, de Lénine à Poutine. Des choix radicaux de mise en scène et un spectacle narratif presque trop touffu.

 
 
 

Il y a les somptueuses toiles peintes qui glissent en un rien de temps, et laissent apercevoir quelques silhouettes mouvantes et énigmatiques aux fenêtres des immeubles comme dans un vis-à-vis lointain ou passant dans la rue. Des hologrammes ? Non. Mais une technologie qui se fond parfaitement dans le geste artisanal de la peinture, un usage de l’incrustation vidéo quasi imperceptible, qui ravivent des fantômes de cette terrible année 1917 inaugurale. Il y a la superposition des voiles qui gonflent et se font parfois surface de projections vacillantes, et le velours grège, tapis de neige scintillant qui recouvre le profond plateau. Il y a la beauté des ciels et des crépuscules, et une précision de tout ce qui d’ordinaire semble aléatoire : les mouvements du brouillard par exemple. Et la poésie des trois Babayaga qui traversent périodiquement l’espace avec leur lampe à pétrole pour ponctuer la narration, tel un chœur antique. Et il y a surtout l’ambition gigantesque et une foi au théâtre qui ne l’est pas moins : celles de comprendre et de faire saisir par les moyens de la scène les origines du totalitarisme tel qu’il s’exprime aujourd’hui. Ou plus précisément : qu’est-ce qui fabrique la tentative d’asservissement et de destruction d’un pays comme l’Ukraine au XXIe siècle ? D’où proviennent la possibilité et la pérennité d’un dirigeant tel que Poutine ? On le sait, Ici sont les dragons, sous-titré 1917, la victoire était entre nos mainscréation collective du théâtre du Soleil et grande fresque promise à s’étendre en plusieurs volets, est née d’une angoisse transformée immédiatement en colère au moment de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Le sentiment cataclysmique face à l’allocution de Poutine constitue le premier et bref tableau totalement réussi en ce qu’il englobe le spectateur.

Cornelia, alter ego en bleu de travail

Et ensuite ? Ensuite, le spectacle symphonique orchestré par Ariane Mnouchkine provoque une pelote d’émotions contradictoires. L’envie d’y retourner aussitôt, pour mieux comprendre ce qu’on a laissé s’échapper, avec le risque que ce qui a été perdu le soit à nouveau. Un sentiment de profusion et d’admiration envers le geste et la radicalité de certains choix – masques et doublages des acteurs, distance qui les oblige en une pantomime extravagante et drolatique – et qui dit très simplement le statut de marionnettes des «grands» hommes, vus du ciel ou avec la distance des siècles. Performance des acteurs, qui parviennent à être vus et faire voir comme rarement alors même que leur visage est recouvert et leur voix par définition absente. Pourtant on n’échappe pas à un sentiment d’envahissement lié à la quantité astronomique d’informations et de discours, qu’ils proviennent de Lénine, de Trotsky, de Churchill, et d’autres moins connus, par exemple, l’opposant à Lénine Nikolai Soukhanov et tant d’autres, sans qu’il n’y ait le temps de les analyser, d’en comprendre les enjeux et chausse-trappes et les choix historiographiques – la ligne conductrice qui montre la filiation entre Lénine et Poutine en matière d’hégémonie est toutefois limpide. Certes, ce sentiment d’envahissement est voulu. Et Ariane Mnouchkine fait renaître en bleu de travail le personnage de Cornelia, son alter ego qui est aussi le nôtre et ne cesse de sortir de son trou du souffleur pour prévenir : «On ne peut pas tout raconter dans ce spectacle»«vous me fatiguez». Ou encore : «Quand vous aurez fini de parler, vous pourriez m’aider à déplacer le décor ?» Bienfaitrice Cornelia (jouée en alternance par Dominique Jambert et Hélène Cinque), qui intervient quand on est au bord de craquer, pour dire qu’elle aussi, elle est débordée. Si vraisemblable que, parmi les spectateurs qui viennent pour la première fois à la Cartoucherie, certains ont un doute, du moins au début, sur son identité : vrai personnage, quelqu’un de l’équipe, ou un passeur ?

 

 

De manière générale, dans ce spectacle ample qui emploie la quasi-totalité de la troupe, quand les personnages-figurines interviennent dans des situations et pas seulement des discours, ils prennent vie et s’accrochent à la mémoire même lorsqu’ils ne font qu’une brève apparition. Ainsi, la silhouette de l’aristocrate portée par la reconnaissable Shaghayegh Beheshti qui s’enfuit prendre le train – «La hache est dans la Cerisaie.» Ainsi l’étudiant qui aimerait tant que la pièce accueille Karl Kautsky, secrétaire d’Engels, marxiste opposé à Lénine, chantre de la social-démocratie allemande à la fin du XIXe siècle. Il faut dire que Karl Kautsky, partisan d’une réforme si profonde qu’elle deviendrait «révolution sociale», a tout pour retenir l’attention d’un public du XXIe siècle. Ou encore, l’ukrainien Nestor Makhno dans l’une des plus jolies séquences, qui se présente comme «l’âme du combat de l’anarchisme» – et qui aura toute sa place dans la deuxième saison, promet Cornelia à condition qu’il dise tout, y compris les pogroms et crimes antisémites commis par les Ukrainiens avant la guerre. Tiens, on passe en Allemagne, où déjà Goebbels sur un banc est en train de lire un ouvrage antisémite d’avant-guerre publié par… Calmann-Lévy. Image marquante.

Les grandes manœuvres dans lesquelles se fabrique un empire

Avant l’entracte, apparaissent succinctement des anonymes affamés ainsi que quelques femmes révolutionnaires qui réclament leurs droits – le peuple. C’est aussi au début du spectacle que nous est montré Hitler dans la neige pendant la Première Guerre mondiale, tenu en joue dans une tranchée en Picardie. Comme au guignol, les spectateurs crient (intérieurement) : «Tire !» La deuxième partie, tout aussi impressionnante d’inventivité scénographique, se centre sur les grandes manœuvres pour prendre et garder le pouvoir, fabriquer un empire, au détriment de scènes plus quotidiennes. L’avalanche de prises de parole n’est pas forcément un problème, mais encore faut-il que le spectateur soit en capacité d’assimiler autant d’informations, et d’exercer sinon un point de vue critique, du moins un contrepoint afin d’écouter activement le flot, essentiellement en russe et allemand. Et mieux vaudrait être également apte à sourcer la masse des propos que les acteurs et Ariane Mnouchkine ont piochée dans différentes archives, journaux, textes, livres d’historiens, notamment le controversé Stéphane Courtois, notifiés dans le programme. L’historiographie – la manière de construire l’histoire et de choisir les archives – n’est pas intégrée au spectacle, car comme dirait Cornelia «tout ne peut pas y être» – ça nous aiderait pourtant, comme une corde en rappel. L’œil, tout le temps, est capté par la beauté d’une foule d’éléments visuels dont les masques un peu trop grands par rapport au corps, selon le pouvoir criminel des êtres qu’ils incarnent – celui de Lénine, particulièrement impressionnant autant que sa voix, aiguë. L’oreille baisse la garde. Pourtant, de leur côté, comme toujours au Soleil, en live, les musiciennes Clémence Fougea et Ya-Hui Liang, nappent le spectacle d’une musique conçue sur place, pendant les répétitions et improvisations des acteurs. C’est grandiose, un peu trop parfois, non sans évoquer certaines compositions de Prokofiev inventées elles aussi en live sur les images d’Alexandre Nevski, le chef-d’œuvre d’Eisenstein commandé par Staline. Le volet II, War Rooms, 1924-1945 qui jouera en alternance avec Ici sont les dragons est prévu pour l’hiver 2025-2026, et sera suivi si tout va bien d’une troisième partie, intitulée Il est encore fécond 1945-2022.

Ici sont les dragons, première époque 1917, la victoire était entre nos mains, une création collective du théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous dirigée par Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au printemps prochain

 

Anne Diatkine / Libération

 

 

Légende photo Le spectacle symphonique orchestré par Ariane Mnouchkine provoque une pelote d’émotions contradictoires. (Lucile Cocito/Archives Théâtre du Soleil)

 
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« Strano », le nouveau bijou poétique du Cirque Trottola

« Strano », le nouveau bijou poétique du Cirque Trottola | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 5 déc. 2024

 

A Paris, en décembre, au Centquatre avant une grande tournée, la troupe de clowns sous leur chapiteau rouge délivre une bonne dose d’émotions pures et brutes.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/05/strano-le-nouveau-bijou-poetique-du-cirque-trottola_6431939_3246.html

De ce cirque-là, on ne se lasse pas. Vingt ans et des poussières, déjà, que Titoune Krall et Bonaventure Gacon font tourner leur Trottola (« toupie », en italien) sur les routes, semant de loin en loin (tous les cinq ans environ) des petits bijoux poétiques, à l’étrangeté revendiquée. Le dernier en date, qui se pose au Centquatre, à Paris, en ce mois de décembre, avant une longue, très longue tournée, s’intitule d’ailleurs Strano (« étrange », en italien).

 
 
Lire la critique (en 2018) : Article réservé à nos abonnés L’artisanat féroce et complexe du cirque Trottola illumine le Centquatre
 

Le petit chapiteau, rouge à l’extérieur, bleu à l’intérieur, posé sous la grande nef du Centquatre, convoque d’emblée mille effluves d’enfance, mille échos du temps. Du lointain nous parvient la rumeur assourdie d’une fanfare, tandis que déboule sur la piste le colosse Bonaventure Gacon, avec son personnage de clown clodo, Boudu, rodé de spectacle en spectacle (son solo Par le Boudu tourne toujours). Il est bientôt rejoint par Titoune et par un troisième larron, Pierre Le Gouallec (en alternance avec Sébastien Brun), et ils forment une petite troupe qui semble égarée en rase campagne.

 

De quelle guerre perdue et oubliée sont-ils les soldats loqueteux et déchus, les rescapés ou les déserteurs ? De quelle armée ayant « tout bousillé derrière elle », alors que « tout ce vacarme, ce raffut n’avait servi à rien », sont-ils les pantins laissés pour compte ? Les tranchées et la boucherie de la guerre de 14-18 semblent traverser en filigrane ce Strano où rôdent les fantômes, et où un soldat géantissime va s’effondrer comme une chiffe molle, en une des premières images saisissantes du spectacle.

 

Et puisque toutes les guerres semblent perdues de nos jours, il va s’agir de trouver des échappées, de se tenir chaud et d’essayer d’« être heureux d’être contents », comme dirait Bonaventure. Et s’échapper, pour Titoune, c’est d’abord et avant tout s’envoyer en l’air et y rester le plus longtemps possible. Alors elle s’envole sous le ciel du chapiteau, propulsée en des portés acrobatiques par ses deux partenaires, ou voltigeant autour de son double trapèze en des saltos qui ne sont sans doute pas aussi virtuoses qu’avant (Titoune a désormais la cinquantaine), mais qui gardent une souplesse magnifique, l’aisance d’une acrobate poids plume qui a pour animal-totem le singe et ne semble vraiment heureuse qu’en apesanteur.

Surprises musicales

La virtuosité n’a d’ailleurs jamais été le sujet de Trottola, non plus que le désir d’aligner les numéros comme à la parade. C’est toujours une histoire qu’ils racontent, une histoire d’envol et de chute, de liberté joueuse, de résistance douce et inflexible à la tristesse d’un temps qui assigne chacun à son utilité dans la machine sociale. Et, pour cela, ils inventent leurs propres outils, leurs propres agrès. Il va s’agir pour Bonaventure, avec sa stature d’Hercule, de marcher au-dessus du vide, et, pour ce faire, il trouve une solution inédite autant que fascinante : deux longues perches en métal pourvues de crochets et de cale-pieds, sur lesquelles il s’arrime et avec lesquelles il se déplace en s’accrochant à la charpente du chapiteau, en Gargantua luttant avec la pesanteur.

 

Il va s’agir, pour eux deux, Titoune et Bonaventure, de décider qu’un piano à queue mis queue par-dessus tête peut être un terrain de jeu sur lequel glisser, rebondir, sauter, se catapulter et s’en donner à cœur joie, tout autant qu’une île où se réfugier ou un radeau emmenant vers d’autres rivages. Et il va s’agir de tourbillonner comme des fous dans l’espace, comme des toupies désarrimées, sur une échelle tournoyante, en un final qui donne le tournis et des frissons de plaisir et d’envie.

 

Et puisqu’il y a toujours des surprises musicales dans leurs spectacles – que l’on se souvienne de cette merveille qu’était la cloche de bronze de Campana –, ce Strano est placé sous les tuyaux d’un orgue dont joue, installé sur une petite estrade au-dessus de l’entrée des artistes, l’excellent Samuel Legal, en un répertoire allant de Bach à des compositions personnelles aux accents expressionnistes.

 

Trottola, c’est un cirque d’émotions pures et brutes, des milliers de petits riens qui font rire les enfants aux éclats et ramènent les adultes à leurs premiers émois d’enfance, quand ils ont eu la chance de croiser un de ces petits cirques qui allaient de village en village. Et puis il y a la présence, le sourire et les facéties de Titoune, petit Pinocchio farceur au visage blanc et au nez rouge, ici surnommé Rififi, bien décidé à ne pas obéir aux tristes lois infligées par un monde supposément adulte. A la guerre permanente de tous contre tous, Bonaventure et Titoune opposent les subtils équilibres qu’ils ont su trouver, comme sur leur échelle suspendue dans le vide, entre ceux qui portent et ceux qui s’envolent, ceux qui lestent la vie et ceux qui lui donnent ses élans de grâce.

 

 

Strano, par le Cirque Trottola. Centquatre, Paris 19e, jusqu’au 22 décembre. A partir de 10 ans. Puis tournée jusqu’en juin 2025, et au-delà.

 

 

Fabienne Darge / Le Monde

 

 

Légende photo : Bonaventure Gacon et Titoune Krall dans « Strano », du Cirque Trottola, lors du Festival des 7 Collines de Saint-Etienne, en juillet 2024. FRANCHON BILBILLE

 

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December 3, 4:50 PM
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Niels Arestrup, la lumière et la nuit

Niels Arestrup, la lumière et la nuit | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 2 déc. 2024

 

 

Il s’est éteint dimanche matin, vaincu par le cancer. Sa femme, écrivain, a annoncé sa mort. Les hommages sont nombreux. Il était un très grand artiste, complexe, compliqué. Un être insaisissable, vulnérable, hyper-sensible, généreux. Un immense interprète.

 

Ici, là, les fils de sa vie sont tendus dans des articles fervents. Le Figaro a titré son cahier culture « Niels Arestrup, l’intranquille ». Tout est dit. Jamais en paix. Ni avec lui-même, ni avec sa vie, ni avec les autres, ni avec le savoir pour lequel il était insatiable. Il aimait ses proches. Une femme brillante et fine, une écrivain, dramaturge ayant foulé les planches et connaissant bien les pouvoirs du théâtre. Des enfants, des jumeaux. Il n’avait jamais renié ses origines. Père danois, mère française -bretonne pour être précise. Les hasards ont présidé à sa naissance. Les hasards, il a su les saisir : un soir de 1968, il voit Tania Balachova à la télévision. Il est empli d’une force, lui qui demeurera si timide jusqu’aux plus grands rayonnements de son chemin, une force qui le mène jusqu’au cours. Il a dix-neuf ans (il est né le 8 février 1949). Tania Balachova est alors le grand professeur d’une génération qui précède Niels Arestrup. Elle même est d’une autre génération. Ils ont traversé la guerre, quand il n’est qu’un « baby boomer ». Sauf que l’on ne désigne qu’aujourd’hui ainsi les enfants nés après la guerre.

Dans cet acte fondateur, il y a quelque chose de très profond qui traduit la personnalité de Niels Arestrup : il a du courage. Du courage, c’est à dire du coeur. A coeur vaillant, rien d’impossible.

Il va vers le meilleur : dans ces années là, Andreas Voutsinas, a ouvert un atelier où vont les comédiens déjà reconnus, de Jean-Pierre Jorris à Henri Virlogeux, de Sylvie Joly à Véronique Silver. Ce sont des vieux, des quadras. Et puis les jeunes, les débutants. De Didier Flamand à Jean Reno.

Niels Arestrup ne se trompe pas. Il sait où s’affermir, où grandir, mais il a bien en tête ce que Tania Balachova a tout de suite compris en lui. Il est grand en lui-même, par lui-même. Il n’aurait pas besoin de cours.

Sauf que lui, il sait bien tout ce qui lui manque et il ne déteste pas ce mélange des générations, ni la fantaisie à fort accent et casquette et petit chien, d’Andreas Voutsinas.

Depuis, il n’a jamais dévié. Sa vie fut que je est un autre. Il y a partout des hommages, des rappels, des retours sur son chemin, au théâtre comme au cinéma. On l’avait connu châtain aux yeux bleus, on l’a longtemps retrouvé blond.

Il a été tant de fois exceptionnel qu’il serait impudent de citer tel rôle plutôt que tel autre. Pourtant s’il fallait vous désigner un moment de sa vie, plutôt que tel autre, on vous enjoindrait de visionner un film. Un film intitulé Le Goûter chez Niels. Un film court, 26 minutes. Un film assez ancien, 1986. Ecrit et réalisé par Didier Martiny qui dirige Yasmina Reza, Michèle Moretti, Patrice Kerbrat, Roland Blanche, Jacques Nerson, Bernard Alane, Niels Arestrup, a composé un objet étrange. Les personnages sont des enfants et tous les garçons sont en culottes courtes. Niels de la Brêche invite ses amis, pour ses onze ans. Mais une bande mal intentionnée rôde dans le parc de la propriété des parents…Ce n’est pas La Guerre des Boutons. C’est rude et cocasse. Une folie.

Il était la lumière et la nuit. Sa voix trahissait sa douceur et ses peurs. Il était volubile lorsqu’il se sentait en confiance. Il avait beaucoup d’idées de rôles car il lisait sans arrêt et savait qu’un Winston Churchill ou un Mark Rothko prendrait encore plus de lumière, avec lui, par lui, sur un plateau. Ce qui advint. Et l’on toucha alors, d’encore plus près, plus près qu’avec Anton Tchekhov ou Jacques Audiard, sa part de spiritualité et ses vertiges nocturnes.

 

 

PS : Il y a longtemps, un livre plus ou moins autobiographique avait été publié chez Plon : « Tous mes incendies » (2001).

 

Armelle Héliot

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December 3, 12:11 PM
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«TouchePasMaVF», les comédiens de doublage mobilisés pour leurs droits –

«TouchePasMaVF», les comédiens de doublage mobilisés pour leurs droits – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 3 décembre 2024

 

 

Tandis que des négociations se tenaient ce mardi matin entre commanditaires de doublage et syndicats, les acteurs «voix», parmi les 15000 emplois de la filière, se mobilisaient pour plus de protection face aux intelligences artificielles génératives.

 

«#TouchePasMaVF», «rage against the machine», «IA dehors, nos voix sont des trésors». Ce mardi matin, place Diaghilev à Paris, le crachin tombe doucement sur les pancartes que l’on sort des coffres de voitures, se passe de main en main, et qu’on brandit devant les locaux de NBC Universal. A l’intérieur des bâtiments se tiennent au même moment des négociations cruciales pour la filière du doublage, entre les différents syndicats d’acteurs, les chaînes et plateformes commanditaires. Occasion pour les «voix» françaises, parmi les plus directement menacées par l’arrivée tonitruante des IA génératives sur le marché du cinéma et de l’audiovisuel, de dire leur inquiétude pour les 15000 emplois de la filière en France. Dans la foule, on cherche le visage de Maylis de Kerangal, en vain. L’autrice résumait parfaitement la déflagration en cours pour le secteur des «voix» dans son dernier roman, Jour de ressac (Gallimard).

«Des logiciels restituent en un clin d’œil le souffle, le grain»

Dans les belles pages de ce faux-polar, la narratrice est une comédienne de doublage d’une cinquantaine d’années qui, passant un casting pour devenir la voix française de l’actrice britannique Carey Mulligan, s’entend rétorquer que les voix humaines, c’est fini. Le trentenaire à chaussures pointues qui porte le coup de grâce, employé d’un studio de production londonien, rappelle à la narratrice cet état de fait cruel : dans la mesure où les machines sont déjà capables de vous faire parler en différentes langues et de changer vos accents, vous imaginez les économies d’échelle pour la filière ? La doubleuse sort évidemment déprimée et défaitiste : «La voix articulée a beau être l’une des techniques du corps les plus sophistiquées, inventée par les humains et les oiseaux, et différente en chacun de nous, des logiciels en restituent en un clin d’œil la précision du grain, le souffle, la tonalité. Les voix se multiplient, elles se dupliquent à l’infini, elles s’affranchissent des corps, c’est comme ça maintenant, c’est la vie.»

 

 

Face à nous dans la rue, Brigitte Lecordier, voix emblématique du manga Dragon Ball, n’est pas d’accord : «Mais non, c’est pas trop tard ! Il faut justement des réglementations pour que demain, l’histoire qu’écoute votre enfant le soir pour s’endormir ne soit pas faite avec une voix de robot.» Comme d’autres mobilisés ce mardi matin, et en attendant le règlement européen effectif seulement l’an prochain, elle demande donc un décret pour davantage de protection dans les conventions et contrats, de façon à interdire l’utilisation de sa voix pour entraîner des systèmes d’IA et créer des voix synthétiques, reconnaissables ou non.

«Sens aigu de la créativité»

«Qu’on puisse utiliser nos voix, sous licence, pour faire parler des êtres inanimés, robots, objets, etc., pourquoi pas», concède Patrick Kuban, président de l’association les Voix, en tête de la mobilisation. Mais en attendant les évolutions législatives, en attendant de connaître le niveau de transparence des machines [les discussions sont en cours à Bruxelles, ndlr], il faut certifier aux spectateurs français de cinéma, de télé ou plateforme, que les contenus qu’ils regardent ont bien été créés avec des voix humaines.» Parce que, et l’on sent la fébrilité entre les lignes du communiqué de presse, «le doublage humain fait appel à un sens aigu de la créativité et à de grandes qualités de transmission du sens profond et des émotions pour rendre compte des intentions de réalisation de la version originale». Dans la fiction de Maylis de Kerangal, le bras de fer en cours est finalement remporté par les humains : Carey Mulligan, qui n’a pas l’air convaincue par les prestations de l’IA, demande à ce que la narratrice soit rappelée pour passer un second essai. On peut toujours rêver ?

 
 
 
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December 3, 5:10 AM
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En souvenir ému de Jany Gastaldi - La chronique théâtre de Jean-Pierre Léonardini - 1 décembre 2024 | L'Humanité 

En souvenir ému de Jany Gastaldi - La chronique théâtre de Jean-Pierre Léonardini - 1 décembre 2024 | L'Humanité  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Chronique de Jean-Pierre Léonardini dans L'Humanité - 1er déc. 2024

 

 

On apprend la mort de Jany Gastaldi et cela plonge dans le chagrin la foule des êtres qui l’ont admirée de loin, trente ans durant, sur les scènes où ses apparitions sans pareilles provoquaient le frisson d’une grâce inconnue. C’était une actrice aérienne, avec des souplesses d’enfant capricieuse, également apte à un accent tragique infiniment personnel, dans l’aigu, un peu chantant, d’une voix claire délicatement voilée.

 

Élève d’Antoine Vitez au Conservatoire, elle est aussitôt incorporée dans l’ardente cohorte d’acteurs qui, grâce à lui, ont littéralement étoffé l’art de jouer. Du Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’à Chaillot et Avignon, Jany Gastaldi a brillé dans quatorze des aventures mémorables fomentées par Vitez. Il me suffit de solliciter la mémoire pour la revoir et parfois l’entendre, entre autres, dans Andromaque et BritannicusÉlectre de Sophocle, Faust de Goethe, les Miracles (d’après saint Jean). Elle a participé à trois pièces de Molière créées au Festival d’Avignon. Le Misanthropele TartuffeDom Juan.

 

Dans Hamlet, elle ne pouvait qu’être Ophélie, en sublime victime offerte à la malédiction d’aimer, tandis que dans Tombeau pour cinq cent mille soldats, de Pierre Guyotat, ce brûlot sur « la honte nationale » (Vitez), elle imposait d’emblée son aura dans un rôle plus prosaïque. Après Hernani, de Victor Hugo, et le Prince travesti, de Marivaux, elle a été une Dona Musique de rêve dans la réalisation enchanteresse du Soulier de satin, de Paul Claudel. Patrice Chéreau l’avait élue pour jouer dans une mouture de la Dispute, de Marivaux, fameux spectacle. Elle a tourné dans des films, dont le Misanthrope, de Marcel Bluwal. Elle y était Célimène, ce rôle qu’on dirait avoir été cousu pour elle sur mesure.

 

 

Après la disparition de Vitez en 1990, elle a continué d’être choisie par d’autres artistes de la mise en scène, tels Marcel Maréchal, Sophie Loucachevski, Adel Hakim, Philippe Duclos, Henri Ronse, Alain Ollivier… Elle a dit : « Si l’on ne cherche pas, si l’on ne risque pas, quel intérêt ? Jouer, cela a toujours été pour moi se mettre en danger. » Ainsi parlait Jany Gastaldi, morte toujours jeune à 76 ans, actrice qui fut une femme d’une beauté pas comme les autres, car l’âme y avait sa part. Sous un dehors fragile angélique, elle était d’une vibrante force secrète. Jany Gastaldi entre, définitivement, dans le peuple innombrable des voix chères qui se sont tues. Qui eut le bonheur de la voir vivre sur scène ne pourra décidément oublier sa présence poétique si rare, passagère touchante d’un art qui peut procurer un plaisir raffiné.

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December 2, 10:45 AM
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Avec «Marius», Joël Pommerat fait prendre le large à d’anciens détenus 

Avec «Marius», Joël Pommerat fait prendre le large à d’anciens détenus  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 2 déc. 2024

 

Dans son adaptation de l’œuvre de Marcel Pagnol, mise sur pied à la prison d’Arles en 2016, l’artiste réduit sa mise en scène à l’aventure humaine de ses interprètes.

 
 

Le décor est unique, une boulangerie, salon de thé, sans charme et sans véritables clients. On y entend Jeanne Mas chanter Johnny, Johnny, Sheila période Spacer, qui devient, le temps d’un passage au noir, la BO de la pièce, commentaire de ce qui s’y joue pour Marius : «He’s a spacer /A star chaser», un «chasseur d’étoile» coincé derrière le comptoir, avec son père César gentiment sur le dos, Fanny petite coiffeuse qui attend qu’il se déclare et la vie qui passe sans lui. Le commerce vivote, les gens préfèrent McDo, la bouffe n’a pas l’air terrible ; les sandwichs invendus sont jetés aux pigeons et la machine à café est en panne. Marius aussi, en panne d’aventure, qui attend l’occasion de s’évader au plus loin de la vie étriquée de son père, des parties de cartes avec Escartefigue, Panisse en loueur des scooters et ce Lyonnais de M. Brun même pas foutu de jouer à Pique.

 

Voilà, c’est Marius (1929) de Marcel Pagnol, revu et pas mal corrigé par Joël Pommerat et ses interprètes, dans un projet «avé l’assent», né d’un atelier théâtre au long cours à la Maison centrale d’Arles. La pièce y avait été créée en 2016, elle s’évade en tournée avec, sur le plateau, d’anciens détenus. Il faut absolument garder cette donnée en tête pour accepter une mise en scène sans autre ambition que de recentrer le regard et nos attentes sur les interprètes tous convaincants, du César de Jean Ruimi à la Fanny d’Elise Douyère, qui joue sa partition d’amoureuse autosacrifiée sans pathos, féroce, alignée sur la violence contenue de ses partenaires pour qui «jouer» n’est pas qu’un jeu.

 

Au centre, la présence physique et butée de Michel Galera en Marius donne le ton d’une adaptation brute de décoffrage, sous-tendue par l’expérience de l’enfermement carcéral des prisonniers condamnés à de longues peines. Pommerat excelle à faire entendre la vie de ses acteurs pour la plupart extérieurs au théâtre, à ses enjeux de mise en scène. On les regarde au-delà de leur personnage, alors même qu’on les voit totalement engagés dans leur rôle. Une question de vie et de vie. C’est la force de cette pièce, Marius, qui, comme l’étymologie du prénom le programme, attend de prendre la mer, de sortir définitivement du décor unique et d’un temps long de peines, sans que rien ne puisse l’arrêter. Surtout pas l’amour, qui serait une nouvelle condamnation à perpétuité. Tout cela fonctionne, tout est juste ; peut-être trop juste, sans ce véritable geste de mise en scène qui signe le théâtre de Pommerat, investi, ici et avant tout, dans une grande aventure humaine. Mais comme le chante Jeanne Mas dons son Johnny, Johnny : «Epuisé par tant d’efforts, [on] l’aime encore.»

 

 

Marius de Joël Pommerat, librement inspirée de la pièce de Marcel Pagnol, dans le cadre du Festival d’automne. Jusqu’au 8 décembre à la MC93 de Bobigny. Du 12 au 14 décembre au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ; les 18 et 19 décembre à la Ferme du buisson à Noisiel ; puis en janvier à Marseille, Limoges, Alès, Genève…

 

Laurent Goumarre  / Libération

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ENTRETIEN AVEC JOËL POMMERAT AUTOUR DE MARIUS 
VENIR DIRE SON MOT DANS LE MONDE
 
 

D’où est né votre désir de travailler en milieu carcéral ?

 

En 2014, je suis sollicité par le directeur de la Scène nationale de Cavaillon, Jean-Michel Gremillet, pour aller rencontrer Jean Ruimi, une personne incarcérée à la Maison Centrale d'Arles, qui veut monter une pièce qu'il a écrite et qui a exprimé le désir de la mettre en scène. Jean-Michel me précise le sujet de la pièce (des détenus qui mettent au point une machine à voyager dans le temps) et il insiste sur la détermination de Jean Ruimi. Je me décide alors à aller le rencontrer. Au bout de deux heures de conversation, j'étais tenté par une expérience théâtrale différente de ce que j'avais fait jusqu'alors, un désir très fort de théâtre, quelque chose de singulier. J’ai été frappé par l’intensité de cette envie de jeu, de fiction et d’invention. Le monde de la détention m'était inconnu, comme pour beaucoup de gens. Et ce n’est pas la prison qui m’a décidé à accepter ce projet, mais cette rencontre humaine et artistique. Bien sûr, cette rencontre n’est pas indépendante de l’enfermement. Cette intense volonté de faire du théâtre que j’ai perçue chez Jean contenait ce que le contexte de l’emprisonnement fait à l’humain, aux relations, à la nécessité d’un temps, d’un espace, d’une nouvelle scène. Au milieu de l'année 2015, j'étais censé créer Ça ira (1) Fin de Louis, mais j'ai réussi à préserver deux, trois jours par mois pour venir travailler avec ces personnes détenues qui constituaient un petit groupe accompagné  par Jean. Peu à peu, nous avons construit un processus de recherche et de création, poursuivant le travail d’écriture et de plateau. Et après quelques mois, ça a donné  Désordre d’un futur passé, co-mis en scène avec Jean Ruimi, avec toute l’équipe technique et administrative de ma compagnie, et avec la complicité de Caroline Guiela Nguyen à qui j’avais proposé de s’associer au projet.

 

 

« La spécificité de la prison ici, c’est la place que prend l’espace de jeu et d’imaginaire dans un contexte où tout le reste est réglé par les impératifs sécuritaires. »

 

Qu’est-ce qui est particulier dans le travail avec des comédiens débutants en détention ?

 

Au départ, la plupart des détenus d'Arles n'avaient aucune expérience du théâtre, ni comme acteurs ni comme spectateurs. C’était intéressant de travailler depuis cette absence de codes et de références propres au monde du théâtre. En comparaison avec des comédiens professionnels, le travail de recherche au plateau se fonde sur un rapport vraiment différent au fait d’être réellement et complètement au présent dans la fiction. La spécificité de la prison ici, c’est la place que prend l’espace de jeu et d’imaginaire dans un contexte où tout le reste est réglé par les impératifs sécuritaires. La prison est aussi vraiment un lieu où une sorte de dramaturgie organise de manière très serrée les relations, les positions, les regards à porter sur les différents individus. Elle établit des scissions, physiques et symboliques, entre les gens. Le théâtre trouble cette évidence de ce qui nous distingue les uns des autres, de ce qui nous définit. Le travail de création qu’on a essayé de faire vient bousculer les façons de percevoir cette réalité carcérale : la répartition des rôles et des identités.

 

Et puis, dehors, lorsqu’on mène un projet avec des comédiens débutants qui ne sont pas professionnels et n’ont pas fait d’école d’acteur, on peut compter sur tout un tas de ressources, des spectacles à aller voir, des temps de discussions autour des moments de travail. En prison, le temps est compté pour se réunir, se parler, se lier. Il fallait donc inventer des modalités de relation qui puissent tenir le coup et permettre dans la durée et l’exigence de créer ensemble ces spectacles.

 

Qu’est-ce que vous retenez d’important dans ce travail en prison ?

 

Bien sûr que la relation de travail est d’autant plus déséquilibrée que les situations de vie ; les différences de parcours de vie entre nous sont importantes. En prison, pour que notre histoire de théâtre dure et qu’on produise ces spectacles, il a fallu qu’on se donne beaucoup d’attention et de proximité : une très grande présence à l’autre. Et je crois que l’invention d’une présence à l’autre ne se limitait pas à l’espace scénique et aux moments de travail comme c’est le cas en situation dite professionnelle. Dans ce lieu et dans ces grands écarts de situations et de parcours entre nous, travailler la manière de se tenir près de l’autre déborde sur la relation d’ensemble, comme dans une absence de séparation nette entre la vie et la création.

 

Je devais m’interroger sur ce que je lançais avec eux pour creuser des questions humaines et sociales, dans l’endroit même où ces vies sont en partie à l’arrêt. J’étais témoin d’une intensité d’émotion que le jeu produisait et je voyais sous mes yeux une qualité du travail artistique qui pouvait éclore. Un rapport très concret à la fiction. En même temps, je ne pouvais pas faire comme si je n’étais pas conscient que c’est depuis l’aridité de la prison que le plateau prenait cette valeur pour ces comédiens. Et ça n’est pas sans poser de question. Des questions de pouvoir, des questions d’éthique comme on pourrait nommer ça. Encore plus qu’ailleurs j’ai dû m’interroger : qui je suis pour venir travailler là, avec ces personnes, qu’est-ce que j’incarne, qu’est-ce que je tracte, qu’est-ce que je prends de ce qu’ils me partagent. Ça m’a amené à me demander ce qui me plaisait dans ce travail particulier, coupé du monde extérieur, avec des gens qui ne connaissaient quasiment rien du théâtre et pour qui il devenait pourtant éminemment important. Je crois que je trouvais en eux un écho de ce que créer fait à ma vie et dans ma vie. J’ai une grande lucidité sur la limite du théâtre et je ne crois pas qu’il puisse changer le monde. Mais je l’ai choisi comme le seul espace où je me dérobe à ce qu’on présente comme la vérité ou l’évidence. La seule incursion véritable dans le réel est comment il se donne à voir et à comprendre. À éprouver aussi. Je crois que nous avions quelque chose de proche sur ce rapport-là, le théâtre comme seule option crédible pour venir dire son mot dans le monde.

 

 

Propos recueillis par Hugues Le Tanneur pour le Festival d’Automne 2024

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November 30, 7:18 PM
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Les Fausses Confidences de Marivaux par Alain Françon

Les Fausses Confidences de Marivaux par Alain Françon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans WebThéâtre - 28 nov. 2024

50 ans avant la Révolution, amour, argent et quête de soi existentielle.

Les Fausses Confidences (1737) est la pièce ultime de Marivaux qui bouscule l'ordre social - lumineuse et prémonitoire -, liant le romanesque à la radicalité.


Le fils de bonne famille Dorante, destiné à être avocat mais ruiné, s’avise de tomber amoureux d’une jeune veuve fort riche, Araminte. Le jeune homme est coaché pour cette affaire par son ancien valet Dubois, manipulateur dont l’art consiste justement à faire à chacun des protagonistes de fausses confidences, en s’amusant des tensions du coeur et de la raison chez les maîtres, comme chez les valets car Marton, la suivante d’Araminte, fera aussi les frais de ces mensonges.

 

Pour le metteur en scène Alain Françon, la pièce marivaldienne accentue le jeu autour du rang social, de la fortune et de la quête de soi - des variations entre intentions cachées ou inavouées, sous les contraintes de l’argent ou du sentiment.

 

Et chacun le sait, les affaires font fi de l’amour et des scrupules : Dorante, le fameux nouvel intendant d’Araminte aux projets incertains, entre coup de foudre et intérêt, est doté d’un oncle loquace un peu maladroit, Monsieur Rémy le Procureur, qui l’enjoint à épouser ailleurs une bonne fortune qui ne pourrait ainsi lui échapper, lui demandant d’abandonner aussitôt le poste dont il était initialement le garant.

 

Or, le maître des jeux n’est autre que Dubois, l’ancien valet de Dorante, qui oeuvre en démiurge pour les intérêts de celui-ci, marionnette prise dans des rets serrés : il croit déjà le voir, lui dit-il, « en déshabillé dans l’appartement de Madame ». Les sentiments qui vont et viennent de la part d’Araminte, victime de la surprise de l’amour, font le miel du maître marionnettiste tout à son « affaire », terme récurrent.

« Affaire » désignée comme « infaillible », « avancée » ou bien « en crise » par l’éloquence de Dubois, l’appellation mène bien la danse avant qu’elle ne soit retirée de ses mains par Araminte elle-même, vaincue par la passion, qui ponctue sèchement : « Ce sont mes affaires. » La jeune veuve rejette sa caste de parvenus en la personne de sa mère, Madame Argante, qui rêve de voir sa fille épouser un comte.

Araminte souffre avant l’heure d’une volonté d’émancipation et de libération des contraintes - individuelles, familiales et sociales - qui entravent le désir et l’intimité. Elle ne supporte plus de voir « d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une infinité de gens de rien, et sans mérite, en ont une éclatante ». Elle refuse d’épouser, contre l’avis maternel, le riche et puissant comte, lui préférant son intendant, désargenté et déclassé, rencontré le matin et épousé le soir même...

Quelle est la sincérité de Dorante, amant aux intérêts matériels et affectifs, approximativement manipulé et manipulateur ? Le public n’a d’yeux que pour Araminte, naturelle, au sens élaboré du terme, selon Alain Françon, puisque la surprise de l’amour la révélera libre dans la reconnaissance de soi et du désir.

Le décor de Jacques Gabel est efficace, petites portes, murs et fenêtre entrouverts ou fermés, qui laissent voir des coursives, des travées où les activistes manipulateurs oeuvrent dans l’ombre - silence, mystère, choses tues ou devinées.

Pierre-François Garel est l’amant attachant et équivoque, entre naïveté et séduction. Guillaume Lévêque en Monsieur Rémy déclame avec talent et gourmandise sa propension bourgeoise à se raconter, « bonhomme », selon les dires de la méprisante Madame Argante, interprétée par la grâce majestueuse de Dominique Valadié. Yasmina Remil pour Marton est juste et vraie. Séraphin Rousseau en Lubin, sorte d’Arlequin, est malicieux et goujat à souhait, et Maxime Terlin en garçon joaillier est admirable d’ambiguïté servile. Quant à Alexandre Ruby - le Comte -, il a du style à se rendre au fait de ne pas être aimé, seigneur éconduit.

Gilles Privat en Dubois joue de son expérience avec patience et sérénité, selon les instants et les sentiments changeants de chacun, c’est l’artisan-horloger. Et l’élégante Georgia Scalliet en Araminte sait être elle-même, s’adressant au public avec humour facétieux, agacée de ses pleurs et se ressaisissant avec belle liberté.

 

 

Véronique Hotte / WebThéâtre

 

 

Les Fausses Confidences, texte de Marivaux, mise en scène Alain Françon,
assistanat à la mise en scène Marion Lévêque. Avec Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Gilles Privat, Yasmina Rémil, Séraphin Rousseau, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet, Maxime Terlin, Dominique Valadié.

 

Décor Jacques Gabel, lumières Joël Hourbeigt,Thomas Marchalot, musique Marie-Jeanne Séréro, costumes Pétronille Salomé, coiffures maquillage Judith Scotto, conseil chorégraphique Caroline Marcadé.

 

Du 23 novembre au 21 décembre, mardi, mercredi, jeudi, vendredi 20h, samedi 18h, dimanche 15, au Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, 7 avenue Pablo-Picasso - 92022 Nanterre. Tél : 01 46 14 70 00 ; nanterre-amandiers.com
Du 8 au10 janvier 2025, Théâtre de l’Empreinte, Brives. Les 15 et 16 janvier 2025, Scène Nationale Albi. Du 22 au 26 janvier 2025, Théâtre Montansier, Versailles. Les 30 et 31 janvier 2025, Opéra de Massy. Les 12 et 13 février 2025, Théâtre Saint Louis, Pau. Du 25 au 26 février 2025, Maison Culture d’Amiens. Du 4 au 6 mars 2025, Le Quai d’Angers - CDN. Du 18 au 21 mars 2025, Théâtre Jeu de Paume - Aix en Provence. Du 25 au 29 mars 2025, Théâtre municipal - Caen. Du 2 au 5 avril 2025, Scène Nationale d’Annecy. Du 8 au 11 avril 2025, CDN de Saint-Étienne.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

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November 29, 12:11 PM
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Vingt spectacles à ne pas manquer en décembre. La sélection des critiques du Monde 

Vingt spectacles à ne pas manquer en décembre. La sélection des critiques du Monde  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Théâtre, opéra, danse, humour, cirque, conte, marionnettes : à Paris et en région, les critiques du « Monde » ont sélectionné les représentations à réserver en cette fin d’année.

Par Sandrine Blanchard, Rosita Boisseau, Fabienne Darge, Joëlle Gayot, Cristina Marino et Marie-Aude Roux dans Le Monde, 29 nov. 2024

 


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/29/vingt-spectacles-a-ne-pas-manquer-en-decembre_6419553_3246.html

Avant le lancement des spectacles de fin d’année, le mois de décembre est riche en propositions dans tous les domaines des arts de la scène. Un Shakespeare dépouillé à Lyon, un Soulier de satin quasi intégral à Paris, un Polifemo étourdissant à Versailles, une Alison Wheeler irrésistible en tournée, une effervescence de rendez-vous pour enfants au Havre… De quoi occuper de belle manière les longues soirées en attendant Noël.

 

 

THÉÂTRE

« Haribo Kimchi », la cuisine théâtrale de Jaha Koo

L’artiste sud-coréen Jaha Koo s’était déjà fait remarquer, en 2019, en donnant la vedette de son spectacle Cuckoo à des rice cookers, ces robots ménagers présents dans toutes les cuisines d’Asie du Sud-Est. Avec sa nouvelle création, il transforme le théâtre en pojangmacha, ces gargotes ambulantes typiques des rues sud-coréennes, repère des noctambules de toutes sortes. Le cuiseur à riz figurera une nouvelle fois en bonne place dans ce voyage culinaire, où la nourriture sert de vecteur à une réflexion sur l’assimilation culturelle, symbolisée par le choc entre les bonbons Haribo et le kimchi, une méthode traditionnelle de fermentation des légumes. Ces liens entre alimentation et identité sont par ailleurs l’occasion pour Jaha Koo de poursuivre ses recherches sur des formes hybrides combinant cuisine, écriture documentaire, vidéo, musique et robotique. F. Da.

 

 

Théâtre de la Bastille, Paris (Festival d’automne), du 9 au 14 décembre.

 

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Nicole Garcia dans « Royan », de Marie NDiaye

Rencontre au sommet : celle de l’écrivaine Marie NDiaye et de l’actrice Nicole Garcia, dans Royan, créée au Festival d’Avignon en 2021 et reprise au théâtre La Commune d’Aubervilliers. Les ondes souples et félines de l’écriture de Marie Ndiaye saisissent les échos enfouis d’une vie de femme, professeure de français qui a cru se protéger des « effluves âcres du malheur », mais dont la tragédie remonte à la surface à l’occasion du suicide d’une de ses élèves. Nicole Garcia l’incarne magnifiquement, avec une dureté de fauve blessé, cette femme aux abois : son jeu âpre et sauvage, aux arêtes cassantes, n’a pas d’équivalent. F. Da.

 

 

Théâtre La Commune, Aubervilliers, du 11 au 15 décembre.

 

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« Le Songe » dépouillé de Gwenaël Morin

Plus de vingt ans déjà que Gwenaël Morin décape l’art théâtral de ses colifichets pour lui redonner une urgence, une intensité, une dimension dionysiaques. Il le prouve une nouvelle fois avec ce Songe librement adapté de la pièce de Shakespeare, qui a fait la joie des nuits avignonnaises lors du Festival 2023. En nettoyant Le Songe d’une nuit d’été de la féerie qui s’y attache, en le jouant avec presque rien et en misant tout sur le jeu de quatre excellents acteurs – Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung et Grégoire Monsaingeon –, le metteur en scène retrouve toute l’acuité de cette comédie sur la folie du désir amoureux. Comme le dit le grand Will, « l’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’imagination ». F. Da.

Théâtre des Célestins, Lyon, du 11 au 15 décembre.

 

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« La Tour de Constance » ou la confusion des sentiments

Sur scène, six acteurs issus de l’école du Théâtre national de Bretagne. Trois femmes, trois hommes, que l’auteur-metteur en scène Guillaume Vincent précipite dans une confusion des sentiments, des identités, des désirs et des sens. L’histoire se passe dans un hôtel. Lourds rideaux bleu layette, chaises roses, motifs géométriques de la moquette : de la plonge au ménage, des jeunes gens se croisent, s’aiment, se quittent, pleurent, rient, s’enlacent et se désenlacent. Le décor n’évolue pas. Ce sont les voix et la sensualité d’interprètes remarquablement dirigés qui lui donnent son relief. Tous ces adultes en devenir ne connaîtront pas le même sort. Certains s’épanouissent, tandis que d’autres se perdent. Si cette fiction est douce-amère, c’est parce que, parfois, la vie sait être cruelle. J. Ga.

 

Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 12 au 21 décembre.

 

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« 4211 km », portrait d’un Iran perdu

Portrait d’un Iran perdu et pleuré par Aïla Navidi, autrice, metteuse en scène et comédienne d’un spectacle qui se situe à hauteur de l’humain. Sur un plateau au décor minimal, elle déploie une fresque mémorielle. C’est en France que les parents de son héroïne, Yalda Farhadi, ont choisi de s’exiler ; en France que Yalda elle-même a grandi, puis accouché d’une petite fille. Dans cette histoire revisitée par la narratrice, le présent ravive le passé qui, à son tour, éclaire le présent.

 

Les séquences d’hier et d’aujourd’hui s’entremêlent pour raconter le chemin chaotique emprunté par un couple fuyant vers la liberté. Entourée par cinq comédiens, Aïla Navidi donne corps à des personnages livrés à une bataille déchirante entre désir d’émancipation et nostalgie de la terre natale. Ces réminiscences ne vont pas sans bons sentiments. Mais l’artiste sait s’en tenir à un réalisme efficace dans son approche des quotidiens. J. Ga.

 

 

Studio Marigny, Paris, jusqu’au 31 décembre.

 

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« Le Soulier de satin » dans sa quasi-intégralité

Une langue somptueuse qui tutoie le trivial et le sublime, une fresque délirante où la passion aimante les héros Prouhèze et Rodrigue, une épopée qui plie le monde à sa botte, vingt années racontées en quatre journées décisives : lorsque Paul Claudel écrit Le Soulier de satin, il rêve le théâtre en grand. Il le veut magistral et spectaculaire. Il le croit capable de tout. Créée en 1943 à la Comédie-Française par Jean-Louis Barrault, cette pièce démente, qui embarque le spectateur pour une traversée d’heures agitées, aussi baroques que mystiques, aussi concrètes que poétiques, revient se poser salle Richelieu grâce à Eric Ruf. Le metteur en scène, qui quittera en 2025 son siège d’administrateur de la Maison de Molière, veut partir sur un geste fort. Pour la quatrième fois de son existence, Le Soulier sera représenté dans sa quasi-intégralité. J. Ga.

Comédie-Française, Paris, du 21 décembre au 13 avril 2025.

 

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« Sens dessus dessous », la littérature en état de grâce

La précision, l’élégance, la souplesse, une façon bien à lui de sillonner les écritures : André Dussollier est un acteur à part dont la présence au théâtre est toujours un évènement. Le comédien reprend aux Bouffes parisiens un spectacle créé il y a un an et pour lequel il a tout conçu : la scénographie (qui ne manque pas de malice) et le montage des textes. Sens dessus dessous (titre inspiré par Raymond Devos) emmène le public vers les états de grâce de la littérature. Victor Hugo, Charles Baudelaire, Roland Dubillard, Sacha Guitry, bien d’autres plumes encore : les mots des auteurs convoqués accouchent de mondes absurdes, dramatiques, jubilatoires, inquiétants. La vie est une suite de contrastes et Dussollier (qui le sait bien) ne nivelle jamais rien de ce qu’il choisit de faire entendre. Ce qui fait de lui un interprète rare, un peu chat et un peu jaguar. J. Ga.

 

Théâtre des Bouffes parisiens, du 3 au 31 décembre.

 

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OPÉRA

Le trépidant « Turc en Italie » de Laurent Pelly

Créé en août 1814 à la Scala de Milan, Le Turc en Italie n’a pas connu le fulgurant succès de L’Italienne à Alger, du Barbier de Séville ou de La Cenerentola – l’œuvre n’a été redécouverte que tardivement, à partir des années 1950. C’est pourtant un opéra-bouffe très enlevé, dont l’intrigue et les tours de passe-passe sont à l’origine de situations aussi cocasses que sentimentales. La coquette et volage Fiorilla, femme du pantouflard Don Gerinio, tombe dans les bras d’un beau Turc, Selim, fraîchement débarqué en Italie, qui se propose de s’enfuir avec elle. Mais celui-ci a autrefois été fiancé à une bohémienne, Zaïda, laquelle n’aspire qu’à retrouver son amour. Au centre, un poète en quête d’inspiration. Qui mieux que Laurent Pelly pour expertiser cette comédie au vitriol, les multiples rebonds d’une action menée tambour battant par la verve rossinienne ? Dans des décors inspirés du roman-photo, une distribution internationale réunit la soprano Sara Blanch, la basse Adrian Sâmpetrean et les barytons Florian Sempey et Renato Girolami. M.-A. R.

Opéra national de Lyon, Lyon 6e, du 11 au 29 décembre.

 

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Les bouleversants « Dialogues des carmélites » d’Olivier Py

Présentés en 2013 au Théâtre des Champs-Elysées, ces Dialogues des carmélites, de Francis Poulenc, atteignaient des sommets dans la mise en scène singulièrement inspirée d’Olivier Py, sans doute l’une de ses plus belles réussites. Le livret, tiré de l’œuvre de Georges Bernanos, relate l’histoire vraie des seize religieuses du carmel de Compiègne guillotinées le 17 juillet 1794 à Paris. Cette longue altercation du doute et de la foi, Olivier Py et le scénographe Pierre-André Weitz l’ont déroulée dans un dénuement ardent et monacal.

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La direction d’acteur est remarquable, chaque caractère finement ciselé, les rapports entre les femmes minutieusement informés. Certaines des interprètes féminines sont de nouveau présentes, mais dans des rôles différents. Si Véronique Gens conserve le rôle de Madame Lidoine, Patricia Petibon sera ici Mère Marie de l’Incarnation, tandis que Sophie Koch chantera l’incroyable agonie de la prière blasphématoire, Madame de Croissy. Elles seront rejointes par Vannina Santoni (qui fera sa première Blanche de la Force) et Alexandre Duhamel. Au pupitre de cette reprise, l’Américaine Karina Canellakis, à la tête des musiciens Les Siècles. M.-A. R.

Théâtre des Champs-Elysées, Paris 8e, du 4 au 12 décembre.

 

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L’étourdissant « Polifemo » de Porpora

1735 : Nicolo Porpora est depuis deux ans en terre londonienne pour tenter de contrecarrer son rival Haendel, alors maître de l’opéra italien, dont il a le monopole. Le cinquième ouvrage du Napolitain pour l’Opera of the Nobility, Polifemo, a de sérieux atouts, dont les célébrissimes castrats Farinelli et Senesino (ce dernier étant passé à l’ennemi en quittant la Royal Academy de Haendel). Le succès, qui réunit autour du cyclope Polyphème les personnages héroïques de la mythologie grecque – le roi d’Ithaque Ulysse, la nymphe Calypso, les amants Acis et Galatée –, est retentissant.

Brillamment incarné par des virtuoses qui n’ont rien à envier aux castrats – Franco Fagioli, Paul-Antoine Bénos-Djian –, Julia Lezhneva, Eléonore Pancrazi et José Coca Loza, le chef-d’œuvre nous revient dans une mise en scène de Justin Way, avec les costumes spectaculaires de Christian Lacroix, les danseurs de l’Académie de danse baroque de l’Opéra royal qu’accompagne l’Orchestre de l’Opéra royal, dirigé par le violoniste polonais Stefan Plewniak. M.-A. R.

 

Opéra royal de Versailles (Yvelines), du 4 au 8 décembre.

 

Roberto Alagna dans le dramatique « Fedora » de Giordano

« Une femme A adore un homme B. B périt victime d’un meurtre. A soupçonne C d’être l’assassin. Elle s’acharne contre lui, le ruine, le déshonore, le fait condamner à mort. Puis A découvre que C est innocent. » Ainsi Victorien Sardou résumait-il de manière lapidaire la pièce qui servit de livret au chef-d’œuvre de Giordano. Comme son compatriote Puccini dans Tosca, le compositeur s’inspire d’une héroïne de théâtre et des amours tragiques sur fond de pouvoir totalitaire. Vladimir, le fiancé de la princesse Fedora Romanova, est assassiné à Saint-Pétersbourg en 1881 par l’anarchiste Loris Ipanov. Fedora décide alors de poursuivre le meurtrier à Paris, qu’elle dénonce à la police impériale. Mais Loris lui révèle que sa femme était la maîtresse de Vladimir.

Les voici unis par un amour né d’une double et commune trahison. Le couple maudit qui fera ses débuts au Grand Théâtre de Genève n’est autre que celui formé par Roberto Alagna et son épouse, la soprano Aleksandra Kurzak. Ils seront en alternance avec les Russes Elena Guseva et Najmiddin Mavlyanov. A la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, la baguette d’Antonino Fogliani, tandis que la mise en scène, transposée à l’ère post-glasnost, sera confiée à Arnaud Bernard. M.-A. R.

Grand Théâtre de Genève, Genève (Suisse), du 12 au 22 décembre.

 

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DANSE

Le Centre national de la danse fête ses 20 ans à Pantin

Le somptueux bâtiment, ancien centre administratif, abritant le Centre national de la danse à Pantin fête le 7 décembre ses 20 ans consacrés à l’art chorégraphique. Conçu par l’architecte Jacques Kalisz, réhabilité par Antoinette Robain et Claire Guieysse, labellisé cette année « architecture contemporaine remarquable », ce lieu, imposant dans son béton sombre, abrite sur cinq niveaux une médiathèque, un espace d’exposition, une salle de projection, quatorze studios…

Plaque tournante du spectacle chorégraphique, avec différentes équipes dévolues, entre autres, au soutien à la création, à la formation, à la recherche et au patrimoine, il accueille le 7 décembre une série de spectacles et de performances signés Boris Charmatz, François Chaignaud, Baptiste Cazaux, Soa de Muse… L’exposition Pièces distinguées, qui valorise 250 fonds des archives de la médiathèque, sera également visible. Le cabaret sera aussi de cette fête d’anniversaire, avec la présence toujours génialement magnétique de Monsieur K. R. Bu

CND, Pantin, le 7 décembre, de 15 heures à minuit. Evénements gratuits avec réservation obligatoire (spectacles, performances et visites guidées).

Carte blanche à Amala Dianor

Il est partout. Le danseur et chorégraphe Amala Dianor s’offre un mois de décembre beau comme un cadeau. Du 5 au 19 décembre, la Maison des métallos devient son adresse parisienne avec différents spectacles et ateliers. Au programme : Man Rec, solo autoportrait reflétant ses inspirations hip-hop, contemporaines et sénégalaises dans une écriture riche et fluide ; M&M, duo enlevé entre hip-hop et dance hall interprété par Marion Alzieu et Mwendwa Marchand ; Coquilles, première création pour les tout-petits…

Une exposition photographique intitulée Sound of the city, cosignée avec Grégoire Korganow, décline en images le processus de création de sa pièce Dub, entre Los Angeles, Atlanta et Chicago. Et pour compléter ce programme en mode majeur, Dub, qui met en scène onze performeurs spécialistes en voguing, pantsula sud-africain, krump ou waacking, est à l’affiche du 11 au 14 décembre du Théâtre de la Ville, à Paris. R. Bu

Maison des métallos, Paris, du 5 au 19 décembre. Et Dub, d’Amala Dianor, Théâtre de la Ville, Paris, du 11 au 14 décembre.

« Contre-nature », la passion pour l’envol de Rachid Ouramdane

Depuis sa collaboration très réussie avec les artistes experts en portés acrobatiques de la compagnie de cirque XY pour le spectacle Möbius, créé en 2019, le chorégraphe Rachid Ouramdane est tombé sous le charme de cette technique aérienne où la confiance dans l’autre est le ciment d’architectures humaines sublimes.

Avec Contre-nature, présenté du 6 au 17 novembre à Chaillot-Théâtre national de la danse à Paris, dont Rachid Ouramdane est le directeur, il poursuit et affine encore sa passion pour l’envol et la chute, l’équilibre et l’instabilité, en insistant sur l’importance de la relation entre les interprètes. Avec dix danseurs-acrobates en scène, tous unis par une énergie de groupe hypnotique, il souligne combien porter son partenaire, le soutenir, le rattraper pour mieux décoller avec lui ou rouler au sol possède une beauté aussi magique qu’émouvante. Sur une musique atmosphérique de Jean-Baptiste Julien, Contre-nature parie sur la douceur de la virtuosité. R. Bu

En tournée : le 1er décembre, à Cannes ; le 10 décembre, à La Roche-sur-Yon ; du 17 au 20 décembre, à Annecy ; le 15 janvier 2025, à Dijon.

 

 

CIRQUE

Le collectif Petit Travers dans « Nos matins intérieurs »

Lorsque le jonglage se déploie dans un ballet optique, il faut compter avec le talent et la virtuosité du collectif Petit Travers. Fondée en 2004, sous la houlette de Nicolas Mathis et Julien Clément depuis 2011, cette troupe d’excellence réussit à conjuguer impact visuel et artisanat du geste, engagement personnel et jeu collectif, dans une partition savante de jets de balles et de bâtons. Leur spectacle Nos matins intérieurs, à l’affiche jusqu’au 1er décembre de l’Espace Chapiteaux de La Villette, rassemble dix jongleurs d’horizons et de pays différents, accompagnés en direct par le Quatuor Debussy.

Dans un décor de cubes gris manipulés à vue par les interprètes, chacun témoigne en paroles de son parcours d’acrobate de cirque, avec ses hauts et ses bas, tout en livrant des numéros tranquillement fabuleux. Ensemble, sur des musiques de Henry Purcell ou du compositeur Marc Mellits, ils font dialoguer le travail et la grâce dans des dégradés et des vagues de balles blanches comme suspendues en l’air ou des compositions géométriques mouvantes. R. Bu

Espace Chapiteaux, La Villette, Paris, jusqu’au 1er décembre. Puis en tournée : les 6 et 7 décembre, à Thonon-les-Bains ; les 17 et 18 décembre, à La Rochelle ; le 9 janvier, à Limoges ; le 14 janvier, à Saint-Médard-en-Jalles ; les 16 et 17 janvier, à Boulazac-Isle-Manoire ; du 8 au 14 février, à la Maison de la danse, à Lyon.

 

 

JEUNE PUBLIC

Une éruption de spectacles pour enfants au Volcan

La 7e édition du Ad Hoc Festival, du 30 novembre au 7 décembre, vise un double objectif : faire circuler artistes et spectateurs sur l’ensemble du territoire – depuis les communes de quelques centaines d’habitants aux zones périphériques du Havre Seine Métropole, de Rouen, ou même de Deauville et de Fécamp – et promouvoir une création audacieuse et innovante destinée au jeune public.

Les 23 spectacles proposés aborderont un large panel de thématiques et mêleront une variété de disciplines allant du théâtre, de la danse et des marionnettes à la musique contemporaine ou baroque, en passant par les DJ, la radio ou même un opérabus itinérant. Deux compagnies proposeront une nouvelle création conçue pour le festival : le collectif La Cohue (Sophie Lebrun et Martin Legros) présentera son premier spectacle jeune public, une adaptation du célèbre Pinocchio, de Carlo Collodi, et Les Nouveaux Ballets du Nord-Pas de Calais (Amélie Poirier) orchestreront un projet baptisé Magnéééétique, en deux parties (Face A et Face B), autour de la K7 audio, alliant danse, musique, clown et théâtre d’objets. C. Mo

 

MARIONNETTES

Le théâtre d’ombres persan revisité par Hamid Rahmanian

En février 2022, le réalisateur et illustrateur iranien Hamid Rahmanian, né en 1968 à Téhéran et installé aux Etats-Unis depuis les années 1990, avait choisi la France et le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac pour la première mondiale de son spectacle Shâhnâmè. Les amours de Bijan et Manijeh (Song of the North). Il est de retour sur les lieux de cette création pour six représentations exceptionnelles, du 5 au 8 décembre.

Adapté du Livre des rois, un poème épique écrit au Xe siècle par Ferdowsi (vers 940-1020), texte fondateur de la littérature iranienne, le récit relate les amours contrariées du valeureux chevalier Bijan et de la belle princesse Manijeh, à la voix ensorceleuse, appartenant à des royaumes ennemis, en guerre depuis des siècles. Cet époustouflant feu d’artifice (d’environ une heure et demie) de tableaux colorés, de cavalcades effrénées, de batailles épiques repose sur un astucieux dispositif scénique : les quelque 500 marionnettes et 200 paysages animés, ainsi que la dizaine de comédiens et manipulateurs se trouvent derrière un immense écran placé sur le devant du plateau, seules leurs silhouettes et images sont visibles du public, projetées en ombres chinoises. C. Mo

Théâtre Claude-Lévi-Strauss, Musée du quai Branly-Jacques-Chirac, Paris 7e, du 5 au 8 décembre.

 

 

 

THÉÂTRE D’OBJETS

Le réjouissant jeu de piste de Pauline Ringeade et Eléonore Auzou-Connes

Dans le spectacle Pister les créatures fabuleuses, créé en 2021, la metteuse en scène Pauline Ringeade a adapté sur les planches, avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité, le texte d’une conférence jeune public donnée par le philosophe et naturaliste Baptiste Morizot en 2018 au Nouveau Théâtre de Montreuil. Il y partageait une série de récits de pistage en forêt ou en montagne dans différents pays et continents. Les « créatures fabuleuses » dont il est ici question ne sont ni licornes, ni dragons, ni griffons tout droit sortis de l’imagination fertile d’un écrivain.

Il s’agit d’êtres qui vivent non loin de nous, dans les forêts et dans les océans : loups, renards, coyotes, ours, cachalots… même si, la plupart du temps, ils sont invisibles et fuient la présence humaine. Plongée dans un univers sonore constitué de bruits – enregistrés ou créés en direct –, la comédienne Eléonore Auzou-Connes incarne avec fougue une exploratrice un brin casse-cou lancée sur les traces de plusieurs animaux sauvages, dont un « nanoulak », ourson né d’un grizzly et d’une ourse polaire. C. Mo

Théâtre Silvia Monfort, Paris 15e, du 10 au 19 décembre.

 

 

Sandrine Blanchard, Rosita Boisseau, Fabienne Darge, Joëlle Gayot, Cristina Marino et Marie-Aude Roux

 

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Georges Lavaudant / Accumule, puis distribue - A propos de Gabriel Monnet

Georges Lavaudant / Accumule, puis distribue - A propos de Gabriel Monnet | Revue de presse théâtre | Scoop.it

ENTRETIEN - Propos recueillis par Catherine Robert / Artcena - 28 nov. 2024

 


« Je n’avais pas envie de devenir un notable. » disait Gabriel Monnet pour expliquer sa décision de partir à la retraite à soixante ans, en 1981, en laissant Georges Lavaudant diriger la Maison de la Culture de Grenoble sans lui. Ce dernier suit l’exemple de Gaby, en faisant profiter les créateurs plus jeunes de sa « présence amicale », s’occupant des lumières dans Gaby, mon spectre et participant aux rencontres des 14 et 15 décembre.

 

 

Comment avez-vous rencontré Gabriel Monnet ?
Georges Lavaudant : En 1971, nous avions créé, avec Ariel Garcia-Valdès, un spectacle qui s'appelait Joe Pop and Marcus. Nous sommes allés le jouer au Palais de la Méditerranée, à Nice, où Gabriel Monnet dirigeait le Centre Dramatique nouvellement créé. Il est venu nous voir. Nous étions alors installé au Rio, un tout petit théâtre à Grenoble, et nous avons monté Le Roi Lear, avec des copains amateurs. Gaby, qui venait d’être nommé à Grenoble, est revenu nous voir et a trouvé ça très bien ! En 1974, Michel Guy, nommé secrétaire d’Etat à la Culture, a souhaité associer directeurs confirmés et jeunes artistes : Daniel Benoin et Jean Dasté à Saint-Etienne, Bruno Bayen et Maurice Sarrazin à Toulouse et moi avec Gaby à Grenoble. Gaby était d’une générosité splendide. C’est le seul endroit où cette association a vraiment fonctionné : il n’y avait pas de conflits d’égos, d’esthétiques ou de points de vue politique entre nous.

 

 

Comment dirigeait-on une Maison de la Culture ?
Georges Lavaudant : J’ai dirigé celle de Grenoble à partir de 1981 avec Jacques Blanc. Diriger une Maison de la Culture, c’est compliqué ! Quand j’ai pris la direction de celle de Grenoble, elle avait quinze ans d’existence : elle avait été créée en 1968 pour les Jeux Olympiques, au moment d’un débat, très fort à l’époque, et qui a continué à être sous-jacent, entre l’action culturelle et la création. Les Maisons de la Culture voulaient accueillir un maximum de personnes en danse, poésie et activités annexes relevant de l’action culturelle, contre une politique élitiste, représentée par les metteurs en scène qu’on accusait de défendre des textes abscons avant-gardistes. Pierre Gaudibert avait écrit, dès 1972, Action culturelle, intégration et/ou subversion, et cette question alimentait le débat politique de l’époque, très ardent à Grenoble. La culture, à l’époque, était un sujet de premier intérêt. A l’origine de leur création, Malraux voulait en finir avec le centralisme parisien. L’idée audacieuse, ambitieuse et très noble était que les gens avaient partout droit aux plus grandes œuvres d’art. Cette période et cette ambition étaient celles de Gaby Monnet et de tous ces pionniers qui furent des Sisyphe. N’oublions pas que la Maison de la Culture de Bourges fut inaugurée par De Gaulle et Malraux : c’est dire l’importance magnifique de ce projet ! Diriger une telle maison, c’était donc convaincre ceux qui par peur ou manque de moyens ne veulent pas venir, envoyer des animateurs culturels dans les lycées ou les entreprises, laisser la porte grande ouverte, mais, en même temps, ne pas rabaisser les œuvres et ne pas faire de sondage pour savoir si la programmation était politiquement correcte ou correspondait au sujet de l’année ! Nous tenions à ce que l’art, parfois, échappe à la compréhension, qu’il doit être ébranlement, qu’il peut parfois laisser harassé, exténué, parfois en rage devant ce qu’il représente. Le débat était exagéré, souvent surjoué, mais reconnaissons que cet affrontement était marrant et extrêmement vivant ! A Grenoble et sans doute ailleurs, à Bourges, à Caen, au Havre, à La Rochelle et à Amiens, on discutait vraiment de la place de l’art dans la cité. L’idée paraît sans doute aujourd’hui ridicule, mais on se disait que tout le monde devait fréquenter les lieux de culture, que l’art était une des préoccupations sociales principales. A Grenoble, Hubert Dubedout s’était fait élire à la mairie sur le dossier de l’approvisionnement en eau des logements, surtout ceux des étages supérieurs ; son slogan de campagne était « Grenoble Ville Olympique, c’est bien. De l’eau à nos robinets, c’est mieux ». Mais il n’empêche qu’il a lancé le chantier de la Maison de la Culture : on peut s’occuper des cantines et faire rêver les gens ! C’est le « et » qui est important ! Aujourd’hui, on a l’impression d’avancer sur une seule jambe ! Et si on pouvait se débarrasser de la culture qui coûte un peu trop cher, on le ferait sans doute.

 

 

Qui était Gabriel Monnet ?
Georges Lavaudant : Un être exceptionnel, qui réunissait des qualités merveilleuses : homme de théâtre, poète, philosophe, marcheur, bouliste, cuisinier, tout à la fois enfant et puits de sagesse. Il irradiait ! Non pas comme un maître, mais comme un camarade, un copain, quelqu’un à qui on pouvait tout dire. Il ne laissait jamais rien tomber, et ne pouvait pas se résoudre à ce que les choses n’aillent pas mieux et que la vie ne soit pas plus belle. Il citait souvent René Char, son poète préféré. Il partageait son immense culture de manière ludique et fraternelle. Il était le contraire d’un gourou. On le retrouvait toujours comme on retrouve un paysage aimé, une femme aimée : on était certain d’en revenir ému et enrichi.

 

 

 
 
Catherine Robert est professeur de philosophie depuis trente ans et journaliste depuis vingt-cinq ans pour Theatreonline, La Terrasse et L'Officiel des spectacles....

 

 

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November 28, 6:59 PM
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Dans « Je ne suis pas arabe », au théâtre La Reine blanche, Elie Boissière plonge dans les méandres de la mémoire familiale

Dans « Je ne suis pas arabe », au théâtre La Reine blanche, Elie Boissière plonge dans les méandres de la mémoire familiale | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 28 nov. 2024

 

A partir des souvenirs de sa grand-mère maternelle, le comédien a écrit, avec Ben Popincourt, une autofiction pleine de fantaisie qu’il interprète seul sur scène, accompagné par le musicien Ahmed Amine Ben Feguira.

Lire l'article sur le site du  "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/28/dans-je-ne-suis-pas-arabe-au-theatre-la-reine-blanche-elie-boissiere-plonge-dans-les-meandres-de-la-memoire-familiale_6418037_3246.html

La flamme d’une bougie, un nuage de fumée, la douce mélodie d’un oud, un drap blanc tendu derrière lequel se profile, en ombre chinoise, la silhouette d’un corps qui se contorsionne dans des postures étranges au gré de jeux de lumière… Voilà ce que découvre le public en pénétrant dans la petite salle Marie-Curie, à l’étage du théâtre La Reine blanche, à Paris. La toute jeune compagnie Les Yeux larges, fondée en 2024 par le comédien Elie Boissière, y présente sa première création, Je ne suis pas arabe, jusqu’au 21 décembre.

 

 

Puis le récit commence dans une maternité, où Elie et Dounia attendent la venue de leur premier enfant, entourés par leurs familles respectives… et par un défilé de plats traditionnels apportés par les uns et les autres. Mais le bébé ne veut pas sortir du ventre de sa mère, et son père se rend compte qu’il manque une personne essentielle : sa grand-mère maternelle, Mahdjouba, qui a changé son prénom pour se faire appeler Magda – elle estime, en effet, qu’elle n’est pas arabe mais française, car, dit-elle, « l’Algérie était française à l’époque ».

 

Tel est le point de départ, réel ou fictif, peu importe, d’un conte plein de fantaisie, de poésie et d’humour qui emprunte à la fois au récit de vie classique et à l’épopée, à l’odyssée homérique. A partir des bribes de souvenirs que cette aïeule lui livre avec réticence, car elle pense qu’il vaut mieux « laisser les morts tranquilles » et ne pas se retourner sur son passé, son petit-fils Elie va s’inventer un voyage rocambolesque dans un Oran fantasmé et fantasmagorique, celui des années 1930-1940, où Mahdjouba est née (en 1942) et a passé le début de son existence, jusque vers ses 8 ans.

Personnages excentriques

Un peu comme Alice chez Lewis Carroll, le narrateur-acteur croise sur son chemin toute une galerie de personnages excentriques et loufoques : un Italien préoccupé par l’état de santé de ses congénères, un marchand de glaces bonimenteur, une chèvre rasta, un vendeur de sardines tonitruant… Mais il rencontre aussi des personnes bien réelles, issues de son histoire familiale (notamment sa grand-mère, alors petite fille, avec sa propre mère, Fatma Akrour) ou de l’Histoire avec un grand « H », comme l’homme politique Messali Hadj (1898-1974), fondateur du Parti du peuple algérien, figure de l’indépendance, ou le maire d’Oran (de 1934 à 1941), l’abbé Lambert (1900-1979).

 

Elie Boissière parvient à donner vie, souvent avec beaucoup de justesse et d’émotion, à chacun de ces personnages, même si, de temps à autre, il force un peu le trait dans son interprétation, au risque de tomber dans la caricature. Ménageant des moments de pause dans ce récit haletant, il permet au public d’écouter vraiment et de profiter totalement de la musique jouée en direct, sur scène, par le joueur professionnel d’oud, Ahmed Amine Ben Feguira, toujours présent à ses côtés.

Le parti pris du comédien – et coauteur, avec Ben Popincourt – de Je ne suis pas arabe de ne pas choisir la voie du récit purement documentaire et pédagogique pour retracer platement et de façon chronologique les différentes étapes de la vie de sa grand-mère se révèle, au bout du compte, judicieux, même si risqué. A trop brouiller les frontières entre réalité et fiction, entre vrai et faux, Elie Boissière égare parfois, en cours de route, le public, qui ne sait plus très bien qui est qui parmi les protagonistes de cette histoire familiale complexe.

 

Si le mystère qui plane sur l’enfance de Mahdjouba à Oran et sur les véritables raisons de son départ pour la France reste finalement entier, ce rêve éveillé que l’on a partagé, une heure durant, en sa compagnie, laisse un agréable souvenir au parfum d’encens et aux notes d’oud.

 

 

Je ne suis pas arabe, d’Elie Boissière et Ben Popincourt. Mise en scène : Alexis Sequera. Avec Elie Boissière et Ahmed Amine Ben Feguira (oud). La Reine blanche, scène des arts et des sciences, 2 bis, passage Ruelle, Paris 18e. Jusqu’au 21 décembre, les mardis et jeudis à 21 heures, le samedi à 20 heures (relâches le 26 novembre, les 10 et 17 décembre).

 

Cristina Marino / Le Monde 

 

Légende photo : Elie Boissière dans « Je ne suis pas arabe », coécrit avec Ben Popincourt, à La Reine blanche, à Paris, en novembre 2024. JULIEN GIAMI

 

 

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Jany Gastaldi : Témoignages en hommage à l'actrice

Jany Gastaldi : Témoignages en hommage à l'actrice | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur la page Facebook de Samuel Churin , 25 nov. 2024 

 

Cher(e)s ami(e)s, j’ai beaucoup hésité avant d’écrire ce petit mot car je ne veux pas du tout que certain(e)s d’entre vous se sentent visés. Je voulais vous parler de Jany Gastaldi qui vient de nous quitter. Je lis beaucoup d’hommages et elle le mérite tant. Oui Dona Musique, Oui Vitez évidemment. Mais je ne peux m’empêcher de témoigner de sa profonde tristesse et détresse lorsqu’elle s’est sentie abandonnée. Nous sommes en 2003, Avignon vient d’être annulé suite à la grève des actrices et acteurs sur place, un accord réduisant les droits des intermittents du spectacle en était la cause. Les critères d’accès au régime notamment avaient été durcis : pour les artistes 507h en 10,5 mois, pour les techniciens 507h en 10 mois. Jany m’appelle. Je la connaissais pour l’avoir vu jouer mais nous ne nous étions jamais rencontrés. Elle était désespérée. Elle n’avait pas ses heures et n’avait plus aucun espoir de les avoir avec ce nouvel accord. Elle qui avait tant travaillé, elle qui était admirée par beaucoup d’entre nous avait été oubliée après la mort de Vitez, elle avait disparu des plateaux. Nous avions pris un thé dans son appartement, avions beaucoup parlé, elle gardait le sourire. Elle avait finalement trouvé des heures d’atelier à donner et nous nous étions débrouillés pour que toutes ces heures soient comptabilisées (encore une règle inepte qui consiste à ne compter qu’une partie des heures de formation données). Voilà simplement ce que je voulais rappeler. Non pas pour dire aux metteurs en scène : « Si vous l’aimiez tant, pourquoi ne l’avez-vous pas engagé ? », pas du tout. Mais pour rappeler que la grande Jany Gastaldi a été oubliée, ce qui n’est pas sans rappeler qu’au cinéma la grande Annie Girardot l’avait été aussi. Je ne sais pas si toutes les femmes et hommes oubliés de notre métier se sentiront moins seuls, mais je tenais à témoigner que j’ai rencontré une Jany très triste de ne plus jamais être appelée. Nous nous sommes peu revus chère jany, mais je garde de toi un souvenir aussi ému que bouleversé. Merci d’avoir tant partagé ton sourire et tes blessures, avec toi le théâtre était bien plus que du théâtre.

 

Samuel Churin

 

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Publié par Manuel Piolat Soleymat (Facebook /25 nov. 2024)

 

Elle était une présence, un regard, une voix. Elle était l'une de nos grandes comédiennes. Jany Gastaldi laisse le monde du théâtre orphelin de sa grâce et de sa singularité. Elle fut l’une des Reines d’Antoine Vitez, avec qui elle fit date dans d'étonnantes interprétations : Catherine (Mère Courage, en 1973), Célimène (Le Misanthrope en 1978), Ophélie (Hamlet en 1983), Doña Sol (Hernani en 1985), Doña Musique (Le Soulier de satin en 1987)… Elle illumina également, parmi tant d’autres créations, La dispute de Marivaux par Patrice Chéreau en 1973, Phèdre de Sénèque par Daisy Amias en 1990, Les Bonnes de Jean Genet par Alain Ollivier en 1998, Petit Eyolf de Henrik Ibsen par Alain Françon en 2002, Les Femmes savantes de Molière par Marc Paquien en 2011, spectacle pour lequel elle monta une dernière fois sur scène. Elle était le charme et l'acuité incarnés. Elle nous manque déjà.

 

 

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Publié par Jérôme Prigent (Facebook, 26 nov. 2024)

 

« Un artiste c’est un enfant qui a de l’expérience » disait Peter Brook.
Jany Gastaldi vient de faire son dernier salut. C’était l’une des reines d’Antoine Vitez.
Elle fut Philaminte, Madame (dans Les Bonnes), Doña Musique (Le Soulier de satin)…
Sa voix comme un souffle qui estrangeait et magnifiait la langue.

 

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Publié par Michel Strulovici (Facebook, 25 nov. 2024)

 

 

HOMMAGE A JANY GASTALDI
 
Je me souviens comme si c'était hier de mon reportage, dans les sous-sols du Théâtre Gérard-Philipe de Saint Denis. Cette rencontre avec le théâtre de Sénèque, avec la vitézienne Jany Gastaldi, avec l'inventive Daisy Amias, me transperça. J'eus un peu de mal à le faire inscrire dans les JT d'Antenne 2 , à l'époque, mais nous réussîmes tout de même , après quelques affrontements en conférence de Rédaction. Des JT d'une autre époque.
 
Je me souviens de l'incarnation de Phèdre proposée par cette immense actrice qui vient de disparaitre. Pour ce rôle elle avait obtenu le Prix du Syndicat de la Critique.

 

 

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Publié par Claire Ruppli (Facebook, 25 nov. 2024)

 

 

Maintenant c’est JANY GASTALDI qui s’en va…
Une comédienne exceptionnelle , un être au-delà du théâtre. J’entends ta voix et tu as été près des anges magnifiques du théâtre . Outre le Soulier de Satin tu as toujours joué au plus que présent avec les anges te faufilant dans l’invisible , et incandescente toujours. Un oiseau rare . Merci , tu m’as permis de m’élever en jeu , et en spectatrice…
 
Extrême tristesse RIP
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Jany Gastaldi, une flamme s'éteint

Jany Gastaldi, une flamme s'éteint | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 25 nov. 2024

 

Brune au teint clair, silhouette frêle, grand regard fiévreux, elle était ultra sensibilité et intelligence profonde et vive de la poésie, de la littérature. Elle flambait. Mais, avant tout, elle était une voix. Très particulière. Un souffle. Une musique unique.

 

Antoine Vitez, dont elle fut l’élève et avec qui elle aura énormément joué, la désignait comme l’un de ses « reines ». Elle possédait une voix unique, une manière de laisser place au souffle dans le moindre des mots de la langue française. Elle les ouvrait, les mots, les lançait vers le haut. Comment dire ? Elle était musique et, d’ailleurs, son dernier rôle, avec son maître, fut, dans Le Soulier de satin de Paul Claudel, Dona Musique.

 

 

Les autres « reines » sont Nada Strancar et Dominique Valadié.

Jany Gastaldi s’est éteinte hier matin, un dimanche gris de fin d’automne. Elle a été emporté par un cancer cruel. Elle n’était que grâce et intelligence rayonnante de la vie. Réservée dans les relations avec ceux qu’elle ne connaissait pas bien, amie chaleureuse. Elle irradiait la merveilleuse fantaisie d’une éternelle enfant. Mais sans faiblesse d’immaturité. Au contraire. Elle était grave, profonde, mais elle n’aimait pas peser. Poids plume et sérieux de tout l’être. On va encore répéter la formule si jolie de Peter Brook : « un artiste est un enfant expérimenté ». Cela allait idéalement à Jany Gastaldi.

On ne refera pas ici tout son parcours. Des légendaires « quatre Molière » de 1977-78, (et au-delà car l’ensemble fut souvent repris), Jany Gastaldi travailla beaucoup, dans les années qui suivirent, avec Antoine Vitez. Mère CourageLes MiraclesFaust, ElectreAndromaqueBritannicusHamletHernani, et enfin le Le Soulier de satin, Jany fut de toutes les aventures.

Parmi les autres metteurs en scène avec lesquels Jany Gastaldi a travaillé, il y a Alain Françon de Chambres de Minyana à Petit Eyolf d’Ibsen.

On l’a retrouvée avec Christian Schiaretti pour Par dessus bord de Michel Vinaver. Mais pas de metteur en scène, n’était Antoine Vitez, qui tint plus de place dans son parcours, qu’un autre. Toute une génération a voulu Jany dans ses distributions . Citons dans le désordre, Daniel Mesguich, CharlesTordjman, Brigitte Jaques, Allain Ollivier pour qui elle incarna Madame dans Les Bonnes, Henri Ronse, Guy-Pierre Couleau, Sophie Loucachevsky, Jean-Claude Fall, Robert Cantarella, Adel Hakim, Daisy Amias, Jean-Pierre Miquel.

Est-ce son dernier rôle au théâtre ? Peut-être. Elle fut une Philaminte acide et drôle dans Les Femmes savantes de Molière dans une mise en scène de Marc Paquien, à la Tempête, en 2012.

Jany Gastaldi fut aussi souvent sollicitée par des réalisateurs. Elle avait un visage qui prenait à merveille la lumière, et cette voix de fée qui charmait comme la voix d’une sirène…Elle incarnait des singulières, des êtres à part. De René Féret à Martine Dugowson et au-delà, en passant par Claude Lelouch, elle a beaucoup tourné et on n’oublie pas son joli visage, fin et expressif, son regard sombre et flamboyant.

 

Nous reparlerons d’elle. Ici et là. Ne l’oubliez pas.

 

Armelle Héliot 

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November 25, 6:17 PM
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FoRTE, un dispositif de choix en Ile-de-France

FoRTE, un dispositif de choix en Ile-de-France | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Copélia Mainardi, publié par Libération le 25 nov. 2024

 

 

Conjuguant aide financière et accompagnement professionnel, le fonds de soutien francilien aux artistes de moins de 30 ans sélectionne à chacune de ses sessions une quarantaine de créateurs à épauler.

 
 

Se rapprocher des jeunes créateurs pour, qu’en retour, ils se rapprochent de la région : voilà qui pourrait résumer l’ADN de FoRTE (Fonds régional pour les talents émergents). Le dispositif, qui propose d’aider, à hauteur d’un million d’euros annuel, une quarantaine de lauréats issus des arts visuels, du cinéma et de l’audiovisuel, de la musique et des arts de la scène, se veut aussi souple que possible dans ses critères d’éligibilité. Certains sont immuables : les candidats doivent être âgés de 18 à 30 ans, créer et résider en Ile-de-France, et être accompagnés par une structure professionnelle. D’autres le sont moins. En théorie, il faut ainsi être diplômé ou avoir «suivi une formation qualifiante» dans l’une des disciplines, «mais, en pratique, on peut être éligible en sortant d’une simple formation Afdas [Assurance formation des activités du spectacle], car ce qui compte, c’est le projet présenté», précise Benoit Solès, conseiller régional francilien et membre de la présidence du jury. Ce projet n’a d’ailleurs pas forcément vocation à être le premier : le dispositif cible les artistes «émergents», mais nombreux sont les lauréats qui ont déjà une ou deux réalisations à leur actif.

Deux types de soutien

Sur une durée de dix mois, FoRTE s’attache à apporter deux types de soutien. Le premier sous forme d’une aide financière, qui peut être perçue via une bourse individuelle ou à travers une subvention touchée par la structure d’accompagnement. La bourse est plafonnée à 25 000 euros (soit l’équivalent de 2 500 euros mensuels) et généralement touchée en deux fois : au lancement du projet, puis à la fin de la création. La subvention, quant à elle, peut atteindre 50 000 euros : «Un budget qui comprend la rémunération de l’artiste», précise François Demas, conseiller culture de la région. Le choix du type d’aide se fait au cas par cas, pour coller au plus près des besoins de chaque dossier.

Le second soutien est un accompagnement à travers des conseils, de la mise à disposition de matériel et de lieux et de la mise en relation des artistes. Lui-même comédien, Benoit Solès connaît bien les difficultés du milieu : «Le manque de salles de répétition, l’absence d’aide à la diffusion, la difficulté de décrocher un premier coup de pouce… C’est pour pallier ces carences que le dispositif FoRTE a été créé». Durant tout le temps de leur création (et même après), les lauréats peuvent ainsi se tourner vers différents responsables, comme Alpar Ok, chef de projet Jeune création de la région. Et ce, aussi bien pour obtenir des détails pratiques et techniques (sur les conventions, par exemple) que pour poser des questions relatives à leur projet.

 

La région Ile-de-France affiche la volonté d’avoir «sanctuarisé et fortement augmenté son budget culture, estimé à 103 millions d’euros en 2024», décrit François Demas, conseiller culture à la région. Concentrant 50 % des artistes français, l’Ile-de-France est particulièrement riche en offre culturelle, mais celle-ci reste inégalement répartie sur le territoire francilien. La région espère donc que FoRTE gagnera en visibilité, pour «inclure de plus en plus d’artistes issus de catégories sociales sans accès immédiat à la culture», explique-t-il. Pour l’instant, le nombre de candidats est assez stable : autour de 300 chaque année depuis la mise en place du dispositif en 2018.

Et deux phases de sélection

La sélection des lauréats se déroule en deux phases : un écrémage par les services de la région, qui s’assurent que les dossiers correspondent aux critères d’éligibilité, puis l’examen des dossiers par les quatre jurys – un par discipline. Chacun d’eux est composé d’un conseiller de la région membre de la présidence du jury et de quatre autres profils spécialisés, renouvelés à chaque édition. En 2023, on retrouvait ainsi l’actrice Elsa Zylberstein dans le jury cinéma, tandis que le comédien Nicolas Bouchaud siégeait aux côtés de la danseuse étoile Alice Renavand en arts de la scène. Le peintre Philippe Cognée, qui se prononçait sur les arts visuels, a beaucoup apprécié l’expérience, même s’il regrette que la sélection ne soit que sur dossier. «Quand on est face aux candidats, on ressent quelque chose en plus, qui échappe au travail écrit, justifie-t-il. Mais j’ai trouvé les dossiers exigeants et variés, même s’ils étaient nombreux à proposer quelque chose d’assez ouvertement politique, une tendance en vogue.»

Parfois, la région fait aussi appel à d’anciens lauréats : l’an dernier, Valentin Tournet et Gabrielle Hartmann ont tous deux été sollicités pour faire partie du jury musique. «La plupart des candidats avaient pour projet de sortir un disque, mais les styles étaient très éclectiques, et cette diversité devait se retrouver dans nos choix», relate Valentin Tournet. Sa consœur abonde : «C’est l’originalité qui séduit, surtout. Des projets atypiques ont parfois raflé la mise au détriment d’autres plus aboutis.» Car il y a des cases et des cadres, mais aussi des coups de cœur.

 

Copélia Mainardi / Libération 

 

 

Légende photo Les lauréats de la promotion de 2021 du Fonds régional pour les talents émergents. (Hugues-Marie DUCLOS/Hugues-Marie DUCLOS)

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