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Le spectateur de Belleville
November 25, 4:42 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 25 nov. 2024 L’actrice Jany Gastaldi s’est éteinte victime d’un cancer. Elle restera comme un astre à part de la planète Vitez. Belle, légère, promenant son corps d’elfe et sa voix céleste dans les plis du théâtre le plus haut.
C’était Jany. Une actrice. Aussi frêle que fascinante, aussi vibrante qu’émouvante. Un corps d’oiseau, une voix d’ange. Elle paraissait... vous étiez envoûté par sa voix douce et cependant timbrée, comme aérienne, propice aux envolées d’ailes. Son corps allait et venait comme en fuite et soudain s’arrêtait, foudroyait. Elle fut longtemps sans âge, adolescente infinie. Des reines d’Antoine Vitez, c’était la plus fragile, la plus imprévisible. Elle associait en elle densité et fragilité, sa voix nous emportait dans d'insaisissables variations, il y avait en elle un filtre comme magique qui mêlait en elle sa voix si aérienne et son corps d’elfe. D’où venait son timbre de voix aux inflexions si particulières ? Elle entrait sur scène et semblait étrangement s’y éveiller. Sa voix venait de loin, bercée d’oubli. Dans les années 70-80, rares sont les spectacles de Vitez où elle n’apparaît pas. Quand Vitez prend la direction de Chaillot et monte la première année Faust,Tombeau pour cinq cents mille soldats de Guyotat et Britannicus , elle est là . Dans Faust elle incarne l’Esprit de la terre, mange des nouilles enveloppées dans du papier journal et invite le docteur Faust (Vitez) à partager son repas. Quand Antoine Vitez met en scène le Soulier de Satin de Claudel il lui confie le rôle de Doňa Musique qui semblait écrit pour elle. Une fois, elle s’égara. Je me souviens, c’était au début des années 80 dans la Cour d’honneur du Palais des papes, un spectacle qui portait bien son titre, Malédiction. Je la regardais, elle semblait obéir à des ordres qu’elle ne comprenait pas, je souffrais pour elle. Alors, le lendemain, dans Libération où j’avais pris en charge la rubrique théâtre quelques années auparavant, j’ai écrit un article sur une pleine page titré « Pour Jany ». Je ne l’avais jamais rencontrée. Je n’osais pas sans doute. Je l’ai croisée ici et là par la suite, je l’ai suivie par ci par là. Dans Les bonnes de Genet par Alain Ollivier elle était Madame.La dernière fois, je crois, c‘était dans Les vagues d’après Virginia Woolf, une aventure répétée dans une cave du côté de la Bastille. Elle avait vieilli sans vieillir. Elle restait Jany Gastaldi, l’unique. L’ange s’en est allée. Adieu Jany. Jean-Pierre Thibaudat dans son blog de Mediapart
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Le spectateur de Belleville
November 24, 12:43 PM
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Par Patrick Sourd dans les Inrocks - 19 nov. 2024 Après “Un Chapeau de paille d’Italie” de Labiche, Alain Françon s’attaque à un autre dramaturge français. Retour au XVIIIe siècle avec ses “Fausses confidences” qui nous passionnent par leur mise en lumière des stratagèmes du théâtre de Marivaux. Jeune veuve intrépide et fortunée, Georgia Scalliet incarne une femme d’une modernité bluffante dans cette aventure où l’amour est malmené. Portant sur l’écriture de Marivaux un regard aussi précis que limpide, Alain Françon revisite avec élégance Les Fausses Confidences, mettant en lumière l’imbroglio sociétal engendré par les inclinations d’une jeune veuve à l’abri du besoin pour son intendant désargenté. Impossible de laisser à l’amour le dernier mot face à une idylle qui frise la mésalliance. Cette situation interroge un XVIIIe siècle où chacun et chacune s’arroge le droit d’y mettre son grain de sel. Ainsi, la belle Araminte (Georgia Scalliet) se retrouve acculée de toutes parts. Pareille à une biche traquée lors d’une chasse à courre, elle subit la pression d’une meute où tous prétendent n’agir que pour son bien. Répartis en deux camps opposés, les tenants du monde bourgeois affrontent la bande formée par les serviteurs. Prenant résolument la tête des opposants aux épousailles, Madame Argante ( Dominique Valadié) freine des quatre fers, s’acharnant à marier sa fille au comte Dorimont (Alexandre Ruby). Menée dans l’ombre par le valet Dubois (Gilles Privat), l’équipe des défenseurs n’est guère plus rassurante, multipliant à plaisir ambiguïtés et manœuvres détournées pour soutenir leur poulain, l’intendant Dorante ( Pierre-François Garel). La naissance d’une icône En refusant de prendre parti pour l’un ou l’autre camp, Alain Françon se contente d’observer la débauche d’intrigues qui se déploie autour d’Araminte, préférant consacrer un travail tout en finesse à la figure de cette héroïne. Il explore les ressorts secrets de la psyché d’une femme qui revendique de vivre sans se soucier du qu’en-dira-t-on. D’un trait léger, il esquisse le portrait d’une femme qui se moque des interdits et de la bienséance, tenant pour négligeables les sombres manigances de ceux qui prétendent la soutenir. Araminte ne se fie qu’à un seul guide : son corps. Sa grâce ? Mettre le cap sur les émotions de son désir pour décider seule de l’avenir. Avec des allures de déesse, gainée dans une robe de soirée à la blancheur immaculée, Georgia Scalliet incarne avec brio cette égérie moderne, qui se révèle peu à peu sans esbroufe jusqu’à devenir une véritable icône de modernité. Comme on extrait une gemme de sa gangue, Alain Françon met à nu une pierre précieuse. Avec une extrême pudeur, il saisit l’instantané de la naissance d’une conscience féministe, rendant hommage à l’émergence d’un esprit libre. Une figure qui, tout en se conjuguant au féminin, devient irrésistiblement bouleversante. Patrick Sourd / Les Inrocks Les Fausses Confidences de Marivaux, mise en scène Alain Françon avec Georgia Scalliet, Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Dominique Valadié, Séraphin Rousseau, Gilles Privat… Du 23 novembre au 21 décembre, Théâtre Nanterre-Amandiers. En tournée jusqu’au 11 avril 2025.
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November 24, 10:06 AM
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Tribune publiée dans Libération - 23 nov. 2024 Alors que la présidente du conseil régional a annoncé une coupe drastique pouvant aller jusqu’à 73 % du budget de fonctionnement de la culture, un collectif d’artistes et de professionnels du secteur dénonce une décision qui s’apparenterait à un plan social de la culture. Nous sommes des artistes, travailleuses et travailleurs dans la culture, liés aux Pays-de-la-Loire. Nous sommes choqué·es par les récentes déclarations de la présidente du conseil régional, madame Christelle Morançais, et terrifié·es par les arbitrages budgétaires qui seraient prévus au vote de l’assemblée régionale du 19 décembre 2024. ll serait donc question d’une coupe drastique allant jusqu’à 73 % du budget de fonctionnement de la culture, interrompant totalement dès 2025 les subventions allouées aux festivals, aux théâtres, aux musées, aux opéras, aux maisons d’auteur·rices, aux centres d’art, aux productions audio-visuelles, aux artistes, mais aussi aux clubs sportifs et aux associations œuvrant pour l’égalité femmes-hommes et la solidarité. C’est un coup porté à la société civile tout entière. Aucune autre région n’a fait de tels choix à l’échelle nationale. Nous avons choisi de vivre dans cette magnifique région et d’y développer nos activités. C’est ce territoire que nous arpentons chaque jour avec nos mots, nos œuvres, nos spectacles, nos concerts, nos images, nos films, parcourant les bibliothèques, les écoles, les collèges, les lycées, les maisons de quartiers, les maisons de retraites, les hôpitaux, les prisons… Et c’est dans ces lieux que nous travaillons. Chaque jour, nous constatons la vitalité culturelle de cette région. Nous savons qu’elle est le fruit de décennies du travail patient de femmes et d’hommes engagé·es qui ont œuvré à la décentralisation culturelle, faisant en sorte que les communes, les départements, les régions et l’Etat s’entendent pour créer des institutions ouvertes à toutes et tous, soutenir les initiatives citoyennes, l’entrepreneuriat culturel et faire vivre le patrimoine. Un virage politique pris sans concertation aucune Ce modèle français, qui repose sur le financement croisé des collectivités et de l’Etat, a produit partout émancipation, désenclavements et partage des savoirs. C’est ce modèle qui a engendré la diversité culturelle et l’attractivité des régions et des villes de France que le monde entier nous envie. Tout cela est aujourd’hui violemment attaqué par la région des Pays-de-la-Loire, qui sous couvert de la cure d’austérité imposée aux collectivités par le gouvernement Barnier, annonce 100 millions d’euros d’économie (quand on lui en demande 40 millions d’euros), dont une bonne partie prise sur la culture, le sport, l’égalité femmes-hommes et les solidarités, arguant que «dans de nombreux domaines, la région n’a plus vocation à intervenir, ou à intervenir autant». Ce virage politique, pris sans concertation aucune et du jour au lendemain, ferait vaciller tout l’écosystème en fragilisant ses grands équilibres. Nous dénonçons ce qui s’apparenterait à un plan social de la culture. Cette décision serait mortifère pour les 150 000 emplois concernés, qu’ils soient permanents ou intermittents, et pour tout un ensemble de professions libérales et de petites entreprises qui gravitent autour du secteur de la culture publique, hautement créateur d’emplois et de richesse économique. Nous dénonçons l’incohérence d’une politique régionale qui dénature par ses choix dangereux ses trois priorités politiques : la jeunesse, l’emploi et la transition écologique. Nous dénonçons une dialectique visant à créer de la division au sein de la société, à désigner les bonnes et les mauvaises manières de produire de la vie artistique et culturelle, alors que c’est la combinaison d’un secteur public de la culture en bonne santé avec des industries culturelles dynamiques qui fait la richesse et la variété du tissu culturel français. Nous demandons, enfin, que les mécanismes démocratiques soient respectés, et que les acteurs et actrices culturel·les soient concerté·es dans la prise d’une décision aussi lourde de conséquences pour l’ensemble des électeur·rices, citoyen·nes, usager·es ligériens et ligériennes. Parmi les signataires : Alain Mabanckou Ecrivain, directeur artistique du festival Atlantide Alice Zeniter Autrice, metteuse en scène Anna Mouglalis Comédienne Christophe Honoré Réalisateur, scénariste, écrivain et metteur en scène Daniel Pennac Ecrivain Dominique A Chanteur, auteur, compositeur Alexis HK Auteur compositeur, chanteur Emily Loizeau Autrice-compositrice-interprète India Hair Comédienne Jean Rouaud Auteur, prix Goncourt 1990 Jeanne Cherhal Chanteuse Jérôme Clément Président du festival Premiers Plans d’Angers, ancien directeur du CNC, ancien président d’Arte, Marielle Macé Ecrivaine et enseignante Henri Texier Contrebassiste de jazz Amala Dianor Chorégraphe Etienne Davodeau Auteur de bande dessinée Marc Caro Réalisateur Vanessa Wagner Pianiste Tanguy Viel Ecrivain, scénariste Xavier Veilhan Plasticien Zaho de Sagazan Autrice, compositrice, interprète Pierrick Sorin Artiste plasticien Patrick Bouchain Architecte Phia Menard Chorégraphe, plasticienne ,Philippe Decouflé Chorégraphe Philippe Katerine Chanteur, auteur, compositeur, acteur Philippe Torreton Comédien, metteur en scène… Retrouvez ici la liste complète des signataires.
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Le spectateur de Belleville
November 22, 12:04 PM
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Par Caroline Châtelet dans Sceneweb - 22 nov 2024 Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Pauline Sales offre une réécriture théâtrale et musicale du mythe de Déméter et Perséphone. Une création travaillant l’univers du conte portée par une troupe à la belle énergie. Si Déméter et Perséphone sont loin d’être les figures mythologiques les plus connues aujourd’hui, le mythe qui leur est lié – narrant l’origine des saisons – est, depuis une bonne quarantaine d’années maintenant, étudié et retraversé par diverses théoriciennes et intellectuelles féministes, notamment américaines – citons la poétesse et essayiste Adrienne Rich, la philosophe et psychanalyste Luce Irigaray, ou encore la militante et théoricienne écoféministe sorcière Starhawk. C’est d’ailleurs à la lecture de cette dernière que Pauline Sales décide de se plonger plus avant dans ce mythe et découvre l’« importance considérable [qu’il a eu] pendant l’Antiquité ». Choisissant d’en proposer une revisitation, l’autrice et metteuse en scène transpose dans un monde aux références contemporaines l’histoire de cette mère et de sa fille qui, toutes deux violées, réinventeront leur vie chacune à leur manière. Ce faisant, elle déploie avec son équipe un univers proche du conte allant volontiers vers la comédie musicale, où la violence du mythe s’efface au profit d’une fable colorée racontant la nécessaire séparation entre mère et fille. Comme dans tout bon conte, il y a un narrateur. En l’occurrence, une narratrice, et c’est du point de vue de Déméter âgée – donc vue de la terre plutôt que de l’Olympe – que cette histoire est portée. Arrivée en scène en fauteuil roulant et installée à jardin auprès d’une partie des musicien.nes – l’autre se trouvant à cour –, Déméter âgée amorce un dialogue avec lesdit.es musicien.nes et offre une plongée dans son histoire et dans celle de sa fille. Déméter, déesse de l’agriculture et protectrice des moissons, fille des Titans Cronos et Rhéa, a (entre autres) deux frères : Zeus, le maître de l’Olympe, et Hadès, le roi des Enfers. Violée par Zeus, elle décide de devenir simple mortelle, et part donner naissance à sa fille et vivre sur Terre – là où, dans nombre d’autres versions du mythe, c’est une fois sa fille enlevée que Déméter quitte l’Olympe. Ce récit chronologique se joue d’abord sur la petite estrade située au centre du plateau – initialement cachée à nos regards par un léger voile blanc –, puis investit progressivement toute la scène. Un éloignement symbolique qui signale la coupure et le passage de la vie de Déméter sur l’Olympe à celle sur Terre, auprès des humains. Dans un vaste mouvement collectif, enchaînant les tableaux comme les rôles avec fluidité, l’équipe de huit artistes au plateau – qu’iels soient musicien.nes, comédien.nes, chanteur.euses – embrasse la vie de Déméter et une partie de celle de Perséphone. Du viol initial subi par la première à son accouchement à peine arrivée sur Terre, de sa vie épanouie, où elle coule des jours heureux, travaillant la terre et rendant le monde fertile, à la tristesse et la colère qui la rongent lorsque sa fille est enlevée et violée par son autre frère Hadès – l’amenant à empêcher les plantes de pousser –, jusqu’à ses retrouvailles avec Perséphone, puis sa mort, les grandes lignes de leur vie sont abordées. La réappropriation propre au mythe, Pauline Sales la réalise, donc, en l’ancrant dans des références très actuelles et en soulignant notamment la volonté des deux femmes de se reconstruire en dépit de ce qu’elles ont subi. Car, entre Déméter et Koré – qui ne prendra le prénom de Perséphone qu’une fois revenue des Enfers –, il y a bien une répétition du même. Une même violence sexuelle, une même domination de la part d’hommes proches d’elles : frère pour Déméter, oncle pour Perséphone. De même, chacune s’invente sa propre existence loin de ce qu’elle a connu. La mise en scène dessine ainsi, dans un dispositif économe – la scénographie étant modestement constituée de petites scènes modulables, de voiles et panneaux mobiles – et à la mise en mouvement ingénieuse et fluide, plusieurs atmosphères. Il y a celles sur Terre, où vivent d’abord Déméter et sa fille, monde joyeux et animé, plein de fêtes et de lumières ; puis les différents espaces aux tonalités plus diverses traversés par Déméter lorsqu’elle tente de retrouver son enfant ; et enfin, les enfers où Hadès embarque Koré-Perséphone. Un univers sombre investi par les morts auxquels la jeune femme s’attache, en les soutenant et en les accompagnant. L’ensemble s’amuse avec un plaisir visible à déplacer l’histoire dans un contexte d’aujourd’hui. Outre quelques allusions superficielles à la politique ou à l’écologie, la situation de Déméter est celle d’une mère solo, sa fin de vie aborde succinctement celle des personnes âgées en Ehpad, et Koré est une ado allant camper avec des amies. Autant de choix qui, comme la langue enlevée traversée de pointes d’humour, tendent à rendre accessible le plus directement possible cette histoire. Quitte à ce que cela soit à quelques moments un brin trop appuyé, comme l’écriture cherchant parfois trop la rime, ou que cela se fasse au détriment d’une plus grande complexité dans les rapports entre les personnages. Ce choix de proximité résonne également avec l’univers de la comédie musicale. Composée par Simon Aeschimann et les quatre musicien.nes au plateau, très joliment interprétée par les artistes, la partition, avec ses références évoquant Jacques Demy ou certaines comédies musicales américaines, participe aussi à l’élaboration d’un univers proche du conte, plus ludique et joyeux que tragique et profond. Le résultat est, donc, une réécriture sacrément séduisante par sa forme rythmée et joyeuse, comme par sa façon de faire du théâtre entre références réalistes et univers stylisé. À cette atmosphère cohérente et maîtrisée, soutenue par une création lumières léchée, l’équipe artistique au plateau n’est pas étrangère. Toutes et tous, qu’iels soient acteur.rices ou musicien.nes, sont dirigé.es dans un même mouvement. Si le spectacle pourrait être resserré, l’élan collectif séduit par sa sincérité. Quant au propos, l’enjeu de celui-ci n’est pas ici de mettre à plat l’ambiguïté des parcours de Déméter et Perséphone, mais bien d’offrir un récit réparateur sur la nécessaire séparation qu’une mère et sa fille doivent réaliser. Pas plus que dans d’autres versions du mythe, la question de la justice n’est posée. Le viol est un état de fait, et chacune fait avec, dans une situation à chaque fois paradoxale : en traçant sa propre route loin de ses origines – la Terre pour Déméter, le retour régulier aux Enfers pour Perséphone –, sans que l’émancipation ne dépasse les assignations de care traditionnellement faites aux femmes – Déméter continuant de nourrir les vivants et Perséphone de prendre soin des morts. Leur liberté, c’est bien dans l’acceptation d’une vie loin de l’autre qu’elles la trouvent. Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr Les Deux Déesses – Déméter et Perséphone, une histoire de mère et fille Texte et mise en scène Pauline Sales Avec Mélissa Acchiardi (batterie, percussions), Clémentine Allain, Antoine Courvoisier (clavier), Nicolas Frache (guitare), Aëla Gourvennec (violoncelle), Claude Lastère, Élizabeth Mazev, Anthony Poupard Musique Mélissa Acchiardi, Simon Aeschimann, Antoine Courvoisier, Nicolas Frache, Aëla Gourvennec Scénographie Damien Caille-Perret Lumière Laurent Schneegans Son Fred Bühl Costumes Nathalie Matriciani Maquillage et coiffures Cécile Kretschmar Travail chorégraphique Aurélie Mouilhade Assistanat au son et régie son Jean-François Renet Régie générale Xavier Libois Régie plateau Christophe Lourdais Production Compagnie À l’Envi Coproduction Les Quinconces L’espal – Scène nationale du Mans ; La Halle aux grains – Scène nationale de Blois ; Théâtre Jacques Carat, Cachan ; L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège ; la C.R.É.A – Coopérative de Résidence pour les Écritures, les Auteurs et les Autrices, Mont Saint-Michel ; Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis ; Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge ; MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale ; Compagnie Atör Avec le soutien du Fonds SACD / ministère de la Culture Grandes Formes Théâtre et du Fonds SACD / Musique de scène Résidences Théâtre Jean Lurçat – scène nationale d’Aubusson ; Théâtre Cinéma de Choisy-Le-Roi La compagnie À l’Envi est conventionnée par le ministère de la Culture (DRAC Île-de-France). Les Deux Déesses est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs. Durée : 1h50 Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis du 20 novembre au 1er décembre 2024 Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge le 17 décembre Théâtre Jacques Carat, Cachan le 19 décembre L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège le 14 janvier 2025 MC2: Maison de la Culture de Grenoble, Scène nationale les 5 et 6 février
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November 21, 3:06 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 20 nov. 2024 L’auteur italien Davide Carnevali et le comédien franco argentin Marcial di Fonzo Bo étaient faits pour se rencontrer. Cela s’est passé discrètement dans un appartement de Buenos Aires. Nom de code « Portrait de l’artiste après sa mort ». Bilan : un spectacle à vif.
Marcial Di Fonzo Bo existe. La preuve, on peut le voir tous les soirs arpentant un appartement sur la scène du théâtre de la Bastille. Oui, mais qui se cache derrière cette identité ? Un artiste qui parle le français comme une vache espagnole ayant copulé avec un taureau argentin ? Un metteur spécialisé dans le Copi non conforme et présentement directeur d’un CDN dans la bonne ville d’Angers célèbre par sa douceur ? N’est-il pas plutôt ou aussi le descendant d’une célèbre famille de comiques portenŏs sommés de devenir sinistres ou de foutre le camp du pays dans les années noires de la dictature argentine ? Ou bien n’est il pas, tout bonnement, un acteur esseulé s’adonnant par désespoir au seul au scène pour n’avoir jamais été sur scène le bel Hamlet ou même le père de ce dernier ? Un peu de ceci, un pointe de cela et un chouia de perlimpinpin a t-on envie de dire en sortant du spectacle Portrait de l‘artiste après sa mort, un pièce de l’auteur italien Davide Carnevali. Notez que le nom de l’auteur, Carnevali, oscille entre la carne et le care, le canevas et le carnaval ce qui ne simplifie pas les choses d’autant que le prétendu Carnevali est peut-être un pseudonyme. Et s’il s’appelait en fait Borgeaisse ? Ce dernier, selon des sources non autorisées, se ferait appeler Carnevali par amour pour sa mère. Quoi qu’il en soit, il se fait un point d’honneur à réécrire sa pièce Portrait de l’artiste après sa mort dans chaque pays où elle se joue. Et il le fait, selon ses dires (aussi fiables qu’une vieille pince à linge au bois défraîchi et jouant au cochon pendu sur son fil) en fonction de son humeur et de celle de l’acteur qui va l’interpréter mais aussi l’incarner en scène, nous laissant croire ou feindre de croire que l’histoire qu’il nous raconte sous le couvert d’un monologue est par-ci vraie, par-là fictive, voire après passage dans la cave à vain, réinventée. Or donc Marcial, mister Bo et l’ami Di Fonzo sont tous en un (et quelques autres) seul en scène. Ça en fait du monde et des pistes, vraiment fausses ou faussement vraies, la littérature argentine adore ça. Et, qui sait, l’italien Carnevali est possiblement le rejeton d’une famille de gens de gauche italiens émigrés à Buenos Aires sous le fascisme italien et revenus précipitamment des décennies plus tard à Milan lorsque les colonels fascistes argentins arrivèrent au pouvoir a Buenos Aires. Difficile à vérifier car le personnage de Carnevali meurt avant la fin de la pièce écrite par son homonyme ou son double. Après enquête et vision du spectacle donné au Théâtre de la Bastille après le Piccolo teatro di Milano, voici ce qu’il en est ou semble en être. Pour commencer le décor : un ensemble pseudo-réaliste associant bureau, coin cuisine, salon et chambre attenante. Les techniciens sont à la bourre, il y a encore plein de trucs à déballer dans des caisses estampillées teatro de Milano, Marcial di Fonzo Bo en profite pour nous parler de sa famille qui serait d’origine italienne. Son grand-père aurait émigré en Argentine comme bon nombre de ses compatriotes. Et puis il en vient à la lettre reçue à son adresse à Caen, ville où, jusqu’à la saison dernière il dirigeait le CDN. La lettre est adressée à Marzial Di Fonzo Bo.. Marzial avec un Z comme zig zag. La lettre mentionne un appartement semblable à celui où évolue sur scène l’acteur Marcial et donc désormais le dénommé Marzial. Les spectateurs observateurs seront conviés un peu plus tard à monter sur scène et à fureter dans l’appartement. Qui a tout d’un vrai appartement –avec meubles, luminaires, etc- et tout d’un décor de théâtre avec faux livres, lumières venant des cintres, etc. . C’est alors qu’Arthur Rimbaud , cet expert en sentiments mêlés nous a chuchoté à l’oreille : « n’oublie pas que je est un autre » La voix d’un poète c’est toujours rassurant. Alors, enfoncé dans mon fauteuil spartiate (tous les fauteuils du Théâtre de la Bastille viennent d’un théâtre de Sparte et son donc particulièrement spartiates), je me suis mis à l’écoute de Radio Bo. C’est comme les grandes sagas de Philippe Colin sur France inter : on y entre comme dans un roman mais c’est la vie. Sur radio Bo l’inverse est aussi probable : tout roman est une vie qui s’ignore. D’ailleurs nous voici partis dans la France de Pétain organisant la chasse aux Juifs et dans l’Argentine des années noires, celle des militaires, faite d’arrestations, de tortures, de nouveaux nés enlevés à leur mère et de vivants pieds et poings liés jetés en pleine mer depuis un avion. Bref, tout commença un certain soir mémorable où l’auteur italien Davide Carnevali vint écouter Marcial à moins que cela ne soit aussi l’inverse : Marcial Di Fonzo Bo découvrant scotché le texte de l’italien un soir d’été à la Chartreuse . Toujours est-il qu’à la fin des fins les deux compères décidèrent de faire cause commune. L’opération s’est reproduite pour l’auteur dans différents pays avec d’autres acteurs. Pour en finir, revenons à cette pièce orgueilleusement titrée Portrait de l’artiste après sa mort. A qui donc appartenait vraiment cet appartement que nous ne quittons d’un bout à l’autre du spectacle? A un musicien juif nommé Schmidt ou au pianiste Lucas Misiti qui aurait pris pour pseudonyme le nom de Jorge Luis Di Fonzo. Allez savoir. Comme le serinait Borges : « l ‘oubli et la mémoire sont tout autant inventifs ». Et l’acteur Martial Di Fonzo Bo est le meilleur guide qui soit pour nous perdre en ravissements dans ce labyrinthe inventé et chroniqué par ce diable de Davide Carnevali. Jean-Pierre Thibaudat Théâtre de la Bastille, jusqu’au 22 nov à 20h, du 22 au 27 à 20h30 ; le samedi 23 à 18h, relâche le jeu et le dim. Traduit de l’italien par Caroline Michel, le texte de Portrait de l’artiste après sa mort sous titré-France 41 Argentine 78 dans cette version pour Marcial Di Fonzo Bo est publié aux Éditions Les solitaires Intempestifs
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November 20, 11:54 AM
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Par Guillaume Lasserre dans son blog - publié le 25 avril 2024 À la recherche du grand-père qui lui a donné son nom et que son père a à peine connu, Julia Perazzini mène l’enquête, incarnant tous les personnages de cette épopée familiale. « Dans ton intérieur » parle de la force d’activation des récits lorsque, investis et alimentés, ils délivrent un héritage d’une infinie puissance. L’histoire intime devient alors un espace de projection collectif.
« On m’a raconté que ma grand-mère a coupé les liens avec mon grand-père, quand mon père était enfant. Sans jamais dire pourquoi. Comme si elle l’avait fait disparaitre… et lui, qu’en pense-t-il ? » Blanc sur blanc. Trois grands coffres blancs de tailles inégales occupent seuls l’espace scénique lui-même revêtu d’une moquette blanche lui donnant des allures domestiques. Lorsqu’elle entre en scène, vêtue de noir, Julia Perazzini raconte qu’un soir de spectacle, après la représentation, une femme nommée Estelle est venue lui parler, non pas de la pièce mais de son patronyme, qui fut aussi celui de sa famille même s’il ne l’est plus aujourd’hui, et par extension de son grand-père, Giancarlo. « Je ne connais pas mon grand-père » lance Julia en même temps qu’elle tire d’une première malle, puis des suivantes, une infinité de sacs à mains et autres pochettes qui, une fois déposés au sol occuperont la totalité de la scène. Elle s’adresse à sa grand-mère qui vient de mourir. C’est chez elle que nous sommes, dans son intérieur. Elle y est seule pour la première fois et a accès à tout, absolument tout, et cela parait vertigineux. Elle empoigne maintenant les sacs à mains par trois, quatre, cinq, passe leur lanière sur ses épaules, en est bientôt recouverte, croule littéralement sous leur poids, engloutie, comme si cette confrontation physique aux objets était nécessaire, absolue, avant de finalement les disposer au sol comme les autres. Se saisissant alors d’une perruque aux faux cheveux blancs, une jupe droite, un haut vert – couleur qu’elle porte régulièrement sur scène comme pour conjurer le sort –, un manteau de fourrure et des lunettes immenses, elle devient cette grand-mère que, plus jeune, elle avait appris à vouvoyer. Donner corps à son propre nom Julia Perazzini incarnera ainsi tous les personnages, vivants ou morts, qu’elle croisera au cours de son enquête intime. Pourtant, de tous les protagonistes, la grand-mère s’incarne avec une intensité particulière, une intimité partagée. Sans doute parce qu’elle est le lien biologique avec ce grand-père paternel dont elle ne sait rien, seulement son nom qui est aussi le sien. Se tenant dans un entre-deux, la vieille dame figure le passage, le seuil qui sépare le monde de sa petite-fille de celui des absents. Mais cette gardienne des secrets les a tous emporté dans sa tombe, disparaissant trop tôt, au début de l’investigation. « Au début on avait rien pis après on a eu trop » ne cesse-t-elle de répéter comme pour mieux souligner le changement de statut social de sa famille, de la misère à l’opulence, du moins ce qui lui semblait être l’opulence. Les sacs à main qui recouvrent maintenant la scène en témoignent. Tous sans exception sont des imitations de marques de luxe précise Julia. En retirant ses objets, vêtements et autres biens des malles dans lesquelles ils étaient entreposés, probablement depuis des décennies pour certains, pour les déployer au sol, Julia vide la maison de la défunte, telle une cérémonie qui serait l’indispensable préalable au travail de deuil. Elle les expose, les scrute, tente de les faire parler une dernière fois avant de leur dire adieu. Dans cet intérieur qui fut aussi celui du grand-père disparu, les objets et les secrets précieusement conservés par la grand-mère constituent le point de départ du spectacle et de l’enquête. Grande, élancée, coquette, la grand-mère n’en est pas moins essoufflée, a du mal à se déplacer. « On devient vieux, pauvre et laid » dit-elle, lucide sur son état, sur la précarité de la condition humaine. Elle sait qu’elle est arrivée au bout du chemin, que sa vie est derrière elle. Elle a fait son temps, souhaite partir, mais parait pourtant très heureuse à chaque fois que Julia lui rend visite. Il y a quelque chose d’extrêmement touchant dans cette incarnation, quelque chose de l’ordre de la douceur, d’une immense tendresse, quelque chose de l’ordre d’un manque aussi qui donne à ses apparitions un brin de nostalgie. Drôle, la vieille dame n’en est pas moins bouleversante. De son ancien mari, elle ne dira rien cependant, ou si peu, quelques mots à peine sur leur rencontre. « C’est comme si elle l’avait fait disparaître »dira Julia. « À moins que ce ne soit l’inverse...que ce soit mon grand-père qui ait eu envie de disparaître ». Et de Milan où il est né, à Paris et, comme on l’apprendra plus tard, à la terre béarnaise et ailleurs, l’homme ne se révèle que dans d’infimes fragments de vie souvent énigmatiques. Il semble avoir été littéralement effacé de la mémoire familiale. Ceux qui restent Avec son nouveau seul-en-scène, genre qu’elle affectionne, Julia Perazzini poursuit son introspection troublante et poétique entamée avec « Holes and Hills » en 2016, déambulation étrange dans laquelle la comédienne se laissait traverser par d’autres vies que la sienne en prise avec des questions existentielles [1], et surtout « Le Souper » en 2019, proposition plus saisissante encore où elle invitait son frère ainé à diner, un repas forcément imaginaire puisque celui-ci était mort avant même sa naissance[2]. L’intitulé de la pièce, « Dans ton intérieur », revêt plusieurs réalités. Il renvoie, bien sûr, à l’intimité de l’appartement de la grand-mère, son antre, mais aussi à tous les autres intérieurs des protagonistes qu’elle croise dans sa quête familiale. Par extension, il devient le lieu de l’introspection, l’espace intime, notre jardin secret, ce voyage intérieur propre à chacun qui se reflète ici dans celui de Julia Perazzini. Mais c’est aussi l’incarnation des personnages elle-même. Dans cette enquête personnelle menée pendant plus d’un an, c’est autant elle-même que le grand-père qu’elle cherche. La quête familiale est une quête de soi. La comédienne s’appuie sur la force de la performance pour déplacer les frontières de l’intériorité et ainsi les redéfinir. En évoluant entre les différentes formes d’identité et d’existence qu’elle croise et qui semblent la posséder autant qu’elle les possède tant l’interprétation de chaque personnage sonne juste, Julia devient le réceptacle de tous les membres de cette investigation, connus et inconnus, vivants et morts. Elle est véritablement à l’intérieur d’eux. Chacun des spectacles de la comédienne vient renforcer un peu plus l’importance des jeux de lumières qui occupent une place centrale dans l’œuvre qu’elle construit, volontairement dépourvue de tout décor. Sa première collaboration avec Gildas Goujet est une réussite. Il faut dire que ce dernier a été formé par Philippe Gladieux qui a signé les créations lumière de ses précédents spectacles. La musique est omniprésente. Comme la lumière, elle joue un rôle essentiel. Après s’être essayer à la ventriloquie dans « Le souper », prêtant sa voix à ce frère qu’elle n’a pas connu, elle expérimente ici « le dispositif de l’investigation, entrer ‘dans l’intérieur’ des êtres devient simultanément un outil de recherche artistique et un moyen de connexion, un espace relationnel vibrant qui vient informer l’enquête [3] ». La pièce redonne corps aux absents, vie aux disparus. Elle fait basculer l’histoire personnelle dans un espace de projection collectif pour mieux interroger les récits qui nous constituent, qu’ils soient intimes ou publics. Finalement, cette quête a peu à voir avec la généalogie mais tout avec la force d’activation des récits lorsqu’on prend soin de les déplacer. « Dans ton intérieur » est une bouleversante mise à nu. Espérons que Julia Perazzini poursuive encore longtemps son exploration des identités. Elle a tant à dire de nous. Guillaume Lasserre [1] Guillaume Lasserre, « Julia Perazzini, émetteuse existentielle », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Mediapart, 24 septembre 2018, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/160918/julia-perazzini-emetteuse-existentielle [2] Guillaume Lasserre, « Julia Perazzini, le sens de la vie », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Mediapart, 25 novembre 2021, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/231121/julia-perazzini-le-sens-de-la-vie [3] Julia Perazzini, Note d’intention, Dans ton intérieur, 2024. DANS TON INTÉRIEUR - Conception, écriture, interprétation Julia Perazzini Collaboration artistique, dramaturgie Louis Bonard. Lumières Gildas Goujet. Musique Andreas Lumineau. Hypnose et regard extérieur Anne Lanco Costumes Rachèle Raoult. Fabrication prothèses Jean Ritz Collaboration à la scénographie Mélissa Rouvinet Régie son David Scrufari. Stagiaire et collaboration Joanika Pages. Administration et production Tutu Production - Véronique Maréchal. Production Cie Devon. Coproduction Arsenic - Centre d’art scénique contemporain, Lausanne, Théâtre Public de Montreuil - Centre Dramatique National, Théâtre Saint Gervais - Genève. Soutiens Ville de Lausanne, Canton de Vaud, Loterie romande, Pro Helvetia, Ernst Göhner Stiftung, Fondation Leenaards, Fondation Jan Michalski, Migros Vaud. Remerciements Emilie Berry, Simon Guélat, Antoine Héraly, Marie Villemin. Spectacle créé à l'Arsenic à Lausanne 17 avril 2024. Vu à l'Arsenic à Lausanne le 21 avril 2024. Arsenic - Centre d'art scénique contemporain Lausanne, du 17 au 21 avril 2024 ABC CinéCaféThéatre La Chaux-de-Fonds, du 25 au 26 octobre 2024 Théâtre public de Montreuil, du 6 au 23 novembre 2024, avec le Centre culturel suisse on Tour, Théâtre Saint-Gervais Genève, du 22 au 25 janvier 2025,
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November 20, 8:32 AM
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Par Kilian Orain dans Télérama - 19 nov. 2024 Trois histoires, trois destins. Avec ce spectacle poétique et sensible, Estelle Savasta mène une réflexion sur la famille, l’identité, l’éducation. À voir au Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’au 27 novembre, puis en tournée. Un court extrait de musique, puis un autre, et encore un. Une femme cherche à trouver le bon tempo, le morceau approprié. Les invités l’attendent, elle doit faire un discours. Que s’apprête-t-elle à dire ? Noir dans la salle. C’est par cette question que démarre et se conclut D’autres familles que la mienne. Entre-temps, trois destins tissés les uns aux autres par les aléas de la vie se dévoilent à nous. L’autrice-metteuse en scène Estelle Savasta cherche depuis longtemps à traiter du sujet de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Plutôt que d’aborder ce seul sujet, elle a construit un spectacle dont jaillit une réflexion sur la famille, l’éducation, la construction de l’identité. Il y a d’abord Nora (puissante Zoé Fauconnet), jeune femme placée en famille d’accueil qui, à l’aube de ses quatorze ans, doit brutalement changer de foyer sur décision de l’ASE. Au fil de son errance, elle fait, entre autres, la connaissance d’Ariane (émouvante Clémence Boissé), qui deviendra sa meilleure amie. Avant de croiser, des années plus tard, la route de Nino (Matéo Thiollier-Serrano, remarquable acrobate-danseur), qui la contactera pour une tragique raison. Une table et quelques chaises habillent la scène, accueillant des repas de famille, des ateliers danse, des réunions de l’ASE, des cours au collège. En fond, une nappe géante et blanche est accrochée, sur laquelle sont brodées les initiales des personnages. Comme dans une vraie famille ? Aux histoires souvent noires qui sont associées à l’ASE, Estelle Savasta et ses comédiens apportent un peu de lumière. Tissant ainsi une belle et touchante traversée. Kilian Orain / Télérama 1h45. Mise en scène Estelle Savasta. Du 19 au 27 novembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry (94) ; 4-5 décembre, MC2 Grenoble (38) ; puis à Toulouse, Saint-Étienne, Nancy, Bourges, Narbonne… -
Titre D'autres familles que la mienne -
Genre Théâtre -
Auteur Estelle Savasta -
Lieux Théâtre des Quartiers d'Ivry - La Manufacture des Œillets, 1 place Pierre-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine -
Dates Du 19/11/2024 au 27/11/2024 Légende photo : Sur scène, le décor est sobre : une table et quelques chaises pour accueillir des repas de famille, des ateliers danse, des réunions de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)… Photo Danica Bijeljac
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November 19, 5:30 AM
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Propos recueillis par Jérôme Vallette sur le site de La Scène - 15 nov. 2024 Stéphane Fiévet, comédien et metteur en scène, ancien président du Syndeac (2003-2006), directeur de la culture à Paris 2024, et aujourd’hui consultant, conduit pour le compte du Syndicat national des metteuses et metteurs en scène (SNMS-CGT), les premières Assises nationales de la mise en scène (anms2024.fr) qui se déroulent, à tour de rôle, et jusqu’en janvier dans huit villes de France. Quel bilan pour les premières journées des Assises ? Les deux premières dates ont eu lieu à Lille – date inaugurale – et à Strasbourg, avant Paris, le 21 octobre au CNSAD. Cela a été un vrai succès de fréquentation, avec plus de 200 personnes au Théâtre du Nord, Centre dramatique national Lille-Tourcoing, et près de 130 au Maillon, Théâtre de Strasbourg scène européenne. Pour l’étape de Paris, nous avons ouvert les inscriptions, sans publicité, et nous avons déjà 150 inscrits. Nous allons sans doute être obligés de doubler la date. Chaque édition sera différente puisque les territoires sont tous singuliers. C’est pour ça que nous coorganisons ces dates avec des théâtres très implantés, nous travaillons ensemble pour monter l’édition régionale. Là, des partenaires locaux, comme l’Agence culturelle Grand Est pour Strasbourg, les DRAC, et les lieux qui nous accueillent nous aident, notamment pour le casting des intervenants. C’est une co-construction. Que tirer de ces deux débats ? Le principe des huit éditions est que c’est cumulatif. Ce qui est évident, c’est que sur énormément de sujets, nous avons entendu les mêmes choses, avec des variantes locales ou un pas de côté, avec des propositions inédites. Mais des fondamentaux apparaissent, deux-trois éléments qui ressortent très nettement. D’abord, l’état d’esprit des participants. Ces assises répondent à un besoin profond, que les metteuses et metteurs en scène expriment très vite : ils se sentent un peu seuls et ont besoin de ce partage entre professionnels. Cela entraîne un état d’esprit extrêmement positif : être au travail, ensemble, c’est inédit. Ce sentiment d’isolement de ces artistes conduit à une véritable satisfaction d’être dans le partage. Comment se déroulent ces journées ? Il faut comprendre qu’on pose les mêmes questions sur les mêmes territoires, car ce sont des assises nationales et qu’on veut avoir une consolidation nationale, avec trois thématiques d’ateliers-débats : la trajectoire [pour définir le métier et les parcours], le processus [pour mettre en tension la question des publics] et la responsabilité [sur le rôle du professionnel face aux défis contemporains]. Mais il y a aussi une dimension territoriale. Ce qui peut changer, selon le lieu, ce ne sont pas les questions qu’on traite mais la méthodologie. Nous avons trois rapporteurs qui sont de toutes les éditions. Et des modérateurs venus des territoires. Et, en fin de journée, une plénière de restitution. Et ça marche ? Les premiers retours valident les sujets mais on doit affiner certaines méthodes (par exemple, réduire certains temps) et donner plus de temps à la proposition. On est dans la dialectique du constat, parfois douloureux, parfois non, mais aussi de la proposition. Ce qui est fort, c’est que ça valide le fait qu’il y a un impensé de la définition de ce métier alors qu’il est au cœur de la plupart des projets. On travaille pour dire ce qu’est être metteur en scène en France aujourd’hui. En tous les cas, nous sommes très satisfaits des premiers pas. J’étais un peu inquiet au début de savoir si cela allait être compris, mais non seulement c’est entendu, mais aussi très attendu ! Cette réalité a d’ailleurs été pressentie par tous les partenaires des assises qui ont tout de suite compris qu’il y avait un enjeu, quelque chose qui n’était pas travaillé. Quels sont vos moyens ? Le budget global est de l’ordre de 250 000 euros, sans les interventions en industrie des partenaires. Les Assises sont à l’initiative du SNMS, le producteur, mais chaque date est montée avec les lieux qui accueillent, avec à chaque fois un vrai investissement en ce qui concerne l’accueil et la coordination. Il y a aussi d’autres partenaires, financiers et en industrie (Afdas, Audiens, SACD, ASTP) et, bien sûr, le ministère avec la DGCA qui nous accompagne, ainsi que les DRAC. Propos recueillis par Jérôme Vallette / La Scène Crédit photo : D. R.
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November 18, 12:06 PM
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Le débat critique sur France Culture, avec Marie Sorbier et Zoé Sfez - Diffusé le 18 nov. dans les Midis de France Culture. Ecoute en ligne ou podcast Au programme du débat critique, des spectacles : "Hello, Dolly !", mise en scène et chorégraphié par Stephen Mear et "Memory of Mankind" de Marcus Lindeen. Ainsi que Julia Perazzini Avec - Zoé Sfez Productrice de La Série musicale sur France Culture
- Marie Sorbier Rédactrice en chef de I/O et productrice du "Point Culture" sur France Culture
Les critiques discutent de deux spectacles : Hello, Dolly !, à l'occasion des 60 ans de la comédie musicale mise en scène et chorégraphiée par Stephen Mear et Memory of Mankind, un dialogue singulier nourri d'anecdotes réelles, proposé par Marcus Lindeen. Hello, Dolly ! est une comédie musicale pétillante et pleine de cœur qui raconte l’histoire de Dolly Levi, une marieuse professionnelle pleine de ressources et d’esprit, qui voyage jusqu’à Yonkers, New York, pour trouver la compagne parfaite pour le célibataire grincheux et riche marchand, Horace Vandergelder. Dans sa quête pour unir les cœurs solitaires, Dolly concocte un plan audacieux qui implique des rencontres inattendues, des quiproquos hilarants, et une série d’événements comiques. Depuis 1964 et Carol Channing, on ne compte plus les grandes stars ayant interprété le rôle de Dolly Gallagher Levi. De Barbra Streisand au cinéma à Bette Midler à Broadway en passant par Bernadette Peters, Ethel Merman, Imelda Staunton à Londres ou encore Annie Cordy à Paris, toutes ont incarné cette marieuse bien décidée à retrouver un mari par tous les moyens. En cette fin d'année 2024, la comédie musicale débarque à Paris pour les 60 ans de la pièce, avec Caroline O’Connor, légende de la scène des musicals internationaux qui interprétera pour la première fois ce rôle dans la nouvelle production de Stephen Mear. L'avis des critiques : - Marie Sorbier : "Cette comédie musicale est la recette idéale pour l’hiver. C’est une promesse totalement remplie, vous en avez pour votre argent. Caroline O’Connor est pour moi l'incarnation même de l'imaginaire américain de Broadway. Elle a les deux pieds sur terre, dans l’histoire comme dans sa corporalité sur la scène. Elle pose magistralement sa voix, danse, s’impose. J’ai été hypnotisée par elle. Et puis cette histoire de femme de 60 ans qui prend sa vie en main et manipule tout le monde m’a fascinée. Bien que dramaturgiquement ça ne soit pas de la grande psychologie humaine, la musique apporte très bien ce que le texte ne fait pas. Ce n’est pas une simple bluette non plus, ça déborde de la scène, ça envahi le public. J’ai vécu quelque chose de très léger qui fait beaucoup de bien, presque une cure de jouvence."
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- Zoé Sfez : "Hello Dolly ! est un classique merveilleux de Broadway extrêmement bien exécuté. C’est un peu comme aller dans une brasserie qui vous fait un pot au feu, ce n’est pas innovant ni de la cuisine moléculaire mais c’est tout à fait excellent. Il y a un respect total de la pièce originale de 1964, dans les costumes et dans le texte, qui n’a d’ailleurs pas mal vieilli. On y trouve beaucoup d’humour, de rythme, un paysage extraordinaire avec ce personnage central d’une femme d’un certain âge. Gene Kelly en a réalisé un très grand film mais a dénaturé une partie de la beauté de la pièce tournée autour de l’âge de Dolly. Ici, la gestion de la mise en scène et du rythme sont d’une maitrise incroyable, portées haut la main par Caroline O’Connor."
Le spectacles est joué du 7 novembre 2024 au 5 janvier 2025 au Théâtre du Lido. "Memory of Mankind", Marcus Lindeen fait dialoguer ensemble les mémoires Après La Trilogie des identités, l’auteur et metteur en scène suédois Marcus Lindeen et la dramaturge-traductrice Marianne Ségol signent une nouvelle pièce à la lisière du théâtre documentaire et de l’écriture intimiste. Il sera question d’un céramiste autrichien cherchant à stocker le récit de l’Humanité, d’un individu dont la mémoire s’efface régulièrement, de sa femme écrivaine qui l’aide à la retrouver, et d’un archéologue queer proposant une autre manière d’écrire l’histoire. Marcus Lindeen et Marianne Ségol interrogent ici la notion de mémoire en restituant quatre histoires parfaitement extraordinaires, mais bien réelles. Dans leur théâtre où les paroles personnelles s’échangent et se nourrissent, ils inventent une œuvre singulière, aussi scrupuleuse que philosophique. L'avis des critiques : - Marie Sorbier : "J’ai été déçue, j’avais beaucoup aimé La Trilogie des Identités. Mais ici, le spectacle pêche par didactisme et fini par trouver une forme plate. Les spectateurs sont face à une sorte d’arène en bois dans laquelle les quatre comédiens amateurs jouent de vrais témoignages enregistrés dans leurs oreillettes. Mais on a un décalage qui ne nous offre pas la grâce parfois présente dans le théâtre amateur. C’est très frustrant, le metteur en scène soulève parfois des questions que j’ai trouvé passionnantes, mais la démagogie avec laquelle il s’applique à les traiter en déconstruit l’intérêt. Pour moi, ça n’est pas vraiment une prestation théâtrale."
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- Zoé Sfez : "J’ai eu la sensation que Marcus Lindeen avait une véritable idée, mais qu'il concrétise finalement d'une manière trop vaste. On se demande si on est devant la tentative de quelque chose de très beau ou un podcast discussionnel incarné. Je trouve qu’il y a deux soucis à cette pièce : le sujet qui est énorme et à côté de ça des surgissements d’émotions provoqués plus par ce qui est raconté que par la prestation. Il y a tellement de sujets sur la mémoire, le temps, qui sont traités trop rapidement, sans la profondeur nécessaire et c’est un peu dommage."
Le spectacle se joue du 14 au 25 novembre au Théâtre de Gennevilliers avec le Festival d’Automne, puis en tournée : - Du 4 au 6 décembre 2024 Le Quai, CDN d'Angers
- Du 13 au 15 décembre 2024 Le Lieu Unique Nantes avec Le Grand T hors-les-murs
- Du 7 au 9 janvier 2025 La Comédie de Caen, CDN
- Du 15 au 18 janvier 2025 Piccolo Teatro, Milan (Italie)
- Du 22 au 24 janvier 2025 Festival Transforme à Clermont-Ferrand, Comédie de Clermont-Ferrand, Fondation d’entreprise Hermès
- Les 5 et 6 février 2025 Festival Faraway, Comédie de Reims
- Du 8 au 11 avril 2025 Nouveau Théâtre de Besançon, CDN
- Les 15 et 16 mai 2025 Festival Transforme à Rennes, TNB / Fondation d’entreprise Hermès
Le coup de coeur critique : "Dans ton intérieur" de Julia Perazzini Un jour, la grand-mère de Julia Perazzini décide de couper les liens avec son mari sans explication apparente. Comme si elle le faisait disparaître. À moins que ce ne soit l’inverse... Les souvenirs, les traces et les secrets que cette aïeule a laissés derrière elle après son décès accompagnent l'artiste dans sa recherche. Celle-ci décide alors de se mettre dans la peau de ses grands-parents et engage une investigation protéiforme, avec détective privé et séances d’hypnose. Explorant avec ingéniosité différents types d’existences, elle tisse une toile d’araignée pour peu à peu donner corps à son propre nom. Dans la continuité de sa précédente pièce Le Souper (2023), Julia Perazzini part en quête d’un autre membre fantôme de sa famille : le grand-père italien dont elle porte le nom et qu’elle n’a jamais connu. S’ouvre alors un troublant voyage en dialogue avec les personnes rencontrées durant cette enquête et les disparu·es à qui elle redonne vie. - Marie Sorbier : "Le spectacle est un seul en scène qui se tient extrêmement bien. Julia Perazzini a un talent de transformiste incroyable. On entre avec elle dans toute sa quête généalogique alors qu’elle fait parler à travers sa voix toutes les personnes qu’elle a rencontrées, de sa famille aux employés de pompes-funèbres. Les dernières scènes sont extrêmement drôles et parviennent à nous provoquer une empathie et une émotion tout à fait inattendues. C’est une expérience de théâtre que j’ai rarement vu."
Extraits sonores : - Chanson Hello Dolly, tirée de la captation de la comédie musicale Hello, Dolly ! de Stephen Mear
- Extrait tiré de la pièce Memory of Mankind de Marcus Lindeen, 2024
Légende photo : "Hello Dolly !" revient sur les planches de Paris, portée par Caroline O’Connor, 2024 - © Julien Benhamou
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November 17, 6:23 PM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 17 nov. 2024 A l’initiative du directeur du théâtre de Nanterre, cinq auteurs se sont emparés des centaines de pages rédigées lors de la crise des « gilets jaunes » pour une soirée de lectures.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/17/aux-amandiers-la-seconde-vie-des-cahiers-de-doleances_6399443_3246.html
Michel Barnier aurait pu venir au théâtre des Amandiers à Nanterre, samedi 16 novembre. Le premier ministre, qui a annoncé dans Le Parisien le 26 octobre avoir demandé à ses équipes de se plonger dans les cahiers de doléances issus de la crise des « gilets jaunes » pour élaborer son futur « plan d’action », aurait constaté que le monde théâtral a pris les devants et s’est emparé de ces pages noircies par des citoyens mais oubliées sur les étagères des archives départementales et nationales depuis plus de cinq ans par le pouvoir politique. Intitulée Ouvrir les cahiers de doléances, cette soirée de lectures a dévoilé les textes inédits de cinq auteurs et autrices auxquels Christophe Rauck, directeur du Théâtre des Amandiers, a proposé de faire vivre ces doléances pour faire « œuvre de mémoire ». Penda Diouf, Claudine Galea, Christophe Pellet, Constance de St Rémy, Noham Selcer, tous se sont rendus aux archives des Hauts-de-Seine et ont consulté cet impressionnant matériau, ces centaines de demandes, de propositions, de critiques, de témoignages de vie rédigées à la main. Autant de bouteilles à la mer, de coups de gueule mis noir sur blanc dans l’espoir d’être entendus. « Comme une lettre au Père Noël sans étoiles dans les yeux (…) Toutes les phrases disent la même chose : nous ne vivons pas suffisamment bien », constate Penda Diouf dans un texte rétrospectif, judicieusement titré Et toi, tu y étais sur les ronds-points ?, à l’attention de tous ceux qui auraient déjà oublié ce mouvement de protestation. « C’est tout un peuple qui s’exprime » « Nous ne sommes pas du même côté, je n’ai pas fréquenté les ronds-points mais quand je vous lis, je suis émue et en colère », relate Claudine Galéa. « La lecture de cette matière brute et très politique est devenue pour moi une drogue. Dans ces cahiers, c’est tout un peuple qui s’exprime », témoigne Constance de Saint Rémy. De cette expérience, la jeune auteure a écrit Le Jeu démocratique, un texte puissant dans lequel elle imagine un jeune député séquestré dans la cuisine d’une auxiliaire de vie et femme de ménage en fin de carrière, à bout et en colère. « Je veux votre temps et votre écoute », lui martèle-t-elle. « Pourquoi suis-je à découvert le 15 du mois sans un excès, un écart, un plaisir ? J’ai passé ma vie à me casser le dos et à m’occuper des autres. Pourquoi se tuer au travail quand ce travail ne rapporte ni rentabilité, ni sécurité, ni dignité ? Pourquoi je vote ? Pour faire barrage ? Barrage de quoi, d’un parti qui parle avec mes mots ? Parce qu’ils me disent ce que je veux entendre, on me manipule, ce serait la première fois ? Pourquoi je ne défendrais pas mes intérêts pour défendre des principes, des droits ? Ça va me nourrir ça, ça va payer mes factures ? » Rétablissement de l’impôt sur la grande fortune (ISF), augmentation des bas salaires, indexation des retraites… les demandes en faveur d’une plus grande justice sociale et fiscale reviennent sans cesse dans le document 2937W60, l’un des cahiers de la commune de Nanterre rédigé en 2019 et compulsé par Noham Selcer. Les problématiques de l’immigration et de la sécurité arrivent loin derrière celle du pouvoir d’achat. Dans La Fin d’un gilet jaune, Christophe Pellet se penche sur le devenir d’un groupe lié par cette lutte passée. Il y a Fabien, 32 ans, toujours idéaliste (« on a encore le pouvoir de changer les choses »), Laurent, 59 ans, désabusé (« on en a gros sur le cœur mais chacun pour soi. Je n’ai toujours pas dépassé ma condition merdique, mon salaire merdique »), Sarah, 65 ans, qui a rejoint le collectif Les Soulèvements de la Terre, et Lucas, 22 ans, qui a basculé à l’extrême droite. Un dialogue percutant entre citoyens dont la prise de parole est restée lettre morte. En attendant d’être enfin pris en compte par les politiques, les cahiers de doléances pourraient devenir une riche matière théâtrale. Sandrine Blanchard / LE MONDE Légende photo : La soirée de lectures « Ouvrir les cahiers de doléances », au théâtre des Amandiers, à Nanterre, le 16 novembre 2024. GERALDINE ARESTEANU
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November 17, 3:41 PM
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Par Gilles Renault dans Libération - 17 nov. 2024 La metteuse en scène Raphaëlle Boitel continue de vouloir élargir le périmètre du cirque, en mêlant théâtre, danse et musique dans un spectacle méritoire, aussi ambitieux qu’inabouti. Nul ne songerait reprocher à Raphaëlle Boitel de manquer d’idées, pas plus que d’ambition. D’abord circassienne (en contorsionniste révélée, au seuil de l’adolescence, dans la triomphale Symphonie du hanneton de James Thierrée), puis aussi actrice et chorégraphe de quelques opéras, la fille de Lilou Hérin (costumière et accessoiriste) et sœur des mêmement saltimbanques Camille et Silvère Boitel, n’a pas pour habitude de rester les deux pieds dans le même sabot. Une inclination aventureuse qui s’est affirmée lorsque la désormais quadragénaire a fondé sa propre compagnie, l’Oublié(e). Précisément le nom qu’elle donnait aussi à son premier spectacle-signature (comme on le dirait d’un plat, chez un chef reconnu), en 2014. La carte du clair-obscur Une forme d’étrangeté pénombreuse prévalait alors qui, dix années plus tard, continue d’envelopper assez littéralement Ombres portées. Une création, en réalité datée de 2021, mais dont l’exploitation, comme bien d’autres, a été contrariée par les vicissitudes consécutives à la pandémie de Covid. Ainsi la grande scène du Monfort accueille-t-elle enfin les six protagonistes d’un drame familial qui, élaboré sur un socle circassien, veille pourtant à élargir la considération à un vaste périmètre englobant des éléments en lien avec : la danse, le hip-hop versant sa quote-part au critère «spectaculaire», indispensable pour remplir les salles ; la musique, portée par une bande-son electro-rock très présente ; la magie nouvelle, à travers un quadrillage lumineux qui, jouant à fond la carte du clair-obscur, cisèle les effets, autant qu’il brouille les pistes ; et, plus encore, le théâtre. C’est d’ailleurs cette dernière discipline qui constitue le fil rouge d’un récit fragmenté où, autour d’un père et de ses enfants, va se jouer, selon les termes de la metteuse en scène, «une plongée dans l’intime […], une réflexion, la construction de soi, les destins qui basculent, la fragilité des équilibres, mais aussi la question du sentiment de culpabilité ou de ses mensonges collatéraux». Bref, un costume qui taille sans doute un peu grand pour qu’on puisse en saisir toutes les intentions, compactées ici en quelques saynètes trop succinctes pour instaurer une dramaturgie suffisamment robuste et lisible dans la tragi-loufoquerie ambiante. «Une poétique kafkaïenne» Une réserve de fond, et de taille, qui cependant n’impacte pas l’élégance racée de la forme, quand, servant «une poétique kafkaïenne» majorée par le travail du scénographe et éclairagiste Tristan Baudoin, le cirque reprend ses droits – dans une distribution pour moitié composée de jeunes recrutés au Centre national des arts du cirque. A l’exemple de cette corde lisse dont il s’avère d’autant plus difficile de descendre, qu’elle remonte sans cesse. Ou de cette table facétieuse qui, s’élevant du sol, défie elle aussi la loi de l’apesanteur – à entendre ici au double sens phonétique du terme. «Ombres portées», de Raphaëlle Boitel, Théâtre Silvia Monfort, 75015, jusqu’au 23 novembre, puis en tournée (Creil, Gap, Château-Arnoux, Marseille, Lyon). Légende photo : Sur un socle circassien, la pièce incorpore musique, danse et lumière. (crédit : © Christophe Raynaud de Lage)
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November 17, 5:05 AM
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Par Samuel Gleyze-Esteban pour l'Oeil d'Olivier - 7 nov. 2024 Inspiré par les acteurs avec lesquels il remonte la pièce d'un pays à l'autre, le dramaturge italien plonge Marcial Di Fonzo Bo dans un enchevêtrement de mémoires des dictatures du XXe siècle. Portrait de l’artiste après sa mort naît il y a un peu plus d’un an, au Teatro Piccolo de Milan, où le metteur en scène et dramaturge Davide Carnevali est artiste associé. Depuis, le seul-en-scène se réécrit pour les différents pays dans lesquels il joue, au gré d’une distribution changeante. À une trame invariable — le récit d’un desaparecido de la dictature militaire argentine, un parmi des dizaines de miliers — se télescopent les histoires des fascismes en Europe au XXe siècle. L’enquête a beau être déroulée de façon linéaire par Marcial Di Fonzo Bo, elle procède d’un entrelacement de mémoires assez vertigineux. L’acteur raconte : un jour, quand il vivait encore à Caen, il reçoit un courrier de la ville de Buenos Aires l’informant de l’existence d’un appartement à son nom (à une faute d’orthographe près) confisqué à l’époque par la junte militaire et désormais en passe d’être restitué. Lui et Davide Carnevali, qui cherche à jouer sa pièce dans l’hexagone, décident de se rendre sur place et de faire de cette recherche aussi personnelle qu’historique le sujet de ce « Portrait » français. Convergence des peines Pénétrant dans l’appartement abandonné, les deux hommes découvrent les stigmates d’un pays blessé par ses crises successives en même temps que les reliques d’une vie, celle de Luca Misiti, pianiste dissident dont demeurent, entre ces quatre murs, un piano, des partitions et quelques documents à son nom. Mais dans ceux-ci se dessine une seconde figure : celle de Schmit, un compositeur juif qui fuyait la France de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Misiti étudie les œuvres. Entre l’un et l’autre, les destins convergent, dessinant l’histoire croisée d’une condition commune — celle des dépossédés de la dictature — sans pour autant que soient niées leurs spécificités historiques. En plaçant les spectateurs en position d’enquêteurs dans des épisodes de l’histoire que l’on aurait toujours trop vite fait d’oublier, Portrait de l’artiste après sa mort réussit à solliciter une posture active dans le travail de mémoire. Si le récit très factuel mené par le comédien laisse place, en dépit de la précision et la sensibilité de la mise en scène, à une théâtralité ténue, il finit par embarquer le public en l’invitant à descendre sur le plateau, dans un espace qui s’hybride alors entre spectacle et musée et où prend place, non sans émotion, une sorte de cérémonie d’exhumation de biographies jamais écrites. La pièce se lit alors comme un témoignage, factice mais collé au réel, des victimes des dictatures française et argentine, en même temps qu’un commentaire sur les possibilités d’activation de ces mémoires au présent. Samuel Gleyze-Esteban Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 – Argentine 78) de Davide Carnevali Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Du 15 au 27 novembre 2024 Durée 1h30 Tournée Du 7 au 9 novembre au Quai, CDN Angers Pays de la Loire 15 et 16 janvier 2025 au Théâtre des Îlets, Centre dramatique national de Montluçon 20 au 22 février au Théâtre de Liège, Belgique 26 avril au 7 mai 2025 au Quai – CDN Angers Pays de Loire Texte et mise en scène Davide Carnevali Traduction de l’italien Caroline Michel Avec Marcial Di Fonzo Bo Scénographie Charlotte Pistorius Lumières Luigi Biondi Musique originale Gianluca Misiti
Crédit photo © Victor Tonelli
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Le spectateur de Belleville
November 16, 10:18 AM
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L’adaptation du roman d’Han Kang par Daria Deflorian mêle horreur et burlesque avec intelligence mais pèche par une deuxième partie aux enjeux plus attendus. «Quand on fait un rêve, on le prend pour la réalité. Mais quand finit la nuit, on sait qu’il n’en était rien… Donc si un jour on se réveille, alors…» La Vegeteriana s’achève avec cette phrase en suspens, qui résonne encore alors que le noir se fait sur un tableau saisissant : une jeune femme dénudée échouée sur un matelas sale, entourée de trois autres personnages, impuissants. Il existe indéniablement dans le spectacle de Daria Deflorian une terreur mêlée de mystère qui fait sa beauté, hélas irrégulière, car elle se heurte à d’autres partis pris plus attendus, et une interprétation semble-t-il erratique du texte de Han Kang. Heureux hasard, la Végétarienne, publié en 2007, est le roman le plus connu de cette autrice sud-coréenne qui vient de remporter le prix Nobel de littérature. L’histoire de Yonghye, jeune épouse jusque-là irréprochable et, selon son mari, absolument normale qui une nuit, après avoir «fait un rêve», vide le frigidaire pour en jeter toute la viande congelée – anguilles hors de prix comprises – et décide de ne plus cuisiner ni manger de viande. Une décision irrévocable. Cela ressemble d’abord à une lubie, puis à une pathologie mentale ; c’est en fait une idée de plus en obsessive : devenir plante. Murs glauques Daria Deflorian a trouvé dans l’ossature du roman une forme qu’elle transpose presque directement au plateau, faisant alterner trois voix autour de la protagoniste (formidable Monica Piseddu) : celle du mari (Gabriele Portoghese), un personnage un peu grotesque, à la fois lâche et démuni ; celle du beau-frère (Paolo Musio), un artiste en pleine remise en question qui se prend de passion pour le corps de Yonghye ; enfin, interprétée par la metteuse en scène elle-même, celle de la belle-sœur préoccupée par la déchéance physique de la jeune femme. Sur un décor sobre aux murs glauques très réussi, qui figure un intérieur que jouxtent deux petites pièces presque toujours en hors-champ, sont projetées les indications types d’un scénario de cinéma – «Intérieur jour - chambre du couple» / «Intérieur nuit - hôpital». Daria Deflorian tient sans doute là sa meilleure idée, celle du film de genre. La première séquence augure d’un spectacle tendu, qui mêle avec une intelligence dramatique évidente l’horreur et le burlesque – lorsque surgit devant le regard éberlué et idiot du mari, comme une zombie de série B évoluant sur un carrelage douteux, cette Yonghye aux clavicules saillantes sous la chemise, cheveux filasses devant le visage. Accents pathétiques Malheureusement le spectacle ne tient pas cette promesse, et s’affaisse, paradoxalement, à mesure que la situation de Yonghye devient de plus en plus critique, son entourage de plus en plus cruel, sa décision de plus en plus obscure, et les cauchemars qu’elle raconte de plus en plus insoutenables. L’étrangeté des motifs qui irriguent le roman d’Han Kang se banalise dans une deuxième partie aux enjeux plus attendus. Précisons que les quatre comédiens interprètent en italien un texte qui évoque la société sud-coréenne contemporaine : la rigidité de son modèle familial, où la femme est encore largement au service du mari – c’est particulièrement important dans le roman d’Han Kang, où la préparation des repas est un rituel singulier. Dans ce hiatus entre deux cultures très différentes, Daria Deflorian évite l’exotisme, mais elle échoue aussi à loger le fameux mystère de cette femme, qui est moins en résistance féministe, qu’en devenir-plante – il y a là sans doute quelque chose de culturel qui échappe au spectateur occidental, et dont l’adaptation se trouve embarrassée. La dernière partie très longue, dont le texte est dit par la belle-sœur sur un mode emphatique aux accents pathétiques très appuyés, contextualise avec outrance le spectacle hors de la Corée. On a alors l’impression d’assister à un drame familial autour d’une femme abusée souffrant de graves troubles alimentaires, ce que le roman n’est pas. Nous sauve de l’ennui cette image finale : la grâce horrifique de la comédienne sur ce matelas brut, irréductible à tout message. La Vegetariana d’après Han Kang, mise en scène par Daria Deflorian au Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier jusqu’au 16 novembre, dans le cadre du Festival d’automne.
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Le spectateur de Belleville
November 25, 9:34 AM
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Propos recueillis par Sandrine Blanchard pour Le Monde, publé le 25 nov. 2024 Celui qui dirigeait, depuis 2019, la première organisation d’employeurs du spectacle vivant subventionné dénonce, dans un entretien au « Monde », le gel du budget du ministère prévu et les attaques des politiques contre les aides au secteur.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/25/nicolas-dubourg-president-demissionnaire-du-syndeac-le-service-public-de-la-culture-est-dans-une-situation-extremement-critique_6412659_3246.html
A la tête du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) depuis 2019, Nicolas Dubourg, directeur du Théâtre La Vignette-Université Paul-Valéry, à Montpellier, présidera sa dernière assemblée générale syndicale, lundi 25 novembre. Il vient d’annoncer sa démission « afin d’éviter tout conflit d’intérêts », alors qu’il s’est porté candidat à la direction d’un lieu culturel. Le nom de son successeur sera connu lundi 9 décembre. Première organisation d’employeurs du spectacle vivant subventionné, ce syndicat compte plus de 500 adhérents (lieux et compagnies) représentant plus de 15 000 salariés. Il s’inquiète du gel du budget du ministère de la culture et des attaques récentes portées par des politiques contre les subventions au secteur culturel. Dans le projet de loi de finances pour 2025, le budget de la culture a été préservé et devrait être reconduit au même niveau que celui de 2024. Est-ce finalement une bonne nouvelle ? Un budget de statu quo signifie que nous n’aurons pas la revalorisation de 100 millions d’euros que nous avions demandée pour le service public de la culture. Par ailleurs, nous risquons de subir de nombreuses coupes de la part des conseils régionaux, conseils départementaux, métropoles, villes, à qui l’Etat retire 5 milliards d’euros dans le PLF 2025. Or, 70 % des financements de la culture sont issus de ces collectivités territoriales. Donc, non, ce n’est pas une bonne nouvelle. Sous prétexte que la dette a explosé et que le déficit n’est plus maîtrisé, le budget global 2025 va accélérer le démantèlement des services publics. Tout se passe comme si on avait laissé une situation économique déraper pour justifier des choix politiques qui auraient été proprement insupportables auparavant. Comment qualifieriez-vous la situation actuelle du service public de la culture ? Nous sommes dans une situation extrêmement critique. S’il ne se passe rien, si les projets de budget ne sont pas amendés, on peut s’attendre à ce que, en 2025, des artistes cessent leur activité, des personnels permanents d’institutions publiques soient licenciés et que le nombre de créations et de représentations proposées au public accuse une baisse drastique. En Pays de la Loire, en réponse à ceux qui s’inquiètent d’une baisse du budget de la culture, la présidente de région, Christelle Morançais, a répondu sur X : « Quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public ? N’est-ce pas la preuve que notre modèle culturel doit d’urgence se réinventer ? » Serait-on à un moment de bascule sur la question de l’engagement des collectivités locales ? Elle fait tomber le masque. Quand les débats sont simplifiés à outrance de manière ultradémagogique, comme ça a été le cas lors de la campagne présidentielle américaine, et qu’en plus ils sont relayés par certains médias, il est facile aujourd’hui de créer des cibles. Si on interrogeait les Français, ils seraient certainement très peu nombreux à demander le démantèlement des services publics. Quand on dit que ça coûte trop cher, qu’est-ce que ça veut dire ? Que ceux qui paient des impôts, par exemple, ne souhaitent plus contribuer à l’intérêt général ? On renvoie alors à la question du marché : ceux qui veulent accéder aux services de santé, à l’école ou à la culture n’ont qu’à se le payer. Seulement, quand vous allez au théâtre dans des pays où il n’y a pas de service public de la culture, la place ne coûte pas entre 10 et 20 euros, mais entre 80 et 150 euros. La présidente de la région Pays de la Loire considère que la culture subventionnée serait « le monopole intouchable d’associations très politisées qui vivent d’argent public ». Selon elle, vous êtes tous des « militants » de gauche… Il faudrait rappeler à cette présidente de région qu’il y a, en France, la loi relative à la liberté de création, qui prévoit notamment la liberté de programmation et de diffusion. On a réussi à créer en France un système qui libère les artistes non seulement des influences politiques, mais aussi des influences du marché, et protège la liberté d’expression. Par exemple, dans le spectacle vivant, les financements croisés permettent qu’un artiste ou un théâtre ne soit pas soumis uniquement à l’influence d’un maire ou d’un ministre. En France, on a un cinéma indépendant, un théâtre de création indépendant, etc. La question n’est pas de savoir si les artistes sont d’accord ou pas avec elle. La question est de savoir si elle est contente de vivre dans un pays où les citoyens ont une liberté d’expression, ou pas. C’est tout. La culture a peu de poids dans le débat politique, elle n’est jamais un sujet de campagne électorale… On a actuellement une attaque ciblée. Tous ceux qui considèrent que la liberté d’expression dont on jouit alimente une idéologie qui leur est défavorable s’intéressent de très près à la culture. L’extrême droite et la droite libérale ont parfaitement compris qu’on était dans une guerre culturelle. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que la droite républicaine, la gauche démocrate ou la gauche radicale et écologiste ne disent rien sur le sujet. Des ultralibéraux comme la présidente de région des Pays de la Loire, il y en a toujours eu en France. Ce qui est troublant, c’est qu’elle n’est pas spécialement contestée par les siens. La droite républicaine qui défend un modèle français de service public ne se fait pas entendre pour remettre en cause ce qu’elle dit. Le débat culturel est d’abord un débat sur le vocabulaire. Il y a des mots qui ont été volés, instrumentalisés par nos adversaires. Par exemple, la démocratisation. Auparavant, cela avait un sens très social, c’était donner accès à la culture à des personnes dont le capital économique était faible et dont les barrières symboliques et sociales étaient importantes. Aujourd’hui, la démocratisation à la manière d’un Laurent Wauquiez [président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes] correspond, en gros, à donner la priorité à une culture gauloise, traditionaliste, populiste. La démocratisation est un mot qui est devenu très ambigu lorsque des ministres ou des maires vous disent : « Votre salle est élitiste » ou « Ce n’est pas assez populaire, pas assez mainstream ce que vous proposez. » Mais n’y a-t-il pas une part d’échec depuis quarante ans dans la démocratisation ? En juin, dans une tribune remarquée, dans « Libération », Ariane Mnouchkine écrivait à propos du monde culturel subventionné : « Une partie de nos concitoyens en ont marre de nous : marre de notre impuissance, de nos peurs, de notre narcissisme, de notre sectarisme, de nos dénis. (…) Nous, gens de gauche, nous, gens de culture, on a lâché le peuple. » Comment Ariane Mnouchkine peut-elle s’arroger le droit de dire : « Nous, les artistes de gauche » ? Pour fréquenter de très nombreux artistes, je peux vous affirmer que les nuances politiques dans notre secteur sont très importantes. Qui que ce soit, y compris Ariane Mnouchkine, ne fait pas la synthèse idéologique de notre secteur. Chaque jour, des compagnies et des artistes travaillent dans des quartiers populaires, en zone rurale, en prison, ou auprès de personnes en situation de détresse psychiatrique. Que réclament-ils ? Des moyens. Nous n’avons pas failli, nous sommes prêts à en faire mille fois plus, mais, quand on propose des ateliers à l’école, à l’université, des interventions à l’hôpital ou en prison, les portes se ferment parce qu’on nous répond qu’il n’y a plus de budget. On vit dans un pays où il y a dix mille personnes qui pensent que Paris est le centre du monde. C’est ça le problème aujourd’hui. A voir le monde avec des mauvaises lunettes, on a du mal à l’observer. Il n’y a pas que le Festival d’automne à Paris et le Festival d’Avignon l’été. Ailleurs, la démocratisation est à l’œuvre. Des gens très variés, des jeunes, dont les parents n’ont pas fait des études supérieures, et ne sont peut-être jamais venus au théâtre, composent le public. Mais l’essentiel des financements publics pour la culture est concentré sur Paris. A un niveau délirant. Quatre théâtres nationaux sur cinq sont à Paris, l’essentiel des centres dramatiques nationaux et des scènes nationales est concentré dans la banlieue parisienne, et une majorité des compagnies et des moyens de création sont en Ile-de-France. Le spectacle vivant représente à peine 1 % des réservations sur le Pass culture. Rachida Dati souhaite réformer la part individuelle du Pass et propose, notamment, de réserver une partie de la somme attribuée aux jeunes au spectacle vivant. Cela vous satisfait-il ? La part individuelle du Pass culture ne relève pas d’une politique culturelle mais d’une politique économique, à travers laquelle l’Etat, par, pourrait-on dire, une distorsion de marché, soutient des entreprises à but lucratif. Quand on fait une politique qui finance la demande plutôt que de financer l’offre, il ne faut pas s’étonner que ceux qui vont avoir la capacité de communiquer, de faire de la publicité de manière massive, ce n’est pas le secteur public, mais privé. L’an dernier, nous avons collecté des données pour voir combien de billets avaient été vendus dans le réseau public par le biais du Pass : l’équivalent de moins de 20 000 euros sur l’ensemble de la France. C’est ridicule. Ce qui nous permettrait d’avoir plus de jeunes dans nos salles, ce n’est pas le Pass culture. Ce serait d’avoir des médiateurs, un travail de relais avec des associations, des programmes de pratiques artistiques, bref, du personnel et des compétences, mais certainement pas une application de géolocalisation. Donc, selon vous, ce projet de réforme ne changera rien ? Depuis le début, nous demandons l’abrogation de ce dispositif. Plutôt que de mettre un quota de 15 % ou 20 % pour le spectacle vivant, nous préférerions que soit annoncée une diminution de la part individuelle pour refinancer les lieux. Le Pass culture coûte 250 millions d’euros par an. Prenons 100 millions sur cette enveloppe et utilisons-les pour financer le secteur que la ministre appelle à fréquenter. La Cour des comptes, le Sénat, tout le monde critique le Pass culture. La seule raison pour laquelle il va encore vivre quelque temps en étant amendé à la marge pour limiter les dégâts, c’est parce qu’il s’agit d’une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Pour créer ce dispositif, le ministère a été capable de récupérer 250 millions d’euros. Alors prenons cet argent pour faire de vraies politiques publiques de la culture, pour refinancer enfin un secteur qui ne l’a pas été depuis vingt ans et remettre tout le monde à flot. Le Pass n’est pas la bonne politique, mais c’est le bon budget. Sandrine Blanchard / LE MONDE Légende photo : Nicolas Dubourg, à Paris, le 20 novembre 2024. SOPHIE LERON
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Le spectateur de Belleville
November 24, 11:29 AM
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Par Marie-José Sirach dans L'Humanité - 24 nov. 2024 Marcial Di Fonzo Bo revient en Argentine sur les traces d’un musicien disparu au temps de la dictature. Un récit captivant de Davide Carnevali. D’abord, le titre. Énigmatique, intrigant. Portrait de l’artiste après sa mort. Seul sur scène, dans un décor en construction, une sorte de studio tout ce qu’il y a de plus simple, Marcial Di Fonzo Bo regarde les techniciens s’affairer. Au-dessus de lui, un écran sur lequel s’affiche le plan de Palermo, l’un des quartiers les plus en vogue de la capitale argentine. Sur un tableau accroché à une cloison, on peut lire : Argentine, 1978. Un jour, Marcial reçoit une lettre en provenance du ministerio de Justicia y Derechos humanos, avenida Sarmiento 329, Buenos Aires, Argentine. Son prénom est mal orthographié, Marzial, un z à la place du c. Mais l’adresse est bonne. Le courrier évoque la réaffectation d’un appartement sis Avenida Luis Maria Campero 726, à Buenos Aires, dont Marcial aurait hérité d’un oncle, un certain Jorge Luis Di Fonzo. Marcial n’a jamais entendu parler d’un tel oncle. Plusieurs failles spatio-temporelles Avec Davide Carnevali, l’auteur de la pièce, ils décident de se rendre à Buenos Aires pour tenter de comprendre l’affaire. Pour Marcial, argentin de naissance, français d’adoption, c’est un retour au pays natal dans des conditions étranges. Quant à Davide Carnevali, il tombe malade à peine arrivé et ne sortira pas de l’appartement, plutôt glauque, qu’ils ont loué sur Airbnb. Marcial, seul sur scène, nous conte cette histoire. On est tout ouïe. Le récit va s’articuler autour d’un Argentin, un certain Luca Misiti, compositeur, pianiste, disparu sans laisser de traces le 25 juin 1978, le jour de la finale de la Coupe du monde que remporta l’Argentine face aux Pays-Bas. Où l’on découvre avec Marcial que Misiti fut le dernier occupant de l’appartement de l’oncle Di Fonzo. L’appartement est resté en l’état : vieille radio posée sur le plan de travail de la cuisine, fauteuil, table basse et son cendrier en cristal, tapis. Seul le piano, dont on devine l’emplacement, n’est plus là. Enfin, pas tout le temps là. L’histoire de Misiti va faire écho à celle de Schmidt, sans la lettre d (dont le musicien argentin avait retrouvé les partitions), un pianiste juif allemand lui aussi porté disparu alors qu’il s’apprêtait à fuir la France de Vichy. Le récit vertigineux auquel nous convie Marcial Di Fonzo Bo se déploie sur plusieurs échelles spatio-temporelles, dans une superposition où passé et présent s’entrecroisent sans que jamais le spectateur ne perde le fil d’Ariane de cette intrigue. Cette histoire fait même ici un détour par la bataille d’Alger, les méthodes employées par quelques officiers français ayant inspiré leurs « homologues » argentins. Dans l’appartement de Misiti, aucune trace du vieil oncle de Marcial. C’est comme si personne n’avait habité là depuis ce 25 juin 1978. Marcial imagine la scène. Et nous avec. Une vieille Ford rouge aux vitres enfumées. Un flic en civil, visage caché par des lunettes noires. Les cris de détresse de Misiti se confondent avec les cris de joie des supporters argentins. La Ford démarre, direction l’Esma, l’École de mécanique de la marine, qui fut un centre de torture. C’est de là que décollaient les avions pour jeter les corps des prisonniers au-dessus de l’océan. Entre réalité et fiction Tous les indices concordent pour enrichir le récit. Et pourtant, où est la vérité dans cette histoire ? Toute ressemblance avec des personnages ayant existé est voulue, assumée, revendiquée. On est à la fois troublé par ce récit où fiction et réalité ne cessent de se renvoyer la balle. Y a-t-il eu jamais un Misiti ou un Di Fonzo habitant Avenida Luis Maria Campero, 726, Buenos Aires. Le spectateur se prend au jeu. Portrait de l’artiste après sa mort tient de la contre-enquête et d’une course-poursuite contre l’oubli, celui qui efface de nos mémoires l’Histoire. Combien de Misiti ou de Schmidt sont-ils tombés dans les limbes de l’Histoire ? Les spectateurs sont pris à témoin. Mieux, ils sont totalement immergés dans ce qui se joue sous leurs yeux. Le piano semble le seul témoin de la scène d’enlèvement. Les notes jaillissent de l’instrument sans que personne n’en joue. Les fantômes des disparus hantent cet appartement. Un appartement témoin soudain transformé en musée et que les spectateurs, invités à monter sur le plateau, vont alors visiter. En 2023, l’Esma est devenue musée de la Mémoire de l’Argentine. Le texte de Davide Carnevali est créé pour être adapté à tous les pays en fonction des acteurs qui l’interprètent. Le théâtre soudain, ici, prend tout son sens : il ne parle pas au nom d’une personne en particulier mais de tous ceux qui sont passés entre les mains de la dictature, pour qu’ils ne soient pas morts pour rien. Portrait de l’artiste après sa mort (France 41-Argentine 78), jusqu’au 27 novembre, au Théâtre de la Bastille, Paris, 11e. Rens. : theatre-bastille.com Tournée : les 15 et 16 janvier 2025 au CDN de Montluçon ; du 20 au 22 février 2025 au Théâtre de Liège, Belgique, et du 26 avril au 7 mai 2025 au Quai-CDN d’Angers. Le texte est publié aux Solitaires intempestifs. Légende photo : Le récit s’articule autour d’un Argentin, un certain Luca Misiti, compositeur, pianiste, disparu sans laisser de traces le 25 juin 1978. Photo © Victor Tonelli
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Le spectateur de Belleville
November 22, 12:27 PM
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Rencontre avec l’acteur et metteur en scène, qui convoque les fantômes de la dictature dans «Portait de l’artiste après sa mort» au théâtre de la Bastille et observe depuis la France, entre colère et inquiétude, la présidence de Javier Milei. «Je m’appelle Marcial Di Fonzo Bo ; je suis acteur, metteur en scène et directeur du Quai, Centre dramatique national d’Angers. Je suis né à Buenos Aires le 19 décembre 1968…» Ça commence comme ça : seul en scène au théâtre de la Bastille à Paris, Marcial Di Fonzo Bo décline son identité devenue texte pour la pièce Portrait de l’artiste après sa mort de Davide Carnevali. Le reste se joue dans une histoire à tiroirs à la Borges, retour sur les années de dictature en Argentine, les enlèvements, les desaparecidos, avec cette idée que le théâtre peut mener l’enquête, faire parler les fantômes, au moins leur donner une identité. Bien sûr que ce que raconte Marcial ne lui appartient pas, quand bien même il est dans le texte comme dans la vie «Argentin mais Français d’adoption […] arrivé à Paris à la fin des années 80». Carnevali s’appuie sur les codes du théâtre documentaire pour mieux les détourner, créer des effets de réel qui embarquent même les spectateurs invités à monter sur scène, entrer dans le décor, à ne plus savoir ce qui est vrai. «Car il y a une vérité historique, celle de la dictature, qu’on enterre aujourd’hui sous des tonnes de mensonges», embraye immédiatement Marcial Di Fonzo Bo, rencontré dans un café parisien, qui, plutôt que de parler de lui, fonce sur la situation de son pays d’origine, l’Argentine de Javier Milei, élu président il y a un an. «Un monstre de fiction inventé par le capitalisme ultraviolent, un Joker avec mèches folles et tronçonneuse, tout y est, un type délirant qui communique avec son chien mort, censé lui donner des ordres depuis l’au-delà.» «Une société qui explose à tous les niveaux» Bienvenue dans l’ère de l’ultrafiction au service d’un programme concret : destruction définitive de l’Etat, discours négationniste de la vice-présidente, fille de militaire, qui fait des selfies avec les tortionnaires en prison et raconte qu’il y aurait moins de 3 000 disparus pendant la dictature alors qu’on estime qu’ils étaient plus de 30 000, enrage Di Fonzo Bo. «Ce type est en train de vendre son pays à des entreprises étrangères qui auront le droit de puiser le pétrole argentin sans employer la population locale, le dollar va remplacer la monnaie nationale… Ça produit une société qui explose à tous les niveaux : mes sœurs restées en Argentine appartiennent à des camps totalement opposés et les voisins commentent nos origines italiennes, ça, je ne l’avais jamais vu.» Marcial Di Fonzo Bo reprend son souffle, la colère ne retombe pas, cette colère qui l’anime depuis son adolescence sous la dictature militaire, à grandir et traîner dans la rue, les bars homos. Mais à l’époque, la colère était joyeuse «dans un mouvement de contestation génial qui passait par la scène rock. J’y ai appris qu’on pouvait dire une chose tout en faisant croire qu’on en disait une autre ; j’ai choisi de le faire au théâtre». Marcial a 18 ans, il commence le Conservatoire, et puis c’est l’exil, comme son oncle et sa tante Facundo et Marucha Bo, comédiens de la bande des Argentins de Paris, celle d’Alfredo Arias ou de Copi, l’avaient fait à la fin des années 60. Il lui faut deux ans pour apprendre le français, avant d’intégrer l’école du Théâtre national de Bretagne de Rennes à 22 ans. L’élève va vite, surdoué. Le conteur extraordinaire au phrasé envoûtant – il hypnotise chaque soir les spectateurs du théâtre de la Bastille – se révèle metteur en scène inventif au sein du Collectif des Lucioles. On est en 1994, il vient de rencontrer Claude Régy, enchaîne avec Matthias Langhoff et devient ce héros baroque du théâtre des années 90, installé trente ans plus tard à la direction du Quai, Centre dramatique national d’Angers, en successeur de Thomas Jolly. «Aujourd’hui j’ai 55 ans et je suis très inquiet sur l’avenir des jeunes qui choisissent le théâtre, ici en France, plus encore en Argentine. Comment vont-ils résister ? Javier Milei a braqué la presse qu’il a rachetée, puis les artistes en coupant toutes les subventions. Maintenant il s’attaque aux universités, donc à la jeunesse. Mais il y a des signes qui me rassurent. En octobre dernier, pour la deuxième fois, des milliers d’étudiants étaient dans la rue. La prochaine fois, il faut espérer qu’ils vont tout casser.» Portrait de l’artiste après sa mort de Davide Carnevali au théâtre de la Bastille (75011), du 25 au 27 novembre. Puis en tournée à Montluçon, Liège, Angers. Reprise de Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo du 24 au 28 février au Quai CDN Angers-Pays de la Loire puis au théâtre du Rond-Point, à Paris ; et au TNB à Rennes. Légende photo : Marcial Di Fonzo Bo décline son identité devenue texte pour la pièce «Portrait de l’artiste après sa mort» de Davide Carnevali. (Victor Tonelli/Victor Tonelli)
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Le spectateur de Belleville
November 22, 11:44 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 12 nov. 2024 Cécile Garcia Fogel en a eu l’idée et se met en scène avec une partenaire épatante, Flore Lefebvre des Noëttes. Elles nous rappellent la merveilleuse indépendance de la dessinatrice en jouant « Poussez-vous, les mecs ! »
N’étaient quelques chansons, tous les mots, ici, sont d’une femme exceptionnelle, morte bien trop tôt, en 2020, il y a un peu plus de quatre ans. Elle était née en 1940, à Nantes. Elle était une artiste reconnue, maîtresse de l’observation de son époque. Elle aurait pu être peintre, et elle a laissé de très beaux portraits de ceux qu’elle aimait. Sa famille, ses amis. Claire Bretécher fut une pionnière. Une des rares artistes femmes ayant su œuvrer dans un domaine dominé alors par les hommes, clôturé par les hommes. Elle y eut pourtant de grands amis, tel René Pétillon, son frère, son confident, son ami. Elle travailla un moment avec René Goscinny, mais il y avait entre eux une paroi générationnelle. Elle traversa bien des univers et aura dessiné pour tous les titres connus alors, les journaux de BD, plutôt destinés à la jeunesse, ou encore la presse « féminine », avant de s’émanciper. Les générations d’aujourd’hui ont accès à de nombreux albums, les plus anciens ne peuvent avoir oublié les dessins publiés par Le Nouvel Observateur. Il y a tout cela dans le spectacle offert au Lucernaire par Cécile Garcia-Fogel et Flore Lefebvre des Noëttes. Il y a la brune, Cécile Garcia Fogel, qui a déjà, parfois, mis en scène des spectacles, la blonde, Flore Lefebvre des Noëttes, qui a souvent écrit, et notamment des textes autobiographiques, qu’elle a portés elle-même sur un plateau. Elles ont en partage un talent éblouissant. Cécile Garcia Fogel a été du côté des interviews. D’ailleurs le titre, « Poussez-vous, les mecs ! », vient d’un texte inscrit sur un tee-shirt que la belle Claire Bretécher portait, bien en vue, alors qu’elle était filmée pour un entretien télévisé. Les deux comédiennes vont et viennent. Elles déplacent elles-mêmes les éléments de décor, d’un canapé à des draps de bain pour plage. Ce qui est très malin dans ce spectacle c’est qu’elles sont bien au-delà de toute psychologie, de toute intention de faire rire à toute force. Comme l’était Claire Bretécher elle-même : son humour était sec, sans complaisance et ses dessins le prouvent à l’envi. Brune, piquante, souveraine, ironique, battante, Cécile Garcia Fogel est merveilleuse, Blonde, volontairement protectrice, mais ne craignant aucun excès et parfois maussade, Flore Lefebvre des Noëttes, est irrésistible, dans une manie à donner des conseils et un voile de crainte. Il ne s’agit pas ici d’un « spectacle » drôle à toute force. Les deux interprètes ont réussi à transcrire sur un plateau la manière très originale de Claire Bretécher, si belle et bouleversante, si intelligente et joyeuse ! L’humour de Claire Bretécher est très particulier. Elle voit. Elle comprend les absurdités, les mensonges, d’un petit monde. Celui qu’elle préfère épingler est celui d’une gauche années 70-90 si contente d’elle qu’elle en perd toute pertinence. Le spectacle est d’autant plus jubilatoire qu’il surgit aujourd’hui, dans un monde brouillon, brouillé, et qui craint toute critique. « Poussez-vous, les mecs ! », mais vous, les filles, faites bien gaffe à vos faiblesses et complaisances. Ici, une chose est certaine : le plaisir du théâtre ! Avec une belle équipe de scénographie, Luna Rauck, de lumières, Olivier Odiou, de voix off, Eric Challier et David Houry, de son, Laurent Hernieux, et le violoncelle de Louis Albertosi. Armelle Héliot Lucernaire, à 21h00 du mardi au samedi, à 17h30 le dimanche. Durée : 1h00. Tél : 01 45 44 57 34. Jusqu’au 5 janvier 2025. www.lucernaire.fr
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Le spectateur de Belleville
November 20, 12:03 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 19 nov. 2024 Au Théâtre de l’Atelier, à Paris, le comédien chaloupe entre tragique et comique dans ses lectures de l’écrivain et poète, truffées d’intermèdes personnels.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/19/victor-hugo-par-fabrice-luchini-une-deferlante-d-emotions-et-de-mots_6403529_3246.html Que Fabrice Luchini soit un phénomène, c’est une évidence. Qu’il soit surtout un exceptionnel comédien est l’autre certitude devant laquelle s’incline le public du Théâtre de l’Atelier, à Paris, où se joue le dernier spectacle de l’artiste (qui le reprendra, à partir du 19 janvier 2025, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, toujours à Paris). Presque deux heures d’une déferlante de sensations, d’émotions et de mots où il n’est question que de Victor Hugo. Hugo encensé par Baudelaire et salué par Péguy. Hugo à qui l’acteur se garde bien d’édifier une statue de marbre mortuaire (ce n’est pas son genre), mais qu’il fait se dresser, aujourd’hui, vibrant, sensuel, humain. Plus nécessaire à nos vies que jamais. S’il ne fallait d’ailleurs retenir qu’une fulgurance de cette ardente représentation, ce serait la nécessité impérieuse des noces entre la poésie et l’humanité. Un cliché ? Oui, mais qui est ici décapé : sans poésie, l’humanité est pauvre en paroles, sans l’humanité, la poésie n’a pas grand-chose à dire. Comment l’acteur opère-t-il ce tour de force ? Dans les premières pages du Soulier de satin (1929), un Annoncier se présente qui avertit chacun : « Ecoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouvez pas amusant qui est le plus drôle. » Paul Claudel n’est pas convoqué sur le plateau, mais Fabrice Luchini aurait pu le citer en préambule programmatique. Pas seulement parce que le public cesse de tousser à l’instant où il l’en conjure, dans une de ses adresses effrontées dont il a le secret. Mais aussi parce qu’il fait naître, dans la salle, un sentiment océanique. Lui appelle ça la fraternité : « Vous êtes 600 à être présents chaque soir, je n’ai jamais vécu cela », s’enthousiasme le comédien. Une impalpable communion Le fait est : une impalpable communion se noue autour de la littérature menée par Hugo vers des hauteurs stratosphériques et que l’acteur sait mettre en scène avec un art consommé du suspense, de l’attente et des montées en puissance. Moins cabot qu’à l’ordinaire, parfois même solennel, et presque douloureux lorsque résonne la Pastorale de Beethoven (« ce sourd qui avait une âme entendait l’infini »), il froisse et défroisse son manuscrit, met ses lunettes, les enlève, agace de sa main droite sa manche gauche, fixe le public d’un œil enfantin mais roué de séducteur patenté. Son visage est plastique. Sa voix vagabonde en confidences ou en invectives. Il feint de bredouiller, avant de dire les vers en droite ligne. Il reste longtemps debout adossé à une table de bois, s’assoit sur la chaise et puis sur le fauteuil. Trois ou quatre déplacements dans l’espace, pas plus. Il se laisse regarder. Il se laisse écouter. Alors on tend l’oreille, happé par le fil d’une narration qui démarre par la mort et s’achèvera par une naissance. Mort de la cinéaste Sophie Fillières (à qui l’acteur rend hommage et qui devait filmer la représentation), mort de Léopoldine, fille chérie dont Hugo apprendra la noyade en lisant la presse dans une brasserie à Rochefort. Naissance enfin, et en clôture du spectacle, d’Israël, dans ce qui est, affirme Luchini, le chef-d’œuvre hugolien : Booz endormi (1859). Un poème où le génie l’emporte sur le talent, car le talent, explique-t-il au cours d’un mémorable aparté, n’est rien d’autre que le savoir-faire. Remarquable performance Et lui, en a-t-il du génie, alors qu’il chaloupe, sans jamais chavirer, du tragique au comique (le récit des séances de spiritisme de Victor Hugo sur l’île de Jersey est un moment d’anthologie à hurler de rire) et distille, chez le spectateur, une envie forcenée de beauté et d’intelligence mêlées. Grâce à cet interprète hors norme, l’art cesse d’être un Everest inatteignable réservé à quelques lettrés. L’acteur se donne en exemple et l’homme ouvre la voie. Comment en est-il arrivé à Hugo ? En passant par Charles Péguy. Comment est-il parvenu à Péguy ? En marchant dans Paris deux heures chaque matin jusqu’à une librairie de Saint-Germain-des-Prés. Pourquoi arpentait-il la capitale ? Pour vaincre ses insomnies. Luchini n’imbrique pas son ego aux mots des poètes pour satisfaire une pulsion narcissique. Mais parce qu’en surgissant de la sorte (lui, sa bronchite, ses névroses et sa psychanalyse) entre un courrier sublime de Baudelaire, une étude pointue de Péguy, des poèmes ou des extraits de La Légende des siècles, de Choses vues ou des Contemplations, il expédie par-dessus bord les complexes de ses spectateurs. Sa représentation est une maïeutique. Cette remarquable performance exige un fin dosage entre expérience et intuition. Ne pas chanter Hugo, ne pas saturer la profération d’effets inutiles, rester à l’équerre des phrases, respecter le « lyrisme de la banalité » et danser avec grâce au-dessus du volcan des pensées. Pour parvenir à cet équilibre et à cette justesse, le talent est un prérequis et l’humilité, un sésame. Après quarante ans de présence dans les théâtres de France et de Navarre, Fabrice Luchini, aujourd’hui, pactise avec le génie. « Fabrice Luchini lit Victor Hugo. Textes, poèmes et Victor Hugo vu par Charles Péguy et Charles Baudelaire ». Théâtre de l’Atelier, Paris 18e, jusqu’au 19 décembre. Puis au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Paris 10e, du 19 janvier au 17 février 2025. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : « Fabrice Luchini lit Victor Hugo », au Théâtre du petit Saint-Martin, à Paris, en décembre 2023. STÉPHANIE GUERTIN
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Le spectateur de Belleville
November 20, 8:51 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 20 nov. 2024 Dans « Skinless », le plasticien et metteur en scène a travaillé à partir de déchets pour plonger le spectateur dans une expérience immersive qui, de manière inattendue, parle d’amour.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/20/festival-d-automne-theo-mercier-un-pirate-dans-le-spectacle-vivant_6404170_3246.html
Peau après peau, mue après mue, Théo Mercier se déplace. Il mute, et fait bouger les lignes. A 40 ans, le cliché du « petit prince des arts plastiques » lui colle encore à la peau. Mais, ces dernières années, c’est en tant que metteur en scène qu’il a trouvé une deuxième reconnaissance. Metteur en scène de quoi, au juste ? Ses spectacles, de Radio Vinci Park à Outremonde en passant par Affordable Solution for Better Living, ne relèvent ni du théâtre, ni de la danse, ni même de la performance, mot fourre-tout servant dorénavant à ranger les inclassables de la création contemporaine. Skinless, qu’il présente à La Villette dans le cadre du Festival d’automne, poursuit cette échappée hors des cases manufacturées comme des étagères Ikea, qui étaient les héroïnes d’un de ses spectacles. Quoi alors ? Est-ce si important ? « Je cherche justement un endroit “entre”, pose d’emblée Théo Mercier dans ce qu’il appelle son « arbre à chats » de Belleville, à Paris, espace plein de coins et de recoins. Des endroits qui viennent pirater nos habitudes de fabrication, de regard, de consommation de la culture. Au départ, je n’avais pas forcément envie d’être artiste. Je savais que l’objet m’intéressait, et j’ai fait une école de design industriel. Dans ce domaine, on ne crée pas des objets pour eux-mêmes, mais pour qu’ils aient une relation à l’individu. Il y a un usage, et dans cet usage, il y a une chorégraphie. Un corps fantôme rôde au travers du dessin d’une table ou d’une tasse. Après, quand j’ai commencé ma pratique de la sculpture, je me suis toujours intéressé à l’aura des choses, à la partie vivante de l’inanimé, sa vibration, son fantôme aussi au loin. Très vite mon travail a commencé à jouer le mouvement, à vouloir s’émanciper de son statut d’inanimé. J’ai travaillé beaucoup autour de cette sorte de chorégraphie à faire par le regard, de danse fantôme des choses. » Le passage de l’« inanimé » (mot impropre pour lui) à l’animé s’est fait insensiblement, d’autant plus que Théo Mercier est depuis vingt ans un spectateur assidu de tout ce que la scène contemporaine offre de plus stimulant. « Cette scène-là m’a toujours plus intéressé que celle des arts plastiques, avoue-t-il. Des créateurs comme Gisèle Vienne, Phia Ménard, Philippe Quesne, Jan Martens, François Chaignaud, avec qui j’ai créé Radio Vinci Park, et par-dessus tout Romeo Castellucci, ont eu un rôle fondamental. Ce sont des artistes qui proposent des expériences sensorielles et temporelles particulières, des créateurs de mondes. Ils m’ont magnétisé. J’ai eu l’envie de réunir la force respective de ces temples et de ces rituels que sont le musée et le théâtre, de venir créer du déplacement dans ces deux endroits, et de mélanger la magie blanche de l’un et la magie noire de l’autre. » Les coups d’essai ont été des coups de maître, pour le designer sculpteur plasticien qui n’a jamais suivi aucune formation théâtrale ou chorégraphique. De Radio Vinci Park, rituel érotique et machinique, à Affordable Solution for Better Living, où la fameuse étagère Ikea Kallax, produit d’ameublement le plus vendu dans le monde, prenait peu à peu le pouvoir sur le performeur qui la montait en direct tous les soirs. Mais c’est avec Outremonde, magnifique méditation sur les ruines et le temps, spectacle déambulation en trois volets créés à la Collection Lambert en Avignon, à Zurich et à la Conciergerie à Paris (entre 2021 et 2023), que Théo Mercier a vraiment trouvé son endroit « entre » les mondes des arts plastiques et du spectacle vivant, un endroit unique dans le paysage d’aujourd’hui, où les catégories s’abolissent. Et c’est ce qu’il poursuit avec Skinless, où l’écologie est au cœur du processus de création, sans être pourtant le sujet de la pièce. « Outremonde a été un projet très important pour moi, et pour la compagnie de spectacle et le studio d’art que je dirige parallèlement : c’est le projet où je suis vraiment arrivé à mélanger mes deux savoir-faire, la sculpture et la mise en scène. Que faire après ? Je pars toujours de la matière, je ne suis pas un artiste minimal. Mais il est devenu évident que cette matière, je veux l’emprunter au monde et la lui rendre, et non la piller et la jeter. Et je veux pouvoir la trouver sur place, sur tous les lieux de diffusion du spectacle. C’est ce que nous avons fait avec le sable, qui était la matière-sujet d’Outremonde. En me demandant comment concevoir un spectacle qui puisse tourner sans déplacer de scénographie ni d’objets, en m’interrogeant sur la matière que l’on trouve partout dans le monde, je suis tombé sur les déchets, passionnants à bien d’autres égards. » Les déchets ? Eh bien oui. Ils sont la « matière-sujet » de Skinless : cent tonnes d’ordures non organiques, issues du recyclage effectué dans les poubelles jaunes, sourcées localement, compressées, et qui forment un ring sur lequel évoluent trois performeurs. « Les spectateurs sont debout autour de cette scène, et sont en contact direct avec la matière, précise Théo Mercier. Les déchets ne sont pas lavés, juste compressés, et même s’ils ne sont pas organiques, ils sentent mauvais et sont envahis d’insectes. C’est vraiment du spectacle vivant ! Je voulais que toute la sensualité et le poids du réel soient là. » La question des ruines Les ordures ont pourtant mené Théo Mercier à l’amour, dans un mouvement qui pourrait rappeler le cinéaste Rainer Werner Fassbinder, un artiste qu’il ne cite pas mais auquel on ne peut s’empêcher de penser à son propos, dans sa manière d’aller déterrer une forme de romantisme et de beauté dans la crasse de la vie. « Skinless est une histoire d’amour, de séparation et de métamorphose. Ce qui m’intéresse avec ces rebuts, c’est de dire que ce sont nos peaux, nos mues. Ce que nous avons laissé, ce que nous avons fait de nos vies d’avant, de nos festins, de nos scènes d’amour. On se retrouve sur un tas de peaux mortes, et qu’en faire ? C’est une sorte de jardin d’Eden inversé. Qu’est-ce qu’on fait de ce monde abîmé ? Qu’est-ce qui peut en naître ? La dimension contestataire et subversive des restes m’intéresse : c’est l’endroit du sale, de l’interdit, de l’obscurité, qui a ce potentiel de mise en désordre du monde. Et donc de renaissance, de mouvement vital. » Les déchets, ce sont aussi des ruines − moins nobles que celles qu’on identifie habituellement, ce qui correspond à notre temps d’aujourd’hui −, motif qui est au cœur de l’œuvre multiforme de Théo Mercier. L’artiste est d’ailleurs un grand lecteur d’un livre important, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, d’Anna Tsing, aussi bien que des travaux des philosophes Emanuele Coccia et Donna Haraway. « La question de la ruine, elle a été là depuis le début dans mon travail, confirme Théo Mercier. Sans doute est-ce une vision romantique du monde. La ruine est un endroit du passé et du présent en même temps. Elle rejoint celui du fantôme, de la part manquante. Ces zones manquantes, d’ombre, de trouble, ce sont les leviers que j’utilise pour raconter le monde. Cette manière d’investir une forme d’archéologie et ces machines à créer de la fiction que sont le musée ou le théâtre, c’est une façon d’inverser un système de valeurs : créer un monde renversé, c’est peut-être faire un premier pas vers le nouveau. Il n’y a aucune dimension apocalyptique dans mon travail, au contraire. » « Skinless », à La Villette, du 21 novembre au 8 décembre. Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Festival d’automne à Paris. Fabienne Darge / LE MONDE Légende photo : L’artiste plasticien et metteur en scène Théo Mercier, le 2 décembre 2022. LOBATO
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November 19, 11:24 AM
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Publié par Sceneweb - 19 nov. 2024 `Depuis quelques années, les Centres dramatiques nationaux, comme d’autres acteurs du spectacle vivant, s’emparent peu à peu de la question du manque de diversité sur les scènes publiques. Mais force est de constater que cela n’est pas suffisant : au-delà même de la période politique profondément troublée que nous traversons, les défis du présent exigent un engagement nouveau pour accomplir pleinement la mission publique de cohésion par l’Art et la Culture assignée aux CDN.
C’est pourquoi les directrices et directeurs des 38 CDN, après décision votée en réunion de réseau le 10 juillet 2024, s’engagent collectivement à ouvrir une nouvelle étape dans leur mission fondamentale de démocratisation culturelle. Les Centres dramatiques nationaux sont engagés au service d’une culture publique démocratique, égalitaire et respectueuse de la population dans sa grande diversité. En décembre 2021, l’ensemble des directrices et directeurs des CDN a promulgué une charte de la parité visant à garantir l’égalité femmes-hommes au sein du réseau, notamment en termes d’accès aux moyens de production ainsi qu’en termes de visibilité des artistes et des œuvres dans les programmations. Même s’il reste beaucoup à faire dans ce combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, les effets de cet engagement ont marqué une grande avancée : les objectifs de la charte ont été globalement atteints, sur l’ensemble du réseau des CDN lors des saisons 2022-23 et 2023-24. Dans ce même esprit, les directrices et directeurs des CDN souhaitent aujourd’hui faire progresser leurs engagements en matière de diversité dans l’ensemble de leurs missions et de lutte contre les violences ethno-raciales dans le cadre professionnel. Notre pays traverse une période politique profondément troublée, et très paradoxale : les célébrations fédératrices et enthousiasmantes de la diversité de notre nation cohabitent désormais avec une radicalisation croissante d’une partie des sphères médiatiques et politiques, qui défendent avec une brutalité inouïe le repli sur soi, la haine de l’autre et la crispation identitaire. Il apparaît donc urgent de défendre une vision plus juste de notre pays, de son histoire, et de sa culture, en ouvrant largement les théâtres publics à la représentation de la nation dans toute sa diversité. Depuis plusieurs années, les CDN se sont emparés de cette question du manque de diversité sur les scènes de France. Peu à peu les distributions sur nos plateaux, les œuvres que nous produisons, les artistes que nous accompagnons, les équipes permanentes et intermittentes, les élèves des écoles supérieures, se sont mis à ressembler davantage à la population française. Mais force est de constater que cela n’est pas suffisant, et que les défis du présent exigent un engagement nouveau pour accomplir pleinement notre mission publique de cohésion par l’Art et la Culture. Nous sommes des Théâtres subventionnés par un peuple tout entier, nous nous devons de le représenter dignement. Nous nous devons de faire entendre ses récits multiples, de lutter contre les assignations, les discriminations, les mécanismes de racialisation, ainsi que contre l’oubli et l’invisibilisation qui frappent celles et ceux qui, en raison de leur couleur de peau, sont aussi peu ou mal représenté·e·s sur nos scènes que dans le récit de notre histoire. D’après plusieurs études parues ces dernières années, en provenance de l’INED mais aussi du Collège de la Diversité du ministère de la Culture et du Défenseur des droits, il est estimé que 30% de la population française n’est pas perçue comme blanche. Nous devons prendre pleinement conscience de cette réalité et en faire un guide pour notre action publique. C’est pourquoi, nous, directrices et directeurs, nous engageons : À être des plus attentifs à la représentativité des distributions dans les œuvres que nous créons, que nous accueillons et que nous produisons. À diversifier les artistes porteur·euse·s des projets que nous programmons et que nous produisons, et à leur assurer une vraie visibilité, aussi bien en termes de nombre de représentations que de jauge offerte. À répartir les moyens de production de façon plus juste pour permettre à chacune et chacun de créer. À accompagner, loin de toute injonction faite aux artistes, les esthétiques et les récits qui naissent depuis cette diversité, et à en valoriser une richesse capable de redonner à notre histoire collective toute sa complexité. À poursuivre les efforts dans les écoles que nous dirigeons en matière de diversification des profils dans les recrutements des élèves comme des enseignant·e·s, mais aussi des œuvres étudiées. À veiller à la diversité et à la représentativité dans les jurys, les instances délibératives, les conseils d’administration, dans les postes de direction des structures labellisées, ainsi qu’au sein des équipes permanentes et intermittentes qui travaillent dans nos théâtres. À proposer des formations de lutte contre les violences ethno-raciales (VER) au sein de nos équipes sur le modèle des formations contre les VSS, en lien rapproché avec le Syndeac, et à mettre en place un plan de lutte contre toute forme de discrimination dans chaque CDN. Par ces engagements, les Centres dramatiques nationaux souhaitent ouvrir une nouvelle étape dans leur mission fondamentale de démocratisation culturelle. Ils entendent aussi réaffirmer, contre les logiques racistes et séparatistes imposées par les forces réactionnaires dans notre pays, que la population que nous servons est une et indivisible, et que cette unité dépend de la reconnaissance et du respect des singularités de chacune et chacun. L’ACDN pour les 20 directrices et les 21 directeurs des Centres dramatiques nationaux. Pauline Bayle, Théâtre Public de Montreuil – CDN Fréderic Bélier-Garcia, La Commune – CDN d’Aubervilliers Jean Bellorini, Théâtre National Populaire Lucie Berelowitsch, Le Préau – CDN de Normandie-Vire Brice Berthoud, CDN de Normandie-Rouen David Bobée, Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France Émilie Capliez, La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace Matthieu Cruciani, La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace Chloé Dabert, La Comédie – CDN de Reims Pascale Daniel-Lacombe, Le Méta – CDN Poitiers Nouvelle-Aquitaine Fanny de Chaillé, TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine Simon Delétang, Théâtre de Lorient CDN Julie Deliquet, Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis Nasser Djemaï, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne Marcial Di Fonzo Bo, Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire Aurore Fattier, La Comédie de Caen – CDN de Normandie Nathalie Garraud, Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier Cédric Gourmelon, La Comédie de Béthune, CDN Hauts-de-France Kaori Ito, TJP – CDN Strasbourg-Grand Est Daniel Jeanneteau, T2G – Théâtre de Gennevilliers Marc Lainé, La Comédie de Valence – CDN Drôme Ardèche Benoît Lambert, La Comédie de Saint-Etienne Olivier Letellier, Les Tréteaux de France – CDN itinérant Joris Mathieu, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon Muriel Mayette-Holtz, Théâtre National de Nice – CDN Nice Côte d’Azur Tommy Milliot, Nouveau Théâtre Besançon Arthur Nauzyciel, Théâtre National de Bretagne Maëlle Poésy, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN Christophe Rauck, Théâtre de Nanterre-Amandiers Robin Renucci, La Criée – Théâtre national de Marseille Emilie Rousset, CDN Orléans Centre-Val de Loire Olivier Saccomano, Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier Abdelwaheb Sefsaf, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN Galin Stoev, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie Lolita Tergemina, CDN de l’océan Indien Carole Thibaut, Théâtre des Îlets – CDN Montluçon Auvergne-Rhône-Alpes Alexandra Tobelaim, NEST – CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est Camille Trouvé, CDN de Normandie-Rouen Aurélie Van Den Daele, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin Bérangère Vantusso, Théâtre Olympia – CDN de Tours Julia Vidit, Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy Lorraine
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Le spectateur de Belleville
November 19, 4:12 AM
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Par Véronique Giraud dans Naja21 - publié le 15 nov. 2024 Le troisième opus que David Lescot adresse à la jeunesse enferme un sujet brûlant, l'écologie, dans un théâtre percutant. "Je suis trop vert" dresse un magnifique état des lieux de l'enfance, avec ses répliques cash, sans fard, quand elle évalue des choix de vie et d'usages qui divisent tant les adultes. Avec David Lescot, le théâtre peut tenir dans une boîte. Et dix personnages dans les corps de trois comédiennes. Jouer avec les corps, les mots, avec les attitudes et réflexions propres aux enfants de onze ans, permet au dramaturge, metteur en scène et musicien d’aborder des sujets aussi graves que la peur de la rentrée en 6ème (J'ai trop peur), de se faire des amis (J'ai trop d'amis), l’écologie. Ce sujet, au centre de Je suis trop vert, dernier volet de la trilogie créé au Théâtre de la Ville, est abordé depuis la tête de l’enfant et des souvenirs de l’auteur. Le metteur en scène lui-même a grandi de 7 à 11 ans dans un petit village de l’Essonne et, alors que la terre brûle, les souvenirs de ces moments passés à la campagne lui sont revenus. Échappant toujours à la superficialité, au convenu, il a passé quelques temps chez Suzanne Aubert, l’une des actrices qui a créé J’ai trop peur et J’ai trop d’amis, devenue aujourd'hui agricultrice en Bretagne, pratiquant une agriculture raisonnée. De ce terreau nourrissier, David Lescot a construit un narratif des liaisons difficiles entre ville et ruralité, entre conscience des dégâts liés à la surconsommation et repli vers un confort très XXe siècle, entre les plats tous prêts et les légumes du jardin. Moi, prodigieusement incarné par Élise Marie lors de la représentation du 14 novembre au Théâtre de la Ville, tient le fil narratif. Vivant ses paradoxes, à la fois raisonnable et incrédule vis-à-vis des adultes qui ne le comprennent jamais, incommodé par une petite sœur qui occupe beaucoup de place et dont les interventions cash l’exaspèrent. La préoccupation de Moi est surtout d’aller en classe verte. Présentée comme un Eldorado où les heures de cours sont raréfiées au profit du plaisir de la découverte de la vie à la campagne. Premières transactions pour que toutes les familles acceptent de payer cette sortie, premier voyage sans les parents, premiers pas dans une campagne pas si calme ni si tranquille qu’imaginé, chaque moment est un défi. "C'est toujours pareil, ça se passe jamais comme on l'a prévu", dit Moi. L’humour, les jeux de mots, les répliques cash de l’enfance, les rêves, la musique, enrobent avec grâce une réalité qui tient du tragique et un quotidien d’agriculteur qui tient du militantisme. Avantages et inconvénients se chevauchent sans diviser, la poésie de l'enfance l’emporte. Véronique Giraud / Naja21.com Création Je suis trop vert / David Lescot, artiste associé au Théâtre de la Ville. Texte et mise en scène David Lescot. Scénographie François Gauthier-Lafaye. Lumières Juliette Besançon. Costumes Mariane Delayre. Assistante à la mise en scène Mona Taïbi. Avec en alternance Lyn Thibault, Élise Marie, Sarah Brannens, Lia Khizioua-Ibanez, Marion Verstraeten, Camille Bernon. Au Théâtre de la Ville jusqu'au 16 novembre. Les 9, 10 et 16 novembre, L’Intégrale de la trilogie au Théâtre de la Ville - Paris. À partir de 8 ans. Puis, les 19 et 20 novembre au Théâtre+Cinéma - Scène nationale de Narbonne 21 novembre à Narbonne / programmation du Crédit Agricole 22 novembre à Lattes / programmation du Crédit Agricole 26 novembre à Nîmes / programmation du Crédit Agricole 28 novembre à Mende / programmation du Crédit Agricole Du 9 au 18 décembre au TNG – Centre Dramatique de Lyon Du 13 au 15 janvier au Théâtre de l’Olivier – Istres / Scènes et cinés Du 30 janvier au 1er février au Théâtre des Sablons – Neuilly Les 27 et 28 février à la MCL – Gauchy Les 12 et 13 mars au Théâtre André Malraux – Reuil-Malmaison Du 13 au 16 avril à Les Petits devant, les grands derrière – Poitiers Les 28 et 29 avril au Théâtre du Champ du Roy – Guingamp
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November 18, 11:12 AM
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Par Hélène Kuttner pour ArtistikRezo.com - 17 nov. 2024 Au Théâtre de la Bastille, l’artiste Marcial Di Fonzo Bo nous invite à une fantastique enquête en Argentine sur les traces de son enfance, des disparus de sa famille et d’artistes dont la dictature des colonels a supprimé la trace. Un voyage théâtral composé par l’auteur italien Davide Carnevali et dont nous peinons à distinguer le vrai du faux. Fascinant et troublant art du théâtre et de l’écriture que ce projet qui fera le tour d’Europe. Une mystérieuse lettre Nous sommes assis en face d’un appartement qu’un mystérieux témoin va nous faire visiter. Des techniciens sont en train de finir sa construction. Marcial Di Fonzo Bo nous accueille comme des invités, réunis pour se voir confier une confidence. Mais ses paroles sont aussi celles du juge argentin devant l’assemblée venue écouter l’histoire de ses disparus. Témoin, juge, commissaire, qui est ce mystérieux personnage qui nous parle ? Le comédien va à son bureau et trace les mots sanglants de DISPARITION, PROCES, RECONSTITUTION à la craie sur un tableau noir. L’affaire dont il va nous entretenir est très compliquée et nous devons tout comprendre. Passé ce prologue, une enquête va nous envoyer à Buenos Aires à la recherche d’un mystérieux locataire, Misiti, qui est en réalité le nom du musicien vivant qui a composé la sublime partition pour piano du spectacle. Puis nous voyageons dans les bureaux de l’administration argentine pour laquelle une demande de rendez-vous prend parfois plusieurs mois, dans l’habitacle d’une Ford ancien modèle conduite par un policier muni de lunettes noires Ray-Ban et au passé dictatorial peu recommandable. Quant à l’auteur présent aussi dans ce voyage, il sera vite hospitalisé en raison d’une forte fièvre. De la dictature argentine aux dictatures européennes De 1941 à 1973, du Piccolo Théâtre de Milan dont l’une des salles a été utilisée comme une salle de torture durant le fascisme, à la dictature argentine qui utilisait les mêmes méthodes pour arrêter, torturer ou faire disparaître les corps, le projet de Davide Carnevali immerge le spectateur, par le biais de l’intime, dans la trop longue histoire des desaparecido (disparus) de toutes les dictatures. Il adapte son récit pour chaque comédien à travers une enquête mémorielle basée sur sa propre histoire. C’est ainsi que Marcial Di Fonzo Bo, seul sur le plateau, nous prend littéralement par la main, par les yeux, le cœur et les oreilles. Il se présente, raconte la mystérieuse lettre reçue il y a un mois qui lui demande de se rendre à Buenos Aires pour reconnaître l’appartement confisqué d’un mystérieux pianiste, légué ensuite à son grand-père. Tout ce qu’il raconte est vrai, ses origines, son pays d’origine, l’arrivée à Paris dans les années 80, mais en même temps les termes et les raisons de son voyage, l’histoire familiale, le pianiste juif disparu, la jeune femme blonde, ne sont pas forcément vrais. La réalité tricote ici avec la fiction une représentation sidérante de vérité, par le biais du talent immense de l’acteur et l’habileté littéraire de l’auteur. Les dossiers ouverts des « desaparecidos » Ces dernières années, sous les gouvernements Kirchner et Fernandez, l’Etat argentin a rouvert de nombreux dossiers de disparus entre 1976 et 1983 : opposants politiques, journalistes, artistes, juifs et homosexuels. Et nous plongeons dans cette reconstitution de cette période noire grâce à la représentation, devant nos yeux, de l’appartement de l’artiste. L’acteur nous raconte tout cela avec délicatesse et douceur, comme s’il s’excusait simplement de perdre ses moyens de contrôle émotionnel. Le piano déploie la splendeur d’une partition musicale envoûtante, signée Gianluca Misiti. Documents, piano, livres, bureau et balles de revolver sont remis à leur place pour être observés par le public qui monte sur le plateau. L’artifice de l’objet devient la marque d’un réel réinventé par le biais du théâtre. L’humour, très présent dans ce soliloque qui nous est adressé, se mêle au tragique des événements racontés, comme pour mieux digérer cette mémoire douloureuse. Une expérience décidément très réussie, captivante à tous points de vue et délibérément nécessaire. Hélène Kuttner /ArtistikRezo.com Photo © Victor Tonelli Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 - Argentine 78) Auteur : Davide Carnevali Metteur en scène : Davide Carnevali Distribution : Marcial Di Fonzo Bo Production version italienne Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa, créé en mars 2023. Coproduction Comédie de Caen – Centre dramatique national de Normandie, Comédie de Reims – Centre dramatique national, Théâtre de Liège et Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa Le décor a été réalisé par l’Atelier de scénographie du Piccolo Teatro di Milano. Le spectacle a été créé le 13 décembre 2023 à La Comédie de Caen – Centre dramatique national de Normandie. www.lequai-angers.eu Tournée : 15 et 16 janvier 2025 Théâtre des Îlets - Centre dramatique national de Montluçon du 20 au 22 février Théâtre de Liège du 26 avril au 16 mai Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire Réservations par téléphone : +33 (0) 1 43 57 42 14
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November 17, 5:59 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 16 nov. 2024 Sur le chemin des glaces de Werner Herzog par Bruno Geslin (Cie La Grande Meslée), artiste associé. Texte Sur le chemin des glaces de Werner Herzog, traduction Anne Dutter (Éd. Payot), adaptation, mise en scène et scénographie Bruno Geslin. Avec Clément Bertani et Guilhem Logerot. Assistanat à la mise en scène Simon Elie-Galibert, images Bruno Geslin, Clément Bertani, musique Guilhem Logerot, son Pablo Da Silva, lumières et régie générale Jeff Desboeufs, vidéo Quentin Vigier, Julie Pareau, costumes Hanna Sjödin. Théâtre, vidéo et arts visuels, Bruno Geslin pratique l’hybridation des formes, re-créant au Théâtre National de Bretagne en 2023 Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… et Le Feu, la fumée, le soufre, et en 2022 encore Chroma. Le metteur en scène s’est penché ces derniers temps sur l’oeuvre du cinéaste allemand Werner Herzog, explorateur de l’existence et de la nature, selon une esthétique bien à lui, entre poésie et réalisme brut, beauté et cruauté du monde. Bruno Geslin suit les pas, au sens propre, de l’artiste qu’il admire, puisqu’il a lui-même parcouru le même long chemin que le cinéaste, quand celui-ci entreprend, le 23 novembre 1974, le voyage à pied de Munich à Paris pour rejoindre son amie et mentor Lotte Eisner, gravement malade: il veut que la marche de 800 km la sauve. « En moi, une seule pensée, dominant toutes les autres: partir ! La Eisnerin ne doit pas mourir, elle ne mourra pas, je ne le permettrai pas (…) Non, elle le mourra pas maintenant parce qu’elle ne mourra pas. Mes pas se font pesants. Voilà la terre qui tremble. Quand j’arriverai à Paris, elle sera en vie. » Quête existentielle mystique. Lotte Esner est vivante, approximativement remise, quand il arrivera à Paris. De cette aventure, Herzog publie un carnet de voyage Sur le chemin des glaces. En 2023, Bruno Geslin, le comédien Clément Bertani et le musicien Guilhem Logerot, prennent à leur tour la route et font le même parcours: « forêts austères et inhospitalières, sentiers boueux, où la neige, le grésil, les blessures ont été pour Herzog d’infatigables compagnons de route ». De ce voyage, sont rapportés images, paysages, sensations – matières-témoins des bouleversements privés de celui qui met un pas devant l’autre, arpentant des territoires intérieurs et extérieurs. L’écriture enchâsse plusieurs récits, de la description des paysages traversés à celle d’une terre intime, entre errance et transe. Le réel n’est pas repérable; de même, la véracité des événements survenus lors de la marche: les êtres croisés dans ce récit initiatique relèveraient du monde des vivants ou de celui des morts. De Münich à Paris, le marcheur ne conjure pas seulement la mort pour sauver la vie de son amie, « il reconstruit la sienne, comme s’il renaissait au monde, même si le chemin de cette renaissance passe par des territoires proches de la folie. L’histoire occidentale est peuplée de marcheurs fantômes… » (Bruno Geslin). Revient à l’esprit du spectateur l’image mythique de Lenz de Büchner (parution posthume en 1839), figure qui aussi se met en route, 150 ans plus tôt, vers le village de montagne de Waldbach pour voir le pasteur Oberlin. Une randonnée à travers les montagnes hivernales, dont le marcheur ne ressent ni l’in-hospitalité ni le froid, perdant la notion de l’espace et du temps, entendant les voix des rochers, voyant les nuages courir et le soleil, «épée scintillante », couper le paysage. L’épuisement ne l’atteint plus, devenu lui-même partie de l’univers, entre bonheur fugace et longue indifférence. Les soirées sont solitude et peur, frayeur et folie. Le marcheur de Sur le chemin des glaces souffre d’une jambe et boitille, initiant un chemin de croix : « Mes jambes vont de l’avant. À la sortie de Geisingen, la neige recommence à tourbillonner, je presse le pas sans m’arrêter, pour ne pas geler sur place, car je suis trempé jusqu’aux os, de toute façon, je mijote dans la vapeur. Je suis obligé de fendre l’épaisse neige mouillée qui m’assaille de face, et parfois par les flancs. » Le narrateur se dit voler dans la forêt, oubliant les jambes endolories. Et de citer Kaspar Hauser: qui ne savait d’où il venait et où il allait.:« Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu’est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde : Priez pour le pauvre Gaspard ». Le metteur en scène, l’acteur et le musicien jettent à leur tour leur corps dans la bataille, de même que leur chant, cinquante ans plus tard, tel le cinéma de Herzog, dont le corps des acteurs expérimente des environnements hostiles qui les déplacent, les obligent à devenir autres. Méditation et mysticisme de la marche. Plan-séquence, travelling permanent autour du corps de l’acteur saisi dans son dispositif de marche – tapis roulant entraînant une marche en diagonale dans les images traversées, les vidéos projetées en temps réel ou décalé. Les paysages sonores imaginaires – dérèglements perceptifs du marcheur – sont admirables. Un spectacle fascinant, hypnotique, rythmé par le pas du marcheur – un tableau animé, le portrait en pied d’un personnage en mouvement. En short de randonnée seventies, vêtu d’un t-shirt, d’un blouson coloré ou d’une cape imperméable de montagne rouge vif ou bien torse nu, Clément Bertani a certes du style. On le suit volontiers dans sa marche esthétisante et poétique, porteur d’un récit de prose existentielle, accompagné de plus par les chants envoûtants de Guilhem Logerot. Véronique Hotte Sur le chemin des glaces de Werner Herzog par Bruno Geslin (Cie La Grande Meslée), artiste associé. Festival TNB – Théâtre National de Bretagne – Rennes, Hors-les-murs, du 13 novembre au 11 novembre 2024, à L’Aire Libre à Saint-Jacques de La Lande. Crédit photo: Sandy Korzekwa
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November 17, 6:14 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 13 nov. 2024 Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, le metteur en scène adapte librement « Platonov » pour conter la déliquescence d’une petite société provinciale. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/13/sur-l-autre-rive-la-fin-de-partie-de-tchekhov-et-cyril-teste_6392318_3246.html
La fête est triste, hélas, et les personnages en présence n’ont certainement pas lu tous les livres. Inspiré du Platonov de Tchekhov, qu’il adapte très librement, Cyril Teste met en scène une longue soirée qui tourne à vide, puis au tragique – au tragique à force de vide. Comme dans les films de Ruben Östlund, mais avec plus d’élégance et moins de cynisme, il fait sortir les monstres d’un grand corps collectif malade, contaminé jusqu’à la moelle par l’obsession de l’argent. Au point que l’amour et l’amitié y soient devenus impossibles. Tout semble pourtant commencer dans la gaieté et l’insouciance d’une soirée d’été, sur le grand plateau nu, sans décor, où ont été disposées de grandes tables et une petite estrade pour le musicien qui va animer la soirée à coups de tubes disco et de bons vieux standards de rock. L’hôtesse, c’est Anna, une jeune veuve « pas dégueulasse », comme disent d’elle les personnages masculins de la pièce. Elle est criblée de dettes, et ne sait comment elle va pouvoir garder sa maison. Autour d’elle tournent les charognards, qui la veulent elle, veulent sa maison, ou les deux, ce serait mieux. Alors elle va danser jusqu’au bout de la nuit, avec un côté « on achève bien les chevaux », tandis que, tout autour, quelque chose se corrompt, se brise et s’effondre dans cette petite société provinciale. Le catalyseur, l’agent perturbateur, l’astre noir de la pièce, c’est Platonov, le « petit Platon », surnommé ici Micha : il fera voler en éclats les mariages, y compris le sien, sortir la férocité des pères à l’égard des fils – des fils qui eux-mêmes peinent à échapper à la médiocrité –, jettera à la poubelle les sentiments quels qu’ils soient, y compris ceux qu’on lui porte. Il est porteur d’une lucidité stérile, comme on le serait d’un virus toxique. Rituel sauvage L’intelligence de Cyril Teste et de l’acteur qui joue Platonov, l’excellent Vincent Berger, c’est d’en faire l’un personnage sans flamboyance aucune, presque absent à lui-même dans son entreprise de destruction et d’autodestruction, dans ce monde qui ne demandait qu’une pichenette pour partir en vrille. Poursuivant ses recherches sur la « performance filmique », un concept qu’il a inventé, Cyril Teste tisse le dialogue cinéma-théâtre de manière passionnante, comme toujours, dans les deux premières parties du spectacle, alors que, dans la dernière, le théâtre seul reprend ses droits, pour laisser libre cours à une sorte de rituel sauvage, où les personnages se défigurent, s’animalisent, tous leurs masques arrachés. Le metteur en scène instaure surtout une énergie bien particulière, qui semble toujours sur le point de prendre sans prendre vraiment, une énergie avortée, perpétuellement retardée, sur le plateau où une trentaine d’« invités », figurants amateurs, se mêlent aux acteurs. Ils constituent ce corps collectif dans lequel l’œil et l’oreille du spectateur doivent chercher les personnages principaux, comme s’ils n’étaient que des échantillons prélevés sur un vaste organisme. Le pari n’était pas gagné et, après avoir un peu tâtonné à la création à Annecy et au Printemps des comédiens de Montpellier, le spectacle, plus précis, plus aigu, a trouvé sa cohérence, porté par la sensibilité et l’humanité qui sont toujours celles de Cyril Teste. S’il en est ainsi, c’est largement grâce à ses acteurs et, surtout, à ses actrices. La révélation de la soirée s’appelle Haini Wang, jeune actrice d’origine chinoise, dans le rôle de Sacha, le bel ange fracassé de ce petit monde en perdition. Emilie Incerti Formentini et Katia Ferreira sont également formidables. Quant à Olivia Corsini (Anna), elle évoque rien de moins que les grandes actrices de Cassavetes ou de Bergman, avec son énergie désespérée, son tragique sans pathos : une façon de regarder son malheur en face absolument bouleversante, qui s’exprime à l’image par des regards caméra que l’on n’oubliera pas. Sur l’autre rive, d’après Platonov, d’Anton Tchekhov, mis en scène par Cyril Teste. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e. Jusqu’au 16 novembre. Puis tournée jusqu’à fin mars 2025, à Châteauroux, Amiens, Le Mans, Roubaix, Cergy-Pontoise, Valence, Lyon… Fabienne Darge / Le Monde Légende photo : Sacha (Haini Wang) dans « Sur l’autre rive », mis en scène par Cyril Teste, à Bonlieu Scène nationale d’Annecy (Haute-Savoie), en avril 2024. SIMON GOSSELIN
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November 17, 4:53 AM
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Entretien avec Marie Plantin pour Sceneweb - 14 nov. 2024 Récemment nommée à la direction du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), succédant ainsi à Séverine Chavrier, Émilie Rousset s’inscrit dans un paysage théâtral contemporain qui porte haut des enjeux sociétaux primordiaux, des dramaturgies innovantes hybridant les médiums, un goût pointu pour le travail du son et de l’image, et un rapport singulier à nos oralités. Rencontre. Passée par l’École du TNS en mise en scène, voilà dix ans maintenant qu’Émilie Rousset fabrique des formes inédites nourries d’archives et de témoignages récoltés, invente des dispositifs singuliers qui placent la parole au centre et renouvellent le rapport au public, élabore une écriture du montage dans des performances-pensantes qui croisent divers points de vue de spécialistes, élargit ses champs d’investigation à chaque nouvelle création, tisse et met en perspective un réseau de regards experts sur des sujets ciblés, comme autant de portes d’entrée sociologiques pour approcher nos réalités. Nous l’avons rencontrée dans les sous-sols de Cromot, Maison d’artiste et de production, dans cette période charnière de prise de fonction à la tête du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), alors que viennent d’être repris à Paris deux de ses anciens spectacles : Reconstitution : le Procès de Bobigny, une co-création avec Maya Boquet, et Rituel 5 : la Mort, une co-création avec Louise Hémon. Deux propositions de tempérament qui viennent déplacer nos systèmes de représentation, deux expériences scéniques ritualisées, hautement représentatives de sa démarche. C’est ainsi qu’est née l’idée de cet entretien multipiste, en fonction des thématiques abordées lors de notre rencontre, montage d’une parole aussi claire que déliée, guidée par une pensée puissante et structurée. Un micro-dispositif en miroir des siens qui sont, à chaque fois, un cadre pertinent pour croiser les regards et les territoires. Le CDNO – Projet, relation et partage de l’outil Comment s’est déroulée votre arrivée à la tête du CDNO ? Émilie Rousset : Pour le moment, j’engage tout juste une relation avec le public du CDNO, je vais présenter une de mes pièces en fin de saison et je prépare la suite. Le CDNO est une institution qui a suivi de près le dynamisme et les transformations de la scène théâtrale en France et en Europe. Son public est sensible aux recherches que proposent les artistes contemporains les plus novateur·rices. Je m’inscris donc naturellement dans la continuité de ce qu’a proposé Séverine Chavrier, tout en souhaitant ouvrir de nouveaux horizons. En tant qu’artiste, j’aime repousser les frontières du théâtre, autant dans les formes que dans les sujets abordés. Je cherche à explorer d’autres terrains de réflexion, à créer des croisements, à provoquer des déplacements. Le projet pour le CDNO est en adéquation avec ce qui m’anime. Je pense aussi que les lieux de création comme les CDN, dirigés par un·e artiste, doivent être habités et réinventés par les artistes eux-mêmes. Qu’est-ce qui vous anime dans ce projet ? À un certain moment de mon parcours, j’ai réalisé que, plus mon travail était reconnu et diffusé, moins j’échangeais avec d’autres artistes indépendants. En réalité, nous évoluons dans des circuits ultra-concurrentiels qui ne sont pas conçus pour favoriser la rencontre et la collaboration. Les tensions économiques et politiques qui secouent la société et notre milieu tendent à exacerber cette situation. C’est pourquoi le projet que je propose pour le CDNO réunit un collectif d’artistes européen pour penser et déployer le projet collectivement. Ce collectif sera composé des metteur·euses en scène, réalisateur·rices, Lola Arias, Marta Gornicka, Vanasay Khamphommala, Marcus Lindeen et Marianne Ségol-Samoy, Adeline Rosenstein, Gurshad Shaheman, Louise Hémon, ainsi que de la scénographe Nadia Lauro et de la chercheuse et curatrice Madeleine Planeix-Crocker. Scénographier la rencontre et créer in situ Concrètement, comment s’envisagent les temps de rencontre ? Deux temps forts, La Caverne et La Biennale de Printemps, viendront nourrir le projet et rythmer la saison. La Caverne s’articule autour et à l’intérieur d’une scénographie immersive imaginée par Nadia Lauro. Elle proposera un environnement scénographique qui sera investi par des œuvres performatives et discursives. Avec le collectif d’artistes européens, nous y organiserons des rencontres, des débats, des lectures, des tours de chant, des projections de films… La Caverne accueillera les projets qu’on mène en parallèle de la scène, les projets collaboratifs, les projets en cours de recherche. Par exemple, je viens de réaliser une pièce radiophonique cosignée avec Alexandre Plank, réalisateur radio et cofondateur de Making Waves, à la suite d’une résidence proposée par le Festival d’Automne et l’AP-HP dans les services PMA, dons de gamètes et biologie de la reproduction de l’hôpital Jean Verdier à Bondy. Dans La Caverne nous proposerons une écoute de cette pièce audio, jouée en live. Le deuxième temps fort, sous forme de Biennale au printemps, offrira un parcours d’œuvres créées in situ sur le territoire de la ville et de la région : salles de tribunal, gymnases, parkings, guinguette… J’y créerai avec Caroline Barneaud Alouettes – pièce de champ, une œuvre qui se joue dans un champ avec un·e agriculteur·rice local·e et son tracteur. L’idée de ces deux temps forts, c’est de créer d’autres rapports à l’œuvre et aux publics, en modifiant le dispositif. Sortir de la salle de théâtre et s’inscrire dans des paysages force à inventer d’autres formes et d’autres manières de produire, ça crée d’autres modalités de rencontres. La co-création, synergies joyeuses Vous co-signez souvent vos spectacles avec d’autres artistes. Que vous apporte ce processus de co-création ? Cette liberté de fluctuation et d’alliances, je la trouve non seulement joyeuse, mais aussi dynamisante. Je ne cherche pas à créer des mariages à la vie à la mort. Ce sont plutôt des rencontres sur des désirs communs à un moment donné. Rituel 5 : la Mort est co-signée à l’écriture, à la mise en scène et à la réalisation avec Louise Hémon et nous avons fait ensemble trois pièces et quatre films courts ; Reconstitution : le Procès de Bobigny est co-signée à l’écriture avec Maya Boquet, avec qui j’ai aussi créé une série de performances intitulée Les Spécialistes. Je viens de terminer une tournée dans huit pays européens avec la pièce collective Paysages partagés, présentée en France au Festival d’Avignon 2023. Ce projet est un parcours dans la nature imaginé par Stefan Kaegi et Caroline Barneaud, qui réunit les œuvres de plusieurs artistes européens, et pour lequel j’ai signé l’une des pièces. Pour moi, la pensée émerge dans le dialogue ; il faut des convergences, des expériences et des sensibilités qui se connectent pour que quelque chose advienne de l’ordre de la création. L’image du créateur et du penseur solitaire n’est que l’incarnation d’un pouvoir, il faut s’en méfier. Dispositifs : hybridation fertile Dans votre travail, le cadre scénographique est une matrice dramaturgique. Pourquoi et comment élaborez-vous ces dispositifs ? C’est ma manière de travailler, d’écrire et de créer. C’est comme ça que je réfléchis. Je travaille mes pièces autant sur le fond que sur la forme induite par le thème. À chaque fois, j’imagine un dispositif en rapport avec les matériaux et le sujet de collecte. Interroger le sens par le biais du dispositif de représentation s’apparente à des procédés plus caractéristiques de l’art contemporain ou du cinéma documentaire d’auteur·rice·s. Par exemple, chez Agnès Varda, Chantal Akerman, Alain Cavalier ou Peter Watkins, le sujet est exploré par le cinéma, qui est lui-même mis en scène, et le réel est interrogé par le regard du créateur qui s’expose dans un même mouvement. Lorsque j’ai découvert ces films, je me suis sentie à l’aise, car j’ai perçu que le procédé d’écriture et de réflexion donnait les clefs aux spectateur·rice·s ; il portait en lui une certaine éthique, une transparence. Travailler avec des dispositifs implique également un côté très plastique. Je pense des agencements, et si ça marche, le sens s’en dégage. Ma pratique d’écriture emprunte au montage cinématographique. C’est du collage. Cette matérialité-là, cette manipulation des flux m’intéresse parce ce qu’elle est sensible et indissociable du geste. C’est comme dans la démarche documentaire : le corps et la présence sont en jeu dès le départ. Oralité : ce que véhicule le langage Le corps et la présence, certes, mais aussi la parole qui semble être un objet d’étude clef de l’ensemble de vos spectacles… C’est l’épicentre de mon travail. Si on le considère uniquement sur l’angle thématique des pièces, on passe à côté de ce biais de lecture. Tout le processus d’écriture repose sur l’oralité et ses spécificités. Mes pièces explorent également, et surtout, ce qu’on ne dit pas dans ce qu’on dit, ce qu’on dit dans ce qu’on ne dit pas, et comment, malgré tout, on parvient à réfléchir ensemble. Quand je m’intéresse à des faits de société, à travers les rituels ou la question de l’avortement, j’utilise le théâtre pour partager mes recherches et ça passe par l’adresse et le langage. La parole, c’est quand même un phénomène ahurissant qui entretient un rapport au sens à la fois flou et mouvant. On parvient à saisir un sens, puis on le perd, puis on le reconquiert, et, finalement, on finit par se comprendre, ou pas. Mes spectacles s’ancrent dans cette perte et cette conquête perpétuelle, et invitent les spectateur·rice·s à en faire l’expérience sensible, mise à la loupe par le théâtre. L’oreillette pour rejouer l’adresse Vous utilisez souvent un système d’oreillette qui permet aux comédien·nes d’entendre la parole dont ils deviennent simultanément dépositaires. Pourquoi ce choix ? Ma recherche est stratifiée et se déroule par étapes. Il y a d’une part un travail d’enquête à partir d’archives, un travail documentaire avec les entretiens que je mène, suivi d’un temps de montage fondamental. Ce qui est donné aux interprètes arrive ensuite, une fois les bandes-son montées. Ce sont des partitions qui n’existent pas à l’écrit. Le travail à l’oreillette découle de ce processus. J’aime ce qu’il implique dans la présence de l’acteur·ice parce qu’iels sont dans une action invisible des spectateur·rice·s et pourtant perceptible. L’oreillette influe forcément sur leur incarnation, puisqu’une autre voix est avec eux au même moment. Néanmoins, iels ne sont pas conviés à rejouer la personne qu’iels entendent, mais à être eux-mêmes, en train de rejouer l’adresse et le mouvement de pensée. Ça les met dans un endroit de travail très particulier que j’explore depuis quelques années et qui interroge aussi spécifiquement cette chose-là : comment pense-t-on avec la personne en face, et comment la pensée serait différente sans elle, et comment cela se formule nécessairement à deux. Ici, je dirais même à trois, puisque le fantôme du document créé des impulsions et des interférences. C’est de la pure pensée vivante et cela n’a rien à voir avec de la pensée écrite. L’oreillette permet de toucher à cette matière : le flux, la pensée parlante, la parole pensante, et cet interstice entre les deux, où il se passe et se dit plein de choses. Affaires familiales, affaire à suivre… Vous êtes actuellement en train de composer votre nouvelle pièce, Affaires familiales, dont la création est prévue en 2025. Pourriez-vous nous en dire plus ? Je suis en pleine écriture et mène des entretiens dans plusieurs pays d’Europe autour de cette juridiction, des lois et des pratiques. Il est difficile d’en parler de manière synthétique à cette étape du travail où la note d’intention est bousculée par la recherche. Les projets naissent de stratifications multiples, mais ce qui est certain, c’est que cette pièce découle de Bobigny, non pas tant pour l’aspect judiciaire, mais plutôt en ce qui concerne le rapport entre l’intime et le politique, entre le corps individuel et le corps collectif. Dans la défense du droit à l’avortement se joue le droit de disposer de son corps, et par là, l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour paraphraser la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie « l’avènement d’une réelle société démocratique » se trouve dans cette lutte. Ce qui m’intéresse avec le sujet des affaires familiales, c’est ce trajet des récits entre l’histoire individuelle et l’histoire collective. Ces histoires, qui semblent appartenir à l’intimité du foyer et à des cas individuels, concernent en réalité l’ensemble de la société et la manière dont nous souhaitons nous structurer. Ce n’est pas pour rien que la famille est un des premiers champs investis par l’extrême droite et les conservateurs. Vladimir Poutine a supprimé les violences intrafamiliales du Code pénal, Giorgia Meloni a créé un crime universel pour la GPA, s’opposant ainsi à la reconnaissance des parentalités LGBT+. C’est intéressant de voir ce que nos institutions choisissent de prendre en charge ou refusent d’entendre. Comment nos histoires intimes, en fonction de l’écoute que la société leur accorde, prennent sens ou en perdent. Marie Plantin / Sceneweb Portrait d'Emilie Rousset © Martin Argyrolo
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