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Le spectateur de Belleville
October 3, 2024 3:10 AM
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Propos recueillis par Olivier Frégaville Gratian d'Amore pour l'Oeil d'Olivier - 28 sept. 2024 Du thriller existentiel de Baptiste Amann, qui se joue actuellement au Théâtre Public de Montreuil, à sa propre prose ancrée dans un réel à peine dystopique, mise en scène par Aurélie Van Den Daele, le comédien navigue comme un poisson dans l’eau entre réalité et fiction. Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? C’était un concert d’été gratuit à Marseille, sur les pelouses des plages du Prado. Il y avait plusieurs groupes qui jouaient, mais je me souviens uniquement du moment où les Rita Mitsouko sont montés sur scène. C’était dingue. Catherine Ringer et Fred Chichin ont absolument retourné la foule présente et tout particulièrement les jeunes ados que nous étions. C’était mon premier concert. Je n’avais jamais écouté leur musique avant. J’étais plutôt Hip Hop, funk, soul, R’n’B. J’étais adolescent et c’est, je pense, la première fois que mes parents me laissaient sortir le soir avec des potes du collège. Je ne comprenais rien à ce qu’il m’arrivait, secoué par tous ces corps qui faisaient la fête grâce à un groupe de musique en live. Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière d’artiste ? New York, New York, le film de Martin Scorsese. Plus particulièrement, la scène d’ouverture où les soldats américains fêtent la victoire des USA sur le Japon à grands coups de confettis et champagne. Puis cet enchainement de scènes entre Liza Minelli et Robert De Niro sont à couper le souffle, de liberté de jeu, d’échanges savoureux, drôles et pitoyables. Un pur bonheur. La musique également, les plans de caméra, c’est une réalisation hors cadre qui ne passerait pas sur les plateformes aujourd’hui. Des scènes et des plans longs qui prennent le temps de nous mettre dans l’ambiance de leur relation dans cette ville monstre. Je me suis dit qu’il fallait que je prenne des cours de théâtre pour apprendre à faire tout ça ! Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien, auteur et metteur en scène ? J’avais plein de rêves en solitaire étant jeune, mais très peu de réflexion et de motivation personnelle pour les mener jusqu’au bout. Pendant pas mal de temps, je me suis dit que j’allais être basketteur, mais j’ai compris vers mes dix-huit ans que je ne le serai jamais — pas assez bon. Puis sociologue, prof de sport, journaliste. Je me suis retrouvé à vendre des baskets. Bref, tout ça pour dire que rien ne m’attirait vraiment. Mais cette grande errance m’a laissé du temps pour regarder beaucoup de films, de séries. Je ne lisais rien à l’époque. Je passais parfois des journées, des nuits dans des salles de cinéma. Je me faisais des marathons. C’était ça dans les années 90. On n’avait pas les ordis dans le lit et pas d’ordis tout court. Mais en voyant New York, New York dont je parlais plus haut, je me suis tout de suite dit qu’il fallait que je prenne des cours de théâtre pour jouer comme De Niro. Je n’avais pas du tout envie de passer des castings — peut-être l’intuition qui m’a le plus aidé depuis. C’est donc ce chemin-là de réflexion — longue, très longue — qui m’a amené à choisir la navigation entre l’interprétation, l’écriture et la mise en scène. Même si depuis quelques années j’ai mis de côté la mise en scène pour me consacrer aux deux autres. C’est déjà beaucoup. Pour l’écriture, le déclencheur a été de ne pas trouver dans la littérature théâtrale des histoires qui parlent d’où je viens et des histoires surtout qui pourraient toucher ma famille et mes amis de Marseille, pour qui le théâtre n’est pas du tout une priorité, pour le dire gentiment. Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? En 2002, La Cuisine d’Arnold Wesker dans la mise en scène de Jean-Louis Martin Barbaz qui était mon professeur et directeur d’école. Je suis rentré au Studio Théâtre d’Asnières comme élève en 2001. Pendant ma première année de formation, j’ai eu la chance de faire partie de l’énorme distribution de ce spectacle. Nous étions trente sur scène. Donc j’allais en cours et je prenais du temps de jeu avec une équipe de pros que je regardais et avec qui je jouais en répétitions, puis en représentations. Je jouais un rôle avec peu de texte mais j’étais tellement heureux car je passais pratiquement 2h30 sur le plateau à vivre, à respirer, à être disponible et autonome en tant qu’interprète sans la pression d’un rôle à grosses responsabilités dans l’histoire. Je faisais la plonge, j’essuyais, comptais, rangeais les assiettes, les verres, je prenais de la fumée dans les narines, je passais la serpillière mais j’ai tellement appris. J’arrivais à peine à Paris dans le métier avec mon fort accent marseillais que j’avais du mal à maîtriser à ce moment-là, cette expérience m’a donné du temps de jeu et de la confiance sur ma capacité à traverser une histoire avec une équipe. Comme dans un match. Puis je me souviens qu’on transpirait beaucoup. Comme dans un match. J’ai donc eu la sensation que le théâtre m’apportait autant que le sport. J’ai senti que j’étais à ma place. Votre plus grand coup de cœur scénique ? C’est dur. Il y en a plusieurs. Mais si je dois faire un choix pour ici, le spectacle qui reste gravé dans mes cellules est Tambours Battants d’Arne Sierens, que j’ai vu au théâtre de la Bastille en 2005 il me semble. Je ne vous raconte même pas l’état de mon t-shirt à la fin de ce spectacle. Trempé jusqu’aux os j’étais. En transe. Il y avait l’histoire évidemment. Mais tout. La musique, un groupe rock en live. Avec la batterie comme élément de base car cet instrument était au cœur de l’histoire. Et le jeu des acteurs et actrices ! Eux aussi étaient trempés. C’était total ! Mais je ne peux pas m’empêcher de dire que j’ai été aussi totalement fasciné par Médée mise en scène par Déborah Warner à Chaillot avec l’immense Fiona Shaw, la création d’Incendies de Wajdi Mouawad [au Théâtre 71 Malakoff en 2005], par Thyeste de Simon Stone, le travail de la Cie de danse-théâtre hollandaise T.R.A.S.H. et plus récemment, One Song de Miet Warlop ! Il y a en a tellement ! Quelles sont vos plus belles rencontres ? En CE1, un intervenant dont je n’ai malheureusement plus le nom, qui venait nous apprendre à jouer aux échecs. Je m’en souviendrai toute ma vie. Puis, tellement de personnes avec qui j’ai joué au basket pendant plusieurs années et qui m’ont transmis la rigueur, la discipline et le plaisir du jeu. Et ces dernières années, Aurélie Van Den Daele [metteuse en scène et directrice du Théâtre de l’Union, CDN du Limousin] ainsi que Caroline Marcilhac [directrice de Théâtre Ouvert] : elles m’ont énormément aidé à assumer mon écriture et me déployer dans le jeu sur plusieurs spectacles. En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? Je dirais surtout qu’aujourd’hui jouer et écrire m’aident à transformer beaucoup de colère en poésie. D’en faire une arme miraculeuse, comme dirait Aimé Césaire. D’être aux aguets, à l’affût de tout ce qui se passe, d’être disponible au monde au maximum. Également de me remettre en question en tant qu’être humain et artiste lorsque je rencontre de nouvelles personnes. Qu’est-ce qui vous inspire ? La rue, les espaces, les autres, tous les autres. Les vivants et vivantes. Pas uniquement les homo sapiens. J’ai grandi dans des barres HLM donc dans une grande connaissance du béton et des odeurs de la misère. Heureusement qu’il y avait la mer pas trop loin. Petit à petit, je m’habitue à la verdure. Et quand je regarde, je sens cette verdure, je ne peux pas m’empêcher d’être très en colère contre un système qui a fait du béton son crédo et du pillage en règle de la biodiversité son quotidien. Donc la colère, forcément, se révèle une source d’inspiration. D’autant qu’en grandissant, on arrive à jouer avec elle pour la charger de poésie. Puis une inspiration profonde depuis enfant pour les immigrés de France, ma famille algérienne et puis toutes les nationalités des quartiers. Puis nous, enfants d’immigrés qui habitent mes textes en ce moment. De quel ordre est votre rapport à la scène ? Il n’y a pas à dire, c’est l’effort, l’effort physique. La transpiration. La vibration de la transpiration. La connexion commune à travers la transpiration. L’engagement de la transpiration. Le maillot ou la chemise, tout est trempé. La transpiration est politique et poétique. Un effort de tous les instants pour ne pas être complaisant ou dans l’entre-soi. C’est aussi clairement un endroit qui permet le rassemblement. Qui permet de ne pas être seul. À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? Les pieds. D’ailleurs, je les masse souvent mais pas assez. Ils me portent tous les jours. Je pourrais même dire plus largement les jambes. J’ai une grande fascination pour les appuis au sol. Je pense souvent à ça quand je travaille ou quand je vois d’autres artistes travailler. Comment ils et elles bougent. Comment les jambes et le haut du corps suit ou pas. C’est hyper beau de regarder ça. Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? J’aimerais tellement jouer avec tous les artistes québécois avec qui j’ai passé du temps pendant les trois festivals du Jamais Lu auxquels j’ai participé. J’aimerais beaucoup jouer avec Catherine Vidal qui est metteuse en scène et vient de prendre la direction du Quat’sous à Montréal ! J’aimerais énormément retravailler avec Adama Diop, mais un peu plus longtemps et jusqu’au bout d’un projet. J’ai eu la chance de le connaitre car il devait jouer dans une de mes pièces, Babacar, mais quelques temps avant la création il a été pris par Julien Gosselin sur 2666. Je ne pouvais pas rivaliser, hein ? Alors cette fois-ci, ce serait jouer avec lui. Ce serait foufou cette affaire ! Si tu lis ça Adama, tu vas rire frérot ! Mais pourquoi pas ? Je crois qu’on a beaucoup de choses à raconter ensemble ! J’aimerais aussi tellement jouer avec Miet Warlop. J’ai découvert son One Song au Festival d’Avignon en 2022, énorme claque ! Puis rapper avec Kae Tempest et Little Simz, franchement on pourrait faire des cross anglais français ensemble. Ce serait dingue ! Et pourquoi pas jouer dans une série ou film avec Michaela Coel et Paapa Essiedu. Enfin, j’aurais tellement voulu travailler avec Abdelkader Alloula, Kateb Yacine et Marcel Pagnol. Bon bref, la liste est longue ! À quel projet fou aimeriez-vous participer ? Je crois que théâtralement, j’ai eu la chance et je l’ai encore, de participer à des projets fous comme 1200 Tours que je termine d’écrire en ce moment. Mais je crois qu’ici j’aimerais parler de cinéma mais complètement fou. J’aimerais bien participer en tant qu’interprète à un projet de film complètement fou comme Victoria, du réalisateur allemand Sebastian Schipper. Un plan séquence de plus de 2h30 dans Berlin entre quatre et sept heures du matin. J’avoue que ça, ce serait incroyable. Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? To be or not to be d’Ernst Lubitsch. Déjà parce que c’est mon top one dans tous les films du monde entier. Puis parce qu’il y a tout dans ce film : la comédie, l’engagement politique, la révolte, la naïveté, la lutte et l’espoir. Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore Lieux communs de Baptiste Amann Création le 4 juillet 2024 au Festival d’Avignon Durée 2h30 Tournée 24 septembre au 10 octobre 2024 au Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national 16 et 17 octobre 2024 au Zef, Scène nationale de Marseille 27 au 29 novembre 2024 à La Comédie de Béthune, Centre dramatique national 5 au 8 février 2025 au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine 13 et 14 février 2025 au Théâtre de l’Union, Centre dramatique national du Limousin, Limoges 18 au 21 février 2025 à La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national mise en scène de Baptiste Amann assisté de Balthazar Monge, Max Unbekandt Avec Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla Scénographie et lumière de Florent Jacob Son de Léon Blomme Costumes d’Estelle Couturier-Chatellain, Marine Peyraud
Légende photo : Sidney Ali Mehelleb - Crédit : © Marjolaine Moulin
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Le spectateur de Belleville
October 2, 2024 10:58 AM
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Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore - 1er oct. 2024 Poursuivant son exploration de l’univers tchekhovien, le metteur en scène, fondateur du collectif MXM, rêve un Platonov intangible autant que fantasmé, un homme tout juste esquissé lors d’une soirée de village.
1 octobre 2024 Après La Mouette en 2021, vous vous attaquez au tout premier texte de Tchekhov, Platonov. Pourquoi ? Cyril Teste : De manière très accidentelle. Je n’avais pas l’intention de me frotter à nouveau à l’univers du dramaturge russe. J’avais d’autres idées en tête. Puis un soir, fatigué par le Covid, que je venais d’attraper, j’ai commencé à chercher dans mes livres une aventure de troupe. J’ai fini par tomber sur Platonov, que je n’avais pas encore lu. J’ai été fasciné par ce texte écrit à dix-sept ans, où sa patte n’est pas encore là. On sent qu’il se cherche, qu’il y a dans cette œuvre un goût d’inachevé.
Je trouvais drôle et passionnant de monter un autre Tchekhov, celui de sa jeunesse — à peine 17 ans —, après avoir mis en scène ce qui est à mon sens sa pièce phare, La Mouette. C’était d’autant plus intéressant qu’il y a des résonnances entre ses deux textes. L’un est le pendant de l’autre. Platonov est de la même famille que Treplev.
Qu’est-ce qui vous a tant plu dans cette œuvre de jeunesse ?
Cyril Teste : Justement, sa fragilité, le fait qu’elle soit en quelque sorte assez déconstruite. Platonov n’est pas une pièce de théâtre, mais plutôt un matériau, une base pour la suite de ses écrits. Et puis je trouvais beau de terminer mon cycle sur Tchekhov après d’autres projets sur les prémices du grand dramaturge en devenir. Il y a dans tout cela quelque chose de très intuitif.
Contrairement à votre travail sur La Mouette qui suit la trame de la pièce, ici, on est plutôt sur une évocation de l’œuvre. Cyril Teste : Comme je l’évoquais juste avant, Platonov n’est pas une pièce mais un matériau brut. Le texte n’est pas paginé, on pourrait dire qu’il n’a pas eu temps d’exister en tant qu’œuvre révolue. C’est un essai, une esquisse. Il y cartographie une série de personnages plus âgés que lui. Tout est très horizontal, sans véritable trame. Je me suis plongé dans le texte originel et dans les différentes traductions qui ont été faites. Ce qui m’a fasciné, c’est qu’il y a quelque chose de primitif.
Je n’avais pas envie de tricher avec cela. J’ai donc fait le choix de ne garder que les souvenirs qu’il m’en restaient après l’avoir traversé. C’est un projet à la fois fragmentaire et kaléidoscopique. Je n’ai conservé que l’énergie folle, sauvage presque, qui s’en dégage. Platonov, c’est une sorte de Frankenstein littéraire, on y voit les cicatrices, les coutures du jeune auteur qui se cherche. C’est un patchwork qui va de Shakespeare au naturalisme en passant par un peu de réalisme. Rien n’est ancré dans un style, bien au contraire.
Vous parlez d’énergie…
© Simon Gosselin Cyril Teste : À la différence de La Mouette, où tout est vers, dans Platonov, il n’y a pas à mon avis une approche littéraire. Tchekhov a dix-sept ans, c’est un gamin. Il est dans l’énergie pure. D’ailleurs, je trouve que la manière dont il dessine les personnages fait penser aux œuvres de Michel-Ange ou de Rodin. C’est-à-dire qu’à certains endroits, il n’y a que des silhouettes, à peine une esquisse. Les traits ne sont pas finis, juste croqués sans atteindre vraiment une profondeur de caractère.
Dans cette mise en scène, vous faites appel à des amateurs pour figurer cette fête, qui est finalement le constat de nombreux échecs… Cyril Teste : C’est presque l’origine du projet. Au départ, j’avais même envisagé que chaque représentation serait une fête à laquelle on inviterait les spectateurs à boire et danser avec les comédiens qui performeraient au milieu d’eux. L’idée était même de jouer ailleurs que dans un théâtre. C’est l’essence même du film, qui est l’autre pendant essentiel de ce diptyque. La pièce et le long-métrage sont complémentaires. L’une ne va pas sans l’autre. Pour tout comprendre de ce projet, il faut absolument voir les deux. La fête, qui est au cœur de tout cela, nous l’avons vécue comme un instant d’épiphanie. C’est ce qui transparaît dans le film, sorte de long travelling d’une nuit.
Ce moment magique, j’ai souhaité le reproduire sur scène, du moins m’en servir pour construire la pièce. C’est pour cela que nous invitons des spectateurs au plateau, pour qu’ils soient dans le cadre, qu’ils voient de l’intérieur ce qui anime les personnages. Pour le coup, c’est une vraie volonté de ma part de créer du lien aussi avec les théâtres, parce que c’était un joli prétexte pour retrouver le chemin des salles. Partant de là, ce que je trouve formidable, c’est que chaque soir est très différent. Parfois l’ambiance prend, d’autre fois c’est plus poussif. Je trouve cet aléa, qui exacerbe le vivant de ce spectacle, assez beau, parce que cela m’échappe et que le geste reste brut. C’est une expérience.
Souvent, vous évoquez la vidéo comme votre pinceau pour peindre vos mises en scène… Cyril Teste : C’est vrai que c’est essentiel dans ma démarche. Mais pour ce projet, j’ai aussi eu le besoin, l’envie de m’en détacher, de m’en défaire. Les tente dernières minutes de Sur l’autre rive, je ne fais plus intervenir aucun écran, aucune caméra. Je crois que mes deux derniers spectacles, finalement, et c’est assez étrange, cartographient l’histoire de mon collectif, tant au niveau des dispositifs que j’utilise que des recherches artistiques que je poursuis. La caméra est au point. Petit à petit, on entre dans le cinéma, puis on finit par s’en éloigner pour arriver à un théâtre brut, élémentaire. La vidéo fait partie intégrante de mon œuvre, cela fait partie de ce geste dont j’ai besoin pour écrire. Elle peut m’enfermer, me rendre libre. Elle est l’un des médiums qui me permettent de m’exprimer. C’est mon stylo, ma plume.
Vous disiez que Sur l’autre rive, le film qui sera disponible dans quelques jours sur Arte, est essentiel à la compréhension de votre geste. Pouvez-vous nous en dire plus ? Cyril Teste : Partout où nous allons jouer la pièce, le film sera visible en salles non loin. Dans les cas où ce ne sera pas possible, il sera toujours disponible sur la plateforme d’Arte. À Nanterre, une soirée diptyque a été organisée. Les retours que nous avons des spectateurs confirme l’intérêt de voir les deux. C’est même fondamental. Ce sont deux objets qui n’en font qu’un. On ne peut comprendre l’un sans l’autre. C’est en tout cas le point de vue que je souhaite défendre.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore Sur l’autre rive d’après Platonov d’Anton Tchekhov (diptyque – second volet diffusé dur Arte le 13 octobre à minuit et à voir dès le 6 octobre sur arte.tv) spectacle vu le 30 mai 2024 à Amphithéâtre d’O – Festival le printemps des Comédiens Durée 1h50 environ
Tournée 27 septembre au 13 octobre 2024 au Théâtre Nanterre-Amandiers, centre dramatique national (92) 17 et 18 octobre 2024 à l’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (71) 8 au 16 novembre 2024 au Théâtre du Rond-Point, Paris (75) 26 novembre 2024 à l’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux (36) 5 et 6 décembre 2024 à la Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production (80) 11 au 13 décembre 2024 aux Quinconces, scène nationale du Mans (72) 18 et 19 décembre 2024 à La Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison nomade de La Rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (59) 15 au 17 janvier 2025 au Théâtre des Louvrais, Points Communs, scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise (91) 22 et 23 janvier 2025 à la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche (26) 30 janvier au 8 février 2025 aux Célestins, Théâtre de Lyon (69) 18 et 19 mars 2025 au Tandem, scène nationale, Douai (59) 26 au 28 mars 2025 au Théâtre Sénart, scène nationale (77)
Mise en scène de Cyril Teste assisté de Sylvère Santin Traduction d’Olivier Cadiot Adaptation de Joanne Delachair et Cyril Teste Avec Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang Collaboration artistique – Marion Pellissier Dramaturgie de Leila Adham Scénographie de Valérie Grall Costumes d’Isabelle Deffin, assistée de Noé Quilichini Création lumière de Julien Boizard Création vidéo de Mehdi Toutain-Lopez Images originales : Nicolas Doremus et Christophe Gaultier Musique originale : Nihil Bordures et Florent Dupuis
Olivier Frégaville-Gratian d'Amore / L'Oeil d'Olivier
Crédit photo © Simon Gosselin
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Le spectateur de Belleville
September 30, 2024 11:37 AM
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par Sonya Faure dans Libération - 30 sept. 2024 Au TGP de Saint-Denis, la metteure en scène donne un Romeo et Juliette revisité, où des enfants trop vieux observent avec sévérité leurs parents immatures. Un spectacle fourmillant d’idées mais aussi de temps morts. On y serait de toute façon allé rien que pour le titre. Les Grands Sensibles, ou la déconstruction /reconstruction, façon jeu de cubes, de Romeo et Juliette. Un Shakespeare mâtiné de Mary Poppins et de Maria Montessori : dans le dossier de presse, la metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants. «Alors on est venu voir le chaos ?» provoque cette femme en peignoir, face public (Elsa Granat elle-même), qui se présente immédiatement : «Je suis mariée à Capulet.» Ici, les mères, globalement, ne vont pas bien. Frère Laurent est naturopathe et Roméo tient les murs avec Hamlet et Ophélie. Ils s’étonnent quand parfois de la «littérature leur sort de la bouche». Il y a beaucoup de générations sur cette scène, et cela, c’est beau : les parents et les jeunes Montaigu et Capulet donc, mais aussi des vieilles (actrices amatrices) qui passent en fauteuil roulant, brandissant des pancartes : «J’entends rien», et les enfants venus d’une classe du Conservatoire municipal de Saint-Denis. Une bande de putti et de pucks qui vient gaiement et régulièrement troller le spectacle. Dans ce remake de Romeo et Juliette, des enfants trop vieux observent des parents immatures. Un fil narratif qui deviendra peut être un genre en soi, tant les œuvres sur les parents irresponsables se multiplient en ces temps de quel héritage-avons-nous-laissé-à-nos-enfants. Dans un moment creux du spectacle (il y en a) on a pensé au roman de Lydia Millet, Nous vivions dans un pays d’été. Là aussi, dans une bâtisse fin de siècle en voie d’écroulement, des ados regardent sévèrement leurs géniteurs boire et bavasser quand la planète sombre. Mais dans les Grands Sensibles, la charge politique est faible, et les récriminations des adolescents envers leurs parents sont plutôt de l’ordre de l’intime – ce que reproche surtout Hamlet à sa mère, c’est de coucher avec son oncle. Tandis que les parents, eux, plaident leur cause : n’ont-ils pas tout fait pour que leurs enfants n’aient pas d’allergie au gluten, pour retirer avant qu’ils ne puent les maillots de bain mouillés des sacs de piscines, bref, pour que leurs enfants «se réalisent» ? On ne peut vraiment pas dire que le spectacle d’Elsa Granat manque d’idées, et les meilleures donnent lieu à des images éclatantes et folles. Mais les Grands Sensibles est un spectacle décousu avec un peu trop de vide entre les fils. Hyperactif et dissipé, que nous dit-il au final à part qu’il serait bon que chacun retrouve sa part d’enfance ? A la volée on gardera les adresses drôles au public, une vieille nourrice délectable (Bernadette Le Saché), les mères aussi défaites que leurs cheveux (Elsa Granat et Hélène Rencurel). Et leurs mots pour dire le manque terrible qu’elles ont de leurs enfants qui pourtant se tiennent devant elles, enfants qu’elles aiment à la folie mais à qui elles reprochent d’être là (pour tout ce que leur présence a fait à leur vie) et de ne déjà plus y être. Les Grands Sensibles, ou l’éducation des barbares d’Elsa Granat, au TGP de Saint-Denis jusqu’au 6 octobre, puis en tournée à Thionville, Limoges, Dijon, Quimper… Légende photo : La metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants. (Christophe Raynaud de Lage)
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Le spectateur de Belleville
September 26, 2024 12:47 PM
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Par Sonya Faure dans Libération / 26 septembre 2024 Amis et artistes, Gurshad Shaheman et Dany Boudreault se sont lancés dans une double quête, chacun revenant sur les lieux de la vie de l’autre, de l’Iran au Canada. Deux récits auxquels le spectateur a accès à travers un casque audio. Gurshad Shaheman et Dany Boudreault ont grandi à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, l’un en Iran l’autre au Canada. Les deux artistes se sont rencontrés quelque part en France, on ne se souvient plus bien dans quel théâtre et dans quelle ville, c’est le risque de ce spectacle aux règles inhabituelles : les détails de ce qu’on y a entendu sont parfois brumeux, exactement comme les souvenirs de notre propre vie et ça n’a pas beaucoup d’importance. Pendant des années, de Bruxelles à Montréal ou à Sarajevo, les deux comédiens et performeurs se croisent et décident finalement de croiser leur travail. Le projet est beau : se lancer dans une double quête. Chacun partira sur les traces de l’autre, rencontrera ses proches, parents, amis, arpentera ses lieux, du Kurdistan au lac Saint-Jean, de la maison de la mère à celle de l’ancien amant. Chacun écrira et dira sur scène la vie de l’autre. «Je veux que tu entres en moi» dit Gurshad. «J’entre et je sors de tes souvenirs comme on entre au bordel, sans cérémonie» dit Dany. Une performance d’écriture Sur scène justement, le dispositif est intrigant. Deux corps qui vivent leur vie, et parfois se croisent, dans un décor d’appartement ou de chambre d’hôtel assez neutre. Leurs lèvres bougent sans qu’on distingue ce qu’elles disent, Gurshad et Dany parlent tout bas dans des micros HS. Chacun dit son texte, deux flots de parole qui se recouvrent, se chevauchent ou s’enchaînent, deux monologues en même temps – mais dans ce cas parle-t-on encore de monologues ? Aux spectateurs, on a distribué à l’entrée de la salle un casque audio. C’est par lui que nous serons reliés aux acteurs : un bouton permet de passer d’un canal à l’autre, de la partition du premier à la partition du second, de l’histoire de Gurshad à celle de Dany. Au tout début une voix féminine dans le casque nous a mis dans le bain : «La frontière peut être franchie à tout moment à votre guise. Vous êtes seul capitaine à bord. Bonne traversée.» D’une voix l’autre. On se souvient de la formidable pièce What if They Went to Moscow ? de Christiane Jatahy où le public était séparé en deux groupes, le premier voyant les acteurs en chair et en os en train d’être filmés, le second découvrant le film projeté à l’écran en direct. Mais Gurshad Shaheman introduit ici le manque. Les récits de Gurshad et Dany seront forcément tronqués. Nous manquera toujours un bout, ce qui sera perdu de la vie de Gurshad en quittant son récit pour écouter l’histoire de Dany sera perdu pour toujours. Pourtant deux lignes de vie se dessinent et se font écho, l’homosexualité, la joie, la violence, la peur de chuter, les fidélités multiples. Le prologue est à ce titre une performance d’écriture : alors que nous appuyons frénétiquement sur le bouton de notre casque pour passer de l’un à l’autre et ne rien rater (on se détendra au fil du spectacle), les paroles pourtant parallèles se répondent magiquement. Malheureusement l’enchantement n’opère pas aussi puissamment jusqu’au bout de la pièce, les mêmes moments de vie racontés par différents proches se répètent et le morcèlement des récits, contenu dans le principe même du spectacle, finit par menacer le lien qui unit les deux hommes, ces deux corps qui se rencontrent et partagent finalement si peu sur scène. Sans doute est-ce aussi en lien avec le troublant constat que fait Gurshad Shaheman à la toute fin du spectacle, celui que malgré la quête de l’autre, on perd toujours quelque chose, qu’il manque toujours et qu’aucune vie ne peut être dite, même par des vois multiples, pour ce qu’elle est – «ce qu’on m’a dit de toi ne te contient pas.» Sur tes traces, de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault, jusqu’au 4 octobre au théâtre de la Bastille. Dans le cadre du Festival d’Automne. Puis en tournée. Sonya Faure / Libération Légende photo : Sur scène, le dispositif est intrigant : deux corps qui vivent leur vie, et parfois se croisent, dans un décor d’appartement ou de chambre d’hôtel assez neutre. (Emily Coenegrachts)
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Le spectateur de Belleville
September 25, 2024 8:14 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 20 sept. 2024 Comment aller à la rencontre d’un public divers, sans renoncer à proposer des pièces exigeantes ? Depuis des années, nombre de directions et d’artistes s’efforcent de rendre plus accessible l’expérience «irremplaçable» du spectacle vivant. C’est une question entêtante qui revient avec une acuité renouvelée et rallume, à chacun de ses surgissements, des joutes verbales d’une violence qui n’a rien de factice. C’est quoi, le théâtre populaire ? A quoi le reconnaît-on ? Les directions de lieux et artistes ont-ils le droit d’y renoncer ? Pourquoi est-ce un enjeu capital pour les arts vivants, qui traverse de manière bien moindre les autres disciplines, y compris lorsque pour exister elles dépendent de subsides publics ? Et le théâtre populaire, s’il existe, se confond-il avec la nécessité de plaire au plus grand nombre au risque de devenir, ô dévoiement, noyade dans une eau tiède, consensualité ? Cette année, c’est Ariane Mnouchkine qui a rallumé le brasier au moment de la dissolution de l’Assemblée par le président Macron, en évoquant la rupture éventuelle des artistes et du peuple, dans une tribune parue dans Libération. «Je n’ai jamais abandonné l’idée d’un théâtre populaire», nous confiait par ailleurs la metteuse en scène qui répète en ce moment son prochain spectacle, Ici sont les dragons, présenté sur le site du théâtre du Soleil comme «un grand spectacle populaire». L’épithète a ricoché tout au long de la dernière édition du Festival d’Avignon, où elle a été utilisée pour louer en particulier Lacrima, la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen singulièrement rassembleuse, mais aussi certaines propositions frontales en langue hispanique. De son côté, le directeur du Festival d’Avignon Tiago Rodrigues n’a eu de cesse, toujours en regard de la menace tangible d’une victoire du Rassemblement national, de relier le festival «service public» à l’héritage de son fondateur Jean Vilar, qui écrivait que «l’art populaire du théâtre est comme la santé des hommes, toujours menacé». Et menacé par quoi, selon Vilar ? Par le conformisme, la répétition des mêmes formes, l’incapacité de montrer les tracas et remous du monde, disait-il en substance, et surtout par le poison mortel de l’entre-soi. Contre l’idée courante, Vilar estimait qu’aucun rival ne pouvait atteindre l’art de la scène, pas même les mots croisés dans les années 50 et les combats de gladiateurs au temps des Romains, mais qu’il pouvait mourir, «malgré des salles pleines», s’il perdait contact «avec ceux qui travaillent». Des flèches percutant des préoccupations partagées Pourquoi appeler à la rescousse Vilar aujourd’hui alors même qu’on ne vit plus dans le même monde et que les questions devraient en principe se poser de manière complètement différente ? «Si être dans la tradition de Vilar, c’est monter des classiques sur des tréteaux, je ne suis pas du tout dans cette filiation, explique l’autrice et metteuse en scène Clara Le Picard, qui vit et travaille à Marseille. Mais si cela consiste à inventer des dramaturgies et un langage théâtral qui soit au cœur de nos tourments et réfléchir à leur adresse, alors, oui, je m’inscris dans une démarche vilarienne.» Populaire, le travail de Clara Le Picard le serait donc non en raison d’une diffusion large ou d’une notoriété qu’il n’aura jamais, mais par la structure même de ses projets, conçus comme des flèches ici et maintenant venant percuter des préoccupations partagées. Petite forme, petite jauge où acteurs et spectateurs partagent la même lumière, respirent le même air, et bouleversement maximal : sa dernière création Changer le cadre n’a pas pour vocation de sortir des classes en lycée pro ou général dans lequel il se donne, ce qui réduit drastiquement son public. En premier lieu parce que cette fiction théâtrale sur l’empowerment et les violences sexistes et sexuelles, et dans laquelle les élèves interviennent durant la représentation et infléchissent ainsi le déroulement de la courte pièce, suppose un groupe déjà en confiance. Mais aussi car la metteuse en scène souhaite toucher un public qui pourrait être rebuté par la solennité du bâtiment et «surtout la concentration exigée». Ce que permet cette histoire d’agression lambda qui fait à chaque fois pousser aux adolescents des cris d’effroi alors qu’ils sont habitués à des scènes bien plus violentes via leurs écrans, c’est d’être confrontés ensemble au même moment à une question qui taraude filles et garçons. Trente-deux minutes de représentation, vingt minutes de discussion, la proposition aux effets didactiques n’a cependant rien à voir avec une conférence qui place les élèves dans une situation qu’ils connaissent bien : celle du cours. Clara Le Picard précise : «Je ne dis pas qu’ils se précipiteront le lendemain voir l’intégrale du Soulier de satin. Mais dans leur univers ultra connecté et très solitaire, c’est une expérience du commun qu’ils n’ont plus l’occasion de vivre, et cependant irremplaçable.» Irremplaçable : le mot est lâché qui justifie les tentatives d’hyperdécentralisation que mènent nombre de scènes subventionnées dans leur combat pour multiplier les publics – comme, celles très réussies, à la Comédie de Valence dans la Drôme, notamment. Mais cette foi dans le caractère irremplaçable du théâtre exige que la proposition scénique soit réellement remarquable. On garde le souvenir cuisant dans le Nord de la France d’une représentation devant des résidents en Ehpad dans un village, dont le but inavoué semblait surtout de faire faire des économies à la Sécurité sociale tant les spectateurs s’écroulaient un à un, assassinés par l’ennui. De plus, l’extrême segmentation des publics s’oppose à la définition du populaire, tel que le concevait Jean Vilar et le pensent encore nombre de directions de scènes et d’artistes : atteindre non pas telle ou telle catégorie ou communauté mais à l’inverse qu’elles se rejoignent et transcendent, le temps de la représentation, leurs différences. Vaine utopie alors que, comme le rappelle la sociologue Marjorie Glas (1), les classes populaires ne représentent plus qu’un pourcentage infime des spectateurs y compris dans les salles les plus emblématiques de la décentralisation ? Accepter d’éprouver l’effroi de l’incertitude Pour la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen, à la tête du Théâtre national de Strasbourg (TNS) depuis un an, on ne peut pas décemment s’intéresser à la composition d’une salle, si on ne se questionne pas sur la diversité sur le plateau et dans les écoles de théâtre. «J’ai besoin de corps, de visages, de trajectoires de vie très différents. Les tout premiers moments de répétitions sont rarement fluides car il nous faut construire cet objet commun qu’est la pièce, alors même que les membres du groupe ne se seraient jamais rencontrés sans elle.» C’est l’ancrage précis et singulier de ses récits qui assurent leur portée «populaire». A ses débuts, il y a une quinzaine d’années, se souvient-elle, «la notion de théâtre populaire était entachée de suspicion, tout comme de s’interroger sur l’adresse des spectacles». Aujourd’hui, c’est une question qu’elle pose d’emblée aux artistes : «Qui souhaiteriez-vous voir absolument dans la salle ?» Quitte à aller chercher la part de ce public manquant, non pas en autobus comme le faisait Vilar à la sortie des usines dans les années 50, mais partout dans la ville, afin, et c’est la grande différence avec l’époque vilarienne, qu’il enrichisse aussi de son expérience ce qui est montré. Hatice Ozer, qui a créé au TNS le Chant du père avec son propre père immigré turc ouvrier et chanteur, a ainsi fait le tour des kebabs à Strasbourg pour qu’il y ait des personnes qui parlent turc dans la salle. L’une des pistes de la directrice du TNS afin que chacun puisse se sentir à sa place «dans l’établissement public à visée républicaine qu’est le théâtre», est notamment «qu’on puisse parler sur scène le turc, le kurde, le vietnamien, l’arabe». Encore faut-il disposer du budget pour sous-titrer les spectacles. Un autre levier est la durée des séries. «C’est l’une des raisons qui m’ont fait postuler au TNS : les spectacles y sont joués longtemps. Les salles bougent beaucoup dès lors qu’un bouche à oreille peut s’instaurer.» On le voit, pour les artistes et les directions, le théâtre populaire n’est pas une forme dégradée ou moins exigeante à laquelle s’opposerait «la Culture». A l’inverse, des formes dites populaires comme le stand-up se théâtralisent à vitesse grand V. En témoigne Cécile, mise en scène de Marion Duval avec Cécile Laporte, performance inclassable de trois heures, invitée par le Festival d’automne et largement diffusée dans le circuit des scènes publiques cette saison. Le montrent aussi nombre de bals menés par des artistes et sur des thématiques spécifiques qui allient savoirs traditionnels et invitations chorégraphiques. Evidemment, plus le lieu du bal s’inscrit dans la mémoire des habitants, plus le bal a des chances d’être ouvert à tous et le théâtre de devenir réellement un lieu populaire. C’est le cas à Clermont-Ferrand où une partie du bâtiment du théâtre a été érigée juste après le confinement à la place de l’ancienne gare routière, ô combien fréquentée. Sous l’égide de Céline Bréant, la programmation POP, acronyme de «Projet ouvert aux populations», peut donc espérer s’incarner et revendiquer un caractère véritablement «populaire» sans pour autant multiplier les têtes d’affiche. A la tête de l’emblématique MC93 à Bobigny, Hortense Archambault, elle aussi, distingue la popularité de la notoriété. «Si être populaire, c’est être connu, le théâtre ne peut l’être, il n’est pas un art de masse. Si on estime que cela signifie travailler à rendre le théâtre accessible en pratiquant des prix très bas, en assurant des médiations, en mettant le public à l’aise, en proposant des sujets contemporains, alors la MC93 l’est.» Aujourd’hui, le public de la MC93 est constitué à 60% d’habitants de Bobigny. Hortense Archambault parle également d’irremplaçable pour qualifier ce que permet le théâtre. Encore faut-il avoir envie de se déplacer pour voir ce qu’on ne connaît pas déjà, et accepter d’éprouver l’effroi de l’incertitude. Serait-ce la raison pour laquelle les femmes et hommes politiques sont si rares à se rendre au théâtre ? Ça n’aurait aucune espère d’importance, si comme nous le disait le comédien Nicolas Bouchaud, ils ne perdaient toute idée de l’utilité du théâtre «service public». Anne Diatkine / Libération (1) Quand l’art chasse le populaire. Sociohistoire du théâtre public depuis 1945 (Agone, «L’Ordre des choses», 2023). Légende photo : «Lacrima» de Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre national de Strasbourg. (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)
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Le spectateur de Belleville
September 24, 2024 3:42 AM
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Par Lara Clerc dans Libération - 23 sept.2024 Nicolas Lambert démonte le récit colonial français au fil de sa propre histoire dans un seul en scène au théâtre de Belleville. C’est ce qu’il appelle du «théâtre d’investigation». Et pour le mettre en scène, Nicolas Lambert prend un style faussement conférencier, pour finalement retracer sa propre histoire. Celle d’un enfant né en Picardie, un petit garçon qui aime les bandes dessinées et jouer à la guerre, et qui trouve sur son chemin des traces des guerres passées. Puis d’un adulte qui découvre l’histoire de son pays, du rôle de la colonisation et de l’Empire français. Qui cherche sans relâche à comprendre ces histoires qu’on ne lui avait pas racontées, jusqu’à la désillusion. Car, comme de nombreux Français, il a grandi entouré des noms Gallieni, Faidherbe, Lyautey… Mais qui connaît les crimes que ces hommes ont commis ? Qui a désappris ce que l’on nous avait enseigné à l’école, comme le fait que «la France est en paix depuis 1945», quand bien même les guerres d’Indochine ou d’Algérie avaient lieu ? Qui connaît la longueur de la liste des «Opex» (pour «opération extérieure») menées par la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Sur un plateau nu, le comédien imite tour à tour les différents présidents de la Ve République, l’animateur de télévision Maître Capelo, les membres de sa famille, Marianne qui s’analyse sur le divan d’un psychologue… Sans rendre son discours excessivement didactique, Nicolas Lambert «déraconte» la colonisation française. Petit à petit, c’est le portrait d’une France qui ne connaît pas assez sa propre histoire qui prend forme. Celle d’un «secret de famille», comme Lambert aime à l’appeler. La France, empire. Un secret de famille national écrit, mis en scène et joué par Nicolas Lambert, jusqu’au 28 octobre au Théâtre de Belleville à Paris. Légende photo : Sur un plateau nu, Nicolas Lambert adopte un style faussement conférencier.
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Le spectateur de Belleville
September 23, 2024 6:02 AM
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Texte de présentation d'Hélène Cixous, publié dans Sceneweb le 19 sept. 2024 Nous qui sommes le public de l’an 2024, nous sommes datés. Quand a commencé notre Histoire? Il y a 3000 ans, hier, par une guerre. L’Histoire-Légende aura toujours commencé par une guerre, une révolution, la fin d’un monde, le commencement d’un monde. La Guerre de Troie et la guerre mondiale. Laquelle ? La première, la seconde, la troisième ? Un empereur massacre un peuple. Un peuple se soulève, fuit. On tue un roi. Un Français ? Ou un Russe ? Ou un Grec ? Avant. Demain matin. De ton temps, Shakespeare, c’était comment ? Selon Shakespeare, nous sommes des mouches pour les dieux. As flies to wanton boys are we to the gods. Ils nous tuent pour s’amuser. Vus par le Théâtre nous sommes des pions sur l’échiquier des Dieux : des soldats et des généraux, des rois, des esclaves, des prophètes, des mères et des orphelins, des ogres et des gibiers humains, des… L’Histoire est un cauchemar qui nous dépose sur la rive d’un autre rêve. La plupart du temps millénaire, ce nouveau rêve est un cauchemar qui répète son scénario de fatalités et de résurrections. Les continents sont baignés de sangs. Il y a toujours de nouveaux personnages mythologiques, les masques changent, les férocités se modernisent. Qui sont ces dieux bouchers ? Non, ce ne sont pas seulement des « garçons espiègles », ces hommes qui tuent pour démontrer leur violente divinité. Tous les jours nous prononçons leurs noms avec effroi et stupéfaction. Tous des Personnages hurleurs, sous leurs noms de masques, ces orateurs diaboliques s’enivrent de leurs propres paroles incendiaires. Dictateurs, chefs, tyrans totalitaires, mangeurs d’humains, cyclopes aveugles, peintres ratés, faux poètes, grands seulement par leur ambition illimitée, ils ont les armes, champions olympiques dans la pratique du Mensonge. Aujourd’hui nous les appelons l’un Poutine, ou l’autre Dragon là-bas, vous savez, Trump ? Ah, Trump oui, et celui-là ? C’est Hitler. Crois-tu vraiment, Shakespeare, qu’ils ne nous tuent que pour s’amuser. Ils veulent nous exterminer. Nous effacer de la Terre et de la mémoire. Car ces monstres sanguinaires, ce sont des hommes, c’est incroyable. C’est pour ça qu’ils nous fascinent. Ils sont incroyables et ils sont toujours là, les Grands Cruels, les Führer, Lénine, Staline, -tine, -nine, -line, -tine. Ce sont des mortels et ils veulent notre mort ! Nous ne comprenons pas pourquoi, comment, quel est le secret de leur pouvoir. Seuls, mais entourés de fascinés. Comment un homme seul peut s’emparer des âmes, comment il parle de haut tandis que les peuples en bas, se rendent au maître, lui qui se tient au-delà du bien et du mal, enchanteur, despote absolu, grand prêtre de son propre culte, créateur d’abattoirs pour troupeaux humains, fondateur du laboratoire des poisons, inventeur du totalitarisme, avaleur de continents, « Quand sa moustache rit, on dirait des cafards » « Les petits chefs grouillent autour du grand chef – la nuque frêle. Lui, parmi ses nabots, se joue de tant de zèles » Ainsi parle une mouche poète, une étincelle, le poète Mandelstam, et aussitôt on lui arrache les ailes. Et pendant ce temps, à Berlin Qu’ont-ils en commun, ces dragons, chefs des nations hostiles ? Ceux qui se partagent la haine du prochain et l’impitié pour les millions de leurs victimes ? La Cruauté. « De tout supplice sa lippe se régale ». Avec ou sans moustache, c’est toujours le même fauve forcené. Alors, tout est fichu ? Mais dans chaque pièce s’avance le miracle, là où règnent les Grands Mégalomanes se dresse un tout petit poète, un soldat de la vie, un géant par l’esprit, un fidèle au génie du droit humain, un sans peur et sans hésitation, les héros à l’humour tout-puissant, les Churchill et autres Inébranlables, et ce sont eux qui écrivent l’Histoire vraie des vainqueurs de la haine. Et dans la Voix du Théâtre, après l’asphyxie et le poison, résonnent leurs voix. Hélène Cixous, 28 juin 2024 Ici, sont les dragons Un grand spectacle populaire inspiré par des faits réels – En plusieurs époques Création de la Première Époque le 15 novembre 2024 Une création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine, en harmonie avec Hélène Cixous Première Époque 1917 : « La victoire était entre nos mains En coproduction avec le TNP – Villeurbanne Avec un soutien exceptionnel, à l’occasion de la célébration des 60 ans du Théâtre du Soleil, de la Région Île-de-France, du Ministère de la Culture et de la Ville de Paris Théâtre du Soleil représentations à partir du 15 novembre 2024 du mercredi au vendredi à 19h30 le samedi à 15h le dimanche à 13h30 ouverture lundi 14 octobre 2024
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Le spectateur de Belleville
September 22, 2024 1:28 PM
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Par Olivier Milot dans Télérama - 17 sept. 2024 Sort des migrants, IVG, genre… Par crainte de la réaction des élus, certains théâtres, en particulier en région, écartent des pièces abordant des sujets clivants. Au risque d’aseptiser la programmation. Ils en étaient là. À se réunir pour décider s’ils maintenaient ou non une pièce de théâtre pourtant programmée depuis des mois. À ressasser entre eux les questionnements alarmistes qui fusaient de tous côtés : « Vous allez vraiment la jouer ? » « Vous êtes sûr que ce n’est pas dangereux ? » « Vous avez pensé aux spectateurs? Aux comédiens ? » Alors forcément, à un moment, le doute a affleuré dans la tête des dirigeants du Théâtre des Béliers parisiens. « Et puis non, on s’est dit que tout le monde devenait fou et que nous n’allions pas le devenir aussi », se souvient un des codirecteurs, David Roussel. « Bien sûr qu’on n’allait pas s’autocensurer, et évidemment nous allions maintenir la programmation de Je m’appelle Asher Lev en janvier 2024, comme prévu. » Adaptée du roman de Chaïm Potok, Je m’appelle Asher Lev n’a rien d’un brûlot. La pièce raconte la quête identitaire d’un jeune dessinateur surdoué que son amour de l’art et du beau oppose à son père et à sa religion au sein de la communauté juive hassidique de Brooklyn. Une histoire d’émancipation au propos universel, sans lien avec Israël et la Palestine, et qui aurait tout aussi bien pu avoir pour cadre une communauté chrétienne ou musulmane. Mais au lendemain des massacres du 7 Octobre commis par le Hamas et du siège sanglant et interminable de Gaza mené par l’armée israélienne, les repères sont brouillés, la raison déraisonne, et la simple évocation des mots « Juif » ou « Palestine » suscite des réflexes ataviques de peur et d’autocensure. « La religion, tu sais, c’est compliqué… » Un directeur de théâtre Les dirigeants du Théâtre des Béliers parisiens refusent d’y céder et croient en cette création qui a emporté un franc succès au Off d’Avignon. Ils ont raison : le public suit, la critique aussi, et Guillaume Bouchède est récompensé d’un Molière du meilleur comédien dans un second rôle. Ce qu’ils n’imaginaient pas, c’est à quel point il leur serait ensuite difficile de monter une tournée en France. « À ce jour, nous avons bouclé cinq dates en 2025, explique David Roussel. J’en aurais vendu six à sept fois plus avec n’importe quel autre spectacle ayant remporté un succès similaire. » La pièce n’est pas en cause, son sujet, si. En témoignent les dénégations gênées des directeurs de salle susceptibles de l’acheter : « La religion, tu sais, c’est compliqué… » « Je ne le tente même pas, je vais me faire emmerder par mon élu. » Jusqu’à : « J’ai adoré le spectacle, mais chez moi ça ne passera pas. » « De l’autocensure pure et simple », tranche David Roussel, mue par la peur réelle ou fantasmée d’une réaction négative de certains maires ou la crainte d’un accueil hostile d’une partie du public. À lire aussi : Spectacles annulés, livres interdits… la censure exercée par l’extrême droite menace la création Je m’appelle Asher Lev est loin d’être un cas isolé. D’autres pièces prenant à bras-le-corps des questions de société ont été confrontées au même rejet à des degrés divers. C’est le cas de Coupures, mise en scène par Paul-Éloi Forget et Samuel Valensi, qui interroge la place du citoyen dans le débat démocratique, Prima Facie, de Suzie Miller, sur les fondements du système judiciaire dans les affaires de viol, La vie est une fête, mise en scène par Virginie Lemoine, autour de l’homosexualité, ou encore Je suis la maman du bourreau, avec Clémentine Célarié, consacré à la pédophilie dans l’Église. Même le surpuissant Alexis Michalik peine actuellement à vendre sa dernière création, Passeport, qui joue pourtant les prolongations à Paris. L’homme a beau être un des rares metteurs en scène à remplir des salles sur son nom en région, de nombreux programmateurs de théâtres municipaux en régie directe, dont les directions sont totalement dépendantes des élus, préfèrent passer leur tour plutôt que d’avoir à défendre une pièce sur les migrants. Comme pour leur donner raison, certains théâtres qui avaient pris des options fermes pour présenter la pièce font aussi machine arrière après l’intervention d’élus. Et pas simplement dans des municipalités détenues par le RN, comme Fréjus, mais également dans des villes de l’Ouest parisien dirigées par des maires « droite républicaine », comme Levallois-Perret, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) ou Herblay-sur-Seine (Val-d’Oise). « Au final, nous ferons une cinquantaine de dates, relativise Camille Torre, producteur chez Acmé, mais entre les villes qui n’ont pas répondu alors qu’elles avaient accueilli les précédents spectacles et celles qui se sont rétractées, ce sont 15 à 20 % de représentations en moins. » « On sent poindre la fracture entre les grandes villes et les autres, comme si une partie de nos concitoyens devait être mise sous cloche. Caroline Verdu, vice-présidente du pôle théâtre d’Ekhoscènes Ce repli vers une programmation « zéro risque », qui n’alimente ni polémiques ni controverses, fragilise tout un pan de la création en rendant plus incertaine l’économie de projets artistiques qui s’emparent des débats de société. Elle porte également en germe le risque d’une normalisation de la création au nom de la morale ou tout simplement de la crainte de déplaire. En arrière-plan, c’est un autre danger qui se profile : celui d’une France à deux vitesses, avec d’un côté Paris, Avignon et les grandes métropoles où tout pourrait se jouer, et de l’autre le reste de l’Hexagone cantonné à une programmation théâtrale aseptisée et centrée sur du pur divertissement. La situation commence à inquiéter le monde du spectacle vivant. Caroline Verdu, vice-présidente du pôle théâtre d’Ekhoscènes, principale organisation des entrepreneurs du théâtre privé, s’en est ouverte sans détour le 9 septembre au cours d’une rencontre professionnelle. « On sent poindre la fracture entre les grandes villes et les autres, comme si une partie de nos concitoyens pouvait tout voir, tout entendre, et une autre devait être mise sous cloche, préservée. Mais préservée de quoi, au juste ? De la culture, de la diversité, du féminisme, de l’homosexualité, de l’inclusion, du partage ? Une partie de la population française ne devrait plus avoir accès qu’au pur divertissement ? C’est infantilisant, bêtifiant, méprisant pour certains de nos concitoyens. » Cette autocensure grandissante ne vient pas de nulle part. Partout les mêmes témoignages attestent d’un interventionnisme croissant et de plus en plus insistant des élus. Difficile d’y résister, surtout pour ceux qui sont à la tête de théâtres en régie directe ou de scènes locales financièrement dépendantes des collectivités locales. Pour les uns et les autres, l’autocensure constitue souvent le premier pas vers la « servitude volontaire ». De guerre lasse, certains finissent par franchir le Rubicon. « Ils ne se sentent plus de lutter et, dans un processus insidieux, lâchent sur l’essentiel en passant d’une présentation de leur programmation aux élus pour information à une présentation pour validation », explique Vincent Roche Lecca, coprésident du Syndicat national des scènes publiques. Les collectivités posent de plus en plus d’exigences en échange de leur financement. Claire Moreau, déléguée générale du Syndicat national des arts vivants. Le rapport de forces est parfois violent et toujours inégal. « Si je n’acceptais pas le cadre politique qu’on m’imposait, mon mandat de trois ans n’était pas renouvelé », raconte une directrice de théâtre pétrifiée à l’idée que son témoignage ne l’identifie. « Soit on part, soit on essaye de se battre de l’intérieur. J’ai fait ce choix. C’est une position quotidiennement inconfortable. On est obligé de baisser la tête, de trouver constamment des compromis. Je vis une autocensure permanente dans mes choix artistiques, ma programmation, ma communication. Je m’interdis certaines thématiques comme l’IVG ou les migrants. Je suis dans la recherche perpétuelle d’un politiquement correct qui n’existe pas. » Une posture qui s’est même traduite un temps par l’acceptation de ne plus travailler avec une compagnie dans le viseur de certains élus du département. L’autocensure n’est pas le propre des théâtres, elle affecte tout l’écosystème de la culture. Dans une économie où l’argent se raréfie, les compagnies ou les artistes qui veulent monter des spectacles ont de moins en moins les moyens de s’opposer aux conditions de ceux qui les financent. Et elles se durcissent. « Le maniement de la subvention devient de plus en plus politique », atteste Claire Moreau, déléguée générale du Syndicat national des arts vivants. « Notre rapport avec les collectivités est déséquilibré. Elles posent de plus en plus d’exigences en échange de leur financement. Nous basculons dans une logique d’offre de prestations où la dimension culturelle d’un projet compte moins que de proposer un projet qui plaît. Notre démarche artistique s’affaiblit jusqu’à parfois disparaître. Et c’est à cet endroit que s’inscrit l’autocensure. » Pour éviter d’en arriver là, certaines compagnies de théâtre de rue réinventent l’écriture de leurs spectacles. « Elles abandonnent un discours narratif unique en multipliant les points de vue sur un sujet ou une situation donnée », explique Judith Pavard, directrice artistique de la Compagnie Koshka Luna et coprésidente de la Fédération nationale des arts de la rue. « Cet artifice leur permet de n’imposer aucun point de vue propre et de ne froisser personne. » Au risque d’y perdre un peu de leur âme. « Le théâtre de rue s’est policé et a perdu de son esprit carnavalesque, reconnaît Judith Pavard. Il s’autocensure en se cantonnant de plus en plus dans un rôle de divertissement consensuel, et non d’empêcheur de tourner en rond, ce qui est pourtant le propre de l’art. La fragilité des compagnies nous y contraint. Qui parmi elles peut encore se risquer à aborder des sujets qui prêtent à controverse ? » Légende photo : Même le dramaturge populaire Alexis Michalik peine à vendre en région « Passeport », sa pièce centrée sur le sort des migrants (avec Brenda Broohm et Clyde Yeguete). Alejandro Guerrero
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Le spectateur de Belleville
September 20, 2024 12:21 PM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 20 septembre 2024 Ce lieu, situé dans l’ancien Théâtre de Ménilmontant, dans le 20ᵉ arrondissement, propose quelques créations et des spectacles déjà joués dans le « off » du Festival d’Avignon. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/20/les-gemeaux-parisiens-la-nouvelle-scene-avignonnaise-de-la-capitale_6325488_3246.html
Décidément, les ponts entre le « off » du Festival d’Avignon et le théâtre privé parisien ne cessent de se multiplier. Après La Scala, Les Béliers, La Reine blanche, l’Essaïon et Théâtre actuel, c’est au tour des Gémeaux d’avoir, sous la même appellation, une adresse dans la cité des Papes et une autre à Paris. Jeudi 19 septembre, Serge Paumier et Nathalie Lucas ont lancé la première saison du nouveau Théâtre des Gémeaux parisiens. En 2019, ce couple créait le Théâtre des Gémeaux en plein cœur d’Avignon, une adresse très vite repérée par le public du festival « off ». Désormais, cet entrepreneur et cette comédienne ont acquis – par le biais d’un bail emphytéotique de trente-cinq ans, dont le montant reste secret – l’ancien Théâtre de Ménilmontant. Connu sous ce nom depuis 1957 et fermé en 2018 pour des questions de sécurité et de défaillances financières, ce lieu implanté dans le 20e arrondissement de Paris était jusqu’alors la propriété de la congrégation des Salésiens de Don Bosco et accueillait, outre des spectacles, des associations de quartier. Derrière une façade inchangée, recouverte d’une belle fresque rouge carmin représentant des rideaux de scène drapés, le bâtiment a été entièrement rénové et abrite une salle de trois cents places, à quelques centaines de mètres du Théâtre national de la Colline et du théâtre municipal Les Plateaux sauvages. Sept spectacles sept jours sur sept « C’est notre ami Eric Laugérias, comédien et metteur en scène, qui donnait des cours d’élocution aux curés de Don Bosco, qui nous a mis en contact avec les propriétaires du Théâtre de Ménilmontant », explique Serge Paumier. Après deux ans de travaux d’un coût de 2 millions d’euros, le Théâtre des Gémeaux parisiens ouvrira ses portes sept jours sur sept et proposera sept spectacles d’ici à la fin décembre, dont bon nombre de récits historiques, amplement rodés et souvent passés par Avignon. Le Petit Coiffeur, succès depuis quatre ans de Jean-Philippe Daguerre (auteur d’Adieu Monsieur Haffmann), revisite l’histoire de la tondue de Chartres. Le Choix des âmes, de Stéphane Titeca, pièce qui tourne depuis dix ans en province et arrive pour la première fois à Paris, réunit un soldat allemand et un français dans un trou d’obus lors de la première guerre mondiale. Les Mesguich père et fils, Daniel et William, jouent, à nouveau, la conversation entre Pascal et Descartes, mais aussi Le Souper, soit la rencontre décisive du 6 juillet 1815 entre les ministres Fouché et Talleyrand. Au rang des créations, on reste dans le XIXe siècle avec l’adaptation du Père Goriot, d’Honoré de Balzac, par David Goldzahl, avec, notamment, Delphine Depardieu. Et, pour la touche d’éclectisme et de contemporanéité, on note la reprise de Formica, adaptée de la bande dessinée de Fabcaro. Mise en scène par Amélie Etasse – connue des téléspectateurs pour son rôle dans Scènes de ménages, sur M6 – et Clément Séjourné, cette chronique familiale en forme de satire sociale, loufoque et absurde, avait attiré un large public à Avignon en 2023. Dans une capitale qui concentre plus de cent trente théâtres, la concurrence ne semble pas faire peur aux nouveaux propriétaires des Gémeaux parisiens. « Dans le 9e arrondissement, il y a vingt-trois théâtres pour 60 000 habitants, et, dans le 20e, quatre théâtres pour 190 000 habitants. Donc il y a de la place », calcule Serge Paumier, qui table aussi sur la proximité des habitants de Vincennes (Val-de-Marne) et de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Il espère même, à terme, transformer la chapelle, située à l’étage supérieur du bâtiment, en lieu de spectacle. Et négocie pour récupérer les deux autres salles d’une centaine de places que comptait l’ancien Théâtre de Ménilmontant. Théâtre des Gémeaux parisiens, 15, rue du Retrait, Paris 20e. Tarifs de 10 euros (offre de lancement) à 35 euros. Theatredesgemeauxparisiens.com Sandrine Blanchard/ LE MONDE Légende photo : Nathalie Lucas et Serge Paumier, directeurs du Théâtre des Gémeaux parisiens, rue du Retrait, à Paris (20e), le 4 septembre 2024. FABIENNE RAPPENEAU
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Le spectateur de Belleville
September 20, 2024 10:23 AM
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Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 19 sept. 2024 Dans « La Chambre rouge (fantaisie) », conçue avec Marie Dilasser, l'acteur-metteur en scène nous offre un voyage baroque dans la tête d'un vieil enfant en rupture de ban. Le texte, les effets, le jeu des trois comédiens en scène, tout surprend et saisit dans ce fabuleux cabaret psychique à l'affiche du théâtre lyonnais. Le monde est vieux. Violent. Injuste. De plus en plus désespérant et bruyant. Les souvenirs s'empilent et, au lointain, flottent les fantômes des vieux amants. Il est temps de fermer le ban. De s'enfermer dans une chambre isolée et de n'en plus sortir : une « chambre rouge », rouge de l'amour, des backrooms, de la révolte et du sang… C'est ce qu'a décidé Moi, héros de la pièce écrite par Marie Dilasser pour - avec - Michel Raskine, tout juste créée au Théâtre des Célestins à Lyon. Un spectacle en tout point baroque et saisissant. Moi, c'est Michel Raskine… et ce n'est pas lui. Un homme revisite son passé, rejoue ses fantasmes à la lumière du crépuscule. De Molière à Beckett, de Ravel à Britney Spears, les citations/ inspirations sont légion dans ce grand jeu de mots qui déroute et captive. L'acteur-metteur en scène a tant vécu, tant aimé, tant vibré au gré des textes et des révolutions du théâtre… Tout peut-il entrer dans sa boîte écarlate ? Jouer au Misanthrope en tout cas n'est pas une sinécure. Moi est sans arrêt dérangé… Dérangé par Mitou, clown sexuel un peu maso qui surgit à tout moment pour remettre des lettres d'anciens amants éperdus. Rappelé à l'ordre par la mère morte, combattante dans la vie comme dans l'au-delà, qui rappelle aux vivants endormis l'enfer des camps nazis. Bousculé enfin par Lado, juvénile trublion qui préfère les comédies musicales au théâtre et qui se fait un plaisir de titiller le « vioque » … Que de monde et quel aréopage pour entrer en solitude ! Raskine joue lui et Moi avec une telle intensité tragique que l'on croit dur comme fer à son drôle d'enfer. On adopte ses fantasmes et ses démons séduisants. Antoine Besson (Mitou) défie les héros de cartoon, avec sa présence, son élasticité et sa malice. Marief Guittier, complice de toujours du metteur en scène, prête sa voix sublime au fantôme de la mère. Avec l'insolence d'un Puck sorti du « Songe » de Shakespeare, Hugo Hagen (Lado) mène sa courte danse avec une grâce infinie. Car ce spectacle est riche en moments de grâce. Telle cette séquence hors du temps et de l'espace dans laquelle Raskine/Moi ondule sur des notes de Scarlatti dans un carré de lumière bleue évoquant la piscine de son enfance. « J'aimais les maîtres-nageurs dans la piscine. J'aurais aimé qu'un maître-nageur me sauve de la noyade ». Le bleu de l'âme prend le pas sur le rouge du coeur et des humeurs. Metteur en scène inventif et foisonnant, Michel Raskine émaille son vrai faux monologue de petits gestes et d'effets malins qui confèrent au spectacle son côté cabaret psychique. Alternance de calme et de folie, porte et fenêtre qui s'ouvrent sur le vide ou sur une forêt, musiques venues de nulle part… Simple décor fait de cloisons peinturlurées, la chambre rouge est à la fois palais des mirages, boîte à musique et boîte de pandore. A la fin du spectacle, le vieil enfant perdu qui fête son énième anniversaire devra choisir s'il doit rester ou partir, renoncer ou combattre. Suivre ou non la voix de sa mère : « La vie sert à vivre, pas à faire le mort ». LA CHAMBRE ROUGE (FANTAISIE) de Marie Dilasser Mise en scène de Michel Raskine A Lyon, Théâtre des Célestins www.theatredescelestins.com/fr Jusqu'au 29 septembre. A Dunkerque (Le Bateau de feu), les 10 et 11 octobre Durée : 1 h 15 Philippe Chevilley / Les Echos Légende photo : Michel Raskine (Moi), entouré d'Antoine Besson (Mitou), à gauche, et d'Hugo Hagen (Lado), à droite. (© Marion Bornaz)
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Le spectateur de Belleville
September 19, 2024 12:48 PM
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Par Mohamed Berkani, journaliste de Francetv.info- Service Culture, publié le19 septembre 2024 La metteuse en scène et autrice Géraldine Martineau signe une pièce drôle et émouvante au théâtre du Palais-Royal. La comédienne Estelle Meyer est exceptionnelle de liberté et d'audace.
Estelle Meyer dans le rôle de Sarah Bernhardt au théâtre du Palais-Royal. (FABIENNE RAPPENEAU) C'est une pièce menée tambour battant, sans aucun moment de flottement ou de respiration. Tout va vite, tout s'enchaîne avec une grande fluidité. Les comédiens réunis par Géraldine Martineau, qui met en scène son propre texte, sont tous convaincants. Estelle Meyer est exceptionnelle dans L'Extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt au théâtre du Palais-Royal, à Paris, jusqu'au 31 décembre 2024. La jeune chanteuse et comédienne installe la complicité avec le public dès la première minute grâce à une savoureuse anecdote. Le ton est donné : la pièce sera festive, libre, généreuse et résolument féministe. Il en fallait du bagout pour interpréter la tragédienne que Jean Cocteau qualifiait de "monstre sacré". Estelle Meyer est Sarah Bernhardt, dans ses fêlures, ses excès, ses excentricités… "Quand j'ai lu les mémoires de Sarah Bernhardt, Ma double vie, j'ai été fascinée par cette femme, par son destin exceptionnel, son avant-gardisme. Je suis passionnée par les mémoires, les biographies, car j'aime appréhender la psyché d'une personne par la somme de ses choix, de ses rencontres et de ses hasards. J'ai immédiatement eu envie de raconter celle de Sarah", explique Géraldine Martineau, dans sa lettre d'intention. La vie de Sarah Bernhardt, résumée en 1h45 sur scène, est fascinante. La tragédienne a fait de sa vie une œuvre d'art, s'arrange parfois avec la réalité, s'engage pour des causes : elle défend Louise Michel, soutient Émile Zola lors de l'affaire Dreyfus, se rend au front en 1916… Et finalement, elle devient la première "influenceuse au monde", en étant une vedette adulée, à l'origine du star-système. Son unique passion reste le théâtre, toute sa vie durant malgré les difficultés. Amputée à plus de 70 ans de la jambe droite, elle continue à jouer, allongée ou assise, d'où son surnom de "Mère la Chaise". Surnom qui rejoint une longue liste composée aussi de la "Divine" ou la "Scandaleuse". Car Sarah Bernhardt est entière, sans concession aucune. "Ce qui me plaît le plus, c'est que Sarah est une femme forte, ambitieuse, libre et jusqu'au-boutiste. Elle ne s'est pas construite grâce aux hommes ou dans l'ombre d'un homme", observe Géraldine Martineau. Dans un décor ingénieux, dix artistes interprètent 35 personnages. De l'adolescente arrivant chez sa mère demi-mondaine à Paris à la tournée américaine, en passant par ses tumultueux passages à Comédie-Française, Géraldine Martineau revient magistralement sur un parcours atypique d'une femme extraordinaire et extravagante. Sarah Bernhardt ne fait rien comme les autres : elle dort dans un cercueil et immortalise le moment, offre un alligator à son fils, transforme le théâtre l'Odéon en hôpital... Sa devise : "Quand même !" L'Extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt est un fantastique voyage. Il sera désormais difficile d'imaginer Sarah Bernhardt sans avoir Estelle Meyer à l'esprit. La fiche Texte et mise en scène : Géraldine Martineau Distribution : Estelle Meyer, Marie-Christine Letort, Isabelle Gardien, Blanche Leleu, Priscilla Bescond, Adrien Melin, Sylvain Dieuaide, Antoine Cholet, Florence Hennequin et Bastien Dollinger Durée : 1h45 Lieu : théâtre du Palais-Royal, 38 rue de Montpensier, 75001 Paris Dates : jusqu'au 31 décembre 2024 Lien vers le Théâtre du Palais-Royal : https://www.theatrepalaisroyal.com/Spectacles/lextraordinaire-destinee-de-sarah-bernhardt/ Mohamed Berkani - France Télévisions - Rédaction Culture légende photo : Scène de "L'Extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt" au théâtre du Palais-Royal. (FABIENNE RAPPENEAU)
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Le spectateur de Belleville
September 18, 2024 3:51 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 17 septembre 2024 L’auteur et metteur en scène, qui signe avec « Portrait de famille, une histoire des Atrides » l’un des meilleurs spectacles de la rentrée, cultive l’éclectisme et se plaît à transformer la scène en espace de plaisir et de joie.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/17/jean-francois-sivadier-accoucheur-des-possibles-de-l-acteur_6321963_3246.html
A l’heure de parler de Jean-François Sivadier, on se retrouve face à un paradoxe. L’homme est à la fois transparent en apparence et énigmatique. Lumineux et semblant préserver jalousement ses zones d’ombre et de secret. Sa présence, minérale, massive, habite l’espace, banal, où il a donné rendez-vous, tout en se dissolvant de manière aérienne et rêveuse. Il est l’un des plus grands metteurs en scène français de théâtre et d’opéra, l’un des plus célébrés, doublé d’un auteur, mais… Mais quoi ? Il échappe, y compris à ses proches, qui témoignent de cette dimension insaisissable. En attendant, l’impétrant signe l’un des meilleurs spectacles de la rentrée, avec ce Portrait de famille, une histoire des Atrides, à voir au Théâtre de la Commune (jusqu’au 29 septembre), à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), puis en tournée partout en France jusqu’à la fin de la saison : quatre heures de plaisir chimiquement pur, qui retournent les spectateurs comme une crêpe entre rire et effroi. Le spectacle, créé avec une promotion d’élèves-acteurs du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, s’offre comme une quintessence de son art de metteur en scène-auteur, où les paradoxes dansent la sarabande, entre tragédie et comédie, théâtre savant et fête populaire, énergie fracassante et mélancolie. « Espace de liberté » Est-ce parce que le théâtre lui colle à la peau depuis toujours ou presque qu’il peut ainsi en faire un vaste terrain de jeu où tout est possible, pour la plus grande joie des spectateurs ? « Je ne sais pas ce qui a tissé cette fibre artistique qui nous a contaminés, mon frère [Pierre-Michel Sivadier, pianiste, compositeur, chanteur et auteur] et moi, s’interroge-t-il. Peut-être s’est-elle formée dans un épisode un peu mythique de notre famille : avant notre naissance, nos parents ont sillonné l’Afrique centrale, de village en village, avec leur petite entreprise de cinéma ambulant. » Quand les deux frères Sivadier naissent, l’aventure est terminée, qui laisse sans doute ses effluves de nostalgie. Les parents gèrent un garage station-service au Mans. Du plus loin qu’il s’en souvienne, Jean-François Sivadier a créé des pièces pour marionnettes dans sa chambre et fondé un club théâtre à l’école dès l’âge de 10 ans. Premier spectacle : une adaptation de Peau d’âne, assortie d’imitations de Claude François. Cet éclectisme et ce goût pour la variété française seront toujours là, au fil d’un parcours où le théâtre a été comme un ventre maternel qu’il n’a plus jamais quitté. Jouer, mettre en scène, écrire, associer théâtre et musique, tout était là depuis le départ. « Le spectacle, c’était un espace de liberté incroyable, un peu transgressif. Une manière d’être au monde plus intense, plus déraisonnable, plus folle », note-t-il. A partir de là, il a traversé des univers de théâtre très différents, qui semblent s’être agrégés pour former sa propre pelote, dans cette ville du Mans où, dans les années 1980, se côtoient le classicisme du metteur en scène André Cellier (1926-1997), qui dirige le Centre théâtral du Maine, et la radicalité du Théâtre du Radeau, avec l’artiste François Tanguy (1958-2022) à sa tête. Le Mans où, surtout, une météorite du théâtre français commence à débouler : Didier-Georges Gabily (1955-1996). L’auteur et metteur en scène, à la fois star et un peu maudit, est l’un des trois grands dramaturges apparus dans ces années 1980, avec Koltès et Lagarce, mais c’est aussi le moins connu, en raison de sa mort prématurée, à 40 ans. « Sa rencontre a changé ma vie et ma vision du théâtre, assure Jean-François Sivadier. Il avait un rapport au texte, à la langue, à la prise de parole totalement différent de l’approche classique. Quelque chose d’archaïque, de “tripal”, de tribal, d’organique. Un rapport au corps qui faisait qu’on était toujours d’une certaine manière en train de danser. Il nous dirigeait comme des danseurs, lourds, puissants, un peu comme des monstres. Il n’expliquait rien, mais il portait sur nous un regard on ne peut plus amoureux et intense : on commençait un mouvement, et lui le continuait, nous suggérait sa suite, et c’était exactement ce qu’on avait envie de faire sans le savoir. Il mettait les acteurs au centre et les rendait immenses. C’est vraiment ce que j’ai gardé de lui : quelque chose de l’ordre d’un accoucheur des possibles de l’acteur. » « Fête du plateau » Jean-François Sivadier a fait mieux que retenir la leçon. Après la mort de Gabily, en 1996, il aurait pu se contenter d’être l’héritier en chef de cette étoile filante. Mais il avait d’autres désirs. Celui d’un théâtre plus ludique, plus joyeux, plus composite, notamment. « Le rapport au plaisir, il est fondamental pour moi. Brecht explique très bien à quel point le plaisir au théâtre est un outil de travail, qui permet au spectateur de rentrer dans la fable et dans les personnages. Et je me dis toujours qu’il y a peut-être un enfant de 10 ans dans la salle, qui ne va pas forcément comprendre telle pièce de Shakespeare ou d’Ibsen, mais qui, en éprouvant cette fête du plateau, pourra avoir un chemin avec le théâtre. Ce qui fait la principale particularité du jeu dans mes spectacles, c’est que le plaisir et la joie de prendre la parole sont le premier enjeu. » Alors ce grand admirateur d’Antoine Vitez et d’Ariane Mnouchkine a inventé son propre théâtre, un théâtre où les cloisons tombent entre les acteurs et les spectateurs, qui sont convoqués comme des participants actifs à la représentation – sans qu’il s’agisse aucunement de théâtre participatif. « C’est une façon de mettre en scène le public tout en respectant sa place de public, détaille-t-il. De titiller sa capacité, son désir de jouer. Michel Bouquet disait que, au théâtre, on ne va pas assister à une représentation, mais jouer la représentation avec les acteurs. C’est tellement vrai… C’est une façon de dire aux spectateurs qu’on n’est pas là parce qu’on a un produit à leur montrer, mais pour faire une expérience qui ne peut advenir que parce qu’ils nous regardent. Cette idée de faire de la représentation un moment d’expérience, c’est un moteur extraordinaire : il s’agit de montrer les hypothèses que l’on met en jeu, plutôt que de définir une logique du comportement des personnages, et de créer un espace qui n’est qu’un décor, des accessoires qui ne sont qu’accessoires. On fuit alors l’illustration pour mettre en jeu l’énergie que l’on prête aux auteurs, la joie de leur geste originel d’écriture. » Ce postulat mené tambour battant a produit nombre de spectacles réjouissants, qu’il s’agisse de pièces personnelles comme Italienne avec orchestre (1997) ou Sentinelles (2021), ou des mises en scène de grands classiques de Molière, de Shakespeare ou de Brecht. Des spectacles où, toujours, se mêlent le tragique et le comique, qu’il s’agisse d’injecter toute la dimension dérisoire et folle de l’humain dans La Mort de Danton (2005) ou dans Le Roi Lear, ou de gratter l’abyssale noirceur de Feydeau tout en laissant le public plié en deux de rire, dans une Dame de chez Maxim (2009) d’anthologie. Ce mix and match comico-tragique a pu être reproché au metteur en scène, qui l’assume pourtant totalement, de même que le travail sur le clown, qui sous-tend son parcours et celui de ses acteurs, Nicolas Bouchaud en tête. « On ne parle pas là du clown à nez rouge, mais de ce qu’il en est pour un acteur de trouver son clown, précise-t-il. C’est comme un garde-fou : le meilleur moyen d’aller très loin dans la tragédie ou dans une figure d’une extrême violence, c’est d’avoir son clown en tête. D’avoir conscience qu’on pourrait faire la même chose de manière dérisoire, ridicule, grotesque. C’est lié à notre manière de mettre en jeu le rapport au public, aussi : les spectateurs savent très bien que, dans la vie, la comédie et la tragédie sont inextricablement mêlées. Pourquoi voudrait-on qu’au théâtre elles soient séparées ? » Dont acte, avec ces Atrides en folie qu’est Portrait de famille. Jamais on n’avait autant ri devant la tragédie grecque. Et jamais, pourtant, on n’avait aussi bien compris l’enchaînement fatal des violences et des vengeances, en son mélange indissoluble d’intime et de politique. « Les Atrides parlent de toutes les formes de guerre, observe Jean-François Sivadier : entre les hommes et les dieux, entre les peuples, entre parents et enfants, frères et sœurs, hommes et femmes… Il y a en eux un motif universel, qui est celui de la famille comme premier foyer du rapport à l’autre, du traumatisme. Mais, pour autant, on est au théâtre et nulle part ailleurs, donc dans le jeu. Le philosophe Jacques Rancière dit que l’art n’est pas politique quand il essaie de retranscrire les conflits du monde mais, au contraire, quand il s’en écarte : en s’écartant, il leur donne plus de présence. » Le paradoxe est bien le motif central du théâtre de Sivadier, tout autant que de sa personne. « Il y a chez lui une forme d’opacité, confirme son ami Nicolas Bouchaud, qui le connaît depuis plus de trente ans. Il garde une part d’enfance, d’innocence, et je crois que le mystère qui l’entoure sert à cela, à défendre ce noyau de l’enfance. » Fabienne Darge / LE MONDE Légende photo : Jean-François Sivadier, à Paris, le 9 septembre 2024. ADRIENNE SURPRENANT/MYOP POUR « LE MONDE »
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September 17, 2024 10:57 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 14 sept. 2024 Pour L’Avare de Molière mis en scène par Clément Poirée, le public est invité à apporter les vêtements et accessoires qui vont servir aux comédiens. Source de rires, de gags. Mais rien qui puisse empêcher la troupe excellente de servir le chef-d’œuvre. Et rien pour distraire l’interprète du rôle-titre. Il impressionne.
De « A » comme aiguilles ou argile, à « V » comme vaisselle ou veste, en passant par papier, lampe, casserole, drap, on accepte tout à l’entrée du plateau de la salle Jean-Marie-Serreau, au Théâtre de la Tempête. Aussitôt déposées, les pièces sont triées et jetées dans des caisses de carton et d’autres, installées sur les étagères d’armoires ouvertes, métalliques et mobiles. Ces meubles sont tout le décor. Les interprètes, qui nous accueillent en petites tenues blanches, choisissent les vêtements ou étoffes qui pourront habiller leur personnage. Harpagon ne participe pas à cet exercice de déguisement. On l’a vu passer. Il a disparu en coulisses. Tandis que chacun tente de composer son costume, une femme en nuisette, micro à la main, détaille l’arrivée des objets, commente les essayages. Une vraie bonimenteuse, une fausse Madame Loyale. Elle est celle que Molière désigne comme « femme d’intrigue », Frosine. Ici incarnée par l’épatante Anne-Elodie Sorlin, l’une des fondatrices de la compagnie Les Chiens de Navarre. Son énergie chaleureuse illumine ce prologue. Tout démarre. Molière est là, formidable. Voici que se parlent les amoureux, survoltés et contrariés. Une comédie en prose, L’Avare, et qui date de 1669, mais semble, sur bien des points, s’adresser au pur présent de nos sociétés. De l’appel (paradoxal) à la décroissance, à l’incapacité des plus âgés à céder la place aux jeunes, on peut être ici et maintenant. C’est joué juste et vif, sensible. Drôle bien sûr, aussi. Et l’on n’oublie pas de rire dans cette version un peu désordonnée, apparemment, déjantée, mais qui est d’une stricte fidélité à l’écriture de Molière et n’écrase en rien les scènes et les dialogues aussi efficaces qu’irrésistibles. Clément Poirée ne perd jamais le fil de la comédie ; il a réuni de très bons acteurs, jeunes le plus souvent. Ils sont à la fois très à l’aise dans le comique, et très fins dans la sensibilité. Tout le monde est sur le plateau. Comédiens, techniciens-comédiens, tout est dans le partage, l’entente, la fusion. Citons Mathilde Auneveux, Elise, Pauline Bry-Martin ou Sylvain Dufour, maquillage et La Merluche, Pascal Cesari, Cléante, Erwan Creff ou Caroline Aouin, scénographie, Yan Dekel, régie générale et Brindavoine, Stéphanie Gibert assistée de Farid Laroussi, musique, son, Pauline Labib-Lamour, collaboration artistique, Emilie Lechevalier ou Solène Truong, habillage et Dame Claude, Virgil Leclaire, La Flèche, Nelson-Rafaell Madel, Valère, Laurent Ménoret, Maître Jacques, Maître Simon, Marie Razafindrakato, Marie, Hanna Sjödin ou Camille Lamy, pour les costumes, Guillaume Tesson ou Marine David, lumières. La représentation brille de mille et une trouvailles de jeu, de mise en scène, de clins d’œil. La machine est lancée à toute allure : nous avons assisté à la première représentation publique, et l’on ne peut que saluer la virtuosité joyeuse du groupe, son engagement dans la centrifugeuse des cinq actes qui s’apaisent en un dénouement de conte de fées : retrouvailles d’un père, d’un frère, d’une sœur… Le groupe : les comédiens, mais aussi toute la bande des techniciens, maquilleurs, chargés de son, de la musique, des lumières, etc…, et qui vont et viennent ici. Mais avant cela, il aura fallu en passer par la violence d’Harpagon, dévorateur d’enfants, sa maladie d’avaricieux forcené, son aveuglement narcissique qui lui fait désirer la très jeune femme que son fils a élue, sa hargne destructrice, sa solitude amère, sa panique épouvantable si sa chère cassette disparaît. Il aura fallu découvrir Harpagon. Cet Harpagon arraché à l’histoire des interprètes, de Molière lui-même à Michel Bouquet en passant par Charles Dullin. Un très grand Harpagon, impressionnant dans la peur qu’il inspire, comme dans la rage, bouleversant dans la perdition du petit enfant inconsolé, qu’il est aussi. Un être humain. John Arnold est magnifique, qui joue, des années après ses débuts, en face, chez Ariane Mnouchkine, au Théâtre du Soleil, petit jeune homme dans Méphisto, d’après Klaus Mann, en 1979, cette partition dont son maître au Conservatoire et dans la vie, Michel Bouquet, fit une immense création, sous la direction de Pierre Franck. Dans cette production de 1989, John Arnold était Cléante. Le fils maltraité… Courez, courez, courez à la Tempête. Quant aux objets que vous apportez, ils sont tous remis ensuite à l’une des très grandes ressourceries solidaires de Paris, La Petite Rockette. Rien ne se perd ! Théâtre de la Tempête, du mardi au samedi à 20h00, dimanche à 16h00. Durée : 2h30 (compte tenu de l’installation). Jusqu’au 20 octobre. Tél : 01 43 28 36 36. Adresses : La Rocquette Père Lachaise (11ème), La Rocquette Mongallet (12ème) et aussi « La Trockette », café-atelier et restaurant anti-gaspi de quarante couverts. La Cyclette (11ème), atelier vélo participatif et solidaire. La Cadette (12ème), friperie solidaire et atelier de réparation. Armelle Héliot Légende photo : John Arnold en Harpagon -Crédit © Agathe Poupeney
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October 2, 2024 11:16 AM
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Par Marie-Céline Nivière dans L'Oeil d'Olivier - 2 oct. 2024 Le nouveau directeur du Quai à Angers, Marcial Di Fonzo Bo met en scène remarquablement la pièce de Rebekka Kricheldorf, une magnifique variation contemporaine autour des Trois sœurs de Tchekhov. Avec Dolorosa, trois anniversaires ratés, la dramaturge allemande, Rebekka Kricheldorf et le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo dépassent le simple exercice de style. En s’appuyant sur l’œuvre du dramaturge russe, et en la transposant à notre époque, ils les font brillamment dialoguer pour explorer ce qui ne change pas : l’espoir ! L’être humain est-il capable de trouver sa place dans un monde qu’il rêve de voir un jour, meilleur, sans toutefois agir pour cela ? « Un temps viendra, tout le monde comprendra à quoi ça sert, tout ça… mais, pour l’instant, il faut vivre… » La pièce de Tchekhov s’ouvrait sur la fête de l’anniversaire d’Irina. La petite dernière de la famille Prozorov. Celle de Rebekka Kricheldorf démarre de même. Pour inscrire le temps qui passe et dérègle cette famille dominée par l’ennui, le Russe faisait défiler les militaires. L’Allemande va, elle, enchaîner trois anniversaires d’Irina, ses 28, 29 et 30 ans. Trois fêtes qui sont immanquablement et prodigieusement ratées. L’idée est ingénieuse, car ces périodes charnières dans une vie permettent de bien marquer le temps qui file et les rêves qui s’effilochent. D’autant plus qu’Irina ne semble pas très motivée pour entrer enfin de plain-pied dans la vie active. Car pour cela il faut travailler et aimer ses congénères ! Olga, Irina, Macha et Andreï Freudenbach sont des gosses de riches qui vivent dans « une ville,…, grossière et arriérée » d’Allemagne. Ils portent ces prénoms parce que leurs parents « étaient des snobs cultureux » ! Ces derniers sont morts dans un accident de voiture, leur laissant, non pas un « tas de pièces d’or comme Picsou », mais uniquement une maison qui tombe en ruine, la villa Dolorosa. Comment peut-on vivre heureux dans un lieu baptisé Douleur ? « D’ici à deux cents, trois cents ans, la vie sur terre sera incroyablement belle, éblouissante. » Comme chez Tchekhov, l’éternelle célibataire Olga (éblouissante Marie-Sophie Ferdane) travaille dans l’enseignement et s’étiole au fil des ans. L’autrice opère un petit changement, avec les deux autres sœurs. Macha (incroyable Elsa Guedj) devient la benjamine qui, par peur de la solitude, a épousé un homme qu’elle n’aime pas et que l’on ne verra jamais. Irina (étonnante Camille Rutherford) devenue la cadette, est une éternelle adolescente qui ne parvient pas à achever ses études. Quant à Andreï (truculent Alexandre Steiger), l’aîné choyé par ses sœurs, il a juste tronqué son violon pour l’écriture. De tout le petit monde qui traînait dans la maison des Prozorov, il n’en restent que les avatars de Natacha et d’Alexandre Ignatievitch Verchinine. La première apparaît sous les traits de Janine (cocasse Juliet Doucet) la fille du coin, timide et vulgaire, qui en épousant Andreï change de condition sociale. Et le second revient dans le fidèle ami Georges (émouvant Jean-Christophe Folly) qui se pointe à chaque anniversaire. Dispensant ses visions de l’avenir, il aime philosopher sur l’avenir et tombe amoureux de Macha qui sait l’écouter. Une belle célébration Marcial Di Fonzo Bo s’est emparé avec maestria de l’œuvre de Rebekka Kricheldorf. Cet héritier des « Argentins de Paris » (Copi, Jorge Lavelli, Alfredo Arias, Marilù Marini) possède un sacré sens d’analyse des relations humaines et de leurs dysfonctionnements. En plaçant l’action dans l’immense pièce principale, qui se vide un peu plus chaque année, pour finir en salle de jeu pour les enfants, le metteur en scène inscrit bien cet « incendie » qui a consumé les espérances des personnages. En ouvrant et en refermant la pièce, avec des passages de la pièce originale, Di Fonzo Bo fait ressortir toute la puissance de l’univers de la dramaturge. Il laisse aussi aux spectateurs, le plaisir exquis de jouer avec ce vertigineux jeu de miroirs ! Sa direction d’acteurs fait vraiment feu de tout bois. Tel un chef d’orchestre, il s’est servi des corps et des voix bien particulières de ces comédiennes et comédiens. Ces formidables instruments qui forment un ensemble choral font vibrer la partition de cette œuvre magnifique. Après Angers (Le Quai), où il reviendra, le spectacle passe par Bordeaux (TnBA), Paris (Le Rond-Point) et Rennes (TNB). À vos agendas ! Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Angers Dolorosa, trois anniversaires ratés de Rebekka Kricheldorf Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire Cale de la savatte 49100 Angers création du 1er au 4 octobre 2024 durée 2h environ Tournée 6 au 8 novembre 2024 au TnBA – Théâtre national Bordeaux Aquitaine 25 au 28 février 2025 au Quai CDN Angers Pays de la Loire 5 au 15 mars 2025 au Théâtre du Rond-Point, Paris 19 au 27 mars 2025 au Théâtre National de Bretagne, Rennes Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo assisté de Margot Madec avec Juliet Doucet, Marie-Sophie Ferdane, Jean-Christophe Folly, Elsa Guedj, Camille Rutherford, Alexandre Steiger Traduction de Leyla-Claire Rabih, Frank Weigand, et André Markowicz, Françoise Morvan pour les passages d’Anton Tchekhov Scénographie de Catherine Rankl Dramaturgie de Guillermo Pisani Musique d’Étienne Bonhomme Costumes de Fanny Brouste Lumières de Bruno Marsol Conseil à la distribution – Richard Rousseau Régie technique – Olivier Blouineau, Rachel Brossier, Jean-Philippe Geindreau, François Mussillon Réalisation du décor – Ateliers de décors de la Ville d’Angers
Crédit photo : © Pascal Gély
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October 2, 2024 10:19 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 2 oct. 2024 L’icône de l’art du cinéma John Cassavetes (1929-1989) n’incarne pas tant le « cinéma expérimental » ou d’avant-garde, que l’indépendance face à la façon dont le « système industriel fabrique les produits-films », à Hollywood et ailleurs. « Cassavetes n’a réalisé que ce qu’il a voulu et écrit lui-même, comme il l’entendait, avec ses proches. Il prenait le temps nécessaire au tournage, recommençant parfois ce qu’il jugeait raté et surtout au montage, le tout pouvant parfois durer des années : Faces (1968) représente ainsi six mois de tournage, 136 heures de rushes, trois ans de montage. » (Joël Magny, John Cassavetes, Encyclopedia Universalis). Le cinéaste, acteur célèbre de théâtre, s’auto-finançait via ses cachets à la TV, des séries « Alfred Hitchcock présente »…, et grâce aux cachets de son épouse Gena Rowlands. Contre est un portrait libre et documenté du couple mythique Gena Rowlands/John Cassavetes; celui-ci, artiste iconique, seul contre tous, fidèle à ses principes – le portrait d’un génie isolé et incompris largement, entouré de ses amis, rebelle et rétif aux postures conventionnelles et conformistes, auprès d’une actrice rare, géniale aussi et complice. Passionnés pareillement, Constance Meyer et Sébastien Pouderoux se penchent de leur côté sur cet amour pour le 7ème art, à travers interviews, documents, archives, émissions TV. Contre interroge par la même occasion l’art de la critique dans le jeu d’émissions avec la critique Pauline Kael, grande opposante au cinéaste: Dominique Blanc – sûre de son goût pour les mots – est pleine d’humour, d’ironie, de dérision – le verbe acerbe et mordant. Sur l’écran vidéo du lointain scénique, a lieu, dans un bureau de police, l’enquête sur une plainte pour coups et blessures déposée contre le cinéaste par un chef opérateur. A la fois plainte fictive et réalité des conflits récurrents suscités par la personnalité de Cassavetes. Soit l’appréciation de la dimension parfois grotesque des rapports d’ego, et le tragi-comique afférent. Les scènes de déposition rythment le spectacle, instillant dès le début une réflexion distancée sur la question du point de vue et du regard. Gravité et ’humour. John – Sébastien Pouderoux plutôt calme et bienveillant dans le rôle du maître intraitable – et Gena – Marina Hands -, à la fois discrète et intensément présente – vivent entourés d’artistes, dont Peter Falk – irrésistible en Colombo interprété par Nicolas Chupin – même goût du jeu et même humour détaché et provocateur. Sont là techniciens et producteurs, à l’orée de la préparation et du tournage agité d’Une femme sous influence, un film-culte et une œuvre honnie en son temps. En majesté et sous-entendue, l’observation de la place de l’artiste dans la société, les limites de l’irrévérence et de la transgression – cinéma et manière d’être privilégiant les émotions et les tremblements ingouvernables dans le récit. L’ espace est unique – lieu de vie, de travail, de fête avec sa table de formica, de déposition policière, d’émission critique… Les interprètes allègres et facétieux, même à l’intérieur de la mélancolie, s’amusent en invitant les spectateurs à les suivre dans des cheminements sinueux – scène de cinéma tournée en direct, scènes quotidiennes de joie folle et instants amers de colère, entre plages d’apaisement et réveils vifs et intempestifs. Jordan Rezgui, assistant stagiaire ou animateur télévision, Rachel Collignon, policière, et Blanche Sottou, assistante et serveuse, et encore Antoine Prud’homme de la Boussinière, critique éveillé de cinéma, diffusent dans l’implication scénique un beau souffle solidaire. Un théâtre évocateur en même temps de l’art du cinéma et de la quête existentielle. Véronique Hotte Du 25 septembre au 3 novembre 2024, mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 15h, au Théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie-Française, 21 rue du Vieux-Colombier 75001 – Paris. Tél: 01 44 58 15 15, comedie-francaise.fr https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/contre-2425# Contre, d’après la vie et l’oeuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands de Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux, mise en scène Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, avec la Troupe de la Comédie-Française Sébastien Pouderoux, Dominique Blanc, Marina Hands, Nicolas Chupin, Jordan Rezgui, les comédiennes de l’académie de la Comédie-Française Rachel Collignon, Blanche Sottou et Antoine Prud’homme de la Boussinière. Dramaturgie Agathe Peyrard, scénographie Alwyne de Dardel, costumes Isabelle Pannetier, lumières Juliette Besançon, vidéo Gabriele Smiriglia, son Clément Vallon.
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Le spectateur de Belleville
September 27, 2024 11:12 AM
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Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 27 septembre 2024 Le metteur en scène-réalisateur transforme la pièce de jeunesse de Tchekhov en fête débridée où s'expriment toutes les frustrations et les angoisses d'une génération désenchantée. Entre cinéma et théâtre, entre éclats de musique et éclats de voix, ce spectacle original découvert au Printemps des Comédiens, débarque à Nanterre aux Amandiers, puis au Rond-Point Paris. Dans « La Mouette » qu'il a mise en scène en 2021, l'attention des personnages est attirée un instant par une fête qui a lieu « sur l'autre rive »… C'est sur cette autre rive fantasmée que Cyril Teste situe son « Platonov », adaptation contemporaine et très libre de la première pièce de Tchekhov (1878). Ecrite à 17 ans, refusée par l'actrice à laquelle elle était destinée, remaniée à l'envi puis rangée dans un tiroir avant de ressurgir plusieurs années après la mort de l'auteur russe, cette comédie dramatique part dans tous les sens, forte d'une vingtaine de personnages à cran. L'essentiel de son action se passe lors d'une fête d'été fortement alcoolisée. Alors le metteur en scène-réalisateur a décidé d'en faire une fête, une fête d'enfer avec Platonov (Micha) et ses ami(e)s. Présentée fun mai en ouverture du 38e Printemps des Comédiens à Montpellier , « Sur l'autre rive » débarque ces jours-ci près des rives de la Seine : aux Amandiers de Nanterre dès la fin septembre, puis au Rond-Point Paris en novembre. Le spectacle prend la forme d'une méga partie jouée-dansée-filmée où s'expriment les contradictions et les frustrations d'un petit monde provincial en mal d'idéal, d'amour et/ou d'argent. In vino veritas… et la musique aidant, les figures universelles du Russe, réincarnées en bobos, banquiers ou escrocs d'aujourd'hui, se mettent à nu et hurlent à la lune. Pas sûr qu'on y retrouve tout à fait l'âme russe mais on ne perd pas pour autant son Tchekhov. L'esprit sarcastique de l'écrivain, mêlé de tendresse pour les faibles humains, est porté avec fougue par les excellents acteurs du collectif MxM filmés en gros plans dès qu'ils s'expriment au milieu de la foule de danseurs. Virtuosité On retrouve dans ce spectacle la virtuosité du metteur en scène qui, à l'aide de plusieurs écrans mobiles, mêle cinéma et théâtre dans une enivrante sarabande. Il parvient à conjuguer la bande-son d'une soirée dansante et les répliques enfiévrées des personnages . L'arrogance désespérée de Platonov qui s'emploie à pourrir la soirée, les affres pécuniaires d'Anna, l'hôtesse de la fête, veuve d'un général qui lui a laissé ses dettes en héritage et la rage des fils « sans pères » se révèlent en des flashes fulgurants. Ainsi concassée et filtrée, la pièce un peu folle de Tchekhov s'accorde avec les codes modernes du théâtre de plateau. L'impression de spontanéité est renforcée par la figuration d'une vingtaine de spectateurs invités sur la scène. La singularité de cette adaptation, coécrite avec Olivier Cadiot, repose aussi sur un troublant effet de mise en scène. Au moment du feu d'artifice (joliment figuré) qui clôt la fête, le spectacle tire brutalement un trait sur la technologie. C'est sur le plateau nu, éclairé de quelques bougies, sans caméra ni écran que se déroule le dernier acte. Une ultime séquence où les volte-face amoureuses et la fin de Micha sont représentées en mode express, façon vaudeville clownesque. Le résultat est très étrange, perturbant, mais cet épilogue onirique presque surréel convoque tout l'équivoque tragicomique du théâtre de Tchekhov. Un film sur Arte « Sur l'autre rive » se termine ainsi dans une forme de pur théâtre magnifié entre autres par le jeu incandescent de Vincent Berger (attachant Platonov), d'Olivia Corsini (déchirante Anna) et d'Emilie Incerti Formentini (renversante femme-médecin). Mais le projet de Cyril Teste ne se borne pas à un spectacle. Avec la même équipe, le metteur en scène a préalablement tourné un film qui sera diffusé à l'automne sur Arte - une forme d'hommage à Patrice Chéreau qui avait fait de même avec « Hôtel de France ». L'histoire d'amour de Cyril Teste avec Tchekhov, amorcée pendant le confinement, est visiblement une histoire qui dure… On ne s'en plaindra pas. Philippe Chevilley /Les Echos Légende photo : Concassée et filtrée, la pièce un peu folle de Tchekhov s'accorde avec les codes modernes du théâtre de plateau. (© Simon Gosselin)
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September 26, 2024 3:24 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 24 septembre 2024 Le directeur du Théâtre de la Colline remet le couvert de sa pièce fleuve « Racine carrée du verbe être ». Six heures de théâtre à travers le monde et le prisme d’une famille qui prend racine dans l’histoire de sa propre famille. Même distribution qu’à la création il y a deux ans. Même triomphe côté public.
A quoi tient le cours d’une vie ? Un jour d’août 1978, alors que le Liban est meurtri par une guerre civile qui voit le pays se détériorer chaque jour un peu plus, le père de Wajdi Mouawad envoie le frère de ce dernier à l’agence retirer des billets pour le premier vol atterrissant à Rome ou à Paris. Prévoyant, le père avait fait en sorte que les visas de la famille soient renouvelés. Le père a un faible pour l’Italie, son fils le sait mais le premier vol est pour Paris. Ils partent pour la France. Wajdi va apprendre le français. Cependant, en France, la famille se heurte à un problème administratif concernant l’un de ses membres. Faute de pouvoir aller aux États-Unis, ils partent pour le Québec. Et si cela avait été Rome ? Et si Wajdi était devenu italien ? Et si famille avait été au Texas ?... Racine carrée du verbe être, pièce forcément au long cours (plus de six heures), déploie ces possibilités de vie en s’appuyant aussi sur la physique quantique selon laquelle une présence au point A n’ est possible que par sa présence simultanée au point B. Ce faisant, l’auteur organise un époustouflant tourniquet identitaire et géographique dramatiquement concentré, quarante deux ans après l’exil, dans les six jours qui suivent le mardi 4 août 2020, jour où explosa le port de Beyrouth. Deux acteurs, Wajdi Mouawad et Jérôme Kircher, au physique presque interchangeable grâce aux costumes ( Emmanuelle Thomas) et aux maquillages (Cécile Kretschmar) se partagent le rôle de Talyani Waqar Malik aux multiples figures. Ils sont exceptionnels et entourés d’une troupe nombreuse (sans compter de multiples enfants) et performante où seuls Norah Krief et Raphael Weinstock, interprètent avec maestria un seul rôle au visage changeant, ceux respectivement de Layla et Nabil , la sœur et le frère de Talyani, les trois oscillant entre la cinquantaine et la soixantaine tout comme l’auteur. Une noria de personnages dans une noria de lieux dont la scénographie tout en ruse et souplesse d’Emmanuel Clolus et la mise en scène au rythme soutenu y compris dans les passages où l’écriture souvent tendue de Wajdi Mouawad cède parfois à la facilité, se conjuguent et savent ruser pour éviter toute pesanteur en ne s’attardant pas. D’un rien ou presque, on passe de Rome à Wellington, du Québec à une bourgade française. En Italie, Talyani est devenu un neurochirurgien imbus de lui-même accro aux jeunes putes d’une agence ; au Québec c’est un artiste peintre (comme l’est par ailleurs Mouawad) aussi doué que torturé ; en France, c’est un chauffeur de taxi affable qui accompagne les clients et sympathise avec eux ; aux États-Unis,c‘est une homme qui attend dans un prison texane d’être exécuté pour avoir tué à bout portant un couple dans une voiture. Jour après jour après l’explosion, du lundi au samedi, on s’enfonce dans ces histoires et leurs ramifications. Tel, Wyoming Monroe, l‘enfant américain du couple assassiné devenu journaliste qui vient voir Talyani dans sa cellule de condamné à mort et finit par lui avouer son identité Il rencontre la sœur du condamné qui espère un recours que son frère ne veut pas, c’est lui, Wyoming, qui, dans une des dernières scènes de la pièce, finira par persuader Talyani d’engager un recours. Tel encore le Talyani resté à Beyrouth dans les décombres de son atelier de jeans qui raconte à Hirâm et Hind, ses enfants jumeaux de vingt cinq ans, comment la nuit même où Layla et Nabil sont partis en avion, lui et son épouse les ont conçus « sous une nuit psychédélique ». Au lieu de cela, leur dit-il, « on serait arrivés en Floride , on aurait attendu d’être installés et ça aurait été un autre enfant qu’on aurait eu au lieu de vous avoir vous. Et comment je fais moi pour imaginer la vie sans vous ? ».Tel, en France, le botaniste Gilles Parent qui, conduit en taxi par Talyani, se bat contre le maire du village de Féricy (qui veut un parc de loisirs) pour qu’on n’abatte pas des arbres, cinq ginkgos (des cyprès chauves) devenus énormes, plantés en 1811 à la naissance de son fils par Napoléon. Tel, à Montréal, le saccage des toiles de Talyani et ce qui s’en suivit. Tel, en Italie, la prostituée albanaise mineure mais se disant majeure qui meurt dans un accident de voiture auprès de Talyani. La Ferrari est amochée, lui est indemne, la Police vient l’interroger. Etc... Le rythme toujours soutenu de l’ écriture hormis quelques facilités (scènes de baise) et la force collective de la distribution, entraînent les spectateurs dans ce voyage au sein d’une famille éclatée qui tôt au tard, ne serait-ce que par un détail, croise celle des spectateurs dont l‘empathie est contagieuse. Comme à la création de la pièce il y a deux automnes, le public, à l’heure des saluts se lève. Voir ce spectacle aujourd’hui alors que le Liban connaît d’autres sortes d’explosions est d’autant plus troublant. Théâtre de la Colline, jeu et ven à 17h30, sam à 16h, dim 13h30 (six heures dont deux entractes de 30 mn), jusqu’au 22 déc (relâche durant les vacances scolaires du 21 oct au 6 nov). La pièce est publiée aux éditions Leméac/Actes sud-Papiers
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September 25, 2024 5:19 AM
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Par Kilian Orain dans Télérama :- 23 sept. 2024 D’un côté une nageuse en eau glacée ; de l’autre une femme plus âgée, malade. Une pièce, de et avec Elise Vigier, qui retrace le parcours de deux héroïnes du quotidien. Trois blocs de sièges enserrent en U la scène, figurant les rangées de chaises d’une salle d’attente lambda. C’est dans cet environnement froid et inhospitalier que se croisent deux femmes apparemment sans lien. L’une est jeune et sportive, spécialiste de la nage en eau glacée ; l’autre est une patiente plus âgée. On comprend rapidement que la maladie les a fait se rencontrer. Le spectacle débute par une difficile traversée, celle de la Manche, que s’est donnée pour défi la plus jeune. Difficile traversée aussi pour l’aînée (incarnée avec grande sensibilité par Élise Vigier), qui chemine avec un cancer. L’autrice et metteuse en scène a choisi un dispositif narratif simple mais efficace, parfois artificiel mais qui distille l’essentiel d’un parcours de malade. Les trajectoires des deux protagonistes existent ainsi en parallèle, sans fusionner. C’est sans doute l’écueil du spectacle. L’ouverture d’une « troisième voie » où les deux héroïnes seraient pleinement réunies aurait apporté davantage de matière à la pièce. Laquelle a germé après une rencontre avec la nageuse de l’extrême Marion Joffle, 25 ans. Le soir de la première, l’athlète était présente dans la salle, puis a rejoint la scène. Elle aussi a combattu un cancer, enfant. Et s’est relevée. Bouleversantes histoires. Kilian Orain / Télérama Nageuse de l’extrême. Portrait d’une jeune femme givrée. Jusqu’au 28 septembre, Théâtre ouvert, Paris 20e ; du 7 au 9 octobre, Comédie de Caen (14) ; du 24 au 28 février et du 13 au 16 mai, Le Quai-CDN d’Angers (49) ; du 2 au 4 avril, Théâtre du Point du Jour, Lyon (69). Légende photo : Léna Bokobza-Brunet, dans un rôle inspiré par la nageuse Marion Joffle. Photo Christophe Raynaud de Lage
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September 23, 2024 6:49 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 23 sept. 2024 La destinée tragique des célèbres siamoises anglaises inspire au duo de comédiens et metteurs en scène un nouveau spectacle inventif sur les thèmes de la normalité et du monstrueux.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/23/ni-une-ni-deux-les-s-urs-hilton-vues-par-christian-hecq-et-valerie-lesort_6328997_3246.html
Les photos que l’on trouve sur Internet les montrent comme deux ravissantes fillettes que rien ne distingue, en apparence, des enfants de leur époque – les années 1910, en Angleterre –, avec leurs nœuds en satin dans les cheveux et leurs robes à dentelles. Sauf que… De photo en photo, Daisy et Violet Hilton figurent toujours ensemble, collées l’une à l’autre, dans la même position. Et pour cause : liées l’une à l’autre, elles l’étaient, irrémédiablement, puisque nées siamoises, rattachées par le bas de leur colonne vertébrale. Leur histoire, extraordinaire, ne pouvait qu’attirer le duo d’acteurs-auteurs-metteurs en scène formé par Christian Hecq et Valérie Lesort, avec leur goût pour le monstre et l’étrange, les êtres en marge, rejetés par la société. La destinée des sœurs Hilton est donc au cœur de leur nouveau spectacle, créé au Théâtre des Célestins à Lyon avant de partir en tournée un peu partout en France. Et comme cette destinée est également emblématique de la société du spectacle qui se développe au début du XXe siècle, avec l’essor du cirque, du cabaret, de la comédie musicale et du cinéma, elle est aussi l’occasion pour l’inénarrable duo d’un jeu avec les formes comme ils les aiment, transgressant allègrement les frontières du bon et du mauvais goût : un théâtre monstre. Exhibées dès l’âge de 3 ans Monstres de foire, Daisy et Violet l’ont été d’emblée, puisqu’elles ont été exhibées dès l’âge de 3 ans, à des fins mercantiles, par leur mère adoptive, Mary Hilton. Et dès lors elles n’ont plus quitté l’univers parallèle du spectacle, Moloch qui les a attirées puis sacrifiées, dans cette Amérique qu’elles rejoignent dès le milieu des années 1910. Elles savaient chanter et danser, elles étaient jolies, et elles ont eu un succès fou d’abord dans les cirques itinérants, puis sur les scènes de Broadway, avant que Tod Browning (1880-1962) ne les fasse tourner dans son célèbre film Freaks (La Monstrueuse Parade), en 1932. L’histoire est évidemment du pain bénit pour Valérie Lesort et Christian Hecq, qui l’installent, de tableau en tableau, dans un univers de cirque et de cabaret où les personnages semblent taillés directement dans les rideaux de velours rouge qui enveloppent la scène. Le ton est donné d’emblée par les deux Monsieur Loyal qui ouvrent la représentation, frères jumeaux qui installent le thème du double, qui courra tout au long du spectacle. Et comme toujours avec eux, les idées ne manquent pas et les surprises sont là à foison. Théâtre d’ombres, objets animés, comédie musicale, strip-tease, magie, codes du cinéma muet et des films d’horreur… Christian Hecq et Valérie Lesort réinvestissent tout un folklore du cirque et du spectacle forain, d’autant plus qu’ils ont été rejoints par un autre grand inclassable de la création scénique contemporaine, le magicien et clown Yann Frisch. Tout se mélange, en des jeux d’illusion aussi séduisants que troublants, une illusion qui semble l’état d’existence même de personnages que le réel a rejetés hors de sa sphère : homme-tronc, Hercule de foire, vrai-faux (?) numéro de lanceur de couteaux aussi hilarant qu’inquiétant, apparition du célèbre magicien Houdini, qui apprend aux sœurs Hilton à « se dissocier mentalement ». Christian Hecq réhabilite même une discipline oubliée et qui faisait fureur, mais oui, en ces temps pas si anciens : la pétomanie. Mimiques délirantes On voit par là que le spectacle, comme tous ceux que le duo crée depuis dix ans (20 000 lieues sous les mers, La Mouche, Le Voyage de Gulliver), est intimement travaillé par la question de la normalité, de ce qu’il en est d’être un monstre dans le regard de l’autre. Et cette question s’incarne directement dans ce qu’ils sont comme acteurs, avec les partenaires qu’ils se sont choisis. Quoi de mieux que le jeu hyperexpressif, grotesque, de Christian Hecq pour faire virer cette apparence de normalité ? Si ses mimiques délirantes ravissent autant les spectateurs, entre rire et inquiétante étrangeté, c’est bien parce qu’elles tordent le masque social que chacun se sent obligé de porter. Dans le registre de l’étrangeté, Yann Frisch n’est pas en reste, en artiste qui semble avoir la capacité de se faire disparaître lui-même. Les sœurs Hilton, elles, sont jouées par Valérie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner : collées ensemble grâce aux costumes signés par Vanessa Sannino, elles donnent toute leur dimension humaine à l’histoire de Daisy et Violet. Comment vivre, avoir une vie amoureuse, une individualité, quand on est deux personnes indissociables ? Est-on une en deux, ou deux en une ? Comment se supporter quand on ne peut pas se séparer ? La pièce s’offre aussi, en creux, comme un miroir déformant du couple Valérie Lesort-Christian Hecq, hydre à deux têtes vivant par et pour le théâtre. Alors même si le spectacle n’avait pas encore tout à fait trouvé son rythme lors de la création à Lyon, on en sort avec les questions, vertigineuses, posées par la destinée des sœurs Hilton, qui ont fini leur vie dans la misère, en 1969. La société du spectacle, qui dévore et recrache les « monstres », a-t-elle pour finalité de nous reconduire dans notre normalité bien-pensante, dans notre satisfaction de ne pas être l’« autre », celui que le sort a frappé de difformité ? Quand Les Sœurs Hilton aura huilé tous ses rouages, il sera totalement à même de déployer sa parade à la fois joyeuse et grinçante. Les Sœurs Hilton, de Valérie Lesort. Mise en scène : Christian Hecq et Valérie Lesort. Théâtre des Célestins, Lyon, jusqu’au 29 septembre. Puis tournée jusqu’en février 2025. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, du 10 octobre au 3 novembre. Fabienne Darge (Lyon, envoyée spéciale pour Le Monde) Légende photo : Valérie Lesort, Céline Milliat-Baumgartner et Yann Frisch dans « Les Sœurs Hilton », de Christian Hecq et Valérie Lesort, durant la générale au Théâtre des Célestins, à Lyon, en septembre 2024. FABRICE ROBIN
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September 23, 2024 5:53 AM
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Propos recueillis par Belinda Mathieu dans Sceneweb - 14 septembre 2024 Le théâtre du Rond-Point accueille la trilogie de Marina Otero composée de Fuck Me, Love Me et Kill Me, où l’artiste argentine met en scène sa vie, sans oublier ses fragilités et sa douleur, dans un théâtre pluridisciplinaire. Elle met en scène toute sa vie, se dévoilant tour à tour vulnérable et combattante. La metteuse en scène argentine quadragénaire Marina Otero débarque au théâtre du Rond-Point à Paris pour présenter trois pièces : Fuck Me (2020), où le récit de la dictature argentine s’entrechoque à des danseurs en cuir et latex, Love Me (2022), solo qui fait jaillir violence et angoisses et Kill Me (2024), où elle convoque une communauté de performeurs atteints de troubles mentaux et fantasme sa mort. Elle nous parle de cette trilogie qui mêle mensonge, vérité et empouvoirement. Depuis 2015, vous menez une recherche artistique intitulée Recordar para vivir (Se rappeler pour vivre), qui ambitionne de durer toute votre vie. Pourquoi avoir amorcé ce projet ? Marina Otero : Je viens d’une famille où les violences envers les femmes étaient monnaie courante. Je n’ai jamais eu vraiment confiance en moi. La performance et le théâtre m’ont permis de créer un personnage, de trouver une forme d’empouvoirement. Je vois la fiction comme un outil pour m’apprendre à exister et Recordar para vivir est une manière de défier l’idée du suicide. Les trois dernières pièces de cette recherche Fuck Me, Love Me et Kill Me forment toutefois une trilogie ? Tout à fait, elles témoignent de la manière dont j’ai évolué ces dernières années. Ma vie a beaucoup changé depuis la création de Fuck Me : j’ai tourné la pièce dans plusieurs pays et j’ai déménagé de Buenos Aires à Madrid. C’est ironique d’avoir créé Fuck Me dans l’immobilité totale [elle était immobilisée après un grave accident, NDLR], une pièce qui m’a permis de parcourir le monde entier ! Si cette trilogie me permet de prendre conscience de transformations majeures dans ma vie, dans ma manière de travailler et dans mes relations, elle montre aussi que la nausée, la douleur et la tristesse persistent. Dans ces trois pièces, vous mettez en scène plusieurs moments de votre vie, des disputes avec votre ex au diagnostic d’un trouble de la personnalité borderline, en passant par votre frustration sexuelle après votre accident. Comment abordez-vous cette narration de vous-même ? J’ai étudié l’anthropologie et c’est ce prisme que j’applique à mon travail. Je m’attache à l’observation d’une personne dans le temps : moi-même. Je reconnais qu’il y a quelque chose de problématique dans cette démarche, une forme d’objectification de moi-même et des relations amoureuses que j’ai traversées. J’essaye de rester vigilante à ça. À quel niveau dans l’autobiographie ou la fiction vous situez-vous ? C’est difficile de tracer une frontière claire entre la vie et la fiction. Quand on raconte ce qui nous arrive, les faits sont biaisés par notre perception. J’aime prendre l’exemple de deux frères à qui il serait arrivé la même chose : chacun va relater les faits de manière différente, pourtant il n’y a pas moins de réalité ou de vérité dans le récit de l’un ou de l’autre. En cela, j’aime dire que dire que je travaille avec la vérité et le mensonge. Dans Kill Me, vous avouez même être narcissique ! Je ne vois pas de différence entre ce que je fais sur scène et ce que nous faisons tous et toutes sur les réseaux sociaux en parlant tout le temps de nos vies et en commercialisant nos expériences. C’est un narcissisme très capitaliste. Je ne pense que si j’étais vraiment narcissique, je ne dirais pas ça de moi-même. Les gens narcissiques sont incapables d’empathie ou de travailler avec d’autres. Dans tous mes spectacles, le groupe, la collaboration et la rencontre avec d’autres personnes ont été essentiels, que ce soit avec les danseurs de Fuck Me, l’auteur Martín Flores Cárdenas pour Love Me ou le groupe de performeurs, pour la plupart atteints de troubles mentaux, dans Kill Me. On pourrait considérer vos pièces comme pluridisciplinaires, car elles rassemblent la vidéo, le théâtre, la danse, la performance. Quelle formation avez-vous suivie ? En plus de l’anthropologie, j’ai suivi une formation de danse, mais je me considère comme autodidacte. C’est ma propre expérience qui est avant tout à l’origine de mon art. Quand je travaille sur mes expériences personnelles ou ma douleur, je ne les traverse pas seulement de manière cérébrale, mais elles passent par mon corps. C’est un processus qui peut sembler un peu chaotique de prime abord, mais j’ai découvert au fil du temps la solidité et la discipline qu’il apportait dans mon travail. On croirait que vous vous permettez tout sur scène… Quelle relation entretenez-vous avec l’espace du théâtre ? C’est un lieu de liberté lié au pouvoir, dans un sens très littéral qui est celui de la capacité de faire. Le théâtre est pour moi un lieu de liberté et d’intimité qui me protège. Il me donne la possibilité de créer un rituel amoureux, où l’on raconte nos histoires en sachant qu’on est là, tous ensemble. Propos recueillis par Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr Théâtre du Rond-Point, Paris Fuck Me du 18 au 22 septembre 2024 Love Me le mardi 24 septembre Kill Me du 25 au 29 septembre
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September 20, 2024 12:34 PM
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Isabelle Carré, Sandrine Bonnaire et Isabella Rossellini éclairent la saison par une présence sur scène que chacune met au service d’un répertoire exigeant et offensif.
Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 19 sept. 2024 Lire l'article sur le site du "Monde" :https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/19/dans-le-theatre-prive-a-paris-les-actrices-se-donnent-le-beau-role_6324662_3246.html En lettres capitales, au fronton des théâtres privés parisiens, claquent les noms d’actrices qui ne sont pas là pour amuser la galerie, en jouant les épouses trompées ou les soubrettes écervelées. Isabelle Carré, Sandrine Bonnaire et Isabella Rossellini : ces comédiennes popularisées par le cinéma, extirpent les spectacles de leurs ornières commerciales pour les élever à hauteur d’une exigence intime offensive. Elles n’incarnent pas des potiches, mais des figures exemplaires, puissantes par la pensée, efficaces par l’action, assumant le pire comme le meilleur d’elles-mêmes. Ces actrices distillent au cœur d’un théâtre privé, peu coutumier du fait, une dose certaine de féminisme. Elles le font d’autant mieux qu’à leurs côtés œuvrent des complices metteuses en scène (Catherine Hiegel), autrices (Géraldine Martineau) et/ou directrices de lieu (Rose Berthet). A la tête du Théâtre de l’Atelier, à Paris, depuis 2022, Rose Berthet veut renouveler le public en mélangeant sang neuf et valeurs sûres. « On ne sait jamais ce qui va marcher, mais on essaie de minimiser les risques », explique-t-elle. Comment ? En confiant à une star au talent très fédérateur (Fabrice Luchini) la première partie de la soirée. Puis en poursuivant, la nuit venue, par des projets plus risqués. Aux Illusions perdues, d’après Balzac, spectacle actuellement proposé par Pauline Bayle, succéderont, mi-octobre, les représentations de L’Amante anglaise, de Marguerite Duras, avec Sandrine Bonnaire en tête d’affiche. Ajouter à vos sélections « Projets plus périlleux » Si la billetterie générée par Fabrice Luchini ne finit pas dans les caisses de L’Atelier (l’acteur, qui loue la salle, garde pour lui les bénéfices), sa notoriété est un atout publicitaire : « Son succès me permet de programmer des projets plus périlleux », confie Rose Berthet, dont l’ambition est de défendre la création et de promouvoir la parité. « Les lignes bougent. La reprise de spectacles créés dans le théâtre public – c’est le cas des Illusions perdues – donne aux œuvres une chance supplémentaire d’être vues. Les jeunes générations sont sensibles à des propositions qui ne reposent plus seulement sur les comédies de boulevard et le divertissement. » Antoine Courtois, propriétaire du lieu, lui laisse les mains libres. « Il me fait confiance, et je n’ai pas de cahier des charges », se félicite la directrice, à qui incombe tout de même la tâche de ne pas faire de déficits. Sueurs froides garanties. Car il n’existe pas de recette imparable pour capter un public tenté par une offre culturelle parisienne pléthorique. Rose Berthet a beau être volontariste, il lui arrive de naviguer à vue : « Notre jauge est de 560 places. Nous comptons sur le bouche-à-oreille, mais nous ne savons jamais pourquoi un spectacle démarre fort, ou pas. » Avec prudence, elle annonce seulement trente dates de représentation pour L’Amante anglaise. Si les gens sont au rendez-vous, ce nombre grimpera à soixante. La présence de Sandrine Bonnaire suffira-t-elle à doubler la mise ? « Je ne cherche pas, avant tout, une vedette de cinéma, se défend Rose Berthet, mais il est vrai que le nom de Sandrine peut rassurer. » Mise en scène par Jacques Osinski, l’ancienne égérie de Maurice Pialat endosse le rôle de Claire Lannes, épouse sans aspérité apparente, mais qui, apprend-on, a assassiné sa cousine de sang-froid, avant de la découper en morceaux. Un parcours 100 % durassien et une responsabilité pour l’actrice autour de laquelle s’est monté le projet : « J’ai l’obligation que ça marche », admet celle qui, à 23 ans, faisait ses premiers pas d’interprète, en 1990, au Théâtre de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Elle jouait dans une pièce de Brecht (La Bonne Ame du Se-Tchouan), mise en scène par Bernard Sobel. Souvenir vif d’un « grand monsieur, exigeant, marginal et viscéral », qui a laissé des traces. « La viscéralité est précisément ce que je cherche dans un personnage. » Victime d’un trac irrationnel qui surgit quand elle s’en croit enfin débarrassée (il se manifeste parfois, déplore-t-elle, « à la vingtième représentation »), l’actrice apprend L’Amante anglaise sur le bout des doigts : « Je suis un bon petit soldat. L’oubli d’un seul mot peut me déstabiliser. » Défendre la dignité d’une femme La prose de Marguerite Duras ne lui facilite pas le travail. La parole de Claire Lannes a beau être concrète et immédiate, l’héroïne donne aussi l’impression de « raconter n’importe quoi ». Il s’agit donc de faire entendre la logique souterraine d’une femme dont la vision du monde tranche avec l’ordinaire. « Claire parle de tout : politique, écologie, maltraitance exercée par un mari qui ne la comprenait pas. » Est-elle folle ou pas ? Parce que cette question n’a pas de réponse ferme et que les égarements de la normalité lui rappellent Sabine, sa sœur autiste, Sandrine Bonnaire a accepté le rôle comme on accepte une mission : celle qui consiste à défendre la dignité d’une femme reléguée en enfer. « Vive notre sexe, et que crèvent ceux qui en disent du mal ! », renchérirait sans doute Isabelle Carré. Cette réplique existe bel et bien dans La Serva amorosa, de l’Italien Carlo Goldoni, une comédie que joue cette actrice lumineuse au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris. Reprenant le rôle de Coraline, interprété en 1992 par Catherine Hiegel (qui, aujourd’hui, met en scène la pièce), Isabelle Carré adopte le caractère trempé d’une domestique clairvoyante. « Goldoni est le premier à avoir fait d’une servante une héroïne », s’enthousiasme-t-elle sans hésiter sur le panégyrique : « Elle est intelligente, elle comprend les êtres, elle se sert de tout. Elle me fascine. C’est une Scapin avec une jupe et des larmes. » Des larmes, c’est vrai, mais aussi et surtout un sens opportun de la stratégie, qui permettra à l’intuitive Coraline de sauver du désastre son benêt de maître. La comédienne ne s’était encore jamais produite à la Porte-Saint-Martin. Grand plateau, salle à l’italienne, lustres dorés : rien ne l’effraie. Ce qui la touche, en revanche, c’est cette attente inaltérable d’un public dont elle voudrait, en plus de l’émouvoir, « réveiller la conscience », grâce à une comédie qui, même écrite en 1752, saura alimenter les « luttes militantes et féministes ». Les clichés restent Nouvelle venue au théâtre La Scala, à Paris, Isabella Rossellini s’y présente telle qu’elle est : une septuagénaire bien dans sa peau qui, à 55 ans, avait repris des études en éthologie. Un cheminement qui, mine de rien, en dit long sur son désir de ne pas être l’esclave du désir fluctuant des cinéastes. La fille d’Ingrid Bergman et de Roberto Rossellini, mannequin pour la marque Lancôme et visage marquant de Blue Velvet (1986), de David Lynch, ne triche pas avec ses rides. Elle ne compose pas davantage avec son âge lorsqu’elle monologue sur le plateau. Avec Le Sourire de Darwin, conférence animée sur l’expression des émotions chez les hommes et les animaux, elle paie de sa personne : « Je me joue moi-même, en tant qu’éthologue qualifiée. Ceux qui s’attendent à me voir apparaître en robe à paillettes seront déçus. Je ne porte pas de vêtements haute couture, mais un costume de chimpanzé ! » C’est sous cette parure (entre autres facéties de chiffons) qu’elle disserte sur l’empathie ou l’origine de l’espèce, et coud les liens entre ses multiples facettes : comédienne et scientifique, artiste mais savante. Sarah Bernhardt (1844-1923) aurait apprécié ces émancipations féminines qui contaminent (pour le meilleur) les scènes du théâtre privé. Géraldine Martineau consacre un texte et un spectacle (L’Extraordinaire Destinée de Sarah Bernhardt) à cette tragédienne, dont la vie trépidante lui a donné le tournis : « Je suis tombée amoureuse d’elle, de son humour, son panache et sa liberté. » Il lui a fallu se battre pour imposer au Théâtre du Palais-Royal, à Paris, une comédienne que personne n’imaginait dans les habits de la « Divine ». « J’ai choisi Estelle Meyer, et me suis heurtée au fait qu’elle n’était pas une tête d’affiche, décrit-elle. Certains m’ont même affirmé qu’elle n’avait pas le physique adéquat. » Troublée par ces remarques, Géraldine Martineau n’a pas lâché : « On reprochait aussi son apparence à une Sarah Bernhardt jugée trop maigre pour les canons de l’époque. » Les siècles passent, les clichés restent, mais le théâtre les combat pied à pied. Aujourd’hui plus que jamais, pour avoir brûlé chaque feu rouge qui se présentait devant elle, la tragédienne est une source d’inspiration. Entrepreneuse, directrice de lieux, communicante avant l’ère des publicitaires modernes, patriote revendiquée luttant contre un antisémitisme venimeux, elle ne dépare pas dans ce XXIe siècle chahuté par un mouvement #metoo qui bouleverse les équilibres femmes-hommes. « Grâce à elle, j’ai vu plus grand, et j’ai osé demander plus », s’exclame Géraldine Martineau. Voir plus grand, demander plus : si ce n’est pas un mot d’ordre, ça y ressemble. Fabrice Luchini lit Victor Hugo. Théâtre de l’Atelier, Paris 18e. Du 22 octobre au 19 décembre. Les Illusions perdues, d’après Balzac, mise en scène de Pauline Bayle. Avec Manon Chircen, Anissa Feriel, Zoé Fauconnet, Frédéric Lapinsonnière, Adrien Rouyard. Théâtre de l’Atelier, Paris 18e. Jusqu’au 6 octobre. L’Amante anglaise, de Marguerite Duras, mise en scène de Jacques Osinski. Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens, Grégoire Oestermann. Théâtre de l’Atelier, Paris 18e. A partir du 19 octobre. La Serva amorosa, de Carlo Goldoni, mise en scène de Catherine Hiegel. Avec Hélène Babu, Jackie Berroyer, Isabelle Carré, Olivier Cruveiller, Antoine Hamel, Jeremy Lewin, Tom Pezier, Jérôme Pouly, Stanislas Stanic. Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Paris 10e. Du 25 septembre au 4 janvier 2025. Le Sourire de Darwin, de et avec Isabella Rossellini, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz. La Scala, Paris 10e. Du 19 au 24 novembre. L’Extraordinaire Destinée de Sarah Bernhardt, mise en scène de Géraldine Martineau. Avec Estelle Meyer, Marie-Christine Letort, Isabelle Gardien, Blanche Leleu, Priscilla Bescond, Adrien Melin, Sylvain Dieuaide, Antoine Cholet, Florence Hennequin, Bastien Dollinger. Théâtre du Palais-Royal, Paris 1er. Jusqu’au 22 décembre. Joëlle Gayot / Le Monde
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Le spectateur de Belleville
September 20, 2024 10:47 AM
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Portrait publié sur le site d'Artcena - 13 septembre 2024 L’actuel co-directeur du Théâtre 14 défendra un projet valorisant davantage les formes hybrides, soutiendra l’émergence et fera de La Comète un lieu pensé pour et avec les habitants du territoire. Depuis 2020, Édouard Chapot s’est attaché avec son complice Mathieu Touzé à concevoir le Théâtre 14 à Paris comme un lieu de convivialité et de réflexion citoyenne au service des artistes, des spectateurs et du territoire du 14e arrondissement – et même au-delà – sur lequel se déployaient de nombreuses propositions et actions culturelles. Riche de ces expériences, il prendra en décembre la direction de La Comète à Châlons-en-Champagne, au sein d’un écosystème toutefois bien différent. En quittant la capitale et son offre très abondante, donc concurrentielle, Édouard Chapot découvre une autre façon d’aborder la relation aux publics, ainsi que la production et la diffusion, dans le cadre non plus d’un théâtre municipal mais d’une scène nationale. « Ma motivation première était de rejoindre une structure labellisée, avec ce que cela impliquait en termes de marges artistiques disponibles, d’accompagnement des compagnies, de pluridisciplinarité aussi, le Théâtre 14 demeurant centré sur le théâtre et le texte », explique-t-il. Le fait que La Comète dispose d’un cinéma a, par ailleurs, conduit Édouard Chapot à imaginer un projet artistique et culturel qui mette l’accent sur l’hybridation des formes, à laquelle il se montre sensible. La rencontre avec le cirque contemporain (dans sa ville d’élection, Châlons-en-Champagne abritant le Centre national des arts du cirque-CNAC, le Pôle national cirque Le Palc et le festival Furies), qui se nourrit précisément de plusieurs disciplines, l’a également conforté dans cette voie. La programmation continuera néanmoins d’alterner théâtre, danse, marionnette, musique, magie nouvelle, cirque, cinéma bien sûr (avec des passerelles entre la diffusion d’un spectacle et des films) et productions jeune public. Seront ainsi présentées des œuvres classiques revisitées par différents metteurs en scène, en particulier Sylvain Creuzevault (Compagnie des Singes), artiste associé à la scène nationale dont l’approche des classiques et la réflexion sur l’image passionnent Édouard Chapot. Celui-ci a également choisi d’appeler à ses côtés Marie Fortuit (Compagnie Les louves à minuit), capable d’alterner textes du répertoire et contemporains, d’investir des grands plateaux comme de monter des petites formes en itinérance. « Les liens qu’elle tisse entre sa pratique du football et du théâtre m’intéressent aussi », ajoute-t-il. L’axe musical se verra, quant à lui, renforcé dans deux dimensions : les musiques actuelles et l’art lyrique. Outre convier des chanteuses et chanteurs à des lectures accompagnées par des orchestres, le nouveau directeur souhaiterait voir La Comète intégrer le réseau la co[opéra]tive qui réunit des scènes nationales produisant des opéras. Sur le plan de la production comme de la diffusion – notamment circassienne – Édouard Chapot mise là encore sur la coopération, avec le CNAC, le Palc et le festival Furies (dont la scène nationale pourrait accueillir certains spectacles), ainsi que d’autres structures du Département et de la Région : Le Salmanazar à Épernay, Le Manège et La Comédie-Centre dramatique national à Reims, le Théâtre national de Strasbourg, L’Espace Bernard-Marie Koltès à Metz… « Une impérieuse nécessité dans le contexte actuel, pour le bien des artistes, des lieux et des publics », affirme-t-il. Pôle européen de création, La Comète veillera à répondre aux besoins et aux attentes des artistes, notamment des jeunes talents. « Davantage qu’une mission, soutenir l’émergence relève de ma responsabilité », souligne son directeur, qui entend valoriser au premier chef les compagnies régionales. À cette fin, il réfléchit à une manifestation qui rassemblerait des productions abouties, des maquettes, des lectures et des projets en cours, à laquelle seraient conviés des professionnels. Elle constituerait le second temps fort de la saison, le premier étant l’emblématique festival de cinéma « War and Screen ». L’itinérance enfin sera au cœur des nouvelles orientations de la scène nationale. À terme, les propositions hors les murs devraient représenter 20 à 25% de la programmation ; avec la même exigence artistique et dimension pluridisciplinaire que celle proposée intra muros. « L’objectif n’est cependant pas de promouvoir les spectacles de notre salle principale, mais de s’adresser d’une façon différente aux publics et de leur permettre d’appréhender autrement le spectacle vivant dans des salles des fêtes, des musées ou des sites patrimoniaux ; des lieux qu’ils ont l’habitude de fréquenter et verront ainsi sous un autre jour », précise Édouard Chapot, convaincu, pour l’avoir expérimenté au Théâtre 14, de l’impact que provoque « le surgissement » sur les populations d’un territoire. Celles-ci pourront également s’impliquer dans des projets participatifs, et même dans le fonctionnement du théâtre, la création d’un comité de programmateurs étant envisagée. Avec humilité, Édouard Chapot confie bâtir son projet « autour d’intentions et d’intuitions » qu’il confirmera, modifiera ou adaptera en étant à l’écoute de l’équipe de La Comète, des acteurs locaux et des réalités du terrain. Considérant le travail accompli vingt ans durant par son prédécesseur Philippe Bachman (disparu en février 2024) comme « un atout pour prendre son envol », il se dit également porté par la confiance que lui manifestent les tutelles et les partenaires, prêts à l’accompagner dans sa nouvelle aventure.
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Le spectateur de Belleville
September 19, 2024 6:40 PM
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Par Fabienne Darge (Berlin ) dans Le Monde - 19 sept. 2024 Exilé en Allemagne, ce couple d’artistes libanais a inventé son propre répertoire pour déconstruire les récits. Dans « Quatre murs et un toit », il s’inspire du procès de Bertolt Brecht pour mieux revenir à ce laboratoire qu’est la « condition libanaise ».
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/19/festival-d-automne-le-theatre-de-lina-majdalanie-et-rabih-mroue-dynamite-les-frontieres-entre-reel-et-fiction_6324335_3246.html
Les images et les mots comme armes des nouvelles guerres, la fiction et le réel entremêlés, indémêlables, le Liban comme épicentre des séismes passés, présents et à venir, et comme métaphore d’un monde morcelé entre communautés… Toutes ces questions, Lina Majdalanie et Rabih Mroué les travaillent à leur manière. Ensemble − le plus souvent − ou séparément, ils inventent depuis trente ans un théâtre singulier, à la fois simple et sophistiqué, réflexif et ludique. Le Festival d’automne, dont ils sont les grands invités avec sept spectacles et une poignée de performances, offre une occasion unique de cheminer dans leur manière de dynamiter les frontières entre le documentaire et la fiction, entre le théâtre et des technologies propices à toutes les manipulations. C’est à Berlin, dans la partie est de la ville, non loin de l’Alexanderplatz, qu’ils nous ouvrent les portes de leur appartement et de leur univers. Lina Majdalanie − que l’on connaissait auparavant sous le nom de Lina Saneh − et Rabih Mroué y vivent depuis 2013. Depuis qu’ils ont quitté Beyrouth, « épuisés » par le contexte libanais. « C’est surtout moi qui ai voulu partir, au départ, raconte Lina Majdalanie. J’avais l’impression d’étouffer littéralement. Beyrouth est une ville passionnante, avec des intellectuels extraordinaires, mais, à cause des problèmes que connaît le pays, il y règne une tension permanente que je n’arrivais plus à supporter. J’avais l’impression d’être aspirée de plus en plus vers le fond. » Partir loin du Liban pour panser et penser les blessures d’un pays déchiré n’empêche pas que le Liban soit toujours là, au cœur de leur travail, avec ses fractures intimes et collectives. Tout les y ramène, depuis leur rencontre, en 1986, dans le département théâtre de l’université des beaux-arts de Beyrouth. Venus tous deux de familles « non communautaires, plutôt athées, ce qui est rare au Liban », les deux jeunes gens se sont plu tout de suite et ne se sont plus quittés. Ils ont suivi la même formation théâtrale, « un excellent cursus, très divers », se remémore Rabih Mroué. « C’était la section la plus moderne de l’université, ancrée dans tous les mouvements importants depuis la moitié du XXe siècle : Artaud, Brecht, Grotowski, Kantor, Mnouchkine, Brook, le Living Theatre, le happening… Un théâtre très physique, pas du tout ringard, axé sur la libération du corps. On a commencé très vite comme acteurs, en jouant de manière professionnelle dans les spectacles de nos professeurs. » Penser la guerre plutôt que de tenter de la raconter Très vite aussi, ils ont monté leurs propres spectacles, d’après des pièces d’Ionesco ou de Koltès, ou en adaptant des romans. Mais, au mitan des années 1990, ils ont « opéré un changement radical, expliquent-ils en chœur. Au départ, l’essentiel a été pour nous de trouver un langage corporel, théâtral, pour représenter la guerre civile au Liban. C’était notre sujet. Mais, au bout de quelques pièces, on a trouvé que quelque chose ne marchait pas avec cette représentation. On empruntait à un langage qu’on avait appris, et il fallait trouver notre propre langage. On a compris que représenter la guerre n’était pas l’essentiel, que sans doute elle était irreprésentable. Que s’agissait-il de représenter ? La souffrance ? Mais, à Beyrouth, tout le monde dans le public avait souffert. Et donc ce que les spectateurs verraient sur scène serait toujours moins fort que ce qu’ils avaient vécu. On a compris alors qu’il ne s’agissait pas de raconter ou de représenter la guerre, mais de la penser. Ce qui a tout changé ». Lina Majdalanie − qui a changé de nom pour prendre celui de sa mère et « s’inscrire contre le patriarcat » − et Rabih Mroué ont alors inventé leur propre théâtre, dont le parcours proposé par le Festival d’automne permet de suivre les différentes étapes. De Biokhraphia, un mot composé qui pourrait se traduire par « vie-délire », manifeste politique et esthétique créé en 2002, à Quatre murs et un toit, leur nouvelle création, inspirée par le procès de Bertolt Brecht, en 1947, devant la commission des activités antiaméricaines. Un théâtre en rupture avec la notion de personnages, de répertoire et de jeux de rôle, une forme de faux théâtre documentaire où les deux acteurs-auteurs-metteurs en scène apparaissent pour ce qu’ils sont, et qui fait exploser les récits classiques pour en inventer de nouveaux, qui contiennent leur propre mise en crise, leur propre critique. « Il y a au Liban une imbrication du réel et de la fiction qui empêche tout rapport critique à l’histoire. Quand il y a récit, il sert en général un discours d’idéalisation ou de victimisation. Comment faire, dans ce pays où chaque camp a “son” histoire, qui est présentée à chaque fois comme l’Histoire avec un grand H, pour échapper au discours militant et au mythe, et retrouver une vraie parole ? », s’interrogeait déjà Lina Majdalanie en 2009, quand le couple présentait au Festival d’Avignon Photo-romance, formidable spectacle transposant dans le Liban contemporain Une journée particulière, d’Ettore Scola. Un travail de déconstruction De spectacle en spectacle, de Who’s Afraid of Representation à 33 tours et quelques secondes, en passant par les performances réalisées par Rabih Mroué en solo, c’est toujours d’une histoire de la violence au Liban qu’il s’agit. Et toujours avec l’idée de « montrer ce qu’il y a de fabriqué, de monté, dans toute image, dans tout récit qui se présente comme “la” réalité. Ce travail de déconstruction, il nous a semblé important de le mener non seulement sur les discours, mais aussi sur les images qui nous entourent et nous bombardent tous les jours. L’image est aussi porteuse de discours, plus difficiles à décortiquer et donc plus dangereux. Utiliser les technologies actuelles pour critiquer, analyser, déconstruire, c’est montrer qu’un document n’est pas une réalité : c’est une construction, donc une fiction. C’est en tant que Libanais, venus de ce pays où le mélange fiction-réel est partout, que l’on peut s’approcher de cet universel qui consiste en ce que chaque moment de notre vie est un mélange inextricable de fiction et de réel ». Rien de théorique pourtant dans les spectacles de Lina Majdalanie et de Rabih Mroué, où leur humour, leur présence sensible, qui ne cherche pas à gommer une forme de fragilité, leur sens du montage aussi bien visuel que textuel composent des mosaïques qui offrent toujours au spectateur matière à jeu et à réflexion. Avec la nouvelle création qu’ils présentent à Paris, Quatre murs et un toit, ils semblent s’éloigner de leur substrat originel. Mais c’est pour mieux revenir, encore et encore, à ce que l’on pourrait appeler la « condition libanaise ». « La transcription des actes du procès de Brecht aux Etats-Unis en 1947, nous l’avons sous le coude depuis longtemps. En nous demandant ce que l’on pouvait faire aujourd’hui face à la situation dans le monde et au Moyen-Orient, on a eu envie de se pencher à nouveau dessus, explique Lina Majdalanie. Nous nous reconnaissons dans la situation de Brecht : il a fui l’Allemagne nazie, est arrivé aux Etats-Unis, et il s’est retrouvé à nouveau accusé politiquement, sans trouver la liberté et la démocratie, alors qu’il croyait être dans un pays où la liberté de parole et de pensée était garantie. Il était coincé. Nous sommes nombreux aujourd’hui, venus de pays arabes, à nous retrouver dans cette situation. Dans nos pays, nous sommes considérés comme pas assez patriotiques, pas assez anti-Israël, pas assez aveuglément pour ou contre ci ou ça, et en Europe maintenant c’est la même chose, mais à l’inverse. » « Ce sentiment de n’être nulle part chez soi, cette question de l’exil, de l’appartenance, d’être coincé entre deux étaux sont d’autant plus douloureux que l’on se sentait déjà en exil dans notre propre pays, enchaîne Rabih Mroué. En venant vivre en Allemagne, nous avons fait le choix d’un exil assumé, qui pendant quelques années a été plutôt heureux. Mais, depuis le 7 octobre [2023] et la polarisation rageuse qui en résulte, nous nous sentons exilés à l’intérieur d’un pays qui, par ailleurs, traîne à nous accorder la nationalité allemande depuis trois ans. » Le Liban comme métaphore, décidément ? « Je parlerais plutôt de laboratoire, souligne Lina Majdalanie. J’identifie les signes qui sont en train de se répandre partout : la corruption, la polarisation, le fanatisme, le poids des banques et des religions… Tous les signes d’une contamination générale sont là, et ils font peur. Cette nouvelle création parlera de notre désarroi face à ce monde en voie de libanisation générale. » « Portrait » de Lina Majdalanie et Rabih Mroué. Sept spectacles, cinq performances et une rencontre entre Rabih Mroué et la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Dans divers lieux à Paris et en région parisienne, du 20 septembre au 20 décembre. Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Festival d’automne à Paris. Fabienne Darge (Berlin ) / LE MONDE Légende photo : Rabih Mroué et Lina Majdalanie dans leur appartement, à Berlin, en Allemagne, le 26 août 2024. MAXIMILIAN MANN POUR « LE MONDE »
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Le spectateur de Belleville
September 18, 2024 7:15 AM
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Par Eric Demey dans Sceneweb - 18 sept. 2024 Dans son dernier documentaire, la réalisatrice filme l’aventure de Clémence Coullon et sa troupe du Cons’ autour d’Hamlet(te). Un travail qui donne à voir comment le temps transforme le théâtre, mais aussi les ressorts enfouis de la création. Un film léger, joyeux et empreint d’une très belle mélancolie. Avec ses airs d’éternelle jeune fille, on ne voit pas vieillir Valérie Donzelli. Elle oui, qui colore ce documentaire sur les débuts tonitruants d’élèves du Conservatoire d’un voile mélancolique. Une teinte d’autant plus touchante qu’elle use de cette désarmante légèreté qui tient de seconde nature à la réalisatrice. Rue du Conservatoire, avec son titre tout à plat, suit donc ces quinze élèves du célèbre Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD) qui ont, lors de leur dernière année d’école, monté un spectacle, Hamlet(te), découvert au printemps dernier au TGP. Ce « documentaire » s’attarde plus particulièrement sur Clémence Coullon, sa metteuse en scène, ou plutôt s’articule autour des échanges entre Clémence et Valérie. Ce que l’une cherche dans l’autre, ce que l’autre voit dans l’une, ce que le jeu de miroirs entre les deux femmes – l’une qui entre dans la carrière, l’autre qui se sépare – peut nous dire. Reflets en série qui font aussi naître des faux-semblants. Car, au début, on ne sait pas très bien où tout cela va nous mener. Entre docu standard sur les coulisses d’une création, galerie de portraits de ces jeunes gens qui montre combien le Conservatoire a pu évoluer et échanges entre deux créatrices que 25 ans séparent, Rue du Conservatoire joue au mille-feuille, avance, recule, paraît hésiter entre plusieurs chemins. Puis l’ensemble prend forme. Tout en multipliant l’air de rien les esquisses documentaires, le tout se resserre petit à petit en un film vibrant, célébrant en toute simplicité la création, ce palliatif d’une angoisse qui nous tient tous de si près, Hamlet compris, celle de mourir. Ainsi, dans Rue du Conservatoire, des jeunes gens meurent pour entrer dans leur vie professionnelle d’adulte ; Claire Lasne Darcueil quitte son poste de directrice de l’école pour un avenir incertain ; Valérie Donzelli se sépare quant à elle de son compagnon et quitte son appartement ; et, à la fin, naturellement, le spectacle connaît sa dernière. Tout passe, tout meurt, être ou ne pas être résonne dans ce film avec une nouvelle clarté. Valérie Donzelli s’était pourtant fait refouler du Cons’, comme elle le raconte d’emblée, et s’est ensuite consacrée au cinéma, délaissant le théâtre. Rien ne la destinait à y revenir, mais elle a découvert Clémence Coullon et sa troupe à l’occasion d’un atelier qu’elle a dirigé dans la célèbre institution. Et la rencontre de ces deux femmes de raconter, aussi, celle du cinéma et du théâtre, les deux sœurs ennemies. Comment filmer le théâtre naissant ? Valérie Donzelli ne cherche pas à faire école ou révolution, mais mêle son style – à base d’images vintage, de musiques légères et d’affleurement de l’intime – à cette aventure que constitue la création du premier et dernier spectacle de toute une bande de jeunes gens qui paraissent bien s’aimer. Traitant ainsi du visible – les motivations individuelles, le processus de création, la dynamique de groupe, les projections dans l’avenir, les différences générationnelles… –, comme du caché – mais quelle est donc cette flamme, cette énergie qui pousse à créer ? –, Valérie Donzelli tisse une œuvre qui traverse les couches du réel avec une aisance déconcertante et l’air de ne pas y toucher. À la fin, on apprend que Hamlet(te) est repris au TGP et que la réalisatrice se lance dans la mise en scène. Dans le monde baroque, décidément, en dépit de la mort, rien ne se perd, tout se crée, parce que se transforme. Eric Demey – www.sceneweb.fr Rue du Conservatoire Réalisation Valérie Donzelli Avec les élèves du CNSAD-PSL – promotion 2022 : Clémence Coullon, Alexandre Auvergne, Hélène Gigou, Léna Tournier, Basile Sommermeyer, Andra Manoukov, Chloé Besson, Hermine Dos Santos, Shekina Mangatalle, Lomane De Dietrich, Ryad Ferrad, Mikaël-Don Giancarli, Ike Zacsongo Joseph, Tom Menanteau, Hugo Merck, Angéline Croissant, Marion Montel, Félix Depautex, Marc Simoni Producteurs Alice Girard, Edouard Weil Direction de la photographie Sébastien Buchmann Première assistante réalisatrice Yael Vidan Montage Clara Chapus Son André Rigaut Mixage Emmanuel Croset Etalonnage Mathilde Delacroix Direction de production Mélanie Karlin Production Rectangle Productions En coproduction avec Les Films de Françoise et le CNSAD-PSL Avec le soutien de Canal + Distribution France Diaphana Distribution Durée : 1h20 Sortie en salles le 18 septembre 2024
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Le spectateur de Belleville
September 18, 2024 3:43 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 12 sept. 2024 Depuis vingt-cinq siècles, Les Atrides et leurs héritiers projettent leur ombre sur l’histoire du théâtre et du monde. Grande fresque théâtrale inspirée des textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, de Sénèque, Portrait de famille revisite avec espièglerie l’histoire épique et tragi-comique des Atrides, confiée à quatorze jeunes actrices et acteurs du Conservatoire National Supérieur de Paris – spectacle de sortie de la promotion 2023. Une histoire où, dans l’affrontement des hommes et des dieux, se confondent le fantastique et le politique, l’intime et l’universel. Sacrifices, infanticides, parricides, viols, incestes, cannibalisme : rien ne fait peur à cette famille sans scrupules : «Oeil pour œil, sang pour sang ». Une matière prolixe et débridée, dont Jean-François Sivadier se saisit à travers un théâtre généreux, exigeant et populaire. Portrait de famille retrace l’histoire épique et tragi-comique de la famille infernale d’Atrée – voyage traversant, entre terreur et allégresse, la Guerre de Troie jusqu’au retour à Argos. Le destin des Atrides, machine rêvée pour un jeu démultiplié, présente une matière hétéroclite aux figures démesurées, à la liste de crimes sans fin, au souffle épique et aux accents tragi-comiques: des défis à relever pour les quatorze jeunes interprètes. Selon le principe de prédation – « Tuer ou être tué » –, les héros antiques sont, sous la plume alerte et amusée de l’auteur-metteur en scène, les portraits en pied d’une famille barbare. Entre les crimes passés et ceux à venir d’un monde dominé par un Olympe de divinités exigeant le sacrifice renouvelé pour relancer les relations de pouvoir, le protagoniste s’avance sur scène dans l’angoisse d’être la prochaine victime sur la liste. Les Atrides se mènent une guerre interminable, dont chaque combattant redéfinit l’origine, en déclinant, jusqu’à l’absurde, l’argument : « C’est pas moi qui ai commencé » A bon entendeur, salut. L’équipe des quatorze jeunes acteurs dispose d’un matériau halluciné de rêve et de cauchemar, un chantier chaotique de vertiges pour un jeu scénique renouvelé, un tableau généreux suscitant l’intérêt du public agrippé à cette histoire qui le révulse et le fait rire. Les acteurs sont forts d’un jeu libre, conscients de l’extravagance de leurs propos incongrus, assumant leur singularité pour dénoncer la cruauté des hommes, quand la guerre est reine, hier comme aujourd’hui, note Jean-François Sivadier, « guerre entre les peuples, entre les hommes et les dieux, entre les membres d’une même famille ». Excès, démesure et cruauté, le tragique est rejoint par le comique, l’humour et la dérision face à la trivialité des enjeux – affaires d’Etat et complots de famille, intérêts du peuple et intérêt personnel, persécution gratuite des hommes par les dieux sous couvert d’idée, d’idéal, de mythe et de religion. Les hommes sont mis à la peine et le théâtre les relève. Le spectacle enjoué est un capharnaüm d’images et de représentations de la pitié et de la terreur, stimulé par la statuaire des héros antiques – immobile et mobile, sur piédestal ou déboulonnée, en toge ou dénudée, des mises en majesté plastiques et picturales se tenant à bonne distance de tout sérieux et de moralisme pour privilégier raison et humour. La drôlerie se tient dans les gestes et les manières – les saluts militaires réinventés de b.d. soulignant la dimension collective et chorale joliment assumée par la troupe. A travers encore une appropriation cocasse de la langue, pleine de jeux de mots et de bouffonnerie: répétitions, bégaiements, inversion des syllabes, provoquant le rire en cascade du public. Et les références à Shakespeare sont pléthore, le spectre du père dans. Hamlet, la scène de théâtre dans le théâtre pour révéler le vrai à travers le faux – les crimes commis etc… La scène tient d’un théâtre artisanal de tréteaux, habillé de panneaux, de bannières de guerre et de toiles peintes qui cachent l’horreur des crimes sanglants, sur un sol noir et somptueux de cendres qui chatoient d’éclats scintillants – traces divines et musiques toniques. Un spectacle ludique et bienfaisant de retrouvailles avec l’art du jeu – pensée et moquerie. Véronique Hotte / Hottello Texte et mise en scène de Jean-François Sivadier, collaboration artistique Rachid Zanouda, lumière Jean-Jacques Beaudouin, scénographie étudiants en 4e année à l’Ecole des Arts Décoratifs – Paris, Xavi Ambroise, Martin Huot, Violette Rivière, costumes Valérie Montagu, son Jean-Louis Imbert. Avec 14 actrices et acteurs de la promotion 2023 du ConservatoireNational Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD-PSL), Cindy Almeida de Brito, Manon Leguay, Arthur Louis-Calixte, Alexandre Patlajean,… Du 18 au 29 septembre 2024, du mercredi au vendredi à 19h, samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche lundi et mardi,au Théâtre de la Commune – CDN Aubervilliers. Les 4 et 5 octobre 2024, Le Carré Sainte Maxime. Les 13 et 14 novembre 2024 à La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle. Les 7 et 8 février 2025 Le TAP, Scène Nationale de Poitiers. Les 12 et 13 février 2025 L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry. Du 19 au 21 mars 2025 à La Comédie de Béthune, CDN Hauts de France. Du 19 au 29 juin 2025, Le Théâtre du Rond-Point à Paris. .
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