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Le spectateur de Belleville
February 28, 2021 11:28 AM
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24 FÉVRIER 2021 | PAR AMELIE BLAUSTEIN NIDDAM dans Toutelaculture.com Les éditions Le Tripode ont rassemblé une partie d’une performance étonnante du metteur en scène, auteur et comédien David Geselson: à qui adresserez-vous la lettre que vous n’avez jamais réussi à écrire ? Au départ, il y a cette idée géniale du théâtre de la Bastille. C’était avant, quand la culture était autorisée et légale. Avant donc, en fin de saison, le lieu s’ouvrait non-stop pour une « occupation ». Cette année-là, en 2016, Tiago Rodrigues propose des spectacles, des ateliers et des expériences. David Geselson est en pleine gestation de ce qui deviendra le bijou Doreen. La pièce vient d’un recueil, Lettres à D., qu’André Gorz a écrit à sa femme, Doreen. Ils se suicideront ensemble en 2007. Geselson sait donc la puissance de l’art épistolaire. Vient l’idée de tenir bureau, de 9h à 17h et de proposer la chose suivante : « Si vous avez un jour voulu écrire une lettre à quelqu’un sans jamais le faire, parce que vous n’avez pas osé, pas su, pas pu, ou pas réussi à aller jusqu’au bout, racontez-la-moi et je l’écris pour vous. Nous passerons 35 minutes ensemble pendant lesquelles vous me raconterez cette lettre non-écrite. Je passerai ensuite 45 minutes à l’écrire pour vous. Une fois la lettre écrite, je vous la lirai. Si elle vous convient vous pourrez la garder (sous quelque forme que ce soit), et sinon, je l’effacerai et n’en garderai pas trace. Enfin, si elle vous convient et que vous acceptez, j’en ferai peut-être quelque chose au théâtre, étant entendu que toutes les lettres seront rendues anonymes. » Cela donne 189 pages qui se lisent d’une traite. Il y a celle qui insulte sa grand mère horrible, celle qui dit pardon à son enfant pour l’avoir tabassé, celle qui regrette de ne pas avoir écrit avant la mort. Lui qui écrit à son père qui s’est barré sans donner signe de vie. Oui, souvent, c’est ultra violent. Ici l’amour est contraint, les cris sont légions. Et c’est logique, puisque c’est ce qui était tu, c’est ce qui sort. L’exercice s’apparente à une forme de séance de psychanalyse. Ce qui sort c’est exutoire, ce sont les profondeurs, les secrets. Une dit à l’autre qu’elle sait qu’il la trompe et qu’elle fait semblant de ne rien voir et qui dit « Mets-toi à m’écrire des mots d’amour sur du bon vieux papier à lettre si tu veux passer le temps ». Souvent dans ces lettres rien ne va. Et puis, de façon plus rares, tout va bien, c’est joli et léger et parfois drôle, comme cette lettre, où Astrid écrit à « son nouvel amour » et qui lui ordonne en lettres capitales : « J’EN PEUX PLUS DE NE PAS POUVOIR TE PARLER MA LANGUE !!! APPRENDS LE NEERLANDAIS PUTAIN! » Il y a celle qui écrit à sa psy des années après pour lui dire merci. Dire à la place de l’autre cela veut dire qu’il doit se reconnaître. Quelque fois, cela ne marche pas et au cœur des pages on trouve ces récits de rendez-vous manqués. Quelques fois, les choses ne peuvent vraiment pas être dites. Quelques unes vous arrachent des larmes, d’autres des frissons, certaines des sourires. Il est fou de partager l’intimité de ces inconnus qui parlent fort de la haine, du pardon, de la mort souvent. Il arrive que l’on se retrouve dans ces paroles qui deviennent universelles. « Il est probable que le temps n’existe pas », « Je t’embrasse où que tu sois », « Et l’histoire répète avec une grossièreté immonde la destruction de familles dont on efface les mémoires ». Sensibles, intenses, puissantes, Les lettres non-écrites ne vous laissent pas indemnes et vous donnent à vous, le gout des regrets, des lettres qu’il n’est plus possible d’adresser, car à moins d’y croire, a priori, les fantômes ne lisent pas. A la fin, on sait pourquoi David est devenu un militant des lettres à écrire : « Pour se souvenir des larmes séchées et de ceux que l’on aime ». A noter, le 13 mars, une armée de comédiennes et de comédiens liront en live sur la scène de La Maison de la Poésie à 19h. Ce sera à retrouver sur la page facebook du lieu. David Geselson, Lettres non-écrites, Le Tripode. Visuel : ©Victor Tonelli
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Le spectateur de Belleville
February 27, 2021 6:58 PM
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Par Nathalie Simon dans Le Figaro - 26/12/2021 DÉCRYPTAGE - Fermées depuis un an, les scènes subventionnées ou non reçoivent les aides de l’État. Ces deux mondes, jusqu’ici séparés, imaginent une forme de solidarité. Pour le spectacle vivant, la crise sanitaire est catastrophique, mais l’État l’aide comme jamais auparavant. Rallumant peut-être un sentiment d’injustice entre théâtres privés et théâtres publics. Contrairement aux premiers (quelque 300), les seconds (76 sans compter quatre théâtres nationaux) reçoivent des subventions du gouvernement. «Dès mars 2020, beaucoup d’entre eux avaient déjà songé à ne rouvrir qu’en janvier. Ils ont une trésorerie qui déborde», estiment plusieurs observateurs du spectacle privé. «On aimerait bien!», s’exclame Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Qui admet: «Nous nous en sortons moins mal, nous sommes privilégiés par rapport au théâtre privé. Dans la tourmente, c’est une forme de luxe.» «Nous avons les reins beaucoup plus solides que d’autres acteurs du système, mais les quelques économies que nous avions sont largement dépassées par les frais», assure Bethânia Gaschet, l’administratrice de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Pour Sophie Zeller, déléguée au théâtre et aux arts associés au ministère de la Culture, le soutien de l’État «vise à permettre à des activités qui ne peuvent se déployer dans un modèle économique lucratif d’être mises en place. Il n’y a donc pas réellement de sens à opposer public et privé, dont les missions sont différentes». De fait, en août dernier, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a annoncé une aide de 432 millions pour le spectacle vivant. «Il ne faut pas croire qu’il y a le chien gras et le loup maigre», lance Macha Makeïeff, qui maintient «un équilibre précaire, mais un équilibre quand même» au Théâtre national de La Criée à Marseille. L’aide exceptionnelle de l’État sert en gros à couvrir les pertes de la billeterie dont les recettes couvrent d’habitude l’entretien du bâtiment, les charges, le gardiennage et les salaires. Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS) Sophie Zeller explique: «Les théâtres soutenus sont ceux qui poursuivent des objectifs de service public: aide à la création, notamment émergente, et aux formes singulières, attention portée à l’emploi artistique; diffusion des œuvres auprès des publics les plus larges, ce qui passe notamment par une modération tarifaire et des actions de sensibilisation en direction des publics ; actions d’éducation artistique et culturelle, ateliers auprès de personnes défavorisées, etc.» Mais le théâtre privé n’est pas négligé. Pour la déléguée au théâtre et aux arts associés, il est indispensable de rappeler que le théâtre privé est «étayé de façon volontariste par l’Association de soutien au théâtre privé, financé intégralement par l’État et la ville de Paris, que ce soit dans l’aide aux nouvelles productions, à l’emploi, pour le financement de travaux ou de places à tarifs modiques pour les plus jeunes». Sophie Zeller parle d’aides «massives» qui se prolongent en 2021: «En 2020, ce sont ainsi plus de 30 millions d’euros qui ont été versés aux théâtres privés, dit-elle, en plus du fonds de solidarité, des exonérations de charges sociales, de l’indemnisation du chômage partiel et des prêts garantis par l’État.» À LIRE AUSSI :Le théâtre privé va-t-il mourir? Car pour la première fois de leur histoire, de nombreux théâtres n’ont eu aucune recette de billetterie. Sans date de réouverture, dans l’expectative, plusieurs ont annulé leurs créations de mars, pour les reporter cet été, ou même en 2022. Mais ils ont tout de même des dépenses: «L’aide exceptionnelle de l’État sert en gros à couvrir les pertes de la billetterie dont les recettes couvrent d’habitude l’entretien du bâtiment, les charges de fonctionnement, le gardiennage et les salaires», résume Stanislas Nordey. «Les subventions, elles, servent à payer les spectacles», confirme Daniel Benoin, directeur du théâtre Anthéa d’Antibes . Arnaud Antolinos, secrétaire général du Théâtre de la Colline, calcule: «On pourrait “gagner ” sur les coûts d’exploitation: régie, gardiennage, ouvreurs. Si à la marge on fait des économies, tout sera affecté à l’emploi artistique.» Des «places solidarité» Stanislas Nordey confirme: «Nous payons les artistes programmés, comme Sylvain Creuzevolt, qui a monté Les Frères Karamazov, et les employés permanents.» À l’instar de l’Odéon, qui bénéficie de 12 millions de subventions: «Nous avons eu une baisse spectaculaire de nos ressources propres. L’argent du plan de relance, 400.000 euros, permet de nous maintenir à flot», explique Bethânia Gaschet. Pour fonctionner, l’Odéon, qui compte 130 salariés, reçoit également 500.000 d’euros de mécénat, mais a besoin de 17 à 18 millions d’euros par an. À La Colline, «le théâtre étant fermé, nous n’avons pas relancé de programmation», signale Arnaud Antolinos. En janvier, la compagnie d’Isabelle Lafon n’a pas pu jouer, mais son cachet lui a été versé. 40% des gens ne demandent pas à être remboursés. Ils veulent être solidaires avec le théâtre. Daniel Benoin, metteur en scène et directeur du Théâtre Anthea à Antibes Comme leurs homologues du privé, les scènes subventionnées remboursent le public s’il l’exige, ou lui proposent un avoir ou un report. «Entre mars et décembre, nous avons remboursé 95.000 billets», précise Daniel Benoin, dont le théâtre, qui comptabilise 14.000 abonnés hors pandémie, comprend deux salles (une de 1200 places, la seconde de 250). Le responsable, qui poursuit les répétitions de 1984, d’après George Orwell, affirme que «40% des gens ne demandent pas à être remboursés. Ils veulent être solidaires avec le théâtre». À LIRE AUSSI :Théâtre: «Un siège sur deux, c’est un peu ridicule quand il y a le masque» À La Colline, «30% n’ont pas demandé à l’être», se félicite Arnaud Antolinos. La Criée, une salle de 800 places et une autre d’environ 260, mise également sur des reports. Sa directrice, Macha Makeïeff, signale: «Nous avons des “places solidarité”, nous payons les compagnies même si elles ne jouent pas. Nous redistribuons l’argent qui reste aux créations, aux ateliers et aux feuilletons sonores, ce qui fait un réservoir d’heures pour les artistes et les techniciens.» La démarche est identique à La Colline, forte de trois salles de répétition et de deux autres de spectacle: «Pas question d’en laisser une vide, il s’agit de continuer à faire travailler artistes et auteurs, en commandant des textes et en élaborant des créations», explique Arnaud Antolinos. Le théâtre Anthéa d’Antibes espère reprendre en juillet son premier spectacle inédit de la saison: Un prince, avec Sami Bouajila. À l’Odéon, Christophe Honoré répète actuellement sa dernière création, Le Ciel de Nantes. Les moyens semblent pourtant insuffisants aux yeux des dirigeants: «Nos charges augmentent mécaniquement; avec le coût de la vie, la tutelle doit prévoir des rallonges», anticipe Arnaud Antolinos. Nous avons les capacités de nous réinventer. Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville En parallèle, tous les moyens sont bons pour garder un lien avec le public, en particulier diffuser des spectacles, en direct ou en streaming. La Criée a, elle, eu récemment la «chance» de jouer Les Femmes savantes de Molière au Grand Théâtre du Luxembourg. En septembre, elle répétera Tartuffe pour le présenter à Marseille, en novembre, puis aux Bouffes du Nord, à Paris. Sylvain Creuzevault, artiste associé de l’Odéon, joue en ce moment Le Grand Inquisiteur , une petite forme dans des lycées d’Île-de-France. Pour sa part, Stanislas Nordey continue de donner des cours d’art dramatique à l’École supérieure d’art dramatique du TNS. Il a même dû engager des enseignants car, avec les règles de distanciation, les classes ont été dédoublées. À LIRE AUSSI :Le parfum retrouvé des théâtres et des cafés Un espoir: plusieurs patrons de théâtres, publics et privés, rêvent d’une alliance entre les deux. «Si ça peut apporter plus de fraternité, pourquoi pas?, remarque Macha Makeïeff. Commençons par un engagement artistique.» En 2013, le Théâtre de l’Odéon-Europe avait repris Fin de partie, de Beckett, qu’Alain Françon avait créé au Théâtre de la Madeleine. En 2019, Jean Robert-Charrier, le directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin, avait accueilli Ça ira, fin de Louis, de Joël Pommerat, qui avait été étrenné en Belgique, puis joué sur plusieurs scènes françaises subventionnées. Dominique Pinon, lui, interprète régulièrement des textes de Valère Novarina à La Colline et Thomas Jolly alterne aussi public et privé. «Ça donne une seconde vie au spectacle», considère Bethânia Gaschet, qui estime que c’est à l’État d’assurer l’équilibre financier entre public et privé. De son côté, Daniel Benoin, directeur du Théâtre d’Antibes, met en scène et produit L’Avare avec Michel Boujenah au Théâtre des Variétés. «Ce serait bien de se regrouper pour s’entraider et combler les inégalités», prône-t-il. Un avis partagé par Emmanuel Demarcy-Mota, qui se bat pour que les deux secteurs soient «solidaires». «Nous avons les capacités de nous réinventer», allègue le directeur du Théâtre de la Ville. Légende photo : Michel Boujenah dans «L’Avare», mis en scène par, au Théâtre des Variétés, à Paris. Daniel Benoin Philip Ducap
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Le spectateur de Belleville
February 26, 2021 6:47 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 25/02/21 Louis Jouvet d’ Olivier Rony, éditions Gallimard, Folio Biographies n°154, Inédit, 416 p, 9,70€. La parution de l’ouvrage biographique d’Olivier Rony, Louis Jouvet, correspond à l’anniversaire des soixante-dix ans de la mort de l’homme de théâtre. Louis Jouvet, né le 24 décembre 1887 dans le Finistère, d’un père corrézien et d’une mère ardennaise, est mort le 16 août 1951 à Paris. Olivier Rony, professeur de lettres intéressé par la littérature et le théâtre de la première moitié du XX è siècle, est un connaisseur de l’oeuvre de Jules Romains dont il publie en 1993 la biographie, Jules Romains ou l’appel au monde (Robert Laffont); auteur de l’édition de la Correspondance Jacques Copeau – Louis Jouvet dans les « Cahiers de la NRF » (Gallimard, 2013). Louis Jouvet se tourne vers le théâtre à ses vingt ans, jouant des mélodrames ou de petits rôles avant de rencontrer Jacques Copeau, qui en fait son plus proche collaborateur au Vieux-Colombier. A la Comédie des Champs-Elysées puis à l’Athénée, il monte Jules Romains, Marcel Achard, Jean Cocteau, et surtout Jean Giraudoux, développant une science de la mise en scène, mise au service de Molière. Professeur au Conservatoire, il se passionne pour l’enseignement et la réflexion sur son métier. Au cinéma, il joue dans une trentaine de films, dont les classiques, Knock, La Kermesse héroïque, Drôle de drame, Hôtel du Nord, Entrée des artistes, Quai des Orfèvres. Après la mort de son père dans un tunnel dont il supervisait les travaux, il vit son adolescence à Rethel auprès de la famille de sa mère, « étroitement catholique ». Il se passionne pour le théâtre et subit son destin de futur pharmacien, évoquant en même temps le « refrain de sa jeunesse », cette phrase maintes fois entendue : « Le théâtre est un métier honteux. » Il est pluridisciplinaire. Un spectateur de théâtre d’abord, dès qu’il est venu, étudiant, s’installer à Paris pour finir ses études de pharmacie. Son rêve qu’il est en train de concrétiser est de devenir « un vrai bohème ». Un acteur de théâtre qui a cherché à se créer une silhouette et une diction, sous la férule de son professeur, Louis Leloir, qui l’a repéré pendant le concours d’entrée au Conservatoire, où il n’est jamais entré après avoir échoué trois fois. Il n’en est pas moins l’homme de deux rôles majeurs, celui d’Arnolphe dans L’Ecole des femmes qui le hantera toute sa vie et celui de Knock qu’il immortalisera et grâce auquel il remplira les caisses quand le besoin s’en fera sentir. Le directeur de théâtre qui a d’abord été le bras droit de Jacques Copeau au moment de la création du Vieux-Colombier, avant de s’émanciper de son aîné pour diriger la Comédie des Champs-Elysées d’abord, puis le théâtre Pigalle et enfin le théâtre de l’Athénée. Le comédien dans des films mythiques : Drôle de drame, Quai des Orfèvres, Hôtel du Nord, Rentrée des artistes où il tient son propre rôle de professeur au Conservatoire – à défaut d’y avoir été élève, il y est devenu professeur – ou la transposition cinématographique de Knock. Le chef de troupe qui aime autant s’entourer de comédiens avec qui il engage un compagnonnage fervent que de prendre en considération tous les aspects techniques de la vie théâtrale. Un duettiste avec des dramaturges inventeurs d’un théâtre moderne : Jean Giraudoux et Jules Romains, qui lui apportent des rôles magistraux et des succès utiles pour faire tourner les salles. Un mari enfin, un père de famille, un amant – rôles divers où le quotidien rejoint les coulisses… Sont relevés ici quelques repères d’un ouvrage passionnant sur un homme passionné de théâtre. En 1905, Louis a dix-huit ans, passe son bac et s’initie à l’art de la scène au lycée, il correspond avec une jeune Stéphanoise, Aline Bordas, surnommé Linette, une présence affective dans une existence un peu fade. Quand la pharmacie semble être déjà son destin imposé par la famille, il écrit à sa jeune amie : « … mais ce ne serait pas mon rêve, vous savez cousine, de rester derrière un comptoir à attendre les loqueteux et les malingres de l’humanité. Ah non ! » (P.15). Cette « honte » du théâtre qu’il essaie d’analyser finit par l’attirer irréversiblement. Il est prêt à défier le déshonneur et à prouver à sa famille qu’il n’y a pas de honte à réciter des vers, ni aucune indignité à faire circuler en soi les sentiments de Shakespeare, Racine, Molière ou Musset. (P.19) Béatrix Dussane, à l’époque jeune pensionnaire du Théâtre-Français, écrit dans ses Mémoires ses souvenirs de Louis Leloir, professeur au Conservatoire qui a influencé les rêves des comédiens, et son empreinte sur Louis Jouvet : « La fameuse intonation caractéristique de Jouvet était un reflet très reconnaissable de cette intonation de Leloir. Fausse chez celui-ci parce que creuse souvent, elle avait repris chez Jouvet une subtile justesse, parce que son ironie s’y était logée. » Louis Jouvet est en 1913 pour le Vieux-Colombier, le bras droit du patron Jacques Copeau, son régisseur de plateau – préparation et bonne marche matérielle des spectacles et surveillance de la rigueur de la troupe et de son assiduité. Il aimerait pourtant avoir accès au titre de comédien. 1916 est la dernière année du Jouvet soldat-infirmier au front ou à l’arrière des lignes, l’année où les deux complices du Vieux-Colombier ont tout préparé pour la réouverture du théâtre. Des congés sans solde seront accordés à Jouvet à partir d’octobre 1917 pour la tournée du Vieux-Colombier à New-York, renouvelés jusqu’à son retour en France, en juin 1919. (P.81) Or, lors de cet épisode new-yorkais, avant le retour en France, Jouvet le passe à lire des ouvrages techniques, à prendre des notes, à classer les documents des saisons américaines, à réfléchir sur l’architecture scénique. Copeau et Jouvet travaillent d’autant plus à vouloir reconquérir la place dans le Paris effervescent de ce début d’après-guerre; pas d’ouverture avant février 1920. (p101). S’ensuit immanquablement une rupture en 1922 entre les deux hommes, un épilogue pathétique, conséquence de la rupture de leur complicité totale, ingénue, candide, des années 1914-1917, qu’ils n’ont jamais retrouvée, ni pendant, ni après le séjour aux Etats-unis, un paradis perdu de rêve de théâtre que la brutalité de l’action, amère et décevante, a remplacé. (p.111) « 14. Décembre 1923. Comme toujours, Hébertot a réuni ce soir-là une de ces salles brillantes, mondaines et intellectuelles dont il a le secret, où Gaston Gallimard et Bernard Grasset côtoient Tristan Bernard et Paul Bourget, Robert de Flers, André Gide, et André Maurois les anciens compagnons de l’Abbaye de Créteil – Duhamel, Vildrac. Bien que dévoré de trac, d’inquiétude et souffrant d’une violente crise de furonculose, Jouvet se rend compte très vite que Knock, dont les scènes du deuxième acte déclenchent des rafales de rire, est en train de « prendre », de conquérir ce public, pourtant « hétérogène et bigarré, mâtiné et panaché », et de gagner la partie… » (p.122) Deux événements sont d’importance à l’été 1927 pour Jouvet : il participe à la création du « Cartel » et rencontre Jean Giraudoux qui va bouleverser sa destinée. D’un côté, le Cartel est la manifestation d’une solidarité entre quatre animateurs et directeurs de scènes parisiennes présentant des similitudes de travail et d’engagement éthique et intellectuel : Georges Pitoëff, né en 1884, Gaston Baty et Charles Dullin nés en 1885, Louis Jouvet en 1887, et les salles, Théâtre des Arts, Studio des Champs-Elysées, Atelier, Comédie des Champs-Elysées. De l’autre, Jean Giraudoux des Affaires étrangères et auteur dramatique, diplomate, un temps secrétaire d’ambassade à Berlin, a été appelé, en mars 1927, à la commission d’évaluation des dommages alliés en Turquie. Auteur de romans, ainsi de Siegfried et le Limousin (1922) dont il tire un manuscrit, Siegfried von Kleist; il en propose une nouvelle version à Jouvet, Siegfried. Dans les années 1933, il rencontre la comédienne de cinéma et de théâtre, Madeleine Ozeray, sa compagne, longtemps : « ..J’ai une femme, des enfants, mais l’avenir, c’est le théâtre, c’est toi…» Professeur au Conservatoire, il tient à poser des principes intangibles et clairs, sorte de « bible » que l’élève doit méditer et s’approprier : savoir impeccablement son texte jusqu’à le posséder intimement, apprendre à le respirer largement et à le restituer dans son rythme; ne jamais penser qu’on « joue » ou que l’on est « est » le personnage mais essayer déjà d’en saisir l’humeur; avoir conscience qu’on est à la fois l’instrumentiste et l’instrument; tenir compte du partenaire et se dire qu’on est en scène « avec » lui.(p.186) A l’automne 1936, il est à nouveau pris au cinéma par un tournage à Joinville, celui de Mademoiselle Docteur ( baptisé Salonique, nid d’espions après la guerre), sous la direction de Georg W. Pabst, réalisateur admiré de Loulou, de La Rue sans joie et de L’Opéra de Quat’sous. Des péripéties alimentent ce récit d’espionnage et d’atmosphère – la vie de la fameuse espionne allemande pendant la Première Guerre mondiale, Anne-Marie Lesser – Mademoiselle Docteur-, envoyée en mission en Grèce à Salonique. Une pléiade de comédiens connus participent au film : Pierre Blanchar, Pierre Fresnay, Charles Dullin, le jeune Jean-Louis Barrault, Dita Parlo, Viviane Romance et Jouvet dans le rôle de Simonin, étrange épicier-espion. Après avoir refusé avec regret à Jean Renoir de jouer l’aristocrate de Boëldieu de La Grande Illusion, il prépare la mise en scène de L’Illusion avec le décorateur Christian Bérard.((p.206) Jouvet et Giraudoux éclairent leur vision du théâtre, dans L’Impromptu de Paris de Giraudoux : « Le théâtre n’est pas un théorème, mais un spectacle, pas une leçon, mais un filtre. C’est qu’il a moins à entrer dans votre esprit que dans votre imagination et dans vos sens, et c’est pour cela, à mon avis, que le talent de l’écriture lui est indispensable, car c’est le style qui renvoie sur l’âme des spectateurs mille reflets, mille irisations qu’ils n’ont pas plus besoin de comprendre que la tache du soleil envoyée par la glace. » (p.216) Il joue dans Hôtel du Nord d’après Eugène Dabit , monté autour d’Annabella par Marcel Carné, Jean Aurenche et Janson. Pierre est joué par Jean-Pierre Aumont. En revanche, Janson qui a créé et développé deux personnages nouveaux – Madame Raymonde, la prostituée, et Monsieur Edmond, son souteneur – imposera Arletty et Jouvet pour les interpréter. Carné ne voyait pas le comédien de Molière et de Giraudoux interpréter un « vulgaire souteneur »… Bref, ce couple cinématographique détonnant est incontestablement l’oeuvre du dialoguiste – une partition. Tourné en studio rue Francoeur et surtout à Billancourt, sur le gigantesque décor de Trauner reproduisant les façades du quai de Jemmapes, le canal Saint-Martin, le pont, l’écluse et sa passerelle, Hôtel du Nord, l’un des films emblématiques du réalisme poétique, marque une date dans la carrière de tous ceux qui y participèrent. Jouvet y gagnant encore en notoriété. Le film a pourtant failli être interrompu, au moment où Hitler menace d’envahir la Tchécoslovaquie et où la France et l’Angleterre ont commencé à mobiliser. Des membres de l’équipe ont fait défaut, on a dû modifier le plan de tournage… In extremis, le 30 septembre, les accords de Munich ont repoussé la guerre, sauvant momentanément la paix et définitivement … le film de Carné. (p.226) Dans les années 1939-1945, Jouvet reste attentif aux manoeuvres de l’occupant allemand, entre zone libre et zone occupée, conscient de la censure qui menace deux de ses auteurs, Jules Romains et Jean Giraudoux. Le premier s’est exilé aux Etats-unis et le second est l’ancien commissaire général à l’information. Leur interdiction reviendrait pratiquement à le priver de la possibilité d’exploiter son répertoire, du moins à Paris et en zone occupée. (p.244) La comédienne Wanda Kérien qui accomplit avec lui le périple sud-américain note la difficulté de Jouvet à garder la neutralité, quant à une représentation du pouvoir de Vichy : « La religion de Jouvet, ses idées, opinions, parti politique étaient le théâtre, ils l’avaient toujours été et le restèrent jusqu’à sa mort… Il avait l’esprit frondeur, il était contre tout ce qu’on voulait lui imposer, ayant pourtant le respect des choses établies. A l’étranger, venant de France, nous étions suspects à bien des gens. Dans chaque pays, il nous réunissait en nous recommandant de ne pas parler, ni de faire de politique… Ce genre de recommandations était d’autant plus insistant que quelques heures avant, il avait critiqué Pétain ou De Gaulle dans une interview… ce qui nous valut de sérieuses difficultés, surtout en fin 1941 et au début de 1942. Pour les uns, nous étions vichyssois; pour les autres, nous étions gaullistes. Beaucoup de Français voulaient nous pendre haut et court, heureusement le public étranger était assoiffé de théâtre français. » (p.261)Durant ces quatre années de tournée en Amérique du Sud, Jouvet a défendu un théâtre de texte, serviteur du « royaume des imaginaires », un théâtre de pur langage et de poésie, des principes d’esthétique théâtrale formulés par Giraudoux, en 1937, dans L’impromptu de Paris, l’auteur encore de La Folle de Chaillot, pièce avec laquelle Jouvet renoue avec le public parisien. Le général de Gaulle lui propose le poste d’administrateur de la Comédie-Française: il refuse. (P.301) Dans Dom Juan 1947, Jouvet interprète le rôle-titre. Assurément partie gagnée. Mais, surtout, de tous les rôles que Louis Jouvet, depuis maintenant trente-neuf ans, a abordés – presque une centaine -, des plus modestes aux plus éclatants, ce Dom Juan de la soixantaine – qu’il a hésité à distribuer, justement à cause de son âge – est peut-être, en cette fin de décembre 1947, celui qui le résume le mieux, qui le relie à tout ce qu’il porte, en lui, de son métier, de sa vie à vrai dire; à ces réflexions, inquiétudes, supputations, angoisses, rêveries – diurnes et nocturnes – qui n’ont cessé de le hanter depuis qu’il est monté sur une scène. Cela, il le doit à Molière, au poète dramatique, le génial patron, qui lui a permis de dire et de jouer, pour son grand plaisir et pour son enseignement, Macroton, Sganarelle, Maître Simon, Géronte, le Docteur du Barbouillé, et bien sûr Arnolphe. Puis, aujourd’hui, de dire et de jouer enfin Dom Juan, ce personnage aussi improbable qu’inépuisable et aussi mystérieux peut-être que son créateur lui-même. (P.331) Cette biographie est le récit d’une aventure artistique exceptionnelle à l’inspiration flamboyante. Véronique Hotte Louis Jouvet d’Olivier Rony, éditions Gallimard, Folio Biographies n°154, Inédit, 416 p, 9,70€.
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Le spectateur de Belleville
February 25, 2021 3:13 PM
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Par Anaïs Héluin dans Sceneweb - 25 février 2021 Le 6 février 2021, une vidéo anonyme intitulée L’usage des œuvres fait son apparition sur les réseaux sociaux. Montrant des similitudes entre des créations de Yoann Bourgeois et celles d’autres artistes de cirque, elle déclenche de vives réactions au sein du milieu. Au-delà de la polémique, elle suscite un désir de réflexion collective sur l’état d’une discipline encore jeune, en pleine structuration. Colère et sidération. Lorsque la vidéo L’usage des œuvres commence à circuler sur les réseaux sociaux le 6 février, les artistes qui y apparaissent sont pris entre ces deux réactions. Troublant, le parallèle entre des extraits de leurs créations passées et des pièces de Yoann Bourgeois, célébrité du cirque contemporain et directeur du Centre national chorégraphique de Grenoble, ne suscite pourtant dans l’immédiat que peu de réactions publiques. La première à oser s’exprimer fait preuve d’une délicatesse et d’une intelligence qui donneront le ton à l’ensemble de l’écosystème circassien. Il s’agit de Chloé Moglia, co-auteure avec Mélissa von Vépy du spectacle En suspens (2007) dont un passage ouvre la vidéo, où apparaît bientôt un passage d’une création beaucoup plus récente de Yoann Bourgeois, où des hommes et des femmes d’abord suspendus à une perche tombent les uns après les autres comme le font les interprètes de En suspens. « À quelques détails près », précise Chloé Moglia dans son texte intitulé L’usage des œuvres, ou de ma surprise de faire partie de la constellation imaginaire de Yoann Bourgeois. Des détails qui font la différence pour certains membres du milieu circassien. Pour d’autres moins. Sortir du silence Après avoir évoqué la « stupeur oubliée » ressentie en 2014 lorsqu’elle découvre le spectacle Minuit de Yoann Bourgeois, l’artiste qui développe depuis plus de dix ans une écriture singulière autour de la suspension énumère les détails en question : « le diamètre et la longueur de la barre, le nombre de personnes (six au lieu de cinq), les costumes et la musique ainsi que ce qui précède et ce qui suit la ‘’séquence’’ ». Ces différences, dit-elle, « permettent peut-être de dire qu’il ne s’agit pas de la reprise d’une ‘’œuvre’’ (ce qui est illégal) mais de celle d’un ‘’motif’’ (ce qui devient légal) ». Elle ne tranche pas, elle n’accuse pas : elle questionne. Prenant finement appui, dit-elle – car elle cite clairement ses sources – sur les démarches d’Annie Ernaux, de Didier Eribon et de la nouvelle anthropologie (Descola, Ingold, Martin), elle donne tort à celui qui lui a à tout le moins « emprunté » des éléments de son vocabulaire, lorsqu’il écrit dans une tribune publiée sur le site d’Artcena le 9 février que le cirque « présente une résistance intrinsèque à l’écriture ». Chloé Moglia maîtrise les mots autant que les gestes. Et elle n’est pas la seule parmi les artistes de nouveau cirque, en particulier ceux que Yoann Bourgeois désigne lors d’une conversation personnelle avec Chloé comme faisant partie de sa « constellation imaginaire ». Si la plupart des artistes contactés refusent encore de prendre publiquement la parole sur le sujet – « concerné à double titre (auteur d’un spectacle et ex-interprète), je ne voudrais répondre hâtivement et j’ai besoin de temps pour réfléchir, pour porter le débat sur des questions plus globales », nous a par exemple répondu Jean-Baptiste André –, une tribune du collectif de jonglage Le Petit Travers répond elle aussi à la polémique. Les artistes commencent par y formuler les raisons de leur prise de parole et sa complexité : « en tant qu’artistes mentionnés dans cette vidéo, nous sommes mis dans une situation délicate : si nous tentons de réfléchir à son contenu et à ses motivations, nous risquons de voir cela interprété comme une caution que nous lui donnerions ; ou d’être mus par une forme de jalousie à l’égard du succès de Yoann Bourgeois. Les risques sont réels, notre position d’artiste pourrait s’en trouver fragilisée, alors que nous œuvrons patiemment à la construire dans un environnement complexe. D’un autre côté, si nous gardons le silence, cette absence de parole peut être vue comme une position par défaut et être elle-même interprétée (…) Notre situation d’énonciation n’est pas confortable ». Le collectif n’en produit pas moins un texte riche, qui va bien au-delà du fait divers et aborde comme Chloé Moglia des questions majeures propres au cirque contemporain dont ils prouvent eux aussi la maturité que lui nie avec condescendance Yoann Bourgeois. Un fait divers qui fait débats Ces artistes posent les premiers termes de débats qui selon l’association Territoires de Cirque « arrivent au bon moment mais d’une mauvaise manière », lit-on dans un communiqué intitulé Pour une éthique renouvelée dans la relation, daté du 22 février. « L’anonymat des images diffusées, la technique employée (montage parcellaire) et le renoncement à toute forme de recours en droit (médiation, assignation, …) portent préjudice aux sujets de fond que nous souhaitons approfondir en tant que regroupement de lieux de production et de diffusion du cirque contemporain », disent encore les membres de l’association. Un désir qu’expriment aussi à titre individuel les directeurs de Pôles Nationaux du Cirque (PNC) que nous avons contactés. « Je pense que cet événement qui secoue le petit milieu du cirque et au-delà doit être vu par tous les acteurs de la profession comme un rendez-vous à honorer pour l’ensemble des acteurs du milieu. Nous devons saisir l’occasion pour aborder collectivement les grands sujets que soulève la vidéo pour notre discipline : la défense de propriété intellectuelle, de répertoire, la relation entre artistes et institutions… », affirme par exemple Philippe Le Gal, directeur du Carré Magique à Lannion (22). Yveline Rapeau, à la tête de la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie, exprime la même chose autrement : « Il faut mettre les mains dans le moteur ! S’il revient aux artistes de décider s’ils veulent ou non porter l’affaire devant la justice, il nous appartient à nous, directeurs et équipes de lieux consacrés entièrement ou non au cirque, de débattre en profondeur de l’état du cirque de création et des moyens que nous pouvons mettre en place pour accompagner au mieux les artistes dans l’affirmation de leurs esthétiques ». Tous disent la nécessité de créer de nouveaux espaces de dialogue pour prendre en charge ces questions qui se posent pour le cirque d’une manière particulière, en raison de sa jeunesse et de son type d’écriture, qui rend difficile toute preuve d’infraction au droit d’auteur. “À cet égard, le cirque de création s’enrichira, en tant que mouvement artistique récent, à observer tous les processus déjà expérimentés par ailleurs », dit le communiqué de Territoires de Cirque. Notamment dans le milieu de la danse, où Yoann Bourgeois est aujourd’hui presque aussi célèbre que dans celui du cirque. En témoigne un article publié par La Permanence, collectif de danse créé en 2017, qui se présente comme « un groupe de personnes antiracistes, transféministes et anticapitalistes luttant pour que cessent les abus de pouvoir dans le secteur chorégraphique et pour visibiliser des pratiques militantes dans le champ de l’art ». Au-delà du cirque, c’est aux arts vivants dans leur ensemble que l’affaire pose question. Interrogée sur le sujet après avoir relayé le texte de Chloé Moglia, la directrice du Grand T, théâtre de Loire Atlantique Catherine Blondeau, formule quant à elle le problème en termes de « consentement ». « Des discussions, un minimum de courtoisie et d’élégance auraient pu permettre d’éviter d’en arriver à un tel scandale », dit-elle. Un avis que partagent Chloé Moglia et le collectif Le Petit Travers, qui n’accusent personne de plagiat, mais de refus du dialogue qui selon eux s’imposait. Le pouvoir en question Martin Palisse, artiste et directeur du Sirque, Pôle National Cirque de Nexon (87), avance un point de vue proche de celui de Catherine Blondeau. La vidéo, pour lui, révèle avant tout un « système de domination que personne n’osait jusque-là dénoncer. Si l’on peut critiquer les méthodes de l’auteur de la vidéo, et interroger ses motivations, je crois qu’il est possible d’y voir la crainte des artistes concernés face à un artiste directeur de lieu et largement soutenu par les institutions, voire créé par eux. Car dans son processus de structuration en cours, le nouveau cirque a besoin de ses figures de proue ». Contrairement à ses confrères directeurs de PNC auxquels nous nous sommes adressés, Martin Palisse n’hésite pas à prendre parti contre Yoann Bourgeois, tout en exprimant la nécessité d’élever le débat. « Tous les artistes concernés par la vidéo entretiennent des relations avec Yoann Bourgeois. Certains sont par exemple associés à son lieu. On imagine donc la difficulté pour eux à dénoncer celui dont dépend leur travail. D’autant plus que les PNC le soutiennent pour la plupart. En tant qu’artiste plaignant, on peut donc craindre de se mettre à dos ces structures ». La position de Martin Palisse est loin de faire l’unanimité parmi les directeurs de Pôles Cirque, dont il regrette « le manque de lien avec les luttes actuelles. Il ne semble pas saugrenu par exemple de comparer l’affaire présente au mouvement # Metoo : il s’agit dans les deux cas d’une affaire de domination ». Il appelle de ses vœux un recours à la justice, que ses confrères ont plutôt tendance à laisser à la responsabilité des artistes. Lesquels, pour le moment, semblent en mettre de côté la possibilité. « Le problème n’est pas de reprendre à d’autres des idées, car nous assumons volontiers le fait qu’elles ne nous appartiennent pas ; en revanche, il y a un problème à tenter de s’approprier ce que nous pensons n’être la propriété de personne. Il ne s’agit pas tant de dénoncer des plagiats, c’est-à-dire des vols, que des manques de reconnaissance des pairs dans une façon d’arpenter des principes (la suspension, l’équilibre, la chute, le renversement, le rebond, la déconstruction, la musicalité du jonglage etc.) », écrit Le Petit Travers, qui comme le directeur du Sirque déplore la timidité des réactions de ses pairs. Et appelle de ses vœux une action collective. Reste à savoir quelle forme celle-ci pourrait prendre. Par la voie judiciaire, comme le suggère notamment Martin Palisse ? Ayant travaillé pendant près de vingt ans sur le sujet, l’avocate Valérie Dor prévient les compagnies concernées des difficultés qui les attendent en cas de procès pour atteinte au droit d’auteur. « Il faut pouvoir prouver que l’œuvre en question est originale, et que vous êtes l’unique auteur de la création. Ces notions sont très subjectives : les procès victorieux se font donc rares. Ils sont de plus coûteux, et donc guère accessibles à tous ». La prescription étant de cinq ans seulement, la plupart des cas soulevés par la vidéo ne peuvent de plus plus guère être portés devant la justice. « Une victoire n’est bien sûr pas impossible, mais j’aurais tendance à dire que porter la chose sur la place publique aura davantage d’effet », poursuit Valérie Dor. Le mouvement est amorcé. Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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Le spectateur de Belleville
February 24, 2021 6:47 PM
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Par Martin Zell dans le blog "Le bruit du off" 24/02/21 Les compagnies seront ravies d’apprendre qu’elles ne sont pas les seules à souffrir, en cette période surréaliste de restrictions de tout poil et autres misères faites au spectacle vivant.
Pendant que certaines sont au bord du désespoir, quasi en faillite, les théâtres privés, comme ceux relevant « d’associations loi 1901 » (à but non lucratif, rappelons-le) mais largement subventionnés, sont eux, en dépit de leurs pitoyables démonstrations publiques lacrymales, plutôt florissants : non contents de toucher comme chaque entreprise fermée suite au Covid des sommes conséquentes relatives à leur soi-disant « perte de chiffre d’affaire », ceux-ci ont profité de la crise pour « dégraisser » à tout-va, prétextant la pandémie pour mette à pied leurs collaborateurs, devenus trop chers car trop anciens et qualifiés, de manière à leur substituer des « jeunes », tout droit sortis des facs et donc peu gourmands en terme de salaires et de revendications…
A Avignon-sur-scène (terme emprunté à notre confrère Fabien Bonnieux de « La Provence »), l’épidémie des licenciements plus ou moins déguisés fut foudroyante, et ce dès le premier confinement. De « grandes » scènes avignonnaises, depuis toujours considérées (bien naïvement) comme porteuses de « valeurs » de gauche et auto-proclamées bienveillantes à l’égard de leurs salariés, dispensant un discours politiquement correct à l’endroit d’une multitude de « causes » bien-pensantes, ont brutalement licencié les personnels qui leur étaient attachés, parfois depuis une vingtaine d’années, mais qui les gênaient : trop chers, trop « affûtés », trop au courant de leur gestion humaine interne plus que douteuse, ce qui pourrait nuire à leur délicieuse image de sainteté…
Ceux-là, tout le monde les reconnaîtra. Et d’ailleurs, chacun sait intimement, ici à Avignon, ce que ces « patrons » culturels valent, humainement parlant. Derrière l’affichage de l’amour et de la fraternité, se dissimule depuis toujours une politique « DRH » impitoyable, essorant les employés, psychologiquement et financièrement, enfreignant les règles élémentaires du droit du travail, les faisant bosser au-delà des conventions salariales -ce que tout le monde sait, mais que personne ne dit, la fameuse « omerta » avignonnaise : il serait grand temps que les syndicats de la profession et l’inspection du travail se penchent sérieusement là-dessus. Ces patrons au grand coeur agissent impunément depuis des lustres en infractions réitérées aux principes fondamentaux du droit du travail et au pur mépris de la loi, exigeant de leurs salariés un dévouement absolu à la grande « cause de l’art ». De la leur en particulier. Vertige du discours…
On s’étonne d’ailleurs que leurs « tutelles » institutionnelles continuent aveuglément depuis des décennies de leur allouer autant d’argent public, par centaines de milliers d’euros pour certaines d’entre elles… Alors qu’elles sont parfaitement au courant de leurs exactions -en terme de droit du travail- et dols -en matière d’usage abusif de subventions publiques. Et surtout, pour quelques-uns de ces théâtres, de leur inaction absolue, si ce n’est la mise sur marché de leurs « créneaux », ou, dans le meilleur des cas, l’auto-production de leurs « chef-d’oeuvres » intemporels… Ces collectivités territoriales et l’Etat lui-même font montre à l’endroit de ces bénéficiaires du denier public d’une générosité sans limite, qui pose question : incompétence, complaisance, lâcheté ? un peu des trois sans doute *.
Autre préoccupation, la « dynastisation » de certains de ces théâtres -associations loi 1901 rappelons-le- par le jeu des passations de pouvoir entre parents et enfants, créant des lignées d’héritiers du bien public, en les nommant « directeurs » de structures fondées il y a 50 ans, sans qu’aucune compétence artistique ou expérience réelle soit requise, chargeant ces heureux « élus » de pérenniser et faire prospérer l’entreprise familiale, quitte à mordre un peu sur les « idéaux » de ses fondateurs…
Voilà pour le commerce avignonnais des âmes bâtées du théâtre dit subventionné. Mais les structures strictement privées ne sont pas en reste : Tous les fameux « indépendants » de la toute nouvelle « fédération des théâtres indépendants (sic) », structure militante des laissés pour compte des deniers publics, ne valent pas mieux. Leurs exactions -y compris au pénal- ne se comptabilisent plus : détournements de recettes, non conformité au droit du travail, non mise aux normes de leurs salles en matière de sécurité… on en passe et des meilleures.
Le Covid leur aura également réussi : chômage partiel, recours aux fonds de secours ou aux prêts qu’ils ne rembourseront jamais, etc. La vie est belle. Il suffit de constater la récente opulence du régisseur du « théâtre Notre Dame », qui vient de se payer un SUV flambant neuf à 35 000 euros, pour voir à quel point la pandémie est une aubaine pour ces profiteurs de ce Off là : du coup, être intermittent chez « Notre Dame » est beaucoup plus confortable qu’être artiste payant -et trébuchant- du même « théâtre »…
Ainsi va la vie…
Martin Zell
* faut-il rappeler à ces messieurs-dames les élus et administratifs qui ferment les yeux sur les comportements délictueux des structures qu’ils subventionnent, qui’ils peuvent un jour ou l’autre se retrouver devant les tribunaux, passibles de complicité de détournement de fonds publics, complaisance délictuelle concernant le droit du travail, et autres joyeusetés pénales ? Ce qui ne va pas manquer de leur arriver s’ils continuent de fermer les yeux devant de telles pratiques illégales pratiquées par leurs subventionnés.
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Le spectateur de Belleville
February 24, 2021 2:43 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog ---- 24/02/2021 On hésite à parler de ces moments auxquels on n’accède que par chance professionnelle. Mais ne faut-il pas saluer les artistes ?
Un vendredi après-midi à giboulées. Loin du printemps, pourtant. Nuages et pluie, puis flux de vent pour laver le ciel. Direction, Gare au Théâtre, à Vitry. Une très bonne adresse, depuis longtemps. Une équipe de jeunes très entreprenants qui, des étés durant, nous ont offert, sous le titre amusé de « Nous n’irons pas à Avignon », des rencontres toniques, des spectacles innovants, des personnalités originales. Cet après-midi-là, on est invité à une « sortie de laboratoire » : grand nom pour petite forme, représentation brève –lecture d’ailleurs, en fait- mais d’abord travail très sérieux, intelligent et sensible pour un texte délicat et profond, en prise avec notre monde. Gare au Théâtre a été fondé en 1996 par le très actif Mustapha Aouar et sa « Compagnie de la Gare ». Il a monté des dizaines de spectacles, au bord des rails et entrepôts, mais également ailleurs car son talent, sa liberté, l’ont conduit sur d’autres chemins, à l’invitation d’artistes ou d’institutions. C’est lui, également, qui a lancé en 1999, le festival « Nous n’irons pas à Avignon ». Mustapha Aouar continue sa route ailleurs, avec sa compagnie Delagare & Cie. Il y a quelques mois, le conseil d’administration a choisi, entre de très nombreux dossiers de candidature, Diane Landrot, habituée à l’administration, et l’écrivain Yan Allegret. Ils ont repris le cap d’une programmation dévolue principalement aux auteurs. C’est un privilège, ces temps-ci, que de pénétrer dans une salle, s’asseoir, en respectant distance grande, gestes barrière, etc… et d’assister à un spectacle ou à une lecture. Ces moments sont pour le moment réservés aux professionnels en espérance d’une reprise. Ici, nous étions invités à assister à une lecture, très travaillée, sous la direction du metteur en scène italien Salvino Raco, assisté de Carolina Basaldùa, d’un texte récent de Joseph Danan, L’Habitant du dehors. Deux virtuoses du jeu : Charlie Nelson, Philippe Fretun, et une toute jeune fille dans la partition d’un adolescent, Constance Parra. Dans la salle, Marie-Louise Bischofberger qui a dirigé il y a quelques mois Charlie Nelson dans une adaptation très réussie de textes de Maupassant, Dominic Gould, comédien lui aussi présent dans le Maupassant, l’écrivain et critique Gilles Costaz, et des jeunes du monde du théâtre. Un espace vide, trois chaises, et évidemment, pour nous présenter ce travail, cette « sortie de laboratoire », Joseph Danan lui-même. Un grand universitaire qui a formé des étudiants des années durant, par ses cours et sa direction de thèses, un auteur dramatique très original. Un « labo », ce sont quatre jours de travail, pour une lecture très fluide et sensible, à partir d’un texte particulièrement intéressant. Un ancrage dans notre monde. Aujourd’hui, deux hommes. L’un qui vit avec son enfant et se préoccupe beaucoup d’un « habitant du dehors », qu’il a eu l’occasion d’aider –sans se ruiner- et qui l’obsède par sa présence même. C’est Charlie Nelson. L’autre, dans l’autre aile de l’immeuble, observe. C’est Philippe Fretun. Entre eux, l’ado, Constance Parra. Ce que réussit merveilleusement, avec tact, discrétion, Joseph Danan, c’est de nous parler de notre monde, de notre malaise face aux migrants démunis, migrants ou hommes et femmes et jeunes que le destin a jetés à la rue. Joseph Danan nous parle aussi de notre culpabilité et de notre attitude parfois irrationnelle, face, notamment, aux demandes de la rue. Mendicité appuyée ou présences silencieuses. Il glisse, avec intelligence, une allusion à un exil qu’il a connu, en 1962. Il avait onze ans. On n’est pas obligé de faire le rapport avec sa propre vie. Quand on entend « La Sénia », seul nom propre de L’Habitant du dehors, on traduit Oran et on se souvient que c’est là-bas que Joseph Danan est né. Mais c’est le « personnage » qui a vécu cet épisode et s’interroge : ainsi, on a pu connaître soi-même l’exil, et se fermer aux autres ? Charlie Nelson déploie avec rigueur toute la puissance du spectre très large de son jeu. Il est très engagé, très émouvant. Philippe Fretun, dans une partition moins développée, mais tout aussi importante et finement écrite, est comme toujours subtil, délicat. Entre eux, la jeune Constance Parra est idéale, dans l’économie et dans une présence soutenue, à l’écoute de ses grands aînés. Bref, un très beau moment de théâtre dont on espère pouvoir suivre les métamorphoses, dont on espère qu’un jour un grand nombre de spectateurs pourront le découvrir. Gare au Théâtre, 13, rue Pierre-Sémard, 94000 Vitry. A deux pas du RER C Vitry.
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Le spectateur de Belleville
February 23, 2021 11:12 AM
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Propos recueillis par Agnès LE MORVAN / Ouest-France - publié le 22/02/2021
Le TNB avait rouvert ses portes à la rentrée de septembre 2020, jusqu’au 30 octobre date du second confinement. Depuis, le théâtre et le cinéma sont fermés au public. Entretien avec Arthur Nauzyciel, directeur du TNB… Une année sans public, quelle est l’activité du TNB ? Nous n’accueillons pas de public, mais le TNB n’est pas vide. Les artistes sont au travail. Les plateaux, les salles de répétitions sont occupés par des résidences. On accueille les artistes avec lesquels on a des projets, qu’on suit, mais aussi d’autres artistes de la région comme Clément Le Goff du cercle celtique, Julien Mellano, Simon Gauchet, Mélanie Leray, Latifa Laâbissi, Massimo Dean, l’Orchestre national de Bretagne, le centre chorégraphique… C’est un soutien modeste, mais nécessaire dans le parcours de certains artistes. Nous avons répondu à la demande. Nous avons aussi mis la salle Gabily à disposition des élèves de l’école d’architecture et lançons l’opération bureau solidaire pour proposer à des étudiants en arts du spectacle de venir travailler dans les locaux du TNB pour rompre l’isolement. Menez-vous des actions vers l’extérieur ? Depuis novembre, 2 800 élèves ont pu bénéficier d’actions culturelles portées par le TNB, comme avec Tania de Montaigne, Stéphane Foenkinos ou Amine Adjina qui a proposé des ateliers au collège, mais aussi auprès de jeunes en insertion, dans le cadre de sa nouvelle création. Comment cela se passe pour les élèves du TNB ? Nous avons lancé le recrutement de la nouvelle promotion. Nous avons 1 200 dossiers à étudier. 150 seront retenus pour une rencontre. En deux ans, beaucoup de choses ont changé, avec une génération qui raconte d’autres histoires. Le confinement est très présent. On sent que ces jeunes candidats ont vu beaucoup de films. Ils ont une grande culture cinématographique. On les sent battants, avec une envie de s’inscrire dans l’avenir, d’innover, d’inventer. Pour les élèves qui terminent leur cursus, ils savent qu’ils vont entrer dans un monde chaotique. Nous menons une politique d’insertion soutenue. Pendant six ans, ces élèves sont accompagnés. Certains vont travailler avec les artistes intervenants. Ils sont lucides et très désireux, même si, pour le moment, ils sont en manque de spectacles. Comment, avec le TNB fermé, maintenir le lien avec le public ? Outre l’éducation artistique, nous lançons une enquête auprès du public, pour nous aider à réfléchir à quel type de projet lancer à la rentrée. On ne sait pas du tout ce qui nous attend. Est-ce qu’on accueillera moins de spectacles, qu’on gardera plus longtemps à l’affiche ? Nous pensons que le public reviendra, mais sans doute pas tout le monde en même temps et sur les mêmes choses. On sait qu’il y a une envie de cinéma. Quand on a rouvert en septembre, le public est d’abord venu au cinéma, puis au théâtre. On veut bien préparer la réouverture pour donner la possibilité à tous de revenir. On lance également un magazine du TNB. L’équipe s’est formée à la vidéo pour produire un contenu qui raconte l’activité du TNB. Comment sont suivies vos propositions en ligne ? Le Facebook live, avec le performeur et plasticien Steven Cohen, a été suivi par 200 à 250 personnes, même chose avec l’historien Patric Boucheron. Ces propositions peuvent s’adresser à un public plus large que celui du TNB. Avec la recréation Splendid’s sur Zoom, on a réuni plus de 2 000 spectateurs de 35 pays, certains du Japon ou de Corée, qui se sont levés à 5 h pour voir ça. Ce sont de nouveaux contacts avec des personnes qui découvrent le TNB. C’est une autre manière de partager. On va aussi proposer quelque chose avec le spectacle Jeanne Dark, de Marion Siefert, déjà conçu pour des interactions sur Instagram. Il y a eu une opération théâtre ouvert le 30 janvier, pour demander la réouverture des salles ? Le TNB n’a pas participé ? Nous avons été sollicités. Mais il faut faire attention à ces ouvertures. Et nous sommes une grosse structure. Une telle opération se prépare très en amont. Et est-ce que ça sert vraiment ? Ce qu’il faut protéger aujourd’hui, ce sont les conditions pour maintenir une activité artistique. Financièrement, comment cela se passe ? Nous sommes toujours soutenus par la Ville, l’État, la Région, le Département. Mais nous fonctionnons avec les recettes de la billetterie et des tournées, cela représente 40 % de notre budget. C’est inquiétant. D’autant que l’on a honoré tous les contrats des spectacles annulés, par choix solidaire. Je ne suis pas inquiet pour 2021, mais davantage pour 2022 et 2023. Et on ne sait pas, pour l’instant, quand les salles rouvriront, avec quelle jauge, et si tout le monde sera vacciné… Comment vivez-vous cette crise en tant qu’artiste, directeur de théâtre ? Comédien et metteur en scène, je ne joue pas, mes spectacles ne tournent pas. Je partage cette difficulté avec tous les artistes que l’on accueille. Je suis très frustré comme citoyen, de ne pas aller au musée, au cinéma, au spectacle, de ne pas voyager. J’ai le sentiment de m’assécher. Mais j’ai la possibilité de faire des choses comme directeur de théâtre, de me sentir utile. Photo : Arthur Nauzyciel, directeur du TNB Crédit : Ouest-France / Thomas Bregardis
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Le spectateur de Belleville
February 23, 2021 6:48 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde le 23 février 2021 « Un an de culture confinée » (2/12). Nommée, en mars 2020, juste avant le confinement, à la tête du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, l’artiste a multiplié les ateliers et initiatives pour continuer à jouer.
Elle rêvait de faire du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) une « ruche » bourdonnante et joyeuse. L’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement. Première femme à diriger, à tout juste 40 ans, ce centre dramatique national (CDN), fleuron de la décentralisation théâtrale à la française, Julie Deliquet a vécu un baptême du feu un peu particulier. « Le premier geste que j’ai eu à faire en prenant mes fonctions en mars 2020, c’est de fermer le théâtre », résume-t-elle sobrement. Lire aussi : Julie Deliquet prend la tête du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis « Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai eu les mains dans le cambouis direct, s’amuse-t-elle. Je n’avais jamais dirigé de théâtre, j’ai vécu un apprentissage en accéléré. Comme les autres directeurs de CDN étaient eux aussi confrontés à une situation inédite, une grande solidarité s’est mise en place entre nous, qui a été très formatrice pour moi. Et solidarité, aussi, avec toutes les structures culturelles de Saint-Denis – cinémas, musées, cirque… –, avec lesquelles nous nous sommes constitués en collectif. » Le collectif, c’est la clé qui a permis à Julie Deliquet d’avancer et d’inventer, malgré tout, lors de cette année 2020 particulière où les théâtres n’ont pu ouvrir au public que deux mois à peine, en septembre et en octobre, avec toutes les conséquences, incalculables, que cela va entraîner pour la vie théâtrale française des années à venir. Et le collectif, Julie Deliquet connaît, elle qui a bâti son beau parcours artistique avec sa compagnie, In vitro, créée en 2004 et forte d’une quinzaine de membres. Lire le portrait (en septembre 2016) : Julie Deliquet, le théâtre in vivo « Je ne voulais pas qu’on devienne un théâtre fantôme », raconte la metteuse en scène, qui s’est retroussé les manches pour montrer du théâtre partout où c’était possible, dans tous les interstices autorisés malgré les interdictions et les règles en vigueur. Et le fait est qu’un an après le coup d’arrêt donné à la culture, le théâtre de Saint-Denis vit, autant qu’il se peut dans le contexte. Non seulement parce que des compagnies y répètent des spectacles. Mais aussi parce que l’institution a intensifié son travail avec le territoire, en multipliant les ateliers ou les représentations avec les établissements scolaires, les maisons de quartier, les centres pour la jeunesse, les Ehpad ou encore l’hôpital Delafontaine, avec qui le théâtre a noué un partenariat durable. « Pleurer de rage et d’impuissance » C’est ainsi qu’en cette journée de la mi-février une petite dizaine d’amateurs, venus avec les Petits Frères des pauvres et la Maison des seniors de Saint-Denis, se retrouvent dans une des salles du théâtre pour un atelier d’improvisation avec Jean-Christophe Laurier, un des acteurs de la compagnie In vitro. « Ces ateliers, c’est une soupape pour tout le monde, explique celui-ci. Aussi bien pour les comédiens, comme moi, qui sont privés de travail en ce moment, que pour les personnes qui y participent, et qui se retrouvent encore plus isolées que d’habitude. Le théâtre, c’est l’endroit du partage. On essaie de créer un espace d’intimité, de plaisir et d’évasion, loin du Covid, pour ces personnes qui ont un certain âge et sont déjà suffisamment dans l’angoisse de la maladie. » « A Saint-Denis, la demande est énorme pour ce type d’intervention, bien sûr, note Julie Deliquet. C’est un territoire que nous connaissons bien, pour avoir été artistes associés au théâtre pendant plusieurs années, depuis 2014. Mais, avec le Covid, cette demande a explosé : beaucoup de locaux d’associations sont fermés, le travail mené par ces structures depuis des années s’effondre à cause des contraintes sanitaires, les élèves et les étudiants, de la maternelle à l’université, se retrouvent privés de sorties culturelles… Nous avons reçu des appels au secours de partout. » Julie Deliquet, directrice du Théâtre Gérard-Philipe : « Offrir un accès gratuit, de proximité, pour tous, à la culture, c’est d’une importance capitale » Ce rôle, Julie Deliquet y croit et le défend dur comme fer, quand on lui demande si la vocation d’une institution culturelle est de soigner les blessures sociales de notre pays. « Oui, le théâtre a acquis, ces dernières années, un rôle important sur la question du lien social, et c’est une bonne chose. Offrir un accès gratuit, de proximité, pour tous, à la culture, c’est d’une importance capitale. D’avoir eu la chance d’être dans un établissement scolaire qui m’a proposé cette ouverture, pendant mon adolescence, à Lunel, dans le sud de la France, cela a changé ma vie, s’enflamme la metteuse en scène. Mais il ne faut pas se tromper sur le sens de notre mission, qui n’est pas une mission d’animation, mais bien celle d’une interrogation artistique sur ce qu’est la culture accessible à toutes et tous. C’est à notre endroit de culture que nous devons intervenir, comme une partie intégrante de notre démarche artistique. » Sur le volet artistique de sa mission, la première année de Julie Deliquet à la tête du CDN de Saint-Denis a été plus difficile. Comme tous ses collègues, elle s’est retrouvée à « faire, défaire, refaire et redéfaire », autrement dit reprogrammer et surtout déprogrammer des spectacles, au fil des reconfinements, couvre-feux et non-réouvertures des lieux culturels. « Emotionnellement, la période la plus éprouvante a été celle qui a suivi le 15 décembre, quand on a su que l’on ne pourrait pas rouvrir nos lieux au public, se souvient-elle. Je me suis retrouvée à pleurer dans la rue, ce qui n’est pas du tout mon style. Pleurer de rage et d’impuissance. Jamais je n’ai vu les compagnies dans un tel état de colère et de désarroi, face à cette décision incompréhensible, alors que les centres commerciaux restaient ouverts et que des transports bondés pouvaient continuer de fonctionner. » Lire le récit : Le monde de la culture frappé par les nouvelles mesures du gouvernement Comme ses collègues, elle a une sensation de « vertige » à l’idée du nombre de créations qui auront été préparées, répétées et ne pourront être vues, créant ce fameux « embouteillage » qui est désormais le cauchemar des programmateurs de spectacles. « On ne pourra jamais panser totalement le deuil qu’on est en train de vivre, affirme-t-elle. La saignée actuelle va impacter durablement le théâtre français. Sans compter les réflexions qu’il va falloir mener sur les modèles économiques : la distanciation risque de durer encore pendant de longs mois, avec pour conséquence une réduction des recettes de billetterie. » « Un vent de liberté artistique » Panser, soigner… la métaphore médicale n’est jamais bien loin, avec Julie Deliquet. Dans son projet pour la direction du Théâtre Gérard-Philipe, conçu bien avant l’apparition du Covid-19, un volet important était consacré aux relations entre le théâtre et la médecine. « Evidemment, la pandémie nous a confirmés dans l’idée qu’il était important de travailler sur cette question du soin. On a ouvert un pôle de réflexion pour réfléchir, avec différents métiers de la santé, à des thématiques de programmation, mais on n’a pu faire qu’un seul colloque à l’automne, en raison du contexte sanitaire. Mais trois spectacles dans ma programmation tournaient d’ores et déjà autour de ces sujets : Un conte de Noël, que j’ai monté avec ma compagnie, In vitro, sur le don d’organes ; Olivier Masson doit-il mourir ?, de François Hien, sur l’euthanasie ; et Hors la loi, de Pauline Bureau, sur l’avortement. Quant à Lorraine de Sagazan, qui est metteuse en scène associée au théâtre, elle réfléchit à une création pour la saison prochaine sur le thème de la réparation… » Lire la critique d’« Un conte de Noël » : Retrouvailles électriques dans une famille de déglingués Pour autant, Julie Deliquet qui, dans ce paysage abîmé, sent malgré tout « souffler un vent de liberté artistique », refuse l’idée d’une programmation qui tournerait exclusivement autour de questions d’actualité. « J’ai envie du maximum de diversité possible, de formes, de thèmes, d’époques, rêve-t-elle. Après un épisode aussi inédit, chamboulant, le monde va avoir besoin d’être représenté, selon des approches plus ou moins directes. » Elle-même a choisi d’emprunter, comme toujours, un chemin de traverse, en décidant d’adapter pour le théâtre, en ouverture de la saison 2021-2022, Huit heures ne font pas un jour, le formidable feuilleton télévisé réalisé par le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder, en 1972. « J’avais envie d’une œuvre plus sociale, plus politique, mais d’une manière déguisée. Envie d’une comédie, aussi, d’une œuvre positive, utopiste, qui donne de l’espoir. Envie de parler d’une terre ouvrière, ce qui est bien sûr lié à Saint-Denis, mais sans être collée au présent, en ayant du recul pour éviter le didactisme. C’est une œuvre qui fait du bien, en ce qu’elle montre que, sans un rond, on peut faire des choses si on les fait solidairement, avec un peu de culot et de légèreté. » Covid ou pas, Julie Deliquet continue à jouer collectif, et cela lui réussit. « Un an de culture confinée », une série en douze volets Légende photo : La metteuse en scène Julie Deliquet, le 25 janvier 2019, à la Comédie-Française, à Paris. SAMUEL KIRSZENBAUM/MODDS
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Le spectateur de Belleville
February 22, 2021 4:44 PM
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par Anne Diatkine dans Libération 23/02/21 Casser la tradition du vieux théâtre costumé, sortir de l’insularité anglaise, s’ouvrir à des langues inventées, tout reprendre à zéro en Inde avec l’ami Jean-Claude Carrière… Peter Brook, légende de la mise en scène de bientôt 96 ans, se raconte à «Libération». Peter Brook se lève lentement du canapé. Il mime un funambule qui avance sur une corde tendue au-dessus d’un ravin, tout en envoyant des balles avec une raquette. On discerne le fil, on entend les rebondissements et le souffle retenu du public, on voit son corps qui bascule tout en continuant de marcher sur la ligne si fine, il récupère une balle imaginaire qui passe au-dessus de sa tête, l’exercice nécessite souplesse du torse et concentration, essayez donc trente secondes, et le très juvénile metteur en scène, 96 ans le 21 mars, se rassoit : «Pour un homme comme moi qui n’a plus aucun équilibre, c’est très dangereux ce que je viens de faire !» Un moment unique de théâtre a surgi inopinément alors qu’on lui demandait si les exercices préparatoires des comédiens avant de jouer variaient selon ses spectacles et comment. Pourquoi ce souvenir du Songe d’une nuit d’été avec des trapézistes et des acrobates chinois et des acteurs anglais du Royal Shakespeare Theatre s’est-il invité dans son salon baigné de lumière, alors que cette création à Stratford, ville natale de Shakespeare, s’est donnée il y a un demi-siècle déjà ? Dans son autobiographie, la bien nommée Oublier le temps, le metteur en scène note que les répétitions, mot qu’il abhorre, étaient un genre de puzzle dont le premier morceau consistait à épuiser les acteurs par divers exercices physiques. A la fin de journée seulement, tout le monde se laissait couler avec soulagement à même le sol. «Alors seulement, nous nous mettions à lire la pièce, et ces lectures n’avaient qu’un but : permettre aux comédiens de s’écouter mutuellement et de laisser le texte se glisser en eux, sans commentaire ni analyse. Au début, les comédiens lisaient tout, à tour de rôle, ce qui supprimait la notion de monopole.» Peter Brook n’a pas attendu la maturité pour devenir un metteur en scène expérimental, c’est-à-dire quelqu’un qui ne s’assoit dans aucune forme existante et ne reproduit jamais ce qu’il a déjà tenté. On lui demande pourquoi il réexplore, décennie après décennie, sous différentes facettes, les mêmes pièces de Shakespeare. Il nous l’explique à sa manière : «C’est comme une promenade en montagne. A chaque nouveau pas, on croit être proche du but. On fait quelques pas, on s’arrête, et on s’aperçoit qu’il y a encore plus haut, plus loin, une autre montagne derrière un obstacle. Donc on reprend sa route. On remonte une même pièce en la lisant différemment.» Autrement dit, aucun spectacle n’est un but en soi, mais chacun est traversé par un trajet qui ne se laisse pas définir à l’avance et qu’il faut reprendre. Le jour est particulier. La veille, Peter Brook a appris la disparition de son ami Jean-Claude Carrière, avec qui il n’a jamais cessé de travailler depuis les années 70, et déjà, en 1963, à une adaptation des Belles Endormies, le roman culte de Yasunari Kawabata. Il interrompt notre première question. «J’aimerais avant toute chose, dit-il, évoquer ce moment très douloureux du départ de Jean-Claude.» Sur une table, le metteur en scène a regroupé différents livres de son ami, dont l’Atelier, sur ses manières différentes de faire équipe, selon les projets, les cinéastes, les metteurs en scène. Votre première collaboration effective avec Jean-Claude Carrière est une traduction de Timon d’Athènes de Shakespeare, que vous avez montée à la réouverture des Bouffes du Nord, en 1974, en ruine et abandonné depuis plus de vingt ans avant que vous ne lui redonniez vie… Je cherchais un écrivain qui puisse travailler avec nous, mais qui soit capable de ne pas imposer son style ou sa vision du monde, de disparaître derrière son œuvre. Un peu comme Shakespeare lui-même, dont vous ne pouvez rien deviner de la biographie à travers ses trente-huit pièces. L’amitié entre nous a été immédiate. Je lui ai demandé qu’on travaille ensemble à une nouvelle version de Timon d’Athènes. En anglais, un acteur peut faire entendre la langue de Shakespeare comme si elle avait été écrite aujourd’hui. Les répétitions, les allitérations, ne sont pas gênantes. En français, toutes les traductions, aussi littérales soient-elles, me paraissaient alambiquées et archaïques. Aussi fidèles soient-elles, la pièce ne nous arrivait pas. Entre Jean-Claude Carrière et moi, l’amitié a été immédiate. Il ne pouvait pas se permettre d’être compliqué car il avait compris depuis longtemps que les complications gâchent la vue. Mais si je dois garder une seule image de Jean-Claude, c’est lui, penché sur un carnet, écrivant dans un taxi, quand nous étions partis à la recherche du Mahabharata en Inde. Le taxi était lent et le voyage s’étalait sur des centaines de kilomètres, et inlassablement, il notait ce qu’il venait d’apprendre sur le Mahabharata, cette épopée en sanskrit qui restait très mystérieuse pour nous et qui suscitait une ferveur et des récits inentamés. Du continent africain à l’Asie, en passant par l’Afghanistan et l’Iran, ou en rencontrant des Indiens d’Amérique, vous êtes probablement le metteur en scène qui a voyagé le plus longuement et partout à la recherche d’autres formes théâtrales que celles transmises par votre culture et votre éducation à Londres. Que vous inspire l’immobilité forcée liée à l’épidémie ? Cette situation si imprévisible qui domine nos vies, je l’ai connue, car j’ai vécu pendant la guerre ce qu’on appelait du nom allemand «blitz». J’étais à Londres, et on continuait de vivre le mieux possible, mais subitement, parfois au milieu de l’après-midi, et très souvent le soir, au début d’une représentation, il y avait ce son de sirène et immédiatement, des policiers mobilisés dans la rue nous intimaient d’aller immédiatement dans les abris. On s’entassait dans des espèces de trous avec des bancs, jusqu’au moment où sonnait, parfois huit heures plus tard, la sirène libératrice. Quand on remontait, on était plongés dans la destruction, le paysage le plus quotidien n’existait plus, et on prenait conscience qu’on avait été sauvés par l’ordre de la sirène. Un soir, une bombe est tombée dans le bureau de mon père et a coupé l’appartement en deux. Mais contrairement à ce qu’il se passe aujourd’hui, tous les théâtres étaient ouverts, c’était le plus grand moment de renaissance possible : pendant la guerre, il y avait un théâtre libre dans toutes ses formes, jeune, expérimental, classique… Comment est-il possible qu’un théâtre novateur puisse émerger dans de telles circonstances ? Personne n’avait eu l’idée de fermer les théâtres malgré les bombardements. Mais si, au début d’une représentation, on entendait les sirènes, on ne pouvait pas partir avant sept heures du matin. Les spectateurs restaient toute la nuit sur leurs sièges, figés sur place. Et il y avait toujours parmi le public des acteurs, des actrices et surtout des amateurs qui rêvaient de prendre le plateau. Si bien que toute la nuit, les uns après les autres, des groupes ou des personnes isolées montaient sur scène pour chanter, improviser, et c’est ainsi, dans ces conditions terribles, qu’a débuté un nouveau théâtre. Les conditions étaient propices pour que les meilleurs moments du ballet, de l’opéra, du théâtre anglais puissent éclore. On ne sait pas où les restrictions actuelles vont nous mener. Pour l’instant on est encore plus confinés que pendant la guerre, avec le danger des bombes dont on entendait le sifflement. C’est un son tout à fait à part. Juste avant que la bombe vous touche, il y a ce «fchfchfch»… Vous dites que le confinement dans les salles de théâtre des nuits durant a débridé l’inventivité. Les conventions théâtrales n’étaient-elles pas au contraire très pesantes après-guerre ? Très tôt, j’ai réagi contre ce théâtre, qui provenait de ce que les Anglais étaient déjà obsédés par le sentiment de leur insularité. J’ai commencé par avoir deux, trois succès dans le West End de Londres – l’endroit où il fallait être pour monter des pièces avec des moyens financiers. Il y avait très peu de tournées, et les déplacements ne se faisaient qu’à l’intérieur de l’Angleterre. On ne pouvait pas imaginer qu’il existait d’autres façons d’habiter la scène que de la manière exquise et respectée des grands acteurs anglais. J’ai toujours été voyageur. Enfant et adolescent, d’abord grâce à la lecture. Je rêvais de quitter l’île et, par chance, j’ai vécu un premier amour avec une femme qui m’a fait découvrir les villages merveilleux du sud de la France. Comment êtes-vous arrivé en France ? J’avais cette conviction qu’en Angleterre, le théâtre de haute qualité était complètement bloqué par la tyrannie du bon goût. Par exemple, si on montait une pièce de Shakespeare, il fallait que les costumes et les décors soient encore plus importants que les acteurs. C’était eux, la raison d’être du public, tout comme la musique, qui accompagnait ou masquait la déclamation. Ils symbolisaient la vie cultivée et civilisée. Durant cette époque coloniale, on croyait encore que les Occidentaux apportaient la civilisation dans des pays primitifs… La pesanteur des traditions théâtrales est l’une des raisons qui peu à peu m’ont amené à m’installer avec mon épouse Natasha Parry et nos deux enfants, Irina et Simon, en France où, depuis longtemps déjà, il y avait une volonté de se débarrasser des vieilles formes, avec Picasso, les Ballets russes de Diaghilev, le nouveau ballet de Roland Petit… Bien sûr, certains théâtres étaient encore dévolus aux spectacles conçus pour ne pas déplaire à la grande bourgeoisie. Les spectateurs payaient très cher pour être vus. Les dames venaient lors des premières habillées par de grands couturiers. Pour les acteurs, c’était épouvantable, car à peine commençaient-ils à jouer qu’ils voyaient toutes les têtes s’effondrer ou tomber dans le sommeil, le cou renversé, la bouche ouverte. L’équivalent aujourd’hui de la robe d’un grand couturier, c’est l’usage du portable pendant les représentations. Des acteurs très proches qui reviennent de tournées internationales me racontent qu’ils voient parfois, aux deux premiers rangs, tous les spectateurs avec un portable à la main, qui soit écoutent leurs messages, soit en écrivent. Dans des théâtres souvent immenses et de construction récente, il leur était impossible de faire en sorte que le public accepte de quitter ses écrans pour lever un moment les yeux vers eux… Vous êtes précisément le metteur en scène qui a placé l’écoute au cœur de votre recherche. Comment ce travail a-t-il évolué ? Je n’aimerais pas qu’on publie après ma mort les meilleures recettes de Peter Brook pour que les acteurs forment une unité et s’écoutent mutuellement. Mais c’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à atteindre, tout comme le silence habité, celui qui fait vivre chaque cellule de son corps. Quand j’ai été invité à Paris par Jean-Louis Barrault en 1968, pour monter un Shakespeare, je lui ai dit que j’avais plutôt envie de désapprendre tout ce que je savais, en montant un atelier avec des acteurs de partout. C’est ainsi qu’on a créé notre tout premier groupe de recherche théâtrale avec des acteurs iraniens, portugais, indiens, américains, japonais, maliens et même français, sans aucune langue commune. Certains d’entre eux, comme Yoshi Oida, ont été ensuite de la plupart de nos spectacles. La première fois qu’on a répété ensemble, tout ce que je pouvais dire était : «Nous sommes tous des êtres humains, mais nous ne pouvons pas communiquer. Alors on va faire des exercices pour voir si des gens qui ne partagent pas la même éducation, la même culture, la même langue, peuvent se comprendre.» Le premier d’entre eux était d’être ensemble, de se regarder et de sentir le besoin d’utiliser certaines sonorités qui vibraient. Un acteur s’approchait de l’autre et disait : «Oooh.» L’autre lui répondait par : «Oh oh ! oh oh !» On a commencé par des sons, puis nous avons ajouté des lettres, et nous avons remarqué que notamment en français, nous ne pouvions pas caresser avec le son «k». Et peu à peu, nous avons inventé cette langue que nous avons appelée le «Bachta Ongo». Un poète anglais, Ted Hughes, qui cherchait lui aussi à se libérer de l’emprise de la jolie mélodie, nous accompagnait et a inventé pour nous un nouveau langage – «Orghast». Or, c’était le soleil. Et ghast, c’était tiré du geist, esprit en allemand. En orghast, on explorait l’origine de la tragédie grecque quand le chant et les mots se confondent dans une lamentation. Le défi, en explorant la puissance expressive des sons, était de remonter jusqu’aux langues les plus anciennes, le grec archaïque, l’Avesta. Avez-vous donné des représentations devant des spectateurs en orghast ? Oui, notamment en Iran au festival de Shiraz-Persépolis, d’après Prométhée. Mais aussi dans des lieux inhabituels, des supermarchés, des places de villages. Jamais dans des théâtres solides. A cette époque, on allait aussi improviser dans des petits endroits où il n’y avait parfois que quarante places, auprès de personnes qui ne savaient rien de nous et de qui j’étais – un metteur en scène anglais mondialement connu. Nous avions besoin de tester le poids d’un mot, d’une expression, d’un pied, d’un gag, auprès d’un public tout à fait inhabitué. On a fait du très beau théâtre dans des endroits très laids comme un parking ou dans des foyers. Mais le groupe de recherche m’a permis aussi, à une époque où l’on vivait encore avec la légende que les interprètes anglais sont les meilleurs du monde, de rencontrer l’immense acteur malien Malick Bowens, qui a été le premier acteur africain à jouer une pièce de Shakespeare, quand il était encore inconcevable de faire jouer Shakespeare par des comédiens de couleur, disait-on. C’était dans Timon d’Athènes, et François Marthouret était Timon. Vous avez souvent dit que le théâtre des Bouffes du Nord avait des dimensions idéales. Pourquoi ? C’est ma collaboratrice Micheline Rozan qui m’a mené jusqu’à ce théâtre, dissimulé derrière des palissades. Et tout de suite, j’ai su que la circularité de la scène, sans rampe ni rupture avec la salle, allait nous permettre de partager merveilleusement l’espace entre nous et avec le public. Il était évident que les traces du temps et du feu sur les murs rendaient tout décor superflu. Dans ce théâtre, notre responsabilité est engagée avant même que le public n’entre dans la salle. Je n’ai jamais fait très attention aux critiques. En revanche, j’ai toujours épié la manière dont les spectateurs s’installent puis bougent pendant la représentation. Comment ils s’inclinent pour mieux écouter, ou au contraire s’affalent et croisent les jambes quand ils s’ennuient… Depuis longtemps maintenant, vous cosignez tous vos spectacles avec Marie-Hélène Estienne. Que vous apporte ce partage ? C’est encore chez Micheline Rozan que j’ai rencontré Marie-Hélène, quand elle travaillait pour le Festival d’automne. Nous sommes nés tous les deux le premier jour du printemps. Au début, elle m’assistait, mais ce verbe est devenu absurde, car elle assume des choix, elle a une très grande intuition à propos des acteurs, elle traduit et sait faire apparaître, comme Jean-Claude Carrière le faisait, l’essentiel d’une phrase. Et tout ceci depuis si longtemps. Je ne pourrais pas du tout travailler sans ce partage. Pourquoi détestez-vous l’expression «répétitions» ? C’est la mort du théâtre, qui consiste justement à ne jamais répéter à l’identique ce qu’on a fait la veille. Bien sûr, on l’emploie pour dire qu’il faut retravailler. Mais même lors des plus grands rituels qui semblent immuables, il y a des interstices de liberté, quand on les observe à la loupe. Le mouvement de la vie surgit. J’étais très ami avec Bertolt Brecht, j’aimais regarder comment il préparait les acteurs à refaire toujours la même chose. Mais je n’étais pas d’accord avec lui. On n’est pas sur Terre ni au théâtre pour recevoir des leçons ! Le fondement de mon théâtre, à l’inverse, a toujours été de conserver la possibilité de soulever le couvercle des habitudes qui se sont installées sur scène malgré nous. Vous connaissez mon histoire préférée ? Un jour dans le désert, un conducteur de bus s’arrête et se lève pour nous dire : «Le passé est entré dans l’histoire, le futur est une énigme. Mais le présent, en anglais comme en français, signifie un cadeau.» Puis il a redémarré son bus. Depuis je n’ai jamais arrêté de penser que toute représentation, mais aussi chaque instant de la vie, devait être au présent. Légende photo : Peter Brook, le 10 février, à Paris. (Richard Dumas/Libération)
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Le spectateur de Belleville
February 20, 2021 5:10 PM
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Radiodrama Fiction radiophonique, écrite et interprétée par Céline Milliat - Baumgartner Ecouter (1h) "Il dit que les parents ne vont pas rentrer. Il dit accident, et aussi de ne rien dire aux enfants." Céline Milliat Baumgartner décline son récit à la première personne, une enquête intime et nécessaire, sous forme radiophonique.
Peu m'importe la vérité. Je m'accroche à mes souvenirs, ceux sur lesquels je me suis construite, même s'ils sont faux, même s'ils sont inventés. Mes souvenirs, mes inséparables. Mon trésor de pacotille. Céline Milliat Baugartner
Le 19 juin 1985 au petit matin, une voiture sort de la route, percute un poteau et prend feu. Ce jour-là, Céline Milliat Baumgartner perd son père et sa mère. Elle a huit ans. En 2015, elle publie aux éditions Arléa Les Bijoux de pacotille, un livre dans lequel elle évoque ses parents, leur disparition, puis l’enfance, l’adolescence, la vie qui se poursuit sans eux. Comme terrain d’enquête, Céline Milliat Baumgartner n’avait que sa mémoire, les histoires qu’on lui avait racontées, quelques albums photos, un procès-verbal, un film de Truffaut, deux bracelets et une boucle d’oreille en forme de fleur, ces bijoux en toc "qu’on a retrouvés dans la voiture accidentée quand tout le reste est parti en fumée". Deux ans après la publication du livre, en 2017, Les Bijoux de pacotille devient un spectacle de théâtre mis en scène par Pauline Bureau que l’auteure interprète seule avec une grâce de ballerine.
Réalisation : Céline Milliat Baumgartner et Laure Egoroff Conseillère littéraire Pauline Thimonnier
Pour Radiodrama, elle décline à nouveau ce récit dans une forme radiophonique. Au micro et à la première personne, elle revient sur la nécessité qui l’a poussée à écrire un livre pour y "ranger ses fantômes". Elle convoque les voix, les sons des souvenirs, les musiques de l’enfance. Elle rejoue les scènes, fait apparaître les personnages, invente et imagine quand la mémoire se fait la belle.
Avec Céline Milliat Baumgartner, David Migeot, Marc-Henri Boisse, Vincent Viotti, Sylvie Huguel, Blandine Baudrillard, Antoine Doignon, Pauline Jambet, Claude-Bernard Perot, Aurélien Osinski, Ivan Cori, Dan Artus, Nicolas Roussiau.
Et les voix de : Apollinaire, Angèle, Gustave, Octave, Elsa, Lucie, Clémence et Paula.
Bruitages : Elodie Fiat Prise de son, montage, mixage : Olivier Dupré, Manon Houssin ; Assistante à la réalisation : Manon Dubus.
Les Bijoux de pacotille a été enregistré au mois de mai 2018 à la Maison de la Poésie, à Paris.
CMB• Crédits : @CMB
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Le spectateur de Belleville
February 20, 2021 8:44 AM
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Le clair-obscur de Racine au Théâtre national de Strasbourg Éclairée par la lueur tremblante d’une flamme, seule la moitié de son corps se détache dans la pénombre. En exposant ainsi Mithridate, souverain du Pont (sur la côte méridionale de la mer Noire) et farouche ennemi des Romains, Éric Vigner souligne dans cette mise en scène de la tragédie de Racine la figure ambiguë de ce prince impitoyable. D’abord donné pour mort au combat, de retour parmi les siens, il découvre la trahison de ses fils, Xipharès et Pharnace. En son absence, le premier a déclaré son amour à Monime, fiancée de Mithridate, tandis que le second s’est rangé aux côtés des Romains. Loin de se résoudre, la situation déjà tendue s’intensifie, alimentée par la violence sourde et le trouble passionnel où se débattent les personnages. Dans un clair-obscur évoquant les tableaux du Caravage, les comédiens nous entraînent dans une descente âpre et tourmentée au plus profond de ténèbres dont l’issue semble inexorable. La diction de l’alexandrin toujours juste et précise ainsi que le jeu des acteurs, Stanislas Nordey, Thomas Jolly, Jutta Johanna Weiss, Philippe Morier-Genoud et Jules Sagot, participent amplement à la réussite de cette tragédie dévorante. Mithridate, de Jean Racine, mise en scène d’Éric Vigner, captation réalisée au Théâtre national de Strasbourg en novembre 2020. Diffusion le 22 février à 21 h sur Culturebox, puis en replay jusqu’au 28 février. Diffusion, le 5 mars à 21h sur France 5, puis en replay jusqu’au 14 mars. Légende photo : Thomas Jolly (Xipharès) et Stanislas Nordey (Mithridate) dans « Mithridate », de Racine, mis en scène par Éric Vigner au Théâtre national de Strasbourg en novembre 2020. • © LA COMPAGNIE DES INDES
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2021 5:05 PM
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Par Rosita Boisseau et Sandrine Blanchard dans Le Monde 18/02/2021 Depuis le début de l’année 2021, les artistes privés de scène en raison du Covid-19 investissent les établissements scolaires pour le plaisir des enseignants et des élèves.
L’ambiance est à la fête, vendredi 5 février, au lycée Jacques-Decour, à Paris. Dans les cours en enfilade, des groupes de lycéens masqués tanguent en discutant fort. « C’est où le théâtre ? », entend-on à droite. « Dans la chapelle ! », répond-on à gauche tandis qu’une voix hulule en s’amusant « le magicien, le magicien ! », comme un sésame d’une autre époque. Les rires fusent. Pour un peu, on se mettrait à chantonner le tube de Charles Aznavour « Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens, qui arrivent. » Le magicien du jour, Matthieu Villatelle, a l’air d’un prof ou d’un conférencier. En veston, chemise et pantalon, il accueille les élèves dans les lumières multicolores des vitraux de la chapelle pour leur présenter sa pièce Cerebro. Deux blocs de chaises séparés accueillent le public pour cette représentation exceptionnelle réservée à deux classes et demie de terminale, soit une soixantaine de jeunes. « On doit toujours faire attention à ne pas mélanger les groupes », glisse Sylvestre Gozlan, responsable éducation artistique et culturelle, à La Villette, qui pilote l’opération. « Bonsoir », dit Villatelle, qui rejoue pour la première fois un spectacle depuis novembre 2020. Frémissements dans les rangs. Il est 9 heures du matin. Villatelle, spécialiste en mentalisme, attaque. « Si on n’est pas notre corps, qui est-on ? Notre mental ? », interroge-t-il. Le brouhaha monte au fil des numéros auxquels participe spontanément le public. Occasion inespérée de jouer en public Cerebro fait partie du programme de spectacles de cirque, de danse et de théâtre présenté en milieu scolaire, de la crèche au lycée, par La Villette. A défaut d’être à l’affiche dans les salles de la Grande Halle, certaines pièces sont « déplacées » dans les écoles. « Les élèves ne viennent plus au théâtre, alors c’est le théâtre qui va à eux », résume Sylvestre Gozlan. Cette formule est devenue le leitmotiv des directeurs de lieux, des artistes, des enseignants et même des élèves. De Valenciennes (Nord) à Toulon, de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) à Amiens, les représentations en milieu scolaire se multiplient depuis la crise sanitaire. « Les chefs d’établissement et les professeurs sont très en demande de spectacles dans le contexte actuel », poursuit M. Gozlan, qui dresse actuellement un calendrier de « tournées » de pièces dont Be. Girl, de la chorégraphe hip-hop Valentine Nagata-Ramos, dans des lycées de Seine-Saint-Denis, à partir de mars. Lire l’enquête : Le spectacle vivant face au défi du streaming Pour les artistes, c’est l’occasion inespérée de jouer devant du public et de pouvoir faire des dates malgré la fermeture des salles. Ainsi Don Quichotte Intervention, mis en scène par Anne-Laure Liégeois, qui aurait dû être présenté en février à la Maison de la culture d’Amiens, est parti « en tournée » dans les établissements scolaires de la région. « Nous avons proposé aux écoles et collèges qui auraient dû voir le spectacle chez nous de venir chez eux. Le retour a été plutôt positif. Au final, on ne va pas forcément jouer devant plus d’élèves mais nous ferons plus de représentations et dans des endroits plus éloignés du théâtre », constate Laurent Dréano, directeur de la Maison de la culture d’Amiens. Même démarche pour la scène nationale toulonnaise Châteauvallon-Liberté. « L’idée est venue après la douche froide des annonces gouvernementales du 15 décembre 2020, qui ne donnaient plus aucune perspective de réouverture, explique Stéphane de Belleval, directeur des relations publiques de Châteauvallon. On a été accueillis à bras ouverts dans les établissements scolaires car nous avons tissé depuis longtemps des liens avec eux. » Les Naufragés, d’Emmanuel Meirieu, ou encore Exécuteur 14, d'Adel Hakim, mise en scène Tatiana Vialle, avec Swann Arlaud, ont ainsi pu aller au-devant des élèves. « Un parcours d’obstacles » Bouffées d’oxygène dans un quotidien vissé, ces opérations variées, la plupart du temps gratuites pour les écoles, se maintiennent dans le strict respect du cadre sanitaire. « Mais c’est un parcours d’obstacles », s’exclame Carine Aguirregomezcorta, du Malandain Ballet (Biarritz). Sur son bureau, la carte immense reliant dix-sept collèges – 38 classes au total – entre la France et l’Espagne pour le projet Planeta Dantzan, sur les thèmes croisés de l’environnement et de la danse. Sur le terrain, une danseuse et un éducateur environnemental dansent et parlent en trois langues : le français, l’espagnol et le basque. Parfois, les situations de jeu font apparaître les paradoxes des règles sanitaires actuelles. Ainsi, une représentation de Don Quichotte Intervention a eu lieu, mardi 9 février, dans la salle de spectacle d’une centaine de places du collège-lycée La Providence à Amiens, devant deux classes de 6e. Chaque élève, masqué, était séparé par deux sièges. « On avait le droit de jouer dans ce théâtre parce qu’il était situé dans un établissement ! », sourit Laurent Dréano. « Il y a une nécessité pour nous d’ouvrir les élèves à la culture », observe Patrick Hautin, proviseur du lycée Jacques-Decour, à Paris Piliers de ces rendez-vous culturels et artistiques, les chefs d’établissement. « Les activités artistiques ne sont pas interdites si elles sont présentées selon les règles communes que l’on connaît, précise Patrick Hautin, proviseur du lycée Jacques-Decour, à Paris. Gestes barrières, salles aérées… Les classes doivent rester en entité entière et les groupes ne doivent pas se croiser. Ce sont en ce moment les seuls moments de spectacle vivant qui existent en France. Et il y a une nécessité pour nous d’ouvrir les élèves à la culture. » Au ministère de l’éducation nationale, on affirme que « les artistes sont les bienvenus dans les établissements. Nous les encourageons, car l’éducation artistique et culturelle (EAC) doit absolument continuer malgré la pandémie ». Pour lever l’éventuelle frilosité de certains recteurs ou directeurs d’école, la Rue de Grenelle a demandé au ministère de la culture « de faire part de toutes difficultés éventuelles de compagnies ou d’associations qui auraient du mal à intervenir dans un établissement scolaire. Pour le moment, toutes les situations ont pu se régler au local sans difficultés », assure-t-on. « Tout est direct, frontal » L’école est-elle devenue plus que jamais un lieu d’accueil pour les artistes qui ne peuvent jouer leurs pièces in situ ? Impossible, pour l’heure, d’obtenir des statistiques nationales qui permettraient de quantifier le phénomène. Le ministère de l’éducation a envoyé un questionnaire aux centres dramatiques nationaux (CDN) pour recenser les projets menés en milieu scolaire. Quinze des trente-huit CDN ont répondu. Résultat : 119 représentations ont été données dans des établissements en janvier et en février. Evidemment, jouer ou danser dans une chapelle ou un préau à peine chauffé, les yeux dans les yeux des spectateurs, ne ressemble pas tout à fait à une scène de théâtre, mais peu importe. « Il faut tout de même des comédiens et des danseurs prêts et motivés, humainement convaincus aussi pour accepter ce type de proposition, commente Basilia Mannoni, responsable des développements des publics jeunes, au Théâtre de la Ville, à Paris. Il fait souvent froid, il n’y a pas de coulisses. Tout est direct, frontal. » Ambra Senatore, chorégraphe : « Dans ces moments de crise, retrouver l’énergie des enfants permet de redonner du sens à notre métier » Ces performances sans filet, la chorégraphe Ambra Senatore, directrice du Centre chorégraphique national de Nantes, aime ça. Jeudi 11 février, avec le Théâtre de la Ville, elle s’est lancée dans un impromptu, parlé-dansé et participatif, devant une trentaine d’enfants de CM2, de l’école Houdon, à Paris. Sous le préau, Ambra Senatore prend quelques minutes pour s’échauffer et fonce. Plaisir de la voir offrir à la dure une synthèse malicieuse de son écriture elliptique devant un jeune public répondant à fond à ses questions. « Ces actions sont aussi importantes pour moi que de créer une pièce, affirme-t-elle. Le cadre scolaire est une superbe opportunité pour travailler et, dans ces moments de crise, retrouver l’énergie des enfants permet de redonner du sens à notre métier. » Anne-Laure Liégeois se réjouit, elle aussi : « Il est très important qu’il y ait du théâtre dans les écoles, cela laisse des traces. » Et d’ajouter : « La belle expérience, c’est de se dire qu’avec ce Don Quichotte on aura fait plus de dates que prévu et vraiment là où on doit les faire. » « Dans le contexte actuel, c’est une délivrance » Du côté des artistes comme des enseignants, le moral remonte. « Mes élèves étaient ravis de découvrir Cerebro et d’échanger avec le magicien, confie Irène Plazis, professeure de philosophie au lycée Jacques-Decour. Dans le contexte actuel, si pesant pour eux, c’est une délivrance. Pour nous, c’est constructif parce que cela permet de réfléchir sur l’illusion, la manipulation, la notion de vérité… » Lire le récit : Roselyne Bachelot « à l’écoute » d’une culture en mal d’ouverture Quant aux élèves, ils sont visiblement preneurs de ces échappées culturelles. « J’ai adoré le spectacle de Matthieu Villatelle, s’emballe Blanche. C’était pendant notre semaine de bac blanc et j’ai retrouvé quelque chose d’agréable qui manque en ce moment. Cela a donné un peu de légèreté dans un quotidien très restreint. » Rosita Boisseau et Sandrine Blanchard Légende photo : Lors d’une représentation du spectacle de Matthieu Villatelle, « Cerebro », au lycée Jacques-Decour, à Paris, le 5 février. (c) CAROLE POLONSKY
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Le spectateur de Belleville
February 17, 2021 6:29 AM
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Par Brigitte Salino dans le Monde - 17 février 2021 Olivier Mantei et Olivier Poubelle, codirigeants des Bouffes du Nord, devraient devenir au printemps les nouveaux directeurs de la salle historique. Pendant le couvre-feu, les affaires continuent : le Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, dans le 9e arrondissement de Paris, est en train de changer de main. Son directeur, Patrice Martinet, s’apprête à le céder à Olivier Poubelle et Olivier Mantei, les directeurs du Théâtre des Bouffes du Nord. La vente devrait être effective au printemps. Elle porte sur le bail, les murs appartiennent à Groupama, qui en reste propriétaire. A cela il n’y a rien d’extraordinaire : la plupart des salles privées vivent sous ce régime. L’Athénée se distingue par son statut hybride. Comme les Bouffes du Nord et la Bastille, c’est un théâtre privé avec une mission de service public. En clair, il est régi par une Société à responsabilité limitée (SARL), et subventionné par l’Etat. En 1993, le ministère de la culture a nommé Patrice Martinet à sa tête. Et Patrice Martinet s’en va vingt-sept ans plus tard, en vendant le bail. En 1982, un an après l’élection de François Mitterrand, Pierre Bergé cède le théâtre à l’Etat, pour un franc symbolique Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut remonter au début des années 1980. Pierre Bergé, l’homme d’affaires d’Yves Saint-Laurent, est à la tête de l’Athénée qu’il a acquis en 1977. Inaugurée en 1896, auréolée de la gloire de Louis Jouvet qui l’a dirigée de 1934 à sa mort, en 1951, c’est une des plus belles salles de théâtre à l’italienne de Paris. Pierre Bergé [actionnaire du Monde jusqu’à son décès en 2017] lui fait adjoindre une délicieuse salle de poche, sous les combles. Pendant les quatre ans où il dirige l’Athénée, il met l’accent sur les sélects « Lundis musicaux », très courus, et de haute qualité. En 1982, un an après l’élection de François Mitterrand, Pierre Bergé cède le théâtre à l’Etat, pour un franc symbolique. C’est un beau cadeau, mais qu’en faire ? Jack Lang, ministre de la culture, et Robert Abirached, son directeur du théâtre, demandent à Josyane Horville d’élaborer un projet. Forte d’un parcours qui l’a menée du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers au centre Georges Pompidou, Josyane Horville propose de mettre l’Athénée au service des jeunes compagnies sans lieu fixe qui se sont multipliées et ont essaimé partout en France, mais peinent à se faire connaître. Le ministère approuve des deux mains et nomme Josyane Horville à l’Athénée. « Lundis musicaux » Reste à régler une question. D’ordinaire, l’Etat gère des théâtres qu’il possède, ou que des municipalités possèdent. Mais il ne possède pas les murs de l’Athénée, pour lequel il lui faut « inventer » une identité juridique. A la demande du ministère, Josyane Horville crée une SARL, dont elle est la gérante. « J’achète la moitié des parts, à hauteur de 25 000 francs », se souvient-elle. L’autre moitié est détenue par une association, Théâtre en mouvement, dont le président est un représentant du ministère. L’Athénée, où Pierre Bergé garde les « Lundis musicaux », n’a pas la fonction de produire des spectacles, ni l’argent pour le faire. Mais il offre aux compagnies un outil de travail professionnel – théâtre en ordre de marche, plateau, administration, publicité… Il accueille aussi, en 1988, les Acteurs producteurs associés, une quarantaine de comédiens (Anouk Grinberg, André Wilms, André Marcon, Evelyne Didi…) qui ont décidé de choisir leurs metteurs en scène, au lieu d’être choisis par eux. Une belle bouffée d’air frais. En douze ans, Josyane Horville invite une centaine de compagnies. Puis elle sent qu’elle a fait le tour. Elle demande à quitter l’Athénée. Pour lui succéder, le ministère nomme en 1993 Patrice Martinet, qui a dirigé plusieurs centres culturels à l’étranger, et créé le festival Paris Quartier d’été, en 1990. Comme il se doit, Josyane Horville transmet ses parts à Patrice Martinet, qui les rachète à leur valeur. Il ouvre une nouvelle page de l’Athénée, axant sa programmation sur des spectacles qui jouent avec le style de la salle, à l’italienne, et sont signés Jean-Luc Lagarce, Jean-Marie Villégier, David Warrilow, ou encore Philippe Caubère. D’importants travaux Deux ans après son arrivée, Patrice Martinet lance d’importants travaux dans ce théâtre classé monument historique. Système électrique, fauteuils, cage de scène, plafonds peints, espace d’accueil, façades, fosse, loges, ventilation : le théâtre fait peau neuve. Pas loin de 5 millions d’euros sont investis, en majorité publics, mais aussi privés. Quand les travaux sont achevés, en 2000, Groupama, qui y a participé à hauteur de 960 000 euros, propose de céder les murs pour 2 millions d’euros. Patrice Martinet en parle au ministère de la culture. Lire l’enquête (en 2019) : Nouvelle donne dans le théâtre privé à Paris C’est à ce moment-là que tout change. « Dans mon argumentaire, où je propose une autre forme de gestion pour l’Athénée, je fais valoir que la situation du théâtre prête à confusion : c’est une structure privée que l’Etat finance, et contrôle. Le ministère refuse le rachat des murs, parce qu’il ne veut pas s’engager davantage dans l’Athénée. Mais il me dit que, pour mettre fin à la gestion de fait, il faut que je rachète les parts de la SARL. Ce que je fais, en associant quelques personnalités. » Les années passent, Patrice Martinet continue de diriger l’Athénée, où il consacre une part de plus en plus grande à la musique : il programme en particulier du divertissement lyrique de qualité avec la compagnie Les Brigands, qui redonne vie à des opéras bouffes oubliés d’Offenbach. Mais peu à peu, comme souvent dans les théâtres où les directeurs restent longtemps, la programmation s’essouffle. Et les subventions commencent à baisser. 570 fauteuils En 2016, Patrice Martinet rencontre Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au ministère de la culture, dirigé par Audrey Azoulay. Il lui présente un projet dont il pense qu’il pourrait assurer l’avenir de l’Athénée : créer une fondation d’utilité publique qui posséderait le bail. Cela permettrait au théâtre de recevoir des dons défiscalisés, donc de l’argent en plus de la subvention annuelle (de l’ordre de 1,8 million d’euros). On ne compte pas les rendez-vous et les courriers qui suivent cette proposition. Au cabinet de Françoise Nyssen, qui succède à Audrey Azoulay en mai 2017, Patrice Martinet assure qu’une mécène franco-américaine, Laure Sudreau, est prête à donner 3,5 millions d’euros à la fondation. Le vent tourne avec l’arrivée de Franck Riester au ministère de la culture, en octobre 2018. Patrice Martinet comprend alors que son projet n’aboutira pas. Le ministère voudrait voir l’Athénée changer de direction, et juge que la fondation présente « certains inconvénients », selon des sources qui s’expriment en « off ». De plus, ajoutent ces sources, Laure Sudreau demande que son don soit assorti de la promesse de l’Etat de s’engager sur un montant de la subvention pendant trois ans – ce qui est impossible. Le vent tourne avec l’arrivée de Franck Riester au ministère de la culture, en octobre 2018 La situation se tend de plus en plus. En février 2020, le ministère fait savoir à Patrice Martinet qu’il doit passer la main. Olivier Mantei et Olivier Poubelle sont intéressés par l’Athénée, et le ministère encourage leur démarche : il les préfère à des investisseurs qui mettraient le théâtre dans le giron du boulevard, ou des comiques. « Les deux Olivier », comme on les appelle, cherchent en effet un théâtre à associer aux Bouffes du Nord, qu’ils codirigent depuis 2010. Ils engagent des négociations avec Patrice Martinet pour le rachat du bail. A quel prix ? On ne le sait pas. « Le vendeur réclame la confidentialité, et la procédure est en cours, explique Olivier Mantei. Mais c’est bien en dessous du prix du marché. » Les prix des théâtres privés parisiens sont calculés à partir du prix du fauteuil, qui tournait autour de 10 000 euros avant le confinement. Et l’Athénée compte 570 fauteuils dans la grande salle (90 dans la petite). En le vendant, Patrice Martinet procède en toute légalité : il possède le bail jadis cédé à l’Etat, qui se retrouve devant une situation de fait, faute d’avoir anticipé. Olivier Mantei et Olivier Poubelle, eux, augmentent leur périmètre : Olivier Poubelle est propriétaire de La Maroquinerie, Oliver Mantei dirige l’Opéra-Comique. A l’Athénée, ils entendent développer la ligne du théâtre musical. « La subvention devrait rester la même, indique Olivier Mantei, à condition évidemment que le projet que nous présenterons convienne au ministère. » On en saura plus en avril-mai, quand les deux nouveaux directeurs acteront le rachat de l’Athénée. Brigitte Salino Légende photo : Le Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, l’une des plus belles salles de théâtre à l’italienne de Paris. BERTRAND GUAY/AFP
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February 28, 2021 10:49 AM
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Sur la page de l'émission Tous en scène d'Aurélie Charon sur France Culture 27/02/2021 Julien Gosselin a transformé la grande salle de la MC93 à Bobigny en plateau de tournage : il filme "DEKALOG", le spectacle de sortie du groupe 45 du TNS, à partir des 10 films du cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski. Chaque film a pour titre un des 10 commandements. Ecouter l'émission (1h)
Julien Gosselin, metteur en scène. En tournage à la MC93 (Bobigny) avec le groupe 45 du TNS (Strasbourg) pour leur spectacle de fin de cycle "DEKALOG", initialement prévu pour le Printemps des Comédiens 2020. Les répétitions se sont transformées en tournage au cours du mois de février : à la MC93, l'équipe tourne le film du spectacle. 10 épisodes réalisés à partir des dix qui composent le Dekalog de Krzysztof Kieślowski et Krzysztof Piesiewicz. Nous en profitons pour rencontrer l'équipe, sur place. En une série de téléfilms, en 1988, le réalisateur polonais Krzysztof Kieslowski interrogeait avec son co-scénariste Krzysztof Piesiewicz les "dix commandements", en mettant chacun d’eux à l’épreuve d’une situation où l’injonction biblique s’avère sinon injustifiable, du moins très problématique. En grande complicité avec les artistes et régisseurs du Groupe 45 de l’École du Théâtre National de Strasbourg et de sa compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur, Julien Gosselin propose d’explorer les dilemmes éthiques décrits dans ces dix scénarios. Au delà des considérations religieuses, dix contes moraux, dix récits de destins singuliers, qui troublent et captivent, au plus près des émotions des protagonistes. Pour cette adaptation, le metteur en scène a conçu un dispositif de tournage en direct inédit, dans lequel le public pourra circuler en cours de représentation... A Maubeuge le 22 mai.
Jiska Kalvanda, comédienne. Elle fait partie du groupe 45 du TNS, interprète du Dekalog.
Achille Reggiani, comédien. Il fait partie du groupe 45 du TNS, interprète du Dekalog.
Voir la vidéo de présentation par Julien Gosselin Dekalog, mise en scène Julien Gosselin• Crédits : Simon Gosselin
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Le spectateur de Belleville
February 27, 2021 5:36 PM
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Lien vers la fiction radiophonique sur le site de France Culture Radiodrama |« Gurshad Shaheman raconte son enfance en Iran puis l’exil en France, les peurs, les douleurs, les joies aussi et les combats intimes qu’il a dû traverser » Ecouter la fiction radiophonique (58 mn)
Les Hommes qui passent est une adaptation radiophonique en deux volets de Pourama Pourama de Gurshad Shaheman, pièce de théâtre créée en 2015 et encore en tournée aujourd’hui. Dans ce travail d’autofiction au long cours, l’auteur et le comédien d’origine iranienne prend la parole sur quelques épisodes constitutifs de sa vie : sa petite enfance passée dans l’Iran des années 80 en guerre contre l’Irak, son arrivée en France à l’adolescence et l’initiation au français, et enfin l’entrée dans l’âge adulte et ses premiers émois amoureux. Gurshad Shaheman déroule ainsi le fil d’un récit initiatique émouvant, tissé entre l’Iran et la France, l’Orient et l’Occident. L’élaboration d’un « je » à la fois personnel et totalement universel. A l’instar du spectacle durant lequel le public est amené à se déplacer, nous vous invitons à nous rejoindre sur le net pour écouter la seconde partie de cette émission.
Écouter Réécouter Les hommes qui passent Partie II 1H03
Réalisation : Gurshad Shaheman et Christophe Hocké Conseillère littéraire : Céline Geoffroy Avec Gurshad Shaheman Création sonore : Lucien Gaudion Et les voix de Zar Amir Ebrahimi, Sharif Andoura, Nicolas Cartier, Hamid Danechvar, Behi Djanati Ataï, Hamidreza Djavdan, Pierre-François Doireau, Alexandre Michel, Shady Nafar, Benoit Résillot et Manuel Vallade. Prise de son, montage et mixage : Bruno Mourlan, Valentin Azan-Zielinski Assistante à la réalisation : Léa Racine
Gurshad Shaheman est artiste associé au CDN de Normandie-Rouen depuis septembre 2017 et au théâtre des Tanneurs à Bruxelles à compter de juillet 2019. Il est également accompagné par le Phénix, scène nationale de Valenciennes dans le cadre du Campus du Pôle Européen de la Création. Lauréat 2017 du prix Hors les Murs de l’Institut français, il est parti à Athènes et à Beyrouth à la rencontre de réfugiés LGBT afin de récolter leurs récits de vie. Cette enquête a donné lieu au spectacle Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, créé au festival d’Avignon 2018. En tant que pédagogue, il intervient à l’ERACM, dans divers conservatoires en France, ainsi que dans l’antenne belge du Cours Florent à Bruxelles.
Pourama Pourama est édité aux éditions des Solitaires Intempestifs.
Gurshad Shaheman• Crédits : ©Jeremy Meysen
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Le spectateur de Belleville
February 26, 2021 5:50 AM
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Propos recueillis par Marie-Aude Roux dans Le Monde 26/02/2021 En vingt ans de carrière, la cantatrice, qui a arrêté de chanter à l’opéra en 2013, a définitivement marqué le monde de l’art lyrique. Erato publie l’intégrale de ses enregistrements, soit 33 CD et 19 DVD.
Il y a juste trente ans, une voix nous était née. De l’allure, de l’allant. Des aigus aussi purs que des sommets alpins, quelque chose de fruité dans le timbre, une musicalité frémissante, une présence magnétique. La colorature Natalie Dessay stupéfie, étonne, enchante. Sa Reine de la nuit transformera à jamais le personnage mozartien, pétri de douleur et d’humanité. Sa Lakmé porte un rêve éveillé. Rien de simple pourtant. La cantatrice, devenue belcantiste, aspire à des rôles plus tragiques – Lucia, La Sonnambula. L’opéra français lui offre Manon, elle poussera jusqu’aux limites de La Traviata. Lire l’entretien avec Natalie Dessay : « Quand on cherche la beauté absolue, on n’en a rien à foutre du reste » Au début des années 2000, après deux opérations sur les cordes vocales, Natalie Dessay envisage peu à peu la fin de sa carrière lyrique. Elle y mettra un point final en 2013 au Théâtre du Capitole, à Toulouse, avant de se tourner vers le théâtre (un amour de jeunesse), le jazz auquel l’a initiée son mari, le baryton Laurent Naouri, et la chanson française, notamment auprès de son ami Michel Legrand. A 55 ans, la chanteuse, qui n’a jamais cessé de donner des récitals avec le pianiste Philippe Cassard, fourmille de projets. Bonne nouvelle : le confinement lui a enfin permis de faire la paix avec ce qu’elle appelait sa « voix de folle ». Lire le récit (en octobre 2013) : Natalie Dessay met sa voix en sourdine Warner salue vos vingt ans de carrière dans l’opéra avec un coffret de 33 CD et 19 DVD. Que ressentez-vous ? Une certaine fierté. Je me dis que j’ai fait quelque chose dont il restera une trace. D’ailleurs, quand je m’entends par hasard à la radio, je trouve ça plutôt pas mal. Ce coffret tombe d’autant plus à point nommé que je me suis réconciliée avec ma voix, et me souviens surtout des bonnes choses. A l’époque, malgré le succès, je n’en avais pas conscience. J’aurais bien aimé le savoir, en profiter, avoir l’esprit plus tranquille. Quelques-unes, parmi les bonnes choses ? Les quatre ou cinq productions avec Laurent Pelly – nous avons travaillé dans une complicité joyeuse. La Traviata, avec Jean-François Sivadier, et sa façon très ludique de diriger les acteurs. La Lucia, avec Andrei Serban, qui était un facétieux, un original, un provocateur. Et puis Robert Carsen : La Flûte enchantée, Alcina, Les Contes d’Hoffmann. Il y a très peu de déchets. Vous avez arrêté en 2013. Aucun regret ? Non. Le chant, c’est un métier de jeunes. D’ailleurs, je l’ai fait pour incarner des personnages, pas tellement pour faire de la musique. Et puis, je ne me suis pas arrêtée de chanter… Oui, des lieder allemands, de la mélodie française, du jazz, de la chanson. Toujours aussi stressée à l’idée d’être en scène ? Les concerts, c’est resté très compliqué, même le jazz ou la chanson car on ne répète pas beaucoup. Par contre, au théâtre, le fait d’avoir beaucoup travaillé en amont m’aide. Mais j’aime surtout les répétitions : déjà à l’opéra, ce temps, toujours trop court à mon gré, était celui que je préférais. Lire l’entretien avec Natalie Dessay (en avril 2016) : « Au moins, au théâtre, j’éprouve » Vous avez recommencé à chanter avec votre voix lyrique ? Depuis la pandémie, je me suis remise à travailler ma voix, que j’avais laissée en jachère depuis sept ans, me contentant de maintenir un niveau suffisant pour les concerts avec le pianiste Philippe Cassard. Le fait d’avoir participé au spectacle d’Amos Gitaï, Exils intérieurs, à l’automne 2020 au Théâtre de la Ville – je chantais et disais des textes –, m’a donné un coup de fouet. J’ai demandé à mon mari, le baryton Laurent Naouri, de me refaire travailler. Et j’ai enfin récupéré cette première octave grave de ma tessiture, qui m’échappait totalement. Je peux désormais chanter le Ch’io mi scordi di te ? de Mozart ou Pleurez mes yeux du Cid de Massenet. Tout comme La Mort d’Isolde de Wagner que j’ai fait en concert avec piano, et que je ne chanterai par contre jamais avec orchestre. Ce coffret incite à revenir sur le déroulé de votre carrière. Comment se sont passées vos années d’apprentissage ? Je fais partie de ceux qui ont beaucoup travaillé. Je ne connais personne qui se maintienne à un certain niveau sans travailler. Mais cela se fait plus ou moins dans la joie. Pour moi, c’était douloureux. Certes, j’avais un don, mais une toute petite voix et pas de médium. Je n’avais pas la vocalise facile : je n’ai jamais fait de Rossini par exemple, et pas beaucoup de Mozart seria. Ce qui m’allait était le bel canto et Haendel, que je n’ai pas assez chanté, hélas. Votre carrière a démarré après votre succès au concours Mozart de Vienne en 1990. Quels rapports entretenez-vous avec ce compositeur ? C’est toujours un compagnon de route, une musique qui me fait du bien. Quant à la Reine de la nuit, je l’ai chantée comme si je devais la jouer, refusant de protéger ma voix dans le récitatif pour préserver l’air. La colère peut faire de nous des monstres. Je voulais garder une voix grave et criée afin de mieux atteindre quelque chose de surhumain dans les vocalises. Vous avez fait vos adieux avec Massenet en 2013. Quel rôle l’opéra-comique français a-t-il joué dans votre carrière ? C’était mon répertoire naturel et j’adorais chanter en français. Mon seul regret dans le sublime enregistrement de Lakmé, de Delibes, avec l’Orchestre du Capitole sous la direction de Michel Plasson, c’est d’avoir roulé les « r ». Certes, cela facilite l’émission vocale, mais ça fait vieillot. Roberto Alagna, par exemple, n’a jamais roulé les « r », et c’est magnifique. Lire le portrait (en juillet 2018) : Aix-Avignon, Natalie Dessay saute le pont Pourquoi détestiez-vous votre voix ? Je ne la déteste pas : elle ne m’a pas permis de m’exprimer comme je l’aurais voulu. J’aurais préféré – au hasard ! – la voix d’Anna Netrebko, qui a débuté avec presque une voix légère, et chante maintenant Aïda. Elle a pu balayer le répertoire. Moi, je suis restée à la marge, malgré tout. Malgré Lucia, La Sonnambula, La Traviata, ou Manon. Déplorez-vous toujours de ne pas avoir chanté la « Lulu » de Berg ? Je n’en ai pas eu le courage. C’était trop difficile à apprendre. J’ai commencé la musique trop tard. J’ai fait un peu de piano et, à 20 ans, un an de solfège pour chanteurs. J’ai dû tout apprendre en même temps, le chant, la musique. C’est même étonnant d’y être arrivée si vite. Dans ma famille, on allait voir des ballets parce que je faisais de la danse. Le premier titre que j’ai vu à l’Opéra de Bordeaux, c’est Tristan. J’avais 15 ans et j’ai détesté. Dans le coffret figurent les versions française et italienne de « Lucia di Lammermoor », de Donizetti. Pourquoi avoir choisi de l’interpréter d’abord en français ? Par manque de confiance. Je ne me pensais pas suffisamment armée pour me confronter directement à la version italienne. Et aussi pour faire mon originale ! Mais c’était une très mauvaise idée : la parole française sur cette musique italienne, cela ne va pas. Savez-vous pourquoi, à l’orée des années 2000, vous avez déclenché coup sur coup un œdème et un nodule sur les cordes vocales ? Parce que je souffrais psychologiquement. Mais ces deux opérations m’ont permis de mettre les choses en perspective. J’ai commencé à me dire que c’était possible d’arrêter de chanter. Je me suis certes rééduquée, mais n’ai jamais plus retrouvé vocalement une sensation d’insouciance. Comment analysez-vous, avec le recul, les rapports conflictuels que vous entreteniez avec le monde de l’opéra ? Comme toutes les passions, c’est violent. Beaucoup de choses me tiraillaient. Une frustration par rapport à ma voix. Une frustration par rapport au théâtre, même si je sais désormais qu’on ne peut pas jouer de la même façon à l’opéra et au théâtre. L’art lyrique est un métier qui vous absorbe et vous empêche de vivre. Je ne l’acceptais pas. Je vais jusqu’à employer le mot « sacrifice ». Pour ce qui concerne la vie familiale, en tout cas. J’ai eu la chance d’avoir un mari qui a su pallier mes absences. On essayait de ne jamais partir ensemble. Le fait aujourd’hui de faire de la musique avec lui et mes deux enfants, c’est un sacré retournement de situation ! Justement, parmi vos nombreux projets, celui d’un spectacle à quatre voix avec Laurent Naouri, Neïma et Tom. Pouvez-vous nous en dire plus ? J’aimerais faire quelque chose dans le genre famille von Trapp [la famille de la chanteuse autrichienne Maria Augusta von Trapp, dont l’autobiographie inspira, en 1965, le film de Robert Wise La Mélodie du bonheur]. J’ai trouvé un superbe arrangement pour quatre voix de Smile par Ben Bram, et je voudrais qu’avec mon mari, ma fille Neïma, qui va sortir un disque avec les Voice Messengers, et mon fils Tom, qui chante et joue du saxophone, on monte quatuors vocaux, trios, duos et solos. Le plus difficile était de réussir à attraper les enfants. Mais on a eu un allié avec le Covid-19. Grand coffret Natalie Dessay – The Opera Singer, 33 CD et 19 DVD Erato/Warner Classics. Petit coffret Natalie Dessay – A l’opéra, 3 CD Erato/Warner Classics. Marie-Aude Roux
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Le spectateur de Belleville
February 25, 2021 6:07 AM
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Par Marie Sorbier sur le site de l'émission La Grande Table sur France Culture 25/02/21 La captation est le signe qu'il ne s'agissait pas d'une création de nos esprits qui rêvent de retourner dans les théâtres. Le plan séquence, réalisé par Corentin Leconte, est disponible sur la plateforme d'Arte. Cette œuvre hybride, portée par des chanteurs et chanteuses lyriques, est dirigée musicalement par Geoffroy Jourdain, créateur de l'ensemble Les Cris de Paris. Ecouter l'entretien radiophonique Notre guide en ce rêve est Judith Chemla. Elle nous transporte dans le temps mythologique pour y voir (et par moment être) Actéon, ce chasseur changé en cerf et dévoré par ses chiens après avoir surpris la déesse Diane dans son bain.
Benjamin Lazar, nourri à l'école du théâtre baroque aux côtés d'Eugène Green, se délecte d'une mise en scène portée autour de la toile du Cheval attaqué par un jaguar (1910, Musée Pouchkine), du Douanier Rousseau. Lui en sont inspirés des accessoires minimalistes qui prennent sens lorsque les nymphes font tournoyer leurs grandes feuilles autour de la caméra ou que cette dernière s'approche d'un aquarium pour y voir Diane (Adèle Carlier) à travers les nénuphars blancs.
Légende photo : Actéon, Théâtre du Châtelet, mis en scène par Benjamin Lazar, 2020• Crédits : D.R.
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Le spectateur de Belleville
February 24, 2021 5:10 PM
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Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 23 février 2021 Le Grand Théâtre de Genève a accueilli une version jouée à huis clos sous la direction de Maxim Emelyanychev, à voir en replay sur différentes plates-formes.
Elle a été sauvée de la grande faucheuse pandémique qui a d’ores et déjà coupé l’herbe sous le pied du Candide de Bernstein, ou de Parsifal, espéré à la fin du mois de mars (le gouvernement suisse vient de prolonger la fermeture des établissements culturels jusqu’au 1er avril), cette nouvelle production très attendue de La Clémence de Titus, de Mozart, dont la générale s’est tenue, mercredi 17 février, au Grand Théâtre de Genève, le temps d’une captation sur Mezzo Live TV. D’autant plus attendue que le directeur de l’institution, Aviel Cahn, en a confié la mise en scène à son compatriote suisse, Milo Rau. Une première incursion dans le domaine lyrique pour l’essayiste, réalisateur et metteur en scène bernois, directeur du théâtre NTGent à Gand (Belgique) depuis 2018. Lire le portrait (en mars 2015) : Milo Rau, metteur en scène de notre temps Milo Rau n’allait pas abandonner l’axe socio-historique qui fonde son travail de dénonciation politique depuis quinze ans – des derniers jours des époux Ceausescu au génocide rwandais, de la guerre civile congolaise à un crime homophobe en Belgique, en passant par la tuerie de Breivik en Norvège. Nulle clémence donc pour cet ultime opera seria mozartien que traverse l’idéal éclairé du Siècle des Lumières : un despote survit à une tentative d’attentat et s’ouvre à la clémence en pardonnant aux criminels. Pour Rau, un « simulacre de tolérance car la clémence est seulement possible dans un régime absolutiste ». La messe est dite. Lire l’entretien avec Milo Rau, metteur en scène (en septembre 2019) : « Si Jésus vivait aujourd’hui, il serait du côté des migrants » Dans un décor de bidonville vit et meurt le peuple des miséreux que réprime, voire exécute, la milice armée de Titus, un aréopage d’esthètes, d’artistes et d’intellectuels rassemblés devant la monumentale façade néo-classique d’un bâtiment qui s’apparente à la Haus der Kunst munichoise. Coups de feu, arrestations, sévices, exécution (une très réaliste pendaison avec deux circassiens) rythment la route mozartienne qui charrie pêle-mêle, avec un système incursif de vidéos et caméras au plateau, rites sacrificiels humain et animal, rituel de guérison chamanique africain sans oublier les références vivantes à l’art que sont ces tableaux de miséreux tels Le Radeau de la Méduse, de Géricault, ou La Liberté guidant le peuple, de Delacroix. « Comment peut-on transformer la douleur des autres en art ?, s’interroge Milo Rau. Dans La Clémence de Titus, je veux montrer que les élites transforment leurs émotions (intimes) en art (qu’on peut même acheter), puis en produit purement commercial. L’art me permet la dialectique entre ces mondes. » Une immense banderole « Kunst ist Macht » (« l’art est pouvoir ») ne quittera d’ailleurs pas le fronton de la scène. Récits biographiques Difficile, on l’imagine, d’afficher des positions aussi tranchées sans distordre le propos mozartien. Pour convaincre, Milo Rau aurait dû opérer le même traitement radical sur le plan musical. A quoi bon en effet conserver la quasi-intégralité de la partition si c’est pour lui imposer un processus qui se contente de « déconcerter » la musique, la réduisant parfois à une forme de silence visuel ? Peut-on vraiment entendre le repentir de Vitellia alors que défilent sur grand écran les visages de dix-huit figurants, pour la plupart des immigrés, tous vivant à Genève, dont les récits biographiques parlent de viol, de séparation, de guerre et de déracinement ? La même déclinaison du réel avait fait irruption pour ce qui concerne les chanteurs, ainsi pour le ténor Bernard Richter, l’allusion à la mort brutale de son père à ses côtés devant un match de foot à la télé. Les auditeurs ne pourront qu’apprécier une partie musicale servie par la direction engagée du jeune Maxim Emelyanychev, également maître absolu du récitatif Les auditeurs ne pourront qu’apprécier une partie musicale servie par la direction engagée du jeune Maxim Emelyanychev, également maître absolu du récitatif qu’il accompagne au pianoforte, portant avec fougue et élégance les Chœurs du Grand Théâtre et l’Orchestre de la Suisse romande à leur meilleur. Même constat pour le casting vocal que dominent le Sesto passionnel et brasillant d’Anna Goryachova, la tragique et adamantine Vitellia de Serena Farnocchia, tandis que la délicieuse Servilia de Marie Lys, l’Annio sincère de Cecilia Molinari et le Publio de Justin Hopkins sont droits dans leurs bottes. Titus de soleil noir, Bernard Richter est un empereur romain au lyrisme rayonnant, à la stylistique impeccable, doté de surcroît d’un physique de (toujours) jeune premier. Le spectacle finira comme il a commencé, dans les chants d’oiseaux d’un monde post-apocalyptique, enfin débarrassé de l’humanité. La Clémence de Titus, de Mozart. Grand Théâtre de Genève (Suisse). Diffusion en différé sur GTG digital jusqu’au 28 février, sur Mezzo Live HD, les 13, 14, 19, 24, 25 et 26 mars, sur RTS Espace 2, le 27 mars à 20 heures, sur RTS TV, le 22 avril à 22 h 45. Marie-Aude Roux(Genève (Suisse), envoyée spéciale) Légende photo : « La Clémence de Titus », de Mozart, mise en scène par Milo Rau au Grand Théâtre de Genève, en février 2021. CAROLE PARODI
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Le spectateur de Belleville
February 23, 2021 12:18 PM
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Une série de cinq entretiens de Bruno Tackels, réalisée par Massimo Bellini et diffusée du 17 au 21 juillet 2006. Au fil de ces cinq entretiens, Edward Bond revient sur cette expérience traumatique (et tragiquement féconde) de la guerre mondiale, retraverse l'histoire du théâtre, celui des Grecs et celui de Shakespeare... Ecouter les entretiens en ligne 1. "J'ai rencontré le paradoxe au sein de moi-même" 25 MIN Dans ce premier épisode, le dramaturge Edward Bond né en 1934 parle de la guerre, des souvenirs de bombardements à l'origine de son écriture, de sa création. Il fait le constat que 'nous sommes incapables de décrire le monde dans lequel nous vivons'. Cela l'amène à développer sa pensée autour de la fiction et de la réalité. Les sociétés effectuent un va-et-vient inéluctable entre fiction et réalité, selon lui. Il observe que 'nous sommes les animaux qui détiennent la fiction, tous les autres animaux vivent dans leur réalité'. Il estime d'ailleurs que les distinctions que nous faisons entre fiction et réalité 'sont souvent inadéquates' et l'art dramatique doit justement permettre de faire cette distinction, 'sa tâche est d'empêcher que ces confusions ne surviennent'. Edward Bond revient à nouveau dans l'entretien sur ses souvenirs d'enfant bombardé, 'on ramassait des bouts d'obus dans la rue, et ça nous apportait un grand bonheur', raconte-t-il. Dans l'art dramatique actuel, il relève que si 'le personnage est important', ce qui l'est encore plus, 'c'est la situation intentionnellement conçue' comme 'extrême' pour nous obliger à faire un choix qui nous définira.
2. "L'art dramatique nous permet de revenir au moi originel" 25 MIN "L'art dramatique nous permet de revenir au moi originel" Edward Bond nous fait part dans ce deuxième volet de sa conception du monde tel qu'il nous environne, de la nécessité d'apprendre ce qui existe autour de nous. Il prend l'exemple du nouveau né qui n'a pas encore conscience de ce qui l'entoure, il n'est alors que 'plaisir et douleur'. Jusqu'au moment où ces sensations se 'transforment en tragédie et comédie, et à ce moment-là, le moi s'est créé'. Le dramaturge raconte ensuite non sans humour comment il s'est emparé du sujet de Shakespeare, lequel estime-t-il, 'empêche la lumière de passer' pour tout homme de théâtre et malgré cela, il est parvenu à s'atteler à l'écriture de sa pièce 'Lear' en écho au 'Roi Lear' de Shakespeare. Mais avant encore Shakespeare, c'est à la tragédie grecque qu'Edward Bond fait référence, 'c'est aux questions du théâtre grec que nous devons revenir', explique-t-il et de distinguer philosophie et théâtre : 'On pourrait même dire que la philosophie a été inventée pour fuir le drame, mais il faut revenir à l'art dramatique'.
3. "Toutes mes pièces cherchent à créer la nécessité dramatique d'une solution" 25 MIN
Troisième entretien avec le dramaturge britannique Edward Bond qui revient sur l'apport du théâtre grec lequel pose des problèmes 'fondamentaux' et qui a été inventé au moment-même où les Grecs inventaient la démocratie avec des institutions assez complexes. Ce qui fait dire à Edward Bond que 'la démocratie est toujours dépendante de l'art dramatique' car 'ce n'est que dans l'art dramatique que les questions les plus profondes peuvent être posées'. Il reprend alors les récits d'Œdipe, d'Antigone et de Médée qui ont été à la source de ses pièces comme dans 'Les Enfants'. A travers le théâtre grec, c’est bien la question centrale de la justice qui est soulevée. Il conclut que pour lui, 'ce qu'on trouve chez les Grecs, c'est la question humaine, l'impératif humain'.
4. "S'il y a une chose centrale pour l'art dramatique, c'est l'acteur' 25 MIN
Edward Bond, dans ce quatrième entretien, évoque la censure qu'il a connue pour sa première pièce 'Sauvés' et raconte qu'il a refusé de faire les modifications demandées. 'A partir de ce moment-là, le moi se censure lui-même', constate-t-il. Puis il aborde en tant que metteur en scène sa relation aux comédiens, auxquels il demande non pas de jouer les personnages, ce qui les désarçonne, mais de jouer 'la situation'. Il attend de l'acteur, un acte de création, 'une surprise'. Une pièce de théâtre est là pour 'traduire en acte' la justice, pas la 'décrire' et E.Bond de rappeler que 'le centre de toute pièce de théâtre, c'est : qu'est-ce-que la justice ?'. L'art dramatique crée une réalité, grâce au 'sens de la situation qui est réel, pas une abstraction' et grâce aussi au public qui doit être à la hauteur.
5. "Nous sommes obligés de vivre dans l'Histoire et donc nous devons créer la justice" 24 MIN
Dernier entretien avec Edward Bond qui parle ici de son expérience théâtrale à travers le monde de l'enfance. 'Les jeunes gens ont le privilège, ou le fardeau, d'être plus proches de la réalité dont moi je parle', explique le dramaturge. Il lui semble que 'les jeunes n'ont pas encore appris les arts de la survie' or 'quand on apprend la technique, l'art de la survie, très souvent on se détruit soi-même' et c'est pour cela qu'il écrit pour eux, sans avoir jamais à 'édulcorer' son écriture. Ensuite, il dit s'inquiéter de leur devenir dans une société corruptrice. Edward Bond nous livre également dans cet entretien, ses réflexions sur le théâtre actuel et notamment le théâtre allemand qui ne parvient pas à se libérer ni de Hitler, ni de Brecht et cela l'empêche de se poser les vraies questions. Il revient ainsi sur l'impératif du théâtre qui est de se confronter à une situation 'extrême' qui nous oblige à nous 'définir' nous-mêmes en posant la question impérative de justice.
Depuis plus de trente ans (on oublie souvent qu'il était dans la Cour d'Honneur dès 1970, dans une mise en scène de Georges Wilson), Edward Bond est sans doute le dramaturge anglais le plus joué sur les plateaux français (ce n'est pas le cas en Angleterre, loin s'en faut). On peut même dire qu'il est mis en scène par toute la gamme esthétique des metteurs en scène du paysage théâtral, de Claude Yersin à Jean-Pierre Vincent, en passant par Christian Benedetti, Suart Seide, et bien sûr Alain Françon, qui a fait connaître l'oeuvre de Bond au grand public, lors des mémorables représentations avignonnaises des "Pièces de guerre", dont le titre sonne d'emblée comme le manifeste de toute son écriture : quel théâtre peut et doit provenir d'un monde "en guerre" comme le nôtre ?
Une série de cinq entretiens de Bruno Tackels, réalisée par Massimo Bellini et diffusée du 17 au 21 juillet 2006.
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February 23, 2021 9:02 AM
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Par Pascal Caglar sur le site de l'Ecole des Lettres 21/02/2021 Depuis 2011 en Pologne, le Centre international de théâtre francophone de Poznan s’est doté d’un programme intitulé Drameducation qui a vocation de promouvoir le français langue étrangère (FLE) à travers le théâtre. En partenariat avec la Comédie-Française un concours est né en 2016 , « 10 sur 10 », sélectionnant dix auteurs internationaux travaillant à réécrire dix pièces de théâtre en dix pages pour un public d’apprenants francophones, l’opération s’achevant par un grand rassemblement à l’occasion d’un festival.
C’est dans ce cadre que Molière est régulièrement sujet à réécriture, certains travaux (remarquables) de réinterprétation et actualisation étant d’ailleurs publiés par la Comédie-Française (collection « 10 sur 10 » Molière). Or il a suffi d’un mot audacieux de Marc Escola, dix-septièmiste bien connu, commentant une reprise des Précieuses (« Ce qui est le plus proche de l’humour de Molière aujourd’hui c’est l’humour des youtubeurs ») pour que certains journaux et médias croient bon de s’indigner, s’alarmer de menaces pesant sur notre patrimoine, nos classiques trahis, notre langue profanée, notre culture abandonnée, le niveau abaissé… Ces réflexes d’ignares malveillants font sourire. Car outre la méconnaissance du contexte spécifique de ce concours (FLE), c’est l’ignorance des conditions d’enseignement – apprentissage, lecture, expression écrite –, ainsi que l’ignorance de l’histoire des réécritures – relations d’imitation, de création/innutrition –, qui frappe chez ceux qui prétendent défendre le Grand Siècle. Ainsi, oui le français du XVIIe siècle, qu’il soit de Molière, La Fontaine ou Racine, Mme de La Fayette, Pascal ou Fénelon, est difficilement compréhensible pour tous – et pas seulement pour certains élèves –, oui le comique de Molière ne fait plus rire comme à la Ville et à la Cour, mais rassurons les inquiets-pour-notre-culture, déjà le XVIe siècle trouvait illisibles les auteurs du XVe, Ronsard à son tour était jugé obscur et incompréhensible par les contemporains de Molière, Rousseau était convaincu qu’un enfant du XVIIIe siècle ne comprenait rien à La Fontaine, Voltaire jugeait indispensable de rendre Shakespeare un peu plus policé… Autrement dit, rien de nouveau sous le soleil, le vieillissement de la langue, obscurité ou désagrément, est un fait de toujours et sa prise en compte est constante dans l’enseignement et l’édition scolaire, à travers notes, contextualisations, concordances et distances culturelles. Les traductions/translations existent depuis toujours: le XVIIIe se querellait pour savoir comment traduire Homère, en en conservant la rude poésie antique (Mme Dacier) ou en en intégrant le goût français (Houdar de La Motte), et plus près de nous les spécialistes se penchent sur les meilleures manières de traduire Rabelais ou Montaigne en français d’aujourd’hui : rassurons nous, notre époque n’a pas plus de difficultés qu’hier à entrer dans les œuvres du passé. Plus largement et au-delà de la compréhension du sens littéral, c’est l’attaque du travail d’adaptation/actualisation qui est grave de méconnaissances, volontaires ou pas, des vertus créatrices des exercices de réécriture, et de l’apprentissage de l’écriture par la transposition, le pastiche ou la parodie. Faudrait-il un cours d’histoire littéraire pour rappeler aux pseudos défenseurs de Molière combien la création théâtrale doit aux reprises et mises au goût du jour ? Condamneraient-ils Giraudoux ou Sartre pour avoir réécrit et modernisé la tragédie d’Électre ? Quelle censure devrait s’abattre sur Meillac et Halevy pour s’être joués de la belle Hélène ? Réveillera-t-on les critiques de Racine sur Quinault accusé de dénaturer la mythologie dans ses livrets d’opéra ? Les metteurs en scène seront-ils à leur tour interdits d’actualiser les chefs d’œuvre d’antan ? Finalement cette ébauche de polémique, bien vaine mais bien symptomatique de nos querelles éducatives, fait bien peu honneur à tous ceux qui parlent de l’enseignement sans connaître vraiment notre métier, nos programmes et nos objectifs, mais paradoxalement elle a le mérite de mettre en lumière le formidable travail de Draméducation et de tous les centres qui dans le monde s’emploient à promouvoir le français par le théâtre. À travers eux c’est l’ensemble des collègues qui usent de cette pédagogie par le théâtre, moyen de culture, d’expression et de formation de soi qui doit être salué, encouragé, et imité. Avis aux followers ! Pascal Caglar Pour approfondir : • Marc Escola dans l’émission Affaire en cours le 10 février 2021 sur France Culture. • La Comédie-Française, RFI et Drameducation. • Molière fait-il encore rire ? par Haude de Roux. • Tout Molière dans l’École des lettres.
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February 23, 2021 5:50 AM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama 22 février 2021 RDV CULTURE – À travers le format “Cinq Premières minutes”, les acteurs et actrices de l’institution racontent un moment de théâtre qui les a marqués.
Les acteurs du Français sont assis salle Richelieu. L’un après l’autre, ils racontent leur première émotion de spectateur. Ce récit tricoté à plusieurs ressuscite le théâtre. Il vagabonde des mains vieillies de Serge Merlin, dont la jeune pensionnaire Rebecca Marder ne pouvait détacher son regard, au voyage rocambolesque de Danièle Lebrun, adolescente courant à Paris pour voir de ses propres yeux Gérard Philipe sur scène, en passant par l’émerveillement de Michel Vuillermoz, évoquant l’année 1985 et l’hallucination absolue qu’il a ressentie en voyant le travail de l’Italien Giorgio Strehler, maître de représentations aussi fastueuses que somptueuses. Ce précipité de souvenirs, où les larmes, la peur, l’extase, le rire s’entremêlent, suscite un plaisir fou. On pense rester cinq minutes devant son écran ; quatre heures plus tard, on y est encore scotché, savourant ces mots qui font renaître les scènes. Voir la vidéo Neuvième épisode de « Théâtre à la table », diffusé pour la première fois samedi 16 janvier à 19h. Réalisation : Clément Gaubert. Pour naviguer au long de cette très longue vidéo : Par ordre de passage : (Note : vous retrouverez cette chronologie dans la page YouTube qui s'affichera si vous cliquez sur "Voir la vidéo". Vous pourrez accéder directement à l'intervention qui vous intéresse en cliquant sur le minutage indiqué) Introduction 0:00 Florence Viala 1:04 Jennifer Decker 4:15 Noam Morgensztern 5:44 Danièle Lebrun 8:38 Clément Hervieu-Léger 14:37 Jérémy Lopez 18:53 Rebecca Marder 23:51 Serge Bagdassarian 27:21 Claude Mathieu 31:55 Jérôme Pouly 35:53 Gaël Kamilindi 38:43 Stéphane Varupenne 42:19 Elsa Lepoivre 45:49 Yoann Gasiorowski 48:52 Christophe Montenez 51:52 Dominique Blanc 54:50 Adeline d'Hermy 1:02:12 Julien Frison 1:07:13 Clément Bresson 1:10:42 Julie Sicard 1:15:52 Jean Chevalier 1:21:52 Véronique Vella 1:25:26 Pauline Clément 1:30:08 Bakary Sangaré 1:32:51 Françoise Gillard 1:37:16 Antoine de Foucault 1:42:23 Didier Sandre 1:44:31 Anne Kessler 1:49:38 Marina Hands 1:54:26 Pierre Louis-Calixte 2:00:08 Hervé Pierre 2:07:09 Coraly Zahonero 2:13:56 Nicolas Verdier 2:19:56 Anna Cervinka 2:24:04 Sébastien Pouderoux 2:28:24 Salomé Benchimol 2:33:20 Camille Seitz 2:37:40 Christian Hecq 2:39:32 Alexandre Pavloff 2:44:18 Benjamin Lavernhe 2:50:47 Suliane Brahim 2:58:58 Michel Vuillermoz 3:03:44 Clotilde de Bayser 3:09:49 Élissa Alloula 3:14:01 Alain Lenglet 3:16:40 Laurent Stocker 3:22:26 Chloé Ploton 3:28:46 Sylvia Bergé 3:33:58 Gilles David 3:41:35 Claïna Clavaron 3:46:34 Laurent Lafitte 3:48:54 Thierry Hancisse 3:57:08 Géraldine Martineau 4:03:02 Birane Ba 4:07:25 Clémentine Billy 4:12:50 Claire de La Rüe du Can 4:18:22 Christian Gonon 4:21:57 Élise Lhomeau 4:28:46 Loïc Corbery 4:35:29 Nicolas Lormeau 4:42:50 Guillaume Gallienne 4:49:29 Générique 4:58:31
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Le spectateur de Belleville
February 22, 2021 3:44 AM
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Par Ariane Bavelier dans Le Figaro 22/02/2021 Le plus célèbre des acrobates français est la cible d’une vidéo anonyme qui souligne ses emprunts à l’œuvre de confrères. Un procédé indigne pour une vaste question. «L’histoire de l’art est une suite infinie de réinterprétations et de détournements d’idées, de motifs, de références», se défend Yoann Bourgeois de l’accusation de plagiat. JOEL SAGET/AFP Au cirque, celui qui tombe peut en mourir. Celui qui tombe , c’est justement le titre d’un des spectacles qui a fait la gloire de Yoann Bourgeois. Des acrobates luttaient pour rester debout sur un immense plateau de bois tournant sur un pivot central. Depuis, il y a eu bien d’autres réussites. Bourgeois, on se l’arrache. Il a fait l’ouverture du théâtre de la Scala à Paris, occupé le Panthéon ou la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon avec ses installations poétiques, le monde entier programme ses spectacles et le comité des Jeux olympiques l’aurait même approché pour qu’il intervienne, comme naguère Decouflé, lors d’une des cérémonies liées à la manifestation. À LIRE AUSSI : Au Panthéon, Yoann Bourgeois en apesanteur En outre, il dirige depuis 2016, avec Rachid Ouramdane nommé le 11 février à la tête de Chaillot, le CCN2 (Centre chorégraphique national de Grenoble). Les statuts de celui-ci l’en assurent, Yoann Bourgeois continuera jusqu’à la fin de son second mandat en 2022. Toutefois, il reste pour l’instant aux abonnés absents. Une vidéo anonyme postée sur Vimeo le 6 février juxtapose une dizaine d’extraits de spectacles signés par d’autres artistes et des séquences des siens. Plan à plan, pour montrer que Bourgeois cite littéralement et sans créditer. La vidéo s’intitule «L’usage des œuvres». Bourgeois y a répondu par une tribune intitulée «L’histoire peine» sur Artcena (site du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre), manière de traduire à la fois sa douleur devant la violence de l’attaque et de se défendre de l’accusation de plagiat, arguant que «l’histoire de l’art est une suite infinie de réinterprétations et de détournements d’idées, de motifs, de références». À LIRE AUSSI :Soupçonné de plagiats, le circassien Yoann Bourgeois se défend La vidéo a été envoyée aux compagnies et à certains directeurs de théâtre - des méthodes de corbeau. Sur Facebook, un post a suivi, signé du pseudo Samson Hitalic: «Yoann Bourgeois… mon grand ami. Nous avons passé quinze ans à danser, jongler, sauter, grandir, en lisant et en voyant des centaines de spectacles. Comment a-t-il pu devenir ce monstre qui piétine tous ses amis, qui vole les œuvres?» Sur Facebook toujours, mais sous son nom, Chloé Moglia, reine de la poésie suspendue, qui se découvre dans la vidéo, détaille longuement son questionnement face aux méthodes de Bourgeois. Les artistes qui se découvrent sur la vidéo restent en effet médusés. Bourgeois a fait sa gloire en mettant bout à bout «leurs» motifs! Ils relaient le tout sur les réseaux sociaux, la vidéo devient virale. Et la réponse dans Artcena n’arrange rien. Chacun s’attendait à des excuses. Bourgeois livre une théorie sur l’éternelle reprise des images. «Tout le monde l’a mal vécu. Jean-Baptiste André, Jörg Müller, Camille Boitel ont du mal à se produire sur les scènes nationales. On leur répond: Yoann Bourgeois est déjà passé et vous faites à peu près la même chose», commente Pierre Pélissier, alias M. Culbuto, artiste de rue. Même si chacun travaille dur, la période du Covid, avec interruption des spectacles depuis un an, n’adoucit pas les esprits. Le ressentiment alimente même, chez certains, le projet d’une action en justice. «L’esprit de l’école» Un monde est à terre. Celui du nouveau cirque, pourtant né dans l’idée du collectif et du dialogue. Hormis Camille Boitel, qui est passé par l’école Fratellini, et Pierre Pélissier, tous les autres cités dans la vidéo - Chloé Moglia, Jean-Baptiste André, Lucien Reynès, les jongleurs du Petit Travers et Jörg Müller - sortent du Centre national des arts du cirque. Comme Bourgeois, le benjamin. «L’esprit de l’école a été largement façonné par Bernard Turin. Contrairement à l’école de Montréal, qui forme des artistes partis pour tenter leur chance en individuel, le Cnac forme des promotions de gens venus d’horizons très différents qui évoluent en compagnie et qui se remplacent les uns les autres quand l’un d’entre eux est blessé», dit Pascal Jacob, historien du cirque. À LIRE AUSSI :Ô Chloé Moglia, suspends ton vol La plupart de ces artistes ont travaillé avec Yoann Bourgeois. Lucien Reynès était sur son premier spectacle, Cavale. Jean-Baptiste André a été acrobate pour lui. Chloé Moglia et les jongleurs du Petit Travers ont été artistes associés au CCN2 de Grenoble. La question des frontières se pose lorsqu’on travaille sur le même parquet. «J’ai juste croisé Yoann dans les couloirs, jamais travaillé avec lui», précise Chloé Moglia, qui se souvient de sa stupeur lorsqu’elle avait vu le spectacle Minuit de Yoann Bourgeois. Il reprend un de ses motifs, des artistes suspendus par les bras à une perche horizontale et qui se laissent tomber à mesure qu’ils n’en peuvent plus: «Le soir du spectacle, Yoann m’avait accueillie avec beaucoup de chaleur. Il avait prévenu l’équipe, me disait-il, que la reine de la suspension serait dans la salle. Étrange flatterie ou sincère considération?» « Cette vidéo est habile, les ressemblances sont troublantes par leur accumulation, mais, à y regarder de plus près, la thèse de la contrefaçon peine à s’imposer » Maître François Pouget, spécialiste du droit d’auteur La question de l’emprunt de dispositifs ou d’agrès alimente une autre polémique. Lorsqu’il a inventé celui dit de la roue Cyr, Daniel Cyr a demandé qu’il porte son nom. Hormis cela, il n’en a pas limité l’usage, évitant le débat que suscite l’affaire Bourgeois. «En 2018, des amis m’ont alerté: ils avaient vu Yoann Bourgeois utiliser un culbuto dans son spectacle. J’avais déposé le mien à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. J’ai négocié avec Bourgeois pour qu’on partage les droits d’auteur de ses solos en culbuto à 50/50, ou selon des parts moindres lorsqu’il s’agit d’une plus petite participation dans un spectacle. J’ai aussi demandé que mon nom soit crédité, ce qui n’a pas été systématiquement fait», dit Pierre Pélissier. Il ajoute: «Dans cette vidéo, j’ai découvert que le clip de la rappeuse Missy Elliot était sorti. Fait rarissime, il possède un long générique de fin (40 secondes) où est notamment mentionné: «culbuto conceptualized-Yoann Bourgeois». Et moi, je ne suis pas cité! Alors que là, franchement, il y avait la place!» Même ambiguïté concernant un tube aquatique où évolue un acrobate en apnée, une attraction créée par Jörg Müller en 2001 et dans laquelle Yoann Bourgeois a plongé pour ne plus en sortir. «Certes il crédite Jörg Müller à la conception, mais lui signe la mise en scène. Pour le spectateur qui ne connaît pas le nom de Jörg Müller, tout ça, c’est du Yoann Bourgeois», estime Chloé Moglia. Malaise encore, et plus profond, face à la copie de quelques minutes d’Intérieur nuit, de Jean-Baptiste André, processus qui enferme des gens dans une boîte, sens dessus dessous. À LIRE AUSSI : Dialogue idéal entre les artistes et le Palais de la Porte Dorée «Si on étudie la question de l’antériorité, on a mis des acrobates dans des aquariums pour jouer l’homme ou la femme sirène dès le XIXe siècle. De même, le mobilier qui se déglingue, les échelles dont les barreaux s’effondrent appartiennent au répertoire de la grande illusion comme au registre clownesque à la même époque. Le plateau en bois suspendu à des filins que reprend Lucien Reynès était déjà pratiqué par la troupe Kabakov à la fin des années 1990. Yoann Bourgeois y apporte une autre dimension en le faisant tourner», précise Pascal Jacob. Maître François Pouget, spécialiste du droit d’auteur, précise: «Cette vidéo est habile, les ressemblances sont troublantes par leur accumulation, mais, à y regarder de plus près, la thèse de la contrefaçon peine à s’imposer. D’une part parce qu’il y aurait autant de procès que de victimes, chacune ne pouvant agir que pour sa part, pour la scène dont elle est l’auteur. D’autre part parce que l’impression première vient souvent, dans certaines séquences, du réemploi d’un dispositif plus que de la reproduction d’une création esthétique formelle. Se suspendre à une barre dans le vide et tenir jusqu’à n’en plus pouvoir peut difficilement être considéré en soi comme protégé par le droit d’auteur. Il faut quelque chose de plus: ce qu’en fait l’auteur, ce qu’il y met dedans et autour. La comparaison des chorégraphies visibles dans la vidéo ne joue pas en faveur du grief de contrefaçon. À tout prendre, le problème semble questionner la morale d’un comportement plutôt que le caractère contrefaisant d’une œuvre. De même, d’ailleurs, que le choix d’une dénonciation anonyme nous interpelle sur ce registre.» À qui profiterait le crime? Malgré les insinuations incluses dans le post envoyé avec la vidéo, la «constellation» des artistes qui y figure affirme ne pas être à l’origine de celle-ci. «Il y a bien longtemps que les procédés de Yoann nous mettent mal à l’aise, mais chacun travaille dans son coin. Entre gens de cirque, on ne se voit pas. J’en ai parfois parlé à des programmateurs, mais le succès de Bourgeois est tel qu’ils ont tôt fait de te renvoyer: “Est-ce que tu ne serais pas un peu jalouse?” À force, on se tait.» Mais, là, en se trouvant côte à côte dans cette vidéo qui se termine en annonçant une suite, nos réactions éclatent avec violence», dit Chloé Moglia. Citations et emprunts n’empêchent pas de reconnaître à Bourgeois une écriture et un univers aussi personnels, aussi puissants que celui de la plupart des autres artistes de la vidéo. Inspiré par le jonglage et le trampoline, le travail de Bourgeois, basé sur la recherche du point de suspension - cet instant juste avant la chute -, a nourri depuis vingt ans l’écriture d’une bonne dizaine de pièces qui tiennent la route. Le débat qui fait rage mériterait pour le moins de faire avancer la question des droits d’auteur dans le domaine. Le cirque d’auteur entre dans l’âge adulte.
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Le spectateur de Belleville
February 20, 2021 4:53 PM
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Par Christine Friedel dans Théâtre du blog 20 février 2021 Cinq adolescents se trouvent enfermés dans leur collège déserté. Que faire? Ils deviennent, sans en prendre conscience, les rats de laboratoire de la situation. Rivalités (c’est moi le chef), bagarres, jeux… Bien entendu, la bonne élève, aussitôt qualifiée de « bourge», sera la cible du harcèlement. Et puis, il va falloir manger : quatre boîtes de corned beef pour cinq. Et comment on fera demain ? Plutôt que d’un spectacle proprement dit, il s’agit d’une expérience théâtrale et les jeunes comédiens -trois garçons et deux filles- y mettent toute leur énergie. A chaque extrémité de la salle, avec une vaste allée entre les deux, des espaces de jeu et un musicien en retrait à mi-chemin. Les spectateurs, distanciés, sur de petits tabourets, n’ont qu’à suivre le mouvement : courses, cavalcades, invectives et engueulades dans la langue exacte des treize-seize ans. La pièce serait juste un fidèle miroir des cours de récré, si Tamara Al Saadi n’avait redistribué les cartes dans la seconde partie. En accéléré, les mêmes situations et conflits mais l’espace est modifié et les acteurs ont inter-changé leurs rôles. Du coup, la «bourge» tient tête, la « forte tête» baisse la sienne et les mêmes mots prennent alors un nouveau sens. On perçoit d’autres rapports de force entre individus et catégories sociales, elles-mêmes vues d’un autre œil. La complexité et les nuances font leur entrée. Un expérience doublement pédagogique pour ces jeunes et pour le public. Et Brûlé-e-s constitue une belle leçon de lecture d’une micro-société, renvoyant aussi à un espace social beaucoup plus vaste. Les rapports entre ados le dessinent et il oriente les relations entre eux. Ici, nul besoin de décor et on en revient à la cour de récréation. Ce théâtre mobile et mobilisateur devrait réjouir les adolescents qui l’ont inspiré parce qu’il les prend en considération. Et si leurs parents venaient aussi les voir ? Christine Friedel Présentation réservée aux professionnels vue le 12 février, au Cent Quatre, rue Curial Paris (XIX ème). Photo © Mathieu Ponchel
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2021 1:03 PM
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Par Frédérique BRACONNOT dans L'Est Républicain - 19/02/2021 Comme un pied de nez à la crise sanitaire en cours, le Centre dramatique de Nancy a décidé de programmer dans un certain nombre d’établissements du second degré, des œuvres qui devaient être présentées sur la scène de la Manufacture. Premier rendez-vous au lycée Marie-Marvingt de Tomblaine avec l’émouvant « Portrait de Raoul ». Si le public ne vient pas à la Manu, la Manu ira à son public. En réalité, la crise sanitaire n’a joué aucun rôle dans la décision qui a consisté à transporter une partie de l’équipe en un lieu inhabituel. Tout juste a-t-elle contribué à activer le mouvement. Car c’est bien dans les intentions de Julia Vidit, qui dirige désormais l’institution culturelle nancéienne, de diffuser le théâtre, et toutes ses formes, hors des murs de l’établissement, pour aller à la rencontre des publics, et plus particulièrement des jeunes. C’est ainsi qu’une partie de l’équipe technique s’est installée deux jours durant dans une salle du lycée Marie-Marvingt de Tomblaine pour y présenter, à trois reprises, « Portrait de Raoul », un seul en scène de Marcial Di Fonzo Bo d’après le texte de Philippe Minyana, magistralement interprété par Raoul Fernandez, l’homme aux multiples vies. La pièce aurait dû être jouée à la Manufacture. Partie remise, on l’espère, car cette œuvre d’une élégante simplicité, portée par les émotions vibrantes de Raoul, mérite bien d’être diffusée à plus large échelle. Personnage généreux et attachant Car l’histoire de Raoul est extraordinaire, magique presque. De son enfance au Salvador, où il apprend la couture au côté de sa « mama », jusqu’à son arrivée à Paris, où il devient l’une des petites mains de l’opéra Garnier, la vie de Raoul n’est qu’une succession de rencontres et de hasards heureux. Son coup de gueule avec le génial Noureev, qui l’empêche de quitter son métier, alors qu’il en a envie ; la découverte de la scène ; la révélation de son identité profonde, car Raoul « vit comme un homme, mais pense comme une femme ». Bref, une richesse de vie dont s’est saisi Philippe Minyana pour écrire « Portrait de Raoul ». Comme l’a attesté la série d’échanges, qui a succédé à la représentation, le jeune public du lycée Marie-Marvingt, a de toute évidence été saisi, cueilli même par l’histoire, et par ce personnage généreux et attachant. D’autres initiatives similaires D’autres initiatives du même type sont prévues ces prochaines semaines. Les équipes de la Manufacture devraient présenter dans un autre établissement du second degré « J’ai rencontré Dieu sur Facebook », qui était programmé les 15 et 16 mars prochains. Cette pièce, écrite et mise en scène par Ahmed Madani, évoque la radicalisation d’une adolescente de Seine-Saint-Denis. Un peu plus tard, sera joué aussi « Skolstrejk » (la grève scolaire) du nom de ce slogan devenu célèbre grâce à Greta Thunberg. La mise en scène est signée Julia Vidit. Le texte Guillaume Cayet. Légende photo : Un personnage généreux et attachant. Photo ER /Patrice SAUCOURT
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Le spectateur de Belleville
February 17, 2021 5:38 PM
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Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 17/02/2021 Ce couvent du XIV ème siècle, lieu de pèlerinage et nécropole des Ducs de Bourgogne jusqu’à la Révolution française, fut vendu comme Bien National en 1791 et largement démoli… En 1833, le département de la Côte-d’Or y fit construire un hospice où il reste quelques vestiges architecturaux dont le remarquable Puits de Moïse ornant un cloître aujourd’hui disparu. Les tombeaux des ducs de Bourgogne et les retables sculptés et peints ont été transférés vers 1850 au musée des Beaux-Arts de Dijon. Aujourd'hui, la Chartreuse est un grand centre spécialisé en psychiatrie, addictologie et santé mentale. Au milieu de ce vaste domaine, le chapiteau en bois au toit rouge du Cirque Lili de Jérôme Thomas, construit en 2001 pour un spectacle du même nom, apporte une touche de fantaisie à ce lieu austère. Il abritera jusqu’en novembre, le projet Cirque à l’Hôpital avec une rencontre entre personnes atteintes de troubles psychiques, soignants et artistes de cirque. ll existe déjà au sein de l’établissement un espace culturel, l’Hostellerie: cette auberge, qui accueillait les pèlerins, est maintenant un lieu d’exposition où l’on peut voir des œuvres dans la lignée de l’art singulier ou brut. Actuellement, comme en prologue, les tableaux colorés de Guy Chambret, un ancien patient de la Chartreuse, évoquent l’univers du cirque. Motifs très précis, tons vifs cernés de bleu de Prusse donnent un caractère nostalgique à un univers naïf et poétique. «On fait de la transmission artistique en créant avec eux », dit Jérôme Thomas, directeur de cet Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets, implanté depuis vingt ans à Dijon. Patients, soignants et artistes préparent collectivement un spectacle: «Il y aura ceux qui jouent, ceux qui assistent et ceux qui supervisent. » Chacun choisit une discipline : clown, jonglage, trapèze, assistance technique… Certains en seront les auteurs grâce à un atelier d’écriture animé par la metteuse en scène Aline Reviriaud. D’autres seront confrontés au mouvement avec le chorégraphe Frédéric Cellé et Jérôme Thomas les initiera au jonglage et à la manipulation d’objets. Les ateliers ont débuté fin janvier et le spectacle final, La Piste aux étoiles… filantes aura lieu les 16 et 17 juin sous le chapiteau. Le Projet Faille Parallèlement, le Cirque Lili accueille en résidence, des jeunes compagnies, notamment le Trio Faille dont nous avons vu la répétition. Ces artistes se sont rencontrés au Centre National des Arts du cirque à Châlons-en-Champagne et montent ensemble ce projet :Léa Leprêtre, au trapèze ballant bas et le duo Johannes Holm Veje/MartinRichard au cadre coréen. Ils veulent explorer les écarts entre prouesse physique des corps et fragilité des artistes: «L’histoire que nous voulons raconter est celle de trois individus vivant dans un monde qui les dépasse et les oppresse. Ils se battent pour trouver un sens à leur existence: chercher la faille d’un système établi, c’est déconstruire.» Avec un univers de paillettes aux numéros décalés, sur une musique classique au violoncelle en alternance avec un mixage de sons électroniques, ce spectacle en forme de cabaret rétro est plein d’humour et d’énergie. A suivre… On pourra le voir le 8 avril au festival SPRING en Normandie et au festival Prise de CIRQ à Dijon. Mireille Davidovici L’Hostellerie de la Chartreuse, 1 boulevard du Chanoine Kir, Dijon (Côte-d’Or). T. : 03 80 42 52 01. ARMO/compagnie Jérôme Thomas T. : 03 80 30 39 16.
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