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Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre
Quelques astuces pour tirer profit de tous les services de la Revue de presse théâtre Les publications les plus récentes se trouvent sur la première page, mais en pages suivantes vous retrouverez d’autres posts qui correspondent aussi à l’actualité artistique ou à vos centres d’intérêt. (Navigation vers les pages suivantes au bas de la page) Les auteurs des articles et les publications avec la date de parution sont systématiquement indiqués. Les articles sont le plus souvent repris intégralement. Chaque « post » est un lien vers le site d’où il est extrait. D’où la possibilité de cliquer sur le titre ou la photo pour lire l’article entier dans son site d’origine . Vous retrouverez la présentation originale de l'article : les titres, les photographies et les vidéos voulues par le site du journal ou l’auteur du blog d’où l’article est cité. Pour suivre régulièrement l’activité de la Revue de presse : vous pouvez vous abonner (bouton bleu turquoise INSCRIPTION GRATUITE ) et, en inscrivant votre adresse e-mail ou votre profil Facebook, recevoir des nouvelles par mail des publications les plus récentes de la Revue de presse Vous pouvez aussi, si vous êtes inscrits sur Facebook, aller sur la page de la revue de presse théâtre à cette adresse : https://www.facebook.com/revuedepressetheatre et vous abonner à cette page pour être tenu à jour des nouvelles publications. sur X (anciennement Twitter), il y a un compte "Revue de presse théâtre" qui propose un lien avec tous ces posts, plus d'autres articles, brèves et nouvelles glanés sur ce réseau social : @PresseTheatre https://x.com/PresseTheatre Vous pouvez faire une recherche par mot sur 12 ans de publications de presse et de blogs théâtre, soit en utilisant la liste affichée ci-dessus des mots-clés les plus récurrents , soit en cliquant sur le signe en forme d’étiquette à droite de la barre d’outils - qui est le moteur de recherche de ce blog ("Search in topic") . Cliquer sur le dessin de l'entonnoir (Filtres) et ensuite taper un mot lié à votre recherche. Exemples : « intermittents » (plus d’une centaine d’articles de presse comportant ce mot) « Olivier Py» ( plus de cinquante articles ), Jean-Pierre Thibaudat (plus de cent articles), Comédie-Française (plus de cent articles), Nicolas Bouchaud (plus de cinquante articles), etc. Nous ne lisons pas les "Suggestions" (qui sont le plus souvent jusqu'à présent des invitations, des communiqués de presse ou des blogs auto-promotionnels), donc inutile d'en envoyer, merci ! Bonne navigation sur la Revue de presse théâtre ! Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso
Chronique de Vincent Bouquet et Anna Sigalevitch dans Les Midis de France Culture, émission animée par Marie Labory, le 13 octobre 2025 Dans "Étincelles", présenté pour la première fois au répertoire de la Comédie-Française, Gabriel Dufay assemble des pièces courtes inédites de Jon Fosse, lauréat du prix Nobel 2023, qu’il mêle à des poèmes. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur norvégien : l’amour, le couple, le temps et la mort.
Avec Anna Sigalevitch, journaliste et auteure Vincent Bouquet, journaliste et responsable d'édition du site Sceneweb Ecouter le podcast (13 mn)
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Le spectateur de Belleville
October 12, 5:44 PM
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Tribune de Romaric Daurier, publiée par Libération le 12 oct. 2025 Créer ne consiste plus à transmettre un patrimoine clos, mais à en préserver la possibilité d’usage pour les générations futures, estime Romaric Daurier, directeur de scène nationale. Culture, éducation, justice, information, sciences… Syndeac, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, organise en 2025 une série de débats pour souligner le rôle et l’importance des services publics dans la société. Une série d’événements dont Libération est partenaire. Prochain débat, «Culture et rénovation urbaine : un même combat pour l’égalité», le 13 octobre à Valenciennes. Il y a quelques années, j’appelais dans Libération un «théâtre élargi» où les artistes puiseraient dans le réel les matériaux de leurs créations : des écritures de contexte, attentives aux territoires et aux paroles ordinaires. Puis, dans Délibéré, je rêvais de «maisons de la culture et de la nature», en écho à Philippe Descola, pour élargir la culture à la notion de vivant commun. Ces intuitions résonnent aujourd’hui face à la crise des identités. Le champ culturel est pris dans une polarisation brutale : élite contre populaire, savant contre divertissant, institution contre spontané. Sous prétexte de «parler à tous», certains prônent une simplification de l’offre qui exclut l’altérité esthétique. Derrière le vernis d’accessibilité se cache une instrumentalisation identitaire : une culture qui désigne ce qui serait «légitime» pour tel public ou territoire. Ce populisme culturel fige les imaginaires au lieu de créer du commun. Contre cette dérive, relisons Lévi-Strauss : l’authenticité n’est pas le folklore, mais la qualité d’une relation. Elle ne se décrète pas depuis un centre ; elle se construit dans la coprésence, dans la reconnaissance mutuelle. Or, certaines politiques prétendent «faire peuple» depuis des cénacles hors-sol, fabriquant de la proximité artificielle. L’authenticité devient fiction centralisée, quand elle devrait être une démocratie vécue à l’échelle locale : une culture tissée dans la durée, entre des personnes en relation réelle. Depuis les débuts de la décentralisation, un changement de paradigme s’impose. La culture n’est plus seulement, pour reprendre Malraux, «l’héritage de la noblesse du monde». Elle ne s’hérite pas : elle s’emprunte à nos enfants. À l’heure de la crise écologique, cette conscience bouleverse la mission culturelle : créer ne consiste plus à transmettre un patrimoine clos, mais à en préserver la possibilité d’usage pour les générations futures. Beaucoup d’artistes incarnent aujourd’hui cette exigence : Emilie Rousset, Mohamed El Khatib, Boris Charmatz, le collectif XY, ou la nouvelle génération de Camille Dagen, Eddy D’aranjo, Rebecca Chaillon. Tous explorent un théâtre du réel où la présence prime, où l’authenticité des sources devient matière poétique. Cette recherche d’authenticité interroge aussi la transmission. Le penseur Tim Ingold nous invite à repenser l’éducation artistique non comme transfert de savoirs, mais comme apprentissage du «faire avec». L’artiste, comme l’enfant, apprend en suivant les lignes du monde, en observant, en ajustant son geste. L’éducation artistique devient une écologie du regard : un art d’habiter et de prêter attention. Elle n’enseigne pas des formes, mais une manière d’être au monde, d’écouter, de relier. Créer, transmettre, éduquer : ces verbes partagent une même urgence. Dans un monde saturé de simulacres, où l’authenticité virtuelle se vend en flux, la scène doit redevenir lieu de présence. Face à la pseudo-authenticité algorithmique, la seule résistance est la coprésence : des gestes partagés, des voix réelles, des territoires vécus. Il nous faut aussi réinventer la décentralisation : refaire territoire en circuit court, reterritorialiser la culture. Sortir du pilotage vertical pour retrouver le sens du proche, du commun, du patient tissage entre artistes, habitants et paysages. Cette écologie de la culture est une politique du lien : elle redonne à chaque lieu sa capacité d’invention. Ainsi comprise, l’exception culturelle française ne serait plus un privilège institutionnel, mais une garantie d’authenticité : la possibilité, pour chacun, de faire culture ensemble, dans un monde à réapprendre, à hauteur d’humain. Romaric Daurier, directeur du Phénix, scène nationale de Valenciennes
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Le spectateur de Belleville
October 10, 6:19 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 5 oct. 2025 Le dramaturge est à l’affiche avec quatre pièces dont le très délicat « Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) » mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo aux Plateaux sauvages à Paris.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/10/au-theatre-l-automne-saison-du-regain-pour-l-auteur-philippe-minyana_6645600_3246.html
Quatre textes, quatre spectacles, quatre salles : c’est le moins que puisse faire le théâtre pour rendre à Philippe Minyana les honneurs qu’il lui doit. C’est à un auteur de plus de 35 pièces et qui a voué sa vie à l’écriture que se consacrent, en octobre, des metteurs en scène. Parmi eux, Marcial Di Fonzo Bo qui crée Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) aux Plateaux sauvages à Paris. Echappée belle dans un onirisme saisi de mélancolie, cette représentation se traverse comme un temps suspendu au-dessus du quotidien et qui, pourtant, plonge d’un bond résolu dans le concret d’une histoire vraie : celle du comédien Raoul Fernandez. Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) a le goût des retrouvailles heureuses entre un auteur et son interprète (ce Portrait étant le deuxième écrit par le dramaturge). Le goût, aussi, de la tendresse que partagent les deux complices pour un art qui cultive la déraison. Et peu importent les excès de cette déraison pourvu qu’au bout des entêtements, du travail, des nuits blanches, de l’envie, il y ait une scène, une fiction, un personnage, la lumière des projecteurs et le regard du spectateur sur Raoul, la créature qui vient de naître. Dans un décor de rideaux rouges et noirs qui chutent les uns après les autres, à son aise dans le monologue que lui a conçu, sur mesure, Philippe Minyana, Raoul rêve de chanter et de danser. Il rêve d’avoir des seins et de se travestir. Il rêve de la France, sa terre d’adoption et du Salvador, son pays natal. Seul au centre d’un plateau que les étoffes (plumes, robes, voiles) colonisent petit à petit, campé près d’un micro sur pied et d’un piano droit, il prend des poses de diva et une voix de tragédienne pour opposer le récit de ses désirs au glas du temps qui fuit. Minyana a imaginé le comédien dans la peau d’un revenant. Ressuscité d’entre les morts, de retour depuis les rives de l’au-delà, il surgit, vêtu de noir, repartira de même, après un numéro de funambule songeur dans l’illimité de la parole. Douceur, élégance et tact de sa performance qu’accompagnent les musiques de Carlos d’Alessio (1935-1992), qui fut le collaborateur de Marguerite Duras (1914-1996) : la mise en scène dépose le public dans une sorte d’entre-deux où la flânerie intérieure prend le pas sur le réel et où la joie se leste d’une étrange gravité. Double féminin Une émotion ambivalente que l’on retrouve, mais avec plus de rugosité et de drôlerie effrontée, face à Lune, texte que l’auteur met lui-même en scène au 100, établissement culturel et solidaire, à Paris. Cette fois c’est une femme qui s’exprime. Jouée par la vive, brusque (au bon sens du terme) et facétieuse Catherine Pietri, l’héroïne rembobine le fil du passé sur la trace des évènements, anecdotiques et dramatiques, qui l’ont construite (ou détruite). Dans une scénographie réduite à l’essentiel (une table, une chaise), enveloppée dans une large robe blanche, ce double féminin du dramaturge transforme le plateau en terrain de labour. Les mots sont les coups de pelle qui déterrent les souvenirs. Ceux qui comptent pour rien et ceux qui pèsent lourd dans les méandres de son existence. Le probable suicide d’une mère surmédicamentée, la vie à la campagne, le vent dans les arbres, les siestes, les repas, l’envie d’écrire, les réunions de famille, ces dernières suscitant un moment d’anthologie théâtrale à se tordre de rire. Philippe Minyana entraîne Catherine Pietri dans une approche organique de son texte. Elle ralentit, accélère, laisse traîner les voyelles ou taper les consonnes, elle ne s’attarde jamais dans un sentiment, brise l’émotion qu’elle vient de susciter pour la raviver au détour de la phrase suivante. Elle fait corps avec la langue, laquelle est une offrande à son jeu. Un enchantement que ce regain de Philippe Minyana dans l’automne parisien. Il s’en va. Portrait de Raoul (suite), texte de Philippe Minyana publié aux Solitaires intempestifs, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo. Plateaux sauvages, Paris 20e. Jusqu’au 18 octobre. Lune, texte de Philippe Minyana, mise en scène de l’auteur. 100, établissement culturel et solidaire, Paris 12e. Jusqu’au 11 octobre. A voir aussi, du même auteur : Fantômes, mise en scène de Laurent Charpentier. Théâtre de la Ville, Paris 4e. Du 10 au 16 octobre. Babette, mise en scène de Jacques David. 100, établissement culturel et solidaire, Paris 12e. Jusqu’au 11 octobre. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : Raoul Fernandez lors d’une répétition de la pièce « Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) », texte de Philippe Minyana, mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, au Quai CDN d’Angers, en avril 2025. PASCAL GELY/HANS LUCAS
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Le spectateur de Belleville
October 8, 4:49 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 6 oct. 2025 Avec la « La chambre de l’écrivain », Marc Lainé boucle une trilogie familiale semi fictive qui s’achève avec la mort du père. En l’occurrence la doublure de l’écrivain Pascal Lainé ancien lauréat du Goncourt.Tout au long de ce cycle « Liliane et Paul », Marc Lainé n’aura eu de cesse de "fictionner" sa vie et celle de ses parents. Aussi tortueux que délicieux.
Tout avait commencé, en 1969, dans un train entre Paris et Saint Quentin. Paul, prof de philo etécrivain, se trouve dans le même compartiment que Liliane, une jeune fille dont le sourire le fascine. Il finit par lui adresser la parole. On les retrouve, l’année suivante, dans le même train, elle toujours assise près de la vitre. Ils sont ensemble. Plus tard, ils se sépareront. Paul Langlois qui a déjà reçu un prix littéraire pour l’un de ses romans, veut écrire l’histoire de sa rencontre avec Liliane dans un train. C’était là, la trame de Nos paysages mineurs , pièce écrite et mise en scène par Marc Lainé avec pour délicats interprètes, Adeline Guillot et Vladislav Galard (lire ici) On allait retrouver les mêmes personnages et les mêmes interprètes, tout aussi délicieux, dans En finir avec notre histoire, second volet de la trilogie. Nous sommes maintenant au début des années 90, Liliane élève seule Martin, dont elle était enceinte lorsqu’elle avait quitté Paul. Elle est devenue prof de philo. Paul, comme écrivain, a connu un certain succès avec son roman La jeune femme dans le train mais peine à retrouver l’inspiration comme si le prix Goncourt, dont il fut lauréat, lui avait comme coupé les pattes. Son éditeur n’a plus confiance en lui et ses aventures amoureuses tournent court. En rôdant dans son quartier, Paul finit, « par hasard », par croiser Liliane. Il espère la douceur d’un tendre revival, Liliane, elle, ne veut par retomber sous l’emprise de son ex mari. Et Martin, leur fils, dans tout ça ? La fin de la pièce laisse l’histoire en suspens (lire ici). Dans La chambre de l’écrivain, troisième et dernier volet de l’histoire de Liliane et Paul, Marc Lainé repart sur les traces de cette histoire avant de l’approfondir. On revient au début des années 70 lorsque Paul et Liliane vivaient ensemble. On apprend que le père de Paul ne l’a pas reconnu mais a toujours veillé à ce que son fils ne manque de rien. On reste dans le même décor d’une chambre des années 70, mais c’est aujourd’hui, au milieu des années 2020, que Martin, le fils de Liliane et Paul, jeune quadragénaire, nous annonce son intention de « mettre en scène une pièce sur l’histoire de mes parents » et plus précisément sur le couple qu’ils formaient avant sa naissance, ce qui constituait le sujet de Nos paysages mineurs. Martin aurait-il quelque chose à voir avec Marc (Lainé) ? On s’enfonce un peu plus dans cette nébuleuse à la scène suivante où Martin interroge son vieux père Paul, octogénaire, qui vit seul. Au micro de son petit fils, il revient sur les prix littéraires prestigieux dont il a été naguère le lauréat, exactement comme Paul Lainé, le père de Marc, qui a eu le prix Médicis, puis l’année suivante le Goncourt avec La dentellière roman qui allait devenir aussi un film où Isabelle Huppert ferait de beaux débuts. Après quoi, Paul continua d’écrire des livres, allant d’éditeur en éditeur, sans jamais retrouver le succès. La Chambre de l’écrivain poursuit ces allers retours entre le passé et le présent, l’imaginaire et le vécu. Après une scène de dispute entre Liliane et Paul au milieu des années 70, nous voici aujourd’hui dans le décor de la pièce de Martin consacrée à ses parents qu’il met lui-même en scène. Martin vient de passer la nuit dans le décor et converse avec Noémie qui travail à la production du spectacle. Martin lui confie avoir écrit à sa mère, Liliane, et celle-ci vient de lui répondre : non seulement elle ne veut pas voir le spectacle, mais a décidé de couper les ponts avec lui, son fils. Quelques jours plus tard, Martin fait le chemin jusqu’à elle pour lui annoncer que Paul est au plus mal. Le père de Marc Lainé, Pascal Lainé, l’auteur de La Dentellière, est mort, octogénaire, le 30 décembre 2024. Son fils Marc Lainé a donc écrit en pensant souvent à lui La chambre de l’écrivain et, dans la mise en scène de la pièce, Marc Lainé a confié le rôle de son père Paul au grand Marcel Bozonnet. On retrouve bien sûr Vladislav Galard et Adeline Guillot, couple moteur des précédents épisodes. Au milieu de la pièce de Marc Lainé, Paul dit à Liliane ce qu’est à ses yeux la chambre de l’écrivain : « une chambre noire où le réel se transforme pour mieux se révéler. A la fois autre et tout à fait lui-même ». On ne saurait mieux résumer le fonctionnement très performant du moteur de cette trilogie signée Lainé. Le spectacle La chambre de l’écrivain a été créé au Théâtre des Célestins à Lyon du 2 au 5 oct, il sera à l’affiche de la Scène nationale de Chambéry du 16 au 17 oct, à la Comédie de Valence (dont Marc Lainé est le directeur) du 4 au 8 nov, puis du 22 au 25 janv à la MC93, et du 28 au 29 janv à la Comédie de Caen. Le texte est publié chez Actes sud-Papiers Jean-Pierre Thibaudat
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Le spectateur de Belleville
October 5, 4:54 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 5 oct. 2025 Ecrivain de théâtre et de cinéma, metteur en scène, réalisateur, mais également romancier, cet être à fleur-de-peau n’appartenait à aucune école. Esprit libre, homme libre, il s’éteint à 61 ans. Le cœur a lâché.
Il y avait en lui autant de fragilité que de férocité. Physiquement, il avait toujours donné le sentiment d’une certaine force. Jeune, athlétique mais pas immense, nerveux, prêt à en découdre, intellectuellement mais aussi, si cela avait pu s’avérer la bonne réplique, au poing, le jeune Xavier Durringer avait frappé dès ses premiers spectacles. Il avait alors vingt ans et quelque. Un ton, un style, une force dans le déploiement des histoires, par l’encre et sur le plateau. Il ne se revendiquait d’aucun maître, d’aucune école. Il avait la passion du théâtre et des destins. Il y avait en lui la puissance d’un grand écrivain, et du théâtre au cinéma, en passant la discipline du roman, il aura tout affronté et brillamment réussi. Il avait du charme. Un visage à jouer les jeunes premiers romantiques, un timbre de voix ferme mais feuilleté de chagrin, un regard, une tignasse de brun ténébreux. Avec le temps, il s’épaissit un peu, se voulut barbu parfois. Mais on reconnaissait toujours le jeune homme en colère, l’enfant orphelin de toujours dont la maman était morte en le mettant au monde. Une des plus moches formules de la réalité. Il était né le 1er décembre 1963. Il aurait donc eu 62 ans à la fin de l’année. Au moment de le saluer, on n’oublie pas les femmes qui l’on accompagné, ni ses enfants. Ni tous les comédiens qu’il a dirigés, au théâtre comme au cinéma. Des jeunes devenus des artistes très connus, Vincent Cassel, Clovis Cornillac, Pascal Demolon, Gérald Laroche, Édouard Montoute ou Éric Savin, entre autres. Plus tard, dans ses films, des comédiennes et comédiens déjà reconnus, ou en passe de l’être, de Karine Viard à Sandrine Bonnaire. On écrit tout cela un peu dans le désordre de l’émotion et de la mémoire. On a eu la chance de très tôt découvrir son travail, et de n’avoir jamais le fil. Parmi tous les artistes, sensibles et originaux, qu’il nous a révélés, il y a le délicat et profond Jean-Pierre Léonardini. Un critique dramatique qui unit l’art de l’écrivain et celui du journaliste à l’écoute du monde. Il est un interprète formidable et en ce dimanche d’automne, c’est à lui, aussi, que l’on pense. Xavier Durringer avait quelque chose d’un aventurier qui n’aurait jamais pu se contenter des premières sources de son inspiration. Samuel Benchetrit, plus jeune de dix années, est comme lui : on y pense en écrivant ce pauvre hommage qui ne dira jamais la complexité douloureuse de Xavier Durringer et l’étendue de ses inspirations. Tous ses titres demeurent en tête, comme des histoires délicieuses et cruelles, sentimentales mais profondément puissantes, car ne lâchant jamais les fils du plus intime et de la société. Une rose sous la peau date de 1988. Il a écrit des dizaines de pièces. Des souvenirs, Bal-Trap, Surfeurs, La Promise, Une envie de tuer sur le bout de la langue, La Quille. Et puis bien sûr, sa mise en scène de Oh ! Pardon tu dormais, texte de Jane Birkin, avec Jane Birkin ou encore Histoires d’hommes, mise en scène de Michel Didym, avec Judith Magre dans un solo écrit pour elle. Ou Acting, avec Niels Arestrup. Côté cinéma, on n’a jamais oublié La Nage indienne ni ses aventures du côté de la boxe Thaï ou encore mieux, des malfrats de Marseille : J’irai au paradis, car l’enfer, c’est ici. Et c’est lui qui cisela cette Conquête du pouvoir, en 2011, qui est un classique avec Denis Podalydès et Maurice Benichou, notamment. On ne va pas tout citer. Vous retrouverez facilement l’énoncé complet de ses œuvres. N’oubliez pas Sfumato, un roman maîtrisé et séduisant, qui lui ouvrait une voie nouvelle. Depuis l’orée des années 2000, il avait énormément travaillé pour la télévision : Arte, Canal +, France 2. Les Vilains, Les Oreilles sur le dos avec Béatrice Dalle, Lady Bar, Lady Bar 2, Hiver rouge avec Patrick Chesnay, Rouge sang avec Sandrine Bonnaire, Ne m’abandonne pas (en 2017 il obtient l’International Emmy Award du meilleur téléfilm), Rappelle-toi avec Line Renaud, La Mort dans l’âme avec Didier Bourdon, Mauvais garçon avec Richard Anconina) et des séries (Scalp, La Source avec Clotilde Courau et Christophe Lambert. Pas de mots suffisants, pour saluer cette personnalité attachante, toujours courageux. Le dernier spectacle que l’on ait vu de lui était consacré à Joséphine Baker. Tonique et mettant en valeur l’interprète. Car, par-dessus tout, Xavier Durringer mettait en lumière les autres… Armelle Héliot
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October 5, 1:16 PM
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Le Monde avec AFP, publié le 5 oct. 2025 Il avait notamment signé en 2011 « La Conquête », un film relatant l’ascension vers le pouvoir de Nicolas Sarkozy entre 2003 et 2007. Il a succombé à une crise cardiaque à son domicile.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2025/10/05/xavier-durringer-scenariste-realisateur-et-dramaturge-est-mort-a-61-ans_6644543_3382.html?search-type=classic&ise_click_rank=1
Le scénariste, réalisateur et dramaturge Xavier Durringer, qui avait notamment réalisé La Conquête, en 2011, sur l’ascension vers le pouvoir de Nicolas Sarkozy, est mort à son domicile de L’Isle-sur-la-Sorgue, en périphérie d’Avignon, a appris l’Agence France-Presse (AFP), dimanche 5 octobre, auprès de son agente. « Rien ne pouvait laisser présager cette nouvelle qui va dévaster toutes les personnes qui l’aimaient », a réagi auprès de l’AFP son agente Céline Kamina. Xavier Durringer avait 61 ans et a succombé à une crise cardiaque, selon elle. « Xavier était un immense auteur, un homme de troupe en recherche perpétuelle, à toujours vouloir approfondir son savoir, son travail », a-t-elle ajouté. Né en décembre 1963, il commence en prenant des cours d’art dramatique à 18 ans. Il décide alors d’écrire et met en scène ses premières pièces dans les années 1980, dans un genre qu’il qualifie d’« un peu punk, qui bousculait l’institution ». A partir du milieu des années 1990, il s’éloigne un peu du théâtre pour se consacrer à l’écriture et au cinéma. Il réalise son premier film en 1992. La Nage indienne offre un premier grand rôle à Karine Viard, qui obtiendra une nomination aux César pour le meilleur espoir féminin. « Ecrire m’a donné un ticket pour l’existence » Au total, il réalise huit films, dont La Conquête, sur l’ascension vers le pouvoir de Nicolas Sarkozy entre 2003 et 2007, avec Denis Podalydès dans le rôle de l’ancien président de la République. Le film est présenté en avant-première au Festival de Cannes en 2011, hors compétition. Scénarisé par l’historien Patrick Rotman, il suscite une énorme attention médiatique, Nicolas Sarkozy étant toujours au pouvoir à l’époque. En 2017, il réalise un téléfilm pour France 2 sur la déradicalisation intitulé Ne m’abandonne pas. Produit comme un contenu pédagogique, il est projeté dans certains établissements scolaires. Il est inspiré du parcours de plusieurs jeunes femmes parties en Syrie et décroche un International Emmy Award, récompense suprême pour un programme produit ailleurs qu’aux Etats-Unis. En 2019, lors d’une masterclass à la Société des auteurs (SACD), il avait raconté être « entré dans ce métier par la petite porte, les petites marches ». « Ecrire m’a donné un ticket pour l’existence », déclarait-il, alors que sa mère est morte en couche à sa naissance. Xavier Durringer a aussi écrit un roman paru en 2015. Sfumato raconte les vertiges du rock’n’roll, de la nuit, de la drogue et de l’amour dans les années 1980, les thèmes chers à sa jeunesse lorsqu’il a débuté comme dramaturge. Le Monde avec AFP Légende photo : L’écrivain et réalisateur français Xavier Durringer, à Cannes, le 16 mai 2011. GUILLAUME BAPTISTE/AFP
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October 2, 10:12 AM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 2 octobre 2025 A 34 ans, le comédien, auteur et metteur en scène, fort d’un accueil triomphal au Festival « off » d’Avignon, aborde dans ses pièces des enjeux sociétaux par le biais de comédies caustiques.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/02/derriere-les-satires-politiques-made-in-france-et-coupures-l-itineraire-peu-banal-de-samuel-valensi_6644039_3246.html
Quelle est la place du débat démocratique face aux enjeux écologiques ? Que faire pour lutter contre la délocalisation industrielle ? C’est ce genre de questionnements, a priori très peu théâtraux, que Samuel Valensi porte sur scène. Et ça marche ! Après le succès de Coupures, toujours en tournée et à l’affiche, en novembre, du Théâtre de la Concorde à Paris, Made in France arrive aussi dans la capitale, au Théâtre de la Renaissance, dans la foulée de l’accueil triomphal reçu cet été au Festival « off » d’Avignon. Ecrites avec Paul-Eloi Forget, ces deux pièces contemporaines abordent des enjeux sociétaux par le biais de comédies caustiques. Coupures met aux prises les habitants d’une commune rurale et un maire écologiste qui a accepté, sans en référer à ses administrés, l’installation de plusieurs antennes-relais 5G. Made in France nous plonge dans les rouages d’une usine en passe d’être délocalisée et dans les coulisses de notre monde politico-syndicalo-économique. « Le choix des sujets vient de mes indignations personnelles », résume Samuel Valensi. A 34 ans, ce comédien, auteur, metteur en scène en pleine ascension déroule un parcours peu ordinaire et un engagement chevillé au corps face à un monde qui tourne mal. « On voit bien que ça ne va pas. Alors je préfère l’indignation à l’anesthésie. Je suis choqué par le peu de réaction et d’empathie face à la crise environnementale et par l’absence de réflexion sur notre système. On est coincés entre deux feux, le populisme et le technocratisme, qui tous deux nous mènent dans le mur », juge-t-il. « Dissonance cognitive » Diplômé d’HEC et d’une licence de philosophie, il a choisi, en 2020, de faire du théâtre sa seule activité, de lâcher son poste de directeur artistique dans une start-up de vidéo et de se consacrer à sa compagnie La Poursuite du bleu (référence à la métaphore utilisée par Romain Gary dans son roman Les Cerfs-Volants) fondée en 2014. Son goût pour la scène est né durant ses études. Pour « sortir de la normativité de l’enseignement » délivré dans son école de commerce réputée, il prend la tête de Backstage, l’association qui prépare chaque année la comédie musicale d’HEC et s’inscrit en philosophie à la Sorbonne. « Dès la première année d’HEC, j’ai hésité à quitter l’école. J’étais désenchanté par la reproduction conservatrice des cours et je n’arrivais pas à me projeter dans les grandes entreprises où nous étions censés travailler, j’étais en pleine dissonance cognitive. Mais mes parents m’ont dissuadé d’arrêter. » Tous deux vétérinaires (père né en Tunisie, mère issue d’une famille juive d’Europe de l’Est), ils attachent beaucoup d’importance aux études et au travail comme facteurs d’assimilation. « Au moment de trouver un stage, j’errais dans les allées des salons d’orientation, j’étais paumé. J’ai partagé à mon père mon désarroi. » Coup de chance, ce dernier soigne les chats de Philippe Tesson (mort en 2023), journaliste culturel et propriétaire du Théâtre de Poche Montparnasse, et lui parle de son fils lors d’une consultation. Jeune homme hyperactif « Deux choses ont changé ma vie : les chats de Philippe Tesson et Des souris et des hommes, de Steinbeck mis en scène par Paul Balagué, pièce dans laquelle j’ai joué en 2013. Steinbeck est devenu mon maître dans ma volonté de faire du théâtre politique et non politisé. » Il se souvient encore de son premier rendez-vous avec Philippe Tesson. « Ce fut un entretien incroyable, digne de la scène de rencontre entre John Ford et Steven Spielberg jeune dans The Fabelmans [le dernier film de Spielberg] ». Samuel Valensi devient son assistant de production au Théâtre de Poche pendant un an. « Je participais à l’élaboration des dossiers de presse, à la communication. Il me laissait assister à toutes les répétitions, m’abreuvait de textes de théâtre. Ç’a été ma meilleure vie ! » Par la suite, le jeune homme hyperactif coproduit Merlin au Théâtre du Soleil puis écrit et met en scène, avec plus ou moins de bonheur, ses premières créations, L’Inversion de la courbe (sur le déclassement social) et Melone Blu (sur la raréfaction des ressources). Il met aussi en adéquation les enjeux de ses pièces et le fonctionnement de sa compagnie en insufflant un modèle écologique et social. La démarche est repérée par The Shift Project (groupe de réflexion sur la décarbonation créé par Jean-Marc Jancovici). Samuel Valensi en devient le responsable culturel et le coauteur du rapport Décarbonons la culture publié en 2021. « L’activisme de la compagnie n’est pas sur le plateau, mais dans sa manière de faire des spectacles à faible impact environnemental, de respecter la parité homme-femme, de rémunérer l’équipe artistique et technique de manière égalitaire, de former les futurs professionnels du secteur culturel aux enjeux énergie-climat », précise Samuel Valensi. Pour lui, le théâtre ne doit pas « faire de propagande, mais être un lieu de représentation du conflit ». Il revendique un théâtre « politique et populaire visant à toucher un large public avec des sujets a priori peu sexy ». Il dit vouloir « rendre le spectateur plus libre sur un sujet qui lui paraissait lointain ». Sa recette ? Dans sa « cuisine » d’auteur, sa plume est trempée dans le réel. Pour écrire Coupures ou Made in France, avec son complice, le comédien Paul-Eloi Forjet (désormais parti vivre à l’étranger), il se documente pendant des mois, lit les rapports d’enquêtes de commissions parlementaires, réalise des entretiens avec des syndicalistes, des hommes et des femmes politiques de tout bord et fait des rencontres sur le terrain, comme avec les ouvriers de Fralib. Eviter tout militantisme Pour dénoncer ce qui ne va pas dans notre système, il use de la force de la comédie, voire du vaudeville, pour « ne pas toucher que les convaincus. Il n’y a rien de plus beau que de voir 600 personnes pas d’accord rire ensemble de la même chose ». Selon lui, « l’humour c’est le désespoir bien habillé, la soupape indispensable à notre époque ». Scénographie mobile, rythme soutenu, troupe efficace, traits appuyés des personnages pour mieux faire passer la critique, Made in France débute comme du boulevard avec un invraisemblable quiproquo et va tendre vers une satire féroce des liens entre politiques et entrepreneurs, des négociations syndicales biaisées, des ministères hypocrites. C’est à la fois intelligemment mené pour éviter tout militantisme et déconcertant tant la farce laisse un sentiment de « tous pourris » et pourrait décourager de voter. Samuel Valensi s’en défend : « Dans mon récit, je ne cherche ni à diaboliser ni à enjoliver qui que ce soit. Ce n’est pas la faute des gens, mais [celle] d’un système économique désespérant qui atomise, du Monopoly dans lequel on vit et qui entraîne un tiraillement entre l’intérêt personnel et l’intérêt général. Jamais je ne dirai “tous pourris”, je n’en veux pas aux élus. » Régulièrement, ses spectacles se poursuivent par des « bords de plateau ». Le public est invité, après la représentation, à prolonger le questionnement suscité par la pièce à travers des rencontres entre chercheurs, artistes, responsables politiques, entrepreneurs, etc. Ainsi, un cycle de conférences est programmé pour Made in France. Le 6 octobre, par exemple, Xavier Jaravel, président délégué du Conseil d’analyse économique, Philippe Martinez, ancien secrétaire général de la CGT et la géographe Anaïs Voy-Gillis viendront dialoguer avec le public. « Avec le théâtre, j’ai trouvé mon lieu d’action, c’est mon remède à l’anxiété. Le monde va mal, il faut faire le pari pascalien qu’on n’a rien à perdre d’essayer que ça aille mieux », résume Samuel Valensi. « C’est finalement une chance d’être passé par HEC et le monde de l’entreprise, dit-il aujourd’hui. En tant qu’auteur, j’ai une empathie par rapport aux injonctions contradictoires que nous ressentons tous en nous levant le matin. » « Made in France », jusqu’au 31 mars 2026 au Théâtre de la Renaissance, Paris 10e, puis en tournée. « Coupures », le 7 octobre à Laval, le 15 octobre au Théâtre du Château de la Ville d’Eu (Seine-Maritime), du 12 au 15 novembre au Théâtre de la Concorde, Paris 8e. Sandrine Blanchard / Le Monde Légende photo : Samuel Valensi, lors des répétitions de « Made in France », au Théâtre de Belleville, à Paris, le 31 mars 2025. LAURA BOUSQUET
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Le spectateur de Belleville
October 1, 9:00 AM
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Par Sonya Faure dans Libération - Publié le 1er Oct. 2025 Jusqu’alors incertaine, la reconduction du dramaturge, auteur et comédien portugais de 48 ans a finalement été actée mardi 30 septembre. A la tête de l’événement depuis l’automne 2022, il entend «préserver la liberté de création des artistes».
En juillet, lors de la dernière édition du Festival d’Avignon, on le disait mal barré. La ministre de la Culture ne semblait pas le soutenir particulièrement, elle qui ne vint dans aucun des grands lieux du festival contrairement à ses prédécesseures (mais peut-être est-ce finalement le théâtre que Rachida Dati ne porte pas dans son cœur). Les inquiétudes étaient vaines : Tiago Rodrigues est reconduit pour un mandat de quatre ans - il entame cette rentrée la dernière année de son premier mandat et sera donc à la tête d’Avignon jusqu’en 2030. Un deuxième mandat qui lui laissera le temps de construire à nouveau des programmations mêlant les découvertes (le jeune metteur en scène albanais Mario Banushi cette année) et le patrimoine (les spectacles de François Tanguy, décédé en 2022 et pourtant montrés en juillet), valorisant le spectacle vivant dans tout ce qu’il a de clivant : l’an passé, le spectacle Dämon, dans lequel Angélica Liddell insultait les critiques qui n’avaient pas goûté ses précédents spectacles avait fait quelques vagues et cet été Derniers feux de Nemo Flouret était sifflé tout autant qu’ovationné – et adoré par Libé. Quatre ans de plus aussi qui permettront peut-être à Tiago Rodrigues de trouver LA pièce ou la révélation qui marquera sa direction et bousculera les regards. Succession de départs Premier artiste étranger à la tête du festival de théâtre le plus fameux au monde, le comédien et metteur en scène, qui a dirigé le théâtre national Dona Maria II de Lisbonne, l’équivalent au Portugal de la Comédie-Française (2015-2021), promet dans un communiqué de presse de «préserver la liberté de création des artistes en renforçant le rayonnement international du Festival (production, diffusion, partenariats).» Il souhaite également «poursuivre les actions engagées sur l’accessibilité et la diversification des publics» ou encore «approfondir le travail de proximité mené toute l’année sur le territoire.» L’an prochain, la langue invitée au festival sera le coréen. L’année écoulée n’a pas été de tout repos pour le directeur du festival d’Avignon. Succession de départs d’abord : celui du numéro 2 du festival, Pierre Gendronneau, qui a quitté ses fonctions le 13 juin «pour des raisons personnelles» et visé par des accusations de harcèlement sexuel lorsqu’il travaillait au Festival d’automne. Le parquet de Paris avait déclaré fin mai avoir ouvert une enquête. Départ aussi d’une autre figure du festival, le directeur technique Michael Petit, pour «raison personnelle» lui aussi. Attaques de l’extrême droite Tiago Rodrigues a dû également subir les attaques de l’extrême droite cet été, alors que la 79e édition du festival avait fait de la langue arabe son invitée et que le festival a officiellement soutenu une manifestation de soutien à Gaza. Il l’avait évoqué lors d’une conférence de presse en fin de festival : «Non seulement nous avons reçu des insultes mais aussi des menaces. Nous traiterons cet aspect après le festival, avec tranquillité et sérieux.» Et aussi : «Ce qui a peut-être dérangé c’est qu’un festival comme le nôtre soit capable d’inviter l’ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, Elias Sanbar, comme la sociologue franco-israélienne Eva Illouz. Ce qui est peut-être troublant c’est que nous puissions travailler aussi bien avec la Licra qu’avec Amnesty International.» Pour plaider sa cause et sa reconduction à la tête du festival, Tiago Rodrigues a également su exploiter les excellents chiffres de sa 79e édition : un taux de fréquentation exceptionnel «supérieur à 98 %». Il était de 91 % l’an passé. «Le public a été au rendez-vous d’une programmation éclectique, expliquait-il lors de sa conférence de presse le 21 juillet. Dans une société de plus en plus polarisée, le Festival a montré que la beauté peut être le point de départ du débat, que le dissensus est fertile, que le désaccord sur un spectacle ou sur ce qui fait la beauté n’empêche pas de rencontrer l’autre, au contraire : le désaccord est le début d’une discussion.» Chouette, encore cinq ans de désaccords devant nous. Mis à jour à 12h34 avec plus d’informations.
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Le spectateur de Belleville
September 30, 5:15 AM
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Par Emilie Grangeray dans Le Monde - Publié le 30 sept. 2025 Emelie de Jong, directrice de la chaîne depuis avril 2023, vient d’annoncer une réorganisation du service des fictions. Ce qui ne va pas sans heurts et interrogations.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/09/30/a-france-culture-le-mauvais-film-de-la-fiction-radio_6643687_3246.html
Longtemps, la fiction a été centrale sur les ondes de France Culture, pensée, défendue, enrichie, dirigée par des écrivains et des réalisateurs. Pour la première fois de son histoire pourtant, la fiction à France Culture n’a plus de direction. Ou plutôt, elle en a trois, comme l’a annoncé Emelie de Jong, la directrice de la station, lundi 22 septembre, lors d’une présentation faite à la demande de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) : elle sera désormais répartie entre trois départements – le théâtre, les séries et la création. Cette annonce n’a pas calmé les inquiétudes ni la colère. D’abord parce qu’il aura fallu un an pour l’obtenir, à la suite du départ non désiré, puis négocié, de celle qui occupait le poste de directrice des fictions depuis vingt ans, Blandine Masson. Un départ dont s’est beaucoup émue la profession, comme en témoigne une tribune publiée dans L’Humanité du 21 février et signée, entre autres, par Ariane Ascaride, Clément Hervieu-Léger, Micha Lescot, Stanislas Nordey, Pascal Rambert, Dominique Blanc, Alain Françon, Julien Gosselin. Ensuite parce que, pour nombre d’auteurs, de comédiens et de réalisateurs – tous ont tenu à rester anonymes –, cette annonce signe plus qu’un changement ou un renouvellement : c’est une page de l’histoire de la fiction à France Culture qui semble se tourner – le terme « reset » a d’ailleurs été prononcé plusieurs fois par la direction. Arbitrages budgétaires Cette histoire remonte au début des années 1940, lorsque Jacques Copeau, figure du théâtre, et Pierre Schaeffer, homme de radio et musicien, père de la musique concrète, inventent, avec un groupe d’acteurs, un nouvel art radiophonique à partir de la littérature. Art perpétué jusqu’en 2024 par Blandine Masson, qui multipliera les commandes d’œuvres originales, grâce à un budget sanctuarisé – 2,4 millions d’euros, soit un quart du budget de la chaîne. Or ce budget a été réinjecté – certains disent « perdu » – dans le budget global de France Culture, ce qui fait craindre des arbitrages désavantageux pour la fiction. Interrogée par Le Monde, Emelie de Jong affirme : « Le budget est constant, sans que je puisse m’engager sur ce que sera 2026. » La question des arbitrages budgétaires est aussi au centre des inquiétudes. Car la fiction est désormais éclatée en trois départements : le théâtre (captations et créations), pris en charge par Oriane Delacroix ; les séries, dirigées par Arnaud Jalbert (qui vient de la production de fiction audiovisuelle, après quinze années passées à Arte, d’où vient également Emelie de Jong) ; et la création, dont a accepté de se saisir la réalisatrice Laure Egoroff avant d’apprendre, au milieu de l’été, qu’elle perdait trois samedis sur quatre, désormais occupés par l’émission « L’Expérience », d’Aurélie Charon, rattachée au pôle documentaire. Cette dernière, quant à elle, a appris, à la mi-septembre, qu’elle n’aurait, de facto, que deux émissions, puisque l’une devrait être une rediffusion. Autant dire que ces annonces passent mal. « Il n’y a plus aucune confiance, à aucun endroit. Des choses sont dites, certes, et la présentation à la SACD est, en matière d’affichage, formidable. Mais on n’y croit plus », confie, sous le couvert de l’anonymat, un adhérent de la SACD présent le 22 septembre. D’autres dénoncent des validations de budgets tardives, des projets reportés ou annulés, et des rémunérations qui ne compensent plus la perte des droits d’antenne. Et puis il y a des mots qui fâchent. Tout juste nommé, Arnaud Jalbert a déclaré lors de la réunion avec la SACD qu’il souhaitait produire des choses « pas forcément cérébrales ». L’usage du terme « séries », et non plus « feuilletons », inquiète. « “Série”, c’est plus dans les usages du grand public aujourd’hui », tranche Emelie de Jong. Le grand public, donc, à qui la direction de la chaîne souhaiterait proposer des séries avec des comédiens connus, comme Antoine Reinartz (Anatomie d’une chute, 120 battements par minute), qui vient d’enregistrer Code 93, adapté du roman d’Olivier Norek (Pocket, 2014), auteur de polars à succès. « En effet, ça peut être un levier de visibilité », estime la directrice. Et de poursuivre : « Arnaud Jalbert vient d’arriver : il est en phase d’apprentissage de nos outils, mais on réfléchit ensemble à la façon d’amplifier la visibilité des séries, car tout est question de visibilité dans notre monde. » « Evénementialiser » la fiction Pour ce faire, une équipe de dix personnes est dévolue aux réseaux sociaux. « Il faut réfléchir à la manière de toucher l’auditeur en fonction de ses usages, commente Emelie de Jong. Il faut “événementialiser” la fiction. C’est essentiel. Créer des collections, par exemple autour d’Halloween ou de la Saint-Valentin. » Des choix qui provoquent une vive inquiétude chez les auteurs, réalisateurs et comédiens. La fiction radiophonique est « menacée dans sa nature même », s’inquiétait un collectif d’auteurs, artistes-interprètes, réalisateurs et créateurs sonore dans une tribune publiée par Libération le 21 septembre. Loin de l’expérimentation et de la prise de risque, ils constatent le virage vers des collections prêtes à l’emploi (de type Halloween et Saint-Valentin, justement) pour la plateforme qu’est devenue l’application de France Culture. Pour la direction, il s’agit d’attirer les 18-30 ans – « notre public de conquête », souligne Emelie de Jong – en adaptant la production aux usages numériques. « Ils veulent un produit, et pas une création », déplore un auteur. Pour la création, il faudra donc attendre de pouvoir entendre, à partir de janvier, ce que Laure Egoroff proposera un samedi par mois et les premières séries mises en production par Arnaud Jalbert. D’autant que les « Lectures du soir » se résumeront à la lecture, donc, par un seul comédien et sans musique originale, d’une œuvre du patrimoine, avec une réalisation réduite au minimum. Lorsqu’on lui fait remarquer que cela s’apparente dès lors au livre audio, Emelie de Jong répond : « Oui, avec l’exigence et la qualité de France Culture, faite par des réalisateurs qui sont des orfèvres en la matière. » Orfèvres bien malmenés, puisqu’elle aura dit plus tôt que la case « Samedi fiction » est « une case fourre-tout, parfois remplie de choses dont on ne savait pas quoi faire, des choses faites à Avignon ». Le savoir-faire France Culture Est-ce que la mission de service public pour la création sera encore assurée, alors même qu’elle perd déjà trois heures par mois ? « On fera moins, mais mieux », déclare Emelie de Jong. D’ailleurs, elle nous dit être opposée à la proposition des adhérents SACD, qui demandent au ministère de tutelle d’inclure dans le cahier des charges et dans la convention d’objectifs et de moyens de Radio France une obligation de production et de diffusion de fictions radiophoniques originales, à l’image de celle qui existe déjà, chez France Télévisions, pour la création audiovisuelle et cinématographique. « Je ne suis pas pour la politique des quotas », balaie-t-elle. Mais, au-delà du nombre de productions, beaucoup redoutent que ne disparaisse la fameuse « qualité » qui faisait la joie des auditeurs de France Culture, fondée sur le savoir-faire de tous les métiers de la radio, celui des auteurs, des preneurs de son, des bruiteurs, des réalisateurs, qui offraient jusqu’alors du cousu main pour les oreilles et un accès gratuit et pour tous à la création la plus contemporaine. Longtemps inquiets et en colère, les créateurs de fictions expriment aujourd’hui leur tristesse et l’impression d’un énorme gâchis, tel cet adhérent de la SACD : « Il y aurait beaucoup à dire sur ce que nous vivons, tant nos processus éditoriaux, la quantité des productions et les relations entre nos responsables et nous se sont dégradés. On devient progressivement des prestataires. Ainsi va le monde, et le service public. » Emilie Grangeray / Le Monde Illustration : SEVERIN MILLET
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Le spectateur de Belleville
September 29, 11:53 AM
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Propos recueillis par Anne Diatkine / Libération, publié le 29 sept. 2025 A l’occasion de sa nouvelle création, le metteur en scène raconte comment il s’est réapproprié l’œuvre de Flaubert pour faire revivre Emma Bovary sur un plateau. Eh oui, Emma Bovary n’est pas morte, elle a résisté au suicide, s’est enfuie, et se produit dans un cirque régi par une Loyale du tonnerre, Marlène Saldana. Sous les traits de Ludivine Sagnier, Emma retrouvée consent de plus ou moins bonne grâce à revenir sur quelques épisodes saillants de sa vie décrits par Flaubert. Après Nouveau Roman sur le mouvement initié par Alain Robbe-Grillet qui réunissait des écrivains publiés aux éditions de Minuit, après Guermantes avec les comédiens du Français, Christophe Honoré s’attelle de nouveau à un monument littéraire qui met l’écriture au centre et n’a jamais cessé d’être relu, questionné, scruté, et… adapté. Pas de déférence cependant ni de la part de la troupe dont la plupart des acteurs (Stéphane Roger, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Harrison Arevalo) accompagnent le metteur en scène depuis plusieurs spectacles, ni de la part du metteur en scène, cinéaste, et écrivain. Quelques questions au vol dans un train après une représentation à Théâtre Vidy-Lausanne en Suisse qui produit et crée cette nouvelle création. Comment ne pas être intimidé par Madame Bovary ? Il faut se situer à la bonne place. On ne peut pas prétendre adapter ce genre d’œuvre, mais proposer sa lecture avec une certaine humilité. Et pourtant il y a une part d’orgueil d’aller se frotter à des écrivains comme Proust ou Flaubert dont on a le sentiment que leur œuvre est presque sacralisée. Aller sur ce terrain, c’est prendre le risque d’une sorte de profanation. Oui, on va profaner et le spectacle assume de profaner l’œuvre, et oui, c’est très stimulant, pendant trois ans, de lire et relire les correspondances de Flaubert sur l’écriture en cours, ses brouillons, son agacement, ses romans. Flaubert est un très joyeux compagnon de travail ! J’avais envie de revenir à un spectacle dont la littérature soit le cœur, après le Ciel de Nantes, sur la mémoire familiale et les Idoles. Faire un spectacle dont la littérature est le centre ? Oui, avec cette troupe et notre méthode de travail, c’est judicieux de partir d’une œuvre qui n’est pas faite pour le théâtre. Je suis plus intimidé par une pièce du répertoire que d’essayer de rendre compte d’une lecture d’un écrivain aussi prestigieux que Flaubert. Le spectacle s’est construit peu à peu. J’ai pensé à Lola Montès courtisane du XIXe dont Ophüls choisit de représenter sa vie dans un cirque dont elle revit les épisodes à chaque représentation. Pendant l’écriture, Flaubert se plaignait : «J’ai trop de perles et je n’ai pas de fil.» Effectivement, Madame Bovary est construit comme une suite d’épisodes, presque des numéros. C’est du moins ainsi qu’on s’en souvient. Il y a la scène du bal, celle des comices, du pied bot, de l’opéra, du fiacre, l’agonie. En tout cas m’est apparu évident que le danger aurait été de remettre de la narration là où Flaubert n’en a pas eu besoin. Quand on va au cirque, on s’attend à ce que les artistes soient mis en danger et leur performance consiste toujours à le défier. Emma Bovary est présentée par un personnage avec une troupe qui est à son service mais n’est pas dans la génuflexion. Il la malmène de la même manière que Flaubert malmène son personnage. Votre deuxième intuition, c’est que votre Bovary Madame n’est pas morte, elle a résisté à son désir d’en finir. Pourquoi ? C’est être fidèle à l’énergie de madame Bovary qui ne renonce jamais et c’est presque étonnant que Flaubert lui fasse rencontrer cette fin. Car cette ruine, cette honte, ce désespoir d’avoir été le jouet d’un manipulateur, on dirait aujourd’hui un pervers narcissique, on a le sentiment qu’elle est capable de l’assumer. On voit d’ailleurs bien que Flaubert écrit une cinquantaine de pages d’agonie comme s’il n’arrivait pas à se résoudre à la faire disparaître. Vous rendez grâce à Charles Bovary ? Le personnage de Charles ouvre le roman et le termine. C’est un très beau personnage, médiocre certes, mais c’est le seul à qui Flaubert accorde le droit d’aimer avec sincérité. Son union avec madame Bovary n’est absolument pas un mariage arrangé. Après leur première nuit de noces, Flaubert écrit qu’il semble un autre homme, son visage est changé, et il inverse le cliché. Emma a fait de lui un homme et non l’inverse. C’est une femme, Loyale, qui met en scène et fait revivre Emma sur un plateau… … Mais elle veut du spectaculaire. C’était intéressant que ce soit une femme qui mette en scène le personnage féminin. Qu’est-ce que c’est de faire vivre un personnage féminin assiégé de toute part ? Emma veut leur échapper, elle doit quitter cette troupe qui finit par figer des scènes de sa vie dans lesquelles elle ne se reconnaît plus, de la même façon qu’elle échappe au roman de Flaubert. Comment avez-vous travaillé ? On a d’abord organisé une série d’improvisations très structurées et filmées. On partait de thématiques ou de séquences, on relisait des passages du roman. On regardait des extraits de films qui semblaient n’avoir rien à voir, on évoquait des musiques, on s’éloignait du sujet, on y revenait par couche. Et le 10 juillet, je suis parti en écriture pendant un mois. Puis on a remis en scène la pièce qui a évolué jusqu’à deux, trois jours avant la première avec l’exigence de faire advenir une vie sur le plateau. Propos recueillis par Anne Diatkine / Libération «Bovary Madame» d’après Flaubert, texte et mise de Christophe Honoré, au Théâtre de Vidy ; à Lausanne (Suisse) jusqu’au 8 octobre, puis à la Comédie de Clermont-Ferrand du 15 au 18 octobre, au Quartz-Scène nationale à Brest les 5 et 6 novembre, au Théâtre national de Bretagne à Rennes du 12 au 22 novembre… Légende photo : Sous les traits de Ludivine Sagnier, Emma Bovary consent de plus ou moins bonne grâce à revenir sur quelques épisodes saillants de sa vie décrits par Flaubert. (photo © Laurent Champoussin)
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September 28, 5:04 PM
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Par Lucile Commeaux pour Libération - 28 sept. 2025 En cette rentrée, deux pièces du dramaturge norvégien se jouent au T2G de Gennevilliers et à la Comédie-Française, ouvrant nos salles à des espaces plus introspectifs. Des scènes presque nues – l’une très obscure, l’autre intensément blanche ; des femmes qui attendent des hommes qui attendent des femmes qui attendent des hommes ; une langue apparemment pauvre qui boucle et reboucle les mots en les vidant ; un humour ténu, qui tient de la cruauté et d’un burlesque feutré : le théâtre du Norvégien Jon Fosse est partout en cette rentrée, distillant sa lumière paradoxale, dépliant dans nos salles, si désormais ouvertes aux grands vents des inquiétudes contemporaines, des espaces plus introspectifs où contempler intranquillement ses angoisses intimes. Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou se saisissent, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), d’un des premiers textes du dramaturge écrit en 1994, Et jamais nous ne serons séparés, triangle amoureux désossé au centre duquel une femme – interprétée par la grande Dominique Reymond – attend un homme dont on ne saura jamais s’il est absent, parti ou mort. Moins réussi, et légèrement grevé par une intention pédagogique qui frôle le contresens, le spectacle que Gabriel Dufay donne à la Comédie-Française se présente comme un montage de textes signés Fosse. Opportunément intitulé Etincelles, le dispositif qui juxtapose une dizaine de fragments interprétés par une poignée de comédiens du Français, parmi lesquels Didier Sandre, semble éclairer trop violemment la beauté de son théâtre. Petit chassé-croisé à partir de phrases attrapées ça et là pendant les représentations. «Pas pendant des heures» Ainsi commence Etincelles, sagement introduit par un petit texte théorique dans lequel Jon Fosse tente de débusquer l’essence d’un bon moment de théâtre. De fait, ce qui frappe d’emblée dans les deux spectacles, c’est leur durée courte – une heure et quart pour l’un, à peine plus pour l’autre – une brièveté nécessaire, qui prend à la Comédie-Française la forme du fragment. Les pièces jouées sont parfois réduites à la scène, quelques répliques seulement pour attraper l’impossibilité d’un couple à s’aimer ou l’angoisse du temps qui passe. Et jamais nous ne serons séparés, pièce qui dispose un schéma de boulevard évidé et grave, concentre l’angoisse et la possible folie d’une femme dans un temps indéterminé, celui suspendu d’une attente, qui est peut-être aussi celui définitif du deuil. Dans tous ces textes, on se déchire dans des mots d’une simplicité tranchante, répétés comme des ritournelles douloureuses : «Je veux être libre/ mais être libre c’est être seul avec soi» ou encore «Quand reviendra-t-il auprès de moi ?/ Il ne viendra pas». «Des mots simples dans des situations simples» Comment se coltiner la banalité et la répétitivité de cette parole plate ? Sur le plateau de la Comédie-Française, il semble qu’on n’extraie pas assez la langue de sa prononciation usuelle. Aucune étrangeté ne vient heurter la phrase, quand dans la bouche de Dominique Reymond, chaque mot achoppe sur un petit décalage ou au contraire se coule dans une ligne mélodique artificielle. Chez Jeanneteau et Benranou, le texte se donne en effet à entendre comme une partition : c’est un hors-parler, sorti de la gangue des conversations normales. Chez Dufay la limite est dangereusement ténue entre le style de Fosse et la prosodie théâtrale classique qui affleure souvent, sans qu’on comprenne vraiment ce qu’elle fait là, et ce qu’elle tente de remplir chez les personnages. Comme si, alors même que le metteur en scène est aussi traducteur, la confiance dans la beauté certes compliquée du texte était moindre. Aussi, comme s’il était nécessaire de pallier la grande sobriété et le mystère de la langue simple, Gabriel Dufay choisit d’encadrer les petites pièces de textes poétiques et théoriques, comme pour fournir un appareil critique prêt-à-consommer pour le spectateur. Dans le fond ce que cette coïncidence entre deux spectacles pose comme question passionnante, c’est celle de la révélation du sens : est-elle nécessaire et souhaitable, faut-il vraiment qu’on comprenne quelque chose ? «Ils vont l’un vers l’autre» Sur la scène du Studio de la Comédie-Française, deux pentes inclinées en parallèle dessinent comme une modalité de déplacement. Chez Jon Fosse, on se croise difficilement, on suit chacun son chemin, dans un désir ou une volonté propre qui ne rencontre jamais vraiment celle de l’autre. Un homme quitte sa femme pour vivre avec une autre qui, elle, ne veut pas ; une femme revient chez son ex-mari pleine d’espoir qu’il la reprenne alors qu’il en a trouvé une autre ; un homme regarde effrayé quelque chose dans un paysage que sa compagne de randonnée ne voit pas. Dans Et jamais nous ne serons séparés, cette combinatoire se radicalise, au point que le spectacle ressemble à un seule-en-scène alors même qu’il met en scène trois personnages – le surgissement de l’homme attendu choque comme une incongruité, aussitôt fantasme ou fantôme. «Un ange passe par la scène» C’est une expression singulière que Fosse a entendue un jour dans une autre langue et qu’Etincelles exhume en préambule, cette idée que le théâtre fonctionne quand «un ange passe par la scène». Cette phrase trouve un sens dégagé de sa mystique chez Jeanneteau et Benranou. On comprend combien le théâtre de Jon Fosse repose sur une paradoxale ombre lumineuse. Le spectacle fait figure d’abîme dans le fond duquel on peut saisir une clarté, si on veut bien se laisser aller à l’apparente sécheresse et à la froideur du texte. Mieux, s’y loge un humour, certes cruel mais saisissant, qu’on pourrait presque dire post-beckettien dans la manière dont il creuse dans le néant et boucle les mots jusqu’à les vider – ainsi de ces «très beaux verres anciens» dont la protagoniste se félicite compulsivement. Dominique Reymond incarne parfaitement cette qualité singulière, corps raide et grotesque à la fois, grande bourgeoise dépressive et petite fille capricieuse. Finalement c’est peut-être elle, l’ange, incarnant jusqu’au mystère le plus opaque un humain troué de manques où déposer, le temps du spectacle, ses propres failles et ses propres terreurs. Et jamais nous ne serons séparés de Jon Fosse, mise en scène Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou, au T2G à Gennevilliers (92230) jusqu’au 13 octobre puis en tournée. Etincelles, adapté de plusieurs textes de Jon Fosse, mise en scène Gabriel Dufay au Studio de la Comédie-Française (75001), jusqu’au 2 novembre. Lucile Commeaux / Libération Légende photo : «Et jamais nous ne seront séparés» de Jon Fosse, mise en scène de Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou, au T2G de Gennevilliers. (Jean-Louis Fernandez)
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September 28, 1:06 PM
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Par Sonya Faure dans Libération - 28 sept. 2025 Injuriés et frappés devant un bar de la Croix-Rousse vendredi 26 septembre, la chanteuse et chorégraphe Dorothée Munyaneza, le musicien Ben LaMar Gay et le poète Julian Knxx ont déposé plainte. Ils ont tenu à revenir, malgré tout, sur scène le lendemain.
Dans le spectacle Version(s) qu’ils donnaient pendant quatre soirs à la Villa Gilet, dans le cadre de la biennale de Lyon, la chorégraphe et chanteuse Dorothée Munyaneza, née au Rwanda, et le musicien de Chicago Ben LaMar Gay dissèquent la masculinité et ce que les hommes transmettent ou non à leurs fils. La violence qu’on reçoit et qu’on répercute, mais aussi en quoi aussi les corps noirs sont particulièrement vulnérables. A la fin de leur performance, à 23 heures vendredi 26 septembre, ils quittent le théâtre accompagnés du poète et cinéaste Julian Knxx, rentrent dans un bar de la Croix-Rousse pour demander l’adresse d’un restaurant qui servirait tard. Chloé Siganos, responsable du spectacle vivant au Centre Pompidou, partenaire de la Biennale, raconte : «Ils ont été pris à partie par des gens enivrés qui les ont interpellés : “Nous, on aime Trump ! Est-ce que vous aimez Donald Trump ? Sale nègre rentrez chez vous !” Les trois artistes sortent du restaurant sans chercher à répondre mais les quatre hommes les poursuivent, certains les jettent à terre, frappent Ben et Julian. Dorothée pleurait et hurlait à l’aide. Personne n’a appelé la police.» Ils parviennent à s’en tirer, commandent une VTC qui les ramène à leur hôtel. Prévenue, la direction de la Biennale de danse les accompagne durant la nuit aux urgences. Ben LaMar Gay s’en sort avec une attelle à la cheville et deux jours d’interruption de travail. Un «spectacle de résistance» Le lendemain, Chloé Siganos a accompagné les trois artistes au commissariat pour déposer plainte pour «violences commises en réunion» et injures raciales. «Ils étaient trop choqués pour prendre la parole publiquement ou écrire un texte, explique-t-elle. La Biennale, la Villa Gillet et le Centre Pompidou ont donc publié un communiqué commun pour dénoncer ces actes graves.» Publié sur le site de la Biennale, le communiqué dénonce «cette violence insupportable qui […] rappelle combien le racisme continue à traverser et blesser notre société». Grégory Doucet, le maire de la ville a condamné l’agression et assuré les trois artistes de son «soutien» et de sa «solidarité» : «Lyon puise sa force dans ses valeurs d’humanisme, d’égalité et de respect. Elle ne cédera jamais face au racisme. Face à la haine, restons unis.» L’ancien président de l’Olympique lyonnais Jean-Michel Aulas, qui vient de déclarer qu’il était candidat à la mairie, a lui aussi réagit sur le réseau social X : «Lyon est et restera une terre de culture, d’ouverture et de respect. Le racisme est un poison qui n’a pas sa place dans notre ville.» Malgré le choc, les artistes ont tenu à poursuivre les représentations et, à peine sortie du commissariat, Dorothée Munyaneza retrouvait sur scène l’écrivain Mohamed Mbougar Sarr, qu’elle avait invité à la Biennale pour un échange autour du thème «Faire place aux corps nouveaux». «C’était extrêmement émouvant, témoigne Chloé Siganos. On parle souvent dans les débats et dans les spectacles de la violence, de la tension et de l’extrême vigilance auxquelles sont contraints les corps racisés. La réalité venait malheureusement d’en donner l’exacte illustration. Ils sont revenus sur l’agression, Mohamed Mbougar Sarr a dit sa colère mais il a aussi trouvé les mots juste pour dénoncer et réparer. Nous avions réuni à la Biennale des artistes du monde entier, de Chicago, Lagos ou Londres, nous pensions avoir construit un espace protégé pour parler, réfléchir ensemble. Tout cela a éclaté.» Mais Dorothée Munyaneza et Ben LaMar Gay continueront à tourner leur performance, qu’ils considéraient déjà comme un «spectacle de résistance». Version(s) sera donné au Théâtre de Chaillot, à Paris, du 2 au 4 octobre, et Ben LaMar Gay jouera le 7 octobre à la Dynamo de Pantin. Sonya Faure / Libération Légende photo : Dorothée Munyaneza, ici dans le spectacle «Toi, toi, Tituba» à Paris en 2024, est l'une des victime de l'attaque raciste. (Laurent Philippe/Divergence)
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Propos recueillis par Joëlle Gayot dans Le Monde - 12 oct. 2025 Le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, 48 ans, a été reconduit dans ses fonctions de directeur du Festival d’Avignon pour un nouveau mandat de quatre ans, jusqu’en 2030. Entre bilan et perspective, l’artiste fait le point sur la manifestation. Lire l'article sur le site du "Monde" ; https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/12/tiago-rodrigues-le-festival-d-avignon-n-a-pas-les-moyens-de-production-qu-il-merite_6645885_3246.html
Soutien à la liberté de création, retour du théâtre dans la Cour d’honneur, célébration de Jean Vilar en réformiste, afflux de jeunes artistes : Tiago Rodrigues ne veut pas tirer le Festival vers le passé mais le propulser vers l’avenir. Cet auteur et metteur en scène de spectacles d’une grande humanité (comme Sopro ou Antoine et Cléopâtre) ne fait pas les choses à moitié. Il a quitté Lisbonne pour s’installer à Avignon. Une nouvelle vie qui le verra voter en France, pour la toute première fois, dès 2026. Quelles seront les lignes de force de votre second mandat à la tête du Festival ? Mon renouvellement me permet d’appréhender le Festival, en m’appuyant sur le bilan des trois premières années et en me projetant sur les cinq qui vont suivre. Le projet s’est enraciné. Il s’est adapté à la réalité, aux moyens, aux outils et au savoir-faire du Festival. Les questions qui traversent Avignon sont, peu ou prou, toujours les mêmes. Mais celle qui me tient le plus à cœur est la liberté de création. Comment la défendre dans un moment où elle est menacée partout dans le monde, et plus particulièrement en Europe ? Comment rendre cette création toujours plus accessible au public le plus divers ? Cette mission, qui est celle du Festival depuis sa fondation en 1947 par Jean Vilar (1912-1971), n’a rien perdu de sa pertinence. Doit-on s’attendre à une continuité ou à des ruptures ? Chaque édition est une page blanche et la continuité n’interdit pas le changement. Rien ne dit que le principe de la langue invitée sera immuable. Le spectacle itinérant, la permanence d’un unique artiste (comme ça a été le cas de Gwenaël Morin) au Jardin de Mons, la venue de la Comédie-Française, aucun de ces rendez-vous n’est gravé dans le marbre. Les lignes déjà tracées ne doivent pas devenir des prisons. De la même manière, j’ai décidé en 2026 et 2027 de ne pas présenter mon travail de metteur en scène au Festival. 2026 sera l’année de la 80e édition du Festival, comment allez-vous célébrer cet anniversaire ? 2026 aura évidemment une dimension mémorielle. Mais je veux inscrire cette 80e édition dans le futur et la projeter vers les quatre-vingts prochaines années d’un Festival qui n’en est, je l’espère, qu’au milieu de sa vie. C’est à l’avenir, plus qu’au passé, que seront donc adressées les questions que porteront les artistes invités. Interroger ce qui vient, c’est le propre de la jeunesse. Le fait que des créateurs plus jeunes, venus d’autres disciplines artistiques et d’autres nationalités, prennent les devants dans la programmation ne doit rien au hasard. En procédant de la sorte, nous ne trahissons pas Vilar. Au contraire, nous respectons le directeur qui a su, à la fin des années 1960, réformer un Festival devenu trop patrimonial. C’est avec ce Vilar utopiste et combatif que nous serons en lien. En trois ans, Avignon a vécu des crises et des polémiques. Faut-il passer par les tempêtes pour s’approprier la manifestation ? Je n’en suis pas le patron. Les vrais propriétaires sont le public et les artistes. Grâce aux réussites, aux obstacles surmontés, aux erreurs toujours instructives, j’apprends à mettre ma vision au service du Festival. Le bilan est positif. Face au miroir, lorsque je me demande si je suis fier des trois années écoulées, la réponse est oui. Absolument. Je suis très fier du geste artistique, du renouvellement et de l’élargissement du public, du travail de proximité que nous menons toute l’année sur le territoire. Le théâtre populaire, ça ne consiste pas seulement à inviter mais aussi à se faire inviter. Aller frapper aux portes, dans les villages, jouer en tournée à Grasse et à New York. Et je n’oublie pas la France d’outre-mer avec qui le rapport, dans les cinq années à venir, sera priorisé. Bilan positif, dites-vous, mais il y a eu pourtant de la contestation. Notamment sur les spectacles qui ont fait l’ouverture, trois ans de suite, de la Cour d’honneur. Faites-vous, sur ce point, un bilan critique ? Je me battrai toujours pour des formes dont le niveau d’exigence peut générer de l’incompréhension, du trouble, du débat. Je refuse de cantonner les prises de risque aux petits lieux confidentiels. La Cour est un laboratoire de création. Pas uniquement un musée des choses qui marchent et plaisent au plus grand nombre. A nous de trouver l’équilibre entre les grandes formes populaires, comme Le Soulier de Satin en 2025, et les projets moins consensuels. Bartabas et Ariane Mnouchkine sont deux des figures emblématiques du Festival d’Avignon. Feront-ils leur retour sous votre direction ? J’espère rencontrer Bartabas. Et je ne renonce pas à faire revenir Ariane Mnouchkine, avec qui le dialogue est entamé, même si nous n’avons pas encore réussi à concrétiser. Cela étant, le Festival doit continuer à être celui des nouveaux récits et des nouveaux imaginaires. Dans les cinq prochaines années, je souhaite que la découverte gagne de l’espace avec la présence d’artistes pas encore repérés et dont les esthétiques ne nous sont pas familières. Pourquoi avoir choisi le coréen comme langue invitée de l’année 2026 ? C’était l’opportunité d’avoir une langue qui vient de loin et qui créera un dépaysement, des surprises et de l’exotisme. Et puis, voilà vingt-cinq ans qu’il n’y a pas eu d’artistes coréens au Festival. Il est temps de remédier à cette absence. Avec un afflux de soirées uniques dans l’édition 2025, l’événementiel a fait son entrée dans la programmation. Comptez-vous les systématiser ? Sans doute moins qu’en 2025. Le fait est que ce principe d’une nuit non reproductible est quelque chose de très prisé. C’est aussi une façon d’accomplir, avec une simplicité de moyens, des gestes impromptus, qui collent à l’air du temps et génèrent une effervescence. Mais je ne crois pas que le Festival ait intérêt à les multiplier. L’événementiel n’est pas notre but. Notre but est de fortifier la création en lui offrant un cadre structurant. Dans quelle santé financière est le Festival ? Les subventions [Etat, communauté d’agglomération, conseil départemental et conseil régional] se maintiennent à niveau mais sont stagnantes si l’on songe à l’inflation, à l’augmentation des charges, des salaires, du coût des voyages et des hébergements. Ça veut dire que chaque année le Festival d’Avignon coûte plus cher, et ce malgré l’excellence de nos résultats. Mécénat, recettes de billetterie et de tournée : tous ces chiffres sont en augmentation. Je me suis engagé à poursuivre en ce sens. Mais au-delà d’un certain seuil, sauf à élargir les jauges des salles ou à changer les prix des places, ce qui n’est pas envisageable chaque année, nos actions seront limitées. Le Festival d’Avignon n’a pas les moyens de production qu’il mérite ou qui répondent à son échelle et à sa réputation en France et dans le monde. Le moment est venu où la subvention publique doit nous accompagner et nous soutenir. Nous devons trouver des ressources supplémentaires pour nous déployer dans les prochaines années sans rien renier de nos ambitions. J’espère que nos partenaires publics en sont conscients et feront le nécessaire. En 2023, vous avez choisi de rouvrir la Carrière de Boulbon. Ce lieu est-il rentable ? Notre projet est sa pérennisation sous la forme d’un théâtre de verdure. Une perspective qui implique la municipalité de Boulbon, avec laquelle nous sommes en dialogue. Si l’aventure aboutissait, la Carrière coûterait de moins en moins cher puisque l’essentiel des installations techniques y serait installé à temps plein et que le matériel n’aurait plus besoin d’être monté et démonté chaque été. Au demeurant, le site, qui représente la deuxième plus grande jauge en termes de recettes de billetterie, devient de plus en plus bénéficiaire et donc vital au Festival. En 2025, seul un couple de danseurs s’y est produit. Ce choix était artistique, et pas économique contrairement à ce qu’ont pu interpréter certains de manière un peu cynique. A l’avenir, nous y reverrons de grandes équipes. Qui fera l’ouverture de la Cour d’honneur en 2026 ? Vous le saurez en avril lorsque nous présenterons la programmation au public. J’ai hâte de pouvoir l’annoncer, il s’agit d’un projet qui me passionne. Ce que je peux vous dire, c’est que ce ne sera pas de la danse, mais du théâtre. En 2014, alors que l’extrême droite était arrivée au second tour des municipales à Avignon, Olivier Py, votre prédécesseur à la tête du Festival, avait menacé de délocaliser la manifestation. Et vous, que feriez-vous si un tel cas de figure devait se produire en 2026 ? Ma position, en tant que directeur du Festival d’Avignon, est de ne pas accepter de travailler avec l’extrême droite. Cette position est très claire. Si cette catastrophe devait avoir lieu, j’en tirerais les conséquences. Propos recueillis par Joëlle Gayot / Le Monde
Par Philippe Lançon dans Libération, publié le 13 octobre 2025 Fatras de bruits, de gesticulations, de références, de laideur et de pesanteur... Il n’y a qu’un seul tableau à sauver, parmi les dix variations du metteur en scène russe autour de la pièce de Shakespeare.
Dans l’un des dix tableaux du spectacle de Kirill Serebrennikov, le seul qui soit réussi, «Hamlet et la peur», il y a ces mots du metteur en scène russe Meyerhold : «Si toutes les pièces de théâtre disparaissaient et s’il ne restait que Hamlet, le théâtre serait sauvé.» Mais il ne put mettre en scène Hamlet, car Staline n’aimait pas cette histoire un peu trop sévère pour le tyran. En 1940, il fit exécuter Meyerhold. La pièce de Shakespeare a survécu à tous les pouvoirs, mais il est rare, malheureusement, qu’elle sauve le théâtre – du moins ceux qui la mettent en scène ou, comme ici, s’en inspirent pour étaler sur trois heures de pesantes, bruyantes et hideuses variations, avec clins d’œil plus ou moins appuyés à l’actualité (Poutine, Gaza, les gilets jaunes, les gouvernements qui sautent, et j’en passe, bienvenue dans l’auberge espagnole des sujets d’actualité). C’est comme un sortilège : cette œuvre longue et complexe, si difficile à monter qu’elle devrait rendre modestes ceux qui s’y confrontent, les transforme souvent en bavards confus et prétentieux – sous prétexte de modernité, de conscience politique et de provocation. Ils font certes entendre le conseil de cet excellent dramaturge qu’est Hamlet : «Outrer les effets, ou trop les affaiblir, c’est faire rire les ignorants, mais cela ne peut que désoler les gens d’esprit, dont un seul doit compter pour vous plus que toute une salle des autres.» Mais ils ne le suivent pas. Le Russe Serebrennikov et ses comédiens de toutes nationalités, parlant français, anglais, allemand, russe, n’échappent pas à ce destin. «Et si Hamlet était un idiot ? Ou un joyeux drille ?» On est dans une immense pièce lambrissée et déglinguée. Il y a un grand trou dans le plafond. De la pluie et du plâtre vont tomber. Au fond, une grande cheminée avec un miroir. Les dix tableaux sont des variations sur Hamlet. Dans la première, «Hamlet et le théâtre», un homme pousse une brouette chargée de crânes qu’il renverse sur le parquet. Il fait le pitch de la pièce (une histoire de violence et de vengeance, etc), puis l’inventaire des sens qu’on lui a donnés ou pourrait lui donner. Une musique contemporaine, de Blaise Ubaldini, monte de l’orchestre situé dans la fosse. Le chaos règne. C’est l’opérette dissonante de la déconstruction. Ce premier Hamlet – il y en aura jusqu’à dix – est filmé en gros plan. Son image apparaît, géante, sur le fond : ordinaire daté de la vidéo sur scène. Un personnage crie : «L’idée de progrès a échoué dans la chambre à gaz des idées.» Il pose des tas de questions : «Et si Hamlet était un idiot ? Ou un joyeux drille ? Et si Ophélie s’était noyée bourrée ?» Les répliques de Shakespeare se glissent dans les tirades maison : cherchez l’intrus. Un comédien se transforme en Jack Nicholson dans Shining, écrivant sur les murs sa phrase obsessionnelle. Le théâtre court derrière le cinéma comme un vieux beau derrière une jeune fille. Dans la deuxième variation, «Hamlet et le père», le comédien allemand August Diehl devient le bouffon vert incarné par Willem Dafoe dans Spiderman. La voix qui lui mange la tête est celle du père du prince danois. Son image est en surimpression. La technique, comme les nouveaux riches, étale ses possessions. Dans «Hamlet et l’amour», on devine la scène où Hamlet, qui va jouer sa pièce-piège devant le Roi fratricide et la Reine mère, dit à Ophélie : «Puis-je m’étendre entre vos genoux ?» Devenu chauve, il plonge la tête vers le sexe de sa promise aux jambes écartées. On dirait Gabriel Matzneff, transposé dans une boîte à putes russes. Ophélie a des bottes noires, un long manteau blanc à col de fourrure. Elle dit : «Rien. Nothing. C’est comme ça que vous appelez ce qu’on a entre les jambes.» Le lys, comme le cave, se rebiffe. Soudain, on est dans le Dernier Tango à Paris. Ophélie a été beurrée où je pense. Conclusion : «Je ne mange plus de beurre, il n’y a plus que du vide.» Légers rires dans la salle. Entre Mylène Farmer et «Astérix chez les Helvètes» Après ce happening, la quatrième variation, «Hamlet et la peur», est donc une oasis de simplicité tragique. Le Hamlet qui parle, c’est le jeune Chostakovitch, joué par Filipp Avdeev, au moment où, en janvier 1936, son opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk est descendu dans la Pravda sur ordre de Staline. Le compositeur sait que la critique signifie sa disgrâce, peut-être son arrestation. Traumatisé, il ne fera plus jamais d’opéra. Sur scène, il se prépare pour la prison et pense à son ami Meyerhold. Il dit : «J’ai compris la phrase de Shakespeare : le Danemark est une prison. Car la Russie est une prison.» Ses phrases se mélangent au monologue de Hamlet, à ce que le prince danois dit à Rosencrantz et Guildenstern : «Voulez-vous jouer de cette flûte ? […] Vous voudriez jouer de moi, vous donner l’air de connaître mes touches, arracher le cœur même de mon secret, faire chanter la plus basse et la plus aiguë de mes notes – mais ce petit instrument, qui contient tant de musique et dont la voix est si belle, vous ne savez pas le faire parler.» Et l’ombre de la torture s’efface devant la lumière de la création. La plus belle image du spectacle apparaît : la photo du compositeur, tout jeune, assis avec Meyerhold dont la tête grandit et se détache pour envahir le fond, comme si c’était le spectre du père d’Hamlet. La suite, avant et après l’entracte, est un fouillis épuisant et ringard de bruits, de cris, de gesticulations, d’images, de néons, de mots, de trucs. On se croirait tantôt dans un vieux spectacle de Mylène Farmer, tantôt dans cette orgie d’Astérix chez les Helvètes, où une femme dit à une autre : «Tu n’as pas ton vert à lèvre ? Je voudrais me refaire une laideur.» Artaud braille son théâtre de la cruauté, béret sur le crâne. Surgit la figure de Sarah Bernhardt, première femme à avoir joué le rôle de Hamlet. Judith Chemla tire la grande cheminée, comme un bœuf sa charrue, trimballant la jambe artificielle de la tragédienne. Elle flotte, telle Ophélie, dans tout et n’importe quoi. Elle finit par dire : «La seule chose que je sais bien faire sur scène, c’est mourir.» Derrière, le petit film de 1900 où Sarah Bernhardt, en Hamlet, affronte Laërte en duel. C’est beau. C’est muet. C’est ailleurs. C’est le second moment du spectacle à sauver. Hamlet/Fantômes, de Kirill Serebrennikov d’après William Shakespeare. Théâtre du Châtelet, jusqu’au 19 octobre. Philippe Lançon / Libération Légende photo : Le comédien allemand August Diehl dans le tableau «Hamlet et le père». (Vahid Amanpour /Théâtre du Chatelet)
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October 11, 6:13 PM
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Par Cécile Daumas dans Libération le 10/10/2025 A partir de l’essai «la Pensée straight», la comédienne engagée imagine une forme inédite entre performance et réunion amicale (ou syndicale) pour se serrer les coudes dans les luttes présentes et à venir. C’est un conte où il n’y a plus de prince charmant, ni de princesse à réveiller, pas d’enfants à naître. Voir clair avec Monique Wittig est une belle histoire où l’hétérosexualité est à terre, système politique mutilant qui ne parle plus d’amour. Au coin du feu, un soir d’automne dans une forêt en «marge du monde», l’actrice Adèle Haenel nous raconte, comme une bonne copine avertie, cette histoire : celle où l’hétérosexualité et la binarité sexuelle sont aussi peu naturelles que les feuilles mortes à ses pieds ou les bûches qui se consument sans la réchauffer. C’est un peu une «réunion secrète», prévient l’actrice en préambule, s’adressant directement au public du théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. A partir des théories de la féministe Monique Wittig et de l’un de ses essais majeurs, la Pensée straight, elle explique et transmet l’énormité oppressive de l’hétérosexualité où l’autre – femme, enfant, «transpdgouine» – est «l’opprimé». Refuser d’être une femme, refuser d’être hétéro est une libération et la pensée de Wittig agit comme une fulgurance théorique qui lui a permis à, elle, de se «redresser». Rejoindre le lesbianisme, «tu vois…», répète-t-elle à l’envie, c’est gagner une «île merveilleuse où on vit un peu plus libre». Une question de survie aussi. Tension entre art et politique C’est cette expérience décisive que l’actrice au statut singulier, entre carrière artistique et engagement politique, partage durant une heure avec un public acquis. Beaucoup de jeunes femmes sont venues la voir comme une sœur, elle qui fut la comédienne inoubliable de Naissance des pieuvres ou Portrait d’une jeune fille en feu, devenue icône #Metoo, lanceuse d’alerte d’un grand courage dans sa dénonciation des violences sexuelles au cinéma, milieu qu’elle a quitté. Elle se consacre, depuis, à l’engagement politique et au théâtre, avec la chorégraphe et metteuse en scène, Gisèle Vienne. Voir avec Monique Wittig est sa première mise en scène, son premier texte, accompagné d’instants musicaux, assurés par la batteuse Caro Geryl, membre du collectif DameChevaliers comme elle-même. En équilibre précaire entre théâtre et positionnement féministe, Voir clair avec Monique Wittig n’est ni une pièce, ni une performance. Seul l’espace de la scène semble être maintenu pour faire groupe, «enclave éphémère» et protégé, érigé dans l’urgence de se retrouver et réfléchir ensemble. Se tenir chaud aussi dans un monde de plus en plus hostile aux féministes, aux LGBT +, et à toutes celles et ceux qui osent l’ouvrir et s’opposer. «C’est un peu le dernier stade du théâtre avant la réunion syndicale», avoue Adèle Haenel. Elle-même n’est plus vraiment actrice, récitante pulvérisant la catégorie d’interprète comme celle de femme – à la manière de Wittig. Telle une Delphine Seyrig des années 70 délaissant le cinéma d’auteur trop masculin pour un engagement féministe et filmique féminin, Adèle Haenel tente de dessiner une autre voix, la sienne, dans la difficile, voire intenable, tension entre art et politique. Quand l’actrice ose la poésie écrite de sa main, se réappropriant ses propres mots, on retrouve sa douloureuse et énergique intensité vue sur films et lors de la cérémonie des Césars en 2020 où elle s’était levée et cassée face un Polanski accusé mais récompensé d’un prix du meilleur réalisateur. Elle dit sa joie totale et sincère, éprouvée la nuit, quand la théorie rencontre l’émotion vécue et que le concept juste permet de saisir les oppressions subies. A la fin du spectacle, elle prévient, citant Audre Lorde, que la situation va «empirer». Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se battre, mais juste se dire que ce ne sera pas facile. Elle, qui, était encore la semaine dernière sur la Global Sumud Flotilla, n’oublie pas Gaza et la «politique de destruction massive» menée jusque-là par l’Etat d’Israël. «Une politique de cruauté», selon les mots de la sociologue et amie, Chowra Makaremi, qui attaque les liens et l’attachement. La résistance est un art de vivre, jure Adèle Haenel dans son grand costume gris ; une pratique, comme l’amour. Voir clair avec Monique Wittig, avec Adèle Haenel et Caro Geryl. Jusqu’au 12 octobre au théâtre des Bouffes du Nord (Paris Xe), dans le cadre du Festival d’automne. Le 25 novembre au théâtre de la Croix-Rousse (Lyon), les 4 et 5 février au CDN (Orléans), le 11 avril au Mars (Mons, Belgique) dans le cadre du festival Guerrières. Légende photo : La résistance est un art de vivre, jure Adèle Haenel dans son grand costume gris. (Estelle Hanania)
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October 8, 5:07 AM
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Par Gilles Renault, publié dans Libération - 5 oct. 2025 Adaptée du film culte de Roger Corman, la comédie horrifique refait un tour de piste sous la forme d’un spectacle musical tonique agencée par le tandem Hecq-Lesort. Cinq années durant, de 1982 à 1987, la Petite Boutique des horreurs a fait les beaux soirs du off-Broadway. De la Deuxième Avenue de Manhattan, où l’Orpheum Theater vendait ses tickets comme des petits buns, au Xe arrondissement de Paris, le Théâtre de la Porte Saint-Martin ne cultive pas les mêmes ambitions. Ce qui n’empêche pas cette relecture française (une quarantaine d’années après celle d’Alain Marcel, couronnée de succès) de tirer son épingle du jeu, dans une mise en scène du prolifique tandem Christian Hecq /Valérie Lesort, qui rempile après l’Opéra comique, où, fin 2022, la salle Favart (coproductrice avec l’Opéra de Dijon) plaçait des billes pour la première fois dans une comédie musicale. Rappelons qu’à l’origine figure le film de Roger Corman, comédie macabre et fantastique low cost qui servira la notoriété d’un cinéaste carburant alors à la moyenne de quatre ou cinq panouilles par an. Numéro gagnant d’une loterie par essence aléatoire, «la Petite Boutique» deviendra un juteux commerce que, concomitamment au musical signé par deux collaborateurs des Studios Disney, Alan Menken (musique) et Howard Ashman (livret et paroles), Frank Oz assaisonnera aussi à sa sauce cinématographique en 1986. Jeu de massacre Dynamique et bigarrée, la version Hecq-Lesort ne sort guère du magasin du fleuriste Mushnik. La modeste devanture «du ghetto» chez Corman, est ici convertie en un imposant décor autour duquel tourne cette histoire de plante insatiable. Une sorte de mythe de Faust végétal que l’employé Seymour, par ailleurs amoureux transi d’Audrey, sa godiche de collègue, se retrouve à devoir nourrir de chair humaine. Boostée par une partition musicale réorchestrée par Arthur Lavandier, et interprétée live (rock, blues, jazz), l’intrigue crapahute ainsi autour de figures archétypales assumant un statut parodique qui maintient le jeu de massacre dans les clous du divertissement débonnaire. A l’instar d’une version animée des arts ménagers, quelques tableaux débridés témoignent d’une inventivité joyeusement kitsch, compatible avec les canons du spectacle de faim damnée. Jusqu’au salut final où les vivats valident autant l’osmose entre acteurs, chanteurs et danseurs, que la performance d’une plante animée (des pires intentions), poussée sur le terreau de l’artisanat théâtral. «La Petite Boutique des horreurs», ms Christian Hecq /Valérie Lesort, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 75010. Jusqu’au 23 novembre. Gilles Renault / Libération
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October 6, 5:05 PM
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Par Nathalie Gabbai dans Libération - 6 septembre 2025 Jean-François Auguste, metteur en scène, et Jean-Claude Pouliquen, comédien en situation de handicap, se connaissent depuis dix-huit ans. A deux, ils livrent une déambulation qui questionne la normalité et où se mêlent drôlerie, absurdité jubilatoire et poésie planante.
Il lève les bras au ciel : «Déjà que j’ai le trac quand il y a du public, mais en plus, là, à poil, devant tous ces gens ! C’est la honte… C’est la honte, Jean-François !» Jean-Claude Pouliquen – torse nu, caleçon, barbe blanche de père Noël –, et Jean-François Auguste – crâne rasé, nu comme un ver – partagent la scène de Conversation entre Jean ordinaires. On est dans la tête, et dans le «pire cauchemar», de Jean-Claude et/ou de Jean-François, au choix, ou encore de «Jean Genet», «Jean-Philippe Smet», «Jean ai rien à foutre» et «Jean passe». Une déambulation où l’on questionne la normalité et où se mêlent drôlerie, absurdité jubilatoire et poésie planante. Jean-François Auguste et Jean-Claude Pouliquen se connaissent depuis dix-huit ans, mais c’est la première fois que les deux jouent ensemble. Le premier est metteur en scène, comédien de théâtre et de cinéma (120 Battements par minute), et dirige la compagnie For Happy People & Co. Le second a commencé le théâtre en amateur avec Madeleine Louarn, avant de devenir comédien professionnel au sein de l’Atelier Catalyse, la troupe qu’elle dirige depuis trente ans et qui est composée de comédiens en situation de handicap mental. En «situation de…» «Je n’avais jamais travaillé avec des acteurs en situation de handicap», raconte Jean-François (Auguste), lorsqu’on le retrouve en compagnie de Jean-Claude (Pouliquen) dans les bureaux du Théâtre ouvert, à Paris (XXe arrondissement), où on avait vu leur représentation en juin. «Quand Madeleine Louarn m’a sollicité, il y a une vingtaine d’années, pour animer un atelier avec sa troupe et le Théâtre de Morlaix, nos créations d’atelier ont rencontré un tel succès qu’elles se sont vite transformées en production.» Parmi elles, Alice ou le monde des merveilles (en 2007). «Moi, je jouais le chat du Cheshire et le lièvre de Mars», se souvient Jean-Claude ; les Oiseaux d’Aristophane (en 2012) ; Ludwig, un roi sur la Lune (2016), d’après un texte de Frédéric Vossier, qui marque la première programmation de Catalyse dans le in d’Avignon. Puis en 2018, le Grand Théâtre d’Oklahoma, pièce dans laquelle ils s’attelaient à l’œuvre de Kafka. Dans Conversation entre Jean ordinaires, écrit sous la houlette de Laëtitia Ajanohun, Jean-Claude Pouliquen est en «situation de…» On ne nomme pas le mal qui l’habite, mais on le devine comme dans cette blague que Jean-Claude rejoue avec délectation devant nous. Jean-Claude : «Si tu parles à Dieu, tu es croyant ? — Toi, tu crois en Dieu ? — Je sais pas Jean-François, mais il me répond !» Car dans la tête de Jean-Claude Pouliquen discutent de nombreuses personnes – «oui, c’est fatigant», confesse le comédien. «Dans la journée, il passe son temps en discussion, mais, sur scène, ça s’arrête, explique le metteur en scène. Quand j’ai commencé avec Catalyse, je n’ai pas voulu savoir quel était le handicap de chacun parce que j’essaye d’être dans ce que j’appelle “un instinct de la relation”. Je suis simplement dans un rapport horizontal avec les membres de la troupe. Au début, Jean-Claude ne me regardait pas dans les yeux. Il a fallu du temps pour qu’il sente que je n’étais ni paternaliste ni condescendant.» Les répliques du comédien ont été écrites avec ses mots (Jean-Claude Pouliquen ne sait ni lire ni écrire), pour faciliter la mémorisation du texte : «Il était important de mettre dans sa bouche des mots qu’il prononce vraiment et des situations qu’il vit. Les comédiens avec qui je travaille ne jouent pas le non-sens et l’absurdité, ils jouent au premier degré.» Ainsi de cet autoportrait que Jean-Claude adresse au spectateur : «Cela vous arrive de descendre les marches à l’envers pour échapper au vide ?» Il descend effectivement les escaliers à l’envers, car il a le vertige. «De vous souvenir des horaires, mais pas du film ? Il retient par cœur horaires et durées, et oublie les titres. «Cela vous arrive de vous dire que tout cela finalement, c’est pas si grave, c’est normal.» «Métamorphose des acteurs» Car s’il s’agit de questionner la représentation de la normalité, Jean-François Auguste se refuse à décrire un quotidien et à faire du «théâtre documentaire» : «Il est important de toujours infuser de la fiction, car ce qui est beau à voir c’est la métamorphose sur scène des acteurs, ce qu’il se passe à partir du moment où ils se mettent à jouer, ils ont vraiment la conscience du geste artistique, et on ne peut pas les “instrumentaliser” : s’ils n’ont pas envie de faire quelque chose, ils ne le feront pas. D’ailleurs, il n’y a pas une représentation qui soit la même.» Alors, c’est quoi être normal ou pas normal ? Jean-Claude Pouliquen nous répond, nous regarde : «Etre normal, c’est bien jouer sur scène. Pas normal, ça veut pas dire grand-chose. Pas dire grand-chose, non.» Conversation entre Jean ordinaires, mis en scène par Jean-François Auguste, texte Laëtitia Ajanohun. Du 7 au 11 octobre au Théâtre Silvia Monfort (75015), le 27 novembre à Pontault-Combault (Seine-et-Marne), les 17 et 18 décembre à La Filature, Scène nationale de Mulhouse, les 2 et 3 avril au Point du Jour, Lyon.
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October 5, 1:27 PM
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Publié par Télérama - le 5 octobre 2025 Connu notamment pour son film “La Conquête” sur Nicolas Sarkozy, Xavier Durringer est décédé d’une crise cardiaque, à l’âge de 61 ans.
Le réalisateur et dramaturge Xavier Durringer est mort d’une crise cardiaque à son domicile de L’Isle-sur-la-Sorgue, près d’Avignon, à l’âge de 61 ans, a indiqué son agente à l’AFP. Il avait notamment réalisé en 2011 La Conquête, une farce aux accents de polar sur l’ascension du candidat Nicolas Sarkozy (joué par Denis Podalydès). Scénarisé par Patrick Rotman, le film avait fait l’objet d’une présentation remarquée (hors compétition) à Cannes en 2011 – Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, n’avait pas souhaité le voir, se justifiant ainsi auprès de Télérama : « Je n’ai pas besoin de me voir en personnage de fiction pour connaître la part de création, d’art presque, qu’il peut y avoir dans le rôle de président ». Né à Paris en 1963, Xavier Durringer avait fondé une compagnie de théâtre à 19 ans, et avait présenté sa première vraie création, Une rose sous la peau, en 1988, dans le festival « off » d’Avignon. Dix ans plus tard, il revient dans le « in » avec Surfeurs, « chronique désenchantée de notre monde en perdition où on ne fait jamais que surfer sur le vide, ramer dans le malheur », écrivait Télérama. Entretemps, il s’était également lancé au cinéma avec La Nage indienne en 1993, portrait doux-amer d’une jeunesse paumée, et J’irai au paradis… car l’enfer est ici en 1997, pour l’écriture duquel il s’était associé à un ex-braqueur, et salué par Télérama comme « un polar français digne de Scorsese ». Son dernier film de cinéma, L’Homme parfait, était sorti en 2022, et mettait en scène l’arrivée d’un androïde chez un couple dont la femme n’en peut plus de s’occuper de tout (avec Didier Bourdon dans le rôle du mari, Valérie Karsenti dans celui de l’épouse et Pierre-François Martin-Laval en robot). Il avait également réalisé de nombreux téléfilms et en 2008 la série Scalp, pour Canal+, l’histoire d’une poignée de golden boys, amis de longue date, plongés dans la tourmente financière du début des années 90. Légende photo : Xavier Durringer en 2001 à Cannes, pour la présentation de son film « La Conquête » hors compétition. Le réalisateur et dramaturge est mort à l’âge de 61 ans. Guillaume Baptiste / AFP
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October 2, 11:07 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 30 sept. 2025 Il y a cinquante ans, un jeune homme de 18 ans aux cheveux bouclés poste un manuscrit à la poste de Valentigney petit village non loin de Besançon et Montbéliard. . L’adresse ? Celle des Éditions Gallimard. Ce n’est pas un sonnet mais un roman ayant pour titre Le motif que le jeune homme (qui signe de son vrai nom Jean-Luc Lagarce) envoie début mars 1975. On lui répond le premier avril et ce n’est pas une blague : « j’ai le regret de vous informer qu’après examen attentif, notre comité de lecture... », on devine la suite. Le peu qu’il nous reste de ce texte donne raison au comité de lecture. Cinquante ans plus tard, Jean-Luc Lagarce n’est plus, emporté par les années sida, son œuvre elle demeure et triomphe, partout dans le monde, publiée en français par la maison d’édition Les solitaires Intempestifs qu’il avait créée et co dirigée avec François Berreur et dont ce dernier a vaillamment maintenu le flambeau, et plus encore, après la mort de son ami. Berreur, directeur des Solitaires Intempestifs vient de signer un accord avec Antoine Gallimard, président du groupe Madrigal : « le groupe entre au capital des éditions Les Solitaires Intempestifs en tant qu’actionnaire majoritaire »,et « François Berreur reste actionnaire et directeur de la maison d’édition ». Les Solitaires intempestifs rejoignent donc au sein de Madrigal, outre les Éditions Gallimard, des maisons comme Minuit, POL ou Christian Bourgois. De plus, le fond essentiellement théâtral des Solitaires intempestifs , va redorer en ce domaine le blason de Gallimard quelque peu écorné depuis la quasi mise en sommeil de la prestigieuse collection Le Manteau d’Arlequin créé au début des années 50 par Jacques Lemarchand. Longtemps après sa mort, Jean-Luc Lagarce va enfin se retrouver dans la maison de l‘auteur qu’il admirait, imitait dans ses balbutiements et qu’il avait plus tard mis en scène avec force :Eugène Ionesco. Dernières publications des Solitaires intempestifs ; des textes signés Pascal Rambert, Tiago Rodrigues, Carolina Bianchi ainsi qu la première pièce de l’actrice Clotilde Mollet. A venir un essai de Bruno Tackels consacré à Walter Benjamin pour accompagner les écrits de ce dernier consacrés au théâtre. Jean-Pierre Thibaudat dans son blog
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October 1, 9:34 AM
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Par Killian Orain dans Télérama - 28 sept. 2025 Marivaux, Beckett… Claude Simon ! À 80 ans, l’infatigable metteur en scène a gardé intact son goût des textes écrits avec minutie, et montés avec précision. Alors qu’il présente “La Séparation” aux Bouffes parisiens, rencontre avec le maître Alain Françon. Il a le regard vif, l’air facétieux. La voix et les idées claires. À 80 ans tout pile, Alain Françon, presque soixante ans de carrière, est un inarrêtable, inaltérable créateur. Cet homme tranquille à la chevelure épaisse est une référence dans le paysage théâtral français. Lui qui a débuté en 1966, à Saint-Étienne, auprès de Jean Dasté, pionnier de la décentralisation théâtrale, a fondé le collectif le Théâtre éclaté, dirigé de grands acteurs (Dominique Valadié, devenue sa femme, Jean-Paul Roussillon) et lieux (Théâtre du Huitième à Lyon, Centre dramatique national de Savoie, Théâtre de la Colline) ; continue d’embrasser les auteurs, de théâtre ou non, avec la même curiosité et envie de partage. Après avoir monté deux Marivaux (La Seconde Surprise de l’amour et Les Fausses Confidences), le metteur en scène s’attaque en cette rentrée à La Séparation, l’unique pièce du Prix Nobel de littérature Claude Simon, une des figures emblématiques du nouveau roman. Créée en 1963, elle était jusqu’à présent tombée dans l’oubli… Comment connaissez-vous cette pièce ? Grâce à Mireille Calle-Gruber [critique littéraire, ndlr], l’ayant droit moral de l’œuvre de Claude Simon, qui m’en a parlé. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les romans de Claude Simon comme La Route des Flandres ou Le Vent. Mais je ne savais pas qu’il avait adapté L’Herbe au théâtre, sous le titre La Séparation. Il est pour moi un immense écrivain. Non parce qu’il a eu le prix Nobel, mais pour ce qu’il a essayé de créer en littérature. Ses romans alternent, d’une surprenante et si singulière manière, narration et description. Comme si cette dernière était le véritable enjeu. Le souci de raconter une histoire n’était pas ce qui importait chez lui. Dans La Séparation, l’intrigue se matérialise d’emblée par le décor : deux salles de bains mitoyennes, séparées par une cloison, dans lesquelles jouent simultanément les acteurs. C’est cette simultanéité de l’action que Claude Simon recherchait et a trouvé au théâtre. Et que je tente de restituer. Qu’est-ce qui vous a amené au théâtre ? J’ai grandi à Saint-Étienne, fils unique d’un père ouvrier puis employé dans une mine et d’une mère sténodactylo chez Casino. Mes grands-parents maternels tenaient un bar, le café du Carrefour, majoritairement fréquenté par des mineurs. Des Espagnols, des Italiens, des Polonais qui y passaient après leur journée, et chantaient souvent la même chanson que l’on appelait La Berceuse aux étoiles. C’est un souvenir fort et heureux mais en même temps je ressentais déjà l’envie d’aller voir ailleurs. Enfant, je me suis ennuyé et dessinais beaucoup pour m’occuper. Après le bac, je me suis naturellement orienté en fac d’histoire de l’art, sans véritable culture dans ce domaine. Le premier jour, mon professeur demande de citer le nom de tableaux qu’il montrait. Je n’ai su reconnaître que La Joconde, de Léonard de Vinci. Ça ne m’a pas empêché d’aller jusqu’aux prémices d’une thèse, que je n’ai jamais commencée car j’ai finalement choisi le théâtre. Pour quelles raisons ? Pour prendre la parole, l’enjeu véritable de mon existence. Chez moi, on ne parlait pas. J’ai grandi dans et avec le silence. Je voulais m’accaparer la culture dominante, me hisser à la hauteur des bourgeois. Au lycée, j’avais rejoint un ami qui étudiait au Conservatoire d’art dramatique de Saint-Étienne et faisait partie d’une troupe de théâtre amateur dirigée par Jean Dasté, le directeur de la Comédie de Saint-Étienne. Il nous faisait répéter avec ses acteurs, et j’y ai rencontré notamment André Marcon et Évelyne Didi. Il nous a par la suite programmés dans son théâtre où nous montions des pièces d’avant-garde pour beaucoup centrées autour de l’absurde. À l’époque, notre groupe s’appelait le Théâtre d’essai des frères Kersaki. Nous jouions souvent à Clermont-Ferrand, où les habitants aspiraient à la création d’un Centre dramatique national. Notre théâtre plaisait aux professeurs, universitaires, et même au maire de la ville, Gabriel Montpied. Mais pas au ministère de la Culture, qui nous a refusé la subvention après avoir assisté à une représentation ratée. Quelques années plus tard, le directeur d’Annecy Actions culturelles, qui appréciait beaucoup nos spectacles, m’a demandé de devenir animateur théâtre dans son lieu. Je lui ai proposé plutôt d’y créer des spectacles. Il a accepté. Le Théâtre éclaté est né ainsi. Que signifie ce nom « théâtre éclaté » ? Le terme provient de l’auteur Armand Gatti, ex-grand reporter, lauréat du prix Albert-Londres 1954, qui entendait faire un autre théâtre, engagé, avec des distributions mêlant professionnels et amateurs. Nous lui avons emprunté l’appellation. Notre idée était aussi de faire théâtre n’importe où : dans des MJC, la rue, en pleine manifestation ou dans des casinos. D’inventer et de rendre concret un théâtre éclaté dans les formes et les lieux. Avec l’idée de démocratiser le théâtre ? Exactement. D’une ancienne usine de papier peint où se trouve aujourd’hui la scène Bonlieu, dans le centre d’Annecy, nous avons fait notre lieu de répétition. Nous nous sommes enfermés des mois pour la création de notre premier spectacle, en 1972, qui portait sur le procès de Burgos injustement intenté par Franco à l’encontre de seize membres de l’organisation armée nationaliste basque Euskadi ta Askatasuna (ETA). Seuls deux avocats internationaux y avaient assisté, parmi lesquels Gisèle Halimi, qui avait caché un magnétophone sous sa jupe. Grâce à ses enregistrements, nous avons écrit le spectacle. Malgré son succès, à Annecy et en tournée, nous avons été sanctionnés par le conseil d’administration du Centre d’action culturelle qui exigeait désormais qu’on lui fasse valider nos idées avant de créer. Notre théâtre était apparemment trop engagé, trop militant… C’était pourtant l’âge d’or du théâtre en France, non ? Clairement. Mais ce que nous vivions comme une censure de la part du conseil d’administration a précipité notre chute. Nous avons annoncé la mort du Théâtre éclaté avec des centaines d’affiches placardées dans la ville et organisé des funérailles. Des habitants et spectateurs qui nous soutenaient ont occupé avec nous jour et nuit l’usine où on répétait. Un jour, à 3 heures du matin, le maire Charles Bosson et des CRS sont arrivés pour annoncer la démolition du lieu. Des années plus tard, le fils de Charles Bosson, Bernard, m’a rappelé pour que je crée le Centre dramatique national de Savoie, en 1992. À la Colline, que j’ai dirigé de 1997 à 2009, on m’a accusé de vider les salles. Pourquoi avez-vous dirigé des théâtres ? À mon époque, diriger un lieu était la norme pour avoir des financements et pouvoir créer. J’ai aimé le contact avec les spectateurs qui me saluaient avant l’entrée en salle ou me faisaient part de leurs griefs. C’était très important, pour moi, de savoir pour qui je travaille. À la Colline, à Paris, que j’ai dirigé de 1997 à 2009, certains ont peu goûté mes choix les premières années. On m’a accusé de vider les salles en montant par exemple Bond, Danis ou Vinaver. Le nombre de spectateurs a finalement augmenté, avec huit mille cinq cents abonnés lors de ma dernière saison, au même niveau qu’à mon arrivée. À la tête de ma compagnie Le théâtre des nuages de neige depuis 2010, je travaille aussi bien dans le théâtre subventionné que dans le théâtre privé, moi qui m’y suis toujours refusé. Mais j’y ai la même liberté de créateur. Vous étiez comédien à vos débuts, pourquoi ne pas avoir poursuivi ? Je ne crois pas être assez doué. Avec mes camarades du Théâtre éclaté, nous fonctionnions en collectif. Nous décidions de tout, ensemble, des lumières à la mise en scène. Jusqu’à vivre sous le même toit. Mais arrivés aux limites de cette organisation, nous sommes revenus à des usages plus communs. Et j’ai été désigné metteur en scène lors d’un vote, ce qui m’a d’emblée légitimé. Je pouvais tout monter après ! Des contemporains comme Fernando Arrabal, Samuel Beckett, Max Frisch, René Escudié, Michel Vinaver ou des plus classiques comme Ibsen, Goldoni ou Marivaux. Même Tchekhov, que j’ai pourtant détesté à l’instant même où je l’ai découvert, en 1960, avec Oncle Vania mis en scène par Gabriel Monnet. Je m’y suis terriblement ennuyé. Plus tard, j’ai lu ses nouvelles, que je continue de relire régulièrement. Elles m’ont réconcilié avec lui. Lire la critique s “Le Tricheur” et “La Corde raide”, deux œuvres de jeunesse et déjà toute la fulgurance de Claude Simon Mais vous n’avez jamais mis en scène Shakespeare, ni aucun Grec… Par la force des choses, je crois. Enfant, il n’y avait presque aucun livre chez moi. Et, n’allant pas au théâtre, je n’ai pas reçu cette culture classique. Les auteurs contemporains ont été ma porte d’entrée. Pour monter un texte, j’ai besoin qu’il me parle, qu’il me donne au moins l’illusion de répondre aux questions que je me pose. Comme les pièces du dramaturge britannique Edward Bond. Je regrette qu’elles aient été si mal comprises par les critiques. Ces derniers faisaient de lui un auteur noir, violent, désespéré et donneur de leçons. Ce qu’il n’a jamais été ! Au contraire, Bond était un homme humble. Son théâtre est une traversée de situations extrêmes dans laquelle les personnages doivent trouver l’issue pour s’en sortir. Ils sont obligés de rechercher ce qui, chez eux, est l’impératif catégorique à être humain. Aujourd’hui, l’intentionnalité qui irrigue ses pièces m’intéresse moins. Je ne supporte plus le théâtre qui consiste à dire aux spectateurs quoi penser. Comment travaillez-vous ? À l’oreille. La psychologie des personnages ne m’intéresse pas. Je ne parle d’ailleurs jamais de personnages, mais de figures. Pour moi, la base du travail est ailleurs, dans les répliques. Pour transmettre un texte, il faut qu’il soit bien dit. Aux acteurs, je donne des indications sur la voix, le rythme. « Plus fort, plus rapide, plus bas, etc. » Un de mes anciens et illustres professeurs d’esthétique, le philosophe Henri Maldiney, disait : « Le rythme ne peut qu’advenir. » Si on essaie de le fabriquer, on ne le trouvera jamais. La ponctuation des textes est donc mon guide dans la mise en scène. J’ai d’ailleurs régulièrement travaillé avec les mêmes acteurs, ma femme, Dominique Valadié, Jean-Paul Roussillon, Pierre-Felix Gravière, Irina Dalle, Clovis Cornillac ou Pierre-François Garel… rencontrés pour la plupart à mes débuts ou dans les écoles de théâtre où j’ai souvent monté des spectacles de fin d’année ou parrainé des promotions. Grâce à nos expériences communes, nous partageons le même vocabulaire. Chaque spectacle est une expérience unique. Je ne cherche pas à cultiver un style. Vous fonctionnez à l’instinct ? Je ne dirais pas ça. Je suis à l’écoute des idées qui me traversent. Lorsque l’envie me vient de monter un texte, j’ai souvent en tête une partie de la distribution. J’aime me plonger en amont dans l’univers de l’auteur, lire tout ou presque de ses écrits, ou me confronter aux autres médiums qu’il ou elle a abordés. Lorsque je monte Peter Handke en 2015 et en 2020, je retraverse ses quarante et un romans. Ça me prend six mois, mais j’en ai besoin pour développer mon imaginaire. La pièce seule ne me suffit pas pour mettre en scène. Je pourrais aussi inlassablement regarder des tableaux pour me nourrir, tels ceux de Claude Simon qui m’ont inspiré pour monter La Séparation. Chaque spectacle est une expérience unique. Je ne cherche pas à cultiver un style. Qu’est-ce qui vous attend après La Séparation ? Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, un de mes auteurs de prédilection, que je monte en novembre prochain au Petit Saint-Martin, à Paris. Puis Thomas Bernhard, dont j’aimerais mettre en scène La Société de chasse. Envisagez-vous d’arrêter le théâtre un jour ? Oui. Lorsque mon instinct me le signifiera. Et peut-être alors renouerais-je avec le dessin et la peinture, que j’aimais tant enfant. Propos recueillis par Killian Orain / Télérama ALAIN FRANÇON EN QUELQUES DATES 1945 Naissance à Saint-Étienne (42). 1971 Cofonde le Théâtre éclaté, à Annecy (74). 1995 Reçoit un Molière pour Pièces de guerre, d’Edward Bond. 1996 Nommé directeur du Théâtre national de la Colline, à Paris. 2010 Fonde sa compagnie le Théâtre des nuages de neige. La Séparation, de Claude Simon, jusqu’au 30 novembre, Bouffes parisiens, Paris 2e. Oh les beaux jours !, de Samuel Beckett, du 13 novembre au 17 janvier, Petit Saint-Martin, Paris 10e. Légende photo : Alain Françon : « La pièce seule ne me suffit pas pour mettre en scène ». Photo Jean-François Robert pour Télérama
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September 30, 5:07 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 30 sept. 2025 La chorégraphe, en duo avec la comédienne Valérie Dréville, offre un spectacle singulier où les corps deviennent des émanations du noir. https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/09/30/avec-l-echo-la-choregraphe-nacera-belaza-fait-respirer-la-nuit_6643785_3246.html
A condition d’aimer se fondre dans la nuit, d’accepter d’y diluer ses repères, à condition de ne pas attendre d’un spectacle dit « de danse » des transports physiques exceptionnels, le nouvel opus de la chorégraphe Nacera Belaza, intitulé L’Echo, peut offrir un trip sensoriel unique. En duo avec la comédienne Valérie Dréville, le spectacle est à l’affiche, jusqu’au 11 octobre, de la MC93, à Bobigny. A l’enseigne du Festival d’automne, il ouvre le focus spécial consacré à l’artiste, dont trois pièces s’enchaînent. Parallèlement à L’Echo, Les Ombres occupe, du 8 au 18 décembre, le Musée du Louvre, à Paris, tandis qu’Untitled.1, créé pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, s’installera du 18 au 20 décembre au Centquatre, à Paris. Depuis ses débuts, au détour des années 2000, Nacera Belaza a fait du noir la matière même de sa quête. Chacune de ses pièces baigne dans l’obscurité qui enveloppe les corps. Telle une pâte qu’elle malaxe en même temps qu’elle évolue à l’intérieur, elle lui insuffle des formes et des rythmes, laissant éclore une silhouette spectrale, un éclat de visage ou de mains pâles. Jeu de résonances Un halo blanc – les cheveux de Valérie Dréville – attire d’abord l’œil sur le plateau. C’est elle, remarquable actrice, complice des metteurs en scène Antoine Vitez ou Claude Régy, qui introduit L’Echo. Lentement, au point que l’on doute de la voir bouger, elle pivote au centre d’un cône de brouillard opaque, lève un bras, puis l’autre. Une ombre se détache, à droite, qui avance et recule telle une flaque d’encre. C’est Nacera Belaza. Comme le titre l’indique, le pas de deux attendu entre les deux femmes n’en est pas tout à fait un, mais plutôt un jeu de résonances. Le noir respire chez Nacera Belaza. Il est vivant, se dilate, prend de la hauteur ou s’écrase, s’épaissit ou se grise. Il s’écarte comme un rideau pour laisser place à une ambiance laiteuse, puis se referme dans un feuilleté de textures. Pendant que la bande-son, somptueuse, riche de bruits variés – des cris d’oiseaux aux grondements souterrains –, enfle telle une tempête, ce qui ressemble à une étude sensible sur l’obscurité et la pénombre résiste à l’assaut. Les corps deviennent des émanations de la nuit, en sortent pour s’y résorber. Une valse étrange de Nacera Belaza, des réminiscences de pas traditionnels font tanguer le plateau dans un rêve. Celle qui déclare « ne pas créer une danse à voir avec les yeux » travaille ici beaucoup sur les bords, à la frontière entre noir et lumière. Son mouvement rejoint l’infini, tant il semble faire partie du grand tout, au parapet d’un grand trou. La disparition des interprètes hante L’Echo. Et c’est entre abandon et affût que le spectateur progresse dans cette bulle. Si l’on a régulièrement envie de percer l’air pour happer ce qui se passe sur scène, on laisse aussi reposer ses antennes pour simplement savourer cette gamme de l’imperceptible, loin des effets spectaculaires massifs qui inondent les salles. L’Echo, de Nacera Belaza. Jusqu’au 11 octobre, MC93, Bobigny. Dans le cadre du Festival d’automne. Rosita Boisseau Légende photo : Valérie Dréville dans « L’Echo », de Nacera Belaza présenté à la MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 17 septembre 2025. SIMON GOSSEL
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September 29, 12:00 PM
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Critique d'Anne Diatkine / Libération du 29 sept. 2025 S’amusant avec la langue du romancier et de son œuvre illustre, le dramaturge et metteur en scène signe un spectacle décoiffant, servi par un usage adroit de la vidéo et des comédiens remarquables.
On était incrédule, l’inversion du titre du chef-d’œuvre de Flaubert en Bovary Madame nous semblait de mauvais augure, et voilà que le spectacle de Christophe Honoré, porté par des acteurs au mieux de leur forme, dans un cirque façon Lola Montès d’Ophuls, est merveilleusement stimulant et adéquat, et échappe à toute illustration tout en étant à sa manière (personnelle) fidèle à Flaubert. Madame Bovary, «livre sur rien» selon les mots de l’écrivain dans une célébrissime lettre à Louise Colet du 16 janvier 1852, chef-d’œuvre intouchable dont on ne peut soustraire une virgule sans porter atteinte à tout l’édifice ? Bien sûr ! Raison de plus pour oser s’y atteler, le triturer, s’en amuser, jouer avec sa langue, l’écouter, la profaner, opérer une distance, faire voir tout autant la postérité d’Emma dans la culture mondiale, que celle des autres êtres de papier du roman de Flaubert dont on s’étonne de s’ébaubir si régulièrement de leur actualité. Et surtout, tout au long de la représentation, c’est bien l’écriture de Flaubert qui nous parvient par vague, prise en charge par les différents personnages. Mais cette écriture n’est pas traitée avec déférence, le dispositif inventé par Honoré et les comédiens permet qu’on escalade ou dégringole sans encombre ni artifices différentes strates, que différents types de langage puissent être proférés, sans anachronisme. Il y a juste un mot, qu’on supplie la troupe de barrer : «Résilience». Non ! Pas cette tarte à la crème, même si, des tartes à la crème, il y en aura bien pour de vrai avec de la chantilly, durant le spectacle. D’une focale à l’autre Scènes de cirque, donc sur un plateau circulaire surmonté de gradins avec un écran en hauteur. Bonheur que pour une fois l’usage de la vidéo ne consiste pas, comme si souvent au théâtre, à grossir ce qu’on voit déjà dans une fatigante entreprise de répétition, mais sédimente d’autres types d’images, de rêveries, de références, souvent saturées de couleurs, on y reviendra. Emma Bovary, c’est donc elle, Ludivine Sagnier, troublante en ce que son jeu, légèrement en retrait, ne fige jamais son personnage, ne le restreint pas en une interprétation, n’en fait ni la précurseuse tragique d’une émancipation féminine, ni une cruche à la merci d’une gente masculine forcément décevante ou qui exploite ses sentiments. En retrait ? Ou dans une posture qui témoigne, encore une fois, de son insatisfaction ? Que sa vie soit exhibée dans un cirque plutôt que dans un film à grand budget comme on suppose qu’elle aurait pu le rêver : comment s’en remettre ? A ses côtés, il y a une tornade, personnage ajouté par Christophe Honoré, Loyale (sensationnelle Marlène Saldana), mi-intervieweuse mi-montreuse de bête, qui tente de lui faire cracher sa valda, lui extirper ses souvenirs. On n’est pas chez Hanouna, mais cette Loyale n’est guère moins cruelle avec son goût du spectaculaire, sa fausse compassion sans doute proportionnelle aux audiences qu’elle suscite, sa façon de l’adjoindre à prendre la parole, à mouliner le souvenir, la flatter, revenir à la charge, lui dire que maintenant, c’est l’heure, il faut y aller, il faut mourir, elle ne va pas y couper, les spectateurs n’attendent que cette scène finale. Eh bien non ! Bovary-Sagnier se rebiffe : non seulement elle ne jouera pas sa mort, mais elle s’échappe à nouveau. Excellente intuition que d’avoir inventé ce personnage de Loyale, qui lance les scènes, distribue la parole et permet aux spectateurs de glisser d’une focale à l’autre. On entre dans les différents tableaux du roman sans s’apercevoir qu’on a changé de nivelé narratif et qu’on est désormais au cœur du texte, accroché par la folie naïve et amoureuse de Charles Bovary (subtil Jean-Charles Clichet) ou l’épatant Stéphane Roger en Monsieur Lheureux, marchand de mille trésors. Jean-Charles Clichet a l’intelligence de ne pas jouer en Charles Bovary uniquement la partition du benêt, il montre l’homme aimant, confiant et dupé, sans cesse maltraité et donne une grandeur à son personnage. Présence fracassante de Stéphane Roger dont le personnage est le pendant de Loyale en ce que lui aussi alpague les spectateurs et manie l’humiliation publique. «Nos vies sont constituées par des trompe-l’œil» Stéphane Roger en Monsieur Lheureux vend tout, fabrique tout, des tartes à la crème qu’il distribue à tout va et même de la barbe à papa qui s’érige sous son bâton à la manière de tout ce qui est susceptible de gonfler sous les doigts amoureux d’Emma Bovary. Barbe à papa offerte au public lors d’une vraie fausse séquence d’entracte. Rien n’est gratuit : addiction au sucre, addiction à la dépense, même course en avant, et le public, emballé et plutôt jeune, en redemande. Il faudrait citer l’ensemble de la vraie troupe qu’on retrouve de spectacle en spectacle de Christophe Honoré : Harrison Arévalo dans le rôle du sadique Rodolphe Boulanger, Julien Honoré dans celui du pédant pharmacien Homais, et Davide Rao en Léon, clerc de notaire. Encerclée par les hommes tous vêtus de noirs, cette Bovary ne l’est qu’en partie puisqu’elle s’esquive, quitte la scène, les regards, accepte l’ombre, revient sous les projecteurs mais cette fois-ci, en hauteur, sur l’écran. Cadrage sur différentes parties de son corps, ses jambes, sa taille, son buste. Qui le souhaite décèle la référence à Une femme mariée de Godard, sorti il y a plus de soixante ans avec Macha Méril, reprise non dite de Madame Bovary. Tiens, ces couleurs vives et irréelles, comment ne pas y voir un hommage au dernier film du cinéaste helvète, qui vivait à une vingtaine de kilomètres de Vidy, à Lausanne, où est produit et créé Bovary Madame ? Nulle nécessité cependant de saisir les références. Elles passent. Comme une réplique dans la bouche de Ludivine Sagnier directement prélevée d’une phrase de Jean-Pierre Léaud dans la Maman et la Putain. Faire un spectacle, ça sert à ça : rendre hommage à ce qu’on a lu et vu, ce qui constitue ce qu’on est, et c’est d’autant plus légitime dans une adaptation de Madame Bovary, dont les lectures sont supposées susciter sa perte. Loyale la questionne au début de la pièce : «On vous a beaucoup reproché vos lectures.» Emma : «Je sais et c’est idiot. Les livres, ça sert à vivre, ça sert à savoir faire un lit.» Sur le plateau, Emma ne lit pas mais elle joue du piano, chante en live Nicole Croisille ou Françoise Hardy et c’est tout un répertoire des années 1960, 1970, bizarrement encore largement partagé, qui tient lieu de ses lectures. Plus tard, croisé dans le train, Christophe Honoré analysera : «Flaubert travaille énormément sur le trompe-l’œil. Il ne dénonce pas le cliché, il l’arbore en lui redonnant sa force d’émotion spontanée. Nos vies sont constituées par des trompe-l’œil, et le cirque, machine à trucages et illusions, permet de jouer avec. Quand on regarde un numéro de cirque, on sait qu’il doit y avoir un truc et pourtant on considère la mise en danger réelle, tout en sachant que c’est impossible.» Bovary Madame, d’après Gustave Flaubert, texte et mise de Christophe Honoré, au Théâtre de Vidy, à Lausanne (Suisse) jusqu’au 8 octobre, puis à la Comédie de Clermont-Ferrand du 15 au 18 octobre, au Quartz-Scène nationale à Brest les 5 et 6 novembre, au Théâtre national de Bretagne à Rennes du 12 au 22 novembre… Anne Diatkine / Libération Légende photo : Ludivine Sagnier, saisissante Emma Bovary et Jean-Charles Clichet, subtil mari aimant, confiant et dupé. ( Photo © Laurent Champoussin)
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Le spectateur de Belleville
September 29, 9:20 AM
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TRIBUNE publiée par Le Monde le 29 sept. 2025 L’auteur franco-libanais a suivi Emmanuel Macron à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies, au cours de laquelle la France a reconnu la Palestine. A l’aide d’Homère et d’Eschyle, il décrit, dans un texte pour « Le Monde », la difficulté d’y faire résonner les mots de la justice. Septembre est un cadeau en Amérique du Nord et, en ce dimanche [21 septembre] qui signe la fin de l’été, le temps est splendide à New York. La lumière dans la verticalité vitrée des gratte-ciel donne une envie irrépressible de marcher, et à peine a-t-on mis le pied dehors que la vitalité nous empoigne, la ville nous avale. Et quelle ville ! Le cinéma nous l’a si souvent donnée à voir que l’on en devient nous-même une fiction. New York, donc, et je marche en aveugle, me demandant comment demain, une fois que la Palestine sera reconnue par la France, je ferai pour rendre compte de ce qui va se jouer de nécessairement tragique. Tragique parce que historique. Historique non pas par ce que cela écrira pour l’avenir, mais par ce passé gorgé de sang et par un présent anéanti sous les bombardements, la famine, l’addition quotidienne des victimes civiles, le cauchemar des otages encore vivants et le deuil interdit pour les proches de ceux qui sont morts et qui ne cessent, jour après jour, de réclamer désespérément leurs dépouilles. Transparence de la lumière sur la VIe Avenue. Je pense à Ronen Neutra, dont le fils Omer Neutra est présumé mort en captivité. Je pense à mon fils, Ulysse. L’empathie est un des plus grands trésors de l’humanité. Je pense à Hector, tué par Achille et dont le corps est traîné le jour durant dans la poussière autour des remparts de Troie. La colère d’Achille est telle que la mort d’Hector ne suffit pas pour étancher sa soif de vengeance. Achille veut aussi l’humiliation d’Hector, la profanation de son cadavre, interdisant de le rendre aux Troyens. Je pense à Priam, roi de Troie, père d’Hector, à genoux aux pieds d’Achille : « Achille semblable aux dieux, souviens-toi de ton père et remets-moi le corps de mon fils. » Composée par Homère [dans l’Iliade] il y a plus de 2 800 ans, cette imploration d’un père pour récupérer le corps de son fils vibre toujours autant, du Soudan à l’Ukraine et de l’Ukraine à Gaza. Pensant à Boutcha [ville au nord de Kiev symbole des crimes de guerre russes, où des massacres ont été commis entre février et mars 2022], au 7 octobre 2023 [attaque d’Israël par le Hamas], à la destruction de Gaza, on ne peut s’empêcher de se dire qu’une forme de dignité s’est perdue. Quelque chose de l’humanité était encore en partage entre les ennemis, qui éveillait leur conscience et a fait en sorte que, pleurant son propre père à la vue de Priam, Achille a fini par rendre le corps d’Hector. H&M est bondé et la boutique Apple est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’iPhone 17 est sorti, c’est la frénésie, les vendeurs sont débordés. Il faut donc vivre avec ce frottement schizophrénique : l’iPhone 17, 1 196 dollars [environ 1 020 euros] l’unité, et la famine ravage Gaza. Un frottement comme ce fil qui dépasse d’un vêtement précieux. On tire dessus et tout se défait pour révéler, dans sa nudité, une question à laquelle on ne parvient pas à répondre : comment finir une tragédie ? Clairvoyance permanente C’est de cela qu’il sera question à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, à laquelle le président Emmanuel Macron, sur une idée de sa plume Baptiste Rossi, a souhaité me convier pour que j’en rende compte à ma manière. Comment finir une tragédie ? En commençant par reconnaître la Palestine et tâcher de faire avancer point par point l’idée du cessez-le-feu et la libération des otages. Mais, en ce dimanche, j’ignore encore ce qui m’attend. J’ignore la violence qu’il faudra affronter, les rapports de force entre nations, les discours qu’il faudra entendre, des plus beaux aux plus atroces. Les deux jours qui viennent vont transformer en profondeur mon regard sur ce métier que l’on nomme la diplomatie, me révélant sa manière d’avancer entre doute et certitude sans se faire d’illusions sur ses capacités. La clairvoyance permanente dont les personnes composant l’équipe française doivent faire preuve pour savoir ce qu’il faut dire ou non à tel dirigeant est impossible à imaginer tant qu’on n’a pas vu cette équipe à l’œuvre. Recommencer encore et toujours. Travailler les éléments de langage et tenir entre les mains le tissu des mots. C’est de la haute couture vouée à l’échec. Diplomatie sisyphéenne qui consiste à rouler obstinément le rocher en haut de la montagne, non pas celui de la paix, qui est un mot trop grand, presque vulgaire pour ceux qui meurent, mais celui du cessez-le-feu et de la libération des otages. Seul cela compte. Il faut avaler du désespoir, le métaboliser et faire resurgir des mots nouveaux et recommencer. Deux jours plus tard, au détour d’un instant, me retrouvant seul avec le président alors qu’il venait d’achever sa rencontre avec Donald Trump, je me suis entendu lui demander : « Mais comment vous vous sentez ? Qu’est-ce que vous éprouvez ? » Et lui, totalement surpris, comme si je m’étais mis à parler une autre langue, me répond : « On ne m’a jamais posé une question pareille ! » Mais, en ce dimanche splendide, je ne sais rien encore de ce qui m’attend. Sur Broadway, il y a une cohue ahurissante à mesure que je me rapproche de Times Square. C’est à peu de chose près une image du chaos que, demain, le discours de cette reconnaissance provoquera. Mon portable vibre. Un message d’Anne-Claire Legendre, conseillère auprès de l’Elysée pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Elle me demande justement ce qui, selon moi, ne devrait pas être oublié dans le discours que prononcera le président. « Cri de douleurs ! » Times Square. Un monde ! C’est infernal ! Vallée artificielle cernée par de gigantesques écrans publicitaires. Ça vomit des couleurs Haribo comme une diarrhée pixellisée dont la consommation énergétique journalière suffirait à éclairer le Lesotho deux années durant. Sirènes d’ambulance, sirènes de pompiers, sirènes de police, on lève la tête et, au-delà des buildings, on retrouve ce ciel, bleu comme un hurlement. Il fait si beau ! Un temps identique au 11 septembre 2001. Je vivais encore à Montréal et l’est de l’Amérique du Nord était dans la splendeur de l’automne quand le premier avion s’est fracassé contre la première tour. Il fait le même temps aujourd’hui, et notre époque reste piégée dans les fleurs carnivores de ce jour de terreur : antisémitisme, islamophobie, défiance envers les institutions internationales, repli, détestation assumée. Le XXIe siècle écrase tout sur son passage. Comment finir une tragédie ? Times Square, donc, et, incongruité, me voici au milieu d’une centaine de Mexicains enroulés dans leurs drapeaux. Ils dansent et hurlent à l’unisson. Dans un espagnol bricolé, je demande : « Vous avez gagné une Coupe du monde ? » On me répond : « Fête nationale du Mexique ! Notre pays existe et nous perpétuons son cri ! – Quel est ce cri ?, je demande. – Grito de dolores ! » Nous le hurlons ensemble. Mais qu’est-ce que ça veut dire Grito de dolores ? « Cri de douleurs ! »Evidemment ! Tout le monde en est là ! Aux cris de douleur ! Douleur comme mémoire de ceux qui se sont battus pour mettre fin à la tragédie. Me remettant à marcher, je me cogne contre un passant. Je lève la tête, Doctor Strange [personnage de super-héros de l’univers Marvel vivant à New York] en personne ! Mince alors ! J’en profite pour lui demander s’il peut ouvrir un cercle donnant sur le futur, histoire de vérifier si, en un jour lointain, des Palestiniens assemblés à Times Square se souvenant de leurs ancêtres fêteront l’indépendance de leur pays, lançant à leur tour « Cri de douleurs » comme une mémoire de la douleur de ceux qui auront été massacrés en ce barbare XXIe siècle. Symbole Sur les marches du MoMA [Museum of Modern Art], je m’assois et me demande quel mot j’aimerais entendre demain dans le discours du président. Baptiste Rossi y est revenu mille et une fois, Emmanuel Macron lui-même l’a transformé à son tour ; ce discours, en réalité, agira à titre de symbole, affirmera une volonté, et chaque mot en sera une grenade nécessairement dégoupillée par les uns ou par les autres. Alors, quel mot pour apaiser ? Quel mot pour encourager ? La délégation française a travaillé deux ans durant pour arriver à ce moment. « La France reconnaît l’Etat de Palestine. »Ovation. Ça ne change rien, mais ça peut permettre de changer les choses. Yehuda Cohen, père de Nimrod Cohen, toujours otage à Gaza, est là. Je ne cesse de le regarder et me dis à chaque instant : « Pendant ce temps, son fils est là-bas, et lui ici. » Il serre une main, il sourit et je me dis : « Pendant ce temps, son fils est là-bas, et lui ici. » Je suis bouleversé par la présence de cet homme. Je voudrais le prendre dans mes bras. Pour respirer, je retrouve la rue. Je regarde les passants et me demande : mais où est la réalité ? Quelle est la réalité ? Celle que je viens de quitter ou celle que je viens de retrouver ? Celle à l’intérieur de l’ONU semble si décrochée du quotidien, mais rien n’est plus réel que l’échange entre deux présidents qui pourrait permettre un cessez-le-feu. Quoi de plus réel que ça ? Ce sont les passants qu’on pense totalement décrochés de la réalité. Mais il suffit d’écouter leurs conversations pour deviner leur fatigue, et on se dit que c’est ici la réalité ! Celle qu’aucun chef d’Etat, en voiture avec chauffeur et policiers ouvrant la circulation, ne peut même soupçonner. C’est cette assemblée de politiques jonglant avec le destin du monde qui sont les décrochés. Et, passant d’une réalité à une autre, on ne sait plus qui nous sommes nous-mêmes ni ne savons à quoi nous appartenons. Le temps avance et recule. Je ne dors pas. Je suis décalé. Je mange peu. Je me demande comment écrire. Quoi écrire. Hors de question de faire un journal de bord. Hors de question de parler des faits. Je ne suis pas journaliste. Simplement, cette question qui me taraude : comment finir une tragédie ? Deux jours plus tôt ou plus tard, avec l’équipe diplomatique française dans une salle en sous-sol, à l’ONU : Frédéric Mondoloni, directeur général des affaires politiques et de sécurité du ministère des affaires étrangères ; Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique du président ; le général Vincent Giraud, chef de l’état-major particulier du président, et Anne-Claire Legendre. Ils sont assis autour d’Emmanuel Macron. Quinze minutes avant la rencontre en tête à tête entre les présidents français et américain, avec la question suivante : « Comment faire bouger quelque chose dans la tête de Trump ? Comment lui faire entendre qu’il doit se prononcer contre l’annexion de la Cisjordanie par le gouvernement israélien ? » Mélancolie Je me suis déplacé pour m’asseoir face à eux et, dans cette frontalité, le théâtre m’est apparu. Pas seulement le théâtre. Mais la peinture. La littérature. Le cinéma. La danse. J’ai pris une photo. La délégation française est là. Emmanuel Macron consulte son portable sans le regarder véritablement. Il ne dit rien. Les autres lui parlent. Il les laisse lui murmurer des idées. C’est calme. C’est lent. Chacun y va d’une phrase. Comme si les choses étaient déjà jouées, comme si les choses déjà leur échappaient. Une mélancolie sourd d’eux comme la conscience de n’être qu’un fragment d’une histoire beaucoup trop grande. C’est surtout Emmanuel Bonne qui parle. Sa voix est posée. Distante. « Evite peut-être de lui dire telle chose, ne lui dis pas ça. Parle-lui du prix Nobel. Que s’il veut avoir une chance de l’obtenir, il ne doit pas faire capoter les accords d’Abraham [traités de paix signés, en 2020, à Washington, entre Israël d’un côté et Bahreïn et les Emirats arabes unis de l’autre] et si “Bibi” [le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou], annexe la Cisjordanie, l’Arabie saoudite ne pourra pas suivre. Les accords d’Abraham, c’est son truc, son bébé. Dis-lui que c’est formidable. » Par l’intimité, la sincérité, ce fut à mes yeux le moment le plus fort au cours de ces trois jours : des humains, liés par une forte amitié et une réelle confiance, font de leur mieux pour avancer le grain de sable qui saura enrayer une machine de mort. La porte s’est ouverte, l’aide de camp du président est apparu : Donald Trump était là. Comment finir une tragédie lorsque ceux-là mêmes qui ont le pouvoir d’en écrire la fin ont la conviction que l’histoire s’écrit avec des tanks et des drones ? Et surtout, quoi leur opposer ? Ni la mort des enfants, ni celle des civils, ni l’innocence des otages, ni le respect dû aux morts, ni la loi qui cadre le traitement des prisonniers, rien ne les fait dévier de leur obstination. Malgré les meurtres commis envers l’humanité, ils continuent à revendiquer pour eux la justice et la vérité. Comment avec de tels auteurs écrire la fin d’une tragédie ? Eschyle, Sophocle, Euripide eux-mêmes parvenaient difficilement à conclure les leurs et usèrent plus d’une fois du deus ex machina pour imposer une paix qui semblait hors de portée aux mortels. Regardant les guerres en Ukraine et à Gaza, on se dit qu’ils auraient usé depuis longtemps du deus ex machina. Apollon, Athéna et Zeus seraient apparus pour dire : « Vladimir [Poutine], stoppe cette putain de guerre et va t’asseoir à la table des négociations ; Benyamin, fou furieux ! Délivre-toi de ce bain de sang ; et vous, miliciens sanguinaires du Hamas, délivrez les otages vivants, rendez les corps des morts et déposez les armes. Enfin, Donald, obéis à ce que dicte la justice et sois-en le juste garant. » Ça tiendrait en une page, il ne faut que quelques lignes aux dieux pour parachever la tragédie des mortels. Mais aucun deus ex machina ne surgira jamais, les massacres n’ont plus d’autres limites que les massacres eux-mêmes, l’humanisme vacille, non seulement il vacille, mais il est vu comme le frein à la paix la plus monstrueuse qui soit : la paix du plus fort. Lorsque, au cours de la guerre de Troie, il fallut décider qui, d’Ajax ou d’Ulysse, recevrait les armes d’Achille, les juges eurent à choisir entre d’un côté le plus fort et de l’autre côté le plus rusé. Sans la force d’Ajax, les Grecs auraient perdu la guerre. A ce titre, il était tout à fait juste de lui accorder cet honneur. Mais, sans la ruse d’Ulysse et le cheval de bois, les Grecs n’auraient jamais pu gagner, et aucun d’entre eux n’aurait pu espérer rentrer chez lui. Ulysse, à ce titre, méritait tout autant de recevoir les armes d’Achille. C’est face à ce dilemme que se trouvèrent placés les juges et qu’ils choisirent de récompenser la raison d’Ulysse au détriment de la force d’Ajax. Trois millénaires plus tard, c’est le renversement de ce jugement auquel s’affaire notre époque pour récompenser la force de Vladimir et de Benyamin, et faire d’elle la mesure de toute chose. Le soleil se couche. Je longe l’Hudson. Demain lundi, je rejoins la délégation française sans savoir comment tout cela va se passer. Enceinte opaque à la parole Au cours de cette guerre de Troie, bien des débats agitèrent les généraux grecs. L’un des plus émouvants concerna le cadavre d’Ajax après que celui-ci se fut donné la mort. Pris d’une colère immense après s’être vu refuser les armes d’Achille au détriment d’Ulysse, Ajax décide de se ruer vers le camp des Grecs et d’en tuer tous les chefs. Mais Athéna trouble son regard et le détourne de sa course pour le conduire vers l’enclos des bêtes, lui faisant croire que ce sont là les généraux grecs. Ajax décime une grande partie des bœufs, des vaches, attachant les autres pour les ramener prisonniers vers son camp. Le jour venu, Athéna le libère de son hallucination et, découvrant la réalité, incapable de surmonter sa honte, Ajax se suicide. Teucros, le frère d’Ajax, prend alors en charge les préparatifs funéraires. Il est interrompu par Ménélas : « Je t’interdis d’ensevelir le cadavre de cet homme qui a voulu notre mort, on le donnera aux chiens et aux oiseaux. » Teucros envoie balader Ménélas. Survient Agamemnon : « Toi, Teucros, tu n’es qu’un bâtard, tu n’as en ce sens aucun droit puisque tu n’es qu’un esclave, laisse ce cadavre où il est pour qu’il soit dévoré par les chiens ! » Teucros répond en usant du même argument contre Agamemnon lui rappelant ses origines : « Tu es aussi bâtard que moi et tu me reproches mes origines ? »Ils en sont à tirer leurs épées lorsque arrive Ulysse, qu’Ajax considérait comme son pire ennemi, lui à qui les armes d’Achille ont été remises. Voici ce qu’Ulysse adresse à Agamemnon : « Que la violence ne triomphe pas de toi, Ni la haine jusqu’à fouler aux pieds la justice. Il fut pour moi aussi mon pire ennemi du jour où j’ai obtenu les armes d’Achille. Et je l’ai haï quand il a fallu haïr. Mais à présent tu ne saurais le déshonorer sans injustice, ce serait plus léser les lois des dieux que lui. Il n’est pas juste d’offenser un mort, même si on l’a en haine. » L’enceinte de l’Assemblée générale des Nations unies n’est pas un lieu facile pour la parole. Ma grande surprise fut qu’on n’y entend rien. Il faut mettre les écouteurs, car tout y est calibré pour la télévision. La parole des dirigeants nous parvient donc par l’intermédiaire des interprètes dont le ton, monocorde, à la limite de l’ennui, sape toute poésie, toute émotion. Alors que le lieu peut rappeler les amphithéâtres grecs, l’enceinte ici est opaque à la parole. Difficile, à double titre donc, de faire entendre le mot « justice », et c’est la plus belle des métaphores tant ce mot signe à la fois la fragilité et la grandeur de la démocratie. C’est pourtant ce mot qu’Emmanuel Macron et son équipe ont tenté de faire résonner dans cette enceinte en posant cette question : qu’est-ce qui est juste si l’on veut arrêter la guerre ? Car comment finir une tragédie sans l’écrire avec les mots de la justice ? Comment finir la tragédie lorsque la fin qui s’écrit devant nos yeux est sur le point de signer la disparition de deux peuples ? Une disparition physique et territoriale pour les Palestiniens et une disparition éthique pour Israël ? Cette disparition-là est d’autant plus terrible qu’elle est provoquée par un massacre perpétré contre l’autre. Disparition par la banalité Qu’un peuple qui, durant trois mille ans, fut celui qui porta haut les valeurs de l’universalisme, de l’humanité, qui, trois mille ans durant, sut s’inscrire au cœur de chaque société, s’intégrant de l’Europe de l’Est à l’Afrique du Nord, malgré toute la haine véhiculée contre lui, qu’un peuple qui sut offrir à l’humanité tant de cadeaux, tant d’œuvres, tant de trésors et qui, trois mille ans durant, ne participa à aucun massacre, qui eut, bien au contraire de cela, à en subir tant et tant, de pogrom en pogrom, et des plus effroyables jusqu’à la Shoah, menace absolue de l’anéantissement, que ce peuple-là, si unique et si singulier, s’effondre aujourd’hui vers la banalité en devenant un peuple qui, à l’image de tous les autres, succombe, entraîné tout entier par l’entêtement d’un premier ministre, à la tentation de la vengeance. Tragédie dans la tragédie, chaque juif, qu’il soit le plus fervent humaniste ou non, assiste impuissant à l’inscription dans son histoire d’un massacre perpétré contre un autre peuple, effaçant par là la singularité, l’unicité de son histoire. Cela, plus que bien d’autres menaces, est ce qui peut le mener à la disparition. Qu’est-ce que cela pourra signifier d’être juif, si être juif c’est entrer dans la même histoire sanglante de tous ? Disparition par la banalité. Il y a quelques années, lors d’un voyage au nord du Groenland, l’hôte chez qui je logeais me proposa de me joindre aux villageois pour une fête qui allait avoir lieu en haut d’une petite colline. J’ai accepté avec plaisir. C’était la fin d’un après-midi de novembre, les journées étaient très courtes, et je me suis retrouvé au milieu de familles qui avaient monté des tables sur lesquelles des gâteaux et des boissons avaient été posés. L’ambiance était joyeuse et détendue. Après avoir échangé avec les uns et les autres, j’ai fini par demander la raison de cette fête. On me répondit : « Pour fêter le dernier jour du soleil ; demain, le soleil ne se lèvera plus avant six mois et on va être plongés dans l’obscurité. » J’en suis resté bouche bée. « Et qu’est ce qui va se passer dans six mois ?, ai-je demandé. – On ira sur la colline d’en face et on fêtera son retour. » Il y avait des enfants. Certains âgés de 2 ou 3 ans. Je voyais bien qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait. Ils étaient heureux d’être en compagnie des grands. « Et les enfants ?, ai-je demandé. Je veux dire les petits, dans un mois, ils ne se souviendront plus du soleil. – Non, mais nous, on sera là pour le leur raconter. Ce n’est pas parce que le soleil se couche qu’il est mort. Il s’est juste absenté jusqu’à ce qu’il revienne. Les enfants, il faut leur raconter le soleil pour que, lorsqu’ils le reverront paraître, ils puissent le reconnaître. C’est ça, le plus important. Pour ça, il faut raconter. » Fin artificielle Bien des choses qui me sont chères sont sur le point de sombrer de l’autre côté de l’horizon. Une certaine idée de la transmission, une manière de partager la parole et peut-être aussi un universalisme qui m’a permis de me sortir de la haine dans laquelle la guerre civile libanaise m’a plongé. Tout cela peut se coucher, mais cela ne signifie pas une disparition. Il s’agit d’une occultation qui durera sans doute au-delà de mon séjour sur Terre. Dès lors, il me reste le devoir de raconter. Raconter ce qui est cher à mon cœur, qui est une forme de soleil et, dans l’obscurité, en faire le récit pour que, dans quelques générations, lorsque ces valeurs se relèveront, ceux qui seront là puissent les reconnaître, car on leur en aura fait le récit. Ainsi s’écrit une fin qui n’est en réalité qu’une fin artificielle, une prothèse de la véritable fin, laquelle ne cesse d’être annihilée par les assassins, par leurs complices, par les extrêmes de tous bords, par l’épuisement des mots : « paix », « accord », « entente », « cessez-le-feu », tout cela égorgé, et la fatigue des promesses non tenues et des mensonges qui se répètent. Raconter ce qui n’advient pas, le raconter même dans l’obscurité, même dans la conscience que demain l’annexion des territoires palestiniens et la déportation de sa population pourraient advenir, ce pire que tout le monde nie, faire du verbe « finir » non pas un point final, mais une conscience, regarder de tous ses yeux l’obscurité approcher et lui opposer le récit de ce qui, un jour, se relèvera, pas pour nous, mais pour ceux à qui nous l’aurons raconté. Echouer dans le récit et donc recommencer encore, refaire le trajet pour trouver où se situe le point aveugle qui fait tout échouer, redire encore et toujours le mot « justice », offrir sa fragilité à la monstruosité de la violence, le répéter encore et toujours, « justice », pour que, parole à parole, de morts à vivants, puisse enfin s’apaiser le cri de douleur qui, devenant chant de mémoire, saura clôturer la tragédie du verbe « finir ». Wajdi Mouawad Wajdi Mouawad est un auteur et dramaturge franco-libanais, directeur du Théâtre de la Colline, à Paris. Ses leçons au Collège de France viennent de paraître sous le titre « Jusqu’au bord de son ravin. Les verbes de l’écriture » (Seuil, 324 pages, 22 euros).
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Le spectateur de Belleville
September 28, 1:20 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 27 sept. 2025 Alain Françon exhume de l’oubli l’unique pièce de Claude Simon sur deux couples en crise, portée magnifiquement par Catherine Hiegel, Léa Drucker, Alain Libolt et Pierre-François Garel.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/09/27/aux-bouffes-parisiens-la-separation-convoque-l-union-vitale-du-theatre-et-de-la-litterature_6643133_3246.html
Besoin de textes ? Besoin d’écrivains ? Besoin de langues ? L’irruption concomitante sur les planches parisiennes de Jon Fosse et de Claude Simon (1913-2005) installe l’automne théâtral sous le ciel de la haute littérature. Tandis que Jon Fosse (Prix Nobel de littérature 2023) se fait entendre au Théâtre de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) avec Et jamais nous ne serons séparés, Claude Simon impose la somptuosité de son verbe dans la salle à l’italienne des Bouffes parisiens où Alain Françon exhume de l’oubli l’unique pièce du Prix Nobel 1985 : La Séparation. Un texte né du roman L’Herbe (paru en 1958 aux Editions de Minuit) dont il reprend les thèmes et les motifs. C’est d’ailleurs par des extraits de ce roman donnés à lire sur un tulle que s’ouvre et s’achève un spectacle qui en découd avec une écriture a priori peu destinée à l’oralité. Et d’autant plus à l’ère d’une communication elliptique qui chasse du paysage la complexité de la phrase. Celle de Claude Simon, qui préfère la description des situations à la narration d’une histoire, ne fait – et tant mieux – aucune concession à la facilité. L’écrivain a été peintre. La romance qu’il invente n’est pas une fin en soi, mais le support d’images où sont détaillés les blocs de réalités ou de perceptions qui grouillent sous l’apparence. Il observe. Il décrit. Il n’y a ni fable échevelée ni coups d’éclat dans son huis clos, mais l’exposition, en simultané, de deux couples en crise qui se déchirent de part et d’autre d’une mince paroi aménagée sur le plateau. Les parents d’un côté, leur fils et son épouse de l’autre : non seulement La Séparation s’incarne dans une scénographie respectueuse des didascalies (l’espace est divisé en deux intérieurs quasi similaires), mais elle contamine aussi et surtout le nerf de la fiction. Si les personnages cohabitent, ils ne forment pas un ensemble sain. Ils se nécrosent à vue, comme pourrissent, au-dehors, les poires à peine mûres cultivées par le fils. Claude Simon ne parle pas de regain mais de décrépitude et de la fin d’un monde qui s’effrite sous le poids de ses mensonges, ses trahisons, ses faux-semblants. Emotionnel pur Comme toujours avec Alain Françon, il y a sur la scène ce qui se donne à voir en surface et ce qui circule en sous-sol. Au premier plan donc, la plongée dans la vie privée d’une famille dont les fissures sont ravivées par la mort imminente d’une vieille tante. La mère (Catherine Hiegel) vieillit et ne supporte pas l’indifférence de son époux (Alain Libolt). Son fils (Pierre-François Garel), traumatisé par la guerre, fuit les silences d’une épouse infidèle (Léa Drucker). Pièce rapportée dans ce dispositif, la comédienne assume d’être un corps triplement étranger : à l’univers d’Alain Françon – qui la dirige pour la première fois –, au drame déployé par l’auteur –elle n’est que la belle-fille –, aux partis pris de la représentation – seule à ne pas être grimée, elle est au ras d’une profération minimale . Elle se tient du côté de la littérature, c’est-à-dire de l’auteur, dont elle est ici le double. Une émissaire qui constate les faits avec neutralité et distance. Sauf lorsqu’elle évoque l’authenticité bouleversante de la vieille tante qui agonise. Sauf lorsqu’elle décide, une fois l’aïeule trépassée, de ne pas quitter son mari pour rester dans cette famille, cette nature, ce monde en perdition. L’écrivain n’a pas le droit de tourner les talons. S’il s’en allait, qu’en serait-il de la trace, consignée dans des pages noircies de lignes, de ce qui a été et n’est plus ? Léa Drucker demeure. A ses partenaires qui jouent une tout autre partition revient l’énorme charge de faire spectacle de l’écriture et de donner vie à cet émotionnel pur qui se tapit à l’ombre des phrases. Le visage terreux (presque cireux) et épais, Pierre-François Garel ne se débat pas avec les mots, il les soumet à sa virtuosité, désertant grâce à eux le champ de mine conjugal, son mépris du père et sa haine de la mère. Les cheveux roux, le visage trop fardé, la silhouette alourdie dans une robe ingrate, Catherine Hiegel (démentielle interprète au sommet de son art) descend par paliers la pente raide vers une souffrance où macèrent la jalousie et le ressentiment. Transformé en Pantagruel titubant, Alain Libolt est un époux taiseux qui esquive le déluge aigre de sa femme. Enfin, messagère de la tragédie, bossue et blafarde, Catherine Ferran, l’infirmière, donne des nouvelles de la mourante. Parce qu’il sait mener ses acteurs au paroxysme de leur talent et exploiter, avec une intelligence aussi rare que fascinante, les signaux émis et écrits par Claude Simon, Alain Françon peut instiller la musique qui lui est chère et qui, toujours, célèbre les infinis possibles de la scène. En sourdine monte ainsi la mélodie de deux arts frères qui ne sauraient se passer l’un de l’autre : le théâtre et la littérature déjouent le drame de la séparation. Unis mais dissociés. Fondus mais pas confondus. C’est bien à leur alliance qu’ils doivent de survivre dans un monde menacé, chaque seconde, par la brutalité du point final. On peut compter sur l’exigence d’un metteur en scène qui veille sur l’art sans jamais baisser la garde pour rappeler cette évidence. La Séparation, de Claude Simon. Mise en scène : Alain Françon. Avec Léa Drucker, Catherine Hiegel, Catherine Ferran, Pierre-François Garel, Alain Libolt. Les Bouffes parisiens, Paris 2e. Jusqu’au 30 novembre. Joëlle Gayot Légende photo : Léa Drucker et Catherine Hiegel, dans « La Séparation », de Claude Simon, mise en scène par Alain Françon, aux Bouffes parisiens, le 18 septembre 2025. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
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Le spectateur de Belleville
September 27, 6:31 PM
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Par Rosita Boisseau (Genève (Suisse), envoyée spéciale) le 27 sept. 2025 Pour sa nouvelle création, l’artiste performeuse navigue entre prouesses physiques, théâtre et chant, sur une composition musicale de Rebeka Warrior.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/09/27/avec-honda-romance-vimala-pons-passe-les-emotions-aux-canons_6643195_3246.html « Pour ne pas se copier soi-même, la difficulté c’est de continuer à chercher des terrains vierges », nous confiait, en 2017, Vimala Pons. Cette déclaration de l’artiste performeuse, dont les succès au théâtre et au cinéma s’enchaînent sans écorner son tempérament frondeur, sonne comme une obligation intime pour échapper à la reproduction de soi. Quitte à risquer sa peau dans des zones instables, pas question pour Vimala Pons de se crisper dans une esthétique. Après le phénoménal solo intitulé Le Périmètre de Denver (2022), qui sublimait son talent unique de porteuse d’objets en équilibre sur la tête, que pouvait bien imaginer de jamais vu cette femme téméraire et novatrice ? Honda Romance, créée le 23 septembre, à la Comédie de Genève, ouvre une nouvelle ère en prenant à bras-le-corps, pour la première fois, un groupe de neuf chanteurs. Et investit un terrain expérimental : celui de l’affrontement avec des canons à air. Beaucoup de défis au rendez-vous sur le plateau de la Comédie, qui a offert à Vimala Pons des conditions de travail en or, avec trois mois de répétitions. La scène est vide, scandée au fond par des pans de rideaux blancs, parfaits pour un jeu de cache-cache fluide. En trois temps, dont deux centrés sur elle, épaulée par le complice Tsirihaka Harrivel, elle navigue entre prouesses physiques, théâtre et chant, sur une composition musicale de Rebeka Warrior. Trois canons à air Ni une ni deux, comme peut-être dans son pire cauchemar, Vimala Pons, en jogging rouge, démarre le spectacle littéralement écrabouillée, vaincue par la masse d’un satellite de 42 kilos, que sa version Atlas au féminin va évidemment relever. La fin et le début, l’échec et la victoire jouent dos à dos dans cette introduction bluffante, où l’expérience de porteuse de Vimala Pons s’auréole d’un goût de défaite merveilleusement surmontée. L’exploit comme épreuve de force est au cœur de son travail. Cette tension nourrit un second tableau tout aussi athlétique, dans lequel elle explore une pratique non homologuée : se faire littéralement souffler par trois canons à air de 200 bars. On imagine à peine l’effet dévastateur de ces ouragans répétés sur le corps de l’artiste. Pire que décoiffée, la tête arrachée, elle encaisse une série de rafales qui la flanquent par terre et dont elle se relève systématiquement. Jamais abattue, Vimala Pons résiste. Comme une seule prouesse ne suffit pas à cette lutteuse qui cherche toujours à se prendre de vitesse, elle en rajoute une couche. A la manière des numéros où elle se livrait à un strip-tease pendant qu’une pyramide de rochers oscillait sur son crâne, elle cause ici non-stop. Les vents contraires ont beau lui couper les jambes et la parole, elle hurle, elle chuchote, elle saute d’un registre à l’autre, modifie sa voix… Cocotte-minute mentale en pleine explosion, elle devient le réceptacle de la bande-son du monde qui la colonise et qu’elle recrache plus vite que son ombre. Riposte sauvage La distorsion sonore, chère à Vimala Pons, opère pour mieux signifier l’affolant trafic de situations, d’émotions qui perfore nos vies. Au diapason d’une société en éclats et réduite aux lambeaux dont les réseaux sociaux nous matraquent, elle offre une riposte sauvage. A l’opposé de l’injonction au « fun » dont le mot apparaît sur scène, elle se glisse dans la peau d’un gladiateur et charge. A ce combat violent, Honda Romance dégage une issue apaisée. Le souffle haletant et la cacophonie du quotidien prennent forme dans une mélodie envoûtante de la musicienne et romancière Rebeka Warrior. Le chœur de chanteurs et chanteuses en déroule les circonvolutions musicales en s’élançant dans un défilé frontal. Au gré d’allers et retours, chaque interprète change de vêtements, ajoute des accessoires… Une baguette par-ci, un godemiché par-là… Irrésistiblement, cette foule des gens appelle en mémoire les souvenirs de la marche du spectacle Tragédie (2012), d’Olivier Dubois, puis d’Umwelt (2004), de Maguy Marin, dont l’artiste propose une variation personnelle planante en guise d’« énorme hommage » selon elle. Et c’est en se fondant dans la troupe que Vimala Pons, passoire géante, se colmate et se rassemble tranquillement, enfin. Honda Romance, de Vimala Pons. A la Comédie de Genève (Suisse) jusqu’au 28 septembre, les 2 et 3 octobre à Grenoble puis du 14 au 26 octobre au Théâtre de l’Odéon, dans le cadre du Festival d’Automne, à Paris. Rosita Boisseau (Genève, envoyée spéciale du Monde) Légende photo : Illustration conçue par Vimala Pons pour sa pièce « Honda Romance ». VIMALA PONS
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