Revenons-en à notre prétendue suprématie dans la loufoquerie chapeautesque: il faut le savoir, dans la mode des chapeaux fous, il y a une très rude compétition dans la nature, et notamment chez une famille d’insectes aux casques abracadabrantesques, les Membracides:
(Diversité morphologique des Membracides via leur chapeau, Prud'homm et al, 2011)
Certains entomologistes s’amusent même à postuler que la fonction de ces casques est de pouvoir communiquer avec la planète dont proviennent les membracides… en même temps c’est pas en étant entomologiste qu’on se garantit d’avoir un humour à toute épreuve…
Depuis les années 50, le camp de l’extension du pronotum semblait cependant avoir largement gagné la bataille: d’une part, de nombreux hémiptères portent des extensions du pronotum, comme la punaise Dysodius magnus:
(Dysodius magnus)
Par contre, à l’heure actuelle, aucun insecte vivant ne porte d’appendices dorsaux sur le premier segment du thorax. Pour information, ce qui distingue un appendice d’une simple extension du pronotum, c’est la présence d’une articulation entre le pronotum et l’appendice qui rend l’appendice mobile par rapport au reste du corps de l’insecte. Sur le thorax des insectes, il y a 6 appendices ventraux, les pattes, et généralement 4 appendices dorsaux, les ailes. Et si vous chopez un insecte, vous pourrez constater en effet que les ailes et les pattes sont reliées au reste du corps par une jonction articulée et qu’il s’agit bien d’appendices mobiles par rapport au reste du corps (et maintenant relâchez cet insecte bande de brutes!).
Cependant, Nicolas Gompel n’arrivait pas à concilier l’avis consensuel des entomologistes avec certaines observations d’entomologistes amateurs sur le terrain qui, voulant capturer des membracides, se retrouvaient le plus souvent avec le casque entre les doigts tandis que l’insecte avait réussi à s’échapper. Comment les membracides pouvaient-ils se passer d’un segment de leurs corps? Si on imagine que le casque des membracides est un appendice, à l’instar des ailes, ces histoires semblent plus probables! Pour en avoir le cœur net, Nicolas Gompel a commencé à lentement accumuler les indices:
1) le casque présente une certaine mobilité (voir la vidéo suivante où un expérimentateur teste la flexibilité du casque de Publilia modesta)
Le problème, c’est que des appendices, sur le pronotum, aucun insecte actuel n’en possède! Les seuls appendices qui existent sur la partie dorsale du thorax des insectes, ce sont les ailes… Du coup, si on veut postuler que le casque est un appendice dorsal modifié, on doit considérer qu’il s’agit d’ailes modifiées… Faudrait être sacrément culoté pour proposer ça! Déjà, ça voudrait dire que le casque provient d’une fusion de deux appendices, parce que, chez les membracides adultes, le casque est une structure solidaire en un bloc! Or les ailes, elles poussent de chaque côté du thorax des insectes, non?
Mais bon c’est pas parce qu’une idée semble folle qu’il ne faut pas la tester.
Du coup, Benjamin Prud’homme et ses collègues se sont mis à observer, en plus des animaux adultes, les différents stades du développement des Membracides. Et là, ils ont accumulé de plus en plus d’indices pour dire que le casque, aussi incroyable que ça puisse paraître, est bel et bien une paire d’ailes modifiées poussant sur le segment T1:
1) Non seulement le casque est lié au pronotum par une jonction articulée, mais cette jonction est similaire à la jonction articulée (ou pteralia) de l’aile:
(Présence de pteralia à la jonction du casque de Publilia modesta, Prud'homme et al., 2011)
Ces chapeaux, ou casques, les membracides semblent les utiliser le plus souvent pour se fondre dans leur environnement. Jugez plutôt avec ces membracides déguisés en épines…
Bref, la plupart d’entre nous aura vu ces images, se sera extasiée, et aura continué son petit bonhomme de chemin sans prêter une plus longue attention à ces fascinants insectes. On fait d’ailleurs bien la même chose avec les chapeaux de ces dames britanniques, en ne nous souciant pas des origines psychologiques qui les poussent à acheter à prix d’or, puis porter, les œuvres exposées plus haut…
Heureusement pour nous, certains chercheurs sont plus têtus! C’est le cas de Nicolas Gompel et Benjamin Prud’homme qui se sont demandés quelles étaient la nature et l’origine des casques des membracides. Comme ce sont des chercheurs précautionneux, avant de répondre à la question de l’origine de ce casque, ils ont voulu d’abord en savoir plus sur les membracides, et surtout savoir quelles sont les relations de parentés entre les membracides et les autres insectes. Pour cela, ils ont utilisé l’arbre phylogénétique suivant:
(Position des membracides dans un arbre phylogénétique simplifié des insectes, Prud'homme et al, 2011)
Mais on y apprend aussi que le groupe d’espèces le plus proche des membracides, en terme de parenté, est celui des cicadas… Mince, c’est un terme anglophone… Peut-être que le son suivant vous mettra alors la cicada à l’oreille:
Mais en plus de nous surprendre sur la parenté étrange des membracides, l’arbre phylogénétique précédent nous apprend également que l’émergence de l’étrange casque des membracides (symbolisée par une flèche noire) a coïncidé avec la diversification de ces espèces, il y a 40 millions d’années. Ça veut dire en gros qu'au moment où les membracides ont divergé des autres hémiptères, il est vraisemblable qu’ils possédaient déjà leur casque caractéristique.
Benjamin Prud’homme et Nicolas Gompel se sont ensuite demandé quelle était la nature exacte des casques des membracides. Il s’avère qu’il s’agit d’un long débat entre entomologistes poussiéreux, démarré dans les années 50: d’un côté le camp considérant que les casques sont des excroissances du pronotum qui est la partie dorsale du premier segment du thorax des insectes… un schéma vaut mieux qu’un long discours:
(Le pronotum)
L’autre camp défend l’idée qu’il s’agit plutôt d’appendices dorsaux du pronotum. Un débat existentiel, comme on ne sait plus en faire!
Sachant que le thorax est séparé en 3 segments, le prothorax, le mésothorax, et le métathorax notés couramment T1, T2 et T3, les segments T2 (meso-) et T3 (meta-) portent généralement une paire de pattes et une paire d’ailes et le segment T1 porte uniquement une paire de pattes. Comme c’est super clair, vous avez même pas besoin du schéma suivant, mais je le mets quand même:
[Le thorax se compose de 3 segments (prothorax, mésothorax, métathorax), 3 paires de pattes et 2 paires d'ailes y sont fixées.]
Du coup vous pouvez quand même comprendre que, sachant qu’aucun insecte actuel ne porte d’appendices sur T1, les braves entomologistes qui postulaient que le casque des membracides est un appendice du segment T1 étaient la risée de leur communauté scientifique.
2) le casque est relié au pronotum par une jonction articulée. En effet, si le casque était une extension du pronotum comme chez le tigre du platane Corythucha ciliata (ben quoi, y’a bien le tigre du Bengale…), voici ce que l’on observerait en coupe histologique:
(Coupe histologique du pronotum de Corythucha ciliata, Prud'homme et al, 2011)
On voit dans le rectangle rouge que le type d’articulation entre le casque et le pronotum est de la même nature que l’articulation entre l’aile et le mesothorax du même animal. Et c’est bien différent de ce qu’on observe pour une extension du pronotum!
(Coupes histologiques de Publilia modesta à travers le segment T1 et T2, Prud'homme et al., 2011)
Victoire, on a accumulé assez de preuves pour considérer raisonnablement que le casque est un appendice du pronotum. Maintenant la question c’est: S’agit-il d’un tout nouvel appendice, une innovation évolutive venue de nulle part? Ou s’agit-il d’un appendice modifié?
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