« Sommes-nous vraiment mieux lotis que les papillons ? Larves, ne sommes-nous pas privés de regard et de parole, étouffés dans la masse de nos formes embryonnaires ? Et pourtant déjà fantômes, bientôt revenants (larvae), puisqu’on s’apprête à nous donner un nom et un prénom que des morts, bien avant nous, avaient portés ? Chrysalides, ne sommes-nous pas privés d’expérience et de sagesse, étouffés dans nos langes ou nos malaises d’enfants ? Et pourtant déjà spectres de cette origine qui nous traverse, nous revêt et nous habite entièrement ? Imagos, ne sommes-nous pas privés du choix de changer de peau – de forme, de couleur – étouffés dans les savantes symétries de notre belle parure ? Et donc déjà voués à servir de trophée, de représentation, d’ancêtre transfixé, pour ceux qui voudront bientôt nous utiliser comme fantômes, transmettre notre nom à leurs petites larves, e così via… ?
Certes l’imago – le papillon adulte – vole [...] Cela dure un jour ou deux : courte vie. Le troisième soir, il s’exalte pour de bon devant la clarté aveuglante d’une ampoule pendue au plafond – sa dernière vérité, son absolu – et il meurt. » (Phalènes, p. 165)
Georges Didi-Huberman, Phalènes, Essais sur l'apparition, 2, Les Editions de Minuit, 2013, p. 165
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