[De la littérature]
"Déjà elle était présente dans l'enfance, et la conduisait, alors même que l'enfant ignorait qu'il y eût seulement une littérature, se contentant de savoir qu'il y avait des livres, et de se porter vers eux avec une passion aveugle, jusqu'à étourdissement et exténuation de la conscience vigile. Car l'enfant, l'adolescent, le jeune homme, l'homme mûr et le vieil homme aussi, poussés par une injonction indiscutable, à peine audible et toutefois clamante, proférée dans l'obscurité de la conscience, ne firent que courir de livre en livre, compulsivement, insatiablement, dans toutes les directions de tous les temps de la culture et du savoir, comme des fous en déroute ou des illuminés insatisfaits, cherchant une manière de trace, de témoignage, de parole ultime, de mot manquant, de solution d'énigme, de sens à l'absence. Et la littérature n'était pas autre chose : la sphère supérieure dans l'infinitude et l'inépuisabilité de laquelle l'être cherchait son lieu et la réponse à la question de son existence [...] il n'a pas renoncé à la tremblante attente qui le tient à l'orée d'un texte – ancien ou contemporain, poème ou roman, réflexion d'un philosophe ou méditation d'un spirituel. Il oublie ce qu'il lit, ce qu'il a lu, à mesure qu'il le lit, dès qu'il l'a lu. Dans cette quête parfaitement subjective et intuitive il est tout à fait incapable de dégager le sens de sa démarche : il est seulement saisi par l'irruption de l'intelligence et de la beauté, au hasard de la rencontre du texte. Il n'a pas d'autre méthode que celle du cœur prêt à s'enthousiasmer, et celle du désir qui ne recule devant aucune chance d'identification
Claude Louis-Combet, De la littérature dans sa hâte in L'homme du texte, José Corti 2002, p. 257.
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