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Dans «Mon Cœur», pièce créée à partir de rencontres avec différentes victimes du médicament coupe-faim, Pauline Bureau relie le désastre sanitaire révélé en 2010 à ses préoccupations féministes.
«Mon cœur» ou cette manière un peu mièvre d’appeler son conjoint. Mais aussi «mon cœur», comme dans la phrase au souffle court : «C’est mon cœur, docteur.» Sur scène, les personnages ont d’autres mots. «Dites, Irène, vous avez toujours ses valves, à M. Lemonier ? Servier demande une nouvelle analyse.» On imagine mal la cruauté de l’affaire du Mediator quand on n’a pas rencontré, comme l’a fait la metteuse en scène Pauline Bureau, ces personnes sommées par les experts d’apporter «le matériel» - l’organe de leur parent décédé, trimballé dans une petite mallette.
Avec Mon Cœur, Pauline Bureau met sur scène le scandale du Mediator, cet antidiabétique utilisé comme coupe-faim. Plus de 5 millions de Français y ont eu recours pour perdre du poids et le médicament a fait plusieurs centaines de morts en France - 2 000, selon Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui a révélé en 2010 le lien entre le médicament et de graves pathologies cardiaques.
Formules maléfiques Il y a quelques mois déjà, ce scandale sanitaire inspirait un film à Emmanuelle Bercot. Irène Frachon y était campée en Erin Brockovich du monde pharmaceutique, héroïne moderne affrontant seule les laboratoires Servier (lire Libération du 23 novembre). C’est aussi parce qu’elle cherchait à «représenter des rôles féminins forts» sur scène que Pauline Bureau décide de rencontrer la pneumologue. Frachon lui dresse une liste des victimes qui pourraient parler - des femmes surtout, et aussi quelques hommes. «J’ai téléphoné au hasard des noms, dit la metteuse en scène, rencontrée au premier jour de ses répétitions au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris (Xe). Je m’étais fixé une règle : à partir du moment où j’appelais, j’y allais.» Elle part à Marseille, file à Cavaillon, gagne Quimper, rejoint Lille… On lui parle douleurs, poitrines balafrées, angoisses. La femme forte qu’elle cherchait à mettre en scène, finalement, ce sera la victime. «Une victime exemplaire, faite d’un peu de chaque cas que j’ai rencontré», dit Pauline Bureau.
Sur scène, il y a donc le personnage de Claire Tabard. Créature couturée de ces mille confidences faites à l’auteure. Toute jeune mère qui dit à sa médecin traitante : «Je ne savais pas que mon ancien corps, je le laissais sur la table d’accouchement.» Elle ne perd pas les kilos accumulés pendant la grossesse, ce n’est pas normal, elle est en retard, la médecin le note : «Vous savez ce qu’on dit : "Neuf mois pour faire, neuf mois pour défaire." Il suffit de faire un tout petit peu attention.» Claire Tabard sait bien ce qu’on dit, c’est d’ailleurs le problème. Elle sait ce qu’une femme est censée faire, ce qu’elle est censée être. «La pièce traite avant tout des normes physiques imposées et de tout ce qu’on fait pour être aimable», dit Pauline Bureau. La médecin prescrit du Mediator. Claire Tabard avale les pilules.
Mon Cœur égrène les saynètes. Le test d’effort chez le médecin. L’opération à cœur ouvert. L’enfant qui sort les tripes de son lapin en peluche. Les rouages de la commission d’indemnisation. Une simplicité de conte sans fée. «A Blanche-Neige aussi, on a voulu arracher le cœur», dit la metteuse en scène. Une femme empoisonnée est gagnée par une fatigue incessante. Des formules maléfiques sont transmises de femme en femme - «Si t’es pas jolie, sois polie !» Même si elle se défend de la tentation manichéenne (le doux avocat de Claire Tabard est en effet un homme), il est beaucoup question de femmes combatives et d’hommes experts, lâches ou butés, parfois réduits à de métalliques voix off.
Questionnements têtus «Le Mediator, les prothèses PIP, la Dépakine… les scandales sanitaires récents touchent souvent des femmes, vous avez remarqué ?» Pauline Bureau a fondu le matériau recueilli lors de son enquête dans le creuset de ses questionnements têtus. Quand elle monte Modèles, en 2011, qui dissèque la construction de l’identité sexuelle et sociale des femmes, elle découvre qu’elle a la possibilité «d’avoir une écriture au théâtre qui [lui] appartienne». Une écriture qui aurait «une origine» et une préoccupation : elle est une femme. «Modèles était le fruit d’une écriture collective avec les actrices. On s’est rendu compte que nos angoisses, qu’on pensait si intimes, étaient finalement si partagées qu’elles en devenaient politiques. Qu’il y avait des choses - avoir ses règles, être dotée d’un corps extrêmement évolutif - dont on ne voyait jamais la trace dans les textes qu’on lisait.» Dans Mon Cœur, un personnage dit aussi :«Si ça avait été des hommes, des cadres de la Défense mourant par milliers, en entendrait-on davantage parler ?» Le Mediator a surtout tué des femmes ayant une image abîmée d’elles-mêmes. «La pièce soulève la question de l’estime de soi et de la valeur que les autres vous donnent - c’est le but du droit des victimes : donner un prix à la vie, commente Pauline Bureau. Deux mille morts ! Et le Mediator n’est jamais devenu un enjeu politique. C’est peut-être pour ça que les artistes s’en emparent aujourd’hui.»
Que dit-on de plus sur une affaire comme le Mediator quand on en fait du théâtre ? On dit d’abord moins. Un temps, Pauline Bureau a été submergée. Par l’émotion (c’est encore le cas), par la peur de trahir, par l’abondance du matériau amassé : témoignages, comptes rendus de l’Agence française de sécurité sanitaire, rapports parlementaires… La première version de la pièce durait quatre heures - elle en fait aujourd’hui moitié moins. «Il y a finalement peu de texte dans le spectacle. Avec les membres de la compagnie, on a découvert à quel point les images étaient fortes : le blanc éblouissant du rideau pendant l’opération, Claire Tabard, seule face à une tablée d’experts dont elle ne sait pas - et nous non plus - qui est qui.» Pas de longs monologues restituant la parole des victimes. Pas de diffusion d’archives. Mais des «petits bouts de réel» enchâssés dans le récit - des mots de malades, un extrait de l’audition d’Irène Frachon devant les sénateurs.
Aux experts, Claire Tabard dit que depuis l’opération, elle a du mal à dormir. L’avocat approche un micro de sa poitrine. Alors retentit le tic-tac mécanique des valves artificielles. Puissant, machinal. Ce son, c’est une (vraie) victime du Mediator qui l’a envoyé, pièce jointe à un mail, à Pauline Bureau. La metteuse en scène a intégré dans son texte le titre du message : «Le bruit que font les valves le soir au fond du lit.» L’expéditeur avait aussi rédigé un court commentaire : «Je pense que c’est assez théâtral, non ?»
Sonya Faure
Mon Cœur texte et m.s. Pauline Bureau Bouffes du Nord, 75010. Jusqu’au 1er avril. Rens. : www.bouffesdunord.com/fr Puis les 5 et 6 avril à Marseille (13), le 21 à Chatillon (92), le 25 à Cavaillon (84), le 28 à Chevilly-Larue (94), le 12 mai à Herblay (95), les 16 et 17 à Brest (29).
Photo : «Mon Cœur» aux Bouffes du Nord. Photo Pierre Grosbois
photo E.Bauer La lauréate du prix Nobel Elfriede Jelinek a écrit Die Schutzbefohlenen en 2013, en réaction à la situation toujours plus navrante des réfugiés en Europe. Pour Jelinek, le réfugié est la figure par excellence qui permet de sonder le climat actuel de l’Europe et de mener la discussion sur les valeurs et normes, la place de la religion, la responsabilité de la politique. Se référant à l’œuvre classique d’Eschyle, Les Suppliantes (Die Schutzflehenden en allemand), Jelinek donne une voix aux demandeurs d’asile et d’une plume trempée dans le vitriol, elle met à nu le cynisme et le racisme latent de la politique européenne.
Son texte peut assurément être qualifié de prophétique : avec une précision glaçante, elle évoque – des années avant les faits – toutes les images qui se sont entre-temps gravées sur notre rétine, allant de petits cadavres d’enfants noyés à de lugubres cargaisons de camions frigo. Le véritable protagoniste des pièces de Jelinek paraît être le langage lui-même : Jelinek s’intéresse moins au dialogue classique qu’aux textes des chœurs et aux annonces des messagers qu’elle trouve dans la tragédie grecque. La perspective est le plus souvent celle du réfugié, mais parfois aussi celle de l’Européen blanc apeuré. Comme si Jelinek allongeait la société capitaliste sur le divan du psychanalyste et la laissait parler.
Cette création de Guy Cassiers sera chorégraphié par la française Maud Le Pladec. Le spectacle sera créé en mai 2017 au Kaaitheater de Bruxelles.
Die Schutzbefohlenen Mise en scène de Guy Cassiers dramaturgie Tom Kleijn Avec Abke Haring, Katelijne Damen Chorégraphie de Maud Le Pladec
En grande forme, Stéphane Braunschweig démêle les lianes de « Soudain l’été dernier ».
Pour un peu, la jungle envahirait la salle, les lianes s’enrouleraient autour des spectateurs pour les étouffer lentement et les plantes carnivores avanceraient leur gueule rouge et avide pour les avaler et les digérer dans la macération lente de leurs sucs… C’est sur ce décor luxuriant et surprenant que s’ouvre Soudain l’été dernier, qui voit Stéphane Braunschweig revenir en grande forme : le nouveau patron de l’Odéon-Théâtre de l’Europe signe sa meilleure mise en scène depuis longtemps, pour son premier spectacle en tant que directeur de la prestigieuse maison.
La première surprise, c’est de voir Braunschweig s’attaquer, avec Tennessee Williams, à un répertoire qui, a priori, n’est pas du tout son genre de beauté, lui qui est un familier des dramaturgies nordiques et minimalistes. Mais ce déplacement lui réussit, et réussit à ce cher vieux Tennessee qui, décapé des clichés poisseux qui lui collent à la peau – grâce, aussi, à la nouvelle traduction que signent Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier –, tient sacrément bien la route, en tant que dramaturge.
Disons tout de suite, pour couper court, que le spectacle de Stéphane Braunschweig n’a rien à voir avec le célèbre film de Joseph Mankiewicz, que d’ailleurs Williams n’aimait pas. Il faudra donc oublier le maillot blanc d’Elizabeth Taylor et le regard douloureux de Montgomery Clift, pour plonger dans la jungle intime de Tennessee Williams, telle qu’on la redécouvre ici. Comme dans La Ménagerie de verre, tout l’écrivain américain est là : la mère dévoratrice, la sœur fragile et sacrifiée, l’homosexualité cachée, et surtout l’hypersensibilité d’êtres qui vacillent parce qu’ils captent la sauvagerie du monde, plus que d’autres, ceux qui sont dotés d’une carapace.
Un monde riche et blanc
Tout commence donc dans ce fameux jardin « qui ressemble plus à une jungle tropicale », écrit Williams dans la longue didascalie qui ouvre sa pièce. « Les couleurs de ce jardin-jungle sont violentes, poursuit l’auteur. Il y a de grandes fleurs poussant sur des arbustes qui suggèrent des organes arrachés à un corps et encore luisants de sang frais. Il y a des cris stridents, des sifflements aigus et des bruits d’ailes qui fouettent l’air comme si le jardin était habité par des bêtes fauves, des serpents, des oiseaux, tous à l’état sauvage… »
Et de fait le jardin est habité par ces bêtes sauvages que sont les hommes, à commencer par Mrs Venable, la maîtresse des lieux. Soudain, l’été dernier, son fils, Sébastien, un jeune poète – plus si jeune, en fait, et pas si poète –, est mort, dans un pays lointain et dans des circonstances mystérieuses et atroces. Seule l’accompagnait sa jeune cousine, Catherine, qui, à la suite de ce qu’elle a vu, est devenue folle.
LA PIÈCE PREND EXPLICITEMENT LA FORME D’UNE PSYCHANALYSE
Quelle est cette vérité que Mrs Venable ne veut pas voir, et qui se révélera peu à peu, grâce au jeune psychiatre, le docteur Cukrowicz (« sucre », en polonais), que la mère carnassière a pourtant fait venir pour lobotomiser la jeune Catherine ? La pièce prend explicitement la forme d’une psychanalyse, laquelle partage avec le théâtre le sens du suspense et des vérités progressivement et douloureusement révélées.
Mais on est loin de la lourdeur psychologisante qui a souvent empoissé les mises en scène de Tennessee Williams. C’est le théâtre qui travaille ici, avec des personnages riches, complexes, profondément humains, et les relations, emmêlées comme des lianes sauvages, qui les lient. Et Stéphane Braunschweig démêle, avec son intelligence calme et lumineuse, les fils de la jungle.
Alors on comprend ce qui l’a attiré dans cette pièce, quand Soudain l’été dernier prend le tour d’une plongée dans un inconscient collectif, celui d’un monde blanc et riche, qui a dévoré l’autre, et craint d’être à son tour dévoré par lui. On ne saura jamais si la longue vision de Catherine, extirpant de sa mémoire le récit de la mort de son cousin, est un fantasme, ou une réalité.
Deux actrices fabuleuses
Il n’est pas important de le savoir, puisque c’est bien le mélange indissoluble de fantasme et de réel dans nos vies que Williams fait macérer dans sa cuve comme un vieil alcool. Et, sur ce terrain, Stéphane Braunschweig s’avance avec toute la finesse qui est la sienne, jouant avec les représentations anciennes et actuelles. En faisant jouer le docteur Cukrowicz par un jeune acteur noir, Jean-Baptiste Anoumon, par exemple, il suggère à la fois que notre monde n’est plus celui, encore directement ségrégationniste, de Williams (la pièce a été écrite en 1958), mais qu’il est toujours tributaire de représentations issues du passé.
Et puis son spectacle est porté par deux actrices fabuleuses qui, pour n’être pas connues du grand public – juste parce qu’elles se vouent exclusivement à l’art du théâtre –, n’en sont pas moins dignes d’Isabelle Huppert. Luce Mouchel, dans le rôle de Mrs Venable, sait en faire juste ce qu’il faut, à l’image des stars du Hollywood de la grande époque. Quant à Marie Rémond, dans le rôle de Catherine, elle est tout simplement extraordinaire. Avec son jeu d’une intensité sans pareille, elle est comme un petit soldat halluciné, dressé pour, coûte que coûte, jeter la vérité sur la table : crever l’abcès, seule solution pour sauver un monde qui ne s’est pas vu pourrir jusqu’à la moelle.
Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams (traduit par Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, éd. L’Avant-Scène théâtre, 98 p., 14 €). Mise en scène : Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris-6e. Tél. : 01-44-85-40-40.
Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures, jusqu’au 14 avril. De 6 à 40 €. Durée : 1 h 35. Puis au Théâtre du Gymnase, à Marseille, du 25 au 29 avril, et au Piccolo Teatro de Milan, du 11 au 14 mai.
Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, a donné son agrément à la proposition unanime du jury de nommer Sandrine Mini à la direction de la scène nationale de Sète et du Bassin de Thau, en plein accord avec François Commeinhes, président de la Communauté d’agglomération de Sète et du Bassin de Thau, Kléber Mesquida, président du Conseil départemental de l’Hérault, Carole Delga, présidente du Conseil régional d’Occitanie, et René Spadone, président de l’association.
Sandrine Mini propose pour la scène nationale un projet ambitieux, à l'écoute de la diversité des parcours des artistes et des publics. Son projet laisse place aux acteurs de la scène artistique régionale et prévoit un pôle de création et de diffusion dédié au jeune public.
Sandrine Mini aura à cœur de renforcer l’empreinte de la scène nationale dans la région, en organisant dans l’espace public des communes de l’agglomération un événement annuel autour du cirque, de la danse, de la musique et des arts plastiques.
Sandrine Mini a précédemment dirigé la scène conventionnée « Le Toboggan » à Décines de 2014 à 2016, après avoir été successivement attachée culturelle à l’Ambassade de France à Rome et directrice des publics et du développement au Musée national Picasso.
La ministre tient à saluer Yvon Tranchant qui, tout au long de sa carrière, a œuvré au soutien aux artistes et à leur rencontre avec les publics.
Rêverie radiophonique qui part de l'intime pour se déployer dans un bruissement de voix de femmes, et interroger le féminin. À la manière d'un rêve qui associerait des fragments épars d'images et de sensations : explorer l’identité, une et multiple à la fois.
Celles qui me traversent• Crédits : Emmanuel Rioufol de Sophie Berger, réalisation Lionel Quantin
Il y a d’abord le souvenir de cette petite fille et de sa mère au volant d'une Deux-Chevaux. Toutes les deux roulent sous un ciel bleu, dans la chaleur de l'été. Presque rien. Le souvenir de cet instant hante pourtant la mémoire de la petite fille devenue femme. Qui est cette enfant ? Qui est-elle au fond de moi et combien d'autres en moi ? Combien sont-elles?
Celles qui me traversent propose une rêverie radiophonique qui part de l'intime pour se déployer dans un bruissement de voix de femmes, et interroger le féminin. À la manière d'un rêve qui associerait des fragments épars d'images et de sensations : explorer l’identité, une et multiple à la fois.
Qu’est‐ce qu’une femme, y a-t-il un Féminin ? Et derrière un visage de femme – dans ces strates qui la constituent, ces figures qui la traversent, cette mémoire inconsciente – y a‐t-il d’autres visages ? Quels visages ? Je n’ai pas de réponse à ces questions, mais je sens intuitivement qu’une femme, est un être, ou mieux un système complexe, traversé parfois par des tropismes qui l’oblige à affronter des zones d’ombre. L’autre en soi est toujours soi, et pourtant autre. Anne Théron.
avec les voix de :
Anne Théron auteure, réalisatrice et metteure en scène
Florence Baschet compositrice
Aurélia Georges cinéaste
Elizabeth Prouvost photographe
et Lydie Salvayre écrivain
merci à Sylvain Robine et Quelen Lamouroux
Composition originale Sophie Berger
Cette création a été réalisée en écho au spectacle du même nom créé le 9 mars 2017 à l'Avant-Scène – Cognac, Scène Conventionnée Danse. Ce spectacle de Anne Théron (Compagnie Les Productions Merlin), est interprété par les danseuses Julie Coutant et Akiko Hasegawa.
sur le spectacle :
"Celles qui me traversent", est un poème chorégraphique qui développe une parole de l’intime, au croisement du rêve, de la mémoire et de la fiction, articulée autour de quelques vocables qui sont tels des « attrape-fictions ». Les femmes qui parlent sont filmées en très gros plan, fragments de visages intégrés à des monochromes de peaux, projetés sur un écran en cheveux, tandis que deux danseuses, chacune comme excroissance mais aussi intériorité de l’autre, évoluent sur le plateau, en contrepoint ou en résonnance aux images, aux voix et aux sons qui traversent leur espace. L'ambition de ce spectacle est que les corps, les images et les paroles se rejoignent et écrivent un Féminin imaginaire sur un mode poétique, un mode qui convoquerait l'invisible.
prochaines dates de tournées :
Le 21 mars 2017, au Grand R, Scène Nationale de La Roche-sur-Yon (85) Les 4 et 5 avril 2017, à POLE SUD, CDC de Strasbourg (67) Du 4 au 6 octobre 2017, à La Filature, Scène Nationale - Mulhouse (68) Site de la compagnie Les Productions Merlin
Par Amelie Blaustein Niddam dans Toutelaculture.com
Après avoir incarné Proust aux Bouffes du Nord, Yves Noël Genod nous offre, en guise de fête d’anniversaire pour les 20 ans du Festival Étrange Cargo, un contrepoint performatif au texte : La Beauté contemporaine qui apparaît comme une déclaration d’amour formelle à Albertine.
Yves-Noël Genod a deux grands axes de travail : l’écoute de lectures de textes et la tension dramatique que provoquent les apparitions et les disparitions de ses personnages. Ces deux grandes lignes se retrouvent sur une seule route : celle des lieux extra-ordinaires. A la Ménagerie de verre il est chez lui. La dernière fois c’était en 2013 pour Un petit peu de Zelda. En 2012, il créait les images indélébiles de Chic by accident. En regardant la première image de La Beauté Contemporaine on pense qu’elle va rester, comme le garçon au voile pailleté de 1er avril, comme la cigarette d’Alexandre Styker dans Je pense à vous personnellement. Cela pourrait être un jeu même : quelle est l’image la plus forte que vous garderez de ce Genod-là ?
On a oublié de vous dire quelque chose d’important, ce metteur en scène, lecteur, auteur, comédien créé des spectacles tout le temps, mais des spectacles éphémères, ce qui les rend précieux et chics. Genod provoque l’accident et le surgissement de la beauté, il est le roi du genre. Reprenant ce principe « accumulatoire » et dispersif qu’il maîtrise à merveille, il fera surgir de son costume de magicien littéraire un jeune homme en slip noir qui pose, une diva black qui chante, un danseur de disco sous acide… peu importe.
Répondons à la question car la réponse est la clé du spectacle. L’image la plus forte est pour nous celle une jeune femme en académique fleuri American Apparel qui devient Albertine, au centre d’un cercle de mecs qui sont avec elle comme des abeilles autour d’un pot de miel. La belle brune lit des extraits de À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Quelques minutes avant Yves-Noël avait lu ce passage assit dans le public :
« Chacune de ces Albertine était différente comme est différente chacune des apparitions de la danseuse dont sont transmutées les couleurs, la forme, le caractère, selon les jeux innombrablement variés d’un projecteur lumineux » .
Là se niche l’essence même de ce spectacle dont l’objectif est de partir, de façon sensorielle à la recherche du temps perdu. Comment le récupérer ? Comment faire l’expérience du temps qui file ? Proust a la réponse plus loin dans le même passage : « C’est peut-être parce qu’ étaient si divers les êtres que je contemplais en elle à cette époque que plus tard je pris l’habitude de devenir moi-même un personnage autre selon celle des Albertine à laquelle je pensais : un jaloux, un indifférent, un voluptueux, un mélancolique, un furieux, recréés, non seulement au hasard du souvenir qui renaissait, mais selon la force de la croyance interposée pour un même souvenir, par la façon différente dont je l’appréciais ».
Et Yves-Noël obéit en mettant sur scène, comme s’il exposait les corps dans un musée : « un jaloux, un indifférent, un voluptueux, un mélancolique, un furieux » et des femmes aussi, blanches, noires, asiatiques. Il y a cette volonté de montrer toutes les beautés dans leur diversité. La lumière de Philippe Gladieux qui passe du noir au rose puis au bleu, sublime les silhouettes en les rendant plus belles. Sa lumière (sur ce spectacle il travaille aussi avec Iannis Japiot) vient aussi révéler la fragilité du « plateau » de la Ménagerie, aplat de béton qui justement n’est pas plat. Il en offre les vagues comme une symbolique supplémentaire de la jeunesse, fragile et captivante.
La direction d’acteurs parfaite d’Yves-Noël rend les gens beaux. Il fait ça Yves-Noël, il rend les gens beaux, de la même façon que Pina Bausch rendait ses danseuses immenses.
La beauté comme réponse au temps perdu, qui bientôt se fondra dans la mousse, celle des boîtes de nuit des années 2000, vient ramener Proust dans le réel. C’est comme si ici, il s’agissait de faire l’expérience de Proust, sans (ou presque) le lire. Les questionnements de l’amoureux d’Albertine deviennent des errances fulgurantes, dont chacune mériterait de devenir un tableau. Belle idée.
La comédienne Corinne Jaber rend un vibrant hommage en paroles et en cuisine à un pays meurtri
ZOOM Corinne Jaber dans, O mon doux pays, de Corinne Jaber et Amir Nizar Zuabi / Mario del Curto
O mon doux pays, de Corinne Jaber et Amir Nizar Zuabi
Théâtre du Soleil (petite salle), Cartoucherie de Vincennes, à Paris
Une femme, seule, dans sa cuisine. En direct, elle prépare de la kebbeh (voir la recette plus bas) – des boulettes orientales en forme d’obus, à la viande qui saigne et que l’on malaxe… Tout en s’affairant, elle se retourne sur son passé, évoque sa rencontre avec un opposant syrien, dans un café. Ils ne tardent pas à s’aimer. Mais un jour, l’homme lui annonce son retour impératif en Syrie. Elle attend son retour. Puis décide de la rejoindre. Commence alors, pour elle, un long périple qui l’entraînera jusque là-bas, avec des haltes au Liban et en Jordanie.
Elle parle. Sans cesser de cuisiner, elle parle. Dit les peurs, la douleur, l’horreur de ce qu’elle entend, de ce qu’elle découvre. Dit, aussi, les instants de bonheur, quand les forces de vie se révèlent plus fortes que la mort…
C’est « Oh Mon doux pays », de Corinne Jaber. Au vu de l’actualité syrienne, certains jugeront le titre ironique. De plus, ne reprend-il pas la formule affichée sur le tee-shirt de l’épouse de Bachar Al Assad lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, un an après le début de la révolte contre le tyran de Damas ?
Il faut plutôt l’entendre comme un hommage vibrant, un cri d’amour lancé par comédienne française d’origine germano-syrienne. envers une terre qui est profondément la sienne, bien qu’elle ne l’ait connue que tardivement. Son père, ainsi qu’elle le précise, avait émigré en Allemagne dans les années 1960 et « avait coupé net avec cet État et le régime ». Il ne l’avait « pas du tout élevée en tant que Syrienne ou Arabe », ne lui avait transmis « ni la langue, ni la religion, ni la culture ».
Une guerre civile où il n’y a « rien de civil »
Il n’empêche. Comment n’aurait-elle pas été bouleversée par la tragédie qui semble ne devoir jamais finir dans ce pays ? Comment n’aurait-elle pas ressenti l’irrépressible besoin de témoigner, au théâtre, de cette « guerre mondiale localisée », cette guerre que l’on appelle « civile », alors qu’« il n’y a rien de civil dans tout ça. Rien de civil du tout ».
Des paroles de réfugiés
Fruit de paroles de réfugiés recueillies au Liban et en Jordanie par Corinne Jaber et le Palestinien Amir Niazar Zuabi – qui signe aussi la mise en scène –, le texte accorde évidemment toute sa place aux récits d’exactions, de tortures, de carnages… Ici, un quartier aux maisons brûlées avec leurs habitants ; là, des enfants assassinés parce qu’ils criaient dans la rue ; ailleurs, le massacre de malades et de blessés dans un hôpital ; plus loin, les attaques à l’arme chimique ; plus loin, encore, le champ de blé dévasté par un bombardement – « Pourquoi ? Pourquoi attaquer la terre ? C’est contre Dieu »…
À cent lieues de l’agit-prop ou du théâtre documentaire, « O mon doux pays » évite, avec une belle pudeur, toute outrance, toute complaisance.
Un acte de résistance à l’inhumanité
Porté par Corinne Jaber, aussi drôle, sensible, lumineuse, qu’elle peut se montrer grave, tragique, le spectacle se révèle, par instants, étrangement léger, voire d’une drôlerie salvatrice, ponctué d’un humour que certains appelleront politesse du désespoir, d’autres, ultime acte de résistance à l’inhumanité de l’humanité.
In fine, tandis que des carcasses de viande apparaissent dans le réfrigérateur ouvert, Corinne Jabert, achevant la cuisson de sa kebbeh qu’elle s’apprête à offrir au public, prévient : « Le moment est venu de ne rien dire. Il n’y a même pas besoin d’être choqué. Juste d’écouter l’huile qui grésille. Et priez que les gouttes qui giclent ratent le blanc de vos yeux ».
Le spectacle est accompagné de différentes rencontres liées à la Syrie, avec le concours du Théâtre de la Liberté de Toulon et l’association Souria Houria, sous le titre Lumières du Pays.
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La recette de la kebbeh de Corine Jaber
Faire revenir un gros oignon émincé finement, dans un peu d’huile. Y ajouter 375 g de viande hachée (moitié bœuf et moitié agneau), du sumak, du cumin, de la marjolaine, du sel et du poivre. Puis laisser refroidir. Mélanger 400 gr de boulgour fin, préalablement mis à tremper 20 minutesn dans l’eau tiède, avec, à nouveau 375 g de bœuf et d’agneau hachés, un oignon moyen coupé et réduit en purée, du sumak, du cumin, du sel et du poivre. Pétrir jusqu’à obtention d’une pâte homogène. Mixer pendant quelques minutes. Prendre un peu de cette pâte dans la main, en faire une boule. Pratiquer un trou avec le doigt. Le remplir trou de farce. Refermer la boule. Les kebbeh doivent avoir la forme de petits obus. Chauffer l’huile de friture dans une friteuse. Y plonger les kebbehs. Les faire cuire jusqu’à ce qu’elles soient dorées. Les éponger et les arroser de citron. Dégustez !
Arnaud Meunier poursuit son dialogue avec l’auteur italien Stefano Massini. Après les désordres économiques, ils abordent avec Je crois en un seul dieu le conflit israélo-palestinien.
Ce sont trois voix finissant par n’en faire qu’une que porte seule en scène l’actrice Rachida Brakni. Trois voix de femmes racontant le même parcours de trois points de vue différents, du quotidien au chaos. Ainsi, on entend Eden Golan, professeure d’histoire juive faisant partie des milieux de la gauche israélienne ; Shirin Akhras, palestinienne et étudiante à l’université de Gaza cherchant à devenir une martyre du Hamas ; et Mina Wilkinson, militaire américaine, membre des troupes qui prêtent main forte à l’armée israélienne dans les opérations antiterroristes, parler de leur quotidien, préoccupations et trajets.
Chacune exprime dans son intimité et ses convictions une facette de l’Etat d’Israël. Ce n’est qu’un récit déployé sur trois identités mais qui est presque totalement factuel, descriptif jusqu’à l’obsession pour éviter de prendre position – il n’y a pas de vie meilleure qu’une autre, il n’y a pas de point de vue qui ne puisse pas être entendu.
Dans un tableau d’Edward Hopper L’auteur Stefano Massini a souhaité que ses trois personnages ne soient joués que par une seule comédienne, et c’est à Rachida Brakni que le metteur en scène Arnaud Meunier a confié cette subtile trame textuelle où l’on passe d’une vie à l’autre presque sans s’en rendre compte. L’actrice excelle dans ces variations, jouant de la distance et des émotions avec art et ravissement, tout en tenue, scène après scène, tableau après tableau, remontant le compte à rebours de trois vies par des impressions et anecdotes, pour s’achever dans le même attentat, un soir dans un restaurant.
Aussi subtile et sobre que le jeu de l’actrice et la finesse du texte, la scénographie de Nicolas Marie invente un non-lieu à la croisée du bunker, de la rue et de la chambre, intime et public, secret et dangereux. La pièce est parfaitement éclairée, tout en dégradé de gris et de verts ; on a parfois l’impression de traverser une galerie de tableaux d’Edward Hopper.
Je crois en un seul dieu de Stefano Massini, mise en scène Arnaud Meunier, avec Rachida Brakni, du 14 mars au 9 avril au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe
Le traducteur, adaptateur et dramaturge Clément Camar-Mercier et le metteur en scène Thibault Perrenoud se sont associés pour déplumer « La Mouette » de Tchekhov de tous ses charmes, à commencer par celui de sa langue.
Alors que dans la salle du haut du Théâtre de la Bastille on peut assister à un spectacle d’une grande délicatesse, Doreen (lire ici), ça vole très bas dans la salle du bas où se donne un spectacle qui s’essuie les pieds sur une pièce de Tchekhov, la plus célèbre peut-être, celle qui sert d’emblème au Théâtre d’Art de Moscou : La Mouette. Un point positif tout de même : la scénographie éclatée, seul point qui rapproche ce bas bien bas du très haut spectacle du haut dont la scénographie est également éclatée mais avec plus de subtilité.
« Fait chier ! La campagne, mec »
Au début de la pièce, le vieux Sorine apparaît appuyé sur une canne auprès du jeune Constantin Treplev, fils de sa sœur, Irina Arkadina. C’est un homme âgé, souvent endormi, il n’aime pas la campagne mais, à la retraite, il ne sait où aller, alors il reste là dans le domaine familial. Tchekhov aime camper ces personnages âgés qui attendent que le temps passe.
Le voici qui entre et dit à Constantin : « Moi, mon ami, à la campagne, il y a quelque chose qui ne me convient pas et, de toute évidence, je ne m’habituerai jamais ici. » C’est la traduction d’Antoine Vitez. Lequel parlait russe et avait traduit la pièce pour la mettre en scène. Dans la salle du bas du Théâtre de la Bastille, cette réplique devient : « Fait chier ! La campagne, mec, je sais pas : c’est pas ça. ». Clément Camar-Mercier est le signataire du texte français, de l’adaptation et de la dramaturgie du spectacle. Il se présente comme un homme libre (de faire n’importe quoi, note du journaliste) : « J’aime penser qu’une adaptation libre peut aussi être une traduction fidèle. » A chier plutôt (restons dans l’ambiance).
Et tout le reste est à l’aune de cette réplique. Comme si le texte de Tchekhov était malléable à merci. C’est du détournement de fond. Ajoutons que le traducteur ne parlant pas russe n’a pas cherché un collaborateur qui aurait pu lui faire entendre la langue de Tchekhov dans le texte, non, il est parti d’une traduction anglaise, « comme cela se fait souvent », précise-t-il sans vergogne dans le programme en racontant n’importe quoi.
De Constantin à Constant
Ma voisine qui s’emmerdait ferme (restons dans le ton) tenait le programme ouvert sur ses genoux et je l’ai donc lu pendant le spectacle – ce que je ne fais jamais – tant j’avais mal aux yeux et aux oreilles. Clément Camar-Mercier, péremptoire, ajoute encore « il faut aussi parfois savoir embrasser la beauté ». Ben voyons. Entre la prétention et la bêtise, je choisis les deux.
En accord avec le metteur en scène Thibault Perrenoud, le traducteur-adaptateur-dramaturge a francisé les noms et actualisé les situations en les transposant dans l’hexagone. Constantin devient Constant, Piotr Nilolaïevitch Sorine devient Pierre, etc.
Abandonnant la lecture énervée du programme, j’essaie de revenir au spectacle. Constant (donc) se prépare à donner sa première pièce dans le jardin de la propriété, au bord du lac. Il a construit un théâtre (ici un tas de terreau ) et devise avec Sorine, pardon, Pierre :
« Pierre - Mais ! Mais nous avons besoin du théâtre !
Constant - Mais oui ! On aime le théâtre ! Bravo le théâtre ! Bien sûr. Mais il faut des formes nouvelles. Des formes nouvelles. Et sinon : rien. »
Comme cela sonne mal ! De retour à la maison, j’ouvre la traduction de Vitez :
« Sorine. On ne peut pas se passer de théâtre.
Constantin Treplev. Il faut des formes nouvelles. De nouvelles formes, oui, et s’il n’y en a pas, mieux vaut rien du tout. »
« Cerner l’âme du poète »
A quoi bon cette gymnastique, ce « bravo le théâtre ! » tarte à souhait. Le parti pris de la francisation tourne, lui aussi, au ridicule. Irina Arkadina est devenue Irène et joue sur « les Scènes nationales », nous dit-on, etc. Le pompon, c’est l’histoire de la voiture. Dans la pièce, Chamraïev, l’intendant du domaine, refuse à Arkadina des chevaux d’attelage pour aller en ville, car les chevaux sont tous pris par les travaux agricoles. Arkadina s’emporte, Paulina, l’épouse de l’intendant, est au désespoir. Dans la version de Clément Camar-Mercier, les personnages de Chamraïev et de Paulina sont supprimés, les chevaux aussi puisque cela se passe aujourd’hui. Alors le traducteur se contorsionne et fait en sorte que la voiture (automobile), l’unique voiture soit celle de l’instituteur Semione devenu Simon. Ridicule. C’est sans doute par des sottises de ce type que le traducteur effectue ce qu’il nomme, en se mouchant du coude, « une tentative de cerner l’âme de l’auteur ». Et d’ajouter : « souvent monter un classique étranger en France revient juste à déplacer le texte à un autre endroit et à une autre époque. On fait Hamlet dans un bar, dans un stade, au sauna, au Club Med mais le texte ne bouge pas... Ce n’est pas très intéressant. » C’est pourtant ce qu’il fait. Mais lui, bingo, il fait bouger le texte. Bouge toujours.
Au quatrième et dernier acte, deux ans plus tard, Trigorine et Arkadina reviennent passer l’été au domaine. Entretemps, il s’est passé bien des choses. Constant(in) est devenu un écrivain célèbre. Il y a dans ce retour en train, toute la distance qui sépare les capitales (Moscou et Saint-Petersbourg) des lointaines provinces russes. Toute l’immensité russe passe là dans la réplique de Trigorine : « Je vous apporte le salut de vos admirateurs… A Petersbourg et à Moscou, on s’intéresse beaucoup à vous et on m’interroge sans cesse sur votre compte. » Chez l’homme qui fait bouger les lignes, cela devient : « Tous tes admirateurs te disent bonjour. On s’intéresse à toi partout et on veut savoir si je te connais, on me demande de parler de toi. » C’est plat, dépourvu de tout contexte, pas même la mention d’un Paris littéraire lointain. Et c’est ainsi que La Mouette perd ses plumes et finit déplumée.
Plaisir du hors-champ
La mise en scène de Thibault Perrenoud est à l’aune de cette traduction (qu’il a commandée) souvent vulgaire et criarde (je renonce à vous décrire la façon dont est traitée scéniquement la pièce dans la pièce de Treplev au premier acte). Les acteurs sont rarement à la fête. Marc Arnaud qui interprète le rôle de Boris Trigorine, pardon de Boris Trigorne, est celui qui s’en sort le mieux. Le point le plus intéressant dans la mise en scène est tout le travail effectué sur le off, le hors-champ. Et puis cela présente un avantage indéniable : les acteurs sont en coulisses, on ne les voit pas, on les entend de façon assourdie, c’est toujours ça de pris.
Le même tandem avait monté dans le même Théâtre de la Bastille un Misanthrope. Je suppose que c’était une traduction de ce français cacochyme du XVIIe en langage branché putain fais chier. Ce Misanthrope a connu deux ans de tournée. On prend les mêmes et on recommence : « monter La Mouette d’Anton Tchekhov avec la même équipe m’est apparu comme une évidence », note le metteur en scène. Je n’ai pas vu ce Misanthrope et j’avoue ne pas le regretter. En revanche, pour retrouver la fragile nudité du théâtre et des acteurs hyper sensibles, j’ai très envie d’aller revoir Doreen dans la salle du haut. Le théâtre, ça a parfois des hauts très hauts et des bas très bas.
Théâtre de la Bastille, La Mouette du 13 au 25 mars à 21h ; Doreen jusqu’au 24 mars à 19h30.
Jeudi prochain, à l’initiative du centre Pompidou, des personnalités issues des sciences politiques, des sciences sociales et du monde culturel apporteront leur regard sur la campagne. C’est ce que nous allons faire ce matin. Nous avions envie d’entendre la parole d’un artiste, homme de théâtre.
Depuis sa nomination en 2001 à la direction de la Comédie de Reims, Emmanuel Demarcy-Mota travaille à la démocratisation de la culture, et développe une croyance en un théâtre politique.
Je souhaite monter Albert Camus pour faire entendre une parole de résistance. De résistance face à la peur.
En ce mois de Mars 2017, il n'est donc pas étonnant de retrouver l'actuel directeur du Théâtre de la Ville de Paris à la mise en scène de L’État de siège, une pièce d'Albert Camus. Avec ce texte, c'est la révolte d'un homme qu'il veut montrer, et la nécessité de combattre la peur. Cette peur qui "amène à des comportements extrêmes". Une occasion de discuter avec lui de la place des arts et de la culture dans notre société, mais aussi en politique en cette période de campagne présidentielle.
L'Etat de siège, mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota est à Paris, à l'espace Pierre Cardin, jusqu'au 1er avril 2017. Puis en tournée.
Intervenants Emmanuel Demarcy-Mota : directeur du Théâtre de la Ville, metteur en scène
"L'Etat de siège" est l'une des pièces les plus méconnues d'Albert Camus, et pourtant elle reste d'une actualité brulante en ces temps de triomphe sécuritaire et de gouvernement par la peur. Écrite après la guerre, Camus entend y dénoncer le fascisme et tous les totalitarismes, mais cible surtout, à cette époque, la dictature de Franco. C'est d'ailleurs pour cela qu'il situe l'action en Andalousie du coté de Cadix. Une ville apparemment paisible, où tout semble figé est soudain plongée dans la terreur avec l'arrivée de la peste. Incarnée par un homme ambitieux, cette peste oblige à instaurer l'état de siège, ce qui apporte l'ordre, le contrôle et la surveillance. L'état de siège proclamé, la terreur s'installe. Jusqu'à ce que la révolte, incarnée par Diego, s'organise...
Evidemment, l'allégorie nous plonge dans les brumes du monde d'aujourd'hui, et celui de l'Etat qui sous couvert de protection ne fait rien d'autre qu'assiéger nos libertés. La pièce, en plus de sa dénonciation du totalitarisme, est aussi un violent réquisitoire contre la bureaucratie ("C'est pour les habituer à un peu d'obscurité. Moins ils comprendront, mieux ils marcheront.") Autant dire, que même rarement montée, l'oeuvre est pourtant d'une étonnante actualité. Ce sont justement ces intentions (et leur pertinence au regard de l'actualité) que nous détaillent le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota. A la fois Directeur du Théâtre de la Ville, et du Festival d'Automne, il monte ici sa pièce annuelle.
A voir à Paris, au Théâtre de la Ville, jusqu'au 1er avril 2017 et au Théâtre National de Bretagne du 25 avril au 6 mai 2017
Par Vincent Bouquet pour le blog "Du théatre par gros temps"
A certains égards, Soudain l’été dernier a la saveur des premières fois pour Stéphane Braunschweig : première pièce montée sous les ors du Théâtre de l’Odéon en tant que directeur, mais aussi premier texte de Tennessee Williams auquel le metteur en scène, plutôt coutumier de Pirandello et d’Ibsen, ose s’attaquer. Une nouvelle étape de sa carrière que l’homme de théâtre franchit aisément en délivrant une version de la pièce de l’auteur américain bien différente de celle du film de Mankiewicz. Volontairement allégorique, moins psychanalysante et, surtout, plus aiguisée.
Au cœur du jardin de son défunt fils Sébastien, peuplé de plantes en tout genre, Mrs Venable (Luce Mouchel) dresse le portrait de celui qu’il fut au Dr Cukrowicz (Jean-Baptiste Anoumon). Jeune neuro-chirurgien à l’hôpital public de Lyons View, il est en quête de subsides financiers pour poursuivre ses expérimentations – sérum de vérité, lobotomie, etc. – sur ses patients aliénés. Mais la riche veuve pose une condition à son soutien : l’internement dans sa structure de sa nièce par alliance, Catherine Holly (Marie Rémond). Seul témoin de la mort de Sébastien à Cabeza de Lobo l’été dernier, elle est soupçonnée par Violet Venable d’être la meurtrière de son fils. En cause : un récit du drame qui a paru si incohérent aux yeux de ses proches qu’ils ont décidé de l’enfermer dans un asile. Pris en étau, le Dr Cukrowicz va chercher à confronter leurs versions pour, enfin, faire éclater la vérité.
Une lutte à triple entrée
Au-delà des deux faces d’un même homme, ce sont bien deux mondes qui s’affrontent à travers ces deux femmes. Psychologiquement, d’abord, la frontière entre la folie et le réel s’estompe à mesure que la pièce avance : Catherine est-elle vraiment la plus psychotique des deux ou Mrs Venable est-elle, au contraire, enfermée dans un déni de réalité qui l’empêche de voir son fils tel qu’il était réellement ? Sociologiquement, ensuite, la richesse de Violet s’entrechoque avec la pauvreté des proches de Catherine qui sont prêts à tout pour faire exécuter rapidement le testament de Sébastien qui leur a légué 2 millions de dollars. Le tout sur fond de lutte sociale larvée dont la « plage municipale gratuite » de Cabeza de Lobo et l’hôpital public désargenté de Lyons View, méprisés par Mrs Venable qui revendique le snobisme de son fils, sont autant de symboles. Physiologiquement, enfin, la veuve – qui n’accepte pas de vieillir et d’être diminuée par une attaque cérébrale qu’elle nie – veut faire payer à Catherine son jeune âge qui lui a donné les moyens de la remplacer auprès de Sébastien.
En révélant cette complexité, Stéphane Braunschweig dévoile le côté incisif de Tennessee Williams. Volontiers logorrhéique, le propos de l’écrivain américain apparait cette fois, grâce au travail d’adaptation du metteur en scène, bien plus riche, polymorphe et tranchant que le pitch initial ne pouvait le laisser à penser. Dans ce très bel – quoi qu’effrayant – écrin organique, qui cède progressivement la place aux murs capitonnés d’une chambre d’isolement, la lutte entre les deux femmes, remarquablement interprétées par Marie Rémond et Luce Mouchel, devient particulièrement anxiogène et saisissante. Jusqu’à faire perdre la tête au spectateur qui, en récoltant quelques indices disséminés ça et là, pourra se forger son propre avis sur la vie et la mort de Sébastien. Stéphane Braunschweig laissant, à dessein, toutes les portes ouvertes pour que chacun détermine, en son âme et conscience, qui de ces deux femmes est la prédatrice et l’autre la proie.
Soudain l’été dernier de Tennessee Williams, mis en scène par Stéphane Braunschweig au Théâtre de l’Odéon (Paris) jusqu’au 14 avril, puis du 25 au 29 avril au Théâtre du Gymnase (Marseille) et du 11 au 14 mai au Piccolo Teatro (Milan). Durée : 1h35. ****
Remarquée pour son élégance visuelle, "les Témoins", la série d'Hervé Hadmar et Marc Herpoux, revient avec une saison 2 étoffée et salutairement torturée.
Les psychopathes qui croisent la route de Sandra Winckler, l'héroïne des "Témoins", sont des metteurs en scène qui s'ignorent : dans la première saison, l'inspectrice découvrait des cadavres gentiment installés dans des maisons témoins. Cette fois, quinze hommes sont retrouvés morts, congelés, dans un bus. Leur point commun : avoir aimé la même femme, incarnée par Audrey Fleurot. Avec son esthétique affirmée et son inclination travaillée pour le merveilleux, le duo de créateurs Hervé Hadmar et Marc Herpoux (le premier est scénariste, le second, également réalisateur) imprime sa patte, depuis dix ans, dans le paysage des séries françaises avec "les Oubliées", "Pigalle, la nuit", "Signature" ou "Au-delà des murs". Sur l'air plus classique du thriller, la saison 1 des "Témoins" a été un succès d'audience sur France 2. Plus longue, cette suite s'affranchit de la mécanique pour faire la part belle aux obsessions de ses auteurs.
La mère oublieuse
Marc Herpoux : "Après avoir exploré le caractère mortifère de la famille nucléaire, en saison 1, avec nos maisons témoins peuplées de macchabées, on s'est attaqué au tabou de la maternité… Le principe, c'est de confronter notre héroïne, Sandra Winckler (Marie Dompnier), inspectrice de son état, à enquêter - éventuellement à l'insu d'elle-même ! - sur ses propres parts d'ombre. On a su qu'on tenait cette saison 2 quand on a imaginé sa relation avec Catherine Keemer (Audrey Fleurot) et conçu leur duo comme une occasion d'explorer la complexité du lien maternel : Sandra est une mère dans le contrôle absolu avec ses enfants alors que Catherine, frappée d'amnésie, a littéralement oublié qu'elle en avait ! Cela en fait une figure assez inédite de la maternité sur nos écrans : libérée de ses responsabilités, elle trouble profondément Sandra.
La ramification d'intrigues se construit, jusqu'au dernier épisode, autour de la question de la parentalité, de l'éducation, du cadre, de la liberté. Comme toujours, cela devient intéressant quand on dépasse le manichéisme. D'ailleurs, dans cette saison, le seul qui croit dur comme fer au mariage est un authentique psychopathe !"
Saison 2 , là où tout commence
Hervé Hadmar : "Une série ne démarre vraiment qu'à la saison 2 ! Le vrai plaisir du genre est là, dans ce “Que sont-ils devenus ?”. On retrouve notre duo de flics, Sandra et Justin (Jan Hammenecker), dont on connaît la complicité et avec lesquels on a désormais un petit bout de passé commun. C'est un plaisir de jouer avec ces acquis, de mobiliser les codes qu'on a créés."
Marc Herpoux : "J'aime les effets d'ellipse, d'une saison à l'autre.
Prendre le train en marche, c'est toujours grisant en fiction ! On est obligés de carburer et cela génère de l'empathie pour ces personnages sur lesquels on projette nos propres esquisses de scénario.
Faire une suite offre aussi la chance de décliner un dispositif : à chaque saison, Sandra est amenée à se découvrir elle-même, via ses interactions avec un allié-adversaire, interprété par un “guest”. Après s'être émancipée de la figure paternaliste de Paul Maisonneuve (Thierry Lhermitte) dans la première saison, elle fusionne avec l'intrigante Catherine Keemer. Si on fait une saison 3, on déploiera à nouveau cette forme. Mais pour l'instant, on cherche encore un thème aussi fort. C'est la condition sine qua non pour qu'on continue."
"Thelma et Louise"
Marc Herpoux : "Je n'ai jamais oublié le choc ressenti devant “Thelma et Louise”, d'où l'envie d'un road-movie pour cette saison 2. Evidemment, on voulait des personnages féminins complexes et qui ont des combats à mener. Pour citer le test de Bechdel [inventé par l'auteure de BD Alison Bechdel pour juger du sexisme d'un film, NDLR], quand elles sont ensemble, ce n'est pas pour parler d'un mec mais pour traquer un tueur !"
Casting : des terriens et des lutins
Hervé Hadmar : "Sa pâleur, sa chevelure flamboyante, son visage de lutin… Audrey Fleurot semble tout droit sortie d'un conte. J'avais déjà pensé à elle pour la saison 2 de “Pigalle, la nuit” [finalement annulée avant le tournage, NDLR] , je savais qu'elle appartenait à notre monde. L'enchevêtrement du merveilleux et du réalisme doit aussi se ressentir dans la construction du casting. On a des personnages plus terriens comme celui de Justin, incarné par Jan Hammenecker - même s'il insuffle aussi sa dose de surréalisme ! Avec Marie Dompnier, qui m'a encore plus bluffé que la première fois, on a insufflé une ambiance de troupe : elle connaissait déjà Yannick Choirat, je suis allé le voir sur scène, chez Joël Pommerat, et il campe, dans cette saison, un méchant fascinant de magnétisme et de précision. Quant à Anne Benoît, qui avait déjà joué avec Marie au théâtre, elle a fait de son personnage d'adulte réfugié dans l'enfance une création poétique."
Huit épisodes ou la victoire des personnages
Marc Herpoux : "La première saison ne comptait que six épisodes et on s'est fait bouffer par l'intrigue. On était vraiment frustrés pour le personnage de Paul Maisonneuve : on avait écrit tant de choses sur lui que l'on n'a pas eu la place de mettre. Cette fois, on a stipulé dès le début qu'il nous fallait huit épisodes et France 2 a tout de suite accepté."
Hervé Hadmar : "Huit épisodes au lieu de six, cela change tout. Ce n'est plus l'intrigue qui mène la série mais les personnages. Ce sont eux les grands gagnants ! En même temps, la structure narrative gagne en complexité : on introduit, à la fin du quatrième épisode, un autre point de vue, celui du tueur lui-même ! Alors qu'en six épisodes, celui-ci ne serait apparu qu'à la fin, il aurait été l'objet de la quête et non l'un des pivots du récit. Cela change aussi les attentes du spectateur en matière de rythme : en six épisodes, on attend sans cesse un nouveau rebondissement qui viendra toujours trop tard…
Là, on a une chance de se laisser embarquer dans ce qui fait l'essence même d'une série : ces digressions, ces détails qui font l'épaisseur d'un personnage, ces saynètes humoristiques dont on se prive à coup sûr si l'on manque de temps.
Minotaure, éoliennes et autres mythologies
Marc Herpoux : "Ce glissement vers le conte est devenu notre marque de fabrique. Cette fois, on a travaillé sur le Minotaure, qui attend, dans son Labyrinthe, qu'on lui livre des enfants en pâture. Une figure patriarcale en contrepoint des figures maternelles…
Mais on tient aussi à territorialiser nos histoires, on cherche à s'ancrer dans notre réalité pour mieux révéler son potentiel fantasmagorique, l'extraordinaire à l'œuvre dans l'ordinaire, le merveilleux qui commence à l'orée d'un bois, le cauchemar qui surgit au détour d'un site de rencontres.
Hervé Hadmar : "J'avais en tête depuis longtemps l'image de corps retrouvés au pied de pylônes électriques ou d'éoliennes. Finalement, j'ai choisi les éoliennes pour leur côté organique et j'ai travaillé leurs sons comme des bruits d'animaux... Une façon de faire entendre le réel autrement pour faire exister nos monstres contemporains."
La religion du thriller
Hervé Hadmar : "Apparemment, on n'a rien trouvé de mieux pour exorciser nos peurs que de regarder des gentils combattre des méchants ! Pour ma part, j'ai un authentique plaisir à lire, à regarder et à écrire des polars, donc je m'amuse beaucoup à jouer avec ces codes, à citer “Seven” le temps d'une scène, à faire monter l'angoisse ou à imaginer des retrouvailles avec un grand méchant… dans un Flunch ! Mais c'est vrai qu'on manque de diversité dans les genres en France et qu'il est infiniment plus facile de vendre un thriller qu'une série de science-fiction."
Marc Herpoux : "Difficile de faire autre chose que du polar à la télé française ! On ne refera probablement pas de sitôt “Au-delà des murs” [mini-série fantastique diffusée à la rentrée 2016 sur Arte].
Le polar rassure tout le monde : c'est la certitude d'avoir une histoire avec une amorce, un développement, une résolution. Pour accéder à plus de diversité dans les sujets et les formes, il faudrait probablement accepter, comme en Angleterre, de segmenter l'audience.
Mais pour l'instant, en France, on cherche toujours à réunir le plus grand nombre devant le même programme."
Le showrunner est dans les détails
Hervé Hadmar : "Quand j'ai commencé à faire de la télé avec “les Oubliées” [en 2007, sur France 3], moi qui venais de la pub, j'ai tout de suite repéré qu'il manquait un corps de métier : le directeur artistique ! Dix ans plus tard, je vois encore trop de séries françaises dont les épisodes sont tournés par des réalisateurs différents, chacun avec leur style, sans unité visuelle. Il faut que tout soit cohérent de la première à la dernière image, du générique jusqu'au travail du son. Du coup, pour l'instant, je réalise la totalité des épisodes. Quoi qu'il en soit, il est nécessaire d'identifier quelqu'un qui se porte garant de cette exigence, qu'on l'appelle showrunner ou autrement. On en a encore eu la preuve en écoutant les acheteurs des 71 pays qui ont acquis “les Témoins” : il faut une identité esthétique affirmée pour s'exporter."
Mercredi 15 mars à 20h55 sur France 2. "Les Témoins" (1 et 2/8), réalisé par Hervé Hadmar. (2017) Avec Marie Dompnier, Audrey Fleurot, Jan Hammenecker, Judith Henry. (Disponible en replay sur Pluzz)
Parce que l'organisation de la cérémonie des Molières n'a pas reçu la fiche d'Une chambre en Inde, le dernier spectacle d'Ariane Mnouchkine ne figure pas parmi ceux éligibles à une récompense. Une erreur grossière et impensable au détriment de la pièce la plus courageuse de l'année.
Un seul spectacle domine la saison, tous genres confondus. C'est celui de la Troupe du Théâtre du Soleil qui, sous la direction d'Ariane Mnouchkine, joue depuis octobre, à la Cartoucherie de Vincennes, Une chambre en Inde.
C'est le plus beau, le plus puissant, le plus courageux, le plus riche de sens, le plus divertissant des spectacles de la saison 2016-2017.
Et bien ce spectacle ne figure pas dans le livret que les votants pour les Molières ont reçu il y a dix jours, ce qui est appelé la «liste aide-mémoire des spectacles éligibles».
C'est en voulant voter nous-même et en cherchant vainement le titre du spectacle, que nous avons constaté son absence. On s'est renseigné. Côté Théâtre du Soleil, l'on a demandé si une démarche avait été entreprise pour ne pas concourir. Pas du tout. Au contraire, la troupe, qui n'a rien contre les Molières, s'étonnait de ne pas avoir été sélectionnée...
Côté «Académie des Molières», nous avons appelé plusieurs fois et sur plusieurs jours pour tenter de comprendre et demander, ce qui serait logique, si le spectacle ne pouvait pas y figurer.
Regarder le monde en face
D'autant plus que l'on a reçu de nombreux rectificatifs, repêchant plusieurs pièces pour le théâtre privé comme pour le théâtre public. Or, rien n'y fait. Le Président Jean-Marc Dumontet ne veut rien entendre. On l'a connu plus diplomate. Le crime du Soleil? Son secrétariat n'aurait pas renvoyé la fiche de renseignements. Si l'organisation des Molières était sérieuse, elle aurait relancé la plus célèbre et la plus fertile troupe de France.
Se priver d'un spectacle qui a été joué déjà plus de cent fois devant des foules enthousiastes, se priver d'un spectacle qui a le courage de regarder le monde en face, se priver de la présence du seul maître qui reste en France, Ariane Mnouchkine, auteur du plus beau film jamais consacré à...Molière, se priver d'une des plus grandes artistes au monde et connue dans le monde entier, c'est un geste grossier qui disqualifie définitivement les Molières.
Je crois en un seul dieu, de Stefano Massini, traduction Olivier Favier et Federica Martucci (L’Arche Agent théâtral), mise en scène d’Arnaud Meunier
Le mot terrorisme renvoie à un affect destructeur, une passion déchaînée. Le terrorisme, qui bouscule les relations internationales et la notion de « guerre », représente, dans les situations inégalitaires, l’arme suprême du faible ou du pauvre – tel le terrorisme des Palestiniens face à Israël. Dérives religieuses et extrémisme de certains intégristes musulmans ont obscurci la pratique de la violence, exercée soit par des mercenaires endoctrinés ou non, soit par des fanatiques incontrôlables.
Parole est donnée sur la scène à trois femmes dans la pièce Je crois en un seul dieu de l’Italien Stefano Massini que monte le metteur en scène Arnaud Meunier, directeur de la Comédie de Saint-Etienne Centre Dramatique National, et connaisseur de ce théâtre puisqu’il a créé deux précédentes pièces – Chapitres de la chute, saga des Lehmann Brothers et Femme non-rééducable – du même auteur.
Trois femmes pour une seule et même comédienne de belle allure, Rachida Brakni.
Trois femmes dignes et respectables au discours approfondi, articulé et argumenté, éclairent, selon un temps déterminé – autour des années 2010 -, le conflit israélo-palestinien, à travers éclats de conscience respectifs et étrangement similaires – retours sur soi, états d’angoisse et sensations récurrentes d’un malaise ancré.
Ces figures féminines sont des ennemies et des complices qui s’ignorent, traduisant le conflit qui oppose Palestiniens et Israéliens au Proche-Orient, deux nationalismes – nationalisme juif et nationalisme arabe-palestinien, à dimension religieuse – Israël étant un Etat juif à majorité juive et les Palestiniens majoritairement musulmans.
Musulmane, juive et chrétienne, la religion qui aurait dû relier les êtres les sépare.
S’imposent à l’esprit, à travers le terrorisme essuyé aux Etats-Unis comme en Europe, les violentes tensions entre Islam et Christianisme ou Islam et Judaïsme.
L’une des narratrices, fille de garagiste, étudiante à l’université de Gaza, voit son avenir – un an avant sa mort, lors de l’attentat de Rishon LeZion, au sud de Tel-Aviv – comme un don de soi dans le martyre de la cause palestinienne. Bourreau et première victime de « son » propre attentat-suicide, elle perdra la vie « en compagnie », entre autres, des deux autres narratrices, qui disparaissent et ressurgissent en alternance sur la scène, étrangères les unes aux autres et mêmes.
La Palestinienne se livre délibérément à ce drôle de « martyre » – notion transmise par l’islam chiite, puis instrumentalisée par une pédagogie terroriste.
La seconde narratrice plus âgée, professeur d’Histoire juive, proche de la gauche israélienne, évoque avec lucidité sa posture éthique, politique et sociale, un an avant l’attentat. Elle découvre en elle une part insoupçonnée, survivant à un carnage :
« Moi, je veux leur mort ? C’est ça que je veux ? Me venger ? Moi ? Moi qui fais partie des comités « pour le dialogue » ? Moi qui ai toujours pensé : nous devons trouver une issue ? Moi ? »
Dans ces temps scéniques de parole féminine rigoureusement impartis et entrelacés, s’insère le monologue de la dernière protagoniste, soldate américaine qui arrive sur les lieux en renfort de la police locale israélienne pour lutter contre le terrorisme actif.
Un même destin fatal clôt le parcours raisonné et mis à distance de chacune, une expérience vécue, une aventure existentielle, un fragment lucide d’autobiographie.
La scénographie de Nicolas Marie, sol de moquette blanche duveteuse et murs d’un beau gris perle – couleur plus foncée en bas et tons pâlissants en haut, telle une brume blanche qui envahirait l’espace cotonneux dans une même confusion des fumées urbaines et des esprits tandis qu’un même dégradé inversé est noté sur le dos de la chemise unie de la comédienne.
Et si les bruits apparaissent sur le plateau comme feutrés ou amenuisés, c’est pour mieux entendre la voix claire de Rachida Brakni qui fait sourdre dans la douceur l’éclat symbolique de l’appareil explosible – machine infernale, bombe artisanale ou humaine – intériorisé ardemment par la conscience prémonitoire de l’interprète, en même temps que par l’appréhension redoublée des spectateurs suspendus au récit ferme et sincère de celle qui se livre, une lente et patiente déflagration en attente.
Rachida Brakni témoigne de toute l’élégance exigée – pudeur, retenue et sobriété -dans la déclamation et dans le maintien scénique, n’hésitant pas à chorégraphier avec grâce les volumes, mouvements de bras et petits pas de danse silencieux.
Véronique Hotte
Théâtre du Rond-Point, du 14 mars au 9 avril à 20h30, dimanche 15h30, relâche le dimanche et le 19 mars. Tél : 01 44 95 98 21
Les Scènes du Jura- Scène nationale/Lons-le-Saunier (39), les 13 et 14 avril.
Théâtre des 3 Ponts Castelnaudary (11), le 20 avril. Théâtre National de Nice (06), du 26 au 29 avril. Centre culturel de la Ricamarie (42), du 3 au 5 mai. Centre culturel Le Safran Amiens (80), les 10 et 11 mai. Centre culturel Aragon/Oyonnax (01), les 18 et 19 mai.
Dans ce film, une mère et son fils aux rapports conflictuels, interprétés par Nathalie Baye et Vincent Dedienne, assistent à la représentation de l’opéra Médée de Cherubini. Une ébauche de dialogue s’instaure entre-eux, mais la tension reste palpable.
S’emparant de Détruire, dit-elle, Jean-Luc Vincent salue avec humour l’écriture de Marguerite Duras en offrant le rôle de la romancière à Anne-Elodie Sorlin, sa complice des Chiens de Navarre.
Retour en 1969. En voix off, Marguerite Duras parle de son film Détruire, dit-elle. C’est à travers sa parole que nous découvrons la feuille de route du spectacle à venir. Un rappel de son humour, de son rire de petite fille mutine, quand elle résume son propos par une histoire drôle dont la chute donne le vertige : “On casse tout et on recommence.”
Avec Détruire, deux exfiltrés du collectif Les Chiens de Navarre sont à la manœuvre. L’auteure avait imaginé une histoire qui puisse être jouée au théâtre. Jean-Luc Vincent signe l’adaptation, joue et met en scène. Clope au bec, Anne-Elodie Sorlin y incarne une Marguerite Duras accompagnée sur le plateau par un jeune homme qu’on reconnaît comme jouant Yann Andrea. L’actrice, impayable en deus ex machina, s’amuse à contempler la fiction qui se déploie ; elle ne lâche pas ses personnages et tire les ficelles de l’imbroglio sentimental qui les rassemble.
Une comédie qui ne dira jamais son nom
Au départ, il s’agit de trois clients réunis dans un hôtel quasi désert. Elisabeth Alione, Max Thor et Stein nouent connaissance, avant qu’Alissa, la femme de Thor, puis Bernard, le mari d’Elisabeth, ne les rejoignent. Sur scène, le mystère de leurs échanges flirte avec les limites d’une comédie qui ne dira jamais son nom.
L’évidence jubilatoire du jeu d’Anne-Elodie Sorlin suffit à contenir nos rires. Qu’ils s’éprouvent amoureusement en jouant aux cartes au salon ou au croquet dans le parc, les figures durassiennes se frottent à un désir qui les aimante.
Presque imperceptiblement, Jean-Luc Vincent tire la pièce vers le cinéma de John Carpenter et de David Cronenberg. Evitant la partouze, la pièce s’imbibe avec élégance d’autres univers. Le subtil recours à une contamination devenue virale redonne au texte le ressort ludique d’une folie destructrice aussi radicale que contemporaine.
Détruire d’après Détruire, dit-elle de Marguerite Duras, mise en scène Jean-Luc Vincent, le 21 mars au Théâtre de Vanves (festival Artdanthé), du 21 au 23 mai à Dijon (festival Théâtre en mai)
Denis Podalydès, 53 ans, est plus que jamais sur tous les fronts. Son Cyrano de Bergerac, qui lui avait valu le Molière de la mise en scène en 2007, sera repris du 7 juin au 20 juillet à la Comédie-Française, où son Lucrèce Borgia, avec Elsa Lepoivre dans le rôle-titre, se donne jusqu’au 28 mai. Du 5 avril au 7 mai, on le verra aussi dans Bajazet, mis en scène par Eric Ruf. Enfin, il jouera dans Une vie, de Pascal Rambert à partir du 24 mai. Devenu sociétaire du Français en 2000, il a également tourné au cinéma pour son frère, Bruno Podalydès, mais aussi pour Arnaud Desplechin, Bertrand Tavernier, François Dupeyron, Michel Deville, Michael Haneke… Et il a publié plusieurs ouvrages, dont Voix off (Mercure de France, 2008, prix Femina essai) et Scènes de la vie d’acteur (Points, 2014).
Quelle époque auriez-vous aimé connaître ?
1830, peut-être. La bataille d’Hernani. L’explosion romantique. Découvrir un drame de Hugo à ce moment-là.
1894. Batailler pour Alfred Dreyfus. Etre aux côtés de Bernard Lazare, puis d’Emile Zola. Aller aux mardis de Mallarmé. Découvrir Debussy, Maeterlinck…
1920. L’après-guerre. Etre ami de Michel Leiris et traverser ces années-là avec lui et d’autres. Rencontrer Jean-Louis Barrault en 1930. Faire du théâtre avec lui.
1945-50 et suivantes. Rencontrer Jean Vilar.
1970. Etre étudiant à Vincennes, participer à l’intense vie intellectuelle de ces années-là.
Mais c’est encore le présent, le présent d’à présent que j’aimerais mieux connaître…
Une image de notre époque ?
Le visage d’Obama puis celui de Trump.
Un son ?
Le ffuit d’un mail qu’on envoie.
Une expression agaçante ?
« C’est clair ». Habiter « sur » Paris ou « sur » Lyon, au lieu d’habiter à… « Philosophie de jeu »… Le « roman national »… Celui qui dit cela, a-t-il déjà vraiment lu un roman ? Ou lu un vrai roman ?
Un personnage ?
L’inconnu qui va surgir, encore inconnu, ne sachant pas encore qu’il ne le sera bientôt plus, ou préparant quelque chose, un livre, un film, une bombe, ou élaborant un concept, quelque part dans une université, ne sachant pas encore que la pensée, la perception du monde en sera modifiée…
Un livre ou un film ?
Aquarius. Je ne sais pas exactement dire pourquoi. Il dit la beauté du monde, je crois…
Un slogan ?
Jamais un slogan ne m’a fait bouger d’un pas, faire un geste.
Un bienfait de notre époque ?
On reconnaîtra ceux-là – je suis certain qu’il y en a, autant que de maux – dans trente ans.
Le mal de l’époque ?
Comme la liste peut être longue, elle est inutile. Toute époque se singularise par ce qu’on déplore en elle, puis s’illustre et s’illumine rétrospectivement par la condamnation de la suivante.
C’était mieux avant, quand…
Je déteste a priori tout discours décliniste qui commence par ce genre de phrase.
Ce sera mieux demain, quand…
Je déteste a priori tout discours messianique, qui commence aussi par ce genre de phrase, annonçant les lendemains qui chantent, uniquement parce qu’ils sont précisément demain.
Depuis juin 2016, le Phénix de Valenciennes est l’heureux détenteur d’une appellation qui vient soutenir un travail ambitieux engagé depuis 2009 par Romaric Daurier, son directeur. Il s’est fixé comme objectif de devenir un laboratoire d’émergence pour les jeunes artistes français dotés d’une notoriété internationale.
Dans quinze mois, le 11 juin 2018, cette salle sera inaugurée avec une création de Yoann Bourgeois - Sabine Hartl et Daniel Meyer ENQUÊTE Cette vieille salle parisienne aux vies multiples va renaître de ses cendres grâce à Mélanie Biessy, associée-gérante d’Antin Infrastructures. Le chantier est lancé pour une ouverture en juin 2018.
C'est bien connu, la réalité dépasse parfois la fiction. Et ce constat vaut pour La Scala Paris, un espace culturel atypique boulevard de Strasbourg, face au Théâtre Antoine de Laurent Ruquier et de Jean-Marc Dumontet ou au Comedia du financier Marc Ladreit de Lacharrière : le coup d'envoi des travaux vient d'être fêté le 20 février dernier en présence d'artistes et de personnalités de la culture, au milieu des échafaudages. Dans quinze mois, le 11 juin 2018, cette salle, qui fait déjà le buzz, sera inaugurée avec une création de Yoann Bourgeois, valeur sûre de la nouvelle génération circassienne.
« De même que La Scala Paris ne sera pas un théâtre de plus, son ouverture sera un mini-festival avec tous les artistes qui s'empareront des lieux pour des propositions singulières. Des événements se dérouleront jusqu'au coeur de l'été pour montrer au plus grand nombre notre chemin culturel », souligne Olivier Schmitt, écrivain, critique dramatique et conseiller de la direction.
C'est très rare à Paris de se trouver face à un lieu aussi riche d'une histoire hors norme
A l'affiche, le cinéaste Jaco Van Dormael ; les comédiens Catherine Frot, Jacques Weber, Isabelle Huppert, Micha Lescot ; les metteurs en scène Aurélien Bory, Valère Novarina, Marc Paquien ; le plasticien Jan Fabre ; les pianistes Katia et Marielle Labèque, Bertrand Chamayou ; les compositeurs Philippe Manoury et Bruno Mantovani ; sans oublier les élèves de l'Ecole internationale de théâtre Jacques Lecoq voisine, dont La Scala deviendra l'espace privilégié de représentation.
« Ce sont les artistes et eux seuls qui sont en train d'écrire une programmation qui ne devrait ressembler à aucune autre », poursuit Olivier Schmitt. Parmi les premiers fans de cette nouvelle scène, sa marraine, Catherine Frot. « L'endroit est inspirant, il y a une âme très forte ici, liée au music-hall. C'est très rare à Paris de se trouver face à un lieu aussi riche d'une histoire hors norme », s'enthousiasme la comédienne.
On l'aura compris, la Scala Paris affirme sa différence. Ses propriétaires et exploitants, Mélanie et Frédéric Biessy, ont voulu construire la seule salle entièrement modulable au centre de Paris, propice à toutes les formes de la création : théâtre, danse, nouveau cirque, musique, arts plastiques, performances, projections vidéo... Pour que cette boîte à jouer ait du caractère, le couple a confié l'architecture intérieure au scénographe Richard Peduzzi, nourri de son compagnonnage avec les regrettés Patrice Chéreau et Luc Bondy.
« Ce sera un ovni dans le paysage, enthousiasmant mais pas simple à rentabiliser », observe Antoine Masure, délégué général de l'Association pour le soutien du théâtre privé. Ce que confirme Stéphane Hillel, directeur artistique des théâtres du patron de Vente-privee.com, Pierre-Antoine Granjon (Théâtre de Paris, Michodière, Bouffes-Parisiens) : « Un sacré pari sur le plan économique », dit-il.
Salle 100 % privée
D'ailleurs, on compare déjà La Scala au théâtre du Rond-Point, qui lui aussi programme des auteurs contemporains, sauf que ce dernier est subventionné à hauteur de 35 %, alors que la salle du couple Biessy est 100 % privée... « Il faudra que La Scala devienne une marque de confiance, comme le Rond-Point », estime son directeur, Jean-Michel Ribes.
Un lieu ambitieux, donc, comme il l'a toujours été, au gré de ses métamorphoses, depuis sa naissance en 1873, au coeur du Paris industrieux, au 13 de cette artère qui relie le Châtelet et le Sentier à deux gares internationales, à proximité des ateliers de confection. Les négociants y viennent pour les affaires mais aussi pour la détente et la bagatelle.
La veuve d'un industriel du Nord, amoureuse de la Scala de Milan, décide donc de copier la prestigieuse salle italienne, en version plus modeste (1.400 places), pour y faire un café-concert élégant : un parterre, trois balcons bleu et or, une coupole vitrée qui s'ouvre sur le ciel pour l'aération, des treuils mécaniques pour acheminer dans les étages l'absinthe...
La Scala En dix ans, la scène devient la coqueluche du public et des artistes : Aristide Bruant, Mistinguett, Yvette Guilbert, Polin, Paulus, Polaire, Mayol (qui créa là le fameux « Viens poupoule »). Du début d'après-midi au bout de la nuit, La Scala accueille jusqu'à la fin des années 1920 des revues avec orchestre, des spectacles un brin déshabillés, du cabaret politique, des tours de chant de Damia ou Fréhel...
La crise de 1929 vide les salles du boulevard. La Scala est rachetée en 1935 par un exploitant qui mise sur le cinéma parlant. La salle à l'italienne est détruite et l'architecte du Palais des Festivals de Cannes et de la Nouvelle Eve à Paris, Maurice Gridaine, aménage le premier cinéma Art déco de Paris (1.200 places) où sera présenté, en 1936, « Un mauvais garçon », avec Danièle Darrieux.
La Scala Jusque dans les années 1960, la fine fleur du septième art y sera montrée : Godard, Etaix, Buñuel, Tati... Mais les ateliers environnants périclitent dans les années 1970 ; prostitution, squats, trafics de drogue se développent. En 1977, La Scala, une nouvelle fois revendue, devient le premier multiplexe porno, avec cinq salles, avant d'entamer sa descente aux enfers au milieu des années 1980 : concurrencée par Canal+ et les cassettes vidéo, elle se mue en un bordel peu recommandable jusqu'en 1999.
Pressentant que le quartier va changer une fois de plus, un promoteur immobilier rachète l'espace pour spéculer et passe peu après une annonce pour le revendre dans « Le Film français ». Séduit, Maurice Tinchant, le producteur de Jacques Rivette et de Leos Carax, propose 11 millions de francs pour en faire un cinéma art et essai, mais un investisseur mystère renchérit de 2 millions : l'Eglise universelle du royaume de Dieu veut en faire sa cathédrale.
Détail improbable
Alertés, les élus parisiens imposent à La Scala une affectation culturelle et la secte finit par jeter l'éponge en 2006. Mais un détail improbable va figer pendant onze ans le destin incroyable de cette salle. Un voisin a été autorisé à s'agrandir en mordant sur la surface dévolue à la sortie de secours... De quoi dissuader les repreneurs, les pompiers limitant désormais la salle à 300 places...
Mélanie et Frédéric Biessy seront plus opiniâtres. Lui est, depuis trente ans, le producteur-tourneur privé de spectacles appréciés des théâtres publics, via sa société Les Petites Heures, et sa vie a été jalonnée de rencontres déterminantes : Luc Bondy, Yasmina Reza, Bartabas, Simon McBurney...
Mélanie Biessy - DR
Elle est associée-gérante d'Antin Infrastructure, société de capital-investissement qui gère parmi les plus importants fonds dédiés aux infrastructures en Europe, partageant son temps entre Paris et Londres. En 2015, se rendant gare du Nord pour attraper son Eurostar, Mélanie repère l'annonce.
« Alignement de planètes »
Devant le potentiel de l'endroit, le couple sollicite architectes et bureaux d'études pour imaginer une autre sortie de secours. C'est finalement Frédéric qui découvre sur Google Earth une succession de passages entre les immeubles débouchant sur la rue du Faubourg-Saint-Denis.
« Il y avait plus de 200 propriétaires à convaincre ! Mais nous nous sommes aperçus qu'une foncière détenait l'ensemble des appartements, laquelle a accepté de nous accorder l'usage des passages. Il y a eu certes un alignement de planètes, mais notre persévérance a payé », se félicite-t-il.
La commission de sécurité est alors prête à accorder l'autorisation d'accueillir 700 personnes : l'exploitation devient possible. L'Eglise vend La Scala, devenue un gigantesque coffre de béton de 25 mètres sur 15, presque la taille des Ateliers Berthier de l'Odéon, pour 4,5 millions d'euros.
Depuis la fin du XIXe siècle, ce sera la première fois qu'une personne privée construit un théâtre à Paris et ne se contente pas de le rénover
Avec les travaux, l'addition devrait atteindre 15 millions, dont 6 apportés par un groupement bancaire, le reste par Mélanie Biessy. « Depuis la fin du XIXe siècle, ce sera la première fois qu'une personne privée construit un théâtre à Paris et ne se contente pas de le rénover », assure la financière. Et elle sait de quoi elle parle : elle accompagne depuis seize ans les levées de fonds pour permettre à son mari de monter ses créations.
Au 13, boulevard de Strasbourg, où un fauconnier a dû lâcher ses rapaces pour déloger les innombrables pigeons qui y avaient élu domicile, le sol va être creusé de six mètres supplémentaires pour construire une salle dotée d'un gradin rétractable de 350 places et de deux balcons de 100 places. Un restaurant-bar de 80 couverts va aussi être créé. « Non seulement, ce sera la Rolls de la création contemporaine, mais ça va vivre constamment », promet Frédéric Biessy.
Think tank culturel
L'équipe, la façon de mener le projet, rien n'est banal dans cette aventure. « Frédéric a eu l'idée d'ouvrir grand le théâtre dans son état d'abandon pour transmettre aux artistes et aux producteurs le virus Scala. Et tous ceux qu'il avait déjà produits, tous ceux que nous voulions convaincre, en sont revenus avec des propositions aussi originales qu'exigeantes », commente Olivier Schmitt.
Un think tank culturel s'est constitué autour du couple. Soucieux d'inscrire de manière originale La Scala sur la carte des lieux de création parisiens, ses propriétaires ont cherché un « auteur » pour raconter son histoire et rencontré Olivier Schmitt. Ce dernier leur a présenté Rodolphe Bruneau-Boulmier, compositeur et producteur sur France Musique, devenu leur conseiller pour la musique. Le metteur en scène invité des grands festivals, Cyril Teste, a été choisi comme conseiller numérique. L'ex-directrice des salles parisiennes L'Escurial et Max Linder, Brigitte Aknin, a endossé le costume de conseillère cinéma. Enfin, la galeriste nomade Aline Vidal est la personne ressource pour les arts plastiques.
Un tel engagement personnel, de l'achat du théâtre aux travaux en passant par tout ce processus d'hybridation, c'est exceptionnel « Il y a un élan, une volonté, pour trouver un esprit Scala et faire les choses différemment. Les artistes sont captivés. Nul doute que cela va faire du bruit ! » estime celle qui accompagne le travail des artistes dans des lieux toujours différents. Son compagnon, Antoine de Galbert, fondateur de La Maison Rouge, suit de près le projet. « Un tel engagement personnel, de l'achat du théâtre aux travaux en passant par tout ce processus d'hybridation, c'est exceptionnel », commente Catherine Frot.
Dernière singularité de La Scala : la présentation des oeuvres durera longtemps afin que s'engage une relation forte avec le public. Et chaque équipe invitée aura carte blanche pour compléter son spectacle par des collaborations de ses amis d'autres disciplines artistiques, de la salle au hall d'accueil en passant par le foyer, jusqu'aux trottoirs du boulevard de Strasbourg...
Emmanuel Demarcy-Mota ne parvient pas à sauver « L’Etat de siège », pièce datée et allégorique inspirée de « La Peste », jouée pour la première fois au théâtre Marigny en octobre 1948.
Il va hélas falloir donner raison au vieil André Gide, lequel disait que « C’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature ». Impossible de ne pas y penser, au sortir de L’Etat de siège, une pièce inconnue d’Albert Camus qu’Emmanuel Demarcy-Mota exhume et met en scène à l’Espace Cardin, à Paris.
Représentée pour la première fois au Théâtre Marigny le 27 octobre 1948, la pièce ne divisa guère, à l’époque : elle obtint « sans effort l’unanimité de la critique. Certainement, il y a peu de pièces qui aient bénéficié d’un éreintement aussi complet », constatait Camus lui-même, après que L’Etat de siège eut été retiré de l’affiche au bout de 23 représentations.
C’est Jean-Louis Barrault qui avait commandé cette œuvre à Albert Camus et qui signa la mise en scène du spectacle, auquel participèrent Arthur Honegger pour la musique et Balthus pour les décors. L’auteur de La Peste, qui venait d’être publié en juin 1947, s’inspira de son roman pour écrire une pièce qui n’en est pas une adaptation, mais bien une œuvre nouvelle – très proche, malgré tout, dans ses thématiques, du roman qui l’a précédée.
Comme dans La Peste, l’action de L’Etat de siège se déroule dans une ville au bord de la mer. Une épidémie de peste fait son apparition, d’abord dans les quartiers populaires, avant de gagner le centre de la ville. Et tout le monde a peur, et tous plient l’échine sous l’effet de cette peur. Tous, sauf deux jeunes gens, Diego et Victoria, qui proclament que l’amour est plus fort que la peur. L’Etat de siège est, de manière – très, trop – transparente, une allégorie de la contamination d’une idéologie fascisante, et de la résistance à la dictature.
Grotesque tragique
On voit bien ce qui a pu inciter Emmanuel Demarcy-Mota à ressusciter cette pièce, et à la présenter, de manière volontariste, avant l’élection présidentielle d’avril, où la victoire de Marine Le Pen semble de plus en plus envisageable. Mais il sera difficile de donner tort à nos collègues critiques de l’après-guerre : effectivement la pièce est faible, qui jamais ne parvient à mettre en scène de vrais êtres humains, avec leurs conflits, mais en fait les figures, pour ne pas dire les pions, d’une démonstration. Et le lyrisme de Camus, ici, apparaît aujourd’hui bien appuyé et bien daté.
Emmanuel Demarcy-Mota a bien dû s’en rendre compte, au cours de son travail de mise en scène. Mais sans doute était-il trop tard pour changer son fusil d’épaule, et il a fait ce qu’il a pu pour donner au spectacle, malgré tout, une force théâtrale. Et pour bien souligner que cette histoire nous concerne, nous, aujourd’hui, en 2017, il a mis sens dessus dessous l’Espace Cardin, où les spectateurs se retrouvent à la place des acteurs, et inversement.
Effort méritoire, mais sans doute un peu désespéré. Le spectacle est bien fait et bien pensé, qui va voir du côté du grotesque tragique. Mais les – bons – comédiens peinent à sortir de la déclamation imposée par le texte. C’est d’autant plus dommage que la troupe compte notamment deux bêtes de scène hors pair, Serge Maggiani et, surtout, Hugues Quester, qui n’a pas son pareil pour instiller à lui seul une inquiétude et une étrangeté à couper au couteau. Mais rien à faire : à trop vouloir envoyer un message simple, le théâtre ne joue plus son rôle.
L’Etat de siège, d’Albert Camus (Gallimard, « Folio »). Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota. Théâtre de la Ville, à l’Espace Cardin, 1, avenue Gabriel, Paris 8e. Tél. : 01 -42- 74- 22-77. Du mardi au samedi à 20 h 30, jusqu’au 1er avril. Durée : 1 h 50. Puis à Rennes, du 25 avril au 6 mai, et en tournée aux Etats-Unis.
Depuis « Un air de famille » en 1994, Catherine Frot est devenue au fil des comédies l’une des actrices françaises les plus appréciées du public. Avec « Sage femme », elle sort de son registre habituel.
En février 2016, juste avant la cérémonie des Césars, Catherine Frot se confiait à Jean-François Gabard, son agent depuis vingt ans : « Tu te rends compte, je suis en compétition avec Catherine Deneuve ! » Ce soir-là, elle était repartie en chantant, statuette sous le bras, sacrée meilleure actrice de l’année pour Marguerite de Xavier Giannoli. Dans Sage femme de Martin Provost, en salle le 22 mars, elle partage l’affiche avec celle qui fut sa rivale d’un soir. Mieux, elle y apparaît au premier plan en pull-over rose et imperméable beige, devant Deneuve.
Plus de 50 films
Pendant le tournage du film – l’histoire d’une obstétricienne (Frot) dont la vie tranquille est bouleversée par le retour inattendu d’une ancienne maîtresse de son père (Deneuve) –, les deux Catherine se sont observées. Le producteur Olivier Delbosc avait parfois l’impression de revivre la rencontre entre Fabrice Luchini et Johnny Hallyday sur le tournage de Jean-Philippe qu’il a produit en 2006.
« J’AI TOUJOURS EU ENVIE QUE LES FILMS QUE JE FAISAIS FONCTIONNENT AUPRÈS DU PUBLIC. JE NE ME SATISFAIS PAS D’UN FILM DIT D’AUTEUR. » CATHERINE FROT
« Chacune voyait en l’autre ce qu’elle n’était pas, confie-t-il. Frot était admirative de la carrière et du mythe Deneuve. Deneuve de l’impact populaire de Frot. » En choisissant Catherine Deneuve et Catherine Frot, Martin Provost, récompensé pour Séraphine avec Yolande Moreau, voulait pour son sixième film « faire se rejoindre deux contraires » et, peut-être « s’ouvrir à quelque chose d’un peu moins élitiste, élargir ».
À 60 ans, Catherine Frot a tourné dans plus de 50 films, dont 13 ont dépassé le million d’entrées. Du Dîner de cons (1998) aux Saveurs du palais (2012), elle a incarné des rôles marquants dans des comédies grand public, plus ou moins amères, et quelques classiques revisités (Boudu, Vipère au poing ou des films tirés des romans d’Agatha Christie), s’imposant en près de vingt ans comme une actrice populaire. « J’ai toujours eu envie que les films que je faisais fonctionnent auprès du public, reconnaît-elle. Je ne me satisfais pas d’un film dit d’auteur. Pour moi, la qualité peut être commerciale. »
Au théâtre, à guichets fermés
Sa grande popularité, Catherine Frot la sent ces jours-ci dans les avant-premières de Sage femme, ou lors des représentations de Fleur de cactus, mis en scène par Michel Fau. Dans cette comédie de boulevard écrite par le duo Barillet et Grédy, elle joue le rôle de Stéphane, une assistante dentaire, sérieuse et secrètement amoureuse de son patron. Une femme un peu étriquée qui se révèle peu à peu indépendante et sexy.
Un rôle qui lui a valu un Molière en mai 2016. Partout où elle est programmée, la pièce affiche complet. Et quand arrivent les saluts et que le comédien Michel Fau présente ses quatre complices sur scène, l’applaudimètre s’affole pour Catherine Frot. C’est pour elle qu’une bonne part du public s’est déplacée.
Marc Paquien, qui l’a mise en scène dans une adaptation d’Oh les beaux jours de Samuel Beckett en 2012, se souvient avec émotion du Théâtre de la Madeleine plein tous les soirs. « Soyons honnêtes, dit-il, beaucoup sont venus voir la pièce pour Catherine et ont découvert Beckett à cette occasion. » Paquien n’aurait pas pensé seul à lui faire jouer ce texte. Il la voyait plutôt dans du Harold Pinter. Mais quand elle lui a avoué ce fantasme, il a dit oui et découvert une actrice telle que les aimait l’auteur d’En attendant Godot : « Mélancolique et joyeuse, lucide et fofolle. »
« Il y a quelque chose d’assez troublant chez elle, analyse le directeur de casting Michaël Laguens qui a travaillé sur Marguerite. Une capacité à aller de la comédie au drame en restant juste. Sur ce point, elle peut faire penser à Karin Viard. » Pour le reste, Catherine Frot ne ressemble à personne. Moins tragédienne qu’Isabelle Huppert, moins iconique que Catherine Deneuve, moins secrète qu’Isabelle Adjani, il lui arrive parfois qu’on lui propose les mêmes rôles qu’à Yolande Moreau.
Une des actrices françaises les mieux payées Elle a construit sa carrière dans quelque chose qui lui ressemble, « sans esbroufe et sans séduction » jurent ceux qui la connaissent. Moins le genre à apparaître dans les séries mode des magazines féminins que parmi les soutiens à la réouverture de La Scala, un vieux théâtre parisien qui renaîtra de ses cendres en 2018 et dont elle est la marraine. « Catherine est assez mystérieuse, elle n’est pas dans la presse people », note son agent.
De sa vie, on ne sait pas grand-chose. Elle n’aime pas se confier, maquille sa pudeur en peur de décevoir : « L’ordinaire de ma vie, c’est d’un banal, vous savez », justifie-t-elle, dans une brasserie de Montparnasse. Et si producteurs et distributeurs apprécient sa présence au générique d’un film, « rares sont les propositions purement opportunistes », souligne Gabard. « Catherine Frot fait partie des comédiennes avec lesquelles beaucoup ont envie de travailler, explique Laguens. Elle fournit un travail énorme et grâce à elle on peut financièrement monter un projet. »
À ce titre, elle fait aujourd’hui partie des actrices les mieux payées du cinéma français. Elle n’aime pas en parler, mais en 2013 elle a touché 2,2 millions d’euros pour trois films, selon le classement annuel du Figaro. Pour Marguerite, elle a accepté de diminuer son salaire à un tiers de ses cachets habituels. « Depuis, elle a emporté un César et un Molière, il faut le prendre en compte et c’est normal », ajoute Olivier Delbosc qui vient de produire son troisième film avec elle.
Mi-Bourvil, mi-Jacqueline Maillan
La synergie avec les spectateurs, Jean-François Gabard l’observe d’un œil amusé. « C’est une drôle de carrière. Il y a une fidélité de son public qui rappelle celle dont jouissaient des acteurs d’une autre époque, qui devenaient des repères pour le public. » Un mélange mi-Bourvil, mi-Jacqueline Maillan. « Il y a chez elle quelque chose du “label de qualité”. Elle est absolument antimode. Elle n’est ni classique ni moderne, elle est “elle”. C’est une espèce de rendez-vous ponctuel où les spectateurs savent qu’ils vont trouver une constante. »
Le déclic a eu lieu en 1994 : « Yoyo m’est tombée dessus », se rappelle-t-elle. Elle a 38 ans quand Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui la choisissent pour jouer Yolande dans la pièce qu’ils ont coécrite, Un air de famille. Yolande est la belle-fille gentillette, l’épouse d’un cadre dynamique de province qui ne l’écoute pas. « C’est un rôle que beaucoup d’actrices auraient probablement refusé : elle est un peu sotte, archibêta. Mon défi c’était de trouver son humanité », analyse-t-elle.
Bande annonce d’« Un air de famille » (1996), de Cédric Klapisch : http://dai.ly/x9h4wm
Elle en fait un personnage dont les spectateurs se repassent les répliques. Son « C’est beaucoup trop beau pour un chien » lui vaut un Molière en 1995 et, deux ans plus tard, un César du meilleur second rôle dans l’adaptation de la pièce au cinéma par Cédric Klapisch. La suite lui sourit. Avec La Dilettante, Pascal Thomas lui offre son premier grand rôle au cinéma. Un succès, une surprise au creux de l’été 1999.
« Chez elle » dans la comédie
Avant tout ça, il y avait eu le parcours d’une comédienne plutôt discrète. À 16 ans, après avoir hésité avec les Beaux-Arts, la jeune Frot rêve de Comédie-Française. Pendant des semaines, elle prépare l’audition en répétant L’École des femmes. Pas de chance, c’est une certaine Isabelle Adjani qui obtient le rôle. Pendant que la future star aux yeux bleus triomphe en déclamant « Le petit chat est mort », Catherine Frot retourne sur les bancs du lycée, en seconde.
L’année suivante, elle a 17 ans, ressemble à l’actrice Marina Vlady et joue sa fille dans Les Charmes de l’été, un feuilleton diffusé sur Antenne 2. L’expérience l’amuse beaucoup, même si son père ingénieur ne cesse de lui répéter : « Tu as vu Isabelle Adjani ? Tu as vu Isabelle Huppert ? » Finalement, elle intègre l’école de la rue Blanche, le conservatoire de Versailles, et crée, avec toute une bande, Le Chapeau rouge, une compagnie de théâtre qui écume le off du Festival d’Avignon.
Une « folie douce » dans laquelle elle passe huit ans. Une jeunesse de théâtre donc. Le cinéma lui tourne longtemps le dos. Le père, encore lui, n’est jamais loin : « Tout ce que j’ai fait dans ma vie ne l’a pas passionné. Il aurait voulu que j’entre à la Comédie-Française, point barre. » Catherine Frot se fera connaître en faisant de la comédie tout court. « Aujourd’hui, ça va, il est content ! », s’amuse-t-elle.
L’actrice s’inscrit dans cette tradition française où, depuis les années 1950, les acteurs qui font le box-office sont ceux qui font rire. Elle se sent « chez elle » dans la comédie mais, comme beaucoup, a rêvé à d’autres registres. « Les grands écarts ne me font pas peur », jure-t- elle. Elle s’est mouillée dans quelques drames, endossant le costume d’une flic âpre dans Coup d’éclat (2011) de José Alcala, d’une femme à la rescousse d’une prostituée dans Chaos (2001) de Coline Serreau.
Ses rôles fétiches : des femmes prêtes à sortir de leur monde Sans oublier ce vieux rêve réalisé en jouant Beckett sur les planches : c’est en la voyant interpréter le personnage de Winnie que Xavier Giannoli s’est dit qu’elle serait Marguerite. « Il y avait quelque chose qui me rassurait à la voir jouer ça plutôt qu’une comédie populaire, reconnaît-il. J’ai tout de suite vu ce qui m’avait manqué pour avoir un élan vers elle auparavant, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. »
Quatre ans plus tard, il se souvient de tout. La scène, la nuisette rose et noire qu’elle portait, la façon de se tenir sur son lopin de terre et de se pencher pour parler à des fourmis. « Catherine, c’est un animal fabuleux. Quand on est metteur en scène, on a l’impression d’avoir capté l’apparition d’un être rare et très mystérieux. Avec elle, d’un coup, un geste prosaïque devient poétique. »
Leur collaboration a pourtant failli ne pas avoir lieu. « Avant Marguerite, Catherine Frot était considérée comme une actrice comique parfaite dans ce registre, rappelle Olivier Delbosc. Quand on l’a évoquée pour ce rôle, les financiers freinaient. » « Dans un mélo, elle ferait contre-emploi », lui opposait-on. On ne se défait pas facilement d’une étiquette.
Il a tenu. Frot qui, comme beaucoup d’actrices, avait fait savoir au réalisateur qu’elle voulait travailler avec lui, a attendu. « Pendant près de trois ans, je n’ai pas tourné, précise-t-elle. Ça ne se voit pas, mais c’est la vérité. » Durant cette période, elle a refusé le rôle tenu par Chantal Lauby dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? (12,3 millions d’entrées).
Son rôle fétiche est celui d’une femme prête à sortir de son monde. Odette Toulemonde, Yoyo, Marguerite, Fleur de cactus, Winnie et aujourd’hui Claire… Des femmes empêchées, des bigotes fabuleuses, des petites vies sacrifiées. Des personnages auxquels le public peut s’identifier. « C’est vrai, note-t-elle. Je l’ai remarqué, mais je ne sais pas trop quoi en penser. » Les mots lui manquent. Elle s’excuse, précise qu’à l’école, elle avait toujours 9 sur 20 en rédaction. « Je ne savais pas exprimer les choses. En revanche, j’ai des sensations très fortes. »
« MARGUERITE NE SE FOND PAS DANS LE MOULE. ELLE EST D’UNE TRÈS GRANDE SIMPLICITÉ ET D’UNE IMMENSE LIBERTÉ. ALORS, ELLE FASCINE LES GENS ET, À LA FIN, EMPORTE LA MISE. » XAVIER GIANNOLI
Cette place à part dans le cinéma français, proche du public, Giannoli s’amuse à la définir par rapport au rôle de son propre film, Marguerite : « Marguerite est une femme qui évolue au milieu de gens sophistiqués, snobs. Elle fait partie de ce monde et, en même temps, ne se fond pas dans le moule. Elle est d’une très grande simplicité et d’une immense liberté. Alors, elle fascine les gens et, à la fin, emporte la mise. Catherine est comme elle. »
Après Sage femme, elle a tourné une comédie absurde avec Christian Clavier pour partenaire. Momo de Sébastien Thiery, tiré de la pièce éponyme, est en montage et sortira à la fin de l’année. Elle y joue le rôle d’une femme qui n’a jamais pu avoir d’enfant et en « adopte » un avec son mari sur le tard, alors que le garçon a 32 ans.
Elle-même a adopté il y a vingt ans une petite fille, Suzanne, aujourd’hui étudiante à Londres. Avec elle, elle s’est entraînée à chanter faux dans la cuisine pour Marguerite. On l’a vue à ses côtés aux Césars. Ensemble, elles sont récemment allées voir le film de Lucien Jean-Baptiste, Il a déjà tes yeux mettant en scène l’adoption d’un enfant blanc par un couple noir. « J’ai vécu mon histoire à l’envers. J’ai pleuré comme une madeleine. »
En février, elle a aussi laissé perler quelques larmes au Festival de Berlin, en assistant à la projection de Sage femme dans une salle de 2 000 personnes. Catherine Frot pleure au cinéma. C’est vrai, elle est comme tout le monde.
Photo : Catherine Frot dans sa loge, avant la représentation de « Fleur de cactus » au Théâtre Jacques-Prévert d’Aulnay-sous-Bois, le 22 février 2017. FRANKIE & NIKKI POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
Soudain l’été dernier de Tennessee Williams, traduction Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig
Qu’il s’agisse des œuvres d’Ibsen, de Pirandello, d’O’Neill ou de Williams avec lesquelles le metteur en scène Stéphane Braunschweig, directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, a frayé avec talent, un même courant théâtral se distingue, une quête « humaine » de vérités psychiques entrelacées fort aux réalités sociales.
La pièce de Tennessee Williams Soudain l’été dernier – le film mythique de Mankiewicz inscrit dans les mémoires – donne à voir la fin tragique d’un fils de famille américain, loin de chez lui, à Cabeza de Lobo, station balnéaire espagnole.
Cette mort – l’effroi qu’elle provoque – parcourt le récit fantasmé de la jeune cousine horrifiée, présente aux côtés de la victime au moment du drame, puis internée par la mère du disparu car celle-ci rejette la version qui ferait de son fils un prédateur d’enfants. La mère fait d’ailleurs appel à un psychiatre pour lobotomiser sa nièce.
A la violence de la mère harcelant les jeunes gens – fils et nièce – répond la violence du fils – bourreau à son tour, et victime finale, soit la violence récurrente du monde.
Psychanalyse à deux sous d’un théâtre américain un peu désuet qui pourtant n’en laisse pas moins affleurer des images fortes et colorées à connotation mythologique.
Le fils est absent de la scène, mais chacun des personnages va tenter de le cerner pour lui donner vie et qu’il hante à la fois le plateau et l’imaginaire éveillé du public, d’un souvenir l’autre, d’un fragment de discours l’autre – fantasme, vision ou rêve. L’énigme se nourrit de fils noués et entremêlés qui ne semblent pas pouvoir se lever.
Or, la figure du poète incompris et assassiné s’élève symboliquement sur son piédestal : « Sa vie était son métier … parce que le travail d’un poète c’est sa vie. »
La mère, via l’écriture de Williams, se réapproprie la posture visionnaire de l’artiste, décrivant la puissance évocatrice des images saisies lors d’un voyage commun.
La fascination exercée par exemple par la plage des Galapagos où des tortues à peine écloses sont dévorées – loi du plus fort oblige – par des oiseaux carnassiers.
En écho à ces mises à mort, l’image de terreur d’enfants affamés qui cette fois-ci ne vont pas se faire dévorer mais vont se jeter en guerriers sur leur proie humaine.
Le décor d’un tel univers s’apparente à celui d’une jungle – le jardin filial tropical de la propriété – fougères géantes et lianes de plantes grimpantes – au paysage morbide de fin du monde – chemin d’ascension ardue sous l’ardeur à blanc d’un soleil cru.
Le volume scénique s’élève loin dans les hauteurs sous un jeu vertical de tombées de tiges et de fleurs exotiques colorées, un paysage de cordes hissées à la Tarzan.
Sur le plateau, s’impose ainsi l’atmosphère d’une terre végétale foisonnante d’avant l’humanité qui fait apparaître métaphoriquement – belle prémonition instinctive –la verticalité des lambeaux découpés des restes humains – drôle d’exposition mortifère.
Avant la mort physique, les fous – poètes et inadaptés – pourraient évoquer ce peuple méprisé de « restes mentaux », figures que frappe la souffrance psychique.
La mise en scène précise, attentive et soignée offre au spectateur un paysage insolite sur un plateau de théâtre qui suggère l’emprise d’un extérieur redoutable.
Les acteurs dirigés magistralement accomplissent leur métier dans la grâce.
Luce Mouchel qui joue la mère et Marie Rémond la nièce, incarnent de grandes ennemies vengeresses, autorité raide d’un côté et fragilité dubitative de l’autre.
Véronique Hotte
Odéon – Théâtre de l’Europe (6è), du 10 mars au 14 avril. Tél : 01 44 85 40 40
Ce sera l’un des évènements de la 71ème édition du Festival d’Avignon, Olivier Py va présenter une adaptation de son roman Les Parisiens paru en septembre 2016 aux Éditions Actes Sud. L’histoire d’Aurélien, un jeune provincial qui se lance à l’assaut de la Capitale et du monde du théâtre. On le croise dans les fêtes, dans les salons, dans les lieux gay. On peut s’attendre à un spectacle fleuve, le roman compte plus de 500 pages. Olivier Py a montré une première version en janvier 2017 à la FabricA. Brigitte Masson a pu assister à cette étape de travail qu’elle relate sur son blog. « C’est drôle. C’est violent, dense, intense, provocateur, audacieux. « C’est joué ‘tambour battant’. Les jeunes acteurs ‘mettent la gomme’, sont ‘tout feu tout flamme’ et défendent la cause, les causes plutôt, de la pièce » écrit-elle.
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