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Le spectateur de Belleville
March 25, 2018 6:15 PM
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Par Nathalie Rouiller pour Libération - photo Audoin Desforges — 26 mars 2018
Sentimental et généreux, le comédien belge signe avec Jérémie, son cadet starisé, un premier film intitulé «Carnivores», autour des duos familiaux. Depuis le tandem biblique Caïn et Abel, chacun sait 1) que Dieu est un viandard attiré par l’agneau grassouillet plus que par les fruits mûrs ; 2) qu’à encenser les facilités du cadet, on s’expose à vexer l’aîné. Et que tout impair peut finir en véritable bain de sang…
Au cinéma, où les airs de famille ne sont pas légion, la lumière des spots prend parfois un malin plaisir à faire la nique au droit d’aînesse. Chouchou des Dardenne, le Belge Jérémie Renier a connu la notoriété très jeune et chapardé toutes les attentions. Yannick, son aîné de six ans, a fait carrière sur les planches avant de se frotter à l’objectif. Aujourd’hui, le duo signe Carnivores, un premier film introspectif et inquiétant, avec Leïla Bekhti et Zita Hanrot. Des doubles féminisés leur permettant de s’entre-déchiqueter en toute insouciance, loin de la réalité. La catharsis tournoyait dans leur esprit depuis un épisode tragicomique. Après Nue Propriété de Joachim Lafosse où ils campaient les jumeaux d’Isabelle Huppert, ils s’étaient retrouvés un jour à l’aéroport. Un appel et Yannick avait fini encombré de tous leurs bagages, alors que Jérémie, léger comme une star de ciné, bavassait au téléphone. Du lourd pour tous les fans de psychologie…
Parce qu’on fatigue des comparaisons antithétiques, on se réjouit de découvrir le brun ténébreux en solo. On l’attend moustache en fer à cheval et chevelure longue comme sur l’Instagram de son frère. Il a le poil de trois jours et la mèche agitée. Pour les besoins de la photo, l’athée se drape torse nu dans le suaire terne d’un voilage, pose entre les draps, puis se souvient, mais un peu tard, que la chambre est territoire interdit dans cet appart du Marais prêté par un copain. Pas encore émoussé par le tempo presto de la promo, il propose du café, surveille l’écoulement dans la tasse. Sa prévenance cadre avec la déco vintage pop de la cuisine, et on l’imagine volontiers partageur de tâches ménagères.
Son père est ostéopathe, sa mère secrétaire. Il a 3 ans quand ses parents se séparent. Un week-end sur deux, avec ses sœurs aînées, il rejoint son géniteur et sa nouvelle compagne. L’arrivée du frérot est un événement dont le comédien se souvient avec précision. Premier regard à la maternité et premières inquiétudes : «J’étais soulagé que ce nouveau venu brise le gynécée. En même temps, il y avait une ambiguïté dans le fait qu’il allait rester avec mon père.» Dans l’élevage désaffecté qui jouxte la maison, il y a par chance tant de vitres à briser, de bidons à ouvrir, de bêtises à empiler que la jalousie se mue vite en œillades entendues et en connivence musclée. «Je profitais de ma force pour le pousser à bout», avoue-t-il guilleret avant de glisser : «Petit, il m’énervait, il faisait tout comme moi.»
Animal d’image dès son plus jeune âge, le cadet rôde dans les rues caméscope au poing. Renier l’aîné fantasme sur la littérature, «mystérieuse et valorisante», hésite entre la défroque de poète maudit et celle de philosophe avant d’opter pour la scène. La question de la légitimité ne viendra le hanter que plus tard. Sésame perfide, son patronyme place la barre haut. Et puis la caméra est «un objet qui regarde, qui fige. Une sorte de trou noir». Les astéroïdes du grand écran confirmeront…
A l’écouter disserter sur le côté sombre du ciné, éloignement familial, narcissisme, perte de contact avec la réalité, on risque de rater le bouillonnement sauvage et perché du personnage. En 2017, il est sacré meilleur comédien aux molières belges. Les accoudoirs du Théâtre de Namur se souviennent de son passage en force. Bondissant sur scène, les poings serrés comme un vainqueur de Grand Chelem, le zébulon magnifique a bécoté tout le monde, avant de mouliner un discours très drôle. Stéphane Custers, metteur en scène et ami, témoigne de son énergie brute et parfois clownesque : «La première fois que j’ai vu Yannick, lors d’un spectacle d’impro, il portait un ciré jaune et avait le visage peint en vert.» «Très bien élevé, il baisse imperceptiblement le visage quand il parle de choses sérieuses, comme un loup apprivoisé», observe-t-il également. Jérémie, lui, décrit ainsi son aîné : «1,77 m, 65 kg. Il dévore mais reste svelte et sec comme un danseur. Drôle jusqu’à en être gênant. Débordant de vie ou englouti par les soucis. Généreux comme pas deux. Voici l’homme de ma vie. Mon frère et demi qui n’a de demi que la moitié que je n’ai pas.»
Depuis son adolescence et une nuit passée à la belle étoile dans une forêt luxembourgeoise, l’amoureux des sous-bois aime marcher seul et se laisser gagner par l’apaisement du pas cadencé. Outre les Frères Karamazov de Dostoïevski, il vient de terminer la Vie secrète des arbres qui traite de dialogues silencieux, de sève nourricière et d’entraide chlorophylle. Une perspective diamétralement opposée à celle de son long métrage, où le bois n’est pas joli, joli, au final. Solitaire par intermittence, il aime aussi les troupes de théâtre, les cavalcades familiales et le quotidien partagé. Sa pupille vrille quand il évoque Claire Bodson, comédienne rencontrée au Conservatoire royal de Bruxelles, et cet instant où les sentiments l’ont submergé, le laissant pantelant et follement amoureux. Trois bagues crucifient ses phalanges. Dans sa préférée, des plumes en argent massif, il voit sa relation de couple : «Elle est belle, me fait mal de temps en temps et représente quelque chose de léger dans un métal lourd.»
Ceinture noire de taekwondo, Renier balaierait bien du pied classements et échelles de valeur. Persuadé qu’il fallait être virtuose ou s’abstenir, il s’est longtemps interdit le piano. Aujourd’hui, grâce aux cours pris en cachette, ses doigts accompagnent adagietto le Winterreise de Schubert. «Eclectique mais pas à l’affût», il arbore un tee-shirt du groupe Sonic Youth et vante les vertus euphorisantes de la bossa nova. S’il se rêve un jour loin de Bruxelles, il s’évite toute condescendance envers les Flamands et tient à ce que ses enfants (Gaspard, 17 ans, Cléo, 9 ans) soient scolarisés dans les deux langues. Le mur invisible finira-t-il par tomber ? Art et culture jettent de plus en plus de passerelles entre les communautés, il serait stupide de se priver «des gens géniaux qu’il y a en Flandres». Il habite un appartement dans le quartier de l’Altitude Cent, point culminant 100 mètres, ne se plaint pas de ses 1 000 euros mensuels. Sans grande curiosité politique, il vote plutôt écolo.
Avant de partir, ce «tendre et viril», qui parle si bien du «plaisir immense de la lucidité», dit son soulagement d’avoir symboliquement occis son frère. Et puis, les étiquettes de bon fils et de grand frère sérieux réduites en papillotes, il précise : «Dans les dates importantes, ce serait bien d’ajouter la naissance de Jérémie.»
29 mars 1975 Naissance à Bruxelles. 6 janvier 1981 Naissance de Jérémie. 1993 Conservatoire royal de Bruxelles. 2007 Nue propriété (Joachim Lafosse). 2017 Prix du meilleur comédien aux molières belges. 28 mars 2018 Carnivores, réalisé avec son frère.
Nathalie Rouiller
photo Audoin Desforges pour Libération
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Le spectateur de Belleville
March 23, 2018 7:42 PM
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Par Pierre Monastier dans Profession-Spectacle
Du 5 au 18 avril prochain, un bon air catalan soufflera dans Paris, pour la première édition « Barcelone en scène », festival de théâtre créé par le tandem formé – dans les coulisses comme à la ville – par Mathilde Mottier et François Vila.
L’an dernier, les directeurs de ce festival franco-barcelonais, ont fondé le festival de t(h)eatre en français de Barcelone. Le pendant n’a pas attendu longtemps. Un an plus tard, après une seconde édition à Barcelone, les voilà qu’ils apportent la dramaturgie catalane dans la capitale française.
Peu à peu, Mathilde Mottier et François Vila mettent en place un pont artistique de plus en plus solide. Force est de constater que le théâtre catalan n’en est qu’à ses débuts. En témoigne la récente adaptation d’Après la pluie de Sergi Belbel : le texte du dramaturge catalan a été mis en scène au théâtre du Vieux-Colombier par la Suissesse Lilo Baur, avec la troupe de la Comédie-Française.
Rencontre avec d’infatigables bâtisseurs de rencontres.
Comment avez-vous pensé cette première édition de « Barcelone en scène » ?
François Vila – « Barcelone en scène » est né en même temps que le festival de théâtre en français que nous organisons à Barcelone. Nous avions le désir de faire connaître des auteurs francophones à Barcelone et des auteurs catalans à Paris.
Mathilde Mottier – Nous sommes humains. Il était impossible de monter les deux festivals conjointement. Nous avons donc créé le festival de t(h)éâtre en français l’an dernier, et celui à Paris cette année.
Était-ce plus facile de commencer à Barcelone plutôt qu’à Paris ?
M. M. – Les rendez-vous se déclenchent plus facilement à Barcelone qu’à Paris. François connaît très bien la ville, parle espagnol et catalan ; quant à moi, je peux suivre les conversations. À Paris, quand on daigne te répondre, ce sont les questions qui viennent en premier : « vous venez de la part de qui ? », « qui vous finance ? », etc.
Pourquoi avez-vous choisi d’organiser à Paris un festival sur une simple province espagnole, quand vous rapportez dans le même temps tout un pays, voire le monde francophone, à Barcelone ?
F. V. – Il y a déjà un festival parisien qui propose du théâtre espagnol depuis 25 ans. Mais rares ont été les représentations de pièces catalanes. Par ailleurs, les auteurs contemporains de théâtre, qu’ils viennent de la Catalogne ou d’autres provinces espagnoles, ne sont pas du tout connus en France. Le seul nom dont on se souvient, dans un certain milieu, est celui de Juan Mayorga, parce qu’une de ses pièces – Le Garçon du dernier rang – a été adaptée au cinéma par François Ozon : Dans la maison, avec Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas.
M. M. – On ne fait pas un festival pour défendre un pays, une région, ni même une langue. C’est qu’il y a une dramaturgie, propre à ce territoire, qui nous semble intéressante.
F. V. – Sergi Belbel, quand il a dirigé le théâtre national de Catalogne, a initié une nouvelle dynamique, avec une programmation mêlant des grandes pièces reconnues et des jeunes dramaturges émergents. Ce qui fait qu’il y a toute une génération d’auteurs et de metteurs en scène intéressante, à découvrir et à faire découvrir.
Vous avez préféré appeler ce festival « Barcelone en scène », et non Catalogne ou Catalans en scène…
M. M. – Nous ne voulons pas nous situer sur un plan régional. Par ailleurs, le terme « catalan », pour les Français, évoque la situation politique récente. Ce n’est pas du tout ce que l’on veut. Le théâtre est politique par nature, mais nous ne sommes pas des militants.
F. V. – Ce qui nous intéresse, ce sont les artistes, ce qui se passe, s’écrit, se joue… Les dramaturges sont pris dans des réalités politiques, concrètes ; ils l’expriment par leur écriture, ou pas. Ce n’est pas à nous de donner des leçons.
Pour cette première édition, vous avez choisi de mettre en avant deux auteurs, Pau Miró et Josep Maria Miró qui, précisons-le, n’ont aucun lien de parenté. Pourquoi eux ?
F. V. – Parce qu’ils n’ont jamais été joués à Paris, alors qu’ils sont connus dans le monde entier, traduits dans plus de vingt-cinq langues, joués dans plus de trente-cinq pays…
M. M. – La programmation que nous proposons depuis deux ans à Barcelone est variée, du fait des différents lieux d’accueil. D’une salle à l’autre, il n’y a pas le même style de spectacle, donc pas le même public non plus. Nous allons de la pure comédie au théâtre de texte. La spécificité est que nous privilégions des jeunes compagnies et des auteurs vivants. Nous avons été heureux de voir que le public se déplaçait, qu’il y a une curiosité… À Paris, nous avons essentiellement un seul lieu, le Théâtre 13/Seine, pour les deux pièces : Buffles de Pau Miró et Le principe d’Archimède de Josep Maria Miró. Il faut aussi mentionner La Cage, qui sera joué à l’espace Jemmapes dans La Petite Rotonde : c’est une représentation en français d’un fragment de Nid, pièce écrite par Marc Garcia Coté, qui mettra en scène la comédienne catalane, Aina Tomàs Martorell. Marc Garcia Coté travaille d’ailleurs à Paris et à Barcelone.
F. V. – Outre ces trois pièces, nous aurons une master class de Sergi Belbel, des rencontres avec avec Pau Miró et Josep Maria Miró, ainsi que différentes lectures : Après moi le déluge, de Lluïsa Cunillé, Histoire de Jan Vilanova, Snorkel d’Albert Boronat, l’intégralité de la pièce Nid de Marc Garcia Coté…
Quels sont vos souhaits concernant cette première édition de Barcelone en scène ?
M. M. – Que les gens se rencontrent, que ça suscite des envies de projet en commun… L’an dernier, lors du festival à Barcelone, il y a eu un échange entre le Conservatoire national de Paris et l’Institut del teatre de Barcelona. Anne Sée s’est déplacée, a découvert notre projet et nous a présenté la metteure en scène Anne Monfort. Cette dernière avait pour projet d’adapter au théâtre le roman Pas pleurer de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, dont l’intrigue se passe à Barcelone. Pour le rôle du fils, nous lui avons suggéré de recruter un acteur catalan parlant français, afin qu’il y ait cet accent particulier dans la pièce. Restait à trouver qui… Nous avons mis quelques mois, et avons fini par lui présenter Marc Garcia Coté. Bingo ! Ils vont jouer ensemble lors de la création de la pièce… peut-être à Barcelone l’an prochain, dans le cadre de notre festival. Susciter ce type de projet est notre souhait profond.
F. V. – PompierS de Jean-Benoît Patricot, que nous avons proposé lors de la première édition à Barcelone, a été traduit en catalan et vient d’être présenté dans deux festivals à Majorque, en octobre dernier. L’actrice a reçu à cette occasion le prix d’interprétation féminine du festival des îles Baléares. La compagnie prépare une version en castillan, afin de poursuivre leur aventure dans toute l’Espagne.
M. M. – Cette première édition est à la fois un test et un appel, afin que le festival prenne de l’ampleur et trouve de nouveaux lieux d’accueil, à Paris ou en Île-de-France.
Propos recueillis par Pierre MONASTIER
Renseignements : Barcelone en scène http://www.barcelone-en-scene.com/
Coordonnées :
Courriel : info [@] barcelone-en-scene.com Facebook : Barcelone en scène https://www.facebook.com/barceloneenscene/ Quelques dates à retenir :
Master class avec Sergi Belbel : lundi 9 avril à 20h (entrée gratuite sur réservation) Buffles de Pau Miró au Théâtre 13/Seine vendredi 6 et samedi 7 avril à 20h dimanche 8 avril à 16h
Le Principe d’Archimède de Josep Maria Miró au Théâtre 13/Seine jeudi 12, vendredi 13 et samedi 14 avril à 20h
La Cage, d’après Nid de Marc Garcia Coté à La Petite Rotonde / Jemmapes mardi 17 et mercredi 18 avril à 20h
TÉLÉCHARGEZ LE PROGRAMME COMPLET : http://www.profession-spectacle.com/wp-content/uploads/2018/03/Barcelona-en-sc%C3%A8ne-2018-calendrier-14-mars-2018.pdf
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Le spectateur de Belleville
March 23, 2018 7:29 PM
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Par Stéphane Capron dans Sceneweb
Pierre Maillet adapte un livre d’interviews entre Michel Foucault et un jeune garçon révolutionnaire. Nous sommes dans les années 70, avant l’arrivée du SIDA. Le dialogue scénique avec le jeune et brillant Maurin Ollès montre la réalité de la société française post-68.
« J’ai rencontré le garçon de 20 ans ». Ainsi parle Michel Foucault de Thierry Voeltzel. Les deux hommes se rencontrent par hasard lors de l’été 1975 sur une route de Normandie. Le jeune homme militant actif dans les mouvements homosexuels et maoïstes est pris en stop par Michel Foucault. Ils deviennent amants et de leur relation naît un livre, Vingt ans et après. Michel Foucault enregistre sur des cassettes des heures et des heures d’entretiens qui sont retranscrites par Mireille Davidovici. Michel Foucault demande à conserver l’anonymat lors de la parution du livre en 1978. Ce n’est que lors de sa réédition il y a très peu de temps que son identité est révélée par Thierry Voeltzel qui vit désormais à Saigon au Viêtnam où il fabrique et commercialise du mobilier d’art.
Les deux hommes parlent librement et sans tabou de multiples sujets. La sexualité, les drogues, la famille, le travail, la religion, la musique, l’inceste et la révolution. Pierre Maillet reproduit le schéma de l’interview. Il est assis debout – derrière le public au dernier rang – et interroge Maurin Ollès. Les deux comédiens ne jouent pas, ils parlent naturellement. Les échanges sont nourris. On sent du respect et de l’attention dans la relation de Michel et Thierry.
Quelques diapositives marquent les têtes de chapitre et on entre dans l’intimé de cette rencontre sociologique au cœur de la France des années 70. Thierry Voeltzel est alors agent hospitalier, il raconte de l’intérieur le quotidien du système de santé. Il milite au FHAR, le Front homosexuel d’action révolutionnaire qui a donné une visibilité au combat gay et lesbien avant Act Up et AIDES, dans une France où l’homosexualité était encore un délit.
La pièce de Pierre Maillet est à la fois un travail documentaire et militant, dirigé tout en finesse. Maurin Ollès formé à l’école de la Comédie de Saint-Etienne que l’on a découvert cet été dans Truckstop au Festival d’Avignon, dans la mise en scène d’Arnaud Meunier est tout simplement épatant
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
LETZLOVE-PORTRAIT(S) FOUCAULT à partir du livre de Thierry Voeltzel Vingt ans et après, éditions Verticales mise en scène Pierre Maillet avec Maurin Olles & Pierre Maillet Production : Comédie de Caen-CDN de Normandie. Avec le soutien artistique du DIESE # Rhône-Alpes. durée 1h20
Monfort Théâtre du 22 au 25 mars (festival) & du 29 mars au 7 avr 2018 à 19h30
Maurin Olles © Tristan jeanne-Valès
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Le spectateur de Belleville
March 22, 2018 7:44 PM
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Par Gilles Renault dans Libération (dernière page) — 23 mars 2018
La comédienne de «Dix pour cent» et du «Jeu de l’amour et du hasard» affronte des fracas existentiels, loin du registre fantasque qui la popularise.
Au doigt mouillé, une investigation permet d’évaluer à 10 % le nombre de nos concitoyens capables de mettre spontanément un visage sur le nom de Laure Calamy, et vice versa. Toutefois, l’estimation grimpe en flèche, dès lors qu’on cite la série à succès de France 2, dont le titre en forme de tantième fait référence au pourcentage du cachet que les acteurs (trices) rétrocèdent à leur agent pour leurs diligents (et plus ou moins avouables) services.
Car, depuis sa première diffusion à l’automne 2015, Dix pour cent cartonne. Conviées à l’exercice autoparodique, les stars, qui changent à chaque épisode, s’y bousculent désormais, après que plus d’un(e) eut fait la mijaurée. Mais Laure Calamy, elle, appartient au noyau dur, en tant que Noémie, assistante nunuche et gaffeuse de Mathias (Thibault de Montalembert), un des tauliers de l’agence artistique dont elle est raide dingue amoureuse.
La saison 3 (avec Jean Dujardin, Isabelle Huppert…) est en gestation et la comédienne - qui figurait par ailleurs dans la dernière fournée des césars, nommée dans la catégorie second rôle pour Ava -chôme d’autant moins que, chaque soir, on la voit aussi au théâtre. Dans le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, franc succès actuel validé par une critique élogieuse, elle incarne dans la mise en scène de Catherine Hiegel une autre «faire-valoir», la soubrette Lisette, qui parvient également à tirer la couverture à elle.
Pour qui la découvrirait seulement aujourd’hui, signalons ici que Laure Calamy a déjà de la patte avec, depuis le début du siècle, une vingtaine de pièces de théâtre et le double de films (plutôt dits d’«auteurs») au compteur, quand bien même son nom n’a quasiment jamais figuré en gros sur l’affiche. Epousant les contours de personnages souvent un peu barrés, mais avec une inflexion en général drolatique, son profil a conquis plus d’un metteur en scène, comme Olivier Py, l’actuel directeur du Festival d’Avignon, ou Vincent Macaigne. Si bien que, bac en poche et Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) dûment négocié, elle n’a jamais eu à craindre la bourlingue. Mieux, Laure Calamy suit une ligne discrètement ascendante, qui l’amène aujourd’hui, esprit avisé, à constater que «lorsqu’on a le vent en poupe, il faut savoir tenir la voile, car tout peut vite s’arrêter».
La révélation lui vient d’un spectacle en colo où, présente sur scène, elle entrevoit derrière son masque la perspective d’une «communion avec le public qui permet de s’élever». Envisageant le théâtre comme une «transe joyeuse» dont, en qualité de comédienne, elle se vivrait telle une «passeuse entre les vivants et les morts», Laure Calamy ne badine pas avec les mots. Bien au contraire. Ce qui, à l’oral, l’amène souvent à raturer une pensée où «l’envie de dire plein de choses» achoppe sur la difficulté de les formuler «avec précision». «Je peux me montrer d’une lenteur insupportable et bugger dans un magnifique bordel, ou "bord d’elle", comme on dirait en psychanalyse», souffle-t-elle sans s’étendre sur la question. Ni sur d’autres du reste, dès lors qu’affleure l’intime, finalement divulgué en pointillés. «Pas trop envie de parler de ça», glisse à diverses reprises celle qui parsème l’échange de «non… oui… enfin, non… mais voilà, bref…» Et demande à «relire au moins les citations avant parution», tout en prolongeant la rencontre de divers mails, SMS et messages vocaux périphrastiques, destinés à clarifier certains points sur lesquels elle avait préalablement regimbé.
«Laure est quelqu’un d’absolument pas évanescent, qui a même de grandes pensées sur le monde», décrypte Nicolas Maury, qui interprète son collègue Hervé dans Dix pour cent et Dorante dans le Jeu de l’amour et du hasard. «Grande technicienne de plateau, ajoute celui qui la dirigera cet été dans son premier long métrage en tant que réalisateur, elle a l’audace de laisser apparaître ses conflits intérieurs quand elle joue, tout en éprouvant le besoin de regagner ses forêts profondes. Car l’évidente dimension burlesque qu’elle possède cohabite aussi avec les angoisses et les vertiges propres au fait qu’elle, comme moi, situons parfois nos existences au bord de grandes falaises.»
La brunette au nez retroussé qui débarque, avec un script de Dix pour cent sous le bras, en chemisier fleuri et fausse fourrure, claque la bise sans tralala dans cet estaminet popu-bobo du Xe arrondissement parisien situé en bas de chez elle. Spontanée et volubile, elle évoque sans détour son métier, concède un attrait pour les grands sujets de société et même une sympathie pour Benoît Hamon qui l’amène, maintenant que les dés ont été jetés, à persister dans le reniement d’Emmanuel Macron.
A l’inverse, Laure Calamy ne s’en recroqueville pas moins dès l’instant qu’elle estime le questionnement trop sensible. «Fille réussie, plus que garçon manqué», elle élude une «enfance très libre où on la laisse faire sans inquiétude des trucs aventureux». Issue de la classe moyenne orléanaise - père médecin «dans le secteur hospitalier» (elle tient à la précision, «question d’éthique») et mère infirmière, grande lectrice qui l’emmène voir Pina Bausch à Avignon -, Laure Calamy tique sur l’introspection familiale ; et défend un féminisme si univoque que, «toute petite», elle vivait déjà comme «une injustice physique le fait que dans le langage qui, ne l’oublions pas structure la pensée, le masculin l’emporte sur le féminin».
Egalement mentionné à la dérobée, son chéri, qu’elle rejoint dans une maison sans eau ni électricité des Basses Cévennes, est un guide de montagne colombien. Mais le couple n’a pas d’enfant. «Nous avons la chance de pouvoir vivre à une époque où il n’est pas indispensable de se reproduire, et c’est peut-être même rendre service à l’humanité que d’y renoncer. J’ai un beau-fils, que j’adore, et trouve magnifique certaines femmes enceintes, tout en ayant envie qu’on foute la paix à celles qui ne souhaitent pas mettre bas», s’emballe-t-elle.
Sur les thèmes, manifestement pas propices à la faribole, du féminisme et de la procréation, Laure Calamy enverra deux post-scriptum. Le premier cite la militante Hubertine Auclert théorisant au début du XXe siècle : «L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu’on ne le croit à l’omission du féminin dans le droit. L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée.» Et le second, la Lisette de Marivaux : «La question est vive ! Savez-vous bien que vous m’embarrassez !»
1975 Naissance. 2011Un monde sans femmes (Guillaume Brac).
2012 Ce qu’il restera de nous (Vincent Macaigne).
2015 Saison 1 de Dix pour cent (Fanny Herrero).
2017Ava (Léa Myzius).
2018 Le Jeu de l’amour et du hasard, au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Gilles Renault
Photo Martin Colombet. Hans Lucas
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Le spectateur de Belleville
March 22, 2018 7:15 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde 22.03.2018 Le nouveau spectacle de Christiane Jatahy aux Ateliers Berthier interroge notre civilisation.
« Allez, c’est la fête ! Venez danser avec nous ! » L’ambiance bat son plein sur le plateau des Ateliers Berthier, alors que les actrices, en robe longue et talons hauts, au son de « tubes » disco, accueillent les spectateurs. Ainsi commence Ithaque, le nouveau spectacle, qui fera date, de la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy : dans une atmosphère survoltée, dont on pressent d’emblée qu’elle ne tardera pas à se noyer dans un océan de larmes.
Ainsi commence Ithaque, du moins, pour la moitié des spectateurs, installés sur un des côtés du décor. Les autres, assis de l’autre côté, verront autre chose : le même spectacle, mais selon un point de vue, une temporalité différents.
Ithaque est le premier volet d’un diptyque inspiré par L’Odyssée, d’Homère, et le mot « inspiré » a toute son importance. Il serait dommage, à trop chercher ce que le spectacle n’est pas – une adaptation modernisée de l’épopée d’Ulysse –, de passer à côté de ce qu’il est : un grand moment de théâtre d’aujourd’hui, qui vous embarque dans sa propre odyssée intime et collective.
Vivant et concret Le texte d’Homère est ici comme un palimpseste, sur lequel Christiane Jatahy et ses six extraordinaires comédiens écrivent leur propre texte – un texte qui, pourtant, ne peut exister que parce que celui de l’auteur grec a existé, et parce qu’il est à la source de notre civilisation et de nos représentations imaginaires. Mais tout prend un tour on ne peut plus vivant et concret dans ce théâtre de Christiane Jatahy qui, depuis qu’on l’a découvert, en 2014, avec Julia, d’après Strindberg, a fait vieillir d’un coup une bonne partie de ce qui se produit en Europe.
Le vaste plateau des Ateliers Berthier est séparé en deux par un immense et double rideau de fil scintillant, d’une beauté somptueuse, qui semble dans ses reflets d’or pâle la matière même du temps. D’un côté – celui où nous étions le soir de la première, le 16 mars –, on est chez Calypso, alors qu’Ulysse s’apprête à repartir. De l’autre, on est chez Pénélope, alors qu’Ulysse s’apprête à revenir.
Et, comme il est écrit d’emblée, « Elles sont toutes Calypso », « elles sont toutes Pénélope », « ils sont tous Ulysse ». Les trois comédiennes brésiliennes de Christiane Jatahy, Julia Bernat, Stella Rabello et Isabel Teixeira, et les trois comédiens franco-belgo-suisse, Karim Bel Kacem, Cédric Eeckhout et Matthieu Sampeur, entrent et sortent avec virtuosité de leurs personnages, tout en restant toujours eux-mêmes. Comme si nous étions tous Ulysse, Calypso et Pénélope : des êtres qui partent et qui reviennent, des êtres qui attendent le retour d’un être aimé ou qui pleurent le départ d’un autre, des êtres qui cherchent un foyer et qui cherchent à le fuir.
Poétique de l’eau et de larmes Et cela n’a rien d’abstrait dans ce spectacle où Christiane Jatahy fait vivre, au sens propre, une traversée puisque, au bout du premier tiers de la représentation, les spectateurs échangent leurs places de part et d’autre du plateau. Avant que, dans la dernière partie, le double-rideau ne se lève, dégageant l’ensemble du plateau, et que ne commence pour Ulysse une autre guerre : une guerre dont on ne sait si elle est d’hier ou d’aujourd’hui, une guerre imminente ou toujours en cours, une guerre déclarée ou qui ne dit pas son nom.
L’eau monte alors peu à peu sur le plateau, jusqu’à venir presque lécher les pieds des spectateurs du premier rang, dans ce spectacle qui met en jeu une magnifique poétique de l’eau et de larmes. Dans ce dernier tiers, sidérant, d’Ithaque, où les comédiens jouent dans l’eau en permanence, le théâtre de Christiane Jatahy prend toute sa force, avec son sens inouï du présent et de la présence. Sa manière de montrer la violence, aussi, comme on la voit rarement sur scène.
LE THÉÂTRE DE CHRISTIANE JATAHY PREND TOUTE SA FORCE, AVEC SON SENS INOUÏ DU PRÉSENT ET DE LA PRÉSENCE
Il tisse tant et tant de fils de notre aujourd’hui héritier de nos hiers, ce spectacle, qu’il est impossible de les tirer tous : encore et toujours le Brésil, où, le 14 mars, une femme politique noire, Marielle Franco, militante féministe et des droits de l’homme, a été tuée en pleine rue. Les guerres intérieures et extérieures, l’exil.
Comme si ce vaste océan, ces deux mille sept cents ans qui nous séparent du temps d’Homère, était venu se déverser, s’échouer là où nous en sommes aujourd’hui, dans une civilisation à bout de souffle, où une donnée anthropologique majeure est en train de basculer : le rapport entre les hommes et les femmes. Christiane Jatahy, comme d’autres artistes avant elle, livre avec Ithaque une superbe interprétation de la tapisserie de Pénélope.
Ithaque – Notre Odyssée 1. Un spectacle de Christiane Jatahy, inspiré d’Homère. Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, 1, rue André-Suarès, Paris 17e. Tél. : 01-44-85-40-40. Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures. De 8 € à 36 €. En français et portugais surtitré. Jusqu’au 21 avril. www.theatre-odeon.eu
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Le spectateur de Belleville
March 22, 2018 3:58 AM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama / Sortir le 22/03/2018
Intense et sobre : dirigée par Alain Françon, la comédienne se révèle dans “Un mois à la campagne”, de Tourgueniev. Une pièce sur le désir au féminin à voir au théâtre Dejazet.
Vous campez une formidable Natalia Petrovna, l’héroïne de la pièce. En êtes-vous consciente ?
Je suis surtout consciente de ce que je n’arrive pas à faire ! Je n’ai aucune idée de qui est Natalia. Elle est multiple, constamment inconséquente. Normalement, avant d’entrer en scène, on se tient comme un skieur qui visualise la piste avec ses bosses et ses tournants. Là, il y en a trop. Je ne peux être que comme un animal, à l’instant présent. En fait, en deux mois de répétitions, nous nous sommes préparés à… ne pas être préparés à ce qui va arriver, à ce que l’autre va nous dire et comment nous allons réagir. C’est la moindre des choses, mais personne ne me l’avait jamais demandé avant Alain Françon !
Cela suppose du lâcher-prise sur scène ?
Oui, mais aussi de la dextérité, de la précision dans le rythme, dans la façon d’attaquer, de dérouler ou de terminer une phrase. Alain est un chef d’orchestre exigeant !
“Nous sommes tous des malades de la sensation de vérité. Nous la cherchons éperdument” Est-il un metteur en scène maniaque ?
Dirait-on de Giacometti qu’il était maniaque quand, voulant faire un profil parfait, il déchirait feuille après feuille des dessins que nous trouverions géniaux ? Nous sommes tous des malades de la sensation de vérité. Nous la cherchons éperdument.
Et vous lui avez amené la pièce de Tourgueniev…
Je connaissais ce texte depuis des années et je l’aimais comme on peut être touché par un paysage où on constate que l’on va respirer. Je ne savais qu’une chose, c’est que Natalia a un ami (Rakitine, interprété par Micha Lescot), et ça me plaisait de raconter qu’un ami peut être précieux, et plus qu’un amoureux. Mais quand le volcan de l’amour se réveille, ce qui arrive à Natalia, même ce qui était sacré vole en éclat. Une pulsion de vie dévastatrice débarque comme une bourrasque.
A lire aussi “Un mois à la campagne”, une adaptation vibrante de la pièce d'Ivan Tourgueniev Je ne crois pas avoir déjà vu peinte de façon aussi fine une femme qui se met à aimer un homme et dont on assiste ici à la cristallisation du désir en temps quasi réel. Ce garçon qui lui rend son amour s’enfuit la scène d’après en disant que ce n’était qu’un feu de paille. Toutes les femmes ont vécu ça. Nous jouons une comédie des sentiments. Nous racontons aux gens comment les sentiments nous dégomment.
Comment faites-vous pour ne pas exhiber vos émotions mais en faire le récit, comme vous le demande le metteur en scène ?
Il faut ne pas incarner, ou alors incarner à demi. C’est infaisable, mais on peut y tendre. Etre au plus près de l’incarnation, sans jamais être submergé par les émotions. Je me laisse traverser, mais je ne m’installe pas dans un état psychologique. Je suis Natalia, puis Anouk. Je vais vers elle et elle vient vers moi.
Comment le jeu rebondit-il entre Micha Lescot, la jeune India Hair, qui joue le rôle de votre pupille, et vous-même ?
A partir du moment où le principe de travail est de tout vivre en direct, ce qui sort de nous n’est jamais exactement la même chose. La balle arrivée par la droite la veille peut venir de la gauche le lendemain. Ce qui nous oblige – et c’est délicieux – à jouer ensemble. On s’écoute. Ecouter c’est mettre chaque instant à zéro et prendre toutes les balles en direct. Avec Micha et India il y a un immense plaisir à s’adonner à cette partie. C’est cadeau de jouer avec des gens qui sont vrais. On s’aime beaucoup, on s’estime. C’est une vraie équipe de foot. Je n’avais pas vécu ça depuis des années. Personne ne traine la patte, ce qui est rare, et personne n’est fâché de voir son copain faire un beau salto car le salto de l’un entraine le salto de l’autre.
Dans ce rôle de Natalia, vous êtes en pleine possession de vos moyens. C’est le rôle de la maturité ?
Jusqu’à ce spectacle, certains disaient que j’avais un style. Or, j’avais le sentiment que ce n’était pas un style, mais une prison, profonde, dont je ne savais pas comment me sortir. Au début des répétitions, j’ai dit à Alain : je crois que j’ai tout le temps trafiqué et qu’on m’a tout le temps fait trafiquer. Aide-moi à ne plus trafiquer. Il a souri, mais il m’a prise au sérieux. Il savait que je voulais me défaire de quelque chose qui était une fausse liberté.
“Ma chance a été de tomber sur Alain au bon moment. Il a été tenace et bienveillant.”
Les expériences plus solitaires que vous avez menées ces dernières années, depuis Rosa Luxembourg jusqu’au monologue de Molly Bloom, étaient-elles des tentatives d’échapper à cette prison ?
Rosa est arrivé à un moment où je n’avais plus le goût de la vie. En tombant sur ce livre, c’est comme si j’avais trouvé une sœur en Rosa et, la trouvant, je redevenais vivante. Pendant des années, on m’a poussé (les rôles et les metteurs en scène) à être un être fragile face aux autres. C’était presque devenu une spécialité et ça me dégoutait. J’ai toujours eu l’envie de sortir de mes prisons et jusqu’à présent j’avais l’illusion d’y parvenir et on me laissait le penser. Des milliards de gens tapissent leur cachot de papier fleuri et croit qu’ils sont dans la forêt. Je ne suis pas différente. La seule différence c’est que je suis terrible avec moi-même et que j’arrache le papier. C’est à la fois ma chance et ma malchance. Ma chance a aussi été de tomber sur Alain au bon moment. Il a été tenace et bienveillant.
La traduction de la pièce par votre père Michel Vinaver a-t-elle aidé sur ce chemin ?
J’ai une espèce d’hygiène qui fait que quand je travaille autour de ses textes ce n’est plus mon père mais c’est Vinaver. Nous avons une grande amitié qui n’est pas celle d’un père et de sa fille, mais celle de deux personnes. Je ne me dis pas qu’il m’a fait, avec ce texte, un cadeau. Par contre pendant la représentation, il m’arrive souvent (et aux autres aussi), de jouer une scène et de voir surgir un charme. Et ça, ça vient de la langue. Pour nous, c’est comme skier dans de la bonne neige. Et puis je pense que ce sera son dernier texte.
Vous dessinez toujours ?
Je vais très bientôt faire une expo à Dunkerque ! D’habitude, je dessine pendant les représentations. Mais là, je ne peux pas. Je pense qu’Alain nous demande de faire un usage de notre inconscient tel qu’il me mobilise entièrement. Or, comme le dessin part aussi de là… Ces temps-ci, je ne suis pas bilingue !
A voir Un mois à la campagne, de Tourgueniev, jusqu’au 28 avril, Théâtre Déjazet, 41, bd du Temple, Paris 3e, 01 48 87 52 55, du lundi au samedi 20h30, 21-42 €.
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Le spectateur de Belleville
March 22, 2018 3:38 AM
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Crédit photo : Jean-Louis Fernandez Le Récit d’un homme inconnu, texte de Anton Tchekhov, mise en scène, adaptation, scénographie et lumière de Anatoli Vassiliev Dès que le public pénètre dans la salle de théâtre, son regard est saisi par le vaste décor scénique d’un appartement bourgeois et cossu qui baigne dans une lumière radieuse. Au-dessus, suspendue dans le lointain, la photo ancienne de la Perspective Nevski à Saint-Pétersbourg. Sur la scène élevée, un long vestibule s’étire de jardin à cour, pièce tout en longueur fermée par des murs et leurs trois portes blanches encastrées et qui, ouvertes, laissent entrevoir ses coulisses arrière. Le spectateur assiste en voyeur à des séances élégantes d’habillage et de déshabillage du maître de maison, livré aux mains habiles de son valet silencieux. La pièce de vie face au public surmonte une terrasse en demi-lune, accessible en contre-bas par quelques marches sur les côtés. La scénographie est graduée, selon trois niveaux, un tapis de cirque en demi-cercle près du public, l’appartement surélevé et Saint-Pétersbourg. Rien ne laisserait supposer dans ce Récit d’un homme inconnu de Tchékhov, créé par Anatoli Vassiliev, que sonne la fin des années 1880 en Russie, au temps troublé d’un groupe terroriste – intellectuels et étudiants poseurs de bombes -, rappel sonore d’une intelligentsia déçue. L’homme inconnu est le valet silencieux qui fait rouler ses dessertes multiples à l’heure du thé, à l’intention des maîtres, Orlov et sa maîtresse Zinaïda. Il est le narrateur Vladimir Ivanovitch, ex-officier de la marine et de mouvance révolutionnaire, incarné par Stanislas Nordey, comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre national de Strasbourg. Vladimir Ivanovitch n’est pas le valet de chambre du comte Orlov par hasard : le père de celui-ci, homme d’Etat, est la cible des terroristes. Le valet est un politique habité d’une vie intérieure intense et inconnue. Entre Orlov et le valet de chambre, rayonne la femme romantique et romanesque, Zinaïda – lumineuse Valérie Dréville – qui accorde sa foi à celui qu’elle aime. Passionnée par les idées politiques, elle s’embrase pour des hommes désenchantés et blessés que l’amour ne peut sauver. Aux antipodes du valet, Orlov – Dom juan interprété par l’acteur Sava Lolov -, porte beau, protégé encore par son ironie, un Platonov de la pièce éponyme de Tchékhov. Amateur de vins, de livres, le héros fascine les femmes par sa liberté et son refus des attachements. Le premier volet pétersbourgeois du spectacle révèle la belle Zinaïda, épouse qui a quitté son mari pour le seul amour du comte Orlov, distant et replié sur ses lectures. Déçue, désobligée et enceinte, elle le quitte. Avant que ne s’ouvre le second volet, le valet descend sur le demi cercle de la salle près du public, narrant l’action passée et préparant l’avenir. La seconde partie fait tomber le voilage de la vue de Saint-Pétersbourg, laquelle est remplacée par l’image des canaux d’une Venise ensoleillée. Après avoir renoncé à tuer la victime ciblée – un rêve qu’il a cru vivre en faisant éclater superbement un pantin de foire rempli de bouteilles vides -, le valet s’est enfui à Venise avec la belle à laquelle il s’est attaché. Une caméra ancienne projette un film sur une voile blanche, comme accrochée à des mâts et rivée à des plombs – ancres marines -, où l’on voit les amants assis et se faisant face dans une gondole, lisant haut. Ils vivent dans la Sérénissime –passions, jeux, fêtes et champagnes. De longues rangées de bouteilles vides et scintillantes sertissent le bas des murs de l’appartement – une installation dont le drame aura usage. Puis accouche la jeune femme, sans espoir, mais debout et consolée. Quand on a cru l’enfant mort-né, c’est sa mère qui a quitté la vie de bon gré. L’atmosphère – esthétique, morale et sensuelle – relève de la plénitude à connotation mi sucrée, mi amère du film Mort à Venise (1971), d’après la nouvelle de Thomas Mann dont Luchino Visconti fit une œuvre mythique. Participent à l’ambiance délicate et surannée, non seulement la création lumière de Philippe Berthommé, mais encore les costumes de Vadim Andreev et Renato, des vêtements fin de siècle de la société privilégiée à l’allure proustienne – couleurs claires, blanc cassé et beige, matières soyeuses, robes féminines épanouies et mises masculines d’allure sûre. Canotier pour les hommes, chapeau d’Arlequin pour le carnaval vénitien de Zinaïda et dessous chic. Et si la musique apaisante et entêtante pour le narrateur malade de la nouvelle de Tchékhov était La Sonate au clair de lune de Beethoven : «Comme il jouait bien ! D’abord, j’eus envie de pleurer… puis, il m’apparut que ma vie n’était pas aussi mauvaise que je le pensais et qu’aujourd’hui encore il m’était possible de la recommencer intérieurement. La phtisie ne m’en empêchera pas, car on peut la guérir au Caire ou à Madère. Et il y a sur cette terre une matière si riche pour une vie joyeuse, féconde et élevée ! » Dans la mise en scène du maître russe Anatoli Vassiliev, le contrepoint musical est assuré par les reprises lancinantes de la Cinquième Symphonie de Mahler, écho d’emblée identifiable à Mort à Venise. Le spectacle est un enchantement scénique – un envoûtement assuré -, ne serait-ce encore que par les séances chorégraphiées, entre silences et mouvements dansés que chacun des trois interprètes accomplit – avec une prédilection de Zinaïa pour ses tournoiements gracieux, le sourire aux lèvres, qui s’ouvre manifestement au monde et à l’autre – un astre. Les mouvements sont amples, retenus et épanouis – le virement de l’être sur lui-même, conscient de ses facultés ressaisies – esprit et corps. Et en dépit du temps qui passe et des lassitudes physiques et morales. Aussi ces danses traduisent-elles la face lumineuse de ces trois aventuriers de la liberté dont la femme est un symbole des plus actifs. La face nocturne, tissée de la trivialité des jours, laisse surgir avec le temps des points de rupture à travers les convictions perdues – amour et politique, en vue d’un monde meilleur –, soit la mort de l’étincelle de vie. Véronique Hotte A lire également, sur son travail avec Anatoli Vassiliev, l’ouvrage de Valérie Dréville, Face à Médée – Journal de répétition paru aux Editions Actes Sud. TNS – Théâtre national de Strasbourg, salle Koltès, du 8 au 21 mars. MC93 à Bobigny, dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville, du 27 mars au 8 avril. Théâtre national de Bretagne à Rennes, du 12 au 20 avril. Publicités
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Le spectateur de Belleville
March 21, 2018 2:45 PM
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Par Marie-Aude Roux (Lyon et Dijon, envoyée spéciale) dans Le Monde A Lyon, l’Opéra célèbre Verdi avec deux œuvres. Celui de Dijon lui rend aussi hommage avec « Simon Boccanegra ».
En dédiant cette année son festival thématique à Verdi, le patron de l’Opéra de Lyon, Serge Dorny, adresse un signe de bienvenue à son nouveau directeur musical, le chef d’orchestre Daniele Rustioni, talentueux Milanais de 35 ans arrivé en septembre 2017 à la succession de Kazushi Ono. La réflexion sur le pouvoir est la pierre angulaire de bien des ouvrages verdiens, dont Macbeth, Don Carlos et Attila (ici en version de concert).
Le premier témoigne de la fascination de Verdi pour Shakespeare, mais reste moins populaire qu’Otello ou Falstaff. De même Don Carlos, d’après Schiller, monté ici dans la version originale française en cinq actes avec ballet, en retrait des scènes internationales, qui lui préfèrent l’adaptation italienne, Don Carlo.
IL DEMEURE TOUJOURS CHEZ VERDI, FÛT-CE AU PLUS PROFOND DU MONSTRUEUX, UNE PART D’HUMANITÉ Le pouvoir mène à la folie meurtrière (Macbeth), son exercice détruit l’amour entre les êtres (Don Carlos) : deux ouvrages éminemment pessimistes même si demeure toujours chez Verdi, fût-ce au plus profond du monstrueux, une part d’humanité.
L’Opéra de Lyon a déjà accueilli en 2012 la mise en scène du Macbeth, d’Ivo van Hove, transposant les tribulations meurtrières autour de la couronne d’Ecosse dans le monde contemporain de la finance. Une salle de marché boursier, open space bordé d’écrans d’ordinateur devant des enfilades de fauteuils de bureau, des tradeurs en costumes et tailleurs portant tablettes et portables, et des vidéos de chiffres « spermatozoïdes » mènent le monde et fécondent un imaginaire peuplé de spectres royaux. Pas plus que les parfums d’Arabie, une femme de ménage omniprésente ne parviendra à effacer le sang qui tache les mains de Lady Macbeth. Seul le triomphe du peuple (les « indignés » d’Occupy Wall Street) permettra à Macbeth de finir comme un sans-abri, une couverture sur le dos et un bol de soupe populaire à la main.
Le travail est fouillé, la dramaturgie intelligente, mais cet univers technologique glacé entré en collision avec la flamboyance de la musique ne convainc pas tout à fait. De même, une distribution qu’entachent le timbre peu seyant et le vibrato vitriolé de la Lady Macbeth de Susanna Branchini, nonobstant la vaillance du remarquable Macbeth d’Elchin Azizov, la noblesse du Banquo de Roberto Scandiuzzi et des chœurs affûtés dont les décalages se dissiperont au fil des quatre actes, tandis que l’orchestre ne sera pas toujours à son meilleur.
Une émotion incoercible Tous les espoirs se tournent évidemment vers Don Carlos, clou du festival,mis en scène par Christophe Honoré, qui offre à Lyon sa troisième production après Dialogues des carmélites, de Poulenc (2013), et Pelléas et Mélisande, de Debussy (2015). Cette fois, pas de transposition. Mais un espace intemporel meublé de lourds rideaux, hauts murs de béton, escaliers gigantesques et crypte ouverte dans le sol – le tombeau de Charles Quint. Les costumes sont magnifiques (avec un petit côté Game of Thrones), la direction d’acteur ciselée au creux des drames intimes, les effets saisissants intervenant aux moments opportuns. Ainsi le placide ballet faisant se convulser des fous lubriques et dépoitraillés ou les condamnés de l’autodafé hissés tels de vivantes torchères aux monumentales tribunes de bois de l’Inquisition et de l’empire. La salvation finale de Carlos par le spectre de Charles Quint, le rapt d’un enfant lumineux lui sautant dans les bras, provoque une émotion incoercible.
Cette fois, pas de réserve sur le plateau vocal. L’excellente prise de rôle de Stéphane Degout en Rodrigue, révélant l’étendue d’un art total : modelé de la voix, perfection prosodique, sensibilité expressive et autorité naturelle font de l’ami sacrifié de l’infant Carlos une figure centrale. Autre prise réussie pour la mezzo Eve-Maud Hubeaux, saisissante princesse Eboli en fauteuil roulant, timbre vibrionnant et projection idéale, portant fier et beau jusqu’au fameux « O don fatal », qui révèle les limites d’aigus un peu trop tendus.
LES CHŒURS ET L’ORCHESTRE DE L’OPÉRA DE LYON CONSTITUENT UN ATOUT MAJEUR DANS UNE ÉCLATANTE RÉUSSITE Très belle scéniquement mais un peu décevante, l’Elisabeth au français incompréhensible de Sally Matthews se rattrapera dans un magistral et poignant « Toi, qui sus les grandeurs de ce monde », tandis que Sergey Romanovsky, dans un rare alliage de finesse, de charme et d’élégance, compose un Carlos attachant, le tout dans une langue impeccable. Magnifique duel de basses à la Jurassic Park entre le Philippe II de Michele Pertusi et le Grand Inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, à la hauteur des terribles enjeux entre religion et pouvoir royal. Les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon constituent un atout majeur dans une éclatante réussite qui doit beaucoup à la direction naturellement fluide et prolixe de Daniele Rustioni, entre grandeur et intimité, mystère de la mort et poésie de l’amour.
Par un hasard de programmation, à quelque 200 kilomètres au nord, l’Opéra de Dijon prolongeait la fête verdienne avec Simon Boccanegra – les arcanes du pouvoir vus au travers du fantasme de la réconciliation.
La mise en scène de Philipp Himmelmann se pare d’une sobriété assumée, quelques images leitmotivs se chargeant d’une temporalité psychologique : une marine à la météo changeante ou ce beau cheval stationné près d’une femme pendue, messager de l’outre-tombe que rejoindra Boccanegra terrassé par le poison. Le plateau réservait lui aussi de belles découvertes : le Boccanegra magnifiquement humain de Vittorio Vitelli, corsaire devenu doge, ou l’Amelia intense et fragile de Keri Alkema, tandis que l’Adorno de Gianluca Terranova frappait par la vigueur éclatante d’une voix solaire aux aigus orgueilleux. La baguette de Roberto Rizzi Brignoli dévoilait de puissantes affinités verdiennes et l’on ne pouvait que se féliciter des immenses progrès accomplis en quelques années par le Chœur et l’Orchestre dijonnais. Une production qui n’a pas à rougir devant son voisin lyonnais.
Programme Verdi à Lyon et Dijon Opéra de Lyon
« Macbeth », de Verdi Avec Elchin Azizov, Susanna Branchini, Ivo van Hove (mise en scène), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction). Jusqu’au 5 avril.
« Don Carlos », de Verdi Avec Sally Matthews, Michele Pertusi, Sergey Romanovsky, Stéphane Degout, Roberto Scandiuzzi, Eve-Maud Hubeaux, Christophe Honoré (mise en scène), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction). Jusqu’au 6 avril (représentation annulée le 22 mars en raison d’une grève).
Opéra de Dijon
« Simon Boccanegra », de Verdi Avec Vittorio Vitelli, Keri Alkema, Gianluca Terranova, Philipp Himmelmann (mise en scène), Chœur de l’Opéra de Dijon, Orchestre Dijon Bourgogne, Roberto Rizzi Brignoli (direction). Jusqu’au 22 mars.
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Le spectateur de Belleville
March 20, 2018 9:20 PM
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Par Fabienne Arvers dans Les Inrocks -16/03/18
Rien de tel qu’une disparition programmée pour régler une bonne fois le problème des réfugiés. C’est sur ce thème imposé que Christoph Marthaler décrit avec humour le repli sur soi en lieu et place d’accueil des réfugiés. Ce qu’on a sous les yeux, on ne le voit pas. Mais que l’on dise monstre du Loch Ness ou Yéti et l’imagination part en vrille. Alors, le jour où Matthias Lilienthal, le directeur du Münchner Kammerspiele, a cru bon de passer une commande sur le thème des réfugiés à Christoph Marthaler, il ne pouvait s’attendre qu’à une fantasmagorie plus vraie que nature, mais non moins surréaliste, que le réel qui l’inspire.
Tiefer Schweb est au Suisse Marthaler ce que “Nessie” est au Loch Ness : un monstre – et ici un centre de migration animé par des “politiciens inutiles” qui doivent gérer la situation compliquée des migrants, plongé au point le plus profond du lac de Constance, le bien nommé Bodensee, situé à la frontière de l’Autriche, de l’Allemagne et de la Suisse.
Homme pyramide ou homme requin
Inutile, il n’en est pas moins actif et prend sa mission très au sérieux, même si les termes ne sont pas clairs, le règlement à inventer et ses compétences réduites à un abécédaire hilarant dans la démonstration de son inanité.
Tout de bois lambrissé, le bathyscaphe de Tiefer Schweb est pourvu d’un périscope qui sert tour à tour de dépotoir, de lieu de circulation et de point de chute pour l’homme-grenouille qui vient donner des nouvelles du cauchemar qu’est devenu le monde, peuplé de créatures fantasques tels l’homme pyramide ou l’homme requin dont l’évocation fait trembler les parois de leur refuge.
Ces politiciens s’accordent magnifiquement à chanter entre deux tours de table un répertoire élastique qui relie Bach, Mozart, Procol Harum et Simon & Garfunkel, la teneur de leurs discours maintient toujours à une aimable distance philosophique toute possibilité de traduire concrètement l’art et la manière d’accueillir, intégrer et couler dans la masse l’afflux de réfugiés. Des emprunts à Jacques Derrida, Martin Heidegger, Franz Kafka, Henri Michaux et Emanuel Schikaneder y côtoient d’autres faits à Herbert Achternbusch, auteur et réalisateur munichois anarcho-surréaliste.
La loi de la saucisse
Ils s’insèrent avec bonheur dans le dialogue de sourds de ce comité qui n’a bientôt à cœur que d’organiser la mise à l’épreuve des “entrants” sur les principes de base de la culture bavaroise. Par la loi de la saucisse dont la recette se doit d’être connue par cœur, la bavarianisation exige une démonstration de danse et donne lieu à un défilé de costumes extravagants qui finiront jetés au feu.
Quant au centre de migration, il se transforme bientôt en camp retranché sous la houlette d’un constructeur fou,et le naufrage de la mission apparaît in fine comme le seul élément raisonnable d’un projet lesté de tant d’impuissance qu’il ne pouvait que couler corps et biens et disparaître sans laisser de traces. Fabienne Arvers
Tiefer Schweb Mise en scène Christoph Marthaler, en allemand surtitré en français. Au festival Programme Commun, les 23 et 24 mars au Théâtre Vidy-Lausanne
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March 20, 2018 1:30 PM
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Publié dans les Dernières Nouvelles d'Alsace, 20 mars 2018 Pas moins de 26 artistes avaient postulé pour succéder à Guy-Pierre Couleau à la tête de la Comédie de l’Est de Colmar à partir du 1er janvier 2019.
Le jury composé de représentants de tous les financeurs (État, Département, Région et Ville) vient de réduire cette liste à six noms, dont un binôme.
Kheireddine Lardjam est un metteur en scène d’origine algérienne, qui multiplie les passerelles entre la France et l’Algérie. Depuis 2014, il fait partie de l’ensemble artistique de la Comédie de Saint-Etienne.
La metteure en scène Anne Montfort est artiste associée au Granit de Belfort.
Leyla-Claire Rabih, metteure en scène franco-syrienne, a débuté sa carrière en Allemagne où elle s’est également formée, à Berlin. De retour en France depuis 2007, elle a fondé la compagnie Grenier/Neuf.
Vincent Goethals, le régional de cette liste, a dirigé le théâtre du Peuple de Bussang durant six ans, jusqu’à la saison dernière.
Enfin, le binôme constitué d’Émilie Capliez et Matthieu Cruciani, a fondé en 2010 la compagnie The Party. Depuis 2011, elle est associée à la Comédie de Saint-Etienne.
Après 10 ans à la tête de la Comédie de l'Est, Guy-Pierre Couleau termine son dernier mandat d'ici la fin de l'année 2018. C'est sous sa direction que la Comédie de l'Est est passée centre dramatique national.
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March 20, 2018 4:25 AM
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Par Najeh MOUELHI - AFP - 19 MAR 2018
Un lit, une femme en nuisette rouge et un homme aux idées sombres: en Tunisie, une pièce de théâtre met en scène l'improbable dialogue entre une prostituée et un extrémiste islamiste, pour mettre la société face à ses contradictions.
"La Fuite" de Ghazi Zaghbani commence avec l'irruption dans la chambre de Narjess, une travailleuse du sexe lascivement étendue sur un lit, d'un homme en sueur à la longue barbe noire fuyant la police.
C'est un islamiste revendiquant des idées extrémistes, qui dit s'entraîner "au combat" dans un camp jihadiste et à qui elle donnera malgré tout refuge.
S'engage alors un huis clos qui durera un peu plus d'une heure, pendant lequel ces deux personnages que tout oppose échangeront des passes d'armes, des piques et au final des caresses.
Une tentative de faire exploser "les contradictions" de la Tunisie, selon le metteur en scène. Un pays considéré comme l'un des plus ouverts du Maghreb et du Moyen-Orient, où les quelques maisons de passe qui subsistent sont légales et où les prostituées dépendent officiellement du ministère de l'Intérieur. Mais aussi un pays meurtri par des attaques jihadistes perpétrées par ses propres enfants, et dont des milliers de ressortissants sont partis rejoindre les groupes jihadistes en Irak, en Syrie et en Libye.
- Contradictions -
"Il m'a semblé nécessaire de poser plusieurs questions brûlantes", explique à l'AFP Ghazi Zaghbani. "Pourquoi on ne dialogue pas? Pourquoi est-ce qu'on ne s'écoute pas, on ne se regarde pas dans un miroir et on ne met pas à nu ce qui est en nous pour savoir où on va ?"
"Le choix des personnages ne s'est pas fait au hasard. Il reflète beaucoup de ce qui est tu, et il met à nu nos contradictions", ajoute le metteur en scène et comédien, qui joue le rôle de l'extrémiste.
Le texte joué en dialecte est adapté du roman en français "La p... savante", de l'écrivain tunisien Hassen Mili.
A L'Artisto, théâtre tunisois conçu pour que les spectateurs soient au plus proche des protagonistes, le décor est minimaliste: un lit, des toilettes et un réfrigérateur contenant une pomme et une bouteille de vin.
Mais si le sujet est lourd, les dialogues sont légers et les saillies provocantes sont accueillies par des rires.
Narjess, la prostituée, analyse la situation sociale, parle de liberté, de sexe. L'extrémiste, lui, est dépeint comme une personnalité butée qui n'arrive pas à dépasser ses préjugés. Il refuse de révéler son nom, ce qui pousse Narjess à lui donner le surnom péjoratif de "Lazreg", soit "le Foncé".
Peu à peu, avec ses questions, la jeune femme l'amène à se confier. S'esquisse alors le portrait d'un jeune diplômé au chômage qui a perdu espoir -comme tant de Tunisiens-, ne sait pas comment se comporter avec les femmes et redoute l'intimité.
- 'J'ai longtemps attendu ce rôle' -
Nadia Boussetta, qui joue la jeune femme, a-t-elle hésité avant d'accepter ce rôle osé, qui plus est dénudé ?
Au contraire, "j'ai longtemps attendu ce rôle", réplique-t-elle en riant. "Sans audace, l'artiste tombe dans la routine et les clichés".
Elle estime important de représenter une prostituée dans un rôle principal, les travailleuses du sexe étant souvent reléguées au second plan au cinéma comme au théâtre.
"Mon message, c'est de faire parvenir la voix de cette partie de la société qui vit une douleur quotidienne entre quatre murs", dit Nadia Boussetta à l'AFP.
Loin de n'être qu'un corps, Narjess finira par amener le jeune extrémiste à se remettre en question et à raser sa barbe "noire comme ses idées".
"Il incombe à tous de s'opposer au terrorisme qui (...) a peur de la culture et de la pensée", souligne Ghazi Zaghbani, le metteur en scène.
Il appelle les autorités à investir dans la culture, jugeant en particulier nécessaire de multiplier les activités culturelles à l'école "pour protéger les prochaines générations des tentatives de lavage de cerveau".
La pièce, présentée en mars à Tunis, doit être jouée en France et en Allemagne à partir de mai. Et à terme, Ghazi Zaghbani ambitionne de la porter sur grand écran.
Par Najeh MOUELHI AFP
© 2018 AFP
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Le spectateur de Belleville
March 19, 2018 6:22 PM
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Par Thomas Ngo-Hong Roche dans son blog Hier au théâtre :
Christiane Jatahy semble raffoler des fêtes désabusées. Après La Règle du jeu alcoolisée de Renoir au Français, elle remet le couvert à l’Odéon cette fois-ci. En tentant de combler les zones d’ombre de L’Odyssée, la metteur en scène brésilienne s’éloigne de l’épique homérique. Ce qui la captive, c’est le domos, la maison, la vie hors des exploits guerriers. Sur le papier, l’idée est séduisante. Sur scène, l’écriture de plateau montre très rapidement ses limites.
Que retient-on de Pénélope ? Sa fidélité à toute épreuve, son art du tissage, sa volonté de fer. C’est la grande oubliée de L’Odyssée, qui célèbre la bravoure rusée d’Ulysse. Jatahy, tout à son honneur, recentre la femme au coeur du propos. Comment survivre face à cinquante porcs qui essayent de vous assaillir de toute part ? Comment maintenir la flamme d’un amour qui s’étiole ? Comment ne pas céder à la tentation d’une caresse malgré le dégoût de l’adultère ?
L’originalité de Jatahy est de se positionner franchement face à ces non-dits : Pénélope n’est pas parfaite non, ni irréprochable. Elle est humaine. Parfois enjouée, prête à danser avec ses prétendants, parfois révoltée, parfois abattue. Insaisissable. Les hommes, eux, n’ont pas fière allure. Ces clowns pitoyables sont loin d’inspirer de l’effroi. Eux aussi semblent vouloir en finir.
Cette envie de désacraliser un texte fondateur de notre culture occidentale, loin de constituer un geste provocateur, tend plutôt la main à une humanité en perte de repères face à l’attente du retour d’une ombre. Pas d’apparat ici, bien au contraire : le festin se limite à de l’eau et des chips.
Comment survivre face à l’ennui ? En se divertissant, au sens pascalien du terme. Pour éviter de broyer du noir, autant faire la fête. Mais quelle fête ! Sinistre, glauque au possible.
Pour varir les plaisirs, Jatahy a conçu un dispositif bi-frontal qui brouille les perceptions. Tandis qu’une partie du public assiste au dialogue entre plusieurs Pénélope (trois qui se relaient) et des prétendants, l’autre moitié se centre sur Ulysse et Pénélope. On oublie d’ailleurs très rapidement qui est qui et cette porosité identitaire tend à constater qu’on ne sait plus qui est la victime ou le bourreau, qui désire et qui résiste…
Le trio féminin tient la barre dans ce naufrage de l’amour : Stella Rabello, Isabel Teixera et Julia Bernat jouent avec intensité et presque nonchalence la mascarade du désir. Les trois garçons semblent phagocités par la présence de cette sororité.
À vau-l’eau Lorsqu’on prend Homère comme point de départ, la forte attente du spectateur est légitime. Ici, la matériau antique sert de prétexte à une écriture de plateau qui ne casse vraiment pas des briques. La beauté de la langue homérique se confronte à la pauvreté des dialogues, ce qui fait qu’on écoute tout cela d’une oreille très distraite. Reste la majestuosité d’une scénographie qui en met plein la vue. C’est au moment de la réunion des deux groupes que la magie opère : tout part à vau-l’eau, les couples se délitent malgré un rapprochement qui s’avère vain. Du coup, l’élément liquide envahit le plateau et stagne. Les corps pataugent maladroitement, une langueur insupportable envahit le plateau. Des vidéos admirablement bien filmées alternent les prises de vue, les parties du corps, les visages à vif. Exténués et trempés, nos héros abandonnent la bataille.
C’est cet émouvant lâcher-prise qu’on retiendra de cet Ithaque. ♥ ♥ ♥
ITHAQUE de Christiane Jatahy, d’après L’Odyssée d’Homère. M.E.S de l’auteur. Théâtre de l’Odéon. 01 44 85 40 40. 2h.
Photo © Elizabeth Carecchio
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Le spectateur de Belleville
March 19, 2018 4:47 PM
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Par RFI Publié le 19-03-2018
Pour la cinquième année consécutive, les auteurs du monde francophone peuvent participer au Prix Théâtre RFI. Les auteurs ont cinq semaines pour envoyer leur texte puis le suspense durera cinq mois avant que le jury présidé cette année par Veronique Tadjo choisisse son lauréat !
Lire sur le site de RFI (avec liens actifs pour faire une candidature) http://www.rfi.fr/france/20180319-5e-edition-prix-theatre-rfi-appel-ecriture-decouvrir-nouveaux-auteurs?ref=fb
Cinq ans ! Si ce n’est pas encore un anniversaire rond, c’est un temps suffisant pour juger de la vitalité du théâtre francophone venu d’Afrique, des Caraïbes, de l’Océan Indien ou du Proche-Orient. En Guinée, au Cameroun, au Mali, une nouvelle génération d’auteurs apparaît … A Kinshasa, à Brazzaville, à Ouagadougou, à Kigali, année après année, des festivals rencontrent un succès grandissant et s’imposent sur la scène internationale.
Participant de cette dynamique, nous organisons pour la cinquième année consécutive le « Prix Théâtre RFI » pour promouvoir la richesse des écritures dramatiques contemporaines francophones du Sud et favoriser le développement de carrière de jeunes auteurs, écrivant en français. A vos claviers, à vos histoires ! Vous avez jusqu’au 21 avril minuit pour nous envoyer votre texte.
Pour participer à ce Prix, les auteurs doivent avoir entre 18 et 46 ans, être originaires et installés dans un pays situé en Afrique, Océan indien, Caraïbes (hors Dom-Tom), Proche ou Moyen-Orient. Leurs textes doivent être originaux, inédits en France et rédigés en français. Comédie, tragédie, drame, monologue… Tout est possible, mais les écrits seront choisis en fonction de leur qualité dramaturgique, donc il ne peut s’agir de poème, de conte ou d’une scénette de quelques pages. Un minimum de 15 pages est exigé.
Pour participer :
♦ Envoi des textes jusqu’au 21 avril minuit à l’adresse suivante : prix.theatre@rfi.fr
♦ Remplir la fiche d’inscription
Le « Prix Théâtre RFI » sera remis le 30 septembre à Limoges dans le cadre du Festival Les Francophonies en Limousin. Le lauréat sera choisi par un jury de professionnels présidé cette année par l'auteure franco-ivoirienne Véronique Tadjo.
RFI et ses partenaires offriront ainsi au lauréat un soutien professionnel et une exposition médiatique à travers une résidence de création scénique sur le texte lauréat au Centre Dramatique National de Normandie-Rouen, une dotation financière attribuée par la SACD ; l'organisation d'une résidence d’écriture en France, à la Maison des Auteurs de Limoges et/ou au Théâtre de l’Aquarium, financée par l'Institut français; ainsi qu’une promotion du texte et une mise en ondes sur les antennes de RFI.
En 2017, le « Prix Théâtre RFI » a récompensé « La poupée barbue » d’Edouard Elvis Bvouma, pièce éditée depuis chez Lansman. Ce jeune auteur camerounais a donc succédé au guinéen Hakim Bah, l’auteur de « Convulsions ». En 2015, c’était la première pièce de théâtre de l’auteure libanaise Hala Moughanie « Tais-toi et creuse ». Et en 2014, le congolais Julien Mabiala Bissila remportait la première édition avec « Chemin de fer ».
« La poupée barbue » d’Edouard Elvis Bvouma sera lue sous la direction d’Armel Roussel au Festival d’Avignon le 14 juillet 2017 dans le cadre du cycle de lectures RFI « Ça va, ça va le monde ! » et diffusée sur les antennes de RFI.
Le « Prix Théâtre RFI » est organisé en partenariat avec l’Institut Français, le Centre Dramatique National de Normandie-Rouen, la SACD, le Festival des Francophonies en Limousin, le théâtre de l’Aquarium.
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Le spectateur de Belleville
March 25, 2018 4:54 PM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde | 23.03.2018
Le festival, dont la 32e édition se tiendra du 1er au 30 juin, fait la part belle à l’international.
Depuis que Jean Varela en a pris la direction, en 2011, le Printemps des comédiens, à Montpellier, connaît un essor qui ne se dément pas. Le département de l’Hérault et Montpellier-Méditerranée-Métropole ont décidé de mettre à sa disposition son cœur historique, le magnifique Domaine d’O, et de lui verser 1,5 million d’euros, sur un budget total de 2,4 millions. Fort de ces soutiens, Jean Varela peut poursuivre sur la voie qu’il a choisie : l’ouverture à l’international et l’ancrage dans le territoire.
Pour la 32e édition, qui se tiendra du 1er au 30 juin, 33 spectacles sont proposés, dont six, venus de l’étranger, seront vus pour la première fois en France. Deux sont particulièrement attendus, parce qu’ils témoignent de la difficulté qu’il y a aujourd’hui à créer en Pologne : Le Procès, de Kafka, mis en scène par Krystian Lupa, et On s’en va, de Krzysztof Warlikowski, d’après Hanokh Levin. Sont également présentes l’Italie avec La Scortecata, d’Emma Dante, et un Macbettu façon sarde ; l’Espagne avec Bodas de Sangre (Noces de sang), de Lorca, par une troupe catalane ; la Suisse avec Hate, de Laetitia Dosch.
Reprises de haut vol Côté français, on note des reprises de haut vol, comme Festen, mis en scène par Cyril Teste, et Les Palmiers sauvages, par Séverine Chavrier, auxquels s’ajoutent des spectacles en cours de création : Le Triomphe de l’amour, de Marivaux, dirigé par Denis Podalydès ; Mon grand-père, de Valérie Mréjen, ou Italienne scène et orchestre, le spectacle qui a lancé Jean-François Sivadier, il y a vingt ans, et qui s’offre une nouvelle jeunesse.
Yoann Bourgeois et Philippe Caubère seront aussi de la partie, ainsi que les Circassiens de Circa (avec Humans) et David Dimitri (L’Homme cirque), dans cette édition qui offre deux créations labellisées Printemps des comédiens : La Conférence des oiseaux, mise en scène par Guy-Pierre Couleau, et Le Faiseur de théâtre, joué par Serge Merlin et dirigé par André Engel. A terme, le Printemps veut développer ce volet de la création financé par le festival. Il entend également renforcer les liens avec les structures de la région.
Pour la première fois cette année, des spectacles seront présentés hors du Domaine d’O, à l’Opéra Comédie, au hTh (Humain trop humain), le centre dramatique national, ou dans divers lieux de Montpellier, qui accueilleront des propositions de jeunes équipes théâtrales (Warm Up). Et enfin, parce que Jean Varela tient à la filiation entre la création et l’école, quatre metteurs en scène français travailleront avec les élèves de l’Ecole d’art dramatique de Montpellier, et le Portugais Tiago Rodrigues dirigera les élèves de la Manufacture, école d’acteurs de Lausanne, dans une pièce écrite pour eux. Son titre : Ça ne se passe jamais comme prévu.
Printemps des comédiens, Montpellier, du 1er au 30 juin. printempsdescomediens.com
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Le spectateur de Belleville
March 23, 2018 7:33 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan
Michel Simonot publie « La Langue retournée de la culture », un pertinent opuscule qui montre comment le langage de la culture a intégré la pensée néo-libérale dominante, depuis les élus jusqu’aux ministères en passant par les artistes et les directeurs souvent devenus des managers.
Ce qu’il y a d’ennuyeux dans une société comme la nôtre, c’est qu’il existe encore des artistes de théâtre irréductibles. Il ne pactisent pas avec le diable pour obtenir à n’importe quel prix un kilo de notoriété, ils ne sont pas prêts à signer un cahier des charges de compromissions pour obtenir des postes si possible bien rémunérés et durables. Ces artistes-là, la crème des irréductibles, n’écoutent que ce qui les travaille au corps, ils veulent en découdre avec les ombres, cherchent l’inconnu et entendent faire une œuvre. Non seulement pour eux-mêmes, leurs proches et amis, mais pour tous ceux qui voudront bien s’en approcher, s’en saisir.
Cahier à charges
Ces artistes-là sont imprévisibles, parfois inconstants, excessifs, toujours déterminés. Ils échouent parfois mais savent rebondir à partir de leurs échecs. Bref : ils emmerdent le monde libéral dans lequel nous évoluons. Autrefois, on les respectait voire on les craignait (ou on faisait semblant pour mieux les utiliser et les tromper). Aujourd’hui, on les traite d’élitaires, d’élitistes, de narcissiques, de gros prétentieux, de chieurs, de dépensiers, de vieux cons, de poids morts. On les brocarde, on les cloître dans un pré, on tourne la tête quand on les voit passer. Et, dernier argument du parfait néolibéral : ils sont trop chers (traduisez : trop entiers), on ne peut pas discuter avec eux (traduisez : réduire leur rêve à peau de zébu). Laissons croupir ces maudits dans leur coin et passons aux affaires courantes.
Vous avez un brin de fibre créatrice en vous que vous souhaitez manifester en toute indépendance mais en même temps pour avoir un poste, une subvention, vous êtes prêt à ce que votre fibre soit canalisée, déformée et instrumentalisée, qu’elle devienne un moyen et non une fin, vous êtes prêt à entrer dans une case et à répondre oui à toutes les lignes du cahier des charges qui vous a préalablement été remis avant de déposer votre candidature. Si c’est le cas, La Langue retournée de la culture de Michel Simonot vous aidera à ne pas commettre d’erreurs stratégiques, à employer les bons vocables, à parler la novlangue libérale et à en défendre les valeurs avec la foi du charbonnier. Bref : à retourner à votre profit tout ce que ce livre pointe, souligne, analyse et dénonce.
Dans des domaines comme la peinture, la musique et le cinéma où l’art est aussi une industrie, on s’en accommode plus aisément, on ruse, on suce, etc. Dans le monde plus retors et chimiquement déficitaire du théâtre, et plus généralement des arts dits vivants, c’est la plaie. D’où la privatisation rampante mais de plus en plus galopante du théâtre public, lequel prend tous les risques tandis que l’autre tire les cordons du par-ici-les-pépètes en cas de succès et donc de reprise dans le privé. L’échec au théâtre, surtout pour les plus jeunes, les plus fragiles, est un plat qui se mange des années durant, il peut être sans retour. Le néo-libéralisme au théâtre rechigne à repasser les plats et, face aux plus récalcitrants, il sait faire rendre gorge ne serait-ce qu’en culpabilisant.
De l’établissement à l’entreprise
Dans le monde néo-libéral, l’artiste n’est plus un artiste unique mais un artiste en responsabilité. Ce qu’il fait n’est pas la résultante de son jus de crâne mais répond à une commande sociale que doit illustrer son projet, lequel se doit de biffer son identité propre, ses visions, ses obsessions. L’artiste (un bien grand mot, vous en conviendrez) ne travaille plus pour être vu et reconnu, pas à pas, par ses contemporains voire par les siècles futurs, il travaille désormais pour l’immédiat, le saisonnier, le coup, le one shot, bref : il répond à des appels à projet. Abonné au discontinu, il accumule sans articuler. C’est un distributeur et non plus un constructeur. Ses spectacles doivent être aisément repérables, identifiables et classables (le néo-libéralisme adore mettre le monde en cases), ils doivent satisfaire aux normes, aux cahiers des charges des entreprises (anciennement établissements). L’artiste n’est plus en liberté, il est sous surveillance, il est de moins en moins un inventeur et de plus en plus un prestataire de services.
C’est de cela, entre autres, que parle le livre de Michel Simonot. Tous les mots ci-dessus en italiques et bien d’autres y sont disséqués. Il sait de quoi il parle puisqu’il a dirigé et codirigé plusieurs établissements et qu’il est, par ailleurs, sociologue. Via les insidieux changements de vocabulaire, Simonot peint par petites touches l’âpre tableau d’un monde qui fut guerrier et qui aujourd’hui semble avoir rendu les armes (il existe toutefois quelques fortins qui résistent), hormis celles des mots, et encore. Il constate par exemple que le SYNDEAC a troqué son E de « Etablissements » pour le E de « Entreprises ». Ainsi le directeur tend à devenir un manager, la création artistique un produit (étiqueté), la subvention est de plus en plus supplantée par la recherche de financements, multiples ou dits croisés, etc. Des symptômes parmi d’autres.
Simonot montre comment l’art n’est plus au centre mais à la périphérie. C’est ce que l’on observe dans les processus de nominations : « dans la plupart des communiqués ministériels ou de collectivités annonçant les appels à candidature et nominations dans les organismes culturels, les formulations mettent principalement l’accent sur les objectifs sociaux, territoriaux, éducatifs et de moins en moins, ou à la marge, sur l’intérêt artistique des nominés et de leurs projets », note Simonot. La singularité de l’artiste? La force d’un collectif ? Peanuts. Ou encore ceci : « Le bon artiste subventionné se soucierait de la demande de la population, le mauvais artiste ne se préoccuperait que de son offre personnelle. Aujourd’hui, ce dernier serait, s’il est subventionné, un artiste irresponsable. »
Bon, je vous laisse, j’ai un dossier à rédiger pour un appel à projet. Et Machinette, qui parle couramment le néolibéral, est en congé maternité. Je vais relire le Simonot, ça devrait aller.
Michel Simonot, La Langue retournée de la culture, éditions Excès, 110 p., 10€.
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March 22, 2018 8:20 PM
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Par Véronique Raynaud dans Naja21 Publié le 22/03/2018
Dans une chorégraphie effrénée, les mots s’infiltrent dans trois corps dansant sur la scène de l'Usine Hollander. Glissant du masculin au féminin, les métamorphoses s’enchainent "À vue" pour traduire l'immense complexité du corps. Une complexité qui, niée, engendre des malentendus qui autorisent nos sociétés au pire. À ne pas manquer.
Que fait-on de notre corps ? On le pose là, dominant, imposant. On tente de le dominer pour en imposer. On le dissimule pour lui donner l’apparence avantageuse d’une position sociale. On l’exhibe pour stimuler le désir. Mais que sait-on de lui ? Quelle duperie cachent nos gestes ? Avec À vue, trois corps forgent une envolée de tableaux d’un expressionnisme cru, magnifié par la lumière. Trois corps dont chaque mouvement et chaque pose pose fait sens, soulignés par les mots de Jean-Luc A. d’Asciano. Ces mots ont été écrits pour Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna. Ils sont devenu un matériau qu’elles malaxent, répètent, bouculent, interrogent avec Sylvain Dufour. Leurs trois corps répètent également, et interrogent. L’effroi menace et pèse, l’humour joue de la limite, du possible. Le spectacle est présenté dans la magnifique usine Hollander de Choisy-le-roi, où la compagnie a été accueillie en résidence pendant un mois.
Du masculin au féminin. Pour dire et danser la complexité du corps, le dispositif scénique de la pièce À vue est sobre. Six chaises pour une salle d’attente, une table et deux chaises pour un bureau administratif. L’attente, l’administration. L’attente soumet, le bureau administratif devient l’antre du dominant. Ces accessoires dérisoires sont les marqueurs d’un espace social où naviguent les corps de ces trois magnifiques incarnations, celui longiligne de danseuse, celui musclé de l’androgyne, celui plein d'une rondeur hésitante. Chacun transporte loin notre imaginaire, parfois au-delà de ce qu’on s’autorise.
Chaque corps est tout à la fois homme et femme, libre et contraint, gracieux et empêché. Le rapport du corps aux objets est ici sublimé par la grâce des comédiens et la précision scénographique. Caressant au passage chaises et tables qui font obstacle. Quand Brigitte Seth s’assoit et fait tourner son fauteuil sous un puissant halo de lumière, on pense à Bacon dont la peinture des corps a atteint le prodige de transfigurer l’expérience de la vie.
Le jeu scénique brille par des trouvailles ingénieuses, comme le Tshirt grossesse, que l’un cherche à imposer doucement à l’autre, et dont l’autre se dévêt tout aussi doucement. Deux corps se dédoublent, assemblés l’un dans l’autre par un accouplement métaphorique. Avec et sans mots, tout est dit. Les gestes s’emparent d’un intime rarement scénographié. La pièce parvient, sans rien omettre de malentendus présupposés, à convoquer tout à la fois les hommes et les femmes. Un dialogue précieux qui réconcilie avec l’enveloppe. Réconcilie "à vue" la dualité d'un corps.
À vue, de Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth. Avec Sylvain Dufour, Roser Montlló Guberna, Brigitte Seth. Mise en scène, chorégraphie : Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth. Texte : Jean-Luc A. d’Asiago. Les 15, 16, 17 mars 2018 Usine Hollander, 1 rue du docteur Roux à Choisy-le-roi. Les 22, 24 et 25 mars 2018 • Les Subsistances à Lyon
À VUE, création de Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth. Sur la photo : Roser Montlló Guberna et Sylvain Dufour. © Christophe RAYNAUD DE LAGE
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March 22, 2018 7:20 PM
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Par Anne Diatkine dans Libération / Next — 23 mars 2018
S’inspirant de «l’Odyssée», Christiane Jatahy entremêle deux dimensions spatio-temporelles, sur le thème de la migration, faisant écho à son pays.
Pour une fois, mieux vaut arriver pile à l’heure, c’est-à-dire à la dernière minute. On s’installera dans la salle, on se laissera porter par l’ambiance fin de fête sur le plateau, les invitations à se nourrir de quelques cacahuètes, de chips, à boire de l’eau, «il n’y a pas d’alcool mais on peut bien se saouler à l’eau, non ?» tandis que des bruits de voix et de musiques nous parviendront de manière fragmentaire d’un ailleurs, de l’autre côté des rideaux en fils, comme d’une cuisine inaccessible ou une seconde fête pour les happy-few.
Glas. On se félicitera de ne pas être obligée de participer à la surboum, de ne pas devoir céder à l’injonction de danser, de ne pas être coincée dans ce salon, qu’il est visiblement difficile de quitter, à moins de pénétrer ce hors-champ, qui aimante périodiquement les acteurs. Ce salon dégagé de ces meubles (ne reste que quelques fauteuils club écrasés, une table mise de côté où repose toute la junkfood immonde de la fête, et un canapé) pourrait être à la campagne, n’importe laquelle.
Qui n’a pas connu l’angoisse de la soirée champêtre qui n’en finit pas de finir et dont on est prisonnier ? Mais nous sommes à Ithaque, «notre Odyssée», dit le sous-titre, c’est-à-dire dans une contrée aussi imaginaire que l’était Moscou pour les Trois Sœurs, d’après l’adaptation de la pièce de Tchekhov, qui fit découvrir la metteure en scène brésilienne Christiane Jatahy, en France en 2014.
Une femme sollicite un marathon de danse jusqu’au matin, elle nous interpelle - «On ne se connaît pas, venez, tous les étrangers sont les bienvenus ici !» Aucun spectateur n’enjambe le dancefloor de cette fête qui sonne comme un glas. L’invite s’entend évidemment dans sa dimension politique, et Jatahy sait intriquer plusieurs dimensions spatiales et temporelles à la fois, nous faire voyager en un fragment de seconde tout autant dans une Grèce mythologique et imaginaire, qu’en France ou au Brésil aujourd’hui, où suinte une guerre civile sans visage connu. Le prénom de Pénélope n’est jamais prononcé, mais chacune sur scène attend Ulysse, aux côtés de mâles prétendants qui les exhortent à «fonder une alliance», puisqu’ils le savent bien, eux, qu’Ulysse ne reviendra jamais et restera scotché chez la sirène Calypso durant sept longues années. Les prétendants (Karim Bel Kacem, Cédric Eeckhout, Matthieu Sampeur) ne se contentent pas d’être des guêpes qui pillent les biens et désespèrent celles qui attendent (Julia Bernat, Stella Rabello, Isabel Teixeira). Ils ne supportent pas qu’une femme régente l’espace. Ils exigent de voter sa «destitution», afin qu’elle lâche le «gouvernail». Impossible de ne pas songer que Christiane Jatahy jette un filet inattendu entre Pénélope et Dilma Roussef, renversée dans sa fonction par des prétendants au pouvoir ultra-corrompus. Rien n’est cependant appuyé, explicite, ou développé.
Veulerie. Dans cette nouvelle création, les trois actrices brésiliennes s’expriment parfois en portugais et tentent le français, tandis que les comédiens français - qui incarnent à la fois les opportunistes avides et Ulysse - parlent dans leur langue. Ils ont moins d’aura que les actrices - ce qui ne dérange pas lorsqu’ils incarnent la veulerie et minore nettement l’héroïsme supposé d’Ulysse. Paradoxalement, ce sont les acteurs français qui suscitent des problèmes de compréhension, car on prête moins d’attention à leurs propos. C’est particulièrement gênant lorsqu’il s’agit de faire entendre la parole de vrais migrants quand, à trois reprises, des bribes de récits recueillis auprès de réfugiés scandent le spectacle. Et c’est encore moins audible lorsque cette parole cohabite avec la musique hypnotique de Carlos d’Alessio.
Vient le moment où l’on nous demande, à nous aussi, spectateurs, de «migrer». Il faut dégager de la salle, en ordre et calmement, en rassemblant toutes nos petites affaires, ce qui provoque une sortie de la fiction, comme lorsqu’une alarme d’incendie retentit pendant un spectacle. Mais aussi une autre entrée. Car nous voici de l’autre côté du miroir, à la même place, où le spectacle recommence mais du point de vue d’Ulysse, chez Calypso, en route vers Ithaque, lui aussi coincé dans les débris d’une fête. Tandis que l’autre partie du public s’installe chez lui, à Ithaque. Le changement de perspective, l’installation sur d’autres gradins, la découverte de l’autre partie de la scène a un effet onirique et rappelle certains films de Rivette, où une scène en dissimule toujours une autre. Travailler sur les points de vue de chaque spectateur et jouer sur leur singularité plutôt que leur union : dans chacun de ses spectacles, Christiane Jatahy invente des dispositifs spatiaux qui isolent le regard de chacun. Est-ce parce que la dépression d’Ulysse, qui ne parvient pas à rentrer chez lui, pose des enjeux moins engageants que la persévérance illusoire de Pénélope ? Cette partie est plus confuse, et la répétition pointe son nez, quand une nouvelle fois, on nous propose des chips. Mais le spectacle reprend de la vigueur et la beauté scénographique saisit quand de l’eau, tout d’un coup, envahit et transforme le plateau en océan, qui nous sépare du pays où demeurent les lointains autres spectateurs.
Aux saluts, il s’est passé un étrange phénomène. Ceux qui avaient débuté la représentation par «Vers Ithaque» semblaient furieux et déçus. Tandis que des applaudissements nourris de bravos explosaient du côté de ceux qui avaient commencé cette Odyssée, par sa fin, à «Ithaque». On avait donc tous vu le spectacle en même temps et en entier, mais avec un rythme et une tonalité absolument dissemblable.
Anne Diatkine Ithaque - Notre Odyssée 1 de Christiane Jatahy jusqu’au 21 avril à l’Odéon- Théâtre de l’Europe, 75006.
Légende photo : «Ithaque…» mélange comédiens brésiliens et français. Photo Elizabeth Carecchio
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March 22, 2018 6:31 PM
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Par Rosa Moussaoui dans L'Humanité, 19 mars 2018
Kheireddine Lardjam met en scène Mille Francs de récompense, une comédie de Victor Hugo qui brosse un féroce tableau de la France du second Empire. Une satire sociale résolument contemporaine.
Tout commence au pas de course, dans les travées, lorsqu’un jeune brigand bondit, s’esquive, file à l’anglaise, se jouant de la maréchaussée à ses basques. Tout de noir vêtu, le visage dissimulé par une capuche, Glapieu se fond dans la pénombre et, dans sa fuite, se fait philosophe. Ce bandit libertaire, attachant, pose un regard lucide sur la fabrique et la spirale du crime, sur les assignations sociales qui verrouillent à triple tour les portes des marges et vous prennent au piège. Maxime Atmani déplie et scande cette première tirade à la façon de nos poètes urbains, et l’on pourrait la croire écrite pour aujourd’hui. Point de repentir, chez ce chenapan, mais la rage, la conscience de classe et le désir désespéré de redresser un monde qui marche sur la tête. « Je suis si essoufflé que je n’ai pas eu le temps de devenir vertueux. Chien de sort. Ah ! C’est comme ça ! Et bien on va voir, la première bonne action que je trouve à faire, je me jette dessus. Ça mettra le bon Dieu dans son tort », promet la canaille. L’échappée de Glapieu finit sous les toits, dans un galetas où il entre par effraction.
Désespoir ! Pour une dette de 4 000 maudits francs... La jeune et belle Cyprienne y veille sur Zucchino, son aïeul endormi. Terrassé par une fièvre délirante, le vieux professeur de musique, ruiné depuis longtemps, ne peut plus dispenser les leçons dont il vivote avec sa fille et sa petite-fille. Glapieu se prend aussitôt de sympathie pour ce ménage aux abois. Cyprienne a tout juste eu le temps de le réprimander pour son intrusion, lorsque surgit, comme un tourbillon, son extravagante mère, Étiennette, campée par l’exquise Linda Chaïb. Sur ses talons, une horde de pointilleux huissiers. Désespoir ! Pour une dette de 4 000 maudits francs, la famille est dépouillée de tous ses misérables biens et seules quelques lettres d’amour échappent in extremis à la saisie. Coupe afro, lunettes de soleil sur le nez, veste de fourrure blanche sur les épaules, la psychédélique mère célibataire, qui se fait passer pour une veuve, se lamente sur son funeste destin, sur ses amours mortes et ses fortunes évanouies. Paraît alors Rousseline, l’agent d’affaires d’un riche banquier. Dans la peau de ce tortueux personnage, l’excellent Azzedine Benamara explore avec gourmandise toutes les nuances de la perfidie et de la perversité. Voilà le marché : l’argentier éponge la dette, sauve la famille de la banqueroute mais, en contrepartie, il épouse Cyprienne, vers laquelle il coule des regards dégoulinant de concupiscence. Éprise d’un modeste employé de banque, Edgar Marc, celle-ci l’éconduit sans appel. Impardonnable affront pour celui qui veut « plaire aux femmes ; de gré ou de force ». Suit une invraisemblable cavalcade, qui mène Glapieu, pour le meilleur et pour le pire, des interlopes tripots où se frottent affairistes et magistrats jusqu’aux coulisses de la finance, où sa ruse lui fait gagner la confiance du baron de Puencarral (Samuel Churin), créancier de Zucchino.
Victor Hugo écrit Mille Francs de récompense lors de son exil à Guernesey, alors que le Paris du second Empire est livré à la curée. C’est le règne des spéculateurs sans scrupule, des hommes d’affaires véreux, des filous en frac noir couvés par Napoléon III. L’écrivain, intraitable opposant, dépeint une société cruelle, inégalitaire, étranglée par l’argent roi. Comme la nôtre… Dans cette mise en scène impertinente, délurée et résolument contemporaine, Kheireddine Lardjam assume sans complexe ce précipité historique et politique : sa compagnie El Ajouad (« les généreux », en mémoire d’une pièce du dramaturge algérien Abdelkader Alloula) joue cette comédie financière à la façon d’un manifeste anticapitaliste de notre temps, portée par des comédiens qui sont le visage de la France d’aujourd’hui. Entre les panneaux coulissants qui façonnent un espace scénique aux allures de labyrinthe, la course folle de Glapieu prend au gré des rebondissements, au fil des plans d’inspiration cinématographique, l’allure d’une quête de sens. Kheireddine Lardjam mène cette satire sociale avec humour, férocité et un sens aiguisé de la lutte des classes.
Rosa Moussaoui Journaliste à la rubrique Monde
Du 22 mars au 8 avril au Théâtre de l’Aquarium (Cartoucherie de Vincennes). Réservations : 01 43 74 99 61. Du 27 au 29 mai, festival Théâtre en mai, au Centre dramatique national de Dijon.
Légende photo : Victor Hugo a écrit Mille Francs de récompense alors que le Paris du second Empire est livré à la curée. Pixelprod
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Le spectateur de Belleville
March 22, 2018 3:43 AM
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Par Aurélien Germain Fans TMV Tours Le 21/03/2018 Le festival WET° revient du 23 au 25 mars. Ce rendez-vous théâtral de la jeune génération et met à l’honneur les artistes émergents. L’un des programmateurs, Théophile Dubus, comédien permanent au Théâtre Olympia, nous plonge dans un bain de jouvence théâtral.
Le festival WET°, c’est quoi et pour qui ? Le Théâtre Olympia s’est demandé ce qu’était la jeunesse au théâtre. Comment un Centre dramatique national (CDN) peut-il accompagner les créations en début de parcours ? De cette réflexion est née l’idée d’un festival de trois jours autour de la notion d’émergence. La programmation est faite par des jeunes permanents, des comédiens du dispositif JTRC (Jeune théâtre en région Centre) assistés de Jacques Vincey, directeur du CDNT. Nous choisissons des artistes en début de parcours. C’est une manière d’inviter un public autre. WET° s’inscrit dans une dynamique autour de la jeune création et des formes contemporaines qui suit les festivals Super Flux et SPOT.
Les pièces du festival WET° paraissent novatrices, voire décalées. Pourquoi ? Décalées ? Hmm… En fait, il s’agit d’un certain portrait de la génération actuelle du théâtre. C’est peut-être décalé, oui. On croise les médiums. C’est vrai : il est assez difficile de trouver des textes classiques à WET°. Il y a du contemporain, de l’écriture plateau, de l’impro…
Vous êtes un ancien du JTRC. Quel est ce dispositif ? Le JTRC (Jeune théâtre en région Centre-Val-de-Loire) est un dispositif d’insertion professionnelle unique en France. C’est une troupe permanente en début de parcours. Quand j’y étais, j’ai pu jouer 150 fois dans La Dispute en 2 ans, ou encore Le Marchand de Venise. On peut aussi y animer des ateliers pour les collégiens, on apprend la programmation, l’administratif, on fait vraiment partie d’un théâtre. C’était ma maison !
C’est quoi, justement, être jeune comédien aujourd’hui ? Oula… (rires) Il faudrait bien plus de deux pages pour le dire ! (Il réfléchit longuement) Avant, il y avait un maître et une école. Maintenant, on doit être performant rapidement, sur des esthétiques parfois opposées. Il faut toujours tout faire vite, vite, vite. Le travail sur WET° est révélateur : je constate des projets d’une « génération » où c’est plus difficile… Mais quand on fait les choses, on sait vraiment pourquoi on les fait ! Et la capacité de rebond est très forte et très belle chez les jeunes artistes désormais. La pratique s’est diversifiée. Le croisement des genres et des médiums est davantage présent. Prenons l’exemple d’« Ultragirl contre Schopenhauer », jouée cette semaine à WET°. Dès le titre, c’est le choc des mondes ! Tout ça donne de la richesse au théâtre.
Au fait, jusqu’à quel âge est-on « jeune créateur » ? Très bonne question… L’âge légal n’est pas quelque chose que l’on prend en compte. C’est surtout de savoir où tu en es, où tu veux aller ? Je prends la pièce « Jusqu’ici tout va bien », cette année, à WET°… C’est une écriture de plateau, c’est intelligent et vivant, à l’esthétique rock, mais la distribution est intergénérationnelle. L’âge et la jeunesse ne sont pas liés.
Il y a une étiquette souvent collée – à tort – au théâtre. Celle d’un lieu un peu vieillot qui ne parle pas aux jeunes. Qu’en dites-vous ? Ma réponse ? Venez au théâtre ! Les personnes peu habituées sont très surprises quand elles en sortent. Certaines pièces n’ont plus du tout cette image vieillotte du théâtre. Dans la programmation de WET°, pas une ne correspond à l’imagerie poussiéreuse.
La solution, c’est de sortir le théâtre hors les murs, comme le fait votre festival ? Oui et non. C’est plutôt la démarche inverse en fait. C’est important à dire : le CDN est un lieu public. C’est l’argent des gens, leurs impôts. Et il est nécessaire de rappeler que tous ces lieux sont à nous toutes et tous. Cet endroit est à vous ! Alors… venez chez vous !
Quel regard portez-vous sur les deux précédentes éditions de WET° ? C’était top ! (rires) J’étais spectateur lors de la première édition et c’était super. Parce qu’il y a cette dimension de festival effectivement, mais aussi car c’est un moment où il est facile de se rencontrer. J’ai rarement senti ça… C’est un festival à taille humaine et novateur comme vous le disiez. C’est un temps créatif qui implique son spectateur. Désormais en tant qu’organisateur, je vois qu’on propose du « pas-connu ». On peut avoir du nez, ou être un accélérateur dans la carrière de quelqu’un. En tant qu’artiste, tu peux facilement parler de ton travail sachant que le contact humain est plus simple durant WET°.
Le festival veut draguer un public plus jeune, non ? Oui, mais pas que. Le théâtre est intimidant, la création est mystérieuse. Le regard des jeunes est important. Mais WET° est un festival transgénérationnel. Ce qui est beau, c’est de voir un retraité assis à côté d’une étudiante, assise à côté d’une famille.
Sur Internet, j’ai pu lire que WET° était vu comme un festival de théâtre « impertinent »… Je suis complètement d’accord ! (enthousiaste) C’est même insolent ! On assume de ne pas toujours faire l’unanimité et c’est ce qui est intéressant. Pendant trois jours, il y a toujours des surprises. Une fois, j’ai même vu Jacques Vincey en tongs, alors bon… ! (rires)
N’avez-vous pas peur parfois que la prise de risque soit trop grande ? Non, car il s’agit d’une logique de coup de cœur au niveau de la programmation. Sans risque, il n’y a pas de vie. Une émotion naît de ça. Le vrai risque, c’est le choix de la tiédeur. On veut provoquer des réactions.
WET° signifie Weekend Théâtre Olympia. Mais ce nom, c’est aussi pour dire qu’il faut se mouiller ? (la traduction de « wet » en anglais – NDLR) Complètement ! C’est une invitation à se mouiller, à plonger dans la nouveauté et l’audace. Le slogan de cette édition est « allumez le feu » ! On a pensé en terme de contraste, c’est quelque chose qui brûle d’être découvert.
Propos recueillis par Aurélien Germain
> Du 23 au 25 mars, au Théâtre Olympia/CDNT, La Pléiade, salle Thélème, au Petit Faucheux et au musée des Beaux Arts. > Réservations, horaires et infos sur cdntours.fr > Tarifs : 8 € le spectacle (plein), 5 € (réduit pour moins de 30 ans, étudiants, jeunes de moins de 18 ans, demandeurs d’emploi, etc.)
Aurélien Germain
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Le spectateur de Belleville
March 21, 2018 7:30 PM
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La révolte
Rédigé par Yves POEY et publié depuis Overblog sur son site "De la cour au jardin" 21 MARS 2018
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« Je veux vivre ! » Tel est le cri que pousse Elisabeth.
Elle n'en peut plus, Elisabeth, de sa condition de femme soumise. Elle n'en peut plus d'être reléguée par son mari Félix, affairiste bourgeois, au rang de simple objet plus ou moins utilitaire. Elle veut vivre, elle veut être écoutée, considérée, respectée. Elle veut également de la poésie dans sa vie. Elle veut exister. Elle veut être.
En cela, cette révolte est est un combat véritablement féministe. Elisabeth lutte depuis quatre ans et demi. Elle n'a pas choisi son mari, nous sommes à la fin du XIXème siècle. On dirait maintenant que son mariage a été arrangé. Ce qu'on reproche (à juste titre) à d'autres cultures a eu lieu chez nous, dans notre pays. C'était la norme bourgeoise de l'époque.
Mais une autre révolte couve. Elisabeth n'en peut plus de ces tripatouillages financiers qu'elle observe et connaît bien en tant que comptable de son mari. Elle ne veut plus participer à la spoliation des plus faibles, elle ne veut plus assister, impuissante, à la ruine d'autres hommes.
En cela, cette femme s'élève contre un capitalisme naissant Ces deux révoltes en une contiennent bien des ferments de luttes à venir.
Nous sommes en 1870, la pièce sera retirée de l'affiche du théâtre du Vaudeville cinq jours seulement après la première. A la veille de la Commune, on comprend pourquoi...
Le metteur en scène Charles Tordjman a opté pour une grande simplicité scénographique et dramaturgique. Un grand cadre tendu d'une très fine gaze occupe les trois quarts du plateau, matérialisant la pièce principale de la demeure, mais également la distance qui sépare les deux époux. Beaucoup de dialogues seront dits de part et d'autre de cet obstacle.
Les lumières sont très douces, nous sommes pratiquement en permanence dans un clair-obscur, avec beaucoup d'éclairages latéraux.
Les costumes sont d'époque (mention spéciale à Cidalia Da Costa pour sa très belle robe couleur sépia, avec un domino assorti), mais l'on comprend très vite que le propos est intemporel.
Julie-Marie Parmentier est Elisabeth. Elle est tour à tour glaçante (son énumération des biens acquis à restituer à son mari m'a fait froid dans le dos) et déchirante. La comédienne parvient sans mal à nous convaincre du véritable calvaire qu'a enduré son personnage, elle nous fait partager l'horreur de cette aliénation quotidienne. Elle est alors bouleversante en femme à qui un homme, même inconsciemment eu égard aux normes sociétales bourgeoises de l'époque, a voulu ôter tout libre-arbitre.
Melle Parmentier s'est emparé de bien belle manière de ce texte long et difficile. Son Elisabeth m'a énormément touché.
Le mari Félix est incarné par Olivier Cruveiller. Il parvient sans peine à nous convaincre de la « monstruosité passive » de son personnage : ce qu'il a fait endurer à sa femme, il l'a fait sans s'en rendre compte, parce que c'était comme ça et pas autrement qu'à l'époque il fallait faire.
C'est là l'enjeu du rôle que prend admirablement à son compte le comédien. Certaines de ses interventions nous font rire, tellement elles sont monstrueuses de machisme et de paternalisme. Je vous conseille d'observer Olivier Cruveiller lorsqu'il regarde sa partenaire et écoute ses tirades : sa façon de jouer l'offusqué, l'interloqué est jubilatoire.
Quant à la fin de la pièce... Il faudra vous rendre au Poche-Montparnasse pour en savoir plus, ne comptez pas sur moi pour vous la dévoiler...
Le metteur en scène et ses deux comédiens nous proposent donc un moment de théâtre fort et poignant, mais également un moment de saine et indispensable réflexion.
En matière d'égalité des sexes, et de respect mutuel, rien n'est jamais allé de soi et rien n'est jamais gagné. Il a fallu combattre, et il faut encore lutter : beaucoup reste encore à faire. C'est une très bonne idée que d'avoir décidé de monter cette pièce trop peu jouée.
LA RÉVOLTE
De Auguste de Villiers de L'Isle-Adam Mise en scène Charles Tordjman Paris 1870, l'heureux banquier Félix converse sur les bilans et investissements du jour avec sa femme Élisabeth. On décidera...
http://www.theatredepoche-montparnasse.com/project/la-revolte/
(c) Photo Y.P.
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Le spectateur de Belleville
March 21, 2018 4:44 AM
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Le Cabaret de curiosités du Phénix de Valenciennes avait pour titre « exilexit ». Les artistes de la Toneelhuis d’Anvers qui placent les migrants au centre de leur travail étaient très présents. Le directeur, Guy Cassiers, avec une adaptation de « La Petite Fille de Monsieur Linh » de Philippe Claudel, et l’un des artistes associés, Mokhallad Rasem, avec une installation vidéo dans l’Avesnois. -
Dans une petite pièce qui jouxte la salle de musique de Poix du Nord, il y a foule. C’est à croire que de tous les coins des Hauts-de-France, on a convergé vers cette localité d’un millier d’habitants au fin fond de l’Avesnois. L’atelier-cuisine a concocté des basboussas maison (gâteau égyptien) ainsi qu’une sorte de burek, maison également, avec le fromage frais du coin. C’est délicieux. La bière locale abonde, le jus de pomme n’est pas en reste et le cubi de rouge n’est pas le dernier. Comme le diront les deux directeurs de la Chambre d’eau, Vincent Dumesnil et Benoît Ménéboo, qui organisent l’événement, le pot se fait habituellement après l’exposition. Cette fois, il a commencé avant. Il se continuera longtemps après. On n’est pas pressé de sortir, on est bien ; de l’autre côté de la porte, il fait frisquet. On sort tout de même, trois pas, trois marches à monter – « on a salé les marches mais attention au verglas », a prévenu le maire de Poix du Nord –, nous y voilà.
Quatre Soudanais dans l’Avesnois
Disposée au centre de la spartiate salle de musique, l’exposition est une installation vidéo de l’artiste irakien Mokhallad Rasem réfugié en Belgique où il est arrivé en 2006. A Bagdad, il avait suivi des études de comédien et de metteur en scène ; la guerre en Irak a tout bouleversé. Après l’exil et les camps, il a fini par reprendre pied : depuis début 2013, il est artiste associé à la Toneelhuis d’Anvers – le lieu où travaille Guy Cassiers. Dans ses spectacles, Rasem s’appuie sur Shakespeare pour bâtir un univers où les mots ne sont pas toujours les premiers. C’est ce que l’on constate également avec son installation vidéo, un cube dont les quatre faces projettent de discrètes variantes visuelles d’une même histoire sonore, celle de l’accueil de Kamal, un réfugié soudanais, dans un village de l’Avesnois.
Mokhallad Rasem filme tout en douceur. Avec un œil impressionniste digne de Monet, il capte les couleurs tendres des chemins, des bosquets, la buée des vitres. L’histoire du migrant s’égrène souvent en voix off. Et tout se renverse : c’est le migrant soudanais qui sert de guide au réalisateur et le conduit vers ceux qui l’ont accueilli ; le film parle autant d’accueil que d’exil.
Calais n’est pas bien loin. Pour nombre d’habitants de l’Avesnois, la jungle de Calais et la façon dont l’Etat et sa police s’y sont conduits (Hollande, Macron : même hypocrisie) entraînèrent fureur et malaise. En rester là, ne rien faire alors qu’on est si près ? Un collectif Solidarité Migrants s’est constitué en octobre 2016 lorsque quatre Soudanais sont arrivés dans l’Avesnois. Il compte aujourd’hui plus de 120 personnes. Il fallait de l’argent, organiser des démarches, contacter des avocats et aussi sensibiliser les habitants de l’Avesnois, ce qui a été fait de façon informelle ou lors d’un pique-nique solidaire. Kamal vit à la Chambre d’eau, Anour à Wargnies-le-Petit et les deux autres à Poix du Nord.
Au Favril, il y a longtemps, le Moulin des Tricoteries meulait le blé. A une époque plus récente, le moulin est devenu une ferme, puis un gîte, puis un camping autour de la maison laissée inoccupée plusieurs décennies durant. C’est là que la Chambre d’eau a installé ses bureaux et aménagé le lieu pour accueillir des artistes en résidence en symbiose avec le territoire. Chaque troisième vendredi du mois, une rencontre publique est organisée avec l’artiste en résidence. Mokhallad Rasem est venu séjourner à la Chambre d’eau en octobre dernier. Chercheurs d’âme est le titre français de son installation qui, en flamand, joue sur deux mots : asieseeker, demandeur d’asile, et zielseeker, chercheur d’âme. L’exposition est présentée dans le cadre du « Cabaret de curiosités » qui chaque année se déroule au Phénix de Valenciennes et ailleurs dans la région. Pour la seconde année en partenariat avec la Chambre d’eau, et pour la première fois à Poix du Nord.
Le couteau dans la plaie
Sous le titre « exilexit », les manifestations diverses (spectacles, exposition, films, installations) du Cabaret de curiosités n’étaient pas sans faire écho les unes aux autres.
Des points noirs au bout des cinq doigts, le trajet d’une frêle embarcation au creux de la paume et sur l’avant-bras, deux rangées de gens qui marchent en direction des salières au creux de l’épaule, un lieu d’accueil peut-être, ou alors plus loin vers le pays du cœur plus difficile d’accès. Cela, vous le voyez à la fin, lorsque vous retirez le bras auparavant glissé dans le trou d’une paroi (cela s’apparente à une prise de sang). Pendant que l’artiste dessinait ce périple sur votre bras, vous écoutiez au casque un poème parfois chanté évoquant des traversées de frontières périlleuses, une jungle, le « couteau dans la plaie », et parlant de chagrin. Cette performance pour spectateur seul, intitulée As far as my fingerstips take me, est proposée par Tania El Khouri qui vit entre Londres et Beyrouth, et réalisée au Phénix de Valenciennes par Basel Zaraa, un réfugié palestinien de Syrie, resté longtemps au camp de Yarmouk tout comme le cinéaste Samer Salameh, un de ses amis, aujourd’hui réfugié à Paris et que l’on avait croisé dans l’atelier des artistes en exil
Sur la coursive qui conduit à la petite salle de théâtre du Phénix sont exposées les photos noir et blanc de Julien Saison, qui a séjourné à Norrent-Fontes, petite commune du Pas-de-Calais où se situe la dernière aire d’autoroute avant la mer, autrement dit la dernière chance de monter dans un camion avant qu’il ne traverse le tunnel sous la Manche. Le camp de Norrent-Fontes mis en place en 2008 a été évacué et rasé le 18 septembre dernier, « avec cœur et humanité » sans doute, comme le disait naguère un ministre de l’Intérieur lors de l’évacuation musclée de l’église Saint-Bernard à Paris..
Le banc de monsieur Linh
Au bout du couloir, dans la petite salle, un acteur nous attend, l’excellent Jérôme Kircher. Ce n’est pas un one man show, ce n’est pas un « seul en scène », c’est un spectacle de Guy Cassiers. C’est-à-dire un art du théâtre qui orchestre magistralement les sons, les images, les volumes, les corps, les écritures.
scènde de "La petite fille de monsieur Linh © Kurt van der elst L’acteur raconte l’histoire de Monsieur Linh et de la chose qu’il tient entre les bras et qui ressemble à une toute petite fille. Monsieur Linh est un homme qui a fui son pays défiguré par la guerre, il a tout perdu, à commencer par ses repères. Esseulé dans un pays dont il ne comprend pas la langue, il erre. Que fait un errant ? Tôt ou tard, il s’assoit par terre ou sur un banc. C’est ce que fait Monsieur Linh dans un parc. Il s’assoit sur un banc et s’assoit à côté de lui Monsieur Bark. Ce n’est pas un migrant mais un homme seul, il vient de perdre sa femme. Ces deux-là vont se comprendre sans pourtant parler la même langue. C’est là le début du roman de Philippe Claudel, La Petite Fille de Monsieur Linh.
Son adaptation à la scène par Guy Cassiers fait partie du projet « Beyond Borders » qui réunit plusieurs créateurs de la Toneelhuis, dont Mokhallad Rasem avec Chercheurs d’âme qu’il décline ici et là en donnant la parole aux réfugiés. Dans Borderline, Cassiers avait porté à la scène Les Suppliants, le texte d’Elfriede Jelinek sur le même sujet. Son adaptation du livre de Philippe Claudel a connu d’autres versions, dont la première en flamand avec Koen de Sutter. Cassiers monte cette adaptation avec un acteur différent pour chaque pays et chaque acteur infléchit la mise en scène. « Je m’abandonne à un autre contexte dans une autre langue », dit Guy Cassiers. Un peu à la façon de Monsieur Linh qui essaie partout où il se trouve de trouver la parade pour protéger la petite chose qu’il tient entre ses bras.
Guy Cassiers et la Toneelhuis d’Anvers ont aussi créé un site, www.ctzns.eu, où convergent les travaux d’étudiants en journalisme ayant trait aux migrants. C’est ainsi que dix-huit étudiants de l’université de Valenciennes ont réalisés cinq portraits vidéo que l’on pouvait regarder sur un moniteur dans le hall du Phénix. Quatre migrants venus du Soudan, du Congo, de Guinée. Et Janine, issue de l’émigration polonaise. Calais, elle connaît, elle habite à une portée de voiture. « Avec mon mari, en 2006, on a mis tout ce qu’on pouvait dans la voiture et on y est allé. » Vingt ans que ça dure. Avec ou sans langue commune, « ce sont de riches rencontres », dit Janine.
Les trois jours du Cabaret de curiosités sont terminés.
La Petite Fille de Monsieur Linh poursuit sa tournée : du 21 au 23 à l’Espace Malraux de Chambéry ; les 28 et 29 mars aux Espaces pluriels de Pau ; du 3 au 7 avril à la MC93 ; du 10 au 13 avril à la Rose des vents de Villeneuve-d’Ascq ; du 3 au 5 mai au Théâtre de Namur ; du 25 au 31 mai au Théâtre national de Bruxelles.
Légende photo : Scène de "Chercheurs d'âme" © Mokhallad Rasem
La Commission présentera son prochain budget pluriannuel en mai. Actuellement, elle consacre 0,15% de ses dépenses à la culture, soit 1,5 milliard d’euros sur 7 ans. "L’Europe présentera en mai la feuille de route de son prochain budget pluriannuel, et je souhaiterais que la part consacrée à la culture soit doublée, pour atteindre 0,3% des dépenses. Actuellement, les 0,15% de ce budget représentent environ 1,5 milliard d’euros sur 7 ans, soit quelque 200 millions par an, dont la moitié est réservée au cinéma", a expliqué Michel Magnier, directeur culture et créativité à la Direction générale Culture de la Commission européenne.
Via Aurelien Guillois, Valerie Mouroux
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Le spectateur de Belleville
March 20, 2018 4:36 AM
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Par Stéphane Capron sur le site de France Inter
Le Théâtre du Soleil et Ariane Mnouchkine se sont installés dès 1964 dans ses locaux de la Cartoucherie, dans le bois de Vincennes, aux portes de Paris. L'idée était déjà d'établir, avant les événements de 1968, un nouveau rapport avec le public.
Lorsqu'elle s'installe en 1964 avec ses compagnons, Philippe Léotard, Jean-Claude Penchenat, Roberto Moscoso et Françoise Tournafond à la Cartoucherie, à Vincennes, dans cet ancien lieu de fabrication d'armement et de poudre, Ariane Mnouchkine fait déjà acte de résistance avant les événements de mai 1968.
À (ré)écouter : 1968 volume 1 : Ariane Mnouchkine https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-19-mars-2018
Elle veut rompre avec le théâtre bourgeois pour faire un théâtre populaire de qualité. Une idée qui ne l’a jamais quittée. La troupe invente de nouveaux fonctionnements et privilégie le travail collectif. La compagnie est fondée sous forme de Scop.
Une tribu égalitaire Ce n'est pas vraiment une compagnie de théâtre, il convient mieux de parler de tribu. Chacun y reçoit le même salaire, qu'il soit comédien ou technicien. Aujourd'hui encore, le Théâtre du Soleil ne roule pas sur l'or. La distribution définitive ne se décide qu'après que les comédiens se sont exercés à plusieurs rôles.
C'est peut-être un peu moins vrai aujourd'hui. Au fil des années, Ariane Mnouchkine est devenue une redoutable chef d'entreprise. Et si tous les soirs, elle met un point d'honneur à déchirer les tickets en accueillant les spectateurs à l'entrée de la salle, c'est elle qui décide. C'est peut-être aussi la raison de la longévité de sa troupe, toujours debout après plus de 50 ans.
Des spectacles engagés Et le public ne désemplit pas. Plusieurs générations ont grandi avec le Théâtre du Soleil. On vient à la Cartoucherie comme en pèlerinage. On se fait discret à observer les comédiens se préparer dans les coulisses sous les gradins à travers un rideau.
Les spectacles du Soleil ont toujours été engagés, politiques et humanistes. Ariane Mnouchkine fait une grève la faim, en 1995, contre les massacres en Bosnie-Herzégovine. Elle prend la tête d'un collectif d'artistes en faveur des Africains sans papiers en 1996, abrités quelque temps à la Cartoucherie même. Et lorsque le Front national est au deuxième tour d'une élection, la metteuse en scène défile dans la rue, comme cela a encore été le cas en mars 2017 avant le deuxième tour de l'élection présidentielle, en appelant à voter pour Emmanuel Macron.
Ariane Mnouchkine, artiste engagée et fondatrice du Théâtre du Soleil (ici en 1984 à Avignon), œuvre pour une scène plus populaire. © AFP / Pierre Ciot
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Le spectateur de Belleville
March 19, 2018 7:55 PM
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Par Olivia Gesbert sur le site de son émission "La Grande Table" sur France Culture
Avec Marie-José Malis, metteuse en scène, directrice du théâtre « La Commune » à Aubervilliers, pour sa nouvelle mise en scène Vêtir ceux qui sont nus de Luigi Pirandello (jusqu’au 28/03)
Ecouter l'émission (28 mn) :https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/pirandello-par-marie-jose-malis
Le message de Pirandello face à la tentation du nihilisme est magnifique : pour devenir quelqu'un, faisons comme si nous avions à ''fictionnaliser'' notre propre vie, à en faire une œuvre qu'il faudrait réaliser sans cesse." Marie-José Malis
Marie-José Malis est à la fois metteure en scène, directrice du théâtre de la Commune à Aubervilliers et présidente du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) : trois bonnes raisons de la recevoir à la Grande Table. Elle est idéalement placée pour nous parler de Luigi Pirandello, monument de la littérature européenne et prix Nobel de littérature en 1934, dont elle adapte la pièce, Vêtir ceux qui sont nus, au théâtre de la Commune. Après On ne sait comment (2011) et la Volupté de l’Honneur (2012), c'est le troisième Pirandello qu'elle met en scène. Appuyée sur l'oeuvre de celui qu'elle qualifie de "révolutionnaire", elle a une position forte sur la politique culturelle et le rôle du spectacle vivant dans la société : comme lui, elle développe un théâtre populaire, proche du réel et des considérations quotidiennes, et qui questionne les grandes problématiques de la condition de l'Homme contemporain.
Ersilia, le personnage principal de ma pièce, est une métaphore des gens qui sont dans la précarité aujourd'hui ; les déshérités, les exclus, les migrants aussi." Marie-José Malis
INTERVENANTS Marie-José Malis, metteur en scène
Légende photo : Vêtir ceux qui sont nus• Crédits : Willy Vainqueur
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Le spectateur de Belleville
March 19, 2018 5:38 PM
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Par Caroline Bongrand dans L'Officiel 19.03.2018 Disparu avant hier, Philippe Elkoubi était un être brillant, visionnaire et généreux, un homme qui ne vivait que par et pour la beauté et les émotions. Grand directeur de casting, c'était un champion de l'altérité. Il aimait "l'autre", la singularité, la bizarrerie, recherchait constamment la différence, car il savait que s'y nichait, pour celui qui sait s'y attarder, le talent. Pionnier, plein d'audace, n'écoutant que son instinct et la profondeur des regards qu'il croisait, Philippe Elkoubi était un directeur de casting et un directeur artistique hors normes, d'un talent fou, probablement, et simplement, le meilleur. Il a imposé de nouveaux visages au cinema français, comme celui de Léa Seydoux, alors encore inconnu, et tant d'autres encore. Lui qui a fait confiance à de nouveaux cinéastes — il savait les repérer avant même l'éclosion, les aidant, avec tout son talent et sa modestie. Il avait un sens des histoires, une compréhension innée de la dramaturgie d'un film. De Jacques Audiard à Wing Kar Waï, David Lynch ou Rebecca Zlotowsky, les plus grands, en France mais de par le monde aussi lui faisaient confiance, mieux, le réclamaient. Son exigence était totale, et il savait imposer ses convictions, presque mystiques. Ses choix reposaient non sur une analyse mais sur un niveau de connection avec les êtres très particulier. Son regard était beau et perçant : il voyait tout. Il ne vivait que pour faire se rencontrer des gens entre eux, des gens et des projets. Comment se nomme ce métier qui consiste à faire se rencontrer des gens, comme il le faisait, avec une telle générosité, constamment ? À l'été 2007, il m'a emmenée, moi qu'il ne connaissait que très peu, voire pas du tout, seulement par certains de mes livres, rencontrer Marie-José Jalou. Il venait d'être nommé, au milieu de ses nombreuses activités, directeur artistique du magazine, ce dont il était extrêmement heureux et fier. Un très beau magazine. Une légende de la mode. Je lui dois cette rencontre clé de mon existence. Peu de temps après, il est retourné au cinéma. C'était là tout lui : faire les présentations, puis s'éclipser. En 2012, il m'avait confié avoir envie de livrer qui il était, qui il était vraiment. Soudain, lui si discret, avait envie d'un portrait. Je m'étais précipitée, dans l'atelier d'Anne-Valérie Hash, son âme soeur depuis l'enfance, boulevard Bonne Nouvelle, pour passer trois heures avec lui, et écrire, ensuite, le texte ci-dessous. Philippe était très beau, c'était un être lumineux, peut-être parfois incompris comme ces météorites dont on comprend plus tard qu'ils portaient en eux quelque chose comme du génie. Disparu avant hier, nous nous devions et je me devais de partager ce portrait qu'il avait relu et dont il avait été ému: "je me suis vu", m'avait-il répondu. Ce texte date donc de 2012. Je n'en ai pas changé la moindre virgule.
Philippe, c'est pour toi. De notre part à tous, qui t'avons connu et aimé.
Confession d’un enfant du siècle : Philippe Elkoubi
Il est le directeur de casting que les réalisateurs étrangers nous envie. De Wong Kar Waï à David Fincher, David Lynch ou plus proche de nous, Sylvie Verheyde, Jean Baptiste Mondino ou Bettina Rheims, Philippe Elkoubi ne travaille pas tout à fait comme les autres. Rencontre avec un « homme de l’ombre » aussi respecté que secret, à l’occasion de la sortie du film Confession d’un enfant du siècle auquel il a participé.
Il a grandi dans un petit village au bord de l’Atlas, élevé par ses grands parents. D’extraction judéo-mystique – son arbre généalogique qu’il peut remonter jusqu’à l’an 1100 n’est constitué que d’une longue lignée de rabbins — il se dit d’une famille de penseurs. La religion est pour lui le lieu de connaissance d’un monde plus silencieux où l’invisible compte autant voire davantage que le visible. Pourtant Philippe Elkoubi n’a pas choisi la voie de ses aïeux. « Je suis la première génération à ne pas être rabbin ». Celui qui dit s’intéresser « aux identités, aux incarnations » a choisi un tout autre territoire. Directeur de Casting, cela semble trivial, réducteur. Pourtant ça ne l’est pas. Philippe Elkoubi va au plus profond mais aussi au plus instinctif. Il va au plus profond des êtres, dans ce qu’il nomme les arrière mondes, vers l’âme de chaque individu. Ainsi choisit-il, pour les plus grands réalisateurs du monde entier, les visages, les regards — les acteurs et les actrices. Agissant en véritable révélateur, il époustoufle ceux qui travaillent avec lui. Philippe les a « fait évoluer » sur la compréhension de leur scénario ». Rebecca Zlotowski le dit elle même : elle a plus appris sur ses personnages pendant le casting que pendant l’écriture du scénario. Pas en termes d’acteurs mais vraiment en terme de scénario. Il sait lire au delà. Sa vision d’un scénario, les acteurs qu’il propose sont une réalisation en soi. « Le cinéma, c’est le présent absolu. Je ne crois pas qu’il y ait de personnages. Ce que donnent les acteurs, c’est ce qui les traverse ». Ce « geste » du casting, comme il l’appelle, il dit en avoir hérité. Lire derrière les yeux, voir derrière la peau. « Dans mon métier, je me sens au plus proche de ma tradition juive ».
« Le cinéma, c’est le présent absolu. Je ne crois pas qu’il y ait de personnages. Ce que donnent les acteurs, c’est ce qui les traverse. » Il n’a pas fait d’école. Est arrivé au casting « par nécessité de comprendre quelque chose de l’ordre du langage humain », dit il. Enfant, il n’a jamais l’impression d’avoir accès à la vérité des êtres. Et cela l’obsède. Les admire-t-il ? Les craint-il ? Les deux à la fois ? Qui sont les gens ? Qui est-il celui là, en vrai, et moi, qui suis je ? « Quand des gens arrivent dans le studio, ils veulent être mieux que vrais, et ils sont tellement fragiles. On peut avoir accès à quelque chose d’essentiel. Quand quelqu’un s’abandonne à ce qui le traverse, tu filmes du cinéma. Certaines choses ne peuvent pas s’écrire, se disent depuis un rythme. Ce qui nous habite, c’est musical ». Il cite Jankélevitch, « ce qui est très beau dans la musique, c’est qu’elle a des causalités clandestines ». Pour lui, les êtres humains sont tous porteurs de quelque chose de l’ordre de la musique, du rythme, du tempo. « J’en apprend plus sur quelqu’un par le rythme de sa pensée que pare ce qu’il dit. » C’est cette petite musique, ce rythme intime qu’il perçoit, si clairement. Le visage qui le bouleverse le plus, c’est celui de Léa Seydoux. Il la connaît depuis ses 15 ans. « Elle peut tout être parce qu’il y a quelque chose d’une disparition dans son regard, c’est quelqu’un qu’on traverse. On peut l’imaginer comme ce qu’on veut. Elle a une qualité d’absence ou la projection est possible, c’est très étonnant. Dans les hommes, Lucas Pittaway, de Snow Town. Il a cette même chose qu’avait Heath Ledger. Incroyable ».
"Quelle tristesse... Philippe nous a quitté, son élégance, sa gentillesse et son intelligence vont nous manquer cruellement... il savait capter l’âme des personnes qu’il castait, et souvent les films qu’il me préparait d'eux était mieux que ce que j’allais en faire... Love for ever." Jean-Baptiste Mondino Il a travaillé pour Wong Kar Wai, David Lynch, Jonathan Glazer, David Fincher, et dans le registre des photographes, Jean Baptiste Mondino, et Bettina Rheims. Mais Philippe Elkoubi aime aussi les moins connus, les originaux, les audacieux, les insolents. Comme pour Grand Central, sa deuxième collaboration avec Rebecca Zlotowky après Belle Epine, qui réunit Tahar Rahim, Léa Seydoux, Olivier Gourmet, Denis Menochet, Guillaume Verdier. « C’est très beau, ça se passe dans une centrale nucléaire. C’est un film qui regarde un visage possible d’un certain prolétariat français, un film qui descend absolument dans la matière humaine, dans la relation amoureuse, dans les liens qu’entretiennent les personnages les uns avec les autres ». « Quand je travaille sur un film, je travaille sur une couleur. Je crois que chaque film parle sa propre langue. Pour Grand Central, cette langue, c’est la sauvagerie. La sauvagerie, c’est « se laisser être depuis ce que l’on sent ». Ca ne relève pas de la psychologie ». Pour le film, Philippe a vu 220 acteurs.
Il fait du casting depuis 17 ans. Son équipe compte 5 personnes. Ils sont installés dans le 11ème arrondissement de Paris. 15% seulement de ses clients sont français. Il s’occupe de 7 à 8 films par mois, dont des publicités pour les plus belles marques. Dior, Saint Laurent, Armani, Valentino. Il suggère les égéries. On l’écoute. Les formats n’ont aucune importance pour lui. Il filme des acteurs, avant de présenter ces films aux réalisateurs. Cela fait 5 ans maintenant qu’il fait du cinéma. Les réalisateurs commencent à lui proposer d’être associé à la production, voire d’être co producteurs, comme Philippe Grandrieux. Ils ont compris que l’homme a une vision qui va plus loin – plus loin que l’utilitarisme et l’efficacité. Pourtant, Philippe Elkoubi est discret. C’est un homme de l’ombre, un vrai, quelqu’un qui n’apparait pas, qui ne la ramène pas, qu’on ne croise pas sur les terrasses ni même sous le soleil. Il travaille comme un fou. Jour et nuit, ou presque. Organisé, il a des assistants dans de très nombreux pays. Les met à contribution, constamment. Aucun talent ne lui échappe, de la Chine à l’Australie, l’Espagne, la Suède, l’Allemagne ou les Etats unis. Il s’intéresse à tous. Va les filmer, lui même, où qu’ils soient. « J’ai filmé des gens sans aucun dispositif esthétique, sans lumière, comme ça, dans des voitures, sur des balcons, je ne parlais même pas leur langue. Mais paradoxalement j’avais accès à quelque chose d’extraordinairement cinématographique ».
Le verbal serait-il un obstacle à la communication entre les êtres ? La thèse mérite que l’on s’y penche, car elle est pertinente. Langage du regard, du corps, des âmes, bien plus forts. Cela soudain semble une évidence. « Sylvie Verheyde avait très envie d’adapter Confessions d’un enfant du siècle, en prenant l’amour comme lieu du tourment absolu, en traitant l’amour comme un sujet de société ». Quelques mois plus tard, elle revient avec un scénario, des noms d’acteurs français pour incarner les personnages. Philippe Elkoubi craint que le Français et la France ne limitent l’accès à la pensée de Musset. Il a soudain l’idée que Pete Doherty serait un Octave incroyable, parce que lui même déjà porteur d’un néoromantisme. « Sylvie est restée bouche bée, elle ne le connaissait que comme un chanteur et elle ne parle pas Anglais. Moi je pensais que Musset en Anglais, ce serait réellement dire Musset ». Il connaît bien Pete Doherty, qui lui a confié un jour avoir envie de faire un film. C’est la rencontre, pense Philippe Elkoubi, et elle doit avoir lieu, malgré toutes les difficultés d’une communication minimale avec la réalisatrice. Doherty dit oui. Lily Cole le rejoint. Philippe Elkoubi poursuit son casting en Allemagne, en Grande Bretagne, en France. Cherche des acteurs excellents mais plus « clandestins ». Le casting emmène le film plus loin que prévu, plus haut, plus fort, et influence tant la vision du scénario et la réalisatrice qu’il se voit associé à la production. Confession d’un enfant du siècle passe d’un projet entièrement franco français à une dimension internationale. « Par un casting on crée les possibilités de la rencontre avec une économie, des distributeurs ». En même temps, ajoute-t-il, un grand casting n’est jamais la garantie d’un bon film. Philippe éprouve beaucoup de plaisir à fabriquer, pour le film, la « réalité des incarnations » malgré les différences de langues. Depuis le début, il veut Charlotte Gainsbourg. Elle est prise. Cela le contrarie beaucoup. « La rencontre entre elle et Pete était hautement signifiante pour elle comme pour lui. Non, c’était impossible que ça ne se produise pas. » Une fois de plus, il a raison. Charlotte Gainsbourg dit oui. Le film est sélectionné à Cannes, dans Un certain regard.
Il cite Pessoa. « Le plus bel endroit pour voir les gens, c’est de dos. Là, on est en dehors de la folie de l’époque. On est en dehors du contrôle. On ne se connaît pas de dos. » Dans son studio, il reçoit les gens une heure. Leur envoie l’information que la rencontre ne va pas s’effectuer avec lui, mais avec eux mêmes. « C’est très émouvant, le métier des acteurs, il faut toujours passer du réel à la réalité ». Et d’ajouter : je crois qu’on obtient rien dans l’exécution. On n’atteint rien d’exceptionnel depuis la performance. Il a travaillé avec John Strasberg, le fils de Lee. « J’avais l’impression que tout ce qu’il disait sortait de ma bouche. C’est tout ce que j’avais toujours pensé ». Ce qu’il aime plus que tout, c’est faire du « casting sauvage ». Arrêter des gens dans la rue. « Les gens ont dans l’idée que le cinéma c’est le lieu des gens très beau. J’ai arrêté des gens qui se pensaient laids et que je trouvais très beaux. Ils étaient très étonnés et me disaient « mais je ne suis pas beau ». « La beauté, c’est un grand sujet. Ce n’est pas un bien de consommation, cela relève de la mémoire, quelque chose de très profond ». Et il la côtoie aussi dans cette autre vie, que peu lui connaissent. Une histoire d’enfance, une histoire d’amour, d’amitié, de mode. Il est l’associé discret d’Anne Valérie H, marque de Haute Couture et maintenant de prêt à porter unanimement portée aux nues, du Harper’s Bazar à Vogue en passant par W. « On se connaît depuis qu’on a dix ans. Nous étions dans la même école. Je suis allée voir Anne Valérie et je lui ai demandé si elle voulait être mon amie. J’étais magnétisé par elle. On a découvert vingt ans plus tard que nos grand mères étaient voisines, au Maroc, et que mon père avait été très amoureux de sa mère, au point de vouloir l’épouser ». C’est une histoire d’âmes sœurs. Anne Valérie fait la Chambre syndicale de la Haute Couture. Puis va trouver Philippe : « Je veux créer ma maison de couture, mais je ne le ferai pas sans toi ». Il lui demande pourquoi elle veut créer sa maison. C’est important, cette question. « Elle me répond que petite, elle voulait couper les vestes de son père pour en faire des robes ». Voilà qu’ils travaillent à partit du corps d’une petite fille, ou plutôt, de la sensation d’être une enfant avec les vêtements de son père. Ils prennent une garde robe d’homme, font une robe à partir d’un pantalon, une jupe depuis une veste. Ils n’ont pas les moyens d’un défilé, alors ils font un premier livre. Il y a une garde robe marocaine, une autre d’ouvrier, une autre de matador, etc. Puis d’autres livres. Qui s’occupe du casting ? Devinez. Les plus belles top model – Stella Tennant en tête- les accompagnent, gratuitement, pour la marque. Ils créent des livres, font des présentations photographiques. Tout le monde adore. Pour la marque, c’est un triomphe. L’identité est là, claire et bien affirmée. « Les grandes choses, on les fait depuis les endroits où on les sent », dit-il. Avant d’ajouter « La vérité, ce n’est pas ce que l’on sait, mais ce qui nous sait ».
Crédit photos : Philippe Abergel
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