Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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August 11, 2024 9:25 AM
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Arthur Cadre, homme-caoutchouc et « golden voyageur » de la cérémonie de clôture des JO de Paris

Arthur Cadre, homme-caoutchouc et « golden voyageur » de la cérémonie de clôture des JO de Paris | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 11 août 2024

 

Le danseur-breakeur-contorsionniste de 32 ans tient le rôle principal dans « Records », le spectacle imaginé et mis en scène par Thomas Jolly.
 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/08/11/arthur-cadre-homme-caoutchouc-et-golden-voyageur-de-la-ceremonie-de-cloture-des-jo-de-paris_6276353_3242.html

Lorsque Arthur Cadre déplie tranquillement son presque double mètre – 1,86 m précisément sous la toise –, on a du mal à superposer les images des invraisemblables acrobaties dont ce danseur-breakeur-contorsionniste est capable. La vedette de Records, qui incarne le « golden voyageur » (« voyageur en or ») du spectacle de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024 sous la direction de Thomas Jolly, est un homme-caoutchouc dont le répertoire gestuel stupéfiant, visible sur les réseaux sociaux, entre extrême flexibilité et tension graphique, éblouit. « Il faut mettre plus d’efforts dans les mouvements évidemment, car, quand on est grand, tout prend plus d’ampleur, glisse-t-il. Mais après, les lignes sont plus longues. »

 

Voir la vidéo 

 
 
Dans un agenda blindé – il annonce trois cents jours de voyage en tournée par an dans le monde entier –, cet artiste de 32 ans, également architecte, metteur en scène, acrobate de cirque, photographe et mannequin, a répondu illico oui à la proposition de Thomas Jolly deux mois seulement avant le show. « J’avais très envie de travailler avec lui », confie-t-il. C’est après être allé voir Starmania – à La Seine musicale, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), en 2023 – « magnifique ! » – qu’il entre en contact avec Thomas Jolly par Instagram. Et la suite file. Les deux artistes se rencontrent, et voilà Arthur Cadre au cœur de la « dystopie » imaginée par Thomas Jolly qui, dit-il, lui a laissé « beaucoup de liberté créative » : « Je lui propose des choses et il me donne un retour. »
 
Arthur Cadre, cité en 2022 parmi les trente jeunes entrepreneurs de moins de 30 ans qui comptent par le magazine américain Forbes, affiche calme et sérénité. Mercredi 7 août, il émerge d’une répétition de nuit au Stade de France de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Impressionné par les 2 800 mètres carrés du plateau et par les 80 000 spectateurs attendus ? Arthur Cadre est un habitué des maxiformats scéniques. Celui qui se consacre « à la création du spectacle de demain », comme il le déclare sur son site Internet, a déjà du très lourd derrière lui.

 

Parmi une liste d’événements énormes et prestigieux, entre Venise et Los Angeles en passant par Zanzibar, il évoque, par exemple, son rôle principal dans La Perle, créé en 2018 à Dubaï par Franco Dragone (1952-2022), le fondateur du Cirque du Soleil, qui le remarque en 2015 au Festival mondial du cirque de demain, à Paris. Il jouera mille fois ce mégashow. En mars, il a conçu la production Asayel, avec quarante danseurs et vingt-cinq chevaux, à Riyad, en Arabie saoudite. En décembre, il sera à Las Vegas en tant que « concepteur créatif » sur Hope Road, autour de Bob Marley, produit par la famille du musicien, au Mandala Bay.

 

Breakeur d’abord, Arthur Cadre a démarré la danse hip-hop à l’âge de 9 ans dans sa chambre, à Perros-Guirec (Côtes-d’Armor), où il a grandi et où il retourne régulièrement. La famille baigne dans le sport. Son père, champion de planche à voile, a participé aux Jeux olympiques en 1988, à Séoul. Sa mère était dans l’équipe de France de volley-ball. C’est la vision du clip Freestyler de Bomfunk qui lui donne envie de plonger dans le breaking. Vite, il a 13 ans, lorsqu’il participe à des compétitions de breakdance, où son profil et ses enchaînements de pas vertigineux le distinguent. « La culture hip-hop vous forge en matière de motivation, dit-il. On est directement confronté aux gens, au public, et l’aspect communauté est vraiment intéressant… »

 
En 2007, il apparaît pour la première fois dans l’émission « La France a un incroyable talent ». Rebelote en 2015, où il se qualifie en finale. Entre-temps, en 2011, une de ses vidéos de « yoga breakdance » devient virale. La même année, il débarque à Montréal, où il vit jusqu’en 2015, y décroche son diplôme d’architecte tout en finançant ses études en participant à des pubs, des performances. « L’architecture a beaucoup d’influence sur mon mouvement en matière de lignes, de rythmes, de volumes… », précise-t-il.
 
 
Baptisé « Lil Crabe » – ce qui en dit long sur sa signature stylistique –, il déploie une gestuelle variée et complexe où le breaking s’enrichit des multiples techniques engrangées au fil du temps, dont celles de la danse classique et contemporaine, des claquettes, du cirque, de la magie, du yoga qui nourrissent l’imaginaire et l’écriture de cet autodidacte. Curieux, il travaille actuellement sur la lévitation. « C’est un outil pour raconter des histoires et transporter les gens », souligne celui qui aime bien mélanger tous ses pinceaux : la danse, l’architecture, le cirque, le théâtre, la photo, la mode… Et incarner ses visions mirifiques.
 
 

 

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Légende photo : Le danseur, contorsionniste et architecte français Arthur Cadre, artiste principal de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024, le 23 juillet 2024. JOEL SAGET / AFP

 

 

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August 9, 2024 12:49 PM
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Margaret Menegoz (1941-2024) : un regard s'éteint

Margaret Menegoz (1941-2024) : un regard s'éteint | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Pierre de Gasquet, Adrien Gombeaud dans Les Echos 

Productrice d'Eric Rohmer, Wim Wenders, Marguerite Duras ou Michael Haneke, Margaret Menegoz est morte à l'âge de 83 ans. A la tête des films du Losange de 1975 à 2021 elle a construit l'une des plus belles filmographies du cinéma français et international.

 

 

Un immeuble bourgeois faussement banal, presque à l'angle de l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie et de l'avenue Marceau. Banal mais mythique. Ici, au siège historique des Films du Losange, à Paris, a régné une franco-hongroise, venue d'Allemagne, sur la fine fleur du cinéma d'auteur français pendant plus de quarante ans : Margaret Menegoz, l'une des plus grandes productrices de l'histoire du cinéma français vient de disparaître à l'âge de 83 ans.

 

 

Admiratrice et complice d'Eric Rohmer et de Barbet Schroeder, les deux piliers historiques de la doyenne des maisons de production françaises, Margaret Menegoz a largement oeuvré à l'éclosion et à la consolidation de talents majeurs, depuis Marguerite Duras, Andrzej Wajda, Lars von Trier, jusqu'à Michael Haneke, dont le film « Amour » a remporté la Palme d'Or en 2012… Avec une seule devise : « Il n'y a pas de système standard et il n'y a pas un auteur qui ressemble à un autre. »

La fabuleuse histoire du Losange démarre, en 1962, par la rencontre singulière entre un jeune Franco-Suisse de 19 ans et un pilier des « Cahiers du Cinéma ». Dingue du 7e art, Barbet Schroeder, passe sa vie à la Cinémathèque. Viré de la direction des « Cahiers », Eric Rohmer, son aîné de vingt ans, lui propose de créer une revue concurrente. « Cela m'amuserait plus de vous aider à faire vos films », lui lance Barbet. A 22 ans, il met ainsi en gage un tableau du peintre expressionniste allemand Emil Nolde, légué par sa mère, pour fonder la société.

Force motrice

Treize ans plus tard, Rohmer cherche une assistante pour « La Marquise d'O », son adaptation de la nouvelle de l'écrivain allemand Heinrich von Kleist. Il recrute une jeune femme, d'origine hongroise, que lui recommande le directeur du Centre national du Cinéma (CNC), Pierre Viot. Margaret a 33 ans. Mariée au documentariste Robert Menegoz, elle collabore avec lui en tant que régisseuse, scripte et productrice. « On cherchait une secrétaire bonne à tout faire qui tienne la maison, réponde aux lettres et aux fournisseurs… Donc j'ai fait ça », minimisait l'intéressée. En réalité, très vite, elle devient la force motrice du Losange. Avec Margaret Menegoz, la société passe d'une logique d'autoproduction à une logique de production.

 

 

En 1978, elle produit le « Perceval le Gallois » de Rohmer, un film perché mais d'une forme incroyable. Malgré son échec commercial, elle se lance dans le cycle des « Comédies et Proverbes ». Les premiers films de Rohmer (« La Femme de l'aviateur », « Le Beau Mariage »… ) marchent plus ou moins bien. Mais Gaumont lui confie parallèlement de grosses productions (le « Danton » de Wajda, des films de Comencini ou « Un amour de Swann » de Volker Schlöndorff…), ce qui amène de l'argent au Losange.

 
« Margaret était très proche des auteurs. Elle se mettait vraiment au service du film. Elle cherchait toujours à comprendre ce qu'ils voulaient et elle était toujours extrêmement précise dans son travail, se souvient Régine Vial, qui a été sa collaboratrice la plus proche. Comme elle avait été monteuse, elle connaissait très bien les étapes de la fabrication des films, pour nous c'était quelque chose de très précieux. »

Un regard exigeant

« Pour les metteurs en scène, il y avait là une connaissance intime de leur travail qui permettait une vraie collaboration », souligne cette ancienne professeure de français et exploitante de cinémas. « Margaret avait un regard exigeant sur les films qu'elle produisait. Elle voulait faire vivre ses films le plus longtemps possible pour leur donner leurs meilleures chances et travailler le catalogue, comme un éditeur. »

 

J'ai toujours pensé que les femmes producteurs étaient bien meilleures que les hommes car elles ont moins d'ego        Margaret Menegoz

 

 

« J'ai toujours pensé que les femmes producteurs étaient bien meilleures que les hommes car elles ont moins d'ego », confiait Margaret Menegoz à « Télérama » en 2017. « On est moins perçues comme des rivales, il y a moins de combats de coqs ». De fait, avec Martine Marignac et Claudie Ossard, elle devient l'une des trois productrices les plus respectées du moment dans un métier encore largement dominé par les hommes.

« Les Films du Losange n'étaient pas une maison qui cherchait à faire des films pour de l'argent. C'est une maison qui est toujours partie d'un désir de faire des films parce qu'on les aimait », résume joliment Régine Vial. « Margaret est toujours partie de l'idée que la richesse d'une maison était ses auteurs. On est riche de leur talent qui dure », ajoute l'autre bonne fée du Losange, qui règne sur le secteur, crucial, de la distribution depuis 1986.

 

 

Avec « Marga », comme on l'appelait dans le milieu, l'axe franco-allemand se renforce dans la création. C'est elle qui fait venir au Losange Wim Wenders , l'auteur de l'« Ami américain », Margarethe von Trotta, Helma Sanders-Brahms, Rainer Werner Fassbinder (pour « La Roulette chinoise »), mais aussi Marguerite Duras.

La rencontre avec Michael Haneke sera cruciale pour Menegoz. Le réalisateur de « Funny Games » remportera deux Palmes d'Or avec le Losange : « Le Ruban » en 2009 et « Amour » en 2012. « Amour est un film qui a beaucoup compté pour elle », ajoute Régine Vial. Ce film de Michael Haneke n'était pas pressenti pour être un succès mondial. Il a été vendu dans tous les pays du monde. Grâce à « Marga », Rohmer cartonne en Allemagne et aux Etats-Unis.

 
Vers l'international

« Ce qu'a très bien fait Margaret c'est l'ouverture à l'international. Le fait qu'elle parle trois langues a été un levier précieux. Elle a permis à nos auteurs d'être connus dans le monde entier… Elle avait cette capacité à amener des oeuvres exigeantes au plus grand nombre de spectateurs. » Avec la complicité de Daniel Toscan du Plantier, l'ancien bras droit de Nicolas Seydoux chez Gaumont et patron d'Unifrance, le tandem Menegoz-Vial va propulser le cinéma d'auteur sur la scène internationale.

Après la disparition de Daniel Toscan du Plantier, Margaret Menegoz prendra d'ailleurs la présidence d'Unifrance, l'organisme de promotion du cinéma français à l'international, de 2003 à 2009, avant de présider encore l'Académie des Césars en 2020. Par fidélité et par passion.

 

Quant au Losange, il a démarré sa troisième vie sous la houlette du tandem de producteurs formé par Charles Gillibert et Alexis Dantec. Après « Happy End » de Michael Haneke, Margaret Menegoz et Barbet Schroeder ont décidé de vendre le Losange et son précieux catalogue de 350 films en 2021. « Elle ne voulait pas se contenter de vendre le catalogue. Elle voulait que la production continue car elle a toujours pensé que c'était la force vive, explique Régine Vial, Margaret m'a appris une chose : aucun film ne doit rester sur une étagère ! Un film sur une étagère est mort. Il faut les faire vivre, sinon ils sont oubliés ». Il reviendra désormais au Losange de faire vivre ses films mais aussi, à travers eux, l'héritage de Margaret Menegoz.

 

 

Pierre De Gasquet et Adrien Gombeaud / Les Echos

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August 9, 2024 5:40 AM
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Au théâtre, le meilleur ami de l’homme, un partenaire de jeu idéal

Au théâtre, le meilleur ami de l’homme, un partenaire de jeu idéal | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 9 août 2024

 

« Des œuvres qui ne manquent pas de chien » (5/6). Plusieurs pièces mettent à l’honneur l’animal, acteur à part entière, tantôt réconfortant, tantôt menaçant.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2024/08/09/au-theatre-le-meilleur-ami-de-l-homme-un-partenaire-de-jeu-ideal_6274148_3451060.html

 

 

Retrouvez tous les épisodes de la série « Des œuvres qui ne manquent pas de chien » ici.

 

 

Il n’aboie pas, ne gémit pas et fait ce qu’on lui dit de faire. Le chien est un partenaire de théâtre idéal qui gambade avec politesse sur les scènes, s’assoit lorsqu’on le lui demande, se couche si nécessaire. Tout juste vient-il renifler les chaussures des spectateurs assis aux premiers rangs qui ont l’interdiction formelle de le caresser pour ne pas le déconcentrer.

 
On a vu cette année deux spectacles dont le chien était le héros, assumant les places de l’enfant, du confident, voire du psychanalyste. Celui, tout petit, que serrait contre elle Marina Hands au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris se nommait Miky. Il était d’autant plus à son aise dans les bras de l’actrice qu’elle en est la maîtresse. Miky ne jappait pas et Marina Hands se taisait dans Le Silence, un spectacle de Lorraine de Sagazan. Pourtant l’échange entre eux était éloquent, œil affectueux de l’animal, sourire attendri de l’actrice que soulageait sans doute ce restant de complicité au cœur d’un drame effroyable : elle jouait une mère en deuil de son enfant. Et peut-être bien que le public lui aussi trouvait du réconfort à la vue de Miky qui remettait de la vie là où la mort avait sévi.
 

C’est à ça que servent les chiens sur les plateaux de théâtre : ils sont les vivants par lesquels transitent les affects et qui assurent le sous-texte d’une histoire sans eux incomplète. Quelques mois avant le Silence, au Théâtre du Rond-Point, à Paris, Yuval Rozman mettait en scène Ahouvi, distribuant, en alternance, Yova et Epops, deux bergers australiens. Leur rôle ? Servir d’enfant de substitution à un couple qui s’entredéchirait, faire la navette entre les amants, marquer leur préférence ou leur indifférence, bref alimenter le conflit à coups de truffes humides.

Séquence mémorable

Certains ont pu s’extasier devant leur qualité de présence. Sans aller jusque-là, le fait est qu’ils assuraient et que les regards, souvent, les scrutaient au détriment des comédiens. Le chien sait voler la vedette à l’acteur. Il arrive même qu’il l’agresse avec sauvagerie. En 2008, au Festival d’Avignon, Brigitte Salino rapportait dans Le Monde la séquence mémorable d’un spectacle présenté cet été-là : « Avec L’Enfer de Dante, des chiens sont entrés dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Sept molosses, tenus en laisse par leurs maîtres qui les ont attachés à des chaînes et laissés, gueules ouvertes, hurlant sur le plateau nu et noir. Pendant ce temps, un homme enfilait sur ses vêtements de ville une épaisse combinaison. Quand il eut fini, trois autres chiens ont été lâchés sur lui. Ils s’acharnaient sur son corps, tentant de déchiqueter la protection qui le recouvrait. A un sifflement, ils sont repartis, l’homme s’est relevé et il a disparu sous une arche. Cet homme, c’était Romeo Castellucci, maître d’œuvre du spectacle. »

 

 

En 2008, l’artiste italien affrontait la meute. Seize ans plus tard, l’animal et l’homme ne font qu’un. Dans Hécube, pas Hécube, de Tiago Rodrigues, spectacle adapté de la tragédie d’Euripide, la statue d’une chienne de pierre aux yeux de feu, haute de plus de 3 mètres, se dressait au centre de la Carrière de Boulbon. Devenir chienne : tel a été le sort d’Hécube, reine de Troie, et telle sa damnation. Cave canem : le proverbe disait vrai.

 

 

Retrouvez tous les épisodes de la série « Des œuvres qui ne manquent pas de chien » ici.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

 

Légende photo :  Stéphanie Aflalo et Gaël Sall, dans « Ahouvi », de Yuval Rozman, au Phénix scène nationale Valenciennes (Nord), le 27 février 2023. Les bergers australiens Yova et Epops y jouaient, en alternance, le rôle du chien. FRÉDÉRIC IOVINO

 

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August 8, 2024 9:31 AM
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« Lamento pour un ange » : la première pièce de Copi, inédite en français, enfin traduite

« Lamento pour un ange » : la première pièce de Copi, inédite en français, enfin traduite | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Humanité - 6 août 2024

 

Sous des airs de vaudeville contrarié par la solitude, la première pièce de Copi, enfin traduite, fait sourdre une étrangeté bouleversante, caractéristique de son auteur.



Buenos Aires, années 1950. Alfredo, un jeune homme taciturne, arrive de Province et pose ses valises chez Madame Lisca, maîtresse de maison distraite et un peu sauvage à qui il loue une chambre. Entre les murs de ce vieil appartement, les solitudes se croisent : il y a Susana, la fille de la propriétaire, et un professeur, un second locataire qui fait presque partie des meubles, image de vieux pédé insupportable aux yeux d’Alfredo.

 

Susana s’amourache d’Alfredo, lequel évite et élude : l’homosexuel, dans l’Argentine des années 1950 comme ailleurs, est voué à se taire – jusqu’à ce que son intimité soit révélée comme un crime honteux. Le silence grève les échanges, les êtres se fuient eux-mêmes et entre eux, et cette pension où le temps glisse est le symbole parfait d’une intranquillité transformée, bon gré mal gré, en chez-soi.

Aller mal sans savoir dire pourquoi

Inédite en France, la première pièce de Copi porte en elle un certain nombre des obsessions vouées à s’épanouir dans le reste de son œuvre. L’expression empêchée, le reniement de soi, l’homosexualité et leurs figures : des « pédés » jeunes et plus âgés, des mères totémiques. Innervé par les influences d’Ibsen ou Tennessee Williams, Lamento pour un ange ne donne pas dans les provocations qui ont plus tard fait date, et auxquelles on a parfois tendance, aujourd’hui, à résumer Copi.

Mais si le plus grand apport philosophique de l’auteur réside dans ses descriptions d’une identité instable, d’une fuite en avant de l’être dans l’inconnu, celui-ci fait le lien de l’éructation verbale abjecte et astronomique d’une Loretta Strong à l’incommodité étouffée et latente de Lamento. Ici, les personnages ne cessent d’aller mal sans jamais pouvoir dire pourquoi, écartelés entre la catastrophe intime et l’extrême immobilité.


Augmenté d’informations précieuses sur le destin du manuscrit, d’illustrations originales et d’une belle postface, cet inédit enrichit la compréhension du poète de la marge qu’était Copi. On imagine celui qui s’appelait alors encore Raúl Damonte, 20 ans à peine dans une Argentine dont il était déjà déraciné, écrivant le trouble existentiel de son double Alfredo, cette mélancolie consubstantielle à la condition homosexuelle.

 

La même lucidité qui aboutira, plus tard, à des gestes théâtraux d’une extrême plénitude s’exprime déjà ici par des phrases graves, hiératiques, lancées entre deux banalités, comme des coups de couteau dans l’ordre des choses.

 

 

Lamento pour un ange, de Copi, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laurey Braguier et Thibaud Croisy, Christian Bourgois Éditeur, 192 pages, 17 euros

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July 25, 2024 4:54 PM
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JO de Paris 2024 : pour la cérémonie d’ouverture, Thomas Jolly aux petits soins avec sa partenaire de Seine 

JO de Paris 2024 : pour la cérémonie d’ouverture, Thomas Jolly aux petits soins avec sa partenaire de Seine  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Copélia Mainardi dans Libération - 25 juillet 2024

 

Habile pour rompre avec les usages, le directeur artistique des cérémonies s’est attelé durant deux ans à imaginer et livrer une parade pharaonique malgré des contraintes tout aussi titanesques.

 

Elle coule en contrebas, imperturbable, ignorante des milliers de regards bientôt rivés sur elle. Voilà deux ans que Thomas Jolly a fait de la Seine son fief et sa partenaire. Nul hasard qu’on le rencontre près d’elle, en plein cœur de la capitale, dans un hôtel dont le dernier étage offre une vue panoramique sur les berges désertes, étrange réminiscence d’une période de confinement déjà lointaine. Lui en haut, elle en bas.

 

 

Le directeur artistique des cérémonies olympiques apparaît souriant, enthousiaste – détendu, oserait-on presque. «Je me sens plus impatient que stressé, mais peut-être suis-je simplement inconscient.» Sans doute faut-il l’être pour garder le cap de ce projet pharaonique, dont les chiffres de la seule soirée d’ouverture suffisent à donner le tournis : trois heures et quarante-cinq minutes, 6 kilomètres, 10 ponts, 80 écrans géants, 3 000 artistes, 500 habilleurs, coiffeurs et maquilleurs, de 900 à 3 000 euros la place, 300 000 spectateurs. C’est la première fois qu’une cérémonie n’aura pas lieu dans l’enceinte d’un stade et c’est précisément ce qui séduit Jolly : rompre avec les usages.

 

Il a imaginé cette parade olympique façon grand show, comme il en a l’habitude. A la phase de conception où tous les rêves sont permis, a succédé la découverte de contraintes titanesques – le patrimoine, le budget, la technique, la sécurité, mais aussi les ponts, le vent… Et même les poissons ! «Le réel qui rattrape, résume-t-il. Ne rien rogner à l’intention initiale a été une lutte de chaque instant.»

 

Besoin de sortir des cadres

Depuis dix ans, Thomas Jolly est partout. Théâtre public et structures privées, Palais des Papes et collèges de banlieue, de chaque côté des planches, parfois metteur en scène et rôle principal d’un même spectacle. «De Britten à Britney», comme il aime dire. Avec plus ou moins de succès, il jongle avec les recettes, les formules, les formats, s’est essayé à l’opéra (citons entre autres Fantasio à l’Opéra-Comique ou Roméo et Juliette à Bastille en 2023) et bien sûr à la comédie musicale : sa mise en scène du culte Starmania, en tournée mondiale, a déjà réuni près d’un million de spectateurs. Machinerie rodée et efficace, le spectacle allie variété populaire et sophistication scénographique – notamment des effets laser et stroboscopiques hypnotiques, l’une de ses marques de fabrique.

 

 

C’est pourtant avant tout un enfant du théâtre public. Après avoir fréquenté assidûment les ateliers théâtre de sa ville de Rouen, ce fils d’une infirmière et d’un imprimeur intègre à l’âge de 20 ans l’école du Théâtre national de Bretagne, alors dirigée par Stanislas Nordey«J’ai tout de suite repéré le metteur en scène derrière l’acteur, raconte ce dernier. Il était déjà fédérateur, a toujours aimé être parmi les autres, les voir évoluer.» En 2006, retour à Rouen et coup double ; Jolly fonde sa compagnie, la Piccola Familia, dans la foulée de l’une de ses premières mises en scène, Arlequin poli par l’amour de Marivaux. Léger, inventif, artisanal : c’est la naissance du théâtre de tréteaux à la Jolly. Dix-huit ans plus tard,  Arlequin  tourne encore.

 

 

Une fois lancé, Thomas Jolly assume son besoin de sortir des cadres. Le public avignonnais le découvre en 2014, en sortant un peu hagard d’un Shakespeare de… 18 heures. Son Henry VI réunit théâtre élisabéthain et culture pop, assume les références à Beyoncé et Game of Thrones sans sacrifier à l’exigence du texte. A 33 ans, il décroche le Molière du théâtre public et monte la suite, Richard III, avec nul autre que lui-même dans le rôle du tyran cruel et fascinant. En 2022, au CDN Le Quai d’Angers – dont il assure la direction depuis deux ans, avant de démissionner pour se consacrer aux JO –, il assume l’intégrale : 24 heures de représentation, dix ans tout pile après la création de la première partie. Standing ovations, selfies et autographes, ados en larmes à la mort de Jeanne d’Arc ou suspendus aux frasques du rebelle Jack Cade : on ne sait plus si c’est du Shakespeare ou un concert de rock, mais qui a dit que les jeunes n’allaient plus au théâtre ?

«Prendre le temps d’écrire la suite»

L’artiste rêve toujours plus grand, plus fort, plus haut – ce qui peut sembler paradoxal quand on sait qu’il défend depuis toujours un théâtre populaire et accessible, persuadé qu’on peut faire des merveilles avec trois bouts de ficelle. Que retrouve-t-on de son ADN dans cette cérémonie d’ouverture ? «Le même rapport d’adresse au public, malgré les cadres qui changent, affirme-t-il. La création d’une communauté pour produire un récit qui peut plaire, crisper, dérouter – et on ne sait jamais qui.»

 

 

Il est vrai que Jolly n’a pas été épargné. Libé, par exemple, n’a pas toujours goûté son «esthétique ampoulée», tout en lui reconnaissant une maîtrise de l’espace et du décor certaine. Au-delà de ses choix artistiques, on a pu lui reprocher sa prétention à l’ubiquité, dont son équipe angevine aurait notamment pâti. «Mais il fonctionne ainsi, en étant porté par une idée impossible qu’il parvient à réaliser envers et contre tout, avec une équipe qu’il pousse à se dépasser malgré les résistances de personnes parfois déstabilisées, analyse l’auteur et acteur Damien Gabriac, qui travaille avec lui sur les cérémonies des JO et le côtoie depuis l’école. A mon sens, c’est un metteur en scène, avant tout. Et si ses responsabilités n’ont fait qu’augmenter depuis vingt ans, il a conservé la même méthode de travail, la même manière de relever les défis.»

 

 

Malgré ces constantes, Thomas Jolly a depuis deux ans vu «la vie changer fort, très fort». Reconnaît une forme «d’hibernation», «d’accaparement total» duquel on ne sort pas indemne. «J’ai tout mis dans cette aventure, fait tapis», lâche-t-il. Ce n’est jamais sans conséquences. A quoi pourra donc ressembler l’après ? Son nom circulait avec insistance, mais c’est Julien Gosselin qui prendra finalement la tête du théâtre de l’Odéon. Jolly reconnaît qu’il aurait aimé «porter» ce lieu, sans pour autant paraître affecté outre mesure : «J’étais ailleurs.» De cet ailleurs, il va pourtant falloir revenir. «Je ne sais pas ce que je veux, ni même s’il y aura du théâtre, reprend-il. A 42 ans, il est temps de clore un grand chapitre et de prendre le temps d’écrire la suite.» Celle-ci sera peut-être moins artistique que personnelle : quand on l’interroge sur ce qui lui a le plus manqué dernièrement, il répond «l’amitié». Presque sans hésiter.

 

Copélia Mainardi / Libération 

 

 

Légende photo :   Le directeur artistique des cérémonies des Jeux de Paris, Thomas Jolly, à Saint-Denis le 7 juin 2024. (Florence Brochoire/Libération)

 
 
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July 25, 2024 9:14 AM
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Cérémonie des Jeux olympiques : Thomas Jolly, l'homme le plus exposé de la planète

Cérémonie des Jeux olympiques : Thomas Jolly, l'homme le plus exposé de la planète | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Léna Lutaud, AFP agence et Ariane Bavelier dans Le Figaro  - Publié le 25 juillet 2024

 

 

PORTRAIT - Les amateurs de théâtre, d’opéra et les fans de Starmania adorent ses mises de scène. À 42 ans, ce surdoué surnommé « le farfadet » a su s’entourer pour imaginer quatre cérémonies comme on n’en a « jamais vu ».

Parce que c’était lui, parce que c’était eux. Nul ne sait encore ce que donnera la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris vendredi soir. Mais Thomas Jolly est exactement l’homme de la situation. La valse du grand escalier du Palais Garnier sur la scène de l’opéra Bastille pour Roméo et Juliette, c’est lui. Thyeste dévorant ses enfants dans Cour d’honneur du Palais des papes dans un opéra de nuit et de lumières, toujours lui. Henri VI de Shakespeare, époustouflant marathon du petit matin au bout de la nuit à Avignon, encore lui. Starmania remonté en grand show à la Seine musicale? Lui, lui, lui...

 
Vendredi soir, 326 000 spectateurs et plus d’un milliard de téléspectateurs découvriront la cérémonie qu’il a conçue pour l’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Il l’a promis : tous devraient en avoir plein les yeux. Avec danseurs, chanteurs, plasticiens, circassiens, funambules, stars internationales - Céline Dion et Aya Nakamura sont annoncées, Lady Gaga espérée -, cette parade de trois heures qui aura pour scène la Seine s’annonce grandiose. «Ce sera le plus grand spectacle du monde», explique Thomas Jolly sans fausse modestie.
 

Rien de pédant, rien d'outré

Au lieu de diviser la soirée en trois temps (45 minutes de show, deux heures de parade des athlètes et une heure d’obligations protocolaires), ce surdoué créatif a imbriqué ces différents moments en «une grande fête homogène avec des surprises fortes et radicales» déclinée en une dizaine de tableaux. «La France, c’est la diversité. C’est à la fois Edith Piaf, le rappeur marseillais Jul et Natalie Dessay», expliquait-il à l’AFP il y a quelques mois. Jamais ce metteur en scène n’aura travaillé avec une équipe aussi importante. Jamais il n’aura eu à sa disposition autant de moyens, mais aussi autant de contraintes : une «scène» de plusieurs kilomètres avec des spectateurs tout du long, les caprices de la météo et du fleuve, les consignes hors normes de sécurité, les contraintes de la captation télévisée...

 

Ce frêle Rouennais de 42 ans a les épaules solides. «Plus ça approche, plus je suis heureux», dit-il. Il ne stresse pas, mais écarquille les yeux où brille la joie des petits enfants devant le sapin de Noël. Rien de pédant, rien d’outré chez lui. Il porte une simplicité qui lui va bien, marche dans la rue comme tout le monde et se dit impatient de pouvoir enfin partager sa création classée «secret-défense» sur laquelle il travaille depuis septembre 2022. Il ne joue aucun personnage, s’investit tout entier dans ses créations et possède un enthousiasme devant lequel cède le mot «impossible».

Une vision aiguisée auprès des maîtres

Né en 1982, d’un père imprimeur et d’une mère infirmière, il tombe dans le chaudron du théâtre à 11 ans, entre en classe théâtre, puis à l’université de Caen -section théâtre forcément-, où il crée sa première troupe. Il joue, met en scène, dirige, veut en savoir plus et plus encore, entre à l’École nationale supérieure de Bretagne à Rennes, dirigée par Stanislas Nordey, et travaille avec Claude Régy, Jean-François Sivadier, Robert Cantarella. Une manière d’aiguiser auprès des maîtres sa propre vision du théâtre... qui ne leur doit rien d’autre. Il la cisèle encore davantage en fondant sa compagnie la Piccola Familia à 24 ans. Ses productions touchent à tous les genres, de Marivaux à Guitry et au théâtre contemporain. Elles sont vite repérées et le monde du spectacle s’éprend de cet enfant prodige, fou de textes et de merveilles. Son Henri VI, à la fois magistral et digne du livre des records, lui vaut le son premier Molière. Starmania, où son spectacle fait oublier à quel point «le monde est stone», lui en apportera deux autres. «Mon mantra depuis que je fais du théâtre est de m'adresser au public le plus large», explique-t-il.

 

Jolly aime la démesure et le partage. Le minimalisme ? Très peu pour lui. Il lui faut de la musique, des lumières, faisceaux, néons, costumes, effets spéciaux si prenants, si proches de l’idée du spectacle total que le mot d’«opéra» naît spontanément sous la plume des critiques de théâtre. Selon Vanity Fair, il sait «ce que doit être le théâtre à l’heure de Netflix». «On n'est pas au théâtre pour voir des choses qui ressemblent forcément à ce qu'on peut voir à la télévision, au cinéma ou même dans nos vies», insiste-t-il. Aura-t-il forcé la dose pour le spectacle des J.O. où tous les moyens lui sont offerts?

Travail d’équipe

De 2020 à fin 2022, pendant la pandémie, il dirige le centre dramatique national Le Quai d’Angers, lorsque le journal L'Équipe l’interroge comme deux autres artistes sur ce que pourrait être la cérémonie d’ouverture. Il évoque une arrivée des athlètes en chars qui se transformeraient en voitures amphibies, les drapeaux des pays plantés dans la tour Eiffel, Catherine Deneuve en Olympe de Gouges ou encore PNL chantant L'Hymne à l'amour. Ces idées originales lui valent d'être embarqué dans les JO de Paris 2024, comme directeur artistique. Au fil du temps, son projet a évolué. Il a abandonné l'idée d'une tour Eiffel à l'envers qui servirait de vasque à la flamme olympique, de ballets aquatiques dans la Seine - quoique - ou de la présence de Daft Punk, duo séparé depuis 2021.

 

Il y a dix-huit mois, son premier travail a consisté à s'entourer de quatre auteurs, dont la romancière Leïla Slimani et la scénariste de la série «Dix pour cent» Fanny Herrero, pour imaginer «un grand récit» à partir du décor au cœur de Paris - le fleuve et ses monuments. Pour les chorégraphies, il a fait appel à Maud Le Pladec, prochaine directrice du ballet de Lorraine. Daphné Burki signe les costumes. Le récit de la cérémonie d’ouverture se poursuivra dans les suivantes, celles de clôture des JO au Stade de France, d’ouverture des Jeux paralympiques place de la Concorde, puis de clôture, à nouveau dans l’enceinte de Saint-Denis, le 8 septembre.

 

 

Thomas Jolly pourra alors prendre des vacances. «Depuis deux ans et demi, j'ai beaucoup aggloméré de projets et j'ai tout donné ce qu'il me restait pour ces cérémonies, dit-il. Maintenant, il faut, comme toute bonne terre, que je me mette en jachère.» Ensuite, il aimerait bien jouer pour d’autres. Sur les planches mais aussi au cinéma, glissant avoir «un scénario en cours.»

 
 
 

Par Léna Lutaud, AFP agence et Ariane Bavelier dans Le Figaro 

 

 

Légende photo : Les tragédies antiques, Shakespeare, l’opéra, Starmania et, maintenant, les JO en mondovision... Thomas Jolly est un homme-orchestre devant qui cède l'impossible. Tesson/ANDBZ/ABACAPRESS

 

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July 25, 2024 7:29 AM
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Thomas Jolly, bouillon de cultures

Thomas Jolly, bouillon de cultures | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Éric Demey, publié sur le site d'Artcena le 24 juillet 2024

 

 


Thomas Jolly, bouillon de cultures


PORTRAIT
Il sera sans doute dans quelques jours le metteur en scène français le plus connu du monde. Que Thomas Jolly ait été chargé de concevoir la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 paraît s'inscrire naturellement dans l'élan de son audace, de son goût pour le spectaculaire et de sa capacité à surprendre, à se déplacer là où on ne l'attend pas. Mais aussi de son talent. Tentative de portrait d'un artiste bouillonnant d'idées.

 

Dans la campagne rouennaise, au sein d'une famille modeste, Thomas Jolly grandit dans un milieu qui ne le porte pas forcément au théâtre. Aiguillonné par une vocation précoce, il traverse cependant les frontières pour surgir là où on ne l'attend pas, connaît un succès croissant qui dépasse les cadres traditionnels du théâtre public et acquiert avec Starmania et la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques une visibilité à nulle autre pareil.

Pourtant, s'il est adepte des grands formats, Thomas Jolly l'est aussi de formes courtes diffusées dans l'espace public et d'un théâtre de textes qui conjugue artisanat et effets spectaculaires. Cet artiste baroque sous influence shakespearienne vise en fait à rendre au théâtre sa dimension populaire.

 

Balancer de la musique pop dans une tragédie n'empêche donc pas un rapport scrupuleux au texte. Un œil sur l'auteur, l'autre sur le spectateur, Thomas Jolly ne veut pas, en fait, signer ses mises en scène mais comprendre, transmettre, rendre accessible en laissant toute sa place à l'acteur. Une démarche qui s'appuie sur une foi presque anachronique dans le théâtre et sa capacité à créer un espace d'illusion commune.

 

 

Eric Demey / ARTCENA

 

Site de La Piccola Familia
www.lapiccolafamilia.fr

Crédit photo © Anthony Dorfmann

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July 24, 2024 6:44 PM
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Qui est Thomas Jolly, la rock star du théâtre maître de la cérémonie des JO

Qui est Thomas Jolly, la rock star du théâtre maître de la cérémonie des JO | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 Philippe CHEVILLEY dans Les Echos - 24 juillet 2024

 

Le comédien-metteur en scène de 42 ans s'est réinventé en maître de cérémonie des Jeux olympiques de Paris. Un défi à la mesure de sa fulgurante carrière. Portrait d'un créateur éclectique et surdoué avant le grand rendez-vous du 26 juillet.

 

 

A 42 ans, l'ex-petit prince normand va devenir pour un soir le roi de Paris, voire le roi du monde, en orchestrant la cérémonie d'ouverture des J.O. 2024. Il est loin le temps où Thomas Jolly bricolait avec trois bouts de ficelle, des paillettes et deux projecteurs une version tonique et gracieuse d'« Arlequin poli par l'amour » de Marivaux.

 

 

Un joli coup d'éclat qui lui vaut une première reconnaissance des professionnels. On est fin 2006, le jeune comédien-metteur en scène, originaire de Rouen et formé à l'école du Théâtre national de Bretagne, a déjà des étoiles dans la tête. Mais, à 24 ans, il n'ose pas encore croire à la carrière qui l'attend.

 

Le coup du destin est provoqué par une séparation amoureuse à l'aube des années 2010. Pour combattre sa déprime, le jeune esseulé ne trouve pas mieux que de s'attaquer à une oeuvre parmi les plus longues du répertoire, « Henry VI » de Shakespeare - trois pièces, quinze actes et de dix mille vers déclamés par quelque cent cinquante personnages. Toute l'histoire de la Guerre de Deux Roses y passe, avec une traversée de la Manche à la clé (Charles VII, Louis XI versus Albion).

Le coup d'Henry VI

Thomas Jolly monte la fresque méthodiquement, en trois temps. En 2014, il présente à Avignon puis en 2015, à Paris, à l'Odéon, une intégrale qui signe son triomphe : 18 heures de spectacle en comptant les entractes. La Jeanne d'Arc shakespearienne prend des airs de Lady Gaga et les lords énervés semblent sortis de « Game of Thrones »… Le mélange de théâtre de tréteaux, de film de capes et d'épées, de poésie rock et de musique pop subjugue un public rajeuni.

 

En 2022, le metteur en scène offre une nouvelle version de sa fresque en 24 heures chrono, augmentée de « Richard III », pièce plus tardive de Shakespeare qui clôt le cycle historique. Thomas Jolly incarne lui-même jusqu'au bout de la nuit le sulfureux roi Richard. Les acteurs jouent à l'énergie, le public, extatique, fait des olas… Le Quai d'Angers, qu'il dirige alors encore pour quelques semaines, n'est plus un théâtre, c'est Woodstock…

 

 

Inventif, ingénieux, fantasque mais toujours respectueux des oeuvres, Thomas Jolly a su aisément transformer l'essai d'« Henry VI » avec ses mises en scène spectaculaires de « Thyeste », tragédie de Sénèque, dans la Cour d'honneur du Palais des Papes d'Avignon (2018), ou du « Dragon », fable d'Evgueni Schwarz (2022). Il s'empare aussi avec brio du répertoire lyrique avec « Fantasio » d'Offenbach (2016) ou « Romeo et Juliette » de Gounod (2022).

 

Le dramaturge n'a pas peur des grands écarts et se moque bien du culturellement correct. « J'assume d'aimer Deleuze et les Spice Girls, Britten et Beyoncé », confie-t-il avec malice. Une philosophie ouverte qui ne lui vaut pas que des amis dans le cercle fermé des gardiens orthodoxes du théâtre public.

Le triomphe de Starmania

Cet éclectisme, ce goût pour le glamour et les grands gestes lui valent de se voir offrir la maîtrise d'oeuvre de deux grands projets au début des années 2020 : la recréation de l'opéra rock de Michel Berger et de Luc Plamondon, « Starmania », en vue d'une grande tournée ; puis la mise en scène de la cérémonie d'ouverture des J.O. de Paris 2024. Thomas Jolly rend les clés du Quai d'Angers et s'attelle à la tâche. Sa mise en scène de « Starmania » est bouclée quand il s'attaque aux J.O. en 2022. Mais si le spectacle est mal accueilli, ce sera de mauvais augure.

Heureusement, sa relecture de « Starmania » est un triomphe. En suivant une trame plus fluide, l'opéra rock résonne furieusement avec les affres du présent. Le décor rétrofuturiste plutôt sobre contraste avec le maelström lumineux et sonore qui saisit sur scène. Priorité est accordée aux chanteurs et aux chanteuses : jamais le théâtre ne prend le pas sur la musique. Un équilibre qui fait mouche : les fans de l'oeuvre comme les néophytes sont bluffés.

 

 

Si Thomas Jolly déploie autant de maestria sur la Seine, le soir du 26 juillet, la partie sera gagnée. Il lui restera alors à gérer l'après… Evacuer la pression accumulée et reprendre les chemins du théâtre où il lui reste encore beaucoup à créer et à prouver. Dans cet univers magique, on se doit d'être prince et roi tous les soirs.

 

Philippe Chevilley / LES ECHOS

 

 

Légende photo : L'homme de théâtre n'a pas peur des grands écarts et se moque bien du culturellement correct. (© JOEL SAGET/AFP)

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July 23, 2024 3:13 PM
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Grandeur et misère du sexe masculin

Grandeur et misère du sexe masculin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - 19 juillet 2024

 

Nous ne pouvions pas quitter le Off sans faire une halte attendue au Théâtre Avignon – Reine Blanche où nous avions découvert le premier volet de « La Trilogie du mâle aimé » conçue et jouée par Mickaël Délis. En 2023, nourri des lectures de Beauvoir, il commençait à décortiquer savoureusement « les arnaques de la virilité » avec Le Premier Sexe. Cette année, le deuxième volet pousse encore plus avant cette savante – et nécessaire – déconstruction du mythe d’une virilité donnant lieu à tant de peines aux hommes comme aux femmes. Suivant sa ligne artistique, il réinvestit avec entrain le champ de l’autofiction pour s’attaquer au « pipo de la puissance » lié culturellement et abusivement à la taille du sexe masculin. Oscillant entre légèreté et gravité – y compris dans l’évocation à peine feutrée de sa propre vie, Mickaël Délis relance sa machine à pulvériser un patriarcat qui a fait long feu et célèbre un apaisement dans la tendresse, dans le silence aussi, qui laisse à chacun quel qu’il soit la possibilité d’être et ce, sans contrainte ni diktat. Le public a été au rendez-vous des deux premiers volets joués à la suite lors de cette édition du Festival et pour notre part, nous avons été une fois encore percutés de plein fouet et pour notre plus grand plaisir par cette « fête du slip » dont nous rendons compte ici. 

 

C’est une joie de revenir à la Reine Blanche et, dès l’ouverture des portes, de voir le sourire de Mickaël Délis qui accueille chaleureusement son public. Il prend des nouvelles des personnes connues, distribue des bises, interroge pour savoir ce que les spectateurs ont vu lors de cette édition du Festival. Il y a chez cet artiste une chaleur humaine à rayonnement très large et il faut avouer que cela fait toujours du bien. Tandis qu’on guide les derniers pour trouver une place dans les gradins, après un bref instant de concentration, il commence, vêtu de noir. « Bonsoir à toutes et à tous, bienvenue à la Fête du slip ! ». Il se présente sommairement ensuite, se définissant comme « un garçon sensible » – délicieuse expression ! – et avoue sans détour qu’il  entretient « un rapport très cordial avec son pénis ».

Le sujet est donc lancé : le sexe masculin, sa représentation physique et sociale, les difficultés qu’il augure en tant que symbole d’une supposée puissance aux effets dévastateurs. Loin d’être seulement enjoué, bien loin de donner dans l’humour placé sous la ceinture, le comédien qui est aussi auteur de ses textes, se place immédiatement sur le terrain d’une forme de militantisme féministe, en rupture sans appel avec un patriarcat aliénant et souvent mortifère. L’an passé, le premier volet de sa « Trilogie du mâle aimé » abordait frontalement la notion de genre et les injonctions qui y sont associés comme autant de douloureuses servitudes. Voilà que pour le deuxième cette année, il s’attarde sur le sexe biologique masculin et une autre injonction qui est fermement associée à un priapisme surévalué : l’impératif de la puissance du mâle (pour un organe qui, paradoxalement, reste le plus souvent flaccide, comme il le rappelle opportunément).

Dans une scénographie une nouvelle fois dépouillée utilisant principalement des néons aux nuances de couleurs variables, Mickaël Délis va s’engager dans une « enquête » qui prendra appui sur un sujet : lui-même. Et, avec l’autodérision qui le caractérise, il considère que ce n’est pas un problème pour un « narcissique » comme lui. Commence alors un défilé de personnalités qu’il donne à revoir et dont il fait réentendre les voix dans une énergie et une maîtrise dramaturgique qu’on lui connait bien. On retrouve, bien entendu, le personnage variation de sa propre mère entre deux cigarettes et quelques considérations sur son jardin, qui s’inquiète du fait qu’il va « encore parler de sa verge » et qui témoigne ouvertement de ses névroses ; le personnage de son psychanalyse nommé Courté, repéré sans l’accent aigu sur le « e » final dans l’annuaire, ce que le thérapeute ne manque pas d’interpréter comme un indice signifiant en lien avec le sexe masculin. On retrouve également le personnage variation de son frère jumeau soulignant l’opposition entre « faux jumeaux et vrais frangins » comme un état à rechercher, à cultiver ; la variation de son père enfin, quelques temps avant son décès, dans sa lutte contre la maladie – la réalité familiale s’insérant dans l’autofiction ici – qui écorne « l’autre Viennois », ce « Freud qui est une vraie couille ». Mickaël Délis se saisit de toute cette matière vivante autour de lui pour la recomposer après un passage par son imaginaire, servant de socle fécond à ce qu’il souhaite faire entendre.

 

Il semble créer des personnages-types pour mieux s’en défaire, comme les membres de ce groupe de paroles autour du sexe masculin qu’il côtoie, avec les accès de violence que cela génère chez certains d’entre eux, par exemple. Sous l’allure d’un discours supposé faire rire la salle – et il y parvient formidablement –  recourant aussi bien au registre graveleux qu’aux références intellectuelles tout à fait sérieuses comme les travaux du militant américain féministe John Stoltenberg, il distille un discours rigoureusement construit et singulier – le sien – au milieu d’une polyphonie qui, paradoxalement, n’est là que pour mieux le faire entendre : « on n’est pas prisonnier de son pénis ! » assène-t-il aux oreilles de tous les sexes, de tous les genres qui l’écoutent dans la salle.

 

En lien avec sa propre anatomie, il aborde sa vie d’homme gay et les difficultés d’être sexuellement actif quand il était plus jeune, avec le sida auquel ses proches le voyaient plus exposé que son frère jumeau dans sa vie hétérosexuelle – une autre discrimination liée au pénis de l’homme, dénoncée ici au passage. Il évoque en le faisant revivre de façon faussement comique le barbare tribunal de l’impuissance en France au XVIème siècle, où étaient exposés à la connaissance de médecins, de juristes et de membres du clergé (!)  les troubles de l’érection de certains hommes qui devenaient passibles de procès où des épouses insatisfaites voulant obtenir le divorce, rendaient notoires les déboires de leurs époux, leur imposant parfois l’acte sexuel en public pour qu’on évalue l’étendue de la défaillance, suivant une expertise des plus contestables. L’abjection judiciaire révèle ici pleinement l’emprise sociale et culturelle du pénis comme organe-instrument de domination historique.

Le comédien en vient au dépassement de ces oukases autour du pénis, de ce qu’il symbolise, de ce qu’il conditionne depuis des siècles. Pour cela, il évoque avec beaucoup de tendresse l’un des hommes qui ont compté dans sa vie – il citera plusieurs autres prénoms avec la même tendre sincérité : Lorenzo, un ex-amoureux dont il est resté très proche qui, tandis qu’il cuisine un plat de pâtes, lui dit que la violence n’est plus possible – ma non posso piu ! Il parle alors de l’amoureux qui partage sa vie aujourd’hui, de leur première fois pas terrible, du geste prodigieusement généreux et aimant que l’amoureux a accompli : il a ouvert grand ses déjà grands bras –  représentant cela par l’utilisation des néons sur pieds comme des bras métalliques. Il raconte comment il s’est lové dedans et combien il a pleuré pour laisser sortir tout ce qu’il avait accumulé jusque-là. L’évacuation d’une authentique violence.

« La maîtrise, c’est l’ennemi » et il le démontre une nouvelle fois à la faveur d’un autre exemple, quelque peu éloigné quoique présentant des similitudes malgré tout. En stage avec le metteur en scène Jean-François Sivadier, ce dernier ne le ménage pas, lui reprochant le contrôle, la « rigidité de la performance » (sur scène mais c’est évidemment en lien avec un ailleurs aussi, sans aucun doute). « La maîtrise, c’est l’ennemi » et c’est pourquoi il convient davantage de parler « le langage de l’indulgence, de la tendresse ». De « parler le silence » afin de ne plus chercher à éviter sa fragilité naturelle quand elle est là. Un nouvel art de vivre se dessine alors, bien loin de Priape et des tourments qu’il place dans l’esprit des hommes (et des femmes) depuis si longtemps.

Dans ce foisonnant spectacle où il fait « sa fête » à ce qu’il y a dans le « slip », Mickaël Délis ne déçoit absolument pas. Bien au contraire ici, il prolonge, il densifie son propos avec toute son érudition et sa drôlerie, explorant le genre, ses représentations ainsi que les mots-supports à la fois pour nommer et dépasser les nomenclatures stérilisantes. « Un pipo, ça se déjoue » et c’est, une fois de plus, chose faite. On est déjà impatient d’être à l’an prochain.

 

 

 
Légende photo : Un comédien-athlète sur le sexe masculin  -  Photo © Vladimir Perrin
 

La Fête du slip
Texte et jeu : Mickaël Délis
Co-mise en scène : Papy et Mickaël Délis
Collaboration artistique : Vladimir Perrin, David Délis, Clément Le Disquay et Romain Compingt
Lumières : Jago Axworthy

Production : Reine Blanche Productions
Co-production : ECAM-Théâtre du Kremlin-Bicêtre

Résidences de création à La MAC de Créteil, au Cresco à St-Mandé et l’Espace Sorano à Vincennes.

Avant-première au Théâtre de la Lucarne à Bordeaux le 25 avril 2024
Création du 8 mai au 14 juin 2024 au Théâtre La Reine Blanche – Paris

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July 22, 2024 11:20 AM
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A l’heure du bilan, le Festival « off » d’Avignon empêtré dans ses chiffres

A l’heure du bilan, le Festival « off » d’Avignon empêtré dans ses chiffres | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 22 juillet 2024

 

La manifestation, qui a vu sa fréquentation baisser, notamment en raison de sa durée plus courte, ne peut pas donner une évaluation précise des tickets vendus.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/22/a-l-heure-du-bilan-le-festival-off-d-avignon-empetre-dans-ses-chiffres_6255152_3246.html

 

Le festival « off » d’Avignon, avec ses 1 666 spectacles, 141 lieux et 24 664 levers de rideau, s’est achevé dimanche 21 juillet. Et, comme chaque année, il est impossible de donner une évaluation précise de sa fréquentation. Les responsables d’Avignon Festival et Compagnies (AF & C), l’association coordinatrice de ce vaste marché de spectacle vivant, ont eu beau tenter, vendredi 19 juillet, de dresser un « pré-bilan » de cette 58e édition, ils reconnaissent eux-mêmes que leurs chiffres ne sont « que des hypothèses de travail ». Réduit à dix-neuf jours (contre vingt-quatre habituellement) pour cause de Jeux olympiques, ce rendez-vous théâtral a, semble-t-il, pâti de l’actualité sportive et électorale et enregistrerait, selon « quelques remontées de théâtres et de compagnies », une baisse potentielle de 15 % à 25 % du nombre de billets vendus par rapport à 2023.

 

Mais, comme chaque année là encore, des spectacles, bénéficiant du bouche-à-oreille, ont rapidement affiché complet – d’autant plus s’ils étaient programmés dans des théâtres bien référencés tels que Les Halles, Le Train bleu, Le 11, Les Béliers, Actuel, Chêne Noir, etc. Tandis que d’autres ont « ramé », s’épuisant à tracter dans les rues avignonnaises pour attirer des spectateurs qui, de plus en plus, avaient établi leur programme avant même leur arrivée dans la cité des Papes.

 

Faute de billetterie centralisée (chaque lieu ayant la sienne) et donc de données exhaustives, l’AF & C s’appuie sur deux indicateurs pour établir son pré-bilan. D’abord les « cartes Off » d’abonnement (offrant 30 % de réduction sur les places de spectacle) : près de 63 000 ont été achetées cette année (contre 65 477 en 2023). Ensuite, la billetterie Ticket’off. Proposée par l’AF & C, elle ne représenterait que « environ 10 % de la globalité des ventes », précise Laurent Domingos, coprésident de l’association. A la date de vendredi 19 juillet, 193 815 tickets ont été vendus via cette plateforme (contre 172 781 en 2023). A partir de ces chiffres paradoxaux – une baisse des cartes d’abonnement mais une hausse des achats sur Ticket’off – l’association évalue le nombre total de billets vendus entre 1,4 million (fourchette basse) et 1,6 million (fourchette haute) pour une jauge de 2,5 millions.

 

« C’est un ordre de grandeur qu’il faut prendre avec prudence », insiste Laurent Domingos. Plus question – comme lors de la clôture de l’édition 2023 – de claironner que 1,95 million de tickets ont été vendus, chiffre dont la précision avait fait tiquer bon nombre de connaisseurs du « off ». Seule certitude, la réduction de la durée du festival, cette année, a pesé forcément sur ses résultats. « Sur la base du volontariat, nous allons demander aux théâtres, producteurs et compagnies de nous remonter leurs chiffres, que nous anonymiserons afin d’avoir, dans l’intérêt du collectif, des statistiques plus fiables. Nous présenterons ces nouvelles données courant septembre », promet Harold David, coprésident d’AF & C.

« Si on est honnête, ça n’a plus de sens »

Assistant à la présentation de ce pré-bilan, David Roussel, cofondateur du théâtre des Béliers et membre du conseil d’administration de l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), a mis les pieds dans le plat : « Pourquoi ne demandez-vous pas les chiffres de l’ASTP et du Centre national de la musique [CNM] ? » Ces deux organismes sont chargés de collecter la taxe sur le spectacle vivant à laquelle sont assujettis tous les entrepreneurs de spectacle – l’ASTP pour le théâtre, le CNM pour l’humour et les spectacles musicaux. « Ce n’est pas faute de les avoir demandés, a répondu Harold David. Mais ils ne nous ont pas été communiqués. » David Roussel a alors révélé ceux de l’ASTP. « En 2023, lors du “off” d’Avignon, 367 000 billets ont été assujettis à la taxe et 283 850 en 2022. Donc, de deux choses l’une, soit les chiffres que vous évoquez ne sont pas bons, soit la taxe est loin d’être systématiquement perçue », a conclu David Roussel.

 

Interrogé par Le Monde, le CNM a accepté de fournir ses chiffres. En 2023, cet organisme a récolté la taxe sur 167 030 entrées payantes du « off » d’Avignon (contre 137 664 en 2022). L’humour et la musique représentant 23 % des spectacles à l’affiche du festival, contre 51 % pour les pièces de théâtre, il est logique que la collecte soit moindre pour le CNM que pour l’ASTP. Mais les deux organismes semblent se heurter à des difficultés pour percevoir la taxe sur la totalité des œuvres présentées. Ces chiffres inédits, même s’ils ne sont pas parfaits, permettent malgré tout de mieux mesurer l’ampleur du « off » et de ses défis. Un festival qui souffre sous le poids de la hausse des coûts financiers (location du créneau horaire, logement, communication, etc.) et des difficultés de diffusion. Au point de susciter des questionnements même au sein de structures bien implantées.

 

« Pour la première fois, on songe à arrêter. On ne s’en sort plus », lâche David Roussel, reprenant sa casquette de codirecteur du théâtre des Béliers. Cette salle très identifiée par les festivaliers, présente à Avignon depuis 2006 (et à Paris depuis 2012), a pourtant multiplié les succès (avec les pièces d’Alexis Michalik, d’Ivan Calbérac ou encore Les poupées persanes d’Aïda Asgharzadeh). Cette année, elle a de nouveau fait le plein notamment avec The Loop, la nouvelle comédie de Robin Goupil. En dehors des productions maison, tous les spectacles y sont accueillis en coréalisation (pas de location de salle pour les compagnies mais un partage de la recette). « Autrefois, Avignon permettait de vendre suffisamment de dates de tournée pour être à l’équilibre ou en léger bénéfice. Désormais, ces dates qui se raréfient parce que les collectivités locales n’ont plus d’argent, ne font que rembourser les pertes avignonnaises, constate-t-il avec dépit. Si on est honnête, ça n’a plus de sens. »

 

Et David Roussel de donner un exemple qu’il juge symptomatique : « En 2006, nous louions, pour la durée du festival, 6 000 euros une maison pour notre équipe. Aujourd’hui, elle est passée à 23 000 euros ! Bien sûr, on ne la loue plus. Et désormais, il faut compter 2 000 euros par personne pour avoir un clic-clac merdique. A-t-on envie de financer des marchands de sommeil à Avignon ? Non. » A cette explosion du prix du logement s’ajoute, comme partout, celui de la nourriture. « Nous avons un catering dont le prix par personne a doublé en six ans », indique-t-il. « La seule solution serait de réduire les charges. Cela signifierait prendre des stagiaires à la place d’une partie du personnel, demander aux compagnies de payer davantage, faire de l’accueil low cost… De tout cela, il n’en est pas question, ce n’est pas notre manière de travailler, insiste David Roussel. Alors peut-être quitterons-nous Avignon, la mort dans l’âme. »

 

Sandrine Blanchard / LE MONDE

 

 

Légende photo : « Œuvrer son cri », mise en scène de Sacha Ribeiro, au Théâtre des Célestins, à Lyon, en 2022, pièce présentée pendant le festival « Off ». ARNAUD BERTEREAU

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July 21, 2024 11:03 AM
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Festival d’Avignon semaine 3 : clap clap de fin

Festival d’Avignon semaine 3 : clap clap de fin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par le service Culture de Libération - 21 juillet 2024

 

 

Cette semaine, on ondule avec le chorégraphe Noé Soulier, on cauchemarde avec le «Léviathan» de Sagazan. On se raconte des histoires et on est renversé.

 

Avignon, c’est presque fini et déjà nous manquent ces groupes d’amis circulant par grappes dans les rues de la ville, stationnant de longues minutes (heures ?) devant un mur d’affiches vantant les 1 683 spectacles recensés dans les 141 théâtres du festival off (vrais chiffres). «Le seul en scène sur l’inceste il doit être fort… - Sinon il y a le seul en scène sur la fin de vie, t’en penses quoi ?» Nous manquera aussi le délicieux spectacle des habitués du festival in. «Qu’est-ce que tu dis ? - Je dis qu’on en a marre de Richard III, il y en a trop des Richard III - Et tu as vu comme ils étaient mauvais ces jeunes comédiens qui jouaient Isabelle Huppert ? - Elle devrait porter plainte.» Nous manqueront un peu moins les sonnettes hystériques des vélos et de leurs conducteurs à tote bag, cherchant à optimiser dans les ruelles d’Avignon leur trajet entre le théâtre du Train bleu et celui de la Manufacture et ayant visiblement juré sur la tête de Jean Vilar qu’ils ne freineraient pas, dussent-ils renverser un couple de petits vieux.

Sur scène, ce sont d’autres véhicules et d’autres collisions qui nous auront transportés cette année – les voitures étant garées à plusieurs reprises sur les plateaux d’Avignon, que ce soit dans le fabuleux Absalon, Absalon de Séverine Chavrier ou dans Los Días Afuera de l’Argentine Lola Arias. On se souviendra de ces corps butant et cognant. Celui de l’ancienne danseuse de Pina Bausch, Héléna Pikon, 67 ans, percutant les chaises du mythique Café Müller, dans Forever de Boris Charmatz, ou les pas mal assurés de Belén González del Amo, l’actrice non voyante de La Gaviota de Chela de Ferrari. Cette année le festival a mis sur scène la vulnérabilité – des vieilles et des vieux, des personnes en situation de handicap, des vies cabossés d’anciens détenus chez Lola Arias et dans le beau Léviathan de Lorraine de Sagazan, et montré pourquoi elle pouvait être si puissante.

 
 

On adore

Close Up de Noé Soulier. Le chorégraphe français sublime le mouvement de ses danseurs virtuoses, qui se répondent comme en transe sur la scène de l’Opéra Grand Avignon. Notre critique.

On aime beaucoup

Léviathan de Lorraine de Sagazan. C’est une œuvre à la beauté plastique saisissante et inquiétante qui plonge dans trois comparutions immédiates comme dans un cauchemar sans issue. Fuyant le réalisme documentaire, elle incarne la dureté et l’humiliation de ces procédures ultrarapides. Notre critique.

 

Elizabeth Costello de Krzysztof Warlikowski. Pour son retour à la Cour d’honneur, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski s’empare du personnage créé par le romancier JM Coetzee, l’écrivaine Elizabeth Costello. Une réflexion puissante sur la responsabilité morale qui devrait nous animer envers l’autre, humain, animal ou personnage de fiction, hélas un peu noyée dans ce cadre écrasant. Notre critique.

Pas mal

Forever de Boris Charmatz. Sept heures durant, le spectacle rejoue à plusieurs reprises le mythique Café Müller de la chorégraphe allemande, avec à chaque fois un groupe de danseurs différent. L’intérêt réside avant tout dans les variations. Notre critique.

Dommage

La Gaviota de Chela de Ferrari. La metteuse en scène péruvienne dirige des comédiens et comédiennes mal voyants dans une interprétation décevante de la Mouette de Tchekhov. Notre critique.

Le billet

Le plaisir du récit. Empruntant les codes du thriller, du documentaire ou de la bonne série, de nombreux spectacles de l’édition 2024 du festival ont démontré qules recettes éprouvées de la narration n’avaient rien perdu de leur pouvoir pour attirer le public.

Le portrait

Malicho Vaca Valenzuela. Dans le drôle, politique et tendre Reminiscencia, spectacle hanté par le territoire, le metteur en scène chilien mêle son histoire personnelle et l’héritage social de son pays.

Pendant ce temps-là dans le off

Une bonne histoire d’Adina Secretan. La pièce d’Adina Secretan revient sur une affaire d’infiltration menée par Nestlé en 2003 dans les milieux altermondialistes. Sur scène, deux comédiennes en explorent les conséquences pour les militantes abusées. Notre critique.

Le Papier peint jaune d’après Charlotte Perkins Gilman. Le papier peint jaune c’est le point d’obsession d’une femme, dans ce XIXe siècle finissant, tout juste mariée, tout juste mère, qui souffre selon son mari, médecin renommé, d’une «dépression nerveuse passagère». La comédienne Laetitia Poulalion fait remarquablement entendre le texte étrange et sombre d’une autrice méconnue, la féministe américaine Charlotte Perkins Gilman. Notre critique.

 

 

Anne-Christine et Philippe d’Arnaud Churin et Emanuela Pace. Quelle idée géniale d’adapter pour la scène le livre les Lances du crépuscule de Philippe Descola. L’anthropologue y raconte comment, à la fin des années 70 avec sa compagne Anne-Christine Taylor, il a passé pour ses recherches plusieurs années auprès des Achuar, qu’en Occident on appelle plus souvent les «Jivaros», en Haute-Amazonie. Drôle mais aussi intelligent, le spectacle aborde les petits tracas de l’ethnologue sur le terrain (faut-il vraiment aller déféquer avec ses voisins pour montrer son amitié, prendre des substances narcotiques et finir par chanter du Brel ?), ses petits arrangements avec la vérité pour se faire accepter des hommes qu’il «étudie», l’excitation de la «découverte» et finalement la lassitude de si bien les connaître.

 

Monstres d’Elisa Sitbon Kendall. Mettant en scène l’écriture d’une pièce de théâtre, Elisa Sitbon Kendall questionne, tout en nuance, la justesse de l’artiste lorsqu’il se frotte aux sujets dont il est trop éloigné. Notre critique.

 

Grégory par By Collectif. La pièce explore la complexité à raconter le réel dès lors qu’il faut mettre en récit un événement. Et se retrouve au cœur de la rédaction de Libération dans les années 80. Et prouve encore que les journalistes sont des protagonistes récurrents dans les spectacles de cette édition du festival d’Avignon. Notre analyse.

Bâtons rompus

Christiane Taubira. «Il est important que ce gouvernement de gauche arrive le plus rapidement possible. Il y a des gens qui n’ont pas le confort suffisant pour patienter.» Depuis Avignon, l’ancienne garde des Sceaux lançait un appel à l’union. Elections, laïcité, politiques culturelles, Nouvelle-Calédonie, racisme, justice, dissolution, responsabilité politique, offices notariaux, postes, écoles maternelles, Richard III, théâtre engagé… Elle s’est livrée à une discussion libre avec la journaliste Laure Adler. Compte rendu.

See you l’année prochaine

La direction du festival a annoncé que la langue arabe sera la langue invitée du prochain festival d’Avignon, après l’anglais l’an passé, et l’espagnol cette année. La danse gagnera quant à elle le saint des saints Palais des papes, avec la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas qui y présentera un spectacle en tant qu’artiste invitée de l’édition 2025.

 
 
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July 19, 2024 7:37 PM
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Une 78e édition du Festival d’Avignon atypique et ouverte à d’autres voix

Une 78e édition du Festival d’Avignon atypique et ouverte à d’autres voix | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge - Avignon, envoyée spéciale du Monde, publié le 19 juillet 2024

 

La manifestation, perturbée par le contexte politique et sportif, a fait le plein côté public.


 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/19/une-78e-edition-du-festival-d-avignon-atypique-et-ouverte-a-d-autres-voix_6252783_3246.html

A année particulière, festival particulier. En Avignon, 2024 restera comme une année étrange, « atypique », comme l’a dit lui-même Tiago Rodrigues, le directeur du Festival, lors d’une rencontre avec le public, le 15 juillet. La 78e édition de la manifestation fondée par Jean Vilar avait déjà dû avancer son calendrier d’une semaine, en commençant le 29 juin, avant les vacances scolaires, pour ne pas se chevaucher avec les Jeux olympiques et la mobilisation, notamment sécuritaire, qu’ils exigent.

Puis il y a eu l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin, et la tenue des élections législatives, le 30 juin et le 7 juillet, en plein festival, avec la perspective de l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir. Jusqu’au soir du second tour, une large partie du public et des professionnels est restée tétanisée par cette perspective. Pour Avignon, l’accès du Rassemblement national aux commandes aurait eu des conséquences directes : Tiago Rodrigues avait annoncé, dès le 16 juin, dans nos colonnes, qu’il « n’acceptera[it] jamais de travailler avec l’extrême droite » et qu’il défendrait un « festival qui ne collabore pas ». Ce qui aurait impliqué un festival à voilure considérablement réduite, privé des financements de l’Etat.

 
Ce contexte a fait peser de lourdes inquiétudes sur la fréquentation des spectacles, mais le public a été largement au rendez-vous : le taux de remplissage devrait s’établir autour de 90 % (pour une jauge d’un peu plus de 121 000 billets mis en vente), actant que le « in » a nettement mieux résisté que le « off », dont la fréquentation a manifestement souffert.

Quelques grands spectacles

Sur le plan artistique, cette édition est apparue comme moins riche, excitante, originale, que l’édition inaugurale de Tiago Rodrigues en 2023. Le festival a pourtant offert quelques grands spectacles, à commencer par la création d’ouverture donnée à La FabricA : Absalon, Absalon ! a fait passer Séverine Chavrier dans la dimension des maîtres de la mise en scène, avec une forme de théâtre total, porté par une réflexion puissante sur l’Amérique et le métissage, en lisant Faulkner à la lumière d’Edouard Glissant.

 

Avec le deuxième spectacle d’ouverture, Dämon, présenté dans la Cour d’honneur du Palais des papes, la performeuse et metteuse en scène Angélica Liddell a, comme à son habitude, divisé le public et la critique. Cette distance prise par une partie de la critique à l’égard de son travail, l’artiste espagnole l’a d’ailleurs mise en scène dans sa pièce, s’en prenant directement à certains journalistes – dont nous sommes – sous forme d’insultes ou de gestes grossiers.

 

Ces pratiques d’un autre âge feraient sourire si elles ne s’inscrivaient dans un contexte où le populisme gagne du terrain partout, et si elles ne rappelaient justement les meetings du Rassemblement national, où les journalistes se font régulièrement huer. La critique, comme tout autre genre journalistique, n’a pourtant de sens que si elle est exercée en toute indépendance. « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur », écrivait déjà, il y a plus de deux siècles, un certain Beaumarchais…

Jubilation sauvage

Troisième création majeure de ce festival, Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, qui voyait le retour à Avignon du grand metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, a peiné à trouver son public. Le spectacle n’était sans doute pas adapté à la Cour d’honneur du Palais des papes. Il n’en reste pas moins un geste artistique d’une beauté et d’une profondeur rares de nos jours. Entre Dämon et Elizabeth Costello s’est glissé dans la Cour d’honneur un autre moment fort : Mothers. A song for Wartime, orchestré par la metteuse en scène polonaise Marta Gornicka, a pris l’accent, par-delà le spectacle, d’une cérémonie unissant le public dans la communion pour une Ukraine martyre.

 

L’« artiste complice » de cette édition, le chorégraphe Boris Charmatz, laisse, lui, un bilan contrasté. Si Cercles, performance participative, a emmené dans sa ronde joyeuse aussi bien le public que ses 200 participants, les deux spectacles suivants, Liberté cathédrale et Forever, ont laissé le sentiment que le chorégraphe tirait peut-être un peu trop sur la corde de son savoir-faire.

 

Passé ces jalons incontournables, deux spectacles ont emballé à la fois le public et la critique. Les places se sont arrachées aussi bien pour Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, superbe récit théâtral tissant les fils d’un capitalisme destructeur, que pour Qui som ?, de la compagnie Baro d’evel, grand moment de jubilation sauvage et cathartique à la croisée du théâtre, des arts plastiques, du clown et de la danse. Tandis que, avec Hécube, pas Hécube, une pièce qui n’est certes pas sa meilleure, Tiago Rodrigues a tout de même offert une belle soirée dans ce lieu magique qu’est la Carrière de Boulbon, portée par les acteurs virtuoses de la Comédie-Française, la grande tragédienne Elsa Lepoivre en tête.

Mosaïque

La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib, et Léviathan, de Lorraine de Sagazan, ont également séduit, par leurs manières respectives de faire bouger les lignes du théâtre. Gwenaël Morin, lui, est apparu moins en forme que d’habitude avec son Quichotte. Quant à la programmation en langue espagnole, elle constitue la vraie déception de cette édition 2024, à l’exception de celui qui a été la révélation du Festival : l’auteur-performeur argentin d’origine indigène Tiziano Cruz, avec ses deux créations Soliloquio et Wayqeycuna.

A travers lui se lit un des axes forts du Festival, qui a mis en avant d’autres corps, d’autres voix, d’autres récits que ceux qui ont longtemps dominé la scène française. Qu’il s’agisse de la vieillesse, des femmes, particulièrement visées dans tous les conflits à travers le viol, des peuples indigènes subissant une forme de néocolonialisme ou de tous ceux qu’une société normative marginalise. A travers cette mosaïque se dessine un festival de bon niveau, porté par une réelle réflexion sur les lignes de programmation, et sur l’ouverture nécessaire de la manifestation avignonnaise hors de sa zone de confort, dans un idéal de « théâtre populaire » sans cesse à reconstruire et à réinventer.

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du Monde )

 
Légende photo : « Absalon, Absalon ! », de Séverine Chavrier, à Avignon, le 28 juin 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

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July 19, 2024 10:05 AM
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Dans la bibliothèque de Philippe Quesne : épisode /11 du podcast Dans la bibliothèque de...

Dans la bibliothèque de Philippe Quesne : épisode /11 du podcast Dans la bibliothèque de... | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Emission de Marie Rcheux, diffusée sur France Culture en mars 2024

 

Le vendredi, Marie Richeux visite des bibliothèques de personnalités. Aujourd'hui, nous découvrons celle du metteur en scène et scénographe Philippe Quesne. De Perec à Beckett, Claire Fercak, Gaëlle Obliegly ou encore Laura Vazquez, on y trouve les textes qui ont nourri son travail pour le théâtre.

 

Ecouter l'émission (58 mn)

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August 11, 2024 8:59 AM
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Leïla Slimani, co-autrice de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris : «On n’a rien inventé, on a juste donné à voir ce qui existait» 

Leïla Slimani, co-autrice de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris : «On n’a rien inventé, on a juste donné à voir ce qui existait»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Sandra Onana / Libération du 11 août 2024

 

 

L'événement inaugural des Jeux a frappé les esprits à travers le monde. A l’approche de la cérémonie de clôture, la romancière française, Prix Goncourt 2016, détaille les inspirations du spectacle cathartique.

 

Quelque chose d’inhabituel s’est produit, le 26 juillet, le long de cette Seine où la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques imaginée par Thomas Jolly s’est déployée avec fracas, sous le déluge. Chose rare, deux semaines après l’événement inaugural et alors que les Jeux sont désormais refermés : le souvenir halluciné de cet acmé persiste, bien au-delà de ce que ce type d’exercice peut laisser présager. Comme avec l’art, cela touche confusément à l’impression qu’ont les spectateurs qu’il leur est arrivé quelque chose, mais quoi ? Leïla Slimani a co-écrit le spectacle, entourée de Patrick Boucheron, historien au collège de France, de la scénariste Fanny Herrero (Dix pour cent) et de l’auteur de théâtre Damien Gabriac. Parce que cette œuvre collective pourrait laisser durablement sa marque, la romancière et prix Goncourt 2016 a accepté de revenir sur le comment du pourquoi.

 

 

Avec le recul des semaines, quel regard portez-vous sur cette cérémonie pas comme les autres ? Sans même parler de la polémique qui a suivi, vous aviez anticipé qu’elle frappe autant les esprits ?

Ce serait hypocrite de prétendre que je suis surprise. On a écrit un spectacle qu’on savait hors normes, qui n’avait pas de précédent, qui n’aurait pas d’équivalent en tout cas à court terme, et on voulait que ce soit quelque chose qui fasse parler, réagir, émeuve. C’était le but de la chose. D’une certaine façon, j’étais convaincue que la réaction serait à la hauteur de l’énergie et de la passion qu’on avait mises dedans. Etant romancière, je suis toujours très attentive au temps long. Pour moi, deux semaines, c’est un temps extrêmement court, qui ne permet pas de prendre le recul nécessaire ni de dire ce qui va en rester. C’est peut-être une grande problématique de l’époque d’ailleurs, cette précipitation – peut-on même parler de polémique ? Je n’en suis pas sûre. La polémique résulte de conditions d’ordre médiatique. Les menaces de mort, le harcèlement [plusieurs plaintes ont été déposées par l’équipe artistique de la cérémonie, ndlr] sont des délits qui peuvent être punis par la loi.

 

 

Précisément, en tant que romancière, comment avez-vous abordé cette notion de roman national ?

C’était absolument passionnant cette idée de construire un récit de la même manière qu’on construit un roman, avec des personnages, un début, un milieu, une fin, un fil rouge qui était assuré par ce personnage masqué qui s’empare de la flamme au début. L’élément qui me dépassait, vous l’avez dit, c’est celui du roman national. Comment on se raconte ? Qu’est-ce qu’on raconte de nous ? Qui a le droit de raconter quelque chose sur nous ? Ça nous amenait à nous poser beaucoup de questions de représentativité, de légitimité, d’exhaustivité – est-ce que si l’on raconte ceci, on ne court pas le risque d’oublier cela ? C’est vraiment un questionnement narratif, de cohérence stylistique, et en même temps, un questionnement philosophique. Que serait un roman national aujourd’hui qui n’exclut pas, qui n’est pas réactionnaire, qui n’est pas dans une nostalgie nauséabonde ? Et qui n’est pas surplombant.

En réalité, plus on travaillait, plus le récit se construisait sous nos yeux, et je ressentais une très grande gratitude pour ceux qui nous ont inspirés : la vraie vie, les anonymes dans la rue, les grands auteurs, les grands peintres, les figures politiques qui font la complexité de l’histoire française. Le sentiment que j’ai, c’est que l’on n’a rien inventé, on a juste donné à voir ce qui existait.

 

 

Il y a des choses qui vous auraient fait claquer la porte si le cahier des charges les imposait ?

Bien sûr. J’y suis allée comme écrivaine, mais aussi en tant que militante des droits sexuels et pour la dépénalisation de l’homosexualité [au Maroc]en tant que militante féministe, ancienne représentante de la francophonie, et donc d’un rapport à cette langue ouvert et métissé. Si j’avais ressenti la moindre censure dans la représentation de l’homosexualité, des rapports amoureux, de la représentation des corps ou du métissage, je me serais énervée et j’aurais fait marche arrière, mais ça n’a jamais été le cas. La question de départ n’a jamais tant été celle des écueils à éviter que : qu’est-ce qu’on a envie de faire ? Un spectacle patrimonial grandiloquent, patriote pour dire au monde «Voilà ce qu’est la France» ? Ce n’était pas du tout notre envie. Dès le départ, et c’est lié au fait qu’on était dirigés par Thomas Jolly, qui est metteur en scène, il y avait l’idée d’en faire un geste artistique. La conséquence naturelle était que les gens pourraient ne pas l’aimer. Et peu importe, tant qu’il se prêtait à des critiques qui n’étaient pas d’ordre idéologique ou politique, mais d’ordre artistique. La question, c’est allait-on trouver ça beau, ou pas ?

 

 

Rétrospectivement, on peine même à saisir comment le spectacle articule autant de pôles contraires, l’enchantement de masse (plus de 85 % de Français jugeant la cérémonie réussie selon un sondage) et la transgression, le kitsch et le sublime… Comme un cadavre exquis où les antinomies fonctionnent ensemble.

Il fallait que cela se déplie, avec une progression. La France est un pays associé à tellement de clichés dans la production internationale qu’on ne pouvait pas les ignorer complètement alors l’idée, c’était de les raconter, en allant chercher l’envers sans lequel ces clichés n’existeraient pas. On s’intéressait à cette esthétique fantasque et exagérée à la frontière du carnaval, de la fanfare, ces grands spectacles populaires qui prennent une ville d’assaut. Mais aussi à la frontière de l’horrifique, du terrifiant, de l’anxieux qui rejoint les grands canons du théâtre classique. C’est un spectacle très syncrétique parce que l’on vient tout simplement de mondes très différents, on y a mis nos références et les choses se sont organisées organiquement.

 

 

L’inquiétant, justement, pouvait s’incarner à travers des têtes décapitées, figures masquées, cette cavalière sans visage, et tout ça laisse au fond le souvenir d’une grosse hallucination collective… Faire coexister la fête et la mort, cela entrait dans le projet d’une célébration païenne ?

 

Fondamentalement. D’emblée, dans la grande bibliothèque mise à notre disposition, on s’est énormément documentés sur les Grecs de l’Olympe. On avait une idée très païenne, burlesque, de ce que devait être une catharsis : ces grands spectacles qui nous déchargent d’un certain nombre de choses qui nous empêchent d’être ensemble. Une scène de théâtre est aussi un endroit où l’on parle de nos cauchemars et de nos peurs collectives. On était tenus de ne pas passer à côté de ça parce que l’on est des artistes, et parce que l’on sort de dix ans très difficiles pour la France, qui est aussi habitée par des démons, de la violence. Et ça, on essaye de le sublimer, de l’incarner artistiquement à travers des visions et des personnages. Ça ne veut pas dire qu’on impose un point de vue là-dessus.

C’est là où je trouve que beaucoup de gens ne comprennent pas ce que c’est que de faire un spectacle. C’est dommage de ne pas se laisser simplement prendre par l’émotion, et d’essayer de juger ses émotions, de les moraliser. Il y a des choses merveilleuses et festives dans le collectif qui font la grandeur de la France : on a fait des révolutions pour acquérir des droits, se battre pour plus d’émancipation, d’égalité. Et oui, parfois, le collectif est anxiogène, il y a de la violence, il fallait raconter ça, mais il ne s’agissait pas de porter le moindre jugement moral là-dessus. J’insiste sur cet aspect artistique : ce dont il s’agissait, c’est d’incarner de manière artistique la complexité d’une histoire.

 

 

A quoi a ressemblé le processus d’écriture avec Patrick Boucheron, Thomas Jolly, Fanny Herrero, Damien Gabriac ? Vous aviez des champs d’intervention distincts ou discutiez à bâtons rompus ?

A bâtons rompus. L’un lançait une idée, l’autre lui apportait un éclairage historique, l’autre prévoyait que ça ne marcherait pas à moins de le tourner de telle façon, et on avançait comme ça. Et moi-même ne m’empêchais pas de faire des remarques historiques, et Patrick Boucheron d’ordre littéraire… C’était un travail collectif étonnamment fluide.

 

 

Cette liberté artistique se conjuguait bien avec des instances de validation à qui vous rendiez votre copie ?

Je n’en sais absolument rien. J’étais complètement dans ma bulle, je faisais ce que j’avais à faire aux réunions et rentrais chez moi. Je ne sais absolument pas qui était habilité à dire oui, non, pourquoi.

 

 

 

Le timing de cette cérémonie des JO n’a pas été difficile à vivre, après la crise politique de la dissolution qui a failli porter l’extrême droite au pouvoir ?

La cérémonie était écrite depuis longtemps. Quand il y a eu les législatives, on s’est dit que finalement, ce qu’on voulait raconter n’allait en être que plus fort. Nous sommes des citoyens, on était tous traversés par un sentiment d’inquiétude, de tristesse, de révolte, de colère. On ne s’est jamais dit que ce serait une cérémonie pour divertir le peuple. On s’est toujours dit que c’était un moment de fusion qui devait appartenir aux gens, qu’ils devaient se l’approprier. Et quoi qu’il allait se passer politiquement, un bon spectacle, comme un bon livre ou tout autre objet artistique, est polysémique.

 

Ces significations sont plastiques, elles évolueront avec le temps, les circonstances, on ne verra pas les choses de la même manière dans dix ou vingt ans mais quelque chose en restera, des nouveaux publics la liront différemment. La France est un grand pays d’audace, c’est le pays où les corps sont libres, et cette liberté des corps est au cœur de l’olympisme. C’est pour cette liberté inaliénable qu’il faut continuer à lutter. On s’est dit qu’on était en cohérence avec nous-mêmes. Ce qu’on a voulu exprimer, on l’a vraiment exprimé.

 

 

Propos recueillis par Sandra Onana / Libération

 

 

Légende photo :  Une des scènes marquantes de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris le 26 juillet : l'arrivée du drapeau olympique sur un cheval de métal galopant sur la scène. (PA Photos/PA Photos/ABACA)

 
 
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August 9, 2024 5:57 AM
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« Le conte d’hiver » illumine l’été de Bussang 

« Le conte d’hiver » illumine l’été de Bussang  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 5 août 2024

 


Nouvelle et première directrice du Théâtre du peuple de Bussang, Julie Delille met en scène « Le conte d’hiver » de Shakespeare » dans la traduction de B-M Koltès, mêlant une petite poignée d’actrices et d’acteurs professionnel·les à une nuée de comédiennes et comédiens amateur·es. Un ensemble aussi réjouissant que saisissant.

 

 

Quand, le moment venu, le mur s’ouvre par le milieu au fond du théâtre en bois, l’hêtre imposant se dresse là à mi-pente, il trône. De sa hauteur il toise ces milliers de paires d’yeux qui le regardent, un léger vent enveloppe ses feuilles et ses branches, doucement le voici qui bruisse. Il en sait des choses, il en a vu des merveilles. Il était là avant la construction du Théâtre du peuple à Bussang sous l’impulsion de Maurice Pottecher il y aura cent trente ans l’an prochain. Il a vu ces parois de bois s’élever à ses pieds, le sol de la scène légèrement en pente épouser le relief, puis les rangées de sièges en bois eux aussi, sans oublier la devise qui orne le cadre de scène, « par l’art » côté jardin, « pour l’humanité » côté cour.

Il a tout vu, il se souvient de tout. Des pièces touche à tout de Maurice Pottecher, du jeu élégant et du rôle important de Pierre Richard Willm, des directeurs-metteurs en scène qui se sont succédé lorsque l’État est devenu propriétaire des murs du théâtre : François Rancillac, Philippe Berling, Jean-Claude Beruttti, Christophe Rauck quelques autres encore. Julie Delille est la première femme a être nommée à la direction du Théâtre du peuple de Bussang, elle dont la compagnie Théâtre des trois Parques reste basée à Rezay, un minuscule village du Berry  et forme avec le Théâtre du peuple un fécond « attelage ».

Le grand hêtre a manifesté son contentement en voyant arriver cette boule de feu intérieur qui connaît la nature, a souvent labouré les sentiers de sorciers du Berry et ne saurait confondre un hêtre avec un châtaignier. Depuis, ils ne se quittent plus. Et quand elle lui a annoncé qu’elle allait mettre en scène Le conte d’hiver, une des dernières pièces de Shakespeare dans la traduction de Bernard-Marie Koltès (version créée par Luc Bondy en 1988), un enfant presque du pays (Koltès est né et a grandi à Metz), l’hêtre a compris qu’il serait là, imposant, amical et verdoyant, près des actrices et des acteurs -une petite poignée de pros et de nombreux amateur.e.s- et qu’il aurait, sans aucun doute, un rôle à jouer: sien.

Comme l’écrit Shakespeare en préambule, « la scène est tantôt en Sicile, tantôt en Bohême ». Ici, en Sicile; dans une galerie du palais ou devant une cour de justice, là, en Bohème, dans un autre palais ou dans « une campagne déserte au bord de la mer » non loin de la maison d’un berger. Clémence Delille qui a fondé la compagnie le Théâtre des trois parques avec sa sœur Julie, signe des costumes mariant le sombre souvent austère des gens de pouvoir aux couleurs plus gaies et plus relâchées du peuple, et propose un décor tout en bois comme il se doit. A travers ses palissades hachées semble naître d’une union entre l’esprit du théâtre du peuple d’un côte et de l’autre cette pièce qui ne cesse d’explorer les méandres jusqu’au-boutistes de la jalousie où le soupçon n’a de cesse de s ériger en preuve. Cependant le décor du Palais sicilien sait aussi s’escamoter dans les cintres pour laissait place, en Bohème, à une lande plus ouverte, plus joyeuse à l’ heure de la fête de la tonte des moutons lesquels descendront de la colline jusqu’à folâtrer sur le plateau lorsque les murs du fond s’ouvriront. Bref le « conte » aura le dernier mot et la tradition de Bussang sera honorée.

 

 

Donc, dans son palais de Sicile, le roi Léontes, sa femme Hermione enceinte et leur fils Mamilius, reçoivent le roi de Bohème Polixènes, les deux rois sont des amis d’enfance. Tout déraille quand Léontes soupçonne dans les gestes anodins de se femme et de son ami -des doigts qui s’effleurent-, un geste coupable. La plaie est ouverte, le venin de la jalousie s’y engouffre. Le roi se persuade que l’enfant attendue par son épouse n’est pas le sien mais celui de Polixènes. Peu osent le contredire, sans frein sa folie galope, il fait enfermer sa femme, emprisonne son fils (qui en mourra). C’est en détention qu’Hermione accouchera de sa fille Perdita qu’on lui prendra mais le bébé échappera à la mort voulue par le roi, grâce à l’intervention de Paulina et de son mari Antigonus, seigneur de la cour de Sicile. On apprend alors conjointement la mort de la reine et celle de son fils. Et le troisième acte s’achève par un berger qui, en Bohème, trouve le corps vivant du bébé et, à côté, un tas d’or.

 

Seize ans ont passé nous dit le Temps en ouvrant le quatrième acte, plus solaire comme le suivant. La jeune Perdita qui ne sait rien de son identité et, le jeune Florizel, le fils du roi de Bohème (qui dissimule la sienne), tombent amoureux l’un de l’autre, un alliance apparemment contre nature (un prince et une paysanne) dont ne veut pas le roi de Bohème avant que les identités ne soient finalement dévoilées et le mariage entre Florizel et Perdita reconnu comme légitime après bien des péripéties. Le conte n’y trouverait pas son compte si la reine, bien que passée pour morte, ne ressuscite in fine grâce aux mains d’artiste enchanteresse et amie fidèle de Paulina pour embrasser sa fille Perdita, fille de roi pouvant donc sans ambages ni ruse épouser celui qu’elle aime et dont elle est aimée, le fils du roi de Bohème lequel roi est enfin réconcilié avec le roi de Sicile.

 

 

C’est à croire que ce conte d’abord cruel puis enchanteur, urbain puis campagnard, de Shakespeare a été écrite pour être jouée là, au Théâtre du peuple de Bussang. C’est tout juste si le grand hêtre, malgré son grand âge, ne se penche pas pour saluer la troupe d’une bonne vingtaine de personnes quand la fête de la tonte bat son plein de danses et de musiques.

 

Sur scène, d’excellents acteurs professionnels -Laurence Cordier (Hermione, Perdita), Elise de Gaudemaris ( Paulina), Baptiste Relat (Léontes) et Laurent Desponds (Polixènes) se mêlent délicieusement à une nombreuse troupe de comédien.nes amateurs, amatrices du Théâtre du peuple, citons en deux, Yvain Vitus (Camillo) et Jean-Marc Michels (le berger). Ajoutons à cela les charmes musicaux de Julien Lepreux et les lumières subtiles d’Elsa Revol. Et, conjuguant le tout, assistée par le dramaturge Alix Fournier Pittaluga, la direction délicatement sensible de la metteure en scène Julie Delille.

 

 

D’elle, on connaît les talents conjugués d’actrice et de metteure en scène de textes par forcément théâtraux : Je suis la bête   (lire ici)Seul ce qui brûle (lire ici) ou La jeune Parque (lire ici). Son Conte d’hiver montre qu’elle sait aussi embrasser des projets d’envergure mêlant pros et amateurs autour d’une pièce de Shakespeare peu souvent montée où Ophélie, échappée d’Hamlet, semble conseiller la jeune Perdita en habit de paysanne à l’ heure d’offrir du romarin et de la rue au père de celui qu’elle aime. Le spectacle de Julie Delille est beau comme un bouquet de fleurs des champs. Elle est chez elle à Bussang, d’ailleurs elle y vit désormais.

 

Jean-Pierre Thibaudat 

 

Le conte d’hiver, Théâtre du peuple de Bussang (Vosges), à 15h, du jeu au dim (durée environ trois heures avec entracte), jusqu’au 31 août.

La traduction du « Conte d’hiver » par B.-M. Koltès est parue aux Editions de Minuit.

 
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August 8, 2024 9:35 AM
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Thibaud Croisy : « L’homosexualité, Copi en fait un rapport au monde »

Thibaud Croisy : « L’homosexualité, Copi en fait un rapport au monde » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Humanité - 6 août 2024

 

 

 

Spécialiste de l’œuvre de Copi, Thibaud Croisy signe la traduction, avec Laurey Braguier, et la postface de Lamento pour un ange, la première pièce de l’auteur et l’une des seules qu’il a écrites en espagnol, éclairant une figure aussi pudique qu’impertinente.


Dramaturge agitateur et prolixe, auteur de romans et de nouvelles, illustrateur provoc pour Libération, Charlie ou Gai Pied, acteur et danseur de tango à l’occasion, Copi, l’enfant de Buenos Aires exilé en France en 1963, a marqué le Paris artiste et gay de son époque.

Pourtant, depuis sa mort des suites du sida en 1987, il a frôlé l’oubli : trop peu cité, souvent éludé du canon théâtral, même si ses pièces continuent à être montées régulièrement. Il faut des passionnés comme Thibaud Croisy, qui signait en 2022 une adaptation brillante de l’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, pour faire vivre cette œuvre rebelle.

Chez l’éditeur historique de Copi, le metteur en scène accompagne d’un appareil critique inspiré l’édition des pièces, dont la dernière livraison, un inédit des origines, est peut-être la plus mélancolique.

 

 

 

Un certain mystère entoure la figure de Copi. Qui était-il ?

Copi est né en 1939 dans une famille de l’élite portègne. Il a reçu une éducation pluridisciplinaire grâce à laquelle il a pu avoir mille vies : écrire du théâtre, des nouvelles, des romans, mais aussi dessiner, jouer, se mettre en scène… Tout ça en passant indistinctement de l’espagnol au français ou à l’italien, et en inventant surtout sa propre langue, qui ne ressemble à aucune autre.

Contrairement aux idées reçues, Copi était quelqu’un de pudique, de réservé. Peut-être que le mystère est dû au fait qu’il s’est très peu livré à l’exercice de l’introspection – il n’a pas écrit d’autobiographie, par exemple. Mais, en fait, il a fait mieux : il a créé une autobiographie cryptée, déformée par l’imagination, et il l’a faite au théâtre, dans un genre qui évacue toute parole surplombante, toute vérité définitive.

À l’époque, il était assez courant d’écrire des pièces mémorielles pour tenter de sauver quelque chose de sa vie : c’est ce qu’a fait, par exemple, l’un de ses écrivains préférés, Eugene O’Neill, dans Long Voyage du jour à la nuit, et cette poétique nous invite à chercher Copi dans son œuvre, comme si sa vérité se trouvait dans les énigmes de ses fictions. On est loin de cette littérature de témoignage très en vogue aujourd’hui, qui consiste à raconter sa vie par le menu, aussi anecdotique soit-elle.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à lui ?

J’ai découvert Copi en le lisant, puis en le mettant en scène. J’ai tout de suite été séduit par ses personnages d’homosexuels monstrueux, « pervers », barbares, qui dynamitent le vernis des conventions sociales et libèrent la part maudite que nous portons en nous.

J’ai commencé à prendre conscience du caractère vraiment subversif de ce théâtre lorsque j’ai vu émerger des représentations beaucoup plus consensuelles des minorités sexuelles, qui étaient systématiquement associées à des figures positives, bienveillantes, « réparatrices », et dont la seule fonction était de plaire au plus grand nombre pour que chacun se sente « bien représenté ».

Soudain, tout ce qui se trouvait à la marge était ramené au centre, purgé de toute négativité. Les créatures sauvages de Copi, en rupture totale avec la société, me sont apparues comme d’excellents antidotes aux bulldozers de la démagogie.

 

 

 

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Comment cet inédit se situe-t-il dans l’œuvre de l’auteur, et que vient-il éclairer ?

Lamento pour un ange est la première pièce que Copi a fait lire en public à Buenos Aires, en 1961, juste avant de partir pour Paris. Elle met en scène son double, Alfredo, un garçon qui ne peut pas, ou ne veut pas, dire son homosexualité. Copi imagine un personnage en retrait, absent, qui préfère ne pas parler de lui parce qu’il pense qu’on ne pourra jamais le comprendre. D’un côté, l’homosexualité est un stigmate très concret, mais, de l’autre, elle est aussi une métaphore de notre étrangeté fondamentale et de la part intraduisible de l’être.

 

Revenir à ce Lamento permet de « remarginaliser » l’homosexualité, de lui redonner une épaisseur historique, une dimension existentielle, et de comprendre paradoxalement ce qu’elle a d’universel, puisque Copi en fait aussi un sentiment, un rapport au monde. C’est très salvateur aujourd’hui, alors que l’on pourrait croire que l’histoire de l’homosexualité est terminée.

Justement, l’œuvre de Copi entre en friction avec les réflexions contemporaines sur les identités queer…

 

Elle crée incontestablement un écart. Dans le Lamento, l’homosexualité est invisible. Soixante ans plus tard, c’est l’inverse. Mais la visibilité n’est pas sans conséquences : en quelques décennies, la marginalité sexuelle a été neutralisée et vidée de sa substance, réduite à de l’imagerie et du discours. Comme si être homosexuel consistait à lever le poing et à se contenter d’être fier de sa sexualité, de son corps et d’une identité qui ressemble de plus en plus à un produit.

Copi montre dans sa pièce qu’il n’y a pas à être fier ou à avoir honte, mais plutôt à essayer d’être un tant soit peu — ou bien à douter de sa propre existence et à tenter de l’exprimer. Cette grande aventure de la quête de soi est menée par des personnages à la dérive, qui ont « perdu un peu de dignité », comme ils le disent eux-mêmes.

Ce sont des êtres pantelants et désarmés, oscillant entre des grandes déclarations qui sont parfois très vides et des silences qui sont souvent très pleins. C’est ça, l’identité, justement : une alternance de langages qui nous dépassent et dont nous sommes les fruits.

 

 

« De manière ironique, le fantôme du dictateur le poursuivra à Paris, puisque des militants péronistes viendront commettre un attentat dans le théâtre où Copi fera jouer Eva Perón, son premier succès. »

 

 

 

Copi est né en Argentine, mais il y a finalement peu vécu. Quel rapport entretenait-il avec son pays d’origine ?

Copi a fui Buenos Aires avec ses parents à l’âge de 6 ans, quand Perón est arrivé au pouvoir. La persécution de sa famille et l’exil précipité ont inscrit en lui une peur indélébile à laquelle l’Argentine est longtemps restée associée. De manière ironique, le fantôme du dictateur le poursuivra à Paris, puisque des militants péronistes viendront commettre un attentat dans le théâtre où Copi fera jouer Eva Perón, son premier succès.

On pense parfois que Copi s’est européanisé au fil du temps et qu’il a fait le deuil de son pays natal, mais, en fait, il ne cesse d’y revenir dans ses pièces peuplées de généraux, de jésuites, d’Indiens, de gauchos (les gardiens de troupeaux de la campagne argentine – NDLR)…

L’Argentine existe surtout dans ses souvenirs et son imagination, comme une matrice d’où il tire des mythes qu’il incorpore à la culture française. Il y revient par l’écriture, en ressuscitant la langue de son enfance, et il disait d’ailleurs lui-même qu’il était un peu comme un caméléon, et qu’il changeait de nationalité en fonction de la langue dans laquelle il s’exprimait.

 

 

Quand vous avez monté l’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, quels enjeux de mise en scène ont fait naître l’écriture de Copi ?

Précisément, j’ai voulu représenter cette recherche du langage, qui est aussi une recherche du corps. Pour les acteurs, cela supposait de révéler le caractère tranchant des répliques, tout en donnant à sentir les gouffres dissimulés sous les silences.

Dans sa dramaturgie, Copi reprend souvent la mécanique du vaudeville, mais il la dérègle, il la casse, ce qui introduit une bizarrerie dans chaque situation. Quand elle est réussie, cette étrangeté permet de sentir ce qui est au-delà des mots et les conséquences de la difficulté de s’exprimer, avec tout ce que cela comporte de comique et d’effroyable.

 

 

Comment ce travail éditorial mené autour de Copi chez Christian Bourgois est-il voué à se poursuivre ?

J’écris une biographie de Copi qui paraîtra chez cet éditeur. Je remonte l’histoire, j’explore les rives du Río de la Plata… À l’heure où les nationalismes reviennent en force sur à peu près tous les continents, je trouve assez stimulant de s’intéresser à cette région du monde qui a absorbé des vagues d’immigrations successives et donné lieu à des bouillons de culture foisonnants.

En ce moment, j’écris sur Montevideo, sur un quartier où Copi a passé son enfance et sans doute l’un des plus beaux moments de sa vie. Il y a un hôtel Casino de la Belle Époque, dessiné par des architectes franco-suisses. Des jardins. La mer. J’ai l’impression d’être dans une version uruguayenne de la Normandie de Marguerite Duras.

 

 

Lamento pour un ange, de Copi, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laurey Braguier et Thibaud Croisy, Christian Bourgois Éditeur, 192 pages, 17 euros

 
 
Légende photo : Raúl Damonte Botana, dit Copi (1939-1987) chez lui à Paris. © Ulf Andersen / Aurimages
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July 26, 2024 12:40 PM
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«On apporte une autre façon de jouer» : en Bretagne, une troupe de théâtre pionnière de l’inclusion des personnes handicapées

«On apporte une autre façon de jouer» : en Bretagne, une troupe de théâtre pionnière de l’inclusion des personnes handicapées | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Elodie AuffrayCorrespondante en Bretagne,pour Libération - 25 juillet 2024

 

 

A Morlaix, la compagnie Catalyse emploie des comédiens en situation de handicap mental. «Libé» est allé suivre les répétitions d’un spectacle qu’elle monte avec les élèves du Théâtre national de Bretagne.

 

C’est comme un chœur antique, bizarre et envoûtant. Répartis en pupitres, les quinze comédiens narrent, commentent, bruitent, scandent ou susurrent au micro l’histoire de Dédale, depuis les origines de sa lignée, issue d’un étrange homme-serpent, jusqu’à sa condamnation à l’exil après le meurtre de son neveu. «Bravo ! Ce qui était super, c’était l’énergie, la fluidité, l’écoute entre vous», salue la metteuse en scène Madeleine Louarn à la fin de la séance de travail, ce vendredi matin. La toute dernière d’une résidence de deux semaines pour monter, en version pièce sonore, le premier acte de Daedalus, la vie de quelqu’un, réinvention contemporaine du mythe grec signée Frédéric Vossier, mise en musique par Olivier Mellano.

 

 

Sur la scène du Sew, à Morlaix, se mêlent des élèves du Théâtre national de Bretagne (TNB) et les acteurs, en situation de handicap mental, de la troupe Catalyse. L’une des rares en France, pionnière en son genre, qui a déjà joué trois fois au Festival d’Avignon, a monté Kafka, Shakespeare ou encore Tchekhov, collabore avec de grands noms et a entamé, depuis cinq ans, un compagnonnage avec l’école du TNB. C’est Guillaume Drouadaine qui interprète un Dédale froid et inquiétant, face à un neveu tout en candeur, joué lui par Sylvain Robic. Il y a aussi Manon Carpentier, qui déclame avec force certains des morceaux les plus homériques, avec son collègue Tristan Cantin. Barbe blanche au milieu de trois jeunes femmes, Jean-Claude Pouliquen capte l’attention par sa présence, silencieuse et comme habitée par les sonorités. Parfois, d’un murmure ou d’un geste discret, sa voisine de pupitre vient lui signifier que c’est son tour, qu’il faut se joindre au chœur ou dire sa réplique. «Dédale est un être à part», clame, soudain irradiant, l’acteur sexagénaire, figure de Catalyse.

Une reconnaissance nouvelle

«Il connaît bien son texte, mais parfois il faut lui rappeler que c’est le moment», explique Fanny Laborie, l’élève du TNB chargée d’être sa souffleuse. La jeune femme a adoré travailler avec les acteurs de Catalyse : «Nous, on peut vite rentrer dans quelque chose de psychologique, eux sont traversés par ce qu’ils disent. Ils sont entiers, on est obligés d’être à la hauteur. Plus que dans une représentation bien lisse, il y a toujours des petites étincelles, il faut être à l’écoute et parfois improviser. On est plus dans l’instant présent, on fait plus parler les tripes.»

 

 

Un regard qui fait écho à la reconnaissance, assez nouvelle, dont bénéficient les artistes handicapés. Cette évolution, Catalyse en a été le témoin, née dans les années 80. Alors éducatrice spécialisée au sein de l’Etablissement et services d’aide par le travail (Esat) des Genêts d’or, à Morlaix, Madeleine Louarn y crée un atelier de théâtre amateur, qui se professionnalise en 1994. A l’époque, «c’était perçu comme un geste social et non artistique. La société n’était pas prête, la personne handicapée était vue par ses manques plus que par ses apports», dépeint Thierry Seguin, autre historique de Catalyse.

 

 

Depuis cinq ans, «il y a une prise de conscience que cette vulnérabilité apporte quelque chose», goûte Madeleine Louarn. Pour elle, «ce sont des acteurs faits pour la poésie. Certains estiment qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils disent. C’est faux ! Ils comprennent, mais pas forcément ce que toi tu comprends. Ça crée un vrai truc», théorise la metteuse en scène autodidacte, inspirée par le surréalisme. Elle passe néanmoins beaucoup de temps à leur «expliquer les mots. Ce n’est pas que de la poésie sonore». «Ils ont un jeu d’une puissance invraisemblable, sans idées préconçues. Le texte, dit par eux, prend une autre dimension», admire aussi Thierry Seguin.

Des dispositifs de soutien inadaptés

«Ce que les autres nous disent souvent, c’est que notre façon de jouer les aide beaucoup dans leur travail, parce qu’on a une façon d’être vrais, libres. On apporte une autre façon de jouer, où tout n’est pas à construire, où on peut se laisser aller», raconte, à la pause Emilio Le Tareau, dernier recruté par Catalyse, âgé de 21 ans. «On ne ressent pas les choses de la même façon. Pour nous, le corps est très important», souligne de son côté Manon Carpentier, qui vit le théâtre «comme une décharge électrique».

 

Bien sûr, des adaptations sont nécessaires. «Il faut un peu plus de temps, refaire plus souvent pour être sûr que ce soit bien», indique Madeleine Louarn, qui y voit aussi «une grande qualité» parce que, «quand ça s’imprègne, il y a une épaisseur». Deux éducateurs accompagnent les acteurs. Leur rôle est «essentiel», décrit Thierry Seguin : «Ils font un travail discret, pour que les acteurs arrivent à l’heure, intègrent les règles… Ils veillent à la compréhension des consignes, aident à l’apprentissage des textes, organisent des entraînements, des visites d’expos…»

 

Pour développer les bonnes expériences telles que celles de Catalyse, le ministère de la Culture a créé en 2021 le Centre national pour la création adaptée, confié aux fondateurs de la troupe morlaisienne. Les premières années ont permis de recenser «beaucoup de projets talentueux», mais aussi «une grande précarité» et un «manque de reconnaissance quasi constant», dépeint Seguin, devenu son directeur. Parmi les obstacles relevés : la méconnaissance de la profession, l’accès compliqué aux écoles d’art ou encore des dispositifs de soutien inadaptés, qui «ne prennent pas en compte le temps et l’accompagnement nécessaires».

 

 

L’enjeu, selon lui, est aussi de sortir les artistes handicapés du champ médico-social, pour les intégrer dans le milieu ordinaire. «La régie, l’accueil, les musées… Il faut que tout le monde s’y mette», considère-t-il. Bientôt, il ira rencontrer les écoles de théâtre, avec un exemple à montrer : dans sa nouvelle promo, le TNB intègre deux acteurs handicapés.

 

 

Elodie Auffray / Libération 

 

Légende photo : La troupe Catalyse a déjà joué trois fois au Festival d’Avignon, et a monté Kafka, Shakespeare ou encore Tchekhov. (Vincent Gouriou/Libération)

 
 
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July 25, 2024 10:03 AM
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Les aides au théâtre privé mises en cause

Les aides au théâtre privé mises en cause | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nicole Vulser dans Le Monde  - 17 juillet 2024

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/17/les-aides-au-theatre-prive-mises-en-cause_6251541_3246.html

Ni équitable ni transparent et réservé à un petit « club fermé ». Rarement une telle salve de critiques s’est concentrée sur un système d’aides publiques dans la culture. Sixième rapport sur ce sujet depuis 2000, la mission d’étude de l’inspection générale des affaires culturelles, placée sous l’autorité du ministère de la culture, dresse un constat sévère sur le fonctionnement de l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP). Créée en 1964, elle administre les aides à ce secteur, qui proviennent pour moitié d’une taxe sur les spectacles dramatiques, lyriques et chorégraphiques, et pour l’autre moitié des subventions de l’Etat et de la Ville de Paris.

 

 

Publié mi-juin en catimini sur le site de la Rue de Valois, le rapport juge que « le système d’aides, ancien et complexe, soulève des questions d’équité et de transparence » et surtout apparaît « insuffisamment ouvert et accessible à tous les professionnels qui pourraient y prétendre ». Sans compter qu’il ne « semble pas toujours en phase » avec les « objectifs de la politique publique du théâtre ». L’ASTP regroupe 63 salles de théâtre parisiennes, 8 théâtres privés en région et 27 tourneurs, et bénéficiait en 2022 d’un budget de 16 millions d’euros, dont 10,8 millions étaient redistribués par le biais de 14 programmes d’aides.

 
Les auteurs, Emmanuelle Bensimon-Weiler, Myriam Burdin, François Hurard et Hannah Roux-Brion, rappellent que plus de 70 % du budget des aides repose sur une « garantie de déficit » – une aide automatique qui a vocation à aider la prise de risque dans la production de nouveaux spectacles dramatiques.

« Système transformé en rente »

Or « tous les spectacles sont soumis à la taxe mais certains seulement bénéficient en retour de la garantie de déficit », déplorent les rapporteurs, pour qui « le système est conçu par et pour les théâtres parisiens ». Sur le millier de contributeurs au fonds de soutien en 2022, seuls 53 membres actifs de l’ASTP en bénéficiaient. Surtout, selon les auteurs, « les aides sont réservées aux seuls membres de l’ASTP », ce qui est « en contradiction avec les obligations légales et réglementaires ».

Le rapport précise qu’en 2022, « le montant des subventions reçues appartenant au groupe Fimalac s’est élevé à 24 % des montants attribués ». Et les auteurs considèrent que « le système assurantiel s’est peu à peu transformé en rente ». Dans les annexes, on peut voir que 27 théâtres parisiens ont touché plus de 1 million d’euros d’aides cumulées chacun entre 2014 et 2022, dont plus de 5 millions pour le Théâtre Montparnasse, plus de 4 millions pour le Théâtre de Paris et plus de 3 millions pour le Théâtre de la Porte-Saint-Martin (ces deux derniers appartiennent au groupe Fimalac) ou le Théâtre Hébertot.

 

Certes, sans les aides de l’ASTP, « la logique industrielle favorisant les spectacles les plus rentables pourrait prévaloir et entraîner les groupes à préférer les variétés et l’humour au détriment des créations dramatiques », admet la mission, qui note aussi « la remarquable résilience » du théâtre privé au sortir de la crise sanitaire. Le rapport souligne également « une gouvernance qui demeure verrouillée malgré des réformes en cours » et affirme que « les membres de l’ASTP ne reflètent qu’imparfaitement le nombre et la diversité des acteurs du théâtre privé en France ».

Plusieurs scénarios d’évolution

Pour les auteurs, la gestion du fonds de soutien reste « marquée par un défaut majeur de transparence au regard des exigences légales ». Contrairement au Centre national de la cinématographie et de l’image animée ou au Centre national de la musique, l’ASTP ne publie pas sur son site Internet les subventions qu’elle attribue.

La mission propose plusieurs scénarios d’évolution de l’ASTP, en maintenant son statut associatif. Et milite pour une triple évolution : de la gouvernance, pour que « davantage de professionnels interviennent dans la gestion du dispositif », des bénéficiaires des aides, qui « doivent dépasser le nombre des seuls membres de l’association », et du fonctionnement, « qui doit garantir la transparence des aides et l’égalité de traitement entre les bénéficiaires des subventions ».

 

Dans sa réponse apportée à chacune des recommandations du ministère, l’ASTP promet de « poursuivre et amplifier » sa démarche, interrompue par la crise sanitaire, de réforme et de modernisation. Et admet avoir « plus que jamais besoin du soutien politique et financier sans faille de ses tutelles » pour mener à bien les objectifs ambitieux qui lui sont fixés. Le rapport préconise plus clairement « une tutelle renforcée du ministère ».

 

Nicole Vulser / LE MONDE



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July 25, 2024 8:29 AM
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Odette Aslan, une vie pour la scène

Odette Aslan, une vie pour la scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 21 juillet 2024

 

 

Radio, télévision, articles, livres, elle aura, des dizaines d’années durant éclairé le monde des arts du spectacle. Elle s’est éteinte le 17 juillet, au travail presque jusqu’à son dernier souffle. Ses amis, sa famille lui diront adieu mardi 23 juillet, à 14h15, au cimetière de Bagneux.

 

Les arts de la scène, ce n’est pas comme le 7ème art : on ne rattrape jamais ce que l’on n’a pas pu voir. Au cinéma, on accède aux films, on peut les visionner, se faire un avis. Pour le théâtre, la danse, l’opéra, le mime, le cirque, on ne peut pas. Et même si, depuis quelques années, des productions font l’objet de transcriptions vidéo, on ne saisit vraiment la réalité des événements que par des témoignages. Par la sensibilité de ceux et celles qui étaient là.

 

 

Odette Aslan était là. Odette Aslan, sa bienveillance sans faiblesse, son inextinguible soif de voir, de connaître, de partager, vont nous manquer beaucoup. Son amie Béatrice Picon-Vallin, grande figure de la recherche, au CNRS, et bien au-delà, en témoigne, Odette Aslan a travaillé presque jusqu’à son dernier souffle. Elle était née le 8 juin 1926.

 

 

Il y a quelques mois, avait été publié un ouvrage, rigoureux et chaleureux, comme elle savait si bien les composer, La Comédie-Française et les metteurs en scène. Nous avions rendu compte de ce livre dans les colonnes de ce blog (septembre 2023).

Odette Aslan était une femme intimidante, lorsqu’on ne la connaissait pas. Derrière ses lunettes, son regard n’était pourtant qu’accueil, amitié. Son élégance classique, son esprit aigu, toujours en quête des nouveaux chemins frayés par la jeunesse, servaient de modèles aux étudiants comme aux personnes du métier.

 

 

Elle a été une pionnière. A la radio, pour des adaptations, des émissions culturelles, comme à la télévision, du temps de cette « école des Buttes-Chaumont », dont certains représentants étaient issus du théâtre et étaient devenus d’excellents réalisateurs.

 

 

Elle fut directrice littéraire du Théâtre des Nations, et, plus tard, collabora longuement au laboratoire de recherche sur les arts du spectacle du CNRS. La liste des ouvrages qu’elle a dirigés, composés, est longue et on peut la lire et la relire. Elle adorait les répétitions et prit souvent le temps, dans sa vie, de suivre les spectacles du premier jour à celui de l’éclosion. Elle était passionnée par l’étrange alchimie. Avec Giorgio Strehler, c’était facile, il aimait livrer au jour le jour son travail, avec Patrice Chéreau, c’était plus complique.

 

 

Lisez donc les ouvrages d’Odette Aslan : dans « Les Voies de la création théâtrale, éditions du CNRS, il y a Le Corps en jeuMatthias LanghoffPatrice Chéreau. Dans la collection «Mettre en scène », éditions Actes Sud-Papiers, il y a Ingmar Bergman  en 2012,  Georges Pitoëff en 2016.

 

D’autres livres sont publiés à L’Age d’Homme : Metteurs en scène et scénographes au XXème siècle (2014), et aux éditions Entretemps, a été repris L’Acteur au XXème siècle (Seghers 1974-Entretemps 2013). Elle s’est également intéressée à Jean Genet, à Roger Blin.

Ses curiosités ne s’arrêtaient pas au seul domaine de l’art dramatique. Dans ses grandes années, elle sortait tout le temps et suivait la danse, la musique, le cirque et ses métamorphoses. Elle accueillait avec générosité les journalistes des générations nouvelles et s’entretenait volontiers avec eux. C’est le mot qui revient : elle nous éclairait.

 

Rendez-vous ce mardi 23 juillet, à 14h15. Cimetière de Bagneux, dans l’un des carrés des tombes juives. Renseignements à l’entrée.

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July 25, 2024 4:09 AM
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Julie Delille et le Théâtre du Peuple de Bussang

Julie Delille et le Théâtre du Peuple de Bussang | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Sur le site de l'émission "Les midis de France-Culture", animée par Chloé Cambreling - 24 juillet 2024

 

 

Artiste-directrice du Théâtre du Peuple de Bussang, Julie Delille est soucieuse de faire du théâtre un lieu de partage où se côtoient chercheurs, artistes professionnels ou amateurs et publics, le tout dans le respect des lieux. Dans cet esprit, elle met en scène "Le Conte d'hiver" de Shakespeare.`

 

 

Ecouter l'émission (43 mn)

 

 

Avec
  • Julie Delille Comédienne, metteuse en scène, cofondatrice du Théâtre des trois Parques, artiste-directrice du Théâtre du Peuple de Bussang

 

Comédienne, metteuse en scène, pédagogue et cofondatrice du Théâtre des trois Parques, Julie Delille est artiste-directrice depuis octobre 2023 du Théâtre du Peuple de Bussang dans les Vosges. 
Un lieu conçu par son fondateur, Maurice Pottecher, comme une utopie, valorisant l’alliage amateur-professionnel où l'ancrage territorial est toujours tourné vers la création, l’expérimentation et la transmission. Des valeurs que Julie Delille continue de défendre alors que le Théâtre du Peuple de Bussang fêtera ses 130 ans en 2025.

Pour cette première saison d'été à la tête de ce théâtre, Julie Delille met en scène Le Conte d'hiver de Shakespeare dans une version traduite par Bernard-Marie Koltès, du 20 juillet au 31 août 2024.

 
 
Le Théâtre de Bussang, un lieu artistique ouvert sur le vivant

Créé en 1895 par le poète Maurice Pottecher, le théâtre du Peuple de Bussang se situe au cœur du massif vosgien. Entièrement en bois, il a aussi la spécificité d’être ouvert sur l’extérieur. Son aspect vivant, organique, parle et plaît à Julie Delille, qui aime qualifier le théâtre de "ruche" ou de "cabane". Le Théâtre mêle également pratique amatrice et professionnelle, avec une tradition, celle d'intégrer des comédiens et comédiennes amateurs dans les représentations d'été.

Art et territoire : créer en arpentant

"La pratique que j’ai de la poésie est une pratique dans le sol (…) toutes mes œuvres sont fortement imprégnées des lieux et des présences qui sont dans les endroits où on a créé", constate Julie Delille, qui se qualifie elle-même d’"arpenteuse". Le lieu de Bussang ne fait pas exception pour la metteuse en scène, la rencontre des habitants et habitantes de Bussang ayant même donné naissance à un projet culturel à part, "Le Bourgeon Bussenais".

"Le Conte d’Hiver" de Shakespeare, pièce choisie par et pour Bussang

 

Mettre en scène Le Conte d’Hiver de Shakespeare à Bussang a été comme une évidence pour Julie Delille : pièce "absolument étonnante, très complexe, qui mélange la tragédie la plus sombre avec le comique le plus burlesque, [Le Conte d’Hiver] a une écriture qui me touche beaucoup parce qu’elle joue sur le trouble". La metteuse en scène s’est aussi sentie accompagnée par la traduction de Bernard-Marie Koltès, dont elle loue la rythmique et le style si particuliers.

Noter aussi que Le Métier du temps : La jeune Parque , dernière création de Julie Delille, est à voir du 22 au 26 avril 2025 à La Halle aux Grains – Scène nationale de Blois, ainsi que La très jeune parque, du 23 au 26 avril.

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July 23, 2024 3:22 PM
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Pas de pitié pour le théâtre !

Pas de pitié pour le théâtre ! | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - Publié le 21 juillet 2024

 

D’un basculement l’autre. La 78ème édition du Festival d’Avignon porte nombre de projets artistiques à la scène qui questionnent la nature du théâtre, les frontières entre réel et fiction dans le champ théâtral. Nous avons vu et chroniqué Hécube, pas Hécube à la carrière de Boulbon où les lignes de démarcation s’estompent entre la répétition d’une tragédie antique et un présent fictif et réaliste. Les porosités se multiplient dans la création contemporaine, y compris au-delà de nos frontières comme on a pu le constater avec Historia de un senglar, joué au Théâtre Benoît XII. Prenant appui sur un texte écrit par l’uruguayen Gabriel Calderón, le comédien catalan Joan Carreras, seul en scène, dévide les fils narratifs du célèbre personnage de Shakespeare, qui s’enroulent finalement autour de lui – et ce n’est presque pas une image avec les guindes qui sont sur le plateau et qu’il utilise à cet effet – pour souligner la proximité, la quasi-gémellité entre Richard Gloucester et le comédien de seconde zone qui entend le jouer ici, mettant à jour des insuffisances, des faussetés, des non-sens et une forme de barbarie que ce métier recèle selon lui. D’un basculement l’autre, d’un vertige l’autre, nous avons été convaincus par ce spectacle et en rendons compte ici.

 

La rue des Teinturiers, poumon du Festival d’Avignon, est bondée en ce vendredi soir. Et nombre de gens attendent notamment devant le Théâtre Benoît-XII pour aller assister à la représentation d’Història de un senglar. Autour de soi, on entend parler castillan – l’espagnol est langue invitée de cette 78ème édition du Festival, avant l’arabe l’an prochain –  parler catalan qui est la langue de l’acteur en scène… Et cela, jusque dans la salle au moment de prendre place. Centré sur scène, on découvre un assemblage d’estrades créant une plateforme surélevée au sommet de laquelle se trouve un fauteuil de salle usé, dans la position presque absurde d’un trône laissé à l’abandon dans un lieu désespérément vide. De part et d’autre, des piles de livres aussi anciens que le siège qu’ils bordent. Tout cela est éclairé par une lumière blafarde projetée par deux faces. Ce qui attire le regard par ailleurs est plongé dans une semi-pénombre, juste derrière le fauteuil : un panneau sur lequel sont accrochées des guindes – par superstition, le mot « corde » n’est jamais utilisé au théâtre – et des poulies. Cet arrière-plan laisse d’emblée percevoir, de façon évocatrice, ce qui est généralement dissimulé à la vue du public : les ressorts techniques, indices historiques représentatifs du spectacle, la machine théâtrale faisant ici irruption sur scène, bien qu’encore dans l’ombre. On perçoit également une faible musique de fond, peu reconnaissable lors de l’installation du public. Et, tandis que le début de la représentation s’annonce, le volume sonore augmente et on reconnaît distinctement The Cold Song de Purcell. La scène du froid, extraite de l’œuvre baroque King Arthur. Plus précisément extraite de la partie intitulée What Power Art Thou ? – Quelle puissance es-tu ? Et c’est dès lors la question qui se pose et que le comédien Joan Carreras ne va cesser de poser implicitement au fil du spectacle.

Il entre, portant un costume avec gilet et cravate. Il regarde le public, s’attarde un bref instant, comme s’il cherchait à reconnaître quelqu’un. Il se déplace ensuite derrière le fauteuil, se saisit d’une tasse dans laquelle il boit. Il claque la langue, produit quelques bruits de bouche, recommence. Mains derrière le dos, il se déplace puis va finalement s’asseoir sur le fauteuil, face au public. Il réitère le claquement de langue, les bruits de bouche. Il place des lunettes sur son nez, sort une feuille qu’il déplie. Il lit, en silence et une fois encore, produit des bruits de bouche. Pas de mots encore. S’élèvent à cet instant plusieurs voix off qui communiquent au public les avertissements d’usage concernant les téléphones mobiles et les photographies interdites successivement en français, anglais et castillan. La musique devient plus forte et c’est alors qu’il l’interrompt par un « Donc » retentissant qui ouvre un monologue de Richard dans lequel on retient une des premières phrases : « Quelque chose sent le pourri par ici… » Sans être nécessairement une allusion à Hamlet, cela résonne étrangement dans l’environnement scénographique choisi et va surtout prendre tout son sens dans la suite du monologue de l’acteur jouant en catalan surtitré.

Oscillant entre le personnage de Richard et celui d’un comédien de seconde zone qui se voit offrir le rôle du célèbre et éphémère roi éponyme de la pièce de Shakespeare, il affirme que « c’est mérité (…) la barre [étant] à la hauteur de [ses] qualités tout à fait exceptionnelles ». Et il va « composer un vrai personnage, épater ceux qui viennent [le] voir, remporter tous les prix »… Un accomplissement, une victoire imminente qui, au moment où tout cela s’exprime, troublent par les surprenantes similitudes de situation entre l’acteur et Richard Gloucester. Jamais l’un comme l’autre n’ont été aussi près du but qu’au début du spectacle. Jamais ils n’ont autant jubilé de se voir en capacité d’obtenir ce qu’ils ont mis tant de temps à approcher. Une histoire de puissance donc mais… « quelle puissance es-tu ? » croit-on encore entendre…

L’acteur cabotine, grimace. « Je ne sais pas si je serai à la hauteur. Je mens » L’art du mensonge est très justement l’apanage de Richard, comédien et metteur en scène de lui-même dans un vertige baroque qui le rend absolument fascinant. Et l’acteur de marcher ici directement dans ses pas, dans une incarnation plus vraie que nature pourrait-on dire ironiquement. Comme Richard, « floué d’attraits par la trompeuse  Nature », il remercie qu’on lui permette de « traîner [son] petit talent sur la scène lumineuse d’un si grand auteur », lui qui appartient à « cette gale artistique qu’on appelle l’acteur ». Et c’est une plongée dans une violence aux accents étonnamment shakespeariens qui commence alors.

Jouer Richard devient une opportunité à plus d’un titre : cela permet au comédien de faire voir aux spectateurs les méandres tortueux de la création théâtrale, de sa production. Tous les enjeux de pouvoir qui s’y exercent sont ici finement dénoncés dans leurs excès féroces à travers une très subtile mise en abîme entre le personnage de l’acteur et la bête de scène qu’est Richard. Les bruits d’un animal porcin ponctuent parfois le discours – lien avec le titre et l’animal emblématique de Richard III, ce « sanglier misérable », ce « porc infect » qu’il est. Et Joan Carreras poursuit dans une frénésie stupéfiante d’irrévérences et de provocations que rien ne semble vraiment arrêter, pas même les « notes mentales » qu’il fait mine de s’adresser écornant par exemple les théories pour jouer un personnage qu’il juge « stupides ». Il sait parfaitement comment s’en passer sans l’officialiser : « des années passées à jouer des rôles de merde, il faut bien que cela serve à quelque chose ». Impitoyable.

Les autres personnages de Richard III sont absents à l’exception des femmes – Margaret cachée sous une longue et poussiéreuse chevelure blanche, Lady Anne et de la reine Gloucester, duchesse d’York – qui sont relativement épargnées par l’artiste en scène, tireur d’élite ne manquant jamais ses cibles. Ainsi, la plupart sont jetés à terre : les acteurs – des « médiocres » qu’il imite à grand renfort de grimaces et de prononciations rendues grotesques, les actrices – Anita, sa partenaire, ayant obtenu le rôle de Lady Anne parce qu’elle est sacrément bonne, les metteurs en scène – qui ne méritent pas qu’on « s’attarde sur [leur] sort », les producteurs et productrices – « avec leur tête d’enterrement »… Odieux, acerbe, misogyne et injurieux, il dézingue sans ménagement « tous les maîtres à penser et tous ceux qui jouent aux petits chefs » car « personne n’a besoin de leur myopie ». Les régisseurs et tous les techniciens ne sont pas davantage épargnés par sa furie : il se déchaîne contre eux dans un hors-scène réaliste, les invectivant dans les coulisses ou en régie tandis que la traduction en anglais et en français édulcore le langage fleuri qu’il emploie avec eux.

Cette violence si sensible dans Richard III se repositionne ici : non seulement par les mots dans un texte extraordinairement composé et traduit, mais aussi par le jeu de l’acteur physiquement engagé qui s’agite avec force, fait mine de se déboîter l’épaule, jette les guindes au sol avec rage, les entortille autour de lui comme autant de contraintes et désordres qui l’entravent.

Au terme d’un peu plus d’une heure de spectacle, le comédien formule une ultime supplique à destination du public : « Je n’ai pas besoin de vous tous / Un seul suffit / Un spectateur intelligent / Qui accepte ? » La provocation fait sourire évidemment. Mais l’uppercut est là aussi direct, avant le noir final.

Ce spectacle seul en scène largement ovationné – et c’est mérité – est un combat farouche se superposant à celui de Richard qui élimine ses adversaires un à un pour accéder au trône, metteur en scène de lui-même, comédien hors pair et manipulateur en chef avec lequel Joan Carreras se confond de manière aussi troublante que réussie. Dénonçant une tendance au théâtre de divertissement exclusif, dévoilant un milieu professionnel jugé aliénant et peu prolifique, obéissant aux lois d’un marché culturel sans pitié, Història de un senglar est un véritable acte d’accusation – certes presque trop bref – dénonçant non sans rire, une certaine forme de bêtise. Voilà un théâtre sans pitié pour le théâtre. Et il apparaît ici que « Richard est bien plus que l’histoire de Richard ».

 

 

Thierry Jallet / Wanderer 
 
 
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Història de un senglar (o alguna cosa de Ricard)

Texte et mise en scène : Gabriel Calderón

Traduction : Joan Sellent
Traduction pour le surtitrage : Laurent Gallardo (français), Ailish Holly, Eulàlia Morros (anglais)
Avec Joan Carreras
Scénographie : Laura Clos « Closca »
Lumière : Ganecha Gil 
Costumes : Sergi Corbera 
Assistanat à la mise en scène  :Olivia Basora 
Conception personnage et assistanat costumes : Núria Llunell 
Régie générale : Roser Puigdevall
Régie son : Ramón Ciércoles 
Direction technique  : Pere Capell
Équipe technique : Àngel Puertas
Machinerie : Lluís Nadal « Koko »
Photographe : Felipe Mena
Production : Marta Colell, Luz Ferrero
Diffusion et communication : Bitò

Production : Festival Temporada Alta 2020 (Gérone)
Coproduction : Grec 2020 Festival de Barcelona
Avec le soutien de l’Institut Ramon Llull, Maison Antoine Vitez pour la 78e édition du
Festival d’Avignon
Remerciements : Emili Agustí

Histoire d’un sanglier (ou un peu de Richard) de Gabriel Calderón, traduit de l’espagnol (Uruguay) par Laurent Gallardo, avec le soutien de la Maison Antoine Vitez Centre international de la traduction théâtrale, est publié aux éditions Solitaires intempestifs en juin 2024.

 

Création : Du 15 au 25 avril 2021 au Festival Temporada Alta de Gérone

 

Avignon, Théâtre Benoît XII, vendredi 19 juillet 2024, 19h
 
 
Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage
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July 23, 2024 10:23 AM
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Festival d’Avignon : le rideau se baisse sur un renouveau du théâtre engagé 

Festival d’Avignon : le rideau se baisse sur un renouveau du théâtre engagé  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 20 juillet 2024

 

Cette édition 2024 signe dans les rues avignonnaises le retour de l’engagement, mais avec une qualité et une fraîcheur qui tranchent avec les spectacles cours de bien-pensance qui nous tapaient sur le système il y a quelques années.

 

On ne s’y attendait pas mais cette 78e édition du festival a marqué le retour et le renouveau d’un théâtre engagé, parfois pour le meilleur, avec notamment Lacrima, la nouvelle fresque de Caroline Guiela NGuyen autour des mille histoires enfouies sous les plis de la confection d’une robe de mariée particulièrement prestigieuse. Mais aussi de l’emballant Léviathan de Lorraine de Sagazan, qui, par la grâce d’une mise en scène d’une beauté plastique saisissante, s’engouffre dans la violence de la justice ordinaire : celle des comparutions immédiates, avec la restitution de trois procès expéditifs de deux hommes et une femme.

On ne s’y attendait pas : ou plutôt, on avait pris l’habitude, depuis une dizaine d’années que des artistes et des spectacles dénoncent de manière relativement convenue et soporifique, au choix le sort fait aux migrants, à la planète, aux enfants, aux femmes, ou tout à la fois, sans jamais affecter le public par ailleurs rarement en désaccord avec les dénonciations. Il y eut un pic de désamour avec les œuvres à message, aux alentours de 2018-2019 où, à Avignon, la thématique sociétale était clairement revendiquée par l’ancienne direction du festival, et où l’on avait, plus ou moins douloureusement, ployé sous la lourdeur de l’infanterie utilisée pour nous convaincre au hasard des dégâts de la guerre ou du racisme. A l’époque, la professeure d’esthétique Carole Talon-Hugon, par ailleurs festivalière assidue, expliquait à Libération un «repli» vers les valeurs que peut véhiculer une œuvre au détriment d’une conception désintéressée de la création artistique.

Investissement corporel

Que s’est-il passé cette année pour que le vieil antagonisme par ailleurs un peu schématique entre l’œuvre sans autre finalité que l’invention esthétique et une conception utilitaire qu’on pensait surannée explose ? S’est-on tous, abruptement, converti à Edouard Louis qui traque la facticité et le décorum bourgeois des tenants de l’art sans pathos ? On s’est enthousiasmé pour le Soliloquio de l’Argentin Tiziano Cruz, corps frêle d’adolescent, qui nous alpague dans son combat contre les politiques de haine néolibérales menées dans son pays, et pas seulement, par une prise de parole frontale où l’artiste parle avant tout de lui, «vide de langue, vide de territoire» et interroge la place de l’art dans un pays où son «corps disparaît face au désir d’une société blanche». Dans la team Libé, on a préféré Soliloquio, qualifié de «vraie découverte», à Wayqeycuna, monologue à propos de la communauté du nord de l’Argentine d’où est originaire Tiziano Cruz, et troisième volet d’une autobiographie dramatique. A la fin du spectacle, l’artiste offre au public du pain fabriqué par des spectateurs et lui-même ainsi que du jus de pomme – guère pratique pour applaudir. Le pain, nouvelle hostie ?

 
 

De fait, l’engagement des spectacles hispaniques – l’espagnol étant la langue invitée du festival cette année – s’est associé au récit de soi, porté par un investissement corporel de toute nature, allant jusqu’au slam. Merveille de la première image de Sea of Silence de l’Uruguayenne Tamara Cubas, où sept femmes de toutes régions unissent leur voix sur un plateau recouvert de cristaux de sel, et se confondent avec les racines horizontales d’un arbre centenaire. Tendresse, aussi, du jeune metteur en scène chilien Malicho Vaca Valenzuela, mêlant dans son spectacle-conférence Reminiscencia les images de sa belle-grand-mère sans mémoire et des souvenirs politiques de sa ville, Santiago, enfumée par les gaz lacrymo à l’heure des soulèvements.

Art du déplacement

Le discours frontal et autobiographique, c’est aussi ce qui caractérise Niagara 3000 de Pamina de Coulon, présentée dans la sélection suisse du festival off et bien aimée dans ces pages. L’artiste qui ne dissocie pas sa pratique scénique de son activisme, suscite une écoute acérée grâce à des sauts de haute voltige langagière et un art de l’imprévu qui rompt définitivement avec le par cœur de la leçon, alors même qu’il s’agit encore et toujours de nous dire que l’engagement contre le réchauffement climatique, c’est ici et maintenant et pas après les vacances (en avion).

Cette année, même certaines pièces qui affichent une dramaturgie, avec des personnages et des acteurs censés se distinguer de leur rôle, ne cachent pas un objectif clairement militant, c’est-à-dire, tenus par la promesse de transformer la société. Dans Hécube, pas Hécube, le directeur du festival d’Avignon Tiago Rodrigues dénonce les mauvais traitements dont peuvent être victimes des êtres non seulement vulnérables mais n’ayant pas les moyens de le faire savoir. Et c’est bien sûr le cas de Lorraine de Sagazan avec Léviathan où «avec les masques réalistes qui redoublent leurs visages et les figent, les juges et les avocats deviennent les prêtres et prêtresses d’une terrible religion se nourrissant de sacrifices humains». Le décalage, l’art du déplacement, mais aussi l’investissement de son propre corps dans les récits autobiographiques militants : voici l’un des secrets de la réussite de certaines créations qui fait la différence avec les spectacles-cours de bien-pensance d’il y a donc une poignée d’année, une éternité. Cette édition, chahutée durant ses dix premiers jours par l’attente et l’inquiétude provoquées par les élections législatives inopinées ne pouvaient pas ne pas être politique. Pourtant, aucune venue de personnalité politique de premier plan pour soutenir le théâtre malmené, à l’exception de Christiane Taubira, pas même le moindre coucou de Rachida Dati, encore ministre de la Culture.

 

Anne Diatkine / Libération 

 
Légende photo : «Léviathan» de Lorraine de Sagazan. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)
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July 22, 2024 11:09 AM
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Thomas Jolly à l’approche de la cérémonie des JO : “Il est trop tard pour avoir peur”

Thomas Jolly à l’approche de la cérémonie des JO : “Il est trop tard pour avoir peur” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama. 22 juillet 2024

 

LES JO DE JOLLY – Le directeur artistique oscille entre “l’exaltation [et] la déprime” alors qu’approche l’ouverture des Jeux de Paris 2024. Dernières impressions avant le jour J des JO.

 

Quelques jours avant la grande cérémonie d’ouverture sur laquelle il travaille depuis bientôt deux ans, il répond sur son portable à de dernières questions en déambulant à pied au milieu de gigantesques hangars blancs. Lui-même vêtu de blanc : raccord. Il a dû s’extirper d’ultimes répétitions de danse. Heureux de ce qu’il voit, il n’évoque pas le moins du monde, alors, la grève de danseurs intermittents du spectacle qui menace certains tableaux sur la Seine le 26 juillet et les trois prochaines cérémonies à venir. Il dira même le lendemain, par SMS, n’avoir rien su à ce moment-là du mouvement qui touche les danseurs et danseuses les plus précaires recrutés pour les JO, à savoir ceux qui ne sont pas permanents aux Ballet de Lorraine, Malandain Ballet Biarritz, Ballet de Bordeaux ou Ballet Preljocaj. La direction artistique ne négocie pas les contrats de travail, son boulot est déjà colossal et l’organisation tellement vissée que partout les secrets règnent.

 

Quand il marche à toute vitesse, ce matin-là, Thomas Jolly refuse en riant de dire où il se trouve. En région parisienne, visiblement. Surgit sur son chemin une jeune vigile qui surveille les intrus et ne le connaît pas, lui demande donc qui il est. Et Thomas Jolly de très sérieusement répondre « opération Aurore ». De l’autre côté du portable, on tombe des nues. Nous voilà, sous le ciel bleu, dans OSS 117 aux JO.

 

[Avec les coauteurs de la cérémonie,] nous étions tous d’accord sur la vision d’une France inclusive, joyeuse, pétrie d’humanité partagée.

Pourtant ont été enfin divulgués – dans l’ultime ligne droite – les noms des quatre auteurs du récit choisis en 2022 par Thomas Jolly pour structurer la balade des péniches sur la Seine, du pont d’Austerlitz au pont d’Iéna. Sans doute les derniers évènements politiques – élections européennes, dissolution, législatives – ont-ils poussé nos coauteurs à vouloir garder distance, discrétion et réserve en ces temps tourmentés. Mais voilà désormais publiquement nommés l’historien Patrick Boucheron, la scénariste Fanny Herrero, la romancière Leïla Slimani et le dramaturge Damien Gabriac. Quatre mousquetaires complémentaires, selon Thomas Jolly, qui a assisté à chacune de leurs séances de travail, et a construit avec eux, depuis le printemps 2023, le scénario de la cérémonie d’ouverture.

 

« Nous n’avons pas forcément les mêmes choix politiques ou idéologiques, mais nous étions tous d’accord sur la vision d’une France inclusive, joyeuse, pétrie d’humanité partagée. Notre diversité était le reflet des messages de liberté, de tolérance qu’on souhaitait envoyer autour de notre relecture de l’histoire française. Aucune chronologie dans le récit que nous avons forgé. C’est le fil même de la Seine qui a dicté les douze tableaux. Évidemment, certains lieux sont plus chargés d’histoire que d’autres. Par exemple, le Pont-Neuf. Avec la statue équestre d’Henri IV ; le souvenir cinématographique des Amants du Pont-Neuf, de Leos Carax ; la place Dauphine, “sexe de Paris” selon le surréaliste André Breton qui y fait apparaître son héroïne Nadja ; et Monet ou Turner qui l’ont peint… On a rassemblé toutes ces infos et réfléchi à une thématique autour de… l’amour. À moi, ensuite, d’être leur traducteur fidèle et imaginatif. »

Un puzzle à assembler

À la question de savoir si une majorité absolue du RN aurait pu changer quelque peu leur récit, Thomas Jolly de rétorquer qu’il aurait semblé plus fort encore, sans même y toucher, dans cet autre contexte. Tant y est développée l’aspiration à vivre ensemble avec toutes nos différences, nos altérités. Et il répète une fois de plus qu’en tant que directeur artistique des JO, il ne relève pas, de toute façon, du politique, qui n’a jamais tenté, affirme-t-il, la moindre ingérence dans son travail. Ainsi n’aurait-il pas bougé d’un cheveu la cérémonie du 26 juillet. On peut le croire, tant on sait l’artiste courageux, obstiné, calme et vif à la fois.

Aujourd’hui, il dit se retrouver devant « un puzzle de cent mille pièces ». Chacune est magnifique. Reste à les rassembler. Ils étaient une petite bande d’une quarantaine de créateurs au début, ils se retrouvent dix-huit mille aujourd’hui à régler les tempos, à vérifier les décors, les éléments concrets sur les quais, sur les rives, sur l’eau, sous l’eau, dans les airs, histoire de réussir ensemble « le plus beau spectacle du monde ».

 
 

Ce sont les autres qui font. Un peu comme dans les mises en scène à l’opéra. En bien plus grand. Je ne peux plus intervenir qu’à la marge.

S’il a vu in extenso la cérémonie en 3D – sur écran comme dans un jeu vidéo – pour avoir un point de vue global, Thomas Jolly ne l’a jamais répétée en entier, fait un « filage » comme on dit dans le métier du théâtre. Tout se passe actuellement bout par bout, jour et nuit, dans des hangars. Car il faut aussi faire des « répétitions caméra » pour ajuster la captation télévisée réservée aux deux milliards de téléspectateurs espérés. Plus qu’un spectacle, la cérémonie d’ouverture sera forcément une sorte de géante « performance ».

 

 

« Aujourd’hui, je me sens désemparé parce que j’ai tout légué à des équipes, et je me retrouve à errer de répétition en répétition, de hangar en hangar, de tableau en tableau. Je ne suis déjà plus vraiment à la manœuvre. Ce sont les autres qui font. Un peu comme dans les mises en scène à l’opéra. En bien plus grand. Je ne peux plus intervenir qu’à la marge. Est-ce que j’ai peur ? On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise ou d’un coup de théâtre de dernière minute. Mes journées sont de véritables ascenseurs émotionnels. Je passe de l’exaltation à la déprime. Je n’avais pas anticipé que le moindre détail pouvait devenir montagne, tel ce talon de chaussure qui gêne in extremis le déplacement d’un artiste… Pourtant on a tout imaginé, tout anticipé. On a même fait des cérémonies catastrophes, avec du vent, de l’orage, de la pluie, des malades. La sécurité nous a fait imaginer mille plans. Mais non, je n’ai pas peur. Il est trop tard pour avoir peur. Je suis impatient. Tout se prépare, mais tout est encore mouvant. Le temps peut tout changer, un artiste peut avoir accident. »

 

 Thomas Jolly : “La cérémonie promet des surprises bien plus radicales que la présence ou pas d’Aya Nakamura”

 

Pas de panique : Thomas Jolly a choisi plusieurs stars et pas une seule pour le 26… On ne demande même plus lesquelles, on sait depuis des mois maintenant qu’il ne le dira pas. Il n’y a que les péniches aujourd’hui dont Thomas Jolly est parfaitement sûr. Rendez-vous le 26. Et tout de suite après, c’est promis, il nous fera le « débrief », comme ils disent.

 

Propos recueillis par Fabienne Pascaud / Télérama

 

 

Dernier épisode… la semaine prochaine

À voir, lundi 22 juillet sur France 2, les deux premiers épisodes du documentaire des frères Naudet sur la préparation des Jeux. Déjà disponibles sur france.tv.

 

 

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July 21, 2024 10:28 AM
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Charles Berling : « Je suis né dans un monde violent »

Charles Berling : « Je suis né dans un monde violent » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Laurent Carpentier / Le Monde du 20 juillet 2024

 

« Un château de sable avec… » Saison 5 (1/6). Chaque samedi, durant l’été, « Le Monde » accompagne un ou une artiste à la plage. Rencontre avec le comédien et directeur de théâtre sur la plage des Sablettes, à La Seyne-sur-Mer, dans le Var.

 

Lire l'article sur le site du "Monde"

 

https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2024/07/20/charles-berling-je-suis-ne-dans-un-monde-violent_6253133_3451060.html

Il cite Jean Eustache – « Il faut que tout se sache » – et court se jeter dans la mer en slip kangourou blanc. Il n’a pas pensé à prendre un maillot de bain. Toulon. Enfin, à côté, La Seyne. Plage des Sablettes. Face au cap Sicié et aux Deux Frères, ces rochers qui pointent au large dans l’eau salée comme les deux dents d’un monstre marin. Quand il fait une chose, Charles Berling ne calcule pas : « Qu’il s’agisse de faire ou non un film parce que c’est du cinéma populaire ou au contraire l’œuvre d’un réalisateur intello, qu’il s’agisse de mon positionnement entre théâtre public et subventionné, ou encore de mes interventions politiques… je ne suis pas un stratège. »

 

Toulon, première ville de plus de 100 000 habitants à avoir été prise par le Front national entre 1995 et 2001. Charles Berling, enfant de la ville, y dirige depuis 2011 le théâtre Le Liberté, poussé par un maire de droite républicaine à la tête de cette Scène nationale à laquelle a été greffée, en 2019, la pinède de Châteauvallon, qui surplombe la rade, avec son mythique amphithéâtre de plein air. Si le raz-de-marée annoncé de l’extrême droite n’a pas submergé la France, il n’a pas épargné la rade. A Toulon, Laure Lavalette a ainsi été élue dès le premier tour. « Elle coche toutes les cases, fait remarquer le comédien-directeur-metteur en scène. Catho tradi, cinq enfants, porte-parole du Rassemblement national… Les gens de droite qui, ici, s’en méfiaient au début, ont commencé à dire : “Elle est plutôt symmpââ.” Mais elle veut la mairie. Et, vu ce que je dis sur elle dans les journaux, je doute que, si elle l’obtient, je reste longtemps… », s’inquiète celui qui ouvrait les portes de son théâtre aux immigrés pour l’association SOS Méditerranée, récoltant des manifs en retour.

 
On ne reste pas longtemps mouillé sur la plage balayée par le vent chaud. « Les Sablettes, c’est ce que j’aime ici : un lieu populaire, des gens pas très riches, mélangés, qui, comme nous quand j’étais enfant, viennent en famille. Le contraire du bling-bling. Toulon. C’est là d’où je viens, et j’y suis attaché. » Ce qui pourrait le rendre malade ? « L’idée qu’il n’y a pas d’universel possible, qu’à un moment donné on ne puisse plus communiquer. L’extrême droite a réussi à coller sur la culture cette image élitiste, qui s’en mettrait plein les poches et donnerait des injonctions au peuple. Les gens qui font du fric, eux, ne sont pas jugés élitistes, au contraire, on y voit un truc populaire… Toutes les valeurs sont retournées. Et les artistes de se taire, de peur de mettre de l’huile sur le feu. C’est ça, le fascisme, cette intimidation de la parole, de l’art, de la pensée. C’est dégueulasse. Et ça infuse, même chez La France insoumise. Les gens font du travail de terrain dans les quartiers et on les accuse de diffuser de la pensée bourgeoise… »

« Une grande solitude »

Charles Berling est né à Toulon. Père médecin, officier de marine, longtemps à naviguer. « Catho, taiseux, coincé », résume le fiston. Vacances à l’île de Ré avec les cousins dans la maison de famille. Charles a 6 ans quand le père est nommé à Tahiti. Les six gosses grandissent en liberté – le mot, on l’aura compris, a son importance – pendant que le père navigue ou filme à Mururoa, où il est médecin-chef, avec sa caméra 8 mm les volutes inquiétantes. Quand ils reviennent de Polynésie, deux ans plus tard – le père ayant été nommé anesthésiste à l’hôpital Saint-Anne, à Toulon –, c’est sur un cargo aménagé en paquebot, Le Tahitien. Un mois pour relier Papeete à Marseille.

 

« Si je n’avais pas été acteur, j’aurais été marin », affirme Charles Berling, qui la veille encore tirait des bords avec le Idle-Wild, son voilier de 15 mètres sur lequel il invite généreusement − d’Isabelle Huppert (quatre films avec elle, il est le parrain de son fils) à Edgar Morin, 102 ans au compteur, bon pied bon œil, dit-il. « Je n’ai jamais désiré être marin, je l’étais. De même que je ne voulais pas être acteur… Après, entre marin et acteur, il y a un point commun que je n’ai pas saisi tout de suite : dans les deux cas, sur mer et quand tu joues, tu travailles avec quelque chose qui n’est pas maîtrisable. Sur un tournage, toute la ruse c’est de se mettre en condition pour que, au moment où on dit “Moteur !”, tu puisses exprimer un truc que tu n’as jamais exprimé et que tu n’exprimeras plus… Les deux ont en commun une grande solitude qu’on ne peut vivre qu’en équipage », affirme celui qu’on a pu voir cette année dans Flo, un biopic sur Florence Arthaud, avec laquelle il a par ailleurs navigué, tout comme avec Loïck Peyron, Marc Thiercelin…

 

 

Son soixante-et-onzième rôle au cinéma. Cinéma où d’ailleurs il s’était révélé sur une plage, dans Petits Arrangements avec les morts, de Pascale Ferran, en 1994 (avec, pour le coup, un extraordinaire château de sable) pour enchaîner avec Nelly et M. Arnaud, de Claude Sautet, l’année suivante, puis devant les caméras d’Anne Fontaine ou de Patrice Chéreau, de Michel Boujenah ou de Cédric Kahn. « On devient parfois célèbre sur un malentendu. Le Prénom [De la Patellière et Delaporte, 2012], c’est un bon film, OK… mais pour Montessori [un seul-en-scène de sa compagne, Bérengère Warluzel, qu’il met en scène], il y a 120 personnes dans la salle. Les gens ne savent pas ce que tu fais. »

« Grain de folie artistique »

Il vient de terminer Les Talents d’Achille, une comédie, aux côtés de François Berléand et de Thierry Lhermitte, interprète Pierre Wertheimer (actionnaire majoritaire de Chanel) dans la série The New Look, sur Apple TV. Au théâtre, il tourne le diptyque de Bergman, Après la répétition/Persona, mis en scène par Ivo van Hove, il monte des pièces de Lars Norsen, prête sa voix au podcast sur Léon Blum de France Inter avec son ami Philippe Collin…

Il n’arrête pas. Son « grain de folie artistique », il faut aller le chercher chez sa mère, Nadia. Il lui a dédié un livre : Aujourd’hui maman est morte (Flammarion), réédité en poche, 40 000 exemplaires vendus. Son père l’a épousée au Maroc. Ses parents y tenaient le garage Saint-Christophe, rue Rouamzine, à Meknès. Des Français venus de Casteljaloux, en Lot-et-Garonne. Au départ, le grand-père, Gaston, s’était engagé dans la Légion pour fuir une obscure histoire criminelle, avant d’ouvrir ce garage. Sauf qu’il n’aimait que la chasse. C’est sa femme, Fernande, qui fera prospérer l’entreprise. Charles Berling confie que le nom de sa mère, Nadia, aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Ce n’est que le jour de son enterrement, en regardant les visages des filles de Kadour Mourine, le chef mécanicien, qu’ils ont tous compris. La ressemblance. Fernande était amoureuse de Kadour. Et Nadia probablement sa fille. Rien n’aura été dit.

 

 

Charles Berling, sang-mêlé. S’en mêler dirait un lacanien de comptoir. S’emmêler pour ce qui nous concerne. Ce qui le caractérise, c’est cette absence de peur de ne pas marcher au pas et de filtre pour ouvrir sa gueule. Sur les traces de son frère aîné, Philippe (avec qui il dirigea Le Liberté pendant trois ans, au début), il part étudier l’art dramatique à l’Institut supérieur des arts à Bruxelles. Il y rencontre Mario Gonzales. Le comédien guatémaltèque, qu’on a vu chez Mnouchkine, y enseigne l’art du masque et du clown. « Acteur sublime, il m’a fait découvrir plein de choses. Il m’a fait m’ouvrir. » Il sourit. « Je me suis dit : “Il y a la moitié de la planète que je ne connais pas.” Après, dans ma carrière sexuelle, je ne suis pas resté homo. »

« Je ne possède rien »

Beau gosse bavard et séducteur, marié une fois, père d’un garçon, il sera un tombeur de ces dames, sans cacher rien de son histoire. Dans sa voiture – électrique – de fonction, on découvre Les Chants de Maldoror, de Lautréamont, qu’il vient d’acheter pour son ami le rugbyman Daniel Herrero, parce qu’il était étonné que cet érudit n’ait pas lu ce livre ovni, bible des surréalistes. « Pour moi, c’est ça, l’art. Comme L’Enfer de Dante ou un tableau de Jérôme Bosch. » L’art comme raccourci pour aller explorer nos parts d’ombre et nos désirs cachés, avec la poésie en gilet de sauvetage ?

 

 

De l’autre côté de la rade, vers Carqueiranne, sa maison surplombe la mer – plus exactement celle qu’il loue. « Je ne possède rien, alors que, de toute ma fratrie, je suis sans doute celui qui a gagné le plus d’argent. Je suis comme ma mère, je passe mon temps à courir après le pognon. J’ai gagné plus d’argent qu’aucun de mes frères et sœurs et pour finir, par moments, je suis allé dormir au théâtre. » Parmi les peintures, trois portraits de lui signés Juliette Binoche, et puis cette photo étonnante de Nadia, la fille de colon, posant fusil au bras, assise auprès d’un arbre, à ses pieds les cadavres d’un sanglier et d’un renard.

 

 

« J’avais 25 ans, j’étais sur une plage par là-bas, dit-il, désignant le levant, jusque-là je n’avais jamais remarqué qu’on lui avait greffé de la peau au bras. C’est alors qu’elle me l’a raconté : jeune, elle avait été prise en flagrant délit d’avoir rejoint un ami sans autorisation. Pour éviter la punition, elle a cherché une diversion, elle a pris le fusil et choisi le bras gauche… » Il se lève, s’assoit, se relève. « Cela dit le niveau de terreur pour qu’elle fasse ça, le niveau de violence ! »

L’énergie des tempêtes

Comme chez sa mère bout en lui l’énergie des tempêtes qu’il s’emploie à dompter. A 66 ans, le trublion ne tient pas en place. Et revient au port : « Je suis né dans un monde violent. Mes parents nous frappaient. On s’est rebellés, on s’en est expliqués, j’ai réglé mes comptes… Mon père, c’était très organisé. Ma mère, elle, ça partait d’un coup. Tout allait bien et puis, paf. Comme j’étais comme elle, j’ai commencé à lui répondre. Alors je m’éloignais, je me rappelle, je tapais dans les arbres pour ne pas lui taper dessus. » Nadia est morte il y a vingt ans, mais sa présence rôde. « Elle était violente avec mon père. Un jour, je jouais Hamlet à Marseille. Je suis venu, je lui ai dit : “Je ne te laisserai pas le tuer devant moi…” Elle prenait sa revanche. Ma mère avait un tempérament artistique, elle ne voulait pas être mère de famille. Simplement, elle était tombée amoureuse de ce médecin de marine pour fuir son enfance infernale. Pour se venger d’avoir été empêchée, elle inversait l’ordre du pouvoir. »

 

Nous négocions tous avec nos démons. Bien peu l’admettent. En tragédien, Berling a l’ivresse du danger ; en marin, il est enfant de la vague. Chez lui l’action précède le verbe. Etre soi. Sans œillères. Un personnage pour Isidore Ducasse, alias Lautréamont ? Il n’a pas entendu. « Pour moi, la perfection est la pire idée que l’on ait inventée dans l’histoire de l’humanité. Elle mène au fascisme, au suprémacisme. Dernièrement, à Châteauvallon-Liberté, on a travaillé sur les fonds marins, j’ai découvert que beaucoup de choses n’y servent à rien… C’est reposant de voir que la nature fabrique de l’inutile. »

 

 

Laurent Carpentier (Toulon, envoyé spécial du Monde)

Légende photo : Charles Berling, à La Seyne-sur-Mer (Var), le 10 juin 2024. CLAIRE GABY POUR « LE MONDE »

 

 

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July 19, 2024 10:12 AM
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Au festival d’Avignon, le plaisir du récit 

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Billet de Lucile Commeaux dans Libération - 18 juillet 2024

 

Empruntant les codes du thriller, du documentaire ou de la bonne série, de nombreux spectacles de l’édition 2024 du festival ont démontré que les recettes éprouvées de la narration n’avaient rien perdu de leur pouvoir pour attirer le public.

 

Vraie tendance perceptible dans l’édition 2024 du Festival d’Avignon : le plaisir de raconter des histoires, de faire confiance au récit, de coller à une narration classique, chronologique, avec péripéties et retournements. Lacrima, le spectacle de Caroline Guiela NGuyen, en illustre la réussite avec ces trois heures d’action pure tissées autour de la confection d’une robe de mariée royale, vers laquelle convergent des tas de petits récits secondaires : construit comme une très bonne série, le spectacle est la preuve que la forme télévisuelle et la forme théâtrale subventionnée peuvent se marier dans une sorte de bonne tambouille grand public, qui ne bouleverse rien, mais qui assurément se positionne comme LA bonne forme pour attirer le public.

Revers de la médaille, Lieux communs de Baptiste Amman tente une chronique de notre contemporain en empruntant au thriller et à la satire politique, mais sans vraiment soutenir notre attention, faute de singularité. Entre les deux, citons par exemple Los Dias Afuera de l’Argentine Lola Arias, dont la simplicité et la linéarité du dispositif surprennent : ce récit choral très premier degré d’ex-détenues ressemble à la fois à de la comédie musicale et à une série documentaire bourrée de petits récits ; ou encore Une ombre vorace de Mariano Pensotti, récit croisé et haletant avec pour héros un alpiniste partir sur les traces de son père. Au-dessus de tout ça, le merveilleux Quichotte de Gwénaël Morin réfléchit justement au plaisir de raconter des histoires, dans un spectacle fait de pas grand-chose, et tout entier porté par cette foi pure dans le présent de la fiction, sa grâce et son enchantement.

 

 

Lucile Commeaux / Libération 

 

Légende photo : «Une ombre vorace» de Mariano Pensotti au Festival d’Avignon. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

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