Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Quelques mots-clés

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July 19, 2024 7:37 PM
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Une 78e édition du Festival d’Avignon atypique et ouverte à d’autres voix

Une 78e édition du Festival d’Avignon atypique et ouverte à d’autres voix | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge - Avignon, envoyée spéciale du Monde, publié le 19 juillet 2024

 

La manifestation, perturbée par le contexte politique et sportif, a fait le plein côté public.


 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/19/une-78e-edition-du-festival-d-avignon-atypique-et-ouverte-a-d-autres-voix_6252783_3246.html

A année particulière, festival particulier. En Avignon, 2024 restera comme une année étrange, « atypique », comme l’a dit lui-même Tiago Rodrigues, le directeur du Festival, lors d’une rencontre avec le public, le 15 juillet. La 78e édition de la manifestation fondée par Jean Vilar avait déjà dû avancer son calendrier d’une semaine, en commençant le 29 juin, avant les vacances scolaires, pour ne pas se chevaucher avec les Jeux olympiques et la mobilisation, notamment sécuritaire, qu’ils exigent.

Puis il y a eu l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin, et la tenue des élections législatives, le 30 juin et le 7 juillet, en plein festival, avec la perspective de l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir. Jusqu’au soir du second tour, une large partie du public et des professionnels est restée tétanisée par cette perspective. Pour Avignon, l’accès du Rassemblement national aux commandes aurait eu des conséquences directes : Tiago Rodrigues avait annoncé, dès le 16 juin, dans nos colonnes, qu’il « n’acceptera[it] jamais de travailler avec l’extrême droite » et qu’il défendrait un « festival qui ne collabore pas ». Ce qui aurait impliqué un festival à voilure considérablement réduite, privé des financements de l’Etat.

 
Ce contexte a fait peser de lourdes inquiétudes sur la fréquentation des spectacles, mais le public a été largement au rendez-vous : le taux de remplissage devrait s’établir autour de 90 % (pour une jauge d’un peu plus de 121 000 billets mis en vente), actant que le « in » a nettement mieux résisté que le « off », dont la fréquentation a manifestement souffert.

Quelques grands spectacles

Sur le plan artistique, cette édition est apparue comme moins riche, excitante, originale, que l’édition inaugurale de Tiago Rodrigues en 2023. Le festival a pourtant offert quelques grands spectacles, à commencer par la création d’ouverture donnée à La FabricA : Absalon, Absalon ! a fait passer Séverine Chavrier dans la dimension des maîtres de la mise en scène, avec une forme de théâtre total, porté par une réflexion puissante sur l’Amérique et le métissage, en lisant Faulkner à la lumière d’Edouard Glissant.

 

Avec le deuxième spectacle d’ouverture, Dämon, présenté dans la Cour d’honneur du Palais des papes, la performeuse et metteuse en scène Angélica Liddell a, comme à son habitude, divisé le public et la critique. Cette distance prise par une partie de la critique à l’égard de son travail, l’artiste espagnole l’a d’ailleurs mise en scène dans sa pièce, s’en prenant directement à certains journalistes – dont nous sommes – sous forme d’insultes ou de gestes grossiers.

 

Ces pratiques d’un autre âge feraient sourire si elles ne s’inscrivaient dans un contexte où le populisme gagne du terrain partout, et si elles ne rappelaient justement les meetings du Rassemblement national, où les journalistes se font régulièrement huer. La critique, comme tout autre genre journalistique, n’a pourtant de sens que si elle est exercée en toute indépendance. « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur », écrivait déjà, il y a plus de deux siècles, un certain Beaumarchais…

Jubilation sauvage

Troisième création majeure de ce festival, Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, qui voyait le retour à Avignon du grand metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, a peiné à trouver son public. Le spectacle n’était sans doute pas adapté à la Cour d’honneur du Palais des papes. Il n’en reste pas moins un geste artistique d’une beauté et d’une profondeur rares de nos jours. Entre Dämon et Elizabeth Costello s’est glissé dans la Cour d’honneur un autre moment fort : Mothers. A song for Wartime, orchestré par la metteuse en scène polonaise Marta Gornicka, a pris l’accent, par-delà le spectacle, d’une cérémonie unissant le public dans la communion pour une Ukraine martyre.

 

L’« artiste complice » de cette édition, le chorégraphe Boris Charmatz, laisse, lui, un bilan contrasté. Si Cercles, performance participative, a emmené dans sa ronde joyeuse aussi bien le public que ses 200 participants, les deux spectacles suivants, Liberté cathédrale et Forever, ont laissé le sentiment que le chorégraphe tirait peut-être un peu trop sur la corde de son savoir-faire.

 

Passé ces jalons incontournables, deux spectacles ont emballé à la fois le public et la critique. Les places se sont arrachées aussi bien pour Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, superbe récit théâtral tissant les fils d’un capitalisme destructeur, que pour Qui som ?, de la compagnie Baro d’evel, grand moment de jubilation sauvage et cathartique à la croisée du théâtre, des arts plastiques, du clown et de la danse. Tandis que, avec Hécube, pas Hécube, une pièce qui n’est certes pas sa meilleure, Tiago Rodrigues a tout de même offert une belle soirée dans ce lieu magique qu’est la Carrière de Boulbon, portée par les acteurs virtuoses de la Comédie-Française, la grande tragédienne Elsa Lepoivre en tête.

Mosaïque

La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib, et Léviathan, de Lorraine de Sagazan, ont également séduit, par leurs manières respectives de faire bouger les lignes du théâtre. Gwenaël Morin, lui, est apparu moins en forme que d’habitude avec son Quichotte. Quant à la programmation en langue espagnole, elle constitue la vraie déception de cette édition 2024, à l’exception de celui qui a été la révélation du Festival : l’auteur-performeur argentin d’origine indigène Tiziano Cruz, avec ses deux créations Soliloquio et Wayqeycuna.

A travers lui se lit un des axes forts du Festival, qui a mis en avant d’autres corps, d’autres voix, d’autres récits que ceux qui ont longtemps dominé la scène française. Qu’il s’agisse de la vieillesse, des femmes, particulièrement visées dans tous les conflits à travers le viol, des peuples indigènes subissant une forme de néocolonialisme ou de tous ceux qu’une société normative marginalise. A travers cette mosaïque se dessine un festival de bon niveau, porté par une réelle réflexion sur les lignes de programmation, et sur l’ouverture nécessaire de la manifestation avignonnaise hors de sa zone de confort, dans un idéal de « théâtre populaire » sans cesse à reconstruire et à réinventer.

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du Monde )

 
Légende photo : « Absalon, Absalon ! », de Séverine Chavrier, à Avignon, le 28 juin 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

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July 19, 2024 10:05 AM
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Dans la bibliothèque de Philippe Quesne : épisode /11 du podcast Dans la bibliothèque de...

Dans la bibliothèque de Philippe Quesne : épisode /11 du podcast Dans la bibliothèque de... | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Emission de Marie Rcheux, diffusée sur France Culture en mars 2024

 

Le vendredi, Marie Richeux visite des bibliothèques de personnalités. Aujourd'hui, nous découvrons celle du metteur en scène et scénographe Philippe Quesne. De Perec à Beckett, Claire Fercak, Gaëlle Obliegly ou encore Laura Vazquez, on y trouve les textes qui ont nourri son travail pour le théâtre.

 

Ecouter l'émission (58 mn)

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July 19, 2024 8:41 AM
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Festival In d'Avignon. Krzysztof Warlikowski : « Ici s’ouvre l’abîme de l’inconnu »

Festival In d'Avignon. Krzysztof Warlikowski : « Ici s’ouvre l’abîme de l’inconnu » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonia Garcia-Tahar dans Le Dauphiné, 18 juillet 2024

 

Krzysztof Warlikowski… de retour au Festival avec Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, à la Cour d’honneur.

 

Le metteur en scène polonais, Krzysztof Warlikowski, qui s’était fait connaître en 2001 à Avignon avec un Hamlet resté dans les mémoires, a depuis imprimé sa facture léchée et dérangeante à la Cour d’honneur en 2009, avec (A)pollonia, un spectacle qui convoquait bourreaux et victimes de la tragédie antique au nazisme. La Cour d’honneur… justement, lui est offerte de nouveau par Tiago Rodrigues .

 
Le rendez-vous est donné à 22 heures, mais Krzysztof Warlikowski accompagnera le public bien au-delà des minuits avec Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux sa toute dernière création d’une durée de quatre heures. Elizabeth Costello, du nom de cette écrivaine imaginée par le romancier sud-africain J. M. Coetzee, revient plusieurs fois dans l’œuvre de son auteur… mais aussi dans celle de Warlikowski : « C’est un personnage qui brouille la frontière entre la fiction et la réalité. Elle apparaît dans le roman éponyme de J. M. Coetzee paru en 2003, avant de ressurgir quelques années plus tard dans L’Homme ralenti puis dans L’Abattoir de verre. Quant à moi, je l’ai déjà utilisée dans deux spectacles, notamment (A)pollonia, où elle donnait une conférence sur l’Holocauste, en faisant un parallèle scandaleux pour l’auditoire avec l’abattage contemporain des animaux. »
 
Six actrices pour un personnage complexe

Quels seront les sujets des leçons et contes moraux annoncés de cette écrivaine censée donner des conférences plus ou moins gênantes de par le monde ? « J’ai retenu certaines conférences plutôt que d’autres – sachant que deux d’entre elles avaient déjà été intégrées dans mes spectacles. Pour incarner ce personnage complexe, j’ai choisi six actrices de différents âges et physiques, ainsi qu’un homme. Il s’agit d’explorer ce personnage d’écrivaine qui déraille progressivement. »

 

Celui qui nous avouait en 2009, dans une interview accordée au Vaucluse matin, sa prédilection pour la « médiocrité », sentiment dans lequel il se reconnaissait « en tant que Polonais, » aura fort à faire avec ce personnage d’Elizabeth Costello, ostracisée après avoir connu le succès : « Elle vieillit et doit négocier avec ses désirs – ce qui l’affecte énormément. À travers ses conférences gênantes, la question de sa propre vie, de son devenir, de son vieillissement, se pose. » Pas sûr que le public obtienne de réponse, l’artiste ayant prévenu : « Ici s’ouvre l’abîme de l’inconnu, auquel seule la Parole peut avoir accès. Cette Parole, Costello, Coetzee, mon équipe et moi la recherchons tout en sachant que nous ne la trouverons pas. »

 

 

Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, jusqu’au 21 juillet à 22 heures, Cour d’honneur du Palais des papes, à Avignon. Durée : 4 heures. Resa. au 04.90.14.14.14.

 

 

Sonia Garcia-Tahar / Le Dauphiné

 

 

Légende photo : Régulièrement invité au Festival, l’artiste polonais proposera sa création dans la Cour d’honneur. Photo Maurycy Stankiewisz

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July 16, 2024 4:49 PM
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« Si la cérémonie d’ouverture des JO 2024 n’est là que pour produire de l’éclat éphémère, quel intérêt ? »

« Si la cérémonie d’ouverture des JO 2024 n’est là que pour produire de l’éclat éphémère, quel intérêt ? » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Ariane Chemin et Franck Nouchi
Publié dans Le Monde le 16 juillet 2024




ENTRETIEN

L’historien Patrick Boucheron, la scénariste Fanny Herrero, la romancière Leïla Slimani et l’auteur de théâtre Damien Gabriac ont travaillé, avec le metteur en scène Thomas Jolly, sur un spectacle en douze tableaux. Ils dévoilent au « Monde » les contours et l’esprit de la célébration du 26 juillet.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/07/16/si-la-ceremonie-d-ouverture-des-jo-2024-n-est-la-que-pour-produire-de-l-eclat-ephemere-quel-interet_6250808_3242.html

Patrick Boucheron, Fanny Herrero, Leïla Slimani, Damien Gabriac. Dans le plus grand secret, un historien du Collège de France, une scénariste en vue, une romancière Prix Goncourt et un homme de théâtre ont « écrit » la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (JO) de Paris. Ces personnalités ont été choisies fin 2022 par le metteur en scène Thomas Jolly, chef d’orchestre des cérémonies des Jeux. Les auteurs racontent au Monde dans quel esprit ils ont imaginé ce spectacle offert à plus de 1 milliard de téléspectateurs.

Que pouvez-vous nous dire de cette cérémonie d’ouverture du 26 juillet ?

Thomas Jolly et Damien Gabriac : C’est un spectacle vivant qui se déroule sur la Seine, 6 kilomètres durant, du pont d’Austerlitz à la tour Eiffel. Trois cent mille spectateurs y assisteront, et la cérémonie sera transmise sur 80 écrans géants. Ce spectacle sera une double première. L’ouverture des Jeux olympiques ne se fera pas dans un stade, contrairement à la coutume. Autre nouveauté, les délégations d’athlètes de chaque pays se mêleront en parade sur le fleuve aux cohortes d’artistes (acteurs, danseurs, acrobates…) et traverseront le spectacle. Tout va s’emmêler, y compris le protocole (les discours, l’ouverture par le chef de l’Etat, les hymnes, etc.). Le reste… Allez, on se tait !

Pour ce spectacle, vous avez convié un historien du Collège de France, une écrivaine Prix Goncourt (2016), une scénariste de séries et un auteur de théâtre. Pourquoi ces personnes, Thomas Jolly ?

T. J.  : Parler à autant de téléspectateurs, avec les mêmes images, au même moment, c’est une occasion unique. J’avais l’idée d’un immense spectacle, mais il me manquait un récit pour m’adresser au monde entier. Je travaille depuis longtemps avec Damien Gabriac, qui est un auteur de théâtre. J’ai voulu m’adjoindre quelqu’un qui ait un œil sur l’histoire. L’Histoire mondiale de la France, de Patrick Boucheron [Seuil, 2017], est restée longtemps sur ma table de chevet. J’ai contacté Leïla Slimani car j’avais besoin de la littérature, d’une langue aussi – je connais son rapport à la francophonie. Fanny Herrero a apporté son sens du scénario et de l’image. J’ai pensé que tous seraient complémentaires et que ce serait l’équipe idéale.

Fanny Herrero, on vous connaît pour votre série à succès « Dix pour cent ». Votre père, Daniel Herrero, a été joueur et entraîneur du club de rugby de Toulon et vous-même avez été une joueuse de volley-ball de haut niveau. Quelle a été votre réaction lorsque Thomas Jolly vous a sollicitée ?

Fanny Herrero : Mon premier réflexe, c’était que cette mission était trop grande et trop belle pour moi. J’ai eu peur. Et puis je me suis dit que c’était une aventure unique dans la vie d’une personne. J’ai aimé travailler à quelque chose de mémorable, pas seulement comme technicienne du scénario, mais comme citoyenne, tout simplement.

 
Leïla Slimani : Je me trouvais au fin fond de l’Atlas, attelée à l’écriture du troisième tome de mon roman quand Thomas m’a appelée. Son coup de fil providentiel m’a sortie de la solitude du romancier pour me proposer de frotter mon cerveau à d’autres. J’ai émigré en France à 18 ans et j’ai trouvé que c’était un très grand honneur qu’on me demande mon avis sur cette France qui m’accueille. J’ajoute que je suis aussi une romancière de la sensualité, et il y a un érotisme qui me touche dans le corps des athlètes. Je sais enfin que l’effort sportif est une possibilité d’émancipation, par-delà les nationalités. Comme Fanny, j’ai rapidement dit oui, sans trop réfléchir.
 

Patrick Boucheron : Pour moi aussi, l’occasion était trop grande, trop belle. Comme historien de la ville, ce qui m’a intéressé, c’est qu’il fallait écrire ces récits dans l’espace. Je rappelle que c’est une ville qui accueille les JO, et politiquement, c’est important : ce n’est pas France 2024, c’est Paris 2024. Restait à régler la part de l’historien dans cette aventure. Passer conseiller historique aurait été devenir le gardien du passé – je suis un historien amoureux du présent. Auteur m’allait mieux et l’idée-force du projet me plaisait : ne pas seulement représenter ce que fut hier, mais ouvrir à des promesses, produire des imaginaires (notamment sociaux), faire voir ce qui était resté invisible…

Quelles ont été vos références ? Ou vos contre-exemples ?

P. B. : Nous avons revu de vieilles vidéos. La cérémonie d’ouverture de Pékin, en 2008, c’est exactement tout ce que nous ne voulions pas faire : une leçon d’histoire adressée au monde depuis le pays d’accueil, une ode à la grandeur et une manifestation de force. Athènes, en 2004, éprouvée par sa dette, nous a donné une leçon d’humilité. En 2012, Londres a su dédramatiser les clichés nationaux par l’autodérision.

 

Mais personnellement, ce qui m’a encouragé, ce fut de visionner sur YouTube la cérémonie imaginée par Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la révolution française, en 1989. Le défilé déjouait les stéréotypes nationaux et ne craignait pas de prôner le « métissage planétaire » avec un optimisme que nous avons aujourd’hui perdu. Ce désenchantement a été en lui-même pour moi une source d’inspiration.

Comment avez-vous travaillé en commun sur la cérémonie ?

L. S. : : On avait un grand mur dans les bureaux de Paris 2024, et fin 2022 on a commencé à y coller tout ce qui nous passait par la tête dès que cela évoquait la France, et surtout Paris : auteurs, acteurs, livres, photos, poèmes, chansons, tableaux, œuvres d’art, grands événements historiques… On a jeté toutes nos idées sur un grand tableau. Thomas voulait ensuite un spectacle avec un fil rouge, des personnages, un début et une fin.

 

T. J. : On a enfilé nos doudounes et on est descendus en bateau du pont d’Austerlitz jusqu’à la tour Eiffel. On a regardé tout ce qui appartenait à la grande et à la petite histoire : les rues, les monuments, les places, les squares, les statues. On a ausculté les correspondances littéraires, cinématographiques, musicales. Au square du Vert-Galant trône la statue d’Henri IV, en face de la place Dauphine, qu’André Breton appelait « le sexe de Paris », pas loin du Pont-Neuf et des amants [du film] de Leos Carax…

De la Seine, on aperçoit aussi le décor de la série « Emily in Paris »…

T. J. : Oui, ou d’Amélie Poulain ! Ce sont déjà des visions oniriques de Paris. Evidemment, il fallait jouer avec les clichés, ces regards américains sur la France, mais sans s’en moquer. Le spectacle comporte douze tableaux et s’appuie sur tous les emblèmes de la ville et les sens qu’ils produisent. Notre-Dame, par exemple, c’est à la fois le coq, emblème de la France, Victor Hugo, une cathédrale qui se refait une beauté après un incendie. Tout cela va s’intégrer dans…

D. G. : … ce Paris au fil de l’eau…

L. S. : … cette grande pièce de théâtre surdimensionnée…

P. B. : … cette poétique de l’histoire, de cette frise un peu froissée du temps passé, mais débarrassée de la séduction du déclinisme…

F. H. : … ce récit. Thomas nous guidait et décidait : « Ça, j’aime bien », « ça non »… Comme scénariste, j’ai veillé à la dramaturgie, aux enchaînements, aux registres, aux variations d’émotions, comme dans une série, jusqu’au climax final. L’idée n’était pas de raconter l’histoire de France, vous l’avez compris, mais on est néanmoins partis de ce qui fait la France. Les fameuses valeurs, par exemple. Quel symbole dans tel lieu de bord de Seine ? Quel message ?

Quelles valeurs avez-vous retenues, alors ?

P. B. : La France, par exemple, est pour le monde une promesse de liberté, promesse qu’elle trahit toujours, mais qui lui demeure attachée.

L. S. : Je suis une femme vivant au Portugal et qui vient du Maroc. Je connais cette force de Paris, ses ciments. L’une de ses valeurs, c’est celle du collectif, cet impensable qu’on est capable de construire quand on est ensemble. Nous avons eu envie d’un récit très généreux. Il fallait qu’il y ait de la joie, de l’émulation, du mouvement, de l’excitation et de la pétillance, et pas seulement ces fameuses valeurs philosophiques traditionnelles que la France exhibe volontiers avec parfois trop d’assurance…

F. H. : Nous avons voulu contrer notre tendance naturelle à faire la leçon.

L. S. : Nous nous jouons de l’image que les Français peuvent avoir dans le monde. Par exemple, celle de personnes très sûres d’elles. Nous ne voulions surtout pas d’esprit de sérieux dans cette cérémonie. Il y a beaucoup d’humour, du moins je l’espère, dans notre spectacle. En tout cas, si on a travaillé très sérieusement, on a aussi beaucoup ri.

 

T. J. : Au départ, nos imaginaires n’ont eu aucune limite !

 

F. H. : J’avais rêvé d’une immense manif qui courait sur 6 kilomètres…

 

P. B. : Nous avions un temps imaginé des statues d’hommes célèbres plongeant de leur piédestal dans la Seine, y coulant des brasses synchronisées, façon grand bain de l’histoire. Notre idée était surtout de faire surgir d’autres statues à leur suite. On a abandonné. Un jour, il faudra raconter l’aventure de cette cérémonie : comment certaines idées s’évanouissent, tandis que d’autres se transforment, et que d’autres lancées en rigolant demeurent intactes dans le spectacle. C’est le cas du prologue filmé, imaginé tel quel dès les premiers jours.

Si on comprend bien, votre travail est tout sauf une reconstitution à la manière des spectacles du Puy-du-Fou…

En chœur : L’inverse !

F. H. : Surtout pas une histoire figée.

P. B. : Le contraire d’une histoire virile, héroïsée et providentielle.

Thomas Jolly, vous connaissez les critiques qui ont entouré la parution de l’ouvrage « Histoire mondiale de la France », en 2017, coordonné par Patrick Boucheron. Assumez-vous que le choix de vos auteurs produise des débats ?

T. J. : Une cérémonie olympique, c’est revenir sur d’où on vient, où on est, où l’on va. Cette question concerne la France, mais aussi le monde. Si le spectacle d’ouverture des JO n’est là que pour produire de l’éclat éphémère, quel intérêt ? Des athlètes vont traverser les monuments qui ont marqué notre passé commun, ce n’est pas rien. Je note que le trajet du spectacle nous propose lui-même une histoire bousculée. Dans l’espace, ces 6 kilomètres ne font pas une suite chronologique, mais désordonnée. Les monuments cohabitent dans un anachronisme joyeux qui pose mille questions. Comme celle-ci : depuis quand est-on français ? Depuis Clovis ? Avant ?

 

P. B. : J’avais voulu réconcilier le sentiment d’appartenance nationale avec le goût du monde, mais aussi l’histoire savante avec le grand élan d’un récit populaire. Le titre même de mon ouvrage collectif était une tentative de conciliation. La cérémonie des JO doit parler au monde et à la France, plus précisément : parler du monde à la France et parler de la France au monde.

Y a-t-il eu des censures ? Des figures imposées ? Des bâtons glissés dans vos roues ?

P. B. : Il y a toujours une somme de contraintes, pas seulement politiques. Nous avons livré le scénario complet de la cérémonie en juin 2023. Evidemment, il a changé : c’est l’histoire banale du spectacle vivant. Mais les structures, ça a tenu. J’insiste : nous avons eu carte blanche.

T. J. : Il y a aussi les contraintes budgétaires. Les filets du vivant et de la nature sont aussi des contraintes. On ne fait pas tout ce qu’on veut sur un fleuve ! Par exemple, la taille des ponts nous a fait renoncer à une parade artistique avec des barges spectacles.

Les sponsors s’en sont-ils mêlés ?

T. J. : Comme vous le savez, les Jeux olympiques, c’est de l’argent privé, pas public. Il y a donc des cahiers des charges. On peut se saisir des contraintes de ces partenariats privés en les transformant, en tentant de les intégrer.

Vous sembliez fébriles il y a quelques semaines. Que se serait-il passé si, le 7 juillet, l’extrême droite avait remporté les élections législatives anticipées ?

T. J. : On était très avancés et le spectacle serait devenu tout autre chose : une sorte de cérémonie de résistance.

L. S. : Ça n’a pas eu lieu. Et, par là même, cet aspect de résistance du spectacle sera d’autant plus beau, il me semble. Nous avons infiniment besoin de ce moment apaisé et partagé, de ce temps enfin suspendu, loin de cette violence qui éclate partout. J’ai le très grand espoir que les spectateurs acceptent de se laisser emporter. Comme le dit Thomas, on sera tous là, vivants, dans le monde, en même temps.

P. B. : On n’a pas bien dormi ces derniers jours. Le projet promis aurait pu dévier par un effet de contexte inimaginable, et le millésime des JO 2024 devenir un nouveau chrononyme, comme disent les historiens – cette nécessité de nommer un moment dans le temps. Mais ce n’est pas arrivé.

F. H. : Notre cérémonie est restée une cérémonie de célébration, de fédération.

 

 

 

Pourquoi tout ce secret autour de l’événement ?

T. J. : Il ne s’agit pas d’un secret d’Etat. Nous voulons simplement respecter la surprise, l’émotion, l’émerveillement d’un spectacle. Lorsque je monte Roméo et Juliette, de Charles Gounod, à l’Opéra Bastille ou Thyeste, de Sénèque, à Avignon, je ne raconte pas non plus la fin de l’histoire…

L. S. : Certains lecteurs me disent souvent : « Tout ça, vos livres, ce n’est pas vrai, c’est un mensonge pour faire rêver. » C’est exact. De la même manière, notre discrétion n’est pas un secret pour le secret, c’est un peu comme ces cadeaux qu’on enferme dans des placards avant Noël, pour ménager la surprise et ajouter de l’impatience à l’émerveillement. Il faut retrouver, le 26 juillet, cette part d’enfance en nous, la joie de la découverte, c’est devenu si rare.

Allez, une petite indiscrétion, un teasing du spectacle ?

T. J. : Nous n’allons pas investir seulement les quais et les ponts, mais le ciel aussi. Et l’eau. Qui sait, il y aura peut-être un sous-marin.

 

Propos recueillis par Ariane Chemin et Franck Nouchi / LE MONDE

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July 16, 2024 9:21 AM
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Avignon 2024 : “Une ombre vorace”, de Mariano Pensotti, deux hommes faillibles en quête de sommets

Avignon 2024 : “Une ombre vorace”, de Mariano Pensotti, deux hommes faillibles en quête de sommets | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama -  16 juillet 2024

 

D’un côté, un homme gravit, dans les pas de son père disparu, l’Annapurna. De l’autre, le comédien qui veut l’incarner au cinéma. Un jeu de miroirs entre autodérision et désenchantement, porté par un duo d’acteurs bien assorti.

 

 

Le spectacle itinérant, conçu cette année par l’auteur et metteur en scène argentin Mariano Pensotti pour être joué aux alentours d’Avignon, nous embarque une heure et demie durant, vers les contrées glacées du massif de l’Himalaya. Deux personnages marchent, chacun de leur côté, sur un tapis roulant. L’un, Paul Vidal, affronte une tempête soudaine alors qu’il entreprend de gravir seul l’Annapurna, là où son père, alpiniste célèbre, a disparu, trente ans plus tôt. L’autre, Michel Roux, est l’acteur choisi quelques années plus tard pour interpréter le rôle du même Paul Vidal dans un film.

 
Les deux récits cheminent ainsi en parallèle – l’histoire vécue et l’histoire jouée – dans un savoureux effet de miroir où se répondent  les turpitudes de chacun. À 35 ans, Paul accomplit là sa dernière ascension, quête ultime d’un père trop vite disparu qu’il a le sentiment de ne pas égaler. Michel lutte contre la maladie et, habitué aux mauvaises séries, se sent artistiquement   « périmé ». Chacun poursuit son objectif – aller au bout de l’ascension, décrocher le premier rôle du biopic – comme une dernière chance, avec un sentiment d’échec chevillé à l’âme et au corps. Si l’ambiance n’est pas au beau fixe, l’autodérision dont font preuve les protagonistes fait souvent rire ou sourire.

Dans ce spectacle créé pour le Festival d’Avignon, Mariano Pensotti a glissé de subtiles références à l’ascension du mont Ventoux qu’aurait accompli, avec son frère, le poète italien Pétrarque (1304-1374), qui a grandi à Carpentras et vécu à Avignon. Cette « ombre vorace » qui donne son titre à la pièce est celle qui l’accompagnait sur la route escarpée – angoisse de la mort, peur de l’enfer. Dans cette obscurité menaçante, Pensotti projette aussi en filigrane nos peurs actuelles liées à la surexploitation d’une planète sur laquelle les deux antihéros tentent de survivre sans écorner leurs rêves.

 

 

Le suspense y est distillé en petites touches par les deux acteurs bien assortis. Elios Noël, dans le rôle de Paul, est singulièrement touchant, avec son timbre de voix à la fois chaud et fragile. Cédric Eeckhout, à la mince silhouette, rassemble ses forces pour endosser son futur rôle. S’il fallait pour ce spectacle un décor mobile facile à transporter, le metteur en scène et sa fidèle scénographe Mariana Tirantte n’ont pas renoncé à certains effets. Ainsi de ces pales blanches fixées sur un axe, qui tournent et figurent aussi bien l’intimité d’une maison ou d’un studio de cinéma que des parois glacées, ou d’autres surprenants reliefs montagneux.

 

Emmanuelle Bouchez / Télérama

 

TT: Une ombre vorace, de Mariano Pensotti les 16 et 17 juillet au Théâtre Benoît-XII à Avignon, le 18 juillet à Vallabrègues, le 19 juillet à Villeneuve-lez-Avignon, le 20 juillet à Saze. Et en tournée : 14 au 17 août, Festival d’Aurillac, 19 au 21 novembre,  Théâtre de la Vignette, Montpellier (34), 8 au 12 avril 2025, Théâtre Dijon-Bourgogne (21), 20 au 24 mai, Théâtre Silvia-Monfort, Paris 15e.
 
 
 
Légende photo : L’alpiniste Paul Vidal (Elios Noël) et l’acteur Michel Roux (Cédric Eeckhout). Photo Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
 
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July 16, 2024 8:50 AM
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Un « mauvais lecteur » au Jardin de Mons - A propos du "Quichotte" mise en scène de Gwenaël Morin 

Un « mauvais lecteur » au Jardin de Mons - A propos du "Quichotte" mise en scène de Gwenaël Morin  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet pour le site  Wanderer - 16 juillet 2024

 

Avignon, Jardin de Mons (Maison jean Vilar), samedi 13 juillet 2024, 22h

 

 

Sortant du dédale de couloirs qui mènent au Jardin de Mons, on retrouve les lieux avec une certaine familiarité. Pas de ballon lumineux imposant cette année

 

 

 

Pour notre première soirée avignonnaise, revenir au jardin de Mons adossé à la Maison Jen Vilar, a quelque chose de réjouissant. C’est dans ce même lieu caché à la vue de la foule arpentant le secteur du Palais des Papes durant la période du Festival, que nous avions vu l’an passé Le Songe par Gwenaël Morin. Et nous avions beaucoup aimé sa mise en scène endiablée, portée par quatre comédiens survoltés, pulvérisant le tragique pour qu’émerge la comédie et l’idée que « la tragédie peut être drôle », comme nous l’écrivions alors. C’est donc plein d’enthousiasme que nous nous sommes rendus au même endroit pour découvrir ce que le très inspiré metteur en scène a imaginé pour adapter le célèbre roman de Cervantès – ce qui n’est pas habituel chez lui, plus attaché aux textes du répertoire – mettant à l’honneur la langue et la culture espagnole célébrée lors de cette édition du Festival, poursuivant aussi son projet au titre savoureux : Démonter les remparts pour finir le pont. Dirigeant quatre autres comédiens tout à fait remarquables – Jeanne Balibar, Marie-Noëlle, Thierry Dupont et Léo Martin – Gwenaël Morin a choisi de moins s’intéresser aux aventures vécues par « l’ingénieux Hidalgo » qu’à celles qui peuplent son esprit fécond et vagabondant entre illusions et moments de vive acuité sur le monde. Une fois encore, nous avons beaucoup aimé et en rendons compte ici.

 

 

Sortant du dédale de couloirs qui mènent au Jardin de Mons, on retrouve les lieux avec une certaine familiarité. Pas de ballon lumineux imposant cette année mais, à la place, un voile tendu entre les arbres à travers lequel plusieurs ambiances lumineuses seront diffusées. Par contre, on reconnaît sans effort le fatras remplissant l’espace de jeu, déjà remarquable l’an passé, ou encore le clavier au milieu de la végétation du jardin. Le lieu est toujours étrangement silencieux, protégé par ses murailles des bruits du cœur de ville. Prenant place dans les gradins, du côté du mur mitoyen avec le Palais des Papes, on ne remarque aucune présence des artistes, seulement le personnel du Festival attentif à ce que les spectateurs soient bien installés. Au fond du jardin, on perçoit les portes vitrées et les fenêtres de la Maison Jean Vilar. Une des portes est ouverte et laisse passer une faible lumière au fond d’un couloir où on croit voir passer des ombres. Il reste qu’on retrouve l’environnement scénographique de Gwénaël Morin et que l’on semble presque revenu au Songe de l’été 2023. Ou plutôt à une continuité de ce Songe qui, sans l’usage d’une potion sur les paupières, pourrait devenir celui de « notre Hidalgo » mauvais lecteur (?) de romans de chevalerie. Un Songe éveillé sur un monde fantasmé, idéalisé et inquiétant à la fois. Le Songe de Don Quichotte fuyant le réel pour entrer dans une errance qu’il considère comme une autre voie possible, comme une liberté retrouvée.

 

Le Jardin de Mons se fige peu à peu dans la lumière des projecteurs et Marie-Noëlle surgit de derrière les gradins. Elle vient se placer au-devant des spectateurs, brochure en main. Le silence s’installe pour l’écouter tandis qu’elle commence à lire. « Dans une bourgade de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom… » En authentique narratrice incarnée, elle nous fait pénétrer dans l’histoire du célèbre hidalgo. Mettant à bas les conventions théâtrales, cette ouverture propre à ce qu’on connaît de Gwenaël Morin, n’est pas sans rappeler le tableau informatif du Songe l’an passé. L’univers de la fable se constitue peu à peu, presque de façon artisanale – rien de péjoratif ici – avec les mots de la comédienne, convoquant le pouvoir prodigieusement évocateur de son récit à voix haute sur les spectateurs, ce qui n’est pas sans annoncer les effets de ce que le héros a lu sur son propre esprit. Le texte est fidèle à l’original, le ton est enjoué, un peu gouailleur même. Elle campe Rocinante, le cheval qui conduit son maître sur les chemins de son errance, et nous avec.

 

C’est alors qu’apparaît à son tour Jeanne Balibar, elle aussi arrivant de derrière les gradins, côté cour. Vêtue d’une chemise de nuit fleurie, des tongs aux pieds, elle porte quelques bagues brillantes sur ses doigts aux ongles vernis de rouge. La tenue a de quoi étonner : est-elle Quichotte ? Peut-être échappé d’un institut médicalisé ? Ou bien une Dulcinée en tenue de nuit ? – on pense au moment où s’étant déshabillée pour l’autodafé, elle se retrouvera allongée en sous-vêtements sur un lit de branchage, image d’une Odalisque moderne en plein sommeil. Le questionnement est cependant promptement évacué : elle s’avance d’un pas décidé vers une table sur laquelle se trouve une planche de bois qu’elle entreprend de frapper frénétiquement à l’aide d’un marteau. Et ce martèlement suffit à faire d’elle un Don Quichotte « véritable ».

 

Par ce geste symbolique et fondateur ici, elle devient le héros qui n’aura de cesse de donner des coups dans la planche solide du réel, sans effets particuliers pour autant mais sans qu’elle ne renonce pour autant. Ainsi, on assiste en direct à l’entrée en scène du célèbre hidalgo.

Placés à jardin, deux hommes se trouvent côte à côte, vêtus de façon ordinaire, portant jeans pour l’un et bermuda pour l’autre : il s’agit des comédiens Thierry Dupont de la compagnie de l’Oiseau-Mouche, rassemblant des artistes en situation de handicap et de Léo Martin qui, muni lui aussi d’une brochure, tient lieu d’assistant – l’artisanat toujours. Rappelons qu’avant d’être perturbée par les coups de marteau de sa partenaire, Marie-Noëlle avait fait entendre cette célèbre phrase du roman de Cervantès soulignant un impératif dans le récit : « ne pas s’écarter d’un atome de la vérité ». Et cela prend une valeur tout à fait programmatique pour Don Quichotte dans l’esprit duquel nous nous ouvrons à sa vérité sur le monde.

 

 

Le metteur en scène n’ayant pas du tout cherché à reconstituer l’itinéraire du héros suivant le roman, s’étant plutôt comme il le dit « emparé du texte par effraction », nous fait d’emblée pénétrer dans une reconstitution de l’espace mental du héros, riche en théâtralités multiples.

Et cela offre aux comédiens des moments de jeu tout à fait jubilatoires. On peut s’attacher à l’utilisation des accessoires toujours empreints d’une grande simplicité, presque enfantine avec l’équipement de carton et de bois du chevalier qui se plie, se casse même. N’oublions pas l’utilisation d’une table de jardin en plastique pour incarner un cheval, tiré par Thierry Dupont qui lui parle et le fait alors exister. Citons l’épisode où Quichotte voit des dames de haute condition là où se trouvent des prostituées qui se trouvent être… des spectatrices sur les gradins. Marie-Noëlle intervient, l’air plus goguenard que jamais, « parce que les gens ne vont pas comprendre » si on n’explique pas. Elle précise qui sont les filles de joie supposées tandis que sa partenaire jouant Quichotte regarde tout cela avec une méfiance certaine. Citons aussi les débats autour de la « truitelle » qui conduira plus tard Jeanne Balibar jusque dans le public. Alors que tous sont en désaccord sur la nature de ce qu’est une truitelle, Léo Martin ne cesse de poser la boîte en carton faisant office de casque sur la tête de Jeanne Balibar qui le retire au même instant avant que tout ne recommence plusieurs fois de suite, sous les éclats de rire du public. Sans oublier les moulins que jouent les spectateurs dirigés par un Thierry Dupont, le bienveillant serviteur Sancho Panza s’improvise chef de chœur, leur faisant entonner « La Chanson des Moulins », leur faisant exécuter également des mouvements circulaires avec les bras.

 

Bien sûr, comme dans le roman, Don Quichotte est confronté à des moqueries – celles du public – à des violences aussi : il est souvent roué de coups et se retrouve à terre. Pourtant, il résiste et Jeanne Balibar lui confère une capacité à tenir bon tout à fait remarquable, sûr de lui dans sa folie, dans la quête de sa Dulcinée invisible dont la comédienne peut être un mirage spéculaire aussi – troublante quand elle interroge le vide : « Où es-tu ? Où es-tu ma Dame ? ». Mais par-dessus tout, elle lui confère la capacité à faire vaciller les certitudes.

Comme le rappelle Maxime Decout dans son essai tout à fait passionnant intitulé Eloge du mauvais lecteur (Éditions de Minuit, 2021), « on réprouve le mauvais lecteur qui se retranche du groupe ». Et c’est bien là de Don Quichotte qu’il s’agit. Lui, le marginal qui « lisait tellement que son cerveau se dessécha et qu’il finit par perdre la raison ». Sous l’impulsion de Gwenaël Morin et de ses époustouflants comédiens, le Jardin de Mons devient une géographie imaginaire, délirante qui repousse les limites raisonnables des possibles par le pouvoir de la parole, avec euphorie et parfois un peu d’inquiétude aussi. L’interminable autodafé où tout est jeté du côté de la maison Jean Vilar, les livres, les vêtements que portent les comédiens, tout cela prend les allures d’une destruction quelque peu angoissée du champ de la fiction. « Oui, avoue le chevalier, je suis peut-être fou, mais à tout prendre je le suis moins que la société où nous vivons ». Et c’est peut-être ici, l’endroit où la mise en scène nous conduit précisément afin de nous permettre de regarder en face un réel souvent désespérant, en ayant recours à la fécondité de l’imaginaire et au spectacle absolument vivant que le théâtre en offre.

 

 

Quichotte
d'après Miguel de Cervantes
Adaptation, mise en scène et scénographie : Gwenaël Morin
Avec Jeanne Balibar, Thierry Dupont, Marie-Noëlle, Léo Martin
Lumière : Philippe Gladieux
Assistanat à la mise en scène : Léo Martin
Travail vocal : Myriam Djemour
Costumes : Elsa Depardieu
Régie générale et lumière : Loïc Even
Régie plateau : Jules Guittier

Production et diffusion : Lison Bellanger, Emmanuelle Ossena, Charlotte Pesle Beal (Epoc productions)
Production déléguée : Compagnie Gwenaël Morin – Théâtre Permanent

Coproduction : Festival d’Avignon, La Villette (Paris), Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Bonlieu Scène nationale d’Annecy, Théâtre Garonne Scène européenne (Toulouse), Les Célestins Théâtre de Lyon, L’Oiseau Mouche (Roubaix), Théâtre du Bois de l'Aune (Aix-en-Provence), Théâtre Sorano Scène conventionnée (Toulouse),Théâtre Saint-Gervais (Genève), Malraux Scène nationale Chambéry Savoie

Avec le soutien du ministère de la Culture Drac Auvergne-Rhône-Alpes, Ensatt
Résidences : Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, La Ménagerie de verre (Paris), La Villette (Paris), Festival d’Avignon, Maison Jean Vilar (Avignon)
La compagnie Gwenaël Morin – Théâtre Permanent est conventionnée par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes.
L’Oiseau Mouche Roubaix est en production déléguée pour Thierry Dupont.
Gwenaël Morin est artiste associé au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine et à Bonlieu Scène nationale d’Annecy.

Don Quichotte de Miguel de Cervantes, traduction Jean-Raymond Fanlo, est publié aux éditions Le Livre de Poche

 

Création : 1er Juillet 2024 au Festival d’Avignon

 

Jusqu'au 20 juillet - Jardin de Mons 

 
 
 
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July 16, 2024 7:12 AM
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Courir au théâtre pour le sauver : Œuvrer son cri, création collective, sur une proposition de Sacha Ribeiro

Courir au théâtre pour le sauver : Œuvrer son cri, création collective, sur une proposition de Sacha Ribeiro | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet pour le blog Wanderer - 15 juillet 2024

 

Avignon, Festival OFF, Théâtre des Carmes André Benedetto, Samedi 13 juillet 2024, 16h05
 
 

Poursuivant nos vagabondages dans Avignon, nous arrivons au Théâtre des Carmes André Benedetto, lieu historique de la création du Off, en marge du Festival d’Avignon devenu alors In. Et c’est un autre formidable travail qui y est présenté en cette chaude après-midi où célébrités comme anonymes cherchent l’ombre. Il s’agit d’Œuvrer son cri, spectacle de la compagnie Courir à la Catastrophe – titre à sens multiples, possiblement annonciateur des sujets politiques que les artistes veulent porter à la scène. L’argument paraît simple : forts de l’expérience que d’autres ont vécue à l’Odéon en 1968 ou encore au Teatro Valle de Rome dans les années 2010, une poignée d’artistes décide d’occuper un théâtre fermé. Symbole fort ici, il s’agit bien entendu du Théâtre des Carmes, suivant la supposée volonté de la mairie d’Avignon. Les occupants investissent donc les lieux. L’un d’entre eux a d’ailleurs « le projet d’écrire une pièce sur l’occupation d’un théâtre ». Tous vont surtout devoir se confronter – et le public avec eux – à la question cruciale, fondatrice de chaque lutte : Que faire ?  Devant cette mise en abîme inattendue et ce programme suscitant particulièrement l’intérêt en cet été 2024, nous ne pouvions pas manquer pareil rendez-vous dans le Off.

 

 

La salle se remplit et, prenant place dans la fraîcheur du lieu, on est surpris par l’impression d’abandon qui y règne – déjà. Le plateau est vide. Seul, un néon luit faiblement sur un retour du mur au lointain. Le théâtre des Carmes s’offre aux yeux des spectateurs dans sa nudité, laissant deviner les passerelles dans les cintres, ne dissimulant pas les éclats dans le crépi sur les piliers bordant la scène. Un écran en surplomb s’allume alors : on apprend que l’endroit serait définitivement fermé. Plusieurs personnes vont se succéder devant la caméra de ce qui pourrait être le reportage d’un collectif d’artistes s’apprêtant à occuper le théâtre. Chacune, chacun s’exprime faisant part de ses convictions (« Le choix du lieu est important », « Le théâtre est un lieu où on pense le monde »), de ses doutes (« J’ai peur d’être déçue, peur que cela ne soit pas aussi nécessaire »), de ses douleurs intérieures (« Le monde tel qu’il existe nous fait nous sentir seuls »). Et la question qui les hante toutes et tous surgit : qu’est-ce que cela va changer ? Toutes et tous semblent également convaincus qu’ils vont se faire expulser mais tout cela aboutit à l’idée de faire de cette action « un spectacle », ce qui ne manque a priori ni d’audace ni de pertinence. Nous entraînant dans cette folle mise en abîme, on voit les occupants se dirigeant vers le Théâtre des Carmes et par un habile cut qui éteint l’écran, les comédiens entrent dans le théâtre par l’accès qu’ils avaient empruntés dans la vidéo.

 

 

On est instantanément saisi par le mouvement – assez long pour créer un bel effet de réel – par lequel la troupe s’installe et s’organise. D’abord par l’utilisation de lampes torches, dans une obscurité de circonstances, c’est avec des éclairages de théâtre – on apprendra que les occupants sont parvenus à se brancher entre autres sur le réseau électrique de la ville – que l’on découvre les débuts de leur occupation. L’illusion fonctionne à merveille et on se surprend à se demander quelle place les spectateurs vont prendre dans ce dispositif, dans cette action politique. La présence du public devient presque incongrue et on est quelque peu déstabilisé par la situation dans laquelle on est soi-même finalement embarqué. S’agit-il d’une occupation sérieusement envisagée ? D’une répétition ? Du spectacle de cette même occupation ? La place de chacune, de chacun est labile, peu sûre.

 

Chaque comédien, chaque artiste est en action : on installe des tréteaux, des portants avec des costumes, une table autour de laquelle on peut se réunir, se restaurer… Du transport à l’installation progressive de la communauté dans un joyeux et imposant bric-à-brac, on voit les artistes en lutte « saisis par le réel envahissant du combat qu’ils sont en train de mener » avec une grande netteté, dans un réalisme presque documentaire – il est à noter que chaque représentation du spectacle utilise le théâtre accueillant la compagnie qui s’informe avec précision sur l’histoire du lieu.

Les personnages apparaissent alors : chaque artiste se met en scène dans la situation, dans l’environnement local. Ainsi, Alicia rejoint les occupants, après leur avoir livré des pizzas, préparées dans la pizzeria de son oncle censée se situer près de la place des Carmes. La torsion du réel fait partie de la mécanique du spectacle : chacune, chacun évolue en partant de soi, suivant la trajectoire que dessine le spectacle, unique en chaque lieu investi. « Nous avons fait en sorte de nous sentir bien ici » affirme l’un des comédiens. La phrase prend une résonance toute particulière qui rend l’expérience unique pour tout le monde, artistes et spectateurs.

 

 

Tout se déploie en temps réel – presque le seul réel sensible ici : Léa ne parle pas car son texte n’est pas encore écrit ; il faut changer l’eau du poisson de Simon baptisé « Pierre Richard », sorte de MacGuffin hitchcockien dont une des comédiennes révélera qu’elle l’a remplacé par un autre après l’avoir jeté dans l’évier par mégarde ; les cigarettes se fument, s’écrasent…

Les comédiens font leur métier : ils jouent et, à vue, descendent dans le public pour incarner des gens assistant à une « consultation citoyenne », comme l’une des comédiennes l’écrit à la craie sur un tableau noir. Le micro circule dans le public et laisse entendre un flot de paroles libres proférées par des personnages divers : Brigitte qui cherche des sopranos pour sa chorale et se demande si occuper le théâtre pour le faire vivre n’est finalement pas « déresponsabiliser l’Etat de ses missions » ; un membre du conseil municipal qui, lui, soutient l’action de l’Etat, respectant « ses devoirs et ses missions » tandis qu’une femme au balcon le gratifie d’un « connard ! » retentissant ; une spectatrice du In portant un masque chirurgical et qui lance un ironique « bas les masques ! » , s’inquiète de l’émergence de nouvelles populations dans le quartier suite à cette occupation – ce à quoi une des comédiennes sur scène souligne à quel point elle a raison du fait de la présence de groupes sympathisants avec les idées d’extrême droite. Bas les masques donc – et dans la salle, le public exulte.

 

Cependant, au-delà de ces moments de concorde apparents, les premières difficultés fissurent la consultation citoyenne alors initiée. Un autre personnage nommé Candice explose : n’ayant pas obtenu son intermittence, ne disposant pas de lieu pour répéter, elle escomptait utiliser le théâtre des Carmes qui a finalement été laissé à un autre collectif. Folle de rage, elle reproche aux occupants d’adopter des réflexes de copinages, de suivre un fonctionnement de réseaux… Même si on lui rappelle que le théâtre « n’est pas juste un lieu de répétition », la dispute s’envenime jusqu’à la prise de parole d’une jeune femme qui déplore que « la jeunesse [ne soit] pas armée pour cette lutte », qu’on ne « [construise] rien pour l’avenir ». S’ensuit un silence gêné. Sur scène, Simon repositionne le débat : « Le théâtre ne peut pas être au même plan que la lutte militante » Il peut cependant « construire d’autres possibles ». Et ce n’est pas rien dans un monde si déréalisé.

 

Dans un foisonnement particulièrement fécond, la troupe de jeunes comédiens poursuit l’expérience et nous invite à réinventer – réenchanter ? – le monde ensemble sur une ligne de crête entre fiction et réel.

 

Le spectacle théâtral se joue, fait apparaître par exemple Bertolt Brecht formidablement joué par Logan de Carvalho, offre d’authentiques moments de comédie comme le pétage de plombs de Marie autour du repas provençal, sujet de débat futile entre tous – un régal de rire !

Pourtant, le spectacle doit se finir et il faut quitter les lieux : l’occupation n’a pas permis d’échapper à un résultat décevant. Sortir devient nécessaire – du théâtre des Carmes pour les personnages, de scène pour tous les comédiens.

 

C’est avec La Danse de Matisse – reproduite en traits blancs avec un fond noir sur des panneaux – que cette sortie se prépare résolument :  les objets sur scène sont empilés, les comédiens se costument avec des éléments hétéroclites et entament une marche cadencée par des mouvements saccadés – incluant un bras d’honneur sans équivoque. Ils sortent de scène et l’écran se rallume pour montrer leur sortie sur la place des Carmes, dans Avignon, sur le pont de l’Europe, sur le chemin de l’Ïle Piot pour terminer. Écran noir mais fin de la représentation dans une vraie joie. Et c’est une standing ovation qui accueille les comédiens et le metteur en scène, Sacha Ribeiro, venus saluer.

 

« Écrit comme un texte à trous », ce spectacle présenté par des transfuges de l’ENSATT, est une merveille d’intelligence. Loin de tout dogmatisme, ces jeunes gens nous interpellent distinctement dans leur volonté de « faire une nouvelle maison » au théâtre sans évacuer les limites, les difficultés et les ratages que pareille entreprise comporte dans un monde si souvent dérégulé, ici comme ailleurs. Avec Œuvrer son cri, ces jeunes artistes revitalisent l’idée d’une lutte, sans vanité ni arrogance, portée par une véritable puissance jubilatoire et créatrice, réinstallant le théâtre de plain-pied dans le champ des idées. Pour « essayer encore, rater encore, rater mieux » comme le dit Beckett. Et cela fait un bien fou.

 

 

Mise en scène :  Sacha Ribeiro
Écriture collective d’après une proposition de Sacha Ribeiro
Scénographie : Camille Davy
Lumières : Clément Soumy
Costumes : Léa Émonet
Vidéo : Jules Bocquet
Son : Nicolas Hadot

Avec : Lucie Auclair, Logan De Carvalho, Alicia Devidal, Marie Menechi, Lisa Paris, Clément Soumy, Simon Terrenoire et Alice Vannier

Production : Courir à la Catastrophe

Coproductions : Théâtre des Célestins – Lyon, Théâtre de la Cité internationale – Paris

 

Avignon off, Théâtre des Carmes André Benedetto, jusqu'au 21 juillet, 16h05

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July 16, 2024 5:14 AM
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Tiago RODRIGUES, directeur du Festival d'Avignon : Révélations sur Hécube - Itw Exclusive Mlascene

Vidéo publiée par le site Mlascene.fr

Entretien avec Tiago Rodrigues - le 15 juillet 2024

 

Découvrez l'interview exclusive de Tiago Rodrigues, directeur du Festival d'Avignon et metteur en scène du spectacle "Hécube, pas Hécube". Cette discussion passionnante, menée par Marie-Laure Barbaud, Rédactrice en cheffe du web media M la Scène, dévoile les secrets et les inspirations derrière cette création théâtrale.

 

🌟 Retrouvez toutes nos critiques de spectacles sur M la Scène : https://mlascene.fr

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July 15, 2024 11:37 AM
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La langue arabe invitée à la prochaine édition du Festival d’Avignon 

La langue arabe invitée à la prochaine édition du Festival d’Avignon  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc dans Libération - 15 juillet 2024

 

 

Lors d’une rencontre avec le public ce lundi 15 juillet, les directeurs du Festival ont annoncé quelques axes qui dirigeront la saison prochaine. Au programme : langue arabe en invitée de l’édition 2025, et de la danse au Palais des Papes, avec la chorégraphe Marlene Montero Freitas.

 

 

Devant une dizaine de bancs en bois de la cour du Cloître Saint-Louis où spectateurs, artistes et journalistes se serraient en rang d’oignons ce lundi 15 juillet, Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon, et Pierre Gendronneau, son directeur délégué, ont levé le rideau sur quelques choix de la prochaine édition, et fait un bilan de la fréquentation alors que le festival attaque sa troisième et dernière semaine. L’ouverture avancée d’une semaine de l’événement (en raison des Jeux olympiques) et la dissolution surprise de l’Assemblée nationale on bien provoqué un «ralentissement» des réservations, ont-ils confirmé, mais n’ont pas eu d’effet dévastateur. Pierre Gendronneau a annoncé un taux de fréquentation de 92% pour la première semaine et de 97% pour la seconde. Sur la totalité de sa dernière édition, le Festival avait déclaré un taux de participation de 94%.

 

Pour son édition 2025, la langue arabe sera l’invitée du Festival «In», et Marlene Montero Freitas chorégraphiera le spectacle d’ouverture dans la cour du Palais des Papes. La chorégraphe cap-verdienne, qui avait remporté un lion d’argent à la Biennale de Venise en 2018, sera aussi «l’artiste complice» de cette édition, récupérant ainsi le flambeau que tenait Boris Charmatz cet été.

Après l’anglais et, cette année, l’espagnol, la langue arabe sera donc mise à l’honneur pour cette troisième édition dirigée par le metteur en scène portugais, choix assorti d’un partenariat avec l’Institut du monde arabe, dont le directeur, Jack Lang, participait à cette rencontre avec le public. «Une langue pont», explique Rodrigues, «d’une énorme richesse patrimoniale, d’une énorme diversité contemporaine, mais qui nous a aussi fait parvenir à travers les siècles de nombreuses connaissances». Pour Jack Lang, cette langue est avant tout un dialecte «multiséculaire», parlé par «les juifs, les musulmans, les chrétiens, les non-croyants». C’est un sujet de connaissances et d’art, raison aussi pour laquelle l’arabe avait été enseigné au Collège de France, sur décision de François Ier, rappelle-t-il.

 

Un choix qui résonne aussi politiquement, comme le rappelle l’ancien ministre de la Culture sur scène, car la langue arabe fait, selon lui, l’objet de «clichés» et de «mépris», qui sont «cultivés par le parti dont on a évité l’accès au pouvoir». Mais ce n’est pourtant «pas un choix qui s’inscrit dans le contexte politique», explique Tiago Rodrigues à Libération, car «l’arabe le précédait. […] C’est un choix profondément culturel et artistique». Le directeur promet d’offrir au public «la richesse, les lumières, la connaissance qui encapsulent cette langue historiquement, mais aussi aujourd’hui».

 

Depuis deux semaines, le Festival d’Avignon n’a pas eu peur de s’engager, comme lors de sa «Nuit d’Avignon», organisée le 4 juillet pour lutter contre l’extrême droite, dont Rodrigues s’est félicité. Il a aussi dit son étonnement face à certaines critiques lui reprochant sa prise de parole politique en tant que directeur de Festival : «Imaginez que quelqu’un dise cela à Jean Vilar.»

 

Lara Clerc / LIBERATION 

 

Légende photo : Répétition de «Hécube, pas Hécube», mis en scène par Tiago Rodrigues. (Clément Mahoudeau/AFP)

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July 14, 2024 6:14 PM
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A Avignon, Richard III mis en abyme par Gabriel Calderón

A Avignon, Richard III mis en abyme par Gabriel Calderón | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Sonya Faure dans Libération , publié le 14 juillet 2024

 

 

Un comédien brillant et aigri doit jouer «Richard III» et finit par se confondre avec son personnage. Variation sur la tragédie de Shakespeare, la pièce de l’auteur et metteur en scène uruguayen est avant tout une impressionnante performance d’acteur, autour d’un texte acide.
 

Après Avignon, une école de Fanny de Chaillé, après Hécube pas Hécube de Tiago Rodrigues qui montrait déjà les coulisses d’une tragédie, et avant Forever, l’hommage du chorégraphe Boris Charmatz à Pina Bausch, nous voilà encore, dans ce Festival d’Avignon, face à une histoire de théâtre et d’incarnation.

Història d’un Senglar, o alguna cosa de Ricard (Histoire d’un sanglier, ou quelque chose de Richard) est d’abord la performance d’un acteur, Joan Carreras, seul sur la scène pendant la grosse heure que dure le spectacle. Cinglant, logorrhéique, un peu inquiétant. Dans un petit décor de théâtre à l’ancienne, avec ses pans de bois, ses cordes et ses poulies, Joan Carreras incarne un comédien longtemps méprisé à qui on vient de proposer le rôle d’une vie, de sa vie en tout cas : le tyrannique et sanguinaire Richard III de Shakespeare.

On le comprend vite, ce comédien a bien ce «quelque chose de Richard» dont parle le sous-titre de la pièce. Plus elle avance et plus il se confond avec le personnage shakespearien, malheureux et mal aimé, aigre, ambitieux, peut-être même dangereux. Nul n’est à sa hauteur, ni ce metteur en scène «minable», ni les autres acteurs «débiles» – ne parlons pas des actrices. Manipulateur et brutal (comme un sanglier, l’animal dont il s’inspire pour jouer Richard III), misogyne et misanthrope, le comédien va tenter de reprendre le pouvoir sur le Richard III que la troupe répète, de renverser le metteur en scène. Nul autre que lui ne doit orchestrer cette pièce.

 

«Donc, voici l’hiver de notre déplaisir.» Quelque chose de Richard, car il reste encore de la tragédie de Shakespeare dans le texte acide de Gabriel Calderón, dans ce monologue aux mots qui se précipitent et se bouffent – c’est d’ailleurs un problème : même les sous-titres qui traduisent la pièce depuis le catalan, au-dessus du plateau, sont à la peine tant l’acteur régurgite à une vitesse folle le texte. Au début du spectacle il a prévenu : «On ne peut gaver notre esprit de vers parce qu’il les repousse, se froisse et vomit.» A plusieurs reprises, il intime : «Mastiquez.»

 

 

Comme Richard III, l’odieux comédien a le corps de travers et comme Richard III, il regrette d’être le contemporain d’une «molle époque de paix». Il mène une «lutte désespérée» pour le théâtre, pour ce temps fantasmé du passé où «contre vents et marées, l’acteur jouait». Une guerre. Dans son petit théâtre à cordes et poulies, il fait le vide : dehors les dramaturges, «obscurs curés éloignés de la scène», les prix décernés par les «critiques myopes», dehors «les techniciens, les scénographes, les flics de l’esthétique» – sans qu’on comprenne bien ce que Gabriel Calderón veut nous dire, lui, sur le théâtre et son devenir. Richard fait le vide autour de lui, ne reste plus qu’une troupe d’acteurs clairsemée et nous, le public, auquel au fil de la pièce il s’est de plus en plus directement adressé. Mais combien de temps trouverons-nous encore grâce à ses yeux ? «Mon royaume pour un spectateur intelligent.»

Historia d’un senglar (o alguna cosa de Ricard) de Gabriel Calderon, les 14, 19, 20 et 21 juillet à 19h00 au Théâtre Benoît-XII. Durée: 1h10.

Sonya Faure / Libération 

 

 

Légende photo : La pièce est d’abord la performance d’un acteur, Joan Carreras, seul sur la scène pendant la grosse heure que dure le spectacle. (Christophe Raynaud de Lage)

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July 13, 2024 8:05 AM
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Le top 10 de la semaine du service culture de Libération  : «Soliloquio» à Avignon, "Cadeau", "Une pièce sous influence", "Niagara 3000" ....

Le top 10 de la semaine du service culture de Libération  : «Soliloquio» à Avignon, "Cadeau", "Une pièce sous influence", "Niagara 3000" .... | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par le Service Culture de Libération - 12 juillet 2024

 

 

Théâtre

«Soliloquio» de Tiziano Cruz

Véritable révélation du «In» d’Avignon, le metteur en scène argentin s’inspire de sa correspondance avec sa mère pendant le confinement pour transformer sa colère froide en réquisitoire contre la discrimination des corps autochtones dans son pays d’origine. Au gymnase du lycée Mistral, à Avignon, jusqu’au 13 juillet.

«Cadeau» de Paul Courlet

Dans sa première pièce de théâtre, l’artiste sonore Paul Courlet nous entraîne dans une forêt surréelle, sans aucun décor ni vidéo. Un voyage résonnant qui ne laisse pas de bois. Dans la sélection suisse au Festival Off d’Avignon, au Train Bleu jusqu’au 17 juillet.

«Une pièce sous influence» de Sophie Lebrun et Martin Legros

Entre la pure drôlerie et le drame, le spectacle du collectif la Cohue dresse le beau portrait d’une femme sur le fil et parvient avec maîtrise à tisser l’absurde, la douleur et le rire. Jusqu’au 21 juillet au théâtre 11, à Avignon.

 

«Niagara 3000» de Pamina de Coulon

Dans une performance survoltée, la géniale comédienne suisse réinvente le spectacle engagé tambour battant avec son débit torrentiel et sa force de conviction réjouissante. Dans le cadre de la sélection suisse en Avignon, à la Manufacture jusqu’au 14 juillet, puis en tournée.

 

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July 12, 2024 12:59 PM
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Le projet d’Émilie Rousset pour le Centre dramatique national d’Orléans

Le projet d’Émilie Rousset pour le Centre dramatique national d’Orléans | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'Artcena - 24 juin 2024

 

La metteuse en scène souhaite faire du CDN un lieu de création et de réflexion ancré dans la société actuelle, en y associant un collectif d’artistes européens ainsi que l’ensemble des forces vives du territoire.

 

Appelée à prendre pour la première fois la direction d’un lieu, Émilie Rousset voit dans cette nouvelle aventure « le prolongement » de son activité de compagnie (John Corporation) et l’opportunité de défendre au sein d’une institution les lignes esthétiques et les positionnements politiques qui l’animent depuis toujours : agréger des communautés de réflexion et de pensée et générer des rapports singuliers avec les spectateurs. « La perspective de m’établir sur un territoire et de rencontrer des publics durant plusieurs saisons, avec mes pièces et celles des créateur.rices que je convierai, me séduit également », ajoute la future directrice du Centre dramatique national d’Orléans.

 

 

Le projet qu’elle a défini s’articulera autour de trois temps forts. Le premier, intitulé « la Biennale de printemps », rassemblera des œuvres créées in situ, dans des lieux non dédiés de la ville (intérieurs ou extérieurs, tels des parkings ou des centres commerciaux) et du territoire ; une pratique qu’Émilie Rousset juge « stimulante » intellectuellement et artistiquement, dans la façon même aussi d’envisager la production de spectacles, et qui permettra d’inclure des amateurs, des artistes locaux, des performeurs, voire, le cas échéant, des habitants. Imaginé comme un « Focus jeunesse », le deuxième événement fera la part belle à la littérature qui s’adresse aux adolescents et aux jeunes adultes. Le troisième enfin, « La Caverne », abritera un collectif d’artistes européens composé des metteur·euses en scène, réalisateur·rices Lola Arias, Marta Gornicka, Vanasay Khamphommala, Marcus Lindeen et Marianne Ségol-Samoy, Adeline Rosenstein, Gurshad Shaheman, Louise Hémon ainsi que de la scénographe Nadia Lauro (conceptrice du paysage intérieur de La Caverne) et de la chercheuse et curatrice Madeleine Planeix-Crocker. Tous partagent avec Émilie Rousset une appétence pour les sujets de société et cette capacité à allier la recherche documentaire et un travail formel novateur – recours au cinéma, à la performance ou à l’installation – qui, en repoussant les limites du théâtre, transcende le rapport au réel. Une fois par an, ils se réuniront pour échanger des idées, pérégriner aussi sur le territoire (en vue de la Biennale de printemps) à la rencontre de ses acteurs, d’associations et d’habitants susceptibles de nourrir leur écriture. Ces créateur.rices proposeront en outre des performances, des tours de chant, des conférences ou des projections de films.  

Tout au long de la saison, la programmation comprendra des productions régionales, nationales et internationales. Émile Rousset entend par ailleurs profiter de la présence, dans les murs du Théâtre d’Orléans, de la scène nationale et du Centre chorégraphique national (dont la nouvelle direction est en cours de recrutement), pour envisager des coopérations et des co-accueils. La notion de répertoire sera également mise à l’honneur, la metteuse en scène montrant la voie avec la reprise de La Reconstitution du Procès de Bobigny qu’elle a créée en 2019. « Il me semble important de présenter des pièces emblématiques du parcours d’un artiste. Continuer de faire vivre des spectacles participe aussi d’une démarche écologique », explique-t-elle.

Les Centres dramatiques nationaux ayant toutefois vocation à être des lieux de création, la directrice accordera notamment une attention particulière aux compagnies régionales émergentes, avec lesquelles elle entrera en dialogue sur leur travail et leur niveau de structuration. Des résidences – de création ou de laboratoire – s’avèreront propices à un accompagnement personnalisé, qui les aidera à franchir les étapes menant à une future programmation de leurs spectacles sur les plateaux de CDN ou de scènes nationales.  

 

Favorisée par la Biennale de printemps, la relation au territoire enfin s’incarnera également dans de nombreux partenariats que le CDN d’Orléans désire nouer, dans le cadre de propositions hors les murs (qui seront accentuées), avec des musées, des salles de concert, des théâtres de la ville et de la région Centre-Val de Loire, des festivals et des événements majeurs tels que Bourges, Capitale de la culture 2027.   

 

Alors qu’elle s’apprête à prendre ses fonctions le 1er juillet, Émilie Rousset souligne l’accueil positif que lui ont réservé l’équipe et le directeur par intérim, Jean-Michel Hossenlopp. Rassurée par une passation de pouvoir « en douceur », elle se dit en revanche très inquiète au regard du contexte politique actuel et des menaces que celui-ci fait peser sur la démocratie et l’égalité des droits pour les femmes, les personnes LGBT+, les personnes racisées et étrangères. Se définissant avant tout comme « une citoyenne qui doit lutter », la metteuse en scène garde néanmoins foi dans le service public et celui de la culture, ainsi que dans le rôle de rempart joué par l’art contre « les idées xénophobes, racistes, homophobes, transphobes, misogynes, de l’extrême droite ». « Je continue de croire que l’art, sa capacité de partage et de réflexions collectives, sont utiles à une société porteuse de valeurs humanistes et progressistes », conclut-elle. 

Crédit photo : © Martin Argyroglo

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July 12, 2024 12:45 PM
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Au Festival d’Avignon, Pamina de Coulon bien au-dessus du flot 

Au Festival d’Avignon, Pamina de Coulon bien au-dessus du flot  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Anne Diatkine dans Libération - 11 juillet 2024

 

Dans «Niagara 3 000», performance survoltée, la géniale comédienne suisse réinvente le spectacle engagé tambour battant avec son débit torrentiel et sa force de conviction réjouissante.

 

On ne s’y attendait pas, mais, oui, ça se confirme durant cette surprenante édition avignonnaise, le théâtre politique, militant et activiste – à une autre époque, on aurait dit engagé – n’est plus du tout synonyme de ringardise, leçons de moral ou cavalcade de truismes. La géniale Pamina de Coulon, cheveux blond rosé comme du champagne, vient encore de nous en administrer une enthousiasmante preuve avec Niagara 3000, quatrième volet d’une saga intitulée Fire of Emotions, le feu des émotions, présentée pour la première fois à Avignon, dans le cadre de l’excellente sélection suisse. Comment ça, quatrième volet ? Il y en aurait donc eu trois autres en douze ans ? Comment a-t-on pu passer à côté ?

Buvette fermée de la gare de Göschenen

Passer, tracer sa route sans regarder sur les bas-côtés, sans embrasser la totalité de ce qu’on rencontre, c’est justement tout ce que ne fait pas Pamina de Coulon qui emporte dans un flot ininterrompu de paroles, l’histoire du monde et celle de sa vie, le changement climatique, expression «trop mignonne» pour ce qu’elle désigne et le «No Picnic» inscrit sur les tables de la buvette fermée de la gare de Göschenen adossée aux montagnes si bien qu’il y fait toujours nuit, la lutte contre les limaces et celle contre la rouille déclarée ennemie numéro 1 par l’armée états-unienne. Et l’on voit bien par ces exemples épars combien le torrent Pamina de Coulon, qui charrie joyeusement une foule de ses lectures (de Kae Tempest à l’historien Jean-Baptiste Fressoz en passant par Rebecca Solnit et Isabelle Stengers), n’est pas transcriptible et du reste, de texte pour cette performance qui tient de l’essai parlé il n’y en a pas, juste une mind map (une carte mentale) distribuée à la sortie, à celles et ceux qui veulent garder une trace écrite du feu d’artifice verbal et émotif.

 

C’est une parole qui ne se cristallise jamais, ne se fige dans aucune raideur, mais attrape l’auditoire par sa manière de n’être jamais en avance sur lui, «ou peut-être juste de quatre, cinq secondes» dira la performeuse, tout en procédant par associations d’idées, sans craindre où elles vont nous mener et la conduire, la multitude de textes cités agissant à la manière des points d’appui qu’on est obligés de chercher sans aucune garantie, en escalade. «Je ne suis vraiment pas comédienne, je ne crois pas avoir une grande puissance d’interprète, je trouvais ça très étonnant de prononcer les mots des autres, déjà écrits. J’ai besoin d’être au présent, et de me dire : “Je viens de le dire comme ça, donc il faut que je continue par ce chemin”, et là, je parle au passé, donc, il faut que je poursuive au passé. Et tout ça me met dans un état qui est assez proche de celui des spectateurs qui sont en train de recevoir le spectacle.»

 

Deux cafés glacés

On est donc le lendemain matin, juste avant une autre représentation, face à Pamina de Coulon et deux cafés glacés, qui, de même que sur scène, semble à chacune de ses phrases exploser la gangue des mots et, pourquoi pas, la paroi mentale qui sépare chacun d’autrui. Pour le dire autrement : Pamina de Coulon, née il y a trente-sept ans au bord du lac Léman à Montreux, «le Nice de la Suisse», benjamine d’une famille aimante, dont les parents la prient aujourd’hui de dire qu’elle est orpheline pour qu’elle cesse de parler d’eux, est simplement sans conventions. Après des études à la Head, à Genève, dans la section art-action, elle est en résidence à l’L, dont la particularité radicale est de ne pas imposer à ses jeunes artistes-chercheurs un résultat. Cette absence revendiquée de rentabilité immédiate ancre sa manière de travailler chacun de ses spectacles pendant plusieurs années, lisant énormément, se saisissant de tout ce qu’elle entend, avant de construire, à la toute fin, une structure exigeante. Le mot «militant» n’effraie pas Pamina de Coulon pour qui ses performances sont indissociables de ses pratiques d’activiste antinucléaire mais pas que.

 

Conteuse ? «Mais oui, conteuse. Il y a douze ans, je récusais le terme. Aujourd’hui, je me revendique d’une tradition orale» et du stand-up anglophone – «tant que je peux rire des choses, c’est que j’ai encore le minimum de distance pour m’en protéger». Est-elle aussi fleuriste ? Peut-être mais sans qu’il soit question de commerce. Longtemps nomade, elle habite aujourd’hui entre la Suisse et la France une partie de l’année dans l’Ain à côté d’une ferme collective. Elle fait pousser des fleurs pour la ferme qui la nourrit en échange. «Par ce troc, ma subsistance est assurée. Je n’ai pas besoin de montrer plus mon travail pour me nourrir.» Pas de désir non plus de notoriété, donc. Si elle choisit aujourd’hui de tourner son spectacle avec ses partenaires de Boom’Structur, avec qui elle travaille depuis ses débuts, c’est simplement parce qu’elle en a envie. Car chaque représentation produit sur l’activiste le même effet que si elle avait pris «énormément d’ecstasy». Il y a une descente. La série ne peut donc jamais être très longue. «Même si je ne me cisaille pas le corps en public, j’éprouve le don et me vide. A la fin, je suis un petit fantôme.»

Niagara 3 000 de et par Pamina de Coulon à la Manufacture à 13 h 45 dans le cadre de la sélection suisse en Avignon jusqu’au 14 juillet. Du 11 au 13 février au Cent-Quatre puis 25 au 27 février 2025 à Orléans. Tournée en cours.

 

Anne Diatkine / Libération 

 

 

Retrouvez ici les recommandations de l’équipe théâtre de Libé, dans le In comme dans le Off du festival d’Avignon 2024.

 
Légende photo : «Fire of Emotions» est présenté pour la première fois à Avignon, dans le cadre de l’excellente sélection suisse. (Pascal Gely/Hans Lucas)

 

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July 19, 2024 10:12 AM
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Au festival d’Avignon, le plaisir du récit 

Au festival d’Avignon, le plaisir du récit  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Billet de Lucile Commeaux dans Libération - 18 juillet 2024

 

Empruntant les codes du thriller, du documentaire ou de la bonne série, de nombreux spectacles de l’édition 2024 du festival ont démontré que les recettes éprouvées de la narration n’avaient rien perdu de leur pouvoir pour attirer le public.

 

Vraie tendance perceptible dans l’édition 2024 du Festival d’Avignon : le plaisir de raconter des histoires, de faire confiance au récit, de coller à une narration classique, chronologique, avec péripéties et retournements. Lacrima, le spectacle de Caroline Guiela NGuyen, en illustre la réussite avec ces trois heures d’action pure tissées autour de la confection d’une robe de mariée royale, vers laquelle convergent des tas de petits récits secondaires : construit comme une très bonne série, le spectacle est la preuve que la forme télévisuelle et la forme théâtrale subventionnée peuvent se marier dans une sorte de bonne tambouille grand public, qui ne bouleverse rien, mais qui assurément se positionne comme LA bonne forme pour attirer le public.

Revers de la médaille, Lieux communs de Baptiste Amman tente une chronique de notre contemporain en empruntant au thriller et à la satire politique, mais sans vraiment soutenir notre attention, faute de singularité. Entre les deux, citons par exemple Los Dias Afuera de l’Argentine Lola Arias, dont la simplicité et la linéarité du dispositif surprennent : ce récit choral très premier degré d’ex-détenues ressemble à la fois à de la comédie musicale et à une série documentaire bourrée de petits récits ; ou encore Une ombre vorace de Mariano Pensotti, récit croisé et haletant avec pour héros un alpiniste partir sur les traces de son père. Au-dessus de tout ça, le merveilleux Quichotte de Gwénaël Morin réfléchit justement au plaisir de raconter des histoires, dans un spectacle fait de pas grand-chose, et tout entier porté par cette foi pure dans le présent de la fiction, sa grâce et son enchantement.

 

 

Lucile Commeaux / Libération 

 

Légende photo : «Une ombre vorace» de Mariano Pensotti au Festival d’Avignon. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

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July 19, 2024 8:53 AM
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Blanca Li prend ses marques à la tête de La Villette

Blanca Li prend ses marques à la tête de La Villette | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau et Sandrine Morel (Madrid, correspondante) pour Le Monde - 18 juillet 2024

 

 

La chorégraphe franco-espagnole, nommée présidente de l’établissement public parisien, espère en faire un lieu ouvert aux problématiques sociales et aux événements populaires.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/18/blanca-li-prend-ses-marques-a-la-tete-de-la-villette_6252273_3246.html

 

 

Rayonnante, énergique, ravie. Dans son nouveau bureau parisien ensoleillé, la chorégraphe Blanca Li, 60 ans, nommée le 5 juin présidente de l’établissement public du parc et de la Grande Halle de La Villette par décret du président de la République, Emmanuel Macron, est déjà comme un poisson dans l’eau. « J’adore être ici, s’exclame-t-elle, tout sourire, avec son accent espagnol intact après trente-deux ans de vie en France. J’aime Paris, c’est ma maison, c’est là que j’ai ma famille. » Franco-espagnole, elle est mariée à un Français d’origine coréenne. « Les quatre années que j’ai passées à Madrid, à la tête du Teatros del Canal, de 2019 à 2022, ont été compliquées, poursuit-elle. Il fallait sans cesse que je fasse des allers-retours le week-end pour passer du temps avec mes deux enfants. »

Tout coule, tout roule, donc, pour cette femme d’action et d’entreprise, personnalité dynamique émargeant également à la page people des magazines (elle est amie de longue date avec la maison Chanel), dont la nomination a fait l’effet d’une soudaine montée en puissance. Celle qui n’a jamais dirigé un centre chorégraphique national, mais a été élue à l’Académie des beaux-arts, en 2019, est surtout repérée pour ses productions artistiques grand public. Elle l’est nettement moins pour ses directions de lieux et de festivals. Avant le Teatros del Canal, on la retrouve au Centre andalou de danse, à Séville, en 2006, et à la tête du ballet du Komische Oper, à Berlin, où elle reste à peine un an, en 2002. Si elle ne donnait pas vraiment l’impression de désirer tenir les manettes d’une institution, c’est que son agenda ne semblait pas suffisamment élastique pour en diriger une.

Sans appréhension

Trois de ses spectacles tournent actuellement non-stop, dont l’installation numérique immersive en réalité virtuelle Le Bal de Paris. En avril, elle a collaboré pour Notre sacre, avec Abd al Malik et David Grimal, à la Philharmonie de Paris. Elle a présenté l’opéra Didon et Enée, le 7 juin, à Dijon. Elle annonce d’ores et déjà une création intitulée L’Ombre, prévue en 2025. Bref, elle a du pain sur la planche. « J’ai été nommée en tant qu’artiste, insiste-t-elle. Je suis une artiste avant tout. Je me réveille le matin et je suis artiste. J’ai besoin de mon travail d’artiste pour vivre, et je vais continuer à le faire. » Sa compagnie compte une trentaine d’interprètes, qui répètent dans un studio à Romainville (Seine-Saint-Denis). « On peut travailler n’importe où, maintenant, que l’on soit en Chine ou ici », souligne-t-elle en brandissant son téléphone portable.

 

La voilà donc prenant la succession de Didier Fusillier, parti en septembre 2023 pour devenir président de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais. « C’est lorsque j’ai appris que Didier s’en allait que j’ai immédiatement pensé que ce serait une superbe occasion, déclare-t-elle. J’ai écrit un projet et je l’ai envoyé en septembre [2023] à la ministre de la culture Rima Abdul Malak. » Huit mois plus tard, c’est Rachida Dati qui la fait entrer comme membre du conseil d’administration de l’établissement, « en vue, selon le communiqué du ministère de la culture, de [sa] nomination par le président de la République à la présidence de l’établissement public sur proposition du conseil d’administration ».

La voilà donc prête à prendre, sans appréhension, les rênes d’une des maisons les plus dotées de France. « La Villette est un lieu tellement dynamique, s’enthousiasme-t-elle. C’est une telle chance d’être là. » Les chiffres de La Villette pèsent lourd. Avec 215 salariés, cette enseigne unique, avec son parc et ses différents espaces, disposait en 2023 de 43 millions d’euros de budget – 20 millions de subventions et 23 millions de ressources propres. Le lieu a attiré 12 millions de visiteurs, dont 1 304 108 personnes pour les expositions et les spectacles. La saison 2024-2025 présente soixante-six pièces toutes disciplines confondues et affiche cinq festivals. « J’ai beaucoup appris au Teatros del Canal, insiste Blanca Li. Je programmais quatre salles et aussi le centre chorégraphique, avec neuf studios de répétition, où j’ai accueilli 250 compagnies pour des résidences de création. J’ai aussi appris à gérer l’aspect financier d’un lieu. »

 

Le Teatros del Canal, principal espace de création et de représentation des arts vivants dépendant de la communauté autonome de Madrid, bénéficie d’un soutien modeste, comme souvent en Espagne, d’environ 4 millions d’euros annuels. En 2019, lorsque Blanca Li en prend la tête, son apparition a des airs de revanche. « Je vais soutenir les artistes espagnols, particulièrement ceux de Madrid », promet-elle lors de son discours de présentation devant la presse. En rappelant qu’elle a dû quitter l’Espagne dans sa jeunesse parce qu’elle n’y avait pas trouvé de soutien. Pendant les cinq années suivantes, marquées par les conséquences de la pandémie de Covid-19, Blanca Li nourrit une programmation tournée vers l’avant-garde et les thématiques sociales contemporaines. Avec un succès certain. L’adaptation de l’œuvre de Suzie Miller, Prima Facie, avec Vicky Luengo, sur la violence de genre, présentée en août 2023 a été reprise, à guichets fermés, pendant les fêtes de fin d’année.

 

Elle a également créé une dotation de 300 000 euros pour des résidences d’artistes, lancé le festival Canal Connect, qui explore les liens entre nouvelles technologies et arts vivants, et fait entrer le hip-hop sur la scène artistique madrilène. Durant la saison 2022-2023, plus de 165 000 spectateurs ont assisté à quelques-uns des 243 spectacles à l’affiche, dont une centaine de concerts, une cinquantaine de pièces de théâtre et une quarantaine de spectacles de danse. Au total, le taux d’occupation des 565 représentations a été de 79 %, proche de la fréquentation prépandémie.

Mélange des rôles

Cependant, certains, dans le milieu culturel madrilène, lui reprochent, sous le couvert de l’anonymat, une programmation « brouillonne », mais aussi le mélange des rôles entre son poste de directrice artistique de Teatros del Canal et la diffusion de ses propres œuvres dans ses salles. « J’ai vendu deux de mes spectacles au prix normal et le troisième est une production Suresnes Cités Danse, qui le propose dans les mêmes conditions pour tout le monde, précise-t-elle. Je n’ai jamais monté de coproduction avec le Teatros del Canal. »

 

Son mandat aura surtout été marqué par une controverse sur la possible censure par le gouvernement régional de Madrid, très conservateur, d’une œuvre du dramaturge espagnol Paco Bezerra. Prévu pour la saison 2022-2023, le monologue Muero porque no muero (« je meurs parce que je ne meurs pas »), imaginant sainte Thérèse d’Avila droguée et prostituée sur la plaza Mayor de Madrid, avait été présélectionné par le réseau de théâtre européen Prospero. Officiellement pour des raisons budgétaires, le conseil d’administration de l’organisme public chargé de la validation de la programmation du Teatros del Canal l’a écarté cinq jours avant la présentation de la saison.

 

A ce qui tourne vite à la polémique, elle répond aujourd’hui : « Cette affaire est devenue très politique alors qu’il ne s’agissait, au début, que d’une obligation de couper dans mon programme à cause de réductions budgétaires. Trois spectacles ont été annulés, dont celui de Paco Bezerra, un point c’est tout. Il n’a jamais été question de censurer quoi que ce soit. » En décembre 2022, plus d’une centaine de personnalités du monde de la culture, dont les réalisateurs Pedro Almodovar ou Rodrigo Sorogoyen et l’acteur Javier Bardem, ont signé un manifeste de soutien à Paco Bezerra, demandant à stopper l’« ingérence politique ». Le texte critique aussi Blanca Li pour avoir « défendu et accepté, comme si c’était normal, que quatre postes politiques décident de sa programmation », et évoque le risque que « l’autocensure s’implante dans les mentalités ».

Blanca Li préfère ne conserver de cette période au Teatros del Canal que du bon. « J’ai beaucoup travaillé et je me suis aussi beaucoup amusée », résume-t-elle. A La Villette, elle entend s’inscrire dans la lignée de ce qu’elle a défendu en Espagne avec, comme elle le précisait dans son bilan, « une place donnée aux conflits sociaux actuels, du féminisme au phénomène trans, au changement climatique, les nouvelles familles, les rapports de couple, l’impact de la technologie chez les gens… » et dans sa trajectoire artistique entre flamenco, hip-hop, électro et arts numériques.

 

Elle compte valoriser les arts urbains, dont le hip-hop, « mais aussi les sports, comme le roller, le BMX », la mode, les musiques actuelles, concevoir de grands événements populaires dans le parc, comme sa Fête de la danse, en 2011 au Grand Palais, à Paris. « Je vais aussi augmenter les résidences d’artistes et soutenir encore plus les projets d’éducation avec les enfants et les jeunes, ajoute-t-elle. Nous travaillons ici avec une centaine d’écoles, et je vais continuer. Nous devons améliorer le monde. » Elle rêve d’occuper le parc dans ses moindres bosquets et imagine déjà, sur l’exemple du festival Shakespeare in the Park, à New York, un festival Molière qui célébrerait le théâtre classique.

 

 

Des spectacles dans l’air du temps

Des plateaux de danse à ceux du cinéma, du flamenco au contemporain, en passant par le hip-hop, la trajectoire de Blanca Li, gymnaste de formation, brille par son instinct et son talent à humer l’air du temps. On la découvre en 1993 avec son éclatant Nana et Lila, flambée de transe joyeuse sur les tambours des musiciens gnawas de Marrakech, puis on bascule dans un registre burlesque avec Stress (Pète pas les plombs), en 1997, qui jette huit danseuses dans un ouragan domestique. En 1999, Macadam Macadam, énorme succès à l’enseigne de Suresnes Cités Danse, fait virevolter hip-hop, skate, roller et bike. C’est la danse électro qui la séduit, à laquelle elle consacre deux pièces, Elektro Kif (2010) et Elektrik (2018). Son Bal de Paris, installation numérique immersive en réalité virtuelle, a reçu le Lion de la meilleure expérience VR à la Mostra de Venise en 2021.

 

 

Rosita Boisseau et Sandrine Morel (Madrid, correspondante)

 

 

Légende photo :

Blanca Li, présidente de l’établissement public du parc et de la Grande Halle de La Villette, à Paris, le 20 juin 2024. ELISE TOïDé
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July 18, 2024 11:43 AM
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Vues imprenables sur « Gaviota » 

Vues imprenables sur « Gaviota »  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 16 juillet 2024

 

Avignon. Avec des actrices et acteurs non voyants, mal voyants et voyants espagnols, la metteure en scène péruvienne Chela De Ferrari met en scène «La Gaviota » (La Mouette) de Tchekhov. On voit la pièce emblématique de l’auteur russe comme on ne l’avait jamais vue, tendue entre le visible et l’invisible, revisitée. Un moment fort du Festival.

 

La péruvienne Chela De Ferrari avait fait sensation en présentant à Paris, deux soirs seulement, son Hamlet interprété par des actrices et des acteurs atteints de trisomie 21, en particulier le rôle-titre joué par un acteur porteur du syndrome de Down. Tiago Rodrigues souhaitait faire venir ce spectacle au Festival d’Avignon mais la metteuse en scène était à Madrid en plein travail sur son nouveau spectacle La Gaviota (La Mouette) interprété par des actrices et des acteurs espagnols pour la plupart mal ou non voyants. C’est donc ce seul spectacle qui est présenté en création mondiale au Festival d’Avignon. Et c’est assurément l’une des grandes dates de ce festival voué à la langue espagnole.

 

Ne connaissant pas le travail de Chela De Ferrari, on ne s’y est pas rendu sans une certaine appréhension. La Mouette jouée par des aveugles. On craignait un déversoir de bons sentiments, une sensiblerie exacerbée, une prime au handicap. Rien de tel. C’est un spectacle d’une rare intensité qui - hormis quelques séquences où Chela De Ferrari cède à la facilité spectaculaire - atteint la pièce de Tchekhov au cœur.

 

La Mouette est sans doute la pièce la plus connue du russe mais rappelons-en toutefois les grandes lignes sans oublier les personnages dits secondaires qui pour Tchekhov et pour la metteuse en scène péruvienne ne le sont pas.

 

 

Tout se passe à la campagne dans la maison de la grande actrice Arkadina (Lola Robles) venue de Moscou avec son compagnon l’écrivain Boris Trigorine (Agus Ruiz). Vivent là une partie de sa famille dont son vieux frère Sorine (Domingo López) et son jeune fils Constantin Treplev dit Kostia (Eduart Mediterrani). Ce dernier veut être écrivain, il déteste les ouvrages, à ses yeux faciles et putassiers, qu’écrit l’amant de sa mère. Kostia veut trouver des « formes nouvelles ». Le titre de la pièce de Tchekhov vient d’un oiseau tué par Kostia qui émeut fortement Nina et donne à Trigorine l’idée d’une petite nouvelle.

 

Kostia a donc écrit une première pièce et, pour l’interpréter, il a fait appel à Nina (Belén González del Amo), jeune fille qui vit de l’autre côté du lac bordant la demeure, un lac qu’elle n’a jamais vu car aveugle de naissance. Kostia est amoureux d’elle, Nina, elle, rêve d’être actrice. La pièce de Kostia va être jouée là dans un théâtre de fortune dressé au bord du lac, c‘est ainsi que commence la pièce et le spectacle. Mais dans la mise en scène de Chela De Ferrari, tout a commencé par un magnifique préambule : le salon qui est installé sur la scène lorsque les spectateurs s’installent disparaît aussitôt, emporté par les acteurs et les techniciens. Le spectacle est, si je puis dire, vu par un aveugle.

 

Tout va se passer sur le plateau nu, le regard commun entre le plateau et la salle bascule implicitement du côté des aveugles, et tout commence dans le regard des aveugles.

 

Sous la plume de Tchekhov, Sémione demande à Macha pourquoi elle s’habille toujours en noir, « je suis en deuil de ma vie », répond-elle ce qui, au pays des aveugles, sonne étrangement. Et quelques répliques plus loin Chela De Ferrari ajoute ces deux répliques entre eux : « - Je ne suis pas complètement aveugle.- Moi non plus, et j’aime ce que je vois. » Tout le spectrale oscille entre les mots même de Tchekhov et ses prolongements induits par Chela De Ferrari. Laquelle a sans doute tort de trop actualiser la pièce (en parlant de TikTok and co, en remplaçant le carnet où Trigorine prend des notes par une camera, etc.) mais le plus souvent, ce double-jeu ouvre des vannes, suggère des pistes, retrousse astucieusement des répliques, ouvre les sens, comme on ouvre les yeux pour mieux voir en ne voyant rien. Une voix se souvient du lac, le décrit alors que ses yeux au mitan de sa vie ont perdu la faculté de voir quoi que ce soit. Un lac que Nina, qui vit à ses pieds, n’a jamais vu, « ma mère m’a appris à connaître les choses qu’on ne peut pas voir », dira-t-elle.

 

 

Arkadina et Nina sont interprétées par des actrices aveugles. Trigorine, lui, est pleinement voyant et Constantin quasi voyant. Le carré d’as de ces binômes amoureux induit la dramaturgie du spectacle et renverse la vision de plusieurs scènes emblématiques.

 

Arkadina, aveugle et actrice, se moque des « formes nouvelles » de son fils et va le manifester pendant la représentation, bientôt interrompue. La jeune Nina, aveugle et qui veut être actrice, est impressionnée par la prestance, la réputation et la voix de Trigorine. Elle ne va pas tarder à tomber amoureuse de lui - une aveugle aveuglée par l’amour - et l’écrivain vieillissant se laissera séduire par l’attrait de la jeunesse.

 

La pièce de Tchekhov ne se résume évidemment pas à ce maigre synopsis. Comme dans toutes ses grandes pièces, il y a bien d’autres personnages comme Macha (Patty Bonnet), intendante de la maison et qui boit en cachette ; Paulina, l’épouse de l’intendant du domaine (Paloma de Mingo) ; Dorn, le médecin (Miguel Escabias), Semione, le maître d’école (Domingo López)... C’est l’ensemble des personnages qui façonne le charme de la pièce et Chela De Ferrari ne l’oublie pas. Elle y ajoute un musicien, Nacho Bilbao, constamment présent sur scène et utile pour les actrices et les acteurs dont l’ouïe est primordiale. Elle y ajoute aussi Alicia, une régisseuse (Macarena Sanz) toujours prompte à guider ceux qui ne voient pas et d’abord Nina.

 

Il y a ceux qui voient et peuvent s’aveugler et ceux qui, sans voir, possèdent une vue perçante. Kostia, malvoyant, étant celui qui, à la fin, ne voyant plus aucun sens à sa vie, se prive de ce qui reste de sa vue (il ne veut pas, il ne veut plus voir ça) en se donnant la mort.

Avant de créer cette version de La Gaviota avec le Centro dramatico nacional d’Espagne, Chela De Ferrari avait travaillé durant cinq mois avec la compagnie péruvienne siVERquenzas, composée de treize acteurs non voyants. Le travail avec cette troupe lui a permis de corriger et de parfaire les idées qu’elle avait en tête au début de son travail, raconte-t-elle, et, sans doute aussi, de confirmer la condensation du temps de la pièce à laquelle elle procède.

 

La pièce nous revient, à la fois telle qu’en elle-même et tout autrement, comme vue de l’autre côté du miroir, dans un temps ramassé. Kostia le mal voyant, écrivain en herbe, a le béguin pour une jeune fille aveugle, laquelle aime un homme plus âgé aux propos suaves sans cependant pouvoir le voir. Bien qu’aveugle, Arkadina voit tout. Comme Macha qui, elle, souffre de voir ses rêves s’étioler. Et ainsi de suite. La cécité entraîne une sorte d’étrange fragilité des êtres doublée d’une étrange détermination. Entre le visible et l’invisible, la tension n’a de cesse. C’est d’une sensibilité on ne peut plus aiguë, d’un tact constant et d’une bouleversante finesse.

 

 

Festival d’Avignon, L’autre Scène de Vedène, 11h , jusqu’au 21 juillet sf le 17

 

Jean-Pierre Thibaudat - Le Club de Mediapart

 

Légende photo  : Scène de Gaviota, Nina © Adrian Saba

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July 16, 2024 9:37 AM
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Législatives : « On fait quoi maintenant ? », par un collectif d’artistes et d’élus | 

Législatives : « On fait quoi maintenant ? », par un collectif d’artistes et d’élus |  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Une tribune publiée le 9 juillet dans l'Obs et reprise dans le site "Rue du Conservatoire",  site de l'association des anciens élèves du conservatoire national d'art dramatique.

 

Elle est signée par des dizaines d'élu.e.s et de responsables d'institutions culturelles.

 

Des dizaines d’artistes et d’élus dont Stéphane Troussel, Benoît Payan, Yann Galut, Hortense Archambault, Alice Diop, Wally Dia, David Bobée, Inès Seddiki, prennent acte de la diffusion des idées de l’extrême droite et s’engagent à faire de leur création des espaces de liberté, d’égalité et de fraternité

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

On fait quoi maintenant, nous, territoires, actrices, acteurs et publics de la culture ?

On fait quoi alors que le front républicain a permis de faire barrage à l’extrême droite mais qu’elle continue sa progression et que le pays s’est fracturé ?

On fait quoi maintenant pour lutter contre sa vision identitaire, univoque et fantasmée de notre pays, laissant libre cours aux attaques qu’elle mène déjà contre toutes celles et tous ceux qui portent une voix dissonante ?

 

On fait quoi, face au sentiment puissant d’abandon ressenti dans les catégories populaires, qu’elles viennent des campagnes ou des quartiers ?

On fait quoi, même si des digues résistent encore, face au constat de notre impuissance à lutter contre le sentiment que « l’autre » est un problème ?

Notre conviction partagée est celle du rôle politique et émancipateur de l’art et de la culture, contre toutes les mises au ban et tentatives d’assignations. Elle dépasse largement la défense de nos métiers ou de nos institutions, en s’inscrivant résolument dans la préservation d’espaces de pensée, de contre-récits, d’échange et de dialogue, de mise en danger de nos certitudes mais aussi d’émotions partagées et qui nous réunissent. Car c’est sans doute à partir de ces espaces que nous pourrons recréer du commun. Plus que jamais, il nous faut les faire vivre.

Alors, chacune et chacun depuis la place que nous occupons dans le corps social, artistes, politiques, responsables culturels et associatifs, citoyens et citoyennes nous prenons acte et nous engageons :

 

Des espaces de liberté

Nous ne négocierons jamais la liberté de création, qui questionne, conteste, voire choque, mais qui rassemble aussi autour d’imaginaires autres que ceux imposés par les industries médiatiques.

Nous ne renoncerons jamais à faire des lieux de culture les acteurs de la liberté d’expression, laissant la parole à celles et ceux qui ne pourraient être entendus autrement.

Nous ferons des lieux de culture les laboratoires d’une nouvelle modernité, faite d’hybridations des formes, des acteurs et des publics, parce que nous avons la conviction que c’est dans la rencontre de l’autre que se trouve l’avenir de nos sociétés.

Des espaces d’égalité

Nous continuerons de faire vivre l’éducation artistique et culturelle, dès le plus jeune âge, comme un levier de construction de soi à travers la découverte de l’autre, et de développement de l’esprit critique.

Nous poursuivrons notre chemin vers celles et ceux dont nous nous sommes le plus éloignés, en favorisant des démarches itinérantes ou dans l’espace public.

Et nous ferons une place plus grande à celles et ceux qui se sentent relégués, pas seulement pour « conquérir des publics », mais pour en faire des acteurs de nos lieux et de nos projets.

Des espaces de fraternité

Nous ne céderons pas à celles et ceux qui voudraient trier les citoyens en fonction de leur nationalité, de leur origine ou de leur couleur de peau, et ferons des lieux de culture des espaces d’hospitalité pour chacune et chacun, en revendiquant des relations fondées sur la rencontre, le partage et l’altérité.

Face aux discours dominants de stigmatisation et d’exclusion, nous nous mobiliserons pour construire des démarches artistiques et culturelles qui permettent de construire d’autres récits, pour raconter la France dans sa richesse et sa diversité, dans ses contradictions et ses tensions, dans sa complexité et son potentiel. Et construirons ensemble des moments de célébration de l’interculturalité, pour montrer non seulement qu’une autre France est possible mais qu’elle est déjà là.

 

Alors maintenant, qu’est-ce qu’on fabrique ensemble ?

Face au risque d’isolement ou de démobilisation, nous appelons toutes celles et tous ceux qui le souhaitent et partagent nos valeurs et ambitions à nous rejoindre pour construire, dès maintenant, cette alliance. Les forces vives sont là, la volonté est là, l’engagement est là. Tout est réuni pour que nous y parvenions.

 

 

Premiers signataires :

Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis

Benoit André, directeur de la Filature, scène nationale de Mulhouse

Audrey Ardiet, directrice La Rose des Vents, scène nationale Villeneuve d’Ascq

Philippe Ariagno, directeur de La Passerelle, scène nationale de Gap

Olivier Atlan, directeur Maison de la Culture de Bourges

Martine Aubry, maire de Lille

Fériel Bakouri, directrice de Points Communs, scène nationale de Cergy

Camille Barnaud, directrice Le Volcan, Scène nationale du Havre

Vincent Baudriller, ancien directeur du Festival d’Avignon

Pauline Bayle, metteuse en scène, directrice du Théâtre Populaire de Montreuil, CDN

Frédéric Bélier Garcia, metteur en scène, directeur du Théâtre de la Commune, CDN d’Aubervilliers

Patrice Bessac, Président d’Est Ensemble, maire de Montreuil

Guillaume Blaise, directeur La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc

Catherine Blondeau, directrice du Grand T à Nantes

Dominique Bluzet, directeur des Théâtres du Gymnase, des Bernardines, du Jeu de Paume et du Grand Théâtre de Provence à Aix en Provence et Marseille

David Bobée, directeur du Théâtre du Nord

Virginie Boccard, directrice de la scène nationale du Mans

Thierry Bordereau, directeur, acb, scène nationale de Bar le Duc

Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen, vice-président du Département de la Seine-Saint-Denis en charge de la Culture

Nicolas Bouchaud, comédien

Bruno Bouché, directeur artistique, CCN•Ballet de l’Opéra national du Rhin

Céline Breant, directrice La Comédie de Clermont-Ferrand

Olivier Cadiot, écrivain

Fabienne Chognard, directrice de Le Dôme Théâtre à Albertville

Régine Chopinot, danseuse chorégraphe

Eli Commins, directeur du Lieu Unique, scène nationale de Nantes

Kamel Dafri, directeur de Villes des Musiques du Monde

Romaric Daurier, directeur Le phénix scène nationale Valenciennes

Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis

Waly Dia, humoriste

Marie Didier, directrice du Festival de Marseille

Alice Diop, réalisatrice

Penda Diouf, autrice et metteuse en scène

Valérie Dréville, comédienne

Barbara Engelhardt, directrice du Maillon, Théâtre de Strasbourg

Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture

Yann Galut, maire de Bourges, capitale européenne de la culture en 2028

Kamal Hachkar, cinéaste

Béatrice Hanin, directrice du Théâtre, scène nationale de Saint Nazaire

Mathieu Hanotin, Président de Plaine Commune, maire de Saint-Denis

Cécile Helle, maire d’Avignon

Frédéric Hocquard, adjoint à la maire de Paris

Emmanuelle Jouan directrice du Théâtre Louis Aragon à Tremblay en France

Kheiron, humoriste, acteur

Claudy Lebreton, président de Culture. Co, réseau national pour la culture dans les départements.

Jean-René Lemoine, auteur et metteur en scène

Pierre-Yves Lenoir, directeur du théâtre des Célestins – Lyon

Sandrine Mini, directrice du Théâtre Molière, Scène nationale de Sète

Jérôme Montchal, directeur de L’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux

Stanislas Nordey, acteur et metteur en scène

Benoît Payan, maire de Marseille

Olivier Perry, directeur – CCAM Scène Nationale de Vandœuvre-lès-Nancy

Francesca Poloniato, directrice le Zef, scène nationale Marseille

Constance Rivière, directrice générale du Palais de la Porte Dorée / Musée national de l’Histoire de l’immigration

Nicolas Royer, directeur Espace des Arts, scène nationale Chalon sur Saône

Bertrand Salanon, directeur Bonlieu, scène nationale d’Annecy

Elsa Sarfati, directrice de l’espace 1789 à Saint-Ouen

Inès Seddiki, fondatrice et présidente de GHETT’UP

Aïssata Seck, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage

Pauline Simon, directrice d’Houdremont, centre culturel – La Courneuve

Jean-François Sivadier, auteur et metteur en scène

Anne Tanguy, directrice du Quartz, Scène nationale de Brest

UFISC – Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles

Sylvie Vassallo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse

Zahia Ziouani, cheffe d’orchestre

 
Pour signer c’est ici
 
 
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July 16, 2024 8:54 AM
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A Avignon, Boris Charmatz nouveau propriétaire du « Café Müller » de Pina Bausch

A Avignon, Boris Charmatz nouveau propriétaire du « Café Müller » de Pina Bausch | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 15 juillet 2024

 

Le danseur et chorégraphe, artiste invité de ce Festival, s’empare du chef-d’œuvre de la chorégraphe allemande dans une version de sept heures qui se vit comme un récit de transmission.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/15/a-avignon-boris-charmatz-nouveau-proprietaire-du-cafe-muller-de-pina-bausch_6250494_3246.html

Café Müller, vous connaissez ? C’est un bistro à l’ancienne, immuable depuis sa création en 1978, à Wuppertal (Allemagne). Aujourd’hui, ce bar, à l’enseigne d’un patronyme répandu outre-Rhin façon M. Tout-le-Monde, est connu à l’international. Beaucoup de chaises, peu de tables, comme si les clients restaient debout à boire en déambulant sans poser leur verre nulle part. Il faut dire que ce lieu attire les créatures bizarres, rescapées de la vie, au comportement incertain, cherchant désespérément une étreinte, un baiser, un peu d’amour, tout à la fois ?

 

Ce rade aux lumières opaques, dont on adore franchir (mentalement) la porte à tambour comme une roue de hamster, est celui créé par Pina Bausch (1940-2009). La chorégraphe allemande l’a occupé jusqu’en 2008, un an avant sa mort. Au cœur d’un groupe de cinq personnages écharpés, elle cahotait les yeux fermés, vivant ectoplasme dans sa longue nuisette blanche. Elle livrait corps et âme sa danse éperdue de femme transpercée par la souffrance traumatique de vivre.

 

Café Müller est non seulement un chef-d’œuvre et un jalon de l’histoire de l’art chorégraphique, mais aussi la seule et unique pièce que cette artiste, dont les parents tenaient une brasserie à Solingen, près de Wuppertal, a interprétée toute sa vie, à l’exception d’un très court solo dans Danzon (1995). C’est son compagnon, le plasticien Rolf Borzik (1944-1980), qui en conçut les décors et les costumes. Autant dire que ce spectacle-signature identitaire est un bijou précieux et essentiel, ramassant de façon fulgurante les motifs de l’artiste allemande : quête d’amour, douleur, violence, solitude…

Six versions différentes

Surprise en débarquant à la Fabrica, à Avignon. Café Müller semble avoir changé de propriétaire. De fait, le chorégraphe Boris Charmatz, qui dirige le Tanztheater Wuppertal depuis 2022, a rebaptisé la maison d’un nom plus facile à digérer : Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch). Le décor a disparu. Les lumières sont revues façon plafond de néons blancs selon Yves Godin. Les chaises éparpillées dans l’espace, encerclé par les spectateurs, rappellent que l’on ne s’est pas trompé d’adresse, et, ouf, la musique aussi, est bien celle de Purcell.

Cadrons la proposition évidée de Boris Charmatz qui amène des questions sur le droit moral d’une œuvre, sur ce que l’on ôte, transforme ou conserve d’un spectacle pour assurer sa prétendue pérennité. Rappelons que le chorégraphe a eu l’idée de Forever en assistant à des répétitions de Café Müller. Cette notion est fondamentale lorsqu’on plonge dans cette longue performance de sept heures qui additionne six Café Müller avec six castings différents et de nombreux jeunes interprètes. Chaque version est scandée par des interludes : textes, confidences de danseurs… Ces interventions rythment la représentation et livrent des informations sur ce café que l’on fréquente depuis longtemps. Quelques piliers-danseurs tiennent heureusement toujours le comptoir : Jean-Laurent Sasportes, Michael Strecker, Nazareth Panadero, Azusa Seyama-Prioville, Héléna Pikon (également directrice de répétitions), qui remplaça Pina Bausch à sa mort en 2009 dans son rôle, sont là et bien là.

 

La première version, qui donne le ton de l’ensemble, se joue en tenue de sport, jogging et débardeur noir, que la danse hip-hop et contemporaine utilisent indifféremment en studio et sur scène. On retrouve les séquences inoubliables de cette pièce où l’on aime et n’aime plus, cogne et frappe. Une femme fonce dans l’espace sans se soucier des chaises qu’un danseur écarte pour l’empêcher de se blesser. Elle s’accroche à un homme comme à une bouée de secours tandis qu’un autre l’en sépare. Elle chute et rechute. Cette insistance n’est pas chez Pina Bausch épuisement d’une situation mais intensification urgente. Comme elle le disait elle-même à propos de Café Müller, « Je ne répète pas la scène, j’essaye encore une fois. »

 

Nazareth Panadero, figure emblématique de la compagnie depuis 1979, ouvre le bal des intermèdes. Elle répond en partie à notre perplexité sur le nettoyage de Café Müller. Elle évoque la porte tournante qui n’est plus là et se révélait majeure pour son entrée piétinante en talons. « Que va-t-on faire sans elle ?, s’inquiète-t-elle en traçant son trajet. On verra… » Elle précise ensuite que lorsqu’elle a dansé Café Müller au début des années 1980, « c’était déjà une pièce sacrée, j’avais l’impression d’entrer dans un temple ».

Déshabiller une œuvre

Que reste-t-il donc du « temple » ? Il est environ 17 heures, et c’est la quatrième fois que l’on file au troquet. Et là, Café Müller, dans les tenues historiques, culmine. Les stars Héléna Pikon, irradiante, Nazareth Panadero, plus qu’ébouriffante sous sa perruque rousse, Azusa Seyama-Prioville, impériale, emportent le morceau. Elles soutiennent Cagdas Ermis, Simon Le Borgne et Boris Charmatz lui-même. La texture mousseuse et dynamique des bras selon Pina éclate, leur pouvoir d’autoconsolation, la gravité et le poids tragique de son mouvement aussi. Le statut du costume s’impose et apporte la preuve que déshabiller une œuvre peut entraîner une perte de sens. Un vêtement, notamment chez Pina Bausch, construit un rôle. On ne frotte pas un pantalon sur ses jambes comme une robe. On n’agit pas de la même manière en veston bien raide qu’en tee-shirt ramollo.

 

Forever peut se lire comme un récit de transmission, d’apprentissage et de fabrication, une série d’essais… Un versant sur lequel Charmatz devrait insister en montrant vraiment des corrections gestuelles par exemple. Car le public, qui entre et sort, débarque à l’envi et s’incruste rarement plus de deux sets, tombe parfois sur un Café Müller en survêtement et repart avec une vision pour le moins dépareillée d’une œuvre dont l’esthétique était constitutive de son geste.

Il n’empêche qu’enchaîner les six versions avec des hauts et des bas, notamment dans l’interprétation, se révèle une expérience passionnante pour mieux détailler une pièce magistrale. La possibilité de circuler et de changer de point de vue est également intéressante. Sauf que ce tournis bouscule la dramaturgie d’une œuvre extrêmement bien bâtie en frontal comme une distorsion narrative qui fait diversion et remplit sa fonction ludique à la mode. Lorsqu’on émerge de Forever, on mesure combien l’écriture de Café Müller, sa structure, ses intentions claires, ses trajectoires précises résistent envers et contre tout.

 

 

Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch), de Boris Charmatz. La Fabrica, Avignon (7 heures). Jusqu’au 21 juillet.

 

 

Rosita Boisseau (Avignon, envoyée spéciale)

Légende photo : « Forever (Immersion dans “Café Müller” de Pina Bausch) », de Boris Charmatz, au Festival d’Avignon, le 13 juillet 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON
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July 16, 2024 7:27 AM
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Un éternel chœur de femmes : Les Héroïdes 

Un éternel chœur de femmes : Les Héroïdes  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer, publié le 15 juillet 2024

 

 

Avignon, Festival OFF, Le 11, Samedi 13 juillet 2024, 13h45

 

Arrivant un peu tardivement à Avignon pour les réjouissances théâtrales de l’été, je sors d’une première journée de spectacles très enthousiasmante. Le Off offre cette année encore de bonnes surprises et notre première halte au 11 s’est justement révélée tout à fait réjouissante. Nous avions entendu parler du spectacle qui se fonde sur Les Héroïdes d’Ovide, ce recueil de lettres imaginaires des grandes amoureuses de la mythologie. Loin d’en proposer une simple adaptation scénique qui aurait pu se révéler très stérile, la metteuse en scène et dramaturge de la compagnie Brutaflor, Flavia Lorenzi, les actualise de façon tout à fait singulière, oscillant entre gravité et légèreté, avec une acuité remarquable et une férocité certaine même, afin de  faire entendre la voix de ces femmes célèbres désespérément confrontées au manque comme aux manquements de l’homme aimé. A ces voix s’ajoutent aussi dans le montage de textes, d’autres voix plus proches de nous comme celle de Niki de Saint-Phalle, par exemple. Dans un spectacle musical et parlé, véritable rhapsodie nourrie à l’écriture de plateau avec six comédiennes, danseuses et chanteuses éblouissantes, Les Héroïdes devient d’emblée l’un des rendez-vous incontournables de cet édition du Off et nous en rendons compte ici.

 

 

En ce troisième samedi de Festival, le boulevard Raspail résonne du tumulte qui se fait entendre devant le 11 : sur le trottoir d’en face, comme le prévoit l’organisation du théâtre, on se presse pour intégrer la file d’attente du spectacle qui débute à 13H45 dans la salle 1. Il y a effectivement beaucoup de monde pour découvrir Les Héroïdes par la compagnie Brutaflor. Et, dans un premier temps, on peut s’étonner qu’un spectacle basé sur un texte du poète latin Ovide attire autant les foules aujourd’hui. Il s’agit cependant du « point de départ de notre dramaturgie » comme le précise Flavia Lorenzi, la metteure en scène et dramaturge. Le spectacle est plutôt « issu d’une écriture de plateau », où d’autres éléments s’ajoutent aux extraits choisis dans Les Héroïdes dans le but de faire « entendre une pluralité de voix narratives ». L’idée n’est certes pas nouvelle mais la compagnie Brutaflor la distille avec brio dans un ensemble de tableaux savamment composés d’un entrelacs de matériaux bigarrés : des musiques jouées sur scène avec différents instruments – remarquable direction musicale de Baptiste Lopez ; des chants d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui; des improvisations laissant la part belle à la créativité échevelée des comédiennes ; des mouvements chorégraphiques très achevés et finement pensés – remarquable direction également de Luar Maria ; bien entendu, des extraits de textes aussi, principalement ceux d’Ovide pour une heure trente en scène à un rythme effréné qui emporte loin et ne cesse de ramener au présent de façon tout à fait étonnante, de ramener au réel malgré tout.

 

Alors qu’on s’installe, on remarque l’organisation scénographique choisie : des praticables à jardin comme à cour, certains constituant un escalier avec des degrés irréguliers, tout étant très modulable comme on peut s’en rendre compte au fil du spectacle. A cour également, deux ronds pleins et suspendus en surplomb, l’un plus petit que l’autre – comme une image de l’écart mesuré entre un astre et un autre, symbole annonciateur d’un état d’inégalité. Malgré les faibles lumières qui plongent le plateau dans une semi-pénombre, on distingue quand même la silhouette d’une femme à jardin. Et tandis que le spectacle commence, cette dernière allume un feu au sol, nous renvoyant ainsi dans des temps immémoriaux, aux origines d’une humanité où les rites feraient ici entendre la mélopée d’un chœur féminin qui s’est constitué lentement, dans une lumière rouge projetée sur un écran en fond de scène.

 

 

Elles sont six. Elles portent toutes au moins un vêtement avec des plaques ou des ronds brillants. Comme un artifice – ironique ? – d’élégance féminine. Comme une manière d’affirmer visuellement sa présence à la scène. Comme un pont tendu vers le public devant l’effet miroir des matières réfléchissantes aussi. Elles chantent toutes ensemble. Pas comme une simple chorale car on perçoit tout de suite quelque chose de différent, comme une résolution toute particulière qui anime leurs voix unies. Elles se rassemblent puis se singularisent à tour de rôle suivant un déroulé dynamique parfaitement orchestré, se saisissant ici d’une couronne, là d’une traîne de tulle, d’un tissu blanc ou doré, devenant une robe, une étole ou un espace rectangulaire au sol. Chacune va faire entendre sa voix parlée et chantée pour dire sa désolation et sa rage. Pour dire l’amour pour l’homme aimé. Pour réclamer la considération, la liberté, le respect devant celui qui la soumet à son absence dévorante.

 

 

Face au public, Ariane, fille de Minos, jouée par Juliette Boudet hurle le nom de Thésée, après un canon où les échos répercutent par-delà le temps la voix de la femme soumise à sa solitude qui se fend en définitive d’un bras d’honneur à son intention, juste avant la parodie désopilante d’un jeu télévisée sur la supposée meilleure version du mythe relatant l’abandon de la jeune femme par Thésée. Le prix pour le vainqueur du jeu n’est autre que la pomme d’or d’un jardin des Hespérides absent et finalement absurde. « Ah, la jolie famille patriarcale ! » peut-on entendre dans une convergence très nette entre passé et présent.

 

 

C’est la formidable Lucie Brandsma qui incarne d’abord Niki de Saint-Phalle puis Hélène de Troie en plein burn out – à mourir de rire ! Alors qu’elle joue l’artiste plasticienne des années 60–70, elle affirme : « Très tôt, je décidais que je deviendrais une héroïne ». Cette déclaration traverse de même chaque personnage, chacune des six femmes sur le plateau, parvenant jusqu’au public dans un étrange rapprochement entre fiction théâtrale et réalité d’un monde où les luttes féministes font rage pour l’égalité des droits. Laura Cluzel est, quant à elle, Hypsipylé, reine de Lemnos, adressant notamment des reproches à Ovide sur son peu d’égards pour les femmes, tout cela avant d’incarner un peu plus loin le héros Enée lui-même, pathétique dans les prétextes avancés pour quitter DIdon ; Alice Barbosa campe Médée puis Didon justement, deux héroïnes tragiques, pleines de fureur devant l’absence et l’inconstance de l’homme qu’elles aiment et qui les délaisse. La comédienne fait même part de son étonnement : c’est Médée qui est maudite et pas Jason qui l’a quittée pour une autre. Ayana Fuentes-Ono est, elle, une Pénélope vivant une autre odyssée que celle de son époux parti depuis tant d’années, une odyssée de l’attente qui fait se demander si on aime encore celui qui reste si durablement loin de soi. Enfin, Capucine Baroni joue Hercule qui vient chercher sur scène le premier prix de la masculinité, s’illustrant dans son comportement avec les femmes par des excuses fallacieuses et des gestes d’agression sexuelle étouffés.

Le procès de Déjanire qui l’a mortellement brûlé après des soupçons d’adultère commence : la comédienne se lance pour une tirade en alexandrins avant de s’interrompre brutalement sur un « ça va ! » sans appel. Faisant volte-face, elle déclare ensuite solennellement avoir « débarrassé la Grèce d’un monstre que vous appelez héros », qui n’a pas fait de multiples « conquêtes » mais qui a en fait laissé derrière lui plusieurs « femmes violées ».

Chacune devenant le robuste porte-voix des luttes de son personnage, les six artistes virevoltent de l’un à l’autre, jouant d’un instrument, improvisant, informant le public sur le travail préparatoire au spectacle, déclamant son texte, entonnant un morceau de chant tribal, de chant lyrique, de pop music avec une sublime version de Boys don’t cry, mais aussi un morceau de Barbara aussi dans une encore plus sublime version chorale de « Dis, quand reviendras-tu ? » unissant les voix des personnages mythiques des Héroïdes, celles aussi des femmes célèbres plus proches de nous comme la poétesse brésilienne Ana Martins-Marques. Unissant aussi leurs propres voix de femmes dans une sororité absolument poignante.

 

 

Loin d’un didactisme dépassé pour aborder le sujet, loin des conventions théâtrales et musicales attendues, Flavia Lorenzi et ses artistes au plateau offrent ici un moment unique, mêlant avec subtilité les formes et les registres afin de défendre avec une incroyable énergie le propos projeté sur l’écran en fond de scène à la fin : ce sont les mots de l’autrice Hélène Cixous qui affirme que « le futur est dans le passé ». Sans doute les femmes comme les hommes d’aujourd’hui mais surtout celles et ceux de demain, doivent s’en remettre à ces héroïnes antiques. A leur douleur, à l’affirmation de leur refus d’être réduites à cela. A leur refus d’être réduites tout court. A leur volonté de prendre la place qui leur revient dans la société des humains, hommes et femmes, côte à côte. Finalement, Les Héroïdes est un acte théâtral de réconciliation. Et il faut sans aucun doute remercier la compagnie Brutaflor pour nous offrir des instants comme ceux-ci, dans une époque où il paraît souvent si compliqué de vivre ensemble.

 

Crédits photo : © Max Dollo (Photo titre)
© Robson Barros
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July 16, 2024 6:20 AM
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Warlikowski adapte J. M. Coetzee dans un “Elizabeth Costello” bouleversant

Warlikowski adapte J. M. Coetzee dans un “Elizabeth Costello” bouleversant | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Arvers dans Les Inrocks - 13 juillet 2024

 

En nous plongeant dans les méandres de l’expérience humaine, le metteur en scène polonais livre une méditation sur la transmission, la vieillesse et la disparition.

 

Avec ce titre, Elizabeth Costello, personnage éponyme du roman de J. M. Coetzee présent également dans d’autres livres de l’auteur sud-africain, on pourrait croire que Krzysztof Warlikowski engage à nouveau son théâtre sur le chemin d’une unité textuelle et narrative. Ne pas se fier aux apparences ! Le montage hétérogène du spectacle associe plusieurs artistes – J. M. Coetzee, Philippe Parreno, Sophie Calle – ainsi que différent·es acteur·rices pour incarner Elizabeth Costello et nous plonge une fois de plus dans les méandres de la complexité de l’expérience humaine.

 

“Je ne vois plus de sens à raconter des histoires ; je m’intéresse plutôt à montrer quelqu’un de libre et qui l’exprime à travers la parole. Je ne voulais pas trop la déterminer, d’où les différentes incarnations du personnage sur scène”, indiquait le metteur en scène lors de la création du spectacle au Nowy Teatr de Varsovie, lieu de travail de sa troupe, en avril dernier. “Mais après, ce qui est le plus évident, c’est qu’il s’agit d’un personnage inventé par J. M. Coetzee pour défendre la littérature, défendre la liberté, défendre l’artiste.”

Sauver son âme

Double fictif de l’auteur, écrivaine et conférencière, elle trouve un malin plaisir à prendre à rebrousse-poil les conventions pour traquer, comme on s’épouille, les derniers retranchements où se calfeutrent la bonne conscience et son corollaire, l’ignorance volontaire. C’est une teigne, semant sur son passage au pire la polémique, au mieux l’incompréhension, récusant les étiquettes trop commodes de féministe ou de moralisatrice pour se focaliser sur son ultime combat : sauver son âme.

En saisissant Elizabeth Costello par les différents prismes de son apparition d’un livre à l’autre de Coetzee – outre Elizabeth Costello, le spectacle combine aussi des extraits de L’Abattoir de verre et de L’Homme ralenti –, Warlikowski s’attache à restituer la palette infinie des émotions humaines en butte à l’exigence bornée de la raison, la folie tyrannique de la norme et l’inflexible courbure du temps qui nous mène fatalement de vie à trépas.

Mise en abyme

Scindé en deux parties, le spectacle reprend d’abord le dispositif des conférences successives données par l’autrice, de l’Amérique à l’Europe en passant par l’Australie, qui constitue l’ossature du roman Elizabeth Costello. Les interprètes se succèdent, éclairant chacun·e un pan du personnage. S’y déclinent les thématiques chères à J. M. Coetzee et à son double fictif, la question du réalisme, de la vie des animaux (et leur mise à mort), et celle, épineuse, des rapports sexuels entre les hommes et les dieux, pour finir par la question du mal absolu.

 

 

Le motif de la mise en abyme est central. D’abord parce que Warlikowski est un familier de l’auteur, ayant déjà puisé à son roman Elizabeth Costello dans deux précédents spectacles, (A)ppolonia en 2009 et La Fin (Koniec) en 2011.   “Il fallait trouver d’autres pistes pour approcher cette femme fictive tellement excentrique et inspirante”, nous dit le Polonais. Il les trouve en se colletant à nouveau avec la question du mal. Sa banalité ou sa contagion, son déni ou sa dénonciation et, surtout, la question de sa représentation et des limites – tant morales qu’esthétiques – entre fiction et documentaire.

Comédie humaine

Courte et intense, la deuxième partie du spectacle nous montre Elizabeth Costello en famille ; un condensé des nouvelles de L’Abattoir de verre et de L’Homme ralenti qui revêt les atours colorés et chatoyants de la comédie humaine pour nous proposer une méditation aigre-douce, prodigieusement attachante, sur la transmission, le vieillissement, la mort et ce qui compte alors le plus.

 

 

En confiant la scène finale à Maja Komorowska, actrice de 86 ans qui draine avec elle tout un pan de la culture polonaise depuis les années 1970 (et que Warlikowski avait déjà dirigée dans Angels in America à Avignon en 2007), le metteur en scène réaffirme avec force sa croyance dans le théâtre qui se joue du réel pour mieux le réfléchir, le questionner. Ou le mettre en doute, reprenant à son compte ces mots que J. M. Coetzee confie à Elizabeth Costello : “Non, je ne me vois pas défiant Joyce. Mais certains livres sont si prodigieusement inventifs qu’il y a tout un matériau qui subsiste à la fin, un matériau qui vous invite pour ainsi dire à le reprendre et à l’utiliser pour en construire quelque chose qui vous est propre.”  

 

 

Elizabeth Costello – Sept leçons et cinq contes moraux d’après l’œuvre de J. M. Coetzee, mise en scène Krzysztof Warlikowski (en polonais surtitré en français et en anglais), avec Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka. Au Festival d’Avignon, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, du 16 au 21 juillet (relâche le 18).

 

Fabienne Arvers / Les Inrocks 

 
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July 15, 2024 12:09 PM
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Au Festival « off » d’Avignon, « Le Repas des gens » qui ne vont pas au théâtre

Au Festival « off » d’Avignon, « Le Repas des gens » qui ne vont pas au théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde / 15 juillet 2024

 

Conte théâtral enchanteur, la nouvelle création de l’auteur et metteur en scène François Cervantes fait jaillir un trésor d’humanité.

 

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/15/au-festival-off-d-avignon-le-repas-des-gens-qui-ne-vont-pas-au-theatre_6250256_3246.html

C’est sans doute l’un des couples les plus irrésistibles du Festival « off » d’Avignon. Une sorte de duo qui serait sorti des Deschiens, la cruauté en moins, la tendresse et la candeur en plus. Impossible d’oublier Catherine Germain et Julien Cottereau après avoir assisté au Repas des gens, la nouvelle création de l’auteur et metteur en scène François Cervantes. Ces deux comédiens s’accordent à merveille pour nous convier à un dîner qui, derrière son apparence burlesque, fait jaillir un trésor d’humanité.

Robert, timide et taiseux, et sa femme, enjouée et bavarde, n’ont jamais quitté leur quartier et, comme beaucoup de gens, ne sont jamais allés au théâtre de leur vie. Un cousin éloigné, directeur d’une salle de spectacle, les y a invités après avoir dîné avec plaisir chez eux et constaté à quel point, alors qu’ils vivent dans la même ville, ils peuvent avoir un rapport au théâtre si opposé.

 

Le couple arrive sur scène, la démarche gauche, décontenancé par le lieu. Une table est dressée, digne de celle d’un restaurant. Découvrant les nombreux spectateurs, accueillis par – croient-ils – un serveur, qui s’avère être le régisseur (excellent Stephan Pastor), ils s’installent, à la fois surpris et émerveillés. « Votre silence est bouleversant. Vous écoutez tous les mots, regardez tous les gestes ? On vous prévient, notre façon de dîner n’a rien d’exceptionnel », dit l’épouse à l’attention du public.

« Drôle de soirée »

S’ensuit un conte théâtral génial, mettant en scène deux candides, terriblement attachants, gagnés par l’euphorie d’être sur un plateau où tout les étonne : les pendrillons, les lumières et tous ces gens. « Ils nous écoutent, ils rient alors qu’on ne se connaît pas, ce sont des amours », se réjouit l’épouse. L’incongruité de la situation suscite un dialogue désopilant, et leur bonheur de vivre cette « drôle de soirée » devient immédiatement contagieux. Le Repas des gens, mise en abyme de la magie et des coulisses du théâtre, fait surgir la complicité avec le public dans un sentiment de communauté. De plus en plus à l’aise, grisé par le bon vin, ce couple ordinaire évoque les choses de la vie, les histoires de famille, dialogue avec le régisseur pour comprendre son métier ; ils découvrent un fantôme de leur passé et convient leur fille à partager ce moment suspendu.

 

Surtout, cette situation follement absurde et bien orchestrée fait éclater le talent de Catherine Germain (complice de longue date de la compagnie de François Cervantes) et de Julien Cottereau (clown-comédien). Maniant avec subtilité le mime et le jeu clownesque, maîtrisant les intonations, les regards, les petites manières, ces deux artistes dégagent autant de drôlerie que de poésie. Ils sont faits pour jouer ensemble. Incarnant des adultes qui savent encore s’émerveiller et partir à la découverte, ils renvoient aux spectateurs leur chance d’être dans un théâtre. C’est enchanteur, facétieux et terriblement humain !

 

 

Le Repas des gens, texte et mise en scène François Cervantes, avec Julien Cottereau, Catherine Germain, Fanny Giraud, Lisa Kramarz, Stephan Pastor, jusqu’au 21 juillet, à 18 h 45 au Théâtre des Halles à Avignon. Durée : 1 h 30.

 

 

Sandrine Blanchard / Le Monde

 

Légende photo : « Le Repas des gens », de François Cervantes, à la friche belle de mai ( Marseille), le 16 janvier 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

 

 

 

 

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July 15, 2024 11:28 AM
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La comédienne Victoria Quesnel, des prétoires aux planches, et vice versa

La comédienne Victoria Quesnel, des prétoires aux planches, et vice versa | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 14 juillet 2024

 

Au Festival d’Avignon, à partir du 15 juillet, l’actrice joue dans « Léviathan », spectacle de Lorraine de Sagazan, qui interroge « la justesse de la justice institutionnelle ».

Lire l'article sur le site du "Monde": 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/14/la-comedienne-victoria-quesnel-des-pretoires-aux-planches-et-vice-versa_6250018_3246.html

 

Trente-neuf ans, l’œil vif, le sourire lumineux et la gestuelle bavarde, Victoria Quesnel n’expédie pas les interviews à coups de monosyllabes économes. Son énergie en bandoulière, cette enthousiasmante comédienne s’apprête à jouer, dès le 15 juillet, au Festival d’Avignon dans Léviathan, un spectacle conçu et mis en scène par Lorraine de Sagazan.

 

Voici quinze ans que Victoria Quesnel est actrice. Un métier choisi après une suite de ricochets. Naissance à Rennes, enfance à Reims (Marne), puis à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), terminale à Strasbourg, études de droit à Bordeaux. Mais c’est dans une librairie, en feuilletant les pages d’Oncle Vania, de Tchekhov, que cette nomade, qui aimait faire la fête – « J’étais une caricature de surfeuse » –, a su où elle se fixerait. Ce sera le théâtre, dont elle affirme avec vigueur : « Il est toute ma vie. » Après un passage par le conservatoire de Bordeaux, elle intègre, en 2006, l’Ecole du Nord, à Lille. Trois ans d’une immersion fondatrice – « la sève démarre là » – en compagnie d’une promotion d’exception, dont émergent deux metteurs en scène de talent.

 
La première, Tiphaine Raffier, la dirige dans deux spectacles (La Chanson, en 2012, puis Dans le nom, en 2014). Avec le second, Julien Gosselin, elle signe pour une aventure au long cours en fondant, en 2009, à ses côtés le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur. L’été 2013 sonne l’heure de la renommée pour une compagnie tout juste sortie du nid. La troupe galvanise le public d’Avignon avec Les Particules élémentaires, d’après le roman de Michel Houellebecq. Victoria Quesnel prend alors la mesure du sacerdoce (heureux) qui l’attend : « Il y a eu deux cents dates de tournée. J’ai compris ce qu’impliquait une vie de comédienne : le travail, l’énergie et le temps. »

Naturel confondant

La bande d’acteurs de Julien Gosselin vient de faire effraction sur les scènes. Ils sont turbulents, volubiles, physiques, ils captent l’œil des caméras qui voltigent autour d’eux, ils se déhanchent sur des musiques tonitruantes, ils hurlent à plein poumons s’il le faut, et sanglotent quand leur rôle l’impose. Leur jeu est d’un naturel confondant, leurs slaloms dans les émotions impressionnants de vérité. Gosselin sait les pousser dans leurs retranchements.

Sous sa conduite, Victoria Quesnel traversera les univers d’écrivains hors norme – Don DeLillo, Thomas Bernhard et, surtout, ce joyau noir : Le Passé, d’après Leonid Andreïev, en 2021. Un spectacle incendiaire, dans lequel l’actrice fait bloc avec l’intériorité de l’héroïne. « Le Passé m’a guérie. J’ai pu sortir de moi des terreurs que je mettais sous le tapis », raconte-t-elle. Sur le plateau, elle irradie. Pascal Rambert, qui la voit jouer, lui taille un rôle sur mesure dans sa pièce Finlandia, en 2024 : « Je rêvais de travailler avec lui », s’enthousiasme celle qui s’est sentie « à la maison » dans les mots de l’auteur et metteur en scène.

 

Evoluer dans le cadre serré d’une écriture, y trouver ses espaces de liberté : quand il n’y a pas de texte pour baliser son chemin, l’actrice a l’impression de « sauter à l’élastique ». Un défi qu’elle relève avec Lorraine de Sagazan, auprès de qui elle s’initie à une méthode déstabilisante : l’improvisation. « Pour Lorraine, l’acteur est un créateur qui nourrit le personnage de ses ressentis. Moi qui suis une interprète docile, je dois apprendre à m’émanciper. »

 

Cet apprentissage s’accomplit sur un terrain qui lui est, pour le coup, familier. Léviathan est un spectacle qui interroge, selon le programme avignonnais, « la justesse de la justice institutionnelle ». Or, l’exercice de la justice passionne la comédienne, qui fréquente avec assiduité les tribunaux pour y assister à des séances de comparution immédiate. « Dans les prétoires, le symbolique et le réel absolu se percutent. Les journées peuvent durer treize heures. On s’ennuie, on somnole, puis, soudain, comme au théâtre, surgit un moment d’humanité écrasante qui met le corps et l’esprit en tension. »

 

Drôle de passe-temps, se dit-on, avant de se souvenir que, en 2024, pour sa première apparition solitaire sur les planches, Victoria Quesnel avait souhaité adapter et jouer Nom (Flammarion, 2022), un récit de Constance Debré, avocate devenue écrivaine. L’inconscient a lui aussi ses lois.

 

 

Léviathan, texte de Guillaume Poix, mis en scène par Lorraine de Sagazan. Gymnase du lycée Aubanel, Avignon. Du 15 au 21 juillet, à 18 heures. Festival-avignon.com

 

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale du Monde )

 

Légende photo : Victoria Quesnel, en avril 2024. PAULINE ROUSSILL

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July 14, 2024 6:05 PM
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Dans le « off », à Avignon, jouer quitte à perdre de l’argent

Dans le « off », à Avignon, jouer quitte à perdre de l’argent | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nicole Vulser, envoyée spéciale du Monde à Avignon - 14 juillet 2024

 

Les compagnies se pressent par centaines pour présenter leur spectacle, en espérant être repérées pour organiser des tournées. Avec le calendrier imposé par les Jeux olympiques et les élections législatives, le public s’est raréfié.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/07/14/dans-le-off-a-avignon-jouer-quitte-a-perdre-de-l-argent_6249759_3234.html

En jouant dans le Festival « off » d’Avignon, la quasi-totalité des compagnies perdent leur mise. Et pourtant, chaque année elles se précipitent par centaines dans l’espoir d’être repérées par des programmateurs influents qui leur traceront de brillantes destinées. En 2024, les 1 316 compagnies qui se disputent âprement les faveurs du public proposent 1 666 spectacles, tous genres confondus.

 
 

Une offre un peu plus étoffée qu’en 2023, mais à peu près autant de levers de rideaux quotidiens, puisque certaines compagnies jouent moins longtemps, précise Harold David, coprésident d’Avignon Festival et Compagnies. La manifestation pâtit cet été d’un calendrier abrégé par les Jeux olympiques et paralympiques (le « off » sera clos le 21 juillet, au lieu de fin juillet). Le démarrage s’est avéré erratique : seuls 40 % des spectacles ont commencé le 29 juin et la totalité de l’offre n’a été accessible que le 3 juillet. Ce qui a perturbé les habitués et raréfié le public. D’autant plus que les amateurs de théâtre ont tardé à venir en raison des élections législatives, les 30 juin et 7 juillet.

 

Pour faire face aux dix premiers jours catastrophiques en matière d’audience, Fabrice Roux, président de La Scène indépendante (syndicat national des entrepreneurs de spectacles), a demandé au ministère de la culture, puis à l’Elysée, une aide exceptionnelle de 3,5 millions d’euros, qui correspond au prix de 30 % de la billetterie des dix premiers jours. En vain.

La difficulté d’être à l’équilibre

C’est peu dire que la compétition entre compagnies, cette année plus ramassée dans le temps que d’habitude, se révèle d’une violence inouïe. Comment exister dans un tel tsunami d’offres ? Certains profils brillent par leur aspect atypique. Jean-Michel Rallet, cocréateur d’un fonds de capital-investissement, remercié par ses trois associés, pourtant « des amis de trente ans », a radicalement changé de vie. Il s’est lancé « par catharsis », dit-il, dans l’écriture de sketchs pour devenir humoriste.

En 2023, il a rodé sa pièce Changement de vie involontaire, qu’il joue à 19 heures dans une petite salle de 56 fauteuils, le BA. « Je ne voulais pas mourir en étant le plus riche du cimetière », assure ce financier reconverti à 50 ans, désormais seul en scène, qui arpente chaque jour les rues d’Avignon pour « tracter », distribuer ses prospectus. Et tenter d’attirer le chaland, le sport national du « off ».

 

La location de la salle lui coûte 7 200 euros (le prix moyen de location s’élève à 100 euros hors taxe pour un fauteuil), son logement, bien situé, plus de 3 000 euros. Des frais auxquels s’ajoute le coût du régisseur, de l’inscription au festival, des affiches, de la communication… Au total, jouer lui revient à près de 15 000 euros. « Pour être à l’équilibre, la salle devrait être remplie tous les soirs à 80 %, c’est impossible », dit-il. En 2023, il a perdu 10 000 euros. « Je jouais à un mauvais horaire, à 13 heures, et personne ne va louper un déjeuner pour moi », admet-il.

« Cachets d’intermittence »

L’illusionniste William Arribart, jeune entrepreneur de 26 ans qui produit lui-même ses spectacles et joue au Paradise République vient pour le plaisir. Il a fait ses comptes. « Cela me coûte 15 000 euros pour le mois, détaille-t-il. Ce n’est rien par rapport à une journée au Zénith à Paris [50 000 euros] », salle qu’il a remplie en 2023.

 

La grande majorité des compagnies ne bénéficie pas de réserves financières, et trop souvent les comédiens ne touchent aucun cachet. Un sacrifice pour être présent dans ce plus grand marché du monde.

 

Avec six acteurs dans Un pour tous, l’auteur Mathieu Peralma et le metteur en scène Eric Savin savent qu’ils jouent à perte. « L’Archipel Théâtre a une jauge de 77 places, or il nous faudrait la recette quotidienne de 110 places pour atteindre l’équilibre », reconnaissent-ils. Impossible de gagner un centime, même en rêve. Les comédiens, salariés pour leur prestation, doivent payer leur loyer. « La compagnie perd de l’argent, mais être sur scène permet aux comédiens d’obtenir la moitié des cachets annuels dont ils ont besoin pour rester dans le système de l’intermittence », explique Mathieu Peralma. Il regrette que l’aide publique du Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle – attribuée aux compagnies dès que plus de trois comédiens se produisent dans une salle de petite jauge – ait fortement diminué.

 

Si la troupe y va quand même, c’est qu’elle espère vendre le spectacle, organiser une tournée. Les professionnels qui font venir les programmateurs monnaient leurs prestations, jusqu’à 4 000 euros pour le mois du « off », sans compter une part de 10 % à 15 % sur chaque vente ultérieure de spectacles.

« Vendre des dates »

Pour exister, être repéré, la solution peut passer par la reprise d’un texte connu. C’est l’option choisie par Benjamin Bouzy et Vincent Marguet, les metteurs en scène de Moby Dick, de Herman Melville, et de L’Alchimiste, de Paulo Coelho. Eux aussi viennent « vendre des dates » après Avignon.

 

La metteuse en scène Tatiana Vialle qui présente Etre peintre, d’après la correspondance de Nicolas de Staël, a bénéficié d’un contrat, plutôt inhabituel, de coréalisation avec la direction de la salle Au Palace. Elle ne paie pas de location, mais partage les recettes. Malgré cet avantage, elle va « perdre au moins 8 000 euros », explique-t-elle. Ce spectacle, qui avait trouvé son public à Paris au Théâtre 14, est à la peine dans le « off ». Au Palace a changé de mains, et son directeur en a radicalement modifié la programmation, abandonnant les grosses comédies au profit de spectacles plus exigeants. Sauf que, pour l’heure, le public n’a pas suivi.

 

Cette année, même les spectacles portés par des comédiens qu’on ne présente plus, comme Natacha Régnier, sont à la peine. A La Scala Provence, la salle n’était remplie qu’au quart la première semaine de juillet pour l’applaudir dans Pannonica, papillon du jazz, une pièce sur une amoureuse du jazz. Et son voisin Philippe Torreton jouait aussi jusqu’au 7 juillet devant un public clairsemé.

A Avignon, les grands gagnants du festival restent donc les propriétaires de maisons et d’appartements qui profitent de la poule aux œufs d’or pour augmenter les loyers. Et les salles, qui louent aussi au prix fort pendant la saison. Un label de qualité fondé sur une multitude de critères d’accueil des compagnies sera, enfin, mis en place en 2025.

 

Nicole Vulser (envoyée spéciale à Avignon )

 

Légende photo : Des acteurs et musiciens participent au défilé du festival « off » d’Avignon, le 2 juillet 2024. SYLVAIN THOMAS / AFP

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July 12, 2024 2:05 PM
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Dans le off d’Avignon, la folie douce et poignante d’«Une pièce sous influence» 

Dans le off d’Avignon, la folie douce et poignante d’«Une pièce sous influence»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Sonya Faure dans Libération - 10 juillet 2024

 

 

Entre la pure drôlerie et le drame, le spectacle du collectif la Cohue dresse le beau portrait d’une femme sur le fil et parvient avec maîtrise à tisser l’absurde, la douleur et le rire.

 

Ils rentrent chez eux, elle et sa robe de mariée tachée de sang, lui et sa cotte de mailles. Ils reviennent du carnaval. La maison est vide, ou presque. On va vite le comprendre, demain, ils signeront son acte de vente. Il n’y a presque plus de meubles, sauf dans la chambre de leur fille Nora qu’ils n’ont pas encore vidée, mais il y a des confettis partout sur le sol, c’est très joyeux. Ils ont un peu bu, elle lui lance des phrases cultes de films de cinéma, il retrouve les titres du tac au tac. Quand elle parle, elle patine parfois et ne se souvient pas des noms (Comment il s’appelle déjà, ce film avec Gena Rowlands ? Etait-il en couleur ou en noir et blanc ?), elle dit un mot pour l’autre, «sardine» pour «sirène» par exemple, elle est amusante Anna, un peu inquiétante aussi. «Allez, j’oublie les noms, pas le reste», rétorque-t-elle à son mari, qui sans ménagement lui lance qu’elle perd la tête. Lui, c’est l’inverse, il fait semblant d’oublier l’essentiel, on le comprendra plus tard.

Plantes en plastique détestées

Anna a eu une idée bizarre : elle a invité à dîner, ce soir, les futurs propriétaires de la maison, rencontrés par hasard au carnaval. «Mais tu ne pourrais pas essayer de faire des trucs normaux ?» se désespère Mathias. C’est vrai qu’inviter les futurs proprios est un pari risqué et ça ne rate pas. Quand l’acheteur – déguisé en Batman – arrive, il trouve que le salon fait plus petit, depuis qu’on l’a vidé, et puis cette odeur dans le jardin c’est normal ?

Une pièce sous influence, du collectif la Cohue, sera l’histoire d’une nuit, de cette rencontre entre deux couples, ceux qui partent et ceux qui débarquent, et des traces qu’il reste d’un drame. C’est aussi un beau portrait d’une femme qui perd la raison, ou du moins qui n’a pas la même raison que les autres. Anna (excellente Sophie Lebrun, comédienne et cometteuse en scène de la pièce) qui déteste les plantes en plastique, surtout sur les tombes, qui dit «Asseyez-vous» à ses invités alors qu’il n’y a pas de chaises, qui entend «faïence» quand on lui parle «finances»Comme les femmes chez Cassavetes, Anna est une femme qui coule.

 

Pure drôlerie

Dans cette maison où on balaie de la main les confettis sur le piano comme ailleurs on enlèverait de la poussière, dans cette «dernière maison de la rue avant les bois», elle voit les esprits que d’autres ne veulent pas deviner, elle est la seule, aussi, à voir le lustre qui monte et qui descend tout au long du spectacle. Au fond de la scène, où pendent des pigeons et des mouettes en plâtre, un homme (Nicolas Tritschler) joue de la batterie qui parfois recouvre les conversations des deux couples. Mi-cotillon mi-chagrin, Une pièce sous influence tire sa réussite, dans sa première partie surtout, du lien serré qu’elle tisse entre une pure drôlerie et la douleur du drame. La maison en vente n’a plus beaucoup de meubles, des murs dont on se demande s’ils sont porteurs, mais il reste encore un paillasson, sur lequel il y a écrit «L’espoir».

Une pièce sous influence, mise en scène de Sophie Lebrun et Martin Legros, jusqu’au 21 juillet (relâche le 15) au théâtre 11 à Avignon. Puis le 7 mars 2025 à la Halle ô grains de Bayeux, le 20 mars au Forum de Falaise.

 

 

Sonya Faure / LIbération 

 

 

Retrouvez ici les recommandations de l’équipe théâtre de Libé, dans le In comme dans le Off du festival d’Avignon 2024.

 

Légende photo : «Une pièce sous influence» est l’histoire d’une rencontre entre deux couples, ceux qui partent et ceux qui débarquent. (Virginie Meigné)

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July 12, 2024 12:49 PM
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C’est mort (ou presque), texte de Charles Pennequin, mise en scène Joachim Latarjet et Sylvain Maurice, au Train Bleu, Avignon Off. 

C’est mort (ou presque), texte de Charles Pennequin, mise en scène Joachim Latarjet et Sylvain Maurice, au Train Bleu, Avignon Off.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Louis Juzot dans Hottello - 11 juillet 2024

 

 

 

C’est mort (ou presque), texte de Charles Pennequinmise en scène Joachim Latarjet et Sylvain Mauriceavec Joachim Latarjet.

 

 

Joachim Latarjet a conçu son solo musical et poétique à partir d’extraits d’œuvres de  Charles Pennequin. Musicien avant tout, il a été ébloui par le style  du poète performeur. Il nous dit dans sa note d’intention : « Les phrases de Charles Pennequin avancent en spirale. Ce sont des boucles qui avancent…Et alors, comme j’aime travailler la musique à partir de boucles et de ritournelles, l’écriture de Charles Pennequin m’a immédiatement plu, m’a immédiatement parlé, concerné. »

 

C’est clairement dit; alors avec ses instruments autour de lui, des pédales en bas, des micros en haut, Joachim Latarjet déroule ses boucles et ritournelles en troquant sa guitare pour une basse, puis un trombone, puis un tuba, puis rebelote. Dans un  espace réduit, il se tient assis. Quand il ne souffle pas, il dit des extraits des œuvres de Charles Pennequin, des pensées simples en forme d’aphorismes, des bouts de souvenirs d’enfance, des charges ironiques contre le politique, les puissants mais aussi contre lui-même.

 

Charles Pennequin est un poète autodidacte, né dans une famille modeste du Cambrésis. Il sera pendant dix-huit ans gendarme mobile, avant de se vouer à la poésie écrite, lue, proférée par lui-même. Il improvise des textes  lors de performances publiques ou en vidéo ou bien déclame, façon gueuloir flaubertien, ses textes publiés. Son sens du rythme et de la prosodie, sa diction précipitée associée au ressassement et au jeu de langue propre à sa poésie, accroche immédiatement l’oreille de l’auditeur ou du lecteur, sans compter la séduction opérée par un personnage massif, plutôt l’air d’un catcheur que d’un dandy romantique. 

 

La plupart de ses textes sont publiés chez POL

Et là réside  le problème du micro concert concocté par Joachim Latarjet et Sylvain Maurice, le son, comme la forme, est net et propre, les petites phrases musicales sont joliment ourlées et la voix grave bien posée, mais la folie du poète n’est pas là. C’est un bon travail d’artisan talentueux mais anachronique, il manque dans la musique comme dans la voix ce grain de folie, ou cette touche punk, qui hante les mots de Charles Pennequin.

 

 

 

Louis Juzot / Hottello

 

 

Du 3 au 21 juillet, 18h40, relâche le 15 juillet, Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Saïn, 84000 Avignon.

 
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