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Le spectateur de Belleville
October 24, 2024 6:35 PM
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Propos recueillis par Alexandre Demidoff dans Le Temps.ch - le 23 octobre 2024 Choisi en juin pour diriger la grande maison jurassienne, le metteur en scène romand a dû renoncer à son poste en septembre. A l'origine de ce coup de théâtre, une lettre anonyme adressée au conseil de fondation de l’institution le présentant comme un harceleur. Alexandre Demidoff Publié le 23 octobre 2024 à 06:16 _Photo Erika Irmler Pas une victime, non, surtout pas. Dorian Rossel, 49 ans, ne veut pas de cette étiquette. Mais un homme ébranlé à l’évidence. Le metteur en scène romand essuie la tempête depuis cet été. A l’origine, un baiser forcé il y a quatre ans. Une faute déplorable, il le reconnaît. La victime, comédienne, a souhaité tourner la page très vite. Stupeur: en mai, l’affaire remonte à la surface. A Genève, deux affiches montrant son visage en grand pour son spectacle Tous les poètes habitent Valparaiso sont maculées d’injures. Des mots sans commune mesure avec l’acte. Le 27 juin, le conseil de fondation du Théâtre du Jura annonce sa nomination au poste de directeur. Stupeur (bis), le 6 septembre: cette même instance annonce que d’un commun accord avec elle, Dorian Rossel renonce à son poste. Lire: Sur fond d’accusation de harcèlement sexuel, le Théâtre du Jura renonce à son futur directeur Le Temps révélait alors les dessous d’une affaire qui remonte à ce baiser contraint en décembre 2020. Dans un milieu longtemps gangrené par le sexisme, des esprits justiciers ont voulu instrumentaliser cet égarement. Leur réussite est totale tant ses conséquences paraissent aujourd’hui exorbitantes, symptômes d’une époque où les passions funestes l’emportent. L’artiste, qui ne s’était pas exprimé, dénonce un flot de calomnies et plaide pour la mesure. Lire aussi: Une carrière brisée pour un baiser forcé, vraiment? Le Temps: Que s’est-il passé au mois de décembre 2020 avec la jeune comédienne que vous mettiez en scène dans un spectacle de l’Ecole Serge Martin? Dorian Rossel: Le spectacle de sortie de l’école n’avait pas pu avoir lieu en juin à cause du covid. Sept mois plus tard, Serge me demande d’en faire un avec les diplômés de la volée, afin de leur offrir de la visibilité. Le dernier soir des représentations, il pleut, je suis en voiture. Je ramène des interprètes, dont la comédienne en question… Au moment de nous dire au revoir, nous nous sommes pris dans les bras pour un hug. J’ai cru qu’il y avait quelque chose entre nous et je l’ai embrassée. C’était un baiser forcé… J’ai réalisé rétrospectivement que c’était un baiser non désiré, oui. Je n’ai pas usé de force, mais je n’ai pas été assez sensible à elle. Il y a eu même deux baisers d’après l’audit? Mon souvenir est que nos lèvres se sont touchées et que ça s’est arrêté là. J’ai su deux ans après qu’elle avait un souvenir différent. Je ne conteste évidemment pas, il se peut que j’aie fait un déni, la mémoire pouvant s’altérer dans un sens comme dans l’autre. La chose qui est sûre est que j’ai manqué de sensibilité, que je me suis trompé. Ce qui me navre, c’est d’avoir fragilisé un être, de l’avoir plongé dans l’insécurité. Je n’ai jamais voulu ça de ma vie. Vous étiez son prof, ce qui rend l’acte encore moins admissible… Non, je n’étais pas son professeur. Les acteurs n’étaient pas mes étudiants et ne l’ont jamais été. Elle avait 30 ans, j’en avais 45. Mais il est vrai qu’entre un metteur en scène et des acteurs il y a aussi une hiérarchie et je l’ai compris en faisant un travail d’introspection. J’ai commis une faute, je le répète. Avez-vous fait votre mea culpa auprès de l’intéressée? Oui, dès le lendemain, on a échangé des textos. Je lui ai dit que j’étais désolé, que je m’étais fourvoyé et j’ai présenté mes excuses. Elle m’a répondu que c’était réglé pour elle. Que s’est-il passé ensuite ? Deux ans plus tard, Delphine Lanza, ma compagne qui codirige la compagnie, donne un stage à l’Ecole Serge Martin. Elle me demande de la remplacer pour un cours. Ce jour-là, quatre étudiantes me boycottent, parce qu’elles ont entendu parler de cette histoire. Je suis sous le choc, j’envoie un message à la comédienne que j’ai embrassée. Je lui demande s’il y a encore un problème. Elle me répond que non et qu’elle souhaite, depuis le début, passer à autre chose. Il n’empêche que la rumeur était lancée. Qui a décidé de commanditer l’audit mené par Cécile Pache de CP Conseil ? Cet audit a été décidé au sein de la compagnie, par Delphine, le comité de notre association et moi. Nous en avons informé les autorités subventionnantes qui ont gelé leurs aides le temps de l’enquête, soit six mois. Qu’attendiez-vous de cette démarche ? Personnellement, je voulais nettoyer mon nom et ma pratique. En vingt ans de compagnie, il nous est arrivé d’engager jusqu’à 60 personnes par an. Et il n’y a jamais eu la moindre plainte, la moindre insécurité dans le travail. Ce bien-être est une valeur cardinale pour moi. Nous visons à la parité homme-femme à tous les postes. La compagnie, c’est Delphine et moi. Quelle remise en question ça a impliqué pour vous ? Je fais une thérapie individuelle et en couple pour analyser ce qu’il s’est passé. Je crois aujourd’hui mieux comprendre les rapports systémiques de domination patriarcale, qu’ils soient visibles et invisibles. Je suis convaincu que la libération de la parole des femmes est une bénédiction. Il est évident qu’il faut que ça change dans notre milieu. Tout exemplaire que vous souhaitez être, Cécile Pache conclut que le cas s’apparente à du harcèlement sexuel en vertu de la loi sur l’égalité… Oui, elle utilise l’intitulé légal: en Suisse, un baiser non consenti est considéré ainsi. L’audit conclut à un acte déplorable, mais isolé qu’il faut rapporter à vingt ans d’exemplarité dans la compagnie. Les autorités subventionnantes – les ville de Genève, de Lausanne, de Meyrin ainsi que le canton de Genève – ont alors pris leurs responsabilités: elles ont débloqué la subvention au début de 2023. Rien ne nous interdisait dès lors de nous porter candidats à une nouvelle convention pour la période 2025-2027. L’avez-vous fait? Oui, à la fin du mois de juin. Nous venons de recevoir la réponse. Elle est négative. Est-ce une conséquence de l’affaire selon vous? C’est un concours, beaucoup de compagnies postulent. Nous avions cette convention depuis 2009. Cela ne nous empêchera pas de demander des aides au projet. Pourquoi n’avoir pas dit à la commission qui vous auditionnait pour la direction du Théâtre du Jura que vous aviez fait l’objet d’un audit? L’histoire était close à mes yeux. Nous avions agi au mieux compte tenu des circonstances. Il n’y a jamais eu de plainte. Nous avons aussi pris des mesures à l’intérieur de la compagnie pour être sûr que ce genre d’événement ne puisse pas se produire, avec la désignation d’une personne de confiance. Deux affiches de votre visage taguées en mai au moment de la présentation à Carouge de votre spectacle «Tous les poètes habitent Valparaiso» vous rappelaient pourtant que tout le monde n’avait pas oublié… J’ai trouvé l’acte grave, relevant de la diffamation, voire de la calomnie. Effectivement, deux affiches sur 500 ont été maculées et cela m’a affecté. J’ai déposé plainte. Si je l’avais su plus vite, la police aurait pu identifier l’auteur de ces calomnies grâce à des caméras de surveillance, mais elles ne conservent pas les images au-delà de sept jours. Comment expliquez-vous que fin juin le conseil de fondation du Théâtre du Jura vous nomme pour succéder à Robert Sandoz et que deux mois plus tard il annule la décision? Il a reçu une première lettre anonyme le 10 juillet dans laquelle son auteur annonçait qu’il alerterait la presse. Il a demandé à lire l’audit et a appelé Cécile Pache. Il s’est réuni finalement le 23 août et m’a reçu. Comme par hasard, la veille, il a reçu une deuxième lettre anonyme avec des informations «envue de votre rencontre avec Dorian Rossel». Comment cette personne pouvait-elle être au courant de la réunion de l’instance? A la fin de sa lettre, elle déclare qu’elle reste à disposition pour parler de l’affaire. Je pense que la décision finale a été purement politique et guidée par la peur. Avez-vous l’impression qu’il vous sera plus difficile de travailler en Suisse romande? J’espère que les professionnels sauront faire la part des choses. J’ai perdu le Théâtre du Jura, c’est une sanction assez lourde. Est-ce que ma condamnation doit être éternelle? Je veux espérer qu’on est dans un pays où on peut croire à la justice. Avez-vous échangé depuis cette affaire avec des associations luttant contre les abus dans le milieu artistique, le groupe Arts Sainement par exemple? Oui, je leur ai dit que leur combat était le mien. Mais pour que la libération de la parole continue d’être prise au sérieux, il faut être vigilant sur les moyens mis en œuvre. J’ai lu les deux lettres anonymes, elles sont diffamatoires et mensongères. Nous avons déposé plainte. Le combat de celles et ceux qui veulent en finir avec les abus et les discriminations vaut la peine, on peut prendre le risque de le mener à visage découvert. Pourquoi prendre la parole aujourd’hui? Je ne peux accepter qu’on me calomnie ainsi sur la place publique. J’ai pu lire sur les réseaux: «Bravo au Théâtre du Jura d’avoir préservé la Suisse romande de ce prédateur qui a abusé de tant de jeunes filles!» C’est fou! Je ne veux pas qu’en Suisse romande on puisse dire impunément des choses aussi fausses sur les gens. Et qu’on écrive des lettres anonymes pour faire tomber des personnes. J’ai l’impression que les auteurs de cette campagne se sont trompés de personne. Je combats les harceleurs. J’ai fait une faute, je la reconnais, je la déplore. N’en faites-vous pas trop? Je ne crois pas. La libération de la parole des femmes est fantastique. Que cela change les rapports de domination sexiste, je ne peux qu’approuver. Tout le monde doit être féministe. C’est l’écrivaine et essayiste afro-américaine Bell Hooks qui dit ça. Mais il est capital de faire preuve de justice, de mesure et de proportionnalité. Y aura-t-il des suites juridiques de votre fait, hormis la plainte contre inconnu pour diffamation? Non. J’ai suffisamment de rêves et de projets en cours. Toute mon équipe est soudée et elle compte sur moi. Je ne veux pas et ne peux pas la décevoir. Quelles leçons tirez-vous de cette affaire? Nous avons tous une responsabilité dans la profession pour mettre fin à des pratiques aussi anciennes que dégradantes. Mais nous devons tous faire en sorte, y compris les autorités subventionnantes, qu’il n’y ait pas de dérive car cela dessert la cause. Parce que malheureusement d’une calomnie il reste toujours une suspicion. Propos recueillis par Alexandre Demidoff / Le Temps Légende photo : Dorian Rossel, 49 ans: «La décision de m'écarter de la direction du Théâtre du Jura est purement politique et guidée par la peur.»
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Le spectateur de Belleville
October 23, 2024 1:28 PM
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Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 21 oct. 2024 Dans une mise en scène épurée de Jacques Osinski, Sandrine Bonnaire incarne magistralement la folie criminelle de l'héroïne de Duras. Avec Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann, elle forme un trio d'exception, porteur de tous les non-dits d'un drame qui interroge l'absurdité de l'existence. Elle se tient immobile, assise sur une chaise, seule sur le devant de la scène du Théâtre de l'Atelier. Le regard fixe, intense, par instants perdu vers un ciel lointain, elle répond d'une voix limpide à l'Interrogateur. Parfois, elle sourit, lorsqu'elle parle de son jardin refuge et de « la menthe anglaise » qui poussait au pied de sa maison de Viorne… Puis, elle se fait grave, visage fermé, tressaillant à peine quand elle évoque son crime, atroce… Sandrine Bonnaire est impressionnante dans le rôle de Claire Lannes, héroïne de « L'Amante anglaise », coupable d'avoir sans raison apparente trucidé et dépecé sa cousine sourde et muette. Par son jeu concret, jamais éthéré, mettant en relief méthodiquement les non-dits du texte, elle donne une densité phénoménale à son personnage tutoyant la folie et confère une fulgurante modernité à la pièce de Marguerite Duras, créée en 1968. Le public ne perd pas une miette de ses mots et de ses gestes en suspens. Il réserve la même écoute à l'interrogatoire serré, mené de sa voix sortilège par Frédéric Leidgens, et aux justifications embarrassées du mari qui n'a rien vu venir, Pierre, incarné avec une distance subtile par Grégoire Oesterman. Cette « quintessence du petit-bourgeois haïssable » selon Duras est saisie dans sa mâle assurance, soudainement ébranlée. Le comédien le montre plus décontenancé que vraiment attristé par ce crime qui va le débarrasser de sa femme dérangée. Variation sur un fait divers, sujet déjà d'une première pièce de l'écrivaine en 1949, « Les Viaducs de la Seine-et-Oise », « L'Amante anglaise » est une mécanique implacable. Ce vrai faux drame policier, divisé en deux interrogatoires d'égale longueur (le mari, puis la meurtrière) exige l'épure. Jacques Osinski est un maître en la matière comme en témoignent ses récentes mises en scène de l'oeuvre de Beckett. Il s'est donc effacé derrière le texte. Il a réuni un trio d'acteurs hors-norme et les a accompagnés avec soin dans toutes les nuances d'un drame où chaque réplique ouvre des abîmes, chaque silence nous renvoie à la folie qui rôde aux confins du monde. Un seul effet spectaculaire marque le spectacle : quand le rideau de fer bornant le premier interrogatoire se lève sur la scène vide et laisse apparaître tout au fond Sandrine Bonnaire, avançant tel un ange noir surgi de l'enfer. Evidemment, ce qui vient à l'esprit quand la représentation s'achève est la célèbre formule de Duras, « sublime, forcément sublime », qui fit scandale en 1985 au moment de l'affaire Grégory et alors mal à propos. Elle sied mieux à cette « Amante anglaise », insaisissable et tragique, transcendée par trois comédiens incandescents. L'AMANTE ANGLAISE de Marguerite Duras Mise en scène de Jacques Osinski Paris Théâtre de l'Atelier www.theatre-atelier.com A Versailles - Montansier du 9 au 11 janvier. A Poitiers (le 14), à Toulon, les 16 et 17, et à Deauville (Franciscaine) le 8 février, etc. 2 h 10. Légende photo : Par son jeu concret, jamais éthéré, Sandrine Bonnaire donne une densité phénoménale à son personnage sombrant dans la folie. (© Pierre Grosbois / Théâtre de l'Atelier)
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Le spectateur de Belleville
October 22, 2024 1:14 PM
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Par Samuel Douhaire dans Télérama - Publié le 29 août 2024 La première accuse Catherine Breillat de viol sur le tournage de “Romance” en 1999. La seconde raconte dans “Elle” avoir été blacklistée après avoir dénoncé la toxicité d’Arnaud Desplechin. Des témoignages longtemps méprisés… jusqu’à aujourd’hui. Deux actrices accusent deux grands cinéastes de viol d’une part et de comportement toxique d’autre part. Caroline Ducey, après vingt-cinq années de silence, révèle dans son livre La Prédation (nom féminin), paru chez Albin Michel, avoir subi un viol en tournant une scène de Romance (1999), de Catherine Breillat, et avoir été sous l’emprise de la réalisatrice — ce que cette dernière dément. Marianne Denicourt, dix-huit ans après le procès pour « atteinte à la vie privée » qu’elle a perdu contre Arnaud Desplechin — alors que le tribunal avait reconnu que l’auteur de Rois et reine (2004) avait « créé son film autour de son histoire et de celles de ses proches » —, raconte dans le magazine Elle comment son ex-compagnon a « pillé » son existence et « utilisé son art pour la détruire psychiquement ». À l’époque des faits, la première s’était « bâillonnée par fierté et par déni d’être victime », avant d’être longtemps minée par la dépression et la toxicomanie. La seconde, dont la carrière était en pleine ascension, a pratiquement disparu des écrans pour, explique-t-elle, avoir « osé attaquer la coqueluche du cinéma français et la boîte [Why Not Productions, ndlr] qui produisait tout le cinéma d’auteur ». À lire aussi : Jacquot, Doillon… Cinéastes tout-puissants et actrices sous emprise : enquête sur un système de prédation Mais depuis, le mouvement #MeToo a libéré la parole. Et les mots d’Adèle Haenel, de Judith Godrèche, de Juliette Binoche, entre autres consœurs, ont donné à Caroline Ducey et à Marianne Denicourt la force, le courage et la volonté de s’exprimer à leur tour pour que les abus cessent enfin. Le cinéma français, qui les a largement ignorées, sinon méprisées hier, serait bien inspiré d’entendre aujourd’hui leurs témoignages. Et leur leçon : un artiste, si talentueux soit-il, ne peut pas, ne peut plus, tout se permettre au nom de la liberté de création. Samuel Douhaire / Télérama Lien vers tous les articles de la Revue de presse théâtre liés au thème "#MeToo Théâtre / Cinéma" Légende photo : Caroline Ducey dans « Romance », de Catherine Breillat, en 1999, et Marianne Denicourt dans « La Vie des morts », d’Arnaud Desplechin, en 1991. Flash Films/Odessa
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Le spectateur de Belleville
October 21, 2024 2:36 PM
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Par Jacques Morice dans Télérama - Publié le 21 octobre 2024
Connue pour avoir joué dans le sulfureux “Emmanuelle”, mais aussi chez Antonioni puis au théâtre avec les plus grands, Christine Boisson restera pour nous Cora, la magnétique chauffeuse de taxi d’“Extérieur Nuit”. Elle s’est éteinte le 21 octobre, à 68 ans.
On se souvient. C’était un soir, à la télévision, au Ciné-Club de Claude-Jean Philippe. On était une poignée d’amis du lycée. Il passait Extérieur Nuit, de Jacques Bral (1980). L’ambiance était plutôt à la déconnade. On a commencé à regarder, non sans sarcasmes au début, puis le silence s’est fait, on a éteint les dernières lumières, le noir complet convenait mieux. On a plongé, totalement captivé par l’atmosphère poisseuse du film, sa musique bluesy-jazzy mâtinée de tango. Le film racontait la dérive dans un Paris nocturne de deux glandeurs (Gérard Lanvin et André Dussollier) et surtout de Cora, jeune chauffeuse de taxi, amazone insaisissable, braqueuse à ses heures, qui rêvait d’Argentine. Cette fille, c’était Christine Boisson, garçonne sexy et un peu rock, démarche insolente et tache mystérieuse tout près de sa pupille droite. Une apparition.
On n’était pas tout seul à avoir flashé sur elle. Deux ans après, le grand Michelangelo Antonioni en personne faisait appel à elle pour jouer une jeune actrice de théâtre dans Identification d’une femme (1982). Elle y était l’amante aimante, douce et terrienne, du personnage principal. Le maître italien avait su mettre en valeur son front bombé, ses cheveux courts et son cou dégagé, faisant d’elle un modèle très pictural.
Beauté animale Le troisième jalon marquant, c’est Liberté, la nuit (1983), l’un des plus beaux films de Philippe Garrel, avec Maurice Garrel, où elle incarne une jeune femme venant d’Algérie. Dans une scène de lit, après l’amour, à demi vêtue d’un drap blanc, elle offre un long regard-caméra, de très haute intensité.
Sa beauté animale et sculpturale, avec un soupçon d’oriental, lui avait fait commencer une carrière de mannequin. Elle était encore mineure, à 17 ans, lorsque Just Jaeckin l’avait recrutée pour jouer dans le fameux Emmanuelle (1974). Qui fit sa célébrité et fut son poison. La cantonna un moment aux rôles dénudés. Après un passage par le Conservatoire, elle échappa au traquenard, en s’imposant comme une actrice de talent, aussi sensuelle que solide, au caractère bien trempé. Au théâtre, elle travailla avec les plus grands, Claude Régy, Roger Planchon, Luc Bondy, Jacques Lassalle. Parmi la cinquantaine de ses autres films, citons Pas très catholique (1993) de Tonie Marshall, La Mécanique des femmes (2000) de Jérôme de Missolz, Le Bal des actrices (2009) de Maïwen. Elle vient de mourir, trop tôt, à 68 ans. Jacques Morice / Télérama Légende photo : Christine Boisson en janvier 1985. Photo Pierre Perrin / GAMMA
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Le spectateur de Belleville
October 18, 2024 7:01 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde, le 18 oct. 2024 La mise en scène de cette pièce russe de Nicolaï Erdman, censurée aussitôt après sa publication, en 1930, en minore la dimension politique.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/18/a-la-comedie-francaise-un-suicide-de-vaudeville_6355330_3246.html
Et pan ! Un homme est mort. Un homme devait mourir. Mais est-ce bien le bon ? Le mort utile, celui qui devait servir à régler quelques petits problèmes ? L’humour grince et réjouit, dans ce joyau du répertoire russe qu’est Le Suicidé, de Nicolaï Erdman, que l’on était particulièrement heureux de retrouver à la Comédie-Française, dans une mise en scène de Stéphane Varupenne, un des comédiens de la troupe. Las ! Ce Suicidé est apparu bien poussif, se tirant une balle dans le pied en restant en surface sur la dimension vaudevillesque de la pièce. Nicolaï Erdman l’a écrite à la charnière de 1928 et 1929, au moment où la Russie stalinienne commence à basculer dans la terreur, cette comédie qui épingle aussi bien les dérives totalitaires de la révolution en cours que les médiocrités de l’esprit petit-bourgeois. Dans la lignée des grandes comédies de Gogol, l’auteur y déploie un humour russe noir, acide et absurde, à son summum. Il le paiera cher : dès sa publication, en 1930, la pièce est interdite par la censure. Nicolaï Erdman vivra en relégation jusqu’en 1949, où il sera autorisé à revenir à Moscou, et n’écrira plus rien de significatif. Il faudra attendre 1990 pour que Le Suicidé soit enfin monté en Russie. La pièce a donc une aura un peu mythique, et, ces dernières années, avec la montée d’une nouvelle forme de terreur en Russie, elle est revenue s’inviter sur les plateaux. Pour autant, elle n’est pas simple à mettre en scène. Ses fonds et doubles fonds politiques et métaphysiques en font toute la grandeur, derrière la mécanique du vaudeville à la Labiche. Tout commence d’ailleurs par une scène de ménage, dans le kommunalka (appartement communautaire) où vit Sémione Sémionovitch, l’antihéros de la pièce. Et tout commence avec un problème majeur : la faim – laquelle a autant d’importance chez Erdman que chez Brecht à la même époque, comme moteur anthropologique de la guerre de tous contre tous. Huis clos sans intimité Sémione, petit homme ordinaire, dévirilisé et déconsidéré depuis qu’il est au chômage, réveille sa femme en pleine nuit, parce qu’il veut manger du saucisson de foie. L’épouse l’envoie balader et, ni une ni deux, Sémione menace de se suicider. A partir de là, une folle mécanique s’enclenche, dans le huis clos sans intimité où vivent les personnages. La nouvelle qu’un homme veut mourir se répand comme une traînée de poudre, à tous les niveaux de la société. Le suicidé, une fois mort, va devoir parler, dans un monde où les vivants n’ont plus droit à la parole. Tout ce que Moscou compte de groupes de pression va donc tenter de s’approprier le message post mortem de Sémione : la religion, les intellectuels, les bourgeoises défendant l’amour romantique et la lingerie fine ou les artisans bouchers. L’ennui, c’est que Sémione n’a plus du tout envie de mourir, maintenant qu’il est devenu un personnage considéré et courtisé. Que faire ? Tic-tac, tic-tac, la pièce enclenche son compte à rebours. Le souci, c’est que la mécanique avance ici avec des semelles de plomb. Stéphane Varupenne, qui est non seulement acteur et metteur en scène, mais aussi musicien, peine tout du long à trouver le rythme, la vivacité, la légèreté indispensables à cette folle fuite en avant. Dans le même temps, s’attachant principalement à tenter de faire fonctionner la dimension vaudevillesque, il affadit considérablement la portée politique et existentielle de la pièce, sa manière d’affronter l’énigme de la mort. Malgré une distribution cinq étoiles emmenée par Jérémy Lopez (Sémione), malgré le décor plus vrai que vrai signé par Eric Ruf, ce Suicidé semble mener une course de lenteur vers sa perte, sans que l’on sache trop de quoi on nous parle avec ce spectacle. Fabienne Darge / LE MONDE Le Suicidé, de Nicolaï Erdman. Mise en scène : Stéphane Varupenne. Comédie-Française, salle Richelieu, jusqu’au 2 février 2025. Légende photo : Léa Lopez, Adrien Simion, Clément Bresson, Christian Gonon, Yoann Gasiorowski, lors des répétitions du « Suicidé », de Nicolaï Erdman, mis en scène par Stéphane Varupenne, à la Comédie-Française, le 4 octobre 2024. VINCENT PONTET
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October 18, 2024 5:46 AM
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Par Manuel Piolat Soleymat dans La Terrasse - 18 oct. 2024 Johanny Bert présente Le Spleen de l’ange, sa nouvelle création, au Théâtre des Abbesses. Accompagné d’une manipulatrice d’objets marionnettiques, de deux musiciens et d’une musicienne, le comédien-metteur en scène nous entraîne dans une réflexion très touchante sur les paradoxes de l’existence humaine. Les images sont belles et les chansons mélancoliques. Une atmosphère envoûtante — faite de paysages sonores vaporeux et de tableaux visuels en clair-obscur — nous mène jusqu’aux territoires poétiques d’un ailleurs propice à l’introspection. À la croisée des arts de la marionnette, du théâtre d’objets et du théâtre musical, la nouvelle création du directeur de la Compagnie Théâtre de Romette s’ouvre sur des paroles de Wim Wenders. Extraits d’une émission diffusée sur France Culture en septembre 1987, dans laquelle le cinéaste allemand répondait aux questions de Serge Daney au sujet de son film Les Ailes du désir, ces propos servent de point d’appui, de source d’inspiration à Johanny Bert. « C’était pour pouvoir montrer les humains que j’ai inventé les anges… », déclarait notamment Wim Wenders à la radio. De même, c’est pour parler des paradoxes de l’existence, de la spécificité de notre condition dont la valeur réside en partie dans sa finitude, qu’un être immortel, un ange ayant cessé toute relation avec le divin, vient ici à nous. Il s’approche de la Terre, regarde les femmes et les hommes qui la peuplent, se dit qu’il veut leur ressembler. Il renonce ainsi à son immortalité et se change, peu à peu, en humain. La beauté poétique de notre condition Ce long processus d’incarnation ne va pas de soi. Bloqué entre deux mondes, l’aspirant mortel se coupe les ailes à de multiples reprises, usant pour cela de toutes sortes de procédés. Mais ces attributs encombrants finissent toujours pas se régénérer. Déterminé, il recommence, il s’opiniâtre. Encore et encore. Jusqu’à enfin parvenir à son but… Cette proposition d’une grande sincérité s’adresse aux êtres de chair et d’os que nous sommes de façon à la fois douloureuse et tendre, méditative et humoristique. D’abord marionnette (manipulée par Klore Desbenoit), le personnage inventé par Johanny Bert finit par devenir homme à travers le propre corps du metteur en scène, qui rejoint le violoncelliste Guillaume Bongiraud, le percussionniste-pianiste Cyrille Froger et la violoniste Marion Lhoutellier sur le plateau. Plus fondamentalement métaphysique que La (nouvelle) Ronde (célébration magistralement politique de la liberté amoureuse créée en 2022), Le Spleen de l’ange nous invite à faire un pas de côté pour repenser les rêves et les cauchemars de notre vie sur Terre. Les chemins de réflexion ouverts par cette escapade onirique sont vastes et généreux. Dans l’époque furieuse qui est la nôtre, cet ange nous fait du bien. Le cran qui marque son aventure rehausse l’humanité. Manuel Piolat Soleymat / La Terrasse Le Spleen de l’ange du mardi 15 octobre 2024 au samedi 26 octobre 2024 Théâtre des Abbesses 31 rue des Abbesses, 75018 Paris
à 20h. Durée : 1h05. Tél. : 01 42 74 22 77. www.theatredelaville-paris.com Également le 7 novembre 2024 au Théâtre du Pays de Morlaix, du 13 au 15 novembre au Théâtre 71 - Malakoff Scène nationale dans le cadre du Festival Ovni.
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Le spectateur de Belleville
October 17, 2024 4:13 AM
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Par Steven Soarez dans Viralmag - 16 oct. 2024 Au cœur du Théâtre des Abbesses, un ange passe, porté par les fils délicats d’une marionnette. Le Spleen de l’ange, dernière création de Johanny Bert, nous entraîne dans un voyage poétique inspiré par le film Les Ailes du désir de Wim Wenders. Une expérience théâtrale onirique et touchante, à découvrir jusqu’au 26 octobre. Un Ange Marionnettiste Sur scène, Johanny Bert incarne un ange marionnettiste. Vêtu de blanc, il manipule avec grâce et précision sa créature éthérée, qui vole au-dessus d’une ville en papier. Les gestes sont fluides, le regard intense. L’ange observe les humains, ressent leur mélancolie, leur “spleen” comme le nommait Baudelaire. La marionnette peut exprimer ce qu’un acteur ne peut prendre en charge et a des capacités métaphoriques et oniriques incroyables. Johanny Bert Et en effet, la marionnette confère à cet ange une dimension presque irréelle, suspendue entre ciel et terre. On est happé par la poésie qui se dégage de chacun de ses mouvements aériens. Une danse gracile qui semble défier les lois de la pesanteur. Les Ailes du Désir comme Inspiration Le spectacle puise son inspiration dans le chef d’œuvre de Wim Wenders, Les Ailes du désir. On y retrouve la figure de l’ange, témoin bienveillant et mélancolique de la vie des hommes. Johanny Bert reprend ce thème du regard céleste avec une grande délicatesse. La voix off de Wim Wenders résonne, expliquant que petit, il s’imaginait entouré de six anges gardiens. Une image qui a hanté le cinéaste et qui trouve un écho poétique dans la performance de Johanny Bert. Tout au long du spectacle, l’ange marionnette évolue dans un décor épuré, une ville en papier qui semble tout droit sortie d’un songe. Les jeux de lumière ciselés renforcent cette atmosphère onirique, presque irréelle. Une Expérience Poétique et Musicale Le metteur en scène fait de ce spectacle une véritable expérience poétique, servie par une mise en scène d’une grande finesse. Chaque geste, chaque envol de l’ange marionnette est comme une strophe qui s’écrit sous nos yeux. La musique joue également un rôle clé, accompagnant avec subtilité les différents tableaux. Tantôt mélancolique, tantôt lumineuse, elle se fait le prolongement des états d’âme de ce mystérieux ange sans parole. Un ange passe. Il est amer. Que sentent les anges ? Ni la caresse du soleil, ni le goût du café. Ils veillent en bons gardiens, étrangers à l’élan et à la saveur de la vie. Extrait du spectacle L’Universalité des Marionnettes Johanny Bert est un maître incontesté dans l’art de la marionnette contemporaine. Après des spectacles remarqués comme Hen ou La Ronde, il confirme avec Le Spleen de l’ange toute l’étendue de son talent. Il parvient, avec une économie de moyens, à nous transporter dans un univers onirique, à la lisière du réel et de l’intangible. Sa marionnette ange cristallise à elle seule toute la poésie et la mélancolie de la condition humaine. Ce spectacle est aussi la preuve que l’art de la marionnette peut toucher à l’universel. Par la grâce de ces créatures de bois et de chiffon, il est possible d’atteindre une forme de vérité sur notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes. Conclusion : Un Spectacle à Ne Pas Manquer Avec Le Spleen de l’ange, Johanny Bert signe un spectacle d’une grande délicatesse, qui ne peut laisser insensible. Cette ode poétique et visuelle est un témoignage de la vitalité des arts de la marionnette. Si vous avez la chance de pouvoir assister à l’une des représentations au Théâtre des Abbesses, n’hésitez pas une seconde. C’est une expérience rare et précieuse, un moment hors du temps à savourer comme un doux songe éveillé. Le théâtre de marionnettes n’a pas fini de nous surprendre et de nous émouvoir. Et Johanny Bert en est incontestablement l’un des plus brillants ambassadeurs. Un artiste à suivre de très près. Steven Soarez / Viralmag
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Le spectateur de Belleville
October 15, 2024 11:08 AM
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Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat dans le journal La Terrasse - 25 sept. 2024 Après le succès de Hen et de La (nouvelle) Ronde, Johanny Bert monte sur scène dans son nouveau spectacle : Le Spleen de l’ange. Une rêverie poétique sur la condition humaine présentée au Théâtre des Abbesses. De quelle façon vos spectacles naissent-ils : d’une idée, d’une image, d’une envie… ? Johanny Bert : Ils naissent d’une nécessité très intime qui est souvent une réaction à une chose que je vois dans la société. Mes spectacles ne sont pas autobiographiques. J’ai trop de pudeur pour parler de moi sur scène… Ils se construisent à partir d’inspirations qui s’ajoutent les unes aux autres : des films qui me marquent, des sujets sur lesquels je travaille… Par exemple, pour Le Spleen de l’ange, je suis parti d’un film de Wim Wenders que j’aime beaucoup, Les Ailes du désir. Il y a longtemps que je voulais reprendre, en l’actualisant, ce motif de l’ange qui erre sur terre. Je me suis donc demandé ce que ferait, aujourd’hui, un ange invisible dans notre monde contemporain. « Le Spleen de l’ange est un spectacle contemplatif, un peu comme une rêverie philosophique… » Vous rompez ainsi avec les thématiques liées à la sexualité et au désir que vous exploriez dans vos précédents spectacles… J.B.: Absolument, il s’agit pour moi d’une nouvelle recherche. À travers ce spectacle, j’ai eu envie de questionner la nature profonde de l’être humain. Cela, en interrogeant la fragilité de l’éphémère, en questionnant notre rapport à la vie grâce à l’objet marionnettique. Comme c’était le cas dans Hen, je suis présent sur scène. Le Spleen de l’ange est un spectacle contemplatif, un peu comme une rêverie philosophique, un spectacle sans texte dont les seuls mots sont chantés par le personnage. Diriez-vous qu’il s’agit d’un spectacle de cabaret ? J.B.: Pas du tout. Les chansons sont comme des moments d’introspection de la part de l’ange, qui est représenté par une marionnette que je manipule. La dimension vocale du spectacle n’est pas démonstrative. Elle crée une forme d’ailleurs. Finalement, qui est cet ange qui erre sur terre ? J.B.: C’est un être perdu et mélancolique qui n’a plus aucun contact avec le ciel. N’ayant plus de fonction, il se sent complètement inutile. Au début du spectacle, il décide d’essayer de devenir humain, acceptant pour cela de perdre son immortalité. Pour concevoir ce spectacle, j’ai travaillé avec toute une équipe de constructrices et constructeurs, avec des plasticiens, des musiciens… L’un des enjeux de l’écriture, qui est multiple, est vraiment de faire naître du sensible. Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat / La Terrasse
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Le spectateur de Belleville
October 14, 2024 5:20 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 13 oct. 2024 Une Maison de poupée, spectacle en anglais sur-titré en français, d’après Henrik Ibsen, adaptation et mise en scène Yngvild Aspeli et Paola Rizza. Avec Yngvild Aspeli, Viktor Lukawski, dramaturgie Pauline Thimonnier, chorégraphie Cécile Laloy, scénographie François Gauthier-Lafaye, lumière Vincent Loubière, son Simon Masson, musique Guro Skumsnes Moe, chorale Oslo 14 Ensemble, costumes Benjamin Moreau, manipulation et régie plateau Alix Weugue, conception et réalisation des marionnettes Carole Allemand, Yngvild Aspeli, Pascale Blaison, Delphine Cerf, Sébastien Puech. Yngvild Aspeli invente un univers – images et sons – aux mouvements et aux sentiments intimes, un imaginaire où se mêlent songes et visions réalistes – le commentaire d’un monde violent pour la femme, à moins que le fantastique ne rattrape ostensiblement le quotidien pour le libérer et en finir avec l’angoisse existentielle. En 1879, dans une petite ville de Norvège, Nora Helmer, femme au foyer insouciante, se heurte aux conséquences d’un emprunt illégal qu’elle a contracté pour sauver la vie de son mari Thorvald. Lorsque celui-ci découvre la vérité, leur relation d’apparence parfaite se brise irrémédiablement. Nora réalise que sa vie n’a été qu’un mirage et décide de quitter Thorvald et leurs trois enfants. Opposition manifeste et délibérée d’une femme contre toutes les formes de pouvoir masculin. Le spectacle use fort justement de marionnettes intrigantes de taille humaine que l’actrice et conceptrice manipule et sort de leur rigidité et fixité, si révélatrice de convention immobile et de conformisme aveugle – la paralysie et l’oppression féminines. De plus, la double présence de l’actrice-marionnettiste reste fascinante. Yngvild Aspeli interprète son rôle de théâtre d’épouse et de mère vivante et joyeuse, alors qu’elle sait au fond d’elle-même qu’elle n’est pas sincère; elle fait parler – donne sa voix – à ses proches, le mari, l’ami, l’amie et l’ennemi. La narratrice et son personnage ne sont pas dupes: elles se dévoilent l’une l’autre. L’intérieur initial est bourgeois, parquet de lattes dorées de bois verni, papier choisi de décoration longiligne coloré, canapé, guéridon et chaise, petit sapin de Noël d’époque et enfants soignés de catalogue – poupées embarrassantes dans les bras maternels, qui ne cessent de jouer et de se disputer. Peu à peu, le décor se métamorphose et les murs se couvrent d’immenses toiles noires d’araignées, assombrissant l’espace et préparant la montée de l’angoisse. Les valeurs, les certitudes fondatrices de la vie qu’on croyait éternelles s’écroulent: se produit un vertige où les bestioles semblent prendre le contrôle de l’existence. Dans Une Maison de poupée, ce sont les tarentules – araignée mythique de la province de Tarente en Italie, de très grandes espèces d’araignées-loups, à la disposition oculaire avec quatre grands yeux postérieurs. Soit l’horreur jouée d’un théâtre d’objet et de marionnettes animalières qui envahissent peu à peu le plateau, depuis la plus petite d’abord jusqu’à la plus grande aux pattes prédatrices. Nora revêtira la tête même de la bête terrifiante, métamorphosée, animale qui se ré-approprie son humanité désavouée, jusqu’alors niée et ignorée en dépit d’elle. Nora danse la tarentelle – effigie de bas de corps et de jambes -, signifiant qu’elle travaille à s’émanciper de ce qui l’oppresse, tel un poison qu’il faut extraire de soi, et même Christine, l’amie, se démettra de ses prothèses de jambes « féminines ». Gisent sur la scène, tels les restes et traces de tous les asservissements physiques et moraux au mari, au père, au frère, à l’ami, à l’époux, à l’amant – des jambes séductrices abandonnées et aux bas soignés, des objets aguicheurs sexy remisés. Un spectacle intense, tant dans le message politique que dans la forme esthétique. Véronique Hotte / Hottello Du 11 au 16 octobre 2024, lundi, mercredi, vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 15h30, TGP – CDN de Saint- Denis, 59, bd Jules Guesde – Saint-Denis. Les 7 et 8 novembre 2024, La Faïencerie, Creil. Les 12 et 13 novembre – CDN de Normandie-Rouen, Rouen. Le 15 novembre, Le Tangram, Scène nationale, Évreux. Les 20 et 21 novembre, Le Sablier – Centre national de la marionnette, Ifs et Dives-sur-Mer. Les 28 et 29 novembre, Le Trident, Scène nationale, Cherbourg. Les 5 et 6 décembre, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN. Les 18 et 19 décembre, La Zef, Marseille. Du 23 janvier au 2 février 2025, Théâtre du Rond-Point, Paris. Crédit photo: Johan Karlsson.
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Le spectateur de Belleville
October 13, 2024 4:00 PM
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Propos recueillis par Armelle Héliot pour La Tribune - Dimanche - 13 octobre 2024 ENTRETIEN - Sandrine Bonnaire revient sur scène pour incarner la meurtrière Claire Lannes dans « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras, et fourmille de projets. Après Madeleine Renaud, Suzanne Flon, Ludmila Mikaël, Judith Magre, et quelques mois avant Dominique Reymond, Sandrine Bonnaire a accepté la proposition du metteur en scène Jacques Osinski d'incarner Claire Lannes, la femme énigmatique, meurtrière, qui découpe en morceaux sa victime, au cœur de L'Amante anglaise. Frédéric Leidgens dans la partition de l'Interrogateur et Grégoire Oestermann dans celle du mari, Pierre Lannes, lui donnent la réplique. À quelques semaines de la première, le 19 octobre au Théâtre de l'Atelier, nous l'avons rencontrée, sereine et concentrée, fossettes et sourire irrésistible, alors que l'équipe avait déjà accompli les premiers « filages » du texte de Marguerite Duras, inspiré d'un fait divers authentique. Qu'est-ce qui vous a convaincue de revenir au théâtre ? Jacques Osinski mettait en scène Fin de partie de Samuel Beckett lorsqu'il m'a contactée, me disant qu'il souhaitait me proposer une pièce. Je l'ai rencontré au Théâtre de l'Atelier, où venait de se donner la pièce avec Denis Lavant et Frédéric Leidgens. C'était en juin 2023. Dominique Besnehard, qui était là, m'a glissé que Jacques était le fils d'Évelyne Ker, ma mère dans À nos amours, en 1983. J'ai accepté, très heureuse de retrouver le théâtre. Connaissiez-vous le texte de L'Amante anglaise ? Non, et je n'ai jamais eu l'occasion de voir la pièce sur scène. Jacques Osinski m'en a parlé, m'a dit qui seraient mes partenaires, Grégoire Oestermann et Frédéric Leidgens. J'ai accepté, très heureuse de retrouver le théâtre. Quels souvenirs avez-vous de vos débuts dans la grande pièce de Bertolt Brecht La Bonne Âme du Se-Tchouan, à Gennevilliers, sous la direction de Bernard Sobel ? C'est le plus beau souvenir de ma vie de comédienne. C'était en 1989-1990. Je ne sais pas comment Bernard Sobel m'avait contactée. Par Maria Casarès, peut-être, avec qui j'avais tourné quelques années auparavant. Ou par Serge Rousseau, qui était mon agent. J'avais déjà tourné pas mal de films, mais le théâtre, jamais ! Il m'a fallu une bonne dose d'inconscience pour accepter. Cette inconscience m'a sauvée. Avec Claire Lannes, vous retrouvez un personnage pur qui, malgré son crime, reste paradoxalement innocent... Il y a en Claire Lannes quelque chose d'enfantin. Elle doit être à la fois transparente et opaque. Qui peut comprendre ses motivations ? Évidemment, il ne faut pas ne rien exprimer du tout. C'est cette note qui est difficile à tenir. Avez-vous beaucoup travaillé la mémorisation du texte ? Oui. Claire Lannes parle sans logique. Elle saute du coq à l'âne. Il est difficile de trouver des points d'appui. J'aime savoir les textes jusqu'à ce moment où ils sont tellement intégrés qu'ils sont présents, profondément et simplement. J'ai beaucoup répété. Avec une amie, Caroline Bottaro, qui m'a dirigée dans Joueuse, en 2009, et qui réalise actuellement un film sur la création du spectacle. J'ai également mis à contribution l'une de mes filles et mes sœurs ! Comment se présente le spectacle ? Jacques Osinski a choisi la dernière version. Il suit les didascalies : pas de décor, pas de costumes. Je suis assise sur une chaise, vêtue d'une petite robe noire. Une jolie robe : il est dit dans la pièce que Claire est coquette. L'Interrogateur, ainsi que le désigne Marguerite Duras, est dans la salle, va et vient jusqu'au plateau. La pièce est construite en deux mouvements. Il n'y a pas d'échange, dans la pièce, entre Pierre et Claire Lannes, entre moi et Grégoire Oestermann. Mais j'assiste à ses séances de travail, bien sûr. Quand ont commencé les répétitions ? À l'été 2023, nous avons décidé du projet. Un an plus tard, nous avons passé trois jours autour d'une table à décortiquer le texte. Nous nous référerons à la dernière version, mais nous nous reportons souvent à l'édition de la collection L'Imaginaire, plus précise et plus bavarde. Cela éclaire certains détails. Jacques Osinski dit que la langue de Duras lui évoque celle de Beckett. Qu'en pensez-vous ? Il est certain que Jacques Osinski met en scène d'abord la langue elle-même et que nous devons, Frédéric Leidgens, Grégoire Oesterman et moi, fuir toute psychologie. C'est là qu'est la difficulté. J'espère tourner une mini série d'après Valérie Hervo, première femme à avoir ouvert un club libertin, Les Chandelles. Selon vous, de quoi parle L'Amante anglaise ? De folie et d'amour. Le premier amour de Claire, à Cahors, qui n'a pas abouti. Avec Pierre, elle ne connaît pas de vie heureuse. Il la trompe, elle s'enfonce. Elle est sous emprise. Elle se réfugie dans le jardin. Il y a des couleurs, de la lumière. Elle se réfère aux saisons, elle s'échappe. Avez-vous connu Marguerite Duras ? Non, je ne l'ai pas connue. Dans les livres ou les reportages, elle apparaît très dure dans ses relations avec les comédiennes et comédiens. Avec Madeleine Renaud, elle est particulièrement désagréable... Il y a quelques années, on vous a admirée dans un spectacle de danse, avec la chorégraphe Raja Shakarna. Une expérience à renouveler ? Le Miroir de Jade, que nous avons créé au Rond-Point en 2015, est le fruit de notre amitié, car je connais Raja depuis l'enfance. Nous ne nous sommes jamais quittées. J'ai beaucoup aimé cette expérience, mais, pour le moment, je suis ailleurs. Du côté du cinéma ? J'ai tourné dans La Vie devant moi de Nils Tavernier, qui s'est inspiré d'entretiens filmés par Spielberg, des témoignages de personnes ayant échappé à la Shoah. Je joue une femme sauvée par des Justes, cachée trois ans durant, avec ses parents, dans une toute petite chambre. J'ai rencontré à cette occasion Adeline d'Hermy, de la Comédie-Française. Je participe aussi à Finalement, de Claude Lelouch. Mais j'ai surtout des projets de réalisation. D'une part un film sur la vie de ma mère, qui, à 12 ans, a été séparée de sa propre mère, l'a cherchée pendant trente ans, l'a retrouvée dans un asile psychiatrique et enlevée. J'avais 10 ans lorsque j'ai connu cette grand-mère qui, hélas, est morte peu de temps après. J'associe cette histoire à celle de la comédienne Isabelle de Hertogh, enfant adoptée qui disait : « Tant que je ne connais pas mes racines, je suis sur du sable mouvant. » D'autre part, j'espère tourner une mini série d'après Valérie Hervo, première femme à avoir ouvert un club libertin, Les Chandelles. Une manière de parler de liberté. Continuez-vous à écrire ? J'ai composé une série de textes courts sur tout ce qui m'a impactée dans la vie, événements heureux ou malheureux. Ça paraîtra au Cherche midi sous le titre Impacts. Et allez-vous poursuivre ces lectures musicales que vous aimez tant ? C'est en effet une forme que j'apprécie particulièrement. Avec Erik Truffaz, trompettiste et compositeur, nous avons construit une double lecture de textes de Patti Smith et d'Arthur Rimbaud. Il y a une vraie mise en espace, avec une grande poupée de chiffon imaginée par une de mes sœurs. Nous donnerons ce spectacle en tournée, et ensuite j'espère le présenter à Paris. Avatars d'un fait divers Au commencement, il y a un fait divers. Il date de 1949. Il se passe à Savigny-sur-Orge. Une femme, Amélie Rabilloud, a tué son mari à coups de marteau. Il l'humiliait, la maltraitait. Elle a découpé son cadavre et en a jeté, nuit après nuit, les morceaux. Aux assises de Seine-et-Oise, en 1952, c'est le brillant Me Floriot qui la défend. Elle est condamnée à cinq ans de réclusion criminelle. Huit ans plus tard, Marguerite Duras écrit Les Viaducs de la Seine-et-Oise. Le mari et la femme assassinent leur cousine, femme à tout faire chez eux. Dès 1960, Roland Monod signe une mise en scène à Marseille, et en 1963 c'est Claude Régy qui dirige Katharina Renn au Poche-Montparnasse. Viendront ensuite Madeleine Renaud, Suzanne Flon, beaucoup d'autres. Puis, comme elle le fera souvent avec ses textes, Duras développe d'autres formes. Une pièce de théâtre, L'Amante anglaise, en 1967. Elle a transformé les faits. Claire Lannes a tué Marie-Thérèse Bousquet, sa cousine, sourde et muette, que son mari a fait venir pour qu'elle tienne la maison. On ne sait pas si le personnage de l'Interrogateur est un policier ou un psychiatre. Propos recueillis par Armelle Héliot / La Tribune
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Le spectateur de Belleville
October 13, 2024 9:23 AM
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Dans le fief de Marine Le Pen, une salle de spectacle lutte contre les ingérences de la mairie RN. Organisés en collectif, les comédiens protestent contre la signature d’une convention qui repasserait la gestion des lieux à la municipalité. A Hénin-Beaumont, l’Escapade est un théâtre en grève. Depuis l’ouverture de la saison, les comédiens des compagnies programmées refusent de jouer les uns après les autres. Ils ont formé le collectif «l’Escapade en danger» et dénoncent la volonté de la mairie Rassemblement national de reprendre en main le lieu et sa programmation. Ce que celle-ci dément fermement. «Nous ne pouvons pas les laisser faire lentement mourir l’Escapade», explique la porte-parole du collectif, Camille Candelier. Le lieu est un symbole, le premier centre culturel du bassin minier ouvert en 1969, l’une des premières MJC de France. Au cœur de leur inquiétude, une convention d’occupation des lieux, signée entre l’association qui gère l’Escapade et la mairie, propriétaire des murs, en janvier. Elle prévoit que la commune puisse «réaffecter le lieu à un usage culturel sous gestion municipale», sous soixante jours après l’envoi d’une lettre recommandée. «La ville se donne le droit de réquisitionner l’Escapade», commente la porte-parole. Christopher Szczurek, ancien adjoint à la culture, président du groupe majoritaire au conseil municipal d’Hénin-Beaumont et aujourd’hui sénateur RN, minimise : «Leurs faisceaux de présomption, ce n’est qu’une petite clause, obligatoire. Il n’est pas autorisé dans le droit administratif d’avoir une mise à disposition perpétuelle.» Le conseil d’administration a découvert ces termes, éberlué, lors de son assemblée générale en juin : Jean-Luc Dubroecq, le président de l’association depuis 2001, a signé seul le texte. «On est avec un président qui la joue en cavalier seul, le conseil d’administration était en faveur de la préservation de l’indépendance du lieu», confie Camille Candelier. L’homme n’a pas répondu à notre sollicitation. Démissions et très fortes tensions «C’était parti pour le grand délire», commente un bon connaisseur du dossier, sur fond de démissions dans l’équipe et très fortes tensions entre le président Dubroecq et le directeur de l’Escapade, Jean-Yves Coffre, en arrêt maladie depuis la mi-août. Jean-Luc Dubroecq a demandé son licenciement lors d’un bureau post-AG, pour «déloyauté», et ne l’a pas obtenu. Se sentant fragilisé, le directeur avait demandé le soutien des artistes, venus en nombre pendant l’AG. Ils n’avaient pas le droit de voter pour l’élection du nouveau bureau, puisque adhérents de moins de six mois. Mais le président a vécu le moment comme une tentative de destitution. Déjà, en janvier 2021, la première version de la convention d’occupation avait fait bondir Jean-Yves Coffre. A peine trois mois de présence à la tête de l’Escapade, et il découvre que la ville peut, «moyennant un préavis écrit de quinze jours», utiliser gratuitement la salle de spectacle. Et donc se réserver la possibilité de déprogrammer une représentation, si elle en a le désir. Même si une phrase précise : «Cependant, priorité est gardée à la mise en place de la saison culturelle.» «On me parachute deux personnes du jour au lendemain» Eté 2023 : la chargée de la communication et programmatrice jeune public, pilier du théâtre, est priée de rejoindre l’état civil. Elle est l’une des quatre agents détachés par la ville au théâtre : cette mutation est parfaitement dans le droit de la municipalité, mais elle est vécue comme un affaiblissement de l’équipe. Pour la remplacer, deux nouveaux agents territoriaux arrivent. Jean-Yves Coffre raconte : «On me parachute deux personnes du jour au lendemain, sans fiche de poste, sans entretien, comme se ferait toute embauche dans une situation normale.» Christopher Szczurek rétorque que les deux agents étaient compétents, que le directeur «a refusé de les faire travailler». Ce dernier réfute ces accusations. Les deux agents ont déposé plainte cet été pour harcèlement et sont défendus par un avocat du Rassemblement national, maître Thomas Laval. Ambiance. «On ne propulse pas ainsi des agents sans les préparer à leur poste», s’étonne un proche de la salle. «Ce sont des victimes collatérales.» François Tar, ancien salarié de l’Escapade, qui vient de démissionner du conseil d’administration, analyse : «C’est la technique du pompier pyromane. On est en train de se débrouiller pour abattre le truc, et arriver en sauveur. Des forces vives, qui connaissaient le boulot de la salle, il ne reste plus que la comptable et une chargée de l’accueil et de la billetterie.» Insuffisant pour assurer la saison, dit-il. «Mais il faut le dire, ils n’ont jamais fait pression sur la programmation», précise-t-il. Christopher Szczurek s’en enorgueillit : «En dix ans, cela n’est jamais arrivé.» Il rappelle le soutien financier constant de la ville, 300 000 euros de subvention directe en 2024. «C’est une lutte rare et forte» Ce n’est pas tout à fait l’avis de Bruno Lajara, directeur de l’Escapade entre 2017 et 2020. Il se souvient encore de la colère du RN sur la programmation du groupe Sinsemilia lors du cinquantenaire de la salle, et rappelle que le parti, à son arrivée au pouvoir en 2014, sabre la subvention de 100 000 euros. Christopher Szczurek tempête : «On a un collectif d’artistes qui n’ont jamais foutu les pieds à Hénin-Beaumont, qui prend fait et cause pour le directeur, avec des banderoles LFI sur le piquet de grève.» Maxime Séchaud, de la CGT spectacle, insiste au contraire : «C’est une lutte rare et forte. Il n’y a rien d’évident de mobiliser ainsi des personnes précaires.» Pour le sénateur RN, c’est clair, c’est un putsch politique, un an et demi avant les municipales. Louise Wailly, de la compagnie Protéo, membre du collectif l’Escapade en danger et artiste associée depuis sept ans avec le théâtre, soupire : «Clairement, on a mis des bâtons dans les roues de Jean-Yves Coffre. Maintenant, le RN a une balèze réécriture de l’histoire.» Le collectif demande une nouvelle convention, le retour du directeur, l’embauche de personnel compétent et le maintien du financement. Elle s’inquiète : «A Hénin-Beaumont, sans l’Escapade, où est-ce qu’on débat ?» Christopher Szczurek ne s’engage pas sur l’avenir, et réaffirme son soutien au président contesté de l’Escapade. Dimanche, à l’occasion de la Semaine bleue, la municipalité a posté sa satisfaction sur Facebook : elle a rempli l’Escapade avec une pièce de théâtre, offerte aux seniors, l’Instruituteur. «Loin de la vision élitiste de certains, dont le bilan se résume à une salle trop souvent vide», dit-elle. Le sujet, trouvé sur le site Artesine : «Une fresque humoristique et nostalgique de l’école de nos grands-parents, critique acerbe des pédagogies post-soixante-huitardes.»
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October 10, 2024 3:05 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 8 oct. 2024 Avec son texte magnétique mis en scène par Guy Cassiers, l’auteur, seul sur scène, parle de la mort violente de sa mère, et nous plonge dans ses perceptions les plus intimes de son histoire familiale entre Haïti et Congo. Cela a lieu dans la nuit, la nuit du deuil et de l’effroi, et c’est le portrait d’une femme, d’un pays, et d’une relation filiale, qui s’esquisse dans la pénombre, durant cette heure et demie de représentation. Cela fait découvrir une écriture à la beauté inédite, et que ce récit intime soit porté par l’auteur lui-même, n’est pas pour rien dans la réussite de ce spectacle. Noir, le plateau vide, sous forme de damier miroitant, avec l’acteur, dramaturge, auteur Jean-René Lemoine en son centre. Comme aimanté par le sol, il ne quittera jamais cette place, ne serait-ce que d’un pas. Francs, les rais de lumière des projecteurs qui l’enserrent dans un triangle. La figure géométrique du triangle équilatéral répond par ailleurs à la réussite formelle de la pièce où la mise en scène de l’Anversois Guy Cassiers accompagne autant le texte qu’il est saisi par le protagoniste, sans que jamais l’un des trois piliers ne prenne le pas sur les deux autres. Scansions longues et précises Une femme a été assassinée en Haïti, elle est donc la mère de Jean-René Lemoine. Les circonstances de cette mort sont dans un premier temps inconnues du spectateur. Cette mère pourrait être le public, que Jean-René Lemoine convie à un «rendez-vous» pour lui parler «d’amour» avec l’espoir qu’elle fasse «un petit signe – un bruissement de robe, un soupir» afin d’être certain de ne plus parler au vent et qu’elle-même le retrouve au terme d’un parcours labyrinthique. La langue de Jean-René Lemoine enveloppe. Il est difficile de ne citer qu’une bribe de phrase sans avoir le sentiment de cisailler son étoffe. Une étoffe faite de scansions longues et précises, bandages qui protègent et qu’il s’agit de retirer pour «gratter la mémoire jusqu’à l’os», lutter contre des souvenirs qui se révèlent cruellement lacunaires, dès lors que l’autre n’est plus là pour répondre aux questions devenues sans réponse. Une tension étreint. Elle est due au riche dépouillement de la mise en scène tandis que la langue ravive le souvenir de paysages de Haïti, terre de naissance et du premier exil pour Coquilhatville au Congo, quand Jean-René Lemoine a 2 ans. Netteté tout provisoire Ce qu’imbrique le texte est à la fois la catastrophe d’un pays et d’une famille déjà détruite de l’intérieur, dialogues avec des absents. Le temps du texte, l’imparfait ou passé simple, n’empêche pas l’incursion du présent, et du sentiment que l’acteur découvre en lui-même ce qu’il s’apprête à narrer. Au fond du plateau, un grand écran sur lequel sont parfois projetés quelques mots tels «Prendre son souffle», et des photos grand format en noir et blanc et opaques, floues, jusqu’à ce que la mémoire parvienne à faire le point. Belle idée que de nous plonger dans les perceptions les plus intimes de l’auteur-acteur et la difficulté d’acquérir une netteté toute provisoire. Le son, lui aussi, semble résonner de l’intérieur, jusqu’à provoquer des hallucinations auditives – bruit d’os qui s’entrechoquent discrètement dans les travées. «Vivante‚ je m’étais exilé de vous. Morte‚ vous redessiniez mes frontières‚ comme un indiscernable océan. Je vous avais connue sainte‚ je vous retrouvais martyre. Alors‚ puisque vous ne me laissiez pas de répit‚ puisque je ne pouvais plus prendre le large pour fuir votre absence infinie‚ j’ai décidé de partir à votre recherche et de me rapprocher de vous.» Jean-René Lemoine, auteur de plus d’une dizaine d’écrits dédiés à la scène, avait une première fois joué son propre texte en le mettant en scène lui-même en 2006 dans ce même théâtre, la MC93. C’est sa directrice Hortense Archambault qui a suscité cette création en faisant lire à l’inventeur d’images Guy Cassiers ce texte magnétique pour une nouvelle mise en scène. Bien plus qu’un écrin, elle en dévoile la quintessence. Face à la mère de Jean-René Lemoine mise en scène Guy Cassiers à la MC93 à Bobigny jusqu’au 19 octobre. Anne Diatkine / Libération Légende photo : L'auteur Jean-René Lemoine lit son texte au centre d'un plateau vide, sous forme de damier miroitant. (Alexis Cordesse/Alexis CORDESSE)
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October 8, 2024 7:18 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 8 oct. 2024 Isabelle Carré fascine dans le rôle-titre de la pièce de Goldoni, « La Serva amorosa », qui bouscule les règles d’un jeu social et genré. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/08/au-theatre-de-la-porte-saint-martin-a-paris-catherine-hiegel-fait-de-la-servante-aimante-une-redoutable-machine-de-guerre_6346721_3246.html
La Serva amorosa ou La Servante aimante ? Le titre ne claque pas en français. Il s’affiche donc en italien au fronton du Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, où Catherine Hiegel met en scène avec fermeté et clairvoyance la pièce de l’auteur vénitien Carlo Goldoni (1707-1793). Dans ce spectacle où les rires ne dévaluent pas la portée politique du propos, Coraline n’a rien d’une « servante aimante ». D’ailleurs, Isabelle Carré, qui interprète le rôle-titre, est moins une soubrette habile qu’une redoutable machine de guerre dont le projet est énoncé dès ses premières répliques : « Le plus beau pied de nez que vous puissiez faire à vos ennemis, c’est de souffrir avec constance, de rire avec indifférence et de leur montrer que vous savez et que vous pouvez vous passer d’eux », affirme en préambule programmatique, celle qui, trois actes plus tard, conclura seule face au public : « Vive notre sexe. Et que crève sur l’heure qui ose en dire du mal. » Entre ces deux tirades offensives se tient une comédie passionnante qui, sous le couvert de raconter un imbroglio familial sur fond d’héritage spolié, anticipe l’heure des grandes révolutions. En 1762, dix ans après avoir créé sa pièce, Goldoni s’installe en France. 1789 approche. Le pressentait-il ? Sur le plateau, l’ancrage historique n’est pas escamoté, mais il reste discret. Couleurs pâlies des façades, intérieurs défraîchis des maisons, la scénographie est un vestige assumé du XVIIIe siècle. L’espace n’est pas naturaliste mais mental. L’action qui se trame n’existe que dans la tête de Coraline. Une femme qui aurait pu faire la révolution mais se contente de remettre de l’ordre dans le chaos. Chaque chose en son temps, semble indiquer la représentation de Catherine Hiegel. Que se passe-t-il ? Le jeune Florindo a été chassé de chez lui par sa belle-mère Béatrice (Hélène Babu), seconde épouse de son père, Ottavio, un riche négociant de Vérone. La marâtre convoite pour elle et son propre fils, Lélio, l’héritage de la maison. Il faut aimer l’argent, se dit-on, pour supporter la vie avec un vieillard sénile qu’incarne, avec force bafouillements (subis ou choisis ?), le comédien Jackie Berroyer. Drapée dans ses robes corsetées, ses pieds glissant sur le plancher avec une habileté de serpent, Hélène Babu a de ces regards noirs qui foudroient sur place l’adversaire. A son crédit, un sens tactique diabolique face auquel les hommes ne font pas le poids. Même détestable, elle en impose. Seule une femme parvient à la mettre en échec. C’est Coraline, servante, suivante, domestique, soubrette, bref, subalterne ici érigée au rang d’alter ego des puissants. La révolution comme option Avec ce personnage quasi futuriste pour l’époque, Goldoni change les règles d’un jeu social et genré que même Molière (1622-1673) n’avait pas osé bousculer à ce point. Le pouvoir n’est plus le privilège du masculin ou du nanti. Il est celui de cerveaux qui fonctionnent vite et bien. Et Coraline, qui est intelligente, pourrait être un homme que ça n’y changerait rien. La preuve : Isabelle Carré termine la représentation revêtue d’un costume noir unisexe, son œil posé sur des partenaires emportés vers les coulisses. S’ils quittent le théâtre pour se fondre dans le noir, elle, elle reste à demeure. Les acteurs passent, les héros trépassent, mais les auteurs, et leurs visions, survivent aux siècles. Coraline, c’est moi, aurait pu écrire Goldoni. Catherine Hiegel connaît ce rôle par cœur pour l’avoir incarné, en 1992, à la Comédie-Française sous la direction de Jacques Lassalle. Trente-deux ans plus tard, elle y revient. Les temps ont changé, elle le sait. Sans se noyer dans un féminisme démonstratif ni se perdre dans la lutte des classes, elle va à l’essentiel : la révolution est une option toujours active. Dans un décor qui se plie et se déplie selon que l’action se passe chez Ottavio ou chez Florindo, « la servante aimante » devient un centre de gravité dont la stabilité rassure alors que, pourtant, malgré stratagèmes, mensonges et manipulations, rien n’arrête cet esprit cérébral. Surtout pas des traditions usées ou des conventions démodées. Une scène d’amour entre deux jeunes tourtereaux ? Elle plie la séquence au pas de charge. Elle a mieux à faire : rétablir la paix dans un foyer qui s’autodétruit, épouser le valet alors que le jeune maître la voulait pour femme, calmer ces riches qui s’agitent. Et préparer le grand soir. Elle ne s’en est pas cachée : « Le plus beau pied de nez que vous puissiez faire à vos ennemis, c’est (…) leur montrer que vous savez et que vous pouvez vous passer d’eux. » Ce projet politique noue une représentation où l’actrice principale, Isabelle Carré, avec un talent éclatant, fait scintiller les possibles de son personnage. Froide, calculatrice, raisonneuse, stratégique, distante et, avec ça, drôle et généreuse, la comédienne est fascinante. Qu’elle fasse ou pas la révolution, on la suivra. Jusqu’en enfer si nécessaire. La Serva amorosa, de Goldoni. Traduction : Ginette Herry. Mise en scène : Catherine Hiegel. Avec Isabelle Carré, Hélène Babu, Jackie Berroyer, Olivier Cruveiller, Antoine Hamel, Jeremy Lewin, Tom Pezier, Jérôme Pouly, Stanislas Stanic. Et les apprentis du Studio-ESCA : Ombeline Guillem et Victor Letzkus-Corneille. Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Paris 10e. Jusqu’au 4 janvier 2025. Joëlle Gayot / Le Monde Isabelle Carré et Jackie Berroyer, dans « La Serva amorosa », de Goldoni, mis en scène par Catherine Hiegel, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, le 20 septembre 2024. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
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Le spectateur de Belleville
October 24, 2024 5:30 PM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 23 oct. 2024 La comédienne revient au théâtre dans une pièce de Marguerite Duras tirée d’un fait divers où elle incarne merveilleusement une femme qui cherche avec son interrogateur les motifs d’un assassinat qu’elle a commis. Une heure s’est peut-être écoulée quand le beau rideau de fer un peu rouillé du théâtre de l’Atelier, devant lequel se joue l’Amante anglaise, se relève et laisse découvrir un plateau entièrement vide, une cage de scène dépouillée, riche de sa vétusté, pleine de poussière noire agglomérée, dont les fissures feraient passer les emblématiques Bouffes du Nord cramées pour un palace récemment rénové. On est face aux entrailles du théâtre comme devant un écorché ou quelqu’un qui se livre entièrement, sans aucun filtre. On distingue quelques cordes, des poulies, des trous dans les murs qui diffractent parfois des reflets dorés. Et c’est dans cet espace sans ornement qui pourrait être carcéral que Sandrine Bonnaire ou plutôt le personnage de Claire Lannes surgit à tout petits pas rapides, robe noire intemporelle, tête baissée, pour s’asseoir sur la chaise bistrot sur le devant de la scène où un interrogatoire l’attend. Par sa sobriété, son éclat, les variations extrêmement rapides et contrastées de ses émotions qui font parfois apparaître ses fossettes, sa légèreté intense, son regard, la comédienne est magnifique et elle est surtout exactement le personnage. Bribe de vérité Elle restera assise durant tout le temps restant, et quelque chose se ranime dans l’écoute. Ce n’est pas qu’on s’ennuyait, loin de là, dans cette mise en scène fort intelligente de Jacques Osinski. Mais on l’attendait, elle, cette Claire Lannes, qui depuis une soixantaine de minutes déjà faisait l’objet d’une conversation acérée entre son mari Pierre Lannes, joué par Grégoire Oestermann et un interrogateur non spécifié, installé dans le public, à la diction aussi envoûtante qu’urticante, celle de Frédéric Leidgens, qui, stylo noir à la main, détache lentement chaque syllabe. Claire Lannes a donc tué, découpé, puis jeté par-dessus un pont sur différents trains de marchandises les morceaux de sa cousine sourde et muette que son mari a installée à demeure pour qu’elle fasse le ménage et la cuisine. Marguerite Duras ne juge pas la criminelle. Elle l’invente à partir d’un fait divers ayant eu lieu en décembre 1949, qui la passionna tant lors du procès qu’elle écrivit trois versions de l’histoire, dont une première pièce, les Viaducs de la Seine-et-Oise, qu’elle renia au point d’en interdire l’exploitation. Dans le crime réel, une femme a tué son mari. Dans l’Amante anglaise, l’assassinat est donc celui de la tierce personne, handicapée qui supplée à l’absence de talent culinaire et ménager de l’épouse. Pourquoi Claire Lannes a-t-elle tué sa cousine ? La meurtrière l’ignore, mais elle est aussi intéressée que l’interrogateur d’en saisir les motifs, de tirer son propre crime au clair. Où a-t-elle mis la tête qu’elle n’a pas jetée avec le reste des paquets ? Claire Lannes gardera son secret, mais dans l’histoire vraie, elle avait été jetée dans une bouche d’égout, oreilles coupées pour qu’elle passe. Par ses questions, l’interrogateur peut aussi bien appartenir à la sphère judiciaire – un juge d’instruction, un policier – qu’être un médecin psychiatre chargé de l’expertiser. Mais le plus souvent, on le confond avec Marguerite Duras elle-même tant sa manière de manier l’entretien et les réponses géniales qu’il suscite rappellent Outside et le Monde extérieur, deux recueils qui reprennent les entretiens parus dans la presse de l’écrivaine avec des enfants, un funambule, une carmélite. «Pourquoi l’avez-vous tuée ?» «Si j’avais su le dire, vous ne seriez pas là à m’interroger. Pour le reste, je sais.» L’interrogateur revient à la charge quelques minutes plus tard : «On ne vous a jamais posé la bonne question sur ce crime ?» «Non. Si on me l’avait posée, j’aurais répondu.» Et cette réponse merveilleuse : «Vous savez, monsieur, sur ce banc, à force de rester immobile, j’avais des pensées intelligentes. Ma bouche était comme le ciment du banc.» Et l’air de rien, peu à peu ce ciment se désagrège. Le surgissement d’une bribe de vérité qui l’éclaire à elle-même fait advenir à Claire Lannes une émotion joyeuse. Face à l’Amante anglaise, on prend donc également une leçon d’interview. «Comment jouer la folie sans jouer l’évanescence» Quand elle a lu la pièce, Sandrine Bonnaire a pensé à trois personnes, «une fictive et deux réelles» confie-t-elle lorsqu’on la rencontre chez elle, le lendemain. La fictive, c’est Sophie dans la Cérémonie de Claude Chabrol, qui, tue avec la postière jouée par Isabelle Huppert, la famille bourgeoise qui l’emploie. La seconde, c’est Sabine, sa sœur autiste sur laquelle Sandrine Bonnaire a réalisé un documentaire impressionnant, Elle s’appelle Sabine, et qui lui rappelle «comment jouer la folie sans jouer l’évanescence». Et la troisième, «c’est ma mère, qui avait cette même légèreté enfantine tout en étant très responsable, et qui comme Claire Lannes avait connu une grande passion dont elle était nostalgique, avant son mariage». Trois êtres aussi intimes qui traversent un personnage sont une bonne raison de revenir au théâtre que Sandrine Bonnaire avait déserté depuis une dizaine d’années. Elle fait cependant des lectures musicales avec son compagnon, le musicien de jazz et compositeur Erik Truffaz. Depuis le début des représentations, Sandrine Bonnaire arrive au théâtre en même temps que ses partenaires de jeu, pour «les embrasser, les encourager» et saisir le rythme qui peut varier d’un soir à l’autre. Elle profite de son temps d’attente pour revisiter furtivement son texte. «Ne bougeant pas sur le plateau, seule, je ne peux pas me raccrocher à la mémoire corporelle.» C’est «le souvenir de la place des mots dans la page» qui aiguise sa mémoire. Le premier soir, avant de jouer, elle a cru que le texte s’était évaporé, elle ne savait plus rien, et il a suffi qu’elle entre sur le plateau, pour s’apercevoir que le texte faisait partie d’elle, qu’il s’était logé en elle sans qu’elle n’y prenne garde. Anne Diatkine / Libération L’Amante anglaise de Marguerite Duras, mise en scène de Jacques Osinski, au théâtre de l’Atelier (75018) jusqu’au 31 décembre, puis en tournée. https://www.theatre-atelier.com/event/lamante-anglaise-2025/ Légende photo : Sandrine Bonnaire dans «l'Amante anglaise», mis en scène par Jacques Osinski. (Pierre Grosbois)
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Le spectateur de Belleville
October 22, 2024 1:20 PM
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Par Véronique Hotte dans WebThéâtre - 20 oct. 2024 Une exploration éloquente de la condition ignorée d’une femme en 1968. Après l’emblématique Fin de Partie de Beckett, Jacques Osinski s’empare d’un autre grand classique, L’Amante anglaise de Marguerite Duras. Inspiré d’un fait divers authentique, ce thriller psychologique autour de la personnalité énigmatique de Claire Lannes invite le spectateur à explorer les méandres de l’âme humaine. Le fait divers concerne le meurtre par Amélie Rabilloud de son mari, qui dépeça le cadavre et en évacua les morceaux un par un en les jetant depuis un pont dans différents trains. Duras en écrivit une pièce, les Viaducs de la Seine-et-Oise, puis un roman L’Amante anglaise, qu’elle re-transforma en pièce de théâtre - une forme nouvelle et radicale sans nul décor ni costume. « Un théâtre à l’état pur », selon le metteur en scène Jacques Osinski, qui oeuvre à « comprendre l’in-comprenable ». Dans le fait divers, Amélie Rabilloud a tué un mari tyrannique. Dans la pièce, le mari est vivant, et le meurtre de Claire Lannes concerne sa cousine sourde et muette. Sans raison apparente, « en tuant la sourde muette, c’est tout ce qu’elle ne peut dire que Claire tue », écrit le metteur en scène. Pierre Lannes, le mari, et Claire Lannes investissent la scène, successivement, séparément, assis sur leur chaise, à découvert, démunis, entiers, disponibles, face à l’Interrogateur qui intervient depuis la salle - un reflet du public -, « passeur » fervent, désirant savoir, sans sans juger, tendu par la quête de sens. Beckett, Duras, le questionnement est le même, à travers le verbe et la parole d’un être en dialogue intérieur avec soi, dans l’attente, le silence, l’isolement. Opacité et transparence, évidence « claire » des mots simples, précis et approximatifs, qui ourlent la pensée de celle qui réfléchit à part soi, sans écho. Dans un lien distendu au monde, avec une rare résonance profonde, depuis cette énigme existentielle des rapports de soi avec les autres, sur scène et dans la salle, advient pas à pas le cheminement d’une révélation que l’art du théâtre consent. Il y eut l’événement fondateur de ce qui révéla l’être-au monde de Claire, l’amour fou éprouvé pour l’agent de Cahors, ville dont elle est originaire, et qui la quitta, puis le mariage avec Pierre Lannes sans passion, et la vie dès lors à Viorne dans la circonscription de Corbeil, où la présence d’Alfonso, coupeur de bois, la réconforte. La voix off du fidèle Denis Lavant expose objectivement dans le prologue les faits et le crime, puis le mari - Grégoire Oestermann - survient précautionneusement d’une porte qui s’ouvre, depuis un mur de lointain rapproché de la salle. Il s’assied, à la fois humble et d’une dignité naturelle, s’attachant à élucider le geste de l’épouse. Duras, rapporte Jacques Osinski, définissait Pierre, tel un « petit-bourgeois haïssable », reconnaissant sa présence véritable, sans faux-semblant. L’acteur concentre à merveille - paroles et gestuelle - la difficulté d’expliciter toute motivation, ménageant doutes et suppositions, silences et sentiment de culpabilité. Frédéric Leidgens est le Maître des Jeux, paradoxalement discret et pudique dans cette traque systématique, jusqu’au-boutiste, mais pleine de tact, de la personnalité de la criminelle : tenue sobre et distinguée, délicatesse et prévention, voix profonde qui énonce ce goût affirmé, réitéré, revendiqué d’un art de dire qui résonne profond. Quant à Sandrine Bonnaire pour Claire, elle est infiniment juste dans cette indétermination à se connaître, impuissante en même temps qu’intense, à l’écoute ultime de cet interlocuteur privilégié qu’elle aurait tant aimé rencontrer dans la suite de ses jours. Le plaisir du public intrigué tient à cette quête patiente d’un théâtre épuré via l’écoute verbale de l’exemple énigmatique d’une errance existentielle éprouvée. Véronique Hotte / Webthéâtre L’Amante anglaise de Marguerite Duras (éditions Gallimard), mise en scène de Jacques Osinski, lumières Catherine Verheyde, costumes Hélène Kritikos, dramaturgie Marie Potonet. Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens, Grégoire Oestermann. Du 19 octobre au 31 décembre 2024, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h, au Théâtre de l’Atelier 1, place Charles Dullin 75018 - Paris. Tél : 01 46 06 49 24, billetterie@theatre-atelier.com Crédit photo : Pierre Grosbois.
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October 21, 2024 5:22 PM
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Un rare et magnifique document pour revoir Christine Boisson (1983) Dans cette vidéo, ponctuée de lectures du texte de Handke par Christine Boisson, Claude Régy parle de Peter Handke et de sa pièce "Par les villages", qu'il vient de créer à Chaillot. Voir la vidéo (4 mn)
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October 20, 2024 4:16 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 19 octobre 2024 Festival intermédiaire entre deux éditions du festival lyonnais Sens interdits, Contre sens nous emmène en Pologne, au Rwanda, en Argentine, au Moyen-Orient, en Europe et ailleurs. Le dernier festival sous la direction de Patrick Penot.
« Mémoires, identités, résistances » c’est ce triple mot d’ordre qui sous-tend le programme du festival de théâtre Sens interdits à Lyon, un festival biennal, relayé désormais, entre deux éditions, par le festival « Contre sens » de dimension plus réduite, c'est le cas cette année. A l’initiative de cette belle, alerte et passionnante aventure, Patrick Penot, un homme aussi fouineur que bourlingueur, aussi intuitif que politique. Après avoir créé Sens Interdits il y a dix ans, Patrick Penot a décidé de passer la main. Nul doute que le conseil d’administration de l’association Sens interdits dont le bureau est présidé par Olivier Neveux, veillera à ce que le Festival continue de plus belle. Patrick Penot peut partir la tête haute. Du Rwanda au Liban, du Kosovo au Cameroun, du Chili au Mexique, de la Pologne aux pays baltes à la Russie, il aura fait venir à Lyon et en tournée partout en France, bien des aventures artistiques aussi alertes et inventives que résistances, aussi tenaces que fragiles, aussi pugnaces que troublantes. Dès la deuxième édition du Festival en 2011, Patrick Penot qui a peu le cœur polonais (il a été longtemps en poste à Varsovie) avait fait venir de la capitale polonaise Marta Gornicka (avec son Chœur de femmes). Elle revient cette année à Contre sens et au TNP avec Mothers a song for wartime, spectacle qui a déjà bouleversé le public de Strasbourg et du festival Avignon (lire ici). Lors de cette même seconde édition de Sens Interdits, Penot avait aussi fait venir de l’extrême orient russe, le KnAM teatr, l’une des très rares compagnies de théâtre indépendantes de Russie avec Une guerre personnelle. Le KnAM allait revenir plusieurs fois à Lyon au festival Sens Interdits et au Théâtre des Célestin (par exemple lire ici et ici). Lorsque Poutine déclara la guerre à l’Ukraine, la compagnie indépendante russe, opposée à la guerre et ne le cachant pas, a du prendre le chemin de l’exil et c’est à Lyon qu’elle a trouvé asile grâce aux efforts conjugués du Festival Sens interdits, des théâtres et municipalités de la région lyonnaise. Au programme de Contre sens cette année, Figurine age un spectacle de danse de la hongroise Boglárka Börcsök et de l’allemande Andreas Bolm, un spectacle lituanien La fête mis en scène par Kamilé Gudmonaité (deux spectacles que je n’ai pas pu voir), Los dias afuera un spectacle argentin de Lola Arias vu à Avignon (lire ici), Berreta 68, un spectacle de femmes prêtes à tout jouer, sorties depuis peu de l’école du TNS (lire ici), Mimoun et Zatopek, un spectacle sur ces deux coureurs de marathon légendaires rivaux et amis (l’un, le tirailleur algérien musulman devenu français et catholique, l’autre le héros tchèque qui courait plus vite que les locomotives), un solo signé Vincent Farasse que je regrette de ne pas pouvoir voir. Après avoir vu l’extraordinaire et inclassable spectacle qu’était Des caravelles et des batailles (lire ici) , on attendait beaucoup de Par grands vents, le second et nouveau spectacle des Belges Elena Doratiotto et Benoît Piret, trop sans doute. Ce spectacle nous est apparu plus comme une esquisse, un ensemble de séquences fruit d’un premier temps de travail. Une forme qu’il faudrait affermir, mieux articuler et pousser plus avant. Bref un spectacle en devenir. On se trouve devant une source d’eau potable proche des ruines d’un ancien palais aujourd’hui disparu et à proximité d’un emplacement d’une tombe sans cercueil mise en place par une femme dont le mari a été assassiné et dont le corps n’a pas été retrouvé. Bref un lieu inattendu de rencontres et de croisements. Ici un couple, là des êtres solitaires, passent ça et là des fantômes du théâtre puisés dans le fonds de commerce du vieux théâtre grec. On ne sait trop où on va, où ils vont. Il y a un banc, un bouquet de fleurs, un seau... Par grands vents n’a pas encore trouvé son souffle. Tout autre ambiance et approche au Théâtre de la Renaissance à Oullins qui accueillait, venue du Rwanda, le spectacle Génération 25. Le titre résume le spectacle: en scène une génération qui n’était pas née ou venait à peine de naître lorsque le massacre des Tutsis par les Hutus a changé à jamais le visage et l’ histoire du Rwanda. Plus d’un milion de morts en une petite centaines de jours. Sur scène, actrices et acteurs, danseuses et danseurs, musiciennes et musiciens, des enfants d’hier aujourd’hui adultes dont les parents ont été victimes ou tortionnaires. Eux, filles et fils font bloc, unis, confondus, entremêlés. Leur union fait leur force et celui du spectacle qui enveloppe l’horreur dite dans un linceul de chants et de danses. L’union des arts et des artistes aujourd’hui par delà les haines et les machettes d’hier. Le chant apaise la douleur d’une mère tuée dont le souvenir reste vivace et que le chant, la danse maintiennent en vibrations. La parole et le chant disent l’horreur mais la cloisonne dans l’écrin du plus jamais ça. Ce spectacle est celui, emblématique, d’une génération, celle de la réconciliation. Texte et mise en scène sont signés par Hope Azeda, fondatrice de la compagnie de théâtre rwandaise Mashirika performing arts and media compagny (productrice du spectacle) et par Yannick Kamanzi qui est aussi un des interprètes de Génération 25 , spectacle créé en avril 2019 et qui toure depuis. A la fin du spectacle, les interprètes chantent des louanges adressées au « Dieu du Rwanda ». Où était il ce Dieu à l’heure du massacre ? Jean-Pierre Thibaudat dans son blog de Mediapart Fesrival Contre sens, suite du programme : Figurine ange au Théâtre de la cité jusqu’au 19 oct. Los dias Afuera au théâtre de la Croix Rousse jusqu’au 19 oct. Par grands vents au Théâtre des Célestins, jusqu’au 20 oct. Génération 25 au théâtre de la Renaissance jusqu’au 19 oct. Beretta 68 au Théâtre des Célestins du 22 au 26 oct. Mothers a song for wartime les 24 et 25 oct au TNP. Grand entretien entre Elias Sanbar et Olivier Neveux au Théâtre des Célestins, le 19 oct. Journées dissidences et résistances le 20 oct. Projection de Rwanda 94 aux Célestins le 19 oct et conversation entre Jacques Delcuvellerie et Olivier Neveux le 21 oct au théâtre Kantor de l’ENS, etc. Programme détaillé sur le site sensinterdits.org
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October 18, 2024 6:00 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 17 oct. 2024 Simon Abkarian est un héros tragique et bouleversant, porté par une musique sublime. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/17/dans-menelas-rebetiko-rapsodie-au-theatre-de-l-epee-de-bois-a-paris-un-homme-pleure-la-femme-qui-l-a-quitte_6354446_3246.html
Pas un acteur ne foule d’un pas désinvolte les dalles dorées du beau Théâtre de l’Epée de bois (Paris 12e). Simon Abkarian moins que quiconque, dont la noire silhouette et les yeux masqués par les rebords tombants d’un chapeau de feutre apparaissent dans une embrasure en fond de salle. Murs de vieilles pierres, lumière vespérale, brume songeuse gagnant le décor d’un bar délaissé où seuls deux musiciens (le bouzoukiste Grigoris Vasilas et le guitariste Kostas Tsekouras) sont attablés. On se croirait dans Café Müller version Pina Bausch, sauf que la danse (car danse et rébétiko il y aura) a lieu dans les coulisses d’une guerre antique. Pendant cette représentation de Ménélas rebétiko rapsodie, l’homme qui ondoie lentement, chaussures vernies aux pieds, est le Grec Ménélas, que sa femme Hélène a quitté pour le Troyen Paris. « J’étouffe. Pourquoi es-tu partie ? », se lamente Simon Abkarian, au chant élégiaque. Le héros inspire et expire. Un filet d’air pour déjouer l’asphyxie dans laquelle le plonge la violence du chagrin d’amour. Des mots, il lui en faut des torrents pour dompter le flux de sentiments qui le secoue de part en part. La rage, l’humiliation, la sidération, le besoin, le manque, la jalousie et cet insatiable désir qui survit à l’absence : tout mérite d’être dit, du plus cru (« Putain venue de Sparte ») au plus noble (« ma femme ma sœur mon amie »), en passant par l’autoportrait assassin. Plus Ménélas insulte Hélène, plus il se flagelle : « Moi qui suis le faible, le mou, l’indécis, le doux, l’impuissant, le débonnaire, l’influençable, l’esclave de la chair. » Une parole ample et lyrique Portés par une musique sublime, ces mots déferlent entre les tables et les chaises de bois. Abkarian s’en saisit avec l’ardeur d’un nageur qui cherche une bouée de sauvetage. Ce texte qui lui colle à la peau renverse les perspectives. Le contexte historique est balayé par le monde d’aujourd’hui. Le politique quitte le champ de bataille pour s’engouffrer dans l’intime. Ménélas est extirpé des pages de la tragédie pour apparaître seul dans la lumière. Après avoir travaillé les figures d’Electre (Electre des bas-fonds) et d’Hélène (Hélène après la chute), l’auteur zoome cette fois sur la psyché masculine. La guerre fait rage dans l’intériorité d’un homme qui court après ses états d’âme comme s’il traquait des soldats ennemis. Pas d’épée au bout de son bras, juste une parole ample et lyrique à laquelle on pardonne ses excès (il y en a) et ses bascules trop systématiques entre éloges et invectives. Au cours de ce combat immobile, les gestes du comédien, économes, ramassés, s’effectuent presque au ralenti. Le regard du public ne se disperse pas, sa concentration se fixe sur le récit. Les portes s’ouvrent en grand vers une virilité qui abdique sa pseudo-toute-puissance malgré quelques « salope » qui fusent çà et là. Ce qu’Abkarian donne à voir et à entendre n’est pas la masculinité blessée, mais un amour (lequel n’a pas de genre) amputé de sa moitié. Dans « Hélène » on entend « haine », et « hélas » dans « Ménélas ». La langue est le reflet loyal de la vérité. L’auteur fait valser les sons et la rhétorique avec virtuosité. Massif et souple, mi-torero, mi-mafieux, Simon Abkarian se voit humanisé par la vie. A tel point que, lorsque Ménélas pleure son amour perdu, c’est presque l’acteur que l’on a envie de consoler. Ménélas rebétiko rapsodie. Texte, mise en scène et jeu : Simon Abkarian. Avec Grigoris Vasilas et Kostas Tsekouras. Au Théâtre de l’Epée de bois, Paris 12e, où se joue également Hélène après la chute. Jusqu’au 3 novembre. Les pièces sont éditées aux éditions Actes Sud - Papiers. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : Simon Abkarian (au centre), Grigoris Vasilas et Kostas Tsekouras, dans « Ménélas rebétiko rapsodie », mis en scène par Simon Abkarian, au Théâtre de Villefranche-sur-Saône (Rhône), en septembre 2024. VINCENT ASSIE
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October 17, 2024 1:45 PM
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PRIX BERNARD-MARIE KOLTÈS – PROLONGER LE GESTE L'ESPRIT DU PRIX Écrire en frères et sœurs de Koltès, ce n’est pas chercher la fidélité dans une œuvre, plutôt prolonger cette morsure dans le monde qu’elle aura initiée, et traquer ces forces où se révèlerait «un bout de notre monde qui appartienne à tous ». Arnaud Maïsetti, auteur & enseignant-chercheur | Université d’Aix-Marseille, parrain du Prix Bernard-Marie Koltès BERNARD-MARIE KOLTÈS – PROLONGER LE GESTE#3 CONCOURS D’ÉCRITURE 3e ÉDITION 190 JOURS POUR ÉCRIRE UNE FICTION DRAMATIQUE Voici la phrase qui devra impérativement être le point de départ du texte et “faire sens” au cœur de la fiction dramatique que vous allez produire (merci de lire le règlement complet avant de commencer) : "J’aurais voulu être extraordinaire. C’est idiot. Il y a de plus en plus de gens extraordinaires. Au point que cela va devenir extraordinaire d’être une personne ordinaire." Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert, Editions de Minuit, Paris, 1988 Le mot de François Koltès PRÉSIDENT DU JURY Si l’on écrit pour le théâtre, il faut que cela en vaille la peine, que ce que les comédien(ne)s auront à assumer ne puisse se dire que sur le plateau. Le théâtre aujourd’hui ne semble plus nécessaire : trop de médias l’ont remplacé, trop d’ignorance l’ont galvaudé, trop de décideurs l’ont placé au niveau de la seule gestion commerciale. L’horizon immédiat ne laisse pas entrevoir d’amélioration. Mais gardons espoir et tâchons d’inverser le courant ! La responsabilité des acteurs culturels et singulièrement des auteur(e)s est de donner envie aux spectateurs de venir au théâtre pour voir et entendre non pas ce qu’ils voient et entendent quotidiennement chez eux, dans la rue ou au télé-journal : la langue familière, les histoires de couples, les messages socio-politiques ou autres intrigues banales livrés abruptement sans point de vue, sans véritable réflexion et souvent sans pensées. La part des auteur(e)s est de nous donner accès à la substantifique moelle invisible de la vie et du monde que l’écriture est capable de révéler, de sublimer, d’illuminer y compris dans les côtés les plus simples, les plus ordinaires ou les plus sombres de l’humanité, qui élèvera notre pensée et notre âme, rendant ainsi au théâtre sa fonction et la présence de la parole sur le plateau indispensable. C’est pourquoi le jury sera attentif au choix des thèmes et des histoires racontées, à l’écriture (style, narration, structure de la pièce et de la phrase, allégories, métaphores, etc.) et à la langue. Il n’est pas question de se torturer pour entrer dans un moule qui souvent se fabrique au fil du temps. Il faut en revanche avoir le désir ancré, la force de travail et l’exigence. À vos crayons, plumes, machines à écrire et ordinateurs ! François Koltès « J’ai seulement envie de raconter bien, un jour, avec les mots les plus simples, la chose la plus importante que je connaisse et qui soit racontable». Bernard-Marie Koltès CALENDRIER#3 - 30 juin 2024 : Annonce de la phrase = 190 jours pour écrire une fiction
- 06 janvier 2025 à 23h59 : Clôture et remise des textes par les auteurs
- Fin juin 2025 : Remise de la sélection au jury
- 02 octobre 2025 annonce des 2 ou 4 textes, lauréats du 1er tour et participant au Marathon de lectures
- 28 & 29 novembre 2025 Marathon de lecture avec Prix du public et Prix du Jury
2 TOURS / 3 PRIX La date limite de remise des textes est fixée au 06 janvier 2025 à 23h59 (heure de l’hexagone).
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Le spectateur de Belleville
October 16, 2024 3:46 AM
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Par Sonya Faure dans Libération - 14 oct. 2024 Julien Andujar présente un spectacle-hommage a sa sœur qui fut l’une des «disparues de la gare de Perpignan». Interdit de deuil, il opte pour le rire et la joie, les Spice Girls et la tortilla, au risque d’ensevelir sa relation avec sa sœur absente. publié le 14 octobre 2024 à 17h04 Sur scène, Tatiana est absente. Evidemment, puisque depuis près de trente ans, plus personne n’a vu Tatiana. Elle avait 17 ans quand elle a disparu, un dimanche soir de septembre, en 1995, à la gare de Perpignan. Elle fait partie de celles que les journaux ont appelées «les disparues de Perpignan» (Disney + a récemment annoncé la création d’une série sur l’affaire), quatre jeunes femmes enlevées à leurs familles entre 1995 et 2005. Les corps de trois d’entre elles ont été retrouvés, et leurs meurtriers condamnés. Pas celui de Tatiana. Quand sa sœur a disparu, Julien Andujar avait 11 ans. Il a pensé son spectacle, où il est seul sur scène et son frère Alex à la régie son, comme une «cérémonie» qui ne serait pas triste. Et comment ce spectacle pourrait-il l’être quand Andujar, monté sur talons et coiffé de cheveux synthétiques rouges, accueille les spectateurs un à un, en leur proposant un bout de tortilla ? Ou quand il imite sa prof d’anglais qui affublait ses élèves de prénoms british et l’accueillait en classe : «Gordon ? Toujours pas de nouvelles de Tatiana ?» (mais pourquoi Gordon ? se demande encore Andujar). Apostrophes au public En partie financé grâce à une cagnotte collaborative, le spectacle arrive au Rond-Point à Paris avec déjà une petite histoire. Des journalistes de l’Indépendant de Perpignan, qui n’ont jamais oublié Tatiana, ont été le voir début 2023 à l’autre bout de la France et écrit qu’il était regrettable qu’il tourne partout… sauf à Perpignan. Leur article a été repris dans la revue de presse d’Askolovitch sur France Inter, la municipalité a vite contacté Andujar pour y remédier et le spectacle a gagné en renommée. Tout au long de la pièce, le comédien-auteur joue avec les apparitions et disparitions – voilà les irruptions de son amie imaginaire, voici les répétitions d’un spectacle qui n’existera jamais, et ce moment où il nous fait regarder une scène vide. Mais de sa passion pour les Spice Girls à ses apostrophes au public, la pièce se disperse (et s’essouffle trop souvent) au point que Tatiana n’est plus seulement absente, mais hors-sujet. La promesse de rendre visible ce que cette disparition a fait à un enfant de 11 ans ne tient guère plus longtemps, malgré des phrases terribles («Tu as récupéré la chambre de ta sœur ?») et des cauchemars où se promène Salvador Dali pour qui la gare de Perpignan était le centre du monde. Est-ce le centre du monde qui a aspiré Tatiana ? Masque mortuaire Jamais aucun gendarme n’a frappé à la porte pour annoncer à sa mère la mort de Tatiana. La famille a été interdite de deuil, qui aurait acté l’abandon de la disparue. Julien Andujar s’est aussi refusé à dessiner le masque mortuaire de sa sœur manquante. Rendre hommage à une absente sans qu’elle y soit était un choix fort et une gageure. A la fin du spectacle, Julien Andujar lance au public : «Vous avez voulu voir Tatiana, vous l’avez vu.» Pour lui, la seule chose du nom de Tatiana qu’on puisse voir aujourd’hui, c’est un spectacle. Sa sœur a disparu. Tatiana de Julien Andujar, jusqu’au 19 octobre au Théâtre du Rond-Point. Sonya Faure / Libération Légende photo : En partie financé grâce à une cagnotte collaborative, le spectacle arrive au Rond-Point à Paris avec déjà une petite histoire. (Vincent Curutchet)
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Le spectateur de Belleville
October 15, 2024 10:22 AM
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DIMITRI DORÉ ACTEUR ET COMÉDIEN Propos recueillis par Bénigne Tainturier pour artefake.fr - 15 oct. 2024 Quel a été votre parcours professionnel ? Je suis né en Lettonie en 1997, puis j’ai été adopté en 1998 à Reims par une famille aimante qui m’a choyé et comblé de bonheur. Pour tout vous dire, je suis un véritable enfant de la télé, c’est là que j’ai découvert Le Plus Grand Cabaret du monde, le Festival International du Cirque de Monte-Carlo et le Festival International du Cirque de Massy. J’étais émerveillé par chaque artiste. Depuis petit, je baigne dans l’univers du cirque, discipline que j’ai pratiqué durant cinq années. Mais le véritable déclic a été la découverte en 2001 du cirque Pinder Jean-Richard, puis la rencontre avec l’univers poétique de Hugues Hotier Monsieur Loyal du Cirque Éducatif. Parallèlement à cette passion circassienne, l’enseignement m’a toujours plu, m’incitant très tôt à suivre cette voie. Cependant, quelques années plus tard, suite à une déception dans mon apprentissage de l’Italien, j’ai très vite bifurqué vers l’option théâtre. Un pur hasard, car je n’avais pas une appétence particulière pour cette discipline. Évidemment, mes références de l’époque étaient Au théâtre ce soir avec Micheline Dax, Robert Hirsch ou encore Jean Le Poulain. Très vite, lors des premiers cours de théâtre, on m’a confié le rôle de la belle-mère de Cendrillon de Joël Pommerat que j’ai incarné en m’inspirant du jeu comique de Muriel Robin. Ce mélange des genres ne fut pas sans surprendre mes camarades et mes enseignants de l’époque. Puis, suite à l’obtention de mon baccalauréat, je suis monté à Paris en octobre 2016, en commençant mon apprentissage à l’école de théâtre l’Éponyme. Durant cette année, j’ai aussi décroché un casting avec le metteur en scène Jonathan Capdevielle me permettant de pénétrer dans le monde du spectacle vivant et ainsi d’obtenir le statut d’intermittent du spectacle. Quelques années plus tard, Jean-Luc Vincent, acteur également, qui m’avait repéré dans une pièce de Jonathan m’a contacté pour me soumettre le scénario de Bruno Reidal. Cette rencontre a été déterminante, me permettant de jouer mon premier rôle au cinéma. En 2018, vous avez participé à l’une des adaptations de Peter Pan d’Andrew Birkin. Une pièce radiophonique accompagnée par l’orchestre national de Radio France sous la direction de Christophe Hocké. En effet, le monde du célèbre personnage de Disney est en lien direct avec le monde du rêve et donc de l’illusion. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Comme Peter Pan, nous pouvons tout jouer lorsque l’on est enfant et ainsi devenir n’importe qui. Comme Peter Pan, aussi, nous pouvons également nous trouver une multitude de familles ! D’ailleurs, j’ai remarqué que j’ai pu découvrir mille et un parents dans les rôles que j’ai incarné. En effet, depuis 2017, j’ai déjà eu six mères : Clémentine Baert, Nelly Bruel, Isabelle Huppert, Camille Chamoux, Michèle Gurtner et la mezzo-soprano Sophie Koch. Mais, contrairement à Peter Pan, chaque âge a son intérêt. Il faut garder à l’esprit que les rôles vieillissent avec nous et qu’il est toujours possible de jouer à tout âge. Aujourd’hui, j’ai déjà réalisé mon premier rêve : faire ce que j’aime le plus dans ma vie. Désormais, je souhaite continuer à réaliser d’autres souhaits qui me permettront d’avancer dans ce métier. Comme dans un couple, à trop se connaître, on finit par se tuer l’un et l’autre ; Et à trop s’ignorer, on finit par se perdre. L’hygiène intime de l’acteur est dans le changement. Comment façonnez-vous vos personnages ? À vrai dire, le travail de recherche est fondamental dans ma conception de mes personnages. L’INA est une ressource inépuisable que je consulte fréquemment. Ce travail d’exploration me fascine, cela me renvoi à ma passion pour l’histoire. J’avais toujours une attirance à être ce que je n’étais pas dans mes jeux. Mon apprentissage de comédien était avant tout d’imiter les autres, avant même de créer ma propre signature. Imiter passe par le formidable pouvoir de la métamorphose. Imiter n’est pas de recopier mais bien de recréer. C’était le cas aussi pour Victor Hugo, Elvis Presley ou Picasso, car avant de peindre toutes ses périodes colorées, il s’était pris au jeu de l’imitation de tous les grands (Monet, etc.). Ce travail d’imprégnation est indispensable pour trouver sa patte, sans jamais tomber dans les travers du plagiat. L’apprentissage se construit par mimétisme et compagnonnage. Très tôt, j’ai eu mon premier coup de cœur cinématographique avec Les Grandes Vacances de Jean Girault, dont Maurice Risch incarnait le facétieux Stéphane Michonnet. La scène du déjeuner est terriblement drôle, Michonnet se voit contraint de goûter tous les plats, alors même qu’il est malade. Des plats totalement insensés, comme la viande saupoudrée de chantilly. Le tout, orchestré par l’indomptable Louis de Funès et son humour désopilant. C’est en réalité un véritable numéro de clown avant même d’être une scène de cinéma. Avez-vous déjà incarné une voix, donnant l’illusion d’être un ou une autre ? En effet, j’ai déjà eu l’opportunité de tenter cette expérience, c’est bien l’illusion au sens large du terme que de jouer un personnage simplement par la voix. Selon moi, Zouc (humoriste, autrice-compositrice-interprète suisse) demeure la reine en la matière. Elle est capable de modifier sa voix pour s’adapter à tout type de personnage. Comme Robert Hirsch adorait le faire, c’est surtout ce travail du masque que j’affectionne le plus. Mais, plus que tout, cette incarnation des rôles est beaucoup plus profonde selon moi, il s’agirait même de convoquer des voix qui ne sont pas les nôtres. C’est une forme de transcendance. Nous faisons un métier d’appropriation. Depuis petit, je travaille ma voix par plaisir, en imitant mes professeurs d’école par exemple, tout en gardant un regard bienveillant. Pourtant, au départ, j’étais un enfant très timide, j’observais beaucoup et j’adorais aussi les arts plastiques. Pouvez-vous nous parler de la master class que vous avez animé sur l’intelligence artificielle (IA) en 2024 ? Tout à fait, la thématique abordée était la suivante « La peur de l’intelligence artificielle & vôtre intelligence artistique créatrice ». L’IA est un outil formidable qui peut aider de nombreux jeunes à améliorer la qualité rédactionnelle de leurs écrits, mais aussi leurs recherches en entreprise par exemple. L’IA est comparable à un marteau, on peut construire ou détruire avec. Donc ce n’est pas l’outil qui pose problème, mais bien ce que l’on en fait. Les risques sont réels, mais les IA ne sont pas des créatures autonomes, mais bien un outil. Il est donc indispensable de prendre le train en marche et d’être en phase avec l’avancée de cette technologie, dans le sens positif du terme. Néanmoins, malgré les bénéfices inhérents à cette nouvelle technologie, j’ai récemment conseillé à des élèves, lors du César des Lycéens à Perpignan, de se nourrir également des ouvrages et supports papiers, qui restent et demeureront des sources inépuisables de connaissances. Pensez-vous que l’intelligence artificielle puisse avoir un impact sur les doublures de voix ? D’ici dix ans, un cahier des charges strict devra être établi, afin d’éviter des dérives. Demain, il sera possible de doubler un film de Glenn Close dans des dizaines de langues avec une voix identique à celle de l’actrice, tout en synchronisant ses lèvres avec son texte. Les directeurs de casting pourraient être remplacés par des algorithmes avancés. La start-up suisse Largo.ai utilise deux types d’intelligences artificielles, l’une générative et l’autre prédictive, pour aider les producteurs et réalisateurs à constituer le casting idéal. Cependant, ce qui fait défaut à l’intelligence artificielle, c’est la capacité à douter. L’IA ne remet jamais en question ses certitudes. Par conséquent, tout comme les bibliothèques, les dictionnaires et les encyclopédies, elle risque de n’être qu’un outil parmi d’autres. Et c’est tout ! Avez-vous un rapport différent dans votre approche de la comédie au théâtre ou du jeu d’acteur au cinéma ? Mon jeu au théâtre et au cinéma est quasiment identique, il y a toujours une écoute qui vient soit du public, soit de l’équipe technique. Au théâtre tu es « le patron » sur scène, alors qu’au cinéma tu dois être en accord avec les attentes du metteur en scène, du directeur de casting et du script, afin de ne pas engendrer de faux raccords. Au théâtre, on joue. Au cinéma, on a joué. Vous avez quatre heures ! Parlez-nous de votre passion pour l’art clownesque et du maquillage. Le maquillage est un instrument vous permettant de donner l’illusion d’être un autre. Quel regard portez-vous aussi sur ce sujet ? J’aime à prendre l’exemple de Michel Serrault qui se fondait aussi bien dans le rôle du Docteur Petiot que dans celui d’un personnage totalement excentrique comme dans La cage aux folles. Le maquillage est un masque, permettant de se dissimuler aussi bien derrière une cantatrice ou jouer la carte d’un personnage plus sinistre. Pour faire le parallèle avec le cirque, Jean-Claude Dreyfus s’était notamment grimé en dresseuse d’otaries lors du 49ème Gala de l’Union des artistes. Un délice ! Pour tout vous dire, nous sommes presque plus illusionniste qu’un magicien professionnel, car, autant on peut « laisser des bouts de soi » dans un rôle, mais cela n’engage que nous. Autant ce masque permet d’interpréter des « morceaux de soi », façonner des personnages de composition comme Bruno Reidal avec des accents du Sud de la France. Bruno Reidal restera toujours aux antipodes de ma véritable personnalité, au-delà même du fait qu’il était un criminel sanguinaire, dénué d’une quelconque empathie. Comme aimait le dire Pierre Arditi « on est des morceaux de soi sans que le public le sache ». C’est notre cuisine interne, Jean-Claude Brialy le savait. Comment réussissez-vous cette dissociation dans votre vie privée avec le personnage incarné au cinéma ou au théâtre ? Je m’efforce de rester le plus loin possible de mon rôle, afin qu’il n’empiète pas sur ma vie privée. Dès que la caméra se coupe je m’amuse. Cela me permet de maintenir une distance dans ma vie réelle et ainsi me protéger. Je ne parlerai pas non plus d’hypersensibilité, mais je reste très sensible à de nombreuses causes comme rester fidèle à ma légende (être « raccord » tant dans la vie que dans mon travail), le féminisme, l’égalité des genres dans le monde du travail et la lutte contre l’abandon. Parlez-nous de votre passion pour l’art circassien et votre regard sur l’opéra ? Certains numéros de cirque me bouleversent aussi, je pense notamment à ce magnifique duo d’artistes asiatiques lors d’une des précédentes éditions du Festival International du Cirque de Monte-Carlo, dont la performance exceptionnelle était en harmonie parfaite avec la musique. Un numéro de danse classique mis en scène sous forme de mains à mains, brillant ! Comme les clowns, certain(e)s comédien(ne)s et acteur(trice)s m’émeuvent, c’est le cas de Giulietta Masina dans La Strada ou encore Audrey Hepburn dans Summer Times. L’opéra me plaît aussi, je pense à Cecilia Bartoli, mais aussi à certaines mises en scène de Jean-Louis Grinda. J’ai même pu jouer dans un opéra intitulé Wozzeck, mis en scène par Michel Fau. Ces mises en scène sont teintées d’onirisme, un univers que j’affectionne particulièrement. D’ailleurs, lorsque j’ai participé à cet œuvre, je jouais le personnage central, le fils de Marie, rêvant dans son lit d’enfant toute l’histoire de Wozzeck. C’est véritablement la nature baroque de cette pièce qui m’a le plus enchanté. Je me surprends à m’évader aussi dans les ouvrages d’Albert Camus, c’est cet aspect brut ayant pour cœur la question même de l’existentialisme qui me fascine. Car, si le monde est absurde, à quoi bon vivre ? Une question lourde de sens, dont chacun(e) à sa propre réponse. D’ailleurs, j’adapte et mets en scène actuellement la nouvelle d’Andra Neiburga Pousse pousse au théâtre avec l’actrice Zahia Mekid qui traite de ce sujet. À titre de comparaison, le clown Grock incarnait à merveille cette dimension de l’absurde. Mais, c’est véritablement Charlie Rivel qui a été le facteur déclenchant de mon attrait pour l’art clownesque. En abordant la thématique de l’illusion, celle « d’être un autre l’espace d’un instant », pouvez-vous nous présenter la pièce de théâtre Rémi mis en scène par Jonathan Capdevielle ? Tout a commencé lorsque mon ami Jonathan Capdevielle a joué le rôle de Peter Pan, à ce moment précis, il a su qu’il souhaitait mettre en scène des pièces pour enfants. Puis, suite à la lecture du célèbre roman d’Hector Malot Sans famille paru en 1878, nous avons échangé et nous nous sommes mis d’accord sur la création d’une pièce de théâtre Rémi s’inspirant du manga adapté de l’œuvre originel. Ce maquillage de clown, cette forme de bleu au coin de l’œil n’est pas anodine. En effet, comme tous les enfants nous avons toujours eu ce péché mignon d’effrayer nos parents et grands-parents plus jeunes. Rôle que je reproduis avec Rémi, qui, grâce au maquillage, faire croire à sa mère qu’il a été victime de violences. Quelles sont vos principales sources d’inspiration ? Mes sources d’inspiration outrepassent nos frontières nationales, comme c’est le cas d’Arlequin, héritage de l’Italie qui a nourri ma créativité. Sans oublier au Moyen Âge, le fou du roi, qui avait pour rôle de divertir. De nombreux écrivains ont notamment écrit sur cette thématique, par exemple, au sujet des jeux du cirque au temps de Jules César. Selon moi, l’humour sous quelque forme qu’il soit est fondamental dans nos sociétés contemporaines, il nous rend vivant. L’autodérision est aussi un véritable système de défense. Des penseurs m’inspirent également, comme Jean d’Ormesson, Gaston Bachelard, Jacques Attali ou Michel Simon qui avait ce souci de l’écologie, cause qui me tient à cœur. Un film vous tient particulièrement à cœur ? Le film Bagdad Café (1988) que j’ai découvert récemment est un hymne à l’amitié et à la magie des rencontres inattendues. Dans ce désert aride, Jasmine, avec sa joie de vivre, transforme un café désolé en lieu de renaissance. La simplicité des destins croisés devient extraordinaire, chaque personnage retrouvant, à travers le regard des autres, un éclat de bonheur perdu. Ce que j’ai aimé le plus, c’est cette alchimie délicate qui, sans artifices, offre une chaleur humaine contagieuse et l’émerveillement dans les regards de chacun des personnages de Percy Adlon. Une leçon douce sur l’art de rendre heureux. C’est ça aussi la magie et notre métier. Vous avez joué récemment dans le film La Petite Vadrouille de Bruno Podalydès qui est également magicien. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre ? Je me baladais au Jardin des Tuileries, lorsque j’ai pris connaissance du scénario de La Petite Vadrouille. Suite à cette lecture, j’ai trouvé l’idée géniale. Très vite, avec la personne qui partage ma vie, nous avons réalisé une courte vidéo de présentation sur le toit du BHV à Paris. Nous l’avons ensuite transmise à la directrice de casting, qui, deux jours plus tard, m’a contacté pour une audition. Enthousiaste, je me suis alors prêté au jeu, devant Bruno Podalydès en personne, en jouant le rôle d’un mousse maladroit, j’ai alors fait semblant de m’étrangler avec un fil de chargeur en nouant un faux nœud marin. Tout n’était qu’improvisation. C’est alors, que ma candidature a été retenue. Nous avons tout de suite accroché, partageant notamment la même vision du cinéma. Puis, tout s’est enchaîné très vite. Quel bonheur, cela a été de travailler avec Denis Podalydès, Florence Muller et les enfants de Bruno. Chaque prise était un véritable divertissement, nous permettant d’être le plus naturel possible devant la caméra, et ainsi, concevoir un film de qualité. Cette comédie m’a offerte l’opportunité rêvée de jouer enfin mon premier rôle comique. L’illusionniste Yann Frisch a également participé à ce film, j’adore son travail, j’ai d’ailleurs été chamboulé par l’une de ses pièces de comédie magique au Théâtre du Rond-Point. Quelles sont vos inspirations artistiques ? Il me semble que le célèbre magicien ukrainien Voronin et l’illusionniste/comique Mac Ronay vous inspire quotidiennement ? Tout à fait, ces deux comédiens/magiciens m’ont beaucoup inspiré, Voronin, par son imaginaire singulier me fascine. Encore une fois, la fiction nous renvoie à l’univers de Peter Pan. Les numéros de Voronin m’ont profondément touché, en raison également de la musique de Raimond Pauls, célèbre compositeur letton, dont la musique populaire a bercé mon enfance. Le parcours de Raimond Pauls est d’autant plus remarquable qu’il a été ministre de la Culture en Lettonie. L’illusionniste Jérôme Murat avec son numéro atypique de La Statue, alliant magie et poésie a aussi exercé une influence non négligeable dans ma construction d’artiste. Cela me touche d’autant plus, que ces deux artistes ont cette qualité inouïe de savoir équilibrer leurs numéros avec une bande-sonore parfaitement adaptée. Créant ainsi une harmonie parfaite, que je souhaite aussi transposer dans mon prochain seul en scène Latvian Boy. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce seul en scène, intitulé Latvian Boy ? Le fil rouge de mon spectacle sera constitué d’un ensemble de personnages retraçant mon histoire personnelle et mêlant mes diverses passions, celle du cirque notamment. Il a été temps pour moi de retourner sur les terres où je suis né, en rendant hommage à mes parents russes qui m’ont fait naître à Jelgava. J’ai découvert une nouvelle culture et un nouveau monde. C’est un appel de mes racines, un besoin de comprendre ce que j’y ai trouvé. Dans le cadre du seul en scène, mis en scène par Jonathan Capdevielle, je vais explorer une culture fantasmée, celle de la Lettonie. L’humour est un élément clé que nous souhaitons développer dans cette pièce, un aspect que nous n’avons pas eu le temps d’explorer dans notre précédente collaboration sur À nous deux maintenant ou encore Caligula. Cet été, je me suis interrogé également sur la manière dont je vais aborder la figure du clown, en jouant sur son côté populaire, le travail corporel, et la vivacité de la fiction, tout en intégrant des références personnelles. Peut-être développer ma première vision du théâtre, avant de choisir cette voie. Ce solo représente une sorte de mise à nu. Je pense aussi à l’idée de la marionnette comme un élément à explorer, en jouant avec les personnages que j’imite, que ce soit à travers leurs paroles ou mon propre texte, qui peut donner une signification différente. Je me vois comme un médiateur entre toutes ces voix. Ma première spectatrice a été ma mère, et je ressens toujours ce désir de lui faire plaisir. Cela crée une contradiction entre les aspirations professionnelles que mes parents avaient pour moi (devenir clown ou travailler dans un cirque) et mon propre désir de devenir professeur. Dans ce contexte, je réfléchis à la manière de capter l’attention du public. Tout un programme ! Je n’en dirais pas plus et je vous donne rendez-vous au théâtre prochainement ! Vous appréciez aussi beaucoup le travail de Louis Jouvet, notamment dans le film L’entrée des artistes. Dites-nous-en un peu plus ? Effectivement, j’ai récemment revu ce film magnifique qu’est L’entrée des artistes, dans lequel on perçoit le « côté pharmacien », si je puis-dire de Louis Jouvet. Le tout mettant en lumière des actrices de l’époque dont le jeu est une véritable source d’inspiration. J’aurais également rêvé d’assister à un cours de Tania Balachova (comédienne française) ou de Stella Adler (actrice et professeur d’art dramatique américaine). J’ai aussi un goût prononcé pour les cours de théâtre, transmettre me plaît beaucoup. Je salue le travail de ces enseignants qui réussissent à faire émaner de nous quelque chose, sans pour autant nous partager beaucoup de connaissances. Ce sont des véritables chefs d’orchestre, un métier que j’admire, car l’on doit fédérer une équipe, présenter une œuvre qui n’est pas la nôtre, mais que l’on doit servir. C’est comme si on convoquait des énergies pour répondre à la commande et ainsi, toucher les étoiles. Quel est votre regard sur l’art de l’illusion ? L’art de l’illusion m’intéresse et j’adore observer les attitudes des magicien(ne)s, certain(e)s surjouant parfois. Il est vrai que c’est le principal problème de certain(e)s magicien(ne)s qui n’ont pas forcément reçu de formation théâtrale, tout comme certain(e)s chanteurs/chanteuses d’opéra. Néanmoins, j’apprécie beaucoup le duo de magiciens américains Siegfried & Roy, dont l’interaction sur scène était excellente et dont les grandes illusions étaient aussi époustouflantes. Le magicien Garcimore demeure mon coup de cœur de la magie : « oh, bah ça marche pô ! » Avez-vous quelques anecdotes au sujet des différents Prix que vous avez reçu ? Effectivement, en 2016, j’ai reçu le Prix du civisme à la mairie de Reims, par surprise, à l’initiative de ma proviseure de l’époque, qui avait fortement apprécié ma démarche d’entraide à l’égard de mes camarades de Seconde et Première. Ma passion pour l’enseignement était déjà très marquée à l’époque, et il est vrai que cette approche pédagogique m’a beaucoup aidé à travailler mes rôles par la suite. Enfin, en 2023, j’ai eu la chance inouïe d’être nommé dans la catégorie Espoirs masculins aux Césars pour mon rôle principal dans le film Bruno Reidal, réalisé par Vincent Le Port. Mais, la véritable consécration a été lorsqu’il m’a été décerné le Prix Lumière, que la presse internationale m’a remis à l’unisson pour ce film. Propos recueillis par Bénigne Tainturier À lire : Merci à Dimitri Doré pour cet échange ayant eu lieu en septembre 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Victoria Vinas / Dimitri Doré / Christophe Raynaud de Lage / Mirco Magliocca / Yannick Doré / Pierre-Emmanuel Urcun / James J. Weston (photo de couverture). Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.
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Le spectateur de Belleville
October 14, 2024 4:55 AM
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Par Véronique Hotte dans Webthéâtre - 11 oct. 2024 Le bel éclairage de l’amour salvateur d’un fils pour sa mère. Premier objet d’amour, la figure de la mère est valorisée unanimement ; les autres attachements ne prennent sens que depuis cet élan initial liant la mère et son enfant. Amour maternel et amour filial sont un seul amour fusionnel, absolu. L’amant/e ne saurait être aussi aimant/e que la mère à l’égard de son enfant. Le nom Mère/Mer connote la douceur, la nostalgie et la tendresse. Quand la mère disparaît, on la célèbre, et le traumatisme est grand pour les êtres nés d’elle – la véritable mort de la vie car la mère donne la vie. Protectrice de l’enfant, elle est dévouée, oublieuse d’elle-même, tendue vers la sauvegarde des siens. (Dictionnaire culturel de la langue française, Alain Rey, Le Robert.) Face à la mère est le texte autobiographique d’un fils – Jean-René Lemoine, auteur, traducteur, metteur en scène et acteur – à sa mère, disparue tragiquement en Haïti, en proie à la violence exacerbée d’un pays mis à sac. Enseignante dans une école privée de jeunes filles, elle est assassinée dans sa maison ; les populations sont victimes d’arrestations arbitraires, viols, tortures, massacres. « Un jour, vous m’avez suggéré de venir plus souvent car vous vous rapprochiez de la mort. Je suis venu plus souvent. A chaque passage, je voyais le pays descendre dans l’abîme. » Dans la culture chrétienne, la Mater dolorosa souffre pour ses enfants : l’adolescent, reproche à sa mère cette image de martyre et sacrifiée face à lui, fils « coupable ». Perfectionniste, elle voulait que ses enfants « réussissent ». Or, l’enfance provisoire privilégie l’im-permanence de la vie. La mère, source affective, peut se faire possessive, l’enfant étant le réceptacle involontaire des passions, rigidités et peurs adultes. Mais il est nié en tant qu’enfant – « il ne sait pas qu’il est un enfant » – , ne se vit que comme le « reflet » des adultes et dans le « devenir grand » (Françoise Dolto, Tout est langage). Et le garçon parfait devient parfois ado insoumis, rebelle. La mise en scène de Guy Cassiers est coupée au cordeau, espace mental et incarcération esthétisante, au fil d’un discours libérateur délivrant et dénouant les tensions accumulées - adresses à la mère et interpellations de soi : « Tant de cruauté… Je n’avais que quinze ans…Faire une trêve… », certaines phrases sont projetées sobrement sur le mur noir du lointain, du flou à la clarté. A l’intérieur des lignes noires de ce qui pourrait être une cabine médicale aux parois ouvertes, surmontée d’un toit ouvert - carré de métal noir -, qui descend peu à peu, au-dessus de la tête et du corps de l’interprète debout, jusqu’à échouer à ses pieds, tel un tapis argenté. Figure d’une radiographie ou d’un scanner symbolique, l’installation dit tout du coeur et de la pensée de celui que les mots émancipent. Jeux de lumières, douches variées et poursuites lumineuses, par-delà les brumes de fumigènes et le portrait radiographié projeté sur écran d’un fils sublime, Jean-René Lemoine distille sa parole, calme, apaisé, d’une voix tenue, grave et profonde. Un moment rare de dialogue intime avec l’autre et avec soi - le don d’un théâtre radieux. Véronique Hotte / Webthéâtre Face à la mère - création MC93 -, mise en scène et scénographie Guy Cassiers, texte ( Edit. Les Solitaires intempestifs) et interprétation Jean-René Lemoine, création son Jeroen Kenens, création lumière Zélie Champeau, création vidéo Stéphane Rimasauskas, assistant à la mise en scène Valentin Suel, décor, technique et production Les équipes de la MC 93. Du 2 au 19 octobre 2024, MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Les 25 et 26 octobre 2024, D-CAF Festival Le Caire, Egypte. Les 6 et 7 novembre, Maison de la Culture d’Amiens. Les 12 et 13 novembre, Le Volcan, Scène nationale du Havre. Le 18 novembre, Le Phénix - Scène nationale Valenciennes, Festival NEXT. Les 5 et 6 février 2025, Centre Dramatique National Orléans. Les 20 et 21 mars 2025, Agora-Desnos, Scène nationale de l’Essonne. Du 16 au 18 avril, Bonlieu, Scène nationale d’Annecy. Les 6 et 7 mai 2025, Comédie de Valence, Centre Dramatique National Drôme-Ardèche. Crédit photo : Alexis Cordesse.
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Le spectateur de Belleville
October 13, 2024 2:54 PM
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Par Laurent Goumarre dans Libération - 10 octobre 2024 A la fois grande soirée sur scène et performance filmique, l’adaptation libérée de «Platonov» de Tchekhov révèle les relations banalement monstrueuses des personnages. C’est la fête sur le plateau, espace ponctué de tables qu’on déplace pour danser. Il y a à boire, à manger, un DJ qui chante et des invités, une trentaine de spectateurs naviguent à vue parmi les acteurs de Sur l’autre rive mise en scène par Cyril Teste. Encore Tchekhov. Après sa Mouette en 2021 où l’on entendait une musique lointaine – «La soirée est divine, Ecoutez c’est la fête ! Oui enfin sur l’autre rive surtout» – , Teste cherche d’où vient la bamboche, et la trouve dans cette adaptation libérée de Platonov, première œuvre de jeunesse. Tchekhov a 17 ans, la pièce est refusée, trop de cigarettes, trop d’alcool, il faudra attendre 1921 pour exhumer ce texte fondamental. Beau gosse voyou 2024, Platonov s’appelle Micha, instituteur marié à Sacha (excellente Haini Wang) aux origines chinoises, étrangère à tout ce qui peut bien se passer, qui n’a pas tous les codes, mais n’en pense pas moins. Sacha c’est nous, les spectateurs de cette performance filmique où les écrans viennent fragmenter et foutre encore plus le bordel dans cette fiesta des illusions perdues. Au centre, Anna Petrovna, une veuve «pas dégueulasse», accent italien, sensuelle et ruinée, un cocktail détonateur dans cette petite société d’amis, relations plus banalement monstrueuses les unes que les autres : «Chacun fait ses petits coups en douce, c’est un devoir de voler ces gens-là», déclare Ossip qui s’y connaît, en beau gosse voyou qui devrait être en prison, mais «faute de preuves», il a toute sa place ici. On se séduit pour des questions de fric, d’avantage social, on escroque gentiment son voisin, les pères sont irresponsables, les fils des ratés ; elle est belle la fête que donne Anna. Mais que fête-t-on au juste ? Quel est le sens de cette soirée où Micha redouble de veulerie, de lâcheté, provocations adolescentes, fait exploser les couples, torture ses amis, humilie sa femme ? Démasquer les hypocrisies sociales, les faux-semblants ? Non, c’est inutile, personne n’est dupe de personne, il suffit d’écouter les apostrophes pour identifier ici un «minable perverti», là un «gros con», plus loin un «gros parvenu» doublé d’un «nuisible». Cyril Teste fait alors de son Micha (Vincent Berger en parfaite tête à claques) non pas le révélateur des petits arrangements entre amis, mais l’allégorie de ce bien petit monde. Le personnage n’a aucune profondeur, l’acteur ne cherche surtout pas à lui donner du coffre, mais le compose comme une surface écran qui renvoie les autres à leur désespérante impuissance. Micha n’est pas le Théorème de Pasolini qui révélerait les secrets de famille, il concentre en lui les turpitudes de tous les autres : ce n’est pas un virus contaminant, mais le précipité chimique d’une société toujours au bord de l’explosion. Pavillons Alors Vincent Berger balade sa silhouette XS de l’un, de l’une à l’autre, comme un moustique qui pique, pompe et s’inocule le sang vicié de ces tristes fêtards. A l’image de cette pièce refusée, perdue qui aura attendu quarante ans, au-delà même de la mort de Tchekhov pour être finalement jouée, ce Micha est un maudit, un réprouvé qui porte en lui la fin d’un monde qui le condamne. Car tout le théâtre de Tchekhov est dans ce texte de jeunesse qui annonce en 1878 la dernière pièce, la Cerisaie (1903), avec ces histoires de monde qui finit, de maisons qu’il faut quitter – ici le domaine d’Anna, hypothéqué, qui sera racheté, la demeure rasée pour construire des pavillons. Cyril Teste a déjà fait disparaître les murs, pas de scénographie, il lui faut toute la place pour surpeupler le plateau d’une bonne trentaine de spectateurs qui bouffent, boivent, dansent quand la musique est bonne, se déplacent librement, étrangers à une mise en scène qui ne peut ni ne veut tout contrôler. Les treize comédiens doivent alors se frayer un chemin, trouver leurs places et jouer perdus dans cette petite foule. Nous, spectateurs de la salle, les cherchons des yeux : qui parle ? Où est-il ? Le temps passe à tenter de retrouver sur scène le personnage qui s’affiche live en gros plan sur l’écran. La pièce joue sur ce réajustement permanent du regard qui raconte bien où nous et qui sommes, planqués dans le noir… sur l’autre rive. Laurent Goumarre / Libération Sur l’autre rive d’après Platonov de Tchekhov, mise en scène Cyril Teste, jusqu’au 13 octobre Théâtre les Amandiers, Nanterre. Puis en tournée, les 17 et 18 octobre à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, du 8 au 16 novembre au Théâtre du Rond-Point, à Paris, le 26 novembre, à l’Equinoxe de Châteauroux, puis en décembre à Amiens, Mans, Roubaix, etc. «Sur l’autre rive» est également un film réalisé par Cyril Teste, diffusé sur Arte le 13 octobre à minuit et disponible sur arte.tv https://www.arte.tv/fr/videos/111776-000-A/sur-l-autre-rive/
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Le spectateur de Belleville
October 11, 2024 12:24 PM
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Reportage de Fabienne Darge dans Le Monde - 11 oct. 2024 Pendant dix mois, dans les vastes hangars des ateliers de Sarcelles, dans le Val-d’Oise, des dizaines d’artisans spécialisés ont réalisé les éléments de scénographie imaginés par Eric Ruf pour la pièce de Nicolaï Erdman. Lire l'article sur le site du "Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/11/dans-les-coulisses-de-la-fabrication-des-decors-du-suicide-a-la-comedie-francaise_6349323_3246.html
Une pièce géniale entre au répertoire de la Comédie-Française : Le Suicidé, satire grinçante et drôle de la Russie stalinienne, écrite par l’auteur Nicolaï Erdman (1900-1970) en 1928. Eric Ruf, l’administrateur de la maison de Molière, qui est aussi scénographe, signe le décor de cette nouvelle création, à voir à partir du vendredi 11 octobre, salle Richelieu, à Paris. Nous avons suivi pendant plusieurs mois la production de ce décor de A à Z, de la conception à l’installation sur le plateau. 31 janvier. J − 254. Les joies de la maquette Un matin froid d’hiver, la Comédie-Française bruisse de l’excitation qui accompagne les nouveaux projets. Sous la coupole de verre et de métal, cocon en plein ciel surplombant la salle Richelieu, l’ensemble des métiers de la maison est réuni pour découvrir la maquette du décor qui sera réalisé pour Le Suicidé, de Nicolaï Erdman, mis en scène par Stéphane Varupenne. La première du spectacle est programmée pour le 11 octobre. « C’est toujours un moment très symbolique, très joyeux », dit Eric Ruf. L’administrateur de la Comédie-Française, en plus d’être acteur et metteur en scène, est aussi un scénographe reconnu, et c’est lui qui a conçu le décor de cette nouvelle production. « Mais c’est aussi un moment important sur un plan beaucoup plus concret, ajoute-t-il. Tout part de la maquette, pour la construction d’un décor, et elle doit être la plus précise possible, sinon on le paie plus tard, avec des retards de production. » Voilà donc l’objet, une boîte noire comme une maison de poupée, qui reproduit, à l’échelle 1/33, les proportions de la cage de scène de la Comédie-Française. Un décor à géométrie variable, avec ses fonds et ses doubles-fonds, dont Eric Ruf manipule les éléments, notamment les pièces de mobilier grandes comme des boîtes d’allumettes, avec un plaisir évident. A l’heure de la 3D, il fait partie des scénographes qui continuent à fabriquer leurs maquettes eux-mêmes, entièrement à la main. Il les bricole dans son grand bureau d’administrateur général, où s’entassent, dans un coin, colle et peinture en bombe, bouts de bois et de carton, ciseaux et cutters. « J’ai besoin de cette dimension artisanale, sensible, qui s’accorde mieux aux décors que je conçois, qui ont toujours un côté de bric et de broc. Et j’ai besoin de construire la boîte pour prendre la mesure de l’espace à remplir. La 3D est encore peu utilisée pour les maquettes de théâtre : elle est géniale pour les équations techniques, mais peu disante pour les matières et les couleurs. » Dans la conception d’un décor, tout part bien sûr du projet du metteur en scène, de la vision qu’il a de la pièce. « J’ai choisi de situer Le Suicidé à l’époque et dans le contexte où il a été écrit, en 1928 en Union soviétique, explique Stéphane Varupenne. Je ne voulais pas l’inscrire dans le contemporain pour ne pas établir de parallèles trop faciles. On a travaillé sur tout un imaginaire, sur cette ambiance particulière des appartements communautaires dans lesquels vivent les personnages. J’avais cette idée de la poupée gigogne – présente dans tous les intérieurs russes –, d’une boîte dans une boîte dans une boîte. Il y a dans l’écriture d’Erdman une grande netteté par rapport à l’espace, comme s’il était intégré à sa mécanique dramaturgique. Je voulais que l’on puisse jouer avec les faux-semblants, que tout ne soit pas ce qu’il paraît être, aussi bien qu’avec l’esthétique kitsch communiste. On est toujours dans cette pièce sur la frontière entre la réalité et la fiction, entre la vie et la mort, il y a une dimension à la fois très concrète et fantasmatique, kafkaïenne. » A charge pour Eric Ruf de traduire ces intuitions du metteur en scène en une « boîte à jouer » qui laisse toute leur place aux acteurs et à la fluidité du spectacle. « Un décor à la Comédie-Française, c’est un faisceau de contraintes, explique le directeur technique de la maison, Benoit Simon. En raison du système de l’alternance en vigueur au Français, où plusieurs spectacles sont joués et répétés alternativement au long de la semaine, une scénographie chez nous doit pouvoir se monter et se démonter en une heure, ce qui a de nombreuses implications. » « J’ai un rapport d’acteur avec le plateau de la salle Richelieu, où j’ai beaucoup joué depuis mon entrée au Français, en 1993, et je conçois toujours des espaces dans lesquels j’ai envie de jouer », assure Eric Ruf en manipulant les petites boîtes de son décor gigogne. L’administrateur ne cache pas son goût pour les espaces qui ont l’air d’avoir vécu, sur lesquels s’est déposée la marque du temps, et celui du Suicidé n’échappera pas à la règle, le contexte de la Russie soviétique de la fin des années 1920 étant du pain bénit pour les amateurs d’atmosphère décatie. « On va encore faire des patines formidables à Sarcelles », s’enthousiasme Eric Ruf en concluant cette présentation de décor. 8 mars. J − 218. Dans la caverne d’Ali Baba Sarcelles ? Les ateliers décor de la Comédie-Française y sont installés depuis 1974, dispatchés entre quatre hangars sur quelque 5 000 mètres carrés. Trente-deux personnes y travaillent en permanence, réparties entre le bureau d’études, les ateliers (menuiserie-construction, décoration-peinture-sculpture, tapisserie et serrurerie), la machinerie et le stockage. Une immense caverne d’Ali Baba, un lieu palimpseste où, sur les hauts murs du bâtiment principal, se côtoient les toiles peintes de précédents spectacles, formant des recompositions mystérieuses. Après sa présentation à Richelieu, la maquette d’Eric Ruf a migré ici, pour être interprétée, décryptée, mise à l’échelle et en plans par le bureau d’études, que dirige Cyril Thébaud, qui est aussi le directeur technique adjoint de la Comédie-Française. « Nous sommes un des rares bureaux d’études existant dans le théâtre français, explique-t-il. Dans notre cas, c’est indispensable : nous sommes obligés de tout dessiner, tout mettre en plans pour avoir la plus grande précision et la plus grande efficacité possibles. Cette contrainte que nous avons de devoir monter et démonter plusieurs décors par jour en raison de l’alternance ne nous laisse pas le droit à l’erreur. Avant même de se demander comment on va construire, on doit d’abord se demander comment on va ranger ces décors multiples, ce qui a une implication sur le choix des matériaux et sur l’agencement entre les différents éléments d’une scénographie. » En cette journée de mars, Eric Ruf est à Sarcelles pour y choisir les matériaux, les couleurs, les textures, qui seront utilisés pour traduire le décor tel qu’il l’a rêvé. Sur les grandes tables de bois tachées de peinture sont posés de multiples nuanciers de couleurs, et de gros cahiers sortis de la « matériothèque », où sont conservés des échantillons de toiles des précédents spectacles. Il faut deux heures au patron de la Comédie-Française pour choisir, parmi les propositions faites par ses équipes, le bon plancher – « un sol à l’ancienne de salle de sport ou de danse » –, le bon torchis pour figurer un mur mangé par le salpêtre, le verdâtre peu ragoûtant souhaité pour un carrelage, ou la matière et la couleur d’un rideau de douche. Sans compter le cercueil qui est un des éléments-clés de la pièce : faut-il le fabriquer pour l’ajuster à la taille du comédien – Jérémy Lopez – qui va interpréter Sémione Sémionovitch, l’antihéros du Suicidé, ou en sortir un des réserves, et le customiser ? Doit-il être en bois brut, avec les implications dramaturgiques que cela suppose ? Faut-il le capitonner ? « Le choix des matériaux est complexe, détaille Benoit Simon. Les décors doivent être légers, solides et facilement manipulables. Au théâtre, rien n’est ce qu’il a l’air d’être, et nos artisans sont des maîtres en matière de trompe-l’œil : une poutre métallique va être faite en bois, de même que pour des éléments de carrelage, le verre est proscrit, et va être figuré par du Plexiglas ou du cristal… Les choix se sont complexifiés depuis quelques années, avec la multiplication des normes écologiques et de sécurité : tous les textiles et les bois doivent être ignifugés, et il n’est pas toujours évident de trouver des colorants et des matériaux plus naturels qu’avant. » « Avec les décors d’Eric Ruf, on s’amuse beaucoup, se félicite Thérèse Perrot, la cheffe de l’atelier décoration-peinture. Il veut toujours que ses espaces aient l’air d’avoir vécu, on a donc un gros travail de patine, que l’on doit réinventer à chaque fois, en concevant de nouveaux mélanges et de nouveaux outils. On fait du vieux avec du neuf… » 25 juin. J − 107. Le carrosse et la citrouille Du vieux avec du neuf ? En cette journée de juin, le chantier est entré dans une nouvelle phase. Ça ponce, ça pique, ça coud, ça cloue, ça agrafe, ça boulonne et ça reboulonne de partout, dans une ambiance de ruche. « On va y arriver, mais on n’est pas en avance, soupire Cyril Thébaud. Avec Eric Ruf, il y a toujours beaucoup de travail, beaucoup de surfaces à traiter. » La plupart des éléments de base sont désormais construits, à l’image des murs à cour et à jardin, du mur de face, et du petit théâtre dans le théâtre, monté sur une estrade, qui est au cœur du décor pendant les deux premiers actes. Mais Eric Ruf, passé la veille, a trouvé le décor « trop propre, trop lisse ». Branle-bas de combat. « Il veut que tout soit beaucoup plus cracra », résume Cyril Thébaud. Dont acte. Marion Dassonville, peintre à l’atelier décoration, va ainsi passer son après-midi à « salir » le carrelage de la salle de bains du kommunalka (appartement partagé). Sur un échafaudage sont disposés des seaux remplis de différents « jus », très dilués, à base de peinture acrylique, qu’elle projette et travaille ensuite à l’éponge, au chiffon ou à la brosse pour figurer les couches de crasse. « On peut y aller, affirme-t-elle. C’est comme le maquillage : au théâtre, les lumières écrasent ce qui peut paraître trop appuyé vu de près. » « Marion, c’est Cendrillon à l’envers : elle transforme le carrosse en citrouille », la chambrent ses collègues, laissant la jeune femme imperturbable dans son travail pour créer de toutes pièces la saleté déposée par le temps. Pendant ce temps-là, Cyril Thébaud doit faire face à un autre problème. Dans un coin du décor, Eric Ruf a prévu un tas de planches et de gravats, un bête tas de bricoles que personne ne va remarquer, mais qui va participer à la perception de la vie sous la Russie stalinienne. Or, le tas ne peut en aucun cas être réassemblé tous les jours, dans le cadre d’un montage de décor qui doit avoir lieu en moins d’une heure. Il faut donc le construire. Cyril Thébaud se gratte la tête. « Je ne vais quand même pas faire un plan pour un tas ? Allez, on le fait en direct. » Et le voilà, avec trois de ses collègues, en train d’assembler, de clouer et de fixer la chose. Dans le même après-midi, sont validés un certain nombre d’accessoires, comme le cheval d’arçons du gymnase qui apparaît au troisième acte, ou le calicot de la salle des fêtes. Aucun détail de texture ou de couleur n’est laissé au hasard, sous la houlette de Dimitri Lenin (un nom prédestiné pour travailler sur une pièce sur la Russie stalinienne), l’assistant à la scénographie d’Eric Ruf. « Tous ces détails, le spectateur n’en aura pas conscience directement, mais ce sont eux qui, touche après touche, vont créer une atmosphère », justifie le jeune homme, qui a constitué de gros mood boards en allant se plonger dans les archives russes pour trouver des photos d’époque, et « nourrir l’imaginaire » de l’ensemble de l’équipe. Pour autant, et c’est là la noblesse paradoxale de leur métier, assurent-ils, les techniciens des ateliers n’interprètent pas les propositions du scénographe. « Ils restent, par fonction, dans le suivi scrupuleux et opiniâtre de sa volonté et des plans fournis par le bureau d’études. Leur véritable signature est l’absence de signature, elle est dans l’art de se fondre, de se conformer, d’épouser fidèlement. Cette vertueuse discrétion n’a pourtant rien d’une simple et arrangeante soumission et dépend d’une remise à niveau constante. Il faut beaucoup d’art pour ne pas le manifester, il faut une main très sûre pour ne pas laisser voir son geste. Nombre de techniciennes et de techniciens des ateliers de construction emploient la moindre heure perdue pour ne pas “perdre la main”, pour donner forme à ce qui n’a pourtant pas vertu à être regardé », écrivait Eric Ruf dans une note de présentation des ateliers en 2021. 4 octobre. J − 7. « Vas-y, charge ! » 9 heures du matin, salle Richelieu à la Comédie-Française. Le grand plateau de 19 mètres sur 16 est vide. La salle aussi, dans la magie de ses fauteuils de velours rouge et de ses ors, rendus à leur dimension un peu fantomatique. A 8 heures, le décor du Malade imaginaire, qui jouait la veille au soir, a été démonté. La cage de scène à nu laisse voir les niches qui, au fond et sur les côtés de la scène, servent à ranger les décors des différents spectacles qui jouent en alternance. Sur une des porteuses, ces longues perches de métal accrochées dans les cintres, qui servent à descendre et à remonter les éléments de décor, est accrochée une toile peinte représentant un paysage des Alpes suisses – vestige d’un autre spectacle, L’Avare, vu par Lilo Baur. Il s’agit maintenant de monter le décor du Suicidé, pour la répétition de l’après-midi. « Vas-y, charge ! », lance un technicien. « Charger », dans le jargon du théâtre : faire descendre des décors ou des accessoires des cintres. Les deux murs latéraux de la boîte conçue par Eric Ruf descendent, suivis par le mur de face, qui pèse plus de 1 tonne, et mesure 15 mètres sur 7. « A Richelieu, nous disposons de cinquante-deux porteuses, qui peuvent porter chacune 800 kilos, explique Balthazar Lesage, le régisseur général, à la tête d’une équipe de trente machinistes pour ce montage. Elles sont maniées par les cintriers avec un boîtier électronique, et elles peuvent bouger à une vitesse de plus de 2 mètres par seconde. Pour le mur de face de ce décor, on utilise en plus ce qu’on appelle un “ponctuel”, un autre appareil de levage qui a une capacité de 500 kilos. » « Vas-y, charge ! » – on entendra l’expression tout au long des deux heures que durera le montage. « On est encore en rodage, mais quand on l’aura dans les pattes, on le montera en dix minutes, ce gros machin », blague Balthazar Lesage. Une « ferme » – c’est-à-dire un élément de décor entier – en forme de poutre métallique descend et vient s’encastrer impeccablement entre les deux murs à cour et à jardin. Peu à peu, les éléments s’emboîtent les uns dans les autres, comme dans une maison de poupée géante. Le petit théâtre dans le théâtre situé sur l’avant-scène, qui pèse 850 kilogrammes, a, lui, été mis sur des élingues (des sortes de câble) qui sont actionnées par des poulies, pour pouvoir le faire glisser dans les coulisses de fond de scène à la fin du deuxième acte, où il disparaît du décor. Une fois tous les éléments en place, les accessoiristes entrent en scène. Ils forment une équipe de huit personnes, installée à Richelieu, et qui dispose de sa propre caverne d’Ali Baba, située dans les sous-sols de la maison. « Pour cette production, on a eu beaucoup de matériel à réunir, à chiner, à récupérer dans les réserves et souvent à retransformer, raconte Christophe Demoulin, qui dirige l’équipe. Beaucoup de valises, de boîtes, de cadres, de photos, de bibelots, pour arriver à rendre cette atmosphère russe un peu vieillotte, que l’on a travaillée avec Dimitri Lenin. On cherche souvent sur Leboncoin pour trouver des objets qui ont une patine, à l’image des poupées russes installées sur l’étagère de Sémione Sémionovitch. » A 11 heures, tout est en place, à quelques détails près. Deux heures auparavant, il n’y avait rien, et là tout un monde se déploie, qui vous emmène dans un autre temps. Deux heures, et plus d’un an de travail, depuis les premiers moments où Eric Ruf a rêvé, dessiné et construit la maquette de son décor. Une centaine de personnes à l’œuvre à tous les niveaux artistiques, techniques et administratifs de la maison. Un budget de 60 000 euros pour les matériaux. La Comédie-Française est une exception, une des rares maisons à pouvoir encore se permettre ce genre d’aventures, pour créer le sentiment du temps, le mentir vrai du théâtre. Une illusion consentie et éphémère, qui en fait toute la beauté. Fabienne Darge / Le Monde Légende photo : L’installation des décors du « Suicidé », dans la salle Richelieu, à la Comédie-Française, à Paris, le 4 octobre 2024. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE » https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/le-suicide-2425
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Le spectateur de Belleville
October 9, 2024 9:20 AM
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Par Philippe du Vignal dans Théâtre du blog - 8 oct. 2024 Les Francophonies en Limousin / Les Zébrures d’automne
Tiens ton cœur, texte et mise en scène de Kouam Tawa
Une jeune femme, Marianne va devoir quitter une concession : c’est à dire, la propriété de sa belle-famille qui l’accuse d’avoir été responsable de la mort de son mari malade. Elle l’avait emmené à l’hôpital, et non chez un médecin traditionnel africain,comme le voulait ses beaux-parents. Et elle a été répudiée à l’issue d’une palabre, c’est à dire une sorte de réunion où elle n’a pas eu le droit d’assister. Cela se passe dans une cour au sol couvert d’une poussière ocre; une douzaine de grands et pagnes en coton rouge foncé à motifs géométriques sèchent tout autour sur des fils. Au centre, Marianne interprétée par Ane Lorvo, excellente et radieuse,. Elle dit la langue française avec une justesse et une diction impeccable et très vivante à la fois, que bien des actrices et acteurs sortis du Conservatoire National peuvent lui envier. Une langue qui pénètre aussitôt le public souvent habitué à un dire approximatif et peu audible… Cette jeune veuve revient dans son pays qu’elle avait quitté, pensait-elle, à jamais, et s’explique longuement sur la pénible histoire qui lui est arrivée. Elle dit aussi adieu à Sikali, son Ami, un personnage énigmatique qui pourrait avoir aussi été son mari et elle enfile une combinaison bleue de travail pour incarner celui parti au loin mais revenu au pays, parmi les siens. Ana Lorvo est bien dirigée et mise en scène par l’auteur. Quand on a vécu en Afrique comme nous, cette cour est d’une vérité absolue. Kouam Tawa parle bien du quotidien au Cameroun, son pays celui des pauvres villages en brousse loin des grandes villes. Et il réussit à «donner à voir, à entendre, mais aussi à sentir, l’ambiance d’une palabre-qui est partout en Afrique-un vecteur essentiel du dialogue social, de sorte que les spectateurs arrivent à la vivre de l’intérieur, à se sentir parties prenantes, à devenir comme dirait Augusto Boal: des « spect-acteurs ». Je souhaite que cette palabre sur la scène puisse être entendue (…) par ceux qui n’ont pas l’habitude des spectacles de théâtre et ceux qui jamais n’ont pris part à une palabre… » Ce récit à la première personne est soutenu par la belle musique d’Abraham Neri Kwemy, mais aussi une sorte de fable, pas si loin des contes de Charles Perrault, avec une jeune épouse trop vite devenue veuve et héroïne, malgré elle d’un drame familial. Aucun doute là-dessus, Ana Larvo est exceptionnelle de vérité, même si vers la fin, la fable a tendance à faire du sur-place. Il faudrait que ce spectacle soit repris et si vous le pouvez, allez-voir ce Tiens ton cœur , une étonnante prise de parole. Philippe du Vignal / Théâtre du blog Spectacle vu le 2 octobre à L’Espace Noriac, Limoges ( Haute-Vienne).
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