 Your new post is loading...
 Your new post is loading...
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 13, 2024 12:48 PM
|
Par Radidja Cieslak dans Libération / 5 déc. 2024 La scène des Yvelines vient d’apprendre que son budget sera amputé de 350 000 euros par le département en 2025. Et annonce être dans l’obligation de supprimer l’édition 2026 de leur festival biennal dédié à la jeunesse. Le couperet est tombé. Le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, fer de lance des arts de scène pour la jeunesse, se retrouve privé d’une part essentielle de ses subventions. Le conseil départemental présidé par Pierre Bédier (LR) a décidé de réduire drastiquement l’enveloppe allouée au lieu : le budget sera amputé de 350 000 euros dès 2025. Cette somme correspond précisément à la somme annuelle accordée à son festival biennal Odyssées qui ne pourra pas donc pas se dérouler comme prévu en 2026. Dans un communiqué paru ce mercredi 4 décembre, le théâtre annonce être en «deuil» face à cette nouvelle. Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) estime qu’il s’agit, pour l’heure, de l’une des baisses les plus importantes annoncées dans le secteur culturel à l’échelle nationale. Le directeur du centre dramatique national (CDN), Abdelwaheb Sefsaf, n’a pas tardé à exprimer son indignation dans une lettre ouverte adressée mardi 29 novembre à Pierre Bédier et au conseil départemental, déplorant une «décision incompréhensible» qui met en péril l’existence d’un festival vieux de vingt-sept ans, emblématique du Théâtre de Sartrouville. Dédié à la jeunesse et à la création contemporaine, le lieu s’était donné pour ambition de nourrir «l’imaginaire et la vie du plus grand nombre de jeunes yvelinois», selon les termes de Franck Borotra, ministre et président du conseil général au moment de sa création, en 1997. Créations originales «Le budget global de l’événement est de 700 000 euros en tout, sur deux ans», détaille le directeur de la structure. «Cela comprend l’année N-1 durant laquelle nous préparons l’événement, puis celle durant laquelle il se déroule, soit 350 000 euros par an.» C’est sa grande particularité, Odyssées ne présente que des créations originales, produites spécialement pour l’événement. Une longue préparation en amont est donc indispensable. «Nous sollicitons six compagnies, qui feront ensuite 200 représentations dans tout le département avant de se produire au niveau national», poursuit Abdelwaheb Sefsaf. Tout récemment encore, l’Esquif (à fleur d’eau), un spectacle très sensible et poétique sur les sauvetages menés en mer par l’Ocean Viking et sur les enfants migrants morts en tentant de traverser la Méditerranée ces dernières années, avait été créé au CDN. Destiné aux enfants de plus de 8 ans, il se joue en ce moment au théâtre de la Colline, à Paris. Cette année, le théâtre avait comme à son habitude sollicité le conseil départemental durant l’été, pour confirmer le versement de la subvention et commencer la préparation du festival. «Depuis sa création, Odyssées a toujours été soutenu par les services publics», soupire le directeur, pour qui cette sollicitation n’était qu’une formalité. Le théâtre n’obtient aucune réponse du département, malgré plusieurs relances… jusqu’à l’annonce, il y a quelques semaines, de la baisse de 5 milliards d’euros des ressources accordées aux collectivités territoriales (aujourd’hui suspendue de facto par la motion de censure). «C’est là que l’élu à la culture nous a confirmé cette coupe, soupire le directeur et metteur en scène. Il nous a dit qu’il était possible que la subvention nous soit accordée à nouveau en 2026, mais c’est complètement hypothétique. On ne peut donc pas entamer les préparatifs d’Odyssées l’an prochain.» Coupes en série A l’heure où la France célèbre la réouverture de monuments comme Notre-Dame de Paris, le directeur fait le parallèle entre le patrimoine bâti et le patrimoine immatériel que représentent les festivals et les créations artistiques : «Les festivals de France sont des monuments patrimoniaux bien plus fragiles que nos trésors nationaux.» D’autres lieux dédiés au spectacle vivant dans le département vont également subir des coupes drastiques, notamment le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, privé de «180 000 euros» en 2025, souligne le directeur du CDN, ou encore le théâtre La Barbacane situé dans la commune de Beynes. Ces annonces s’inscrivent dans le sillage des réductions colossales annoncées il y a quelques semaines dans la région des Pays-de-la-Loire. Les autres régions n’ayant pas encore annoncé leur budget définitif, le monde de la culture est de plus en plus inquiet. Le département a d’ailleurs décidé de créer son propre festival itinérant cette année, Yvelines Théâtre, dont la première édition devrait avoir lieu en 2025… Un appel à candidature à destination des compagnies a eu lieu en novembre. Peut-être une solution pour pallier la disparition d’Odyssées. Radidja Cieslak / Libération Légende photo : Représentation de la pièce «Si loin si proche», mise en scène par Abdelwaheb Sefsaf au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines. (Christophe Raynaud de Lage/Théâtre de Sartrouville)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 12, 2024 10:18 AM
|
Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 4 déc. 2024 Nadège Coste met en scène « Traverser la cendre » de Michel Simonot, un texte hanté par les camps de la mort et la solution finale. Des mots aussi incandescents que troublants portés haut par l’actrice Laetitia Pitz.
Michel Simonot a publié Traverser la cendre aux Éditions Espaces 34 dans la collection Hors cadre , « un lieu pour des voix, des fictions qui appellent la parole et le corps » sans pour autant être des pièces, écrit Sabine Chevalier , directrice de cette collection. Inaugurée par Claudine Galea avec Un sentiment de vie. Simonot place en exergue de son texte ces mots d’Heiner Müller qui cernent son propos : « la dialogue avec les morts n’a pas le droit de se rompre tant qu’il ne restitue pas la part d’avenir qui a été enterrée avec eux ». Son texte, Traverser la cendre, c’est cela. Ce dialogue -où celui qui ne parle pas parce qu’il n’est plus là pour dire- est lourd de paroles enfouies et de visions traversées que celui qui écrit ou parle restitue ou imagine. Ainsi le texte avance par visions et données. Celles de corps meurtris aux identités oubliées, celles des révoltes en 1942-43 dans les ghettos et les camps de travail aux noms parfois imprononçables tels Kletsk ou Hlybokaïe, celle des révoltes dans les camps de concentration : 11 avril 1943 au camp de Buchenvald , 2 août 1943 au camp de Treblinka.... Et puis, il y a ces écrits jetés dans une bouteille protectrice et enfouis dans la terre pour qu’un jour; peut-être.. Simonot donne la parole à ces témoins qui ont écrit sachant qu’ils ne seraient plus là pour raconter. Des écrits en yiddish, en grec ou en français qui ont été retrouvés parfois longtemps après. Et, rétrospectivement, Simonot raconte aussi la cendre annonciatrice des mots, ceux des livres brûlés devant l’opéra de Berlin en mai 1933. Un texte contre l’oubli pour reprendre le titre d’un livre d‘Henri Calet, des mots pour « aux morts souffler qu’ils sont encore vivants », et donc ; écrit Simonot, « traverser la cendre/ retourner les mottes les briser les ouvrir : oser le souffle/ du silence devenir voix : inventer la langue d’exil ». Cofondatrice de la compagnie des 4 coins, Nadège Coste met sobrement en scène ce texte à la densité incandescente en le confiant à l’actrice Laetitia Pitz. On connaît bien cette dernière pour les spectacles dont elle fut à l’initiatrice et dont elle a signé la mise en scène comme Les furtifs (lire ici) et Sauve qui peut (la révolution) (lire ici), on découvre une actrice d’une puissance toute intérieure qui déploie les lignes de forces du texte, en soufflant doucement sur les braises de son incandescence. Créé au Point d’Eau d’Ostwald (67), Traverser la cendre a été présenté à Anis Gras, le lieu de l’autre, à Arcueil (94) fin novembre. Prochaines représentations en décembre à l’Apalva de Villerupt (54) le 6 puis au casino de la Faïencerie de Sarreguemines( 57) le 12 . Au printemps prochain, les 3 et Avril, aux Trinitaires de l’Arsenal de Metz, Traverser la cendre sera présenté en diptyque avec Même arrachée, un autre texte de Michel Simonot, sous le titre Ne vous détournez pas. Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 10, 2024 7:25 PM
|
par Sonya Faure dans Libération, le 8 déc. 2024 Dans un secteur du spectacle vivant en crise et saturé, les jeunes compagnies sont vulnérables. Des structures existent pour aider les artistes émergents, comme le réseau Prémisses ou le festival Impatience, qui s’ouvre le 10 décembre. Un texte exigeant, très littéraire, que porte seule la comédienne en scène, Ambre Febvre, comme elle porte sa lourde robe-armure en bris de verre. Ce jour de novembre, c’est le filage de la pièce la Cavale, dans la salle Christian-Bérard du vieux théâtre de l’Athénée. Une histoire de traque, de folie et de cauchemar. Le texte écrit par Noham Selcer, 34 ans, est entièrement dégenré ; un comédien ou une comédienne peuvent indifféremment jouer le personnage de la Cavale sans qu’un seul son ne change car «la peur, explique Noham Selcer, concerne tout le monde». Le spectacle sera joué pour la première fois le lendemain, dans la même salle. «Là on arrive au moment où il nous faut jouer devant un public pour avancer», dit le jeune metteur en scène Jonathan Mallard, qui a créé sa compagnie il y a trois ans. Ambre Febvre enchaîne : «Je n’ai pas de partenaire et j’ai maintenant besoin de sentir des réactions dans la salle, des souffles, des raidissements, des petits rires pour aller plus loin.» Le spectacle bougera chaque soir, expliquent-ils, «c’est pour cela que c’est si important d’avoir une série longue». Une «série longue», c’est-à-dire une dizaine de jours à être programmés dans une même salle, pouvoir s’installer dans ses murs et prendre le temps de faire évoluer à la marge le jeu ou les lumières. Patiner le spectacle. Se conforter, se consolider. Et avoir le temps de profiter des retombées du bouche à oreille s’il est bon. Or jouer dix jours dans un même lieu est devenu un petit luxe dans les théâtres, surtout pour des compagnies émergentes qui sont les premières à pâtir de la crise économique du spectacle vivant. L’inflation (des prix de l’énergie notamment) et la stagnation des subventions publiques ont contraint les salles à réduire leur budget consacré à la programmation, reportant, de facto, les difficultés sur les compagnies dont le nombre de représentations a baissé, quand elles n’ont pas tout simplement été annulées. Proposer des formes innovantes pensées par de jeunes artistes inconnus ? Trop risqué pour la plupart des lieux qui doivent s’assurer d’attirer un maximum de public pour «faire de la billetterie». «Le constat se précise d’année en année : les jeunes compagnies connaissent un immense problème de précarité. Précarité sociale surtout mais aussi manque de moyens pour monter leurs créations, témoigne Arnaud Antolinos, secrétaire général de la Colline à Paris et administrateur de la Fondation Entrée en scène, créée en 2020 par l’Ensatt et la Colline comme un «incubateur de talents». Elles ont un cruel besoin de visibilité, au risque de se faire arnaquer par des salles sans scrupule.» Et quand on n’a pas encore de carnet d’adresses, comment montrer son travail ? «La saturation du réseau est telle que les jeunes compagnies n’arrivent même plus à rencontrer des programmateurs, confirme Véronique Bellin, directrice adjointe du Théâtre public de Montreuil. C’est là que se sont montées «les Permanences du TPM», trois journées portes ouvertes par saison où les jeunes artistes peuvent rencontrer n’importe quel membre de l’équipe, de la diffusion à la technique en passant par les relations presse, pour lui poser des questions précises et se faire aider dans ses démarches. De nombreux dispositifs ont été mis sur pied pour soutenir les compagnies émergentes. Des festivals, des résidences, des mécanismes de subvention, comme le Jeune théâtre national (JTN) qui contribue aux salaires des élèves issus d’écoles d’art dramatique, des compagnonnages, comme celui de l’association Actée, ou des collectifs créés par les jeunes compagnies elles-mêmes comme Urgence Emergence. Ce mois-ci, pas moins de deux festivals consacrés à la jeune création lancent leur nouvelle édition : Impatience, déjà bien installé dans le paysage, et le plus jeune festival du Nouveau théâtre de l’Atalante. Au téléphone, José-Manuel Gonçalvès, le directeur de la salle du Centquatre, à Paris, à l’origine du festival, le répète : Thomas Jolly, le pape des cérémonies des Jeux olympiques, est passé par Impatience en 2009, tout comme Julie Deliquet, Yuval Rozman ou Chloé Dabert. C’est d’ailleurs Jolly qui présidera le jury cette édition. Ces dernières années, le festival recevait 240 dossiers de candidatures. Il en a reçu 340 en 2024. Si Noham Selcer, l’auteur de la Cavale, a quant à lui eu l’opportunité de faire jouer son texte près de deux semaines dans la petite salle d’un théâtre de renom, l’Athénée, c’est grâce au réseau de Prémisses. Le dispositif existe depuis sept ans et accompagne chaque année plusieurs jeunes diplômés des écoles supérieures d’art dramatiques afin qu’ils structurent leur compagnie. «L’idée, c’est de mutualiser les moyens sur les artistes formés dans nos écoles publiques, leur assurer une bonne insertion professionnelle : qu’ils travaillent et qu’ils travaillent correctement», rapporte Raphaël de Almeida, qui a repris la direction de Prémisses à la suite de Claire Dupont, aujourd’hui directrice du Théâtre de la Bastille. «Le risque d’une jeune compagnie c’est de mal prévoir la suite et d’utiliser 10 000 euros de subventions simplement dans une location de salle à Avignon pour une poignée de dates. Voire même de s’endetter pour cela. Le spectacle n’existe plus après ces quelques représentations», détaille-t-il. Le budget du dispositif est de 60 000 euros par an, financé par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) d’Ile-de-France. Chaque année, Prémisses lance un appel à projet et sélectionne plusieurs candidats qui présenteront une maquette de leur projet devant 70 professionnels. Pendant trois ans au moins, le lauréat sera accompagné pour construire ses premiers spectacles (que Prémisses coproduit), apprendre à rédiger une fiche de paie ou une demande de subvention publique, cibler la diffusion, travailler avec les collectivités locales, organiser sa communication… Aujourd’hui Prémisses suit une dizaine de jeunes artistes : les lauréats des trois dernières années mais aussi ceux parmi les plus anciens dont le Covid a retardé les projets «et d’autres qui n’ont pas fini lauréats, mais que nous ne voulons pas lâcher pour autant», ajoute Raphaël de Almeida. Noham Selcer l’a emporté en 2021. Il est aujourd’hui auteur associé au Théâtre des Amandiers. Comme la comédienne et metteuse en scène Mina Kavani qui a joué I’m deranged, pour la première fois dans la salle Christian-Bérard de l’Athénée l’année dernière… et le jouera dans la Grande Salle le mois prochain. Ou encore les géniales autrices du Collectif Marthe dont Rembobiner tourne à salles pleines depuis plus de deux ans et dont le nouveau spectacle sera créé en janvier à la MC2 Grenoble avant d’être joué au Théâtre de la Bastille à Paris. «On ne veut pas être un hypermarché de la jeune création» En septembre dernier, c’est Joaquim Fossi, 26 ans, qui est devenu le nouveau lauréat de Prémisses. Il a présenté, en vingt minutes comme c’est la règle, la maquette de son spectacle le Plaisir, la Peur, le Triomphe : une performance en forme de stand up avec vidéoprojecteur, sur les images de catastrophes et ce qu’elles créent de peur en nous. Gros succès. A l’issue de la journée de sélection, Joaquim Fossi était devenu artiste associé à la Scène nationale d’Orléans, et avait déjà la certitude de créer le Plaisir… au Théâtre de la Bastille en janvier 2026, puis d’enchaîner sur une tournée de trois mois dans toute la France. «Notre but, maintenant, c’est de calmer le jeu, d’éviter les spéculations sur un spectacle, tempère Raphaël de Almeida. On ne veut pas être un hypermarché de la jeune création.» C’est d’ailleurs un reproche parfois fait aux festivals dédiés à l’émergence : ils offrent une visibilité formidable aux spectacles… qui peut les mettre en danger. «Ça nous est arrivé», reconnaît Arnaud Antolinos, du théâtre de la Colline. «Grâce à l’un de nos programmes de soutien à la jeune création, nous avions repéré l’auteur d’un texte brillant, qui n’a finalement pas réussi à faire une mise en scène à la même hauteur. Quand on a montré le spectacle, on a dû éviter qu’on en parle trop en mal. Le public habitué à voir de grands metteurs en scène dans un théâtre national n’est pas forcément préparé à voir de jeunes artistes.» Depuis le théâtre accompagne toujours des projets, mais ne les montre plus à domicile. «Dans nos écoles d’art dramatique, nous avons été formés à la mise en scène, pas à devenir chefs d’entreprise», résume Matthieu Roy, metteur en scène et aujourd’hui responsable, avec Johanna Silberstein, de la Maison Maria-Casarès, à Alloue, en Charente. «Seul opérateur culturel dans un rayon de 30 kilomètres», précise-t-il. Avec le dispositif Jeunes pousses, financé par la Drac Nouvelle-Aquitaine, la Maison Maria-Casarès est devenue un lieu «d’incubation artistique» lors de résidences d’un mois. Les équipes sont logées, nourries, et ont un plateau technique à disposition. Marion Conejero a bénéficié de Jeunes Pousses en 2017 quand elle montait l’Eveil du printemps. Sept ans après son «incubation» à la Maison Maria-Casarès, son nouveau spectacle la Vague a été retenu pour le festival Impatience ce mois-ci… on reste décidément longtemps émergent dans le théâtre. «L’écosystème du secteur est saturé, confirme Matthieu Roy. Il y a eu un déplacement : aujourd’hui, un festival comme Impatience ne découvre plus, il confirme et légitime des artistes au parcours déjà long.» Marion Conejero, 32 ans, dit qu’elle n’aurait «jamais émergé sans Jeunes Pousses». Elle a implanté sa compagnie en Charente, dont elle n’est pas originaire, travaille beaucoup dans les lycées du département, est désormais artiste associée à la scène nationale d’Angoulême. Mais elle dit aussi qu’elle ne sait pas bien «à quel moment on sort de l’émergence…» Sa situation est encore vulnérable : «J’ai fait le choix avec la Vague de monter un gros spectacle avec six acteurs au plateau, ce qui coûte très cher… j’ai bénéficié de subventions mais j’ai aussi injecté de l’argent… bref j’ai tout mis. Et pour l’instant ma compagnie… ce n’est que moi. C’est un peu épuisant.» A tel point qu’on ne sait plus très bien ce que veulent dire ces mots, «émergence» ou «jeune création» . Quels critères choisir : l’âge ? Le nombre de spectacle déjà mis sur pied ? On dit de plus en plus souvent que ce qui fait l’émergence, c’est avant tout la précarité. Le mois dernier, lors d’une table ronde consacrée au sujet aux Assises de la mise en scène tenues à Poitiers, Baptiste Amann, metteur en scène très «émergé», lui, puisque son spectacle Lieux communs jouait cet été dans le In du festival d’Avignon, disait toute sa prudence face à ce mot «apparu il y a dix ou quinze ans» : «Le terme émergence est utilisé pour des dispositifs “vitrine”, concurrentiels : c’est quoi le nouveau gagnant du festival Impatience ? Il y a un effet de consommation, comme si l’émergence c’était la nouveauté, la fraîcheur, là où s’inventent les nouveaux génies… Pour moi c’est plutôt ce moment de bascule où petit à petit tu comprends ce que c’est ce métier. Le passage d’une nécessité évanescente à la mise en place matérielle de ce qu’on a dans la tête : est-ce que tu t’intéresses aussi à la technique et à l’administratif ? Est-ce que tu te couches et te lèves avec ton projet en tête ? Est-ce que tu es prêt à faire ta vie avec ça ?» «Impatience», du 10 au 19 décembre au Centquatre Paris, au Théâtre 13, au Jeune Théâtre National, au Théâtre Louis-Aragon à Tremblay-en-France, aux Plateaux Sauvages et au Théâtre de Suresnes Jean-Vilar, avec Télérama. «Festival NTA 2024», du 27 novembre au 20 décembre au Nouveau Théâtre de l’Atalante, 75018. Sonya Faure / Libération Légende photo : Le collectif Marthe, dont le spectacle «Rembobiner» est un succès, fait partie des lauréats de Prémisses. (Theatre du Point du Jour/Marthe Prod)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 8, 2024 6:17 PM
|
Par Vincent Bouquet dans Sceneweb - 7 décembre 2024 À l’occasion du premier volet de sa nouvelle série présentée au Théâtre du Soleil, la metteuse en scène Ariane Mnouchkine chausse les lunettes confortables du présent pour imposer, façon leçon d’Histoire, son regard superficiel et manichéen sur les figures de la révolution russe de 1917.
Tandis que le plateau de Théâtre du Soleil baignait dans la quiétude propre aux paysages enneigés, le visage de Vladimir Poutine apparaît soudain en fond de scène. La femme qui, quelques secondes auparavant, demandait aux spectatrices et aux spectateurs de « mettre les téléphones portables hors d’état de nuire » et de « ne pas prendre de photo », se précipite alors vers lui, lui intime l’ordre de « dégager » et tente de couvrir cette voix qui, comme le président russe l’avait fait le 24 février 2022, annonce le début de l’invasion de l’Ukraine. Sous ses coups de poing répétés, la toile où la vidéo est projetée ondule, se déforme, et donne au faciès de Poutine des traits encore plus démoniaques qu’à l’accoutumée. Cette irruption aussi gigantesque que brutale d’un morceau de l’Histoire récente ne constitue pas le strict point de départ de la nouvelle série du Théâtre du Soleil, Ici sont les Dragons, mais sert plutôt de tremplin pour basculer de la Russie d’aujourd’hui à celle d’hier. Bientôt, la femme traverse à nouveau le plateau pour s’installer à ses pieds, et s’imposer en tant que metteuse en scène, au milieu d’un empilement de livres qu’elle ne tarde pas à ouvrir. L’objectif de ce double d’Ariane Mnouchkine, incarné par Hélène Cinque, est clair : « rentrer dans le lard de l’Histoire » afin de nous donner les moyens de comprendre comment nous, et plus particulièrement la Russie, en sommes arrivés là. Pour cela, dans une forme de mise en abyme de l’acte de création mnouchkinien, elle ambitionne de monter un spectacle, ou plutôt plusieurs spectacles. En guise d’ouverture, elle se plonge dans cette Première époque, dans cette révolution de 1917 qui a fait chavirer la Russie tsariste dans l’ère soviétique, et qu’Ariane Mnouchkine considère, visiblement, comme le berceau de notre mal contemporain – alors que les tentations impérialistes russes lui sont bien antérieures. Au long d’une petite vingtaine de tableaux, déroulés comme on tournerait les pages d’un livre d’Histoire, elle porte au plateau le récit de ce mouvement populaire peu à peu confisqué par une petite clique de dirigeants. Née à Petrograd en février 1917, sous l’effet conjugué d’un hiver particulièrement rude, d’une pénurie alimentaire et de la lassitude liée à la Première Guerre mondiale, cette révolte prend rapidement de l’ampleur et la liste des revendications s’allonge jour après jour. Alors que les femmes et les ouvriers demandaient d’abord du pain, ils réclament bientôt la fin de la guerre, l’abdication du tsar, et rêvent, pour certains, d’égalité, de droit de vote pour toutes et tous et de l’autodétermination des peuples de l’Empire. Épaulés par les soldats, en dépit de la répression sanglante ordonnée par Nicolas II, les manifestants remportent la première manche, et voient, en mars 1917, l’arrivée aux commandes d’un gouvernement provisoire en lieu et place du régime tsariste. Malgré la formation de soviets, ces assemblées spontanées d’ouvriers, de paysans, de soldats et de marins, la bourgeoisie qui veille au grain, et freine des quatre fers pour contenir les velléités populaires, fait progressivement main basse sur le pouvoir, et ne met pas fin à la guerre. En parallèle, les Allemands, qui cherchent à obtenir la paix sur le front de l’Est pour concentrer toutes leurs forces sur celui de l’Ouest, permettent au maximaliste Lénine de revenir de son exil suisse, dans un « train plombé » qui arrive le 3 avril en gare de Petrograd. Cette opération de déstabilisation du géant russe est un succès et précipite le pays dans une nouvelle instabilité politique qui, mois après mois, jette les bases de la révolution d’Octobre et du « coup d’État » des bolchéviques. Emmenés par le triumvirat Lénine-Trotski-Staline, ils mettent le pays sous leur coupe réglée, font miroiter une Assemblée constituante pour mieux la tuer dans l’oeuf et imposent une dictature. « La démocratie n’aura duré que huit mois », se désespère alors la metteuse en scène en guise de clôture de cette première partie. Avec cette collection de tableaux, Ariane Mnouchkine, « en harmonie » – comme le veut le terme consacré – avec Hélène Cixous, entend mettre le doigt sur la naissance d’un pouvoir autoritaire, mais le fait avec beaucoup trop de superficialité et une manière de faire la leçon qui donne bien peu à penser. Loin de ce que Joël Pommerat avait su brillamment réaliser avec Ça ira (1) Fin de Louis au sujet des débuts de la Révolution française, la metteuse en scène chausse les lunettes, forcément confortables, du présent pour se poser non pas comme une historienne ni comme une femme de théâtre, mais comme une procureure aux accents didactiques qui jugerait le cours des événements qu’elle fait défiler sous nos yeux. Au gré de rares allers-retours avec les différents fronts de la Première Guerre mondiale et avec l’Allemagne, elle joue la partition, un tantinet démagogique, du pauvre peuple romantisé – sacrifié dans les tranchées, naturellement enclin au partage, en quête forcenée de grandes avancées sociétales – contre les élites corrompues. Surtout, elle paraît à bas bruit, sans le dire explicitement ni le justifier, renvoyer dos à dos, et mettre sur le même plan, les architectes de la révolution d’Octobre et les nazis en devenir : Hilter, que l’on aperçoit simplement épargné dans les tranchées par un soldat britannique, et Goebbels, qui se repaît sur un banc des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse de Vicente Blasco Ibáñez. Au-delà du côté très scolaire de ce déroulé, Ariane Mnouchkine propose alors une vision partielle, partiale et surtout simpliste de la révolution russe. Tracée à gros traits, elle se révèle manichéenne dans sa façon de se lancer à la poursuite des « méchants » – y compris à grand renfort de musique inquiétante à chaque fois que Lénine pose un orteil sur le plateau. Sans jamais chercher à sonder leurs motivations, y compris les plus viles – à l’image de ce que Milo Rau avait pu faire dans son Lenin –, à analyser leur pensée, à expliciter clairement le jeu politique complexe qui se joue, elle se borne à les caricaturer comme les grands ordonnateurs uniformes d’un complot – alors que l’on connaît les dissensions et les querelles qui pouvaient exister au sein même du triumvirat – visant à confisquer le pouvoir pour leur propre intérêt, en se payant, au passage, la tête du bon peuple. De tout cela, ne se dégage, finalement, et étonnamment au vu de la bibliographie pléthorique sur laquelle la metteuse en scène dit s’être appuyée, que très peu de profondeur intellectuelle, y compris dans la convocation de ces figures présentées comme plus modérées – tels Irakli Tsérétéli et Karl Kautsky –, à qui Ariane Mnouchkine semble donner quitus, sans explorer ni donner à apprécier, là encore, le fond de leur pensée. Surtout, l’autoritarisme qu’elle entend dénoncer, la metteuse en scène le pratique dans sa façon de faire théâtre. Si elle profite toujours de son impeccable maîtrise du plateau et du rythme, et de son imperturbable talent à faire naître des tableaux avec un charme artisanal à nul autre pareil, Ariane Mnouchkine opère le choix pour le moins curieux de faire jouer ses comédiennes et ses comédiens en playback, exception faite d’Hélène Cinque. Si l’on croit d’abord à un souci de véracité, à un moyen de faire résonner les langues russes, allemandes et anglaises, que les actrices et les acteurs ne maîtrisent pas forcément, cette fragile hypothèse s’effondre quand vient l’heure des fragments en français, eux-mêmes pré-enregistrés. Contre-productif dans sa manière de fausser ce qui se joue, ce parti-pris donne à cette fresque historique l’allure d’une pantomime, d’une farce, dont Ariane Mnouchkine ne pousse ni les feux ni les traits – sauf lors de la bien nommée « farce ukrainienne » – afin qu’il se révèle dramaturgiquement pertinent. Affublés de masques qui leur offrent, avec une précision d’orfèvre, le visage de celles et ceux qu’ils incarnent, lorsque ces personnages sont connus, les comédiennes et les comédiens de la Troupe du Soleil sont alors privés de leur capacité réelle à jouer. Ils deviennent les pantins d’une composition quasi marionnettique, de simples pions au service de la vision d’une metteuse en scène toute puissante, réduits à bouger vaguement les lèvres et à agiter les bras, avec une bonne dose de surjeu. Niés dans leur individualité, privés de leur singularité, ils ressemblent alors à ces « hommes nouveaux » que les totalitarismes du XXe siècle entendaient faire naître pour mieux en tirer les ficelles. Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr Ici sont les Dragons – Première époque – 1917 : la Victoire était entre nos mains Une création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous Direction Ariane Mnouchkine Avec Hélène Cinque, Dominique Jambert, Nirupama Nityanandan, Aline Borsari, Alice Milléquant, Omid Rawendah, Sébastien Brottet-Michel, Seear Kohi, Reza Rajabi, Jean Schabel, Shaghayegh Beheshti, Pamela Marin Munoz, Vincent Mangado, Duccio Bellugi-Vannuccini, Maurice Durozier, Samir Abdul Jabbar Saed, Dimitri Leroy, Andréa Formantel Riquelme, Agustin Letelier, Farid Joya, Élise Salmon, Ève Doe-Bruce, Andréa Marchant Fernandez, Judit Jancsо́, Vincent Martin, Seietsu Onochi, Vijayan Panikkaveettil, Sébastien Brottet-Michel, Xevi Ribas, Ariane Hime, Astrid Grant, Tomaz Nogueira Da Gama, Omid Rawendah, Clémence Fougea, Ya-Hui Liang, et les voix de Ira Verbitskaya, Egor Morozov, Martin Vaughan Lewis, Brontis Jodorowsky, Arman Saribekyan, Cyril Boutchenik, Alexey Dedoborsch, Rainer Sievert, Johannes Ham, Sava Lolov, Sacha Bourdo, Yuriy Zavalnyouk, Anna Kuzina Musique Clémence Fougea Son Thérèse Spirli, assistée de Mila Lecornu Images Diane Hequet Lumières Virginie Le Coënt, Lila Meynard Peintures Elena Ant, assistée de Hanna Stepanchenko Soies Ysabel de Maisonneuve Masques Erhard Stiefel, assisté de Simona Vera Grassano Masques et accessoires Xevi Ribas, Miguel Nogueira, Lola Seiler, Emma Valquin, Sibylle Pavageau Figurines Miguel Nogueira, assisté de Sibylle Pavageau Costumes Marie-Hélène Bouvet, Barbara Gassier, Nathalie Thomas, Annie Tran, Elisabeth Cerqueira, avec l’aide de Mona Franceschini Perruques et coiffures Jean-Sébastien Merle Décors David Buizard, Naweed Kohi, Sandra Wallach, Aref Bahunar, Antoine Giovannetti, Noël Chambaux, avec l’aide de Martin Claude, Clément Vernerey, Pierre Mathis-Aide, Chloé Combes Effets spéciaux Astrid Grant, Andréa Formantel Riquelme, Farid Joya, avec l’aide de Judit Jancsо́, Reza Rajabi Conseils historiques Galia Ackerman, Stéphane Courtois, Nicolas Richoux, Dominique Trinquand Archiviste Sébastien Brottet-Michel Assistant à la mise en scène Alexandre Zloto Surtitrage Amanda Tedesco Régie générale Aline Borsari, assistée de Sébastien Brottet-Michel Régie son Thérèse Spirli Régie images Diane Hequet, en alternance avec Pierre Lupone Régie lumières Virginie Le Coënt, Lila Meynard, Noémie Pupier, avec l’aide de Bérénice Durand-Jamis Production Théâtre du Soleil Coproduction TNP – Villeurbanne Avec le soutien exceptionnel, à l’occasion de la célébration des 60 ans du Théâtre du Soleil, de la Région Île-de-France, du Ministère de la Culture et de la Ville de Paris Le Théâtre du Soleil est soutenu par le ministère de la Culture, la Région Île-de-France et la Ville de Paris. Durée : 2h45 (entracte compris) Théâtre du Soleil, Paris du 27 novembre 2024 au 27 avril 2025 Vincent Bouquet / Sceneweb
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 7, 2024 5:39 AM
|
Par Anne Diatkine dans Libération - 7 décembre 2024 Bouleversée par l’invasion de l’Ukraine, la metteuse en scène a conçu une fresque ambitieuse sur les origines de l’impérialisme russe, de Lénine à Poutine. Des choix radicaux de mise en scène et un spectacle narratif presque trop touffu. Il y a les somptueuses toiles peintes qui glissent en un rien de temps, et laissent apercevoir quelques silhouettes mouvantes et énigmatiques aux fenêtres des immeubles comme dans un vis-à-vis lointain ou passant dans la rue. Des hologrammes ? Non. Mais une technologie qui se fond parfaitement dans le geste artisanal de la peinture, un usage de l’incrustation vidéo quasi imperceptible, qui ravivent des fantômes de cette terrible année 1917 inaugurale. Il y a la superposition des voiles qui gonflent et se font parfois surface de projections vacillantes, et le velours grège, tapis de neige scintillant qui recouvre le profond plateau. Il y a la beauté des ciels et des crépuscules, et une précision de tout ce qui d’ordinaire semble aléatoire : les mouvements du brouillard par exemple. Et la poésie des trois Babayaga qui traversent périodiquement l’espace avec leur lampe à pétrole pour ponctuer la narration, tel un chœur antique. Et il y a surtout l’ambition gigantesque et une foi au théâtre qui ne l’est pas moins : celles de comprendre et de faire saisir par les moyens de la scène les origines du totalitarisme tel qu’il s’exprime aujourd’hui. Ou plus précisément : qu’est-ce qui fabrique la tentative d’asservissement et de destruction d’un pays comme l’Ukraine au XXIe siècle ? D’où proviennent la possibilité et la pérennité d’un dirigeant tel que Poutine ? On le sait, Ici sont les dragons, sous-titré 1917, la victoire était entre nos mains, création collective du théâtre du Soleil et grande fresque promise à s’étendre en plusieurs volets, est née d’une angoisse transformée immédiatement en colère au moment de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Le sentiment cataclysmique face à l’allocution de Poutine constitue le premier et bref tableau totalement réussi en ce qu’il englobe le spectateur. Cornelia, alter ego en bleu de travail Et ensuite ? Ensuite, le spectacle symphonique orchestré par Ariane Mnouchkine provoque une pelote d’émotions contradictoires. L’envie d’y retourner aussitôt, pour mieux comprendre ce qu’on a laissé s’échapper, avec le risque que ce qui a été perdu le soit à nouveau. Un sentiment de profusion et d’admiration envers le geste et la radicalité de certains choix – masques et doublages des acteurs, distance qui les oblige en une pantomime extravagante et drolatique – et qui dit très simplement le statut de marionnettes des «grands» hommes, vus du ciel ou avec la distance des siècles. Performance des acteurs, qui parviennent à être vus et faire voir comme rarement alors même que leur visage est recouvert et leur voix par définition absente. Pourtant on n’échappe pas à un sentiment d’envahissement lié à la quantité astronomique d’informations et de discours, qu’ils proviennent de Lénine, de Trotsky, de Churchill, et d’autres moins connus, par exemple, l’opposant à Lénine Nikolai Soukhanov et tant d’autres, sans qu’il n’y ait le temps de les analyser, d’en comprendre les enjeux et chausse-trappes et les choix historiographiques – la ligne conductrice qui montre la filiation entre Lénine et Poutine en matière d’hégémonie est toutefois limpide. Certes, ce sentiment d’envahissement est voulu. Et Ariane Mnouchkine fait renaître en bleu de travail le personnage de Cornelia, son alter ego qui est aussi le nôtre et ne cesse de sortir de son trou du souffleur pour prévenir : «On ne peut pas tout raconter dans ce spectacle», «vous me fatiguez». Ou encore : «Quand vous aurez fini de parler, vous pourriez m’aider à déplacer le décor ?» Bienfaitrice Cornelia (jouée en alternance par Dominique Jambert et Hélène Cinque), qui intervient quand on est au bord de craquer, pour dire qu’elle aussi, elle est débordée. Si vraisemblable que, parmi les spectateurs qui viennent pour la première fois à la Cartoucherie, certains ont un doute, du moins au début, sur son identité : vrai personnage, quelqu’un de l’équipe, ou un passeur ? De manière générale, dans ce spectacle ample qui emploie la quasi-totalité de la troupe, quand les personnages-figurines interviennent dans des situations et pas seulement des discours, ils prennent vie et s’accrochent à la mémoire même lorsqu’ils ne font qu’une brève apparition. Ainsi, la silhouette de l’aristocrate portée par la reconnaissable Shaghayegh Beheshti qui s’enfuit prendre le train – «La hache est dans la Cerisaie.» Ainsi l’étudiant qui aimerait tant que la pièce accueille Karl Kautsky, secrétaire d’Engels, marxiste opposé à Lénine, chantre de la social-démocratie allemande à la fin du XIXe siècle. Il faut dire que Karl Kautsky, partisan d’une réforme si profonde qu’elle deviendrait «révolution sociale», a tout pour retenir l’attention d’un public du XXIe siècle. Ou encore, l’ukrainien Nestor Makhno dans l’une des plus jolies séquences, qui se présente comme «l’âme du combat de l’anarchisme» – et qui aura toute sa place dans la deuxième saison, promet Cornelia à condition qu’il dise tout, y compris les pogroms et crimes antisémites commis par les Ukrainiens avant la guerre. Tiens, on passe en Allemagne, où déjà Goebbels sur un banc est en train de lire un ouvrage antisémite d’avant-guerre publié par… Calmann-Lévy. Image marquante. Les grandes manœuvres dans lesquelles se fabrique un empire Avant l’entracte, apparaissent succinctement des anonymes affamés ainsi que quelques femmes révolutionnaires qui réclament leurs droits – le peuple. C’est aussi au début du spectacle que nous est montré Hitler dans la neige pendant la Première Guerre mondiale, tenu en joue dans une tranchée en Picardie. Comme au guignol, les spectateurs crient (intérieurement) : «Tire !» La deuxième partie, tout aussi impressionnante d’inventivité scénographique, se centre sur les grandes manœuvres pour prendre et garder le pouvoir, fabriquer un empire, au détriment de scènes plus quotidiennes. L’avalanche de prises de parole n’est pas forcément un problème, mais encore faut-il que le spectateur soit en capacité d’assimiler autant d’informations, et d’exercer sinon un point de vue critique, du moins un contrepoint afin d’écouter activement le flot, essentiellement en russe et allemand. Et mieux vaudrait être également apte à sourcer la masse des propos que les acteurs et Ariane Mnouchkine ont piochée dans différentes archives, journaux, textes, livres d’historiens, notamment le controversé Stéphane Courtois, notifiés dans le programme. L’historiographie – la manière de construire l’histoire et de choisir les archives – n’est pas intégrée au spectacle, car comme dirait Cornelia «tout ne peut pas y être» – ça nous aiderait pourtant, comme une corde en rappel. L’œil, tout le temps, est capté par la beauté d’une foule d’éléments visuels dont les masques un peu trop grands par rapport au corps, selon le pouvoir criminel des êtres qu’ils incarnent – celui de Lénine, particulièrement impressionnant autant que sa voix, aiguë. L’oreille baisse la garde. Pourtant, de leur côté, comme toujours au Soleil, en live, les musiciennes Clémence Fougea et Ya-Hui Liang, nappent le spectacle d’une musique conçue sur place, pendant les répétitions et improvisations des acteurs. C’est grandiose, un peu trop parfois, non sans évoquer certaines compositions de Prokofiev inventées elles aussi en live sur les images d’Alexandre Nevski, le chef-d’œuvre d’Eisenstein commandé par Staline. Le volet II, War Rooms, 1924-1945 qui jouera en alternance avec Ici sont les dragons est prévu pour l’hiver 2025-2026, et sera suivi si tout va bien d’une troisième partie, intitulée Il est encore fécond 1945-2022. Ici sont les dragons, première époque 1917, la victoire était entre nos mains, une création collective du théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous dirigée par Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au printemps prochain Anne Diatkine / Libération Légende photo Le spectacle symphonique orchestré par Ariane Mnouchkine provoque une pelote d’émotions contradictoires. (Lucile Cocito/Archives Théâtre du Soleil)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 5, 2024 2:15 PM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde - 5 déc. 2024 A Paris, en décembre, au Centquatre avant une grande tournée, la troupe de clowns sous leur chapiteau rouge délivre une bonne dose d’émotions pures et brutes.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/05/strano-le-nouveau-bijou-poetique-du-cirque-trottola_6431939_3246.html
De ce cirque-là, on ne se lasse pas. Vingt ans et des poussières, déjà, que Titoune Krall et Bonaventure Gacon font tourner leur Trottola (« toupie », en italien) sur les routes, semant de loin en loin (tous les cinq ans environ) des petits bijoux poétiques, à l’étrangeté revendiquée. Le dernier en date, qui se pose au Centquatre, à Paris, en ce mois de décembre, avant une longue, très longue tournée, s’intitule d’ailleurs Strano (« étrange », en italien). Le petit chapiteau, rouge à l’extérieur, bleu à l’intérieur, posé sous la grande nef du Centquatre, convoque d’emblée mille effluves d’enfance, mille échos du temps. Du lointain nous parvient la rumeur assourdie d’une fanfare, tandis que déboule sur la piste le colosse Bonaventure Gacon, avec son personnage de clown clodo, Boudu, rodé de spectacle en spectacle (son solo Par le Boudu tourne toujours). Il est bientôt rejoint par Titoune et par un troisième larron, Pierre Le Gouallec (en alternance avec Sébastien Brun), et ils forment une petite troupe qui semble égarée en rase campagne. De quelle guerre perdue et oubliée sont-ils les soldats loqueteux et déchus, les rescapés ou les déserteurs ? De quelle armée ayant « tout bousillé derrière elle », alors que « tout ce vacarme, ce raffut n’avait servi à rien », sont-ils les pantins laissés pour compte ? Les tranchées et la boucherie de la guerre de 14-18 semblent traverser en filigrane ce Strano où rôdent les fantômes, et où un soldat géantissime va s’effondrer comme une chiffe molle, en une des premières images saisissantes du spectacle. Et puisque toutes les guerres semblent perdues de nos jours, il va s’agir de trouver des échappées, de se tenir chaud et d’essayer d’« être heureux d’être contents », comme dirait Bonaventure. Et s’échapper, pour Titoune, c’est d’abord et avant tout s’envoyer en l’air et y rester le plus longtemps possible. Alors elle s’envole sous le ciel du chapiteau, propulsée en des portés acrobatiques par ses deux partenaires, ou voltigeant autour de son double trapèze en des saltos qui ne sont sans doute pas aussi virtuoses qu’avant (Titoune a désormais la cinquantaine), mais qui gardent une souplesse magnifique, l’aisance d’une acrobate poids plume qui a pour animal-totem le singe et ne semble vraiment heureuse qu’en apesanteur. Surprises musicales La virtuosité n’a d’ailleurs jamais été le sujet de Trottola, non plus que le désir d’aligner les numéros comme à la parade. C’est toujours une histoire qu’ils racontent, une histoire d’envol et de chute, de liberté joueuse, de résistance douce et inflexible à la tristesse d’un temps qui assigne chacun à son utilité dans la machine sociale. Et, pour cela, ils inventent leurs propres outils, leurs propres agrès. Il va s’agir pour Bonaventure, avec sa stature d’Hercule, de marcher au-dessus du vide, et, pour ce faire, il trouve une solution inédite autant que fascinante : deux longues perches en métal pourvues de crochets et de cale-pieds, sur lesquelles il s’arrime et avec lesquelles il se déplace en s’accrochant à la charpente du chapiteau, en Gargantua luttant avec la pesanteur. Il va s’agir, pour eux deux, Titoune et Bonaventure, de décider qu’un piano à queue mis queue par-dessus tête peut être un terrain de jeu sur lequel glisser, rebondir, sauter, se catapulter et s’en donner à cœur joie, tout autant qu’une île où se réfugier ou un radeau emmenant vers d’autres rivages. Et il va s’agir de tourbillonner comme des fous dans l’espace, comme des toupies désarrimées, sur une échelle tournoyante, en un final qui donne le tournis et des frissons de plaisir et d’envie. Et puisqu’il y a toujours des surprises musicales dans leurs spectacles – que l’on se souvienne de cette merveille qu’était la cloche de bronze de Campana –, ce Strano est placé sous les tuyaux d’un orgue dont joue, installé sur une petite estrade au-dessus de l’entrée des artistes, l’excellent Samuel Legal, en un répertoire allant de Bach à des compositions personnelles aux accents expressionnistes. Trottola, c’est un cirque d’émotions pures et brutes, des milliers de petits riens qui font rire les enfants aux éclats et ramènent les adultes à leurs premiers émois d’enfance, quand ils ont eu la chance de croiser un de ces petits cirques qui allaient de village en village. Et puis il y a la présence, le sourire et les facéties de Titoune, petit Pinocchio farceur au visage blanc et au nez rouge, ici surnommé Rififi, bien décidé à ne pas obéir aux tristes lois infligées par un monde supposément adulte. A la guerre permanente de tous contre tous, Bonaventure et Titoune opposent les subtils équilibres qu’ils ont su trouver, comme sur leur échelle suspendue dans le vide, entre ceux qui portent et ceux qui s’envolent, ceux qui lestent la vie et ceux qui lui donnent ses élans de grâce. Strano, par le Cirque Trottola. Centquatre, Paris 19e, jusqu’au 22 décembre. A partir de 10 ans. Puis tournée jusqu’en juin 2025, et au-delà. Fabienne Darge / Le Monde Légende photo : Bonaventure Gacon et Titoune Krall dans « Strano », du Cirque Trottola, lors du Festival des 7 Collines de Saint-Etienne, en juillet 2024. FRANCHON BILBILLE
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 3, 2024 4:50 PM
|
Par Armelle Héliot dans son blog - 2 déc. 2024 Il s’est éteint dimanche matin, vaincu par le cancer. Sa femme, écrivain, a annoncé sa mort. Les hommages sont nombreux. Il était un très grand artiste, complexe, compliqué. Un être insaisissable, vulnérable, hyper-sensible, généreux. Un immense interprète. Ici, là, les fils de sa vie sont tendus dans des articles fervents. Le Figaro a titré son cahier culture « Niels Arestrup, l’intranquille ». Tout est dit. Jamais en paix. Ni avec lui-même, ni avec sa vie, ni avec les autres, ni avec le savoir pour lequel il était insatiable. Il aimait ses proches. Une femme brillante et fine, une écrivain, dramaturge ayant foulé les planches et connaissant bien les pouvoirs du théâtre. Des enfants, des jumeaux. Il n’avait jamais renié ses origines. Père danois, mère française -bretonne pour être précise. Les hasards ont présidé à sa naissance. Les hasards, il a su les saisir : un soir de 1968, il voit Tania Balachova à la télévision. Il est empli d’une force, lui qui demeurera si timide jusqu’aux plus grands rayonnements de son chemin, une force qui le mène jusqu’au cours. Il a dix-neuf ans (il est né le 8 février 1949). Tania Balachova est alors le grand professeur d’une génération qui précède Niels Arestrup. Elle même est d’une autre génération. Ils ont traversé la guerre, quand il n’est qu’un « baby boomer ». Sauf que l’on ne désigne qu’aujourd’hui ainsi les enfants nés après la guerre. Dans cet acte fondateur, il y a quelque chose de très profond qui traduit la personnalité de Niels Arestrup : il a du courage. Du courage, c’est à dire du coeur. A coeur vaillant, rien d’impossible. Il va vers le meilleur : dans ces années là, Andreas Voutsinas, a ouvert un atelier où vont les comédiens déjà reconnus, de Jean-Pierre Jorris à Henri Virlogeux, de Sylvie Joly à Véronique Silver. Ce sont des vieux, des quadras. Et puis les jeunes, les débutants. De Didier Flamand à Jean Reno. Niels Arestrup ne se trompe pas. Il sait où s’affermir, où grandir, mais il a bien en tête ce que Tania Balachova a tout de suite compris en lui. Il est grand en lui-même, par lui-même. Il n’aurait pas besoin de cours. Sauf que lui, il sait bien tout ce qui lui manque et il ne déteste pas ce mélange des générations, ni la fantaisie à fort accent et casquette et petit chien, d’Andreas Voutsinas. Depuis, il n’a jamais dévié. Sa vie fut que je est un autre. Il y a partout des hommages, des rappels, des retours sur son chemin, au théâtre comme au cinéma. On l’avait connu châtain aux yeux bleus, on l’a longtemps retrouvé blond. Il a été tant de fois exceptionnel qu’il serait impudent de citer tel rôle plutôt que tel autre. Pourtant s’il fallait vous désigner un moment de sa vie, plutôt que tel autre, on vous enjoindrait de visionner un film. Un film intitulé Le Goûter chez Niels. Un film court, 26 minutes. Un film assez ancien, 1986. Ecrit et réalisé par Didier Martiny qui dirige Yasmina Reza, Michèle Moretti, Patrice Kerbrat, Roland Blanche, Jacques Nerson, Bernard Alane, Niels Arestrup, a composé un objet étrange. Les personnages sont des enfants et tous les garçons sont en culottes courtes. Niels de la Brêche invite ses amis, pour ses onze ans. Mais une bande mal intentionnée rôde dans le parc de la propriété des parents…Ce n’est pas La Guerre des Boutons. C’est rude et cocasse. Une folie. Il était la lumière et la nuit. Sa voix trahissait sa douceur et ses peurs. Il était volubile lorsqu’il se sentait en confiance. Il avait beaucoup d’idées de rôles car il lisait sans arrêt et savait qu’un Winston Churchill ou un Mark Rothko prendrait encore plus de lumière, avec lui, par lui, sur un plateau. Ce qui advint. Et l’on toucha alors, d’encore plus près, plus près qu’avec Anton Tchekhov ou Jacques Audiard, sa part de spiritualité et ses vertiges nocturnes. PS : Il y a longtemps, un livre plus ou moins autobiographique avait été publié chez Plon : « Tous mes incendies » (2001). Armelle Héliot
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 3, 2024 12:11 PM
|
Par Eve Beauvallet dans Libération - 3 décembre 2024 Tandis que des négociations se tenaient ce mardi matin entre commanditaires de doublage et syndicats, les acteurs «voix», parmi les 15000 emplois de la filière, se mobilisaient pour plus de protection face aux intelligences artificielles génératives. «#TouchePasMaVF», «rage against the machine», «IA dehors, nos voix sont des trésors». Ce mardi matin, place Diaghilev à Paris, le crachin tombe doucement sur les pancartes que l’on sort des coffres de voitures, se passe de main en main, et qu’on brandit devant les locaux de NBC Universal. A l’intérieur des bâtiments se tiennent au même moment des négociations cruciales pour la filière du doublage, entre les différents syndicats d’acteurs, les chaînes et plateformes commanditaires. Occasion pour les «voix» françaises, parmi les plus directement menacées par l’arrivée tonitruante des IA génératives sur le marché du cinéma et de l’audiovisuel, de dire leur inquiétude pour les 15000 emplois de la filière en France. Dans la foule, on cherche le visage de Maylis de Kerangal, en vain. L’autrice résumait parfaitement la déflagration en cours pour le secteur des «voix» dans son dernier roman, Jour de ressac (Gallimard). «Des logiciels restituent en un clin d’œil le souffle, le grain» Dans les belles pages de ce faux-polar, la narratrice est une comédienne de doublage d’une cinquantaine d’années qui, passant un casting pour devenir la voix française de l’actrice britannique Carey Mulligan, s’entend rétorquer que les voix humaines, c’est fini. Le trentenaire à chaussures pointues qui porte le coup de grâce, employé d’un studio de production londonien, rappelle à la narratrice cet état de fait cruel : dans la mesure où les machines sont déjà capables de vous faire parler en différentes langues et de changer vos accents, vous imaginez les économies d’échelle pour la filière ? La doubleuse sort évidemment déprimée et défaitiste : «La voix articulée a beau être l’une des techniques du corps les plus sophistiquées, inventée par les humains et les oiseaux, et différente en chacun de nous, des logiciels en restituent en un clin d’œil la précision du grain, le souffle, la tonalité. Les voix se multiplient, elles se dupliquent à l’infini, elles s’affranchissent des corps, c’est comme ça maintenant, c’est la vie.» Face à nous dans la rue, Brigitte Lecordier, voix emblématique du manga Dragon Ball, n’est pas d’accord : «Mais non, c’est pas trop tard ! Il faut justement des réglementations pour que demain, l’histoire qu’écoute votre enfant le soir pour s’endormir ne soit pas faite avec une voix de robot.» Comme d’autres mobilisés ce mardi matin, et en attendant le règlement européen effectif seulement l’an prochain, elle demande donc un décret pour davantage de protection dans les conventions et contrats, de façon à interdire l’utilisation de sa voix pour entraîner des systèmes d’IA et créer des voix synthétiques, reconnaissables ou non. «Sens aigu de la créativité» «Qu’on puisse utiliser nos voix, sous licence, pour faire parler des êtres inanimés, robots, objets, etc., pourquoi pas», concède Patrick Kuban, président de l’association les Voix, en tête de la mobilisation. Mais en attendant les évolutions législatives, en attendant de connaître le niveau de transparence des machines [les discussions sont en cours à Bruxelles, ndlr], il faut certifier aux spectateurs français de cinéma, de télé ou plateforme, que les contenus qu’ils regardent ont bien été créés avec des voix humaines.» Parce que, et l’on sent la fébrilité entre les lignes du communiqué de presse, «le doublage humain fait appel à un sens aigu de la créativité et à de grandes qualités de transmission du sens profond et des émotions pour rendre compte des intentions de réalisation de la version originale». Dans la fiction de Maylis de Kerangal, le bras de fer en cours est finalement remporté par les humains : Carey Mulligan, qui n’a pas l’air convaincue par les prestations de l’IA, demande à ce que la narratrice soit rappelée pour passer un second essai. On peut toujours rêver ?
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 3, 2024 5:10 AM
|
Chronique de Jean-Pierre Léonardini dans L'Humanité - 1er déc. 2024 On apprend la mort de Jany Gastaldi et cela plonge dans le chagrin la foule des êtres qui l’ont admirée de loin, trente ans durant, sur les scènes où ses apparitions sans pareilles provoquaient le frisson d’une grâce inconnue. C’était une actrice aérienne, avec des souplesses d’enfant capricieuse, également apte à un accent tragique infiniment personnel, dans l’aigu, un peu chantant, d’une voix claire délicatement voilée.
Élève d’Antoine Vitez au Conservatoire, elle est aussitôt incorporée dans l’ardente cohorte d’acteurs qui, grâce à lui, ont littéralement étoffé l’art de jouer. Du Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’à Chaillot et Avignon, Jany Gastaldi a brillé dans quatorze des aventures mémorables fomentées par Vitez. Il me suffit de solliciter la mémoire pour la revoir et parfois l’entendre, entre autres, dans Andromaque et Britannicus, Électre de Sophocle, Faust de Goethe, les Miracles (d’après saint Jean). Elle a participé à trois pièces de Molière créées au Festival d’Avignon. Le Misanthrope, le Tartuffe, Dom Juan. Dans Hamlet, elle ne pouvait qu’être Ophélie, en sublime victime offerte à la malédiction d’aimer, tandis que dans Tombeau pour cinq cent mille soldats, de Pierre Guyotat, ce brûlot sur « la honte nationale » (Vitez), elle imposait d’emblée son aura dans un rôle plus prosaïque. Après Hernani, de Victor Hugo, et le Prince travesti, de Marivaux, elle a été une Dona Musique de rêve dans la réalisation enchanteresse du Soulier de satin, de Paul Claudel. Patrice Chéreau l’avait élue pour jouer dans une mouture de la Dispute, de Marivaux, fameux spectacle. Elle a tourné dans des films, dont le Misanthrope, de Marcel Bluwal. Elle y était Célimène, ce rôle qu’on dirait avoir été cousu pour elle sur mesure. Après la disparition de Vitez en 1990, elle a continué d’être choisie par d’autres artistes de la mise en scène, tels Marcel Maréchal, Sophie Loucachevski, Adel Hakim, Philippe Duclos, Henri Ronse, Alain Ollivier… Elle a dit : « Si l’on ne cherche pas, si l’on ne risque pas, quel intérêt ? Jouer, cela a toujours été pour moi se mettre en danger. » Ainsi parlait Jany Gastaldi, morte toujours jeune à 76 ans, actrice qui fut une femme d’une beauté pas comme les autres, car l’âme y avait sa part. Sous un dehors fragile angélique, elle était d’une vibrante force secrète. Jany Gastaldi entre, définitivement, dans le peuple innombrable des voix chères qui se sont tues. Qui eut le bonheur de la voir vivre sur scène ne pourra décidément oublier sa présence poétique si rare, passagère touchante d’un art qui peut procurer un plaisir raffiné.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 2, 2024 10:45 AM
|
Par Laurent Goumarre dans Libération - 2 déc. 2024 Dans son adaptation de l’œuvre de Marcel Pagnol, mise sur pied à la prison d’Arles en 2016, l’artiste réduit sa mise en scène à l’aventure humaine de ses interprètes. Le décor est unique, une boulangerie, salon de thé, sans charme et sans véritables clients. On y entend Jeanne Mas chanter Johnny, Johnny, Sheila période Spacer, qui devient, le temps d’un passage au noir, la BO de la pièce, commentaire de ce qui s’y joue pour Marius : «He’s a spacer /A star chaser», un «chasseur d’étoile» coincé derrière le comptoir, avec son père César gentiment sur le dos, Fanny petite coiffeuse qui attend qu’il se déclare et la vie qui passe sans lui. Le commerce vivote, les gens préfèrent McDo, la bouffe n’a pas l’air terrible ; les sandwichs invendus sont jetés aux pigeons et la machine à café est en panne. Marius aussi, en panne d’aventure, qui attend l’occasion de s’évader au plus loin de la vie étriquée de son père, des parties de cartes avec Escartefigue, Panisse en loueur des scooters et ce Lyonnais de M. Brun même pas foutu de jouer à Pique. Voilà, c’est Marius (1929) de Marcel Pagnol, revu et pas mal corrigé par Joël Pommerat et ses interprètes, dans un projet «avé l’assent», né d’un atelier théâtre au long cours à la Maison centrale d’Arles. La pièce y avait été créée en 2016, elle s’évade en tournée avec, sur le plateau, d’anciens détenus. Il faut absolument garder cette donnée en tête pour accepter une mise en scène sans autre ambition que de recentrer le regard et nos attentes sur les interprètes tous convaincants, du César de Jean Ruimi à la Fanny d’Elise Douyère, qui joue sa partition d’amoureuse autosacrifiée sans pathos, féroce, alignée sur la violence contenue de ses partenaires pour qui «jouer» n’est pas qu’un jeu. Au centre, la présence physique et butée de Michel Galera en Marius donne le ton d’une adaptation brute de décoffrage, sous-tendue par l’expérience de l’enfermement carcéral des prisonniers condamnés à de longues peines. Pommerat excelle à faire entendre la vie de ses acteurs pour la plupart extérieurs au théâtre, à ses enjeux de mise en scène. On les regarde au-delà de leur personnage, alors même qu’on les voit totalement engagés dans leur rôle. Une question de vie et de vie. C’est la force de cette pièce, Marius, qui, comme l’étymologie du prénom le programme, attend de prendre la mer, de sortir définitivement du décor unique et d’un temps long de peines, sans que rien ne puisse l’arrêter. Surtout pas l’amour, qui serait une nouvelle condamnation à perpétuité. Tout cela fonctionne, tout est juste ; peut-être trop juste, sans ce véritable geste de mise en scène qui signe le théâtre de Pommerat, investi, ici et avant tout, dans une grande aventure humaine. Mais comme le chante Jeanne Mas dons son Johnny, Johnny : «Epuisé par tant d’efforts, [on] l’aime encore.» Marius de Joël Pommerat, librement inspirée de la pièce de Marcel Pagnol, dans le cadre du Festival d’automne. Jusqu’au 8 décembre à la MC93 de Bobigny. Du 12 au 14 décembre au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ; les 18 et 19 décembre à la Ferme du buisson à Noisiel ; puis en janvier à Marseille, Limoges, Alès, Genève… Laurent Goumarre / Libération _____________________________________________________ ENTRETIEN AVEC JOËL POMMERAT AUTOUR DE MARIUS VENIR DIRE SON MOT DANS LE MONDE D’où est né votre désir de travailler en milieu carcéral ? En 2014, je suis sollicité par le directeur de la Scène nationale de Cavaillon, Jean-Michel Gremillet, pour aller rencontrer Jean Ruimi, une personne incarcérée à la Maison Centrale d'Arles, qui veut monter une pièce qu'il a écrite et qui a exprimé le désir de la mettre en scène. Jean-Michel me précise le sujet de la pièce (des détenus qui mettent au point une machine à voyager dans le temps) et il insiste sur la détermination de Jean Ruimi. Je me décide alors à aller le rencontrer. Au bout de deux heures de conversation, j'étais tenté par une expérience théâtrale différente de ce que j'avais fait jusqu'alors, un désir très fort de théâtre, quelque chose de singulier. J’ai été frappé par l’intensité de cette envie de jeu, de fiction et d’invention. Le monde de la détention m'était inconnu, comme pour beaucoup de gens. Et ce n’est pas la prison qui m’a décidé à accepter ce projet, mais cette rencontre humaine et artistique. Bien sûr, cette rencontre n’est pas indépendante de l’enfermement. Cette intense volonté de faire du théâtre que j’ai perçue chez Jean contenait ce que le contexte de l’emprisonnement fait à l’humain, aux relations, à la nécessité d’un temps, d’un espace, d’une nouvelle scène. Au milieu de l'année 2015, j'étais censé créer Ça ira (1) Fin de Louis, mais j'ai réussi à préserver deux, trois jours par mois pour venir travailler avec ces personnes détenues qui constituaient un petit groupe accompagné par Jean. Peu à peu, nous avons construit un processus de recherche et de création, poursuivant le travail d’écriture et de plateau. Et après quelques mois, ça a donné Désordre d’un futur passé, co-mis en scène avec Jean Ruimi, avec toute l’équipe technique et administrative de ma compagnie, et avec la complicité de Caroline Guiela Nguyen à qui j’avais proposé de s’associer au projet. « La spécificité de la prison ici, c’est la place que prend l’espace de jeu et d’imaginaire dans un contexte où tout le reste est réglé par les impératifs sécuritaires. » Qu’est-ce qui est particulier dans le travail avec des comédiens débutants en détention ? Au départ, la plupart des détenus d'Arles n'avaient aucune expérience du théâtre, ni comme acteurs ni comme spectateurs. C’était intéressant de travailler depuis cette absence de codes et de références propres au monde du théâtre. En comparaison avec des comédiens professionnels, le travail de recherche au plateau se fonde sur un rapport vraiment différent au fait d’être réellement et complètement au présent dans la fiction. La spécificité de la prison ici, c’est la place que prend l’espace de jeu et d’imaginaire dans un contexte où tout le reste est réglé par les impératifs sécuritaires. La prison est aussi vraiment un lieu où une sorte de dramaturgie organise de manière très serrée les relations, les positions, les regards à porter sur les différents individus. Elle établit des scissions, physiques et symboliques, entre les gens. Le théâtre trouble cette évidence de ce qui nous distingue les uns des autres, de ce qui nous définit. Le travail de création qu’on a essayé de faire vient bousculer les façons de percevoir cette réalité carcérale : la répartition des rôles et des identités. Et puis, dehors, lorsqu’on mène un projet avec des comédiens débutants qui ne sont pas professionnels et n’ont pas fait d’école d’acteur, on peut compter sur tout un tas de ressources, des spectacles à aller voir, des temps de discussions autour des moments de travail. En prison, le temps est compté pour se réunir, se parler, se lier. Il fallait donc inventer des modalités de relation qui puissent tenir le coup et permettre dans la durée et l’exigence de créer ensemble ces spectacles. Qu’est-ce que vous retenez d’important dans ce travail en prison ? Bien sûr que la relation de travail est d’autant plus déséquilibrée que les situations de vie ; les différences de parcours de vie entre nous sont importantes. En prison, pour que notre histoire de théâtre dure et qu’on produise ces spectacles, il a fallu qu’on se donne beaucoup d’attention et de proximité : une très grande présence à l’autre. Et je crois que l’invention d’une présence à l’autre ne se limitait pas à l’espace scénique et aux moments de travail comme c’est le cas en situation dite professionnelle. Dans ce lieu et dans ces grands écarts de situations et de parcours entre nous, travailler la manière de se tenir près de l’autre déborde sur la relation d’ensemble, comme dans une absence de séparation nette entre la vie et la création. Je devais m’interroger sur ce que je lançais avec eux pour creuser des questions humaines et sociales, dans l’endroit même où ces vies sont en partie à l’arrêt. J’étais témoin d’une intensité d’émotion que le jeu produisait et je voyais sous mes yeux une qualité du travail artistique qui pouvait éclore. Un rapport très concret à la fiction. En même temps, je ne pouvais pas faire comme si je n’étais pas conscient que c’est depuis l’aridité de la prison que le plateau prenait cette valeur pour ces comédiens. Et ça n’est pas sans poser de question. Des questions de pouvoir, des questions d’éthique comme on pourrait nommer ça. Encore plus qu’ailleurs j’ai dû m’interroger : qui je suis pour venir travailler là, avec ces personnes, qu’est-ce que j’incarne, qu’est-ce que je tracte, qu’est-ce que je prends de ce qu’ils me partagent. Ça m’a amené à me demander ce qui me plaisait dans ce travail particulier, coupé du monde extérieur, avec des gens qui ne connaissaient quasiment rien du théâtre et pour qui il devenait pourtant éminemment important. Je crois que je trouvais en eux un écho de ce que créer fait à ma vie et dans ma vie. J’ai une grande lucidité sur la limite du théâtre et je ne crois pas qu’il puisse changer le monde. Mais je l’ai choisi comme le seul espace où je me dérobe à ce qu’on présente comme la vérité ou l’évidence. La seule incursion véritable dans le réel est comment il se donne à voir et à comprendre. À éprouver aussi. Je crois que nous avions quelque chose de proche sur ce rapport-là, le théâtre comme seule option crédible pour venir dire son mot dans le monde. Propos recueillis par Hugues Le Tanneur pour le Festival d’Automne 2024
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 30, 2024 7:18 PM
|
Par Véronique Hotte dans WebThéâtre - 28 nov. 2024 50 ans avant la Révolution, amour, argent et quête de soi existentielle. Les Fausses Confidences (1737) est la pièce ultime de Marivaux qui bouscule l'ordre social - lumineuse et prémonitoire -, liant le romanesque à la radicalité. Le fils de bonne famille Dorante, destiné à être avocat mais ruiné, s’avise de tomber amoureux d’une jeune veuve fort riche, Araminte. Le jeune homme est coaché pour cette affaire par son ancien valet Dubois, manipulateur dont l’art consiste justement à faire à chacun des protagonistes de fausses confidences, en s’amusant des tensions du coeur et de la raison chez les maîtres, comme chez les valets car Marton, la suivante d’Araminte, fera aussi les frais de ces mensonges. Pour le metteur en scène Alain Françon, la pièce marivaldienne accentue le jeu autour du rang social, de la fortune et de la quête de soi - des variations entre intentions cachées ou inavouées, sous les contraintes de l’argent ou du sentiment. Et chacun le sait, les affaires font fi de l’amour et des scrupules : Dorante, le fameux nouvel intendant d’Araminte aux projets incertains, entre coup de foudre et intérêt, est doté d’un oncle loquace un peu maladroit, Monsieur Rémy le Procureur, qui l’enjoint à épouser ailleurs une bonne fortune qui ne pourrait ainsi lui échapper, lui demandant d’abandonner aussitôt le poste dont il était initialement le garant. Or, le maître des jeux n’est autre que Dubois, l’ancien valet de Dorante, qui oeuvre en démiurge pour les intérêts de celui-ci, marionnette prise dans des rets serrés : il croit déjà le voir, lui dit-il, « en déshabillé dans l’appartement de Madame ». Les sentiments qui vont et viennent de la part d’Araminte, victime de la surprise de l’amour, font le miel du maître marionnettiste tout à son « affaire », terme récurrent. « Affaire » désignée comme « infaillible », « avancée » ou bien « en crise » par l’éloquence de Dubois, l’appellation mène bien la danse avant qu’elle ne soit retirée de ses mains par Araminte elle-même, vaincue par la passion, qui ponctue sèchement : « Ce sont mes affaires. » La jeune veuve rejette sa caste de parvenus en la personne de sa mère, Madame Argante, qui rêve de voir sa fille épouser un comte. Araminte souffre avant l’heure d’une volonté d’émancipation et de libération des contraintes - individuelles, familiales et sociales - qui entravent le désir et l’intimité. Elle ne supporte plus de voir « d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une infinité de gens de rien, et sans mérite, en ont une éclatante ». Elle refuse d’épouser, contre l’avis maternel, le riche et puissant comte, lui préférant son intendant, désargenté et déclassé, rencontré le matin et épousé le soir même... Quelle est la sincérité de Dorante, amant aux intérêts matériels et affectifs, approximativement manipulé et manipulateur ? Le public n’a d’yeux que pour Araminte, naturelle, au sens élaboré du terme, selon Alain Françon, puisque la surprise de l’amour la révélera libre dans la reconnaissance de soi et du désir. Le décor de Jacques Gabel est efficace, petites portes, murs et fenêtre entrouverts ou fermés, qui laissent voir des coursives, des travées où les activistes manipulateurs oeuvrent dans l’ombre - silence, mystère, choses tues ou devinées. Pierre-François Garel est l’amant attachant et équivoque, entre naïveté et séduction. Guillaume Lévêque en Monsieur Rémy déclame avec talent et gourmandise sa propension bourgeoise à se raconter, « bonhomme », selon les dires de la méprisante Madame Argante, interprétée par la grâce majestueuse de Dominique Valadié. Yasmina Remil pour Marton est juste et vraie. Séraphin Rousseau en Lubin, sorte d’Arlequin, est malicieux et goujat à souhait, et Maxime Terlin en garçon joaillier est admirable d’ambiguïté servile. Quant à Alexandre Ruby - le Comte -, il a du style à se rendre au fait de ne pas être aimé, seigneur éconduit. Gilles Privat en Dubois joue de son expérience avec patience et sérénité, selon les instants et les sentiments changeants de chacun, c’est l’artisan-horloger. Et l’élégante Georgia Scalliet en Araminte sait être elle-même, s’adressant au public avec humour facétieux, agacée de ses pleurs et se ressaisissant avec belle liberté. Véronique Hotte / WebThéâtre Les Fausses Confidences, texte de Marivaux, mise en scène Alain Françon, assistanat à la mise en scène Marion Lévêque. Avec Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Gilles Privat, Yasmina Rémil, Séraphin Rousseau, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet, Maxime Terlin, Dominique Valadié. Décor Jacques Gabel, lumières Joël Hourbeigt,Thomas Marchalot, musique Marie-Jeanne Séréro, costumes Pétronille Salomé, coiffures maquillage Judith Scotto, conseil chorégraphique Caroline Marcadé. Du 23 novembre au 21 décembre, mardi, mercredi, jeudi, vendredi 20h, samedi 18h, dimanche 15, au Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, 7 avenue Pablo-Picasso - 92022 Nanterre. Tél : 01 46 14 70 00 ; nanterre-amandiers.com
Du 8 au10 janvier 2025, Théâtre de l’Empreinte, Brives. Les 15 et 16 janvier 2025, Scène Nationale Albi. Du 22 au 26 janvier 2025, Théâtre Montansier, Versailles. Les 30 et 31 janvier 2025, Opéra de Massy. Les 12 et 13 février 2025, Théâtre Saint Louis, Pau. Du 25 au 26 février 2025, Maison Culture d’Amiens. Du 4 au 6 mars 2025, Le Quai d’Angers - CDN. Du 18 au 21 mars 2025, Théâtre Jeu de Paume - Aix en Provence. Du 25 au 29 mars 2025, Théâtre municipal - Caen. Du 2 au 5 avril 2025, Scène Nationale d’Annecy. Du 8 au 11 avril 2025, CDN de Saint-Étienne.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 29, 2024 12:11 PM
|
Théâtre, opéra, danse, humour, cirque, conte, marionnettes : à Paris et en région, les critiques du « Monde » ont sélectionné les représentations à réserver en cette fin d’année.
Par Sandrine Blanchard, Rosita Boisseau, Fabienne Darge, Joëlle Gayot, Cristina Marino et Marie-Aude Roux dans Le Monde, 29 nov. 2024 Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/29/vingt-spectacles-a-ne-pas-manquer-en-decembre_6419553_3246.html
Avant le lancement des spectacles de fin d’année, le mois de décembre est riche en propositions dans tous les domaines des arts de la scène. Un Shakespeare dépouillé à Lyon, un Soulier de satin quasi intégral à Paris, un Polifemo étourdissant à Versailles, une Alison Wheeler irrésistible en tournée, une effervescence de rendez-vous pour enfants au Havre… De quoi occuper de belle manière les longues soirées en attendant Noël. THÉÂTRE « Haribo Kimchi », la cuisine théâtrale de Jaha Koo L’artiste sud-coréen Jaha Koo s’était déjà fait remarquer, en 2019, en donnant la vedette de son spectacle Cuckoo à des rice cookers, ces robots ménagers présents dans toutes les cuisines d’Asie du Sud-Est. Avec sa nouvelle création, il transforme le théâtre en pojangmacha, ces gargotes ambulantes typiques des rues sud-coréennes, repère des noctambules de toutes sortes. Le cuiseur à riz figurera une nouvelle fois en bonne place dans ce voyage culinaire, où la nourriture sert de vecteur à une réflexion sur l’assimilation culturelle, symbolisée par le choc entre les bonbons Haribo et le kimchi, une méthode traditionnelle de fermentation des légumes. Ces liens entre alimentation et identité sont par ailleurs l’occasion pour Jaha Koo de poursuivre ses recherches sur des formes hybrides combinant cuisine, écriture documentaire, vidéo, musique et robotique. F. Da. Théâtre de la Bastille, Paris (Festival d’automne), du 9 au 14 décembre. --------------------------- Nicole Garcia dans « Royan », de Marie NDiaye Rencontre au sommet : celle de l’écrivaine Marie NDiaye et de l’actrice Nicole Garcia, dans Royan, créée au Festival d’Avignon en 2021 et reprise au théâtre La Commune d’Aubervilliers. Les ondes souples et félines de l’écriture de Marie Ndiaye saisissent les échos enfouis d’une vie de femme, professeure de français qui a cru se protéger des « effluves âcres du malheur », mais dont la tragédie remonte à la surface à l’occasion du suicide d’une de ses élèves. Nicole Garcia l’incarne magnifiquement, avec une dureté de fauve blessé, cette femme aux abois : son jeu âpre et sauvage, aux arêtes cassantes, n’a pas d’équivalent. F. Da. Théâtre La Commune, Aubervilliers, du 11 au 15 décembre. ---------------------------------------- « Le Songe » dépouillé de Gwenaël Morin Plus de vingt ans déjà que Gwenaël Morin décape l’art théâtral de ses colifichets pour lui redonner une urgence, une intensité, une dimension dionysiaques. Il le prouve une nouvelle fois avec ce Songe librement adapté de la pièce de Shakespeare, qui a fait la joie des nuits avignonnaises lors du Festival 2023. En nettoyant Le Songe d’une nuit d’été de la féerie qui s’y attache, en le jouant avec presque rien et en misant tout sur le jeu de quatre excellents acteurs – Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung et Grégoire Monsaingeon –, le metteur en scène retrouve toute l’acuité de cette comédie sur la folie du désir amoureux. Comme le dit le grand Will, « l’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’imagination ». F. Da. Théâtre des Célestins, Lyon, du 11 au 15 décembre. ---------------------------------------------------- « La Tour de Constance » ou la confusion des sentiments Sur scène, six acteurs issus de l’école du Théâtre national de Bretagne. Trois femmes, trois hommes, que l’auteur-metteur en scène Guillaume Vincent précipite dans une confusion des sentiments, des identités, des désirs et des sens. L’histoire se passe dans un hôtel. Lourds rideaux bleu layette, chaises roses, motifs géométriques de la moquette : de la plonge au ménage, des jeunes gens se croisent, s’aiment, se quittent, pleurent, rient, s’enlacent et se désenlacent. Le décor n’évolue pas. Ce sont les voix et la sensualité d’interprètes remarquablement dirigés qui lui donnent son relief. Tous ces adultes en devenir ne connaîtront pas le même sort. Certains s’épanouissent, tandis que d’autres se perdent. Si cette fiction est douce-amère, c’est parce que, parfois, la vie sait être cruelle. J. Ga. Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 12 au 21 décembre. -------------------------------------------------------- « 4211 km », portrait d’un Iran perdu Portrait d’un Iran perdu et pleuré par Aïla Navidi, autrice, metteuse en scène et comédienne d’un spectacle qui se situe à hauteur de l’humain. Sur un plateau au décor minimal, elle déploie une fresque mémorielle. C’est en France que les parents de son héroïne, Yalda Farhadi, ont choisi de s’exiler ; en France que Yalda elle-même a grandi, puis accouché d’une petite fille. Dans cette histoire revisitée par la narratrice, le présent ravive le passé qui, à son tour, éclaire le présent. Les séquences d’hier et d’aujourd’hui s’entremêlent pour raconter le chemin chaotique emprunté par un couple fuyant vers la liberté. Entourée par cinq comédiens, Aïla Navidi donne corps à des personnages livrés à une bataille déchirante entre désir d’émancipation et nostalgie de la terre natale. Ces réminiscences ne vont pas sans bons sentiments. Mais l’artiste sait s’en tenir à un réalisme efficace dans son approche des quotidiens. J. Ga. Studio Marigny, Paris, jusqu’au 31 décembre. --------------------------------------------------- « Le Soulier de satin » dans sa quasi-intégralité Une langue somptueuse qui tutoie le trivial et le sublime, une fresque délirante où la passion aimante les héros Prouhèze et Rodrigue, une épopée qui plie le monde à sa botte, vingt années racontées en quatre journées décisives : lorsque Paul Claudel écrit Le Soulier de satin, il rêve le théâtre en grand. Il le veut magistral et spectaculaire. Il le croit capable de tout. Créée en 1943 à la Comédie-Française par Jean-Louis Barrault, cette pièce démente, qui embarque le spectateur pour une traversée d’heures agitées, aussi baroques que mystiques, aussi concrètes que poétiques, revient se poser salle Richelieu grâce à Eric Ruf. Le metteur en scène, qui quittera en 2025 son siège d’administrateur de la Maison de Molière, veut partir sur un geste fort. Pour la quatrième fois de son existence, Le Soulier sera représenté dans sa quasi-intégralité. J. Ga. Comédie-Française, Paris, du 21 décembre au 13 avril 2025. ------------------------------------------ « Sens dessus dessous », la littérature en état de grâce La précision, l’élégance, la souplesse, une façon bien à lui de sillonner les écritures : André Dussollier est un acteur à part dont la présence au théâtre est toujours un évènement. Le comédien reprend aux Bouffes parisiens un spectacle créé il y a un an et pour lequel il a tout conçu : la scénographie (qui ne manque pas de malice) et le montage des textes. Sens dessus dessous (titre inspiré par Raymond Devos) emmène le public vers les états de grâce de la littérature. Victor Hugo, Charles Baudelaire, Roland Dubillard, Sacha Guitry, bien d’autres plumes encore : les mots des auteurs convoqués accouchent de mondes absurdes, dramatiques, jubilatoires, inquiétants. La vie est une suite de contrastes et Dussollier (qui le sait bien) ne nivelle jamais rien de ce qu’il choisit de faire entendre. Ce qui fait de lui un interprète rare, un peu chat et un peu jaguar. J. Ga. Théâtre des Bouffes parisiens, du 3 au 31 décembre. ---------------------------------------------------------------- OPÉRA Le trépidant « Turc en Italie » de Laurent Pelly Créé en août 1814 à la Scala de Milan, Le Turc en Italie n’a pas connu le fulgurant succès de L’Italienne à Alger, du Barbier de Séville ou de La Cenerentola – l’œuvre n’a été redécouverte que tardivement, à partir des années 1950. C’est pourtant un opéra-bouffe très enlevé, dont l’intrigue et les tours de passe-passe sont à l’origine de situations aussi cocasses que sentimentales. La coquette et volage Fiorilla, femme du pantouflard Don Gerinio, tombe dans les bras d’un beau Turc, Selim, fraîchement débarqué en Italie, qui se propose de s’enfuir avec elle. Mais celui-ci a autrefois été fiancé à une bohémienne, Zaïda, laquelle n’aspire qu’à retrouver son amour. Au centre, un poète en quête d’inspiration. Qui mieux que Laurent Pelly pour expertiser cette comédie au vitriol, les multiples rebonds d’une action menée tambour battant par la verve rossinienne ? Dans des décors inspirés du roman-photo, une distribution internationale réunit la soprano Sara Blanch, la basse Adrian Sâmpetrean et les barytons Florian Sempey et Renato Girolami. M.-A. R. Opéra national de Lyon, Lyon 6e, du 11 au 29 décembre. ----------------------------------------------- Les bouleversants « Dialogues des carmélites » d’Olivier Py Présentés en 2013 au Théâtre des Champs-Elysées, ces Dialogues des carmélites, de Francis Poulenc, atteignaient des sommets dans la mise en scène singulièrement inspirée d’Olivier Py, sans doute l’une de ses plus belles réussites. Le livret, tiré de l’œuvre de Georges Bernanos, relate l’histoire vraie des seize religieuses du carmel de Compiègne guillotinées le 17 juillet 1794 à Paris. Cette longue altercation du doute et de la foi, Olivier Py et le scénographe Pierre-André Weitz l’ont déroulée dans un dénuement ardent et monacal. Privilèges abonné Le Monde événements abonnés Expositions, concerts, rencontres avec la rédaction… Assistez à des événements partout en France ! Réserver des places La direction d’acteur est remarquable, chaque caractère finement ciselé, les rapports entre les femmes minutieusement informés. Certaines des interprètes féminines sont de nouveau présentes, mais dans des rôles différents. Si Véronique Gens conserve le rôle de Madame Lidoine, Patricia Petibon sera ici Mère Marie de l’Incarnation, tandis que Sophie Koch chantera l’incroyable agonie de la prière blasphématoire, Madame de Croissy. Elles seront rejointes par Vannina Santoni (qui fera sa première Blanche de la Force) et Alexandre Duhamel. Au pupitre de cette reprise, l’Américaine Karina Canellakis, à la tête des musiciens Les Siècles. M.-A. R. Théâtre des Champs-Elysées, Paris 8e, du 4 au 12 décembre. ------------------------------------------------- L’étourdissant « Polifemo » de Porpora 1735 : Nicolo Porpora est depuis deux ans en terre londonienne pour tenter de contrecarrer son rival Haendel, alors maître de l’opéra italien, dont il a le monopole. Le cinquième ouvrage du Napolitain pour l’Opera of the Nobility, Polifemo, a de sérieux atouts, dont les célébrissimes castrats Farinelli et Senesino (ce dernier étant passé à l’ennemi en quittant la Royal Academy de Haendel). Le succès, qui réunit autour du cyclope Polyphème les personnages héroïques de la mythologie grecque – le roi d’Ithaque Ulysse, la nymphe Calypso, les amants Acis et Galatée –, est retentissant. Brillamment incarné par des virtuoses qui n’ont rien à envier aux castrats – Franco Fagioli, Paul-Antoine Bénos-Djian –, Julia Lezhneva, Eléonore Pancrazi et José Coca Loza, le chef-d’œuvre nous revient dans une mise en scène de Justin Way, avec les costumes spectaculaires de Christian Lacroix, les danseurs de l’Académie de danse baroque de l’Opéra royal qu’accompagne l’Orchestre de l’Opéra royal, dirigé par le violoniste polonais Stefan Plewniak. M.-A. R. Opéra royal de Versailles (Yvelines), du 4 au 8 décembre. Roberto Alagna dans le dramatique « Fedora » de Giordano « Une femme A adore un homme B. B périt victime d’un meurtre. A soupçonne C d’être l’assassin. Elle s’acharne contre lui, le ruine, le déshonore, le fait condamner à mort. Puis A découvre que C est innocent. » Ainsi Victorien Sardou résumait-il de manière lapidaire la pièce qui servit de livret au chef-d’œuvre de Giordano. Comme son compatriote Puccini dans Tosca, le compositeur s’inspire d’une héroïne de théâtre et des amours tragiques sur fond de pouvoir totalitaire. Vladimir, le fiancé de la princesse Fedora Romanova, est assassiné à Saint-Pétersbourg en 1881 par l’anarchiste Loris Ipanov. Fedora décide alors de poursuivre le meurtrier à Paris, qu’elle dénonce à la police impériale. Mais Loris lui révèle que sa femme était la maîtresse de Vladimir. Les voici unis par un amour né d’une double et commune trahison. Le couple maudit qui fera ses débuts au Grand Théâtre de Genève n’est autre que celui formé par Roberto Alagna et son épouse, la soprano Aleksandra Kurzak. Ils seront en alternance avec les Russes Elena Guseva et Najmiddin Mavlyanov. A la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, la baguette d’Antonino Fogliani, tandis que la mise en scène, transposée à l’ère post-glasnost, sera confiée à Arnaud Bernard. M.-A. R. Grand Théâtre de Genève, Genève (Suisse), du 12 au 22 décembre. --------------------------------------------------------- DANSE Le Centre national de la danse fête ses 20 ans à Pantin Le somptueux bâtiment, ancien centre administratif, abritant le Centre national de la danse à Pantin fête le 7 décembre ses 20 ans consacrés à l’art chorégraphique. Conçu par l’architecte Jacques Kalisz, réhabilité par Antoinette Robain et Claire Guieysse, labellisé cette année « architecture contemporaine remarquable », ce lieu, imposant dans son béton sombre, abrite sur cinq niveaux une médiathèque, un espace d’exposition, une salle de projection, quatorze studios… Plaque tournante du spectacle chorégraphique, avec différentes équipes dévolues, entre autres, au soutien à la création, à la formation, à la recherche et au patrimoine, il accueille le 7 décembre une série de spectacles et de performances signés Boris Charmatz, François Chaignaud, Baptiste Cazaux, Soa de Muse… L’exposition Pièces distinguées, qui valorise 250 fonds des archives de la médiathèque, sera également visible. Le cabaret sera aussi de cette fête d’anniversaire, avec la présence toujours génialement magnétique de Monsieur K. R. Bu CND, Pantin, le 7 décembre, de 15 heures à minuit. Evénements gratuits avec réservation obligatoire (spectacles, performances et visites guidées). Carte blanche à Amala Dianor Il est partout. Le danseur et chorégraphe Amala Dianor s’offre un mois de décembre beau comme un cadeau. Du 5 au 19 décembre, la Maison des métallos devient son adresse parisienne avec différents spectacles et ateliers. Au programme : Man Rec, solo autoportrait reflétant ses inspirations hip-hop, contemporaines et sénégalaises dans une écriture riche et fluide ; M&M, duo enlevé entre hip-hop et dance hall interprété par Marion Alzieu et Mwendwa Marchand ; Coquilles, première création pour les tout-petits… Une exposition photographique intitulée Sound of the city, cosignée avec Grégoire Korganow, décline en images le processus de création de sa pièce Dub, entre Los Angeles, Atlanta et Chicago. Et pour compléter ce programme en mode majeur, Dub, qui met en scène onze performeurs spécialistes en voguing, pantsula sud-africain, krump ou waacking, est à l’affiche du 11 au 14 décembre du Théâtre de la Ville, à Paris. R. Bu Maison des métallos, Paris, du 5 au 19 décembre. Et Dub, d’Amala Dianor, Théâtre de la Ville, Paris, du 11 au 14 décembre. « Contre-nature », la passion pour l’envol de Rachid Ouramdane Depuis sa collaboration très réussie avec les artistes experts en portés acrobatiques de la compagnie de cirque XY pour le spectacle Möbius, créé en 2019, le chorégraphe Rachid Ouramdane est tombé sous le charme de cette technique aérienne où la confiance dans l’autre est le ciment d’architectures humaines sublimes. Avec Contre-nature, présenté du 6 au 17 novembre à Chaillot-Théâtre national de la danse à Paris, dont Rachid Ouramdane est le directeur, il poursuit et affine encore sa passion pour l’envol et la chute, l’équilibre et l’instabilité, en insistant sur l’importance de la relation entre les interprètes. Avec dix danseurs-acrobates en scène, tous unis par une énergie de groupe hypnotique, il souligne combien porter son partenaire, le soutenir, le rattraper pour mieux décoller avec lui ou rouler au sol possède une beauté aussi magique qu’émouvante. Sur une musique atmosphérique de Jean-Baptiste Julien, Contre-nature parie sur la douceur de la virtuosité. R. Bu En tournée : le 1er décembre, à Cannes ; le 10 décembre, à La Roche-sur-Yon ; du 17 au 20 décembre, à Annecy ; le 15 janvier 2025, à Dijon. CIRQUE Le collectif Petit Travers dans « Nos matins intérieurs » Lorsque le jonglage se déploie dans un ballet optique, il faut compter avec le talent et la virtuosité du collectif Petit Travers. Fondée en 2004, sous la houlette de Nicolas Mathis et Julien Clément depuis 2011, cette troupe d’excellence réussit à conjuguer impact visuel et artisanat du geste, engagement personnel et jeu collectif, dans une partition savante de jets de balles et de bâtons. Leur spectacle Nos matins intérieurs, à l’affiche jusqu’au 1er décembre de l’Espace Chapiteaux de La Villette, rassemble dix jongleurs d’horizons et de pays différents, accompagnés en direct par le Quatuor Debussy. Dans un décor de cubes gris manipulés à vue par les interprètes, chacun témoigne en paroles de son parcours d’acrobate de cirque, avec ses hauts et ses bas, tout en livrant des numéros tranquillement fabuleux. Ensemble, sur des musiques de Henry Purcell ou du compositeur Marc Mellits, ils font dialoguer le travail et la grâce dans des dégradés et des vagues de balles blanches comme suspendues en l’air ou des compositions géométriques mouvantes. R. Bu Espace Chapiteaux, La Villette, Paris, jusqu’au 1er décembre. Puis en tournée : les 6 et 7 décembre, à Thonon-les-Bains ; les 17 et 18 décembre, à La Rochelle ; le 9 janvier, à Limoges ; le 14 janvier, à Saint-Médard-en-Jalles ; les 16 et 17 janvier, à Boulazac-Isle-Manoire ; du 8 au 14 février, à la Maison de la danse, à Lyon. JEUNE PUBLIC Une éruption de spectacles pour enfants au Volcan La 7e édition du Ad Hoc Festival, du 30 novembre au 7 décembre, vise un double objectif : faire circuler artistes et spectateurs sur l’ensemble du territoire – depuis les communes de quelques centaines d’habitants aux zones périphériques du Havre Seine Métropole, de Rouen, ou même de Deauville et de Fécamp – et promouvoir une création audacieuse et innovante destinée au jeune public. Les 23 spectacles proposés aborderont un large panel de thématiques et mêleront une variété de disciplines allant du théâtre, de la danse et des marionnettes à la musique contemporaine ou baroque, en passant par les DJ, la radio ou même un opérabus itinérant. Deux compagnies proposeront une nouvelle création conçue pour le festival : le collectif La Cohue (Sophie Lebrun et Martin Legros) présentera son premier spectacle jeune public, une adaptation du célèbre Pinocchio, de Carlo Collodi, et Les Nouveaux Ballets du Nord-Pas de Calais (Amélie Poirier) orchestreront un projet baptisé Magnéééétique, en deux parties (Face A et Face B), autour de la K7 audio, alliant danse, musique, clown et théâtre d’objets. C. Mo MARIONNETTES Le théâtre d’ombres persan revisité par Hamid Rahmanian En février 2022, le réalisateur et illustrateur iranien Hamid Rahmanian, né en 1968 à Téhéran et installé aux Etats-Unis depuis les années 1990, avait choisi la France et le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac pour la première mondiale de son spectacle Shâhnâmè. Les amours de Bijan et Manijeh (Song of the North). Il est de retour sur les lieux de cette création pour six représentations exceptionnelles, du 5 au 8 décembre. Adapté du Livre des rois, un poème épique écrit au Xe siècle par Ferdowsi (vers 940-1020), texte fondateur de la littérature iranienne, le récit relate les amours contrariées du valeureux chevalier Bijan et de la belle princesse Manijeh, à la voix ensorceleuse, appartenant à des royaumes ennemis, en guerre depuis des siècles. Cet époustouflant feu d’artifice (d’environ une heure et demie) de tableaux colorés, de cavalcades effrénées, de batailles épiques repose sur un astucieux dispositif scénique : les quelque 500 marionnettes et 200 paysages animés, ainsi que la dizaine de comédiens et manipulateurs se trouvent derrière un immense écran placé sur le devant du plateau, seules leurs silhouettes et images sont visibles du public, projetées en ombres chinoises. C. Mo Théâtre Claude-Lévi-Strauss, Musée du quai Branly-Jacques-Chirac, Paris 7e, du 5 au 8 décembre. THÉÂTRE D’OBJETS Le réjouissant jeu de piste de Pauline Ringeade et Eléonore Auzou-Connes Dans le spectacle Pister les créatures fabuleuses, créé en 2021, la metteuse en scène Pauline Ringeade a adapté sur les planches, avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité, le texte d’une conférence jeune public donnée par le philosophe et naturaliste Baptiste Morizot en 2018 au Nouveau Théâtre de Montreuil. Il y partageait une série de récits de pistage en forêt ou en montagne dans différents pays et continents. Les « créatures fabuleuses » dont il est ici question ne sont ni licornes, ni dragons, ni griffons tout droit sortis de l’imagination fertile d’un écrivain. Il s’agit d’êtres qui vivent non loin de nous, dans les forêts et dans les océans : loups, renards, coyotes, ours, cachalots… même si, la plupart du temps, ils sont invisibles et fuient la présence humaine. Plongée dans un univers sonore constitué de bruits – enregistrés ou créés en direct –, la comédienne Eléonore Auzou-Connes incarne avec fougue une exploratrice un brin casse-cou lancée sur les traces de plusieurs animaux sauvages, dont un « nanoulak », ourson né d’un grizzly et d’une ourse polaire. C. Mo Théâtre Silvia Monfort, Paris 15e, du 10 au 19 décembre. Sandrine Blanchard, Rosita Boisseau, Fabienne Darge, Joëlle Gayot, Cristina Marino et Marie-Aude Roux
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 29, 2024 5:13 AM
|
ENTRETIEN - Propos recueillis par Catherine Robert / Artcena - 28 nov. 2024 « Je n’avais pas envie de devenir un notable. » disait Gabriel Monnet pour expliquer sa décision de partir à la retraite à soixante ans, en 1981, en laissant Georges Lavaudant diriger la Maison de la Culture de Grenoble sans lui. Ce dernier suit l’exemple de Gaby, en faisant profiter les créateurs plus jeunes de sa « présence amicale », s’occupant des lumières dans Gaby, mon spectre et participant aux rencontres des 14 et 15 décembre. Comment avez-vous rencontré Gabriel Monnet ? Georges Lavaudant : En 1971, nous avions créé, avec Ariel Garcia-Valdès, un spectacle qui s'appelait Joe Pop and Marcus. Nous sommes allés le jouer au Palais de la Méditerranée, à Nice, où Gabriel Monnet dirigeait le Centre Dramatique nouvellement créé. Il est venu nous voir. Nous étions alors installé au Rio, un tout petit théâtre à Grenoble, et nous avons monté Le Roi Lear, avec des copains amateurs. Gaby, qui venait d’être nommé à Grenoble, est revenu nous voir et a trouvé ça très bien ! En 1974, Michel Guy, nommé secrétaire d’Etat à la Culture, a souhaité associer directeurs confirmés et jeunes artistes : Daniel Benoin et Jean Dasté à Saint-Etienne, Bruno Bayen et Maurice Sarrazin à Toulouse et moi avec Gaby à Grenoble. Gaby était d’une générosité splendide. C’est le seul endroit où cette association a vraiment fonctionné : il n’y avait pas de conflits d’égos, d’esthétiques ou de points de vue politique entre nous. Comment dirigeait-on une Maison de la Culture ? Georges Lavaudant : J’ai dirigé celle de Grenoble à partir de 1981 avec Jacques Blanc. Diriger une Maison de la Culture, c’est compliqué ! Quand j’ai pris la direction de celle de Grenoble, elle avait quinze ans d’existence : elle avait été créée en 1968 pour les Jeux Olympiques, au moment d’un débat, très fort à l’époque, et qui a continué à être sous-jacent, entre l’action culturelle et la création. Les Maisons de la Culture voulaient accueillir un maximum de personnes en danse, poésie et activités annexes relevant de l’action culturelle, contre une politique élitiste, représentée par les metteurs en scène qu’on accusait de défendre des textes abscons avant-gardistes. Pierre Gaudibert avait écrit, dès 1972, Action culturelle, intégration et/ou subversion, et cette question alimentait le débat politique de l’époque, très ardent à Grenoble. La culture, à l’époque, était un sujet de premier intérêt. A l’origine de leur création, Malraux voulait en finir avec le centralisme parisien. L’idée audacieuse, ambitieuse et très noble était que les gens avaient partout droit aux plus grandes œuvres d’art. Cette période et cette ambition étaient celles de Gaby Monnet et de tous ces pionniers qui furent des Sisyphe. N’oublions pas que la Maison de la Culture de Bourges fut inaugurée par De Gaulle et Malraux : c’est dire l’importance magnifique de ce projet ! Diriger une telle maison, c’était donc convaincre ceux qui par peur ou manque de moyens ne veulent pas venir, envoyer des animateurs culturels dans les lycées ou les entreprises, laisser la porte grande ouverte, mais, en même temps, ne pas rabaisser les œuvres et ne pas faire de sondage pour savoir si la programmation était politiquement correcte ou correspondait au sujet de l’année ! Nous tenions à ce que l’art, parfois, échappe à la compréhension, qu’il doit être ébranlement, qu’il peut parfois laisser harassé, exténué, parfois en rage devant ce qu’il représente. Le débat était exagéré, souvent surjoué, mais reconnaissons que cet affrontement était marrant et extrêmement vivant ! A Grenoble et sans doute ailleurs, à Bourges, à Caen, au Havre, à La Rochelle et à Amiens, on discutait vraiment de la place de l’art dans la cité. L’idée paraît sans doute aujourd’hui ridicule, mais on se disait que tout le monde devait fréquenter les lieux de culture, que l’art était une des préoccupations sociales principales. A Grenoble, Hubert Dubedout s’était fait élire à la mairie sur le dossier de l’approvisionnement en eau des logements, surtout ceux des étages supérieurs ; son slogan de campagne était « Grenoble Ville Olympique, c’est bien. De l’eau à nos robinets, c’est mieux ». Mais il n’empêche qu’il a lancé le chantier de la Maison de la Culture : on peut s’occuper des cantines et faire rêver les gens ! C’est le « et » qui est important ! Aujourd’hui, on a l’impression d’avancer sur une seule jambe ! Et si on pouvait se débarrasser de la culture qui coûte un peu trop cher, on le ferait sans doute. Qui était Gabriel Monnet ? Georges Lavaudant : Un être exceptionnel, qui réunissait des qualités merveilleuses : homme de théâtre, poète, philosophe, marcheur, bouliste, cuisinier, tout à la fois enfant et puits de sagesse. Il irradiait ! Non pas comme un maître, mais comme un camarade, un copain, quelqu’un à qui on pouvait tout dire. Il ne laissait jamais rien tomber, et ne pouvait pas se résoudre à ce que les choses n’aillent pas mieux et que la vie ne soit pas plus belle. Il citait souvent René Char, son poète préféré. Il partageait son immense culture de manière ludique et fraternelle. Il était le contraire d’un gourou. On le retrouvait toujours comme on retrouve un paysage aimé, une femme aimée : on était certain d’en revenir ému et enrichi. Catherine Robert est professeur de philosophie depuis trente ans et journaliste depuis vingt-cinq ans pour Theatreonline, La Terrasse et L'Officiel des spectacles....
|
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 13, 2024 8:47 AM
|
Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 12 déc. 2024 Pour cette pièce donnée au Centre Pompidou, le metteur en scène a confié à Reda Kateb le rôle de l’intellectuel dont le retour au pays natal se heurte à l’hostilité des habitants.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/12/avec-par-les-villages-de-peter-handke-l-envol-vers-la-litterature-de-sebastien-kheroufi_6444751_3246.html
On ne sait pas ce que Sébastien Kheroufi murmure à l’oreille de ses comédiens lorsqu’il les prend à part pour évoquer, avec eux, la scène qu’ils viennent de répéter. Agenouillé en bord de plateau, il regarde à peine ce qu’il se passe sous ses yeux. Sa main ondule, ses doigts claquent. Il écoute. « Je ne dirige qu’à l’oreille. Une fois que la phrase sonne juste, je peux observer les acteurs », confie le metteur en scène de 32 ans dont le spectacle, Par les villages, est programmé dans le cadre du Festival d’Automne au Centre Pompidou à Paris, puis, en janvier, au Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne). Découvert en 2023 avec une première mise en scène rugueuse et déterminée de l’Antigone, de Sophocle, cet artiste franco-algérien n’a pas de temps à perdre. « Si je me plante, je foire ma vie. » Il se tait, puis insiste : « C’est vrai ! » Né dans les quartiers populaires des Hauts-de- Seine, Sébastien Kheroufi est élevé par sa mère. L’un de ses frères est incarcéré, l’autre abandonne le foyer familial. A 17 ans, le jeune homme retrouve son père mort dans un foyer Emmaüs : « Cette vision a tué l’enfant en moi. » Il frôle de près la délinquance : l’argent facile et l’état d’urgence permanent. Miracle des rencontres et des confiances accordées, une échappée belle s’offre à lui. Il ne laisse pas s’enfuir la chance. Un « grand de la cité » l’héberge à Londres, il y découvre le cinéma et, faute de parler l’anglais, se raccroche « aux lumières, à la musique, à la carrosserie des films ». Retour en France. Dans un conservatoire de banlieue, des femmes l’incitent à préparer l’Ecole supérieure d’art dramatique de Paris. Il est pris. Les nuits, il dévore avec « la rage de l’inculte » les pièces de Heiner Müller ou Thomas Bernhard. Par les villages, de Peter Handke, est la première qu’il lit en entier. Nasser Djemaï, directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, le programme. « Il a eu ce courage. S’il n’avait pas été là, j’aurais pu tout abandonner. » Sébastien Kheroufi sait ce qu’il doit et à qui. Il sait aussi ce à quoi il ne veut pas être réduit : « Je refuse d’être le porte-parole de la misère sociale. Je ne défends que la poésie. Mon acte de création a beau partir d’une colère, le théâtre n’est pas une thérapie. Je veux surpasser mon identité et mon histoire. » Explorateur attentif Les mots de Handke l’encouragent. « Je ne me plains pas, je porte plainte », assène la Vieille Femme qu’incarne Anne Alvaro. L’actrice a déjà dit ces mots voici un an, lorsque Kheroufi a créé une première mouture du spectacle au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Elle voulait être cette « figure de coryphée, déesse tragique » qui nomme les désastres. Elle tourne en rond dans les lueurs rasantes des projecteurs : « Je trace un cercle chamanique. Je me tiens à la lisière d’un cimetière. Au seuil d’une frontière au-delà de laquelle il n’y a plus rien. » Le sol est tapissé d’un sable noir sur lequel se dresse une cage de verre : c’est une cabane de chantier avec ses lits en fer superposés, son réchaud à gaz, son magnétophone à cassettes. L’endroit où travaille Hans, un ouvrier à qui Gregor, son frère écrivain, vient réclamer sa part d’héritage. Nouveau venu dans l’équipe, Reda Kateb interprète l’intellectuel de retour au pays natal qui se heurte à l’hostilité des habitants de la vallée. Un personnage avec lequel il partage une même courbe émancipatrice. « Je suis l’enfant d’Ivry devenu acteur de cinéma. Entre Sébastien et moi existe une fraternité liée à nos enfances en banlieue. » Mis à part quelques lectures, l’acteur n’était plus apparu sur scène depuis dix-sept ans. Son tout dernier spectacle ? Par les villages. Autant dire qu’il connaît les densités et les intensités de ce texte. « Cela faisait des années que je cherchais un projet théâtral. Revenir avec Handke est la meilleure chose qui pouvait m’arriver. » Il entre dans ses longs monologues en explorateur attentif, ses pas arpentant l’épaisseur d’une forêt où se multiplient « les lianes et les broussailles ». Pas plus que Kheroufi, il n’aimerait que le spectacle soit confiné dans ses marges sociales. « Le thème du transfuge de classe est présent, dit-il. Mais Gregor souffre aussi d’une forme de handicap et d’impuissance. Derrière la grande figure de l’écrivain, je vois un invalide incapable d’être avec les autres dans des relations immédiates, limpides et simples. » Reda Kateb évoque L’Albatros entravé par ses ailes de géant. Une convocation baudelairienne qui rappelle le réel : né avec un pied-bot, Sébastien Kheroufi a dû marcher avec des attelles. Ce n’est pas ce (léger) boiteux qui contraindra des corps sur un plateau. Il est plutôt de ces artistes qui élèvent le théâtre vers les hauteurs d’une littérature jusqu’où se hissent, parce qu’il le veut et qu’ils le peuvent, tous les acteurs présents en scène. Par les villages, de Peter Handke. Mise en scène : Sébastien Kheroufi. Avec Amine Adjina, Anne Alvaro, Dounia Boukersi ou Bilaly Dicko en alternance, Casey, Marie-Sohna Condé ou Gwenaëlle Martin en alternance, Hayet Darwich, Ulysse Dutilloy-Liégeois, Benjamin Grangier, Reda Kateb, Minouche Nihn Briot, Sofia Medjoubi ou Miya Josephine en alternance. Jusqu’au 22 décembre au Centre Pompidou (Paris 4e), puis du 22 au 26 janvier 2025 au Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne). Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : Reda Kateb et Sébastien Kheroufi, lors d’une répétition de « Par les villages », au Centre Pompidou, à Paris, le 9 décembre 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 12, 2024 9:18 AM
|
Par Cristina Marino dans Le Monde - 11 décembre 2024 A la fois décor et corps marionnettique, un immense mur composé de milliers de cubes en céramique blanche occupe une place centrale dans le dispositif scénique, au Théâtre Silvia Monfort, à Paris, jusqu’au 14 décembre. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/11/berangere-vantusso-fait-eclater-la-modernite-de-rhinoceros-d-eugene-ionesco-grace-a-un-astucieux-theatre-d-objets_6442911_3246.html Lorsque l’on pénètre dans la grande salle du Théâtre Silvia Monfort (Paris 15e), on ne voit que lui : un gigantesque mur fait d’une multitude de petits cubes d’un blanc immaculé qui occupe une bonne partie du plateau. Et ce même si, quand le public s’installe, les six interprètes du spectacle, déjà présents sur scène, rivalisent de gesticulations et de mimiques pour attirer le regard. Plutôt habituée jusque-là au répertoire dramatique contemporain, Bérangère Vantusso a choisi, pour sa nouvelle création – dont la première a eu lieu, fin janvier, au Théâtre de la Manufacture – Centre dramatique national (CDN) de Nancy –, d’adapter un classique du théâtre, Rhinocéros (1959), d’Eugène Ionesco (1909-1994). Pour délester le texte d’origine de sa théâtralité d’après-guerre et de toute référence historique trop appuyée à la montée des totalitarismes au XXe siècle, elle a fait appel au dramaturge Nicolas Doutey, qui a ramené la pièce à sa trame la plus dépouillée : l’histoire d’une épidémie, une « rhinocérite » aiguë, qui contamine les individus les uns après les autres. Pour donner vie en quelque sorte à cette menace inexorable qui pèse sur les six personnages de la pièce, Bérangère Vantusso (qui dirige, depuis janvier, le CDN de Tours – Théâtre Olympia) a poursuivi un travail de réflexion, entrepris il y a quelques années déjà, sur l’utilisation de la matière à des fins marionnettiques, de simples bouts de bois dans Alors Carcasse (2019) ou des cartes dans Bouger les lignes (2021). Son choix s’est porté, cette fois-ci, sur une matière à la fois rigide et fragile, des milliers de cubes identiques façonnés dans un genre de céramique blanche. Empilés pour former un immense mur, ils constituent le décor du spectacle mais aussi une sorte de septième personnage, qui engloutit inexorablement tous les autres, à l’exception de Bérenger (Thomas Cordeiro), qui incarne la résistance à tout prix. Pantins désarticulés Ces cubes peuvent également être détachés de la grande paroi par les comédiens et comédiennes, qui les manipulent à loisir pour représenter tour à tour un chat, une porte, un lit, une télévision… Et certains d’entre eux finissent projetés par terre, s’éparpillent en une multitude de petits éclats jonchant le plateau et le premier rang de la salle. Formellement, le Rhinocéros de Bérangère Vantusso est très réussi, notamment grâce à ce décor et corps marionnettique, qui symbolise au mieux la menace diffuse pouvant peser sur toute communauté (guerre, épidémie, pouvoir totalitaire, etc.). Mais aussi grâce à une jeune troupe d’interprètes qui parviennent parfaitement à incarner sur scène la dimension absurde du théâtre d’Eugène Ionesco. Ils errent souvent sur le plateau tels des pantins désarticulés ne sachant plus où aller. Paradoxalement cette réussite formelle a, de temps à autre, tendance à prendre toute la place, au risque d’occulter un peu la portée politique subversive du texte d’origine. A l’image des pachydermes qui donnent son titre à la pièce, cette masse informe de cubes blancs à géométrie variable finit par tout écraser sur son passage, y compris le fil d’une histoire que le public a parfois du mal à suivre. Rhinocéros, d’Eugène Ionesco, mise en scène de Bérangère Vantusso (compagnie Trois-6ix-trente), adaptation et dramaturgie de Nicolas Doutey. Avec Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues de la Salle ou Mathieu Genet (en alternance), Tamara Lipszyc, Maïka Radigalès. Théâtre Silvia Monfort, Paris 15e. Jusqu’au 14 décembre, du mardi au jeudi à 20 h 30, le samedi à 20 heures. Avec Le Mouffetard – Centre national de la marionnette, Paris 5e. Cristina Marino / Le Monde Voir la vidéo de présentation Légende photo : Les six interprètes de « Rhinocéros », d’après Ionesco, mis en scène par Bérangère Vantusso, au Théâtre de la Manufacture – CDN de Nancy, en janvier 2024. IVAN BOCCARA
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 9, 2024 11:47 AM
|
Par Radidja Cieslak dans Libération le 9 déc. 2024 Sur le parvis du tribunal de Paris, des militantes féministes se sont rassemblées ce lundi 9 décembre pour témoigner de leur soutien à l’actrice, quelques heures avant le procès du réalisateur Christophe Ruggia, poursuivi pour agressions sexuelles sur mineure. Il fait un froid cinglant, mais qu’importe, une cinquantaine de femmes sont là, sur le parvis du tribunal de Paris, pour soutenir Adèle Haenel. Le procès du réalisateur Christophe Ruggia ouvre ce lundi 9 décembre, il est poursuivi pour agressions sexuelles sur mineure. L’actrice avait témoigné en 2019 dans les colonnes de Médiapart des violences sexuelles qu’elle aurait subies à 14 ans à peine, sur le tournage du film Les Diables. Le réalisateur, dans Mediapart, a contesté ces accusations, reconnaissant toutefois une «emprise» exercée sur la jeune fille durant le tournage. Le rassemblement, «organisé hors de toute organisation ou collectif» a été relayé par diverses associations féministes sur les réseaux sociaux, appelant à soutenir Adèle Haenel, pionnière de la vague #Metoo qui a bouleversé le cinéma français. «Je suis en pleine procédure judiciaire, pour viol» confie Sylvia, 67 ans, le regard vif sous d’épaisses lunettes, qui se reconnaît dans le récit de l’actrice de la Naissance des pieuvres. La militante tenait absolument à «être là pour elle [Adèle Haenel] et pour les autres». Quand elle évoque la justice, sa voix douce prend des accents amers. «La parole se libère mais il y a toujours un mur», soupire-t-elle, en déplorant l’inefficacité de la machine judiciaire. Une justice défaillante A ses côtés, Catherine, une camarade de lutte aussi victime de «viol et d’inceste», renchérit : «Les agresseurs nous massacrent, ensuite la police, et après la justice. Je comprends pourquoi des femmes n’osent pas porter plainte.» Membre de l’association Mouv’enfant, qui œuvre pour la protection des mineurs, la femme de 67 ans fustige le principe de la prescription, «un réel drame, pour toutes les victimes». Sans parler du «classement sans suite», qui concerne de nombreux cas de viol, et qu’elle qualifie de «dégueulasse». «Macron avait assuré mettre le sujet des violences sexuelles, les femmes et les enfants en priorité», s’exclame-t-elle, furieusement. Elle estime qu’en dépit de certaines mesures mises en place par le président comme le Grenelle contre les violences conjugales ou encore la création d’un bracelet anti-rapprochement, les hommes accusés de viols et d’inceste sont toujours insuffisamment inquiétés par la justice. La présence des femmes sur le parvis du tribunal est plutôt «symbolique», estime de son côté Alexia, 41 ans, qui affiche un air songeur. «Je n’attends rien de la justice», soupire-t-elle. «Le changement est en cours, mais n’a pas encore eu lieu», conclut-elle laconique. «Adèle, on te croit» «C’est tristement banal ce qu’a vécu Adèle», soupire Alicia, le regard vif, emmitouflée dans un manteau de laine. Venue seule au rassemblement, la militante de 34 ans salue le courage qu’a eu l’actrice de «visibiliser» cette cause et espère qu’elle gagnera ce procès. Les violences sexuelles, sujet alors «infiniment tabou il y a quelques années l’est de moins en moins» estime-t-elle. Dans la foule, des groupes se forment, des amies se retrouvent, s’étreignent avec enthousiasme, comme Catherine, 59 ans, venue avec sa «meuf», et des copines. «Il faut soutenir les personnes qui ont subi des violences, comme ce fut le cas pour Gisèle Pelicot dernièrement», martèle cette militante de la première heure. En plus de sortir dans la rue depuis des années, elle ne va «plus voir les films de tous ces mecs qui sont accusés», et ne lit «plus ceux qui disent des saloperies sur les femmes et les personnes homosexuelles». Parmi ses amies, il y a Nicole, 71 ans et co-présidente du centre audiovisuel Simone de Beauvoir qui produit et diffuse des documents audiovisuels sur les droits et luttes des femmes. Familière du milieu du cinéma, cette retraitée toujours dehors pour militer constate un tournant. «Il y a eu des lois et des mesures prises, notamment par le CNC, mais également l’apparition de coordinateurs d’intimité sur les plateaux. Il y a également un mouvement citoyen», autant d’évolutions positives hors des institutions judiciaires. Dans la foule, plusieurs expriment une forte gratitude à l’égard de l’actrice, au travers de pancartes, de slogan ( «Adèle on te croit !»). «Adèle Haenel est à l’origine de ce renouveau féministe. C’est une belle vague, il faut que ça continue, merci à elle», sourit Anne-Claude, 62 ans. «Je la soutiens de tout mon cœur et de toutes mes tripes», renchérit Catherine. Il est 12 h 30, et subitement, les militantes disséminées sur la place s’assemblent en un bloc, et entonnent en chœur un chant pour témoigner, avec force, de leur solidarité. «Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère !» Radidja Cieslak / Libération Légende photo : Devant le tribunal correctionnel de Paris, des militantes féministes se sont rassemblées en soutien à Adèle Haenel avant l'ouverture du procès du réalisateur Christophe Ruggia, le lundi 9 décembre. (Cha Gonzalez/Libération)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 8, 2024 5:18 PM
|
Par Lara Clerc dans Libération - 2 déc. 2024 Après un passage à Avignon cet été, la Compagnie Nova reprend sa pièce sur les socio-esthéticiennes au théâtre de Belleville. Un spectacle émouvant et chaleureux sur les corps exclus de la société. «Entrez, prenez place, asseyez-vous.» Dans la salle, la Compagnie Nova accueille les spectateurs comme on accueille chez soi. Et pour cause, Si Vénus avait su a initialement été créée pour être jouée dans des «espaces non dédiés», c’est-à-dire en dehors des théâtres, comme dans les appartements d’habitants d’Ile-de-France, où la compagnie a commencé à jouer. Devant un décor presque spartiate – un cercle délimité par un rideau bleu et quelques accessoires –, les deux comédiens (Dana Fiaque et l’excellent Laurent Deve, en alternance avec Martin Jaspar) introduisent dès les premières secondes les valeurs de la pièce : bienveillance, accueil, chaleur humaine. Car ce sont également les valeurs du métier au cœur de l’œuvre : celui des socio-esthéticiennes. Les deux autrices et metteuses en scène, Margaux Eskenazi et Sigrid Carré-Lecoindre, ont mené pendant un an une enquête de terrain avant d’écrire sur cette profession principalement exercée par des femmes, qui prodiguent des soins esthétiques aux patients d’hôpitaux ou d’Ehpad, c’est-à-dire aux personnes malades, âgées, blessées… Bref, aux corps exclus de la société. Tradition du cabaret Au cours de ce «cabaret interactif», les deux comédiens se partagent les portraits sincères d’une dizaine de personnages, praticiennes comme patients. Un homme souffrant du sida qui se remémore ses amis décédés ou une femme survivante d’un cancer du sein défilent entre les mains de ces «passeuses», comme Eulalie, qui se dévoue à son métier depuis des années, ou Vénus qui, elle, vient de commencer. Malgré quelques chansons peu convaincantes, la pièce alterne entre humour et poésie pour tisser l’image émouvante d’une société mal à l’aise vis-à-vis des corps «anormaux». Au fil de la représentation, les spectateurs en deviennent partie intégrante. Durant une heure trente, les comédiens cultivent une proximité avec le public dans la tradition du cabaret, jusqu’à les inviter à participer à un soin esthétique collectif. Sans pudeur mal placée ni voyeurisme, les socio-esthéticiennes démontrent alors leur savoir-faire pour créer du lien. Une démarche qui ancre encore davantage la volonté de la compagnie de toucher les non-initiés au théâtre, et de les réconcilier non seulement avec leurs corps, mais aussi avec le spectacle vivant. Si Vénus avait su, par la Compagnie Nova. Au théâtre de Belleville jusqu’au 30 décembre. Lara Clerc / Libération Légende photo : Au fil de la représentation, les spectateurs en deviennent partie intégrante. (Loic Nys /Théâtre de Belleville)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 6, 2024 5:29 AM
|
Par Armelle Héliot dans son blog - 24 nov. 2024 Renouant avec son cher Marivaux, il a réuni un groupe de comédiens exceptionnels, une troupe idéale qui donne aux Fausses confidences une alacrité merveilleuse. On écrira ailleurs, et avec plus de précision réglementaire. On entend par « réglementaire » la politesse que l’on doit aux lecteurs de la presse écrite (Marianne ou La Tribune Dimanche) et le respect que l’on a pour les artistes, metteurs en scène, équipes artistiques, interprètes, tous ceux qui font la vie de l’art du théâtre. Mais en sortant d’une représentation d’un chef-d’œuvre de Marivaux, Les Fausses Confidences, dans une mise en scène d’Alain Françon, comme il est impudent, voire grotesque, de rédiger ce que l’on intitule une « critique ». Ainsi que ce fut le cas autrefois devant Giorgio Strehler, dans la génération précédente, on doit bien avouer que l’on ne possède aucune légitimité à décrire, à commenter, à analyser les choix du metteur en scène ou à distribuer des qualificatifs au jeu des interprètes. Il y a une évidence dans la manière dont Alain Françon conduit la représentation des Fausses Confidences. Le premier point est l’amour qu’il déploie pour l’écrivain, sa langue, sa manière de construire et de mener les intrigues, la lumière qu’il jette sur ce miracle : la manière de parler, de raisonner des « personnages ». Alain Françon circonscrit, avec une confondante intelligence, le mécanisme dramatique qui est au cœur de la pièce de Marivaux : « le coup de foudre de Dorante conduit au coup de force d’Araminte ». Trois actes en prose créés en 1737 par les Comédiens-Italiens. Françon a opéré une légère transformation : Arlequin disparaît, on le nomme Lubin (ici Séraphin Rousseau, personnage pataud apparemment, mais efficace à faire bouger les lignes). Pourquoi écrire ici alors ? Parce que la perfection de la mise en scène, la finesse enivrante du jeu, tout ici séduit et donne au public, une heure quarante-cinq durant, un bonheur qui l’élève en « une transe légère et érotique » (ce que voulait Paul Claudel pour que l’on joue Le Soulier de satin dans sa juste humeur). Pas de micros, un jeu offert au public, des adresses aux spectateurs pris à témoin. On nous parle, on s’adresse à nous mais rien qui puisse amoindrir la fascinante puissance du théâtre. On est chez Madame Argante. On est happé par la fiction. On oublie que l’on est ailleurs qu’avec ces personnages. Saluons ici, une scénographie grave et efficace de Jacques Gabel, des lumières de Joël Hourbeigt et Thomas Marchalot, des costumes de Pétronille Salomé, seyants, harmonieux, dans lesquels les comédiennes et comédiens sont magnifiés. Caroline Marcadé n’est pas loin pour les mouvements, les déplacements, la chorégraphie des âmes et les coiffures et maquillages sont fins, signés Judith Scotto. La musique est du jour : Marie-Jeanne Séréro dose le fracas contemporain comme des coups de foudre. L’intelligence profonde du texte, le savoir sur les tourments des cœurs, des âmes, la lucidité sociétale, qu’il mette en scène Edward Bond, Peter Handke, ou Eugène Labiche, tout ce qui nourrit la personnalité unique d’Alain Françon, donne ici une puissance, une profondeur, une évidence, bouleversantes au spectacle. La langue est d’une proximité bouleversante. 1737 ? C’est aujourd’hui. Rien de raide, rien de surveillé, mais une langue vivante magique. Et puis gloire aux comédiens : Dominique Valadié, supérieure dans la rosserie d’une mère sévère et rigide chez qui se déroule l’action. Sa fille, jeune veuve, vit chez elle et devrait lui obéir…Mais Araminte va opérer son « coup de force ». La sublime Georgia Scalliet, dans une robe ivoire, fluide, près de corps, fine et sensuelle, est dans le rayonnant éclat de sa personnalité magistrale. La comédienne a apparemment une légère douleur à une jambe : ce détail minuscule ajoute on ne sait quoi d’encore plus évident à la bataille que doit mener cette jeune femme. qui, un moment ploie, se plie littéralement sur le dossier d’une chaise. Se couper en deux. Se briser. Rompre avec les décisions de sa mère, du Comte (l’excellentissime, élégant, nuancé, Alexandre Ruby), ne va pas de soi…d’autant qu’il y a pas mal de vérités biaisées… Dans cette mise en scène, on s’énerve, on perd ses nerfs, comme le veut ce grand manipulateur de Marivaux, mais on ne perd pas sa noblesse. Blessée, égarée, flouée, la ravissante Marton de Yasmina Remil conserve quelque chose d’aristocratique. Presque le double d’Araminte. En miroir. Et l’équivoque : est-ce son portrait ou le portrait d’Araminte ? Une victime, cruellement traitée, mais qui demeure digne. Guillaume Lévêque excelle en Monsieur Rémy, procureur affairé sinon affairiste. Un acteur à forte présence, magnifique timbre. Comme ses camarades. Pierre-François Garel, ici en blondinet ébouriffé, mais très chic, est un Dorante amoureux –intéressé ? on ne veut pas le croire…– et toujours aussi formidable. Un acteur immense et qui se tient toujours loin de toute démonstration. Remarquable. Gilles Privat s’est rasé le crâne pour incarner mieux ce manipulateur de Dubois. Il a servi Dorante, il sert Araminte. Que veut-il vraiment ? Avec ses mines inquiétantes, ses inflexions particulières, il fait penser (fugitivement) à Daniel Emilfork…Quelle formidable personnalité que la sienne propre ! N’oublions pas Maxime Terlin, le garçon joaillier. Il faut ajouter ici qu’Alain Françon a toujours eu le sens de l’harmonie des voix. C’est le plus musicien des hommes de théâtre, en vérité. Et les comédiennes et les comédiens qu’il rassemble, possèdent l’art du chant de l’âme. Des timbres, des inflexions, des suspens, des silences, des gravité, autant d’enchantements. La voix, c’est l’être même, et avec Alain Françon, les âmes s’expriment. Quant à nous, taisons-nous. Tout le monde le sait : il faut courir partout où se donne ce spectacle magistral, « élitaire pour tous », comme disait Antoine Vitez, vous le savez. Voir Les Fausses Confidences, voir et retourner voir ces Fausses confidences. Nanterre-Amandiers, jusqu’au 21 décembre. Puis en longue tournée. Armelle Héliot
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 5, 2024 2:04 PM
|
Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 5 déc. 2024 Le spectacle mis en scène et interprété par Camille Dagen évoque la personnalité de l’écrivaine à différents moments de sa vie. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/05/les-forces-vives-a-l-odeon-simone-de-beauvoir-telle-qu-en-elle-meme_6430920_3246.html
Une première partie fraîche et enthousiasmante, une seconde plus pondérée : Les Forces vives, spectacle mis en scène à l’Odéon-Théâtre de l’Europe par Camille Dagen (en collaboration avec Emma Depoid) contraint la critique à une gymnastique dichotomique, ce qui n’est pas incohérent si on songe au caractère remuant et inaliénable du sujet exploré. Simone de Beauvoir (1908-1986) est au cœur de l’attention. Découpé en deux temporalités (avant et après la seconde guerre mondiale, celle-ci étant éludée lors d’un entracte sous-titré « 1939-1945 ») le spectacle ne perd jamais de vue cette philosophe majeure du XXe siècle, dont les écrits (Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses, Cahiers de jeunesse et Le Deuxième Sexe) innervent chacun des mots. La romancière fait mieux que stimuler la créativité des artistes. Son désir forcené d’avoir une vie voulue de A à Z donne lieu à une représentation qui ne doit sa forme qu’à elle-même. Les Forces vives n’est ni un biopic ni une plate entrée littérale dans l’œuvre, mais une suite résolue de choix dramaturgiques qui assument de laisser sur le bord de la route des pans entiers d’une existence. Le titre est à prendre au pied de la lettre : par la médiation des acteurs, ce sont bien des vitalités énergiques qui se manifestent et résolvent, à mesure qu’ils se présentent, les problèmes de mise en scène. Camille Dagen ne s’interdit rien : le comique (jusqu’au vaudeville) comme le drame, le réel comme l’onirique, les accélérations et décélérations, les retours en arrière comme les bonds en avant. Son geste, d’une réelle fantaisie, s’en remet aux fondamentaux du théâtre – son immédiateté et son artisanat – avec une grande confiance. Si elle n’évite pas certaines maladresses, sa fougue est contagieuse, son talent évident. Cinq Simone sur scène Placés sous la haute autorité du « Castor » (surnom donné à Beauvoir par l’un de ses condisciples à l’Ecole normale supérieure), sept excellents comédiens évoluent dans des décors dont ne restent que les cadres ajourés. Dépliables et mobiles, ils permettent aux espaces d’être sans cesse reconfigurés. Pas question de figer le plateau et d’immobiliser une pensée qui se construit à vue. Consacrée à la jeune Simone, la première partie est un feu d’artifice de prises de conscience. Celles du spectateur qui réalise de quel terreau originel s’est extirpée l’écrivaine. Celle de l’écrivaine qui fait sécession avec la bigoterie de sa mère et les penchants réactionnaires ou misogynes de son père. C’est ici vite résumer la trajectoire d’une émancipation dont Camille Dagen a fait un nerf ardent. La metteuse en scène ouvre elle-même le bal en se présentant face au public, dans un carré de lumière qui s’agrandit à mesure qu’elle marche vers les gradins en jean et débardeur marcel. Elle nous parle post mortem, s’inquiète de la trace qu’elle aura laissée. Elle est la première des Simone qui surgiront en scène (le rôle est partagé par cinq comédiennes). Prélevées dans la masse considérable des Mémoires, des séquences éparpillées en flashs convoquent les parents de Beauvoir, sa sœur Poupette, son éphémère fiancé Jacques, sa grande amie Zaza morte à 21 ans, plus tard, Maurice Merleau-Ponty, Paul Nizan ou Jean-Paul Sartre. De la petite enfance à la vingtaine, une femme naît à elle-même. Fillette récalcitrante, adolescente sage, jeune fille réfractaire aux valeurs familiales, étudiante amoureuse, intellectuelle en devenir : ces étapes sont saisies et restituées avec allant par les acteurs qui virevoltent de personnage en personnage, les garçons jouant les filles et les filles les garçons. Changement de régime A la puissance d’une écriture qui ne s’est pas ternie, s’ajoute l’appétit illimité d’une personnalité hors norme. « Je vais avoir une vie, une vie à moi » s’exclame Beauvoir. Difficile de ne pas être contaminé par ce débordement d’envies tous azimuts et cette course effrénée du présent vers le futur. Difficile de ne pas vouloir toujours plus de cette force vive qui dynamise. On l’espère donc de retour, après l’entracte, la joie d’être qui a déferlé pendant les deux premières heures. Mais le libre arbitre de Camille Dagen (qui n’a rien à envier à celui de son inspiratrice) en décide autrement. Raison pour laquelle la seconde partie, focalisée sur la guerre d’Algérie et les dernières pages de La Force des choses, effectue une mise sur pause qui déjoue nos attentes. La frustration étant mauvaise conseillère, ce qui était ailé paraît s’alourdir, ce qui sonnait juste semble chanter faux. C’est pourtant bien la même artiste qui est à la manœuvre et opère ce changement de régime. Que dit-il de l’héroïne ? De retour devant le rideau noir où ils compilent, avec humour, les basses attaques dont a été victime la mère du Deuxième Sexe, les acteurs s’attardent notamment sur l’appel de Beauvoir (paru dans Le Monde en 1960) en faveur de la militante FLN Djamila Boupacha. Elle écrit : « Je suis française. Ces mots m’écorchent la gorge comme une tare. » L’espace se ramasse au centre du plateau. Camille Dagen prend la parole : « Tous les tomes de ce spectacle ont été écrits pendant la guerre d’Algérie. » Beauvoir était donc cette femme-là, capable d’embrasser le politique et l’intime, d’écrire et de militer, de se concentrer, en simultané, sur son époque et sur elle-même. On ne l’a pas perdue, elle est juste moins légère. Ce dont rend compte, quoi qu’on en veuille, le final d’un spectacle qui ne passe pas la réalité à la trappe. En accéléré, Sartre se dégrade tandis que sa compagne, complice et âme sœur vieillit. « J’ai été flouée », conclut-elle. Pas nous. Les Forces vives, d’après Simone de Beauvoir. Conception et mise en scène : Camille Dagen, en collaboration avec Emma Depoid. Avec Sarah Chaumette, Camille Dagen, Marie Depoorter, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova. Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier, Paris 17e. Jusqu’au 20 décembre (trois heures trente). Dans le cadre du Festival d’automne. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : Marie Depoorter dans « Les Forces vives », d’après Simone de Beauvoir, mis en scène par Camille Dagen, en mars 2024. © SIMON GOSSELIN
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 3, 2024 12:17 PM
|
Publié par Mediapart le 3 décembre 2024 Article (incluant la vidéo de l'entretien avec Sara Forestier) en accès libre Lien avec la vidéo (1h) Invitée de « À l’air libre », l’actrice Sara Forestier revient sur son témoignage devant la commission d’enquête relative aux violences dans le cinéma. Elle s’exprime pour la première fois sur sa plainte déposée en 2023 contre Nicolas Duvauchelle, qu’elle accuse de l’avoir giflée sur un tournage.
C’est l’une des auditions les plus marquantes de la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le monde du cinéma. Le 7 novembre, l’actrice Sara Forestier a témoigné de violences subies pendant sa carrière, et décrit « la machine à broyer des talents », selon les mots du rapporteur (MoDem) Erwan Balanant. Invitée de notre émission « À l’air libre », l’actrice de 38 ans, révélée dans L’Esquive (2003), d’Abdellatif Kechiche, relate la difficulté de l’industrie cinématographique à prendre en charge la question des violences, la « focalisation » sur les femmes qui dénoncent des violences, et les mauvaises « réputations » qui leur seraient faites en retour : « Ils cherchent peut-être Mère Teresa, mais il n’y a pas de victime parfaite. » Elle revient aussi sur l’impact de la parole de la comédienne Adèle Haenel en 2019 – affaire dont le procès se tiendra les 9 et 10 décembre au tribunal correctionnel de Paris. Sara Forestier révèle avoir elle-même témoigné à l’appui d’une plaignante dans la procédure visant Jacques Doillon, accusé de violences sexuelles par plusieurs femmes (le réalisateur conteste les faits et a déposé une plainte en diffamation contre la comédienne Judith Godrèche) : « J’ai tourné avec Jacques Doillon [dans le film Mes séances de lutte (2013) – ndlr], une plaignante a porté plainte contre lui, j’ai témoigné dans ce cadre-là pour dire des choses que j’avais vues et qu’avait faites Jacques Doillon sur ce tournage, sur cette fille-là. » Sur notre plateau, la comédienne revient également sur son témoignage à l’égard de l’acteur Nicolas Duvauchelle, qu’elle accuse de l’avoir giflée sur le tournage du film Bonhomme en 2017. Selon nos informations, elle a déposé une plainte en mars 2023 et une enquête préliminaire est en cours au parquet de Paris. Elle annonce qu’elle compte aussi porter plainte en diffamation contre le comédien, qui l’a qualifiée, le 8 novembre, sur le réseau social X, de « mythomane », et qui a assuré – à rebours de ses déclarations dans le dossier judiciaire – que c’est elle qui l’aurait « giflé ». Sollicité par Mediapart pour un entretien vidéo, Nicolas Duvauchelle, qui est présumé innocent, a répondu qu’il ne souhaitait « pas [s’]exprimer davantage à ce stade ». Il nous a indiqué qu’il n’avait « jamais frappé Sara Forestier » et que les propos de l’actrice à son égard étaient « absolument faux ». De son côté, le producteur du film, Denis Pineau-Valencienne, nous a fait savoir qu’il n’y avait eu « ni gifle ni violence physique » d’après les cinq témoignages écrits qu’il avait à l’époque recueillis auprès de « membres de l’équipe présents sur place ». La réalisatrice, Marion Vernoux, nous a également répondu qu’à sa connaissance, aucune gifle n’avait été donnée par l’un ou par l’autre. « Qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’ils en viennent à de telles extrémités verbales ? Je m’approche pour tenter de les calmer. Ils continuent de se cracher au visage des insanités. Sans doute quelques postillons haineux atterrissent-ils sur le visage de l’autre. En termes de violence physique, je ne peux témoigner que de cela », écrit-elle dans le témoignage qu’elle a transmis à Mediapart. La cinéaste explique avoir, au moment des faits, refusé d’appuyer la main courante de Sara Forestier au commissariat, car elle ne voulait pas faire « un faux témoignage », même pour sauver son film, dit-elle. Après l’enregistrement de cette émission le mardi 26 novembre, Sara Forestier a souhaité réagir à la réponse de Marion Vernoux : « J’ai fait cette émission parce que dans le cinéma et la société, il faut briser les chaînes des complicités. Les silences complices ça n’existe pas, ce sont des “tais-toi” complices, des culpabilisations complices, des minimisations d’actes des agresseurs. Il faut que cessent les complicités, pour que les agresseurs se retrouvent affaiblis, démunis, et moins forts dans leur domination. J’y crois. » * Une émission préparée et présentée par Mathieu Magnaudeix et Marine Turchi, journaliste au service enquêtes de Mediapart. Retrouvez toutes nos émissions ici.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 3, 2024 7:09 AM
|
Par Djaïd Yamak dans Le Monde - publié le 3 déc. 2024 Auditionnés au Palais-Bourbon, des organismes du cinéma, comme le Festival de Cannes et l’Académie des César, mais aussi du spectacle vivant ont exprimé leur volonté de lutter contre ce fléau, sans émettre d’idées neuves.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/03/face-aux-violences-sexuelles-l-examen-de-conscience-des-institutions-du-cinema-francais-a-l-assemblee-nationale_6427396_3246.html Leur parole était attendue. Le Festival de Cannes, l’Académie des César, le Festival du cinéma américain de Deauville, l’Académie des Molières et l’organisme UniFrance ont été entendus, lundi 2 décembre, au Palais-Bourbon, dans le cadre de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Réclamée par l’actrice Judith Godrèche, figure du mouvement #metoo en France, cette commission parlementaire a été créée en mai. Avec un objectif : faire la lumière sur les violences sexuelles et sexistes dans les métiers de la culture ; et faire émerger des propositions concrètes pour les combattre. Après trente-cinq heures d’audition et soixante-dix professionnels interrogés, la commission avait été enterrée par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin. Un nouveau groupe de travail a finalement été constitué et les auditions ont repris, le 5 novembre. Devant les députés, le 2 décembre, les représentants de ces institutions détaillent les mesures prises pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes depuis l’émergence de #metoo, en 2017. La présidente du Festival de Cannes, Iris Knobloch, évoque la création d’une cellule d’écoute et la nomination de référents harcèlement au lendemain des révélations sur le producteur américain Harvey Weinstein. Patrick Sobelman, président de l’Académie des César, et Ariane Toscan du Plantier, vice-présidente, passent en revue les dispositifs mis en place durant la cérémonie, comme la « non-mise en lumière des personnes condamnées ou mises en examen » (effective depuis 2023) ou la distribution de flyers de sensibilisation. Mais, tous en conviennent, ces outils de prévention restent insuffisants pour lutter contre les violences dans le cinéma. La question de l’omerta est évoquée ouvertement. « Je suis convaincu qu’il reste une peur économique de témoigner, de perdre son emploi, de perdre ses moyens financiers, a observé Iris Knobloch. Il faut renforcer les cellules d’écoute et l’accompagnement des victimes. L’industrie a fait des pas importants, mais je crois que nous avons encore du chemin à faire. » « Multiplier les contre-pouvoirs » Après l’inventaire de leurs politiques de prévention respectives, le député (Paris, Ecologiste et social) Pouria Amirshahi déplace la discussion sur la responsabilité collective de ces institutions dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : « C’est dans le monde du cinéma qu’a commencé #metoo. Vous êtes le point de départ de cette révolution. Vous avez donné des exemples – les référents, les chartes –, autant de choses qu’il faut faire (…), mais, au fond, à quel moment la grande famille du cinéma a porté un grand message, uni, en disant : c’est terminé, ça ne se passera plus comme cela ? » La « grande famille du cinéma » que désigne le député ne se reconnaît pas derrière ce sobriquet. « C’est une fiction, un fantasme. La grande famille n’existe pas », tonne Jean-Marc Dumontet, interrogé au titre de président de l’Académie des Molières. « On ne se voit plus là-dedans », abonde Daniela Elstner, directrice générale d’UniFrance, un organisme chargé de la promotion et de l’exportation du cinéma français dans le monde. « Nous ne faisons pas partie du problème, nous sommes des éléments de réponse au problème », poursuit le producteur de spectacles. La présidente de la commission, la députée (Paris, Ecologiste et social) Sandrine Rousseau demande alors aux responsables de festivals et d’académies de se prêter à un exercice introspectif. « Vous avez un pouvoir énorme dans vos positions et vos mandats. Avez-vous conscience de votre pouvoir ? », demande l’élue. « Oui, on a du pouvoir sur nos équipes, sur les films qu’on sélectionne, reconnaît Aude Hesbert, directrice du Festival américain de Deauville. Nous avons un devoir d’exemplarité. Et nous devons multiplier les contre-pouvoirs. » Création d’une « base de données confidentielles » Comment user de ce pouvoir pour lutter contre les violences sexuelles ? Les dirigeants d’institutions ont partagé les décisions prises lors de la sélection d’une œuvre ou lors du déroulement d’une cérémonie. « Nous avons une responsabilité, et nous devons l’assumer. Lors de la dernière Nuit des Molières, Caroline Vigneaux présentait la cérémonie et a décidé d’écarter des personnes qu’elle soupçonnait, à tort ou à raison, d’être susceptible d’avoir eu des comportements déplacés », a remarqué Jean-Marc Dumontet. « On est tous des cinéphiles, des intellectuels, on se pose des questions sur la violence en général, sur la représentation de l’histoire, sur la diversité à tous égards, a affirmé Thierry Frémaux. Il arrive parfois que, nous-mêmes, on ne soit pas toujours justes dans nos choix », a-t-il ajouté. Plusieurs idées avaient été mises sur la table lors des auditions précédentes. La comédienne Mélodie Molinaro avait évoqué la création d’une « base de données confidentielles » permettant d’identifier les comportements ayant fait l’objet d’une plainte, qui soit accessible aux référents chargés de prévenir le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles sur les tournages. L’actrice Sara Forestier avait aussi suggéré, lorsqu’un cas de violence est signalé sur un plateau, de faire peser la responsabilité financière de l’interruption du tournage sur l’agresseur. L’examen de conscience des institutions du cinéma français a été moins fertile en idées neuves. Les auditions se poursuivront jusqu’en avril 2025 et devraient aboutir au dépôt d’une proposition de loi. Djaïd Yamak / Le Monde Légende photo : Judith Godrèche, à Cannes (Alpes-Maritimes), le 16 mai 2024. VALERY HACHE/AFP D'autres articles sur le thème #MeToo Théâtre/ Cinéma re-publiés par la Revue de presse théâtre
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 2, 2024 3:46 PM
|
Par Sonya Faure dans Libération - 2 déc. 2024 Alain Françon met en scène le monde de faux-semblants de Marivaux aux Amandiers de Nanterre dans une pièce à la mécanique belle et précise mais sans surprise. Des colonnades aux ombres tranchantes comme dans un tableau de Chirico, des lueurs inquiètes à la Paul Delvaux. Et des ouvertures partout, des fenêtres, des portes, des coulisses d’où les personnages rôdent, épient, trompent, comme dans l’arrière-boutique de nos désirs. Les décors de Jacques Gabel ont convoqué à nos yeux le surréalisme, pourtant les colonnes ont la rigidité de l’ordre classique. Et à quelles époques se réfèrent ces costumes ? Les repères temporels sont ici des chausse-trappes car, au fond, quelle importance ? nous dit Alain Françon. Araminte et Dorante évoluent dans le monde corseté du XVIIIe siècle, celui où une jeune bourgeoise dotée ne peut épouser son intendant fort peu loti. Celui où, malgré tout, les sentiments peuvent s’imposer. Mais les sentiments de qui ? Ceux de la jeune veuve qui peu à peu trempe sa volonté, ceux de l’amoureux éperdu ou ceux du domestique calculateur Dubois ? Jeune homme fauché Dans la pièce de Marivaux, c’est bien par la ruse que chacun veut contrôler la pensée et les sentiments d’Araminte. Dubois (Gilles Privat) s’est fixé pour mission de la faire tomber dans les bras de son ancien maître Dorante. La mère d’Araminte (Dominique Valadié) refuse que sa fille épouse un jeune homme fauché, et lui préfère un comte. Dans ce monde de manipulation et de faux-semblants, Araminte tente, bravement, d’y voir clair dans ses propres sentiments. «Je suis la maîtresse», dit-elle, et peut-être le croit-elle vraiment. «Femme tentée, femme vaincue», rétorque plutôt Dubois. Jeu propre et virevoltant C’est du beau jeu, propre et virevoltant – qu’on entend bien le texte et quelle maîtrise dans le phrasé ! Pas de mauvaise surprise pour qui aime Françon. Pas de surprise du tout, regretterait-on tout de même, une mécanique précise mais pas d’éblouissement comme on a pu en avoir avec ce metteur en scène, dans ces Fausses Confidences pures et parfaites. Elles valent avant tout pour le jeu des comédiens. Georgia Scalliet, surtout, formidable Araminte, qui fait s’envoler le texte de Marivaux et le dédouble en incarnant ses doubles fonds : elle dit les mots quand son corps, son visage et ses mains disent tout autre chose. Quant à Pierre-François Garel (vu récemment en père immonde et incestueux dans le Voyage dans l’Est d’Angot et Nordey), sa diction parfaite et découpée rend à la longue son Dorante inconfortable, trop appuyé, et redonne toute son ambiguïté à ce «timbré d’amour» prêt à espionner pendant des jours une femme qui ne le sait pas. A la fin Araminte a-t-elle vraiment choisi ? Et choisi l’amour ? Questions heureusement laissées ouvertes à tout vent comme le décor le laissait présager. Les Fausses Confidences de Marivaux, mis en scène par Alain Françon au théâtre des Amandiers de Nanterre jusqu’au 21 décembre. Puis en tournée en 2025 à Brive, Albi, Versailles, Massy, Nice, etc. Sonya Faure / Libération Légende photo : Les «Fausses Confidences» pures et parfaites d'Alain Françon valent avant tout pour le jeu des comédiens. (© Jean-Louis Fernandez)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 2, 2024 10:06 AM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 déc. 2024 La metteuse en scène et sa troupe entreprennent le début d’un long voyage, théâtral et superbement cinématographique, fruit de sa colère éprouvée au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/02/ici-sont-les-dragons-le-grand-livre-d-histoire-anime-d-ariane-mnouchkine_6424590_3246.html
Comme souvent (comme toujours ?) chez Ariane Mnouchkine, tout est parti d’une saine et légitime colère. Colère, sidération, tristesse infinie, face à la guerre d’invasion lancée par le président russe, Vladimir Poutine, le 24 février 2022, sur l’Ukraine, et qui dure encore et encore, laissant un pays exsangue. La colère et la tristesse ont engendré l’envie de comprendre de quel ventre avait pu sortir cette bête immonde. La directrice du Théâtre du Soleil et sa troupe se sont lancées dans une vaste recherche théâtrale sur les totalitarismes du XXe siècle qui donnera lieu à une fresque en plusieurs volets, dont ils présentent aujourd’hui la « première époque » : Ici sont les dragons – 1917, la victoire était entre nos mains. La colère n’exclut pas le plaisir qui accompagne chaque excursion au Théâtre du Soleil, avec ses rituels immuables et réconfortants. Oui, Ariane Mnouchkine est bien là, sourire lumineux aux lèvres, devant l’entrée de son théâtre, pour accueillir en personne les spectateurs. Oui, la grande nef du Soleil a bien été transformée en restaurant – ukrainien, bien sûr, avec bortsch et pirojkis au menu –, et la chaleur humaine est au rendez-vous. A partir de là, c’est un grand livre d’histoire animé qu’ouvrent devant nous la metteuse en scène et sa troupe. Tout commence, après l’apparition fugace d’un Poutine au visage et à la voix défigurés et déformés, en 1916, sur le front de la guerre de 1914-1918, quelque part dans le Pas-de-Calais. Et tout se finira le 5 janvier 1918, au Palais d’hiver à Petrograd, par la réunion du comité central où Lénine, Trotski et Staline scelleront le destin de l’Ukraine et de ses velléités d’indépendance. Entre les deux, c’est la révolution de 1917, et la manière dont ses idéaux vont d’emblée être dévoyés, qui sert de colonne vertébrale au spectacle. C’est donc bien un voyage comme on aime à en vivre au Soleil que propose Ariane Mnouchkine. Voyage dans le temps et dans l’espace, où l’on saute en un clin d’œil du quartier général du tsar Nicolas II, incapable d’entendre les voix qui lui conseillent d’écouter la colère qui gronde dans son pays, au front de Picardie où un caporal nommé Adolf Hitler est miraculeusement épargné par un soldat anglais. Rendre lisibles les rouages de l’histoire La troupe a effectué un travail historique colossal et rigoureux, puis un travail de montage tout aussi phénoménal, pour composer un récit impeccablement et implacablement boutonné, rendre lisibles les rouages de l’histoire, la permanence de la soif de pouvoir. Se lit dans le spectacle la colère de Mnouchkine contre « le rapt opéré par une poignée de bolcheviks sur la révolution », tandis que court en ligne de fond la question du mal en politique, qui l’obsède depuis toujours. Mais c’est la forme, ici, qui emporte et permet au voyage de s’accomplir. La mise en scène, superbe, déploie avec une fluidité cinématographique les lieux et les situations, tout en restant pleinement théâtrale, jouant sur une palette formelle riche et variée. Selon un principe désormais bien rodé au Soleil, les décors arrivent et repartent en un clin d’œil, montés sur des roulettes, actionnés par les comédiens. Le tsar Nicolas II chevauche en compagnie de son ordonnance, Lénine débarque en train blindé en gare de Finlande à Petrograd, en avril 1917, un soldat disparaît, avalé par la neige, sans savoir s’il se trouve en Russie, en Pologne ou en Ukraine. Les ciels de Petrograd flamboient et palpitent, à l’aube ou au couchant, sur des toiles peintes ultrasensibles, discrètement animées d’images vidéo. Plaisir de ce théâtre qui ne cherche pas l’illusion et crée des atmosphères avec un art consommé de la lumière et de l’ombre. Ariane Mnouchkine, par ailleurs, a opté pour un choix bien particulier : faire jouer toutes les situations dans leur langue originelle. Les comédiens ne parlent donc pas ici avec leur propre voix : ils jouent une partition corporelle sur des voix enregistrées, en un travail quasi marionnettique qui empêche le spectacle de sombrer dans le naturalisme historique et les écueils d’une reconstitution toujours problématique. Même démarche avec les masques, d’un réalisme stylisé, portés par les personnages, qui donnent à la réalité toute son étrangeté. Une émotion indicible Ces Dragons s’avancent donc comme un spectacle pédagogique au meilleur sens du terme, sans doute moins accessible toutefois que d’autres pièces du Soleil, où le déploiement épique pouvait permettre d’embarquer à son bord un public très large. Il implique de par son principe même un gros travail de lecture des surtitres pour les spectateurs, qui peut mettre à distance. Mais il déplie tout du long un travail délicat et fin sur la figurine (vivante ou non), qui trouve son acmé dans le final du spectacle : les députés de la nouvelle assemblée ukrainienne de janvier 1918, qui viennent d’apprendre que la Russie bolchevique leur refuse leur autonomie, sont représentés par de minuscules poupées, filmées en gros plan dans leur stupeur figée pour l’éternité. Cette coda provoque une émotion indicible, enfin libérée après avoir été tenue en bride au long du spectacle. « Les dragons pondent leurs œufs dans d’innombrables nids », alertent les trois Baba Yaga qui font office de chœur et ne sont pas sans évoquer les trois sorcières de Macbeth. A chacun de retenir la leçon. Fabienne Darge / LE MONDE « Ici sont les dragons. Première époque. 1917 : la victoire était entre nos mains ». Création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous, dirigée par Ariane Mnouchkine. Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’en avril. Légende photo : Répétitions du spectacle « Ici sont les dragons », d’Ariane Mnouchkine, en novembre 2024. LUCILE COCITO / ARCHIVES THÉÂTRE DU SOLEIL
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 30, 2024 3:34 AM
|
Par Clément Ghys dans M le magazine du Monde - 30 nov. 2024 PORTRAIT En dix ans à la tête de la Comédie-Française, l’acteur, metteur en scène et scénographe a profondément transformé l’institution théâtrale. Fin connaisseur de la maison, il a su y apaiser les tensions, et a contribué à la dépoussiérer. A quelques mois de passer le flambeau d’administrateur général, il s’attaque à l’œuvre monument de Paul Claudel, «Le Soulier de satin ».
Lire 'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/11/30/eric-ruf-l-homme-qui-a-insuffle-un-vent-nouveau-a-la-comedie-francaise_6421510_4500055.html
Marina Hands a arrêté de fumer. Elle a également cessé de boire de l’alcool et de manger du sucre. L’actrice met toute son énergie pour préparer un marathon. Mais la course dans laquelle elle s’apprête à se lancer est d’un genre particulier, elle durera plusieurs heures. Sept heures trente exactement, sur la scène de la salle Richelieu de la Comédie-Française, à Paris. A partir du 21 décembre, la 542e sociétaire de l’institution sera Dona Prouhèze, l’héroïne du Soulier de satin, monumentale pièce de Paul Claudel datant de 1929. Des onze heures prévues par le texte intégral, le metteur en scène Eric Ruf en a gardé les deux tiers. L’action, un amour impossible au temps des conquistadors, se déroule sur vingt ans et sur plusieurs continents. Les dialogues évoquent la foi catholique et la recherche de l’absolu, la grandeur de l’art et le poids du péché. Ce sera dur. « Eprouvant, même, précise la comédienne. Il faut adorer le théâtre pour accepter une chose pareille. » Elle sourit : « C’est mon cas. » Avec elle, ils seront une vingtaine, débutants comme vétérans, à interpréter rois d’Espagne, grandes dames de la cour, suivantes, soldats et aventuriers… Tous vêtus par le couturier Christian Lacroix, tous impressionnés par cette œuvre tentaculaire et tous très fiers. Comme Birane Ba, 29 ans, dont la vocation est née quand, collégien en sortie scolaire, il était venu à la Comédie-Française. « Dans une vie d’acteur, on se dit qu’on ne jouera jamais Le Soulier de satin. Là, on atteint le Graal. » Pièce mythique du répertoire La pièce est si longue, si complexe à mettre en scène, qu’elle a rarement été montée. Un bon mot circule à son sujet, tantôt attribué à Jean Cocteau, tantôt à Sacha Guitry. Sortant d’une représentation du Soulier de satin, l’un des deux aurait lancé : « Heureusement qu’il n’y avait pas la paire. » La première a eu lieu dans le Paris occupé, en 1943 à la Comédie-Française, mise en scène par Jean-Louis Barrault, qui reprend la pièce quelques années plus tard, à l’Odéon. En 1987, Antoine Vitez marque les esprits au Festival d’Avignon et Olivier Py propose sa version au Théâtre de la Ville, en 2003. La pièce est un mythe du théâtre hexagonal, la baleine blanche des metteurs en scène. « Ecoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. » Le soir du 21 décembre, l’apostrophe de Claudel aux spectateurs lancera la course. En coulisses, Eric Ruf observera chaque détail. L’administrateur général de la Comédie-Française depuis 2014 sait que ce Soulier marque une étape dans sa carrière. A 55 ans, l’acteur, metteur en scène et scénographe, sociétaire depuis 1998, vit ses derniers mois à la tête de l’institution. Le 4 août 2025, son mandat arrivant à son terme et la durée totale de sa mission ne pouvant excéder onze ans, il quittera son poste. Après une décennie à tenir le gouvernail de la plus vieille institution théâtrale française, Le Soulier de satin est sa bulle d’air, son bouquet final. Dans son bureau aux murs couverts du trombinoscope de la troupe et où le célèbre portrait de Molière en costume antique semble le surveiller, ses yeux de félin s’animent quand il parle de Claudel. Depuis ses années de jeunesse, quand, débarqué de Belfort, il avait intégré le Cours Florent après des études d’arts appliqués, il a « joué et rejoué, écouté et réécouté cette langue lumineuse et mystique, profonde et drôle ». Claudélien comme d’autres sont shakespeariens, il dit avoir eu l’idée de monter Le Soulier de satin au printemps 2021, alors que l’épidémie de Covid-19 avait fermé les salles. Une lecture intégrale de la pièce par plusieurs comédiens de la Comédie-Française a alors été filmée et diffusée sur YouTube. « Ça aurait pu être l’Odyssée, la Bible, la Torah ou le Coran… » La journaliste Laure Adler, grande connaisseuse du théâtre et admiratrice d’Eric Ruf, se réjouit de voir « ce grand metteur en scène se lancer dans un pari supposément impossible. Il en a les capacités, avec son sens inouï de l’apaisement et de la diplomatie ». Calmer les ego La paix. C’est ce qu’avait promis Eric Ruf en 2014. L’institution est complexe et son fonctionnement unique au monde. La troupe, colonne vertébrale de la Maison de Molière, comporte deux grades, les pensionnaires, aujourd’hui au nombre de 23, et, au-dessus, les sociétaires, actuellement 38. Ce sont ces derniers qui votent pour l’admission des premiers au rang de sociétaires. Les rivalités peuvent être tenaces. A l’administrateur général la charge de veiller au bon fonctionnement, de calmer les ego. Il s’agit aussi d’équilibrer la programmation des 900 représentations annuelles, d’organiser les agendas, d’alterner classiques du répertoire et auteurs contemporains. A cela s’ajoute la supervision des trois salles : Richelieu, place Colette, le Studio-Théâtre, situé dans le Carrousel du Louvre, toutes deux dans le 1er arrondissement parisien, et le Vieux-Colombier, dans le 6e arrondissement… Il faut aussi encadrer les 400 employés de la maison, divisés en plus de 70 métiers, dont beaucoup au sein des ateliers de décors et costumes. Au début des années 2010, la Maison de Molière vit un moment compliqué. Administratrice générale depuis 2006, Muriel Mayette-Holtz (nommée par Jacques Chirac en 2006 et renouvelée par Nicolas Sarkozy en 2011) est contestée par la troupe, qui lui reproche son interventionnisme et ses choix artistiques. Le Français n’a plus la cote dans le paysage du théâtre contemporain, assurent sociétaires et critiques. En 2014, à l’issue d’un pataquès digne d’un vaudeville qui a vu s’opposer les défenseurs de Muriel Mayette-Holtz et plusieurs candidats, le président François Hollande nomme Eric Ruf (sur proposition, comme il se doit, du ministre de la culture, à l’époque Aurélie Filippetti). S’ouvre une décennie de plus grande sérénité et de succès pour la Comédie-Française. L’héritage de Vitez Après vingt-trois ans d’absence, la troupe fait son retour dans la cour d’honneur du Palais des papes, à Avignon, avec une adaptation du film Les Damnés, de Luchino Visconti, mise en scène par Ivo van Hove en 2016. D’autres grands noms du théâtre contemporain viennent monter des spectacles, comme les Français Julie Deliquet et Christophe Honoré, l’Allemand Thomas Ostermeier, la Brésilienne Christiane Jatahy. Récemment, en arrivant place Colette, Laure Adler a vu Eric Ruf accueillir les spectateurs. « La file d’attente était très longue et il passait de l’un à l’autre pour les rassurer, dire que cela n’allait pas durer. Eux ne le reconnaissaient pas, mais il tenait son poste, comme un artisan. » Le tableau en évoque d’autres, célèbres dans l’histoire du théâtre français : Peter Brook, qui, jusqu’à sa mort, en 2022, déchirait lui-même les tickets à l’entrée des Bouffes du Nord (Paris 10e) ; Ariane Mnouchkine, elle aussi systématiquement présente pour accueillir le public à l’entrée de la Cartoucherie de Vincennes, servant de la soupe après une représentation et remboursant les spectateurs si la pièce avait été mauvaise ; Antoine Vitez, obsédé par l’idée d’un « théâtre élitaire pour tous », écoutant les réactions du public à la sortie de Chaillot. Antoine Vitez… Ce sont ses traces qu’Eric Ruf essaie aujourd’hui de suivre. Mort en 1990 à l’âge de 60 ans, figure majeure du théâtre, connu pour avoir interprété les classiques de manière nouvelle, formé des générations d’acteurs et de metteurs en scène, son nom est encore omniprésent dans les conservatoires comme à la Comédie-Française (dont il a été l’administrateur de 1988 à sa mort). Ruf a monté en 2022 La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, trente-deux ans après Vitez, dans la même salle Richelieu. Et le voici qui dirige Le Soulier de satin, cette même pièce grâce à laquelle Vitez a, en 1987, bouleversé le public du Festival d’Avignon. Le comédien Marcel Bozonnet (administrateur général du Français de 2001 à 2006) revoit encore « les spectateurs, emmitouflés dans des couvertures, et, au lever du jour, les hirondelles qui s’envolent au-dessus des acteurs ». Eric Ruf, qui ne l’a pas vu à l’époque, en parle comme s’il s’agissait d’un épisode mythologique : « Les acteurs s’endormaient en coulisses, à même le sol. Il fallait les enjamber, comme des corps dans un champ de bataille, pour rejoindre les planches de la cour d’honneur. » Il s’inscrit à sa manière dans cette histoire. Pour le rôle de Don Pélage, le mari de Dona Prouhèze, qu’Antoine Vitez lui-même tenait en 1987, il a choisi Didier Sandre, qui, il y a près de quarante ans, était Don Rodrigue, l’amour impossible de Prouhèze. « Ce personnage est celui dont on me parle le plus, il n’a cessé de m’accompagner, confie le comédien au regard intense. Eric me fait un cadeau en m’offrant celui de Pélage, dont je découvre, des années après Antoine, la force. » Le théâtre est aussi fait de ces histoires intimes… La Dona Prouhèze d’Antoine Vitez, Ludmila Mikaël, est ainsi la mère de Marina Hands. « J’avais 12 ans, j’ai le souvenir précis d’être la seule enfant dans le public, raconte cette dernière. C’était vivant et c’était drôle. » Chef de troupe et mentor Comme son modèle autrefois, Eric Ruf fait aussi vivre des acteurs émergents. Ce qu’il était d’ailleurs lui-même à son arrivée dans la troupe, en 1993. « Des jeunes premiers aussi impressionnants, on n’en avait pas eu depuis bien longtemps », sourit Marcel Bozonnet. Aujourd’hui, pour le rôle de Rodrigue, il a choisi Baptiste Chabauty, entré à la Comédie-Française en novembre 2023 en tant que pensionnaire et qui s’apprête à jouer pour la première fois dans la salle Richelieu. « Et pas avec n’importe quel rôle ! C’est beau d’être, à peine arrivé, plongé dans une telle histoire du théâtre », sourit l’acteur à la longue silhouette et aux cheveux blonds décolorés – « Je ne les aurai plus dans Le Soulier, Eric me l’a demandé », précise-t-il.
Avec sa haute taille, son autorité naturelle, Eric Ruf joue à merveille le rôle de chef de troupe qui tente de désamorcer les moments de tension avec une blague. En répétition, ce jour d’octobre dans un sous-sol du théâtre, une expression de Claudel, « reprendre son âme », déstabilise les comédiens. « Je n’y comprends rien, s’amuse Eric Ruf. Est-ce qu’il y a des catholiques dans la salle ? » Surtout, il apprécie d’être un mentor. « Je m’adapte aux acteurs, explique-t-il. Marina, que je connais très bien, est comme un pur-sang pour qui je dois trouver le bon terrain. Avec Baptiste, c’est différent. » Il lui donne des conseils pratiques. « Dis le texte sans y penser, comme si tu récitais une formule mathématique. Deux plus cinq fois quatre plus cent divisé par six… » Baptiste Chabauty s’exécute. Le metteur en scène lui demande d’élever la voix : « Pense au public. Il est là depuis cinq heures, il s’endort. Il faut le réveiller un peu. » Même attention pour Edith Proust, la petite nouvelle de la troupe, entrée en avril. Elle joue la suivante de Dona Prouhèze. La jeune femme est impressionnée. « Mais je suis avec des pros, sourit-elle. Marina, une très grande dame du théâtre, m’emmène. Et Eric me guide. » Quand, au cours d’une scène, elle fait tomber une chaise, le metteur en scène fait une plaisanterie, comme pour la rassurer : « On va la laisser comme ça, on dira que c’est ma scénographie. » Des comédiens « bankables » au cinéma En dix ans, il a fait entrer de nombreux pensionnaires. Sa plus grande fierté est « l’ouverture à la diversité » : « C’est Marcel Bozonnet qui avait lancé cet élan révolutionnaire. Je l’ai suivi. Des acteurs noirs comme Birane Ba, Claïna Clavaron, Séphora Pondi ou Sefa Yeboah sont arrivés. C’est capital de les considérer comme ce qu’ils sont, d’excellents comédiens, et de leur donner des rôles classiques. » Ainsi de Birane Ba, qui s’apprête à jouer plusieurs rôles, dont celui du vice-roi de Naples. Il salive déjà à l’idée de ces moments où, assis en coulisses entre ses scènes, il ne perdra pas une miette des interprétations de ses camarades. Les jeunes assistent, fascinés, à l’aisance de leurs aînés. Ainsi de Serge Bagdassarian, sociétaire haut en couleur. Il répète une scène comique, puis décrit son costume : « Christian Lacroix m’a dessiné une gambas royale. C’est merveilleux. Mon chapeau ? Un Annapurna ! » Eclat de rire général.
Eric Ruf tient à faire de ces répétitions joyeuses le symbole de l’esprit apaisé qu’il a voulu insuffler à la Comédie-Française. Longtemps, la troupe s’est écharpée au sujet des « congés », ces moments accordés par l’administrateur général, au cours desquels pensionnaires et sociétaires allaient jouer dans d’autres théâtres ou dans des films. La direction doit trouver le bon dosage entre des absences à volonté, qui font exister la troupe par le biais de la mention « de la Comédie-Française » dans les génériques, et un agenda plus contraint, nécessaire à un bon fonctionnement. « Quand je suis arrivé, seule une poignée de sociétaires tournait des films. Aujourd’hui, ils sont partout », se réjouit Ruf. Certes, les grands noms (Denis Podalydès, Guillaume Gallienne, Michel Vuillermoz…) brillent, mais d’anciennes jeunes pousses ont réussi à se faire une jolie place : Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux… Au point que certains ont même quitté la Comédie-Française pour se consacrer au cinéma, tels Rebecca Marder, en 2021, et Laurent Lafitte, en 2024. Eric Ruf est ravi : « La troupe est bankable pour les directeurs de casting. » Quel successeur pour le « jardinier » Ruf ? Mais c’est une autre audition, très discrète, qui se joue en ce moment. Le Tout-Paris de la culture s’interroge sur le nom de son successeur, qui sera désigné par le locataire de l’Elysée. Le producteur de spectacles Jean-Marc Dumontet, proche du couple présidentiel, assure que « Brigitte et Emmanuel Macron sont des passionnés de théâtre et de la Comédie-Française ». « Ils s’y rendent souvent et le président suit de très près le dossier », dit-il. Selon l’usage, la nouvelle nomination devrait être annoncée peu de temps avant le départ d’Eric Ruf, soit au début de l’été. Dans les couloirs de la Comédie-Française ou à la terrasse du Nemours, café de la place Colette où la troupe a ses habitudes, on se perd en conjectures. L’acteur et metteur en scène Clément Hervieu-Léger, 47 ans, serait candidat et aurait les faveurs de la troupe. D’autres noms, qui ne sont pas issus du Français, circulent. Les questions se multiplient : Emmanuel Macron suivra-t-il, sur ce sujet précis, la proposition de la ministre de la culture, Rachida Dati ? Et écoute-t-il Guillaume Gallienne, l’une des rares personnalités culturelles présentes à son investiture, en mai 2022 ? Ou l’acteur et metteur en scène Christian Hecq, dont il apprécie le travail ? Eric Ruf, de son côté, se dit « prêt à donner son avis » au ministère ou à l’Elysée : « Je pourrais faire mine de ne pas vouloir savoir, mais nous avons la chance d’avoir une maison qui va bien. Autant en profiter pour que le tuilage se déroule correctement. » Il sait qu’à un moment « la tutelle [le ministère et l’Elysée] va me demander mon avis ». A-t-il un candidat en tête ? Il assure que non. Il se souvient de ses propres mots à François Hollande, lors de son entretien de candidature : « Vous avez le choix entre un jardinier et un paysagiste [Eric Ruf, donc, et le metteur en scène Stéphane Braunschweig]. Entre quelqu’un qui n’est peut-être pas révolutionnaire, mais qui connaît très bien le terrain, qui sait comment réagit l’humus, qui a l’historique des lieux, et un autre qui a une magnifique vision d’ensemble, mais qui risque de faire des erreurs avec les plantes. » Le pragmatisme l’avait emporté. L’époque est-elle la même ? Il ne répond pas, mais semble pencher pour qu’un « jardinier » – quelqu’un de la troupe – lui succède. Et donc, Clément Hervieu-Léger. « Par les temps qui courent, assure Eric Huf, Il faut savoir naviguer dans le monde politique, avoir quelques numéros de téléphone. Les montées de sève idéologiques, ce n’est pas nécessaire. » Sans le démentir, Laure Adler précise néanmoins : « C’est formidable que des jeunes metteurs en scène, des gens qui ont une vision nouvelle, candidatent à la Comédie-Française. Cela dit la vitalité de l’institution. » Jean-Marc Dumontet, adepte du « en même temps » macroniste, assure qu’il faut « mêler la tradition et l’audace ». Incertitudes budgétaires et politiques La réalité, elle, est incertaine. En avril, dans le cadre d’une baisse de crédits de 204 millions d’euros pour le ministère de la culture, la Comédie-Française s’est vue amputée d’une enveloppe de 5 millions d’euros, le budget de 24,6 millions d’euros devant être conservé pour l’année 2025. D’autres institutions parisiennes (l’Opéra, le Louvre, les théâtres nationaux de Chaillot et de la Colline, entre autres) ont également été affectées. Eric Ruf connaît « les coups de bambou des décisions budgétaires ». « La très grande déception » de ses mandats, comme il dit lui-même, aura été l’échec de la Cité du théâtre, ambitieuse opération lancée par François Hollande en 2016, visant à réunir sur le site des Ateliers Berthier (Paris 17e), le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, de nouveaux espaces pour le Théâtre national de l’Odéon (déjà présent dans les lieux) et une nouvelle salle pour la Comédie-Française. Le budget ayant explosé et les pouvoirs publics étant terrifiés par des accusations de parisianisme, le projet a été abandonné à l’automne 2023. « Je ne peux que souhaiter au Français d’avoir, enfin, cette nouvelle salle tant attendue. » En deux mandats, Eric Ruf aura vécu deux élections présidentielles, au cours desquelles Marine Le Pen a, à chaque fois, accédé au second tour. Lui-même a, à plusieurs reprises, évoqué la figure de son père, cardiologue à Belfort, homme de haute culture et adhérent du Front national (aujourd’hui Rassemblement national). En mai 2017, dans l’entre-deux-tours, il écrit dans Le Figaro une tribune où il raconte, « pour l’avoir vécu (intimement), ce que donneraient des générations nourries au lait empoisonné du Front national ». Il confie alors : « Mon père était un homme peu aimable, je l’ai aimé, je suis son fils, mais il m’a malheureusement légué une grande part de ses angoisses et de son incapacité au monde. (…) Mon métier, le théâtre, m’a sauvé. » En 2027, son successeur verra-t-il sa tutelle passer à l’extrême droite ? Place Colette, l’angoisse est la même que dans les autres institutions patrimoniales (Le Louvre, l’Opéra…), où l’on craint l’ingérence d’un pouvoir qui les instrumentaliserait et en ferait les modèles d’une culture française étroite et cocardière. Richelieu dans « Les Trois Mousquetaires » La dernière du Soulier de satin aura lieu le 13 avril. Quelques mois plus tard, Eric Ruf quittera Molière et son bureau. Il assure ne pas savoir ce qu’il va faire. Diriger un autre théâtre ? « Aucun ne vaut la Comédie-Française. » Il ne balaie pas l’idée de prendre la tête d’une école, d’une maison d’art lyrique. Devenu sociétaire honoraire au Français, titre prestigieux, il aimerait continuer d’y jouer et d’y faire des scénographies. Il voudrait faire plus de cinéma : l’exposition que lui a apportée son rôle du cardinal de Richelieu dans les deux volets des Trois Mousquetaires (2023), de Martin Bourboulon, n’est pas pour lui déplaire. Sur un mur qui jouxte le bureau de l’administrateur général, une plaque de marbre porte le nom de tous ceux qui ont dirigé la troupe, de Molière à Muriel Mayette-Holtz, Antoine Vitez inclus. Il n’y a plus de place pour aucun nom. Un panneau sera alors installé sur le mur d’en face, avec celui d’Eric Ruf inscrit en lettres dorées. Il sera en bois. « Le marbre, ça fait monument aux morts. Là, c’est une page qui se tourne et une autre qui s’ouvre. » Pour lui comme pour la troupe. Clément Ghys / Le Monde Légende photo : Eric Ruf Photo © BENJAMIN MALAPRIS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 29, 2024 5:31 AM
|
Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 29 nov. 2024 Le plasticien et metteur en scène, dont la performance « Transfiguration » a fasciné le public du monde entier, à l’exception de la France, sera exceptionnellement à l’affiche du Samovar, à Bagnolet, le 2 décembre.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/29/avec-transfiguration-olivier-de-sagazan-defigure-des-visages_6419695_3246.html
Comment est-ce possible ? Shanghaï en Chine, Belo Horizonte au Brésil, Glasgow en Ecosse, Winnipeg au Canada… La liste des villes visitées par le plasticien et metteur en scène Olivier de Sagazan avec sa performance Transfiguration, créée en 1998, fait le tour du monde. Et plutôt deux fois qu’une. La vidéo sur YouTube de cette sidérante métamorphose mi-chair, mi-boue d’un homme en costard atteint 6,5 millions de vues. Curieusement, un pays semble résister à la fascination : le sien. Très peu de dates en France et une majorité dans des lieux confidentiels, dont le Silencio, à Paris, sur une invitation de David Lynch, et aucune reconnaissance institutionnelle pour cet artiste au geste sauvage. « Sur plus de 400 représentations, il y en a eu à peine une dizaine chez nous, précise Sagazan. Je pense que mon travail échappe au texte et au théâtre chers à la culture française, ainsi qu’au rationalisme à la Descartes qui est le nôtre. L’union du corps et de l’âme dans lequel je crois trouble beaucoup. » Questionner le visage Incroyable mais vrai, une soirée pointe son nez avant la fin de l’année. Lundi 2 décembre, Olivier de Sagazan sera à l’affiche du Samovar, un lieu modeste de quelque 120 places, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). « Il appartient au réseau FLAG, Festival et lieux des arts du geste, qui réunit des programmateurs qui me soutiennent, dont le Théâtre de Châtillon, indique-t-il. Heureusement, je donne de nombreux ateliers à des jeunes. Le paradoxe est qu’on parle souvent de mon travail sans savoir qu’on parle de moi. » Il cite différentes personnalités avec lesquelles il a collaboré, dont Mylène Farmer, le cinéaste Ron Fricke, le styliste Gareth Pugh ou le chorégraphe Wim Vandekeybus. En mode plus doux, il joue auprès du comédien David Wahl, qu’il enveloppe de 50 kilogrammes d’argile et de fleurs dans Nos cœurs en terre. « C’est toujours intéressant pour moi de voir comment Transfiguration se métamorphose au contact d’un texte, de la danse, de la mode, glisse-t-il. Même si c’est en quelque sorte une adaptation de la performance originale. » Vivre et revivre le choc de Transfiguration, sous-titré De la sainte-face à la tête-viande, n’altère pas son impact féroce. La première fois explose sans prévenir pendant le spectacle pour six interprètes intitulé La Messe de l’âne, présenté à la Biennale de la danse de Venise, en 2021. Pas loin d’un film d’horreur ou de science-fiction, mais sans effets spéciaux, cette fable déplie une guirlande de créatures et de monstres dont les museaux de glaise malaxés en direct se font et se défont d’un revers de main. « C’est ce que Beckett appelle l’innommable », souligne Sagazan, également lecteur passionné de Merleau-Ponty, Artaud, Kafka et Renaud Barbaras. Avec seulement de l’argile blanche, de la peinture noire et rouge « comme nos ancêtres dans les grottes », Olivier de Sagazan convoque la forme et l’informe. Il questionne le visage, ce masque, y pénètre, en fouille les orbites, le défigure. Il débusque la bête dans l’homme et inversement, s’amuse en joker balafré ou revisite Eraserhead, de David Lynch. « Je travaille à l’aveugle, décrit-il. Je disparais et me déconnecte du réel dans un état de transe jouissif. Je ne suis plus que dans le toucher, à la fois marionnette et marionnettiste, et je ne sais plus qui transforme qui. Le mouvement alors m’envahit. » Peinture, sculpture et danse ne font plus qu’un « dans ce bain originel, cette relation amoureuse avec l’argile ». Le philosophe Michel Surya nomme « humanimalité » cette performance durant laquelle Olivier de Sagazan devient sa propre œuvre d’art qui semble défier l’idée même de création, de magma. « Il y a cette fascination d’être au monde et de vouloir comprendre d’où vient le vivant apparu il y a quatre milliards d’années, explique Sagazan. C’est terrifiant comment on fait tous comme si de rien n’était, alors qu’on est apparu sur terre sans avoir la moindre explication. » D’où l’objectif de « rendre compte de l’étrangeté même d’être là en réveillant à travers des images fortes et inquiétantes la prise de conscience d’être en vie ». Transfiguration relie les différentes périodes d’Olivier de Sagazan. D’abord biologiste, il enseigne cette matière durant deux ans, de 1984 à 1986, au Cameroun. Juste avant de partir, il tombe sous le choc d’œuvres de Rembrandt. « Je suis resté des heures à contempler les visages qui possèdent une humanité incroyable, se souvient-il. Il y a une douceur et une bonté fantastiques dans leurs traits, tandis que la touche de Rembrandt est épaisse, avec beaucoup de matière et donne l’apparence de la chair véritable. » « Du Bacon en action » De retour d’Afrique, Olivier de Sagazan décide de devenir peintre. « Je devais être instituteur comme ma femme, Gaëlle, qui m’a encouragé à faire ce que je désirais. » C’est un constat d’impuissance devant une de ses sculptures qui le fait chavirer. En juin 1998, dans son atelier à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), il se désespère devant une figure « d’un mutisme terrible ». Il entreprend de se couvrir lui-même d’argile. Il se filme, puis prend sa douche sans regarder le résultat. Jusqu’au jour où l’une de ses cinq filles, Yoko – il est le père de la chanteuse Zaho de Sagazan et de la chorégraphe Leïla Ka –, lui dit qu’elle a vu « un truc bizarre sur la caméra vidéo ». Il jette un œil. « J’ai cru voir du Bacon en action. » Le rapprochement avec le plasticien irlandais, une autre de ses références, claque immédiatement. La sensation d’assister à l’arrachement à soi d’un personnage de Bacon dont le visage est trituré par ses multiples identités est de fait stupéfiante. « Certaines peintures de Bacon m’ont marqué à jamais car elles sont selon moi les représentations les plus efficaces et incroyables de cette tension entre le réel objectif et notre sentiment de solitude intérieure », confie-t-il. Si l’ensevelissement et la disparition ne font pas peur à Olivier de Sagazan, il a tout de même eu un gros frisson lors d’une répétition en août de sa nouvelle pièce, Y a quelqu’un ?. Il s’y enterre sous une tonne d’argile. « Je creuse un trou et je me glisse dedans », raconte-t-il. Sauf que la masse s’est effondrée et a failli l’étouffer. « Heureusement, j’avais gardé la tête à l’extérieur. » De ce glissement de terrain de 200 kilogrammes, il émerge au bout d’une dizaine de minutes. Plus de peur que de mal. L’Homme de boue, comme il se présente dans le film qui lui est consacré réalisé par Alexandre Degardin, veut bien l’être, mais en restant debout. Transfiguration, d’Olivier de Sagazan, le 2 décembre, au Samovar, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ; L’Homme de boue, d’Alexandre Degardin (Fr., 2024, 51 min), diffusé en replay sur France.tv ; Exposition Olivier de Sagazan, jusqu’au 28 février, au Salon Tout-Art, Paris 14e ; « Transfiguration », du 28 janvier au 1er février, au Théâtre et Centre culturel de Namur (Belgique) et exposition « De la sainte-face à la tête-viande », du 16 janvier au 22 février. Rosita Boisseau / Le Monde
|