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Philippe Torreton : « Je ne savais pas qu’un tel mépris envers le monde culturel et associatif pouvait s’assumer avec cet aplomb »

Philippe Torreton : « Je ne savais pas qu’un tel mépris envers le monde culturel et associatif pouvait s’assumer avec cet aplomb » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune de Philippe Torreton publiée dans Le Monde - 15 déc. 2024

 

 

Le comédien réagit, dans une tribune au « Monde », à l’annonce faite par la présidente du conseil régional des Pays de la Loire, Christelle Morançais, de sa volonté d’économiser 82 millions d’euros dans le budget 2025 de la région, et 100 millions à l’horizon 2028, en amputant notamment le financement de la culture.

 

Lire l'article sur le site du Monde : 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/15/philippe-torreton-je-ne-savais-pas-qu-un-tel-mepris-envers-le-monde-culturel-et-associatif-pouvait-s-assumer-avec-cet-aplomb_6449908_3232.html

C’est sans fin. Il faut encore et encore répéter à des élus régionaux et nationaux l’importance et la nécessité de notre tissu culturel et associatif, les emplois qu’il crée, l’activité économique qu’il génère. Justifier, se justifier, nous justifier…

 

Raconter encore et encore notre histoire commune, et je dirais même l’histoire de l’humanité, car, depuis l’aube humaine, nous avons toujours eu à cœur de protéger les artistes afin qu’ils nous peignent, écrivent, chantent, dansent, jouent et rejouent le monde tel qu’il est, tel qu’il pourrait être ou encore tel qu’il a été.

 

 
 
 

Ce que les Néandertaliens et leurs cousins avaient compris, Christelle Morançais, la présidente du conseil régional des Pays de la Loire, membre du parti Horizons d’Edouard Philippe, ne le comprend visiblement pas ou, pire, feint de ne pas le comprendre.

 

Cette personne insinue en un élan populiste que ne bouderait pas Donald Trump que le monde de la culture ne serait qu’une niche de gens gâtés qu’il serait grand temps de confronter au réel, afin, dixit, qu’ils se réinventent.

 

 

 

Alors que le précédent gouvernement lui a suggéré une économie de 40 millions d’euros et, le doigt sur la couture du pantalon, elle répond qu’elle poussera jusqu’à 82 millions dès 2025 et 100 à l’horizon 2028. Oui, 100 millions d’euros ! C’est-à-dire une amputation à vif de 73 % du budget de la région consacré à la culture, de 75 % de celui réservé au sport et de 90 % de celui à l’égalité femmes-hommes.

Pour le bien commun

Chère Madame, la culture est un secteur économiquement porteur pour un territoire, mais, et je reconnais que cela est compliqué pour vous, l’écosystème culturel n’affiche pas ses résultats et ses perspectives économiques, tout cela est imbriqué et dilué dans l’activité du pays et, pour s’en rendre compte, il faut, il est vrai, travailler un minimum le sujet. Nous n’avons pas de CAC 40, ni de grands patrons proches du pouvoir, pas de sommets internationaux sécurisés, pas de jets privés, ni de chaîne de télévision aux ordres… Mais je peux vous assurer pourtant que ça travaille, et ça travaille dur pour le bien commun.

 

 

 
 

Et si l’on doit parler de « réinvention », c’est plutôt à vous et à vos amis politiques qu’il reviendrait de faire cet effort et ce de toute urgence. Le monde s’écroule par pans entiers et rien de sérieux ne sort de vos programmes et de vos réunions, votre système de pensée semble être figé dans l’ambre jaune d’un capitalisme préhistorique.

 

 

 

Je ne savais pas qu’en 2024 une telle opinion, un tel mépris envers le monde culturel et associatif pouvait, non seulement se concevoir, mais également s’assumer avec cet aplomb que doit certainement autoriser l’ignorance débridée. Nous connaissons maintenant le projet culturel du candidat à l’élection présidentielle Edouard Philippe, son silence est éloquent et vaut approbation.

 

 

Philippe Torreton (Comédien)

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Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre

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Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

Peut être utile au lycée

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Printemps des comédiens : Jean Varela victime d’une décision aberrante

Printemps des comédiens : Jean Varela victime d’une décision aberrante | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 13 déc. 2025

 

Personne, à Montpellier et bien au-delà ne peut comprendre l’éviction de l’artiste et programmateur qui a su, en quelques années, donner au Printemps des comédiens, un rayonnement remarquable. Les tutelles ont prétendu qu’il y avait des soucis financiers. L’association qui porte le festival depuis quarante ans, réplique, chiffres à l’appui.

 

L’association Printemps des Comédiens qui, pendant près de quarante ans, a porté le festival du même nom, tient à rendre publiques les conclusions des experts-comptables et commissaires aux comptes qui procèdent actuellement à sa liquidation suite à la décision de sa dissolution. Elle espère ainsi mettre fin aux spéculations qui entourent sa disparition programmée et ont donné lieu à des déclarations erronées jusqu’en conseil de Métropole.

 


Bien loin d’être en déficit, l’association achève son existence avec le bilan suivant :

  • Comptes positifs avec un excédent de 183 000 euros.
  • Solde reversé à l’Établissement Public de Coopération Culturelle du Domaine d’O (EPCC) désormais en charge de la Cité européenne du théâtre : 60 000 euros.
  • Cession à titre gracieux d’un matériel scénique évalué à 320 000 euros.
  • Cession à titre gracieux de la marque Printemps des Comédiens et d’un fichier de billetterie de 30 000 noms.
  • Revenus générés par la reprise régulière à l’international de Bérénice avec Isabelle Huppert. Ce spectacle a été créé à Montpellier sous l’égide de l’association Printemps des Comédiens.
    Forte de ce bilan, l’association, en cours de dissolution conformément à la décision de la Métropole qui a souhaité rassembler sous la bannière d’un nouvel établissement la plupart des activités culturelles du Domaine d’O, ne peut qu’exprimer son désaccord à l’annonce du départ forcé de son directeur artistique Jean Varela. En quinze ans, il a fait du Printemps des Comédiens, avec le soutien de l’État, des collectivités locales et de la fidélité constante du public, le deuxième festival de théâtre en France après Avignon.
  • Revenus générés par la reprise régulière à l’international de Bérénice avec Isabelle Huppert. Ce spectacle a été créé à Montpellier sous l’égide de l’association Printemps des Comédiens.
    Forte de ce bilan, l’association, en cours de dissolution conformément à la décision de la Métropole qui a souhaité rassembler sous la bannière d’un nouvel établissement la plupart des activités culturelles du Domaine d’O, ne peut qu’exprimer son désaccord à l’annonce du départ forcé de son directeur artistique Jean Varela. En quinze ans, il a fait du Printemps des Comédiens, avec le soutien de l’État, des collectivités locales et de la fidélité constante du public, le deuxième festival de théâtre en France après Avignon.
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December 18, 3:23 PM
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Michel Didym mis en examen pour « viol »

Michel Didym mis en examen pour « viol » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Sceneweb le 18 déc. 2025

 

Le metteur en scène et ancien directeur du Centre dramatique national La Manufacture à Nancy, Michel Didym a été mis en examen pour « viol » suite à une plainte déposée en 2020, nous a confirmé l’avocate de l’une des victimes.

 

Fin septembre 2020, une enquête préliminaire pour violences sexuelles avait été ouverte visant le metteur en scène. Celui-ci avait été laissé libre à l’issue de sa garde à vue.

 

Dans une enquête publiée en octobre 2021 par Libération, plusieurs femmes  affirmaient avoir subi du harcèlement et des violences sexuelles de la part du metteur. Le témoignage d’Alice, accusant le metteur en scène nancéien de l’avoir violée en 2012 quand elle était une élève comédienne de 20 ans, avait ouvert la voie à plusieurs autres témoignages de violences sexuelles subies dans le milieu du théâtre et au mouvement #MeTooThéâtre sur les réseaux sociaux.

 

En novembre 2021, Michel Didym avait quitté la direction du festival de théâtre contemporain La Mousson d’été, dont il était le fondateur.

 

En 2021, les révélations autour de Michel Didym avaient constitué un élément déclencheur du mouvement #MeTooThéâtre.

 

 

18 DÉCEMBRE 2025  - PAR L'ÉQUIPE DE SCENEWEB

 

photo Eric Didym

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December 18, 3:03 PM
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Françoise Brion, l’un des visages de la Nouvelle Vague, est décédée

Françoise Brion, l’un des visages de la Nouvelle Vague, est décédée | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Télérama, avec AFP -  Publié le 17 décembre 2025

 

Avec une quarantaine de films à son actif des années 1950 aux années 1980, l’actrice était habituée aux rôles de séductrices ou de femmes fatales, dont elle a su se moquer. Elle est morte le 12 décembre à l’âge de 92 ans.

 

Lactrice Françoise Brion, qui fut en vogue au cinéma à l’époque de la Nouvelle Vague, est décédée à Paris vendredi 12 décembre à l’âge de 92 ans, ont annoncé mardi ses enfants Diane et Simon Doniol-Valcroze à l’AFP. De son vrai nom Françoise German de Ribon, celle qui a tourné pour plusieurs réalisateurs de premier plan sans jamais accéder au rang de vedette était née le 29 janvier 1933 à Paris.

 

Au Conservatoire d’art dramatique de Paris où elle étudie dans sa jeunesse, l’un de ses copains, Jean-Paul Belmondo, lui conseille de changer de nom. « Laisse tomber le “de”, ça fait aristocrate », lui dit-il alors, selon son récit. Elle devient Brion, l’anagramme de Ribon.

L’actrice débute au cinéma à la fin des années 1950 dans Nathalie de Christian-Jaque, Katia de Robert Siodmak ou Un témoin dans la ville d’Edouard Molinaro. Avant de devenir son deuxième mari, le comédien et réalisateur Jacques Doniol-Valcroze lui propose de jouer dans son premier long métrage, L’Eau à la bouche, sorti en 1960, qui lance sa carrière et contribue à faire connaître la Nouvelle Vague. Jacques Doniol-Valcroze a été un des fondateurs de la célèbre revue Les Cahiers du cinéma, où ont écrit tous les grands de la Nouvelle Vague, comme Truffaut, Godard ou Chabrol.

Elle s’épanouit sur les planches

Françoise Brion, qui avait d’abord épousé l’acteur Paul Guers, tournera au total dans une quarantaine de films jusqu’au milieu des années 1980. Elle connaît avec L’Immortelle, d’Alain Robbe-Grillet (prix Louis-Delluc 1963), l’un de ses plus beaux rôles, celui d’une étrangère courtisée par un homme à travers les rues d’Istanbul.

Légende photo : Dans « L’Immortelle » (1963), d’Alain Robbe-Grillet, Françoise Brion connaît l’un de ses plus beaux rôles. Cocinor/Collection Christophe.L

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December 18, 1:27 PM
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«Boule de Neige», «Pinocchio créature», «Santa Park»… Les spectacles jeunesse à voir cet hiver –

«Boule de Neige», «Pinocchio créature», «Santa Park»… Les spectacles jeunesse à voir cet hiver – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nina Lacour, Sonya Faure, Gilles Renault, Anne Diatkine, Victor Inisan dans Libération     -    Publié le 14/12/2025 

 
 

Un thriller collégien, une comédie musicale à l’américaine, un spectacle d’horreur pour enfants, une boîte à musique ou un cirque pop… les jeunes ont de la chance, il y en aura pour tous les genres.

 
 
 

Votre enfant a étudié Tartuffe en 6e, les Femmes savantes en 5e, puis le Médecin malgré lui et le Malade imaginaire avant d’attaquer l’Avare en seconde ? C’est bien. Il est prêt pour passer l’oral du bac sur Dom Juan. Mais il est temps pour lui de découvrir que le théâtre c’est aussi un polar au collège, un parc d’attractions abandonné ou un match de catch, que même la Comédie-Française, la maison de Molière, fait dans Pinocchio. Et qu’on peut penser très loin avec du cirque et de la danse. Baptiste Amann, Phia Ménard, Ambre Kahan… Cette année encore, on retrouve pas mal de grands parmi les spectacles pour plus petits, profitons-en.

 

 

 

«Boule de Neige» de Baptiste Amann et Odile Grosset-Grange

«Boule de Neige», thriller haletant de Baptiste Amann mis en scène par Odile Grosset-Grange. (Christophe Raynaud de Lage)

Un mystérieux «incident» secoue un petit collège jusqu’alors très paisible. Parti de presque rien, il a pris une ampleur démesurée. Voilà l’effet boule de neige. Cette pièce écrite sur mesure par Baptiste Amann, tout juste auréolé du grand prix de littérature dramatique, est un thriller haletant pour jeunes âmes. Le dramaturge invite à remonter le fil de l’histoire en trois temps selon les points de vue de ceux – professeurs, parents et adolescents – que la catastrophe a fait frémir. La mise en scène, simple et dynamique, transforme un salon en réfectoire en un clin d’œil et une enseignante un peu baba cool en directrice sourcilleuse. Une dizaine de personnages se succèdent ainsi au plateau. Et pour les incarner, trois comédiens seulement, qui, s’ils n’hésitent pas à grossir les traits de ceux qu’ils jouent, regorgent d’inventivité. En particulier pour le dernier acte, où leur jeu convoque très bien l’esprit de collégiens aussi effrontés que dangereusement influençables. Boule de neige retrace un itinéraire, de la boulette au drame, dans une joyeuse dramaturgie qui invite, à l’inverse, à dédramatiser.

 

A la Maison du Théâtre de Brest le 19 décembre, puis à la Comédie de Béthune (CDN Hauts-de-France) du 21 au 30 janvier. Dès 10 ans.

 

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«Pinocchio créature» de Sophie Bricaire

Pinocchio au théâtre ? Ubuesque, du moins sur le papier : les lieux (au hasard, le ventre d’un monstre marin) et les personnages de l’histoire sont trop abracadabrants. Sans compter les métamorphoses de Pinocchio – successivement bûche à brûler, pantin en bois, âne de cirque et petit garçon. Or à la Comédie-Française, la metteuse en scène Sophie Bricaire évacue avec beaucoup de malice la profusion visuelle du conte de Collodi : ici, une dizaine d’accessoires (têtes d’animaux, ballons à confettis, pièces d’or géantes), pour bonne partie suspendus, suffisent à cinq interprètes pour dérouler toutes les péripéties. Et nul besoin de s’embarrasser d’une marionnette pour Pinocchio : une comédienne, vêtue couleur bois, a une grosse clef plantée dans le dos. Mais alors, si Pinocchio ment ? Elle se cache le nez, c’est tout : l’imagination fera le reste. L’épure sied à merveille à ce Pinocchio créature, qui dépouille même la fable de ses relents conservateurs : pour Bricaire, Pinocchio a beau être changé en âne après avoir séché l’école, rien ne le rend plus humain que la transgression.

 
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris. Jusqu’au 4 janvier. A partir de 8 ans.

 

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«Un Poyo Rojo» d’Hermes Gaido

 

Créé en 2008 à Buenos Aires, Un Poyo Rojo reste un best-seller. Pour preuve, cette nouvelle escale parisienne avec toujours les deux mêmes acolytes sur scène, les Argentins Alfonso Barón et Luciano Rosso, qui reviennent se toiser, s’empoigner et s’étreindre, une heure intense durant. Réjouissante pochade gay friendly, mise en scène par Hermes Gaido, «le Coq rouge» s’installe dans le vestiaire d’une salle de sport que le tandem met sens dessus dessous, entre théâtre (sans parole), danse et acrobatie. Une performance survitaminée qui actualise la tradition du splastick, en passant au shaker les archétypes virilistes d’une masculinité aimablement tournée en dérision.

A la Pépinière Théâtre, 75002, jusqu’au 29 décembre. A partir de 8 ans.

 

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«Nocturne (Parade)» de Phia Ménard

Redonner vie et souffle, retrouver l’enfance, c’est le sujet du merveilleux Nocturne (Parade), de Phia Ménard, où, sur une minuscule scène circulaire, et avec des bruits de galop, un enfant, puis plusieurs dansent avec le vent, tandis qu’un cheval, mû par la même bourrasque, se gonfle, ils s’envolent, ils dansent, ils tombent, ils se relèvent. Lorsque l’adulte Phia Ménard apparaît sur scène, on ne peut s’empêcher d’y croire, elle aussi va braver la pesanteur. Inspiré du Roi des Aulnes, en écho avec un précédent spectacle iconique de l’artiste, l’Après-midi d’un foehnNocturne (Parade) est magique, réussissant la ­prouesse de nous faire très vite renoncer à essayer de comprendre comment des personnages qui ne sont ni touchés ni manipulés s’éloignent dans les airs. Sans oublier les cauchemars qui, eux, font le chemin inverse et s’enterrent sous le plateau.

Grande tournée au Quai, CDN Angers Pays-de-la-Loire du 18 au 20 décembre ; Scène nationale du Sud-Aquitain, Saint-Jean-de-Luz du 22 au 24 janvier ; Théâtre national de Bordeaux Aquitaine du 27 au 31 janvier ; puis Lille, Rouen, Bobigny, Le Mans… A partir de 8 ans.

 

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Pomme chante au «Petit Cirque» de Marie et Yoann Bourgeois

 

Une corde tirée très délicatement actionne le plateau tournant. Les quatre instruments démarrent et voilà aussitôt la boîte à musique du petit cabaret lancée. Les mélodies délicates de Pomme résonnent dans la nuit, où la chanteuse, habillée en matelote dentelée, fait office de maîtresse de cérémonie. Une danseuse sort d’une chrysalide et convoque immédiatement le printemps. Louange aux oiseaux ; les corps virevoltent et la scène se comporte en véritable girouette, signe que l’horloge de la nature avance. Le spectacle, tout comme l’album de l’interprète lyonnaise, exprime avec douceur et malice la fatalité du temps qui passe. Tout bouge chez les êtres vivants. Leurs joyeuses métamorphoses sont évoquées par une scénographie très suggestive, réalisée à la vue des spectateurs. Des pétales immergés dans l’eau et projetés sur un rideau clament l’évidente beauté du règne végétal. La couleur bleue, celle de la peur, mais aussi du froid, gagne peu à peu le plateau. Des pas dans la neige crissent. Et même si le trucage est visible, l’hiver est arrivé.

Au Théâtre des Bouffes du Nord (75018) du 26 décembre au 4 janvier. A partir de 6 ans,

 

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«Santa Park» d’Ambre Kahan

Avec «Santa Park», Ambre Kahan promène une bande d'enfants dans un parc d'attractions abandonné. Frissons et humour au programme. 

On nous dit «spectacle d’horreur pour enfant», et déjà, notre sang se glace plus sûrement encore que si on nous parlait d’un film d’horreur pour les grands. «On marche sur un fil : il faut que notre pièce leur donne vraiment des frissons, mais pas qu’ils en fassent des cauchemars pendant huit jours», confiait, quelques jours avant sa création aux Célestins de Lyon, la metteuse en scène Ambre Kahan, à qui on doit une adaptation très remarquée de l’Art de la joie de Goliarda Sapienza. Pour les frissons : un parc d’attractions abandonné, une tempête, un gardien entre la vie et la mort, une étrange créature au pelage blanc et deux enfants qui vont devoir faire avec la peur (sans compter des phrases tirées de Deleuze et de Beckett : là, c’est l’angoisse assurée). Et pour éviter les cauchemars : de l’humour, des effets spéciaux artisanaux et un subtil art du décalage, promet Ambre Kahan.

Aux Célestins de Lyon du 16 au 27 décembre ; à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy du 9 au 10 janvier ; à la Comédie de Valence du 21 au 23 janvier ; au Théâtre de Nîmes le 28 janvier ; au Théâtre de la Cité à Toulouse du 4 au 6 février ; au Théâtre de la ville à Paris du 12 au 15 mars. Interdit aux mauviettes de moins de 8 ans.

 

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«Slam !» de Flip Fabrique

«Slam !» de Flip Fabrique revisite l'univers du catch. 

Compagnie fondée en 2011 au Québec, Flip Fabrique est devenue dès ses débuts une habituée du circuit international. Ainsi retrouve-t-on à Paris la troupe, constituée cette fois de huit interprètes, avec, en renfort, le metteur en scène multitâche (théâtre, opéra, cinéma) Robert Lepage. Exempte de sous-texte, l’idée du jour consiste à revisiter l’univers du catch en surlignant la dimension entertainment de la discipline, avec un public auquel on distribue des sifflets afin de doper l’ambiance – du coup, un chouia assommante. Renforcée par une bande-son amplifiée et un grand écran, l’action se déroule principalement sur un ring, où une succession de «combats» permet de vérifier la frontière poreuse entre le cirque et la lutte, poncifs compris, «Slam !» gagnant en intérêt quand, entre contorsion et diabolo, les acrobates tombent le masque.

A l’Espace chapiteau de la Villette (75019) jusqu’au 31 décembre. A partir de 8 ans.

 

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«I Love You Two» du Circus I love you

«I Love You Two» du Circus I love you, une heure de jubilation visuelle. 

Planté à Antony, le chapiteau rose et jaune annonce la couleur. Celle d’une compagnie de cirque à l’esthétique pop, un poil kitsch, prompt à moucher la monotonie hivernale à l’aide de strass, paillettes et trompettes. Au-dessus de la piste, ils sont huit à faire vibrer divers instruments. Six d’entre eux sont aussi acrobates, trapézistes ou funambules. A les observer, porter sa contrebasse d’un doigt est un jeu d’enfant et pédaler sur une corde suspendue au-dessus du vide relève de la promenade de santé. Chaque prouesse, défiant un peu plus les lois de la gravité, est orchestrée par un duo d’interprètes, dont les corps complices évoquent la puissance de l’amitié ou de l’amour. Se porter, se supporter… les circassiens s’emparent littéralement de ces expressions pour livrer une petite heure de jubilation visuelle. Et si ce show donne parfois les mains moites d’appréhension, il réchauffe un peu les cœurs en donnant la certitude que, grâce à l’affection, rien – si ce n’est les corps – ne vacille.

Aux Points communs (Nouvelle Scène Nationale du Val d’Oise) de Cergy-Pontoise jusqu’au 24 décembre, puis en tournée à partir de mars. Dès 5 ans.

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Et aussi

Les 25 ans de «Millésime»

Symbolisant l’évolution du cirque moderne, Phénix, entreprise française cotée à l’export, oublie les animaux des débuts pour célébrer son quart de siècle d’existence entre jonglage, roue Cyr et acrobaties, qu’entraîne vers les sommets une distribution internationale.

Au Cirque Phénix, pelouse de Reuilly à Paris (75012). A partir de 6 ans.

 

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«Fusées» de Jeanne Candel

Dans ce spectacle pour tous les âges, deux cosmonautes sont en roue libre dans la stratosphère. Les comédiens jouent l’apesanteur en se déhanchant le cul sur un tabouret comme on le faisait quand on était petits, reliés à leur fusée par des tuyaux d’aspirateur. Fusées de Jeanne Candel est un hommage au théâtre de toute beauté.

Aux Célestins de Lyon du 17 au 21 décembre ; au Théâtre de Vanves les 8 et 9 janvier ; à la Comédie de Colmar du 13 au 16 janvier ; à La Comédie de Clermont-Ferrand les 19 et 20 janvier ; au Théâtre national de Nice du 22 au 24 janvier.

 

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«Suzanne : une histoire du cirque» d’Anna Tauber et Fragan Gehlker

Sensible et maîtrisé, le spectacle d’Anna Tauber et Fragan Gehlker redonne vie à une voltigeuse oubliée, entre souvenirs et transmission.

Aux Célestins de Lyon du 17 au 20 décembre ; au CentQuatre à Paris (75019) du 12 au 21 février ; au Théâtre Garonne à Toulouse du 13 au 19 mars…

 

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«Shrek, le musical» de Philippe Hersen

Pop ou funky, l’ogre Shrek, qui a mis beaucoup de beurre dans les épinards de Dreamworks, existe aussi au format comédie musicale. Quittant Broadway pour prendre ses quartiers parisiens, c’est Philippe Hersen, vieux briscard du show (très) grand public, qui est aux manettes.

Aux Folies Bergère à Paris (75009), jusqu’au 17 janvier. A partir de 6 ans.
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December 16, 5:40 PM
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Jean-Paul Rouve, acteur : « Je ne comprends pas que la comédie soit un plaisir honteux pour certaines personnes »  Podcast

Jean-Paul Rouve, acteur : « Je ne comprends pas que la comédie soit un plaisir honteux pour certaines personnes »  Podcast | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Jean-Paul Rouve a le goût, depuis trente ans, d’incarner des personnages très différents. La comédie reste son registre de prédilection et celui qui l’a révélé : les sketches des Robins des Bois, dans « Nulle part ailleurs », émission populaire de Canal + dans les années 1990, puis le premier volet des Tuche, sorti au cinéma en 2011. Mais il s’est aussi montré marquant dans des rôles plus dramatiques, comme en 2023, lorsqu’il interprète un Gabriel Matzneff glaçant, dans Le Consentement (adapté du livre de Vanessa Springora) réalisé par Vanessa Filho. Chaque soir et jusqu’au 1er février, il retourne sur les planches, dans une adaptation pop, moderne et virevoltante du Bourgeois gentilhomme de Molière, signée Jérémie Lippmann, au Théâtre Antoine.

Les œuvres du dramaturge du XVIIe siècle sont un exemple de ce que le comédien appelle le « stade ultime » d’une pièce ou d’un film : des histoires qui transcendent les générations et les classes sociales. « Molière, tous les soirs, quatre cents ans après, ça fait rire. Il est fort, ce mec », s’extasie-t-il. Mi-candide, mi-ahuri, Jean-Paul Rouve fait un formidable Monsieur Jourdain, ce bourgeois qui donnerait tout pour acquérir les codes des gens de qualité. « [Avec Jérémie Lippmann, le metteur en scène], on voulait que ce soit distrayant et accessible. Notre but absolu était de travailler le texte pour qu’il soit le plus parlé possible, pour qu’on comprenne. »

Pour cet épisode du « Goût de M », il nous reçoit chez lui, dans une petite maison sur la butte Montmartre, dans le 18e arrondissement, où il habite depuis une vingtaine d’années. Dans le grand salon, où il reçoit ses amis, il y a une cheminée, une bibliothèque et plusieurs symboles de ses admirations : une photo de Romy Schneider (« Pour moi, c’est l’actrice ultime »), Patrick Deewaere et Miou-Miou, des constructions en Lego en tout genre (« les Lego, c’est des œuvres »), des CD des Beatles…

Il nous raconte le goût de son enfance dans le Nord, à Dunkerque, son père qui travaillait aux chantiers navals et qui a rencontré sa mère au bal, ses mercredis après-midi à regarder la télévision chez sa grand-mère, où il découvre les grands films en noir et blanc, sa fascination pour Jean Gabin, Louise Brooks… Il rêve, très jeune, de devenir acteur. Pour payer son inscription au cours Florent, on lui propose d’en être le gardien pendant sa formation : « Ouvrir le matin, fermer le soir. » Il revient aussi sur la méthode qu’Isabelle Nanty, sa professeure, enseignait aux premières années et qu’il continue d’appliquer : « Vous n’allez pas essayer de jouer le personnage, vous allez juste essayer d’être vrais. »
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Cet épisode a été publié le 12 décembre 2025.

Depuis sept saisons, la journaliste et productrice Géraldine Sarratia interroge la formation et les méandres du goût d’une personnalité. Créateurs, artistes, cuisiniers ou intellectuels, tous convoquent leurs souvenirs d’enfance, tous évoquent la dimension sociale et culturelle de la construction d’un corpus de goûts, d’un ensemble de valeurs.


 

Un podcast produit et présenté par Géraldine Sarratia (Genre idéal), préparé avec l’aide de Diane Lisarelli et de Juliette Savard, avec Emmanuel Beaux au son. _ Publié sur le site du Monde

Musique : Gotan Project

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December 11, 6:30 AM
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« La petite cuisine de Mehdi » d'Amine Adjina : la critique d'une petite perle aux multiples saveurs

« La petite cuisine de Mehdi » d'Amine Adjina : la critique d'une petite perle aux multiples saveurs | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabrice Leclerc dans Paris - Match - 9 déc. 2025

 

Écrivain et metteur en scène de théâtre, Amine Adjina tisse un feel-good movie impeccable et profond sur l’émancipation face aux traditions. Avec Hiam Abbas et Younes Boucif.

 

Le synopsis

Si Mehdi joue le rôle du fils algérien parfait devant sa mère Fatima, il s’adonne à sa passion pour la cuisine française dans un bistrot lyonnais et vit une belle histoire d’amour avec Léa. Dans cet équilibre difficile à tenir entre traditions et modernité, les petits mensonges de Mehdi, sur sa famille ou sa maman commencent à devenir ingérables. Léa, qui en a marre de ses cachotteries familiales, veut rencontrer sa mère. Au pied du mur, Mehdi va trouver la pire des solutions…

La critique de Paris Match (4/5)

La voilà donc la jolie surprise du cinéma français de cette fin d’année qu’on n’avait pas vu venir, si ce n’est un buzz très positif depuis sa présentation dans plusieurs festivals de rentrée, prix du public au Festival de Saint-Jean-de-Luz. Totalement justifié pour le coup tant ce très joli film parle au cœur, porté par la finesse de son écriture et son goût pour le cinéma. Venu qui plus est d’un auteur/metteur en scène de théâtre qui s’est jeté sans filet dans l’aventure du long métrage de cinéma. Et osé sortir des sentiers battus du « drame social » trop facile en regard de son sujet, jouant finement la carte du feel-good movie. Raconter l’immigration, l’intégration, l’assimilation et le poids des traditions sans jamais donner de leçons, voilà le propos de ce joyeux film profond, vaudeville assumé qui croque à pleines dents la figure de la mère et du poids trop lourd de la tradition.

 

Amine Adjina manie l’écriture comme un jeu pour croquer les cultures maghrébines et européennes, quand les non-dits deviennent empiriques. Il porte son film avec soin, s’offre des libertés de cinéma bienvenues (une séquence dans un train, petit modèle de non-convention). Mais surtout, cet acteur et metteur scène a le goût du casting parfait. Et offre une galerie de personnages incroyables, pétris de leurs propres contradictions, où rayonnent Younès Boucif dans le rôle-titre (acteur dans « Drôle » et rappeur à ses heures), l’incontournable Hiam Abbass mais aussi de belles révélations comme Ines Boukhelifa et l’incroyable Malika Zerrouki, actrice non professionnelle, qui irradie dans le rôle de la mère algérienne, pivot involontaire de cette tragi-comédie. Dans la petite cuisine de Mehdi, ça rit, ça pleure, ça ment par amour, ça danse et ça dit plein de choses sans en avoir l’air, dans l’excès et dans la joie. À déguster sans modération.

 
 

La petite cuisine de Mehdi, film

D’Amine Adjina
Avec Younès Boucif, Clara Bretheau, Hiam Abbass

 
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December 2, 5:44 AM
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Au Théâtre des Abbesses, Suzanne de Baecque prolonge le récit autobiographique d’Annie Ernaux jusqu’aux filles nées au XXIᵉ siècle

Au Théâtre des Abbesses, Suzanne de Baecque prolonge le récit autobiographique d’Annie Ernaux jusqu’aux filles nées au XXIᵉ siècle | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 1er déc. 2025

 

Dans « Mémoire de fille », la liberté de feu follet de cette formidable comédienne ne fait pas oublier l’armature pesante de la mise en scène.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/12/01/au-theatre-des-abbesses-suzanne-de-baecque-prolonge-le-recit-autobiographique-d-annie-ernaux-jusqu-aux-filles-nees-au-xxie-siecle_6655546_3246.html

 

Mémoire de fille, version française incarnée au Théâtre des Abbesses, à Paris, par la très vive Suzanne de Baecque, est née dans l’élan d’une précédente version. Allemande, celle-ci, et portée à la scène dès 2022 à la Schaubühne de Berlin par l’actrice Veronika Bachfischer.

 

 

Mémoire de fille est un roman autobiographique d’Annie Ernaux, publié en 2016, dans lequel deux versions de l’écrivaine coexistent qui forment un corps solidaire lorsque Ernaux, soixante ans après les faits racontés, saisit la main d’Annie Duchesne (son nom à 17 ans), pour la hisser à ses côtés et consoler sa peine, reconnaître en elle une victime et, par l’énoncé de ce mot, réparer ses propres blessures.

 
Il est important ce récit de vérité dans lequel une femme parvient à s’extirper de la honte et de la culpabilité en basculant une faute qu’elle croyait sienne de ses épaules à celles de l’amant : un moniteur de colonie de vacances qui, en 1958, impose à Annie encore vierge les modalités, par lui seul décidées, d’un rapport sexuel. Elle pensait alors cette étreinte consentie. Il lui faudra des années pour comprendre ce qu’elle a subi. Et s’expliquer les suites : anorexie, arrêt des règles, sentiment d’être une moins que rien, tête basse devant ce « putain » dont la gratifie, à l’époque, la bêtise crasse de ses camarades.

Un accordéon de paravents

Suzanne de Baecque n’a rien vécu de tel. Quoique. C’est mal à l’aise qu’au petit matin de l’été 2016, elle s’enfuit d’une toile de tente où un garçon vient de la déflorer. Souvenir troublé de sa culotte tachée de sang. Elle voulait perdre sa virginité, c’est vrai. Mission accomplie mais à quel prix ? Cette anecdote, elle la raconte en aparté au cours du spectacle, prolongeant le récit d’Annie Ernaux jusqu’aux filles nées au XXIe siècle. Et qui seraient donc, elles aussi, en proie aux confusions : comment, adolescente, rester souveraine dans son désir sans céder aux pressions d’injonctions héritées de traditions patriarcales.

 

 

Lire le portrait (en 2022) : Article réservé à nos abonnés Suzanne de Baecque, 27 ans, « actrice.com »
 

Pliant et dépliant un accordéon de paravents recouverts de miroirs fumés (jeux de reflets obligent), la comédienne tient la représentation à bout de bras. Elle est chez elle sur la scène du théâtre, d’ailleurs, c’est là qu’elle se trouve belle, et qu’elle pourrait, dit-elle, bravache, s’exhiber toute nue. A raison, son émancipation se donne en exemple.

 

La liberté de feu follet de cette formidable actrice ne fait pourtant pas oublier l’armature pesante de la mise en scène. Danse transe, micro amplificateur, plateau saccagé : pas un instant de la représentation qui ne soit escorté de son effet gestuel, de son sous-texte musical ou de son hit visuel. A la longue, cette surabondance d’intentions est contre-productive.

 

 

Mémoire de fille, d’après Annie Ernaux, création de Veronika Bachfischer, Sarah Kohm et Elisa Leroy, production de la Cité européenne du théâtre – Domaine d’O, à Montpellier. Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris 18e. Avec Suzanne de Baecque. Jusqu’au 6 décembre.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 

Légende photo : Suzanne de Baecque dans « Mémoire de fille », d’Annie Ernaux, au Théâtre des Abbesses, à Paris, en novembre 2025. MARIE CLAUZADE

 

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November 20, 6:37 PM
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Steven Cohen, I've come to say goodbye 

Steven Cohen, I've come to say goodbye  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog - 19 nov. 2025

 

La nouvelle performance de Steven Cohen, « People Will People You », serait-elle sa dernière ? Dans un dialogue à nu avec le public, l’artiste sud-africain, maître du travestissement ayant passé quatre décennies à habiller ses plaies en créature sublime, choisit enfin de tomber le masque, ou plutôt, de le craqueler.

 

 

Le plateau est quasi vide à l’exception d’un carré noir tracé au sol qui double l’espace scénique comme une mise en abime, et d’un objet mobilier construit autour d’une paire de chaussures métalliques. Perché sur des escarpins-chandeliers, excessivement hauts, semblant terriblement lourds, corseté dans une robe fluide, création du couturier sud-africain Clive Rundle, ami de longue date de l’artiste, qui cache la rugosité d’un corps marqué par les ans, visage orné d’ailes de papillons et de micro-bijoux divinement agencés, Steven Cohen chemine à pas comptés, aidé de deux sortes de cannes « ferronnées » de dorures, comme un funambule qui aurait troqué ses ailes pour des béquilles. Une heure de silence brisé, d’échanges directs au cours desquels le performeur, artiste associé au Théâtre national de Bretagne (TNB) à Rennes, se livre à une oraison visuelle, poétique, bouleversante, un poème en chair et en plumes où l’identité se dissout dans le regard de l’autre, là où le deuil, personnel ou collectif, se laisse effleurer sans hurler. Cohen installe un dispositif mouvant composé d’un écran, de spots ponctuels, d’objets clinquants, et s’en sert comme d’un pupitre d’observations. Chaque séquence est une fable courte, souvent drôle, parfois grinçante, qui dissèque nos manières de voir et d’être vus. Le ton oscille entre satire de cabaret et confidence cinglante. L’humour, souvent noir, n’évacue jamais la dureté sous-jacente du propos. De ce théâtre qui effeuille pour mieux renaître, on sort écorché certes mais illuminé, avec l’envie de chausser soi-même ces talons monstrueux pour éprouver, comme lui, le poids colossal du monde.

 

Portrait l’artiste en danseuse de cabaret en burn-out

Steven Cohen occupe l’espace avec une économie de gestes trompeuse. S’il peut sembler badin, presque cabotin, tout peut basculer en une phrase, un regard, et tout devient presque douloureux. Sa voix, modulable, passe du monocorde à la déclamation exaltée. Sa gestuelle, héritière du drag et de la performance queer, fait appel à des codes de l’excès pour mieux les retourner. On admire sa capacité à jouer plusieurs strates à la fois – personnage public, alter ego cynique, observateur désemparé – sans que la démonstration ne vire à l’énoncé didactique. Tout s’amorce par cette entrée en scène qui défie l’attente. Steven Cohen, performeur, plasticien et chorégraphe sud-Africain de 63 ans, installé en France depuis plusieurs années, n’arrive pas en conquérant mais en offrande. Juché sur ces chaussures à talons de plusieurs dizaines de centimètres – pour l’instant en forme de candélabres, bientôt en forme de crânes humains recyclés, écho à son « Golgotha » de 2009 –, il avance, robe colorée flottant comme un suaire joyeux, visage tel un tableau vivant de résistance, papillons épinglés sur la peau assortis de bijoux minuscules. Les lumières d’Yvan Labasse sculptent l’ombre sans la noyer, quand la régie vidéo de Baptiste Evrard projette des bribes de mémoire, laissant apparaitre photos d’enfance, et silhouettes de « The Cradle of Humankind » (2011) avec sa « deuxième mère » Nomsa Dhlamini, « gardienne et conteuse de l’histoire de sa vie ». Les accessoires de Vincent Gadras transforment son corps en reliquaire. L’artiste confie que c’est son ultime spectacle sur scène, un geste d’auto-libération à travers lequel il brise le mur du silence. Pour la première fois, Steven Cohen parle, dialogue avec le public, improvise des échanges. « People will people you », titre quasi palindrome qui se renverse comme un sortilège, thématise l’humain en écho. Comment les autres nous habitent, nous travestissent, nous effacent ? L’artiste élabore une réflexion sur la vulnérabilité du corps, la tolérance et l’exclusion, la perte et la honte, le deuil et la culpabilité. De son premier travestissement à six ans, immortalisé en « The Artist as Miss Margate », au suicide de son frère, cet adolescent qui couchait avec son prof et que ses parents ont envoyé chez le psy, qui inspira les crânes-talons de « Golgotha », en passant par la mort d’Elu, son partenaire de vie, qui hanta « Put Your Heart Under Your Feet... and Walk » (2017) avec ses chaussures-cercueils, l’artiste déroule un autoportrait éclatant. Il ne s’agit pas d’une biographie linéaire, plutôt d’un rituel de disparition dans lequel le corps devient un lieu de violence sociale et de renaissance personnelle.

 

Tout au long de cet album de souvenirs, les performances ressurgissent sur l’écran monumental, à l’instar de « Coq/ Cock » (2013) qui prend la forme d’un essai poétique sur la nature phallique du pouvoir. Steven Cohen performe sur le parvis des Droits de l’Homme au Trocadéro, en corset, talons aiguilles et plumes de faisan, un coq vivant attaché à son sexe par un ruban blanc. Il danse face à la Tour Eiffel. La performance dure dix minutes avant que la police n’intervienne pour lui passer les menottes. S’il est relaxé lors du procès pour exhibition sexuelle, il reste marqué au fer rouge. C’est drôle, violent, précis. Le scandale fait le reste. La République rougit encore. En dix minutes, Cohen a fait plus pour la liberté d’expression que cent discours solennels. Et le coq, lui, a chanté plus fort que tous les ministres.

 

La possibilité de la liberté

Steven Cohen, poète flamboyant ayant investi places publiques, galeries et scènes de théâtre, choisit cette fois l’intime. Il est un corps qui se métamorphose en direct, en dialogue avec le public. La chorégraphie minimaliste, presque statique, évoque un rituel chamanique. Le travestissement n’est plus ici provocation mais don de soi, s’apparentant à un acte de résistance contre l’indifférence qui gagne nos sociétés. Cette performance offre un contrepoint radical qui envisage le fait de vieillir non plus comme une chute, mais comme un effeuillage gracieux. L’humour est subtil, à la manière d’une plume qui chatouille pour mieux percer. On sourit de ces talons qui défient la gravité, de ce visage papillonné qui moque la norme, mais d’un sourire qui libère, une catharsis ovidienne revisitée dans laquelle la joie d’être vu surmonte les ombres avec une tendresse transgressive. Pourtant, sous cette jubilation ritualisée, affleure une mélancolie qui ne transige pas. Steven Cohen, hanté par les exclusions de son enfance juive sous l’apartheid, et par les deuils qui ont jalonné son œuvre (frère, partenaire, « mère adoptive »), exorcise plutôt qu’il n’expose. La performance, fragmentée en un flux d’échanges et de silences, risque parfois le vertige. On effleure l’intime sans toujours l’habiter, et le public, embarqué dans ce cercle de vulnérabilité, peut se sentir piégé par l’intensité du regard de l’artiste. Mais la force du performeur, cette fusion entre créature et humain où le costume de Rundle se mue en seconde peau, sauve l’ensemble de la dispersion.

 

Steven Cohen célèbre la performance comme un espace de libération depuis lequel la douleur se dissout dans le regard pour mieux remonter, métamorphosée. Éblouissant maître des transformations, il réussit à faire de la scène un laboratoire dans lequel se mesurent esthétique et éthique. Son spectacle ne propose pas de réponses. Il pose plutôt des questions, tranchantes et nécessaires. Il fait sentir que la visibilité, loin d’être un simple gain, est une lutte qui se paie et qu’il faut apprendre à regarder autrement si l’on veut la remporter sans se perdre. « People Will People You » est une réflexion sur la visibilité. L’artiste rend compte des petites violences ordinaires, prenant soin de dénoncer les violences policières dans un habile trait d’humour, faisant des gardiens de l’ordre des metteurs en scène gratuits de ses performances dans l’espace public, n’oublie pas la situation à Gaza ni au Soudan. Sa présence scénique magnétique est capable de retenir l’attention même dans les instants les plus contemplatifs. L’écriture performative mélange avec justesse sérieux et dérision. Interroger la visibilité et l’appropriation des luttes sans céder à la leçon moralisatrice, se révèle nécessaire. La pièce se veut à la fois miroir et coup de gueule, farce et autodafé. Steven Cohen se livre à un étonnant et bouleversant strip-tease facial dans lequel l’artiste se démaquille à l’aide de larges bandes d’adhésif qui emprisonnent les éléments prélevés. Réunis ensuite comme autant d’empreintes en négatifs, ils composent un véritable tableau intérieur, le souvenir d’une rencontre bouleversante, qui peut même changer une vie, fait assurément grandir. Le sentiment d’avoir été intensément vivant.

 

« PEOPLE WILL PEOPLE YOU » - Chorégraphie, scénographie et costumes STEVEN COHEN Lumières YVAN LABASSE Régie vidéo BAPTISTE EVRARD Confection des robes CLIVE RUNDLE Accessoires VINCENT GADRAS Production, management SAMUEL MATEU Production : Cie Steven Cohen. Coproduction : Théâtre National de Bretagne, Centre Dramatique National (Rennes) ; Festival Euro-scene Leipzig (DE). Spectacle créé le 7 novembre 2025 au Festival Euro-scene Leipzig (DE), vu le 14 novembre 2025 au Théâtre national de Bretagne, dans le cadre du Festival TNB.

 

Du 12 au 15 novembre 2025, au TNB - Théâtre national de Bretagne, Rennes, (dans le cadre du Festival TNB)

Du 12 au 14 mars 2026, aux TJP Strasbourg Grand Est, Strasbourg,

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November 18, 1:27 PM
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Une femme qui chante  : Barbara (par Barbara) avec Marie-Sophie Ferdane

Une femme qui chante  : Barbara (par Barbara) avec Marie-Sophie Ferdane | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog - 18 nov. 2025

 

 

Reprendre la matière d’une chanteuse mythique, en faire un personnage de théâtre tout en préservant l’intimité de sa voix, voilà un pari risqué de la pièce « Barbara (par Barbara) ». Emmanuel Noblet s’empare avec audace de la figure de la dame brune portée avec une justesse déconcertante par Marie-Sophie Ferdane, accompagnée du musicien Olivier Marguerit.

Ni récital nostalgique, ni pièce biographique déguisée en cabaret, « Barbara (par Barbara) » est une réflexion intime sur la parole d’une femme qui, de son vivant, dosait ses mots comme une décoction : un peu de mystère, beaucoup de vérité brute, et une pincée de malice pour repousser les curieux. Ici, sous la direction précise et élégante d’Emmanuel Noblet, Marie-Sophie Ferdane et Olivier Marguerit ne ressuscitent pas la chanteuse. Ils la laissent parler à travers un montage d’interviews et de lettres inédites qui révèle Monique Serf [1] derrière la « longue dame brune ». Le texte oscille entre fragments de chansons, notations biographiques et monologues intimes. Cette écriture fragmentaire est souvent vertueuse. Elle mime la manière dont la mémoire opère. Elle saute, reprend, hésite. Le spectacle touche à l’essence du théâtre : faire entendre l’absent et, dans ce silence chargé, trouver une musique plus vraie que les notes. En 2017, Clémentine Deroudille, commissaire de l’exposition « Barbara [2] » à la Philharmonie de Paris, exhume des archives oubliées : toutes les interviews radiophoniques de l’artiste, conservées par l’Institut national de l’audiovisuel (INA), et une correspondance amoureuse inédite, intime et fiévreuse. Avec Arnaud Cathrine, elle en tire un montage textuel, initialement lu par Marie-Sophie Ferdane à la Maison de la Poésie en 2017[3]. Ce qui n’était qu’une lecture devient, sept ans plus tard, un spectacle complet, mis en scène par Emmanuel Noblet, complice de longue date de la comédienne. La pièce opte pour une scénographie minimaliste, presque ascétique, composée d’une table entourée de micros vintage, comme les vestiges d’un interrogatoire radiophonique, et un double clavier – piano acoustique et électronique – qui attend l’arrivée d’Olivier Marguerit. Pas de rideaux sombres ni de spots dramatiques superflus, Olivier Oudiou signe des lumières délicates qui caressent les visages. Avec ce studio d’enregistrement pour tout décor, la pièce installe le public aux premières loges d’une émission de radio imaginaire dans laquelle Barbara répondrait enfin sans esquive.

 

Une ressemblance invisible

Marie-Sophie Ferdane, actrice caméléon passée par la Comédie-Française et vue chez Arthur Nauzyciel et Pascal Rambert, refuse l’imitation pour embrasser l’appropriation. Elle porte le spectacle sur ses épaules avec une présence souvent bouleversante. « De la longue dame brune, Marie-Sophie Ferdane a l’élégante silhouette mais la ressemblance s’arrête là et c’est bien ce qu’il faut : ne surtout pas chercher à lui ressembler puisque cette chanteuse est incomparable[4] » explique Emmanuel Noblet. « Il n’y aura ni velours ni robe noire, ni plumes ni rond de lumière dans la pénombre, ici l’actrice est blonde dans un espace blanc ». Elle n’est pas Barbara – qui pourrait l’être ? – mais une femme qui vibre à l’unisson de ses peurs, de ses colères, de ses amours voraces. Elle pénètre sur le plateau avec une grâce feutrée, s’empare des micros comme d’une arme amie, et laisse les mots de Barbara émerger : « Je ne suis pas mystérieuse, je suis juste moi ». Le monologue, fluide et polyphonique, tisse interviews des années soixante, dans lesquelles elle raille les journalistes trop pressants, et lettres privées à un amant inconnu, où la passion se mêle à la jalousie acérée. Marie-Sophie Ferdane les fait siens, les infuse de sa propre intensité. Quand elle évoque l’Écluse, ce cabaret minuscule où tout a commencé, sa voix tremble d’une tendresse qui n’est plus seulement citation, mais mémoire vive. Elle parle du métier, des tournées épuisantes, des jeunes gens qui pleurent à ses concerts. Et dans ces aveux, surgit la Barbara iconoclaste, celle qui répond aux questions par d’autres questions, qui défend farouchement sa liberté, qui salue la « fragile et belle jeunesse » tout en la mettant en garde contre les illusions.

 

Olivier Marguerit, musicien et alter ego pianistique, est l’autre pilier de cette architecture fragile. Il n’accompagne pas. Il réinvente. Ses arrangements, subtils et contemporains, tricotent des échos aux compositions malicieuses de Barbara – fugues bachiennes revisitées en boucles électroniques, dissonances jazz qui percent les mélodies familières. On entend des bribes de Ma plus belle histoire d’amour murmurées comme une confidence,  Nantes déconstruite en spoken word [5] sur fond de piano minimaliste, ou Dis, quand reviendras-tu ? suspendue dans un silence que seul un accord isolé vient briser. Marguerit chante parfois, d’une voix claire et androgyne, des extraits dans lesquels Barbara se livre sur ses amours contrariés. Le spectacle se fait alors, non pas concert, mais conversation musicale. Le piano dialogue avec la parole, comme si Barbara elle-même, depuis l’au-delà, corrigeait les partitions de sa vie.

 

Cerner les vertus et les ombres

La structure du spectacle se divise en deux temps. Le premier acte, plus narratif, déroule le fil des interviews. Barbara est face à la presse, espiègle et rebelle. Noblet, avec une économie gestuelle qui évoque ses adaptations littéraires passées, laisse Marie-Sophie Ferdane errer entre les micros, comme une interviewée piégée dans un labyrinthe de questions. Les lumières d’Olivier Oudiou s’adoucissent alors, projetant des ombres allongées. C’est vif, incisif, souvent drôle – quand elle imite un journaliste « trop indiscret » d’une moue malicieuse. Puis vient le basculement : les lettres inédites, ces missives amoureuses dans lesquelles la grande dame se fait petite fille, vulnérable et dévorante. Le ton s’assombrit, le rythme ralentit. Marguerit introduit des motifs électroniques qui sont comme des battements de cœur amplifiés. Marie-Sophie Ferdane, dans ces passages, touche au sublime. Sa voix se brise sur une déclaration d’amour rageuse, et l’on sent poindre la femme derrière l’artiste, celle qui aima jusqu’à l’obsession, souffrit de la maladie, et transforma tout en chanson. Noblet sait doser ces crescendos émotionnels, évitant le pathos par des silences beckettiens durant lesquels le public, complice, retient son souffle. La pièce pose aussi – sans toujours y répondre complètement – une question presque sociologique : comment une artiste devient-elle symbole ? Quel est le prix de cette sacralisation pour la vie réelle derrière la légende ? Quelques répliques et passages évoquent la solitude, le temps, le rapport aux hommes et à la notoriété. Ces pistes sont prometteuses. Mais le format court – une heure à peine – laisse parfois sur sa faim. On voudrait plus de ces lettres intimes, plus de ces combats féministes esquissés – elle était pionnière d’une liberté sexuelle assumée dans une époque corsetée.

 

« Barbara (par Barbara) » fonctionne comme une rêverie sur la mémoire et l’incarnation. Emmanuel Noblet, avec sa mise en scène subtile et intelligente, rappelle que le théâtre ne copie pas la vie, mais la dit autrement. Marie-Sophie Ferdane, dans une performance d’une justesse confondante, donne corps à cette femme « volontaire et passionnée », et Olivier Marguerit signe une bande-son qui hante longtemps après la fin du spectacle. On sort de là le cœur serré, l’oreille tendue vers une mélodie enfuie, et la conviction que Barbara n’est pas morte. Elle murmure encore, dans les silences des micros oubliés. « Qu'importe ce qu'on peut en dire. Je suis là pour vous dire. Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous ».

 

Guillaume Lasserre 

 

 

[1] Véritable nom de Barbara.

[2] Barbara, du 13 octobre 2017 au 28 janvier 2018, https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/barbara.aspx?_lg=fr-FR

[3] Barbara (par Barbara), lecture musicale, 13 décembre 2017, Maison de la poésie, Paris, https://maisondelapoesieparis.com/programme/barbara-par-barbara/

[4] Emmanuel Noblet dans la note d’intention du spectacle.

[5] Façon particulière d'oraliser un texte, qu'il soit poétique ou autre. Il comprend souvent une collaboration (ou expérimentation) avec d'autres formes d'art comme la musique, le théâtre ou la danse. Contrairement au slam, le spoken word n'est pas nécessairement structuré comme un poème. Il s’agit plutôt de laisser la parole se dérouler librement, souvent sur fond de musiques urbaines, et de jouer avec les rythmes et les intonations de la voix. 

 

« BARBARA (PAR BARBARA) » - Conception Clémentine Deroudille, Arnaud Cathrine. Mise en scène Emmanuel Noblet. Avec Marie-Sophie Ferdane et Olivier Marguerit. Musique Olivier Marguerit. Lumières Olivier Oudiou. Scénographie Emmanuel Noblet. Production déléguée En Votre Compagnie. Coproduction Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire, Théâtre du Rond-Point, Théâtre National de Bretagne - Centre Dramatique National (Rennes). Avec le soutien de l’INA et de la SPEDIDAM Création en juin 2018 à la Maison de la Poésie – Scène littéraire (Paris), sous la forme d’une lecture aujourd’hui adaptée en spectacle. Remerciements à Bernard Serf, Constance Dollé, Catherine Hiegel, Anouck Clion, Oscar Von Claer. Transcription de lecture d’extraits de l’artiste Barbara issus d’émissions de l’Institut national de l’audiovisuel (INA)

 

 

Du 7 au 23 novembre 2025, au Théâtre du Rond-Point, Paris,

 

7 décembre 2025, aux Franciscaines, Deauville,

 

9 décembre 2025, aux Scènes du Golfe, Vannes, 

 

Du 30 mars au 5 avril 2026, à la Comédie de Valence, (tournée itinérante du 20 au 30 avril 2026)

 

10 avril 2026, au Quai CDN, Angers,

 

Du 11 au 12 mai 2026, à la Comédie de Caen.

 

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November 15, 11:47 AM
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Avec «le Paradoxe de John», le metteur en scène et plasticien Philippe Quesne amuse la galerie d’art

Avec «le Paradoxe de John», le metteur en scène et plasticien Philippe Quesne amuse la galerie d’art | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux pour Libération - 10 nov. 2025

 

 

Pendant une heure vingt, Philippe Quesne transforme la scène du théâtre de la Commune d’Aubervilliers en galerie d’art, où se multiplient performances et installations en direct sur fond de poésie.

 
 

C’est d’abord une voix qui s’élève depuis les coulisses, celle, irrésistiblement drôle dès les premières secondes, d’Isabelle Angotti, compagne de longue date de Philippe Quesne. Les mains en avant, précautionneuse, elle fait le tour du propriétaire à trois hurluberlus arborant perruques et/ou santiags. Deux jeunes filles et un homme plus âgé (Céleste Brunnquell, Veronika Vasilyeva-Rije et Marc Susini) explorent doucement un rectangle tendu de lino imitation parquet, encombré d’objets plus ou moins techniques, plus ou moins mystérieux : du matériel de son, des bombonnes de gaz, des néons sur lesquels défilent des textes en lettres lumineuses, et des masses oblongues recouvertes de tissu comme des fantômes.

Redondance profondément jouissive

Le nouveau spectacle de Philippe Quesne, écrit en collaboration avec Laura Vazquez qui livre le texte poétique des performances, ne raconte pas la vie d’une galerie d’art, il est une galerie d’art, dans laquelle une poignée de personnages vont créer une heure vingt durant performances et installations. La distinction est de taille, on peut même dire qu’elle a quelque chose d’éthique : il ne s’agit pas pour Philippe Quesne, qui pratique le théâtre en plasticien, de représenter la création, mais de la créer, dans une redondance profondément jouissive, comique et libératrice.

 

Il y a plus de quinze ans, le metteur en scène donnait probablement son plus beau spectacle, l’Effet de Serge, dans lequel un type étrange invitait chez lui des «artistes» à présenter de très courtes performances. Philippe Quesne réinvestit à la fois cette forme et cette histoire, puisque le plateau du Paradoxe de John n’est autre que ce même appartement, débarrassé de sa moquette violette et de sa table de ping-pong : un lieu hanté de performances passées, et dont les fantômes se réveilleront dans une séquence où culmine la bizarre drôlerie du spectacle.

Sculpture grotesque

Sur le lino, et dans le lino, on crée donc : une procession déguisée dont les costumes de polystyrène finiront par former une sculpture grotesque, une lecture de poésie allongé au sol, l’éruption spectaculaire d’une mousse blanchâtre obtenue par réaction chimique, ou encore l’enveloppement d’une chaise dans un plastique transparent - et si on appelait ça «le Kyste de ma mère». Qu’on fasse de l’art, qu’on parle, ou qu’on ouvre une bouteille de champagne, qu’on visite ou qu’on vernisse, tout sur le plateau est création. C’est que tout fait performance, dans une continuité particulièrement réconfortante entre la banalité des énoncés quotidiens et la poésie lyrique et sensuelle de Laura Vazquez, entre la démarche naturellement étrange d’un personnage et la gestuelle outrée de l’artiste. Le monde de Quesne est curieux, dans tous les sens du terme.

 

En élaborant avec le Paradoxe de John un diptyque, Philippe Quesne consacre une manière, sans doute celle qu’il réussit le mieux, et avec elle, une croyance profonde et simple dans le présent pur de la représentation : un moment suspendu et privilégié dans nos vies sans cesse mises à profit, un moment pour lire, penser, faire la fête et créer. La performance, dans ce qu’elle recèle d’absurde et d’arbitraire, et parce que les conditions de sa mise en œuvre sont nécessairement un moment comique et gênant, devient un temps gratuit et libérateur, dont l’énergie circule allègrement entre la scène et la salle.

Le Paradoxe de John, conception, mise en scène et scénographie : Philippe Quesne. Textes originaux : Laura Vazquez. Au Théâtre de la Commune à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 16 novembre. Au théâtre de la Bastille (75011), du 26 novembre au 6 décembre, puis en tournée

 

Lucile Commeaux / Libération 

 

Légende photo : Veronika Vasilyeva-Rije entourée des fantômes du plateau. (Martin Argyroglo/Martin Argyroglo)

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November 14, 5:24 PM
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«Dainas» : l’autobiographie délirée de Dimitri Doré 

«Dainas» : l’autobiographie délirée de Dimitri Doré  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Didier Péron dans Libération - 12 novembre 2025

 

Dans un seul-en-scène où il se métamorphose en divers personnages, le comédien, qui collabore de nouveau avec le metteur Jonathan Capdevielle, propose un récit fantaisiste et surprenant de son parcours d’enfant adopté né en Lettonie.

 

«Sommes-nous prêts à adopter un enfant à problèmes ?» : c’est le genre de question absurde que le couple au début de la pièce Dainas se pose tandis qu’ils remplissent une fiche d’adoption dans l’espoir d’obtenir bientôt l’enfant qu’ils désirent mais ne peuvent pas avoir. Non, ils ne veulent pas d’un enfant à problème mais le spectacle dans sa folie compacte paraît complètement pulvériser la demande de norme ou de conformité tant celui qui se raconte ici, le comédien Dimitri Doré, déploie dans une forme courte (une heure de spectacle) des trésors de réjouissantes instabilités.

 

 

Dès lors que l’on se raconte dans les œuvres – il est fréquemment question du malheur d’être ce que l’on a été même si l’on se satisfait ce que l’on est devenu – quelque chose de l’ordre de la plainte monte souvent en sourdine ou très explicitement. Ma vie, mon drame, mes combats, mes fantômes… Dimitri Doré, que l’on avait découvert en 2021 dans le stupéfiant Bruno Reidal de Vincent le Port, film où il interprétait le rôle d’un séminariste de 17 ans arrêté pour le meurtre d’un camarade d’une douzaine d’années, est un enfant adopté. Il est né à Jelgava, en Lettonie en 1997 et est arrivé tout bébé encore chez un couple vivant dans un modeste pavillon à Reims. Dans diverses interviews, Dimitri Doré a raconté comment il s’est enfoncé dans les arcanes YouTube et des chaînes de rediffusions, happé par tous les programmes télé des années 70-80, de Au théâtre ce soir avec Maria Pacôme aux épisodes de Starsky et Hutch. Il est aussi complètement fasciné par les gens du voyage au point de se voir un temps instituteur  embedded pour enfants de circassiens !

Mise en scène de soi

C’est ce côté déphasé et composite qu’il jette dans la formule Dainas où il est tour à tour Oleg, visiteur tonitruant à barbe de Viking débarquant un soir dans le salon familial en fauteuil roulant, puis avatar féminin tendance soubrette de vaudeville chantant d’une voix de basse le Cold Song de Purcell avant de disparaître en coulisse et revenir se hisser sur un cerceau en justaucorps pailleté pour des séries d’acrobaties sans filet. Le metteur en scène, Jonathan Capdevielle, qui a fait jouer Doré dans plusieurs de ses créations, explique dans une note d’intention à quel point l’exercice du solo (qu’il a lui-même pratiqué notamment dans le mémorable Jerks de Gisèle Vienne) confronte en une simple inflexion ce que le comédien a en lui d’assurance et de fragilité, de capacité à se surexposer tout en s’absentant.

 

Doré parle, lui, du «langage dissocié des voix et du corps» et en effet, tout se passe comme si on comprenait sans problème le sens littéral de ce qui était raconté (l’enfant letton, l’absence des parents biologiques, la responsable qui a confié le nourrisson aux parents français…) mais intégralement transfiguré à chaque chapitre par l’aplomb d’une mise en scène de soi, une esthétique de la métamorphose par mimétismes, et travestissements. Le plateau lui-même est d’abord obstrué par plusieurs draps blancs suspendus à des fils à linge bouchant la vue puis dénudé dans le vrac d’une chambre d’ado jonché d’objets hétéroclites (boule disco, cigogne et chat en peluche miaulant comme un automate…). L’arrimage des questions existentielles finalement assez basiques à tout un bric-à-brac imaginaire ultra-séduisant où chacun se reconnaîtra dans cette odyssée de la dissemblance et des émotions savamment dissociées. C’est beau et entêtant comme un single réussi, une chanson complexe mais qui vous reste plantée dans la tête dès la première écoute. Doré, grand artiste de variété.

Dainas de Jonathan Capdevielle et Dimitri Doré, jusqu’au 17 novembre au T2G (Théâtre de Gennevilliers) puis en tournée en 2026.

Didier Péron / Libération

 

Légende photo : Durant le court spectacle (une heure), Dimitri Doré est Oleg, un visiteur tonitruant à barbe de Viking, puis avatar féminin tendance soubrette de vaudeville avant de disparaître en coulisse et revenir se hisser sur un cerceau en justaucorps pailleté pour des séries d’acrobaties sans filet. (Photo © Gregory Batardon)

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November 6, 12:31 PM
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Comédie de Genève: une petite rumeur suisse de merde?

Comédie de Genève: une petite rumeur suisse de merde? | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Antoine Menusier dans Watson.ch - publié le 4 nov. 2025

 

L'«affaire Séverine Chavrier», du nom de la directrice de la Comédie de Genève, dont le management est contesté, a pris une tournure nauséabonde avec, au centre de tout, l'acronyme PPSDM, pour «petites productions suisses de merde».

 

Une petite affaire Dreyfus de merde? C’est sûr, PPSDM, l’acronyme rattaché au «scandale Séverine Chavrier», l’actuelle directrice de la Comédie de Genève, le théâtre le plus richement doté de Suisse romande, est promis à d’infinies déclinaisons, tant il claque bien. PPSDM, qui se rapporte aux créations théâtrales, signifie: «petites productions suisses de merde».

Le rôle du «bordereau» dans l'affaire Dreyfus

Dans la mécanique du scandale, cet acronyme tient un peu le rôle du «bordereau» dans l’affaire Dreyfus, l’allumette qui embrase tout. Alfred Dreyfus est ce capitaine français juif, contre lequel le commandement militaire constitue en 1894 un dossier à charge dans une France gagnée par la montée de l’antisémitisme et l’esprit de revanche sur l’Allemagne après la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine.

 

Le «bordereau» désigne en l'espèce une lettre anonyme comprenant des renseignements militaires adressée à l’attaché militaire allemand en poste à Paris. Un acte de trahison. L’armée l’attribue volontairement et à tort au capitaine Dreyfus. On connaît la suite: le bagne à Cayenne, puis, douze ans plus tard, sa réhabilitation.

Séverine Chavrier n’est pas Dreyfus, mais...

Séverine Chavrier n’est pas Dreyfus et l’on reste pour l’heure dans du parole contre parole. La directrice est accusée dans des témoignages anonymes d’un management fait de «discriminations», d’«humiliations» et de «dénigrement au travail», à quoi s’ajouterait un désintérêt sinon du mépris pour la production locale, d’où l’acronyme qui lui est prêté avec l’ensemble des éléments à charge dans un article de la Tribune de Genève daté du 22 octobre.

 

Ce n'est pas elle qui a dit ça

Sauf que, sans le PPSDM, le «petites productions suisses de merde», l’«affaire Séverine Chavrier» n’aurait probablement pas pris une telle ampleur. Or, selon une enquête menée par le journaliste Thierry Sartoretti, parue le 31 octobre sur le site de la RTS, la directrice de la Comédie n’a pas utilisé cet abrégé infamant.

Selon le journaliste, qui s’appuie sur des sources internes à la Comédie tant du côté de l’administration, de la technique que des artistes, ce n’est pas Séverine Chavrier, «mais quelqu’un d’autre de la Comédie [qui] l’a prononcé».

«Cette grossièreté arrogante fut balancée lors d’une séance de travail avant l’arrivée effective de Séverine Chavrier à la tête de son théâtre par une personne responsable de la production nommée par la précédente direction. Cette personne a quitté l’institution depuis.»
Thierry Sartoretti, RTS

En l'état, on dira que le doute demeure. Mais le journaliste, lui, est formel: Séverine Chavrier n'a pas dit les mots dont certains l'accusent. Aurait-on colporté une rumeur?

 

Une «Française»

Ce «PPSDM», sachant que la mise en cause a démenti sur la chaîne Léman Bleu l’avoir jamais prononcé, a pris les proportions d'une rumeur. Une rumeur forcément malveillante. Car l'un des aspects de cette affaire, au-delà des reproches adressés à la directrice de la Comédie sur son management et ses choix artistiques, certains de ces reproches semblant fondés, d’autres moins ou pas du tout, est l’identité nationale de Séverine Chavrier, une «Française». En réalité, elle est franco-suisse et originaire d’Annemasse, commune frontalière qui passe pour le «9-3» de Genève, pas une référence, donc, dans un climat transfrontalier plutôt tendu et marqué par une xénophobie anti-française.

 
Pourquoi la frontière entre la Suisse et la France ne va pas «disparaître»

Dans cette histoire, qui fera l’objet d’un audit de la Cour des comptes ordonné par la magistrate genevoise en charge de la culture, Joëlle Bertossa, les frontières entre la gauche alternative et la droite identitaire ont sauté. Chacun de ces camps, comme alliés pour la circonstance, réclame la démission de la «Française arrogante», ici dans le rôle de l’Autrichienne Marie-Antoinette, l'épouse de Louis XVI visée en 1789 par des pamphlets infamants.

Un brin stalinien

Comme une odeur de sang aura flotté dans l’air genevois à l’occasion de ce procès expéditif, un brin stalinien. Nous verrons bien si la crise trouvera un dénouement satisfaisant pour toutes les parties, ce que chacun devrait espérer.

 

Cette affaire genevoise, par les termes choisis, en évoque une autre, toujours dans le milieu culturel, où le fossé entre les «précaires» et les «nantis» a alimenté de tout temps un sentiment d'injustice. Dans une lettre anonyme, un collectif d'artistes locaux s'estimant lésés, dénonce la sélection artistique présentée par l’association La Chaux-de-Fonds Capitale culturelle suisse 2027. «Le texte emploie des mots durs envers l’organisation: "trahison morale", "projet imposé d’en haut", "logique de division", "captation des moyens publics" ou "processus injuste"», rapporte 24 Heures en date du 31 octobre.

L'effet #Metoo

#Metoo a installé la légitimité de la fonction de lanceur d'alerte, et elle s'avère utile en certaines circonstances. Mais avec cela, on fabrique aussi des coupables sans jugement. Essayons de faire un peu gaffe.

 

Antoine Menuisier / watson.ch

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Voir l'entretien pour la Radio Télé Suisse Romande (RTS), vidéo de 5 mn, entretien au 29 octobre 2025

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December 19, 5:46 PM
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Au festival du théâtre émergent Impatience, les pièces documentaires grandes gagnantes du palmarès

Au festival du théâtre émergent Impatience, les pièces documentaires grandes gagnantes du palmarès | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 19 déc. 2025

 

Jeudi, pour clôturer sa 17ᵉ édition, le public et le jury ont récompensé “Erdal est parti” de Simon Roth, récit d’un réfugié kurde. Les pièces “Ma nuit à Beyrouth” et “Ce Soir j’ai de la fièvre et toi tu meurs de froid” ont aussi été distinguées.

 

Parce qu’il a révélé bien des metteurs en scène d’aujourd’hui – de Thomas Jolly à Séverine Chavrier, de Tommy Milliot à Julie Deliquet - on attendait avec curiosité la 17e édition d’un Festival Impatience qui a toujours eu du nez, coordonné par le Centquatre-Paris avec la complicité de Télérama qui l’a créé. Forcément, les neuf spectacles sélectionnés y ont reflété la scène actuelle : nombre de pièces documentaires (4), de seuls en scène (3), écritures souvent « faites maison » par les metteurs en scène. Peu de grands textes.

 

Les créateurs émergents veulent se faire entendre eux-mêmes dans des sociétés qui n’écoutent plus guère. Ainsi le Prix des Lycéens est-il allé à Ma nuit à Beyrouth, de Mona El Yafi, autour des confidences chorégraphiées — dans un onirique et sombre espace — d’un danseur libanais après l’explosion du port de 2022. Il échoue à faire refaire son passeport, et témoigne avec émotion d’un monde dévasté.

 

On imaginait naïvement que les lycéens seraient davantage scotchés par Ce soir j’ai de la fièvre et toi tu meurs de froid, emprunté à l’irrésistible Alexandrie-Alexandra (1978) du défunt Claude François. Mais sont-ils devenus plus prudes que bien des sexas (et plus) à leur âge ? Récompensé par le Prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, ce spectacle délirant et funèbre retrace la destinée chaotique et provocatrice de Lune de fiel, émission de conseils sexuels de Fréquence Gaie, la première radio libre homosexuelle autorisée à émettre en continu, de 1981 à 1998.

 

On est d’abord abasourdi, voire agacé par la liberté verbale d’animateurs gays insolentissimes, tout en laissant peu de place à leurs collaboratrices lesbiennes… Tous époustouflants, les comédiens jouent à la fois à l’oreillette, selon d’authentiques enregistrements d’archives, et « à l’ancienne », dans de tristes solos évoquant les années sida. Nourri de vrai, ce théâtre documentaire imaginé par Julien Lewkowicz nous fait alors basculer en un temps pas si lointain où le rapport au sexe, à l’autre, à la vie, se nourrissait de drames comme de fêtes, de courage comme de défi. Un temps de combats et de tolérances que la compagnie Tous les jours de la vie ressuscite superbement.

 

Comme Simon Roth le cheminement d’un exilé dans l’inspiré Erdal est parti, Prix du jury comme du public. Réfugié kurde rencontré par hasard, Erdal aime à raconter sa vie cabossée de Turquie à la France, via la Suisse. Sans être jamais allé au théâtre, il demande à Simon d’en tirer spectacle. Pour laisser trace de ses tourments. Mais il veut un acteur français pour l’incarner, histoire d’avoir une « meilleure image » auprès du public. Même au théâtre, la représentation de soi n’en finit pas d’être un problème… Simon filme ses confidences, qui apparaissent sur de multiples écrans. À tour de rôle, en play-back ou pas, quatre comédiens virtuoses portent chacun sa parole, tel un chœur antique. Qui donc est finalement Erdal, démultiplié dans ce poignant parcours d’images, de sons, de verbe, de danse ? De quoi sommes-nous faits, individuellement, collectivement ? Avec délicatesse, Simon Roth met en scène « l’identité ». Et comment elle se révèle davantage par l’autre. Une troublante histoire de secret familial le relie ainsi mystérieusement à Erdal. Comme lui, son aïeul n’a avoué sa tragédie — sa déportation à Auschwitz — qu’à un inconnu. Du besoin de l’étranger pour nous accepter. Et aussi, peut-être, de ce nouveau théâtre documentaire enfin sans didactisme, sans complaisance, mais mûri, et entêtant de poésie.

 

Fabienne Pascaud / Télérama

 

TT Ma nuit à Beyrouth, le 14 janvier à Saint-Quentin, 17 et 18 janvier à Guyancourt, 31 janvier à Pont-Sainte-Maxence, 6 et 7 mars à l’Institut du monde arabe, Paris 5e
 

TTCe Soir j’ai de la fièvre et toi tu meurs de froid, du 19 mars au 4 mars Paris-Villette, Paris 19e
 

TTT Erdal est parti, du 11 au 13 mars à Grenoble, le 22 avril à Marseille.
 
 
Légende photo : La pièce « Erdal est parti » de Simon Roth est née de la vraie rencontre entre le metteur en scène et un réfugié venu de Turquie. Photo Christophe Raynaud De Lage
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December 18, 3:27 PM
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Le comédien Philippe Caubère mis en examen pour proxénétisme

Le comédien Philippe Caubère mis en examen pour proxénétisme | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Télérama, avec AFP - Publié le 11 décembre 2025

 

Déjà poursuivi pour viols, agressions sexuelles et corruption de mineurs, l’acteur connu pour ses rôles au théâtre et dans “La Gloire de mon père” et “Le Château de ma mère” est cette fois soupçonné de proxénétisme.

 

Le comédien Philippe Caubère, déjà poursuivi pour viols, agressions sexuelles et corruption de mineurs sur trois mineures, a été mis en examen pour proxénétisme, a indiqué jeudi le parquet de Créteil à l’AFP, confirmant une information de BFMTV. Philippe Caubère, âgé de 75 ans, a été mis en examen le 24 novembre. Il est soupçonné d’avoir contraint sa victime à avoir des relations sexuelles tarifées avec des centaines d’hommes, selon la chaîne d’information. Contactée par l’AFP, l’avocate du comédien, Mᵉ Fanny Colin, n’a pas souhaité faire de commentaire.

 

Dans une interview au quotidien Libération en janvier, la comédienne Agathe Pujol, à l’origine d’une des plaintes, avait déjà affirmé avoir été victime de viols « organisés plusieurs fois par semaine » entre 2011 et 2018 par Philippe Caubère au cours desquels ce dernier « regarde et prend des photos ».

Figure de la scène théâtrale, Philippe Caubère a été mis en examen en février 2024 pour des faits s’étant déroulés, selon les victimes, en 2012 pour une première, et entre 2010 et 2019 pour une deuxième. Philippe Caubère a reconnu avoir eu une relation intime pendant quatre mois en 2012 avec une mineure âgée de 16 ans, une relation selon lui consentie. Il est aussi mis en examen pour corruption de mineure de plus de 15 ans sur une troisième victime, des faits ayant eu lieu entre 2019 et 2021.

En octobre, son ancienne avocate, Mᵉ Marie Dosé, a elle-même été mise en examen pour soustraction ou altération de document dans une enquête visant son ex-client suite à une première plainte pour viols déposée en 2018. Le parquet avait classé cette plainte sans suite en 2019, « aucun élément » ne permettant « de corroborer les déclarations de la plaignante sur l’absence de consentement ». Selon le quotidien Le Monde, Mᵉ Dosé est soupçonnée d’avoir fait disparaître un ordinateur personnel de Philippe Caubère, dont les contenus auraient pu se révéler compromettants pour le septuagénaire.

 

Télérama, avec AFP

 

Légende :  Philippe Caubère. Photo Julien Pebrel/MYOP

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December 18, 3:18 PM
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Dominique Blanc quitte la Comédie-Française 

Dominique Blanc quitte la Comédie-Française  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure / Libération   -  Publié le 11/12/2025

 

L’actrice, qui a incarné la Marquise de Villeparisis proustienne ou la Dorine du «Tartuffe» au Français, annonce dans une interview à «Télérama» mettre fin à une aventure de près de dix ans.

 

 
 
 

Quoiqu’elle fasse, sur scène ou dans la vie, Dominique Blanc le fait avec classe. Récemment encore, dans Contre, jouée dans la salle du Vieux-Colombier, elle était une géniale critique de cinéma Pauline Kael. Pour la Comédie-Française elle avait aussi été Varvara Pétrovna Stavroguina dans les Démons de Guy Cassiers ou Helena Ekdhal dans Fanny et Alexandre de Julie Deliquet. Elle quitte l’institution avec élégance, en expliquant, dans une interview parue ce mercredi dans Télérama, qu’à bientôt 70 ans, elle doit se consacrer à son «amoureux» dont l’état de santé se dégrade et dont elle doit s’occuper. Comment le faire quand on répète l’après-midi avant de jouer le soir, et souvent le week-end, explique-t-elle ? Simplement et sans pathos, l’actrice pose la question des aidants et du soin qu’on doit apporter à l’autre dans un couple qui vieillit.

 

 

Comme tous ceux qui quittent la fameuse institution, Dominique Blanc invoque aussi sa volonté de prendre du champ : «A la veille de mes 70 ans, en 2026, j’ai besoin de liberté, je n’ai plus envie qu’on décide de mon temps à ma place. Le temps à venir doit être celui de mon propre désir.» Franche, elle confie qu’elle a pu être isolée au sein de la troupe : «Je m’y suis sentie très seule à mon arrivée, en 2016, et pendant longtemps. Mes rôles au cinéma, à la télévision rendaient peut-être mes camarades suspicieux.» Et griffe Ivo Van Hove, qui a été son pire souvenir au Français quand il a fallu jouer son Tartuffe : «Il ne sait pas communiquer avec les femmes.» On souhaite bon courage aux actrices qui préparent  son  Hamlet  programmé à l’Odéon dans le cadre de la saison de la Comédie-Française hors les murs, à partir de janvier.

 

 

Enfin, bien sûr, le départ d’Eric Ruf de la tête de la Comédie française cet été, lui qui l’avait engagée en 2016, a joué lui aussi dans sa décision de la quitter à son tour : «C’est lui qui m’a embauchée et notre relation était privilégiée […]. Il aura été un administrateur qui a véritablement fait “œuvre” au Français, par ses choix artistiques et par l’apaisement qu’il a apporté.»

 

 

Il y a quelques semaines, Dominique Blanc rendait sa légion d’honneur pour contester contre l’éternel retour de Rachida Dati, et de ses casseroles judiciaires, au ministère de la Culture. Elle prenait également la parole dans l’Humanité sur les actes sexistes qu’elle avait affrontés dans le cinéma et au théâtre. A la Comédie française ou au-dehors, la liberté a l’air d’être son affaire.

 

Sonya Faure / Libération 

 

Légende photo  : Dominique Blanc lors du 78e Festival annuel de Cannes, le 13 mai. (Pascal Le Segretain/Getty Images. AFP)

 
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December 18, 2:59 PM
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“Fusées”, une conquête spatiale pleine d’humour et de magie au Théâtre des Célestins à Lyon

“Fusées”, une conquête spatiale pleine d’humour et de magie au Théâtre des Célestins à Lyon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama - 17 déc. 2025

 

Boris et Kiril, deux cosmonautes soviétiques, se retrouvent coincés dans l’espace. S’ensuit un voyage à travers l’histoire de l’Univers, dans une simplicité savoureuse. À voir jusqu’au 21 décembre à Lyon, puis en tournée. Dès 6 ans.

 

Réservé aux abonnés - lire sur le site de Télérama

 

Un piano poussé par sa musicienne (Claudine Simon) déboule, suivi de trois personnages accidentés portant bandages, plâtres et pansements. Rires dans la salle. Cette truculente entrée en matière donne le ton de ce spectacle tout public où fourmillent d’ingénieuses trouvailles. Créé en 2024 par l’autrice-metteuse en scène Jeanne Candel et son équipe, Fusées s’arrime à l’histoire vraie de deux cosmonautes soviétiques coincés dans l’espace, qu’a reprise le réalisateur roumain Andrei Ujica dans Out of the Present (1995). La pièce enjambe des échelles, grandes et petites, pour déplier l’histoire de la naissance du monde jusqu’à celle, particulière, de Boris et Kiril, prisonniers de la conquête spatiale. Sur la scène d’un petit castelet se rejoue d’abord la naissance de l’Univers façon Guignol. Puis vient le tour des deux habitants de l’espace.

 
Respectivement incarnés par les excellents Vladislav Galard et Jan Peters, le prudent et réservé Boris et le téméraire et solaire Kiril n’ont pour seule compagnie que celle de Viviane (éclatante Sarah Le Picard), l’ordinateur de bord de la station spatiale, terrain fertile de gags insensés. Sans technologie sophistiquée, Fusées puise dans la tradition du texte et de l’oralité. Les décors y sont réduits à l’essentiel et les bruits de décollage, des déplacements ou les effets de l’apesanteur mimés par les corps et voix des comédiens. En un peu plus d’une heure, ce spectacle nous aura fait côtoyer une magie que seul le théâtre permet.
 
 
55 mn. Mise en scène Jeanne Candel. Avec Vladislav Galard, Sarah Le Picard, Jan Peters et Claudine Simon. Du 17 au 21 décembre, Théâtre des Célestins (Lyon). Puis en 2026 à Vanves, Colmar, Clermont-Ferrand, Nice, Paris, Le Creusot, La Roche-sur-Yon, Lorient, Saint-Denis, Bordeaux

Plus d'infos

  •  
  • Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules-Guesde, 93200 Saint-Denis

  •  
  • Théâtre Jean-François Voguet, 18 allée Maxime-Gorki, 94120 Fontenay-sous-Bois

  •  
  •  
  • Théâtre des Deux-Rives, 107 rue de Paris, 94220 Charenton-le-Pont

  •  
  •  
  • Maison des arts, place Salvador-Allende, 94000 Créteil

  • Dates

    Du 25/03/2026 au 28/03/2026
    Le 18/04/2026
    Le 09/04/2026
    Le 14/04/2026

 

Légende photo : Sans emploi de technologie particulière pour les décors, « Fusées » revient à l’origine même du théâtre : le texte et l’oralité. Photo Jean-Louis Fernandez

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December 16, 5:52 PM
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Jean-Marc Dumontet, ses affinités électives 

Jean-Marc Dumontet, ses affinités électives  | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Marie-Dominique Lelièvre dans Libération 
Publié le 15/12/2025 


Le producteur de spectacles et propriétaire de théâtres est un des derniers inconditionnels du couple Macron.

 


Derrière une porte du salon Ravel, Marc Lavoine répète Qui a peur de Virginia Woolf ? qu’il interprétera avec Béatrice Dalle au Théâtre Antoine, dans le Xe arrondissement de Paris, à partir du 29 janvier. Dans les loges, les Ukrainiens du chœur Homin décortiquent des pistaches avant le récital du soir. Sur les tables du nouveau restaurant, on distribue le menu. Comme s’il déballait une boîte de Lego, Jean-Marc Dumontet (JMD) ouvre des portes, ferme des portes, heureux de montrer la salle prestigieuse qu’il vient d’investir, grand orgue surplombant la scène et 800 fauteuils. «75 000 euros par mois», souffle-t-il. Le loyer.

 

Salle historique de la musique de chambre, Gaveau est classée monument historique, comme la salle Pleyel, autre joyau de la musique classique convoité par Dumontet, dont la concession est revenue finalement à l’entrepreneur Marc Ladreit de Lacharrière. Son banquier historique, la Société bordelaise, qui lui a fourni de quoi racheter tous ses théâtres, lui a prêté les 8 millions d’euros demandés par les propriétaires pour céder la marque et le fonds de commerce. «Il me fait confiance. Je suis hypercarré, j’aime les chiffres. Je me demande quelles seront mes charges, mes recettes…» Une banque qui lui a permis de reprendre le Théâtre Antoine, Bobino, le Théâtre libre, le Grand et le Petit Point Virgule… «En rachetant Bobino, en 2010, j’empruntais 100 % du montant. Heureusement, Canteloup a explosé et Alex Lutz commencé à se développer.» Parce qu’en plus, il est leur producteur.

 

Plus passe-muraille que Dumontet, difficile, pense-t-on au premier regard. Costume maussade, boutons de manchette sans éclat, silhouette sans âge, voix chuchotante, le tout si gris que même les yeux bleus semblent de cette couleur. «La discrétion bordelaise», dit son ami, l’animateur Bernard Montiel, Bordelais comme lui. Une élégance muette qui soulignerait le dédain de Bordeaux pour l’argent et l’ostentation ? Le costume est taillé dans du prince-de-galles, un Holland & Sherry, comme James Bond dans Goldfinger. Dumontet trompe son monde…

 

Montiel : «L’été, au Pyla, Jean-Marc fait ses courses au supermarché dans une voiture banale. C’est pas le genre à rouler en Ferrari», Dumontet y possède une jolie, une très jolie maison, mais rien de bling-bling. Les deux hommes, qui se connaissent depuis bientôt quarante ans, partagent, quoi qu’il en coûte, un gros crush pour le couple Macron.

 

 

C’est du reste dans une loge, en septembre 2015, au Théâtre du Vieux Colombier (VIe), que JMD a rencontré Brigitte et Emmanuel Macron venus, comme lui, voir 20 000 lieues sous les mers. Coup de foudre. Pour les revoir, Dumontet demande à son amie Line Renaud d’organiser chez elle un dîner avec le couple d’Amiénois. Avec Line, il a monté Harold et Maude en janvier 2012. «Line me parlait d’Emmanuel Macron, j’aimais bien son côté libre, iconoclaste, disruptif.»

 

Fasciné par sa «densité intellectuelle, il sait tout sur tout», Dumontet décide de suivre la campagne électorale. Le 6 janvier 2017, Emmanuel Macron est attendu pour un meeting à la MJC de Nevers (Nièvre). «Ne venez pas, vous allez vous emmerder, c’est un truc sur la médecine.» Mille personnes dedans, deux cents dehors. Refuser des spectateurs, un truc qui d’emblée heurte le patron de théâtre. Celui qui se produit est le Macron des débuts, gringalet mal fagoté, qui se plie en deux pour attraper au sol sa bouteille d’eau, avec une voix de fausset, qui entonne tout seul la Marseillaise à la fin du show.

 

 

«Je lui ai fait une note de 4-5 pages. Sévère. Son discours était monocorde, un exposé aride sans la moindre rupture, le pupitre était étroit, son costume gris triste à pleurer.» Bah justement, à propos de costume gris, bon, nous y reviendrons. Il a suivi 25 meetings, assis à côté de Brigitte Macron, surveillant les progrès de son stagiaire. «Lui, il a toujours cru en sa bonne étoile»…

 

Il reste un des derniers inconditionnels du président de la République, au point que l’hebdomadaire Marianne le surnomme «le dernier macroniste». Dumontet juge même topissime le bilan du petit : «Il a créé 2 millions d’emplois» (1,7 million d’emplois salariés durant le premier mandat, selon l’Insee). Le chiffre stagne depuis. «Et puis il a favorisé l’apprentissage», totem macronien fortement critiqué pour ses dérives et effets d’aubaine, «offert une grande lisibilité aux entreprises», etc.

 

Les Français semblent dubitatifs ? «En fin de mandat, on se démonétise toujours»… La DZ Mafia elle-même ne tirerait pas une critique anti-Macron au producteur. Aujourd’hui, les deux hommes se côtoient surtout au spectacle. Les siens et ceux des autres. Le Président se glisse dans les salles par l’entrée des artistes bien sûr.

 

Dumontet continue à collectionner les théâtres comme d’autres les pin’s, le petit badge équipé d’une punaise qui fut la cryptomonnaie des années 90. A propos de pin’s, ils ont fait la fortune de Jean-Marc Dumontet. A 24 ans, il lance la Boîte à pin’s après un accord avec un fabricant de Taiwan déniché dans l’annuaire de la chambre de commerce. Et voilà l’Aquitaine inondée de ses badges. En deux ans, il rafle 20 millions de francs de chiffre d’affaires et en empoche 4. Il est riche. (Et vous aussi, si vous possédez un pin’s McDonald - 10 ans de la Boîte à pin’s Bordeaux, qui clôture à 59,94 euros cette semaine sur Ebay.) Que faire de cette petite fortune ? Louer un théâtre à Bordeaux et programmer pendant six semaines la Java des mémoires, un spectacle musical monté par Roger Louret que Dumontet a vu sur les conseils de sa sœur. Peut-on gagner de l’argent en vendant des places de théâtre ? Oui, sans doute, puisqu’il n’a jamais cessé depuis et qu’il sait compter. Et même si l’argent n’est pas tout, l’argent compte beaucoup.

 

Il a grandi dans le vieux Bordeaux, 20, rue du Palais-de-l’Ombrière. Son père Bernard et son grand-père Louis-Antoine étaient notaires au 12-14, rue du Palais-de-l’Ombrière, à l’ombre de l’ancienne résidence médiévale des ducs d’Aquitaine. Scolarité au lycée Saint-Genès, à Bordeaux, sous la tutelle des Frères des écoles chrétiennes. Aujourd’hui, il n’est plus catho, dit-il. «J’ai été élevé dans cette foi, mais je ne crois pas du tout.» Il se sent plus proche de la religion juive, «qui n’est pas prosélyte et questionne tout le temps».

 

 

Sciences-Po Bordeaux, droit des affaires, école de notariat, il devait être notaire. C’était sans compter sur sa fibre entrepreneuriale l’Institut du leadership. Car boum, il découvre le journalisme avec Philippe Tesson, au Quotidien de Paris, dont il devient le correspondant en Aquitaine avant de lancer un journal, puis Pin’s Bordeaux, et Pizza Coyote, livraison à domicile. «Il était entreprenant, brillant, malin, ambitieux», dit Bernard Montiel. «L’argent, c’est une boussole, un combustible que je ne peux jamais oublier.» Pas pour acheter un yacht, mais sans doute d’autres salles… Il est marié à Isabelle Barbot depuis vingt-sept ans, ils ont quatre enfants. Chaque matin, il se lève tôt pour lire le Monde et Libération.

 

Jean-Marc Dumontet en quelques dates

 

17 février 1966 Naissance à Bordeaux.

 

1991 La Boîte à pin’s Bordeaux (Gironde).

 

2010 Rachète Bobino.

 

2014 Directeur des Molières.

 

Automne 2015 Rencontre des Macron.

 

2024 Rachat de la salle Gaveau.

 

Légende photo : Jean-Marc Dumontet à Paris, le 19 novembre 2025. (Boby/Libération)

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December 11, 6:37 AM
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Avec « I Will Survive », spectacle sur les violences conjugales, la troupe des Chiens de Navarre mord fort

Avec « I Will Survive », spectacle sur les violences conjugales, la troupe des Chiens de Navarre mord fort | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 10 déc. 2025

 

La compagnie dirigée par Jean-Christophe Meurisse redouble d’impertinence et d’intelligence avec sa nouvelle création, qui s’inspire de l’affaire Jacqueline Sauvage et du licenciement par France 2 de l’humoriste Tex.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/12/10/avec-i-will-survive-spectacle-sur-les-violences-conjugales-la-troupe-des-chiens-de-navarre-mord-fort_6656780_3246.html?fbclid=IwY2xjawOniyJleHRuA2FlbQIxMQBzcnRjBmFwcF9pZBAyMjIwMzkxNzg4MjAwODkyAAEed851Rj6qitIVT9jGglBhNiiB86X1a-F69tulEAiSj_gmVmIYzaj0CMgEfp4_aem_be2H7367xZSG19moW_ID1w

 

Les Chiens de Navarre gardent le cap de l’actualité et frappent à nouveau les esprits avec leur dernière création, I Will Survive. Comme à chaque charge de cette troupe radicale et explosive, l’humour féroce se mêle à la gravité. S’emparant de deux sujets de société en apparence sans lien – les violences conjugales et la liberté de rire de tout –, la meute de Jean-Christophe Meurisse livre une tragi-comédie grinçante, avec la justice pour fil rouge.

Après s’être attaquée à l’identité nationale (Jusque dans vos bras, 2017), aux névroses familiales (Tout le monde ne peut pas être orphelin, 2019) et à l’impact de l’état du monde sur la santé mentale (La vie est une fête, 2023), la compagnie s’inspire de deux faits réels : l’affaire Jacqueline Sauvage (1947-2020), femme violentée et abusée sexuellement et condamnée à dix ans d’emprisonnement en 2014 pour avoir tué son mari avant d’être graciée, en 2016, par le président de la République François Hollande. Et le licenciement par France 2 de l’humoriste Tex, en décembre 2017, après une « blague » sur les femmes battues (« Tu sais ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien, on vient déjà de lui expliquer deux fois »).

 

L’histoire débute dans une école primaire où la directrice (Lula Hugot) reçoit, tout en bienveillance, une mère d’élève (Delphine Baril) pour lui parler de son fils Lucas, dont l’attitude triste et renfermée inquiète l’équipe pédagogique. La scène, interprétée avec une justesse remarquable, pose le premier sujet : si Lucas va mal, c’est parce que sa mère, Cécile Gallot, est battue par son mari et tétanisée à l’idée d’en parler. Fondu au noir. Le rideau s’ouvre sur le studio d’une émission de radio, « Le Grand Midi ». Dans cette parodie de « La Bande originale » sur France Inter, une animatrice, entourée de chroniqueurs, a invité un scientifique. Auteur de Droit dans le mur, un traité sur l’écologie, sa parole est sans cesse coupée par les interventions blagueuses de la petite équipe qui ne cesse de glousser.

 

Lire l’entretien avec Jean-Christophe Meurisse (en 2014) : Article réservé à nos abonnés « Si je ne ris pas, je crève »
 

Vient alors le tour de la chronique de Didier Moreau (Fred Tousch). L’humoriste, utilisant le « contexte » des cinq fruits et légumes par jour, sort sa blague : « Une femme, quand elle ramène sa fraise, on lui met une pêche dans la poire, elle tombe dans les pommes mais elle garde la banane. » Eclats de rire dans le studio mais réactions outrées sur les réseaux sociaux. Mis en cause par les associations féministes, Didier Moreau est convoqué par sa direction pleutre, écarté de l’antenne et poursuivi pour incitation à la haine et à la discrimination. Le second sujet d’I Will Survive, celui de la liberté d’expression, est énoncé.

Bêtise crasse et vulgarité

Deux récits vont alors se superposer dans lesquels le collectif mené par Jean-Christophe Meurisse fait des étincelles dans la qualité du jeu, maniant aussi bien le grotesque et la tragédie que l’outrance et l’émotion. Un dispositif scénique à étages et de différentes profondeurs permet de passer du commissariat au salon du couple Gallot, d’un bureau de l’Elysée au tribunal, et offre différents niveaux de lecture visuelle à plusieurs scènes. Certaines – comme celle où un policier tente de recueillir la plainte de la femme battue pendant que ses collègues, au-dessus, boivent et dansent à l’occasion d’un pot de départ – fonctionnent de manière quasi cinématographique.

 

Fidèles à leur marque de fabrique, Les Chiens de Navarre ne nous épargnent rien : ni la bêtise crasse et la vulgarité de certains personnages, ni le calvaire vécu par Cécile Gallot avant son geste définitif, ni le sang et la violence. Le spectacle est d’ailleurs « fortement déconseillé aux moins de 16 ans, certaines scènes [pouvant] heurter la sensibilité des spectateurs », préviennent les programmateurs. Mais l’impertinence de cette troupe procure aussi un rire terriblement cathartique. Malgré quelques maladresses – l’impudeur sans limite d’un prisonnier, une participation inutile du public lors du procès final –, I Will Survive tisse avec intelligence deux histoires qui dévoilent, petit à petit, les fractures de l’époque jusqu’à une mémorable rencontre finale entre l’humoriste et la femme battue.

 

Si le procès en appel de Cécile Gallot pose de manière remarquable la tragédie des femmes victimes de violences conjugales, la réflexion sur le comique bas du front pris au piège de ses propres mots aurait mérité d’être plus approfondie. Reste que la capacité des Chiens de Navarre à marquer les esprits demeure intacte. A l’image du cadre supérieur transformé en Joker dans La vie est une fête, le procureur mué en Dark Vador d’I Will Survive est aussi dérangeant qu’inoubliable.

 

 

« I Will Survive », par Les Chiens de Navarre. Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse. Grande Halle de La Villette, Paris 19e, jusqu’au 13 décembre. Puis en tournée : à la MAC de Créteil (Val-de-Marne), du 8 au 14 janvier 2026 ; à L’Onde, à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), les 22 et 23 janvier 2026 ; aux Bords de Scènes, à Juvisy-sur-Orge (Essonne), les 30 et 31 janvier 2026 ; à la MC2 de Grenoble, du 4 au 6 février 2026… et au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, du 29 mai au 27 juin 2026.

Sandrine Blanchard / Le Monde 

 
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December 9, 8:22 AM
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La petite cuisine du réalisateur Amine Adjina contre les préjugés

La petite cuisine du réalisateur Amine Adjina contre les préjugés | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Valentin Pérez dans Le Monde - 9 décembre 2025

 

Après une longue carrière dans le théâtre, l’acteur et metteur en scène réalise son premier film, « La Petite Cuisine de Mehdi », en salle le 10 décembre, dans lequel il explore avec humour le thème de la double culture.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/12/09/la-petite-cuisine-du-realisateur-amine-adjina-contre-les-prejuges_6656570_4500055.html

Le rendez-vous est fixé dans la chaleureuse brasserie de l’Est parisien Chez Justine, qui s’avère être, précise le réalisateur Amine Adjina, le lieu où il fut barman il y a vingt ans. Après une maîtrise de gestion, il avait pointé son nez à la Sorbonne. « En arrivant dans l’amphithéâtre, je me suis dit : “Je vais partir et je ne reviendrai plus.” »

Une fois la porte claquée, les services du soir dans ce restaurant lui ont permis de financer des cours de théâtre à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), puis au conservatoire de Créteil (Val-de-Marne). « Je rêvais de cinéma, mais je voulais surtout jouer, et c’est d’abord le théâtre qui m’a happé. Au fond de moi, c’est bizarre, mais je me suis toujours dit : “Le cinéma, ça arrivera à 40 ans.” »

 
Nous y voilà. Le 10 décembre, La Petite Cuisine de Mehdi, le premier film d’Amine Adjina, 41 ans, fera sa sortie dans les salles françaises. Il n’en est pas l’interprète mais le scénariste et le réalisateur.

Derrière les apparences d’une comédie de quiproquos – un chef cuisinier trentenaire (Younès Boucif) dissimule sa mère algérienne à sa petite amie française et demande à une tenancière de bar (Hiam Abbass) d’incarner sa fausse génitrice, jusqu’à s’emberlificoter dans son mensonge –, le long-métrage interroge les tiraillements liés à sa double culture. « Moins en raison de la honte que par des conflits de loyauté que cela provoque », souligne ce Franco-Algérien dont le père a tenu un café-restaurant oriental dans le quartier populaire de Barbès.

Eloge de la mixité

Avant de passer derrière la caméra, Amine Adjina, formé à l’école de cinéma la Fémis en écriture de scénarios, a accumulé quinze années d’expérience dans le théâtre, toutes déjà traversées par la question des identités hybrides, du multiculturalisme ou de la mémoire algérienne.

 

Comédien, il a donné à entendre au public les mots de l’écrivain figure de l’anticolonialisme Frantz Fanon ou de l’auteur autrichien Peter Handke. Dramaturge et cometteur en scène avec sa complice et compagne, Emilie Prévosteau, il déploie, de pièce en pièce, une œuvre qui propose un éloge de la mixité.

 

 

Un garçon français qui ruse pour se faire passer pour arabe afin de garder un ami (Arthur et Ibrahim, en 2018), trois gamins qui déconstruisent le roman national (Histoire(s) de France, en 2021), des citoyens luttant pour la survie d’un jardin ouvrier (Nos jardins, en 2023)…

 

Son écriture, précise et gaie, questionne la réalité de ce qui lie et sépare des personnages évoluant souvent dans des lieux publics : l’école, le jardin, aujourd’hui la salle de restaurant, et, dans une de ses prochaines créations, le salon de coiffure. « C’est dans ces endroits extérieurs au foyer que la rencontre est possible, que l’altérité peut surgir. »

« Des gens représentés nulle part »

Féru d’histoire, Amine Adjina profite du plateau pour convoquer librement des icônes du passé et les confronter à ses protagonistes. Ainsi, avec lui, un Vercingétorix peut renaître, mais sous des traits féminins ; Louis XIV ou Louis XVI, dialoguer avec la jeunesse des années 2020. « Dans cette période où on voudrait nous raconter une certaine pureté de l’histoire et de l’identité française, j’aime pouvoir détourner ces figures », dit Amine Adjina en sortant de sa poche La France éternelle, une enquête archéologique (La Fabrique, 2025), le dernier livre de Jean-Paul Demoule, dans lequel il bat en brèche les idées préconçues sur nos racines notamment gauloises.

 

 

C’est à Oran, sur la côte algérienne, que le primo-cinéaste a passé les étés de son enfance, des journées entières à traîner joyeusement dans le quartier, à jouer avec les cousins, des mélodies de raï pour bande-son. « Des vacances de grande liberté », se souvient-il, avant le retour à Paris, métro Château-Rouge (18e). Les artistes qui l’inspirent sont souvent ceux qui racontent les influences brassées et « une certaine histoire de l’immigration » : Abdellatif Kechiche, Martin Scorsese ou Pier Paolo Pasolini, dont il s’est emparé du Théorème en 2023, pour une adaptation à la Comédie-Française.

 

« J’essaie, au théâtre comme au cinéma, de faire surgir, sans pathos, des gens que je ne vois nulle part représentés. Je montre par exemple, dans mon film, qu’une mère maghrébine n’est pas cette pauvre petite femme lisse qui s’efface en demandant pardon. En ce sens, bien sûr que mon travail est politique », revendique-t-il.

 

Il mesure, de façon très personnelle, les effets de la détérioration des relations diplomatiques entre Paris et Alger. « Ma mère, qui vit en France depuis cinquante ans, a dû attendre pas moins de dix mois avant le renouvellement de sa carte de résidente », confie-t-il. La possibilité de voir une de ses pièces jouée à Alger a tourné court récemment, en raison du contexte politique.

 

Mais cela ne l’empêche nullement de continuer à creuser le sillon de sa double culture. La Petite Cuisine de Mehdi, prévient-il, n’est que le premier long-métrage d’une trilogie consacrée aux relations franco-algériennes. Il prévoit déjà de situer l’intrigue de son dernier volet de l’autre côté de la Méditerranée, sur la terre de ses parents.

 

Valentin Pérez / Le Monde 

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December 1, 7:18 AM
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Théâtre du Soleil : la faillite d’une utopie

Théâtre du Soleil : la faillite d’une utopie | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Article de Sarah Brethes dans Mediapart - 30 nov. 2025

 

 

La célèbre troupe est visée par une enquête de la brigade de protection des mineurs de Paris. Deux comédiens, qui nient les faits, sont accusés d’y avoir agressé sexuellement des jeunes filles et des femmes pendant au moins quinze ans, selon une enquête de Mediapart. Son emblématique directrice, Ariane Mnouchkine, reconnaît avoir été informée d’accusations dès 2023.

 

Le 2 avril dernier, en toute discrétion, deux comédiens quittaient les anciens bâtiments militaires qui abritent depuis 1970 le Théâtre du Soleil, franchissant pour la dernière fois la grille en fer forgée rouge et argent de la Cartoucherie de Vincennes, à Paris. Six jours plus tôt, les mots d’une jeune femme, entendue par une commission d’enquête à l’Assemblée nationale, avaient provoqué une déflagration au sein de la troupe fondée en 1964 sur un projet d’utopie artistique, politique et communautaire, toujours dirigée par Ariane Mnouchkine.

À 86 ans, la célèbre metteuse en scène, longtemps connue pour ses engagements à gauche, est à la tête de la compagnie la plus subventionnée de France, avec 2 millions d’euros versés chaque année par le ministère de la culture.

 

Le 24 mars, Agathe Pujol, 32 ans, avait livré, sous serment, le récit accablant de ses années de « bénévolat » au théâtre – deux ans de « travail gratuit » au bar, à la cuisine ou en coulisses, alors qu’elle était lycéenne et rêvait de devenir comédienne, entre 2010 et 2012. « J’y ai appris les messes basses, les manipulations constantes, le “diviser pour mieux régner”, les addictions diverses, la sexualité imposée », avait énuméré la jeune femme, par ailleurs plaignante dans l’enquête judiciaire visant le comédien Philippe Caubère, pilier du Soleil dans les années 1970, mis en examen pour viols sur mineures notamment.

Paroxysme d’« une pression sexuelle constante », Agathe Pujol avait dénoncé face aux député·es « une tentative de viol » lors du réveillon du 31 décembre 2010, alors qu’elle était mineure et ivre.

 

Quelques semaines plus tard, la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le secteur artistique, puis le ministère de la culture, qui subventionne le théâtre, ont adressé des signalements au parquet de Paris, portant sur des faits de violences sexuelles et comportant plusieurs témoignages écrits, selon les informations de Mediapart. « Le signalement a été confié à la brigade de protection des mineurs au début de l’été 2025 », a indiqué le parquet. De premières auditions sont prévues pour décembre, selon nos informations.

Agathe Pujol est-elle un cas isolé ? Au cours de plusieurs semaines d’enquête, Mediapart a pu rassembler et recouper les témoignages de huit personnes, ex-salariées ou bénévoles du théâtre, qui dénoncent des violences sexuelles allant du harcèlement au viol, pour trois d’entre elles. Certaines étaient mineures au moment des faits, qui se seraient déroulés entre 2010 et 2025. Toutes désignent deux hommes : Sébastien Brottet-Michel, présenté comme le « protégé » voire le « bras droit »d’Ariane Mnouchkine, et Farid Gul Ahmad.

Les deux quinquagénaires ont finalement été priés de quitter la « famille » du Soleil par une Ariane Mnouchkine acculée par des pressions internes, mais aussi externes : une enseignante avait signifié fin mars que son étudiante en alternance, en arrêt maladie après avoir dénoncé une agression sexuelle, ne reviendrait pas tant que le second serait membre du théâtre.

Sollicités par Mediapart, les deux hommes, accusés respectivement par huit et trois personnes, nient les faits. Maïa Kantor, l’avocate de Sébastien Brottet-Michel, contre lequel se concentrent les accusations les plus graves, a indiqué que son client « conserv[ait] pour l’institution judiciaire ses explications, si une procédure devait être engagée ». Farid Gul Ahmad a de son côté répondu que « les faits » avaient été « déformés » et que de « fausses accusations » étaient portées contre lui.

 

Ariane Mnouchkine, qui nous a accordé un long entretien (lire notre boîte noire), reconnaît avoir été informée de premières accusations visant Sébastien Brottet-Michel en 2023. Elle dit « regretter d’avoir réagi trop tard », mais estime avoir été « dupée » et réfute tout « côté systémique ».

En tant qu’employeuse, elle affirme avoir elle-même transmis à la justice environ soixante-cinq témoignages recueillis dans le cadre d’une « enquête interne », dont plusieurs mettent en cause les deux comédiens, et précise avoir nommé dix « référents » harcèlement, qui ont été formés.

Aux yeux des seize membres et anciens membres du Soleil que nous avons interrogés, les hommes mis en cause au fil des ans ont bénéficié de l’indulgence voire de la protection d’un système délétère, régi depuis plus de soixante ans par la toute-puissante metteuse en scène.

« À quel moment un groupe comme le Soleil chasse, complètement et sans pardon possible, un de ses membres ? », demandait Ariane Mnouchkine au lendemain de l’audition d’Agathe Pujol, lors d’une réunion de crise édifiante (lire notre encadré). Enquête en trois actes.

 

Acte I – Le calvaire des « lycéennes naufragées »

 

Agathe Pujol n’était pas la seule « lycéenne »– c’est ainsi qu’on appelait leur petite bande au Soleil – à passer week-ends et vacances scolaires dans le cadre magique de la Cartoucherie, isolée au cœur du bois de Vincennes, au début des années 2010. Julie*, Lucie C. et Marion C. avaient entre 15 et 17 ans quand elles y ont débarqué, « éblouies par le lieu, les comédiens, la troupe » au rayonnement international.

Toutes faisaient option théâtre dans leur lycée, à Paris ou en banlieue, où l’Agamemnonmis en scène par Ariane Mnouchkine, dont le caractère autoritaire les « terrorisait »« mais on pensait que cela allait avec le génie », dit Lucie C .–, était au programme du bac. Certaines étaient arrivées pour prêter main-forte lors des manifestations contre la réforme des retraites de l’époque, où la troupe arborait dans les cortèges une gigantesque marionnette, allégorie de la justice. Elles aidaient au bar, à la cuisine, au ménage, dormaient dans le « gourbi » à l’étage, parfois même sous la scène.

Quinze ans plus tard, toutes les quatre, dont les chemins se sont éloignés après le Soleil, gardent un traumatisme de leur expérience à la Cartoucherie. Toutes les quatre dénoncent aussi des violences sexuelles de la part de Sébastien Brottet-Michel, alors âgé d’une quarantaine d’années, qu’elles présentent comme le « favori » d’Ariane Mnouchkine.

Julie a déposé plainte contre lui en 2021 pour corruption de mineure, au terme d’un long processus, aidée par le mouvement #MeToo – des faits requalifiés en viol sur mineure par le magistrat au cours de la procédure car, selon son témoignage, le comédien lui aurait « imposé une pénétration [...] et des attouchements par surprise dans les coulisses du théâtre ».

 

 

 

La jeune femme dénonce plus généralement une relation faite de manipulation avec le comédien de vingt-trois ans son aîné, alors qu’elle n’avait que 15 ans. Selon son récit, l’acteur qui se posait en « mentor » lui aurait notamment imposé des actes sexuels dans des lieux publics, dans une voiture devant un collège et au jardin des Tuileries. L’enquête a été classée sans suite en 2023 pour infraction insuffisamment caractérisée. Julie se prépare à déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile.

Lucie C. décrit, elle, l’emprise et les violences sexuelles que le comédien lui aurait infligées pendant plus d’un an, alors qu’elle était, à peine majeure, employée pour s’occuper des enfants de la troupe, entre 2012 et 2014. Elle relate des actes sexuels violents, dans les recoins du théâtre – « sa main sur ma bouche pour que je me taise » –, sous les gradins ou dans un placard à balais situé derrière la scène. Mais aussi dans un cimetière et dans un jardin près du Grand Palais.

 

« Je ne pouvais rien faire ou dire. Il était proche d’Ariane et moi j’étais juste une nouvelle. Je voulais être comédienne, je me disais que tout ça était affreux mais que ça allait passer », raconte la jeune femme qui a finalement fui à l’étranger. Et abandonné le théâtre.

 

Pour illustrer cette injonction au silence, Lucie C. évoque une scène, celle d’une comédienne, Céline*, qui serait « sortie de scène en hurlant qu’elle n’en pouvait plus, qu’un comédien lui avait encore touché les fesses ». « On lui a répondu “c’est bon, ça va” », se souvient-elle. Après des années marquées par des conduites à risque, les souvenirs de cette époque la hantent encore : « Tellement de choses se sont passées là-bas… Aujourd’hui, pour 10 % de ça, j’appellerais la police ! »

Agathe Pujol désigne aussi Sébastien Brottet-Michel comme son deuxième agresseur au Soleil, après Farid Gul Ahmad, auteur, selon son récit à Mediapart, de la tentative de viol subie lors du réveillon du Nouvel An 2010 dénoncé à l’Assemblée. Elle décrit des masturbations exigées dans la voiture quand il la ramenait chez elle, mineure, mais aussi un viol par sodomie, chez lui, alors qu’elle avait à peine 18 ans.

« Nous n’avions aucune relation. J’étais un objet de consommation, mise en concurrence avec les autres lycéennes naufragées, à qui il a imposé un univers perverti », dit-elle aujourd’hui. La jeune femme a gardé de cette époque le texte d’un mail où le comédien lui propose de le « retrouver autour d’un café »si elle veut « lui poser des questions sur ce dur métier », daté de 2010. Et une lettre de recommandation pour intégrer un CAP, en 2011.

 

« Il ne peut que rappeler que les relations qu’il a pu entretenir et nouer ont toujours été consenties », a répondu à Mediapart l’avocate de Sébastien Brottet-Michel, interrogé précisément sur l’ensemble de ces accusations. Son collègue nie également les faits reprochés.

 

Dans un signalement adressé en juillet à la Milivudes, une ancienne bénévole dénonce « un système d’emprise, de précarité organisée, de violence tue ».

Une quatrième ancienne bénévole, Marion C., très amie avec Lucie C. à l’époque, raconte de son côté « une injonction au sexe » de la part de « certains comédiens », injonction qu’elle aurait refusée, ce qui lui aurait valu d’être « écartée » de la troupe. « De nombreux livres parlaient du Soleil, ça rendait les comédiens immenses et importants dans nos yeux d’adolescentes. On les idolâtrait. Certains en ont profité et abusé, nous répétant sans cesse combien nous étions matures », raconte-t-elle.

 

Marion, comme les autres, décrit des « caresses sur les fesses », même quand elles étaient « en sous-vêtements ». « L’absence totale d’intimité », alors que les jeunes filles se changeaient et se douchaient « en public ». « J’ai toujours parlé du Soleil comme d’une secte et d’un baisodrome. Ces gens travaillent, mangent, vivent, dorment, copulent ensemble et, pour certains, font des enfants », lance-t-elle.

Un comédien présent ces années-là se souvient très bien des adolescentes. « Ces filles-là sont venues par amour du théâtre, il aurait fallu les prendre sous nos ailes et les protéger. Au lieu de ça, des comédiens en ont profité. Ce qu’a décrit Agathe Pujol lors de son audition, je ne peux pas mieux le décrire », dit-il, affirmant avoir vu Julie « essayer de résister ». En vain.

Les acteurs mis en cause « jouissaient d’une totale confiance auprès d’Ariane et il était impossible de l’atteindre pour les dénoncer », regrette-t-il, tout en précisant qu’« [il] n’[a] aucun compte à régler avec le Théâtre du Soleil », « où il y a eu de la joie, et beaucoup de beauté aussi ».

« Il s’est passé des choses qui n’étaient pas acceptables, j’ai de la colère envers moi-même de n’avoir rien dit », abonde une autre salariée de la troupe, qui avait 20 ans à l’époque. « Elles étaient mineures et on n’a pas fait la différence, personne n’a réagi. […] On a tous participé à ça », admet-elle. Plusieurs autres membres de la troupe, plus âgés et moins présents lors des soirées, alcoolisées, assurent quant à eux n’avoir rien vu.

Informée par Mediapart de la nature des témoignages des « lycéennes », outre celui d’Agathe Pujol, dont elle a parlé en des termes très violents (lire l’encadré), Ariane Mnouchkine semble abasourdie : « Je reste dans l’incompréhension qu’elles n’aient pas prévenu quelqu’un. Si seulement elles avaient eu le réflexe d’envoyer une bonne claque, ou au moins de répondre ! »

Début juillet, une des anciennes bénévoles a adressé un signalement à la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Milivudes), que Mediapart a pu consulter. Elle dénonce, dans cette alerte en cours de traitement, « un système d’emprise, de précarité organisée, de violence tue ». Mais aussi un lieu d’exploitation des vulnérabilités, dominé par une « hiérarchie organisée » via du favoritisme, où règne une « atmosphère de paranoïa », une « valorisation de la brutalité », des identités « gommées », une absence d’intimité. Qui, in fine, « brisent des vies ».

« Lunaire », répond une Ariane Mnouchkine « coite ». « C’est toute la tentative de fonctionnement solidaire du Théâtre du Soleil, qui a fait son travail de collectivité humaine en accueillant des gens venus d’Algérie, du Cambodge ou d’Afghanistan, ou des familles monoparentales sans logement », lâche-t-elle

 

 

Acte II – Des alertes, des œillères et quinze ans d’ultimatums

« J’étais au courant de sa violence. Il était querelleur, agressif, parfois méchant, mais parfois très gentil aussi. Rien de sexuel n’avait été porté à ma connaissance », se défend Ariane Mnouchkine au sujet de Sébastien Brottet-Michel, présenté par de nombreux témoins comme son « protégé », voire son « fils spirituel ».

La dramaturge reconnaît pourtant avoir appris de la bouche du comédien, en 2023, qu’il avait été visé par une enquête judiciaire pour viols sur mineure à la suite de la plainte de Julie. « Il m’en a parlé quand ça a été fini », balaie-t-elle.

Elle reconnaît aussi avoir été saisie, en avril 2024, par une jeune comédienne, venue lui parler, « avec deux, trois filles, bouleversées », de violences de nature sexuelle commises par ce dernier. « J’ai écrit une lettre d’ultimatum avec elles, que je leur ai soumise, disant que si ça se reproduisait ce serait une rupture, quelles que soient les conséquences pour le spectacle », relate-t-elle.

 

 

Lors de la réunion de crise, déni et victimes malmenées

Au lendemain de l’audition d’Agathe Pujol, le 24 mars, la fondatrice du Soleil convoque l’équipe pour une réunion de crise. Une journaliste du Monde, critique de théâtre, est invitée, mais son article élude certains éléments édifiants.

 

Lors de cet échange de plus de trois heures, dont Mediapart a pu écouter un enregistrement, deux clans semblent s’affronter : celui des « anciens », qui s’émeuvent du tableau au vitriol dressé par la jeune femme, dans lequel ils ne reconnaissent pas leur théâtre, et les plus jeunes, qui appellent à de vrais changements. Un jeune comédien révèle avoir subi des agressions sexuelles, ajoutant que « trois personnes » ont été victimes d’agressions, « deux autres ici présentes », et que « ça date de cette année », avant de lire un extrait du Code pénal définissant les agressions sexuelles.

 

« Je me suis fait toucher le sexe aussi. Qu’est-ce qu’on va faire pour plus que ça arrive ? », enchaîne un autre. Alors que plusieurs personnes prennent la parole pour appeler à des mesures contre les comédiens mis en cause (jamais nommés et présents lors de la réunion), leur employeuse, qui a pour premier souci de « défendre » le théâtre, renvoie la conversation à « plus tard ». À une jeune fille qui souligne l’urgence de réagir, victime elle aussi, elle répond qu’elle parle « sans se rendre compte du concret de la situation ».

 

Ariane Mnouchkine y a aussi des mots très durs pour Agathe Pujol, qualifiée de « pathologie ambulante », qui « serait dans une entreprise de destruction du théâtre » : « Elle veut nuire, et Sandrine Rousseau [la présidente de la commission d’enquête parlementaire – ndlr] va s’en servir pour son projet politique », dit-elle sans plus de précision.

 

« Ça me met très en colère d’être mise en défaut devant ces gens-là, dont je n’approuve pas les méthodes, dont je n’apprécie pas la férocité radicale. Moi, je vais peut-être vous surprendre, mais je ne suis pas une féroce radicale, je crois toujours à la persuasion, à l’éducation, à l’amour, à l’amitié, à l’estime réciproque, à la patience », conclut-elle.

 

« Ariane le protégeait et lui pardonnait tout car il a eu une enfance difficile, dénonce Julie, l’ancienne bénévole du théâtre qui a déposé plainte contre l’acteur en 2021. C’est très bien de défendre les sans-papiers, d’aller en Ukraine, mais ça paraît sournois et hypocrite quand derrière on protège des hommes accusés d’agresser des femmes. Encore une fois, les femmes sont les premières victimes. »

Selon nos informations, la fondatrice du Soleil a par ailleurs été saisie à de multiples reprises par plusieurs membres de la troupe, depuis au moins quinze ans, au sujet des « accès de violence » du comédien (gifles infligées à des collègues, insultes, prises au col, crises de colère, jets d’assiettes…).

 

Des membres se souviennent notamment d’une réunion, en 2010 – année de l’arrivée des « lycéennes » –, où son départ avait, en vain, été réclamé à Ariane Mnouchkine. « Il y a eu une discussion où des gens ont été virulents, mais la majorité a décidé qu’il fallait encore essayer, se remémore la metteuse en scène. C’est vrai qu’on a eu trop de patience avec Sébastien. Je le regrette, j’aurais dû réagir plus tôt mais je n’avais pas tous les éléments. Et puis les gens changent parfois, progressent, se calment… »

 

« Je crois que notre responsabilité a été de faire porter à des gens qui n’avaient rien demandé le poids d’un personnage problématique, qu’on avait décidé de porter collectivement, au nom de principes “éducatifs” », concède une comédienne présente à cette époque. « Ariane savait des choses et ne faisait pas grand-chose contre sa violence verbale, physique et envers les femmes. Il était très préservé, elle passait systématiquement l’éponge, aussi car il lui était très loyal », estime un autre, plus sévère.

 

Au-delà, certain·es vont même jusqu’à pointer la responsabilité, loin du modèle égalitaire affiché, d’une ambiance de « monarchie absolue » avec son « cercle de courtisans », « patriarcale », voire même une forme de « misogynie » – ce qui fait sourire jaune la dramaturge, qui jouit d’une image publique de militante féministe de la première heure.

 

Outre les bénévoles, plusieurs membres du théâtre nous ont affirmé avoir subi des violences sexuelles de la part de Sébastien Brottet-Michel entre 2010 et 2025. Céline*, évoquée par Lucie C., confirme à Mediapart les mains aux fesses, actes sexuels mimés sur son corps et exhibitions de son sexe, endurées alors qu’elle était jeune comédienne, entre 2010 et 2012. Et dont elle n’a jamais osé se plaindre auprès d’Ariane Mnouchkine.

 

Louise*, en poste à l’administration, n’a, elle non plus, pas parlé à la cheffe de la troupe des « insanités » glissées de manière récurrente à son oreille, « parfois audibles par tout le monde, et qui ne semblaient choquer personne », et des gestes déplacés, entre 2017 et 2020, alors qu’elle avait une vingtaine d’années et avait été cataloguée « sainte Nitouche » par le comédien.

 

Questionné sur ces témoignages, Sébastien Brottet-Michel a répondu par l’intermédiaire de son avocate : « Des attitudes familières à la vie de troupe pourraient sembler déplacées hors de leur contexte. »

 

 

Acte III – En 2024, une « grosse baffe » en guise de sanction

Le 14 mars, quelques jours avant l’audition d’Agathe Pujol, Manon, 23 ans, franchit la porte du commissariat du XIe arrondissement. Elle est étudiante en alternance au service de presse du théâtre depuis un an et vient de se résigner à déposer une main courante pour dénoncer une tentative de viol qui aurait eu lieu un an plus tôt, lors de la fête organisée au Soleil pour les 85 ans d’Ariane Mnouchkine.

 

 

Elle explique au policier qu’un comédien, Farid Gul Ahmad, l’aurait attirée dans les vestiaires alors qu’elle cherchait de l’eau, avant de la bloquer contre l’évier, de « l’embrasser de force » malgré ses « non », de toucher ses parties intimes et frotter son sexe contre elle. Jusqu’à ce qu’elle parvienne à s’échapper.

 

Elle relate aussi à la police que la patronne du théâtre, informée, a convoqué le comédien et lui « a remonté les bretelles ». « Sur le moment ça m’a suffi. Les gens de la troupe sont venus me voir et me réconforter, ils m’ont dit “désolé [...], on t’a pas prévenue” », poursuit-elle, selon le procès-verbal consulté par Mediapart.

Lors de son entrevue avec le comédien, Ariane Mnouchkine confirme lui avoir assené une gifle après l’avoir traité de « dégueulasse » et de « pervers ». « À l’ancienne », a convenu auprès de nous la metteuse en scène, expliquant que le « récit de la jeune fille n’était pas suffisamment étayé » à l’époque et qu’elle pensait qu’il s’agissait d’un « baiser volé ».

 

 

C’est aussi comme ça qu’elle se justifie d’avoir ensuite laissé le comédien accueillir le public à ses côtés à la porte du théâtre, alors même que Manon lui avait demandé qu’il ne soit plus dans son champ de vision quand elle travaillait à la billetterie. « Ariane m’a dit sèchement qu’il avait eu sa punition et que ce n’était pas à moi de lui dire quoi faire avec ses comédiens », expose la jeune fille.

L’étudiante finit par se décider à venir au commissariat car, explique-t-elle aux policiers, « au mois de janvier, [elle a] appris qu’il avait demandé son contact à une stagiaire de 19 ans ». Sur procès-verbal, Manon explique : « Je souhaite faire une main courante dans le cas où une autre fille viendrait déposer plainte. »

 

 

La scène qu’elle décrit ressemble, sans qu’elle le sache, à celle décrite par Agathe Pujol à Mediapart, qui aurait eu lieu quatorze ans plus tôt : « Farid m’a prise par le bras et entraînée vers les caisses de stockage, contre lesquelles il m’a bloquée de tout son poids », relate cette dernière. La trentenaire ajoute qu’elle était « saoule » et se souvient « avoir dit non » et « avoir réussi à réunir ses forces pour le repousser en entendant une chanson des Beatles » qui l’aurait ramenée à la réalité.

 

De cette fête de réveillon, Marion C., une des autres bénévoles, se remémore, écœurée, « des pleurs » et « des lycéennes qui consolaient Agathe ».

 

« C’est aussi comme ça qu’elle se justifie d’avoir ensuite laissé le comédien accueillir le public à ses côtés à la porte du théâtre, alors même que Manon lui avait demandé qu’il ne soit plus dans son champ de vision quand elle travaillait à la billetterie. « Ariane m’a dit sèchement qu’il avait eu sa punition et que ce n’était pas à moi de lui dire quoi faire avec ses comédiens », expose la jeune fille.

L’étudiante finit par se décider à venir au commissariat car, explique-t-elle aux policiers, « au mois de janvier, [elle a] appris qu’il avait demandé son contact à une stagiaire de 19 ans ». Sur procès-verbal, Manon explique : « Je souhaite faire une main courante dans le cas où une autre fille viendrait déposer plainte. »

 

 

La scène qu’elle décrit ressemble, sans qu’elle le sache, à celle décrite par Agathe Pujol à Mediapart, qui aurait eu lieu quatorze ans plus tôt : « Farid m’a prise par le bras et entraînée vers les caisses de stockage, contre lesquelles il m’a bloquée de tout son poids », relate cette dernière. La trentenaire ajoute qu’elle était « saoule » et se souvient « avoir dit non » et « avoir réussi à réunir ses forces pour le repousser en entendant une chanson des Beatles » qui l’aurait ramenée à la réalité.

 

De cette fête de réveillon, Marion C., une des autres bénévoles, se remémore, écœurée, « des pleurs » et « des lycéennes qui consolaient Agathe ».

 

 

Les relations affectives prennent l’ascendant sur tout, ouvrant un magnifique terrain de jeu aux gens mal intentionnés.

Manon, dans son rapport d’alternance sur le Théâtre du Soleil

 

 

Une autre des lycéennes, Lucie C., raconte avoir subi les assauts du comédien à la même période. Elle a conservé des SMS de 2011, consultés par Mediapart, où Farid Gul Ahmad insiste pour la voir et lui dit que « ce n’est pas grave » si elle « n’est pas amoureuse ».

 

Selon le témoignage de la jeune fille, ce dernier l’aurait « embrassée de force » et aurait « tenté plusieurs fois de l’entraîner dans sa roulotte ». « Je me souviens qu’il m’avait tenue beaucoup trop fort, qu’il m’avait fait mal et que j’étais terrorisée », relate-t-elle, expliquant « avoir arrêté de venir au Soleil pendant un moment », de peur que la scène se reproduise.

 

Ariane Mnouchkine nie avoir été informée des violences de ce deuxième comédien avant mars 2024. La question de l’exclure de la troupe à ce moment-là s’est-elle posée ? « À l’époque, Ariane m’a répondu qu’il avait une femme et des enfants, et que c’était elle qui l’avait fait venir de l’étranger », témoigne une membre de la troupe, qui regrette aujourd’hui « des choses qui se sont passées et qu’on aurait pu empêcher ».

 

« Les agresseurs sexuels qui fréquentaient encore la troupe lors de mon année d’alternance ont longtemps bénéficié du silence de certains membres de la troupe. Par tendresse, par histoire commune, par désintérêt peut-être », écrit Manon dans son rapport d’alternance, remis à l’été 2025 à l’université de Nanterre.

 

« L’affection et l’amour » ont pu servir de « bouclier » aux coupables, estime-t-elle, rappelant qu’Ariane Mnouchkine considère son théâtre comme une famille, interpellant les membres de la troupe par des « mes enfants » ou « mes chéri·es ».

 

À ses yeux, comme à ceux de beaucoup d’autres membres, « le Soleil est aussi un lieu magnifique où on aide les gens, mais où les relations affectives prennent l’ascendant sur tout, ouvrant un magnifique terrain de jeu aux gens mal intentionnés ».

 

Sarah Brethes

 

Boîte noire

Mediapart a sollicité par téléphone le 13 novembre les deux comédiens mis en cause, Sébastien Brottet-Michel et Farid Gul Ahmad, pour leur demander un entretien.

 

Tous deux nous ont demandé des questions écrites. Le 17 novembre, nous leur avons donc adressé une série de questions précises relatives aux témoignages que nous avions recueillis, afin qu’ils puissent répondre précisément aux accusations portées.

Sébastien Brottet-Michel les a transmises à son avocate, Maïa Kantor, qui nous adressé par SMS, le 22 novembre, une réponse générale, qui figure en intégralité dans l’article, précisant que son client « conserv[ait] pour l’institution judiciaire ses explications ».

Farid Gul Ahmad nous a répondu par SMS le 18 novembre : « J’ai lu vos questions mais, dans la plupart des cas, les faits ont été déformés et de fausses accusations ont été portées contre moi, ce que je réfute. […] Si vous le souhaitez, nous pouvons en discuter directement. » Après ce message, nos appels et relances SMS sont restés sans réponse.

 

 

Nous avons fait le choix de mentionner leurs noms complets, s’agissant de comédiens d’une compagnie de théâtre mondialement connue, pour l’un d’entre eux en situation de pouvoir au sein de cette troupe, visés par une enquête judiciaire pour des faits de violences sexuelles et par ailleurs mis en cause au cours de notre enquête par de nombreux témoignages courant sur de nombreuses années. Nous avons jugé qu’il s’agissait d’informations d’intérêt public.

 

Pour l'heure, selon nos informations, les deux comédiens ne sont pas visés nominativement par l'enquête judiciaire ouverte par la brigade des mineurs. Si cela venait à être le cas, ils bénéficieraient dans ce cadre de la présomption d'innocence. 

 

Ariane Mnouchkine a reçu Mediapart pendant près de deux heures au Théâtre du Soleil, accompagnée de son assistant, et elle a accepté de répondre à l’ensemble de nos questions. En préambule, elle a tenu à souligner qu’elle « ne se sentait pas la légitimité de remplacer la justice » et tenait donc confidentielles les informations relatives à l’enquête interne menée dans son théâtre, transmises au parquet de Paris. 


À l’issue de la rencontre, nous avons proposé de nous entretenir avec d’autres membres de la troupe. Seule une personne a accepté. 

 

 

Boite noire de l’article de Mediapart:

Nous avons enregistré l’entretien, tout comme Ariane Mnouchkine.

* Les prénoms qui portent un astérisque sont des prénoms d’emprunt, les personnes ayant souhaité conserver leur anonymat.

Les personnes qui dénoncent des violences sexuelles ont relu et validé leurs témoignages et citations par écrit.

Nous avons débuté notre enquête en juin 2025. Outre Ariane Mnouchkine, nous avons mené seize entretiens avec des personnes qui ont été ou sont membres du Théâtre du Soleil, et consulté un certain nombre de documents (enregistrement sonore de réunion, SMS, mails…).

 

Sarah Brethes - Mediapart 

 

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L'article de Télérama :

 

“J’ai giflé ce garçon” : Ariane Mnouchkine se défend tant bien que mal, acculée par une enquête de “Mediapart” sur le Théâtre du Soleil

 

De nouvelles accusations d’agressions sexuelles et de viols, notamment sur mineures, visant deux comédiens, renforcent les soupçons de dysfonctionnements sur le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine ces quinze dernières années.

 

Par  Tiphaine Le Roy / Télérama 

Réservé aux abonnés

Publié le 01 décembre 2025 à 18h

 

Le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine pourra-t-il se relever des accusations de violences sexistes et sexuelles qui auraient eu cours pendant de nombreuses années en son sein ? Au vu de l’enquête publiée par Mediapart le 30 novembre, il est raisonnablement permis d’en douter. D’autant que les propos de la metteuse en scène au média d’investigation posent question quant au respect des engagements dans la lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS), auxquels sont pourtant conditionnées les aides du ministère de la Culture — soit 2 millions d’euros annuels de subventions de fonctionnement pour le Théâtre du Soleil.

 

L’image de la mythique troupe s’assombrissait déjà sérieusement à la suite du témoignage sous serment de la comédienne Agathe Pujol, le 24 mars dernier, devant la commission d’enquête parlementaire relative aux violences commises dans le secteur artistique. Les déclarations de huit ex-salariées ou bénévoles du Théâtre du Soleil à Mediapart l’obscurcissent encore. Les faits porteraient sur des agressions sexuelles, mais aussi sur des viols pour trois d’entre elles. Ces propos viennent ainsi corroborer les propos d’Agathe Pujol, qui avait dénoncé une tentative de viol commise sur elle par un comédien au soir du 31 décembre 2010, au sein de l’établissement situé à la Cartoucherie de Vincennes, à Paris. Comme pour la comédienne — qui a également porté plainte pour viol contre Philippe Caubère, autre ancien de Soleil —, certaines agressions auraient été perpétrées sur des personnes mineures. Comme pour elle, toujours, certains faits se seraient déroulés au sein du théâtre.

 

Les témoignages recueillis accusent deux acteurs aujourd’hui quinquagénaires (tous deux également incriminés par Agathe Pujol de l’avoir agressée). Le premier est mis en cause par huit personnes, le second, par trois. Tous les deux nient les faits qui leur sont reprochés.

 

Le climat décrit à Mediapart se rapprocherait d’un système d’emprise de ces derniers portant sur de jeunes bénévoles, comédiennes ou professionnelles de l’administration du spectacle, au Théâtre du Soleil. Parmi les jeunes femmes interrogées, l’une d’entre elles, qui avait porté plainte en 2021 pour viol, dénonce une relation qui aurait été basée sur de la manipulation du comédien, alors qu’elle était âgée de 15 ans seulement. L’enquête aurait été classée en 2023 pour infraction insuffisamment caractérisée. Une autre femme, tout juste majeure, évoque des « actes sexuels violents dans les recoins du théâtre ». Comme la précédente femme citée, elle indique des rapports qui auraient été imposés dans des lieux publics à Paris. La proximité du comédien avec Ariane Mnouchkine revient dans les témoignages pour indiquer la difficulté à en parler à la metteuse en scène.

 

"Nous mesurons tout à fait la gravité depuis le début."

Ariane Mnouchkine

 

 

 

Interrogée par Télérama, Ariane Mnouchkine déclare « ne pas vouloir entrer en polémique avec Mediapart par article interposé. Je ne vois qu’une seule bonne nouvelle : la justice est moins lente que ce que l’on craignait, dit-elle en évoquant l’ouverture d’une enquête. Cela me soulage car nous allons pouvoir lui parler ». Mais si les deux comédiens sur lesquels portent les accusations ont quitté le Théâtre du Soleil le 2 avril, à la suite des pressions internes au sein de la compagnie, notamment, Ariane Mnouchkine semble avoir tardé à prendre les mesures nécessaires. Les propos qu’elle tient en réaction aux accusations de tentative de viol portées contre l’un des comédiens interrogent sur la difficulté pour la metteuse en scène à prendre la mesure des obligations en matière de VHSS.

 

 

L’acteur — sur lequel portent déjà les accusations d’Agathe Pujol concernant le réveillon du 31 décembre 2010 — aurait agressé une étudiante en alternance au service presse du Théâtre du Soleil lors de la fête organisée pour les 85 ans d’Ariane Mnouchkine, en 2024. « Nous mesurons tout à fait la gravité depuis le début », nous assure la metteuse en scène. Un début qu’elle date de l’audition d’Agathe Pujol, en mars dernier. Pourtant, ses réponses à Mediapart laissent entendre que certains faits d’agressions lui avaient été rapportés en 2024. À Télérama, elle précise, au sujet de l’agression dont aurait été victime l’étudiante en alternance : « Il y a eu un premier épisode qui ne semblait pas concerner des événements trop graves. J’ai été informée il y a un an, et j’ai giflé ce garçon, dit-elle à propos du comédien incriminé. La jeune femme semblait satisfaite. Ensuite, il y a eu un deuxième témoignage et les faits alors annoncés étaient beaucoup plus graves. C’était le 27 mars dernier. J’ai convoqué et congédié le comédien le lendemain, le 28 mars. »

Interrogée sur la description précise des faits qui lui avaient été rapportés la première fois, Ariane Mnouchkine n’a pas répondu. Lorsque nous lui avons demandé si elle n’aurait pas dû — dès cette époque — prendre des mesures pour accompagner la jeune femme, compte tenu des engagements imposés aux structures bénéficiant de subventions du ministère de la Culture, Ariane Mnouchkine a mis fin à la conversation.

 

 

Le ministère de la Culture informé

Depuis 2022, pourtant, le plan de lutte du ministère de la Culture contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) est on ne peut plus clair. Il impose aux structures qui lui demandent des aides de respecter un certain nombre d’engagements et de mesures de protections des personnes portant à leur connaissance des faits de VHSS, qu’elles en soient victimes ou témoins. Sur son site, le ministère note très précisément les obligations des structures à accompagner ces personnes, à les informer sur leurs droits et à les protéger. Contacté par Télérama, le ministère précise analyser la situation et avoir déjà demandé au Théâtre du Soleil de prendre les mesures requises pour toutes les conventions de financement, indiquant que cela aurait été fait. Il précise travailler actuellement sur les faits nouvellement portés à sa connaissance, dans le sens d’une gestion approfondie des questions soulevées.

 

La prochaine création du Théâtre du Soleil, Ici sont les dragons, deuxième époque, est prévue pour mars. Une exposition consacrée au Théâtre du Soleil doit aussi se tenir au Centre national du costume de scène et de la scénographie de Moulins (Allier) d’avril à septembre. Reste à voir comment les institutions se positionneront prochainement, et si le public conservera son enthousiasme pour une compagnie emblématique du renouveau théâtral post-1968, mais au travers de laquelle apparaît aujourd’hui le reflet d’une époque révolue.

 

Propos recueillis par Tiphaine Le Roy / Télérama 

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A Montpellier, le Théâtre national palestinien et son fondateur, François Abou Salem, à l’honneur 

A Montpellier, le Théâtre national palestinien et son fondateur, François Abou Salem, à l’honneur  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine pour Libération - 19 nov. 2025

Envoyée spéciale à Montpellier

 

 

La Biennale des arts de la scène en Méditerranée a programmé samedi 15 novembre la dernière création du metteur en scène franco-palestinien mort en 2011. Une œuvre à valeur d’archive.

 

 

Sous quelles conditions un spectacle constitue-t-il une archive ? A quelle vitesse le jeu et les mises en scène vieillissent-ils au point de s’auto-dissoudre ? Et qu’est-ce qu’un spectacle vraiment nouveau, qui ne soit pas une redite, mais fasse rupture dans le champ esthétique ? Trois questions en apparence très différentes, mais qui se sont rejointes de manière palpitante, à la Biennale des arts de la scène en Méditerranée, organisée par le Théâtre des 13 vents, le Centre dramatique national de Montpellier situé en bordure de la ville, dans une atmosphère foisonnante riche d’échanges en tout genre, le point d’orgue étant atteint samedi dernier. Pourquoi ? Eh bien parce que Nathalie Garraud et Olivier Saccomano qui dirigent le CDN depuis huit ans ne se contentent pas d’initier ladite Biennale dont c’est la troisième édition. Ils croisent le festival avec «Qui vive», un format mensuel qu’ils ont institué sous forme de carte blanche à un artiste programmé invité à son tour à convier qui il veut, montrer un film. Au sein de Qui vive, le chercheur et professeur d’histoire et d’esthétique théâtrale Olivier Neveux propose un séminaire, cette année, sur «les grandes ruptures en art».

Figure pleine de mystères

Deux «festivals» le même jour, dans un même lieu, auquel on ajoute un séminaire, c’est trop ? Non ! C’est surtout plein de ramifications et répercussions qui aimantent un public jeune et moins jeune, et beaucoup de directions des grands théâtres de tout le pourtour méditerranéen. Samedi dernier, ce Qui vive était un peu particulier, car l’artiste à l’honneur était une entité : le Théâtre national palestinien à travers la mémoire de son fondateur François Abou Salem à qui la chercheuse Najla Nakhlé-Cerruti vient de consacrer un livre (1). Figure encore pleine de mystères que François Abou Salem (1951-2011), né en France, scolarisé dès ses 3 ans dans une école publique palestinienne à Jérusalem-Est, parlant arabe couramment et se revendiquant palestinien. Après des études secondaires chez les Jésuites à Beyrouth, il revient en France où son parcours croise brièvement la troupe alors jeune du théâtre du Soleil. Puis il retourne après la guerre des Six Jours, dans les territoires désormais occupés. Il y fonde en 1977 la compagnie théâtrale El Hakawati («le conteur»), première troupe palestinienne professionnelle, qui tourne à l’étranger.

 

Lors de la présentation de son livre ce samedi, Najla Nakhlé-Cerruti insista sur l’importance de ces tournées qui permettaient à la troupe non seulement de faire connaître son travail, mais aussi de découvrir les spectacles les plus importants, de partager, bref, de ne pas «s’asphyxier en vase clos». Sept ans après sa fondation, en 1983, la troupe trouve un lieu où s’incarner, répéter, jouer : l’ancien cinéma incendié Al-Nuzha qui devient donc à Jérusalem-Est, le théâtre national Palestinien.

 

Dernière création

Si la troupe acquit du vivant de François Abou Salem une notoriété modeste, mais internationale, les pièces en arabe oral et non littéraire et créées collectivement, s’éteignent dès qu’elles cessent d’être jouées. La précarité inhérente aux arts vivants, l’est encore davantage lorsqu’il s’agit de pièces non écrites dans un pays sinon en guerre, du moins occupé. Peut-être parce qu’il était conscient du caractère fugace et volatil de son travail, François Abou Salem a conservé et archivé méticuleusement les traces de chaque mise en scène.

 

Lorsqu’il se défenestre le 1er octobre 2011 à Ramallah, sa dernière création, Dans l’ombre du martyr qu’il joue seul sur scène, n’a que quelques mois. Elle relate les relations complexes qu’un homme entretient avec son frère qui s’est fait sauter lors d’un attentat suicide. Wasym Khayr, assistant et élève de François Abou Salem, décide dès lors de la reprendre en copiant intégralement la version originale, intonations et voix comprises. Il pousse le fétichisme jusqu’à porter la blouse de celui qui vient de mourir, encore imprégnée de son odeur. C’est ainsi que la pièce nous parvient et qu’elle fut représentée ce samedi, au Théâtre des 13 vents. Elle est aussi un bon exemple de pièce dont à la fois le sujet, mais surtout les conditions de production et d’existence suspendent le jugement critique.

 

Bien sûr qu’on est curieux de voir une pièce de François Abou Salem, dont la chercheuse relate l’importance et la dévotion dont il fait l’objet. Et certes, il ne s’agit pas de n’importe quelle œuvre de l’auteur. Mais comment dire ? Tout, dans le jeu pour le moins outré, qui semble inspiré de la commedia à dell’arte et était sans doute déjà daté (périmé ?) en 2011, maintient solidement à l’extérieur de ce qui se déroule sur le plateau. Public enthousiaste. La pièce, pour la première fois montrée en France, et reprise depuis la mort de l’auteur, doit néanmoins d’être vue. Au moins comme archive.

 
(1) le Théâtre palestinien et François Abou Salem de Najla Nakhlé-Cerruti, Actes Sud, 2025. Dans l’ombre du martyr de François Abou Salem et Paula Fünfeck, mis en scène par François Abou Salem. Biennale des arts de la scène en Méditerranée à Montpellier et alentour jusqu’au 22 novembre.

 Anne Diatkine / LIbération 

Légende photo : «Dans l’ombre du martyr» est la dernière pièce créée par le metteur en scène franco-palestinien avant sa mort en 2011. (DR)
 
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November 15, 4:16 PM
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Paradoxe : Le poème auto-fictionnel et surréaliste de Guillaume Vincent et Florence Janas

Paradoxe : Le poème auto-fictionnel et surréaliste de Guillaume Vincent et Florence Janas | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore dans "Coups d'oeil" le 14 novembre 2025

 

Dans le cadre du Festival du Théâtre national de Bretagne, Florence Janas et Guillaume Vincent présentent "Paradoxe", un conte surréaliste à quatre mains.

 

Quand le public s’installe, Guillaume Vincent est déjà là. Sans prêter attention à la salle, en caleçon ample, bonnet noir et pull de laine bariolé, il peint en jaune un mur du castelet blanc qui lui sert de terrain de jeu. Perdu dans ses pensées et comme happé par ce qu’il fait, il semble glisser déjà dans un entre-deux où le rêve mord la réalité. Son double portant moustache et même couvre-chef,   Florence Janas, le rejoint. À voix douce, presque murmurée, elle déroule un dialogue flottant, un écho trouble entre un fils et sa mère, ou peut-être l’inverse. La bascule vers un surréel poétique est enclenchée.

 

Retour au bercail

 

Très vite, le cadre prend forme. L’artiste – en l’occurrence la comédienne – rend visite à sa mère dont l’esprit se délite. Entre eux circule une tendresse tranquille, une chaleur qui infuse la pièce et donne à ce retour chez elle des accents de songe. Cette année-là, il a quitté sa vie parisienne pour s’occuper d’elle, gravement malade. 

Cette année-là aussi, il cherchait l’amour, mais ne vivait que des déceptions et des plans culs sans lendemain. Protecteur, attentif, il s’accroche à tout ce qui pourrait maintenir sa mère arrimée au réel. La vie, pourtant, se glisse ailleurs, dans les petites choses, dans les réminiscences d’une enfance chahutée dans une ville de province.

 

L’enfance, ses ombres et ses héroïnes

 

Harcèlement scolaire, premiers émois homosexuels, les filles de H – camarades des HLM d’Uzès qui protègent l’enfant efféminé qu’il était –, aventures sans lendemain, histoires de sage-femme que sa mère lui offrait quand il était petit, tout ressurgit par fragments, comme autant de pièces d’un puzzle en mouvement.

Florence Janas, face public, marmonne sous sa moustache postiche des bribes, presque des sons. De son murmure émergent quelques mots qui disent la maladie, la perte d’autonomie, la relation mère-fils. Guillaume Vincent capte un terme, relève la tête, entre dans ce flux, y répond et se glisse dans sa propre histoire avec détachement. Ensemble, ils passent d’une saynète à l’autre, de plus en plus improbables, de plus en plus jubilatoires. Si le récit semble décousu, il construit un ensemble d’une belle humanité décalée. 

 

Humain, drôle, et délicieusement décalé

 

Entre vécu et fiction, les deux artistes naviguent avec humour dans leurs propres territoires intimes. Le récit de l’un fait écho à ce qui vit l’autre, et inversement. Des histoires que sa mère lui racontait aux gestes d’aidant qu’il a dû adopter lorsqu’elle a perdu la mémoire après un accident cérébral, Guillaume Vincent et Florence Janas tissent en creux un double autoportrait en éclats, vibrant et désordonné.

 

Leur plume mord, leur ton dévie, et de ces drames minuscules naît une fresque humaine joyeusement inattendue. On rit, on s’émeut, on se reconnaît parfois, on chante même. C’est beau, c’est tendre, c’est drôle. Un théâtre qui joue du faux pour mieux saisir le vrai.

Dans ce face-à-face tant absurde que surréaliste, les deux artistes – comédiens, auteurs, metteurs en scène – brillent de mille facettes, de mille costumes. Leurs présences lunaires, délicieusement barrées, frappent juste. Le public se laisse entraîner sans résistance dans ce poème doux, joyeusement déjanté. Une bouffée de folie tendre, délicieusement délectable, à savourer sans modération dans le monde brutal qui nous entoure !

 

 

Olivier Frégaville - Gratian d'Amore  Envoyé spécial à Rennes

 

Paradoxe de Florence Janas et Guillaume Vincent
Création
Salle Gabily dans le cadre du Festival du Théâtre national de Bretagne – Rennes
12 au 22 novembre 2025
durée 1h15

 

Tournée
03 au 05 mars 2025 à la Comédie de Béthune – CDN
15 au 26 janvier 2026 au T2G – Théâtre de Gennevilliers
11au 13 mars 2026 au Théâtre Olympia -Centre dramatique national de Tours

 

Une Création de Florence Janas & Guillaume Vincent
Avec Florence Janas & Guillaume Vincent

Dramaturgie de Marion Stoufflet
Scénographie de Daniel Jeanneteau & Guillaume Vincent
Son de Yoann Blanchard
Lumière de Sébastien Michaud
Costumes de Fanny Brouste
Couture de Lucile Charvet 
Regard Chorégraphique de Zoé Lakhnati
Régie Générale et lumière de Karl-Ludwig Francisco, Régie Plateau de Muriel Valat
Prothèse de Jean-Christophe Spadaccini
Stagiaire à la mise en scène – Katarina Jungova

 

 

Crédit photo : © Gwendal Le Flem

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November 15, 11:41 AM
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Avec « Le Paradoxe de John », l’art divague aux sens propre et figuré

Avec « Le Paradoxe de John », l’art divague aux sens propre et figuré | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 12 nov. 2025

 

La dernière création du scénographe et metteur en scène Philippe Quesne est proposée au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers, puis au Théâtre de la Bastille, à Paris, dans le cadre du Festival d’automne.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/11/12/avec-le-paradoxe-de-john-l-art-divague-aux-sens-propre-et-figure_6653191_3246.html

 

Rétive aux explications de texte, mais propice aux rêveries intérieures, la dernière création du scénographe et metteur en scène Philippe Quesne proposée jusqu’au 16 novembre au Théâtre de la Commune à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) semble ne délivrer aucun message d’aucune sorte. Sans doute, se dit-on un peu troublé par l’apparente vacuité du propos, faudrait-il se contenter d’éprouver en temps réel cette représentation sans chercher à lui extorquer une raison d’être et une finalité.

Si Le Paradoxe de John tire son origine d’un spectacle précédent (L’Effet de Serge, créé en 2007) et s’appuie sur des textes originaux de la romancière Laura Vazquez, le projet divague, aux sens propre et figuré, au cœur d’une galerie d’art en chantier. Au sol, un linoléum imitation bois, en l’air, une chaise suspendue, à jardin, une table sur tréteaux censée être la maquette du lieu, à cour, des bougies à taille humaine recouvertes d’un feutre (et plus tard d’un chapeau de cire fondue), en fond de scène, une zone intermédiaire, sas d’entrée ou remise à outils.

 
Avant d’être une galerie, l’endroit était, explique sa gardienne (la formidable Isabelle Angotti, pilier de l’univers de Quesne), l’appartement de Serge. L’homme étant parti pour d’autres horizons professionnels, sa maison est mise à la disposition d’artistes désireux d’y accomplir leurs propres performances. Ce que feront les visiteurs du jour affublés de perruque rousse ou platine, de stetson, de peau d’ours, à leurs pieds des chaussures de randonnée ou bien des santiags. Curieux look qu’adoptent les acteurs Céleste Brunnquell, Marc Susini et Veronika Vasilyeva-Rije.

Débordements

Ces cow-boys d’une grâce inattendue entrent à pas de loup sur le plateau et ne tardent pas à se l’approprier en commentant, extatiques ou sceptiques, leurs éphémères créations dont le ridicule assumé n’a d’égal que l’ineptie charmante : recouvrir la chaise suspendue d’un voilage transparent et lui trouver un intitulé, s’enrouler dans le lino, activer les fumigènes, disserter de l’orientation de rails lumineux où défilent en biais les mots de Laura Vazquez. Un ensemble de gestes dérisoires accomplis sous la menace d’un collègue activiste (le régisseur Marc Chevillon) qui transforme l’eau en mousse expansive susceptible de noyer l’espace sous ses débordements. Les œuvres comme la galerie (ou ce qu’il en reste) seraient-elles guettées par la destruction ?

 

Dans L’Effet de Serge, Philippe Quesne mettait en scène un artiste qui, chaque dimanche, conviait ses proches à assister à ses performances, aucune d’entre elles n’excédant trois minutes. Dix-huit ans plus tard, les trois minutes sont devenues une heure vingt. Une dilatation du temps qui fait écho au travail du metteur en scène. Ses spectacles, quels que soient leurs thèmes (l’écologie, le futur, le devenir humain-animal, la solitude du créateur), sont surtout des tentatives de sculpter la durée partagée entre interprètes et spectateurs.

 

 

 

Pas une mince affaire que de rendre concrète, vivante et palpable cette durée alors que rien de spectaculaire ne se produit. L’infime, le détail, le murmure, le presque rien : le Paradoxe de John se tient à la lisière du vide et du néant. Or, dans ce vide et ce néant, le moindre geste et la moindre parole peuvent devenir déflagration, métaphore, allégorie, dénonciation, critique. Mais de quoi ?

 

Face à une représentation qui ne fournit pas de mode d’emploi, c’est à chacun, selon son envie, sa réceptivité, son humeur, de déterminer (ou pas) à quel bois se chauffent les performances jouées. Un indice, toutefois, fournit une piste biographique. En septembre, Philippe Quesne quittait la direction de la Ménagerie de verre à Paris sur fond de mésentente avec le fonds de dotation privé qui pilote la structure. De là à supposer qu’il règle ses comptes avec cette réalité en fictionnalisant l’hypothèse d’une galerie où l’art, tourné en ridicule, n’aurait plus rien à dire, il n’y a qu’un pas qu’incite à franchir cet ironique et désarçonnant Paradoxe de John.

 

 

Le Paradoxe de John. Un spectacle de Philippe Quesne. Théâtre de la Commune. Aubervilliers, jusqu’au 16 novembre. Théâtre de la Bastille, du 26 novembre au 6 décembre (Festival d’automne).

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

Légende photo : « Le Paradoxe de John », de Philippe Quesne, à La Commune, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 5 novembre 2025. MARTIN ARGYROGLO
 

 

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November 10, 5:50 AM
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«Les Corps incorruptibles» : les cadavres exquis d’Aurélia Lüscher

«Les Corps incorruptibles» : les cadavres exquis d’Aurélia Lüscher | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Qui s’occupe du corps de nos morts ? Pourquoi s’enferme-t-on à double tour dans nos cercueils ? Dans sa pièce, drôle et belle, présentée au théâtre de la Bastille à Paris, la comédienne et metteuse en scène tente de nous faire regarder la mort en face.

 

 
 

On ne redevient jamais poussière. A la limite, dans son cercueil capitonné, le corps se fissure, se fragmente. Et quand le travail du thanatopracteur est bien fait, il peut rester des décennies en bon état (mais à quoi bon, quand on y pense ?). Voilà qui est dit, et bien dit, dans la pièce d’Aurélia Lüscher, les Corps incorruptibles, au théâtre de la Bastille, à Paris, jusqu’au 15 novembre.

La metteuse en scène parvient le tour de force de se balader avec le mot «cadavre» floqué dans le dos et de nous parler de notre devenir – macchabée avec la légèreté de l’instagrammeuse évoquant son canapé moka et la facétie d’une gosse glissant un coussin péteur sous les fesses de la maîtresse. Un couple de spectateurs lèvera d’ailleurs bien vite les siennes pour quitter la salle – à peu près au moment où la comédienne, qui venait de se glisser dans la peau d’une sémillante thanato, dissertait sur les capsules à introduire sous les paupières des morts (parce que les yeux s’enfoncent vite, rapport à la déshydratation).

Cohésion

Aurélia Lüscher nous dit : allez, il est grand temps, avant de fermer les yeux pour toujours, de les ouvrir enfin sur la mort. Non pas comme concept ou comme angoisse, mais dans ce qu’elle a de plus concret – carotide, formol et contrats obsèques (après un stage dans une entreprise de pompes funèbres, la comédienne a bien failli faire de la thanatologie son métier). Très vite, évidemment, de la boue et des viscères surgiront des enjeux bien plus grands et des émotions qui nous prendront aux tripes. A ce moment-là, il ne s’agira plus seulement de rire.

 

Mais avant cela, tranquillement, Aurélia Lüscher pétrit, malaxe, patouille de l’argile, Material Girl de Madonna en bande-son. Tout au long du spectacle, membres de terre après membres de terre, elle assemble des morceaux, modèle un corps, reconstitue, donne une unité, une cohésion. La grande salle carrelée (toute en papier) peu à peu se transforme : morgue ou atelier de céramique ? Tiroir à cadavres ou four à poterie ? Aurélia Lüscher s’échappe avec ce spectacle de l’excellent collectif Marthe, mais elle en garde l’invention bricoleuse, le goût pour une scénographie toute simple et pourtant magique.

Moment de confiance

Frigos, cercueils, caveaux : pourquoi tient-on absolument à s’extraire de la terre ? Pourquoi planque-t-on nos cadavres dans les placards et la poussière sous le tapis ? Par peur de ces corps inanimés, qui ne sont plus des personnes et pas tout à fait des objets ? Pour nous distinguer, nous, humains, des autres charognes ?

 

Aurélia Lüscher n’est pas seule sur scène, elle fait intervenir la philosophe australienne Val Plumwood (1939-2008), l’ancien sénateur Jean-Pierre Sueur et sa propre mère dont on entend les messages laissés sur un répondeur. Il y aura entre la fille et sa mère, un incroyable moment de confiance, scène de toute beauté et d’émotion contenue. Pas de drame, nous chuchote alors Aurélia Lüscher, on retourne juste à la terre.

 
Au théâtre de la Bastille, à Paris, jusqu’au 15 novembre. Puis à la Grange de Lausanne du 19 au 21 novembre ; au théâtre de Châtillon les 21 et 22 janvier ; au théâtre Le Périscope à Nîmes les 28 et 29 janvier. Durée : 1 h 20.

Sonya Faure / Libération

 

Légende photo : Aurélia Lüscher nous invite à ouvrir enfin les yeux sur la mort. (© Jean-Louis Fernandez)

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November 6, 5:07 AM
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«Les Conséquences» de Pascal Rambert, un grand barnum ! 

«Les Conséquences» de Pascal Rambert, un grand barnum !  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération -  Publié le 5 nov. 2025

 

Forte d’un casting de luxe pour décrypter la déchéance d’une famille qui ne s’entend pas, la pièce, présentée au théâtre de la Ville à Paris pour dix jours, tombe cependant à plat.

 

Deux phrases reviennent en boucle dans les Conséquences, la nouvelle création de Pascal Rambert, auteur reconnu et multirécompensé du théâtre français, dont les mises en scène font de la parole et des monologues successifs de ses personnages le matériau premier de ses spectacles, parfois traduits dans 20 langues, comme le souligne la feuille de salle. Deux phrases reviennent, donc : «Qu’est-ce que tu dis ?» Et, quand deux personnages croient se parler seul à seul et qu’un troisième survient du dehors de la scène : «On entend tout !»

On n’y entend rien ou on entend trop fort : les deux phrases résument les difficultés de communication dans cette famille d’intellectuels où chacun méprise trop l’autre pour l’écouter vraiment et où tous se hurlent dessus. Elle résume aussi les Conséquences, premier volet d’une trilogie, créée au Théâtre national de Bretagne le mois dernier, et présentée pour dix jours au théâtre de la Ville à Paris : la démonstration de force rambertienne n’a, cette fois, pas grand-chose à nous dire.

Cumul de clichés

Pourtant, quelle affiche ! Le metteur en scène a réuni un chœur d’acteurs avec lesquels il a, depuis longtemps, cheminé : Jacques Weber, qu’il avait récemment dirigé dans Ranger, Anne Brochet, Laurent Sauvage, Arthur Nauzyciel… Quant à Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, l’inoubliable couple en violente rupture de Clôture de l’amour (le blockbuster de Rambert, créé en 2011), ils sont à nouveau mariés dans les Conséquences (et ça ne va pas mieux).

 

Elle est là, la vraie famille du spectacle, bien davantage que dans celle des personnages dont les histoires, les liens et les désaccords accumulent tant de clichés que rien ne parvient à nous y intéresser. Trois générations (quatre, si on compte l’arrière-grand-mère dans son urne funéraire, qui vient de trépasser, à 106 ans, quand s’ouvre la pièce) se croisent et surtout se ratent à l’intérieur d’un immense barnum de bâches blanches, qui enveloppe toute la scène d’une lumière crue et aveuglante, clinique.

Deux mariages et deux enterrements, c’est le temps qu’il nous faudra suivre cette famille bourgeoise où chaque génération en veut à celle qui la précède, comme à celle qui la suit d’ailleurs. Le pater familias Jacques (Weber, puisque, comme à son habitude, Rambert donne le nom de ses comédiens aux personnages) est député communiste et psychiatre, sa femme Marilù (Marini) a supporté toute une vie sa muflerie et ses tromperies.

Vaudeville désespéré

De leurs trois filles, nous ne verrons qu’Anne, radiologue, et Audrey, qui a «trahi tous ses amis de la rue d’Ulm» pour devenir publicitaire, puis critique de théâtre (la dégringolade). La troisième, l’absente, est hospitalisée : artiste, elle a pour habitude de lancer ses excréments au visage des autres.

Les deux gendres, Stanislas et Arthur, ont tous deux fait l’ENA, mais, là encore, la vie n’a pas été à la hauteur de leurs espérances : le premier est préfet à Tulle (Corrèze), le second, après le Liechtenstein et l’Andorre, finit sa carrière à Tuvalu, l’île du Pacifique vouée à une rapide disparition face à la montée des eaux : «Question carrière, j’arrive à mes limites, Anne», ressasse Arthur. Stade terminal de la déchéance familiale : l’une des petites filles (Jisca Kalvanda) est de droite.

 

Ce n’est pas qu’on ne rit jamais face à ce vaudeville désespéré, où les comédiens arpentent d’un bout à l’autre le plateau, soulevant les grandes bâches du barnum à chacune de leur entrée et sortie. Mais Rambert, dont la cruauté a su parfois nouer le ventre, a trop peu de tendresse, cette fois, pour ses personnages pour qu’ils puissent échapper à l’engloutissement dans la noirceur (pour les parents) ou la fadeur (pour la plus jeune génération écolo et dans l’humanitaire) : les envolées contre l’extrême droite tombent à plat et la révolte des plus jeunes contre les boomers tient du passage obligé.

 

C’est d’autant plus flagrant quand Rambert fait dans l’auto-référencement. Quand Stanislas Nordey et Audrey Bonnet s’entre-déchirent, quatorze ans après les premières représentations de Clôture de l’amour, la parodie tourne court. («Vous n’allez pas recommencer tous les deux ?» lance un personnage à l’adresse du public davantage qu’à ses congénères). Heureusement, Anne Brochet et Arthur Nauzyciel arriveront à faire entendre une ironie douloureuse pour l’une, un désenchantement drôle et touchant pour l’autre. Et lors de quelques petits pas de danse, Laurent Sauvage offre un moment de grâce à la soirée.

  Sonya Faure / Libération  Au théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, du 3 au 15 novembre ; à Bonlieu, scène nationale Annecy (Haute-Savoie), du 2 au 4 décembre ; au Théâtre national de Nice (Alpes-Maritimes) du 17 au 19 décembre.
 

 

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