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Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre
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Le spectateur de Belleville
October 17, 5:42 PM
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REPORTAGE par Clément Ghys / M le magazine du Monde, publié le 17 oct. 2025 Célèbre pour ses spectacles révolutionnaires, le metteur en scène américain, mort cet été à l’âge de 83 ans, était aussi un grand amateur d’art et de design. Ce collectionneur compulsif de chaises, qu’il créait pour ses pièces, laisse derrière lui des milliers d’œuvres glanées au fil de son existence et réparties entre son loft-atelier de Manhattan, des entrepôts de stockage et le centre d’art de Water Mill, qu’il a fondé à Long Island. Lire l'article dans le magazine du Monde : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/10/17/dans-l-etat-de-new-york-le-theatre-des-objets-de-bob-wilson_6647526_4500055.html
Isabelle Huppert se souvient avec précision de ce jour, au début des années 1990, où le metteur en scène Bob Wilson l’a emmenée, en compagnie de la danseuse et chorégraphe Lucinda Childs, à Water Mill, hameau de la région des Hamptons, tout au bout de Long Island. Quelques années plus tôt, il avait acheté un bâtiment à l’abandon, autrefois propriété de la société financière Western Union, et les terrains alentour, afin d’y installer un centre d’art. « Il n’y avait pour ainsi dire rien. Tout était à construire, à inventer », explique par téléphone la comédienne, qui a joué trois fois sous sa direction, dans Orlando, Quartett et dans Mary Said What She Said, créé à Paris en 2019 et toujours en tournée mondiale. Le 7 novembre, elle lui rendra hommage sur la scène du Théâtre de la Ville, à Paris, participant à une cérémonie dédiée à son ami, mort le 31 juillet d’un cancer, à l’âge de 83 ans. Le 4 octobre, un événement similaire s’est déroulé à New York, et deux autres auront lieu prochainement à Berlin et à Milan. Vieux sage à l’œil rieur Des commémorations que Robert Wilson (que tout le monde appelait par le diminutif « Bob ») avait soigneusement prévues, se sachant mourant depuis des mois et ne dévoilant sa maladie à personne sinon une poignée de très proches. Quand les médecins lui avaient proposé un traitement qui menaçait de l’épuiser, il avait décliné afin de réserver ses dernières forces à ses spectacles en cours. Alors, le 25 juin, quand nous l’avions rencontré, il faisait comme si de rien n’était. Il avait donné rendez-vous à Ljubljana, capitale de la Slovénie, où il préparait la mise en scène de l’opéra wagnérien Tristan et Isolde. Le seul créneau possible dans son agenda. Celui qui ne passait « pas plus de deux ou trois semaines chez lui, à New York », allant d’un théâtre à l’autre, revenait de Lituanie et s’apprêtait à partir en Chine. Accompagné d’un jeune assistant, Paul Auls, Bob Wilson était arrivé fatigué, marchant lentement. Une fois assis, et son premier verre de vin blanc commandé, son carnet de notes devant lui, griffonnant en permanence pour mieux expliquer ses idées, il était devenu ce vieux sage à l’œil rieur, aussi peu avare d’une anecdote croustillante que d’une réflexion sur le théâtre. « Mon travail est comme un cheeseburger » Un mois plus tard, dans les nécrologies, les journalistes s’interrogeaient, tout en connaissant la réponse… Que n’avait-il pas rêvé, inventé, osé ? La liste de ses expérimentations forme un inventaire inouï : spectacle de douze heures (The Life and Times of Joseph Stalin), quand ce n’était pas de sept jours (et nuits) sans interruption (Ka Mountain and Guardenia Terrace), au sommet d’une montagne iranienne ; opéra déstructuré, tel Einstein on the Beach, composé par Philip Glass ; réinvention des classiques (Fables de La Fontaine) ; pièce dont les deux actes ont exactement le même texte (I Was Sitting on my Patio…) ; flux de paroles où seule compte la sonorité des mots (Mary Said What She Said), jeux de lumières, mouvements uniques des acteurs… « Mon travail est comme un cheeseburger, glissait le natif de Waco, au Texas, qui n’avait jamais abandonné le goût de cette Amérique profonde d’où il venait. La lumière, c’est le pain. Entre les deux, vous mettez ce que vous voulez. Les meubles, c’est peut-être le cornichon ! » Justement, on était venu pour l’entendre parler de ces éléments de mobilier pour la scène, « ni décors ni accessoires », qu’il dessinait lui-même. « Cet aspect de son travail a été quelque peu négligé, alors qu’il est fondamental », estiment Owen Laub et Jeffrey Graetsch, à la tête de la galerie new-yorkaise Raisonné, qui ont présenté en 2024 une exposition de ses chaises et publié dans la foulée un livre sur le sujet. En avril, au Salon international du meuble de Milan, le rendez-vous annuel du secteur, il est invité à présenter une installation autour d’une Pietà de Michel-Ange. Au fil des années, quelques expositions (au Louvre, à Paris, en 2013, au Mudac, à Lausanne en 2022) ont mis la lumière sur l’obsession des intérieurs chez celui qui, en arrivant à New York au début des années 1960, étudie l’architecture. « Par où commencer ? » Sa passion pour les chaises le conduira à en collectionner tout au long de sa vie. Plus d’un millier d’exemplaires sont ainsi répartis entre son loft-atelier de Midtown, à Manhattan, qu’il n’a acheté qu’à 75 ans, des entrepôts de stockage et, surtout, à Water Mill. Depuis la première visite d’Isabelle Huppert, le Watermill Center est devenu un lieu de résidence d’artistes, un centre d’éducation et d’archives, un espace d’expositions temporaires. « L’œuvre de sa vie », assure l’un de ses intimes, Christof Belka, son manageur et agent. « Par où commencer ? », sourit tristement Noah Khoshbin, commissaire d’exposition de la fondation et l’un des très proches collaborateurs de Wilson, début septembre, le jour de notre visite. « C’est un lieu qui lui ressemble, explique Isabelle Huppert. Il y a de grandes pièces, d’autres plus petites. La lumière est partout, change selon l’endroit où l’on est. C’est comme son théâtre. On s’y perd, mais on s’y retrouve. » Il faudrait des jours pour contempler chaque objet de cette collection protéiforme qui en contiendrait plus de cinq milliers, les plus anciens comptant cinq millénaires. Tout se mêle au Watermill Center et les résidents vivent « avec la collection », assure Noah Khoshbin. « Ils peuvent emprunter une œuvre, n’importe laquelle, même un dessin de Kandinsky et la garder pendant la durée de leur séjour pour s’en inspirer. » Une encyclopédie du design Dans une interminable salle, des étagères renferment des objets rituels, des dessins précieux ou… de la camelote. Partout, des chaises. L’assise d’un modèle de l’Italien Bruno Munari est en pente, et il est impossible de s’y asseoir. Une chaise en bois, toute simple, non signée, vient de l’atelier de son compatriote Gio Ponti, qui s’en était inspiré pour créer sa célèbre Superleggera. Ailleurs, des meubles artisanaux, funéraires ou bricolés, des créations du Néerlandais Gerrit Rietveld, du Français Philippe Starck ou encore des shakers, ces communautés américaines pratiquant un protestantisme radical, inventeurs d’un style rigoriste. Une encyclopédie du design constituée au fil des années. « J’aimerais pouvoir vous dire pourquoi j’aime autant les chaises, mais je ne sais pas », confiait Bob Wilson. Et de citer Gertrude Stein, mécène et poète américaine installée à Paris au début du XXe siècle. « Quand on lui demandait ce qu’elle pensait de l’art moderne, elle répondait : “J’aime le regarder.” Eh bien moi, c’est pareil, j’aime regarder des chaises. » Il les utilisait « parfois ». « Un jour, mon père est venu chez moi à New York. Il a observé mon loft et m’a dit, avec son accent texan à couper au couteau : “Tu as des centaines de chaises et il n’y en a pas une seule de confortable.” » Pour Bob Wilson, le confort était « un état d’esprit » : « Pourquoi le corps aurait-il raison et non les yeux ? » « Les hôtels sont souvent affreux » Ce jour de juin, il s’amusait de cette vie de glaneur : « C’est maladif. » Maisons de vente, marchés aux puces, galeries, antiquaires, étals de vendeurs de rue étaient autant de malles aux trésors. Noah Khoshbin sourit : « Avec Bob, il fallait voyager léger. Parce qu’au moment de prendre l’avion, il vous demandait toujours si vous aviez de la place dans vos valises. » A Ljubljana, l’intéressé gloussait. « Vous devriez voir ma chambre d’hôtel. J’ai des pots de terre cuite venus du Mali et un énorme tapa [étoffe faite d’écorce d’arbre] polynésien. Mais ça va encore. » A ses côtés, Paul Hals, son assistant, avait précisé : « Bob, il y a quelque temps, vos valises étaient tout de même si pleines que vous avez dû voyager avec une chaise en bagage à main. » Dans les hôtels du monde entier où l’homme de théâtre vivait à l’année, il surprenait le personnel d’entretien qui découvrait ses chambres réaménagées, le lit à la place du canapé, la télévision par terre, les tableaux décrochés. « Les hôtels sont souvent affreux. » Enfant, il détestait l’intérieur familial bourgeois et conservateur, « où on s’enfonçait dans les canapés mous et la moquette épaisse », et passait son temps à changer l’agencement des meubles, au grand dam de sa mère. Une chaise pour Noël A Waco, ville morne où les écoliers doivent prier pour le salut de l’âme des femmes portant le pantalon, il rêve de la maison de son oncle. Ce dernier, un original, vit dans le désert des White Sands au Nouveau-Mexique, dans une maison d’adobe (argile séchée), de trois pièces, avec, respectivement, rien d’autre qu’un matelas au sol, des pots de terre cuite et une chaise. L’enfant de 10 ans est fasciné par l’unique assise de son oncle qui, attendri, la lui offre pour Noël. « D’habitude, je recevais une chemise de cow-boy. » Le fils de ce bienfaiteur la récupérera plus tard, mais, devenu jeune homme, Wilson ne cessera d’accumuler des chaises. C’est à ce moment-là qu’il entame ce qui deviendra sa vaste collection, en achetant avec son argent de poche une petite peinture. En vacances en Louisiane, sa famille visite une ancienne plantation transformée en centre d’art. Il y rencontre Clementine Hunter, née à la fin du XIXe siècle dans une famille d’anciens esclaves, autrefois employée à la récolte de coton et peintre autodidacte. Elle signe des toiles naïves sur la vie des Noirs dans le sud des Etats-Unis. Bob Wilson et l’artiste, de cinquante ans son aînée, deviennent amis. Il lui écrit, achète de nombreuses toiles. La peintre, morte en 1988, ne verra jamais l’opéra Zinnias. The Life of Clementine Hunter, que Bob Wilson lui consacre en 2013. Pour cette pièce, il recrée sa maisonnette sur scène, la structure étant aujourd’hui dans les jardins de Water Mill, entourée d’un verger de pommiers parfaitement alignés, comme si un tableau de l’artiste prenait vie. Amitiés et histoires d’amour Quelques mois avant sa mort, Bob Wilson s’était mis à travailler sur une autobiographie, qui devrait paraître en anglais en 2026. Mais le récit de son destin se lit aussi à Water Mill ou dans l’atelier new-yorkais, au sein de ces collections quasiment infinies. On devine les amitiés avec les artistes américains de sa génération, les photographes Peter Hujar et Robert Mapplethorpe, les plasticiens comme Paul Thek ou Agnes Martin. Et aussi les mythologies qui ont construit son univers, à l’image de cette paire de chaussures de Marlene Dietrich, tachées d’une goutte de sang de la star, à la suite d’une chute en plein spectacle. Photographies privées, archives soigneusement conservées et œuvres racontent une vie hors normes, les compagnonnages (les danseurs Lucinda Childs et Mikhaïl Baryshnikov, les stars Isabelle Huppert et Willem Dafoe), l’arrivée dans la bouillonnante New York avant-gardiste des années 1960, les histoires d’amour avec des anonymes comme des hommes plus reconnus (le danseur Andy de Groat, l’acteur Anthony Perkins, le tueur de Psychose, d’Alfred Hitchcock). L’intime et l’art se mêlent, jusqu’à sa penderie, très sobre, où ne sont accrochés que quelques costumes sombres offerts par son ami Giorgio Armani (mort le 4 septembre), des bottes texanes, le tout devant un mur de photographies, signées Richard Avedon, de Rudolf Noureev, nu. Au milieu, le Polaroid pris par Andy Warhol d’un pénis pour le moins imposant et dont Wilson et ses amis s’amusaient à deviner le propriétaire. Il redouble d’imagination Dans un tiroir, une photographie de Byrd Hoffman, professeur à Waco qui lui fait surmonter le bégaiement paralysant son enfance. Voilà pourquoi, arrivé à New York, Bob Wilson organise des ateliers de théâtre avec des enfants handicapés. Il adopte un adolescent sourd et muet, Raymond Andrews, rencontré alors que le jeune Noir américain se faisait agresser dans la rue. Fasciné par son protégé, qui pense « sans aucun son ni mots, mais en images », il en fait le héros de son opéra muet de sept heures, Deafman Glance (Le Regard du sourd), que Jack Lang, alors à la tête du Festival de Nancy, programme, en 1970. C’est par la France que sa carrière se lance. Charlie Chaplin vient voir le spectacle et, fasciné, revient le lendemain. Sur scène, Raymond Andrews est assis sur un banc, que l’artiste a dessiné. L’année précédente, pour The Life and Times of Sigmund Freud, présentée au Brooklyn Academy of Music, Bob Wilson a dessiné une chaise accrochée au plafond qui s’abaisse au fil des trois actes. Il conçoit alors une sculpture, la Freud Hanging Chair, faite d’un treillis métallique carré et suspendue en diagonale. Avec les années, il redouble d’imagination. A l’occasion de l’opéra Madame Butterfly, dont l’action se situe au Japon, il dessine une assise dont un pied est une branche de bambou. Dans Parsifal, l’ombre de la chaise est matérialisée, sculptée en noir. Dans son spectacle consacré à Joseph Staline, il fait fabriquer un fauteuil en deux exemplaires, en référence aux deux appartements strictement identiques que le dictateur russe occupait à Moscou. « Elles créaient un monde » Ses créations sont-elles confortables ? « Il faut être un génie comme Isabelle Huppert ou Lucinda Childs pour passer des heures dessus sans se plaindre », assurait le metteur en scène. La Française se souvient qu’« aucune de ses installations n’avait vocation à être confortable, mais elles étaient bien plus que ça. Elles créaient un monde, et c’était la seule chose qui comptait pour Bob ». « Son chef-d’œuvre, c’est la chaise de Hamlet-machine », s’exclament Paul Bourdet et Charlotte Ketabi, galeristes du 6e arrondissement parisien spécialisés en art contemporain et en design. En 1986, pour cette pièce de l’Allemand Heiner Müller, Wilson imagine une assise en métal perforé, toute en angles droits. Un aficionado, Gérard Mialet, à la tête de XO, notamment éditeur de meubles de Philippe Starck, lui propose de fabriquer la chaise du spectacle. Amusé, l’Américain accepte. Elle sera produite à 250 exemplaires et vendue l’équivalent de 500 euros d’aujourd’hui. Ce sera la plus grande fabrication pour une création de Bob Wilson, les autres étant produites à une dizaine d’exemplaires, comme il est de coutume dans les galeries de design. Gérard Mialet se souvient du « manque de culture du monde du design, me demandant qui était ce designer, alors même que, dans le théâtre, c’était une star ! » Mais avec les années, la Hamlet-machine devient de plus en plus recherchée. Selon Paul Bourdet et Charlotte Ketabi, « elle est l’une des deux pièces du répertoire du design des années 1980. Avec le lampadaire Easylight de Philippe Starck [un néon enfermé dans deux embouts, à poser contre le mur], elle représente à la fois l’expérimentation, mais également la recherche d’essentiel de la période. » De quoi expliquer son importante cote actuelle. En 2018, chez Christie’s, une chaise de l’opéra Einstein on the Beach a été vendue 42 000 euros. En 2022, dans la même maison de ventes, une table et quatre assises issues de Hamlet-machine sont parties pour 23 000 euros. « Influence muette » L’engouement est partagé par Marie-Anne Derville. Le 30 septembre, la designer de 38 ans a imaginé la scénographie du défilé de la collection féminine printemps-été 2026 de la maison Louis Vuitton, au Musée du Louvre. Elle a agencé des meubles de styles variés : Empire, Louis XV, Directoire, etc. En plus de ses propres créations, les seules pièces contemporaines étaient des chaises Hamlet-machine et une console. Sur cette dernière, elle a déposé deux coupes de jaspe ancien. « Installez un fauteuil en métal rouillé de Bob Wilson à côté d’une bergère XVIIIe, et vous verrez deux univers se nourrir l’un l’autre. » A la galerie Raisonné, Owen Laub et Jeffrey Graetsch soulignent « l’influence muette de Bob Wilson sur les designers d’aujourd’hui. Ses créations en maille métallique des années 1970 sont annonciatrices des meubles fantomatiques de Virgil Abloh (designer de mode et de mobilier, mort en 2021). Idem pour une chaise, dont le pied est une patte d’animal, c’est du Rick Owens », autre styliste américain qui conçoit du mobilier, avec notamment des bois de cerf. Gérard Mialet en est persuadé : « L’histoire de Bob Wilson dans le design ne fait que commencer. » « Séduire, séduire, séduire » Se sachant mourant, il avait tout prévu. Ses créations théâtrales et plastiques sont aujourd’hui protégées par l’entreprise RW Works qui, à terme, pourrait devenir une fondation d’art. Certaines pièces continuent d’être jouées, d’autres peuvent être remontées, à condition que des personnalités de l’équipe originale y participent. Quant au reste, il est voué à ne plus vivre que dans la mémoire des spectateurs et les images d’archives. Et puis, il y a le Watermill Center. Bob Wilson y injectait tout son argent : recettes de ventes d’œuvres, de mobilier ou de ses collaborations avec des marques de luxe. Les droits d’auteur suivront. « Bob tenait à ce que la fondation puisse se tenir debout », explique Christof Belka. « C’était un génie quand il s’agissait de soutirer de l’argent aux riches », s’esclaffe Noah Khoshbin. Cet été, quand on lui demandait comment, au tout début de sa carrière, il avait réussi à monter d’aussi grosses productions, il répondait avec malice : « Grâce au charme. Il faut séduire, séduire, séduire. Cela ramène toujours quelque chose. » Ne crachant pas sur les mondanités, il adorait convaincre un mécène de signer un chèque. Il savait nouer de précieux contacts, comme avec le joaillier français Van Cleef & Arpels, très présent dans le domaine de la danse et soutien majeur de sa fondation. Les rires et les applaudissements Chaque année, en été, est organisé un événement de récolte de fonds dans les jardins du Watermill Center, avec performances des résidents et ventes aux enchères d’œuvres d’art. Certains viennent de New York, d’autres arrivent en voisins, les Hamptons étant la villégiature des ultra-riches de la Côte est. Ce 26 juillet, à Water Mill, trop fatigué pour descendre se mêler à la foule, qui comptait le chanteur Rufus Wainwright et le chorégraphe Benjamin Millepied, Bob Wilson n’a pas pu passer d’une table à l’autre au cours du dîner pour lequel chaque convive avait payé des milliers de dollars. Mais il était bien là, dans son appartement, à l’étage. Alité, il avait demandé que les fenêtres soient ouvertes, pour entendre les bruits de la fête. Il savait qu’il mourrait dans cet appartement où tout avait été étudié, un couloir alignant les sculptures de bois et, en parallèle, un autre couloir avec des œuvres de métal, la banquette fantomatique de Parsifal répondant à du mobilier rituel indonésien. Depuis son lit, à côté de ses amulettes antiques et des photographies d’anciens amants, musclés et souriants, devant une télévision qu’il ne regardait que le son coupé pour profiter des images, Bob Wilson a écouté les rires et les applaudissements. Il s’est éteint cinq jours plus tard. Une partie de ses cendres sera dispersée dans le parc de la fondation. Owen Laub, qui a été son assistant, estime que « chez Bob, il n’y a pas que l’art, le théâtre, les lumières, le son, le silence, la littérature, les chaises, les céramiques, les vidéos. Il y a tout cela en même temps, et il y a encore beaucoup à découvrir ». Noah Khoshbin cite le sous-titre de The Civil Wars, opéra d’une journée entière, commandé à l’occasion des Jeux olympiques de 1984, à Los Angeles, et jamais monté faute de moyens : « A Tree is Best Measured When It Is Down. » « C’est une fois à terre qu’un arbre se mesure le mieux. » Clément Ghys / M le magazine du Monde
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Le spectateur de Belleville
October 16, 4:18 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde, publié le 16 octobre 2025 Celui qui dirige le théâtre municipal depuis 2023 se félicite de conserver un budget satisfaisant dans une région qui réduit ses subventions à la culture.
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/16/pierre-yves-lenoir-directeur-de-theatre-epanoui-aux-celestins-a-lyon_6647089_3246.html
Pierre-Yves Lenoir, au Théâtre des Célestins, à Lyon, le 17 septembre 2025. SUSIE WAROUDE Un directeur de théâtre heureux, ça existe ? Oui. A tout juste 55 ans (il est né à Saint-Etienne le 16 octobre 1970), Pierre-Yves Lenoir, patron depuis 2023 du Théâtre des Célestins, à Lyon, mesure sa chance d’être aux commandes d’une institution en pleine forme, aimée par ses spectateurs et choyée par ses tutelles. Six millions d’euros versés par la ville, 250 000 euros octroyés par la métropole : les subventions publiques de cet établissement municipal représentent environ 65 % de son budget annuel. Un apport important qui lui permet, s’enthousiasme-t-il, « d’accompagner au mieux les artistes et les créations » dans une région, Auvergne-Rhône-Alpes, qui ne fait pas de même. Après une baisse de près de 4 millions d’euros en 2022 des aides à la culture, une nouvelle coupe d’environ 1 million d’euros a été décidée l’année suivante par le conseil régional, alors présidé par Laurent Wauquiez (Les Républicains). Si le sourire de Pierre-Yves Lenoir est sincère, il est loin d’être béat. En échappant aux restrictions qui mettent, un peu partout, le spectacle vivant à la diète, son théâtre est l’exception qui ne confirme pas la règle. « Le pacte républicain de financement de la culture ne fait plus consensus », s’inquiète celui qui doit aussi savoir dire non aux équipes qui frappent à sa porte en quête de scène et d’argent. Cette « responsabilité [est] parfois écrasante », il l’admet. Elle est adoucie par les oui. Ce que, saison après saison, il déploie : l’accueil en résidence de l’artiste russe en exil Tatiana Frolova, la présence d’artistes associés (le Munstrum Théâtre, le duo Valérie Lesort et Christian Hecq, la jeune metteuse en scène Ambre Kahan), la coproduction de The Brotherhood, puissant spectacle de la Brésilienne Carolina Bianchi qu’il accueille, en novembre… Autant de personnalités et d’esthétiques éclectiques dont la venue découle de « rencontres positives, pour ne pas dire pulsionnelles ». Pierre-Yves Lenoir dissimule son ardeur sous une parole très maîtrisée. « Je ne suis pas quelqu’un de docile, lâche-t-il en avouant, dans la foulée, être obsédé par sa programmation. J’y pense en permanence. Jour et nuit. Ce métier est une passion, une forme d’éphémère toujours renouvelé. » Il s’y est formé pas à pas, en autodidacte patient dont les artistes recherchent, aujourd’hui, l’avis et l’expertise. Mentors prestigieux Titulaire d’un diplôme de gestionnaire (de 1990 à 1993, Pierre-Yves Lenoir a étudié à l’Edhec Business School), il a compris, à l’occasion d’un stage à la Comédie de Saint-Etienne, qu’un avenir dans « la finance, l’audit, ou la grande distribution » ne le « brancherait » pas autant que le travail au côté des artistes. Etre l’homme « au côté » et qui se tient dans l’ombre : cette position a été son fil rouge pendant près de trente ans. De 1993 à 2023, qu’il ait occupé les fonctions d’administrateur, de directeur financier, de directeur exécutif ou de codirecteur, il s’est plié au mantra du poète Jean Cocteau : « Je saute de branche en branche, mais toujours dans mon arbre. » Sans jamais déserter le théâtre, Pierre-Yves Lenoir a été le collaborateur de Jorge Lavelli (1931-2023) puis d’Alain Françon au Théâtre de la Colline, de Jean-Michel Ribes au Rond-Point, d’Olivier Py, de Luc Bondy (1948-2015), puis de Stéphane Braunschweig à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, et enfin de Claudia Stavisky, ex-directrice des Célestins, qui l’a coopté pour lui confier les clés de la maison. Ce qu’il a appris de ces mentors ? La « vision précise d’un projet » avec Jorge Lavelli. Avec Alain Françon, « la radicalité du dialogue et la détermination à défendre le service public » à une époque, précise-t-il, « où on pouvait encore poser des ultimatums et renverser la table ». Jean-Michel Ribes, qui le traitait affectueusement de « taliban du théâtre » trop formaté par ses années à la Colline, l’a invité à programmer le Rond-Point avec lui. « Il m’a fait de la place. Il avait la volonté farouche de faire vivre un lieu. » Luc Bondy sera l’esprit libre avec lequel il a fallu ruer dans les brancards : « Il transgressait sans cesse les cadres. Alors que, fondamentalement, je souscrivais à sa démarche, en tant qu’administrateur, je devais me faire violence pour le freiner. » Regard panoramique Fiévreux mais pondéré, résolu mais pas obtus, Pierre-Yves Lenoir a acquis une stature de directeur qui repose sur des bases solides. Et su faire la synthèse de ses expériences passées, ce qui lui autorise, sur le théâtre public comme privé (il a participé à l’ouverture de La Scala, à Paris, de 2017 à 2018) un regard panoramique, dénué de nostalgie et marqué par la lucidité : « J’ai connu un âge d’or, suivi, dans les années 2000, d’une fragilisation économique croissante. Lorsque j’étais à l’Odéon, nous avons vu le mur arriver, mais nos alertes auprès du ministère de la culture n’ont servi à rien. » Les chiffres, qu’il rappelle, sont parlants : en 2006, l’Odéon disposait de 3 millions d’euros de marge artistique. En 2018, elle n’était plus que de 1,2 million. Et presque nulle lorsque, en 2024, Stéphane Braunschweig a quitté son poste. Tirant la leçon de cette inexorable dégringolade, Pierre-Yves Lenoir a un impératif aux Célestins : « Dégager un maximum d’argent pour la création, la production et la diffusion. » Ce professionnel capé que ne tente pas du tout l’idée de devenir metteur en scène enchaîne les soirées au spectacle (il en voit entre 150 et 200 par an) et les journées en discussions : sa vie se passe en réunions, conversations, rendez-vous, déplacements. Il n’est pas le seul à la barre : « Je ne considère pas que les Célestins, c’est moi, et vice versa. » Autour de lui, son équipe fait bloc, trop heureuse, elle aussi, de la vitalité d’une maison municipale qui joue de plus en plus dans la cour des grands. Les Célestins, théâtre de ville, s’est hissé au niveau des établissements nationaux. Fils d’une mère professeure d’anglais et d’un père spécialisé dans l’événementiel, le Stéphanois n’allait pas souvent au spectacle. Son premier souvenir date du lycée. Jean-Claude Drouot jouait Coriolan, de Shakespeare, devant un jeune public si turbulent que le comédien, vexé, stoppa le jeu en hurlant : « Merde, petits cons, j’arrête la représentation. » Pierre-Yves Lenoir raconte l’anecdote en riant aux éclats. Et pour cause. Elle est aux antipodes de sa raison d’être. Au programme du Théâtre des Célestins, à Lyon : « I’m Fine », création de Tatiana Frolova, avec le KnAM Théâtre, jusqu’au 25 octobre dans le cadre du Festival Sens interdits ; « The Brotherhood », conception : Carolina Bianchi, du 6 au 8 novembre ; « Andromaque », de Jean Racine, mise en scène Stéphane Braunschweig, du 13 au 23 novembre. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : Pierre-Yves Lenoir, au Théâtre des Célestins, à Lyon, le 17 septembre 2025. SUSIE WAROUDE
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Le spectateur de Belleville
October 15, 4:01 AM
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Par Aïnhoa Jean-Calmettes dans Libération - 13 oct. 2025 La metteuse en scène signe une pièce inspirée de l’essai du philosophe Baptiste Morizot, dont les travaux portent sur les relations entre l’humain et le reste du vivant. Clara Hédouin rôdait depuis longtemps autour du projet de porter au théâtre les livres de Baptiste Morizot. Ou bien l’inverse. Ces écrits, qui depuis près de dix ans nous invitent à réinventer nos liens avec le vivant, n’ont eu de cesse de se faufiler dans les pièces hors normes de la metteuse en scène. L’amitié est profonde, et les points communs nombreux, entre celui qui pense la crise écologique au plus près du terrain, sur la piste animale, et celle qui, jusqu’à présent, n’avait créé qu’en extérieur, des épopées au cœur des villes (les Trois mousquetaires) ou des randonnées romanesques fleuves (Que ma joie demeure). Il aura pourtant fallu Manières d’être vivant pour que leurs œuvres se regardent pour la première fois droit dans les yeux. Et c’est moins une adaptation qui se joue, qu’une rencontre. Métamorphose Rencontre : aller vers l’autre pour mieux revenir à soi, transformé. Cet enjeu est également au cœur de l’intrigue du spectacle. Que se passe-t-il quand six philosophes sortent au grand air suivre la trace des loups ? Ils redessinent les contours du monde et de leur humanité. L’aventure, ici, est double. Elle a lieu sur des crêtes montagneuses, qu’une scénographie minimaliste – à peine plus qu’une chute de neige synthétique et de chatoyants jeux de lumière – suffit à matérialiser sur scène, et indissociablement dans une boîte crânienne en pleine ébullition. Chacun des personnages étant, aussi, une faculté cognitive, voilà donc Raisonnement, Imagination, Doute, Attention, Poésie et Amour à l’assaut d’une question faussement simple : la meute a-t-elle répondu à leur appel ? De débats en théories, ils s’enfoncent alors, armés d’humour et d’émois, dans des profondeurs de plus en plus existentielles. La traversée est parfois ardue pour le spectateur. Le texte, extrêmement exigeant, manque par moments d’engloutir tout le reste. Mais quand philosophie et théâtre parviennent à s’affecter mutuellement, sans qu’aucun ne prenne le dessus sur l’autre, leurs puissances en sont décuplées. Qui aurait pu prédire que le hurlement d’un loup, qui plus est fictif, nous ébranlerait autant ? Ou encore la fascination qu’exercerait l’idée que nous sommes faits de strates d’ancestralités animales, recomposables à l’infini ? La joie de réfléchir ensemble se fait plus sensible, le mouvement de la pensée et l’élan des corps ne font plus qu’un, rires et densité intellectuelle ne s’opposent plus, la langue de l’auteur s’écoute comme un poème. La pratique de Clara Hédouin entre elle aussi en métamorphose. Elle a souvent répété que son désir de mise en scène venait des jeux de son enfance. Pour sa première pièce en salle, elle renoue avec des généalogies plus immémoriales encore, celles des histoires du coin du feu, des amphi antiques et des mystères. C’est dans l’obscurité, les instants suspendus, les regards appuyés et les silences chargés de sens, dans ses creux si soigneusement sculptés et ses dialogues avec l’invisible, que cette nouvelle création déploie toute l’étendue de sa grâce. Manières d’être vivant de Clara Hédouin, au Théâtre national populaire de Villeurbanne (Métropole de Lyon), jusqu’au 24 octobre. Puis du 25 au 28 mars à La Criée, Marseille ; du 8 au 11 avril à la MC93, Bobigny... Durée 1h50. Aïnhoa Jean-Calmettes / Libération Légende photo : Chacun des personnages a une faculté cognitive. (Christophe Raynaud De Lage)
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Le spectateur de Belleville
October 13, 8:04 AM
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Propos recueillis par Joëlle Gayot dans Le Monde - 12 oct. 2025 Le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, 48 ans, a été reconduit dans ses fonctions de directeur du Festival d’Avignon pour un nouveau mandat de quatre ans, jusqu’en 2030. Entre bilan et perspective, l’artiste fait le point sur la manifestation. Lire l'article sur le site du "Monde" ; https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/12/tiago-rodrigues-le-festival-d-avignon-n-a-pas-les-moyens-de-production-qu-il-merite_6645885_3246.html
Soutien à la liberté de création, retour du théâtre dans la Cour d’honneur, célébration de Jean Vilar en réformiste, afflux de jeunes artistes : Tiago Rodrigues ne veut pas tirer le Festival vers le passé mais le propulser vers l’avenir. Cet auteur et metteur en scène de spectacles d’une grande humanité (comme Sopro ou Antoine et Cléopâtre) ne fait pas les choses à moitié. Il a quitté Lisbonne pour s’installer à Avignon. Une nouvelle vie qui le verra voter en France, pour la toute première fois, dès 2026. Quelles seront les lignes de force de votre second mandat à la tête du Festival ? Mon renouvellement me permet d’appréhender le Festival, en m’appuyant sur le bilan des trois premières années et en me projetant sur les cinq qui vont suivre. Le projet s’est enraciné. Il s’est adapté à la réalité, aux moyens, aux outils et au savoir-faire du Festival. Les questions qui traversent Avignon sont, peu ou prou, toujours les mêmes. Mais celle qui me tient le plus à cœur est la liberté de création. Comment la défendre dans un moment où elle est menacée partout dans le monde, et plus particulièrement en Europe ? Comment rendre cette création toujours plus accessible au public le plus divers ? Cette mission, qui est celle du Festival depuis sa fondation en 1947 par Jean Vilar (1912-1971), n’a rien perdu de sa pertinence. Doit-on s’attendre à une continuité ou à des ruptures ? Chaque édition est une page blanche et la continuité n’interdit pas le changement. Rien ne dit que le principe de la langue invitée sera immuable. Le spectacle itinérant, la permanence d’un unique artiste (comme ça a été le cas de Gwenaël Morin) au Jardin de Mons, la venue de la Comédie-Française, aucun de ces rendez-vous n’est gravé dans le marbre. Les lignes déjà tracées ne doivent pas devenir des prisons. De la même manière, j’ai décidé en 2026 et 2027 de ne pas présenter mon travail de metteur en scène au Festival. 2026 sera l’année de la 80e édition du Festival, comment allez-vous célébrer cet anniversaire ? 2026 aura évidemment une dimension mémorielle. Mais je veux inscrire cette 80e édition dans le futur et la projeter vers les quatre-vingts prochaines années d’un Festival qui n’en est, je l’espère, qu’au milieu de sa vie. C’est à l’avenir, plus qu’au passé, que seront donc adressées les questions que porteront les artistes invités. Interroger ce qui vient, c’est le propre de la jeunesse. Le fait que des créateurs plus jeunes, venus d’autres disciplines artistiques et d’autres nationalités, prennent les devants dans la programmation ne doit rien au hasard. En procédant de la sorte, nous ne trahissons pas Vilar. Au contraire, nous respectons le directeur qui a su, à la fin des années 1960, réformer un Festival devenu trop patrimonial. C’est avec ce Vilar utopiste et combatif que nous serons en lien. En trois ans, Avignon a vécu des crises et des polémiques. Faut-il passer par les tempêtes pour s’approprier la manifestation ? Je n’en suis pas le patron. Les vrais propriétaires sont le public et les artistes. Grâce aux réussites, aux obstacles surmontés, aux erreurs toujours instructives, j’apprends à mettre ma vision au service du Festival. Le bilan est positif. Face au miroir, lorsque je me demande si je suis fier des trois années écoulées, la réponse est oui. Absolument. Je suis très fier du geste artistique, du renouvellement et de l’élargissement du public, du travail de proximité que nous menons toute l’année sur le territoire. Le théâtre populaire, ça ne consiste pas seulement à inviter mais aussi à se faire inviter. Aller frapper aux portes, dans les villages, jouer en tournée à Grasse et à New York. Et je n’oublie pas la France d’outre-mer avec qui le rapport, dans les cinq années à venir, sera priorisé. Bilan positif, dites-vous, mais il y a eu pourtant de la contestation. Notamment sur les spectacles qui ont fait l’ouverture, trois ans de suite, de la Cour d’honneur. Faites-vous, sur ce point, un bilan critique ? Je me battrai toujours pour des formes dont le niveau d’exigence peut générer de l’incompréhension, du trouble, du débat. Je refuse de cantonner les prises de risque aux petits lieux confidentiels. La Cour est un laboratoire de création. Pas uniquement un musée des choses qui marchent et plaisent au plus grand nombre. A nous de trouver l’équilibre entre les grandes formes populaires, comme Le Soulier de Satin en 2025, et les projets moins consensuels. Bartabas et Ariane Mnouchkine sont deux des figures emblématiques du Festival d’Avignon. Feront-ils leur retour sous votre direction ? J’espère rencontrer Bartabas. Et je ne renonce pas à faire revenir Ariane Mnouchkine, avec qui le dialogue est entamé, même si nous n’avons pas encore réussi à concrétiser. Cela étant, le Festival doit continuer à être celui des nouveaux récits et des nouveaux imaginaires. Dans les cinq prochaines années, je souhaite que la découverte gagne de l’espace avec la présence d’artistes pas encore repérés et dont les esthétiques ne nous sont pas familières. Pourquoi avoir choisi le coréen comme langue invitée de l’année 2026 ? C’était l’opportunité d’avoir une langue qui vient de loin et qui créera un dépaysement, des surprises et de l’exotisme. Et puis, voilà vingt-cinq ans qu’il n’y a pas eu d’artistes coréens au Festival. Il est temps de remédier à cette absence. Avec un afflux de soirées uniques dans l’édition 2025, l’événementiel a fait son entrée dans la programmation. Comptez-vous les systématiser ? Sans doute moins qu’en 2025. Le fait est que ce principe d’une nuit non reproductible est quelque chose de très prisé. C’est aussi une façon d’accomplir, avec une simplicité de moyens, des gestes impromptus, qui collent à l’air du temps et génèrent une effervescence. Mais je ne crois pas que le Festival ait intérêt à les multiplier. L’événementiel n’est pas notre but. Notre but est de fortifier la création en lui offrant un cadre structurant. Dans quelle santé financière est le Festival ? Les subventions [Etat, communauté d’agglomération, conseil départemental et conseil régional] se maintiennent à niveau mais sont stagnantes si l’on songe à l’inflation, à l’augmentation des charges, des salaires, du coût des voyages et des hébergements. Ça veut dire que chaque année le Festival d’Avignon coûte plus cher, et ce malgré l’excellence de nos résultats. Mécénat, recettes de billetterie et de tournée : tous ces chiffres sont en augmentation. Je me suis engagé à poursuivre en ce sens. Mais au-delà d’un certain seuil, sauf à élargir les jauges des salles ou à changer les prix des places, ce qui n’est pas envisageable chaque année, nos actions seront limitées. Le Festival d’Avignon n’a pas les moyens de production qu’il mérite ou qui répondent à son échelle et à sa réputation en France et dans le monde. Le moment est venu où la subvention publique doit nous accompagner et nous soutenir. Nous devons trouver des ressources supplémentaires pour nous déployer dans les prochaines années sans rien renier de nos ambitions. J’espère que nos partenaires publics en sont conscients et feront le nécessaire. En 2023, vous avez choisi de rouvrir la Carrière de Boulbon. Ce lieu est-il rentable ? Notre projet est sa pérennisation sous la forme d’un théâtre de verdure. Une perspective qui implique la municipalité de Boulbon, avec laquelle nous sommes en dialogue. Si l’aventure aboutissait, la Carrière coûterait de moins en moins cher puisque l’essentiel des installations techniques y serait installé à temps plein et que le matériel n’aurait plus besoin d’être monté et démonté chaque été. Au demeurant, le site, qui représente la deuxième plus grande jauge en termes de recettes de billetterie, devient de plus en plus bénéficiaire et donc vital au Festival. En 2025, seul un couple de danseurs s’y est produit. Ce choix était artistique, et pas économique contrairement à ce qu’ont pu interpréter certains de manière un peu cynique. A l’avenir, nous y reverrons de grandes équipes. Qui fera l’ouverture de la Cour d’honneur en 2026 ? Vous le saurez en avril lorsque nous présenterons la programmation au public. J’ai hâte de pouvoir l’annoncer, il s’agit d’un projet qui me passionne. Ce que je peux vous dire, c’est que ce ne sera pas de la danse, mais du théâtre. En 2014, alors que l’extrême droite était arrivée au second tour des municipales à Avignon, Olivier Py, votre prédécesseur à la tête du Festival, avait menacé de délocaliser la manifestation. Et vous, que feriez-vous si un tel cas de figure devait se produire en 2026 ? Ma position, en tant que directeur du Festival d’Avignon, est de ne pas accepter de travailler avec l’extrême droite. Cette position est très claire. Si cette catastrophe devait avoir lieu, j’en tirerais les conséquences. Propos recueillis par Joëlle Gayot / Le Monde
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October 13, 7:05 AM
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Par Philippe Lançon dans Libération, publié le 13 octobre 2025 Fatras de bruits, de gesticulations, de références, de laideur et de pesanteur... Il n’y a qu’un seul tableau à sauver, parmi les dix variations du metteur en scène russe autour de la pièce de Shakespeare.
Dans l’un des dix tableaux du spectacle de Kirill Serebrennikov, le seul qui soit réussi, «Hamlet et la peur», il y a ces mots du metteur en scène russe Meyerhold : «Si toutes les pièces de théâtre disparaissaient et s’il ne restait que Hamlet, le théâtre serait sauvé.» Mais il ne put mettre en scène Hamlet, car Staline n’aimait pas cette histoire un peu trop sévère pour le tyran. En 1940, il fit exécuter Meyerhold. La pièce de Shakespeare a survécu à tous les pouvoirs, mais il est rare, malheureusement, qu’elle sauve le théâtre – du moins ceux qui la mettent en scène ou, comme ici, s’en inspirent pour étaler sur trois heures de pesantes, bruyantes et hideuses variations, avec clins d’œil plus ou moins appuyés à l’actualité (Poutine, Gaza, les gilets jaunes, les gouvernements qui sautent, et j’en passe, bienvenue dans l’auberge espagnole des sujets d’actualité). C’est comme un sortilège : cette œuvre longue et complexe, si difficile à monter qu’elle devrait rendre modestes ceux qui s’y confrontent, les transforme souvent en bavards confus et prétentieux – sous prétexte de modernité, de conscience politique et de provocation. Ils font certes entendre le conseil de cet excellent dramaturge qu’est Hamlet : «Outrer les effets, ou trop les affaiblir, c’est faire rire les ignorants, mais cela ne peut que désoler les gens d’esprit, dont un seul doit compter pour vous plus que toute une salle des autres.» Mais ils ne le suivent pas. Le Russe Serebrennikov et ses comédiens de toutes nationalités, parlant français, anglais, allemand, russe, n’échappent pas à ce destin. «Et si Hamlet était un idiot ? Ou un joyeux drille ?» On est dans une immense pièce lambrissée et déglinguée. Il y a un grand trou dans le plafond. De la pluie et du plâtre vont tomber. Au fond, une grande cheminée avec un miroir. Les dix tableaux sont des variations sur Hamlet. Dans la première, «Hamlet et le théâtre», un homme pousse une brouette chargée de crânes qu’il renverse sur le parquet. Il fait le pitch de la pièce (une histoire de violence et de vengeance, etc), puis l’inventaire des sens qu’on lui a donnés ou pourrait lui donner. Une musique contemporaine, de Blaise Ubaldini, monte de l’orchestre situé dans la fosse. Le chaos règne. C’est l’opérette dissonante de la déconstruction. Ce premier Hamlet – il y en aura jusqu’à dix – est filmé en gros plan. Son image apparaît, géante, sur le fond : ordinaire daté de la vidéo sur scène. Un personnage crie : «L’idée de progrès a échoué dans la chambre à gaz des idées.» Il pose des tas de questions : «Et si Hamlet était un idiot ? Ou un joyeux drille ? Et si Ophélie s’était noyée bourrée ?» Les répliques de Shakespeare se glissent dans les tirades maison : cherchez l’intrus. Un comédien se transforme en Jack Nicholson dans Shining, écrivant sur les murs sa phrase obsessionnelle. Le théâtre court derrière le cinéma comme un vieux beau derrière une jeune fille. Dans la deuxième variation, «Hamlet et le père», le comédien allemand August Diehl devient le bouffon vert incarné par Willem Dafoe dans Spiderman. La voix qui lui mange la tête est celle du père du prince danois. Son image est en surimpression. La technique, comme les nouveaux riches, étale ses possessions. Dans «Hamlet et l’amour», on devine la scène où Hamlet, qui va jouer sa pièce-piège devant le Roi fratricide et la Reine mère, dit à Ophélie : «Puis-je m’étendre entre vos genoux ?» Devenu chauve, il plonge la tête vers le sexe de sa promise aux jambes écartées. On dirait Gabriel Matzneff, transposé dans une boîte à putes russes. Ophélie a des bottes noires, un long manteau blanc à col de fourrure. Elle dit : «Rien. Nothing. C’est comme ça que vous appelez ce qu’on a entre les jambes.» Le lys, comme le cave, se rebiffe. Soudain, on est dans le Dernier Tango à Paris. Ophélie a été beurrée où je pense. Conclusion : «Je ne mange plus de beurre, il n’y a plus que du vide.» Légers rires dans la salle. Entre Mylène Farmer et «Astérix chez les Helvètes» Après ce happening, la quatrième variation, «Hamlet et la peur», est donc une oasis de simplicité tragique. Le Hamlet qui parle, c’est le jeune Chostakovitch, joué par Filipp Avdeev, au moment où, en janvier 1936, son opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk est descendu dans la Pravda sur ordre de Staline. Le compositeur sait que la critique signifie sa disgrâce, peut-être son arrestation. Traumatisé, il ne fera plus jamais d’opéra. Sur scène, il se prépare pour la prison et pense à son ami Meyerhold. Il dit : «J’ai compris la phrase de Shakespeare : le Danemark est une prison. Car la Russie est une prison.» Ses phrases se mélangent au monologue de Hamlet, à ce que le prince danois dit à Rosencrantz et Guildenstern : «Voulez-vous jouer de cette flûte ? […] Vous voudriez jouer de moi, vous donner l’air de connaître mes touches, arracher le cœur même de mon secret, faire chanter la plus basse et la plus aiguë de mes notes – mais ce petit instrument, qui contient tant de musique et dont la voix est si belle, vous ne savez pas le faire parler.» Et l’ombre de la torture s’efface devant la lumière de la création. La plus belle image du spectacle apparaît : la photo du compositeur, tout jeune, assis avec Meyerhold dont la tête grandit et se détache pour envahir le fond, comme si c’était le spectre du père d’Hamlet. La suite, avant et après l’entracte, est un fouillis épuisant et ringard de bruits, de cris, de gesticulations, d’images, de néons, de mots, de trucs. On se croirait tantôt dans un vieux spectacle de Mylène Farmer, tantôt dans cette orgie d’Astérix chez les Helvètes, où une femme dit à une autre : «Tu n’as pas ton vert à lèvre ? Je voudrais me refaire une laideur.» Artaud braille son théâtre de la cruauté, béret sur le crâne. Surgit la figure de Sarah Bernhardt, première femme à avoir joué le rôle de Hamlet. Judith Chemla tire la grande cheminée, comme un bœuf sa charrue, trimballant la jambe artificielle de la tragédienne. Elle flotte, telle Ophélie, dans tout et n’importe quoi. Elle finit par dire : «La seule chose que je sais bien faire sur scène, c’est mourir.» Derrière, le petit film de 1900 où Sarah Bernhardt, en Hamlet, affronte Laërte en duel. C’est beau. C’est muet. C’est ailleurs. C’est le second moment du spectacle à sauver. Hamlet/Fantômes, de Kirill Serebrennikov d’après William Shakespeare. Théâtre du Châtelet, jusqu’au 19 octobre. Philippe Lançon / Libération Légende photo : Le comédien allemand August Diehl dans le tableau «Hamlet et le père». (Vahid Amanpour /Théâtre du Chatelet)
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October 11, 6:13 PM
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Par Cécile Daumas dans Libération le 10/10/2025 A partir de l’essai «la Pensée straight», la comédienne engagée imagine une forme inédite entre performance et réunion amicale (ou syndicale) pour se serrer les coudes dans les luttes présentes et à venir. C’est un conte où il n’y a plus de prince charmant, ni de princesse à réveiller, pas d’enfants à naître. Voir clair avec Monique Wittig est une belle histoire où l’hétérosexualité est à terre, système politique mutilant qui ne parle plus d’amour. Au coin du feu, un soir d’automne dans une forêt en «marge du monde», l’actrice Adèle Haenel nous raconte, comme une bonne copine avertie, cette histoire : celle où l’hétérosexualité et la binarité sexuelle sont aussi peu naturelles que les feuilles mortes à ses pieds ou les bûches qui se consument sans la réchauffer. C’est un peu une «réunion secrète», prévient l’actrice en préambule, s’adressant directement au public du théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. A partir des théories de la féministe Monique Wittig et de l’un de ses essais majeurs, la Pensée straight, elle explique et transmet l’énormité oppressive de l’hétérosexualité où l’autre – femme, enfant, «transpdgouine» – est «l’opprimé». Refuser d’être une femme, refuser d’être hétéro est une libération et la pensée de Wittig agit comme une fulgurance théorique qui lui a permis à, elle, de se «redresser». Rejoindre le lesbianisme, «tu vois…», répète-t-elle à l’envie, c’est gagner une «île merveilleuse où on vit un peu plus libre». Une question de survie aussi. Tension entre art et politique C’est cette expérience décisive que l’actrice au statut singulier, entre carrière artistique et engagement politique, partage durant une heure avec un public acquis. Beaucoup de jeunes femmes sont venues la voir comme une sœur, elle qui fut la comédienne inoubliable de Naissance des pieuvres ou Portrait d’une jeune fille en feu, devenue icône #Metoo, lanceuse d’alerte d’un grand courage dans sa dénonciation des violences sexuelles au cinéma, milieu qu’elle a quitté. Elle se consacre, depuis, à l’engagement politique et au théâtre, avec la chorégraphe et metteuse en scène, Gisèle Vienne. Voir avec Monique Wittig est sa première mise en scène, son premier texte, accompagné d’instants musicaux, assurés par la batteuse Caro Geryl, membre du collectif DameChevaliers comme elle-même. En équilibre précaire entre théâtre et positionnement féministe, Voir clair avec Monique Wittig n’est ni une pièce, ni une performance. Seul l’espace de la scène semble être maintenu pour faire groupe, «enclave éphémère» et protégé, érigé dans l’urgence de se retrouver et réfléchir ensemble. Se tenir chaud aussi dans un monde de plus en plus hostile aux féministes, aux LGBT +, et à toutes celles et ceux qui osent l’ouvrir et s’opposer. «C’est un peu le dernier stade du théâtre avant la réunion syndicale», avoue Adèle Haenel. Elle-même n’est plus vraiment actrice, récitante pulvérisant la catégorie d’interprète comme celle de femme – à la manière de Wittig. Telle une Delphine Seyrig des années 70 délaissant le cinéma d’auteur trop masculin pour un engagement féministe et filmique féminin, Adèle Haenel tente de dessiner une autre voix, la sienne, dans la difficile, voire intenable, tension entre art et politique. Quand l’actrice ose la poésie écrite de sa main, se réappropriant ses propres mots, on retrouve sa douloureuse et énergique intensité vue sur films et lors de la cérémonie des Césars en 2020 où elle s’était levée et cassée face un Polanski accusé mais récompensé d’un prix du meilleur réalisateur. Elle dit sa joie totale et sincère, éprouvée la nuit, quand la théorie rencontre l’émotion vécue et que le concept juste permet de saisir les oppressions subies. A la fin du spectacle, elle prévient, citant Audre Lorde, que la situation va «empirer». Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se battre, mais juste se dire que ce ne sera pas facile. Elle, qui, était encore la semaine dernière sur la Global Sumud Flotilla, n’oublie pas Gaza et la «politique de destruction massive» menée jusque-là par l’Etat d’Israël. «Une politique de cruauté», selon les mots de la sociologue et amie, Chowra Makaremi, qui attaque les liens et l’attachement. La résistance est un art de vivre, jure Adèle Haenel dans son grand costume gris ; une pratique, comme l’amour. Voir clair avec Monique Wittig, avec Adèle Haenel et Caro Geryl. Jusqu’au 12 octobre au théâtre des Bouffes du Nord (Paris Xe), dans le cadre du Festival d’automne. Le 25 novembre au théâtre de la Croix-Rousse (Lyon), les 4 et 5 février au CDN (Orléans), le 11 avril au Mars (Mons, Belgique) dans le cadre du festival Guerrières. Légende photo : La résistance est un art de vivre, jure Adèle Haenel dans son grand costume gris. (Estelle Hanania)
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October 8, 5:07 AM
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Par Gilles Renault, publié dans Libération - 5 oct. 2025 Adaptée du film culte de Roger Corman, la comédie horrifique refait un tour de piste sous la forme d’un spectacle musical tonique agencée par le tandem Hecq-Lesort. Cinq années durant, de 1982 à 1987, la Petite Boutique des horreurs a fait les beaux soirs du off-Broadway. De la Deuxième Avenue de Manhattan, où l’Orpheum Theater vendait ses tickets comme des petits buns, au Xe arrondissement de Paris, le Théâtre de la Porte Saint-Martin ne cultive pas les mêmes ambitions. Ce qui n’empêche pas cette relecture française (une quarantaine d’années après celle d’Alain Marcel, couronnée de succès) de tirer son épingle du jeu, dans une mise en scène du prolifique tandem Christian Hecq /Valérie Lesort, qui rempile après l’Opéra comique, où, fin 2022, la salle Favart (coproductrice avec l’Opéra de Dijon) plaçait des billes pour la première fois dans une comédie musicale. Rappelons qu’à l’origine figure le film de Roger Corman, comédie macabre et fantastique low cost qui servira la notoriété d’un cinéaste carburant alors à la moyenne de quatre ou cinq panouilles par an. Numéro gagnant d’une loterie par essence aléatoire, «la Petite Boutique» deviendra un juteux commerce que, concomitamment au musical signé par deux collaborateurs des Studios Disney, Alan Menken (musique) et Howard Ashman (livret et paroles), Frank Oz assaisonnera aussi à sa sauce cinématographique en 1986. Jeu de massacre Dynamique et bigarrée, la version Hecq-Lesort ne sort guère du magasin du fleuriste Mushnik. La modeste devanture «du ghetto» chez Corman, est ici convertie en un imposant décor autour duquel tourne cette histoire de plante insatiable. Une sorte de mythe de Faust végétal que l’employé Seymour, par ailleurs amoureux transi d’Audrey, sa godiche de collègue, se retrouve à devoir nourrir de chair humaine. Boostée par une partition musicale réorchestrée par Arthur Lavandier, et interprétée live (rock, blues, jazz), l’intrigue crapahute ainsi autour de figures archétypales assumant un statut parodique qui maintient le jeu de massacre dans les clous du divertissement débonnaire. A l’instar d’une version animée des arts ménagers, quelques tableaux débridés témoignent d’une inventivité joyeusement kitsch, compatible avec les canons du spectacle de faim damnée. Jusqu’au salut final où les vivats valident autant l’osmose entre acteurs, chanteurs et danseurs, que la performance d’une plante animée (des pires intentions), poussée sur le terreau de l’artisanat théâtral. «La Petite Boutique des horreurs», ms Christian Hecq /Valérie Lesort, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 75010. Jusqu’au 23 novembre. Gilles Renault / Libération
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October 6, 5:05 PM
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Par Nathalie Gabbai dans Libération - 6 septembre 2025 Jean-François Auguste, metteur en scène, et Jean-Claude Pouliquen, comédien en situation de handicap, se connaissent depuis dix-huit ans. A deux, ils livrent une déambulation qui questionne la normalité et où se mêlent drôlerie, absurdité jubilatoire et poésie planante.
Il lève les bras au ciel : «Déjà que j’ai le trac quand il y a du public, mais en plus, là, à poil, devant tous ces gens ! C’est la honte… C’est la honte, Jean-François !» Jean-Claude Pouliquen – torse nu, caleçon, barbe blanche de père Noël –, et Jean-François Auguste – crâne rasé, nu comme un ver – partagent la scène de Conversation entre Jean ordinaires. On est dans la tête, et dans le «pire cauchemar», de Jean-Claude et/ou de Jean-François, au choix, ou encore de «Jean Genet», «Jean-Philippe Smet», «Jean ai rien à foutre» et «Jean passe». Une déambulation où l’on questionne la normalité et où se mêlent drôlerie, absurdité jubilatoire et poésie planante. Jean-François Auguste et Jean-Claude Pouliquen se connaissent depuis dix-huit ans, mais c’est la première fois que les deux jouent ensemble. Le premier est metteur en scène, comédien de théâtre et de cinéma (120 Battements par minute), et dirige la compagnie For Happy People & Co. Le second a commencé le théâtre en amateur avec Madeleine Louarn, avant de devenir comédien professionnel au sein de l’Atelier Catalyse, la troupe qu’elle dirige depuis trente ans et qui est composée de comédiens en situation de handicap mental. En «situation de…» «Je n’avais jamais travaillé avec des acteurs en situation de handicap», raconte Jean-François (Auguste), lorsqu’on le retrouve en compagnie de Jean-Claude (Pouliquen) dans les bureaux du Théâtre ouvert, à Paris (XXe arrondissement), où on avait vu leur représentation en juin. «Quand Madeleine Louarn m’a sollicité, il y a une vingtaine d’années, pour animer un atelier avec sa troupe et le Théâtre de Morlaix, nos créations d’atelier ont rencontré un tel succès qu’elles se sont vite transformées en production.» Parmi elles, Alice ou le monde des merveilles (en 2007). «Moi, je jouais le chat du Cheshire et le lièvre de Mars», se souvient Jean-Claude ; les Oiseaux d’Aristophane (en 2012) ; Ludwig, un roi sur la Lune (2016), d’après un texte de Frédéric Vossier, qui marque la première programmation de Catalyse dans le in d’Avignon. Puis en 2018, le Grand Théâtre d’Oklahoma, pièce dans laquelle ils s’attelaient à l’œuvre de Kafka. Dans Conversation entre Jean ordinaires, écrit sous la houlette de Laëtitia Ajanohun, Jean-Claude Pouliquen est en «situation de…» On ne nomme pas le mal qui l’habite, mais on le devine comme dans cette blague que Jean-Claude rejoue avec délectation devant nous. Jean-Claude : «Si tu parles à Dieu, tu es croyant ? — Toi, tu crois en Dieu ? — Je sais pas Jean-François, mais il me répond !» Car dans la tête de Jean-Claude Pouliquen discutent de nombreuses personnes – «oui, c’est fatigant», confesse le comédien. «Dans la journée, il passe son temps en discussion, mais, sur scène, ça s’arrête, explique le metteur en scène. Quand j’ai commencé avec Catalyse, je n’ai pas voulu savoir quel était le handicap de chacun parce que j’essaye d’être dans ce que j’appelle “un instinct de la relation”. Je suis simplement dans un rapport horizontal avec les membres de la troupe. Au début, Jean-Claude ne me regardait pas dans les yeux. Il a fallu du temps pour qu’il sente que je n’étais ni paternaliste ni condescendant.» Les répliques du comédien ont été écrites avec ses mots (Jean-Claude Pouliquen ne sait ni lire ni écrire), pour faciliter la mémorisation du texte : «Il était important de mettre dans sa bouche des mots qu’il prononce vraiment et des situations qu’il vit. Les comédiens avec qui je travaille ne jouent pas le non-sens et l’absurdité, ils jouent au premier degré.» Ainsi de cet autoportrait que Jean-Claude adresse au spectateur : «Cela vous arrive de descendre les marches à l’envers pour échapper au vide ?» Il descend effectivement les escaliers à l’envers, car il a le vertige. «De vous souvenir des horaires, mais pas du film ? Il retient par cœur horaires et durées, et oublie les titres. «Cela vous arrive de vous dire que tout cela finalement, c’est pas si grave, c’est normal.» «Métamorphose des acteurs» Car s’il s’agit de questionner la représentation de la normalité, Jean-François Auguste se refuse à décrire un quotidien et à faire du «théâtre documentaire» : «Il est important de toujours infuser de la fiction, car ce qui est beau à voir c’est la métamorphose sur scène des acteurs, ce qu’il se passe à partir du moment où ils se mettent à jouer, ils ont vraiment la conscience du geste artistique, et on ne peut pas les “instrumentaliser” : s’ils n’ont pas envie de faire quelque chose, ils ne le feront pas. D’ailleurs, il n’y a pas une représentation qui soit la même.» Alors, c’est quoi être normal ou pas normal ? Jean-Claude Pouliquen nous répond, nous regarde : «Etre normal, c’est bien jouer sur scène. Pas normal, ça veut pas dire grand-chose. Pas dire grand-chose, non.» Conversation entre Jean ordinaires, mis en scène par Jean-François Auguste, texte Laëtitia Ajanohun. Du 7 au 11 octobre au Théâtre Silvia Monfort (75015), le 27 novembre à Pontault-Combault (Seine-et-Marne), les 17 et 18 décembre à La Filature, Scène nationale de Mulhouse, les 2 et 3 avril au Point du Jour, Lyon.
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October 5, 1:27 PM
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Publié par Télérama - le 5 octobre 2025 Connu notamment pour son film “La Conquête” sur Nicolas Sarkozy, Xavier Durringer est décédé d’une crise cardiaque, à l’âge de 61 ans.
Le réalisateur et dramaturge Xavier Durringer est mort d’une crise cardiaque à son domicile de L’Isle-sur-la-Sorgue, près d’Avignon, à l’âge de 61 ans, a indiqué son agente à l’AFP. Il avait notamment réalisé en 2011 La Conquête, une farce aux accents de polar sur l’ascension du candidat Nicolas Sarkozy (joué par Denis Podalydès). Scénarisé par Patrick Rotman, le film avait fait l’objet d’une présentation remarquée (hors compétition) à Cannes en 2011 – Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, n’avait pas souhaité le voir, se justifiant ainsi auprès de Télérama : « Je n’ai pas besoin de me voir en personnage de fiction pour connaître la part de création, d’art presque, qu’il peut y avoir dans le rôle de président ». Né à Paris en 1963, Xavier Durringer avait fondé une compagnie de théâtre à 19 ans, et avait présenté sa première vraie création, Une rose sous la peau, en 1988, dans le festival « off » d’Avignon. Dix ans plus tard, il revient dans le « in » avec Surfeurs, « chronique désenchantée de notre monde en perdition où on ne fait jamais que surfer sur le vide, ramer dans le malheur », écrivait Télérama. Entretemps, il s’était également lancé au cinéma avec La Nage indienne en 1993, portrait doux-amer d’une jeunesse paumée, et J’irai au paradis… car l’enfer est ici en 1997, pour l’écriture duquel il s’était associé à un ex-braqueur, et salué par Télérama comme « un polar français digne de Scorsese ». Son dernier film de cinéma, L’Homme parfait, était sorti en 2022, et mettait en scène l’arrivée d’un androïde chez un couple dont la femme n’en peut plus de s’occuper de tout (avec Didier Bourdon dans le rôle du mari, Valérie Karsenti dans celui de l’épouse et Pierre-François Martin-Laval en robot). Il avait également réalisé de nombreux téléfilms et en 2008 la série Scalp, pour Canal+, l’histoire d’une poignée de golden boys, amis de longue date, plongés dans la tourmente financière du début des années 90. Légende photo : Xavier Durringer en 2001 à Cannes, pour la présentation de son film « La Conquête » hors compétition. Le réalisateur et dramaturge est mort à l’âge de 61 ans. Guillaume Baptiste / AFP
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October 2, 11:07 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 30 sept. 2025 Il y a cinquante ans, un jeune homme de 18 ans aux cheveux bouclés poste un manuscrit à la poste de Valentigney petit village non loin de Besançon et Montbéliard. . L’adresse ? Celle des Éditions Gallimard. Ce n’est pas un sonnet mais un roman ayant pour titre Le motif que le jeune homme (qui signe de son vrai nom Jean-Luc Lagarce) envoie début mars 1975. On lui répond le premier avril et ce n’est pas une blague : « j’ai le regret de vous informer qu’après examen attentif, notre comité de lecture... », on devine la suite. Le peu qu’il nous reste de ce texte donne raison au comité de lecture. Cinquante ans plus tard, Jean-Luc Lagarce n’est plus, emporté par les années sida, son œuvre elle demeure et triomphe, partout dans le monde, publiée en français par la maison d’édition Les solitaires Intempestifs qu’il avait créée et co dirigée avec François Berreur et dont ce dernier a vaillamment maintenu le flambeau, et plus encore, après la mort de son ami. Berreur, directeur des Solitaires Intempestifs vient de signer un accord avec Antoine Gallimard, président du groupe Madrigal : « le groupe entre au capital des éditions Les Solitaires Intempestifs en tant qu’actionnaire majoritaire »,et « François Berreur reste actionnaire et directeur de la maison d’édition ». Les Solitaires intempestifs rejoignent donc au sein de Madrigal, outre les Éditions Gallimard, des maisons comme Minuit, POL ou Christian Bourgois. De plus, le fond essentiellement théâtral des Solitaires intempestifs , va redorer en ce domaine le blason de Gallimard quelque peu écorné depuis la quasi mise en sommeil de la prestigieuse collection Le Manteau d’Arlequin créé au début des années 50 par Jacques Lemarchand. Longtemps après sa mort, Jean-Luc Lagarce va enfin se retrouver dans la maison de l‘auteur qu’il admirait, imitait dans ses balbutiements et qu’il avait plus tard mis en scène avec force :Eugène Ionesco. Dernières publications des Solitaires intempestifs ; des textes signés Pascal Rambert, Tiago Rodrigues, Carolina Bianchi ainsi qu la première pièce de l’actrice Clotilde Mollet. A venir un essai de Bruno Tackels consacré à Walter Benjamin pour accompagner les écrits de ce dernier consacrés au théâtre. Jean-Pierre Thibaudat dans son blog
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October 1, 9:34 AM
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Par Killian Orain dans Télérama - 28 sept. 2025 Marivaux, Beckett… Claude Simon ! À 80 ans, l’infatigable metteur en scène a gardé intact son goût des textes écrits avec minutie, et montés avec précision. Alors qu’il présente “La Séparation” aux Bouffes parisiens, rencontre avec le maître Alain Françon. Il a le regard vif, l’air facétieux. La voix et les idées claires. À 80 ans tout pile, Alain Françon, presque soixante ans de carrière, est un inarrêtable, inaltérable créateur. Cet homme tranquille à la chevelure épaisse est une référence dans le paysage théâtral français. Lui qui a débuté en 1966, à Saint-Étienne, auprès de Jean Dasté, pionnier de la décentralisation théâtrale, a fondé le collectif le Théâtre éclaté, dirigé de grands acteurs (Dominique Valadié, devenue sa femme, Jean-Paul Roussillon) et lieux (Théâtre du Huitième à Lyon, Centre dramatique national de Savoie, Théâtre de la Colline) ; continue d’embrasser les auteurs, de théâtre ou non, avec la même curiosité et envie de partage. Après avoir monté deux Marivaux (La Seconde Surprise de l’amour et Les Fausses Confidences), le metteur en scène s’attaque en cette rentrée à La Séparation, l’unique pièce du Prix Nobel de littérature Claude Simon, une des figures emblématiques du nouveau roman. Créée en 1963, elle était jusqu’à présent tombée dans l’oubli… Comment connaissez-vous cette pièce ? Grâce à Mireille Calle-Gruber [critique littéraire, ndlr], l’ayant droit moral de l’œuvre de Claude Simon, qui m’en a parlé. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les romans de Claude Simon comme La Route des Flandres ou Le Vent. Mais je ne savais pas qu’il avait adapté L’Herbe au théâtre, sous le titre La Séparation. Il est pour moi un immense écrivain. Non parce qu’il a eu le prix Nobel, mais pour ce qu’il a essayé de créer en littérature. Ses romans alternent, d’une surprenante et si singulière manière, narration et description. Comme si cette dernière était le véritable enjeu. Le souci de raconter une histoire n’était pas ce qui importait chez lui. Dans La Séparation, l’intrigue se matérialise d’emblée par le décor : deux salles de bains mitoyennes, séparées par une cloison, dans lesquelles jouent simultanément les acteurs. C’est cette simultanéité de l’action que Claude Simon recherchait et a trouvé au théâtre. Et que je tente de restituer. Qu’est-ce qui vous a amené au théâtre ? J’ai grandi à Saint-Étienne, fils unique d’un père ouvrier puis employé dans une mine et d’une mère sténodactylo chez Casino. Mes grands-parents maternels tenaient un bar, le café du Carrefour, majoritairement fréquenté par des mineurs. Des Espagnols, des Italiens, des Polonais qui y passaient après leur journée, et chantaient souvent la même chanson que l’on appelait La Berceuse aux étoiles. C’est un souvenir fort et heureux mais en même temps je ressentais déjà l’envie d’aller voir ailleurs. Enfant, je me suis ennuyé et dessinais beaucoup pour m’occuper. Après le bac, je me suis naturellement orienté en fac d’histoire de l’art, sans véritable culture dans ce domaine. Le premier jour, mon professeur demande de citer le nom de tableaux qu’il montrait. Je n’ai su reconnaître que La Joconde, de Léonard de Vinci. Ça ne m’a pas empêché d’aller jusqu’aux prémices d’une thèse, que je n’ai jamais commencée car j’ai finalement choisi le théâtre. Pour quelles raisons ? Pour prendre la parole, l’enjeu véritable de mon existence. Chez moi, on ne parlait pas. J’ai grandi dans et avec le silence. Je voulais m’accaparer la culture dominante, me hisser à la hauteur des bourgeois. Au lycée, j’avais rejoint un ami qui étudiait au Conservatoire d’art dramatique de Saint-Étienne et faisait partie d’une troupe de théâtre amateur dirigée par Jean Dasté, le directeur de la Comédie de Saint-Étienne. Il nous faisait répéter avec ses acteurs, et j’y ai rencontré notamment André Marcon et Évelyne Didi. Il nous a par la suite programmés dans son théâtre où nous montions des pièces d’avant-garde pour beaucoup centrées autour de l’absurde. À l’époque, notre groupe s’appelait le Théâtre d’essai des frères Kersaki. Nous jouions souvent à Clermont-Ferrand, où les habitants aspiraient à la création d’un Centre dramatique national. Notre théâtre plaisait aux professeurs, universitaires, et même au maire de la ville, Gabriel Montpied. Mais pas au ministère de la Culture, qui nous a refusé la subvention après avoir assisté à une représentation ratée. Quelques années plus tard, le directeur d’Annecy Actions culturelles, qui appréciait beaucoup nos spectacles, m’a demandé de devenir animateur théâtre dans son lieu. Je lui ai proposé plutôt d’y créer des spectacles. Il a accepté. Le Théâtre éclaté est né ainsi. Que signifie ce nom « théâtre éclaté » ? Le terme provient de l’auteur Armand Gatti, ex-grand reporter, lauréat du prix Albert-Londres 1954, qui entendait faire un autre théâtre, engagé, avec des distributions mêlant professionnels et amateurs. Nous lui avons emprunté l’appellation. Notre idée était aussi de faire théâtre n’importe où : dans des MJC, la rue, en pleine manifestation ou dans des casinos. D’inventer et de rendre concret un théâtre éclaté dans les formes et les lieux. Avec l’idée de démocratiser le théâtre ? Exactement. D’une ancienne usine de papier peint où se trouve aujourd’hui la scène Bonlieu, dans le centre d’Annecy, nous avons fait notre lieu de répétition. Nous nous sommes enfermés des mois pour la création de notre premier spectacle, en 1972, qui portait sur le procès de Burgos injustement intenté par Franco à l’encontre de seize membres de l’organisation armée nationaliste basque Euskadi ta Askatasuna (ETA). Seuls deux avocats internationaux y avaient assisté, parmi lesquels Gisèle Halimi, qui avait caché un magnétophone sous sa jupe. Grâce à ses enregistrements, nous avons écrit le spectacle. Malgré son succès, à Annecy et en tournée, nous avons été sanctionnés par le conseil d’administration du Centre d’action culturelle qui exigeait désormais qu’on lui fasse valider nos idées avant de créer. Notre théâtre était apparemment trop engagé, trop militant… C’était pourtant l’âge d’or du théâtre en France, non ? Clairement. Mais ce que nous vivions comme une censure de la part du conseil d’administration a précipité notre chute. Nous avons annoncé la mort du Théâtre éclaté avec des centaines d’affiches placardées dans la ville et organisé des funérailles. Des habitants et spectateurs qui nous soutenaient ont occupé avec nous jour et nuit l’usine où on répétait. Un jour, à 3 heures du matin, le maire Charles Bosson et des CRS sont arrivés pour annoncer la démolition du lieu. Des années plus tard, le fils de Charles Bosson, Bernard, m’a rappelé pour que je crée le Centre dramatique national de Savoie, en 1992. À la Colline, que j’ai dirigé de 1997 à 2009, on m’a accusé de vider les salles. Pourquoi avez-vous dirigé des théâtres ? À mon époque, diriger un lieu était la norme pour avoir des financements et pouvoir créer. J’ai aimé le contact avec les spectateurs qui me saluaient avant l’entrée en salle ou me faisaient part de leurs griefs. C’était très important, pour moi, de savoir pour qui je travaille. À la Colline, à Paris, que j’ai dirigé de 1997 à 2009, certains ont peu goûté mes choix les premières années. On m’a accusé de vider les salles en montant par exemple Bond, Danis ou Vinaver. Le nombre de spectateurs a finalement augmenté, avec huit mille cinq cents abonnés lors de ma dernière saison, au même niveau qu’à mon arrivée. À la tête de ma compagnie Le théâtre des nuages de neige depuis 2010, je travaille aussi bien dans le théâtre subventionné que dans le théâtre privé, moi qui m’y suis toujours refusé. Mais j’y ai la même liberté de créateur. Vous étiez comédien à vos débuts, pourquoi ne pas avoir poursuivi ? Je ne crois pas être assez doué. Avec mes camarades du Théâtre éclaté, nous fonctionnions en collectif. Nous décidions de tout, ensemble, des lumières à la mise en scène. Jusqu’à vivre sous le même toit. Mais arrivés aux limites de cette organisation, nous sommes revenus à des usages plus communs. Et j’ai été désigné metteur en scène lors d’un vote, ce qui m’a d’emblée légitimé. Je pouvais tout monter après ! Des contemporains comme Fernando Arrabal, Samuel Beckett, Max Frisch, René Escudié, Michel Vinaver ou des plus classiques comme Ibsen, Goldoni ou Marivaux. Même Tchekhov, que j’ai pourtant détesté à l’instant même où je l’ai découvert, en 1960, avec Oncle Vania mis en scène par Gabriel Monnet. Je m’y suis terriblement ennuyé. Plus tard, j’ai lu ses nouvelles, que je continue de relire régulièrement. Elles m’ont réconcilié avec lui. Lire la critique s “Le Tricheur” et “La Corde raide”, deux œuvres de jeunesse et déjà toute la fulgurance de Claude Simon Mais vous n’avez jamais mis en scène Shakespeare, ni aucun Grec… Par la force des choses, je crois. Enfant, il n’y avait presque aucun livre chez moi. Et, n’allant pas au théâtre, je n’ai pas reçu cette culture classique. Les auteurs contemporains ont été ma porte d’entrée. Pour monter un texte, j’ai besoin qu’il me parle, qu’il me donne au moins l’illusion de répondre aux questions que je me pose. Comme les pièces du dramaturge britannique Edward Bond. Je regrette qu’elles aient été si mal comprises par les critiques. Ces derniers faisaient de lui un auteur noir, violent, désespéré et donneur de leçons. Ce qu’il n’a jamais été ! Au contraire, Bond était un homme humble. Son théâtre est une traversée de situations extrêmes dans laquelle les personnages doivent trouver l’issue pour s’en sortir. Ils sont obligés de rechercher ce qui, chez eux, est l’impératif catégorique à être humain. Aujourd’hui, l’intentionnalité qui irrigue ses pièces m’intéresse moins. Je ne supporte plus le théâtre qui consiste à dire aux spectateurs quoi penser. Comment travaillez-vous ? À l’oreille. La psychologie des personnages ne m’intéresse pas. Je ne parle d’ailleurs jamais de personnages, mais de figures. Pour moi, la base du travail est ailleurs, dans les répliques. Pour transmettre un texte, il faut qu’il soit bien dit. Aux acteurs, je donne des indications sur la voix, le rythme. « Plus fort, plus rapide, plus bas, etc. » Un de mes anciens et illustres professeurs d’esthétique, le philosophe Henri Maldiney, disait : « Le rythme ne peut qu’advenir. » Si on essaie de le fabriquer, on ne le trouvera jamais. La ponctuation des textes est donc mon guide dans la mise en scène. J’ai d’ailleurs régulièrement travaillé avec les mêmes acteurs, ma femme, Dominique Valadié, Jean-Paul Roussillon, Pierre-Felix Gravière, Irina Dalle, Clovis Cornillac ou Pierre-François Garel… rencontrés pour la plupart à mes débuts ou dans les écoles de théâtre où j’ai souvent monté des spectacles de fin d’année ou parrainé des promotions. Grâce à nos expériences communes, nous partageons le même vocabulaire. Chaque spectacle est une expérience unique. Je ne cherche pas à cultiver un style. Vous fonctionnez à l’instinct ? Je ne dirais pas ça. Je suis à l’écoute des idées qui me traversent. Lorsque l’envie me vient de monter un texte, j’ai souvent en tête une partie de la distribution. J’aime me plonger en amont dans l’univers de l’auteur, lire tout ou presque de ses écrits, ou me confronter aux autres médiums qu’il ou elle a abordés. Lorsque je monte Peter Handke en 2015 et en 2020, je retraverse ses quarante et un romans. Ça me prend six mois, mais j’en ai besoin pour développer mon imaginaire. La pièce seule ne me suffit pas pour mettre en scène. Je pourrais aussi inlassablement regarder des tableaux pour me nourrir, tels ceux de Claude Simon qui m’ont inspiré pour monter La Séparation. Chaque spectacle est une expérience unique. Je ne cherche pas à cultiver un style. Qu’est-ce qui vous attend après La Séparation ? Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, un de mes auteurs de prédilection, que je monte en novembre prochain au Petit Saint-Martin, à Paris. Puis Thomas Bernhard, dont j’aimerais mettre en scène La Société de chasse. Envisagez-vous d’arrêter le théâtre un jour ? Oui. Lorsque mon instinct me le signifiera. Et peut-être alors renouerais-je avec le dessin et la peinture, que j’aimais tant enfant. Propos recueillis par Killian Orain / Télérama ALAIN FRANÇON EN QUELQUES DATES 1945 Naissance à Saint-Étienne (42). 1971 Cofonde le Théâtre éclaté, à Annecy (74). 1995 Reçoit un Molière pour Pièces de guerre, d’Edward Bond. 1996 Nommé directeur du Théâtre national de la Colline, à Paris. 2010 Fonde sa compagnie le Théâtre des nuages de neige. La Séparation, de Claude Simon, jusqu’au 30 novembre, Bouffes parisiens, Paris 2e. Oh les beaux jours !, de Samuel Beckett, du 13 novembre au 17 janvier, Petit Saint-Martin, Paris 10e. Légende photo : Alain Françon : « La pièce seule ne me suffit pas pour mettre en scène ». Photo Jean-François Robert pour Télérama
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September 30, 5:07 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 30 sept. 2025 La chorégraphe, en duo avec la comédienne Valérie Dréville, offre un spectacle singulier où les corps deviennent des émanations du noir. https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/09/30/avec-l-echo-la-choregraphe-nacera-belaza-fait-respirer-la-nuit_6643785_3246.html
A condition d’aimer se fondre dans la nuit, d’accepter d’y diluer ses repères, à condition de ne pas attendre d’un spectacle dit « de danse » des transports physiques exceptionnels, le nouvel opus de la chorégraphe Nacera Belaza, intitulé L’Echo, peut offrir un trip sensoriel unique. En duo avec la comédienne Valérie Dréville, le spectacle est à l’affiche, jusqu’au 11 octobre, de la MC93, à Bobigny. A l’enseigne du Festival d’automne, il ouvre le focus spécial consacré à l’artiste, dont trois pièces s’enchaînent. Parallèlement à L’Echo, Les Ombres occupe, du 8 au 18 décembre, le Musée du Louvre, à Paris, tandis qu’Untitled.1, créé pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, s’installera du 18 au 20 décembre au Centquatre, à Paris. Depuis ses débuts, au détour des années 2000, Nacera Belaza a fait du noir la matière même de sa quête. Chacune de ses pièces baigne dans l’obscurité qui enveloppe les corps. Telle une pâte qu’elle malaxe en même temps qu’elle évolue à l’intérieur, elle lui insuffle des formes et des rythmes, laissant éclore une silhouette spectrale, un éclat de visage ou de mains pâles. Jeu de résonances Un halo blanc – les cheveux de Valérie Dréville – attire d’abord l’œil sur le plateau. C’est elle, remarquable actrice, complice des metteurs en scène Antoine Vitez ou Claude Régy, qui introduit L’Echo. Lentement, au point que l’on doute de la voir bouger, elle pivote au centre d’un cône de brouillard opaque, lève un bras, puis l’autre. Une ombre se détache, à droite, qui avance et recule telle une flaque d’encre. C’est Nacera Belaza. Comme le titre l’indique, le pas de deux attendu entre les deux femmes n’en est pas tout à fait un, mais plutôt un jeu de résonances. Le noir respire chez Nacera Belaza. Il est vivant, se dilate, prend de la hauteur ou s’écrase, s’épaissit ou se grise. Il s’écarte comme un rideau pour laisser place à une ambiance laiteuse, puis se referme dans un feuilleté de textures. Pendant que la bande-son, somptueuse, riche de bruits variés – des cris d’oiseaux aux grondements souterrains –, enfle telle une tempête, ce qui ressemble à une étude sensible sur l’obscurité et la pénombre résiste à l’assaut. Les corps deviennent des émanations de la nuit, en sortent pour s’y résorber. Une valse étrange de Nacera Belaza, des réminiscences de pas traditionnels font tanguer le plateau dans un rêve. Celle qui déclare « ne pas créer une danse à voir avec les yeux » travaille ici beaucoup sur les bords, à la frontière entre noir et lumière. Son mouvement rejoint l’infini, tant il semble faire partie du grand tout, au parapet d’un grand trou. La disparition des interprètes hante L’Echo. Et c’est entre abandon et affût que le spectateur progresse dans cette bulle. Si l’on a régulièrement envie de percer l’air pour happer ce qui se passe sur scène, on laisse aussi reposer ses antennes pour simplement savourer cette gamme de l’imperceptible, loin des effets spectaculaires massifs qui inondent les salles. L’Echo, de Nacera Belaza. Jusqu’au 11 octobre, MC93, Bobigny. Dans le cadre du Festival d’automne. Rosita Boisseau Légende photo : Valérie Dréville dans « L’Echo », de Nacera Belaza présenté à la MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 17 septembre 2025. SIMON GOSSEL
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Le spectateur de Belleville
October 20, 6:44 PM
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Par Olivier Milot et Etienne Labrunie / Télérama du 20 oct. 2025 Plus de 200 millions d’euros. C’est le montant de la réduction du budget de la culture dans le projet de loi de finances de 2026 présenté par le gouvernement. Patrimoine, création artistique, Pass culture, audiovisuel… aucun secteur n’est épargné.
«On a sauvé ce qu’on a pu. » C’est le constat un rien désabusé fait au ministère de la Culture quand le projet de loi de finances 2026 a été rendu public par Matignon, mardi 14 octobre. L’addition est, il est vrai, salée. C’est même plutôt de soustractions dont il faut parler, tant toutes les grandes directions du ministère sont mises à contribution par les baisses décrétées par le gouvernement. Au global, les crédits de la Rue de Valois (hors audiovisuel) s’élèvent en 2026 à 4,2 milliards d’euros. Un recul de 216 millions par rapport au projet de loi de finances 2025 et un retour, à peu de chose près, à leur niveau de 2023. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, le soutien du ministère à la création artistique n’est pas intégralement préservé. Avec une enveloppe très légèrement supérieure à 1 milliard d’euros (1,009), son budget est en recul de 34 millions d’euros. Dans la réalité, il l’est même de plus de 40 millions, du fait d’un transfert de crédit au Mobilier national. Cette baisse inédite n’est pas sans conséquence. Pour y faire face, le ministère est contraint de réduire les financements des directions régionales des affaires culturelles (Drac) et de limiter ainsi sa capacité de soutien aux acteurs culturels sur tout le territoire. Une première, là aussi, depuis longtemps. Les crédits affectés à de grands établissements comme l’Opéra de Paris, la Philharmonie et sans doute plusieurs autres devraient aussi légèrement baisser. Heureusement, le ministère poursuit et augmente les moyens de la seule véritable politique un tant soit peu structurante qu’il ait initiée ces dernières années : le plan « Mieux produire, mieux diffuser », destiné à pousser le secteur du spectacle vivant à produire moins de spectacles tout en mutualisant les coûts entre plusieurs établissements et en faisant en sorte qu’ils tournent plus longtemps. Doté de 9 millions d’euros les deux premières années de sa mise en place, ce dispositif, qui semble faire ses preuves, devrait bénéficier de 15 millions d’euros en 2026. “L’urgence patrimoniale” a du plomb dans l’aile Le patrimoine, jusqu’ici préservé par Rachida Dati depuis son entrée Rue de Valois, fait cette fois les frais d’une coupe importante. Il reste le premier budget du ministère avec un montant de 1,143 milliard d’euros, mais ses crédits sont en baisse de 58 millions d’euros par rapport au projet de loi de finances 2025. Un recul pour le moins inattendu venant d’une ministre qui le défend bec et ongles au point d’avoir décrété « l’urgence patrimoniale » dans l’une de ses interventions, en novembre 2024, au Sénat. Rachida Dati avait rappelé à cette occasion que la France comptait quarante-cinq mille monuments historiques dont « 20 % en mauvais état et 5 % en péril, soit plus de deux mille qui risqueraient de disparaître dans les prochains mois ». Elle avait à l’époque réussi à obtenir une rallonge de 300 millions d’euros, que le gouvernement avait finalement ramenée à 47 millions quelques semaines plus tard. La lente dégringolade du Pass culture Autre ligne du ministère en forte baisse cette fois pour la deuxième année consécutive, celle intitulée « La transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui mêle les actions facilitant l’accès des jeunes à la culture, l’enseignement artistique dans le supérieur ou encore la promotion de la langue française. Dotée de 723 millions d’euros en 2026, elle est en recul de 37 millions par rapport à cette année et de 100 millions d’euros en deux ans. Cette diminution importante est largement imputable à la baisse des crédits du Pass culture. Dans le projet de loi de finances 2025, il avait été budgétisé à 210 millions d’euros, avant d’être ramené à 170 millions lors du débat parlementaire. Dans le budget 2026, il passe à 127,5 millions d’euros. Une baisse qui traduit les importantes modifications dont a fait l’objet ce dispositif fortement critiqué par de nombreux acteurs culturels qui lui reprochent son côté purement consumériste. Parmi les changements apportés, le montant offert aux jeunes de 18 ans a été divisé par deux passant de 300 à 150 euros. Les 50 euros attribués aux 15 et 16 ans (respectivement 20 euros et 30 euros) disparaissaient, alors que ceux attribués aux jeunes de 17 ans passaient de 30 à 50 euros. Tant pis pour les nouveaux investissements Face à ce mur de baisses, le ministère de la Culture n’a d’autres choix que d’en faire de mauvais. Réduire sensiblement la portée de son action sur tout le territoire, baisser les subventions aux établissements les plus à même de les absorber, et surtout annuler ou différer des investissements. En langage technocratique, on préfère parler d’un « lissage des investissements dans le temps », et c’est ce que fait le ministère dans ce projet de budget. Il peut encore financer certains travaux prévus de longue date comme le Théâtre national de la danse de Chaillot ou le Palais de Tokyo, à Paris, mais n’a plus les moyens de programmer de nouvelles opérations. Et tant pis pour les lieux culturels qui en auraient bien eu besoin, comme la Manufacture de Sèvres dont le musée mériterait d’être rénové, ou la Grande Halle de la Villette dont le dispositif scénique est à revoir et qui se pose là en guise de passoire thermique. Tant pis aussi pour une partie de ces monuments historiques qui menacent de tomber en ruine dans les prochains mois. L’État clairement ne peut plus tout : ni dans la préparation de l’avenir, ni dans la préservation du passé. France Télévisions toujours dans le viseur du ministère Comme prévu, l’audiovisuel public n’est pas épargné dans ce projet de budget 2026. Et en premier lieu France Télévisions, qui paie, de loin, le plus lourd tribut avec une dotation annoncée de 2,44 milliards d’euros en 2026, soit une baisse de 65,3 millions par rapport aux crédits reçus cette année. Un sévère coup de rabot auquel Bercy ajoute ses habituelles consignes, demandant aux chaînes publiques de faire « un effort supplémentaire de maîtrise de la masse salariale et des charges hors personnel » et de « développer ses ressources propres ». Des recommandations qui risquent d’agacer les personnels, jusqu’à la direction du groupe. France Télévisions accumule en effet les coupes budgétaires et les plans d’économies depuis des années. « On renégocie tous les contrats, on fait des efforts sur tout, même sur les déplacements, mais on nous demande l’impossible », soulignait d’ailleurs sa présidente, Delphine Ernotte-Cunci, lors de la divulgation mardi 23 septembre d’un rapport de Cour des comptes épinglant la « situation financière critique » des chaînes publiques. Vers des aménagements de budget ? Le traitement infligé à France Télévisions semble d’autant plus sévère qu’il tranche avec celui réservé aux autres chaînes publiques (Arte, France Médias Monde et TV5 Monde), qui voient toutes leurs moyens reconduits à l’identique d’une année à l’autre. Enfin, pour les autres sociétés de l’audiovisuel public, l’addition est moins lourde. Avec un budget de 648 millions d’euros, Radio France (France Inter, France Culture, France Info…) ne perd que 4,1 millions, tandis que l’Institut national de l’audiovisuel (INA) voit son budget (103,4 millions en 2025) diminué de 1,5 million d’euros. Prochaine étape, le Parlement. En renonçant à utiliser l’article 49.3, qui permet au gouvernement de clore quand il le souhaite la discussion sur le budget, et en promettant un large débat sur le projet de loi de finances, le Premier ministre, Sébastien Lecornu, laisse la porte ouverte à des aménagements possibles. Dans tous les groupes, on fourbit ses amendements. De là à imaginer, dans le contexte actuel, faire d’une copie si dégradée un budget satisfaisant, il y a de la marge. Sauver quelques meubles, peut-être… Olivier Milot et Etienne Labrunie / Télérama Légende photo : Rachida Dati, à Lyon, le 17 octobre 2025. Photo Albin Bonnard/Hans Lucas
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October 17, 5:24 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - le 17 oct. 2025 Adapté du texte utopique du poète athénien Aristophane, ce diptyque théâtre et film documentaire résonne avec la situation vécue aujourd’hui à Gaza. Une assemblée de femmes, le spectacle adapté du texte d’Aristophane et accueilli par Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil à Paris, est né en 2021. Créé à Jérusalem, joué par huit comédiens et comédiennes palestiniens, il date d’avant l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 par le Hamas. D’avant la destruction de Gaza par l’armée israélienne. D’avant le plan de paix de Donald Trump, la libération des otages israéliens et de prisonniers palestiniens. Sans l’avoir prémédité, le spectacle se voit percuté de plein fouet par une actualité qui trouble la réception du spectateur et ne quitte pas les pensées des interprètes en scène : « Même si notre spectacle ne parle pas frontalement de ce qui se passe depuis 2023, nous représentons la Palestine. Nous la transportons avec nous, tout le temps, jusque dans notre art », explique Shaden Saleem. Pour cette actrice de 39 ans, « on ne voit la Palestine que par les yeux de la guerre et du génocide. On pense que les Palestiniens sont uniquement des héros, ou alors des martyrs. Mais ce sont aussi des gens normaux qui aiment, mangent, dorment, vivent. » A son côté, la comédienne Ameena Adileh, 28 ans, acquiesce : « Le théâtre met le focus sur ce que sont les femmes, loin de ce que le public peut voir dans les médias. » Société utopique S’ils n’évoquent pas l’histoire récente (et pour cause, ils ont été écrits il y a près de 2 500 ans), les mots d’Aristophane la ramassent pourtant dans le filet de la narration. Adaptée par Jean-Claude Fall, nettoyée de son contenu scabreux, cette comédie grecque raconte en effet l’avènement d’un monde révolutionnaire où chacun abandonne ses biens au profit d’une collectivité partageuse. Tout est à toutes et tous : telle est la devise adoptée par la communauté. Abolition des frontières, de la propriété privée, du travail, de l’argent : sous la plume du poète athénien, cette société utopique est organisée par les femmes, seules capables d’en entreprendre l’élaboration. Elles prennent le pouvoir dans l’espace public (l’Assemblée) et s’en emparent dans la sphère privée (le foyer conjugal). Face à leur détermination, les hommes n’ont d’autre choix que d’adopter ce nouvel ordre politique. Sur le plateau, les actrices portent de fausses barbes et sont vêtues de pantalons tandis que les acteurs enfilent des robes fines à bretelles, un renversement des perspectives qui écorne avec humour l’image de la virilité. Lorsqu’elle s’est rendue à Jérusalem en 2021, Roxane Borgna, metteuse en scène, avait une idée fixe en tête : « Je souhaitais rencontrer les femmes, c’est-à-dire mes alter ego. » Leurs conditions de vie, leurs entraves et leurs désirs d’émancipation : le portrait dressé par l’artiste est conçu en diptyque. Il passe par la fiction avant de se poursuivre par une immersion dans le réel. Film tourné en Cisjordanie A la représentation succède ainsi la projection d’un film, tourné en Cisjordanie entre 2021 et 2022. Le documentaire (dont certaines séquences sont insérées dans le spectacle) fait surgir à l’écran les visages, les corps et les voix de militantes qui s’engagent au grand jour comme dans l’anonymat du quotidien. Rencontrées à Ramallah, Hébron, Naplouse, Jéricho ou dans le village d’Al Majaz, les femmes palestiniennes tentent de déjouer la domination des hommes et de s’affranchir du poids de la religion. Ce combat féministe qui précédait le bombardement de la bande de Gaza n’a pas disparu sous les décombres qui recouvrent aujourd’hui la terre ravagée. Il est toujours là. Plus que jamais légitime : « Les femmes parviennent à exister et à résister sous le régime d’une double peine : l’occupation israélienne et un puissant patriarcat archaïque », constate Roxane Borgna. Il ne s’agit pas seulement de se soustraire à l’emprise masculine, il s’agit également d’échapper aux discriminations israéliennes : « L’occupant est le premier des oppresseurs, confirme Shaden Saleem, il est là au check point, il est là dans la rue. Lorsque le soleil se couche à Jérusalem, les femmes évitent de se promener seules. Elles ne sont pas en sécurité. » Cette « double peine » que mentionne Roxane Borgna condamne-t-elle les Palestiniennes à n’être que des victimes ? En aucun cas. « Être victime, s’insurge Ameena Adileh, c’est attendre d’être sauvé par quelqu’un. Nous avons la résilience et la force de combattre. D’une certaine façon, ceux qui nous enferment à cette place de victimes ou nous décrivent comme des héros nous déshumanisent.» L’actrice s’exprime en son nom et au nom d’un peuple qui refuse d’être traitée comme un objet. Au-delà des revendications féministes, c’est vers l’évidence de ce constat que chemine la représentation accueillie au Théâtre du Soleil. Une assemblée de femmes, d’après Aristophane, par le Théâtre national palestinien El-Hakawati. Un spectacle de Roxane Borgna, Jean-Claude Fall et Laurent Rojol. Un diptyque théâtre et film documentaire. Au Théâtre du Soleil, 2 route du Champ de Manoeuvre, Paris 12e. Les 18 et 19 octobre. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : « Une Assemblée de femmes », au théâtre national palestinien de Jérusalem, El Hakawati, en novembre 2021. LAURENT ROJOL
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October 15, 3:48 PM
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Par Gilles Renault dans Libération - 14 oct. 2025 En conclusion d’un cycle ébauché il y a quatre ans, l’auteur et metteur en scène développe avec un brio virant à l’excès un récit familial perclus de questionnements.
S’il y a bien une chose dont l’auteur, metteur en scène (et directeur de la Comédie de Valence) Marc Lainé ne manque pas, c’est de suite dans les idées. Sinon d’idées tout court. Ainsi, sa Chambre de l’écrivain, fraîchement dévoilée aux Célestins de Lyon, vient, elle, conclure un «cycle Liliane et Paul» initié quatre années auparavant. Triptyque axé sur la trajectoire d’un couple, du décollage post-soixante-huitard à sa dislocation, la saga comporte donc trois parties. Qu’on pourrait aussi nommer «chapitres», en référence au socle littéraire qui cimente le propos. Avec l’exquis Nos paysages mineurs, créé en 2021, s’esquissait de la sorte le béguin ferroviaire entre un prof apprenti écrivain et une fille du peuple. Qu’En finir avec leur histoire réunissait ensuite, le temps d’une non moins subtile déambulation nocturne, dans le Paris de 1992, après que le couple se soit séparé, lui, séducteur fat et amer, ruminant une gloire aussi précocement connue que vite évanouie, elle, calculant les dividendes d’une émancipation chèrement acquise. Mise en abyme autour de la figure du fils Ces tomes 1 et 2 duraient chacun à peine plus d’une heure. Ce qui en faisait des précis, comparés à cette Chambre de l’écrivain aux allures de traité profus, avec ses six comédiens et deux musiciens répartis sur deux heures quinze entremêlant époques (des années 70 à nos jours), personnages (de jeunes à vieux, selon les sinuosités chronologiques) et cadres (principalement une chambre, située derrière une cloison, où deux caméras motorisées relaient sur un écran ce qui s’y trame, et, à l’avant-scène, un salon). Dédale d’échanges, l’épilogue ressasse des éléments des deux premiers volets, parfois développés, tissant une mise en abyme autour de la figure du fils né de l’union passée entre Liliane et Paul. Un fils qui, devenu dramaturge motivé par le désir de relater la vie de ses parents, n’est autre que l’auteur et metteur en scène, Marc Lainé, qui pousse la démarche fusionnelle jusqu’à choisir un comédien (Charles-Henri Wolff) lui ressemblant physiquement – l’introspection, dans le dossier de presse, culminant dans un entretien imaginaire où il répond à ses propres questions posées par son avatar scénique ! Le tout augmenté de réflexions plus contemporaines sur la fracture intergénérationnelle des relations hommes-femmes. Ballet de parois Un grand déballage qui, s’il en impose sur la forme, avec son décor sans cesse recomposé, dans un ballet de parois qui montent et descendent, et de détails vintage (Marc Lainé, avec ses quelque 70 scénographies déjà signées pour le théâtre et l’opéra, étant un orfèvre de l’agencement), épuise aussi quelque peu à force de palinodies. L’histoire ne précisant pas ce qu’aurait pensé l’«écrivain» au centre des attentions, griefs et autres conjectures, ex-prix Médicis 1971 (l’Irrévolution) et prix Goncourt 1974 (la Dentellière), Pascal Lainé – ayant rédigé par la suite une quarantaine d’ouvrages – étant mort dans l’oubli à 82 ans, neuf mois avant la première de la pièce que son fils lui dédie. La Chambre de l’écrivain, de Marc Lainé, à Chambéry les 16 et 17 octobre 2025, Valence, du 4 au 8 novembre 2025, MC93 de Bobigny du 22 au 25 janvier 2026… Gilles Renault / Libération Légende photo : «La Chambre de l'écrivain», troisième et dernière pièce du cycle imaginé par Marc Lainé, à la Comédie de Valence. (Simon Gosselin)
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October 13, 4:08 PM
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Par Gilles Renault dans Libération, publié le 13 oct. 2025 Sa mère, l’identité, le racisme… Dans son presque seul en scène au Rond-Point à Paris, l’auteur défend avec justesse sa place dans la société.
En novembre, cela fera deux ans qu’a été créé Ma république et moi. On ne parlera donc pas de découverte, d’autant que le spectacle a déjà transité en 2024 par le off d’Avignon où, à l’affiche du Théâtre des Halles, il a eu bonne presse. De même que, fin janvier, le Centquatre – où l’auteur et interprète, Issam Rachyq-Ahrad, était en résidence – le programmait dans le cadre du festival Les Singulier·es. Projet aussi modeste – au sens où il n’a que faire du décorum – que soigneusement élaboré, le (presque) seul en scène repasse donc par Paris avec, cette fois, le palais de l’Elysée quasiment en ligne de mire en ce début d’automne. Alors, Issam président ? Nullement, car l’artiste n’est pas du tout en campagne et si le titre de l’exposé – où l’on entendra dans l’emploi de l’adjectif possessif comme un écho au livre Ma part de gaulois, de l’aîné toulousain, Magyd Cherfi – a des faux airs programmatiques, c’est bien à la première personne qu’il se joue désormais à quelques hectomètres du «Château», au théâtre du Rond-Point. Tranches de vie ordinaire De politique, il n’est au demeurant guère question dans Ma république et moi. Sinon, par vidéo interposée, pour planter le décor, hideux : à Dijon, en 2019, au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un élu d’extrême droite (Julien Odoul) apostrophe une femme qui accompagne un groupe scolaire, afin de lui demander d’ôter son «voile islamique», ou de déguerpir. Un oukase auquel le comédien choisit de répondre sans véhémence ni même sarcasme. Mais juste en racontant quelques tranches de vie ordinaire, dans lesquelles il endosse deux rôles : le sien, grandi dans «l’inconfort d’une ville moyenne» qu’il se refuse à dramatiser, ou vilipender, et celui d’une mère aimante, dont la dignité plane si haut au-dessus des «sale bougnoule» ou «va manger ton couscous au bled», entre autres métastases «citoyennes». Une femme, aujourd’hui veuve et retraitée, qui chérit Dalida, prépare le thé à la menthe avec autant d’attention que de sucre (les diabétiques comprendront) et, par messagerie interposée, s’inquiète de savoir si la salle dans laquelle joue son fils est correctement remplie. Ce qui, juste récompense, est à l’évidence souvent le cas. Plaidoyer sensible et concis (trop, à peine cinquante minutes) contre l’acculturation et son chapelet de questions autour des thèmes de l’identité et du déterminisme, Ma république et moi installe ainsi sur le devant de la scène Issam Rachyq-Ahrad qui, la quarantaine atteinte, a attendu son heur(e), après diverses piges au cinéma et au théâtre. Où il a notamment accompagné Mohamed El Khatib, lui-même auteur et metteur en scène dorénavant à la mode, auquel l’évocation des racines nord-africaines étayée par des archives familiales et une gestion astucieuse de la quincaillerie, fait naturellement penser. Sans qu’ici, l’évocation sincère ne confine encore à l’exploitation un rien roublarde du filon. Ma république et moi d’Issam Rachyq-Ahrad au théâtre du Rond-Point (75008) jusqu’au 19 octobre.
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October 13, 7:14 AM
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Chronique de Vincent Bouquet et Anna Sigalevitch dans Les Midis de France Culture, émission animée par Marie Labory, le 13 octobre 2025 Dans "Étincelles", présenté pour la première fois au répertoire de la Comédie-Française, Gabriel Dufay assemble des pièces courtes inédites de Jon Fosse, lauréat du prix Nobel 2023, qu’il mêle à des poèmes. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur norvégien : l’amour, le couple, le temps et la mort.
Avec Anna Sigalevitch, journaliste et auteure Vincent Bouquet, journaliste et responsable d'édition du site Sceneweb Ecouter le podcast (13 mn)
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October 12, 5:44 PM
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Tribune de Romaric Daurier, publiée par Libération le 12 oct. 2025 Créer ne consiste plus à transmettre un patrimoine clos, mais à en préserver la possibilité d’usage pour les générations futures, estime Romaric Daurier, directeur de scène nationale. Culture, éducation, justice, information, sciences… Syndeac, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, organise en 2025 une série de débats pour souligner le rôle et l’importance des services publics dans la société. Une série d’événements dont Libération est partenaire. Prochain débat, «Culture et rénovation urbaine : un même combat pour l’égalité», le 13 octobre à Valenciennes. Il y a quelques années, j’appelais dans Libération un «théâtre élargi» où les artistes puiseraient dans le réel les matériaux de leurs créations : des écritures de contexte, attentives aux territoires et aux paroles ordinaires. Puis, dans Délibéré, je rêvais de «maisons de la culture et de la nature», en écho à Philippe Descola, pour élargir la culture à la notion de vivant commun. Ces intuitions résonnent aujourd’hui face à la crise des identités. Le champ culturel est pris dans une polarisation brutale : élite contre populaire, savant contre divertissant, institution contre spontané. Sous prétexte de «parler à tous», certains prônent une simplification de l’offre qui exclut l’altérité esthétique. Derrière le vernis d’accessibilité se cache une instrumentalisation identitaire : une culture qui désigne ce qui serait «légitime» pour tel public ou territoire. Ce populisme culturel fige les imaginaires au lieu de créer du commun. Contre cette dérive, relisons Lévi-Strauss : l’authenticité n’est pas le folklore, mais la qualité d’une relation. Elle ne se décrète pas depuis un centre ; elle se construit dans la coprésence, dans la reconnaissance mutuelle. Or, certaines politiques prétendent «faire peuple» depuis des cénacles hors-sol, fabriquant de la proximité artificielle. L’authenticité devient fiction centralisée, quand elle devrait être une démocratie vécue à l’échelle locale : une culture tissée dans la durée, entre des personnes en relation réelle. Depuis les débuts de la décentralisation, un changement de paradigme s’impose. La culture n’est plus seulement, pour reprendre Malraux, «l’héritage de la noblesse du monde». Elle ne s’hérite pas : elle s’emprunte à nos enfants. À l’heure de la crise écologique, cette conscience bouleverse la mission culturelle : créer ne consiste plus à transmettre un patrimoine clos, mais à en préserver la possibilité d’usage pour les générations futures. Beaucoup d’artistes incarnent aujourd’hui cette exigence : Emilie Rousset, Mohamed El Khatib, Boris Charmatz, le collectif XY, ou la nouvelle génération de Camille Dagen, Eddy D’aranjo, Rebecca Chaillon. Tous explorent un théâtre du réel où la présence prime, où l’authenticité des sources devient matière poétique. Cette recherche d’authenticité interroge aussi la transmission. Le penseur Tim Ingold nous invite à repenser l’éducation artistique non comme transfert de savoirs, mais comme apprentissage du «faire avec». L’artiste, comme l’enfant, apprend en suivant les lignes du monde, en observant, en ajustant son geste. L’éducation artistique devient une écologie du regard : un art d’habiter et de prêter attention. Elle n’enseigne pas des formes, mais une manière d’être au monde, d’écouter, de relier. Créer, transmettre, éduquer : ces verbes partagent une même urgence. Dans un monde saturé de simulacres, où l’authenticité virtuelle se vend en flux, la scène doit redevenir lieu de présence. Face à la pseudo-authenticité algorithmique, la seule résistance est la coprésence : des gestes partagés, des voix réelles, des territoires vécus. Il nous faut aussi réinventer la décentralisation : refaire territoire en circuit court, reterritorialiser la culture. Sortir du pilotage vertical pour retrouver le sens du proche, du commun, du patient tissage entre artistes, habitants et paysages. Cette écologie de la culture est une politique du lien : elle redonne à chaque lieu sa capacité d’invention. Ainsi comprise, l’exception culturelle française ne serait plus un privilège institutionnel, mais une garantie d’authenticité : la possibilité, pour chacun, de faire culture ensemble, dans un monde à réapprendre, à hauteur d’humain. Romaric Daurier, directeur du Phénix, scène nationale de Valenciennes
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October 10, 6:19 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 5 oct. 2025 Le dramaturge est à l’affiche avec quatre pièces dont le très délicat « Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) » mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo aux Plateaux sauvages à Paris.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/10/au-theatre-l-automne-saison-du-regain-pour-l-auteur-philippe-minyana_6645600_3246.html
Quatre textes, quatre spectacles, quatre salles : c’est le moins que puisse faire le théâtre pour rendre à Philippe Minyana les honneurs qu’il lui doit. C’est à un auteur de plus de 35 pièces et qui a voué sa vie à l’écriture que se consacrent, en octobre, des metteurs en scène. Parmi eux, Marcial Di Fonzo Bo qui crée Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) aux Plateaux sauvages à Paris. Echappée belle dans un onirisme saisi de mélancolie, cette représentation se traverse comme un temps suspendu au-dessus du quotidien et qui, pourtant, plonge d’un bond résolu dans le concret d’une histoire vraie : celle du comédien Raoul Fernandez. Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) a le goût des retrouvailles heureuses entre un auteur et son interprète (ce Portrait étant le deuxième écrit par le dramaturge). Le goût, aussi, de la tendresse que partagent les deux complices pour un art qui cultive la déraison. Et peu importent les excès de cette déraison pourvu qu’au bout des entêtements, du travail, des nuits blanches, de l’envie, il y ait une scène, une fiction, un personnage, la lumière des projecteurs et le regard du spectateur sur Raoul, la créature qui vient de naître. Dans un décor de rideaux rouges et noirs qui chutent les uns après les autres, à son aise dans le monologue que lui a conçu, sur mesure, Philippe Minyana, Raoul rêve de chanter et de danser. Il rêve d’avoir des seins et de se travestir. Il rêve de la France, sa terre d’adoption et du Salvador, son pays natal. Seul au centre d’un plateau que les étoffes (plumes, robes, voiles) colonisent petit à petit, campé près d’un micro sur pied et d’un piano droit, il prend des poses de diva et une voix de tragédienne pour opposer le récit de ses désirs au glas du temps qui fuit. Minyana a imaginé le comédien dans la peau d’un revenant. Ressuscité d’entre les morts, de retour depuis les rives de l’au-delà, il surgit, vêtu de noir, repartira de même, après un numéro de funambule songeur dans l’illimité de la parole. Douceur, élégance et tact de sa performance qu’accompagnent les musiques de Carlos d’Alessio (1935-1992), qui fut le collaborateur de Marguerite Duras (1914-1996) : la mise en scène dépose le public dans une sorte d’entre-deux où la flânerie intérieure prend le pas sur le réel et où la joie se leste d’une étrange gravité. Double féminin Une émotion ambivalente que l’on retrouve, mais avec plus de rugosité et de drôlerie effrontée, face à Lune, texte que l’auteur met lui-même en scène au 100, établissement culturel et solidaire, à Paris. Cette fois c’est une femme qui s’exprime. Jouée par la vive, brusque (au bon sens du terme) et facétieuse Catherine Pietri, l’héroïne rembobine le fil du passé sur la trace des évènements, anecdotiques et dramatiques, qui l’ont construite (ou détruite). Dans une scénographie réduite à l’essentiel (une table, une chaise), enveloppée dans une large robe blanche, ce double féminin du dramaturge transforme le plateau en terrain de labour. Les mots sont les coups de pelle qui déterrent les souvenirs. Ceux qui comptent pour rien et ceux qui pèsent lourd dans les méandres de son existence. Le probable suicide d’une mère surmédicamentée, la vie à la campagne, le vent dans les arbres, les siestes, les repas, l’envie d’écrire, les réunions de famille, ces dernières suscitant un moment d’anthologie théâtrale à se tordre de rire. Philippe Minyana entraîne Catherine Pietri dans une approche organique de son texte. Elle ralentit, accélère, laisse traîner les voyelles ou taper les consonnes, elle ne s’attarde jamais dans un sentiment, brise l’émotion qu’elle vient de susciter pour la raviver au détour de la phrase suivante. Elle fait corps avec la langue, laquelle est une offrande à son jeu. Un enchantement que ce regain de Philippe Minyana dans l’automne parisien. Il s’en va. Portrait de Raoul (suite), texte de Philippe Minyana publié aux Solitaires intempestifs, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo. Plateaux sauvages, Paris 20e. Jusqu’au 18 octobre. Lune, texte de Philippe Minyana, mise en scène de l’auteur. 100, établissement culturel et solidaire, Paris 12e. Jusqu’au 11 octobre. A voir aussi, du même auteur : Fantômes, mise en scène de Laurent Charpentier. Théâtre de la Ville, Paris 4e. Du 10 au 16 octobre. Babette, mise en scène de Jacques David. 100, établissement culturel et solidaire, Paris 12e. Jusqu’au 11 octobre. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : Raoul Fernandez lors d’une répétition de la pièce « Il s’en va. Portrait de Raoul (suite) », texte de Philippe Minyana, mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, au Quai CDN d’Angers, en avril 2025. PASCAL GELY/HANS LUCAS
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October 8, 4:49 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 6 oct. 2025 Avec la « La chambre de l’écrivain », Marc Lainé boucle une trilogie familiale semi fictive qui s’achève avec la mort du père. En l’occurrence la doublure de l’écrivain Pascal Lainé ancien lauréat du Goncourt.Tout au long de ce cycle « Liliane et Paul », Marc Lainé n’aura eu de cesse de "fictionner" sa vie et celle de ses parents. Aussi tortueux que délicieux.
Tout avait commencé, en 1969, dans un train entre Paris et Saint Quentin. Paul, prof de philo etécrivain, se trouve dans le même compartiment que Liliane, une jeune fille dont le sourire le fascine. Il finit par lui adresser la parole. On les retrouve, l’année suivante, dans le même train, elle toujours assise près de la vitre. Ils sont ensemble. Plus tard, ils se sépareront. Paul Langlois qui a déjà reçu un prix littéraire pour l’un de ses romans, veut écrire l’histoire de sa rencontre avec Liliane dans un train. C’était là, la trame de Nos paysages mineurs , pièce écrite et mise en scène par Marc Lainé avec pour délicats interprètes, Adeline Guillot et Vladislav Galard (lire ici) On allait retrouver les mêmes personnages et les mêmes interprètes, tout aussi délicieux, dans En finir avec notre histoire, second volet de la trilogie. Nous sommes maintenant au début des années 90, Liliane élève seule Martin, dont elle était enceinte lorsqu’elle avait quitté Paul. Elle est devenue prof de philo. Paul, comme écrivain, a connu un certain succès avec son roman La jeune femme dans le train mais peine à retrouver l’inspiration comme si le prix Goncourt, dont il fut lauréat, lui avait comme coupé les pattes. Son éditeur n’a plus confiance en lui et ses aventures amoureuses tournent court. En rôdant dans son quartier, Paul finit, « par hasard », par croiser Liliane. Il espère la douceur d’un tendre revival, Liliane, elle, ne veut par retomber sous l’emprise de son ex mari. Et Martin, leur fils, dans tout ça ? La fin de la pièce laisse l’histoire en suspens (lire ici). Dans La chambre de l’écrivain, troisième et dernier volet de l’histoire de Liliane et Paul, Marc Lainé repart sur les traces de cette histoire avant de l’approfondir. On revient au début des années 70 lorsque Paul et Liliane vivaient ensemble. On apprend que le père de Paul ne l’a pas reconnu mais a toujours veillé à ce que son fils ne manque de rien. On reste dans le même décor d’une chambre des années 70, mais c’est aujourd’hui, au milieu des années 2020, que Martin, le fils de Liliane et Paul, jeune quadragénaire, nous annonce son intention de « mettre en scène une pièce sur l’histoire de mes parents » et plus précisément sur le couple qu’ils formaient avant sa naissance, ce qui constituait le sujet de Nos paysages mineurs. Martin aurait-il quelque chose à voir avec Marc (Lainé) ? On s’enfonce un peu plus dans cette nébuleuse à la scène suivante où Martin interroge son vieux père Paul, octogénaire, qui vit seul. Au micro de son petit fils, il revient sur les prix littéraires prestigieux dont il a été naguère le lauréat, exactement comme Paul Lainé, le père de Marc, qui a eu le prix Médicis, puis l’année suivante le Goncourt avec La dentellière roman qui allait devenir aussi un film où Isabelle Huppert ferait de beaux débuts. Après quoi, Paul continua d’écrire des livres, allant d’éditeur en éditeur, sans jamais retrouver le succès. La Chambre de l’écrivain poursuit ces allers retours entre le passé et le présent, l’imaginaire et le vécu. Après une scène de dispute entre Liliane et Paul au milieu des années 70, nous voici aujourd’hui dans le décor de la pièce de Martin consacrée à ses parents qu’il met lui-même en scène. Martin vient de passer la nuit dans le décor et converse avec Noémie qui travail à la production du spectacle. Martin lui confie avoir écrit à sa mère, Liliane, et celle-ci vient de lui répondre : non seulement elle ne veut pas voir le spectacle, mais a décidé de couper les ponts avec lui, son fils. Quelques jours plus tard, Martin fait le chemin jusqu’à elle pour lui annoncer que Paul est au plus mal. Le père de Marc Lainé, Pascal Lainé, l’auteur de La Dentellière, est mort, octogénaire, le 30 décembre 2024. Son fils Marc Lainé a donc écrit en pensant souvent à lui La chambre de l’écrivain et, dans la mise en scène de la pièce, Marc Lainé a confié le rôle de son père Paul au grand Marcel Bozonnet. On retrouve bien sûr Vladislav Galard et Adeline Guillot, couple moteur des précédents épisodes. Au milieu de la pièce de Marc Lainé, Paul dit à Liliane ce qu’est à ses yeux la chambre de l’écrivain : « une chambre noire où le réel se transforme pour mieux se révéler. A la fois autre et tout à fait lui-même ». On ne saurait mieux résumer le fonctionnement très performant du moteur de cette trilogie signée Lainé. Le spectacle La chambre de l’écrivain a été créé au Théâtre des Célestins à Lyon du 2 au 5 oct, il sera à l’affiche de la Scène nationale de Chambéry du 16 au 17 oct, à la Comédie de Valence (dont Marc Lainé est le directeur) du 4 au 8 nov, puis du 22 au 25 janv à la MC93, et du 28 au 29 janv à la Comédie de Caen. Le texte est publié chez Actes sud-Papiers Jean-Pierre Thibaudat
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October 5, 4:54 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 5 oct. 2025 Ecrivain de théâtre et de cinéma, metteur en scène, réalisateur, mais également romancier, cet être à fleur-de-peau n’appartenait à aucune école. Esprit libre, homme libre, il s’éteint à 61 ans. Le cœur a lâché.
Il y avait en lui autant de fragilité que de férocité. Physiquement, il avait toujours donné le sentiment d’une certaine force. Jeune, athlétique mais pas immense, nerveux, prêt à en découdre, intellectuellement mais aussi, si cela avait pu s’avérer la bonne réplique, au poing, le jeune Xavier Durringer avait frappé dès ses premiers spectacles. Il avait alors vingt ans et quelque. Un ton, un style, une force dans le déploiement des histoires, par l’encre et sur le plateau. Il ne se revendiquait d’aucun maître, d’aucune école. Il avait la passion du théâtre et des destins. Il y avait en lui la puissance d’un grand écrivain, et du théâtre au cinéma, en passant la discipline du roman, il aura tout affronté et brillamment réussi. Il avait du charme. Un visage à jouer les jeunes premiers romantiques, un timbre de voix ferme mais feuilleté de chagrin, un regard, une tignasse de brun ténébreux. Avec le temps, il s’épaissit un peu, se voulut barbu parfois. Mais on reconnaissait toujours le jeune homme en colère, l’enfant orphelin de toujours dont la maman était morte en le mettant au monde. Une des plus moches formules de la réalité. Il était né le 1er décembre 1963. Il aurait donc eu 62 ans à la fin de l’année. Au moment de le saluer, on n’oublie pas les femmes qui l’on accompagné, ni ses enfants. Ni tous les comédiens qu’il a dirigés, au théâtre comme au cinéma. Des jeunes devenus des artistes très connus, Vincent Cassel, Clovis Cornillac, Pascal Demolon, Gérald Laroche, Édouard Montoute ou Éric Savin, entre autres. Plus tard, dans ses films, des comédiennes et comédiens déjà reconnus, ou en passe de l’être, de Karine Viard à Sandrine Bonnaire. On écrit tout cela un peu dans le désordre de l’émotion et de la mémoire. On a eu la chance de très tôt découvrir son travail, et de n’avoir jamais le fil. Parmi tous les artistes, sensibles et originaux, qu’il nous a révélés, il y a le délicat et profond Jean-Pierre Léonardini. Un critique dramatique qui unit l’art de l’écrivain et celui du journaliste à l’écoute du monde. Il est un interprète formidable et en ce dimanche d’automne, c’est à lui, aussi, que l’on pense. Xavier Durringer avait quelque chose d’un aventurier qui n’aurait jamais pu se contenter des premières sources de son inspiration. Samuel Benchetrit, plus jeune de dix années, est comme lui : on y pense en écrivant ce pauvre hommage qui ne dira jamais la complexité douloureuse de Xavier Durringer et l’étendue de ses inspirations. Tous ses titres demeurent en tête, comme des histoires délicieuses et cruelles, sentimentales mais profondément puissantes, car ne lâchant jamais les fils du plus intime et de la société. Une rose sous la peau date de 1988. Il a écrit des dizaines de pièces. Des souvenirs, Bal-Trap, Surfeurs, La Promise, Une envie de tuer sur le bout de la langue, La Quille. Et puis bien sûr, sa mise en scène de Oh ! Pardon tu dormais, texte de Jane Birkin, avec Jane Birkin ou encore Histoires d’hommes, mise en scène de Michel Didym, avec Judith Magre dans un solo écrit pour elle. Ou Acting, avec Niels Arestrup. Côté cinéma, on n’a jamais oublié La Nage indienne ni ses aventures du côté de la boxe Thaï ou encore mieux, des malfrats de Marseille : J’irai au paradis, car l’enfer, c’est ici. Et c’est lui qui cisela cette Conquête du pouvoir, en 2011, qui est un classique avec Denis Podalydès et Maurice Benichou, notamment. On ne va pas tout citer. Vous retrouverez facilement l’énoncé complet de ses œuvres. N’oubliez pas Sfumato, un roman maîtrisé et séduisant, qui lui ouvrait une voie nouvelle. Depuis l’orée des années 2000, il avait énormément travaillé pour la télévision : Arte, Canal +, France 2. Les Vilains, Les Oreilles sur le dos avec Béatrice Dalle, Lady Bar, Lady Bar 2, Hiver rouge avec Patrick Chesnay, Rouge sang avec Sandrine Bonnaire, Ne m’abandonne pas (en 2017 il obtient l’International Emmy Award du meilleur téléfilm), Rappelle-toi avec Line Renaud, La Mort dans l’âme avec Didier Bourdon, Mauvais garçon avec Richard Anconina) et des séries (Scalp, La Source avec Clotilde Courau et Christophe Lambert. Pas de mots suffisants, pour saluer cette personnalité attachante, toujours courageux. Le dernier spectacle que l’on ait vu de lui était consacré à Joséphine Baker. Tonique et mettant en valeur l’interprète. Car, par-dessus tout, Xavier Durringer mettait en lumière les autres… Armelle Héliot
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Le spectateur de Belleville
October 5, 1:16 PM
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Le Monde avec AFP, publié le 5 oct. 2025 Il avait notamment signé en 2011 « La Conquête », un film relatant l’ascension vers le pouvoir de Nicolas Sarkozy entre 2003 et 2007. Il a succombé à une crise cardiaque à son domicile.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2025/10/05/xavier-durringer-scenariste-realisateur-et-dramaturge-est-mort-a-61-ans_6644543_3382.html?search-type=classic&ise_click_rank=1
Le scénariste, réalisateur et dramaturge Xavier Durringer, qui avait notamment réalisé La Conquête, en 2011, sur l’ascension vers le pouvoir de Nicolas Sarkozy, est mort à son domicile de L’Isle-sur-la-Sorgue, en périphérie d’Avignon, a appris l’Agence France-Presse (AFP), dimanche 5 octobre, auprès de son agente. « Rien ne pouvait laisser présager cette nouvelle qui va dévaster toutes les personnes qui l’aimaient », a réagi auprès de l’AFP son agente Céline Kamina. Xavier Durringer avait 61 ans et a succombé à une crise cardiaque, selon elle. « Xavier était un immense auteur, un homme de troupe en recherche perpétuelle, à toujours vouloir approfondir son savoir, son travail », a-t-elle ajouté. Né en décembre 1963, il commence en prenant des cours d’art dramatique à 18 ans. Il décide alors d’écrire et met en scène ses premières pièces dans les années 1980, dans un genre qu’il qualifie d’« un peu punk, qui bousculait l’institution ». A partir du milieu des années 1990, il s’éloigne un peu du théâtre pour se consacrer à l’écriture et au cinéma. Il réalise son premier film en 1992. La Nage indienne offre un premier grand rôle à Karine Viard, qui obtiendra une nomination aux César pour le meilleur espoir féminin. « Ecrire m’a donné un ticket pour l’existence » Au total, il réalise huit films, dont La Conquête, sur l’ascension vers le pouvoir de Nicolas Sarkozy entre 2003 et 2007, avec Denis Podalydès dans le rôle de l’ancien président de la République. Le film est présenté en avant-première au Festival de Cannes en 2011, hors compétition. Scénarisé par l’historien Patrick Rotman, il suscite une énorme attention médiatique, Nicolas Sarkozy étant toujours au pouvoir à l’époque. En 2017, il réalise un téléfilm pour France 2 sur la déradicalisation intitulé Ne m’abandonne pas. Produit comme un contenu pédagogique, il est projeté dans certains établissements scolaires. Il est inspiré du parcours de plusieurs jeunes femmes parties en Syrie et décroche un International Emmy Award, récompense suprême pour un programme produit ailleurs qu’aux Etats-Unis. En 2019, lors d’une masterclass à la Société des auteurs (SACD), il avait raconté être « entré dans ce métier par la petite porte, les petites marches ». « Ecrire m’a donné un ticket pour l’existence », déclarait-il, alors que sa mère est morte en couche à sa naissance. Xavier Durringer a aussi écrit un roman paru en 2015. Sfumato raconte les vertiges du rock’n’roll, de la nuit, de la drogue et de l’amour dans les années 1980, les thèmes chers à sa jeunesse lorsqu’il a débuté comme dramaturge. Le Monde avec AFP Légende photo : L’écrivain et réalisateur français Xavier Durringer, à Cannes, le 16 mai 2011. GUILLAUME BAPTISTE/AFP
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Le spectateur de Belleville
October 2, 10:12 AM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 2 octobre 2025 A 34 ans, le comédien, auteur et metteur en scène, fort d’un accueil triomphal au Festival « off » d’Avignon, aborde dans ses pièces des enjeux sociétaux par le biais de comédies caustiques.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/02/derriere-les-satires-politiques-made-in-france-et-coupures-l-itineraire-peu-banal-de-samuel-valensi_6644039_3246.html
Quelle est la place du débat démocratique face aux enjeux écologiques ? Que faire pour lutter contre la délocalisation industrielle ? C’est ce genre de questionnements, a priori très peu théâtraux, que Samuel Valensi porte sur scène. Et ça marche ! Après le succès de Coupures, toujours en tournée et à l’affiche, en novembre, du Théâtre de la Concorde à Paris, Made in France arrive aussi dans la capitale, au Théâtre de la Renaissance, dans la foulée de l’accueil triomphal reçu cet été au Festival « off » d’Avignon. Ecrites avec Paul-Eloi Forget, ces deux pièces contemporaines abordent des enjeux sociétaux par le biais de comédies caustiques. Coupures met aux prises les habitants d’une commune rurale et un maire écologiste qui a accepté, sans en référer à ses administrés, l’installation de plusieurs antennes-relais 5G. Made in France nous plonge dans les rouages d’une usine en passe d’être délocalisée et dans les coulisses de notre monde politico-syndicalo-économique. « Le choix des sujets vient de mes indignations personnelles », résume Samuel Valensi. A 34 ans, ce comédien, auteur, metteur en scène en pleine ascension déroule un parcours peu ordinaire et un engagement chevillé au corps face à un monde qui tourne mal. « On voit bien que ça ne va pas. Alors je préfère l’indignation à l’anesthésie. Je suis choqué par le peu de réaction et d’empathie face à la crise environnementale et par l’absence de réflexion sur notre système. On est coincés entre deux feux, le populisme et le technocratisme, qui tous deux nous mènent dans le mur », juge-t-il. « Dissonance cognitive » Diplômé d’HEC et d’une licence de philosophie, il a choisi, en 2020, de faire du théâtre sa seule activité, de lâcher son poste de directeur artistique dans une start-up de vidéo et de se consacrer à sa compagnie La Poursuite du bleu (référence à la métaphore utilisée par Romain Gary dans son roman Les Cerfs-Volants) fondée en 2014. Son goût pour la scène est né durant ses études. Pour « sortir de la normativité de l’enseignement » délivré dans son école de commerce réputée, il prend la tête de Backstage, l’association qui prépare chaque année la comédie musicale d’HEC et s’inscrit en philosophie à la Sorbonne. « Dès la première année d’HEC, j’ai hésité à quitter l’école. J’étais désenchanté par la reproduction conservatrice des cours et je n’arrivais pas à me projeter dans les grandes entreprises où nous étions censés travailler, j’étais en pleine dissonance cognitive. Mais mes parents m’ont dissuadé d’arrêter. » Tous deux vétérinaires (père né en Tunisie, mère issue d’une famille juive d’Europe de l’Est), ils attachent beaucoup d’importance aux études et au travail comme facteurs d’assimilation. « Au moment de trouver un stage, j’errais dans les allées des salons d’orientation, j’étais paumé. J’ai partagé à mon père mon désarroi. » Coup de chance, ce dernier soigne les chats de Philippe Tesson (mort en 2023), journaliste culturel et propriétaire du Théâtre de Poche Montparnasse, et lui parle de son fils lors d’une consultation. Jeune homme hyperactif « Deux choses ont changé ma vie : les chats de Philippe Tesson et Des souris et des hommes, de Steinbeck mis en scène par Paul Balagué, pièce dans laquelle j’ai joué en 2013. Steinbeck est devenu mon maître dans ma volonté de faire du théâtre politique et non politisé. » Il se souvient encore de son premier rendez-vous avec Philippe Tesson. « Ce fut un entretien incroyable, digne de la scène de rencontre entre John Ford et Steven Spielberg jeune dans The Fabelmans [le dernier film de Spielberg] ». Samuel Valensi devient son assistant de production au Théâtre de Poche pendant un an. « Je participais à l’élaboration des dossiers de presse, à la communication. Il me laissait assister à toutes les répétitions, m’abreuvait de textes de théâtre. Ç’a été ma meilleure vie ! » Par la suite, le jeune homme hyperactif coproduit Merlin au Théâtre du Soleil puis écrit et met en scène, avec plus ou moins de bonheur, ses premières créations, L’Inversion de la courbe (sur le déclassement social) et Melone Blu (sur la raréfaction des ressources). Il met aussi en adéquation les enjeux de ses pièces et le fonctionnement de sa compagnie en insufflant un modèle écologique et social. La démarche est repérée par The Shift Project (groupe de réflexion sur la décarbonation créé par Jean-Marc Jancovici). Samuel Valensi en devient le responsable culturel et le coauteur du rapport Décarbonons la culture publié en 2021. « L’activisme de la compagnie n’est pas sur le plateau, mais dans sa manière de faire des spectacles à faible impact environnemental, de respecter la parité homme-femme, de rémunérer l’équipe artistique et technique de manière égalitaire, de former les futurs professionnels du secteur culturel aux enjeux énergie-climat », précise Samuel Valensi. Pour lui, le théâtre ne doit pas « faire de propagande, mais être un lieu de représentation du conflit ». Il revendique un théâtre « politique et populaire visant à toucher un large public avec des sujets a priori peu sexy ». Il dit vouloir « rendre le spectateur plus libre sur un sujet qui lui paraissait lointain ». Sa recette ? Dans sa « cuisine » d’auteur, sa plume est trempée dans le réel. Pour écrire Coupures ou Made in France, avec son complice, le comédien Paul-Eloi Forjet (désormais parti vivre à l’étranger), il se documente pendant des mois, lit les rapports d’enquêtes de commissions parlementaires, réalise des entretiens avec des syndicalistes, des hommes et des femmes politiques de tout bord et fait des rencontres sur le terrain, comme avec les ouvriers de Fralib. Eviter tout militantisme Pour dénoncer ce qui ne va pas dans notre système, il use de la force de la comédie, voire du vaudeville, pour « ne pas toucher que les convaincus. Il n’y a rien de plus beau que de voir 600 personnes pas d’accord rire ensemble de la même chose ». Selon lui, « l’humour c’est le désespoir bien habillé, la soupape indispensable à notre époque ». Scénographie mobile, rythme soutenu, troupe efficace, traits appuyés des personnages pour mieux faire passer la critique, Made in France débute comme du boulevard avec un invraisemblable quiproquo et va tendre vers une satire féroce des liens entre politiques et entrepreneurs, des négociations syndicales biaisées, des ministères hypocrites. C’est à la fois intelligemment mené pour éviter tout militantisme et déconcertant tant la farce laisse un sentiment de « tous pourris » et pourrait décourager de voter. Samuel Valensi s’en défend : « Dans mon récit, je ne cherche ni à diaboliser ni à enjoliver qui que ce soit. Ce n’est pas la faute des gens, mais [celle] d’un système économique désespérant qui atomise, du Monopoly dans lequel on vit et qui entraîne un tiraillement entre l’intérêt personnel et l’intérêt général. Jamais je ne dirai “tous pourris”, je n’en veux pas aux élus. » Régulièrement, ses spectacles se poursuivent par des « bords de plateau ». Le public est invité, après la représentation, à prolonger le questionnement suscité par la pièce à travers des rencontres entre chercheurs, artistes, responsables politiques, entrepreneurs, etc. Ainsi, un cycle de conférences est programmé pour Made in France. Le 6 octobre, par exemple, Xavier Jaravel, président délégué du Conseil d’analyse économique, Philippe Martinez, ancien secrétaire général de la CGT et la géographe Anaïs Voy-Gillis viendront dialoguer avec le public. « Avec le théâtre, j’ai trouvé mon lieu d’action, c’est mon remède à l’anxiété. Le monde va mal, il faut faire le pari pascalien qu’on n’a rien à perdre d’essayer que ça aille mieux », résume Samuel Valensi. « C’est finalement une chance d’être passé par HEC et le monde de l’entreprise, dit-il aujourd’hui. En tant qu’auteur, j’ai une empathie par rapport aux injonctions contradictoires que nous ressentons tous en nous levant le matin. » « Made in France », jusqu’au 31 mars 2026 au Théâtre de la Renaissance, Paris 10e, puis en tournée. « Coupures », le 7 octobre à Laval, le 15 octobre au Théâtre du Château de la Ville d’Eu (Seine-Maritime), du 12 au 15 novembre au Théâtre de la Concorde, Paris 8e. Sandrine Blanchard / Le Monde Légende photo : Samuel Valensi, lors des répétitions de « Made in France », au Théâtre de Belleville, à Paris, le 31 mars 2025. LAURA BOUSQUET
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October 1, 9:00 AM
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Par Sonya Faure dans Libération - Publié le 1er Oct. 2025 Jusqu’alors incertaine, la reconduction du dramaturge, auteur et comédien portugais de 48 ans a finalement été actée mardi 30 septembre. A la tête de l’événement depuis l’automne 2022, il entend «préserver la liberté de création des artistes».
En juillet, lors de la dernière édition du Festival d’Avignon, on le disait mal barré. La ministre de la Culture ne semblait pas le soutenir particulièrement, elle qui ne vint dans aucun des grands lieux du festival contrairement à ses prédécesseures (mais peut-être est-ce finalement le théâtre que Rachida Dati ne porte pas dans son cœur). Les inquiétudes étaient vaines : Tiago Rodrigues est reconduit pour un mandat de quatre ans - il entame cette rentrée la dernière année de son premier mandat et sera donc à la tête d’Avignon jusqu’en 2030. Un deuxième mandat qui lui laissera le temps de construire à nouveau des programmations mêlant les découvertes (le jeune metteur en scène albanais Mario Banushi cette année) et le patrimoine (les spectacles de François Tanguy, décédé en 2022 et pourtant montrés en juillet), valorisant le spectacle vivant dans tout ce qu’il a de clivant : l’an passé, le spectacle Dämon, dans lequel Angélica Liddell insultait les critiques qui n’avaient pas goûté ses précédents spectacles avait fait quelques vagues et cet été Derniers feux de Nemo Flouret était sifflé tout autant qu’ovationné – et adoré par Libé. Quatre ans de plus aussi qui permettront peut-être à Tiago Rodrigues de trouver LA pièce ou la révélation qui marquera sa direction et bousculera les regards. Succession de départs Premier artiste étranger à la tête du festival de théâtre le plus fameux au monde, le comédien et metteur en scène, qui a dirigé le théâtre national Dona Maria II de Lisbonne, l’équivalent au Portugal de la Comédie-Française (2015-2021), promet dans un communiqué de presse de «préserver la liberté de création des artistes en renforçant le rayonnement international du Festival (production, diffusion, partenariats).» Il souhaite également «poursuivre les actions engagées sur l’accessibilité et la diversification des publics» ou encore «approfondir le travail de proximité mené toute l’année sur le territoire.» L’an prochain, la langue invitée au festival sera le coréen. L’année écoulée n’a pas été de tout repos pour le directeur du festival d’Avignon. Succession de départs d’abord : celui du numéro 2 du festival, Pierre Gendronneau, qui a quitté ses fonctions le 13 juin «pour des raisons personnelles» et visé par des accusations de harcèlement sexuel lorsqu’il travaillait au Festival d’automne. Le parquet de Paris avait déclaré fin mai avoir ouvert une enquête. Départ aussi d’une autre figure du festival, le directeur technique Michael Petit, pour «raison personnelle» lui aussi. Attaques de l’extrême droite Tiago Rodrigues a dû également subir les attaques de l’extrême droite cet été, alors que la 79e édition du festival avait fait de la langue arabe son invitée et que le festival a officiellement soutenu une manifestation de soutien à Gaza. Il l’avait évoqué lors d’une conférence de presse en fin de festival : «Non seulement nous avons reçu des insultes mais aussi des menaces. Nous traiterons cet aspect après le festival, avec tranquillité et sérieux.» Et aussi : «Ce qui a peut-être dérangé c’est qu’un festival comme le nôtre soit capable d’inviter l’ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, Elias Sanbar, comme la sociologue franco-israélienne Eva Illouz. Ce qui est peut-être troublant c’est que nous puissions travailler aussi bien avec la Licra qu’avec Amnesty International.» Pour plaider sa cause et sa reconduction à la tête du festival, Tiago Rodrigues a également su exploiter les excellents chiffres de sa 79e édition : un taux de fréquentation exceptionnel «supérieur à 98 %». Il était de 91 % l’an passé. «Le public a été au rendez-vous d’une programmation éclectique, expliquait-il lors de sa conférence de presse le 21 juillet. Dans une société de plus en plus polarisée, le Festival a montré que la beauté peut être le point de départ du débat, que le dissensus est fertile, que le désaccord sur un spectacle ou sur ce qui fait la beauté n’empêche pas de rencontrer l’autre, au contraire : le désaccord est le début d’une discussion.» Chouette, encore cinq ans de désaccords devant nous. Mis à jour à 12h34 avec plus d’informations.
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September 30, 5:15 AM
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Par Emilie Grangeray dans Le Monde - Publié le 30 sept. 2025 Emelie de Jong, directrice de la chaîne depuis avril 2023, vient d’annoncer une réorganisation du service des fictions. Ce qui ne va pas sans heurts et interrogations.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/09/30/a-france-culture-le-mauvais-film-de-la-fiction-radio_6643687_3246.html
Longtemps, la fiction a été centrale sur les ondes de France Culture, pensée, défendue, enrichie, dirigée par des écrivains et des réalisateurs. Pour la première fois de son histoire pourtant, la fiction à France Culture n’a plus de direction. Ou plutôt, elle en a trois, comme l’a annoncé Emelie de Jong, la directrice de la station, lundi 22 septembre, lors d’une présentation faite à la demande de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) : elle sera désormais répartie entre trois départements – le théâtre, les séries et la création. Cette annonce n’a pas calmé les inquiétudes ni la colère. D’abord parce qu’il aura fallu un an pour l’obtenir, à la suite du départ non désiré, puis négocié, de celle qui occupait le poste de directrice des fictions depuis vingt ans, Blandine Masson. Un départ dont s’est beaucoup émue la profession, comme en témoigne une tribune publiée dans L’Humanité du 21 février et signée, entre autres, par Ariane Ascaride, Clément Hervieu-Léger, Micha Lescot, Stanislas Nordey, Pascal Rambert, Dominique Blanc, Alain Françon, Julien Gosselin. Ensuite parce que, pour nombre d’auteurs, de comédiens et de réalisateurs – tous ont tenu à rester anonymes –, cette annonce signe plus qu’un changement ou un renouvellement : c’est une page de l’histoire de la fiction à France Culture qui semble se tourner – le terme « reset » a d’ailleurs été prononcé plusieurs fois par la direction. Arbitrages budgétaires Cette histoire remonte au début des années 1940, lorsque Jacques Copeau, figure du théâtre, et Pierre Schaeffer, homme de radio et musicien, père de la musique concrète, inventent, avec un groupe d’acteurs, un nouvel art radiophonique à partir de la littérature. Art perpétué jusqu’en 2024 par Blandine Masson, qui multipliera les commandes d’œuvres originales, grâce à un budget sanctuarisé – 2,4 millions d’euros, soit un quart du budget de la chaîne. Or ce budget a été réinjecté – certains disent « perdu » – dans le budget global de France Culture, ce qui fait craindre des arbitrages désavantageux pour la fiction. Interrogée par Le Monde, Emelie de Jong affirme : « Le budget est constant, sans que je puisse m’engager sur ce que sera 2026. » La question des arbitrages budgétaires est aussi au centre des inquiétudes. Car la fiction est désormais éclatée en trois départements : le théâtre (captations et créations), pris en charge par Oriane Delacroix ; les séries, dirigées par Arnaud Jalbert (qui vient de la production de fiction audiovisuelle, après quinze années passées à Arte, d’où vient également Emelie de Jong) ; et la création, dont a accepté de se saisir la réalisatrice Laure Egoroff avant d’apprendre, au milieu de l’été, qu’elle perdait trois samedis sur quatre, désormais occupés par l’émission « L’Expérience », d’Aurélie Charon, rattachée au pôle documentaire. Cette dernière, quant à elle, a appris, à la mi-septembre, qu’elle n’aurait, de facto, que deux émissions, puisque l’une devrait être une rediffusion. Autant dire que ces annonces passent mal. « Il n’y a plus aucune confiance, à aucun endroit. Des choses sont dites, certes, et la présentation à la SACD est, en matière d’affichage, formidable. Mais on n’y croit plus », confie, sous le couvert de l’anonymat, un adhérent de la SACD présent le 22 septembre. D’autres dénoncent des validations de budgets tardives, des projets reportés ou annulés, et des rémunérations qui ne compensent plus la perte des droits d’antenne. Et puis il y a des mots qui fâchent. Tout juste nommé, Arnaud Jalbert a déclaré lors de la réunion avec la SACD qu’il souhaitait produire des choses « pas forcément cérébrales ». L’usage du terme « séries », et non plus « feuilletons », inquiète. « “Série”, c’est plus dans les usages du grand public aujourd’hui », tranche Emelie de Jong. Le grand public, donc, à qui la direction de la chaîne souhaiterait proposer des séries avec des comédiens connus, comme Antoine Reinartz (Anatomie d’une chute, 120 battements par minute), qui vient d’enregistrer Code 93, adapté du roman d’Olivier Norek (Pocket, 2014), auteur de polars à succès. « En effet, ça peut être un levier de visibilité », estime la directrice. Et de poursuivre : « Arnaud Jalbert vient d’arriver : il est en phase d’apprentissage de nos outils, mais on réfléchit ensemble à la façon d’amplifier la visibilité des séries, car tout est question de visibilité dans notre monde. » « Evénementialiser » la fiction Pour ce faire, une équipe de dix personnes est dévolue aux réseaux sociaux. « Il faut réfléchir à la manière de toucher l’auditeur en fonction de ses usages, commente Emelie de Jong. Il faut “événementialiser” la fiction. C’est essentiel. Créer des collections, par exemple autour d’Halloween ou de la Saint-Valentin. » Des choix qui provoquent une vive inquiétude chez les auteurs, réalisateurs et comédiens. La fiction radiophonique est « menacée dans sa nature même », s’inquiétait un collectif d’auteurs, artistes-interprètes, réalisateurs et créateurs sonore dans une tribune publiée par Libération le 21 septembre. Loin de l’expérimentation et de la prise de risque, ils constatent le virage vers des collections prêtes à l’emploi (de type Halloween et Saint-Valentin, justement) pour la plateforme qu’est devenue l’application de France Culture. Pour la direction, il s’agit d’attirer les 18-30 ans – « notre public de conquête », souligne Emelie de Jong – en adaptant la production aux usages numériques. « Ils veulent un produit, et pas une création », déplore un auteur. Pour la création, il faudra donc attendre de pouvoir entendre, à partir de janvier, ce que Laure Egoroff proposera un samedi par mois et les premières séries mises en production par Arnaud Jalbert. D’autant que les « Lectures du soir » se résumeront à la lecture, donc, par un seul comédien et sans musique originale, d’une œuvre du patrimoine, avec une réalisation réduite au minimum. Lorsqu’on lui fait remarquer que cela s’apparente dès lors au livre audio, Emelie de Jong répond : « Oui, avec l’exigence et la qualité de France Culture, faite par des réalisateurs qui sont des orfèvres en la matière. » Orfèvres bien malmenés, puisqu’elle aura dit plus tôt que la case « Samedi fiction » est « une case fourre-tout, parfois remplie de choses dont on ne savait pas quoi faire, des choses faites à Avignon ». Le savoir-faire France Culture Est-ce que la mission de service public pour la création sera encore assurée, alors même qu’elle perd déjà trois heures par mois ? « On fera moins, mais mieux », déclare Emelie de Jong. D’ailleurs, elle nous dit être opposée à la proposition des adhérents SACD, qui demandent au ministère de tutelle d’inclure dans le cahier des charges et dans la convention d’objectifs et de moyens de Radio France une obligation de production et de diffusion de fictions radiophoniques originales, à l’image de celle qui existe déjà, chez France Télévisions, pour la création audiovisuelle et cinématographique. « Je ne suis pas pour la politique des quotas », balaie-t-elle. Mais, au-delà du nombre de productions, beaucoup redoutent que ne disparaisse la fameuse « qualité » qui faisait la joie des auditeurs de France Culture, fondée sur le savoir-faire de tous les métiers de la radio, celui des auteurs, des preneurs de son, des bruiteurs, des réalisateurs, qui offraient jusqu’alors du cousu main pour les oreilles et un accès gratuit et pour tous à la création la plus contemporaine. Longtemps inquiets et en colère, les créateurs de fictions expriment aujourd’hui leur tristesse et l’impression d’un énorme gâchis, tel cet adhérent de la SACD : « Il y aurait beaucoup à dire sur ce que nous vivons, tant nos processus éditoriaux, la quantité des productions et les relations entre nos responsables et nous se sont dégradés. On devient progressivement des prestataires. Ainsi va le monde, et le service public. » Emilie Grangeray / Le Monde Illustration : SEVERIN MILLET
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