Revue de presse théâtre
2.5M views | +549 today
Follow
 
Scooped by Le spectateur de Belleville
onto Revue de presse théâtre
September 26, 2018 6:17 PM
Scoop.it!

Théâtre : Jean-Pierre Vincent, une histoire française

Théâtre : Jean-Pierre Vincent, une histoire française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 26.09.2018


A 76 ans, le metteur en scène reprend un formidable « George Dandin » à la MC93 de Bobigny, avant de partir en tournée.


Soixante ans de théâtre, il faut croire que cela conserve. A 76 ans, Jean-Pierre Vincent est en pleine forme. L’œil vif, la moustache batailleuse si besoin. Ses derniers spectacles attestent que l’on peut continuer à remettre l’ouvrage sur le métier, et l’améliorer de jour en jour. Après En ­attendant Godot, de Beckett, créé en 2015, qui a triomphé à travers la France pendant deux ans, après Iphigénie en Tauride, de Goethe, en 2016, le metteur en scène signe un passionnant George Dandin, de Molière, visible à la MC93 de Bobigny, avant de repartir lui aussi pour une longue tournée.

Lire la critique :   George Dandin, ce dindon de la farce

C’est comme si son heure était venue. Non pas que l’homme soit tout à fait inconnu, qui a dirigé le Théâtre national de Strasbourg (1975-1983), la Comédie-Française (1983-1986), le Théâtre des Amandiers de Nanterre (1990-2001), et signé près de cent spectacles depuis 1958. Mais Jean-Pierre Vincent était resté légèrement dans l’ombre de toute une génération de metteurs en scène qu’il a contribué à promouvoir et à produire. Moins star que Patrice Chéreau, moins « arty » que Claude Régy, moins génialement maudit que Klaus Michael Grüber, moins inventif qu’André Engel, moins à la mode que ne l’ont été Georges Lavaudant ou Jean-Marie Villégier…

Lire la critique :   Jean-Pierre Vincent ramène Iphigénie sur nos rivages

Mais beaucoup plus présent sur la scène politico-culturelle que le discret Alain Françon, qui poursuit lui aussi un parcours artistique exemplaire. Du coup, Jean-Pierre Vincent est devenu, de l’avis de tous les observateurs, le « patron » du théâtre français. C’est lui qui monte au créneau, à coups de tribunes dans la presse, ou de prises de parole publiques, pour défendre le modèle d’un théâtre public toujours à reconstruire, et dont il est l’incarnation.

JEAN-PIERRE VINCENT, METTEUR EN SCÈNE : « JE SUIS PROFONDÉMENT PASSIONNÉ PAR L’HISTOIRE, VISCÉRALEMENT, DEPUIS TOUJOURS, MAIS J’AI HORREUR DU PASSÉ »

 


Quand on lui demande s’il a mis beaucoup de lui dans ce George Dandin joué par un excellent Vincent Garanger, Jean-Pierre Vincent sourit. L’histoire du paysan parvenu qui se fait rouler dans la farine par un couple de nobliaux de province qui lui vendent leur fille, Angélique, qu’il sadise en retour, n’est pas la sienne, non. « Dans mes travaux, surtout ces dix dernières années, tout est personnel et rien n’est personnel. C’est-à-dire que tout est personnel et rien n’est autobiographique. Ce que je mets dans mes spectacles, ce sont mes pensées, mes intérêts sur la vie et notamment la vie publique, l’histoire, et ma place, notre place, avec mon groupe d’amis, dans cette histoire. »

Lire la critique :   Le « Godot » idéal est arrivé, à Marseille

A la limite, il se serait plutôt mis dans Angélique (incarnée par la jeune et prometteuse Olivia Chatain), personnage qu’il révèle sous un nouveau jour, en une lecture féministe qui fait prendre un sacré coup de vieux à toutes ces mises en scène qui montraient la donzelle comme une péronnelle usant de ses attributs de classe pour humilier le pauvre Dandin. Comme à chaque fois qu’il se plonge dans une pièce, Jean-Pierre Vincent s’est passionné pour cette redécouverte, dans ce processus de réinterprétation permanent qu’est le théâtre. « Quand on choisit une œuvre, c’est pour la donner aux spectateurs, pour dire aux gens ce qu’ils sont, ce qu’ils ont été, ce que leurs parents ont été. Je suis profondément passionné par l’Histoire, viscéralement, depuis toujours, mais j’ai horreur du passé. Je travaille pour que le passé serve le présent, et pas l’inverse, comme dans la culture réactionnaire française bien calée, bien traditionnelle, catholique et cuistre. »

« Une enfance miraculeuse »
L’homme est ainsi : la parole vigoureuse et gouailleuse, engagé dans le présent de la rencontre, de la discussion et du débat. Son histoire épouse celle de la France de l’après-guerre. « J’ai eu une enfance assez privilégiée et miraculeuse, note-t-il. Mon père était un petit employé du Palais de justice de Paris – il s’occupait du matériel : les chaises, les crayons et les buvards des magistrats. Mais le miracle, c’est que ce poste était logé dans le Palais de justice. C’était la fonction publique de la IIIe République… Et donc mon école, c’était celle de la rue du Pont-de-Lodi, où habitait Pierre Dux et où Picasso avait son atelier, mon collège c’était Montaigne, mon lycée Louis-le-Grand. Aujourd’hui, avec le statut de mes parents – ma mère était couturière à la maison –, il serait impossible d’accéder à un tel établissement… »

JEAN-PIERRE VINCENT : « LE THÉÂTRE FRANÇAIS DE L’ÉPOQUE ÉTAIT HORRIBLE, POUR NOUS – CES MARIVAUX JOUÉS AVEC L’ACCENT DU 7E ARRONDISSEMENT… »

 


C’est bien là qu’elle a commencé, cette histoire d’ores et déjà entrée dans les annales du théâtre français. En 1958, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent et quelques autres – Jérôme Deschamps, Michel Bataillon… – rejoignent le groupe théâtral du lycée Louis-le-Grand. Chéreau est le plus jeune, il a 15 ans à peine, mais c’est lui qui est devant, déjà. « Il avait rencontré Roger Planchon grâce à son père, qui était peintre, et du coup le chemin vers Brecht s’était ouvert, se souvient Jean-Pierre Vincent. A 16 ans, il prenait le train à travers la RFA et la RDA pour aller au Berliner Ensemble, et en rentrant il nous racontait. On s’est mis à lire Brecht comme des fous, et Meyerhold, qui n’était pas encore traduit. Le théâtre français de l’époque était horrible, pour nous – ces Marivaux joués avec l’accent du 7e arrondissement… On était méchants, on voulait bouffer le monde ! »

Lire l’entretien avec Jean-Pierre Vincent :   « Dans “Godot”, plus c’est drôle, plus c’est tragique »

Quelque chose est né là, dans ce regard porté vers l’est de l’Europe, où le théâtre a toujours été bien plus pris au sérieux qu’en France. « C’est aussi l’époque où Roland Barthes a publié son livre Mythologies, que j’admire encore follement, poursuit Jean-Pierre Vincent. Barthes y analyse cette “francité” que l’on voyait à l’œuvre dans le théâtre et qui se résumait à une forme de dilettantisme artistique plus ou moins brillant. Le théâtre, c’était “on va passer une bonne soirée”… On a fait nôtre la première phrase de Petit organon pour le théâtre, le grand texte programmatique de Brecht :“Le théâtre est un divertissement, c’est la meilleure définition qu’on puisse en donner. Mais…” Et le mais a toute son importance… “… il y a divertissement simple, et divertissement complexe”. »

Un classique trempé dans la modernité
Ce quelque chose a changé la face du théâtre français, dans ces années 1960 à 1980, âge d’or qui a vu fleurir les aventures de Patrice Chéreau, d’Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil, de Peter Brook… Jean-Pierre Vincent est allé au front. A 32 ans, il a accepté de diriger le Théâtre national de Strasbourg, inventant, avec son fidèle dramaturge Bernard Chartreux, une nouvelle forme de drame historique, notamment avec Vichy-Fictions et Violences à Vichy, dans une France giscardienne qui commençait à peine son travail de mémoire.

A 40 ans, François Mitterrand à peine élu à la présidence de la République, Jack Lang l’envoie souffler sur la poussière qui recouvre alors la Comédie-Française. Jean-Pierre Vincent claquera la porte au bout de trois ans, jugeant, en une formule fracassante, que le poste d’administrateur du Français est « le plus difficile avec celui de Matignon ».

POUR JEAN-PIERRE VINCENT, LE POSTE D’ADMINISTRATEUR DU FRANÇAIS EST « LE PLUS DIFFICILE AVEC CELUI DE MATIGNON »

 


Puis il y aura Nanterre, où Chéreau l’appelle pour lui succéder à la tête du Théâtre des Amandiers. Jean-Pierre Vincent y restera dix ans, faisant venir à ses côtés Stanislas Nordey, actuel directeur du Théâtre national de Strasbourg, qui, avec Denis Podalydès, est un de ses grands héritiers. Avant de revenir aux joies simples – si l’on peut dire – de la mise en scène, avec bonheur, alternant les pièces du répertoire et les auteurs contemporains.

Lire le zoom biographique :   Jean-Pierre Vincent en quatre dates

Aujourd’hui, il fait figure de classique, mais un classique trempé dans la modernité, qui n’a rien concédé à un théâtre bourgeois et dix-neuviémiste qui repointe sérieusement son nez ces temps-ci, y compris chez d’anciens jeunes gens en colère. Il a envie de revenir à Heinrich von Kleist, qui fut à l’origine de son parcours de metteur en scène, avec sa Cruche cassée. Allers-retours franco-allemands, toujours. Histoire de continuer, inlassablement, à renvoyer à la France le miroir de ses grandeurs et de ses petitesses.


George Dandin, de Molière. Mise en scène : Jean-Pierre Vincent. MC93 de Bobigny, Jusqu’au 7 octobre. Puis tournée jusqu’en 2019.

No comment yet.
Revue de presse théâtre
LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
Your new post is loading...
Your new post is loading...

Quelques mots-clés

Rescooped by Le spectateur de Belleville from Revue de presse théâtre
September 2, 2018 4:11 AM
Scoop.it!

Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre

Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Quelques astuces pour tirer profit de tous les services de  la Revue de presse théâtre

 

 

Les publications les plus récentes se trouvent sur la première page, mais en pages suivantes vous retrouverez d’autres posts qui correspondent aussi à l’actualité artistique ou à vos centres d’intérêt. (Navigation vers les pages suivantes au bas de la page)

 

 

 Les auteurs des articles et les publications  avec la date de parution sont systématiquement indiqués. 

 

Les articles sont le plus souvent repris intégralement.

 

Chaque « post » est un lien vers le site d’où il est extrait. D’où la possibilité de cliquer sur le titre ou la photo pour lire l’article entier dans son site d’origine .  Vous retrouverez la présentation originale de l'article : les titres, les photographies et les vidéos voulues par le site du journal ou l’auteur du blog d’où l’article est cité.

 

 

Pour suivre régulièrement l’activité de la Revue de presse : vous pouvez vous abonner (bouton bleu turquoise INSCRIPTION GRATUITE ) et, en inscrivant votre adresse e-mail ou votre profil Facebook,  recevoir des nouvelles par mail des publications les plus récentes de la Revue de presse

 

 

Vous pouvez aussi, si vous êtes inscrits sur Facebook, aller sur la page de la revue de presse théâtre à cette adresse :  https://www.facebook.com/revuedepressetheatre

et  vous abonner à cette page pour être tenu à jour des nouvelles publications. 

sur  X (anciennement Twitter), il y a un compte "Revue de presse théâtre" qui propose un lien avec tous ces posts, plus d'autres articles, brèves et nouvelles glanés sur ce réseau social : @PresseTheatre

https://x.com/PresseTheatre

 

 

 

Vous pouvez faire une recherche par mot sur 12 ans de publications de presse et de blogs théâtre, soit en utilisant la liste affichée ci-dessus des mots-clés les plus récurrents , soit en cliquant sur le signe en forme d’étiquette à droite de la barre d’outils - qui est le moteur de recherche de ce blog ("Search in topic") . Cliquer sur le dessin de l'entonnoir (Filtres) et ensuite taper un mot lié à votre recherche. Exemples : « intermittents » (plus d’une centaine d’articles de presse comportant ce mot) « Olivier Py» ( plus de cinquante articles ), Jean-Pierre Thibaudat (plus de cent articles),  Comédie-Française (plus de cent articles), Nicolas Bouchaud (plus de cinquante articles), etc.

 

Nous ne lisons pas les "Suggestions" (qui sont le plus souvent jusqu'à présent des invitations, des communiqués de presse ou des blogs auto-promotionnels), donc inutile d'en envoyer, merci !

 

Bonne navigation sur la Revue de presse théâtre !

 

Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

Peut être utile au lycée

Scooped by Le spectateur de Belleville
Today, 5:10 PM
Scoop.it!

La metteuse en scène Lorraine de Sagazan taille des brèches dans le théâtre et le réel

La metteuse en scène Lorraine de Sagazan taille des brèches dans le théâtre et le réel | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 mai 2025

 

La dramaturge, qui a fondé il y a dix ans sa propre compagnie, La Brèche, présente au Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier son spectacle « Léviathan », sur les audiences en comparution immédiate.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/02/la-metteuse-en-scene-lorraine-de-sagazan-taille-des-breches-dans-le-theatre-et-le-reel_6602326_3246.html

Des Ateliers Berthier, où l’on retrouve Lorraine de Sagazan une après-midi d’avril, le tribunal de Paris n’est qu’à deux pas. Dans ce quartier de la porte de Clichy, la cité judiciaire jouxte quasiment la deuxième salle de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans laquelle la metteuse en scène présente, jusqu’au 23 mai, son Léviathan, créé au Festival d’Avignon 2024. Un spectacle qui s’est en grande partie inventé là, dans les salles d’audience en comparution immédiate de la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Théâtre et justice, une vieille histoire. De même que les rapports entre art et réel, dont Lorraine de Sagazan rebat les cartes depuis quelques spectacles.

 

 

 

Grande, fine et blonde, la jeune femme semble toujours porter sur elle une gravité, une forme de sensibilité inquiète, malgré les succès de ces dernières années. A 38 ans, elle s’est imposée comme une des metteuses en scène les plus passionnantes de sa génération, ouvrant des brèches d’exploration inédites dans le théâtre français. Contrairement à ce que son patronyme, désormais célèbre grâce à sa cousine (éloignée) Zaho de Sagazan, pourrait laisser supposer, elle n’est pas née avec une cuillère artistique en or dans la bouche.

 

Ce parcours, nul ne l’a mieux résumé qu’elle, en introduction de son spectacle L’Absence de père (2019), inspiré du Platonov, de Tchekhov. « Mon père vient d’une famille de la vieille noblesse française désargentée. Ma mère, issue d’un milieu modeste et d’un père orphelin, a toujours été complexée de ce qu’elle allait pouvoir transmettre à ses enfants. Mon père rêvait de faire un métier artistique, mais dans son milieu ce n’était pas admis. Je suis la première femme de ma famille à ne pas avoir été mère au foyer et à avoir eu la possibilité de choisir ma vie. Actrice était le seul métier artistique qui pour une femme nous était venu à l’esprit. Je l’ai compris assez tard, mais j’ai détesté jouer, j’ai détesté cette position d’être plus désirée que désirante. »

« Une autorisation »

Lorraine de Sagazan n’est pas restée si longtemps actrice. Rapidement, elle a compris que c’était à l’endroit de la mise en scène qu’elle allait trouver son terrain d’expression. Après s’être formée à l’école du Studio-théâtre d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), qui a aussi vu l’éclosion de Julie Deliquet ou de Sylvain Creuzevault, elle a poussé la porte des salles de répétition de Thomas Ostermeier, à Berlin, ou de Romeo Castellucci, à l’Opéra de Paris. Une figure de la constellation familiale avait été importante, dans ce parcours pour tenter de se faire une légitimité dans un art, le théâtre, auquel elle s’est accrochée dès l’enfance : celle du plasticien et performeur Olivier de Sagazan, lointain cousin de son père. « C’est un artiste qui m’a beaucoup inspirée. Dans l’émancipation dont il a pu faire preuve, c’est comme s’il m’avait délivré une autorisation », note-t-elle.

 

Elle a fondé sa compagnie, La Brèche, en 2015, en mettant en scène Lars Norén, Ibsen ou Tchekhov, avec une énergie contemporaine, une intensité proches de celle du maître Thomas Ostermeier. « Mais c’était comme si je ne lâchais pas complètement la rampe, constate-t-elle. Ce qui m’intéressait, c’était d’aller vers le spectacle comme expérience vécue, et non plus comme une représentation du réel. Les arts plastiques, la philosophie et la performance, portés par des artistes femmes notamment, ont été déterminants dans ma vie, et je voulais pousser ma réflexion sur la création d’actes, de formes, susceptibles de bouleverser réellement, d’opérer des déplacements chez les spectateurs. »

 

Le déclic est venu de la crise due au Covid-19 et de la fermeture des théâtres, pendant de longs mois. Quand la pandémie a surgi, la metteuse en scène travaillait à une adaptation du Décalogue, de Krzysztof Kieslowski. L’électrochoc suscité par le Covid-19 l’a menée à une tout autre démarche. « J’ai eu une sorte de crise dans mon rapport à la fiction, détaille-t-elle. Je ne comprenais plus pourquoi je faisais du théâtre, ce que voulait dire représenter le réel à l’heure des séries télévisées, du cinéma documentaire et d’Internet. J’avais un sentiment d’inutilité, et je ne pouvais plus demander à des acteurs de faire semblant d’être pauvres ou malades : cela n’avait plus aucun sens pour moi. »

Cérémonie cathartique

Lorraine de Sagazan a alors proposé aux théâtres qui devaient accueillir sa création un « protocole performatif » : rencontrer « autant de personnes que de jours gâchés par la crise, pour parler avec eux de la notion de réparation ». Avec l’auteur qui l’accompagne,  Guillaume Poix, elle a mené près de 400 entretiens. « Ces personnes issues de tous milieux ont parlé de deux sujets majoritairement : l’absence de prise en charge de la mort pendant la crise sanitaire, l’impossibilité des funérailles collectives et des réunions familiales, la mort vécue, seuls, par les anciens et les plus fragiles. Et la justice, plus précisément la manière dont l’institution judiciaire a du mal à générer un sentiment de justice, soit que ces personnes aient ressenti la violence de l’institution, soit qu’ils disent subir ses manques. J’ai su que j’allais travailler sur ces deux sujets. »

Le premier a donné lieu à un spectacle magnifique, qui a pris le tour d’une cérémonie cathartique d’une puissance rare : Un sacre, créé en 2021. Le second est ce Léviathan qui place les spectateurs, sans échappatoire, face à la réalité de cette justice expéditive que sont les audiences de comparution immédiate : une parodie de justice qui « déshumanise » et « efface » une population déjà marginalisée, selon la metteuse en scène.

 

 

 

Et c’est bien une brèche de première importance qu’elle a ouverte dans le théâtre français avec ces deux spectacles – de même qu’avec Le Silence, créé en janvier 2024 à la Comédie-Française. Faire éprouver le réel, chez Lorraine de Sagazan, ne se conçoit pas sans une recherche formelle hautement sophistiquée et pensée. « La fiction, l’imaginaire, le lieu théâtral lui-même sont devenus pour moi des “contre-espaces”, des “contretemps”, analyse-t-elle. Il ne s’agit plus de passer par la représentation, insuffisante ou fausse, du réel, mais de créer de manière performative un acte équivalent au réel. » De vivre, autrement dit, le théâtre comme une hétérotopie, ce concept inventé par Michel Foucault en 1967. Le philosophe français citait alors, comme exemples de ces espaces concrets pour héberger l’imaginaire, les cabanes d’enfant ou… les théâtres.

 

 

Léviathan, par Lorraine de Sagazan. Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Paris 17e. Du 2 au 23 mai.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE

 

Légende photo ; Lorraine de Sagazan, à la Villa Médicis, à Rome, en 2023. BENJAMIN THOLOZAN

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 1, 3:52 AM
Scoop.it!

Le numéro 2 du Festival d’Avignon, Pierre Gendronneau, va quitter son poste après des signalements pour violences sexistes et sexuelles 

Le numéro 2 du Festival d’Avignon, Pierre Gendronneau, va quitter son poste après des signalements pour violences sexistes et sexuelles  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Radidja Cieslak et Sonya Faure dans Libération - 30 avril 2025

 

Le directeur délégué du Festival n’occupera plus ses fonctions à partir du mois de juin, selon une information donnée par «Télérama» confirmée à «Libération». Le ministère de la Culture a saisi le procureur de la République alors que deux anciennes salariées l’accusent de violences et harcèlements sexistes et sexuels.

 

 

Agitation à la veille de la grand-messe du théâtre. Le départ de Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon depuis février 2023, a été annoncé pour début juin selon les informations de Télérama, confirmées par la direction du festival à Libération. Très peu de temps, donc, avant l’ouverture de l’édition 2025, le 5 juillet. Ce retrait intervient dans un contexte de tensions autour de faits supposés de violences et harcèlements sexistes et sexuels qui se seraient déroulés au Festival d’Avignon, mais aussi au Festival d’automne, il y a plusieurs années, lorsque Pierre Gendronneau, 35 ans aujourd’hui, y occupait là encore les fonctions de directeur délégué.

 

 

Le nom de Pierre Gendronneau a été signalé au ministère de la Culture par deux femmes, salariées au moment des faits par le «in» d’Avignon pour l’une et par le Festival d’automne pour l’autre, pour des problématiques relatives aux violences sexistes et sexuelles (VSS), comme le rapporte Télérama. Conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, le ministère en a informé le procureur de la République qui décidera des suites judiciaires à donner à ces accusations – dont on ne connaît pas la teneur exacte, les deux femmes tenant à ne pas rendre public leur témoignage.

Une première enquête avec un cabinet indépendant

Le directeur du Festival, Tiago Rodrigues, assure ne pas avoir eu connaissance des faits présumés avant ces signalements. «La direction du Festival en a été informée le 6 novembre 2024 par le ministre de la Culture dans le cadre de la procédure de l’article 40, explique-t-il à Libération. Le festival a décidé dans les deux jours qui ont suivi d’embaucher un cabinet indépendant [Egaé, dirigé par Caroline de Haas et spécialisé dans la lutte contre les violences sexuelles], qui a enquêté de novembre à décembre. Celui-ci a effectivement remonté des cas d’accusations visant Pierre Gendronneau», poursuit-il.

 

«Rassurés de savoir que la justice avait connaissance de faits sur lesquels elle allait prendre la décision de poursuivre ou non des investigations, nous avions de notre côté à envisager les suites possibles en tant qu’employeur», dit encore Tiago Rodrigues. Qui s’entoure alors de plusieurs avocats et juristes du droit du travail. «Ceux-ci ont estimé que les cas remontés ne relevaient pas de faits de harcèlement ou de violences sexuels», assure-t-il, permettant à Pierre Gendronneau de rester à son poste jusqu’à aujourd’hui.

Néanmoins, «le climat de suspicion et les rumeurs persistantes ne lui ont pas permis de remplir pleinement ses fonctions», souligne Tiago Rodrigues. «C‘est pourquoi d’un commun accord avec la direction, son départ a été annoncé ce mercredi. Il sera effectif début juin». Pierre Gendronneau ne pourra être remplacé qu’à partir de l’automne, lors du prochain conseil d’administration du festival.

Le 13 janvier 2024, l’administratrice du Festival d’Avignon, Eve Lombart, avait été entendue par la commission d’enquête relative aux violences commises dans la culture dirigée par la députée écologiste Sandrine Rousseau. Elle rapportait avoir reçu 9 signalements de VSS en 2024, 11 en 2023. Aucun ne concernait Pierre Gendronneau, selon Tiago Rodrigues. Qui assure que chacun de ces signalements a provoqué une enquête interne, et parfois des sanctions disciplinaires. Comme de plus en plus de structures, le Festival s’est également doté d’une cellule d’écoute et de référents chargés d’accompagner et d’orienter les personnes victimes de violences sexuelles.

 

 
 
Légende photo :  Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d'Avignon, à Avignon 1er août 2023. (Angelique Surel/Le Dauphine. MAXPPP)
 
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 30, 6:27 PM
Scoop.it!

Molières ? Œillères oui ! 

Molières ? Œillères oui !  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Lucile Commeaux dans Libération - 29 avril 2025

 

Alors que le Syndeac s’alarmait cet après-midi d’une «nouvelle annulation de crédits de 48 millions d’euros» sur le «programme création» du ministère de la Culture, Rachida Dati tentait dans la foulée de rassurer la petite famille du théâtre dans des mots convenus et une vidéo crispée, tenant davantage du faire-part de condoléances que de l’invitation festive. Les Molières s’ouvrent sous de sinistres augures, mais commencent dans la liesse d’une reprise des Misérables : «A la Volonté du peuple» chante-t-on, en voilà un super programme ! De fait on y solde en chœur l’idée même de la résistance : la barricade elle reste dehors avec les râleurs, merci. Caroline Vigneaux, maîtresse de cérémonie pour la deuxième fois - c’est tellement sympa il faut dire - enchaîne en Marianne sur un air jazzy et c’est parti. Rachida Dati bonsoir !

Lyrisme triste

Ce soir les Folies semblaient particulièrement Bergères : peu de moutons noirs et bien peu de loups pour hurler à la faillite, alors que les chiffres sont au rouge, le nombre de productions en baisse, que des directeurs désespérés démissionnent et de plus jeunes se résignent, et que le théâtre privé peine à retrouver sa fréquentation d’avant COVID. On bâche un peu, mais ça reste sympa : pas de gueulantes, mais de gentils vœux pieux, des jeux de mots vieillots («à gogo» sic), et toujours ce petit air jazzy. Consacré meilleur metteur en scène dans le théâtre public pour son Soulier de satin qui remporte en tout cinq récompenses, Éric Ruf se lance dans une tirade policée, teintée d’un lyrisme triste et découragé quand il appelle «à aider Madame la Ministre». L’ironie qu’il y glisse est inaudible : il est apparemment acquis qu’elle fait ce qu’elle peut, la pauvre. La plus longue ovation sera pour Thomas Jolly récompensé par un molière d’honneur, l’enfant chéri des JO, mais surtout d’un système subventionné en danger, comme il le rappelle dans une longue tirade mi-engagée mi-mégalo. Thomas Jolly dont la stature désormais indéboulonnable aurait sans doute autorisé à davantage de virulence.

Les intervenants et les récipiendaires se succèdent sur le plateau ; on baille. C’est fou comme ces types dont la scène est le métier bataillent avec l’exercice, et s’empêtrent dans le sérieux de références vides et de pénibles remerciements. Sketchs, danses et numéros viennent rompre le défilé, disparates et parfois franchement ratés ; on grimace.

 

On remarque comme chaque année à quel point le grand raout national privilégie les artistes d’un théâtre largement privé. Alain Françon, Caroline Guiela Nguyen, Mohammed El Khatib ou Ariane Mnouchkine n’ont pas fait le déplacement, et les grands gagnants du théâtre public jouent à l’Atelier et à la Comédie Française - aucune mention des autres maisons subventionnées. Jean-Philippe Daguerre accumule cinq molières avec un spectacle sur les corons des années cinquante (Du charbon dans nos veines), qu’il tente avec un peu de conviction de faire résonner avec notre temps présent.

Clones

Un temps présent et ses urgences largement gommés ce soir ; c’est bien pratique. Ainsi il semble qu’en dehors de quelques artistes chargés de faire la blague entre deux remises de prix, l’écrasante majorité des nommés et des gagnants est blanche, voire absolument identique - trois nommés dans la catégorie de la révélation masculine sont des clones du jeune premier type : même coupe, même sourire, même boucle à l’oreille. Dans cette boîte or et velours un peu étouffante, un clip contre le harcèlement et les violences sexuelles ou l’intervention silencieuse de la comédienne sourde Emmanuelle Laborit, paraissent soudain anachroniques. Plus tard - très tard - Didier Brice de la CGT joue au clown triste, voix et main tremblante devant un parterre qui joue moyennement le jeu. «C’est faux» dit la ministre, sereine, assise devant un Nagui quasi goguenard. Et voilà c’est fini. C’était le «moment syndical». «Mollo sur le budg’!»: ce mot glissé par un comédien sonne à la fin de cette cérémonie moins comme une blague qu’un avertissement : on est résigné, donc ?

 

Lucile Commeaux / Libération

Le Palmarès complet

 

Molière du Théâtre Privé :

Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre

Molière du Théâtre Public :

Le soulier de satin De Éric Ruf à la Comédie Française

Molière de la Comédie :

The loop de Robin Goupil, Théâtre des Béliers parisiens

Molière de la Création Visuelle et Sonore :

Le soulier de satin d’Éric Ruf, Costumes Christian Lacroix, Lumière Bertrand Couderc.

Molière du Spectacle musical :

Les Misérables De Alain Boublil, Claude-Michel Schönberg, Ladislas Chollat d’après Victor Hugo, Théâtre du Châtelet

Molière de l’Humour :

Paul Mirabel dans Par amour.

Molière du Jeune public :

Ulysse, l’Odyssée musicale d’Ely Grimaldi, Igor de Chaillé et Guillaume Bouchède au Théâtre des Variétés

Molière du Seule en scène :

Christine Murillo pour Pauline & Carton, de Charles Tordjman, La Scala Paris et Artistic Athévains.

Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre public :

Denis Lavant dans Fin de partie de Samuel Beckett et Jacques Osinski.

Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre public :

Marina Hands Dans Le soulier de satin d’Éric Ruf

Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre privé :

Guillaume Bouchède Dans Les marchands d’étoiles de Anthony Michineau et Julien Alluguette.

Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre privé :

Delphine Depardieu Dans Les Liaisons dangereuses de Arnaud Denis d’après Pierre Choderlos de Laclos

Molière du Metteur en scène dans un spectacle de Théâtre public :

Éric Ruf Pour Le soulier de satin à la Comédie française.

Molière du Metteur en scène dans un spectacle de Théâtre privé :

Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre

Molière de la Révélation féminine :

Juliette Béhar Dans Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre

Molière de la Révélation masculine :

(Romy Alizée/Libération)

Molière du Comédien dans un second rôle :

Laurent Stocker Dans Le soulier de satin De Éric Ruf

Molière de la Comédienne dans un second rôle :

Raphaëlle Cambray Dans Du charbon dans les veines De Jean-Philippe Daguerre

Molière de l’Auteur francophone vivant :

Jean-Philippe Daguerre Pour Du charbon dans les veines

 




 

Légende photo : Marina Hands, molière de la meilleure actrice d'une pièce jouée dans un théâtre public pour son rôle dans «le Soulier de satin». Pour ce spectacle Eric Ruf, a également reçu le molière du meilleur metteur en scène. (THOMAS SAMSON/AFP)

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 28, 4:59 PM
Scoop.it!

A la tête du Munstrum Théâtre, Louis Arene et Lionel Lingelser lâchent les monstres

A la tête du Munstrum Théâtre, Louis Arene et Lionel Lingelser lâchent les monstres | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 28 avril 2025

 

Le duo d’artistes ose le grotesque et le port du masque, notamment dans un « Makbeth » aux accents kafkaïens.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/28/a-la-tete-du-munstrum-theatre-louis-arene-et-lionel-lingelser-lachent-les-monstres_6600973_3246.html

C’est étrange. On s’étonnerait presque, à rencontrer Louis Arene et Lionel Lingelser, de découvrir leurs vrais visages. Lesquels semblent s’offrir en miroir inversé, comme si leur amour du contraste se vivait dans leur propre chair. Anguleux, yeux bleus, cheveux roses, pour l’un. Douceur des traits, yeux bruns, cheveux bruns, pour l’autre. Silhouette athlétique, dans les deux cas. Débarrassé des masques qu’il porte dans ses spectacles, le duo à la tête du Munstrum Théâtre provoque encore le trouble. Comme si Louis Arene et Lionel Lingelser portaient sur eux les potentialités de métamorphose qu’ils ne cessent d’explorer d’une création à l’autre.

 

 

Depuis quelques années, leurs spectacles remportent un succès fou partout où ils passent, notamment auprès des jeunes, qui plébiscitent ce théâtre superlatif et queer, ultraphysique et visuel, aux accents postapocalyptiques et pourtant totalement jouissif. Et qui, surprise, remet sur le devant de la scène le bon vieux masque de théâtre, objet un peu oublié et ici redécouvert dans ses infinies possibilités.

 

Aujourd’hui, les voilà qui s’attaquent à Makbeth, avec ce petit k qui vient se glisser dans le titre original. K comme Kafka, k comme punk : un Macbeth comme on ne l’a jamais vu, qui lâche les monstres, ose le grotesque, fait suinter le mal de partout et, par là, réussit le tour de force de rendre cette pièce maudite et immontable à nouveau audible et passionnante pour aujourd’hui. C’est peu de dire qu’avec eux le théâtre élisabéthain retrouve son essence brute, âpre et flamboyante, souvent lissée par des visions académiques.

« Créer du mystère »

Les deux compères, nés respectivement en 1985 et en 1984, se sont rencontrés au Conservatoire de Paris, à la fin des années  2000. Louis Arene, Parisien et fils d’architectes, travaillait déjà, depuis tout jeune, dans la troupe d’Emmanuel Demarcy-Mota. Lionel Lingelser avait « un parcours plus provincial » : venu de Kingersheim, une banlieue de Mulhouse (Haut-Rhin), il avait, à l’adolescence, croisé la route des Arts Sauts, la troupe de voltigeurs créée par Stéphane Ricordel et Laurence de Magalhaes (aujourd’hui directeurs du Théâtre du Rond-Point). Un premier « choc poétique » qui a « changé [sa] vie ».

 

 

Et, d’emblée, ils se sont retrouvés sur un théâtre physique, le clown, l’improvisation. Et sur l’art du masque, transmis par Christophe Patty et Mario Gonzales. Lionel Lingelser est parti deux ans à Genève (Suisse) pour travailler au Teatro Malandro d’Omar Porras, un des rares metteurs en scène, en Europe, à travailler encore avec cet outil ancestral. Louis Arene, lui, est entré dans la troupe de la Comédie-Française. En 2012, ils ont créé leur compagnie : « On voulait continuer ce laboratoire et creuser cet art archaïque du masque, qui nous a tellement bouleversés, mais qui était devenu poussiéreux et décrié », se souvient Lionel Lingelser.

 

« On trouvait qu’il y avait quelque chose de magnifique dans cet outil qui est l’objet théâtral par excellence depuis la nuit des temps. Mais la manière dont il nous a été transmis, ce masque en bois, très lourd, ou en cuir, avec des archétypes très marqués de la commedia dell’arte, ces masques très grotesques qui, tout de suite, imposent une expressivité, un type de caractère, cela nous encombrait dans le travail, précise Louis Arene. On voulait aller vers un objet qui puisse aussi exprimer l’étrangeté, l’inquiétude, l’angoisse. On s’est orientés vers un masque plus épuré, pour prendre cet objet dans sa capacité à effacer, à enlever, à créer du mystère, à faire du visage une surface de projection pour l’imaginaire des spectateurs. »

« Des humains d’après, augmentés »

Louis Arene s’est mis alors à sculpter les masques qui font l’identité du Munstrum, avec une résine médicale servant à réaliser des prothèses orthopédiques. Un masque-casque, sans cheveux, sans couleurs ni ornements, qui laisse toute sa place à l’expressivité du regard, dégage le bas du visage et permet de respirer. Le vecteur parfait pour le théâtre qu’ils voulaient inventer : un « théâtre physique, sensuel, brut, des antagonismes entre le rire et l’effroi ».

 

 

Et l’outil dramaturgique par excellence d’un théâtre de la catastrophe, de l’identité et de la métamorphose, où la forme plastique en dit souvent plus sur notre monde que les mots. « Avec cet outil, il y a l’idée, kafkaïenne, et qui court dans tout notre travail, que l’on ne sait pas si l’autre n’est pas soi, en fait. Et comme le masque nécessite un jeu un peu extraordinaire, cela crée d’emblée des figures extra-humaines, ou des humains d’après, augmentés. Il y a une puissance totémique qui se dégage de ces objets-là. »

Après un premier essai peu concluant – de leur propre aveu –, le Munstrum a trouvé sa voie avec Le Chien, la Nuit et le Couteau, qui a immédiatement créé le buzz quand il a été présenté à Avignon, au Théâtre de la Manufacture, en 2017. Sorte d’Alice au pays des merveilles horrifique, le spectacle a posé les bases de ce théâtre pétrissant la chair d’une humanité monstrueuse, travaillée par la défiguration – les duettistes ont aussi une passion pour le peintre britannique Francis Bacon (1909-1992).

« La joie, notre fer de lance »

Mais l’atout maître du Munstrum, c’est d’inscrire ces cauchemars dans une jubilation théâtrale féroce, avec une vitalité sans appel, en n’hésitant pas à pousser les curseurs du kitsch et du mauvais goût, ou supposés tels. La réflexion queer est passée par là, qui montre que le féminin et le masculin, le beau et le laid, ne sont bien souvent que des constructions sociales, et qu’elles peuvent à l’endroit du théâtre être joyeusement dynamitées. Les costumes délirants et l’hémoglobine, les faux nez et les ventres postiches, les hybrides mi-homme mi-animal de Zypher Z (2021) et les créatures transgressant toutes les frontières, y compris celle de la vie et de la mort, de Copi dans 40 degrés sous zéro (2019), dessinent les contours d’un nouveau baroque, unique dans le théâtre français.

« La vérité de notre travail, elle est dans ces zones de tension entre le comique et le tragique, le sacré et le profane, l’ombre et la lumière, le kitsch et le sublime », appuie Lionel Lingelser. « Mais la joie, c’est notre fer de lance, précise Louis Arene. Pour nous, elle est ce qu’il y a de plus politique aujourd’hui. Arriver à reconvoquer cette vitalité, cette flamme, cette force primordiale, dans la génération qui nous suit, malgré un monde qui s’effondre et qui, dans cet effondrement, cherche à aspirer comme un vampire cette vitalité de la jeunesse. Comme tout le monde, nous avons le sentiment de ne plus savoir comment agir face à cette folie, cette barbarie qui monte. Mais nous sommes convaincus que le spectacle, l’art, peuvent nous redonner des forces poétiques. C’est un des derniers bastions où on peut résister à cette violence qui nous contamine, où peut se vivre la fameuse catharsis. »

 

Cette dimension de « montreurs de monstres », contenue dans le nom même qu’ils se sont choisi pour leur compagnie – où ils sont tous deux acteurs et initiateurs des projets, tandis que Louis Arene seul assume la mise en scène –, devait inévitablement les mener vers Macbeth, la pièce par excellence qui convoque les forces du mal. Mais, avant cela, il y a eu un détour par la Comédie-Française, où ils ont proposé en 2022 un détonnant Mariage forcé, où l’outil du masque et l’inversion des rôles féminins et masculins rendaient à ce petit bijou de Molière toute sa cruauté et son actualité.

« Des clowns tragiques »

Macbeth, pour ces amoureux de David Lynch et de Romeo Castellucci, s’est imposée comme un défi qu’il était temps de relever, et une nécessité. « Malheureusement, la pièce fait terriblement écho aux temps sombres dans lesquels on est à nouveau entrés, observent-ils. On avait envie de se confronter à ce théâtre élisabéthain qui casse le quatrième mur entre la scène et la salle, et qui permet de faire expier les monstres, aussi. D’où le parti pris grotesque, qui était vital pour nous : les personnages sont des clowns tragiques. »

 

 

La pièce maudite de Shakespeare glisse le plus souvent entre les doigts des metteurs en scène, surtout quand elle est montée de manière trop sage, comme si l’insondable du mal inscrit au cœur de l’humain échappait à la représentation. Dans ce petit déplacement entre Macbeth et Makbeth s’inscrit la proposition forte du Munstrum, entre des scènes de bataille d’un réalisme saisissant, qui font éprouver la violence comme rarement au théâtre, et l’imagination débridée au pouvoir dans l’esthétique et les costumes, qui voit notamment Lady Macbeth porter une robe à crinoline réalisée avec une tente Quechua.

Last but not least, les duettistes jouent eux-mêmes le couple fatal, Lionel en Lady, Louis en Macbeth. « C’est un cadeau que nous nous sommes fait, s’amusent-ils. L’idée, c’était d’en faire un monstre à deux têtes. » Pour les deux têtes du Munstrum, la boucle est bouclée.

Makbeth, d’après Shakespeare, par le Munstrum Théâtre. Théâtre public de Montreuil (Seine-Saint-Denis), du 29 avril au 15 mai. Puis tournée jusqu’en avril 2026, notamment au Théâtre du Rond-Point, Paris 8e, du 20 novembre au 13 décembre. Reprise du Mariage forcé, de Molière, à la Comédie-Française

 

Fabienne Darge /  Le Monde

Légende photo : Louis Arene et Lionel Lingelser, devant l’Hôtel du Sentier, à Paris, le 14 octobre 2024. LÉO KELER
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 25, 4:05 PM
Scoop.it!

Mort de Jean-Paul Montanari, figure majeure de la danse contemporaine en France

Mort de Jean-Paul Montanari, figure majeure de la danse contemporaine en France | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Ève Beauvallet dans Libération - 25 avril 2025

 

Indétrônable durant quarante et un ans, le charismatique directeur du festival «Montpellier Danse» a incarné à lui seul une frange de l’histoire de l’art et de son institutionnalisation. Il est décédé ce vendredi 25 avril à 77 ans.

 

 
 

C’est un peu mourir sur scène. Et si le scénario était fictionnel, peut-être aurait-il dit de tout cela, «quel mauvais théâtre !» Jean-Paul Montanari n’a pas survécu à son départ, sans cesse repoussé après quarante et un ans de règne admiré et controversé, du poste d’emblématique directeur du festival Montpellier Danse. En juin dernier, lorsque nous le rencontrions pour retracer ensemble, dans son bureau, une histoire de la danse contemporaine qu’il a contribué à déployer, le grand patron en partance s’était étranglé : on venait de lui diagnostiquer un cancer lui laissant peu d’espoir. Ce natif d’Alger, d’extraction populaire, devenu directeur redoutable et passionné, amoureux fou de la danse quand elle est écrite par de grands auteurs, lecteur avide et militant, aura juste tenu le temps suffisant pour apprendre les noms de ses successeurs. Le 10 avril était annoncée l’arrivée prochaine de l’équipe formée par la chorégraphe Dominique Hervieu (avec Hofesh Shechter, Jann Gallois et Pierre Martinez) à la tête d’une nouvelle structure, l’Agora, issue de la fusion entre Montpellier Danse et le centre chorégraphique attenant. Quinze jours plus tard tombe donc la nouvelle de sa mort, à 77 ans.

 

 

«La danse perd son plus fidèle serviteur, la ville de Montpellier un homme qui lui a offert un rayonnement artistique mondial, et je perds un ami», a écrit le maire de la ville, Michaël Delafosse, héritier du clan Georges Frêche, ancien édile indissociable de l’aventure Montanari. Le ministère, de son côté, célèbre un bâtisseur et un défricheur inlassable et fidèle.

 

D’années en années, la retraite du «vieux dictateur» – comme il aimait à s’appeler – était devenue la plus célèbre arlésienne du coin, un vaudeville dont il a toujours fait mine de se délecter plutôt que d’en rougir : «C’est pire que Charles Aznavour…» nous glissait-il en juin. Jamais sans doute directeur de structure culturelle n’avait à ce point fait corps avec sa créature. Lorsqu’on lui demandait pourquoi il s’était accroché aussi longtemps à son siège, Jean-Paul Montanari avait enchaîné les pirouettes comiques avant d’atterrir dans cet abîme : «La peur. Je n’ai pas de copain, pas de famille, pas d’amis. Vous seriez étonnée de la façon dont je passe mes week-ends, parfois sans parler à personne. Montpellier Danse est tout ce que je suis. Voilà.»

Légende photo : Jean-Paul Montanari à la cité internationale de la danse à Montpellier, le 29 juillet 2024. (Sandra Mehl/NYT.REDUX.REA)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 25, 4:42 AM
Scoop.it!

Bill Freyd n’est plus  - L'hommage de Jean-Pierre Thibaudat

Bill Freyd n’est plus  - L'hommage de Jean-Pierre Thibaudat | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog de Mediapart - 22 avril 2025

 

 

Né à Strasbourg en juillet 1939 , le comédien Bernard - dit Bill - Freyd, grande figure du TNS des années Jean-Pierre Vincent et au-delà, est décédé entouré des siens au terme d’une belle carrière. 

 

Alors qu’il n’avait guère joué que du théâtre amateur en dialecte alsacien, la route de Bernard Freyd croisa celles de Claude Petit Pierre et d’Hubert Gignoux qui donnaient un nouvel élan au théâtre strasbourgeois. Il entre à l’école -groupe 3 -au sein d’ un théâtre qui ne s’appelait pas encore le Théâtre National de Strasbourg. A la sortie, Il ira faire un petit tout chez René Lesage qui dirigeait alors la Comédie des Alpes avant de revenir à Strasbourg pour être distribué dans des spectacles signé Hubert Gignoux ou André Steiger.

 

Jean-Pierre Vincent , alors à la tête de la compagnie le Théâtre de l’espérance le distribue dans la Cagnotte de Labiche, la Tragédie optimiste de Vichnievski, et quand Vincent est nommé à la direction du TNS et constitue un « ensemble artistique », Bill Freyd en fait partie. Neuf ans de bonheur et de spectacles qui font date et auxquels Bill Freyd contribue hautement  : GerminalLe Palais de justice (où il incarne une avocat célèbre du barreau de Strasbourg), Vichy-Fictions où il disait la liste des cadeaux offerts au Maréchal Pétain)Le Misanthrope, etc.

 

On l’ apprécie aussi au sein du TNS dans les spectacles signés André Engel comme Baal ou Week-end à Yaik  ou encore Et ils allaient obscurs dans la nuit solitaires où il était le Pozzo d’En attendant Godot. Bill Freyd et son léger accent strasbourgeois traversent cette formidable aventure que fut le TNSè-Vincent, des années aussi belles que fastes jusqu’au dernier.spectacle de Vincent au TNS Dernières nouvelles de la pestà Strasbourg d’abord puis au festival d’Avignon.

 

Bill Freyd poursuivra sa vie d’acteur ailleurs, au théâtre, dans des films, des téléfilms et même une série où il interprète le rôle d’un commissaire et les gens l’interpellent dans la rue pour connaître la suite de l’intrigue.

 

Et puis, en 1987, il retrouvera Jean-Pierre Vincent qui a la bonne idée de lui confier le rôle titre quand il met en scène Le faiseur de théâtre de Thomas Bernhard. J’écrivais alors : «  Entouré de ses partenaires, l’interprète du comédien, auteur, éructeur Bruscon, Bernard (dit Bill) Freyd salue le public, épuisé, léger, souriant. IL y a de quoi. Il vient de rencontre ce qu’un comédien touche une, deux, rarement trois fois dans une carrière : un rôle qui semble avoir été écrit pour lui de toute éternité, un personnage dans lequel longtemps on ne pourra plus imaginer ni supporter aucun autre acteur, une figure qui propulse au pinacle de la scène les virtualités d’un comédien qui n’avait jamais eu l’occasion de les dénouer avec autant d’aisance. (…) Freyd retrouve en Bruscon une hargne de dire, une rage de jouer et une ironie d’être qui lui son chères. Seul un foutu Alsacien comme lui pouvait se mettre en bouche et nous renvoyer à la gueule avec une abjection savoureuse (sentiment bernhardien par excellence) des mots chers à l’Autrichien comme « glaucome », « Gaspoltshofe », « soupe à l’omelette » ou « cercleur de tonneaux »... » / Adieu Bill Freyd, et merci.

 

Jean-Pierre Thibaudat 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 24, 4:43 AM
Scoop.it!

La méthode Joël Pommerat, un théâtre à part qui fait recette depuis vingt-cinq ans

La méthode Joël Pommerat, un théâtre à part qui fait recette depuis vingt-cinq ans | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Pascaud dans Télérama - 24 avril 2025

 

Indépendance vis-à-vis des institutions, recettes propres, travail dans la durée… L’entreprise Pommerat poursuit sa route. Rencontre avec cet “écrivain de spectacle”, à l’occasion de la création de sa dernière pièce, “Les Petites Filles modernes”.

 

Lire l'article sur le site de Télérama : 
https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/la-methode-joel-pommerat-un-theatre-a-part-qui-fait-recette-depuis-vingt-cinq-ans-7025369.php

 

Sur le magnifique site de Châteauvallon, dans la salle de théâtre obscure et silencieuse, Joël Pommerat, de noir vêtu, travaille son dernier spectacle, Les Petites Filles modernes. Titre provisoire, sans lien avoué avec la comtesse de Ségur. « Je donne peu mes sources d’inspiration, dira-t-il plus tard. Je suis traversé de tant de choses dont je suis à peine conscient… » Debout devant la scène, long et droit, l’auteur-metteur en scène de 62 ans déroule doucement au micro le programme des répétitions de 14 heures à 20 heures, réglé comme une machine. Le matin, il écrit. Le soir, il réécrit à la lumière de ce qui a été répété. Les trois comédiens — Éric Feldman, Coraline Kerléo, Marie Malaquias — sont assis sagement dans les premiers rangs. La douzaine de techniciens de sa Compagnie Louis Brouillard — son, vidéo, lumière, costumes ou régie — écoute les consignes. L’atmosphère est concentrée, chaque minute, précieuse.

 
Grand initiateur de spectacles clairs-obscurs à l’écoute de nos sociétés comme de l’invisible, de nos relations au monde comme à l’Histoire, de nos liens à la famille comme au travail, autant conteur que sociologue, Joël Pommerat achève ici une résidence d’un mois. Pour dignement célébrer les 60 ans du théâtre qui surplombe majestueusement la Méditerranée, l’acteur-metteur en scène Charles Berling, directeur de la Scène nationale Châteauvallon-Liberté de Toulon y a en effet invité quelques artistes phares à partager les lieux. Les Petites Filles modernes s’y créeront le 24 avril.
 
 

À lire aussi :

Joël Pommerat refuse à son tour la Légion d’honneur, par esprit “d’indépendance”

 

 

Horizontalement et verticalement, défilent sur la scène d’abstraites et splendides images vidéo noir et blanc. Autant de motifs qui hypnotisent, créent le mystère quand s’égrènent de tristes notes de piano. Une grande boîte close est suspendue aux cintres. En jaillissent les hurlements angoissés d’une enfant. « J’ai voulu plonger dans le fantastique, le surnaturel, et non déjouer le merveilleux comme nous le faisions dans Cendrillon. J’aime la simplicité, les lignes claires des contes. Transformés en humains par punition, un garçon et une fille débarquent ici d’un autre monde. Ils purgent leur peine sur Terre, accusés de s’être trop attachés l’un à l’autre, chose interdite là d’où ils viennent. Ils rencontrent deux collégiennes. L’intrigue interroge l’amitié, l’amour, le besoin de se lier. C’est ce lien qui nous fait percevoir et dépasser nos limites physiques et mentales. Les Petites Filles modernes sont juste une déambulation dans la construction de soi. Sans morale. »

Sans adultes non plus. Ou seulement présents par leurs voix, via des dispositifs sonores sophistiqués. Du Petit Chaperon rouge (2004) à Contes et légendes (2019), le monde de l’enfance, d’ordinaire peu présent au théâtre, l’est beaucoup chez Pommerat. « M’y intéresser a été au début un moyen de me rapprocher de ma fille âgée alors de 7 ans. On ne vivait pas ensemble. Mon travail prenait tout mon temps. Je voulais qu’elle s’intéresse à moi, à ce que je faisais. Et puis représenter des enfants, leur apprentissage du monde — sans m’adresser forcément à eux — m’a passionné, j’ai continué. En fait d’enfance, c’est celle de ma mère surtout qui m’a marqué : 4 ans en 1945, 4 kilomètres à pied en pleine campagne à 5 ans pour aller à l’école, avec des peurs terribles. Moi, j’étais un petit garçon sage, bon élève, choyé par elle, vendeuse au supermarché dans la banlieue de Chambéry. Mon père, sous-officier dans l’armée, puis petit employé de banque, est mort jeune. Du coup, je n’ai pas passé le bac. Mais ma mère n’a jamais été inquiète de mon avenir, elle me faisait confiance. »

 
 

Passer d’une création à l’autre m’angoisse — je suis lent —, et puis, si on prend soin de lui, un spectacle mûrit, devient plus beau encore.

 

 

Comme dans Le Petit Chaperon rouge et Contes et légendes, les adolescentes des Petites Filles modernes sont incarnées par deux adultes. « Les enfants changent trop en grandissant, travailler sur une longue période avec eux est impossible. Or j’ai besoin que mes spectacles se jouent longtemps, je le revendique. D’abord, passer d’une création à l’autre m’angoisse — je suis lent —, et puis, si on prend soin de lui, un spectacle mûrit, devient plus beau encore. Voir vieillir les acteurs dans leurs rôles, c’est la vie. » Voilà le cœur de la méthode, de la magie Pommerat : nourrir, enrichir le travail dans la durée. « Jouer, c’est conjuguer les temps fictionnel et réel. Réinventer le temps. “L’habiter autrement”, comme dit le poète Valère Novarina. »

Cinq mois de répétitions discontinues dans sept résidences d’artiste — de Paris à Bourges, d’Agen à Châteauvallon, via La Rochelle et les Tréteaux de France — auront été nécessaires aux Petites Filles modernes, faute d’un lieu permanent où travailler. « Dès l’été 2023, rêver, réfléchir seul sur l’urgence de l’histoire à raconter et de la forme à adopter. En 2024, choix des acteurs, début d’ateliers d’improvisation autour de situations et de thématiques. Les répétitions avec texte commencent en janvier 2025 et la pièce se construit de manière chaotique. Je ne pratique pas “l’écriture de plateau”, qui reprend les impros des comédiens. J’attends plutôt d’eux qu’ils m’inspirent, fassent vivre leurs personnages. Je filme tout, et je visionne. Les voir active mon écriture. Les rôles sont écrits sur mesure, jamais interchangeables. »

 

Que Joël Pommerat ait toujours refusé de diriger un Centre dramatique national, avec le confort de subventions garanties, s’explique donc. Comment y concilierait-il sa lenteur de créateur et la réactivité d’un patron ? « Diriger ma compagnie, écrire, répéter, c’est déjà trois vies. Et les artistes que j’ai vus céder aux mirages d’une direction ont fini par perdre les qualités pour lesquelles le ministère les avait justement nommés. Accueillir d’autres créations dans son lieu, se battre avec les tutelles pour obtenir des moyens, c’est trop de charge mentale ! Pourquoi les accabler de responsabilités administratives, financières qu’ils ne maîtrisent pas ? Dans les scènes nationales, nombre de directeurs le font admirablement, tout en sachant programmer des artistes dont nous, leurs pairs, n’avons pas le temps d’aller voir les spectacles, reconnaissons-le. Chacun doit faire la part qui lui revient et dont il est surtout capable : voilà notre vraie, notre seule responsabilité, et non nous éparpiller dans ce que nous ne savons pas faire. Les créateurs que j’admire sont ceux qui ont modelé leur théâtre, cherché leur propre mode de production sans se caler sur l’existant : Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, Peter Brook autrefois aux Bouffes du Nord. »

Sa part à lui, Joël Pommerat, est déjà immense côté lumière, son, image vidéo, gestuelle dans l’espace. « Le théâtre n’est pas que texte : le corps de l’acteur fait aussi parole. Il faut inventer toutes sortes de formes à la parole. En “écrivain de spectacle”, j’écris en trois dimensions. Sans négliger l’invisible. Ni l’imaginaire du spectateur qui coconstruit la pièce avec nous. À condition qu’on lui laisse des trous qu’il ait envie de combler. Il faut savoir écrire entre les pleins et les creux. J’ai souvent utilisé des voix off, qui amorçaient l’histoire. Dans le “théâtre-roman” que j’essaie désormais, les choses se racontent en même temps qu’elles se vivent. »

 

Une expérience de « pur présent » qui se défie des mécaniques de la représentation comme des trucs de jeu. Les comédiens de la Compagnie Louis Brouillard, fondée en 1990, sont rompus à l’exercice, et en rare osmose avec le public. Jusqu’à Ma chambre froide (2011), Pommerat n’écrit d’ailleurs que pour ses premiers compagnons d’aventures. Pas assez sûr de lui, avoue-t-il, pour engager d’autres acteurs et supporter des contre-propositions extérieures au groupe pionnier. « Après, j’ai craint de les bloquer dans mon monde et qu’ils en souffrent. J’ai ouvert la troupe, choisi des comédiens capables de “ne pas faire”, juste de laisser transparaître, doués pour l’artifice, mais dans le dépouillement. Avant de voir l’acteur, je cherche la personne. »

 

 

À lire aussi :

Joël Pommerat, le metteur en scène qui rend visibles les invisibles

 

Depuis une douzaine d’années, avec une trentaine de techniciens, ils sont une cinquantaine d’interprètes sur les routes à être salariés annuellement par la Compagnie Louis Brouillard (avec un cachet de 280 à 300 euros brut par représentation). Ils tournent parallèlement environ cinq spectacles — en 2024-2025, Contes et légendes, Marius, Amours (2), La Réunification des deux Corées et bientôt donc Les Petites Filles modernes. Non seulement Joël Pommerat aime que ses créations se peaufinent avec le temps, vivent pour le plus grand nombre possible de spectateurs, mais il a besoin des recettes de ces tournées. La production des Petites Filles modernes coûtant 700 000 euros — longues répétitions et moyens techniques obligent —, comment la compagnie peut-elle faire lorsque l’État lui accorde 400 000 euros — et c’est une des mieux dotées ! — et la Région Île-de-France 120 000 euros ?

 

"On bricole en permanence, l’équilibre est fragile. Mais nos créations seraient encore plus onéreuses si je dirigeais un théâtre public."

 

Dans l’entreprise théâtrale Pommerat, les subventions couvrent en général 50 % des frais de fonctionnement. À sa charge d’assurer le reste par les recettes de billetterie, les ventes de spectacles, la part de coproduction au titre d’« artiste associé » : à Nanterre-Amandiers, à la Scène nationale de La Rochelle, au TNP de Villeurbanne.

 

« On bricole en permanence, l’équilibre est fragile, soupire-t-il. Mais nos créations seraient encore plus onéreuses si je dirigeais un théâtre public, dont les conventions collectives sont plus drastiques. C’est vrai qu’elles coûtent plus qu’elles ne rapportent. L’installation d’un spectacle en tournée, par exemple, nécessite deux jours, la compagnie ne fait jamais plus de 500 euros de marge. Et nos subventions n’ont pas augmenté depuis 2017, à l’inverse des frais de fonctionnement. Alors faut-il collaborer avec le théâtre privé ? S’il a eu le courage de reprendre, à perte, Ça ira (1). Fin de Louis — vingt comédiens en scène et un coût de production de 1 200 000 euros ! —, Jean Robert-Charrier, qui dirige le Théâtre de la Porte-Saint-Martin (propriété de Fimalac), n’aurait jamais pu le produire seul ! Et personne dans le secteur privé ne se serait engagé avec lui sur un tel projet. Au moins a-t-il respecté notre travail et accepté mes conditions : réduire la jauge pour un bon rapport scène-salle, ne pas jouer tous les soirs pour que les comédiens se reposent des cinq heures de spectacle, pratiquer un prix de place accessible. »

 

Avec ses tournées et résidences — quinze jours minimum, un mois maximum, sans jamais maîtriser les dates —, Joël Pommerat est un artiste nomade. Pour garder sa liberté, son indépendance et un isolement propice au travail. Mais il est dur d’être en continuel déplacement quand on se dit casanier, n’aimant guère les voyages, ne supportant plus de se retrouver dans une gare. « J’habite dans le Lot-et-Garonne et ma meilleure résidence est le théâtre d’Agen, tout proche, dont la directrice me confie les clés aux vacances. » Son rêve ? Acheter une ferme désertée et ses corps de bâtiment, comme il y en a tant là-bas, pour en faire un lieu de travail et de résidence à partager avec d’autres. Pourtant Joël Pommerat ne réclamera rien. Il continuera son système avec rigueur et débrouillardise, seul en France à rejouer son répertoire pour créer d’autres œuvres plus profondes encore, dialoguant mieux encore avec le monde et permettant d’en explorer les zones d’ombre.

Six salariés en CDI

Il fait vivre une compagnie où six salariés sont en CDI ; lui ne veut l’être qu’à mi-temps, parce que payé déjà en droits d’auteur. Élégance. Honnêteté. Fierté. Timidité. Il s’investit peu dans les écoles et l’éducation artistique, leur préfère les prisonniers et les prisons. Et pourrait animer à la rentrée un théâtre construit au Centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille. Une salle pour détenus plutôt qu’un Centre dramatique national ? « Je suis devenu un bourgeois, mais je n’appartiens pas à ce monde-là. J’ai compris tardivement que montrer au théâtre ces invisibles à qui on ne donne pas la parole, comme je le fais, renvoie à mes origines populaires. Je ne suis pas à l’aise avec ce monde de l’élite que je côtoie et qui me considère comme l’un des siens. Mais ce malaise me gêne peu. J’ai besoin d’être seul. »

 

Propos recueillis par Fabienne Pascaud / Télérama 

 

 

 

Les Petites Filles modernes, du 24 au 29 avril, au Théâtre couvert de Châteauvallon, tél. : 09 80 08 40 40. Et du 4 au 6 novembre à La Rochelle, du 22 novembre au 10 décembre au TNP de Villeurbanne, du 18 décembre au 23 janvier au Théâtre Nanterre-Amandiers.
 
 
Légende photo Joël Pommerat :  « Les artistes que j’ai vus céder aux mirages d’une direction ont fini par perdre les qualités pour lesquelles le ministère les avait justement nommés. » Photo Caroline Chevalier pour Télérama
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 21, 12:42 PM
Scoop.it!

«Une fiction qui ne repose sur rien de réel ne fonctionne pas» : au Centre des récits de Strasbourg, le théâtre puise dans les témoignages 

«Une fiction qui ne repose sur rien de réel ne fonctionne pas» : au Centre des récits de Strasbourg, le théâtre puise dans les témoignages  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure, envoyée spéciale à Strasbourg pour Libération - 21 avril 2025

 

Le Théâtre national de Strasbourg a créé une structure recueillant les histoires de vie des habitants, qui nourriront la création de spectacles. Elles ont notamment inspiré des pièces présentées à partir de mercredi au festival les Galas.

 
 

«On reprend au moment où elle arrive avec son carnet de correspondance !» La fillette, en violet de la tête aux pieds (pieds montés sur des semelles de baskets qui clignotent de mille feux à chaque pas), revient des coulisses pour s’installer sur une chaise, au centre de la scène. Angelina a 9 ans et elle est l’héroïne de la nouvelle pièce de Caroline Guiela Nguyen, Valentina, qui sera présentée pour la première fois en France ce mercredi 23 avril dans le cadre des Galas, le tout nouveau festival du Théâtre national de Strasbourg. Caroline Guiela Nguyen l’a écrit comme un conte (1) : Valentina est une enfant dont la mère, roumaine, ne parle pas français. Un soir en rentrant de l’école elle doit lui traduire une lettre écrite par un médecin. Comment lui annoncer qu’elle a une maladie grave ? Faut-il dire la vérité ? Mentir pour supporter le drame ?

 

Un autel avec des guirlandes de fleurs en tissu, un cœur humain enchâssé dans de l’or comme les sacré-cœurs des églises. Du rose, des néons et le plateau qui, magique, palpite tout au long des répétitions : de chaque côté de la scène, un ventilateur fait vibrer de grandes plaques de laiton dorées, qui projettent leur scintillement sur le décor et les actrices. Une nouvelle fois, Caroline Guiela Nguyen mêle la fiction très assumée (décor fabuleux, séquençage pensé en épisodes, musique accompagnant le récit) avec un sujet réaliste et grave : sur scène Valentina tient un vrai bipeur entre ses mains, de ceux qui sonnent quand un cœur, enfin, est disponible à l’hôpital. Singulier attelage entre l’irréel et l’hyper-concret.

 

Avec Saïgon, le spectacle qui l’a fait connaître au grand public en 2017, la fiction se déroulait dans un restaurant vietnamien.  Dans Lacrima, succès du Festival d’Avignon l’an passé qui a tourné partout en France, la metteuse en scène retraçait la très dramatique fabrication d’une robe de mariée destinée à la princesse d’Angleterre, mais nous faisait pénétrer de façon quasi-documentaire dans les secrets de la dentelle d’Alençon. Cette fois, pour Valentina, elle s’est longuement renseignée sur les enfants contraints d’être les interprètes de leurs parents. Sur les greffes d’organe aussi. Pour amasser ce matériau, elle s’est appuyée sur une structure d’un genre nouveau qu’elle a elle-même mise en place à son arrivée à la tête du Théâtre national de Strasbourg en septembre 2023 : le Centre des récits. Aux côtés de ses ateliers de costumes et de décors, le TNS abrite désormais un atelier à histoires vraies. Trois femmes – une documentaliste, une ex-journaliste radio et une dramaturge, enquêtent, enregistreurs Nagra à l’épaule, à la demande des artistes. Récoltent les témoignages des habitants des alentours, posent des questions, enregistrent, archivent. Depuis un an et demi, leurs bandes-son ont nourri sept spectacles.

Enfants interprètes

Pour Fidélité(s) ou la Panenka de Hakimi, de Mona El Yafi et Ali Esmili, joué au Théâtre de Lorient en janvier dernier, elles ont recueilli les témoignages de footballeuses amatrices dans un club de la région. Pour Lucarne de Maxence Vandevelde, une pièce sur la beauté (également présentée aux Galas du TNS), elles se sont longuement entretenues avec les quinze acteurs amateurs de la pièce, tous issus des quartiers ouest de la ville. En préparation du futur spectacle d’Hatice Özer, elles explorent désormais le tarab (mot arabe qui désigne l’extase procurée par la musique) et ce que ressentent les fans d’Oum Kalthoum en entendant sa voix. «Beaucoup d’artistes ont, comme moi, besoin de ponctionner le réel pour nourrir leur fiction, explique Caroline Guiela Nguyen. Les livres et les essais ne suffisent pas, le Centre des récits leur offre une dramaturgie du vivant. Avant de me lancer dans un projet, j’ai l’intuition qu’une chose est importante à raconter, mais le fait d’entendre des personnes en parler parce qu’elles l’ont vécue m’ouvre mille possibilités. Ces histoires me chargent, je sais en les écoutant que je suis au bon endroit.»

 

Pour Valentina, Fanny Mentré et Béatrice Dedieu, du Centre des récits, se sont mises en quête de témoignages pour comprendre le poids que pouvait représenter, pour un enfant, de devoir traduire les réunions avec les professeurs ou les documents administratifs à sa famille. «Avec cette question en fil rouge par la traduction, qu’est ce qui passe, qu’est-ce qui résiste ?», rapportent-elles. Elles rencontrent les membres de l’association Migration Santé Alsace. «Une des interprètes de l’association nous a confié qu’on lui avait demandé, enfant, d’annoncer à sa mère qu’elle avait un cancer. C’est elle, la fillette, qui a subi le choc de l’annonce en premier. Elle s’est évanouie.» Sur l’un des récits qu’elles ont enregistrés, une jeune femme d’origine turque raconte qu’elle a appris le français devant la télévision, «grâce aux dessins animés». Un jour, elle doit traduire un papier reçu de l’administration française statuant sur le statut de réfugiés de la famille. Angoissée, elle traduit mal : «Je leur ai dit qu’on était expulsés de France car on avait menti. Je me souviens de la tristesse sur leur visage. Le lendemain j’ai annoncé à mes amies à l’école qu’on allait retourner en Turquie.» Sauf que le courrier disait tout l’inverse. Il y a eu aussi cette phrase, prononcée par une interprète : «Il nous faut traduire les mots, il ne faut pas qu’on les imagine.» Elle a tant nourri l’imaginaire de Caroline Guiela Nguyen qu’elle est devenue un mantra pour sa petite Valentina contrainte d’annoncer la nouvelle d’un cœur grignoté par la fibrose à sa propre mère : «Traduis les mots, mais ne les imagine pas.»

Ce jour de mars, Fanny Mentré et Béatrice Dedieu ont rendez-vous avec Zahra et Maryam, des sœurs jumelles nées en Afghanistan, grandies en Iran et aujourd’hui réfugiées en France. Toutes deux jouent dans Lucarne de Maxence Vandevelde qui, lui, n’utilise pas les récits collectés comme matériau pour sa fiction mais comme un moyen de mieux comprendre le parcours des interprètes amateurs de son spectacle. «Moi, je suis née en 1372…»,  commence l’une des deux sœurs. Soit en 1994, selon le calendrier grégorien. C’est Norouz, le nouvel an iranien, et les deux femmes ont accueilli Fanny et Béatrice avec une magnifique table remplie de dattes, de sucreries, de fruits… Les deux micros du Centre des récits sont posés sur la table basse. Zahra et Maryam racontent leur relégation, en Iran, parce qu’elles étaient afghanes. Leurs relations empêchées avec les garçons, la culpabilisation permanente. Elles retracent leur parcours depuis une heure quand l’une soudain se tait. Elle vient de dire ce jour où, revenue en Afghanistan, elle a cherché partout son amoureux, épouvantée, parmi les corps déchiquetés dans les rues où venait de se produire un attentat. Elle reprend, raconte son départ en France, quelques mois plus tard, en avion. Et la culpabilité de partir : «C’était comme s’il y avait des fantômes autour de moi, comme si des voix s’élevaient tout autour de l’avion et criaient : «Reste avec nous, ne nous abandonne pas !»»

Des airs d’Oum Kalthoum

Les entretiens de Fanny et Béatrice durent une heure ou plus. Elles livrent leurs enregistrements audios bruts à l’artiste qui les leur a commandés : «Car on ne sait jamais ce qui va le faire tilter.» Elles tiennent à l’aspect purement sonore de leur travail. «Une caméra serait trop imposante. L’écrit ne nous permettrait pas de conserver le rythme et les tics de langage. Les enregistrements gardent les hésitations, l’émotion qui déborde, un accent. Une voix est déjà une matière vivante.» Pour le prochain spectacle de la metteuse en scène Hatice Özer En attendant Oum Kalthoum (programmé pour la saison prochaine au TNS), elles ont échangé avec un joueur d’oud et d’autres femmes arabes qui se mettaient à fredonner des airs de l’immense chanteuse égyptienne. «Entendre ces voix m’ouvre la tête et l’imaginaire, témoigne Hatice Özer. J’imagine le corps qu’il y a derrière elles, je tente de comprendre un rire. Je ne sais pas encore à quoi va ressembler mon spectacle mais je sais déjà que la musicalité de ces voix s’y retrouvera. Je vais par exemple emprunter à cette femme que je ne connais pas cette façon de passer sans cesse de la parole au chant pour parler d’Oum Kalthoum.  Ou bien la réaction de cette autre femme à qui Fanny et Béatrice demandent si elle écoutait Oum Kalthoum quand elle était petite. Elle est si surprise face à cette question dont la réponse lui semble évidente qu’elle répète sur tous les tons : «Ah mais Oum Kalthoum… Oum Kalthoum… Oum Kalthoum !» C’est sûr, ça aussi ça sera dans le spectacle !» Il parlera aussi du manque (comment revivre un concert de la chanteuse maintenant qu’elle n’est plus ?) et de la fierté. «Cette musique, c’est notre fierté à nous les Arabes, le souvenir d’un âge d’or perdu, c’est ce qui nous rassemble tous, juifs ou musulmans… et c’est ce qu’on retrouve aussi dans les témoignages recueillis pas le Centre des récits.»

 

 

«De plus en plus d’auteurs sont en quête de récits qui ont longtemps été passés sous silence et sur lesquels il n’existe pas encore de «répertoire», appuie Béatrice Dedieu. Ils ne veulent pas dire n’importe quoi sur une réalité qu’ils n’ont pas vécue eux-mêmes.» Même quand il s’agit justement de dépasser les faits pour écrire une fiction ? «Peut-être même surtout pour une fiction, coupe Fanny Mentré. Car une fiction qui ne repose sur rien de réel ne fonctionne pas.» A chaque entretien, un contrat est signé garantissant l’anonymisation de l’enregistrement, précisant aussi son usage : le récit confié pourra-t-il être écouté par l’artiste uniquement ? Par toute l’équipe qui travaillera sur le spectacle ? Par un public plus large ? Car le Centre des récits résonnera bientôt plus loin, en réseau avec cinq autres théâtres. «L’idée est de créer dans deux ans un Centre européen des récits», précise Caroline Guiela Nguyen. Anonymisés, indexés par thèmes, tous les récits récoltés seront aussi rendus accessibles sur une plateforme numérique au printemps 2027. «Comme une grande bibliothèque où on pourra trouver une mémoire collective, où on verra aussi toute la matière dont les artistes auront eu besoin pour créer, rêve la metteuse en scène. Le Centre des récits c’est aussi une manière de dire aux habitants du territoire : nous avons besoin de vous pour écrire des histoires ! Nous vivons une époque où il n’y a jamais eu autant de réels différents en un même lieu, et les artistes ont besoin de les rencontrer.» La mère d’Angelina, Loredana Iancu, jouera son propre rôle sur la scène du TNS, dans Valentina. Elle n’avait jamais mis les pieds dans un théâtre, comme beaucoup des témoins enregistrés par le Centre des récits. Avec lui, c’est le théâtre qui est entré chez eux.

 

 

(1) Valentina ou la Vérité a d’ailleurs d’abord été un conte, publié ce mois-ci chez Actes Sud, avant de devenir une pièce de théâtre.

Valentina et Lucarne seront présentés aux Galas du TNS, aux côtés d’autres spectacles, du 23 avril au 3 mai à Strasbourg.

Sonya Faure / Libération

 

Légende photo : Au Centre des récits du TNS de Strasbourg, en mars 2025, Béatrice Dedieu (à gauche) et Fanny Mentré (au centre) recueillent le témoignage des sœurs Zahra et Maryam, nées en Afghanistan, grandies en Iran et réfugiées en France. (photo : © Jean-Louis Fernandez )

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 18, 4:42 AM
Scoop.it!

Une Mouette d'après Anton Tchekhov par Elsa Granat.

Une Mouette d'après Anton Tchekhov par Elsa Granat. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Webthéâtre - le 16 avril 2025

 

Trois femmes en mal d’être conscientes de leurs capacités à se battre.

 

Dans la tradition d’une ré-appropriation des « classiques », Elsa Granat monte La Mouette en jouant, dit-elle, sur sa capacité à toucher un public contemporain - mettant l’accent sur la condition de la femme, ses désirs, ses succès et ses échecs. Artiste associée du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis, la conceptrice regarde sa Mouette sous la dimension historique de la Salle Richelieu, puisant dans la mémoire théâtrale des acteurs la richesse d’incarnation des personnages de Tchekhov.

 

La fougue allègre de la mise en scène donne sa préférence au désir de créativité des femmes, un regard sur-éclairé sur l’affranchissement de celles-ci à travers l’invention personnelle et l’accomplissement de soi si recherché. Aussi Une Mouette débute-t-elle par une « ouverture d’imaginaire » - un préquel - sur le destin d’Arkadina actrice sur le déclin chez Tchekhov.

 

Tel un souffle violent qui viendrait de l’intime dans la rencontre irréversible de soi avec le monde et la vie quotidienne, se répand et s’impose l’amour du théâtre et de la vie, sur les planches, chez une actrice admirée et extravertie que son fils, un peu mis de côté, observe dans le sentiment d’être négligé face à l’Art maternel conçu comme plus grand que tout : cris et déclamations.

L’occasion d’un jeu sur les costumes magnifiques de la diva, la manière de revêtir les parures destinées à un monde onirique et de rêve où tout serait beau : Marina Hands pour Arkadina, l’actrice emblématique, évolue dans le don de son art, à l’écoute de ses seules impressions, loin de son fils Treplev : et les enfants jouent leur partition sur la scène - théâtre dans le théâtre.

 

A côté de la passion littéraire des mots et de l’incarnation scénique, demeure d’abord la dimension incontournable de l’Amour. Quand commence véritablement la pièce, s’épanouit la passion qui unit les personnages - le sentiment liant Arkadina à son amant Trigorine, écrivain en vogue et indécis dans la vie. Loïc Corbery dans le rôle est convaincant, attachant, rêveur et plutôt absent aux autres, un charme auquel la jeune voisine ardente de Treplev, Nina, dont celui-ci est amoureux, n’échappe pas, désirant à son tour jouer la comédie et éprouver le feu des sentiments.
Treplev écrit de son côté et met en scène : art et amour.

 

Nina interprétée par Adeline d’Hermy est juste, tellement vivante et tonique, admirative de la beauté artistique - écrire et jouer -, vivant pour son désir de s’accomplir sur scène, et amoureuse en même temps de Trigorine, l’infidèle.

 

Même Macha, taiseuse et mélancolique, s’exprime ouvertement, faisant le spectacle inédit de ses aspirations et de ses empêchements, en colère contre elle-même et contre le monde dont elle ne réussit pas à suffisamment se démettre. Julie Sicard est une Macha débridée et sortie de ses gonds, mais vraie.

Soit la révolte de trois femmes - Trois Soeurs ? - contre les désirs secrets et frustrés dans un concert sur-joué à trois voix sous influence hystérique et déjà sonorisées - pléonasme. Comme si le pouvoir de crier donnait plus de vérité à la douleur.


Adeline d’Hermy nuance sa prestation entre réserve et expression vive.

La mise en scène d’Elise Granat est malicieuse, ludique et acidulée - des tonalités à la Douanier-Rousseau, avec pour la villégiature à la campagne un paysage estival et verdoyant propice à la sieste et au pique-nique, humour d’un farniente sur des chaises de camping, chemise hawaïenne colorée et bermuda pour les hommes, chapeau de paille et robe légère pour les dames.

Tous les personnages de la petite communauté tchekhovienne sont convoqués avec précision, Bakary Sangaré pour Sorine, l’oncle aimé de Treplev et le frère d’Arkadina, Nicolas Lormeau pour le médecin raisonnable et sensé, Julien Frison pour Treplev tourmenté et en souffrance, Birane Ba pour le maître d’école toujours positif et époux délaissé de Macha, Dominique Parent pour Chamraïev l’intendant ; et de l’académie de la Comédie-Française, Édouard Blaimont et Blanche Sottou, régisseur et costumière…

 

Une Mouette illustrée et démonstrative qui n’en est pas moins appréciée du public, interpellé par tant d’émotions générées par ce désir de réussir sa vie en dépit de tout, et ne jamais abandonner.

 

 

Une Mouette, adaptation et mise en scène Elsa Granat, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, dramaturgie Laure Grisinger, scénographie Suzanne Barbaud, costumes Marion Moinet, lumières Vera Martins, son John M. Warts, conseil à la dramaturgie Jean-Michel Potiron, assistanat à la mise en scène Laurence Kélépikis, de l’académie de la Comédie-Française, assistanat à la mise en scène Aristeo Tordesillas, assistanat à la scénographie Anaïs Levieil, assistanat aux costumes Aurélia Bonaque Ferrat. Avec Julie Sicard, Loïc Corbery, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba, Dominique Parent et de l’académie de la Comédie-Française Édouard Blaimont Nikita, Blanche Sottou, et les enfants en alternance, Abel Bravard, Noam Butel, Sandro Butel, Marcus Grau, Gabrielle Christophorov, Jeanne Mitre Robin, Suzanne Morgensztern, Olympe Renard. Du 11 avril au 15 juillet 2025, en matinée 14h et soirée 20h30, à La Comédie-Française, Salle Richelieu, place Colette 75001Paris.
comedie-francaise.fr

 

Véronique Hotte / Webthéâtre 

 


Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage, Coll. Comédie-Française.

  •  
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 17, 4:11 PM
Scoop.it!

Avec « Gypsy », la folle métamorphose de Natalie Dessay

Avec « Gypsy », la folle métamorphose de Natalie Dessay | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 17 avril 2025

 

Après l’Opéra de Nancy en février, la « fable musicale » inspirée des mémoires de Gypsy Rose Lee, célèbre strip-teaseuse américaine, triomphe à la Philharmonie de Paris. La chanteuse lyrique, devenue comédienne, y partage la scène avec sa fille, Neïma Naouri.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/17/avec-gypsy-la-folle-metamorphose-de-natalie-dessay_6596969_3246.html

C’est une Philharmonie de Paris en délire qui a salué le final de Gypsy, la « fable musicale » de Jule Styne – compositeur des musiques des films Les hommes préfèrent les blondes (1953) et Funny Girl (1968) –, dont la première française, montée en février à l’Opéra de Nancy, poursuivra sa route au Luxembourg. Considérée comme « la mère des comédies musicales », Gypsy, qui ne partage avec l’opérette de Francis Lopez (1916-1995), créée au Théâtre Sébastopol de Lille, fin 1971, que le patronyme, a vu défiler, depuis sa création en 1959 – avec la mythique Ethel Merman (1908-1984) et plus de deux mille représentations –, la plupart des grandes divas de Broadway dans le rôle écrasant de Madame Rose, ce personnage de mère abusive, dont la dévorante ambition n’aura de cesse de transformer ses deux filles, June et Louise, en stars.

 

 

Lire l’entretien avec Natalie Dessay : Article réservé à nos abonnés « J’ai une voix d’ange, mais je suis une sorcière »
 

Tiré des mémoires de la seconde, la moins aimée et la moins douée des deux, devenue une célébrité du strip-tease sous le pseudonyme de Gypsy Rose Lee (1911-1970), le livret d’Arthur Laurents (1917-2011) relate le quotidien, entre espérances avortées et déboires bien réels, de la petite famille de saltimbanques, qui a d’abord sillonné les Etats-Unis pendant la première moitié du XXe siècle, auditionnant et se produisant dans de petits spectacles « rêvés » par leur mère. Traduit et partiellement réécrit en français par Agathe Mélinand, le texte suit le destin de la jeune Louise, que le mariage de sa sœur plus douée, June, a propulsé, faute de mieux, sur le devant de la scène. C’est alors qu’Herbie, un ancien agent d’artistes tombé amoureux de la matricielle Rose, décroche « par erreur » le sulfureux contrat qui fera basculer la vie de la jeune femme dans la célébrité.

 

La musique de Jule Styne, ici interprétée sur scène par une grosse cinquantaine de musiciens, livre une partition enlevée, entre fanfares de cuivres et rythmes de danse, sur les paroles du jeune Stephen Sondheim (1930-2021), également compositeur, dont Sweeney Todd et Into the Woods faisaient encore, il y a peu, les riches heures du Théâtre du Châtelet, au temps de Jean-Luc Choplin. D’une grande sobriété, le dispositif élégant imaginé par Laurent Pelly, un podium central encadré d’allées et des passerelles jalonnées de néons, supporte sans faiblir deux heures de numéros, dont les changements de scènes, signifiés par des cartels portés par des personnages ou machinistes traversant l’espace, évoquent le procédé des cartoons.

Inventive et vivifiante, farcie avec subtilité de ce brin d’humour dont le metteur en scène a si souvent égayé ses spectacles (magistral numéro des strip-teaseuses expliquant à la novice Louise les « ficelles » – strings – du métier), la direction d’acteurs fait mouche, renforcée par les lumières et les habiles chorégraphies de Lionel Hoche, qui recensent avec spontanéité les standards du métier (claquettes, acrobaties).

Mezzo animal

Véritable reine de la soirée, Natalie Dessay campe, avec une autorité rageuse, une énergie proche du désespoir et une indéniable vis comica, ce bout de femme en rouge, oriflamme de la déraison, bien décidée à sortir de sa condition et à offrir à sa progéniture une autre vie que la sienne. Sur scène, l’ancienne chanteuse lyrique est vocalement méconnaissable. Le souvenir des Reine de la nuit, Olympia, Lakmé, Manon ou autre Zerbinette ? Envolé : l’ancienne soprano colorature a changé d’étage et de registre.

 

Lire l’entretien avec Natalie Dessay (en 2021) : Article réservé à nos abonnés « Je me suis réconciliée avec ma voix »
 

Son mezzo animal s’ancre désormais dans un style qui a su apprivoiser le micro et acquérir, au prix d’une transformation radicale de la technique, ce registre du belting, « voix de poitrine haute », tripale, aux profondes et puissantes résonances dramatiques. Le résultat est bluffant, presque déconcertant. Et l’on ne peut que rester suspendu aux lèvres de cette Madame Rose, monstre d’égocentrisme certes, mais touchante et émouvante dans sa fragilité et sa frustration.

Dans la carrière de la chanteuse de 60 ans, nul doute que la chanson You’ll Never Get Away From Me (« vous ne serez jamais débarrassés de moi ») prend un écho particulier. Tout comme le fait de savoir que c’est sa propre fille, Neïma Naouri, qui incarne le rôle de Gypsy. Un personnage attachant que la jeune femme, à la voix chaude et parfaitement placée, impose en digne fille de sa mère, avec délicatesse et passion, qu’elle entonne le juvénile et émouvant Little Lamb ou qu’elle explose de sensualité, vilain petit canard devenu cygne, s’opposant à sa marâtre, désormais maîtresse de son propre destin.

Un époustouflant panel d’artistes

Un époustouflant panel d’artistes aussi bons chanteurs qu’acteurs ou danseurs renforce ce spectacle jubilatoire. Et ce, au long d’une pyramide des âges qui va des jeunes chanteurs de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique (Rose Quillet-Xavier en blonde Baby June, Olivia Neri en brune Baby Louise) aux aguicheuses « Hollywood Blondes » engagées par Rose, tout comme l’équipe masculine (Rémi Marcoin, David Dumont, Léo Gabriel), où s’impose l’impressionnant Tulsa d’Antoine Le Provost, 19 ans, un mixte prometteur de Gene Kelly et de Fred Astaire.

 

Parmi les filles, la sensuelle Barbara Peroneille (Mazeppa, impayable strip-teaseuse avec trompette coquine), Marie Glorieux (Electra, l’effeuilleuse aux accessoires lumineux) et la vaporeuse Kate Combault (Tessie Tura aux voiles de nymphe). Alors qu’il sont tous deux malmenés par Rose, la June de Medya Zana, joli soprano bien timbré, finira par quitter sa mère pour se marier, et le compatissant Herbie de Daniel Njo Lobé jettera l’éponge – non sans avoir régalé l’auditoire de son beau timbre de basse –, faute de pouvoir épouser celle qu’il aime.

Menant grand train sous la battue d’un Gareth Valentine en forme olympique, l’Orchestre de chambre de Paris (il a remplacé Les Frivolités parisiennes de Nancy) n’a pas laissé une miette du festin musical.

 

Vidéo de présentation de "Gypsy"

 

Gypsy, de Jule Styne (musique), Stephen Sondheim (paroles) et Arthur Laurents (livret). Avec Natalie Dessay, Neïma Naouri, Medya Zana, Daniel Njo Lobé, Antoine Le Provost, Barbara Peroneille, Marie Glorieux, Kate Combault, Juliette Sarre, Rémi Marcoin, David Dumont, Léo Gabriel, Thomas Condemine, Pierre Aussedat, Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Massimo Troncanetti (scénographie), Marco Giusti (lumières), Lionel Hoche (chorégraphie), Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique, Orchestre de chambre de Paris, Gareth Valentine (direction). Philharmonie de Paris, Paris 19e. Jusqu’au 19 avril. Reprise au Grand Théâtre du Luxembourg, les 30 avril, 2 et 3 mai.

 

 

Marie-Aude Roux / LE MONDE

 

Légende photo : Répétition générale de « Gypsy », « fable musicale » mise en scène par Laurent Pelly, avec Natalie Dessay (au centre), à la Philharmonie de Paris, le 14 avril 2025. MATHIAS BENGUIGUI/PASCO AND CO

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 17, 5:36 AM
Scoop.it!

Alain Françon : « Le théâtre de Marivaux mise sur l’intelligence du public »

Alain Françon : « Le théâtre de Marivaux mise sur l’intelligence du public » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - Publié le 16 avril 2025

 

 

A l’occasion de la reprise, à la Porte Saint-Martin, à Paris, de deux pièces du dramaturge, le metteur en scène souligne, dans un entretien au « Monde », leur modernité et leur dimension de comédie.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/16/alain-francon-le-theatre-de-marivaux-mise-sur-l-intelligence-du-public_6596680_3246.html

Avec Les Fausses Confidences et La Seconde Surprise de l’amour, Alain Françon fait redécouvrir un Marivaux débarrassé de tout cliché et de tout… marivaudage. Un Marivaux aérien, et subtilement politique dans le parcours de liberté qu’il fait vivre à ses personnages. Le metteur en scène, âgé de 80 ans, s’explique sur cette redécouverte tardive de l’auteur français.

 

 

 

Lire la critique (en 2024) : Article réservé à nos abonnés Avec « Les Fausses Confidences » par Alain Françon, Marivaux à cœur ouvert
 

Pendant longtemps, vous avez monté plutôt des auteurs contemporains ou des classiques de la modernité, comme Ibsen et Tchekhov. Comment êtes-vous venu à Marivaux ?

Je m’étais essayé à Marivaux à mes débuts, déjà, en mettant en scène La Double Inconstance, avec François Cluzet en Arlequin [en 1981]. Le spectacle avait bien marché, mais j’avais eu la sensation que ce théâtre m’était complètement étranger, que je n’avais rien compris. Bien plus tard, j’ai mis en scène Un mois à la campagne, de Tourgueniev [2018], et plusieurs amis m’ont conseillé de me repencher sur Marivaux. J’ai relu notamment ses romans, La Vie de Marianne et Le Paysan parvenu, que j’ai trouvés magnifiques.

Qu’est-ce qui vous a « accroché » dans ces œuvres ?

Ce qui me fascine, aussi bien dans les romans que dans les deux pièces que j’ai montées, c’est l’adéquation entre l’intériorité des personnages et leur conduite sociale. Dans les romans, les deux héros, Marianne et Jacob, vivent une ascension incroyable : il y a toujours chez Marivaux la description du parcours à l’intérieur d’une société très précise. Et puis, toujours, la révélation de soi-même et de l’autre par l’amour. Dans Les Fausses Confidences, on retrouve, plus que dans La Seconde Surprise…, cette dimension romanesque qui me plaisait beaucoup : la pièce est écrite juste après les deux romans, en 1737. La manière dont Dorante dit être tombé amoureux d’Araminte, en la voyant descendre les escaliers de l’opéra, c’est du pur romanesque, c’est délicieux.

 

 

 

 

Quelle est la modernité de ces pièces, notamment quant aux rôles féminins, assez uniques dans le théâtre et la littérature de l’époque ?

Cette modernité est plus patente dans Les Fausses Confidences, dans la lignée de La Vie de Marianne. Il s’agit pour une femme d’être enfin le sujet de sa propre existence, d’être enfin soi-même. Et, pour cela, il faut passer par l’épreuve. Une épreuve qui, ici, est surtout sociale. Araminte doit rompre avec les coutumes, les liens familiaux. A la fin, elle est non seulement devenue elle-même, mais elle a une image embellie d’elle par tout ce qui a pu être dit de la manière dont Dorante est tombé amoureux d’elle, et qui est très valorisant : elle a refusé le mariage arrangé avec un comte, mais Dorante a fait d’elle une princesse. L’amour-propre d’Araminte a été créé par le sentiment amoureux de Dorante.

Dans les deux pièces, les héroïnes sont veuves, comme dans « La Locandiera », de Goldoni, que vous avez aussi mise en scène. Que raconte cet état matrimonial ?

Elles sont non seulement veuves, mais fortunées. Dans la société de l’époque, c’est une condition de liberté unique pour une femme, même quand la pression familiale est omniprésente, comme dans Les Fausses Confidences, par le biais du personnage de la mère.

Est-ce la question du langage, aussi, qui vous a mené vers Marivaux ? Vous avez toujours travaillé des auteurs qui proposent une langue forte…

Le poète Michel Deguy [1930-2022], dans un livre formidable, La Machine matrimoniale ou Marivaux [Gallimard, 1981], parle à son propos d’une « langue des jardins » qui finit par revêtir l’évidence d’une « langue maternelle ». J’aime beaucoup cette idée : c’est une langue qui est dans la délicatesse, le bourgeonnement, mais aussi dans l’économie. Et ce qui est incroyable, c’est la manière dont le sens circule dans cette économie-là.

 

Si je me suis éloigné si longtemps de Marivaux, c’est parce que j’ai vu nombre de représentations que je n’ai pas aimées. Et c’était dû au fait que j’avais l’impression que la langue était maltraitée, comme si elle était jouée par des poissons morts. Pendant longtemps, en France, on a fait de Marivaux une langue de salon, un drame bourgeois. Alors que c’est d’une intelligence incroyable dans la manière de faire avancer les enjeux profonds par la description de tout petits riens, et pas par des événements majeurs.

Comment faut-il le jouer pour sortir de cette « langue de salon » ?

C’est tout sauf évident. La question du rythme est fondamentale. Marivaux disait qu’il fallait « jouer emporté » : emporté dans le flux du texte, autrement dit. C’était pour lui le gage de l’authenticité. On a fait un gros travail prosodique, quasi musical, pour trouver une forme de fluidité, et l’équilibre entre naturel et formalisme. Il y aurait un danger à en faire une langue trop familière, et, en même temps, il ne faut pas non plus prendre trop de distance, en faire juste une langue de politesse.

Ce qui est très difficile à trouver, et qui est fondamental, c’est le travail sur l’instant, dans lequel sont toujours les personnages. Marivaux parle à ce sujet d’une « succession rapidement variée de moments ». J’ai fini par comprendre une chose : quand on joue ces pièces, il faut que la profondeur donnée à l’instant soit aussi grande que celle qu’il pourrait y avoir dans une destinée humaine.

Est-ce ce travail sur l’instant qui donne un tel sentiment de vie sur scène ?

Oui, parce que cela permet aux acteurs de jouer sans anticiper ce qui va suivre, d’être totalement dans l’instant. Et c’est beau parce que l’instant, chez Marivaux, contient toutes les contradictions humaines possibles : on peut quasiment jouer une chose et son contraire en même temps. J’ai la chance de travailler avec des acteurs formidables à ce jeu.

Vous avez fait le choix d’un Marivaux sans noirceur, à cœur ouvert, alors que la tendance, ces dernières années, avait été d’accuser la cruauté de l’auteur, pour contrecarrer les clichés rose bonbon. Pourquoi ?

Eh bien, je lis les pièces de près, et il me semble qu’il y a beaucoup d’optimisme en elles. Dans les deux cas, la surprise de l’amour advient, s’accomplit, et ce sont des « secondes surprises » qui plus est, montrant que l’amour peut toujours renaître, même quand on prétend y avoir renoncé, que la surprise de l’amour arrive plusieurs fois.

 

Et puis, particulièrement dans Les Fausses Confidences, je suis sensible à l’aspect prérévolutionnaire de Marivaux. Dubois, le valet qui tire les ficelles dans la pièce, annonce le Figaro de Beaumarchais. La pièce est un drôle de mélange dans sa manière de faire bouger les places et les classes sociales, et je trouve ce mélange plutôt joyeux. L’optimisme du XVIIIe siècle est là : l’œuvre est écrite en 1737, on n’est pas très loin des premiers écrits de Rousseau, aux alentours de 1750. Marivaux est au tout début des Lumières, il annonce les philosophes qui vont suivre.

Y a-t-il une dimension psychanalytique de Marivaux, dans les jeux de langage, l’articulation entre le langage et le corps, le processus du chemin vers soi ?

Oui, bien sûr. Tout se joue chez Marivaux entre l’être et le paraître. Mais cette dimension est aussi un piège théâtral. Comment la faire advenir ? Il ne s’agit pas que les personnages soient l’objet d’une étude psychique, d’un point de vue surplombant. Il s’agit de laisser émerger ce mélange de conscient et d’inconscient tel qu’il se joue entre la langue et le corps. Il faut que ça échappe, comme dans la vie.

Ces dernières années, j’ai cherché, de plus en plus, à fuir comme la peste l’intentionnalité au théâtre. Je vais faire un détour par Paul Cézanne, qui m’a toujours fasciné. Cézanne regardait la montagne Sainte-Victoire toute la journée, puis il rentrait chez lui et, devant sa toile, il se disait : « Tous les clichés y sont déjà, alors pourquoi peindre ? » Alors il a eu ce mot incroyable : « Il faut créer un chaos irisé. » Une touche de peinture après l’autre, il créait un rythme, une transposition. Je trouve cette opération absolument nécessaire au théâtre : la trop grande intentionnalité produit le cliché immédiatement. Cela peut sembler paradoxal, car j’ai passé des mois à lire des livres sur Marivaux, mais il faut arriver à se mettre dans cet endroit de non-savoir. La langue de Marivaux a une structure énorme, mais c’est une langue qui autorise. Je crois que c’est pour cela que je l’ai rencontré à ce stade de mon parcours : parce qu’il autorise.

Avec les années, votre registre est passé largement du tragique au comique, et vous épousez tout à fait la dimension de comédie de ces deux pièces. En quoi est-ce important ?

Les Fausses Confidences et La Seconde Surprise de l’amour sont des comédies, à respecter comme telles. Sans aller chercher un rire forcé, le plaisir et la jubilation du public sont importants dans le processus mis en place par Marivaux. Il y a quelque chose de totalement jubilatoire dans sa langue et dans les situations qu’il invente, et qui implique un aspect fondamental, et politique : chez lui, le public n’est pas un tiers exclu, mais un tiers inclus. Il est mis dans la confidence, par un théâtre qui mise sur son intelligence.

Comment expliquez-vous l’évolution chez vous vers la légèreté et le comique ?

C’est lié à ce que j’évoquais sur la question de l’intentionnalité. Je dois beaucoup, intellectuellement, à l’auteur Edward Bond [1934-2024], mais il y a énormément d’intentionnalité dans son théâtre, et je crois qu’avec le temps on en a vu les limites. Non seulement parce que cela produit du cliché, mais il y a aussi ce constat : pendant des années, on a produit, en France, des spectacles qu’on a crus politiques. On a dit ce qu’il fallait penser, ce qu’il fallait faire. Et où en est-on aujourd’hui ? On se demande s’il n’y a pas eu un effet boomerang.

 

J’ai trouvé magnifique le dernier livre du philosophe Jacques Rancière, Au loin la liberté [La Fabrique éditions, 2024], qui est un essai sur Tchekhov. Il y fait le constat que la littérature politique, la vraie, réside dans la description. Pas dans le discours, pas dans les situations. Tchekhov, Marivaux, Feydeau ou Michel Vinaver [1927-2022] ne vous disent pas ce qu’il faut penser. Ils ont une position plus en biais, moins frontale, qui me semble être devenue beaucoup plus juste aujourd’hui.

 

 

Les Fausses Confidences et La Seconde Surprise de l’amour, de Marivaux. Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris 10e, du 16 avril au 25 mai, et du 4 juin au 13 juillet.

 

 

Propos recueillis par Fabienne Darge / Le Monde 


Légende photo : Alain Françon, metteur en scène, à La Scala, à Paris, le 17 février 2023. CLÉMENTINE SCHNEIDERMANN POUR « LE MONDE »

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 16, 5:48 AM
Scoop.it!

Baisses de subventions de la Région : « Si on continue, dans 10 ans il n’y aura plus d’artistes » par Laure Solé     -   Petit Bulletin Lyon

Baisses de subventions de la Région : « Si on continue, dans 10 ans il n’y aura plus d’artistes » par Laure Solé     -   Petit Bulletin Lyon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laure Solé dans le Petit Bulletin - Lyon - 9 avril 2025

 

C'est une baisse de 12 % du budget consacré au fonctionnement relatif à la culture, à la création et à l'enseignement artistique que la Région Auvergne-Rhône-Alpes a discrètement élaboré. Les lignes des tutelles de nombreux lieux, dispositifs et compagnies ont disparu des commissions culture de la Région tandis que d'autres ont été rabotées.

 

C'est le média national consacré au spectacle vivant Sceneweb qui avait fait les comptes en premier : depuis les commissions culture de février et mars, les couperets tombent sur les artistes et les lieux de toute la région, totalisant une baisse de 5, 2 millions d'euros dans tout l'écosystème culturel du territoire.

 

La Région Auvergne-Rhône-Alpes avait pourtant annoncé une hausse du budget culture-patrimoine par rapport à celui de 2024, de 8, 5 millions d'euros précisément. Force est de constater que c'est surtout le volet patrimoine qui profitera de cette hausse, à hauteur de 34 % contre 11 % pour la partie culture. Une somme qui est allouée à de nombreux projets patrimoniaux tels que le château-musée de Saint-Maurice-de-Rémens, la cité de la civilisation gauloise Gergovia dans le Puy-de-Dôme, la Halle aux blés à Clermont-Ferrand, la restauration du Domaine royal de Randan dans le Puy-de-Dôme et, évidemment, l'agrandissement du musée lyonnais, le Musée des tissus, dont l'ouverture a été repoussée à 2030.

 

Il devait cependant rester une belle part allouée à la culture. Cependant, 33 % du budget culture est dédié à l'investissement. En résulte donc une baisse de 12 % du budget consacré au fonctionnement relatif à la culture, à la création et à l'enseignement artistique. 

Lyon en première ligne

Dans la métropole de Lyon, Ramdam a perdu 8 000 €, le théâtre de l'Iris 5 000 €, la SMAC 07 d'Annonay 30 000 € et AFX Lyon 15 000 € totalisant une baisse de 58 000 € par rapport à 2024.

 

À cela, il faut ajouter le théâtre de l'Élysée, les Clochards célestes, À Thou bout d'chant, la MJC Ménival, Le centre Leo Lagrange – Espace Tonkin Villeurbanne, Le grand nid de poule et Désoblique qui ont disparu des tableaux, perdant au passage la totalité de leurs subventions (pour un total de -139 500€ par rapport à 2024). Mis bout à bout ce sont 197 500€ qui sont désengagés des structures consacrées à la culture, à la création et à l'enseignement artistique dans la métropole de Lyon.

 

D'autres structures de la région ne sont pas épargnées : Le Pacifique, CDCN de Grenoble perd 15 000 € tandis que La Manufacture Aurillac, le Footsbarn théâtre à Hérisson, Le Prunier sauvage, La bobine et Cultur'act à Grenoble ont aussi disparu des tableaux, ce qui représente -78 500€ par rapport à 2024.

 

Les compagnies du territoire ont aussi été visées par une coupe drastique. En tout, 546 000 € de tutelles ont été supprimées depuis l'année 2024. Une baisse qui concerne 23 compagnies auxquelles il faut ajouter les compagnies qui ont disparu du tableau : celle de Maguy Marin, le groupe Émile Dubois (la structure de Jean-Claude Gallotta), la cie Chatha (danse), Les Nouveaux nez (cirque), la cie Kumulus, Magma performing theatre (arts de rue), la cie Travelling, Brozzoni, La belle meunière, Lézard dramatique, Raskine & cie et Scènes (théâtre). Cinq groupes de musique et ensembles se sont aussi vus accorder des subventions rabotées par rapport à 2024 (-57 000 €).

 

Contactée, la Région Auvergne-Rhône-Alpes réfute avoir revu à la baisse le budget de la culture : « Pas un euro de baisse ! Peu d'autres collectivités dans notre région peuvent en dire autant. Nous avons procédé à des rééquilibrages dans le domaine culturel au profit de nos territoires ruraux. »

 

Un argumentaire que la collectivité avait déjà brandi plusieurs fois lors de précédentes baisses de subventions. Pour illustrer son propos, celle-ci évoque un "bon élève", l'Opéra de Lyon qui avait pu récupérer une partie de sa subvention en 2024, en la fléchant exclusivement vers un dispositif d' "Opéra itinérant" dans toute la région : « Nous favorisons désormais tous ceux qui permettent d'amener la culture dans les territoires, notamment vers ceux qui en sont les plus éloignés. La plus belle démonstration de cette nouvelle politique, c'est tout le travail que nous avons mené avec l'Opéra de Lyon. »

 

La Région assume donc, après coup, les coupes ciblées sur les importants centres urbains : un peu Grenoble, surtout Lyon. Au-delà du discours qui motive ces baisses, c'est une décision que de nombreuses structures auraient souhaité anticiper.

 

Des baisses sans préavis

Plusieurs déclarent avoir appris ce revirement en découvrant la ligne manquante dans les tableaux de la Région, parfois au téléphone, parfois entre deux portes. « J'étais en commission DRAC, on est allés fumer une cigarette avec mon conseiller et il m'a annoncé que ma compagnie perdait l'entièreté de sa subvention, soit 25 000€ », témoigne Nadège Prugnard, qui dirige Magma performing theatre ainsi que les Ateliers Frappaz, Centre national des arts de la rue et de l'espace public situé à Villeurbanne. Elle se dit « accablée », une grande partie de cette subvention devait servir des actions culturelles écrites en partage avec les Ateliers Frappaz. Elle ne se résout pas à une fin de non-recevoir : « on a déjà pris des engagements auprès d'acteurs, c'est très compliqué de rétropédaler ».

 

Du côté de l'école de cirque de Lyon – MJC Ménival, c'est l'entièreté du projet de l'école qui est remis en cause. La formation préparatoire aux grandes écoles de cirque reconnue par le ministère de la Culture a perdu l'entièreté de sa subvention, soit 60 000 €, sans laquelle il semble impossible d'amener les douze élèves au terme de leur cursus de deux ans, car celle-ci risque de fermer en juin prochain. La formation préparatoire jouit pourtant d'un taux de réussite record de 80 % en écoles supérieures. Celle-ci irrigue directement les 160 compagnies présentes sur le territoire, dont 52 % sont diffusés hors région, 14 % à l'étranger et 34 % dans la région. « Les élèves sont en état de choc. On leur coupe leurs rêves, leur projet professionnel », témoigne Nadège Cunin, coordinatrice générale de l'école de cirque de Lyon qui évoque la responsabilité de la Région en matière de formation et s'inquiète des impacts sur le long terme : « Si on continue dans cette direction, dans 10 ans, il n'y aura plus d'artistes de cirque. On sabote le premier maillon de la chaîne. » L'école a d'ailleurs lancé une pétition en ligne pour inciter la collectivité à rouvrir le dialogue.

Quelle place pour l'émergence ?

La MJC Ménival – école de cirque de Lyon était accompagnée par la Région au titre de l'appel à projets Scènes découvertes lancé par la Ville de Lyon et auquel la Région était partenaire avec la DRAC. La collectivité se retire du dispositif sans avoir préalablement sollicité de bilan et déclare « souhaiter analyser les projets au regard de ses critères d'aides aux lieux du spectacle vivant (diffusion, soutien à la création et action culturelle) et des équilibres territoriaux ».

 

Cinq structures lyonnaises sont concernées. Pour le théâtre de l'Élysée, c'est un poste à mi-temps, des heures d'intermittence et des coproductions qui disparaissent, pour le théâtre des Clochards célestes, plus de minimum garanti et de défraiement pour les artistes, plus de brochure de saison, peu ou plus de déplacements pour aller voir des spectacles en dehors de Lyon. Pour la salle de concerts À Thou bout d'chant, c'est un 35h qui saute, et au moins huit concerts et deux projets d'action culturelle avec des lycéens qui passent à la trappe, sans compter les résidences d'artistes qui vont, elles aussi, se raréfier. « À l'échelle de la Région, les montants sont pourtant petits », rappelle Emma Nardone qui codirige la salle de concert. C'est 15 000 € en moins pour À Thou bout d'chant, même montant pour l'Élysée, 17 000€ pour le théâtre des Clochards célestes. « C'est pourtant énorme à l'échelle de nos budgets », abonde Martha Spinoux-Tardivat, la directrice du théâtre des Clochards célestes qui rappelle que « les compagnies qu'on fait jouer sont en grande partie issues des territoires de la région, nous sommes le premier maillon de la chaîne, essentiel pour que les artistes puissent exister, et éventuellement, évoluer ». Emma Nardone approuve et rappelle qu'avant de remplir des Zéniths, des artistes comme Terre noire, ou Pomme, sont passés par les planches d'À Thou bout d'chant. Des petites jauges qu'on ne retrouve peu ou pas en ruralité : « J'y vois une forme d'eugénisme... on garde que ce qui est très gros, visible, sans se poser la question des autres formes existantes ou de ce qui a permis leur émergence », conclut Martha Spinoux-Tardivat.

De nombreux lieux et artistes espèrent voir leur structure réévaluée au cours des prochaines commissions culture de la Région. Pour rappel, le festival Sens interdits n'avait obtenu sa subvention de 2024 qu'en octobre dernier. Certaines d'entre elles n'ont d'ailleurs pas souhaité prendre la parole, jugeant trop grand le risque d'être identifiées persona non grata par la collectivité, et de perdre ainsi l'hypothétique retour de leur tutelle.

Raconte-moi la suite

En tout état de cause, ce régime sec interroge. Pour rappel, le controversé spectacle Raconte-moi la France avait bénéficié d'un soutien à la promotion de 445 000€ puis de 60 000€ par la Région en 2024. Au-delà du geste particulièrement généreux, force est de constater que le spectacle est à l'arrêt depuis ses premières dates à Clermont-Ferrand données du 26 au 31 octobre 2024. Les représentations lyonnaises ont été annulées et aucune nouvelle date n'a été annoncée depuis. D'après la Région, « les spectacles lyonnais ne sont pas annulés mais reportés de quelques mois pour des raisons d'organisation. La tournée de ce spectacle grandiose, est prévue dans trois à quatre villes par an pendant cinq ans. »

 

Laure Solé / Le Petit Bulletin - Lyon 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
Today, 5:38 PM
Scoop.it!

«Portrait de Ludmilla en Nina Simone» : scène de résistance en Louisiane 

«Portrait de Ludmilla en Nina Simone» : scène de résistance en Louisiane  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkineenvoyée spéciale à La Nouvelle-Orléans et à Lafayette (Louisiane) publié par Libération le 1er mai 2025

 

Les représentations du spectacle du Français David Lescot, vibrant hommage à l’artiste afro-américaine, ont secoué le public de La Nouvelle-Orléans et de Lafayette. «Libé» a suivi sa tournée américaine dans un Etat au passé esclavagiste et menacé par la croisade de Donald Trump contre l’éducation et la culture.

 

Un tout petit spectacle français peut-il prendre le pouls de la tragédie politique qui traverse les Etats-Unis ? Et plus spécifiquement la manière dont l’investiture de Trump corrode les droits civiques en amplifiant les discriminations tout en les légitimant ? Une immense star internationale telle Nina Simone est-elle plus subversive en 2025 que dans les années 1960 ? Que se passerait-il si elle revenait aujourd’hui pour arpenter la scène comme elle l’a fait à Harlem (New York) en 1969 lors d’un concert en plein air, en reprenant les mots du poète David Nelson : «Etes-vous prêts, les Noirs ? Vous êtes prêts à faire ce qu’il faut ? Vous êtes prêts à tuer s’il le faut ? Vous êtes prêts à démolir le monde blanc ? A incendier les bâtiments ? Vous êtes prêts à construire un monde noir ?»

Oui, que lui arriverait-il sous l’ère Trump qui, tout occupé soit-il à obtenir «la paix» dans le monde, trouve encore le temps de se faire nommer président de la prestigieuse salle de spectacle Kennedy Center à Washington car «c’est fini le wokisme dans ce pays» ? Et que se passe-t-il lorsque la comédienne et chanteuse Ludmilla Dabo, en narrant cet épisode qui a fait date, la cite in extenso sur une scène de La Nouvelle-Orléans – ville-exception antitrumpiste en Louisiane – à l’Acadiana Center for the Arts, un théâtre à Lafayette, où la grande majorité des habitants a donné ses voix au président actuel ?

 

La tournée américaine 2025 de Portrait de Ludmilla en Nina Simonedébutée à Vancouver en mars, et poursuivie à Seattle et Los Angeles, avec pour point d’orgue quatre concerts en Louisiane, témoigne de la destinée joyeusement imprévisible de ce spectacle fait avec presque rien, initié par la Comédie de Caen en 2017 qui passait commande à différents artistes sur une figure obsédante ou inspirante. Huit ans plus tard, ce double portrait d’une icône et de son interprète, qui n’avait pas été conçu pour durer et encore moins pour sillonner la planète, s’est joué un peu partout, sur trois continents et dans tous lieux – théâtres, prisons, écoles – et n’en finit pas de s’enrichir de nouvelles strates, nouvelles résonances, y compris pour ses deux acteurs – Ludmilla Dabo et David Lescot. Autrement dit, rien ne se répète, tout se découvre – «plus on joue un spectacle, plus on est libre de se laisser traverser par l’inattendu»,  remarque David Lescot contre l’idée reçue de l’usure par la routine.

 

Un trouble saisit l’assistance

Ce qui rend particulièrement mouvant ce double portrait, alors que ni le texte ni la musique ne changent, c’est sa porosité à l’instant présent, sa manière de tourner vers la salle un miroir, et d’un soir à l’autre, le reflet n’est jamais le même. A sa création en France, on se laissait bouleverser par le récit de Ludmilla Dabo qui se souvenait des éclats de rire qu’elle suscitait au Conservatoire national d’art dramatique lorsqu’elle disait rêver de jouer Agnès dans l’Ecole des femmes. Ainsi, à Paris il y a seize ans, il allait de soi qu’une jeune actrice à la peau noire ne pouvait avoir accès aux rôles du répertoire sans tordre les pièces. «On disait qu’il fallait que le choix ait un sens, se souvient David Lescot. Il y avait une grande inertie à représenter la société telle qu’elle est.» Ce qui pour le coup, sidère les étudiants et les comédiens américains.

 

«Vous êtes prêts les Noirs ? Vous êtes prêts à vous lever ?» A chaque fois, un trouble saisit l’assistance. Tiens, deux personnes ulcérées et livides quittent la salle du théâtre Lupin de l’Université Tulane, à La Nouvelle-Orléans. Electricité dans un rang où une bande d’une quinzaine de jeunes filles racisées se regardent incrédules. Leur intime-t-on pour de bon de se lever ou reste-t-on dans un espace fictionnel et symbolique ? Elles hésitent. Pour la très grande majorité d’entre elles, qui sont venues par l’intermédiaire  de l’association Operation Restoration – l’organisme a pour mission d’aider les familles de détenus et les femmes incarcérées –, il s’agit de leur première expérience théâtrale. En revanche, certaines ont déjà mis les pieds à Tulane, toujours par le biais de l’organisme qui y organise des cours.

 

Subventions «gelées»

Tulane : impressionnante ville dans la ville, avec ses magasins, ses cafés, ses salles de sport, ses sweats et peuplée en grande partie par la jeunesse aisée californienne ou new-yorkaise – sans bourse, il faut tout de même compter 80 000 dollars (plus de 70 000 euros) l’année d’étude ! Une doctorante qui travaille sur le genre et la sexualité dans la littérature marocaine raille : «On ferait mieux de rendre la fac plus accessible à la jeunesse de La Nouvelle-Orléans, plutôt que de réagir aux annonces incessantes de Trump, invalidées cinq minutes plus tard. Ça distrait de l’essentiel.»

 

 

Certaines annonces sont cependant bien à effet immédiat. Operation Restoration voit déjà la plupart de ses subventions «gelées», telles celles accordées par le département de la Justice et le National Endowment for the Arts, une agence culturelle fédérale indépendante. Entre le temps du reportage et sa parution, le poste dédié à la recherche des fonds publics a d’ailleurs été suspendu tout simplement parce qu’il ne servait plus à rien. Sans compter la difficulté de rédiger les appels sans utiliser les mots qualifiés désormais de suspects tels que ceux de «femme», «LGBT», «équité» selon une liste qui en comprend plus de 200.

 

A Tulane comme ailleurs, le programme en faveur de la diversité a modifié son intitulé dans l’espoir de ne pas disparaître. L’université, à la pointe de la recherche médicale, voit un budget de plusieurs millions de dollars «en suspens». Une enseignante à l’université de Washington à Seattle, où la petite équipe a donné deux représentations salle comble et un workshop, ne cache pas son désespoir : «Je serais bien naïve de ne pas ressentir le danger. A l’origine, l’enseignement supérieur était réservé aux hommes blancs et riches. Les enseignants ont passé des décennies à le rendre accessible à tous, mais aujourd’hui, le Président a signé le décret exécutif pour démanteler le ministère de l’Education, ce qui affecte à la fois l’enseignement supérieur et les écoles. De moins en moins de personnes auront accès au savoir, et le savoir disponible sera incomplet. Il y a une tentative continue de blanchir à la fois l’histoire et le présent.»

 

Entre autres exemples, elle constate la disparition de la page web du Pentagone consacrée aux Navajos «code talkers», ces quelques dizaines d’Amérindiens recrutés par l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale pour mettre au point un langage codé. Hasard ou pas, le Noma (le musée d’art de La Nouvelle-Orléans) qui propose une exposition sur les masques modernes par des artistes venant du Cameroun, du Sénégal et du Burkina Faso, vient d‘apprendre qu’il perdait la majorité de ses subventions publiques, la dotation de la Louisiane pour les arts étant amputée de 600 000 dollars. En raison de son tropisme multiculturel ?

Incarcération de masse

Vite, les jeunes conduits par Opération Restoration filent, leur référente les attend, et le bus aussi. Echange rapide à la sortie avec deux d’entre elles, Maddie, 15 ans, et Chloé, 17 ans, dont les parents sont incarcérés, et qui bossent tout en étant lycéennes. C’est la première fois que Chloé va au théâtre – la deuxième seulement pour Maddie – et si c’est ça le théâtre, elle y reviendra pour découvrir d’autres grandes figures. Ce qui les a le plus marquées ? Une unique séquence silencieuse où l’actrice change à vue de costume et coiffe ses cheveux sous un turban. Un moment de suspension et de légère attente, l’identité n’étant jamais fixée dans cette pièce où Ludmilla Dabo n’imite pas Nina Simone, mais offre le sentiment rare que c’est Nina Simone qui a pris ses traits et sa voix. L’association Operation Restoration, fondée en 2016 par Syrita Steib, elle-même ancienne détenue, n’est pas arrivée dans la salle de spectacle par hasard. Si ses missions ont trait à l’accès au logement, aux soins et à l’éducation, elle a noué depuis quelques mois un partenariat avec l’Alliance française de La Nouvelle-Orléans, à l’initiative de son nouveau directeur, Alan Nobili.

Ah bon ? Mais on croyait que l’Alliance française, partenaire essentiel des tournées françaises à l’étranger, était surtout fréquentée par une peuplade d’expatriés avides de se retrouver ? Alan Nobili envisage un peu différemment sa mission en Louisiane, en raison de l’importance croissante et symbolique du français dans la région en ouvrant ses portes à celles et ceux qui, jusque-là, ignoraient son existence. Pour beaucoup des habitants de cet Etat du sud, même si seuls leurs parents ou grands-parents parlaient cette langue (ou un créole mâtiné de cajun) elle reste associée à leur histoire spécifique et parfois même à un mouvement de résistance contre l’envahisseur yankee.

 

 

Dans la petite ville de Lafayette qui use de sa propre langue créole du Bayou, le kouri-vini, le nom des rues est de nouveau en français et les annonces à l’aéroport également, ce qui ne manque pas de surprendre. La quarantaine d’écoles publiques – environ 5 500 enfants – où le français est enseigné dès la maternelle est en augmentation. Alain Nobili explique que «traditionnellement, les Alliances s’appuient sur la culture des lieux où elles sont implantées». A La Nouvelle-Orléans, il y a bien sûr la communauté des Black Indians qui chaque année démontre sa vitalité par d‘extraordinaires manifestations dans toute la ville, les célèbres parades hebdomadaires, la musique que les enfants pratiquent comme une langue ou le foot dès la maternelle, un esprit hédoniste et festif qui n‘a rien d‘un cliché. Mais aussi l’incarcération de masse dans des prisons à but lucratif et très rentables d‘une population essentiellement noire. Championne du monde de l’emprisonnement, la Louisiane n‘a pas encore abandonné le travail forcé de prisonniers rémunérés 2 à 5 cents par heure (soit 0,1 à 0,4 euros) depuis la fin de l’esclavage.

C’est une médecin-urgentiste française qui nous explique cette persistance du passé esclavagiste en Louisiane lors d’un raout chez un mécène de l’Alliance française, tandis que Ludmilla Dabo et David Lescot jouent dans un brouhaha – comme Nina Simone s’est elle-même parfois produite au début de sa carrière. Le mécène chez qui se déroule la soirée a contribué à hauteur de  4000 dollars aux deux représentations de La Nouvelle-Orléans.

 

Dans un pays où la culture n’est pas un service public – et l’éducation de moins en moins –, les levées de fonds privées mises en œuvres par les Alliances françaises sont des impératifs même lorsque la tournée se déroule en partie dans des campus qui possèdent leur propre théâtre.

Contrairement aux scènes privées soumises au box-office, ces scènes universitaires n’ont aucune obligation de billetterie. Pour autant que le département théâtre de l’université ne dépende pas des subsides locaux ou fédéraux, cette marge de manœuvre leur permet d’inviter des formes peu mainstream, qui ne pourraient pas se produire ailleurs. C’est particulièrement vrai dans des villes de taille moyenne comme La Nouvelle-Orléans (360 000 habitants hors faubourgs, 700 000 en les incluant), qui compte beaucoup de scènes musicales mais peu de théâtre comme nous l’explique Victor Holtcamp qui dirige le département théâtre de Tulane.

Travail forcé, travail rentable

«Pas de boulot», marmonne Stéphanie, conductrice afro-américaine,  dans son Uber. Elle est informaticienne, mais la boîte pour laquelle elle travaillait a fermé pendant l’épidémie de Covid. Elle dit que depuis Trump, c’est juste le «mess» (bordel), et que les discriminations, elle n’a connu que ça depuis l’enfance. «Faut attendre les prochaines élections présidentielles, c’est tout.»

Effet surprenant, lorsqu’on passe devant le cimetière de la ville : les caveaux dépassent pour moitié de l’enceinte, ils sont surélevés afin que les morts ne soient pas emportés en cas d’ouragan. Le traumatisme de Katrina, qui a pourtant eu lieu il y a déjà vingt ans, ne se laisse jamais oublier : depuis, la ville a perdu environ 200 000 habitants, et assurer sa maison ou voiture est devenu inaccessible au commun des mortels. Les habitants ne s’assurent plus, ils prennent le risque de tout perdre ou quittent la ville qui se vide, faute également d‘attractivité économique. Autre étonnement : on a beau s’en approcher, le Mississippi demeure invisible, le fleuve mythique se cache derrière de hautes digues, construites par des esclaves puis encore et toujours par des détenus.

On roule avec Alan Nobili dans le grand quartier des prisons qui ne cesse de s’étendre. Le tribunal jouxte l’une d’elles, aucun temps perdu – la plus connue d’entre elles, surnommée Angola, est plus grande que Manhattan. Alan Nobili le répète : «Grâce à leur main-d‘œuvre gratuite, les prisons remportent une grande partie des marchés auxquels elles candidatent.» Travail forcé, travail rentable. Les termes utilisés sont évocateurs : bien que le «convict leasing system» (qu’on peut traduire par «système de location de prisonniers») soit officiellement interdit depuis des décennies, on parle bien de «louer» à des entreprises une main-d‘œuvre gratuite, qui redisons-le, n‘a pas le droit de refuser de travailler.

«Du reste, poursuit Alan Nobili, quand l’esclavage a été aboli, le 13e amendement décrétait : “Personne ne peut être soumis à l’esclavage sauf en cas d’activité criminelle.”» L’Etat fédéral racheta les anciennes plantations qu’elle transforma en prisons, et tout naturellement, les anciens contremaîtres devinrent gardiens de père en fils, qui continuèrent à surveiller la récole du coton et la culture de la canne à sucre.

«C’est très provocateur»

La déambulation nous ramène à Nina Simone. A Lafayette, où s’enchaînent deux représentations à l’Acadiana Center for the Arts, Ludmilla Dabo est prise de vertige pendant qu’elle chante  Mississippi Goddam, l’une des compositions les plus célèbres de Simone, censurée à sa création en 1964 dans les Etats du sud et par de nombreuses radios. Ici, dans ce paysage, sur cette scène, elle a été envahie par ce que décrit cette chanson et qu’elle n’avait jamais autant charnellement perçu, alors qu’elle la chante depuis l’enfance. L’interprétation des deux dernières représentations à Lafayette se teinte de la couleur d’un manifeste.

 

 

Brandon Motz, le directeur artistique du théâtre, note avec bonheur et surprise qu’il y a dans la salle foule de spectateurs qu’il n’a jamais vus dans le théâtre – des affiches ont été posées dans les commerces avoisinants : une bande d’adolescents noirs sourds et muets au dernier rang avec une accompagnatrice qui leur traduit la représentation en langage des signes, des femmes à la peau noire ultra-réactives, une ambiance joyeuse… Peut-on citer le directeur artistique sans le mettre en danger ? C’est le propre des Etats qui basculent dans le totalitarisme que de susciter ce type de questionnements et de mises en garde.

 

 

Non, Brandon Motz n’avait pas vu le spectacle avant de le programmer, même en vidéo. Il introduit la deuxième représentation par un discours à la sincérité intense. Evidemment, pour une oreille européenne, il paraît plus qu’étrange qu’accueillir aux Etats-Unis un spectacle français sur une icône noire américaine des années 1960 puisse être un acte de courage. Et pourtant, le mot «courage» est bien prononcé à plusieurs reprises dans l’assistance, et parmi les spectateurs, le chanteur Zachary Richard, qui a fait de la culture cadienne le combat de sa vie, est visiblement ébranlé : «C’est très provocateur.» Après un silence, il ajoute : «Dans le bon sens du terme.» On lui demande de préciser : «Ça provoque la pensée.»

 

 

Une partie des mécènes qui composent le conseil d’administration ont voté Trump, et Brandon Motz doit, nous explique-t-il, «les ménager». Pour autant, si c’était à refaire, il reprogrammerait  «évidemment» ce double portrait. Contrairement aux habitudes du public américain qui d‘ordinaire applaudit brièvement et quitte la salle prestement, une partie des spectateurs demeure pour le bord plateau, et rechigne même à sortir du théâtre si bien qu’entre les deux représentations pourtant épuisantes, Ludmilla Dabo et David Lescot ne rejoignent pas la coulisse. Une femme est en pleurs. La deuxième représentation elle aussi se clôt par des prises de paroles qui se poursuivent ensuite pendant une bonne heure par des conversations privées sur la scène avec les interprètes.

 

 

Anne Diatkine / Libération

Portrait de Ludmilla en Nina Simone de David Lescot. En tournée en France 24 mai au Théâtre de la Ville, festival des places à Paris, le 28 juin au festival confluences à la Garde (Var) , les 16 et 17 octobre à Vélizy (Yvelines), le 21 novembre à Vigny, le 6 décembre à Vétheuil, le 13 ou le 20 février 2026 à Champagne-sur-Oise, le 27 mars à Vauréal, le 28 mars à Ezanville (Val-d’Oise), les 8 et 9 avril à Quimper.
Légende photo : Ludmilla Dabo au Lupin Theater à l’Université Tulane à La Nouvelle-Orléans, le 18 mars 2025. (Camille Farrah-Lenain/Libération)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
Today, 4:16 AM
Scoop.it!

Pierre Gendronneau, le numéro deux du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions après des signalements de violences sexuelles sur un précédent poste

Pierre Gendronneau, le numéro deux du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions après des signalements de violences sexuelles sur un précédent poste | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Le Monde avec AFP - 30 avril 2025

 

 

Le départ du directeur délégué est prévu le 13 juin, a annoncé Tiago Rodrigues, le directeur du Festival. Une enquête interne a été menée en novembre et décembre par le cabinet spécialisé Egaé, après que le ministère de la culture a saisi le procureur de la République pour des signalements à son sujet.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/30/pierre-gendronneau-le-numero-deux-du-festival-d-avignon-va-quitter-ses-fonctions-apres-des-signalements-de-violences-sexuelles-sur-un-precedent-poste_6602035_3246.html

Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions le 13 juin, à la suite « d’accusations » de violences sexuelles et sexistes alors qu’il occupait un poste dans une autre organisation, a annoncé, mercredi 20 avril, le directeur du Festival, Tiago Rodrigues.

 

« Nous avons annoncé aujourd’hui à l’équipe du Festival le départ de Pierre Gendronneau des fonctions de direction délégué, pour des raisons personnelles et pour poursuivre d’autres horizons professionnels », a déclaré à l’Agence-France Presse M. Rodrigues, confirmant une information de Télérama. Ce départ « a été pris d’un commun accord », a-t-il précisé, sans confirmer s’il s’agit d’une rupture conventionnelle. M. Gendronneau avait été nommé en février 2023.

 

Une enquête interne a été « menée en novembre et décembre » par le cabinet spécialisé Egaé, dirigé par Caroline De Haas. « Plusieurs avocats indépendants », sollicités par le Festival, ont conclu que « l’enquête ne révélait pas de faits avérés de harcèlement ou de violence de la part de Pierre Gendronneau pendant sa période de travail au Festival », a précisé Tiago Rodrigues.

 

 

Des signalements étaient parvenus à propos de M. Gendronneau au ministère de la culture, qui avait déclenché l’article 40 du code de procédure pénale, et informé le procureur de la République pour qu’il décide des suites judiciaires à donner à ces accusations. Le Festival a été informé de ces signalements début novembre, a expliqué M. Rodrigues, et a décidé de lancer cette enquête interne dans les « deux jours » qui ont suivi.

Une enquête menée également au Festival d’automne

A la suite de l’enquête d’Egaé, « Pierre Gendronneau a continué à son poste. Cependant, le fait qu’il y ait des accusations envers lui antérieures à son arrivée au Festival d’Avignon et d’autres enquêtes déclenchées a créé un climat de suspicion à son égard. Cela devenait impossible pour lui de mener sa mission », a encore déclaré M. Rodrigues.

 

Le Festival d’Automne à Paris, où M. Gendronneau a été l’adjoint du directeur Emmanuel Demarcy-Mota, a confirmé une information de Télérama selon laquelle le cabinet Egaé a également été mandaté pour une enquête. « Près de deux ans après son départ, soit à l’automne 2024, m’ont été signalés par une salariée qui disait en avoir été victime des faits de harcèlement sexuel de la part de Pierre Gendronneau », a expliqué à l’Agence France-Presse M. Demarcy-Mota.

 

 

« Un signalement a été fait au ministère. J’ai demandé à pouvoir en parler avec tous les membres de l’équipe du Festival, et nous avons mis en place une procédure pour parvenir à un diagnostic. Mais Pierre Gendronneau n’étant plus salarié, il n’y a pas de contradictoire, et pas de sanction possible au sein du Festival d’Automne », a-t-il ajouté.

Avant 2023, Pierre Gendronneau a aussi été chargé de production à la Scène nationale de Sénart et directeur de production au Centre dramatique national de Montreuil. La 79e édition du Festival d’Avignon est prévue du 5 au 26 juillet 2025.

 

 

 

Le Monde avec AFP

 
Légende photo : Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon, à Avignon (Vaucluse), le 1ᵉʳ août 2023. ANGÉLIQUE SUREL/PHOTOPQR/LE DAUPHINE/MAXPPP
 
 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 30, 6:58 PM
Scoop.it!

Malaise à Avignon : un pilier du festival sur le départ, après des signalements de plusieurs femmes

Malaise à Avignon : un pilier du festival sur le départ, après des signalements de plusieurs femmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 30 avril 2025

 

 

 

INFO TÉLÉRAMA – Pierre Gendronneau, numéro 2 du festival de théâtre avignonnais, va quitter son poste au mois de juin. Neuf signalements de VSS ont été comptabilisés au sein de l’organisation en 2024, dont plusieurs toucheraient le même homme.

 


Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/malaise-a-avignon-un-pilier-du-festival-sur-le-depart-apres-des-signalements-de-plusieurs-femmes-7025451.php

 

Malaise à Avignon : un pilier du festival sur le départ, après des signalements de plusieurs femmes

INFO TÉLÉRAMA – Pierre Gendronneau, numéro 2 du festival de théâtre avignonnais, va quitter son poste au mois de juin. Neuf signalements de VSS ont été comptabilisés au sein de l’organisation en 2024, dont plusieurs toucheraient le même homme.

 

Cest l’histoire du départ très secret, énigmatique et soudain, de Pierre Gendronneau, 35 ans, de la direction déléguée du Festival d’Avignon. Annoncé ce mercredi 30 avril, il est prévu au début du mois de juin. Juste avant que n’y commencent les festivités théâtrales. Mais pour les préparer jusqu’au dernier moment, tant Tiago Rodrigues, patron d’Avignon, vante les compétences tout terrain de l’ex-directeur adjoint d’Emmanuel Demarcy-Mota au Festival d’automne, qui maîtriserait à merveille depuis quinze ans les rouages de la production et de la diffusion des artistes en France et à l’étranger. Publié par le collectif féministe Collectives sur Instagram, le 17 octobre 2024, un appel à témoignage avait bel et bien intrigué. Il concernait « un cadre de direction d’un festival de théâtre, la trentaine ». S’ajoutait à leur message en fines lettres blanches « Si tu penses reconnaître ton agresseur, tu peux nous contacter » ; Collectives propose en effet de mettre en relation les victimes d’un même offenseur potentiel.

 
Certes, il n’y a pas tant de festivals spécifiquement consacrés au théâtre. Mais aucune rumeur n’était encore remontée. Même si on avait été surpris de l’audition embarrassée d’Ève Lombart, administratrice générale du Festival d’Avignon, devant la Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. À l’Assemblée nationale, face à la présidente Sandrine Rousseau et à la demande du rapporteur Erwan Balanant, elle comptabilisait en effet neuf signalements de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) dès le début du Festival 2024 (contre onze en 2023, un en 2022, deux en 2021). Sans plus de précisions sur le ou les auteurs suspectés. Mais Erwan Balanant avait temporisé : « Ce n’est pas nécessairement mauvais signe, mais signe que les gens parlent et ont la capacité d’être entendus»

Un puzzle difficile à recomposer

Questionnée sur la difficulté de traiter ces signalements, Ève Lombard, qui dirige seule ces enquêtes internes, avait pourtant répondu après un silence : « Le traitement de ces signalements est en soi difficile parce qu’il interroge des situations de travail qui sont douloureuses pour les personnes qui viennent les signaler. Elles sont parfois délicates à explorer, parce qu’il y a beaucoup de peur, et cette peur, d’après les autrices des signalements, est celle des représailles et du collectif, du regard du collectif sur les signalements qu’elles font. C’est la raison pour laquelle elles demandent de la confidentialité, et cette confidentialité, nous devons la respecter. Nous nous y engageons. C’est un gage de confiance qui fait que nous continuons d’avoir des signalements. »

La confidentialité a été respectée. Les personnes à l’origine des signalements ont refusé de nous parler, et Pierre Gendronneau aussi, qu’elles ont signalé au ministère de la Culture pour VHSS après en avoir informé leur patron, Emmanuel Demarcy-Mota pour l’une, Tiago Rodrigues pour l’autre. Même leurs avocats ne se sont pas laissé approcher. Au ministère aussi les deux jeunes femmes avaient réclamé l’anonymat. Mais la chose y est impossible, quand, après un signalement, il s’agit de déclencher l’article 40 du Code de procédure pénale et de saisir sans délai le procureur de la République. Qui décidera seul s’il faut donner suite au dossier. Pour refuser si catégoriquement de faire entendre sa souffrance, la crainte doit être forte d’être stigmatisée dans son métier et dans sa vie privée…

 

Le nom de Pierre Gendronneau a été bien gardé. Et le puzzle difficile à recomposer. Sans l’aide de Françoise Nyssen, ex-ministre de la Culture et présidente du Conseil d’administration du Festival d’Avignon, qui s’agaça même qu’on lui pose la question. Sans l’aide de Tiago Rodrigues, qui se réfugia derrière le droit du travail et du légitime devoir du patron de protéger la dignité de ses salariés, victimes alléguées ou prétendus coupables. Tout juste admit-il dans sa volonté affichée d’exemplarité en matière de VHSS au Festival d’avoir demandé à Caroline de Haas et son agence Egaé de mener une enquête interne de deux mois après les neuf signalements. Dont plusieurs toucheraient le même homme. Elle a rendu son rapport après Noël. Au moment même où Pierre Gendronneau se mettait en télétravail et ne réapparaissait plus. Pour raisons de santé, selon Tiago Rodrigues, qui devrait annoncer un départ aujourd’hui même, négocié sous forme de rupture conventionnelle. À croire que ce poste est maudit. Après y avoir été nommée par Tiago Rodrigues dès son arrivée, Anne de Amézaga ne le quitta-t-elle pas elle aussi, rapidement, en 2023 ?

Personne n’ose parler

Côté Festival d’automne, les langues ne se sont déliées que lentement, près de deux ans après le départ de Pierre Gendronneau. Et parce que les deux victimes alléguées se sont rapprochées l’une de l’autre lors du Festival d’Avignon 2024. Au point de déposer ensemble leur signalement au ministère. Emmanuel Demarcy-Mota a donc aussi mandaté Caroline de Haas pour poser un diagnostic en matière de VHSS au Festival d’automne. Elle l’a rendu voilà trois semaines. Y seraient évoqués des harcèlements sexuels et sexistes. De toute façon, impossible à Emmanuel Demarcy-Mota d’entamer une procédure contre un ex-bras droit, qui ne travaille plus rue de Rivoli.

 

La rumeur a peu à peu enflé, même si personne n’ose parler. C’est fréquent quand les postes des potentiels agresseurs sont haut placés et les suites de carrière menacées. Alors ? Pourquoi ce départ si aucune plainte ne semble déposée et si la personne à l’origine des signalements d’Avignon continue d’y travailler ? Pierre Gendronneau choisit-il, et de son propre chef, de quitter le Festival d’Avignon pour ne pas entacher la réputation de ce dernier ? Et comment bien faire en effet son travail de directeur délégué dans un tel climat de suspicion et de méfiance ?

Tiago Rodrigues, qui a accepté ce départ, craindrait-il aussi d’être affaibli par cette affaire, peu de mois avant que soit renouvelé son propre mandat à la direction du Festival ? Il se décide d’ordinaire au Conseil d’administration qui suit la troisième édition confiée au directeur, donc à l’été 2025. C’est à ce moment-là aussi qu’on devrait nommer le prochain directeur délégué. Car c’est toujours un duo que choisit le CA pour diriger le Festival. Le nom d’une femme serait désormais dans les tuyaux. Peut-être moins de risques.

 

Fabienne Pascaud/ Télérama 

Légende photo : Le Palais des papes, à Avignon. Photo Agathe Poupeney/Alamy

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 30, 10:23 AM
Scoop.it!

Avec « Journée de noces chez les Cromagnons », Wajdi Mouawad signe une tragédie en huis clos

Avec « Journée de noces chez les Cromagnons », Wajdi Mouawad signe une tragédie en huis clos | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Lee Monde - 29 avril 2025

 

En cinq actes rugueux menés au pas de charge, l’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, livre une fable corrosive sur la famille.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/29/avec-journee-de-noces-chez-les-cromagnons-wajdi-mouawad-signe-une-tragedie-en-huis-clos_6601724_3246.html

C’est la pièce des commencements, celle qui précède les succès à venir et qui préfigure les fresques déliées articulant passé et présent, réel et fiction, France, Canada et Liban. Bien avant la trilogie Littoral (1997), Incendies (2003) et Forêts (2006), bien avant Tous des oiseaux (2017) ou Racine carrée du verbe être (2022), et enfin bien avant qu’il ne dirige le Théâtre de la Colline, à Paris, l’artiste libano-canadien Wajdi Mouawad a écrit Journée de noces chez les Cromagnons.

 

 

 
 

Le texte originel date de 1991, mais n’avait jamais été monté jusqu’à 2024 où, lors du Printemps des comédiens à Montpellier, Wajdi Mouawad en crée une version remaniée. Proposée, à partir du mardi 29 avril, sur le grand plateau de La Colline, la trame en est actualisée par l’insertion d’un double de l’auteur convoqué au temps de son exil canadien. Un ajout qui ne surprend pas, le dramaturge ayant l’habitude d’installer un narrateur omniscient au cœur de ses histoires. Mais le geste, cette fois, manque de naturel et, sauf à vouloir tempérer la brutalité quasi ontologique de Journée de noces…, cette irruption tardive d’un tiers personnage ne s’imposait pas.

 

Cette réserve mise de côté, la fable est sidérante d’humour désespéré et de violence corrosive. Cette violence irrigue les mots, les actions, les relations et les situations que traverse la famille de Neel, jeune héros fragile qui cohabite avec ses parents et sa sœur dans un appartement menacé par les bombes.

 

C’est en se souvenant de ces bombes détruisant le quartier où se trouvait sa maison à Beyrouth que Mouawad, à l’âge de 23 ans seulement, a expulsé de lui une tragédie qui coche tous les codes du genre. Unité de lieu (l’appartement familial), de temps (une journée), d’action (les préparatifs d’un mariage). Jusqu’à la présence d’un chœur, assumé par une future mariée, qui demeure longtemps invisible, dissimulée dans une boîte opaque et coulissante. Rapatriée des rives antiques, cette Cassandre de circonstance décrit la guerre, horreurs et beautés confondues.

Un habitacle hermétique

A l’exception de ce regard porté sur un au-dehors chaotique, la scène n’autorise aucune échappatoire. Un caisson de bois clair, conçu par le scénographe Emmanuel Clolus, enferme les protagonistes dans un huis clos ravageur, à peine troublé par les irruptions d’une voisine et d’un mouton égorgé sur le seuil de la porte d’entrée. L’habitacle hermétique où tout, du lit à la table, est posé de travers, pourrait être un refuge protecteur. Il n’en est rien. Une tragédie ne se résout que par la mort. Celle-ci s’invite en fin de parcours : Neel est atteint par une balle.

 

En cinq actes rugueux menés au pas de charge, ce spectacle saisissant, qui manie avec rudesse le rire et l’effroi, parvient à dépasser la psychologie pour accéder à l’archétype. Pas un des protagonistes qui ne se dissolve dans un flou interprétatif. La mère est tyrannique et surprotectrice. Le père est viril et colérique. La sœur qui souffre de narcolepsie répète les mêmes questions en boucle et attend un fiancé qui n’existe pas (croit-on), puisque son mariage est une pure invention des parents. Piégé dans cette toile d’araignée affective et mentale, le fils s’évade en pensant à son frère, Walter, grand absent et victime probable du conflit.

 

Le texte est joué en arabe libanais surtitré en français. Une langue qui claque d’autant plus que les acteurs ont du coffre. Décibels poussés au maximum pour une farce qui solde les restants de civilité dans des assauts de sauvagerie. Les salades s’écrasent sur le plateau. Le mouton sanguinolent est suspendu par les pattes. Le fils humilie la voisine. Le père insulte la mère. La mère hurle. Pourquoi feindre la délicatesse et simuler la douceur quand, au-dehors, les rues se jonchent de cadavres ? Le décor (comme l’appartement) est à deux doigts de l’explosion. Quant à la cellule familiale, elle implose.

Zones pulsionnelles

A l’intérieur de ce dispositif hystérisé, les comédiens (tous excellents, à commencer par Aly Harkous, le fils, et Aïda Sabra, la mère) modulent leurs notes avec brio. Ils ne crient pas en pure perte au point de saturer les oreilles. Ils hissent le volume de leurs paroles au niveau même où sont situés des sentiments exacerbés et radicaux.

 

 

Rage, chagrin, joie, désespoir, peur : pas ou peu de place pour la nuance. La noce, on le rappelle, doit se tenir chez les Cromagnons. Cette mention est spécifiée dans le titre. C’est dire les zones pulsionnelles, voire primitives, où se rive la représentation. Et pourtant ne ressort de ce spectacle qu’une évidence : la force admirable et inaltérée de l’amour qui se faufile, lui aussi, avec exacerbation et radicalité, dans les replis des mots et des gestes.

 

 

 

Wajdi Mouawad, qui quittera la direction du Théâtre de la Colline en mars 2026, ferme le ban sur un spectacle puissant et original qui en raconte long sur là d’où il vient, en tant qu’écrivain et, peut-être aussi, en tant qu’homme.

 

Journée de noces chez les Cromagnons. Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad. Avec Fadi Abi Samra, Jean Destrem, Layal Ghossain, Aly Harkous, Bernadette Houdeib et Aïda Sabra. Théâtre de la Colline, Paris 20e, du 29 avril au 22 juin.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

Légende photo : « Journée de noces chez les Cromagnons », de Wajdi Mouawad, lors de la création au Printemps des comédiens, à Montpellier, le 6 juin 2024. SIMON GOSSELIN
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 28, 11:14 AM
Scoop.it!

Adaptation de Tchekhov : la Comédie-Française n’en perd pas une «Mouette» 

Adaptation de Tchekhov : la Comédie-Française n’en perd pas une «Mouette»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux dans Libération - 28 avril 2025

 

A la Comédie-Française jusqu’au 15 juillet, Elsa Granat explose le classique fataliste d’Anton Tchekhov, y injectant justesse et compassion dans une mise en scène puissante.

 

Sur la scène, Arkadina goguenarde se demande si le spectacle que vient de donner son fils Treplev est une «plaisanterie» ou un «manifeste», et c’est comme une oscillation qui meut tout le spectacle d’Elsa Granat, un spectacle énergique, généreux, et d’une intelligence littéraire qui dérouille efficacement le ressort méta-théâtral du texte. Une mouette se fracasse sur la scène de la Comédie-Française, ses ailes démantibulées et sanglantes ont quelque chose de ridicule et de terrifiant à la fois. On en sort un peu sonné, étourdi par la puissance des moyens déployés, et tremblant de la peine qu’on a éprouvée pour des personnages dont on a cessé pourtant de nous dire qu’ils n’étaient que ça : des personnages.

Prétention grosse comme un cormoran

Théâtreux intransigeants et tchékhoviens de collège, passez votre chemin. Cette Mouette d’Elsa Granat explose le texte, supprime figures et dialogues, pour mieux concentrer la matière dans un spectacle qui peut paraître éparpillé, mais dont la complexité est une nécessité dramatique. La Mouette, on en a soupé. Sans doute faut-il pour qu’on l’entende la débarrasser de toutes les mythologies qui souvent l’encombrent, et font planer sur cette histoire triste un sérieux sinistre et une prétention grosse comme un cormoran. Tchekhov y campe un groupe de personnages qui se retrouvent en villégiature au bord d’un lac. Irina, une actrice célèbre, y a pris ses quartiers, accompagnée de son amant Trigorine, un auteur à la mode, de son fils Treplev, aspirant écrivain torturé qui est tombé amoureux de la jeune voisine, Nina, de son vieux frère, d’un médecin raisonneur et d’un instituteur qui poursuit de ses assiduités la fille du régisseur, elle-même amoureuse de Treplev depuis toujours. Chacun y cherche un chat qu’il chasse en vain : les amours se croisent sans se trouver, les ambitions se frottent douloureusement les unes aux autres, les espoirs et les innocences s’évaporent au gré des saisons.

 

 

Elsa Granat organise le drame en quatre séquences bourrées d’effets sonores, lumineux et scénographiques, dont la première perturbe d’emblée le spectateur. Recréé à partir d’autres textes du dramaturge, ce prologue raconte à la fois l’après et l’avant de cette histoire : dans un clair-obscur et le son d’un bourdon électronique, une Irina fantomatique hante la scène et se rappelle sa jeunesse, c’est-à-dire son fils petit qui la réclame en vain, sa carrière et ce qu’elle a exigé de sacrifices, ce que c’est qu’être acteur, la jouissance et la peine. Le théâtre, le bois du plateau, les ors de ses murs et la souplesse de ses toiles peintes sont désignés et malmenés, le public parfois violemment éclairé : sans cesse on nous rappelle où nous sommes, et le danger qu’il y a d’y être.

 

Biffé, outré et malmené

On craint d’abord que cette qualité méta théâtrale, c’est-à-dire la sempiternelle réflexion sur le caractère fictif et joué de toute existence, n’engouffre et n’assèche toute la pièce, mais c’est paradoxalement l’inverse qui se produit. Il semble que chair et émotions adviennent précisément à la condition qu’on n’en oublie jamais le factice. Voici des personnages qui sont hypervivants dans la manière même qu’ils ont de se vider de leur vie. Ils s’en vident à la fois parce qu’ils la ratent, ou anéantissent celles des autres, mais aussi parce qu’on les désigne sans cesse comme des personnages, des pantins figés, clowns tristes, Bérénice vociférantes.

 

Au fil du spectacle le prologue apparaît moins comme une mascarade intello maligne que comme le moyen paradoxal de bazarder tous les artifices du méta, et trouver la moelle sensible du texte de Tchekhov, une tragédie sans transcendance dans laquelle les hommes sont responsables de leur douleur, un vaudeville cruel qui échoue à arrimer qui que ce soit à l’objet de son désir. Elsa Granat fait ainsi le pari qu’on trouvera dans le surplus la quintessence et la simplicité. Le plateau paraît encombré et se meut sans cesse sous les pas des acteurs qui arpentent à grande vitesse toute la gamme des tons et registres – parfois burlesques, parfois tragédiens – et trouvent dans ce vertige une justesse psychologique très singulière et souvent déchirante. Mention spéciale à Adeline d’Hermy, qui compose une Nina ardente et brutale comme une jeune fille, mais surtout à l’immense Marina Hands et à Loïc Corbery, qui campent respectivement une Irina minaudante et monstrueuse, et un Trigorine inédit – ce personnage d’écrivain médiocre anéantisseur de la mouette dans lequel Elsa Granat active un potentiel comique particulièrement jouissif.

 

 

Dans ce Tchekhov biffé, outré et malmené, on entend enfin quelque chose qu’on n’avait jamais entendu : le cri de la Mouette débarrassé de ses modulations conventionnelles, un cri organique, qui sonne haut et qui arrache véritablement le cœur.

Une mouette. Adaptation et mise en scène Elsa Granat d’après la Mouette d’Anton Tchekhov. Avec Marina Hands, Loïc Corbery, Julie Sicard, Bakary Sangaré, Adeline d’Hermy, Julien Frison… A la Comédie-Française jusqu’au 15 juillet.

Légende photo : La pièce est débarrassée de ses modulations conventionnelles. (RAYNAUD DE LAGE Christophe)

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 25, 11:14 AM
Scoop.it!

Mort de Jean-Paul Montanari, grand nom de la danse contemporaine en France et en Europe, il avait 77 ans

Mort de Jean-Paul Montanari, grand nom de la danse contemporaine en France et en Europe, il avait 77 ans | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabrice Dubault dans Le Midi Libre - Publié le 25/04/2025

 

L'emblématique directeur du festival "Montpellier danse" de 1983 à 2024 est décédé ce vendredi 25 avril 2025 à l'âge de 77 ans, des suites d'un cancer. Né à Alger en 1947, il a été une figure majeure de la culture à Montpellier et de la danse en France et en Europe.

 

Il a été Le Monsieur danse à Montpellier durant 42 ans. Il y est décédé ce 25 avril 2025.

 

En 1983, Jean-Paul Montanari est devenu conseiller pour la danse à l’Opéra de Montpellier puis, en 1984, membre de la Commission d’attribution des subventions aux compagnies chorégraphiques du ministère de la Culture (jusqu’en 1991).

 

Entre-temps, il est nommé membre du Conseil supérieur de la danse (1991). En 1996, il prend en charge la saison danse qui est aujourd’hui la saison danse de l’Opéra national de Montpellier. En 2001, il quitte la direction du Zénith de Montpellier qu’il occupait depuis 1999, pour revenir se consacrer pleinement au festival et à la saison danse.

Depuis 2010, il dirigeait l’Agora, cité internationale de la danse, un lieu consacré à la danse unique en Europe réunissant tous les aspects du travail de la danse, de la création à la diffusion d’un spectacle.

 

 

Retrouvez Jean-Paul Montanari en 2021, pour les 40 ans de Montpellier danse.

 

Voir la vidéo 

 

Retraité depuis octobre 2024, il avait laissé sa place à un quatuor à la direction de L'Agora, nouvelle Cité internationale de la danse à Montpellier. Jann Gallois, Hofesh Shechter, Dominique Hervieu et Pierre Martinez viennent en effet d'être nommés à la tête de la structure qui regroupe le festival Montpellier Danse et le Centre chorégraphique national de la ville.

 

"Il s’est battu toute sa vie, au service d’un seul maître, la danse"

Dans un long communiqué, le maire de Montpellier retrace sa vie, son parcours unique dans l'Hérault en faveur de la danse contemporaine et lui rend hommage.

 

"Jean-Paul est cet enfant de la terre d’Algérie, né dans une famille modeste et aimante, ce petit garçon de Boufarik et de la plaine de Mitidja : cette Algérie qu’il a gardée au cœur, et qu’il évoquait si souvent et avec tant d’intelligence et d’émotion. Cette Algérie qu’il verra se soulever et gagner son indépendance, et qu’il devra quitter.
Il est cet adolescent découvrant la métropole et Lyon, où sa famille s’installe en 1962, ce jeune homme bien de son temps épris de philosophie et de littérature, qui s’initie au chinois, découvre le cinéma et le théâtre, se passionne pour les créations de Planchon et Chéreau. Déjà, il sait que sa vie sera vouée à la scène : 'Je n’en suis jamais sorti. Mon monde était là', écrira-t-il encore récemment.
Il est cet étudiant engagé qui découvre la joie et la fraternité des luttes en mai 68, ce militant qui fonde en 1975 le Groupe de libération homosexuel de Lyon : le courage des convictions, déjà. Ces mêmes convictions qui l’amèneront, une décennie plus tard, à incarner ici la lutte contre le SIDA.


Chez lui, la vie, la politique et l’art sont intimement liés ; à la même époque, il intègre le Centre dramatique national de Lyon, en devient le programmateur pour la danse, invite Maguy Marin, Dominique Bagouet, d’autres encore, lance à Villeurbanne Viva, un festival de danses et de musiques extra-européennes. Il ne sait pas encore que son destin va s’écrire plus au sud, tout près de cette Méditerranée dont il est l’enfant".

 

Et Michaël Delafosse poursuit :

 

"Jean-Paul Montanari a éveillé nos regards. Il nous a appris à regarder la danse, patiemment. Avec lui, nous avons compris que 'tous les corps sont des corps politiques.' Nous lui devons d’avoir été bouleversé, ému, parfois choqué, par les créations d’artistes venus du monde entier. Il a programmé et a accueilli ici les plus grandes, les plus grands : Trisha Brown, Merce Cunningham, William Forsythe, Ohad Naharin, Angelin Preljocaj, Anne Teresa De Keersmaeker, Emanuel Gat... Et Raimund Hoghe, ce véritable 'chamane', pour reprendre le mot de Jean-Paul, disparu en 2021 et dont une place de notre ville porte depuis le nom.


Jean-Paul Montanari rappelait sans cesse que rien ne s’obtient sans effort".

 

Fabrice Dubault / Le Midi Libre

 
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 24, 4:52 AM
Scoop.it!

« Il s’en va », le grand retour de Raoul Fernandez

« Il s’en va », le grand retour de Raoul Fernandez | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anaïs Héluin dans Sceneweb - 24 avril 2025

 

En ouverture de la première édition du festival « Écritures en acte » porté par Le Quai – Centre Dramatique National d’Angers du 22 avril au 7 mai 2025, est né Il s’en va. Suite du Portrait de Raoul écrit par Philippe Minyana pour Raoul Fernandez et mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, ce seul en scène d’une très grande délicatesse nous parle autant de la vie romanesque du comédien que de la beauté du théâtre lorsque ses différents métiers sont unis par l’amitié.

 

Allongé derrière un voile noir, vêtu lui aussi de sombre, Raoul Fernandez nous apparaît allongé auprès d’une majestueuse couronne de fleurs blanches. La situation est claire, et le titre du spectacle qui commence ainsi, Il s’en va – Portrait de Raoul (suite), en confirme la funeste nature : c’est depuis la mort que va nous parler le comédien Raoul Fernandez. Ou plutôt son double théâtral très proche de l’original, s’autorisant seulement quelques libertés avec une biographie déjà fort émancipée de tout type de convention. Né de la rencontre entre le vrai Raoul, l’auteur Philippe Minyana et le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo, ce personnage ne meurt pas à peine né : il a déjà une belle vie derrière lui, Portrait de Raoul – Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte entrouverte ayant visité bien des villes de France et d’Amérique latine depuis sa création en 2018. Dans ce premier seul en scène, créé dans le cadre des « Portraits d’artistes », spectacles itinérants dédiés à une figure artistique et initiés par Marcial Di Fonzo Bo alors à la tête de la Comédie de Caen – il dirige maintenant Le Quai, producteur de cette nouvelle création –, les grandes lignes de l’existence aux ramifications multiples de Raoul Fernandez nous étaient contées de façon relativement linéaire et avec force couleurs. En la plongeant cette fois dans le noir, en l’orientant vers une parole plus fragmentaire et moins chronologique, auteur et metteur en scène révèlent de nouvelles facettes de leur « Figure » – l’expression est de Philippe Minyana – et continuent d’en explorer d’autres qu’ils avaient déjà mises à jour.

Faire causer Raoul Fernandez depuis l’au-delà est beaucoup plus qu’un simple principe d’écriture justifiant le retour de l’acteur vers son foisonnant passé. Qui a vu la première partie du triptyque consacré par l’auteur et le metteur en scène au comédien – en janvier 2025 a aussi été créée une forme de récital où l’acteur prouve qu’il chante également très bien (Maria Casarès le lui aurait dit après l’avoir entendu dans une mise en scène de Marianik Revillon, apprend-on dans la préface à Il s’en va signée par le journaliste Hugues le Tanneur) – sait à quel point celui-ci est un passe-frontières de génie. Les limites, les séparations dont se joue Raoul Fernandez, et avec lesquelles l’aident à jouer ses deux complices depuis leurs ombres respectives, sont d’abord géographiques. Raoul Fernandez est né à El Tránsito, au Salvador, et il a beau avoir quitté l’Amérique latine pour la France à l’âge de vingt ans pour se former au théâtre, il n’a de cesse dans son triptyque que de convoquer ses racines. Dans Il s’en va comme dans Portrait de Raoul, ce retour aux sources passe bien sûr par les histoires qu’il raconte, en particulier celles – nombreuses – dont sa mamá Betty est la protagoniste principale, mais aussi par la manière dont il les livre. Loin de lui mettre dans la bouche un français standard qui ne lui ressemblerait pas, c’est en effet une langue très orale, où l’on devine l’espagnol à chaque instant, que Philippe Minyana confie au comédien. Proche du parler quotidien de Raoul Fernandez, l’écriture du spectacle est un formidable geste d’humilité de la part de son auteur, qui disparaît presque entièrement derrière son sujet.

 

 

Le metteur en scène fait preuve de la même discrétion, qui est aussi parlante dans ce spectacle que Raoul Fernandez lui-même, prolixe en anecdotes où l’art se mêle si étroitement à diverses choses intimes – souvent sexuelles – de la vie qu’il finit par s’y confondre tout à fait. C’est là une autre des frontières sur laquelle Raoul pratique son funambulisme avec une grâce qui n’appartient qu’à lui, soulignée avec la plus grande élégance par les quelques perruques et accessoires mis à sa disposition par Marcial Di Fonzo Bo. Dans Il s’en va, la mort abordée dans un esprit très latino-américain permet au trio de se passer des transitions qui reliaient un minimum dans son solo précédent les explorations multiples de Raoul Fernandez. Celui-ci peut ainsi exprimer son admiration pour les chorégraphies de Bob Fosse, avant d’évoquer un amour déçu pour un garçon alors qu’il réalisait des costumes pour Jean-Pierre Vincent – comme il le raconte dans Portrait de Raoul, il est entré dans le milieu du théâtre grâce à sa faculté à travailler le tissu, héritée de sa mamá – et d’affirmer : « Raoul, il faut que tu arrêtes toutes ces cochonneries qu’on fait avec les hommes ; sauf que l’année suivante j’étais à nouveau amoureux d’un acteur beau comme un dieu, mais l’acteur aime les dames et moi j’ai beaucoup souffert »Ici, comme souvent dans le spectacle, le passé redevient présent sans pour autant effacer l’homme d’âge mûr qu’est désormais l’artiste. Le Raoul Fernandez d’aujourd’hui est fait de tous ceux qu’il a été. Et il s’amuse visiblement beaucoup à les faire apparaître les uns après les autres devant le public, à qui il s’adresse sans détour et avec toute la douceur qui le caractérise.

Qui a vu Portrait de Raoul – Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte entrouverte peut remettre dans l’ordre les différentes bribes de l’histoire que livre Raoul Fernandez dans Il s’en va. Ce spectateur aguerri pourra facilement situer les unes par rapport aux autres les grandes étapes de sa vie, que Raoul déplie ici par la bande, par le détail souvent croustillant. Ce même spectateur pourra aussi combler certains des nombreux trous de la narration, en y ajoutant quelques épisodes centraux dans le premier volet de la trilogie, comme la rencontre de notre héros avec Copi – sa « fée n°2 », comme il dit, la première créature magique à s’être penchée sur son berceau étant bien sûr mamá Betty – dès son arrivée à Paris ou celle avec Noureev, qui fait de lui une habilleuse d’opéra. Mais cette connaissance biographique n’est pas nécessaire pour goûter la proposition. Naviguant entre les genres avec le mélange de gravité et d’allégresse qu’il met en tout, le délicieux Raoul Fernandez s’attarde ici davantage sur les inconnus, sur les anonymes qui ont fait son existence, que sur les célébrités qui lui ont permis de se creuser un sillage très particulier dans le théâtre français, dont Il s’en va est alors forcément une traversée. En faisant auprès de Stanislas Nordey, avec qui il a beaucoup travaillé, ou de Marcel Maréchal une place au travelo dit « Madame X », dont les pilules magiques lui ont fait mal aux jambes au lieu de lui faire pousser les seins, ou encore à quelques-uns des hommes qui firent fondre son cœur d’artichaut, Raoul Fernandez relie le théâtre au monde comme il est rare que cela soit fait. L’un des grands talents de cet artiste est sa capacité à la rencontre et à l’amitié. C’est grâce à elle qu’existe ce spectacle, qui nous fait percevoir avec une acuité particulière l’alerte ainsi très simplement formulée : « Sans le théâtre, une société meurt ».

 

 

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Il s’en va – Portrait de Raoul (suite)
Texte Philippe Minyana
Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo
Avec Raoul Fernandez
Piano Nicolas Olivier
Guitare Pierre Fruchard
Arrangements Étienne Bonhomme
Régie générale Arthur Beuvier
Régie plateau Astrid Rossignol
Régie lumière Simon Léchappé
Régie son Tristan Moreau
Couture, habillage Anne Poupelin

Production Le Quai CDN Angers Pays de la Loire

Le texte est édité aux Solitaires Intempestifs.

Durée : 1h

 

 

Le Quai, CDN Angers Pays de la Loire
du 22 au 24 avril 2025

 

 

Les Plateaux Sauvages, Paris
du 6 au 18 octobre

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 22, 8:26 AM
Scoop.it!

La fin du début de Solal Bouloudnine et Maxime Mikolajczak

La fin du début de Solal Bouloudnine et Maxime Mikolajczak | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Publié par Corinne Denailles dans Wethéâtre - 17 avril 2025

 

Joue, joue !!!


Reprise du spectacle Seras-tu là ? (2022) sous un nouveau titre : La Fin du début.


Cela commence dans une chambre d’enfant bien désordonnée. Le comédien en tenue de tennis maculée de taches, le visage blanc de crème solaire tartinée à la diable, la raquette à la main, se livre à une partie endiablée avec lui-même. Au bout de quelques minutes, apparaît sur l’écran en fond de scène la présentatrice d’un journal télévisé annonçant la mort de Michel Berger, terrassé par une crise cardiaque au cours d’une partie de tennis.

 

 

Seras-tu là ?, une des plus belles chansons du chanteur a donné le titre initial à ce stand-up ou one-man-show, solo imaginé par l’intrépide Solal Bouloudnine qui nous parle de cette angoisse de la mort qui lui est tombée dessus le jour du décès de Michel Berger en août 1992 à Ramatuelle où le comédien passait des vacances en famille. Ce jour-là, explique-t-il, il est sorti de l’enfance ; il avait 6 ans et venait de prendre conscience de notre finitude. Les chansons de Michel Berger, dont on reconnaît des fragments dans le cours du texte, accompagnent le spectacle.


Pour conjurer la mort, Solal Bouloudnine commence par la fin, comme ça, c’est fait, continue par le début et finit par le milieu, passage « fourbe » s’il en est dont on ne peut dire ni quand il commence, ni quand il finit. Il raconte ses débuts dans la vie biologique, amoureuse, scolaire, artistique, explique qu’il a mis 32 ans à comprendre qu’il avait une mère juive, fait un récit burlesque de son expérience traumatisante en salle d’opération auprès de son père chirurgien qui côtoie la mort avec désinvolture. Il imagine un bureau futuriste où l’on pourrait programmer sa mort, et celle de ses enfants, pour ne pas être pris au dépourvu ; on nous donnerait le choix entre plusieurs scénarios tous plus horribles les uns que les autres.


Grand escogriffe à la bouille enfantine, Solal Bouloudnine a du ressort, toujours un pied dans l’enfance dont il garde le goût du déguisement, des imitations, des clowneries. Il brasse avec délectation le réel et l’imaginaire dans des scènes joyeusement absurde, au-delà de la mise en abîme, où il parle au téléphone à un interlocuteur dans la réalité de la fiction tout en lui expliquant que c’est un dialogue imaginaire dont il est le maître, puis raccroche rageusement le téléphone Fisher Price.


Avec une énergie folle, le comédien brave ses peurs : « on ne peut pas échapper à la fin », alors « essaie de vivre, essaie d’être heureux ça vaut le coup. Joue, joue !!! ».

 

 

La Fin du début de Solal Bouloudnine et Maxime Mikolajczak, avec la collaboration d’Olivier Veillon. Conception et jeu, Solal Bouloudnine. Mise en scène Maxime Mikolajczak et Olivier Veillon. Création lumière et son, régie générale, François Duguest. Musique, Michel Berger. Costumes Elisabeth Cerqueira. A Paris, au Théâtre Lepic, les lundis et mardis à 21h, jusqu’au 29 avril 2025. Durée : 1h20.
résa : : 01 42 54 15 12.

 

Corine Denailles / Webthéâtre 
www.theatrelepic.com

  •  
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 21, 8:40 AM
Scoop.it!

A la Comédie-Française, « Une mouette » transgressive qui n’en fait qu’à sa tête

A la Comédie-Française, « Une mouette » transgressive qui n’en fait qu’à sa tête | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 21 avril 2025

 

La metteuse en scène et adaptatrice Elsa Granat bouscule les lectures habituelles de la pièce de Tchekhov, au risque de perturber le public.


 

Lire l'article sur le site du "Monde : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/21/a-la-comedie-francaise-une-mouette-transgressive-qui-n-en-fait-qu-a-sa-tete_6598385_3246.html

 

Ils sont venus, ils sont tous là, les héros tchekhoviens, saisis par l’auteur russe au point de bascule tragique de leurs vies : l’avenir qui se dérobe sous les pas pressés de la jeunesse, le présent qui s’écoule bien trop vite pour les parents et les aînés, la mort qui se profile quel que soit l’âge des protagonistes. Créée en 1896 à Saint-Pétersbourg, La Mouette est une pièce qui se faufile d’époque en époque. Pas une saison, ou presque, sans qu’un artiste ne la mette en scène. A l’automne 2024, Stéphane Braunschweig en livrait, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris, une version d’une rugueuse noirceur.

 

Six mois plus tard, c’est au tour d’Elsa Granat, nouvelle venue à la Comédie-Française, de s’approprier le texte et de le plier à ses visions d’un geste si impérieux que le doute n’est pas permis : quoi qu’on pense de ses choix d’adaptation et des audaces qu’elle prend avec La Mouette originelle, elle impose un spectacle singulier, parfois agaçant mais souvent exaltant, qui ne ressemble à aucun autre.

 

Dans la salle Richelieu, les personnages ne font pas leur entrée sur cette réplique prophétique qui inaugure le drame : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? » « Je porte le deuil de ma vie », répond Macha à Medvédenko, l’instituteur qu’elle n’aime pas mais qu’elle épousera malgré tout. Sur le plateau, les héros arrivent d’un avant. D’une enfance que Tchekhov n’a pas écrite mais qu’Elsa Granat imagine et déploie dans un décor gigogne où des tulles et des cadres se lèvent, se superposent, s’effacent, libérant des espaces de jeu dans les clairs-obscurs des lumières. A la périphérie se tient Tréplev, fils en manque d’une mère qui ne le regarde pas assez à son goût car elle a mieux à faire : jouer sur les scènes des théâtres. Arkadina, actrice en majesté, ici incarnée par l’incandescente Marina Hands, ne sera pas de celles qui s’excusent d’avoir failli aux tâches maternelles. Pourquoi aurait-elle dû choisir entre son travail et son fils ?

Une réécriture subjective

Le fil dramaturgique suivi par Elsa Granat est d’une cohérence imparable : les héroïnes tchekhoviennes (Arkadina, Nina, Macha) sont des femmes qui ne s’autorisent que d’elles-mêmes. Autant dire que leurs aspirations passent avant tout le reste : Arkadina ne sacrifie à rien ni personne sa vocation et son amant Trigorine. Nina (fabuleuse Adeline d’Hermy) ne renonce ni au théâtre ni à l’amour qu’elle a pour ce même Trigorine. Macha (percutante Julie Sicard) préfère l’indifférence de son Tréplev chéri à l’enfant qu’elle a eu avec Medvédenko.

 

Toutes vont au bout de leurs désirs, quel que soit le prix à payer. S’il faut, pour les accompagner sur ce chemin de liberté extrême, sauvage, par moments trop hystérisé, glisser des vers de Racine ou de Shakespeare, des notes de Vivaldi, de Haendel ou de Janis Joplin, détruire un décor à coups de marteau ou le chasser à coups de pied, expulser le texte de soi en hurlant, faire rire quand tout porte à pleurer, bref, violenter le spectateur en quête d’orthodoxie, Elsa Granat le fait. Et l’assume.

 

L’artiste ne s’interdit aucune torsion. Sa Mouette est une réécriture subjective de la pièce par les moyens du jeu et de la mise en scène. Elle aussi, elle va au bout de son désir, quitte à se montrer d’un autoritarisme qui peut heurter. Sous sa conduite, l’affrontement entre les « formes nouvelles » appelées par le jeune poète Treplev et la convention perpétuée par l’écrivain Trigorine, est supplanté par les enjeux humains. Il y a des larmes, des baisers, des crises de nerfs, du soufre qui se propage dans la salle, de la chair et de l’organique.

Une suite d’imprévus

Mais comment rester de marbre devant la finesse des intuitions et l’intelligence avec laquelle Elsa Granat transgresse les lectures habituelles de La Mouette. De l’invention d’un couple de techniciens intermittents au pseudo-trou de mémoire de Marina Hands, son spectacle est une suite d’imprévus, d’accidents et d’incertitudes qui réussit l’exploit de rendre inattendue la pièce la plus jouée de Tchekhov.

 

Pas un héros ne s’y montre conforme à l’idée qu’on pouvait avoir de lui, chacun est talonné par l’ici et maintenant d’une représentation qui ne se calme jamais, au risque de frôler le trop-plein de mots et d’émotions. Rideaux rouges de théâtre, paysages bucoliques peints sur de hauts tulles, intérieurs nuit ou transats sous le soleil, le plateau accueille un déferlement d’images et d’ambiances qui se fondent les unes dans les autres avec une saisissante fluidité.

 

Même les hommes se tiennent sur le qui-vive dans ce maelström organisé par la metteuse en scène. Aussi féministe soit-elle, elle se garde bien de figer les héros masculins dans des postures réductrices. Et pour cause : Julien Frison en Tréplev, Loïc Corbery en Trigorine ou Birane Ba en Medvédenko sont la caisse de résonance sensible des trois héroïnes qui leur tiennent tête. Or ces trois-là n’en font qu’à leur tête. « C’est ça une femme qui se met à genoux : des restes mal assemblés qui ne disent rien de vrai », affirmera, campée sur ses deux jambes, Marina Hands. Au diapason d’un spectacle qui, lui aussi, refuse de mettre son genou à terre.

Voir la bande-annonce vidéo 

 

 

Une mouette, d’après Tchekhov. Traduction : André Markowicz et Françoise Morvan. Adaptation et mise en scène : Elsa Granat. Avec Julie Sicard, Loïc Corbery, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba, Dominique Parent. Comédie-Française, Paris 1er, salle Richelieu. Jusqu’au 15 juillet.

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 18, 4:01 AM
Scoop.it!

Le plus beau, c'est "Le Moche"

Le plus beau, c'est "Le Moche" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 14 avril 2025

 

 

Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Aurélien Hamard-Padis met en scène la pièce féroce de Marius von Mayenburg. Elle a souvent été représentée en France, mais la vision proposée, la nouvelle traduction et l’éblouissante distribution, revivifient la comédie.

 

Cette pièce date de 2007. Dix-huit ans. Contemporaine, certes, mais déjà un peu voilée par les années passées en une époque durant laquelle les sociétés se sont transformées très rapidement. En même temps, précisons-le, l’argument central demeure actif : on juge les êtres, d’abord, sur leur apparence.

 

Laurent Muhleisen a retraduit la pièce qui avait été publiée par les deux très bons connaisseurs et truchements, Hélène Mauler et René Zahnd et jouée lors de la mise en scène de Jacques Osinski, vue au Rond-Point, en 2011.

 

On ne s’attardera pas : c’est très drôle, mais très dérangeant. C’est grinçant, cela met mal à l’aise, cela fait rire et cela noue l’estomac et le coeur.

 

Un homme qui réussit dans son métier, et très bien, est rabattu dans sa prétention légitime à vouloir défendre publiquement un système qu’il a mis au point, par son supérieur hiérarchique qui lui fait comprendre qu’il est « moche ».

 

Le moche va se faire opérer et devenir un être très séduisant…cela finira-t-il bien ?

Ce serait trop simple….

 

Dans un décor malin de Salma Bordes, des costumes qui fonctionnent de Claire Fayel, des finesses dans le son d’Antoine Richard et des lumières de Jérémie Papin, les comédiens, précisément guidés par Aurélien Hamard-Padis, qui ne bride en rien les fortes personnalités réunies, sont un bonheur. On ne connaissait pas Jordan Rezgui, mais il est très convaincant. On est heureuse de retrouver Sylvia Bergé, toujours idéale et, ici, multiple et épatante. Dans la partition de l’assistant du personnage-titre, Thierry Godard impose sa personnalité forte. Quant au « moche », Lette, Thierry Hancisse lui offre son grand art, délié, profond, très bouleversant sans quitter le fil de la farce. Plus cela va, plus Thierry Hancisse est grand. Une interprétation exceptionnelle qui donne à la pièce une dimension universelle.

 

 

Studio-Théâtre jusqu’au 4 mai. A 18h30 du mercredi au dimanche. Relâches supplémentaires les 19, 20 avril et 1er mai. Durée : 1h15.

Tél : 01 44 58 15 15.

 

www.comedie-francaise.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 17, 3:51 PM
Scoop.it!

Jean-Pierre Vergier, le peintre de nos rêves

Jean-Pierre Vergier, le peintre de nos rêves | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 16 avril 2025

 

Indissociable du parcours de Georges Lavaudant, artiste audacieux et visionnaire, il s’est éteint il y a trois jours. On ne l’oubliait pas. Il est inoubliable.

Des grandes aventures artistiques qui ont éclos dans les années 70-80, il est indéniable que celle de Georges Lavaudant, Ariel Garcia-Valdès et leurs amis, à Grenoble, et bien au-delà, est l’une des plus fortes. L’une des plus séduisantes aussi, parce que l’on était, à chaque fois, ébloui par un univers esthétique époustouflant.

Des grandes aventures artistiques qui ont éclos dans les années 70-80, il est indéniable que celle de Georges Lavaudant, Ariel Garcia-Valdès et leurs amis, à Grenoble, et bien au-delà, est l’une des plus fortes. L’une des plus séduisantes aussi, parce que l’on était, à chaque fois, ébloui par un univers esthétique époustouflant.

 

Chaque fois que l’on me demande quel est mon plus puissant souvenir de théâtre –et pardon, ici, de m’en tenir à ce « je » qui n’est que très personnel- je cite des images, et elles concernent la même pièce. Oublions que nous hantent Orlando Furioso aux Halles de Baltard, ou L’Age d’or à la Cartoucherie, et avouons que Les Géants de la montagne, mise en scène de Giorgio Strehler, à l’Odéon-Théâtre de France, en 1966 (année des Paravents), ou alors un peu plus tard, avec cette fin terrible d’un rideau de fer écrabouillant la carriole des pauvres comédiens, fut pour nous un moment d’émotion tel que, soixante ans plus tard, on retrouve le tourment de cette hallucination.

 

Les années passèrent, et les grandes mises en scène, les grands spectacles, les scénographies magistrales, nous firent glisser vers des représentations d’une puissance profonde.

Mais on n’a jamais oublié, et on a toujours la chair de poule en revivant ce moment, la lente montée du rideau de fer dévoilant l’immense pont coupé qui était l’espace que Jean-Pierre Vergier avait imaginé pour Les Géants de la montagne de Luigi Pirandello, mise en scène de Georges Lavaudant. C’était à Annecy. La veille ou le lendemain, on découvrirait un très grand Marivaux (sur un échiquier noir et blanc, mais pas de Vergier) signé Alain Françon.

Des années durant on a été époustouflé par la force, l’éloquence, la beauté des espaces que cet homme discret imaginait. Il signait également les costumes, superbes, seyants, faits pour le jeu mais splendides.

 

Jean-Pierre Vergier n’était pas d’un abord facile. Avec les journalistes, il était volontiers taiseux, sincèrement étonné que l’on puisse être renversé par ses créations. Il était peintre. Un homme du silence. Il a dû bien rire et parler avec Jo, Ariel et leur bande du Théâtre Partisan, devenus les patrons du centre dramatique et la coqueluche des Parisiens et habitués du Festival d’Automne. Vergier était un poète, un voyant aux fulgurances bouleversantes. Foin des dramaturges et autres Trissotin, avec lui. Des tous les artistes, les peintres, qui ont marqué le théâtre depuis la deuxième moitié du XXème siècle, jusqu’à nos jours, il est le plus puissant, le plus original, le plus libre.

 

Palazzo mentale de Pierre Bourgeade, Les CannibalesLa Rose et la Hache, pour ne citer que les premiers textes épanouis en inoubliables scénographies, donnent à Jean-Pierre Vergier la place d’un exceptionnel artiste/

Il a travaillé auprès d’autres metteurs en scène, mais sans quitter la constellation des poètes : Bruno Boëglin, Bruno Bayen, Daniel Mesguich et Ariel Garcia-Valdès, qui signa de belles mises en scène.

Un grand artiste s’efface qui composait aussi les affiches des spectacles. Elles aussi, inoubliables..    

 

 

Armelle Héliot

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 16, 8:18 AM
Scoop.it!

Nadia Vonderheyden, comédienne et metteuse en scène, est morte

Nadia Vonderheyden, comédienne et metteuse en scène, est morte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 16 avril 2025

 

 

Figure respectée du théâtre subventionné, cette interprète de haut vol est décédée le 11 avril à Paris à l’âge de 58 ans.

Lire l'article sur le site du Monde : 
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2025/04/16/nadia-vonderheyden-comedienne-et-metteuse-en-scene-est-morte_6596608_3382.html

Elle avait des allures de guerrière qui n’a pas froid aux yeux. Née le 22 février 1967 à Alger, la comédienne et metteuse en scène Nadia Vonderheyden, morte le 11 avril à Paris à l’âge de 58 ans, était d’une folle combativité lorsqu’il fallait faire entendre la langue des auteurs sur les planchers de bois.

 

Peu connue du grand public, cette actrice respectée du théâtre subventionné a été des trois aventures théâtrales contemporaines qui ont marqué le spectacle vivant au cours des quarante dernières années. Formée par le dramaturge Didier-Georges Gabily (1955-1996) dont elle intègre à 18 ans le collectif T’chan’G, elle devient membre, en 1991, de la troupe du Radeau que dirige François Tanguy (1958-2022), avant d’iriser, d’une voix aussi veloutée qu’éraillée, les plateaux de Jean-François Sivadier. Ces trois artistes ont su tirer le meilleur de sa dualité tragi-comique et de son troublant, mais joyeux, pas de deux entre le féminin et le masculin. Elle a plus d’une fois envoyé les robes valser dans les coulisses pour se glisser dans les costumes des hommes.

 

Lorsqu’elle était jeune, Nadia Vonderheyden dessinait, dansait et lisait de la philosophie. « Ce qui regroupait le tout, c’était le théâtre », confiait-elle au micro de France-Culture en 2014, ajoutant que sa rencontre avec Gabily « était telle qu’elle avait remporté le morceau ». Qu’a-t-elle appris auprès de cet auteur-metteur en scène ? A coup sûr, la puissance du verbe, l’engagement du corps, la conjugaison des énergies au service de spectacles qui entremêlaient le cérébral et l’organique. Avec le collectif T’chan’G, elle explore les gouffres des tragédies. L’Orestie, Phèdre, Hippolyte : faire ses gammes de comédienne en compagnie de personnages antiques est un passeport vers des rivages poétiques ancrés loin des sentiers battus de la convention et des modes.

Brecht, Feydeau, Shakespeare

Lorsqu’elle rencontre François Tanguy, créateur d’univers sensoriels d’une beauté fulgurante, elle adopte sa grammaire : chuchotements arrachés au mutisme ou disputés à la musique, frou-frou des silhouettes frôlant les châssis de bois. Elle troque la pleine lumière pour les clairs-obscurs, se fond dans le tremblé de représentations vagabondes où les acteurs se mettent au diapason de l’onirique. Entourée par la troupe du Radeau, elle joue en 1991 dans Le Chant du bouc, en 1993 dans Choral puis, en 1996,  dans La Bataille du Tagliamento.

 

 

Une autre collaboration déterminante se profile : celle qui l’unira à sept reprises au metteur en scène Jean-François Sivadier. Sous sa conduite, l’actrice étincelle. Gouvernante chez Beaumarchais (Le Mariage de Figaro, 2000), moine ou pape dans La Vie de Galilée de Brecht (2002), Monseigneur de Kent dans Le Roi Lear de Shakespeare (2007), elle fait hurler de rire chez Feydeau (La Dame de Chez Maxim, 2009), elle inquiète chez Ibsen (Un ennemi du peuple, 2019). « Elle connaissait la manière de faire trembler une salle mais elle avait aussi trouvé le clown en elle », témoigne Jean-François Sivadier.

 

 

« Il y a des rencontres qui bousculent nos vies, ce sont des moments où tout, à l’intérieur de soi, s’ouvre », déclarait Nadia Vonderheyden. Elle parlait de Marivaux dont elle avait créé d’une main de fer La Fausse Suivante, une représentation qui « marivaude en dansant sur l’air de la révolution de 1789 qui s’annonce » notait, en 2012, la critique parue dans Le Monde.

 

 

 
 
 

Pédagogue, la metteuse en scène animait fréquemment des ateliers de formation. Transmettre lui était une nécessité. « Elle n’a jamais été solo, elle a toujours eu besoin de s’intégrer dans des aventures, d’être une parmi les autres. C’était une femme qui cimentait les équipes », observe Stanislas Nordey qui, à défaut de l’avoir dirigée, l’a recrutée comme enseignante à l’école du Théâtre national de Bretagne.

 

Pour cette interprète de haut vol, jouer rimait avec une recherche constante et exigeante sur son art. En 2016, présentant son dernier spectacle (S’en sortir, d’après des textes de Danielle Collobert), elle expliquait vouloir « nommer ces choses que tout le monde ressent : la peur de l’écrasement, de la disparition ». Les écritures, pour elle, étaient respiratoires. C’est dire à quel point le théâtre, sa lecture, son étude, sa pratique, lui tenaient lieu d’oxygène.

 

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : Nadia Vonderheyden, au Théâtre de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), en 2003. JEAN-MARC ZAORSKI/GAMMA RAPHO

 

_____________________________________

Par Marie-Céline Nivière, paru dans L'Oeil d'Olivier 

16 avril 2025

 

Le monde du théâtre est en deuil, la comédienne, metteuse en scène et pédagogue a tiré sa révérence dans une grande discrétion le 11 avril à l’âge de 58 ans.

 
 

Pour beaucoup d’entre nous, Nadia Vonderheyden était la comédienne fétiche de Jean-François Sivadier. Avec Nicolas Bouchaud, elle formait un binôme puissant. Son jeu, toujours incandescent, impressionnait. Le monde du théâtre perd aujourd’hui une grande artisane. « Elle a œuvré dans l’ombre. Mais ceux qui l’ont rencontré savent de quelle planète rare elle faisait partie » (Johanna Nizard).

Une belle personnalité
 

Sa voix inimitable, grave et légèrement voilée était une de ses particularités. Le comédien Arnaud Stephan, dans son hommage sur FaceBook, la définit si bien : « Celle d’un ange-clown, écorchée vive, à la poésie chevillée au corps, que tu as toujours été de la scène à la vie… » Elle a été un modèle, de ceux qui – comme le dit si bien Xavier Deranlot (Dans le jardin de l’ogre) – « vous donnent envie de faire ce métier par leur intégrité, leur mélange de puissance et de fragilité. Nadia a été pour moi quand j’étais jeune élève au TNB, une ogresse d’une extrême sensibilité et qui m’a donné envie d’être exigeant avec moi-même. »

Au service de son art

Si Nadia Vonderheyden est née en Algérie, c’est en France qu’elle grandit. Le théâtre était pour elle l’endroit idéal pour assouvir sa passion des mots, de la pensée, de l’art. Elle suit sa formation de comédienne auprès de Didier Georges Gabily, dès 1985, puis en participant au groupe Tchan’G. De 1989 à 1991, elle joue sous la direction de Stéphane Braunschweig dans la trilogie Les Hommes de neige. Puis vient la période du Théâtre du Radeau, dirigé par François TanguyLe Chant du bouc (1991), Choral (1994) et Bataille du Tagliamento (1996). Et ce sera enfin la grande aventure auprès de Jean-François Sivadier, La Folle Journée ou le Mariage de FigaroLa Vie de GaliléeItalienne scène et orchestreLe Roi LearLa Dame de chez Maxim’sNoli me Tangere

Passer du jeu à la mise en scène était pour elle une évidence. Elle avait notamment mis en scène en 2011, La Fausse suivante  de Marivaux, qui après une belle tournée est jouée en 2014 au théâtre Nanterre Amandier. La pédagogie était aussi pour elle une évidence, elle a dirigé des ateliers et des résidences à l’université de Rennes II et à l’ERAC de Cannes.

Une présence forte

Comme George Perec, je vais égrainer les « Je me souviens », tous attachés aux spectacles de Jean-François Sivadier. Le premier, c’était en 2006, au Festival Paris Quartier d’Été, à l’Opéra-Comique, où le metteur en scène reprenait son spectacle cultissime,   Italienne avec Orchestre (la première version de cette Traviata vu des coulisses). Je découvrais sa voix, sa présence. Elle était impayable en assistante toujours à cran et revendicatrice. Puis en 2007, ce fut la magie de la cour d’honneur d’Avignon et du Roi Lear, incarnant de sa voix grave et de son autorité le duc de Kent. Parce qu’elle rêvait, enfant, d’être trapéziste, Sivadier avait imaginé que son personnage volait dans les airs. En 2009, elle fut une extraordinaire Madame Petypon dans La Dame de chez Maxim’s à l’Odéon. On l’a retrouvée dans cette même salle, dans Noli me Tangere. Elle incarnait magnifiquement un comédien borné et un ange. Celui-ci vient de s’envoler pour toujours. Adieu Madame, et merci pour tous ces bonheurs.

 

 

 

Marie-Céline Nivière - L'Oeil d'Olivier

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 16, 4:25 AM
Scoop.it!

«Sinistre et Festive» : de drôles d’oiseaux 

«Sinistre et Festive» : de drôles d’oiseaux  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 14 avril 2025

 

Sinistre, créature drama queen interprétée par Jean-Luc Verna, et Festive, Jonathan Capdevielle en perruque blonde et robe panthère, entremêlent jeu et chant pour mettre en scène l’élégance du désespoir.

 

 

«C’est un spectacle sur le fil, un fil tendu entre le «presque bon» et «je regrette»», constate Jean-Luc Verna fringué tunique noire à paillettes style Zizi Jeanmaire, tandis que Jonathan Capdevielle se la joue tailleur rose Roselyne Bachelot. Sur le fil, c’est exactement ça pour un show tour de chant piano-voix, avec distribution des rôles. Verna, qui nous vient des arts plastiques, expose son corps déjà spectaculaire, entièrement tatoué visage compris, dans le rôle de Sinistre. Sa créature drama queen à la double voix superbement caverneuse ou doucement aiguë prend alors de grands airs pour chanter Barbara le bras levé ou Diane Dufresne, diva Starmania, dans ses «Adieux de sexe symbole» (sic).

Face à cet oiseau /clown noir, Capdevielle compose Festive en robe panthère perruque blonde – hommage Sylvie Vartan période Palais des Sports – et capitalise sur une culture variét’pop dans des mashups ébouriffants. Sur l’air de Ne me quitte pas – oubliez Jacques Brel –, sa voix de presque ténor balance Je veux ta saleté, je veux ta maladie avant de transitionner vers le Bad Romance de Lady Gaga. Bref c’est travestissement à tous les étages. Et quand Julien Bienaimé – qu’on a connu animateur du Classic Bazar sur FIP – se met au piano, lunettes noires /chemise ouverte, le spectacle bascule sur le concours de sosie doublement raté mais hyper convaincant de Gilbert Montagné et Patrick Sébastien.

Voilà le trio gagnant d’un rendez-vous sauvage qui massacre J’ai encore rêvé d’elle, lance des biscuits Bonne Maman au public comme on nourrit les fauves au zoo. Sinistre et Festive sont sur le plateau, ça commence comme une blague, ça se poursuit avec l’élégance du désespoir : les Idées noires de Lavilliers /Nicoletta, Vie violence de Nougaro, Frozen de Madonna… Vous aurez compris le message. Et si vous n’aimez pas ce parfum de fin du monde, voici un conseil signé Barbara /Verna dans la chanson  Elle vendait des p’tits gâteaux «Mangez donc de la merde avec.»

Sinistre et Festive, avec Jonathan Capdevielle, Jean-Luc Verna,

 

Julien Bienaimé et des guests… Mis en scène par Jonathan Capdevielle et Jean-Luc Verna. Jusqu’au 8 juin au théâtre de l’Atelier.

Laurent Goumarre / Libération 

 

Légende photo : Sinistre et Festive sont sur le plateau, ça commence comme une blague. (© Arthur Pequin)

 

 

No comment yet.