Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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January 17, 2022 11:29 AM
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Théâtre : « Le Processus » ou l’avortement mis en mots et en images

Théâtre : « Le Processus » ou l’avortement mis en mots et en images | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 17 janvier 2022

 

Légende photo : Claire (Juliette Allain) dans « Le Processus », de Catherine Verlaguet, mis en scène par Johanny Bert, au Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon, le 13 janvier 2022.. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

 

 

Pour sa création au Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon, le texte de Catherine Verlaguet mis en scène par Johanny Bert était porté par la remarquable interprétation de Juliette Allain et le beau film d’animation conçu par Inès Bernard-Espina.

 

Lors d’un entretien par téléphone, en mars 2021, entre deux confinements et après un an de pandémie, le metteur en scène   Johanny Bert avait évoqué son projet de création itinérante dans les collèges et les lycées à partir d’un texte inédit de Catherine Verlaguet sur les thèmes du désir amoureux chez les adolescents et de l’avortement, afin, disait-il alors, de « faire vivre la culture de manière différente » en période de Covid-19.

 

Ce projet est devenu réalité entre octobre et décembre 2021, avec le soutien du Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon, dirigé depuis janvier 2021 par Courtney Geraghty, qui a choisi Johanny Bert comme « artiste complice » pour les saisons à venir. La forme en itinérance du Processus a ainsi été présentée, le 13 janvier, devant 180 collégiens et collégiennes, et 350 lycéens et lycéennes, à travers la région Auvergne-Rhône-Alpes. Deux classes de 3e du collège Maurice-Utrillo de Limas (Rhône) ont, par ailleurs, participé à des ateliers d’écriture avec Catherine Verlaguet et sept élèves en terminale option danse du lycée Saint-Exupéry de Lyon ont créé une version dansée du texte avec l’aide du chorégraphe Yan Raballand. Cette forme itinérante à destination des adolescents est en tournée dans les établissements scolaires jusqu’en mai.

La volonté de proposer une deuxième forme au plateau du texte de Catherine Verlaguet est née, entre autres, des remarques faites par certains collégiens et lycéens, qui auraient aimé que leurs parents puissent aussi voir ce spectacle. Mais comment rendre audible sur les planches d’un théâtre le récit intime de Claire, une adolescente de 15 ans, qui se retrouve enceinte « par accident », comme on dit, après sa « première fois » avec Fabien, et doit choisir d’avorter ou non ?

 

Le dispositif imaginé pour les représentations en milieu scolaire privilégiait la proximité avec les élèves dans le cadre dépouillé de la salle de classe, sans aucun décor et en lumière naturelle. La comédienne, Juliette Allain, équipée d’un micro, susurrait pratiquement son histoire à l’oreille de son auditoire, muni de casques. Une façon originale de mettre l’accent sur la dimension très personnelle de ce témoignage à la première personne.

Mise en scène inventive

Le passage au plateau s’est effectué grâce à une mise en scène légère mais inventive, qui conserve à la comédienne sa place centrale dans le dispositif scénique et préserve le caractère intime du texte. Seule en scène, Juliette Allain donne toute leur puissance émotionnelle aux mots simples mais justes de Catherine Verlaguet sur cette douloureuse expérience qu’est un avortement, bien au-delà des statistiques et des chiffres. Grâce à elle, le spectateur pénètre avec beaucoup de douceur et de tendresse dans le drame vécu en quelques jours par une adolescente confrontée au choix épineux de poursuivre ou d’interrompre une grossesse non désirée.

Seule en scène, Juliette Allain donne toute leur puissance émotionnelle aux mots simples mais justes de Catherine Verlaguet

Ces mots, qui témoignent des états d’âme et des doutes de Claire, le personnage central, sont astucieusement mis en relief par les images colorées et vives d’un petit film d’animation imaginé par l’illustratrice et réalisatrice Inès Bernard-Espina, diplômée en 2016 de l’Ecole des métiers du cinéma d’animation d’Angoulême. De manière très graphique et avec une grande virtuosité, ce court-métrage, projeté sur une toile en forme d’œil tendue en fond de scène, suggère tout en nuances l’histoire d’amour entre Claire et Fabien, notamment leur décision de vivre ensemble leur « première fois ».

 

Juliette Allain parvient avec talent à rendre parfaitement crédible son personnage d’adolescente de 15 ans confrontée à un choix qui la dépasse, même si cette dernière fait parfois preuve d’une très (trop) grande maturité pour une jeune fille de son âge et si ses réflexions sont de temps à autre plutôt l’expression du point de vue de l’autrice, qui a elle-même vécu cette épreuve de l’avortement, mais plus tard dans son existence. A la fin de la représentation, un seul regret : ne pas avoir pu, comme les élèves qui ont assisté à la forme itinérante du spectacle, entendre la comédienne nous murmurer à l’oreille son émouvant récit.

 

Cristina Marino / Le Monde 

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January 17, 2022 5:59 AM
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Tiphaine Raffier déploie une réflexion captivante sur la compassion et l'empathie dans "La Réponse des hommes"

Tiphaine Raffier déploie une réflexion captivante sur la compassion et l'empathie dans "La Réponse des hommes" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 

Par Alexis Campion dans le JDD - 16 janvier 2022

Photo © Simon Gosselin 


La ­Réponse des hommes est le quatrième spectacle de Tiphaine Raffier. Il sera joué jusqu'à fin janvier aux ­Amandiers de ­Nanterre.

 

Créée devant un public de professionnels en décembre 2020 au Théâtre du Nord – à défaut de ­pouvoir exister au Festival ­d'Avignon 2020, annulé – La ­Réponse des hommes est le quatrième spectacle de Tiphaine Raffier, joué jusqu'à fin janvier aux ­Amandiers de ­Nanterre. La metteuse en scène de ce spectacle total est une touche‑à-tout, également dramaturge, comédienne, auteure et réalisatrice. Son théâtre n'est pas sans lien avec celui de Julien ­Gosselin, qui l'a dirigée dans Les Particules élémentaires et dans 2666. À grand renfort de vidéos et de décors contemporains épurés, il convoque des images qui pourraient presque être celles d'une série ou d'un film d'aujourd'hui, et qui sont le fruit d'une scénographie à la fois fluide, ambitieuse et plaisante.

 

Sur le plateau de La Réponse des hommes, voici dix comédiens – Catherine Morlot, Camille Lucas, Judith Morisseau, Sharif Andoura, Éric Challier, Teddy Chawa… –, quatre musiciens, sept techniciens vidéo et son. Avec ce collectif de choc, Tiphaine Raffier nous plonge dans un dispositif où d'entrée de jeu s'impose une sensation de vertige, de résonance, de ­dédoublement.

 

Nos réactions les moins glorieuses ne sont pas les moins humaines

Dès la première scène, pensée en forme de cauchemar aux confins de la danse macabre, on est saisi. La rêveuse enfiévrée est une jeune mère en grande difficulté : elle ne se relie pas au bébé qu'elle vient de mettre au monde, elle n'arrive même pas à le toucher. Qui doit-on sauver, la mère dépressive ou l'enfant innocent ? Cette question n'est que la première de toute une série au gré d'histoires et de tableaux tous très différents les uns des autres. Tous interpellent l'humain dans son examen de ce qui est juste, de ce qui ne l'est pas, de ce que la morale dispute aux sentiments.

 

Nos réactions les moins glorieuses ne sont pas les moins humaines. Il est ici question de venir en aide aux migrants, de rendre visite aux prisonniers, d'enseigner, de transmettre, de sauvegarder ce qui peut l'être. Dans un monde en perdition touchant déjà à sa fin, quelle est la responsabilité de l'humble mortel? Au fil de ces scènes, c'est la menace nucléaire qui rôde, l'intelligence des pédocriminels qui pose question, les désastres écologiques et ­humanitaires qui résonnent. Tiphaine Raffier est partie des œuvres de miséricorde décrites dans ­l'Évangile selon saint Matthieu – comme donner à manger aux affamés, offrir à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, assister les malades, etc. – pour construire son spectacle. Elle fait aussi référence à une fameuse suite de films, Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski, où il est aussi question de miséricorde, d'éthique, de bien, d'empathie.

 
 

Avec sérieux, parfois presque trop mais c'est captivant, la mise en scène et les dialogues passent avec une agilité réjouissante d'un mode à l'autre : du rêve à la réalité, de la terreur immédiate à la menace diffuse plus globale, de la splendeur consolatrice de l'art baroque à l'angoisse dystopique. Pourquoi le bien, quand tout paraît déjà promis aux ténèbres? Les émotions des personnages s'additionnent, s'enchevêtrent dans une sensation de tourbillon, on passe sans crier gare de l'harmonie à la dissonance, de l'expérience à l'analyse. Ainsi va l'humanité confinée dans le doute originel, misère qui n'exclut pas la ­grandeur.

 

 

La Réponse des hommes, au Théâtre Nanterre-Amandiers (92) jusqu'au 28 janvier, puis en tournée à Villeurbanne, Lorient, Saint-Étienne, Toulouse, Tours, Valenciennes, Vire et Lille.

 
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January 16, 2022 5:59 PM
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Qui est Éric Ruf, celui qui a donné un second souffle à la Comédie-Française ?

Qui est Éric Ruf, celui qui a donné un second souffle à la Comédie-Française ? | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par AFP, publié dans Lalibre.be (Bruxelles) le 16 janvier 2022

Photo © AFP

Éric Ruf a insufflé un vent nouveau à "la maison de Molière", qu’il dirige depuis 2014.

 

Il a ouvert la Comédie-Française à l’international, encouragé une nouvelle génération de metteuses en scène et embauché des talents issus de la diversité : l’administrateur Éric Ruf a insufflé un vent nouveau à "la maison de Molière".

 

"Il faut faire et non pas dire" : l'homme de 52 ans, en poste depuis 2014, aime bien citer Molière, assis dans son bureau où est accroché un portrait de Jean-Baptiste Poquelin.

 

Pour cet enfant du sérail entré dans la vénérable troupe à 23 ans, attirer les grands metteurs en scène étrangers n'a pas été chose aisée. En 2016, il fait revenir la troupe au Festival d'Avignon après 23 ans d'absence, pour un spectacle choc : Les Damnés, adapté du film de Visconti sur la chute d'une famille à l'époque des nazis, dans une mise en scène glaçante du Belge Ivo van Hove. Ivo van Hove qui a signé ce 15 janvier sa troisième production pour le "Français" à l'occasion du 400e anniversaire de Molière, Tartuffe ou l'Hypocrite, soit la version originale, et censurée.

 

Éric Ruf a réussi également à attirer Thomas Ostermeier, le plus international des metteurs en scène allemands.

Loin de l'image "de la dernière forteresse du théâtre classique", il confie admirer "la jeunesse et la fraîcheur d'esprit" des comédiens.

 

Éric Ruf, qui est aussi metteur en scène, décorateur et scénographe, rappelle que "Molière présidait aux destinées économiques de son théâtre, s'arrangeait avec la tutelle royale de l'époque, avec les mécènes, dirigeait les acteurs et jouait…".

 

 

L’administrateur a su s’adapter aux temps difficiles de la pandémie avec le lancement dès le premier confinement d’une "webtélé".

Ces dernières années, Éric Ruf a embauché des comédiens issus de la diversité : Gaël Kamilindi (2017), Birane Ba (2019), et Séphora Pondi et Claïna Clavaron en 2021. "Je m'en fous de leur couleur de peau […] Les acteurs qui entrent dans cette maison sont choisis pour leur talent", dit-il, tout en reconnaissant le "retard par rapport aux Anglo-saxons" et qu'une avancée est "nécessaire". "On reçoit des scolaires et cette population est plus diversifiée que le public fidélisé […] si ce répertoire est porté aussi par des gens qui leur ressemblent, c'est important", dit-il. (D'après AFP)

 
 

 

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January 16, 2022 5:42 PM
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En France et au-delà, on souffle les 400 bougies de Molière 

En France et au-delà, on souffle les 400 bougies de Molière  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par AFP dans Le Courrier du Vietnam - 16 janvier 2022

 

400 ans et pas une ride : l'année anniversaire de Molière démarre samedi 15 janvier en France, mais aussi dans d'autres pays, pour célébrer le plus connu et le plus populaire des dramaturges français.

 

Baptisé le 15 janvier 1622 (il serait né un ou deux jours plus tôt), Molière, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, est un auteur si emblématique que l'acteur Francis Huster se bat depuis des années pour qu'il entre au Panthéon.

Une idée défendue récemment par la candidate LR à la présidentielle Valérie Pécresse, qui a décrit le dramaturge du XVIIe siècle comme "le plus grand génie du théâtre français". Mais l'Élysée a écarté une telle éventualité, estimant dans un communiqué transmis à l'AFP que toutes les figures panthéonisées "sont postérieures aux Lumières et à la Révolution".

Les célébrations auront lieu notamment dans les hauts lieux qui ont marqué sa carrière de directeur de troupe et de dramaturge, mais surtout dans sa "maison", la Comédie-Française, née sept ans après sa mort dans la continuité de sa troupe.

La troupe va jouer exclusivement des pièces de Molière jusqu'en juillet, à commencer dès samedi 15 janvier par Tartuffe ou l'Hyprocrite, la version originelle et censurée de la célèbre pièce sur le faux dévot.

Et comme chaque 15 janvier, un hommage lui sera rendu au Français: un buste de Molière est posé solennellement sur scène, toute la troupe rassemblée le salue et chacun récite une réplique de ses pièces.

Cette cérémonie, précédée de Tartuffe, sera diffusée en direct dans les cinémas, où seront retransmis dans les mois à venir Le Malade imaginaireL'Avare et Le Bourgeois Gentilhomme.

"Il est partout dans l'air" 

"J'ai un rapport de camarade avec lui", affirme Dominique Blanc, une des comédiennes les plus admirées de la troupe. Le Français, situé près du Palais-Royal et du Louvre, "est ancré dans le quartier où il vivait et où il est mort, il est partout dans l'air", sourit-elle.

 
Le comédien Denis Podalydès affirme lui ne pas être "superstitieux" quant à la présence de l'esprit de Molière dans la maison. "Il dort dans les livres jusqu'à ce qu'on le joue (et là), il y a quelque chose de très vivace".

À Versailles, où Molière avait pour protecteur le roi Louis XIV et devant lequel il a créé certaines de ses emblématiques pièces, plusieurs vont être reprises dans leur forme originale : les "comédies-ballets", créées en complicité avec le compositeur Lully.

Dans la ville, qui organise chaque été "Le Mois Molière", une statue signée de l'artiste Xavier Veilhan sera érigée en mai et une exposition, "Molière, la fabrique d’une gloire nationale" ouvrira ses portes à partir de samedi 15 janvier.

Une autre statue sera dévoilée samedi 15 janvier, cette fois-ci à Pézenas (Hérault) entre Béziers et Montpellier, où Molière a séjourné à plusieurs reprises au début de sa carrière. Le centre historique sera rythmé par des extraits de ses comédies ou des évocations de sa vie et un timbre Molière sera mis en vente en avant-première.

Au Centre national de costume de scène à Moulins (Auvergne-Rhône-Alpes), l'exposition "Molière en costumes" est attendue fin mai et se déroulera jusqu'à début novembre. D'autres expositions sont prévues en septembre par la BNF à la Comédie-Française et à l'Opéra de Paris (Molière en musiques).

De nombreux colloques lui seront consacrés en France et à travers le monde, de la Sorbonne à Paris à l'université américaine de Yale, en passant par la Università degli Studi di Torino (Turin) ou encore Florence, selon le site dédié moliere2022.org

Des activités et des pièces sont également prévues en Belgique, en Suisse, et même dans la ville américaine de Kansas City.

Et en édition, un Atlas Molière, rassemblant 150 cartes et infographies sur la vie, l’œuvre et l'époque de Molière a été publié vendredi 14 janvier.
 
AFP/VNA/CVN
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January 16, 2022 5:08 PM
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Théâtre. Le très mauvais genre d’Herculine Barbin

Théâtre. Le très mauvais genre d’Herculine Barbin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gérald Rossi dans L'Humanité  17 janvier 2022

 

Bordeaux (Gironde), envoyé spécial.

 

Catherine Marnas met en scène un spectacle passionné, sensible et engagé, avec deux comédiens remarquables, Nicolas Martel et Yuming Hey.

 

 

D’immenses draps blancs couvrent une large part du plateau, offrant un écran mouvant aux mystérieuses projections qui glissent en silence. Puis ils laissent découvrir des lits, des oreillers, un dortoir, dans la douceur d’une lumière dorée, contrastant avec la dureté du propos qui va suivre. Un principe que défend avec passion Catherine Marnas, qui adapte, avec Procuste Oblomov, et met en scène Herculine Barbin, récit autobiographique d’un individu déclaré fille à sa naissance, garçon vingt ans plus tard, avant son suicide. « On aurait pu, dit-elle, faire un montage de textes provocateurs, mais ce n’est pas mon choix, et je ne veux pas non plus de querelles clivantes rejetant définitivement chacun dans un camp. »

Quand l’hermaphrodisme relevait de l’impossible

Sous-titrant sa pièce Archéologie d’une révolution, la directrice du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TNBA) pose avec autant de finesse que de conviction une question que l’on pourrait dire du droit à son genre véritable. Deux comédiens permettent de suivre le fil du drame humain. Nicolas Martel, avec une remarquable force retenue, est un passeur de l’histoire franchissant les époques. Yuming Hey, avec une grâce sensible, jusque dans les doutes les plus profonds, est Herculine, innocente victime d’un univers qui lui est entièrement étranger. Les deux comédiens, dans ces partitions éloignées, se rejoignent dans une parole émouvante.

 

 

À sa naissance, le 8 novembre 1838 en Charente-Maritime, Herculine Barbin est considérée de sexe féminin, élevée en tant que fille dans des institutions religieuses avant d’intégrer, comme jeune institutrice de 17 ans, un pensionnat de jeunes demoiselles. Là, elle tombe amoureuse de Sara, sans comprendre les bouleversements dans son corps. Au XIXe siècle, en ces lieux, évoquer le sexe, le désir, le sentiment ou encore l’hermaphrodisme relève de l’impossible. Depuis le XVIIIe siècle, « les théories biologiques de la sexualité, les conditions juridiques de l’individu, les formes de contrôle administratif dans les États modernes ont conduit peu à peu à refuser l’idée d’un mélange des deux sexes en un seul corps », pointe le philosophe Michel Foucault dans sa préface à Mes souvenirs, le journal tenu par Herculine, publié chez Gallimard en 1978. Le texte original a disparu, mais il avait été partiellement publié une première fois en 1872 dans un ouvrage scientifique : Question médico-légale de l’identité dans ses rapports avec les vices de conformation des organes sexuels.

 

 

Dans ses Métamorphoses, parues au Ier siècle de notre ère et effleurées sur le plateau, Ovide fait état du devin aveugle Tirésias, qui tous les sept ans change de sexe. Au Moyen Âge, l’hermaphrodite avait le droit de choisir son sexe (et de s’y tenir toute sa vie) si celui assigné à sa naissance ne lui convenait pas. Au XIXe siècle, Herculine Barbin n’a pas eu ce droit. Il fut décidé, après examens médicaux et avis de l’Église, qu’elle se prénommerait Abel, devrait se vêtir et se comporter en homme. Exercice impossible. « J’ai 25 ans et quoique encore jeune j’approche à n’en pas douter du terme fatal de mon existence »,   écrit-il/elle. Avouant aussi : « Sous une apparence de froideur, j’avais un cœur de feu. »

 

 

Au TNBA jusqu’au 22 janvier. Téléphone : 05 56 33 36 80. Le spectacle sera repris au Théâtre 14, à Paris.
 
 
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January 16, 2022 6:36 AM
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Léon Volet, de quoi en faire tout un cirque !

Léon Volet, de quoi en faire tout un cirque ! | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde, 15 janvier 2022

 

Légende photo : Léon Volet dans le quartier de Bercy, à Paris, le 6 janvier 2021. BAUDOIN POUR « LE MONDE  »

 

 

« Promesses de 2022 » (11/12). L’acrobate originaire de Lausanne est très attendu cette année avec deux premiers spectacles.

 

« Puisqu’il est trop tard pour être pessimiste, soyons optimiste. » Au moment de partir en tournée, avec toutes les incertitudes dues à la pandémie de Covid-19, Léon Volet, 29 ans, cite spontanément l’écosocialiste belge Daniel Tanuro, dont les livres ont nourri sa pensée politique et militante de gauche. Il met aussi en avant le jeu d’action vidéo Grand Theft Auto IV – « mais sans les armes et avec beaucoup de tendresse » – pour donner la saveur sauvage de cette traversée urbaine qu’est le spectacle Impact d’une course, bientôt sur les routes. Entre les deux, le cœur de Léon Volet ne choisit pas. Comme sur la piste où il tire naturellement des bords entre « volonté de rupture, de renouveau en renversant la table tout en s’appuyant sur ce cadeau qu’est l’histoire du cirque ».

Labellisé Jeune talent cirque 2021, lauréat de la bourse « écriture cirque » de l’association Beaumarchais, Léon Volet, rencontré mardi 4 janvier, à Paris, avant qu’il n’attrape un train pour Marseille où il habite, est très attendu cette année avec deux premiers spectacles. Immédiatement, il rappelle qu’il n’est pas seul sur le front et œuvre en collectif. Lancée en 2019, avec cinq complices, La Horde dans les pavés présente Impact d’une course (2021), déambulation dans l’espace public qui conjugue parkour, escalade, ultratrail, vélo acrobatique et danse contemporaine. « Nous revendiquons un travail de portés assez minimaliste avec beaucoup d’unité entre nous », précise-t-il.

Appétit débordant

Créé la même année, avec Ramiro Erburu et Carlo Cerato, EDO Cirque parie plus sur « la variété des personnes, des émotions… » « On a choisi ce nom car on a vu un jour la vidéo d’un numéro assez horrible avec un ours qui se comportait comme un homme, poursuit-il. On désire valoriser un côté étrange, pas forcément cohérent, mais pas contradictoire non plus. » Actuellement en préparation, Estetica dell’orso se compose de séquences courtes de « mât chinois, d’équilibre sur un ballon, de jonglage, de clowns… ».

« On désire valoriser un côté étrange, pas forcément cohérent, mais pas contradictoire non plus. »

Pour expliquer cet appétit débordant, cet outillage tous azimuts, Léon Volet évoque « sa pratique sportive en montagne, mais aussi sa peur de s’ennuyer ». Né à Lausanne d’un père suisse, expert en marketing, et d’une mère brésilienne, assistante sociale, il aime « venir d’ailleurs et avoir eu la chance de grandir entre deux cultures ». Il rêve d’abord d’être guide de montagne et passe le plus clair de son temps libre à skier et à pratiquer l’escalade. Parallèlement à des études de sciences de l’environnement à l’université de Lausanne, dont il sort diplômé en 2014, ce passionné de skate se forme tout jeune aux techniques du cirque.

Il a 14 ans lorsqu’il intègre l’école locale tenue par le trio Velinos. « C’est parce que je me cassais toujours quelque chose que ma mère m’y a inscrit, se souvient-il. J’y ai appris à tomber sans me blesser. » Il y engrange pendant cinq ans de multiples apprentissages, dont le jonglage, le fil, l’aérien… A 22 ans, pour échapper au service militaire, il devient professeur d’acrobatie pour enfants, dans une école à Fribourg (Suisse) . « C’est là que j’ai compris que le cirque était un métier et que c’était ce que j’avais envie de faire. » En 2015, il file se spécialiser pendant deux ans à la bascule coréenne à la Flic Scuola di Circo, à Turin (Italie), puis au mât chinois au Centre national des arts du cirque, à Châlons-en-Champagne. « Il me semblait que c’était le lieu qui permettait vraiment de se projeter professionnellement. »

 

 

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés La difficile entrée en scène des jeunes diplômés du cirque

« Mozart du mât chinois »

De fait, les programmateurs le remarquent vite et s’emballent. « La piste est un grand terrain de jeu pour cet artiste surdoué et gourmand d’expériences qu’est Léon, estime Yveline Rapeau, directrice de la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie et du festival Spring. C’est un Mozart du mât chinois. Mais, au-delà de cette virtuosité et de cette fougue, c’est son rapport animal et instinctif à tous les espaces, qu’il s’agisse du plateau ou de la ville, qui me fascine. Cette fraîcheur, que beaucoup de jeunes circassiens ont perdue sous une gangue de technique et d’intellectualisme, est à vif chez lui. »

 

Parmi ses références, Léon Volet distingue les têtes chercheuses ultra-virtuoses que sont Vimala Pons ou Maroussia Diaz Verbèke, mais aussi l’univers loufoque et déréglé de Nanda Suc et Federico Robledo de la Société protectrice des petites idées. Il vient de rencontrer à Recife (Brésil), où il fêtait les 100 ans de sa grand-mère, les chorégraphes Calixto Neto et Luiz de Abreu dont il apprécie les pièces. Epris de littérature, et notamment celle de Donna Haraway et de Sophie Divry « pour leur défense de la fiction », du cinéma de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, qui « me parle de ma jeunesse et de la violence avec douceur et crudité », il pioche son inspiration « un peu partout ». Pour mieux trouver son cirque à lui « joyeux et coloré, sans hiérarchie entre le beau et le moche, le réussi et le raté, les choses que l’on pense importantes et celles que l’on pourrait estimer plus marginales… Avec toujours le corps le plus malléable possible au centre du propos ».

 

 

Estetica dell’orso, EDO Cirque, 3 et 4 mars, festival Spring, La Brèche, Cherbourg.

 

 

Impact d’une course, par La Horde dans les Pavés. Châteauroux (7, 8 avril), Obernai (23, 24 avril), Rabastens (21 mai), Lannion (27, 28 mai).

 

 

« Promesses de 2022 », une série en douze épisodes
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January 15, 2022 7:17 PM
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Michael Edwards : «Molière ne rit pas des gens, mais avec eux» 

Michael Edwards : «Molière ne rit pas des gens, mais avec eux»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Elisabeth Franck-Dumas dans Libération - 15 janvier 2022 

Légende photo : Jérôme Savary dans le Bourgeois gentilhomme en 1985. (© Patrice Cartier/Bridgeman Images)

 

Pour l’académicien Michael Edwards, le dramaturge parvenait à utiliser la farce pour rire de la misère de l’homme. Il regrette que Molière soit souvent associé à la moquerie.

 
 

Auteur en 2012 d’un ouvrage sur le rire de Molière (1), professeur au Collège de France et académicien, le Franco-Britannique Michael Edwards estime qu’il ne faut pas limiter le comique de Molière à la satire et l’ambition de «corriger».

 

 

Il existerait selon vous un malentendu autour du rire de Molière, une hiérarchie qui voudrait que le «vrai» Molière soit celui des hautes comédies, et que le reste, les farces, ne soient pas dignes de lui…

 

Oui, et elle existe depuis son époque à lui. Vous connaissez les vers de Boileau – «dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe /je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope». Voltaire a en quelque sorte anobli l’idée, en disant qu’on va plus à la comédie «pour rire que pour être instruit» – une phrase formidable par ailleurs. Mais en effet, l’idée c’est que Molière est un grand écrivain français, donc universel, et pour être un grand écrivain on ne peut pas être simplement un écrivain comique. Il faut qu’il y ait un fond, qu’on s’intéresse aux problèmes de la société, que George Dandin soit cruel, que le Malade imaginaire soit amer. Donc ses «vraies» comédies seraient le Tartuffe ou les Femmes Savantes. C’est une conception fausse du génie, il suffit de lire Shakespeare pour se rendre compte que les comédies qui ne sont que cela sont aussi puissantes que les tragédies, qu’elles parlent aussi de la transformation de l’homme et de la société. Mais cette idée induit que la farce chez Molière est méprisée, et pire que cela, mal comprise.

 

De quelle manière ?

 

L’on ne voit pas que la farce est quelque chose d’extrêmement profond, très souvent une sorte de protestation contre un monde déchu. Le sujet de tant de farces, c’est la mort, ou la maladie, ou la violence, ce qui n’est pas satirique. Ce rire-là nous instruit sur le monde autant que la crainte et la pitié le font dans la tragédie. C’est pour cela que Molière est un grand écrivain : il a compris que le rire est aussi sérieux que la tragédie. Il fait de la «misère de l’homme», comme dirait Pascal, un sujet de rire non pas satirique, non pas peu profond, mais d’un rire que je qualifierais de joie. C’est l’éclat du rire ou du sourire sur le visage de quelqu’un qui devient une lumière, une illumination.

 

Tout le contraire du rire moqueur auquel on associe généralement Molière ?

 

Mais Molière ne rit pas des gens, il rit avec les gens ! Molière lui-même était comédien, et quand on regarde les gravures de l’époque, on voit qu’il faisait constamment rire. C’est essentiel, car on voit des Alceste aujourd’hui qui sont toujours très sombres, souvent vêtus de noir, mélancoliques, alors que Molière n’était pas comme ça : quand il lisait les vers qu’il avait écrits pour Alceste, il faisait rire ! Je suis persuadé que Philinte faisait rire aussi, le juste milieu de Philinte est aussi comique que l’exagération d’Alceste. Evidemment qu’il y a une dimension satirique chez Molière ; il voyait très bien ce qu’il y avait à tirer des aspects risibles des hommes. Mais il n’y a pas que ça. Et je crois que c’est en partie à cause de Henri Bergson qu’on limite Molière à cela.

 

Pourquoi ?

 

S’il y a un théoricien de la comédie qui est particulièrement triste, c’est Bergson. Il dit dans son essai paru en 1900 que le rire est un geste social destiné à éliminer des comportements que la vie en commun ne peut tolérer, que le rire est un châtiment qui inspire la crainte et réprime les excentricités. La société critique par le rire, le rire n’a rien de bienveillant chez lui, le rire rend le mal pour le mal. C’est terrible ! Et j’ajouterais que lorsqu’on rit de quelqu’un qu’on trouve ridicule, ça n’apporte rien. Il y a du ridicule chez Molière, il en parle lui-même dans une de ses préfaces. Il y a des personnages ridicules, Tartuffe l’est bien entendu. Mais ce n’est pas pour cela que la comédie corrige les mœurs. Un hypocrite ne sort pas du théâtre après avoir assisté à la représentation du Tartuffe en se disant «il faudrait vraiment que je change et ne sois plus hypocrite». Non, on n’est pas corrigés par la comédie.

Billet

400 ans: Molière sous toutes ses farces   Culture

14 janv. 2022    abonnés
 
 

Quand on voit Tartuffe, on rit. Et à la fin, quand Tartuffe disparaît du monde saint, il est pardonné mais perd tout ce qu’il convoitait. Mais quand il parle, le comédien doit faire rire de ce que dit Tartuffe, non pas pour que les spectateurs rient aux dépens de Tartuffe, mais pour qu’ils rient de joie de cette langue de Tartuffe qui est tellement belle. C’est important de rappeler que chez Molière, même les personnages les plus ridicules arrivent à parler une langue qui, elle, ne prête pas à la raillerie. Au-delà de tout, il y a le plaisir du langage, qui est toujours là. Ce plaisir est essentiel et se suffit à lui-même : ce n’est pas plaire pour instruire, mais simplement plaire.

 

Il y a quand même beaucoup de sérieux, parfois, chez Molière, on ne rit pas toujours…

 

Oui, bien sûr. Ce que je trouve particulièrement sérieux, au sens noble du terme, ce sont ces personnages qui changent pour le mieux, comme dans les tragédies et comédies de Shakespeare. Célimène par exemple, qui a toujours les mots pour faire rire, et qui reste silencieuse un long moment après qu’Alceste lui demande d’arrêter de se moquer de lui, qui l’aime. Les quelques vers qui suivent sont merveilleux, et sérieux, on est ému. Il y a chez Molière le sens du changement possible des gens, ils ne sont pas fixes une fois pour toutes, quelquefois des personnages avouent s’être trompés, et changent de nature.

 

Comment rendre sa légèreté à Molière ?

 

Il faudrait que les metteurs en scène renoncent à cette idée que pour faire sa marque il faut montrer Molière extrêmement grave et sérieux. Et il faudrait surtout que les acteurs comprennent que Molière leur donne la possibilité de faire rire les gens d’une façon tout à fait intelligente et de les émerveiller. Molière sur scène bougeait beaucoup, grimaçait beaucoup. Hobbes et Bergson, et même Baudelaire, vous laissent penser que le rire est triste, alors que c’est le contraire. Et il faudrait présenter les comédies-ballets en entier : quand on voit George Dandin avec la musique, il y a bien sûr du ridicule dans la pièce, sa femme est ridicule et lui aussi, mais la pièce n’est pas une farce, n’est pas triste, et quand on entend la musique, on voit que cette tristesse dans laquelle on pourrait tomber s’évanouit : on est dans la joie du rire.

 

 

(1) Le rire de Molière, de Michael Edwards, paru en 2012 aux éditions de Fallois, devrait être prochainement réédité

 
 
 
 
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January 15, 2022 6:13 PM
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« On s’adaptera. Le pire, c’est de ne pas jouer » : le spectacle vivant au défi du passe vaccinal

« On s’adaptera. Le pire, c’est de ne pas jouer » : le spectacle vivant au défi du passe vaccinal | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde 15 janvier 2022

 

Représentation de « Juste la fin », au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines, le 26 mai 2021. DENIS MEYER / HANS LUCAS.

 

L’instauration du certificat inquiète les théâtres publics et privés, parfois confrontés à des tensions au sein des équipes et devant déjà gérer des annulations.

 

« Des équipes artistiques vont-elles se fissurer ? Devra-t-on redistribuer des rôles ? » : Alain Batis ne cache pas ses inquiétudes à la veille de la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal. Metteur en scène du spectacle L’Ecole des maris, de Molière, actuellement en tournée, il est « tous les jours sur le qui-vive » face à la vague Omicron et au risque d’annulation. Deux de ses sept comédiens ont été, ces dernières semaines, positifs au Covid-19. Le premier n’était pas vacciné, la seconde l’était.

« En tant que directeur de compagnie, je demande un passe sanitaire en règle, mais je n’ai pas à m’immiscer dans ce que j’estime relever du domaine privé, être testé ou vacciné ». Or, le projet d’instauration d’un passe vaccinal, et non plus seulement sanitaire, pour toute personne travaillant dans un établissement recevant du public va obliger les responsables de théâtre et de compagnie à vérifier le statut vaccinal. « Ainsi une comédienne ou un régisseur qui présenterait un test négatif ne pourrait plus exercer son métier, alors qu’il ne met pas en danger autrui. Cela pose un vrai problème de fond », souligne Alain Batis.

 

 

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« Jamais je n’aurais imaginé qu’on en arrive à dire : Tu ne veux pas te faire vacciner, tu pars. C’est terrible », témoigne Valérie Lesort. Cette comédienne, qui signe avec Christian Hecq la mise en scène d’une nouvelle adaptation du Voyage de Gulliver de Jonathan Swift (actuellement au Théâtre de l’Athénée, à Paris, puis en tournée), évoque des discussions « parfois impossibles » au sein des équipes. « On a été obligés de se séparer d’un collaborateur qui refuse catégoriquement la vaccination. » Mais, selon elle, le passe vaccinal « ne va pas changer grand-chose » car la plupart des artistes « veulent avant tout jouer, exister, sortir de cette pandémie ». Et puis, pour les non-vaccinés qui se testent à leurs frais tous les deux jours, la facture finit par devenir chère.

« Le pire, c’est de ne pas jouer »

Alerté par « les mises en tension des équipes artistiques, administratives et techniques », le Syndicat national des arts vivants (Synavi) réclame « l’abandon du projet de loi en faveur de la mise en place d’un passe vaccinal, la remise en œuvre des protocoles expérimentés avec succès et le retour à la gratuité des tests afin de continuer à prévenir la propagation du virus au sein de [leurs] équipes et auprès du public ». Pour Emmanuelle Gourvitch, coprésidente du Synavi, le contrôle du passe vaccinal « emmerde des équipes entières et constitue une intrusion violente dans la vie privée. Tout le monde a envie de travailler. Que l’Etat prenne ses responsabilités, qu’il dise clairement que la vaccination est obligatoire plutôt que nous demander de fliquer nos collègues ».

 

 

Valérie Lesort metteuse en scène : « Jamais je n’aurais imaginé qu’on en arrive à dire : Tu ne veux pas te faire vacciner, tu pars »

 

 

Tous ne sont pas aussi exaspérés. « Le passe vaccinal ne changera rien. Nous n’avons eu, jusqu’à présent, aucun problème avec les compagnies qui se rendent bien compte de la nécessité de se protéger pour protéger le travail de tout le monde », assure Laurent Sroussi, directeur du Théâtre de Belleville à Paris et codirecteur artistique du Théâtre 11 à Avignon. Déjà, cet été, lors du festival « off » d’Avignon, « 90 % des équipes artistiques étaient vaccinées », assure-t-il. La nécessité et l’envie de jouer après de longs mois de fermeture, doublés de la crainte d’être de nouveau à l’arrêt ou en jauge réduite en cas de clusters, auraient eu raison des réticences au vaccin.

 

 

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« On s’attend à devoir appliquer l’obligation du passe vaccinal, c’est un peu plus violent que le passe sanitaire, mais si  pour une durée limitée  c’est le seul moyen de maintenir nos salles ouvertes, on s’adaptera. Car le pire, c’est de ne pas jouer », considère Antonin Vulin, directeur des projets, des productions et de la communication du Méta, centre dramatique national de Poitiers-Nouvelle-Aquitaine. Ce lieu a dû bousculer une partie de sa programmation à la suite des dernières mesures sanitaires : Métaplatines, Brunch littéraire, Café de la pensée, Pot commun, etc. Toutes les rencontres conviviales et soirées festives associant artistes et public ont été annulées. « Nous n’avons maintenu que les spectacles en salle. »

 

 

Pour Nicolas Dubourg, président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), qui regroupe quelque 300 lieux subventionnés, « la situation est confuse : non seulement les annulations de spectacles liées à la vague Omicron ont pour conséquence de peser sur l’emploi et la billetterie, mais nous sommes aussi suspendus à l’issue du débat parlementaire sur le passe vaccinal ».

« Incertitude permanente »

Un seul cas positif, et c’est toute une troupe, tout un spectacle, qui se retrouve à l’arrêt. « Nous sommes dans l’incertitude permanente », résume Antonin Vulin. « En répétition, on a toujours l’angoisse, jusqu’à la première, que tout s’arrête. On vérifie les passes sanitaires, les techniciens gardent le masque en salle, on a tous conscience qu’il faut éviter les clusters, pour ne pas risquer de refermer », témoigne Florence Tournier, secrétaire générale du Théâtre national de Bordeaux. Dans d’autres scènes nationales, la parole se fait parfois rare pour expliquer les coulisses d’une annulation ou d’un report de spectacle, comme si on ne souhaitait pas dévoiler les désaccords qui peuvent surgir au sein de compagnies sur la vaccination. « Il n’y a pas plus d’antivax dans le milieu culturel qu’ailleurs », jure-t-on.

Bertrand Thamin, directeur du Syndicat national du théâtre privé : « Deux tiers des théâtres privés ont subi des annulations depuis début décembre »

Et force est de constater que le vaccin n’empêche pas les annulations. « Nous avons dû suspendre pendant une semaine en décembre le seul-en-scène d’Alex Vizorek et la pièce Les Voyageurs du crime, des artistes et un régisseur étaient vaccinés mais ont été déclarés positifs. Ces deux spectacles étaient des succès, reporter les billets a été un vrai casse-tête et on a subi des pertes sèches », constate, amer, Benoît Lavigne. Directeur des théâtres du Lucernaire et de l’Œuvre, à Paris, il ne s’imagine pas, en cas de passe vaccinal obligatoire, « fliquer tout le monde ». Selon Bertrand Thamin, directeur du Syndicat national du théâtre privé, « deux tiers des lieux ont subi des annulations » depuis début décembre 2021.

Surtout, « le niveau de fréquentation n’est jamais revenu à la normale », s’inquiète Benoît Lavigne. « Nous sommes dans une grande instabilité liée à un repli chez soi. En semaine, entre le télétravail et les prises de parole d’Olivier Véran, cela devient très compliqué. Et quand le public sort, il se réfugie sur des auteurs qu’il connaît ou sur l’humour, observe-t-il. Cela devient difficile pour les créations abordant des sujets sociétaux. Il y a chez les spectateurs un besoin de positif et de belles histoires. »

Manque de soutien

A cela s’ajoutent les annulations en cascade des sorties scolaires dans les salles de spectacle. « Le ministère de l’éducation nationale recommande aux chefs d’établissement de ne pas emmener les élèves dans des espaces clos : théâtres, cinémas, musées. Et la salle de classe, n’est-ce pas un espace clos ! Et les activités extra-scolaires, comme les cours de danse ou de musique, sont-elles interdites ? Non. On est en pleine absurdie », déclare le président du Syndeac, agacé. « L’éducation artistique et culturelle fait partie des missions du service public de la culture et il est grave d’en priver les élèves, insiste Nicolas Dubourg. Nous n’avons jamais pu rencontrer Jean-Michel Blanquer à ce sujet. »

 

Alors que la récente étude ComCor menée par l’Institut Pasteur a montré qu’aucun surrisque de contamination n’a été mesuré dans les lieux culturels, bon nombre de responsables de salles de spectacle regrettent l’arrivée d’un passe vaccinal qui va encore complexifier leur travail et le manque de soutien, en mots, de Roselyne Bachelot. « La ministre de la culture pourrait dire “sortez, les théâtres, les cinémas, les musées sont des lieux sûrs”, suggère Benoît Lavigne. Et les candidats à la présidentielle rappeler que la culture est essentielle. »

 

 

Sandrine Blanchard

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January 15, 2022 6:13 AM
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Pourquoi l'histoire d'Herculine Barbin, queer avant l'heure, résonne particulièrement aujourd'hui

Pourquoi l'histoire d'Herculine Barbin, queer avant l'heure, résonne particulièrement aujourd'hui | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Arvers dans Les Inrocks - 14 janvier 2022

 

Révélée par Michel Foucault, l’histoire d’Herculine Barbin nous parvient aujourd’hui, incarnée avec force par Yuming Hey au TnBA de Bordeaux.

 

 
 

Queer avant l’heure, Herculine Barbin dite Alexina B. eut à en souffrir au plus profond de son être et de sa chair. C’est grâce à Michel Foucault qui découvre ses mémoires à la Bibliothèque nationale et les publie en 1978 que son histoire nous parvient aujourd’hui. Celle d’une personne née de sexe féminin en 1838 et élevée en tant que fille, jusqu’à ce qu’un examen médical réalisé en 1860 suite à des douleurs intenses dans le ventre ne révèle qu’elle a des organes masculins. À l’époque, on parle d’hermaphrodite, aujourd’hui, il est plus juste de parler d’une personne intersexe. C’est-à-dire justement, ni complètement homme ni exclusivement femme. Mais pour la société, le cas est vite réglé : un jugement modifie son état-civil et la transforme en homme, renommé Abel. L’institutrice abandonne sa vie, sa passion pour Sara, une autre enseignante, et quitte La Rochelle pour travailler dans les chemins de fer à Orléans. Ça ne dure qu’un temps ; Abel perd son emploi, se retrouve dans la misère et se suicide à Paris en 1868. Le médecin appelé pour constater le décès pratique une autopsie, constatant un cas “de vice de conformation des organes génitaux externes“.

 

Ce manuscrit sera publié une première fois en 1872 dans Questions médico-légales de l’identité dans ses rapports avec les vices de conformation des organes sexuels. On ne saurait poser avec plus de clarté la tragédie intime vécue par Herculine/Abel dont il/elle témoigne avec une sincérité inouïe pour l’époque, retraçant le cours d’une vie, d’abord heureuse, puis d’une solitude affreuse, littéralement à son corps défendant.

Pour Catherine Marnas, monter ce texte aujourd’hui est bien sûr une réponse à “l’irruption du genre sur l’avant-scène de la société, faisant que ce qui était souterrain jusque-là s’affichait dorénavant comme une question essentielle”. Mais la réussite du spectacle tient avant tout au refus de tout didactisme en resserrant son propos autour de l’histoire d’Herculine, sans y adjoindre de béquilles intellectuelles, d’ajouts référencés aux écrits de Paul B. Preciado ou de Judith Butler, même s’ils et elles ont nourri le processus de création. Il s’agit uniquement d’écouter la parole d’Herculine, démarrant son manuscrit par un appel à l’aide auquel nul ne répondra : “J’ai beaucoup souffert, et j’ai souffert seul ! Seul ! Abandonné de tous ! J’ai vingt-cinq ans, et, quoique encore jeune, j’approche, à n’en pas douter, du terme fatal de mon existence.

Gender fluid

Et puis, bien sûr, l’autre grande réussite du spectacle réside dans le choix des acteurs, avec Yuming Hey dans le rôle d’Herculine et Nicolas Martel. À la fois récitant (des Métamorphoses d’Ovide aux rapports médicaux et jugements du tribunal de Saint-Jean-d’Angély) et compagnon de jeu, ce dernier incarne l’ombre portée des délices et des tourments qui scindent la vie d’Herculine en deux périodes aux antipodes l’une de l’autre, dont l’adolescence est le moment charnière où le corps se frotte au désir et à la souffrance.

Gender fluid, Yuming Hey est stupéfiant de justesse dans son interprétation d’Herculine, puis dans celle d’Abel. Il sidère en mettant au défi notre regard : qu’est-ce qui fait que l’on ressent un visage, un corps ou une voix masculins ou féminins à travers des codes à ce point intériorisés qu’ils voient et ressentent à notre insu et qu’un léger détail suffit à altérer notre perception ? Dans sa préface, Michel Foucault pose la question : “Avons-nous vraiment besoin d’un vrai sexe ? Avec une constance qui touche à l’entêtement, les sociétés de l’Occident moderne ont répondu par l’affirmative. Elles ont fait jouer obstinément cette question du ‘vrai sexe’ dans un ordre de choses où on pouvait s’imaginer que seules comptent la réalité des corps et l’intensité des plaisirs. Toutefois, pendant longtemps, l’histoire du statut que la médecine et la justice ont accordé aux hermaphrodites, prouve qu’il n’y avait pas de telles exigences. On a mis bien longtemps à postuler qu’un hermaphrodite devait avoir un seul, un vrai sexe. Pendant des siècles, on a admis tout simplement qu’il en avait deux.”

 

La meilleure illustration de cette affirmation d’une indétermination comme clé de la liberté réside dans la scénographie splendide de Carlos Calvo. D’immenses draps blancs recouvrent un bloc monolithique en fond de scène et un alignement de lits en fer forgé sur lesquels, continûment, défilent et se surimposent des images, des photos d’époque, des paysages, des peintures, tout un velouté de nuages blancs en forme de chrysalides qui donnent à savourer l’indéfini, le complexe et le multiple.

 

 

Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution, d’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault. Mise en scène Catherine Marnas. Avec Yuming Hey et Nicolas Martel. Jusqu’au 22 janvier au TnBA de Bordeaux.

 
 
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January 14, 2022 12:21 PM
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Hommage à Jean-Jacques Beineix : quand le réalisateur de 37°2 choisit le théâtre musical - Article et vidéo de TV5 Monde (2015)

Hommage à Jean-Jacques Beineix : quand le réalisateur de 37°2 choisit le théâtre musical - Article et vidéo de TV5 Monde (2015) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Reportage de Frantz Vaillant pour TV5 Monde publié en août 2015

 

On attendait un nouveau film de Jean-Jacques Beineix . Mauvaise pioche. Le réalisateur français, auteur des oeuvres cultissimes "Diva" et "37,2° le matin" a choisi le théâtre. Il met en scène "Kiki de Montparnasse", un spectacle qui évoque en chansons la vie tumultueuse et sombre de celle qui fut la maitresse de Man Ray, la muse de Foujita et de Modigliani. Une réussite.

 

Théâtre du Lucernaire,  quartier Montparnasse à Paris.
Sur la scène, Héloïse Wagner et deux musiciens. C'est la répétition générale. La première aura lieu dans quelques jours. Concentration maximum pour tout le monde.
Devant la comédienne et chanteuse, assis parmi des fantômes de spectateurs, Jean-Jacques Beineix. Son oeil-scanneur  capte tout. Le réalisateur n'interrompt pas le "filage", préférant consigner ses remarques sur un petit carnet.

Héloïse commence. La première chanson rend  hommage  à ce quartier de Montparnasse, qui fut aussi celui de Kiki, l'héroïne du spectacle.

Elle chante   :

Dans l'quartier
Y'a plus d'artistes au mètres carrés
que de banquiers qui prennent des risques
Pour leur prêter ..


(Carr'four Vavin)

Reinhardt Wagner signe la musique, Frank Thomas les paroles. Les chansons du spectacle, comme poreuses d'émotion,  évoquent avec tendresse et subtilité  quelques  chapitres d'une vie calcinée par l'amour, l'alcool et la drogue.  
Les deux artistes ont du métier : leur talent conjugué a déjà permis de prendre la route des Oscars. C'était en  2010. "Loin de Paname", extraite du film "Faubourg 36" avait été nommée Oscar de la meilleure chanson.
Aujourd'hui, le tandem récidive. Pour le meilleur... mais pas pour le rire : la vie de cette étoile filante alterne fêtes endiablées et  coups du sort.
Jean Jacques Beineix, qui signe  la mise en scène,  relativise : "Roméo et Juliette, ce n'est pas très gai non plus.."

Une mise en scène épurée


La répétition achevée, nous retrouvons le réalisateur. Il a la réputation d'un dogue prêt à mordre, familier des orages humains. Nous rencontrons un homme  bienveillant et soucieux. On le dépeint comme un mégalo forcené : il signe ici une  mise en scène épurée et efficace. "C'est une vision impressionniste de Kiki, pas du tout une vision historique et chronologique" précise-t-il.
Le bon choix, selon nous.
Au gré des 14 chansons distillées au cours du spectacle, le spectateur rentre dans l'univers de Kiki sans effraction.  Et le miracle s'accomplit. Chaque spectateur devient un peu Kiki lui-même,  au diapason de son émotion toujours  à fleur de peau. Nous accompagnons le désarroi de cette femme simple et terriblement vivante, nous partageons ses peines et ses battements cardiaques se synchronisent aux nôtres. Et l'on se surprend à sourire quand elle est heureuse et à grelotter quand elle à froid. Voyage en Kiki ou l'émotion en communion.

 

Mais pourquoi donc avoir choisi Kiki de Montparnasse ? Le réalisateur s'emballe : " C'est une muse, celle d'une époque où tout est réinventé, où il y a un mouvement artistique, une lame de fond juste après la première guerre. Elle en est à la fois l'une des muses et des égéries. Kiki  a inspiré Joujita, Kissling, Moigliani et aussi Man Ray, dont elle a été la maitresse. C'était l'hôtesse endiablée de nuits folles de Montparnasse, ce quartier qui fait rêver les américains. Elle a connu Hemingway, Dos Passos. Le monde entier gravitait autour de Montparnasse. Elle incarne cette folie artistique.. et amoureuse." 

On sait Jean-Jacques Beineix sensible à ces trajectoires brisés de femmes exceptionnelles  et comme aspirées par l'abime avec lequel elles se plaisent à  flirter.   Qui a oublié "Betty", l'héroïne de "37,2° le matin" qu'interprétait Béatrice Dalle ?
Il explique : "Kiki, c'est une très très belle héroïne de pièce de théâtre et certainement de film..C'était l'occasion  de faire une chorégraphie d'impressions, et en quelque sorte,  d'images,  mais sans caméra pour une fois"

Kiki, reine de Montparnasse

Comment ne pas être sensible à la vie de Kiki, de son vrai nom Alice Ernestine Prin ? Une odyssée  étourdissante. Quand elle débarque à Paris, en 1913, la gamine n'a que 16 ans. Elle travaille sur les chaînes d'armement et vendeuse dans une boulangerie, où elle ne reste guère. Elle  crève la faim. Son refuge, son 

soleil, sa chaleur, c'est d'abord le café La Rotonde. Alice est recueillie un moment par le peintre Chaïm Soutine.


Au gré de ses rencontres, où  sa beauté et son audace séduisent des artistes toujours plus nombreux, elle fait la connaissance de  Foujita, de Modigliani et de Man Ray. Ils succombent à son charme desinhibé, cette manière un peu paillarde de les inviter au voyage du plaisir sans histoire et sans complexe. Cette femme aux yeux de chat, qui peigne ses sourcils de la couleur de ses robes,  est de tous les bals, tous les dîners, toutes les fêtes hautes en couleurs qui scintillent alors à Montparnasse et dont les paillettes de lumière vont illuminer le monde.


En 1928, elle fait une apparition  dans le film "Paris-Express" signé Pierre Prévert et Marcel Duhamel à la terrasse du Dôme, un café chic.  Elle n'hésite pas, lors d'une publication clandestine écrite par Louis Aragon et Benjamin Perret et intitulée "1929", à apparaître faisant l'amour avec Man Ray. Scandale.  Les exemplaires sont saisis. A cette époque, Paris, plus que jamais, est une fête. Somptueuse pour qui en a les moyens. Les ouvriers, nombreux, n'y goûtent pas. Cette débauche n'est pas pour eux.
Les années folles tournent la tête. On boit  des piscines de champagne, on expérimente l'explosion des tabous. Kiki est toujours partante.  Le sculpteur américain Calder  réalise son portrait en fil métallique. Tout est permis. Elle vit ces réjouissances  avec force.  Elle chante, peint, tout lui réussit. Elle se laisse étourdir  dans des plaisirs souvent faciles. Son corps, qu'elle déshabille sans problème, promet toutes les aventures. Ses seins, surtout,  font rêver les mâles affolés. La diablesse  joue  du trouble qu'elle fait naître. Elle semble parfaitement heureuse et cela se voit. Elle gagne sa vie, notamment,  au "Jockey ". C'est  l'endroit le plus remuant. KIKI en est la vedette. Elle danse  sur les tables et chante des chansons de marin. Elle est une reine. Les hommes sont ses sujets préférés.


Les artistes ?  A ce moment-là,  ils ne sont pas des êtres de légende. Ils produisent leurs oeuvres comme des pommiers donnent leur fruit, sans  vrai souci du lendemain. Ils sont loin d'imaginer  qu'un jour leur travail reposera dans des musées prestigieux ou à l'abris chez de riches collectionneurs. Ce sont des hommes sûrs de leur talent et bien décidés, au lendemain de cette première guerre mondiale qui a saigné le monde, à dévorer la vie,  à jouir à n'importe quel prix.
Qu'importe le scandale pourvu qu'on ait l'ivresse. 
Kiki de Montparnasse leur devient  vite indispensable. Cela tombe bien. La jolie dame aime l'amour.

"Cette fois, j'ai un homme tout à moi
Je suis sérieuse comme à 15 ans
Quand j'étais vierge et qu'en dedans
J'avais un coeur prêt à l'emploi"

(
Un homme tout à moi)

 

Y'a qu'la coco


Mais il n'y a pas que des éclats de rire et des éclats de verre, des bouches pâteuses et des gueules de bois.  En février et mars 1932, pour payer les frais d'hospitalisation de sa mère tombée dans l'alcool, Kiki se produit au Bal Musette, un cabaret berlinois où sa prestation fait un tabac. Pendant ce séjour, où le bruit des bottes nazis commence à s'imposer, sa mère décède à Paris. Kiki est dévastée.
Au printemps, elle se console dans les bras d'André Laroque, surnommé Dédé. Il est vérificateur des contributions (agent des impôts) et accordéoniste.
Pendant  la deuxième guerre mondiale, elle s'amourache d'un plombier qui  la frappe mais, dit-elle, ce violent lui fait  "divinement l'amour".
Désormais, elle partage son temps entre l'Indre-et-Loire et la Bourgogne. Elle boit plus que de raison, se drogue, devient méconnaissable.

Tomber plus bas qu'la mort
Y'a pas, Y'a pas...
Tomber plus bas qu'la mort
Y'a qu'la coco pour vous faire ça


(La coco)

Ses contrats se font rares puis disparaissent tout à fait. Elle sombre dans des gouffres de tristesse et s'abîme  dans les plaisirs toujours plus artificiels.
Au printemps 1951, elle rencontre par hasard Man Ray, son vieil et grand amour. Le photographe peine à la reconnaître tant elle est usée : obèse,  devenue semi-clocharde, elle vit de la générosité de ses anciens amis.
Kiki est morte depuis longtemps quand Alice Ernestine Prin décède en 1953, à 52 ans.
Elle repose au cimetière de Thiais, en banlieue parisienne.

Un espace intime


Beineix et le théâtre, une nouveauté ? Il se récrie "Mais le théâtre à été l'une de mes premières passions et quand j'étais jeune assistant, j'allais énormément au théâtre voir les mises en scène de Patrice Chereau, de Jean-Pierre Vincent. Je connaissais tous les acteurs !"

Et  le cinéma ? La voix baisse. "Vous savez, laisse-t-il tomber,  les entrepreneurs dans le cinéma sont assez frileux..." Mais il  ne dirait pas non à une captation du spectacle avec, pourquoi pas, une représentation sur une scène plus grande, ultérieurement. Il ajoute : "Ici c'est un petit espace,  mais il  a la particularité de rapprocher les spectateurs de la chanteuse. Et donc c'est très intime. Il se passe dans cet espace au Lucernaire des choses qui ne se passent pas ailleurs. On va voir comment  l'alchimie prendra..."
Le moment de vérité approche.

 
CD : "Kiki de Montparnasse" chansons originales interprétées par Héloïse Wagner, musique de Reinhardt Wagner, paroles de Frank Thomas (Editions Milan)
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January 13, 2022 7:31 PM
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La révolution Rébecca Chaillon : à propos de "Carte noire nommée désir"

La révolution Rébecca Chaillon : à propos de "Carte noire nommée désir" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog 13 janvier 2022

 

Légende photo : Carte noire nommée désir © Vincent Zobler

 

Rébecca Chaillon s'entoure de sept performeuses pour interroger la construction du désir des femmes afro-descendantes dans un pays majoritairement blanc. « Carte noire nommée désir » détourne le slogan d'une publicité pour une marque de café pour s'intéresser à la fétichisation des corps noirs. Réjouissant, poétiquement enragé, le spectacle à la prose époustouflante fera assurément date.

 

 

Au fond de la scène, deux rangées de canapés confèrent une bifrontalité asymétrique à ce qui va se jouer. L’invitation est spécifiée sur la feuille de salle. Elle est répétée individuellement aux personnes concernées. Ces canapés sont destinés à accueillir, si elles le souhaitent, des femmes afro-descendantes. L’invitation inclut les femmes trans et non binaires. Un bar monté sur roulettes sera à leur disposition tout au long de la soirée. Des annonces précisent, non sans humour, que oui c’est uniquement à destination des femmes noires et que non leurs ami·es blanc·hes ne peuvent pas les accompagner mais que la séparation ne durera que le temps du spectacle. La non mixité est un outil d'émancipation pour les minorités, un préalable à la rencontre entre les publics.

 

Sur le plateau pendent cordes et câbles. Au centre, Rébecca Chaillon, vêtue d’une combinaison de latex jetable blanche et coiffée d’une charlotte du même matériau, lave le sol à quatre pattes. Derrière, sur le côté, une double poussette accueille une multitude de poupons blancs. Côté cour, Aurore Déon, l’une des sept performeuses – chanteuses, danseuses, actrices, circassienne, ayant en commun d'avoir des pratiques intriquées dans leur vie intime – qui vont rejoindre le plateau au fur et à mesure, s’affaire sur un tour de potier. Chaillon, dont les yeux sont blancs, comme vides, frotte, astique de plus en plus frénétiquement, se débarrasse bientôt de sa combinaison, récure en petite culotte, la retire. Le corps blanchi par le latex fait resurgir d’autres stigmates. Elle remplit régulièrement son sceau d'un mélange d’eau et de javel. Sa natte sert maintenant de serpillère. Les quelques mots qu’elle prononce alors sont tout de suite identifiés et provoquent un large sourire dans le public, venant casser le pathos avant qu’il ne s’installe. Elle entonne le refrain de « Maldon » que chantait en créole Zouk Machine il y a plus de trente ans maintenant. Elle racle, déterge, comme si c’était primordial, une nécessité absolue. Puis soudain frotte son bras à la javel, puis sa poitrine comme un besoin impérieux de désinfecter son corps qu’elle tente de décaper convulsivement, s’écorchant presque, quand Aurore Déon vient à sa rencontre, à son secours, lui retire l’éponge de la main, la rassure, la lave, doucement, délicatement, prend soin, lui offre un moment de réparation corporelle qui va bien au-delà de la simple surface de la peau. Pendant de longues minutes, le public regarde un corps noir être lavé par un autre corps noir.

 

Rendre leur fierté aux peaux noires

Cette première scène fait l’effet d’un coup de poing. Laver son corps de cette blancheur qui n’est pas la sienne, ce n'est pas seulement accepter son corps noir, c'est le revendiquer, cesser de vouloir le faire rentrer à tout prix dans des cases qui ne sont pas faites pour lui. Le geste presque rituel est aussi une dénonciation du colorisme, discrimination qui favorise les peaux plus pâles au point pour beaucoup d’avoir recours à des produits éclaircissants.  « Nous avons eu l’impression qu’il était possible de survivre en se camouflant dans la culture dominante » confessera plus tard Rébecca Chaillon. Il y a trois ans, dans un texte rédigé à l’invitation du collectif Décolonisons les arts, elle écrivait : « D’abord il a fallu être comme tout le monde. Il a fallu être blanche. Ou plutôt théâtralement blanc. Au masculin. Composer au masculin[1] ». C’est précisément cela, cette double peine, que la scène d’ouverture vient sinon réparer du moins révéler, comme un préalable nécessaire à la libération des corps.

Elle restera entièrement nue durant la totalité du spectacle. Loin d’être un geste gratuit, la nudité chez Rébecca Chaillon est un acte politique, une façon de revendiquer ce corps noir, de l’aimer, le faire aimer. Pour cela, il faut le montrer, l’imposer, non pas le faire rentrer dans la norme mais bien le faire devenir lui-même une norme. Sous la charlotte apparaissent des dreadlocks qui vont être tressées aux cordes pendantes du plafond par les sept autres performeuses. Une à une, elles gagnent la scène pour effectuer ce tressage qui condamne Chaillon à évoluer dans un espace restreint, littéralement attachée par les cheveux ou plutôt par ce qu’ils représentent, autant d'entraves symboliques lorsqu’on est noire dans une société blanche. Elle retire alors les lentilles qui occultaient les pupilles de ses yeux, s’assoit et commence la lecture de petites annonces matrimoniales trouvées dans un magazine. On pourrait être dans un salon de coiffure, sauf que les annonces, véritables, sont glaçantes de sexisme. La pièce passera par une grande violence pour atteindre la beauté, d’un corps esclave à un corps triomphant.

 

Lorsqu’à la fin d’un repas prenant des allures de sabbat dans lequel les huit performeuses attablées enfilent les clichés comme des perles pour mieux réveiller la conscience du public, Rébecca Chaillon moud du café, c’est sur l’air célébrissime de « Try to remember », chanté notamment par Harry Belafonte qui fut très engagé dans la lutte pour les droits civiques, mais qui en France est surtout connue pour être la bande musicale d’une publicité pour le café « Carte Noire » mettant en scène, dans les années quatre-vingt-dix, l’archétype du couple blanc hétérosexuel. Dès les premières notes l’une des performeuses se transforme en image fantasmée et caricaturale de l’exotisme « vahiné », non pas la tahitienne mais plutôt ici la marque de produits alimentaires qui en 1978 s’adjoignait, pour rire, un chef pâtissier noir au fort accent « africain » pour vendre de la farine et de la levure chimique blanches[2]. L’apparition évanescente « couleur café » sera bientôt aspergée de ce liquide noir qui, dans l’imaginaire collectif, renvoie à des personnes non blanches.

 

Jouant à leur tour aux dames « blanches », exagérant leurs traits pour mieux les parodier, elles se succèdent, précieuses ridicules à la perruque sous le bras, racontant des anecdotes à propos de Fatou, « une véritable douceur d’Afrique ». Personnification de la gardienne des enfants blancs, Fatou incarne le parfait cliché de la nounou africaine. La quinzaine de poupons aperçus au début du spectacle dans un landau serviront d’exutoire. Ils finiront embrochés, empalés à la queue leu leu. Sur l’air de « La Colegiata » dans la version du chanteur colombien Rodolfo Y Su Tipica, popularisée en France par les publicités pour Nescafé dans les années quatre-vingt, tant et si bien que dès les premières notes, on a l’impression de sentir l’odeur du café, le groupe se met à « twerker[3] », accélérant en même temps que la musique pour terminer frénétiquement dans un orgasme collectif libérateur.

 

Sortir du documentaire

« Nous étions des objets de fantasme, à la fois animales, sauvages, sexuelles et non désirées, non désirables. Nous étions potomitantes mais soumises, énervées mais pas prises au sérieux. Nous étions des « mamas » mais infantilisées. Nous devions être respectables, respectueuses de traditions mais intégrées à une société qui ne reconnaissait pas notre histoire comme faisant partie de l’Histoire » écrit Rébecca Chaillon dans dans sa note d'intention.  Performeuse, autrice, metteuse en scène, afroféministe engagée, elle compose un spectacle-performance[4] qui cherche à interroger la construction de soi lorsqu’on est une femme noire vivant dans un pays majoritairement blanc. Au départ, il y a le film documentaire d’Amandine Gay « Ouvrir la voix » (2016) dans lequel vingt-quatre femmes afro-descendantes racontent leur condition minoritaire face aux stéréotypes raciaux. Quelle que soit leur origine, leur classe sociale, leur religion, elles partagent un vécu commun, celui du regard posé sur elles. Pour Rébecca Chaillon, « Carte noire nommée désir » est né de la volonté de rendre hommage à toutes ces prises de conscience. L’intitulé trouve son origine dans une plaisanterie – alors qu’on lui propose une carte blanche, elle répond par une carte noire – et interroge une publicité pour le café dont le slogan constitue le point de départ du spectacle. A l’opposé de la mise en scène des couples blancs hétérosexuels de la pub, le spectacle questionne la construction du désir comme produit des multiples assignations enfermant les femmes noires dans des stéréotypes altérisants. À la forme documentaire, Chaillon préfère ici le voyage initiatique qui peut aussi être intérieur, le conte dans sa dimension poétique. « J’aime bien l’image d’un spectacle qui déborde, qui est excessif à des endroits où l’on n’avait pas prévu qu’il le soit…[5]» précise-t-elle avant de confier : « Faire de la performance, je le vois souvent comme un sacrifice. Un sacrifice pour que le public accède à ses propres pensées, à ses propres émotions ».

 

Rébecca Chaillon surprend, épate, bouleverse. Avec ses deux derniers spectacles[6], elle s’impose à coups d’uppercuts poético-politiques comme l’une des figures majeures de la scène française et au-delà, assurément l’une des plus singulières, l’une des plus nécessaires aussi. Avec ses textes sensibles et ses images fortes, elle invente un théâtre engagé dont on ne sort jamais indemne mais qui fait à chaque fois grandir. Ses propositions ne prétendent pas mener toutes les batailles, encore moins répondre à toutes les questions qui sont celles des femmes noires. Elles apportent, à l’instar des productions de la chanteuse et chorégraphe Dorothée Munyaneza ou de l’autrice et metteuse en scène Eva Doumbia, leur contribution par le biais du spectacle vivant à une décolonisation des territoires politiques qui est aussi celle des corps soumis au désir de l’homme blanc. « J’ai envie que les gens ressortent en sachant quelle place illes prennent dans la société, et qu’illes nous laissent un espace où l’on puisse imaginer nos futures nous[7] » précise l’autrice. « Si l’on pouvait être noires dans le futur, qu’est-ce que l’on aimerait voir, qu’est-ce que l’on aimerait faire, qu’est-ce que l’on aimerait être entre nous ? Mon seul programme c’est que les gens nous regardent en train de faire ça ». Le théâtre comme lieu de la décolonisation mis en œuvre par la performance, assurément Rébecca Chaillon n’a pas fini de nous éblouir.

 

 

[1] Rébecca Chaillon, « En digestion », in Décolonisons les arts ! sous la direction de Leïla Cukierman, Gerty Damburyet, Françoise Vergès, L’Arche Éditeur, 2018, pp. 20-25.

 

[2] Pascal Blanchard, « Vous avez dit communication ethnique ! » Revue des marques, n°58, avril 2007, https://la-revue-des-marques.fr/documents/gratuit/58/vous-avez-dit-communication-ethnique.php Consulté le 2 janvier 2022.

 

[3] De l’anglais « Twerking », le mot « Twerk » est la contraction de « Twist » et « Jerk », danse inspirée de la culture hip-hop américaine qui consiste à secouer hanches et fesses, née dans les diasporas africaines, c’est une variation du Mapouka et du Soukous, danses traditionnelles de Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo.

 

[4] Qui se caractérise par l’absence de narration fictionnelle.

 

[5] Guillaume Cayet, Entretien avec Rébecca Chaillon. Propos recueillis le 29 mars 2021, reproduit dans la feuille de salle du spectacle au Théâtre de la Manufacture CDN Nancy Lorraine, où il a été créé.

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January 13, 2022 3:58 AM
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Catherine Marnas esquisse le portrait délicat d’Herculine Barbin

Catherine Marnas esquisse le portrait délicat d’Herculine Barbin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore dans l'Oeil d'Olivier   - 13 janvier 2022

Photographie © Pierre Planchenault

Au TnBA, avant une reprise en 2023 au Théâtre 14, Catherine Marnas s’empare, avec une infinie délicatesse, des maux et des tourments d’Herculine Barbin, premier.ère hermaphrodite française à avoir livré ses pensées dans un journal intime. Portée par le jeu habité d’Yuming Hey et la présence poétique de Nicolas Martel, la metteuse en scène questionne le genre, égratigne la norme et tisse l’histoire d’une vie.

 

Un bruit d’eau tombant sur de vieilles tuiles résonne salle Vauthier. En un rien de temps, le spectateur quitte le XXIe siècle high tech, pour le très feutré XIXe. Dans un dortoir, un homme, assis sur une chaise, semble perdu dans ses pensées. Il observe les lits recouverts d’un long tulle blanc. Tout semble figé depuis des années, comme si les murs, les lieux, cachaient un lourd secret. 

Lever le voile 

Dans une bassine émaillée, l’individu plonge les mains, les lave, comme s’il voulait se purifier, entrer dans l’histoire, vierge de tout préjugé, de toute idée préconçue. Il s’avance vers le devant de la scène, la première couche. Derrière le voile translucide, un corps allongé, endormi, immobile, se dessine. C’est celui de Camille Alexia Herculine Barbin, né.e femme en 1838, réassigné.e homme à l’âge de 22 ans et mort.e par suicide dans le plus grand dénuement, oublié.e de tous en 1868. 

D’un souffle à l’autre 

Enveloppé.e dans un linceul immaculé, Herculine (vibrant Yuming Hey) gît calme, serein.e. Après une existence singulière, faite de joie mais surtout de beaucoup de souffrances, d’incompréhensions,  il.elle semble enfin apaiser. Troublé par l’aura que dégage cette dépouille à l’éclat irradiant, l’homme (épatant   Nicolas Martel) lui insuffle d’un tendre et chaste baiser la vie. Un temps, les deux comédiens ne font plus qu’un pour qu’enfin Camille libère une parole trop longtemps oubliée dans de poussiéreuses archives. 

La (re)découverte d’une intimité romanesque

S’interrogeant sur le monde, curieuse de ses évolutions sociétales majeures, à l’écoute des jeunes artistes souhaitant intégrer   l’éstbaCatherine Marnas part à la recherche de textes qui questionnent le genre, les nouvelles quêtes identitaires. Lui revient en mémoire, un seul-en-scène vu au milieu des années 1980 à Avignon, où Dominique Valadié avait demandé à Alain Françon de la mettre en scène dans une version très condensée et édulcorée des Mémoires d’Herculine, que le philosophe Michel Foucault  avait (re)découvert un peu moins de dix ans plutôt dans le département français de l’Hygiène publique, avant de les publier agrémentées de ses commentaires en 1978. Touchée par ce récit de vie, par la plume de cet.te enfant, par ce qu’il.elle a vécu, la metteuse en scène s’empare avec la fougue et la délicatesse qu’on lui connaît, de ce journal intime pour l’adapter à la scène.

Double jeu 

S’appuyant sur la scénographie très épurée de Carlos CalvoCatherine Marnas s’attache à ressusciter Herculine, à réhabiliter ses mémoires, à lui offrir la plus belle des tribunes, une scène de théâtre. Avec juste quelques effets de lumières et de vidéos, elle donne corps poétique, lyrique à la plume romanesque de celui.celle qui connut ses premiers émois dans un pensionnat de jeunes filles, l’amour passionné avec une jeune femme qu’elle considérait comme son âme-sœur, avant de connaître la honte d’une exploration anatomique d’un médecin peu scrupuleux, puis l’opprobre de la médisance, des on-dits. Jouant avec les tonalités de voix des deux comédiens – les très habités et vibrants Yuming Hey et Nicolas Martel – , avec leurs présences plus ambiguës qu’il n’y parait, la metteuse en scène signe une œuvre charnelle, profondément incarnée et humaine. 

En finir avec les normes 

Avec Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution, Catherine Marnas ne cherche pas tant à faire de ce récit un étendard LGBTQIA+, qu’à en révéler la beauté, l’intelligence de cœur, la poésie qui se cache derrière les maux de cet.te être incompris.e. On peut regretter que jamais les mémoires écrites en plein courant romantique ne se confrontent à une vision d’aujourd’hui plus radicale, mais là n’est pas le propos. Loin de toute intolérance, de toutes normes, de toute rugosité, la directrice du TnBA offre une nouvelle naissance à Herculine. Passionnant ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux

Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution d’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault
TnBA
3 Pl. Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
Jusqu’au 22 janvier 2022
Reprise en 2023 au Théâtre 14
Durée 1h20 

Adaptation de Catherine Marnas et Procuste Oblomov
Mise en scène de Catherine Marnas assistée de Lucas Chemel
Avec Yuming Hey & Nicolas Martel
Avec la complicité de Vanasay Khamphommala et Arnaud Alessandrin
Conseil artistique- Procuste Oblomov
Scénographie de Carlos Calvo
Son de Madame Miniature
Lumière de Michel Theuil
Costumes de Kam Derbali

Crédit photos © Pierre Planchenault

 

 

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January 10, 2022 5:42 PM
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«La Réponse des hommes», rémission impossible ? –

«La Réponse des hommes», rémission impossible ? – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Tion dans Libération - 11 janvier 2022

 

Portée par d’excellents comédiens, la pièce de Tiphaine Raffier sonde la subtile mécanique de l’absolution. Et s’interroge : à partir de quel point cesse-t-on de pardonner aux autres ?

 

Qu’est-ce que la miséricorde ? A la lecture des dictionnaires, c’est «la compassion pour la misère d’autrui […] la générosité entraînant le pardon, l’indulgence pour un coupable, un vaincu». Sur la scène du théâtre Nanterre-Amandiers, la Réponse des hommes, de la dramaturge et metteure en scène Tiphaine Raffier, entrelace neuf histoires de miséricorde, sautant d’un tribunal à une soirée de Noël, d’une conférence musicologique à une prison, de la reconstitution d’un fait divers au cauchemar d’une entrée dans la mort. De la même manière que le spectacle évoque les six barreaux de l’échelle des douleurs qui conduit de la tonalité musicale la plus harmonieuse à l’atonalité la moins réglée, il nous bringuebale dans les différents niveaux de gris de la culpabilité et de l’horreur, comme pour éprouver notre propre capacité à l’empathie puis au pardon. Accueillir l’innommable présenté sous nos yeux, l’accepter peut-être en notre for intérieur – à partir de quel degré de monstruosité ne pouvons-nous plus pardonner ?

Troupe formidable

Tout n’est pas plombant sur ce plateau nu, loin de là, rien n’y est moralisateur, et la première partie du spectacle évoque davantage la distance que la culpabilité. Il y a cette femme qui vient d’accoucher et se découvre incapable de nourrir son enfant, voire de s’en occuper. Elle qui bosse pour le Programme alimentaire mondial se soucie davantage de la perte d’une cargaison de 21 tonnes larguée dans une nature lointaine que de la chair de sa chair sous ses yeux à qui elle est impuissante à donner une goutte de lait. Il y a aussi ce danseur, Diego, qui attend une greffe de rein, vit sous dialyse, fuit dans la virtualité des vidéos du Net (de Fred Astaire, mais aussi «d’un tout autre genre») et dont le corps n’est plus considéré que comme une suite d’organes – que par instants trois pas de danse illuminent.

 

Il y a enfin ce réveillon très joyeux durant lequel une famille s’échange des cadeaux et s’entredéchire. Sans violence irrémédiable, mais sans vouloir non plus savoir ce que contient l’enveloppe où une main anonyme a consigné les secrets, certainement inavouables, du patriarche. On assiste à tout cela depuis les gradins assez fournis des Amandiers, ne sachant pas trop où l’on va, ni à quoi sert cette issue de secours à 4 mètres du sol qu’aucun escalier ne relie. Puis le fil de la miséricorde se fait plus fin.

 

Raffier déploie une écriture scénique où vidéo et plateau coexistent. (Simon Gosselin)

Pour avancer dans son propos, Tiphaine Raffier pose une structure écartelée sur laquelle s’appuyer et qui lui sert à relier ses histoires : l’échelle des degrés de douleur en musique, donc, mais aussi les Œuvres de miséricorde tirées des évangiles qu’elle utilise pour l’intitulé et la teneur de ses histoires («donner à manger aux affamés», «vêtir ceux qui sont nus», «visiter les prisonniers»…), le tableau du Caravage qui les représente ainsi qu’une lointaine inspiration venue du Décalogue de Kieslowski. La metteure en scène déploie aussi, en droite ligne du théâtre de Julien Gosselin – avec qui elle a travaillé – ou de Cyril Teste, une écriture scénique et filmique partagée, vidéo et plateau coexistant sans que jamais l’un ne domine l’autre, et sans courir non plus derrière des prouesses performatives du type «tu me vois sur scène mais en réalité je suis à l’autre bout de la ville».

 

En guise de prouesse, Raffier s’entoure surtout d’une troupe formidable, à sa main, composée de comédiens qui pour la plupart suivent son parcours depuis quelques années (Dans le nom, France-Fantôme). Sans rechercher la palme des honneurs ou de la miséricorde, les interprétations de Sharif Andoura, Teddy Chawa et Edith Mérieau saisissent par leur ambivalence, les interprètes devenant maîtres des clefs qui nous conduisent dans un dédale de murailles poisseuses derrière les portes les plus secrètes.

Dans le monde des coupables

Qu’y a-t-il, qui y a-t-il, derrière ces portes que le pardon se doit d’ouvrir ? Des pédophiles. La seconde partie assène des témoignages livrés de façon brute, face caméra, d’hommes ayant abusé d’enfants, faisant partie de leurs familles ou non, que le spectateur, en même temps qu’une équipe de psychiatres, se prend pleine face. La qualité de l’interprétation réduit le trait, jamais le public ne se sent prisonnier de ficelles grossières l’emprisonnant dans un devoir de juger. Propulsé au milieu de la faille qui sépare accueillir et accepter, tiraillé par le dilemme de voir ou ne pas voir ce qui se passe sous ses yeux – et qui résonne avec le système d’écriture vidéo –, il écoute autant les paroles des criminels que ses propres arguments, issus de son échelle personnelle du tolérable.

 

Qui pardonnera-t-on ? Pourquoi ? Et se pardonnera-t-on soi-même ? Car une autre des structures bricolées par Tiphaine Raffier nous place aussi, tous, dans le monde des coupables : chaque histoire est ponctuée de l’apparition de tracts ou d’une affiche «Nous sommes désolés», que l’on apprendra à la fin du spectacle, une fois que la Terre ne sera (presque) plus, provenir d’un groupe d’activistes écolo du XXIe siècle. La dernière des miséricordes se glisse en notre propre pardon d’avoir tout abîmé par notre simple présence. Etonnamment, la manœuvre n’est ni accablante ni édifiante, car avant de parvenir à ce constat, «Nous sommes désolés», il reste à l’humanité, aujourd’hui et en bonne intelligence, un bout de chemin à faire sans peut-être avoir à se pardonner. La réponse des hommes réside autant dans ce qu’elle juge des autres que dans ce qu’on attend d’elle pour éviter le carnage.

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January 17, 2022 11:22 AM
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«Tartuffe» de Molière: «Cette version n’existait plus, mais je l’ai refabriquée grâce à la génétique littéraire» –

«Tartuffe» de Molière: «Cette version n’existait plus, mais je l’ai refabriquée grâce à la génétique littéraire» – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Anne Diatkine dans Libération - 15 janvier 2022

 

 

Légende photo : Marina Hands et Christophe Montenez lors des répétitions du «Tartuffe ou l’Hypocrite». (Jan Versweyveld)

 

Spécialiste des études théâtrales du XVIIe siècle, Georges Forestier a fait ressurgir, à la manière d’un archéologue, la première version de «Tartuffe», jouée à la Comédie-Française jusqu’en avril.

 
 

Une création quasi mondiale d’une pièce de Molière ? La première version ramassée et lapidaire de l’une de ses comédies les plus jouées, étudiées en classe, analysées, scrutées, dont le nom du personnage principal est entré depuis des lustres dans le langage commun ? Il ne s’agit ni d’une blague ni d’un storytelling, la prestigieuse Comédie-Française, qui célèbre les 400 ans de la naissance de Molière durant toute l’année 2022 ouvre bien la grande fête de sa «saison Molière» par une version de Tartuffe   dont seule une poignée de personnes avait connaissance depuis sa première représentation devant le roi le 12 mai 1664. Le souverain l’applaudit, l’apprécia et… l’interdit deux jours plus tard pour des raisons de politique religieuse. Cette première version en III actes s’est donnée une deuxième fois le lendemain, puis une troisième fois, à l’automne 1664, toujours en présence du souverain chez «Monsieur le frère du roi», dans le château de Villers-Cotterêts. Puis… rien. Il y eut bien des lectures dans des salons ou devant des ecclésiastiques afin de les persuader du caractère inoffensif de la pièce. Mais aucune représentation devant un public «populaire».

 

Cette première inédite attise formidablement la curiosité, tant elle promet d’être la pièce pour laquelle Molière s’est battu, et qui demeurait dissimulée sous la version passée à la postérité. Un metteur en scène à la notoriété internationale est à l’œuvre pour cette résurrection-restitution sur le plateau de la salle Richelieu : le Néerlandais Ivo van Hove qui, jusqu’à présent, s’était interdit de monter Molière en France.

 

Comment a surgi cette première version et pourquoi aucun théâtre ne s’en était jusque-là emparé ? C’est dans la bibliothèque musée qui abrite toute l’histoire de la troupe, de sa naissance à aujourd’hui, que l’on rencontre Georges Forestier, ancien professeur à la Sorbonne, grand spécialiste des études théâtrales du XVIIe siècle − il a établi notamment les éditions complètes de Molière dans la Pléiade − en compagnie d’Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste. Il est l’archéologue du texte qui, par sa connaissance inégalée du «Grand Siècle» et de l’œuvre de Molière, l’a fait resurgir «scientifiquement», comme on s’affaire sur la toile d’un maître.

 

S’agit-il vraiment d’une création mondiale quatre cents ans après la mort de Molière ?

 

Oui, car jusqu’à présent, cette version de Tartuffe n’avait été jouée que par des amateurs. Tout est parti de la déception d’une enseignante après la publication dans la Pléiade de Molière, en 2010, qui déplorait que ces volumes ne contiennent pas le premier Tartuffe qu’elle souhaite faire jouer à ses élèves. Je lui ai répondu que cette version n’existait plus, mais que je pouvais la lui refabriquer grâce à une technique de génétique littéraire que j’ai mise au point. Cette méthode permet d’entrer dans l’atelier de Molière, Corneille ou Racine, et de comprendre par recoupements comment ils ont écrit leurs pièces. il ne s’agit en rien d’une herméneutique ou d’une interprétation.

 

Comment procédez-vous ?

 

Je «gratte» sous la pièce pour découvrir s’il cache un texte. Molière s’est toujours servi de canevas qui traversent la culture populaire. En ce qui concerne Tartuffe, il a repris un substrat qui traîne dans des fabliaux du Moyen Age et dans la commedia dell’arte : un homme pieux reçoit chez lui un saint homme, lequel tombe amoureux de sa femme. Elle lui demande de se contrôler, et le dénonce à son mari. Qui refuse de la croire. Elle tend alors un piège au saint homme afin de déciller son époux. On le menace de le castrer. Puis on le chasse. Une menace que Molière a gardée avec cette réplique au sujet de Tartuffe : «Je vais lui couper les oreilles.» On retrouve ce canevas intact dans le Tartuffe passé à la postérité.

 

Vous avez donc sabré toutes les intrigues périphériques ?

 

Oui ! Car elles ont été rajoutées afin d’en faire une pièce en V actes qui se termine par un deus ex machina. Pour y extraire l’œuvre initiale, je disposais d’éléments indéniables : je savais que ce premier Tartuffe était une comédie en trois actes achevés comme en attestent les témoins qui ont assisté aux rares représentations. Si ce n’avait pas été le cas, Molière aurait d’ailleurs eu un formidable argument contre la censure. Durant les trois mois où Molière tente de sauver sa pièce, il se défend contre l’accusation d’avoir écrit une satire de la dévotion et des dévots. Pour la première fois, il affirme que le but de la comédie est moral : elle doit corriger les vices des hommes. Il explique qu’avec Tartuffe, il s’est livré à une «attaque contre l’hypocrisie et les faux dévots». A partir de cette argumentation, il va être obligé de reconstruire totalement sa pièce, et l’on voit apparaître un Tartuffe qui ne ressemble en rien à la manière dont il est présenté à l’acte I et III. D’hypocrite, c’est-à-dire obligé de porter un masque pour cacher ses désirs, Tartuffe devient imposteur, c’est-à-dire un aventurier qui fait semblant d’être ce qu’il n’est pas. Il est beaucoup plus scandaleux d’inventer un personnage de dévot qui ne peut résister à la chair, qu’un hypocrite de profession, tel qu’est le Tartuffe de la pièce de 1669. Une lecture attentive montre que le personnage de Tartuffe n’est pas cohérent : il est à la fois un bon gros directeur de conscience, et un être froid, calculateur et sec. La Bruyère est le premier à détecter les contradictions du personnage.

 

 

Pourquoi n’existe-t-il aucun manuscrit de la pièce ?

 

On ne sanctuarisait pas les manuscrits avant le XIXe. On ne dispose d’aucune pièce manuscrite de Molière, Racine, ou encore Corneille. Dès qu’un texte était publié, on jetait le manuscrit au feu. Et contrairement à Racine, Molière n’avait pas d’héritiers dévoués à ses papiers après sa mort. Sa fille Madeleine détestait le théâtre et les comédiens !

 

Sans vous, on n’aurait donc aucune connaissance de cette première pièce ?

 

Ce qui m’a incité dans cette voie est l’étude des registres de Lagrange, [le comédien qui tenait les registres de la troupe, ndlr] conservés dans la bibliothèque-musée. C’est Lagrange qui lance l’idée que la pièce jouée au Palais-Royal est inachevée. Mais il le note quinze ans plus tard, tandis qu’il corrige grossièrement les registres. Par ailleurs, une pièce inachevée se serait close par le triomphe de l’imposteur − ce qui n’est pas envisageable, même par Molière. Or la pièce a été acclamée. Mais en tenant pour vraies les assertions de Lagrange, on n’a pas cherché à savoir quelle était cette pièce.

 

Avez-vous des contradicteurs parmi vos pairs ?

 

Non ! Cela fait douze ans que mes hypothèses sont dans la Pléiade, et une dizaine d’années qu’on éprouve l’efficacité de cette pièce grâce à des troupes amateur. Pendant le confinement, j’ai envoyé à Eric Ruf et Denis Podalydès ce Tartuffe ou l’Hypocrite pour les distraire. Ivo van Hove a demandé à lire toutes les versions de Tartuffe. La Comédie française lui a donc fait parvenir cette version.

 

La pièce que vous avez exhumée a-t-elle nécessité des ajouts de votre part ?

 

En guise de soudure, j’ai dû restituer, avec l’aide d’Isabelle Grellet, une quinzaine de vers, ce qui est minime. J’ai cependant refusé la proposition d’en faire un petit classique Larousse. Je ne peux pas sacraliser ce qui reste une hypothèse de travail.

  Le Tartuffe ou l’Hypocrite, comédie en trois actes restitués par Georges Forestier, éditions Portaparole. Spectacle mis en scène par Ivo van Hove à la Comédie-Française, salle Richelieu, jusqu’au 24 avril. Retransmis en direct dans 200 cinémas partout en France à 20 h 10 le 15 janvier.

 

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January 16, 2022 6:20 PM
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Être ou ne pas être au monde, telle est la question : La Réponse des hommes, de Tiphaine Raffier 

Être ou ne pas être au monde, telle est la question : La Réponse des hommes, de Tiphaine Raffier  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-José Sirach dans L"Humanité - 16 janvier 2022

 

Légende photo : La Réponse des hommes est un spectacle dont les interrogations ne cessent de nous hanter. © Simon Gosselin

 

 

La nouvelle création de Tiphaine Raffier, la Réponse des hommes, est une aventure théâtrale des plus singulières, une quête mystique qui interroge avec force et profondeur notre humanité.

 

Partout, projeté sur un écran géant, sur les murs, ces quelques mots : « Nous sommes désolés. » Une incantation dérisoire, comme un vieux slogan qui traîne sur les murs d’un hôpital, d’une prison, ou que l’on glisse dans une pochette-surprise un soir de Noël. « Nous sommes désolés » : de ne pas accueillir les étrangers, de ne pas nourrir les affamés, de ne pas donner à boire aux assoiffés, de ne pas assister les malades, de ne pas ensevelir les morts…

La metteuse en scène Tiphaine Raffier s’est inspirée des « Œuvres de la miséricorde » de l’Évangile selon Saint-Matthieu pour les confronter au monde d’hier et d’aujourd’hui, aux hommes d’antan et à ceux de la génération 2.0. Question morale, question d’éthique, question d’époque. Ces préceptes résistent-ils à l’usure du temps, à la complexité du monde, à la confusion générale des valeurs qui ont nourri notre civilisation ? Ces valeurs sont-elles désormais vaines dans notre monde moderne où l’égoïsme a damé le pion à la générosité ?

 

 

Comme si chaque geste désormais accompli, chaque parole prononcée n’étaient qu’illusion, une manière de se donner bonne conscience à vil prix, Pas de bondieuseries dans la Réponse des hommes, pas de plaintes ni de prières, mais une réflexion, un questionnement incessant, nécessaire et utile pour tenter de comprendre le chaos du monde. Un monde aussi morcelé, éclaté, replié, que cet énorme cube blanc mouvant qui délimite et caractérise chaque espace de jeu. Sur le plateau, les personnages font ce qu’ils peuvent pour repousser les murs qui menacent de les écraser. Une sirène déchire l’air, stridente, anxiogène, provoquant des arrêts sur image, une panique contagieuse. Puis, plus rien. Silence. Soupir de soulagement. On est au théâtre.

 

L’idée que chacun de nous peut être un monstre

Car, si tout ceci est un jeu, la Réponse des hommes nous bouscule, nous déstabilise, nous oblige à sortir de notre zone de confort. Et c’est à la fois fascinant, troublant, passionnant. On pensait être quitte avec les autres dans notre rapport au monde. L’altérité, le droit à la différence sont brandis tels des étendards, au risque de ne provoquer que de l’indifférence. La Réponse des hommes est un spectacle qui prend à revers les notions de bien et de mal. Les tensions du monde sont palpables, jusque dans notre intimité, dans nos faits et gestes du quotidien, dans nos pensées. Parce qu’on s’habitue à tout. Aux sans-abris et aux sans-papiers qu’on ne regarde plus. Violence sourde que cette misère humaine désormais parquée à l’orée de nos villes. Parce que l’idée que chacun de nous peut être un monstre, c’est dérangeant. On préfère les camisoles chimiques à perpétuité et la peine de mort pour les meurtres d’enfants. Parce qu’il n’existe qu’une maternité, et qu’elle est forcément « heureuse ». Les mères sont élevées au rang de déesses. Les mauvaises mères reléguées à celui de sorcières.

Une mise en scène intuitive et vertigineuse

Toute l’intelligence de la proposition de Tiphaine Raffier, c’est de ne pas se contenter d’affirmer qu’il n’y aurait que le bien et le mal, des bons et méchants, mais de revendiquer la complexité, le doute, de ne jamais juger. De dénouer les fils d’un piège invisible. Dans une mise en scène intuitive et vertigineuse, tout se déploie, tout s’emboîte sans aucun accroc, chaque séquence renvoyant à la précédente, ou à la suivante. Les acteurs s’aventurent dans cette écriture fractale et féconde, dans cette partition dodécaphonique orchestrée de main de maître. Avec la complicité des musiciens de l’ensemble Miroirs étendus, tous impressionnent par un jeu sans cesse déséquilibré par les secousses telluriques inhérentes à chaque situation. La Réponse des hommes est un spectacle dont les interrogations ne cessent de nous hanter. Nul besoin d’être croyant pour être sensible au questionnement protéiforme et audacieux de l’autrice et metteuse en scène.

 

 

Jusqu’au 28 janvier, au Théâtre Nanterre-Amandiers. Du 3 au 12 février, au TNP de Villeurbanne. Les 23 et 24 février au CDN de Lorient. Du 2 au 4 mars à la Comédie de Saint-Étienne. Du 9 au 11 mars, au Théâtre de la Cité à Toulouse. Du 16 au 19 mars au CDN de Tours. Les 24 et 25 mars, au Phénix, Valenciennes. Le 31 mars au Préau, à Vire. Du 6 au 9 avril au Théâtre du Nord, Lille.
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January 16, 2022 5:51 PM
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Rébecca Chaillon, des luttes et délires 

Rébecca Chaillon, des luttes et délires  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Annabelle Martella dans Libération 16 janvier 2022

 

Légende photo : Rébecca Chaillon à Dijon, en décembre. (Romy Alizée/Libération)

 

 

Le nouveau spectacle de la performeuse, «Carte noire nommée désir», joyeux chaos à la frontière du fantastique, développe une réflexion profonde sur la représentation des femmes noires.

 

Les pièces qui pilonnent l’imaginaire colonial, on en voit (et heureusement) un joli paquet aujourd’hui. Il y en a surtout, des pédagos, des didactiques, des qui nous disent quoi penser, de façon très docte, avec beaucoup de gravité. Parfois, il y en a qui sortent du lot. Carte noire nommée désir, nouveau spectacle de la jeune metteuse en scène Rébecca Chaillon sur la représentation des femmes noires bouleverse nos repères sur le sujet parce qu’elle joue à fond la carte du baroque, de la potacherie, du détournement carnavalesque, du rire gras qui tâche, de la scatophilie.

 

 

Sur le plateau chaotique s’enchaînent les numéros sans discontinuer, passant d’une choré sur du Aya Nakamura à une acrobatie aérienne ou à une session de chant lyrique. Ça twerke jusqu’à l’épuisement et ça lit avec malice les petites annonces récoltées dans Amina, «le magazine de la femme africaine et antillaise» «Douce perle africaine voudrait nouveau départ pour une relation sérieuse pouvant aboutir au mariage, svp uniquement homme européen et sérieux. Les autres abstenez-vous.» Ici, les huit performeuses noires ne s’attardent pas sur les fondements socio-historiques du racisme mais subvertissent avec inventivité et un humour féroce les stéréotypes auxquels elles sont encore trop souvent reléguées : la femme de ménage, la nounou, la danseuse ultra-sexualisée… Le discours sur leur beauté exotique passe à la moulinette de la parodie. Clin d’œil de calendrier : on pense évidemment avec elles au visage grimaçant de Joséphine Baker, s’extirpant, à la faveur de ses mimiques, des tableaux primitivistes dans lesquels on voulait l’enfermer.

 

«Culpabilité ?»

C’est un spectacle qui vogue sur les rives du surréalisme et d’un fantastique «queer». Les performeuses exagèrent leurs caractéristiques physiques pour apparaître en créatures étranges et c’est une «négritude» nouvelle qu’elles revendiquent. Ici : les tresses bicolores de Rébecca Chaillon s’étendent sur des kilomètres, créant un feuillage au-dessus de son tronc nu. Pendue au plafond, une circassienne évolue dans un écosystème digne des Métamorphoses d’Ovide. Là : un couple de femmes rondes et nues s’enlace sur du zouk joué à la harpe. Plus loin : une cantatrice étouffe sa camarade, jugée trop foncée, avec la crème lactée d’un café. La metteuse en scène joue sur la diversité des morphologies avec des figures qui, comme dans Alice au pays des merveilles, n’ont jamais la bonne taille ni la couleur adéquate. Et dans ce labyrinthe de visions psychédéliques, le noir et blanc se répondent dans un grand jeu symbolique.

 

 

«Je me pose beaucoup de questions sur le public qui apprécie la pièce. L’aime-t-il uniquement par culpabilité ?» s’interroge Rébecca Chaillon, que Libé a rencontrée via Zoom, accompagnée de sa joyeuse bande de performeuses. L’artiste de 36 ans, également maquilleuse professionnelle, est une habituée des tenues flashy, lèvres peinturlurées de bleu turquoise et lentilles de contact bariolées. En repos pendant quelques jours dans les Pyrénées, on la retrouve toute en sobriété, habillée d’un pull zébré, clin d’œil non dissimulé aux métaphores colorées de la pièce. Adepte des métamorphoses, elle décline sur scène un nombre infini de looks et d’identités. Femme de ménage zombie dans Carte noire nommée désir, «crachoir public» en tenue de championne de natation pour «exorciser» la colère des militants lors de festivals féministes ou encore «Ariette la grosse sirène», mix entre l’héroïne de Disney version «grosse… et noire» et la déesse aquatique Mami Wata, honorée dans le culte vaudou. Fille d’un technicien de la SNCF et d’une conseillère de la Sécu, Rébecca Chaillon a découvert le théâtre en Picardie, région où elle a grandi, avant de partir faire des études d’arts du spectacle à Paris. Mais c’est bien plus tard et après un bout de carrière dans le théâtre-forum et l’éducation populaire que son chemin croise celui de Rodrigo García et de la performance.

 

Parcours militant

L’idée du spectacle part d’une «blague», nous raconte-t-elle, autour du fameux slogan publicitaire qui lie couleur noire et désir pour devenir un conte politique autour des «peaux café». Il prend évidemment ses racines dans son parcours militant, notamment depuis sa participation au documentaire Ouvrir la voix d’Amandine Gay. En 2017, la même année que la sortie du film, Rébecca Chaillon décide de transformer la carte blanche que lui propose le théâtre de la Loge en «carte noire», mettant en place un dispositif bi-frontal où les femmes noires font face au reste du public. Y résonne déjà son texte, inspiré du Cahier d’un retour au pays natal de Césaire et du concept de «biomythographie» développée par la poétesse américaine Audre Lorde, fusion de mythes afro-futuristes, épisodes historiques et paroles intimes. Dans les interstices de ce récit poétique habité par la végétation de la Martinique, son île d’origine, Rébecca Chaillon imagine ensuite des protocoles d’improvisation dans lesquels les autres performeuses pourraient évoquer leur parcours. La metteuse en scène, dont la compagnie ne s’appelle pas «Dans le ventre» pour rien, raffole de récits anecdotiques et de comparaisons entre nourritures et faits politiques : «C’est intéressant d’observer que les produits issus de l’exploitation coloniale, le sucre, le cacao, le café, étaient des produits bruts qu’on voulait sans cesse raffiner, blanchir, rendre moins amer», nous fait-elle remarquer. Pour mieux connaître son équipe, elle demande à chacune de se présenter à partir de leurs plats préférés. «Sur scène, je nomme par exemple le saka-saka [plat à base de feuilles de manioc pilées], explique Olivia Mabounga, une des comédiennes, tout juste sortie de l’école. C’est vrai que les plats congolais me tiennent à cœur et parlent de mon intimité.»

 

Agées de 25 à 40 ans, ces performeuses viennent de France, de Suisse, de Belgique, connaissent Rébecca Chaillon depuis des années ou l’ont rencontrée lors du grand casting qu’elle a organisé. Une cinquantaine de filles s’y étaient présentées. «On voit souvent les mêmes actrices noires sur les plateaux français. J’avais envie d’un grand renouvellement et de ne pas travailler uniquement avec des comédiennes. J’aurai rêvé m’entourer d’artistes du Brésil, du Burkina Faso, mais l’économie du spectacle ne le permettait pas», explique celle qui a constitué une véritable communauté autour de son projet. Discours engagé et taquineries fusent dans une ambiance de franche camaraderie, lorsqu’on les rencontre. Parmi ces artistes, il y a Estelle Borel, circassienne aux cheveux rouges, perdue «dans les Alpes profondes» et qu’on confond systématiquement, nous dit-elle, aux deux autres femmes noires suisses qui officient dans sa discipline «alors qu’on ne se ressemble pas du tout». Voici également Bebe Melkor-Kadior, fakir, cracheuse de feu et travailleuse du sexe, passionnée par les rituels d’épuisement et autrice du manifeste Balance ton corps dans lequel elle développe le concept de «salope heureuse». Mais aussi Fatou Siby, poétesse avec qui Rébecca Chaillon a animé des colos dans un centre social ou encore Ophélie Mac, céramiste performeuse vivant à Bruxelles, «lesbienne d’origine martiniquaise».   Pétries de pop culture, certaines égrènent leurs références communes : le magazine Fan 2, MTV, Beyoncé, etc., qui se mélangent, sans distinction, à leurs aspirations esthétiques et aux théories militantes qu’elles lisent. Toutes très engagées, elles ne servent pas pour autant un spectacle sur la révolte clés en main. Et c’est seulement guidé par leur désir insatiable de liberté que l’on traverse les zones troubles de l’hilarité. C’est que Rébecca Chaillon, «esprit bordélique» comme elle se qualifie elle-même, voulait sortir du documentaire, histoire que ces thèmes politiques se transforment sur scène en un chambardement d’images zébrées.

Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon, le 16 janvier à Villeneuve-d’Ascq, du 2 au 4 février à Saint-Etienne, les 21 et 22 février à Paris, et en tournée.
 
 
 
 
 
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January 16, 2022 5:33 PM
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Théâtre : avec « La Réponse des hommes », Tiphaine Raffier place le spectateur face à lui-même

Théâtre : avec « La Réponse des hommes », Tiphaine Raffier place le spectateur face à lui-même | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde - 15 janvier 2022

 

Légende photo : « La Réponse des hommes », de Tiphaine Raffier, au Théâtre de l’Idéal, à Tourcoing, en juillet 2020. SIMON GOSSELIN

 

 

La passionnante et déconcertante création de la dramaturge s’inspire des œuvres de miséricorde que doit suivre un chrétien.

 

Etre mère, ça entre dans la tête et ça peut faire mal. Prenez cette jeune femme, là, sur le plateau de La Réponse des hommes, la nouvelle création de Tiphaine Raffier présentée à Nanterre-Amandiers. Elle fait un cauchemar : on lui vrille une couronne de fleurs autour du crâne – douleur affreuse –, puis on l’entraîne dans la sarabande d’autres mères. Elle devrait être heureuse, lui dit-on. Elle ne peut pas, elle n’arrive pas à s’occuper de son bébé, une petite fille avec qui on la retrouve dans une unité hospitalière chargée d’aider les mères comme elle, envahies par une naissance qui leur donne le sentiment d’être privées de leur identité.

Cette scène ouvre les trois heures passionnantes et déconcertantes d’un spectacle que l’on pourrait résumer par une question : comment faire le bien ? Tiphaine Raffier en cherche la réponse des hommes aujourd’hui, en partant des œuvres de miséricorde – les préceptes que doit suivre un chrétien. Il y en a quatorze, sept corporelles (donner à manger aux affamés ; donner à boire à ceux qui ont soif ; vêtir ceux qui sont nus ; accueillir les pèlerins ; assister les malades ; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts) et sept spirituelles (conseiller ceux qui sont dans le doute ; enseigner les ignorants ; avertir les pécheurs ; consoler les affligés ; pardonner les offenses ; supporter patiemment les personnes ennuyeuses ; prier Dieu pour les vivants et pour les morts). En 2016, le pape François en a ajouté une quinzième, sauvegarder la création.

Empathie et compassion

Tiphaine Raffier a choisi de mettre en scène neuf œuvres de miséricorde. Pas dans un but religieux. Ce n’est pas son propos. Elle s’inscrit dans la lignée, ou plutôt en miroir, de la démarche du cinéaste polonais Krzysztof Kieslowski (1941-1996) et de son Décalogue (1988), inspiré par les dix commandements, qui est l’une de ses grandes références. Tiphaine Raffier en a d’autres, mais elle a surtout une façon bien à elle de voir les choses, et de faire du théâtre. Agée de 36 ans, elle a joué avec Julien Gosselin et Frank Castorf, et signé trois spectacles, dont France-fantôme, une formidable pièce de science-fiction qui lui a valu la reconnaissance, en 2017.

 

Initialement, et si le coronavirus n’avait pas bousculé son agenda, La Réponse des hommes devait être créé au Festival d’Avignon, un endroit où les œuvres de miséricorde ont une résonance particulière, à l’ombre des papes. L’étymologie de miséricorde repose sur « avoir pitié » et « cœur ». Tiphaine Raffier s’en tient là.

 

Les neuf miséricordes sont à la fois indépendantes les unes des autres et réunies par des liens souterrains

 

 

Le spectacle qu’elle a écrit et mis en scène porte sur l’empathie et la compassion, les dilemmes moraux et éthiques qu’elles soulèvent. Il le fait sous la forme de variations sur neuf œuvres : chacune est incarnée, et non illustrée, puisque nous sommes au théâtre, par une histoire. Voici Diego, qui vit sous dialyse, dans l’attente d’une greffe de rein. Voici Judith, qui travaille dans l’humanitaire et se demande « qui sauver quand on ne peut pas sauver tout le monde ? » Voici une famille où l’on s’offre des cadeaux anonymes, dont l’un contient un secret. Voici le soldat Martial, accusé d’avoir cyberharcelé le soldat Nicolas, qui s’est suicidé. Voici Cyprien, visiteur de prison…

 

 

Voici un mur gris avec une porte de local technique : le décor, mur de la honte et de l’aveu, où sont projetées des séquences filmées (trop, en début de spectacle). Les titres des neuf miséricordes s’inscrivent sur le mur, comme autant de chapitres à la fois indépendants les uns des autres et réunis par des liens souterrains. Presque tous sont interrompus par une sirène stridente qui signale l’intervention d’un groupe d’activistes. On ne les voit pas, mais ils laissent des affiches, toujours les mêmes : une pyramide fractale avec l’inscription « Nous sommes désolés ».    De quoi ? Pourquoi ? On le saura, mais à la fin du spectacle, qui nous téléporte dans un monde futur, où les œuvres de miséricorde renvoient à une humanité qui a disparu.

 

 

La Réponse des hommes est un spectacle dense. Il aurait gagné en fluidité si Tiphaine Raffier n’avait pas cherché à trop embrasser. On peut s’y perdre, mais il a une grande et rare vertu : il met le spectateur face à lui-même, dans l’inconfort salutaire qui invite à penser contre soi. Cela tient évidemment à la qualité de l’écriture, de la mise en scène et du jeu : dix comédiens, tous excellents, c’est une bénédiction. Et puis il y a la musique d’Othman Louati et celle de l’ensemble Miroirs étendus, qui font entendre la grâce et l’effroi. La douleur et le chant du monde.

 

 

La Réponse des hommes, de et mis en scène par Tiphaine Raffier. Avec Sharif Andoura, Salvatore Cataldo, Eric Challier, Teddy Chawa, François Godart, Camille Lucas, Edith Mérieau, Judith Morisseau, Catherine Morlot, Adrien Rouyard, et les musiciens de l’ensemble Miroirs étendus. Théâtre Nanterre-Amandiers, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Tél. : 01-46-14-70-00. De 5 € à 30 €. Durée : 3 h 20. Jusqu’au 28 janvier.

 

 

Brigitte Salino

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January 16, 2022 4:54 PM
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Pourquoi le théâtre va mal,  par Joseph Confavreux

Pourquoi le théâtre va mal,  par Joseph Confavreux | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joseph Confavreux dans Mediapart - 31 décembre 2021

 

 

Dans son ouvrage « S’adresser à tous. Théâtre et industrie culturelle », la chercheuse Diane Scott cherche à saisir comment le théâtre s’est vidé de son sens politique et de sa visée populaire. Et à quelles conditions il pourrait s’en remettre.

 

La plupart des salles de théâtre sont aujourd’hui à moitié vides et on ne peut invoquer, pour l’expliquer, une programmation pléthorique après des mois de report des spectacles pour cause de pandémie. Le mal est aussi profond qu’ancien. Tout se passe comme si une grande partie du théâtre contemporain ne parlait plus guère qu’aux professionnels qui le composent, à quelques lycéens et étudiants, et à un public trié sur le volet socialement et culturellement.

C’est en tout cas le constat que dresse la chercheuse Diane Scott vis-à-vis des institutions du théâtre public, déconnecté de sa dimension populaire, dans son ouvrage intitulé S’adresser à tous. Théâtre et industrie culturelle, publié par Les Prairies ordinaires.

Même si elle laisse malheureusement de côté, dans son analyse, certains festivals locaux, des expériences comme le Nouveau Théâtre populaire ou d’autres propositions ancrées dans des territoires qui continuent de rassembler large tout en évoluant en dessous des radars, l’essai que propose Diane Scott se lit comme on boirait une potion amère mais nécessaire.

 

On ne peut toutefois saisir le malaise que cette réalité douloureuse suscite au-delà des professionnels concernés si l’on ne prend pas la mesure, dixit Diane Scott, que « le remplissage des salles, qui est l’obsession des programmateurs du théâtre public, n’est pas une question économique mais une question profondément idéologique. L’assemblée théâtrale, en tant que métaphore de la démocratie, ne saurait être vide. Il y a quelque chose d’intolérable dans l’idée de la salle non pleine qui parle d’une angoisse bien plus profonde que le seul goût de la chose prospère ».

 

Il y a deux ans, dans un livre détonant intitulé Contre le théâtre politique (La Fabrique, 2019), Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’École normale supérieure de Lyon, s’en prenait au monde du spectacle vivant dans lequel « la prolifération du vocable politique pour désigner démarches, pratiques et enjeux est inversement proportionnelle à son insignifiance – une politique sans lutte, sans organisation, sans délibération, sans perspective égalitaire, sans promesse de désordre ».

Diane Scott, rédactrice en chef de la revue Incise publiée par le Théâtre de Gennevilliers, prolonge et déplace tout à la fois la réflexion concernant les attentes politiques et démocratiques vis-à-vis du théâtre, en articulant deux dimensions principales. La première porte sur la dimension « populaire » du théâtre, l’autre sur la place particulière que le théâtre tient dans les politiques culturelles. Deux imaginaires et réalités aujourd’hui percutés par le développement des industries culturelles.

La chercheuse redéplie ainsi le mythe qui traverse le théâtre, depuis que le monde grec en a fait la métaphore de la cité, à savoir celui de représenter, d’incarner voire de fabriquer le peuple. Et distingue pour cela trois acceptions du terme « populaire » accolé au théâtre.

D’abord le peuple comme « interlocuteur », avec l’idée « d’accueillir le peuple » et d’élargir l’accès au théâtre, « dans un objectif de partage et une acception du peuple qui met l’accent sur la définition sociale ». C’est, dans cette acception, « le petit peuple qu’il faut amener à l’art, que son éloignement soit géographique, financier ou idéologique ».

 

Ensuite le peuple comme « cause » : il s’agit alors de penser le théâtre « comme un outil de lutte politique au service des opprimés, comme l’agit-prop en a été une des formes les plus nettes ». L’idée principale est alors d’armer le peuple.

Enfin, le peuple comme « résultante » : il s’agit dans ce cas de « construire le peuple comme sujet par l’art. L’idée est de faire advenir le peuple ».

Il existe certes, entre ces trois pointes du triangle, des « tensions évidentes », que l’on peut notamment percevoir d’emblée entre la volonté d’accueillir le peuple et celui de l’armer. Comment en effet, interroge-t-elle, « dans le cadre d’un théâtre subventionné », ordonné au vœu d’accueillir le plus grand public possible, travailler à des propositions qui œuvrent « non à l’union mais à la mise au jour des divisions » ?

En outre, rappelle-t-elle, dans le projet de « théâtre du peuple » tel qu’il se met en place au tournant des XIXe et XXe siècles, il existe une « indéniable dimension de contrôle des classes populaires »    exprimée, par exemple, par le romancier Romain Rolland convaincu que le théâtre pousserait le peuple à davantage d’hygiène et de politesse, ou par l’auteure catholique américaine Louisa Cragin, jugeant, en 1875, qu’il « y aurait moins de grèves, les visages crasseux seraient moins hagards ; sous l’influence inconsciente de la beauté, de l’harmonie et du rythme, le travail serait effectué avec plus d’enthousiasme et de loyauté ».

Mais en dépit de ses tiraillements inhérents à ce que recouvre l’idée de « peuple » au théâtre, si celui-ci traverse une crise profonde aujourd’hui, c’est avant tout parce que ces trois sens du théâtre « populaire » ont été recouverts par un autre, venu des industries culturelles, qui confond populaire et « grand public », juge la chercheuse.

Le populaire est un revolver sur la tempe.

Cette dimension s’est fait sentir depuis les années 2010, par un assaut contre des lieux culturels publics mené par des municipalités principalement UMP mais aussi PS, « au prétexte de la non-popularité de ces espaces ». En novembre 2014, le conseil municipal UMP de la ville du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) a ainsi voté la sortie du conventionnement – qui offre une aide financière de l’État mais impose un certain nombre de spectacles labellisés à l’échelle nationale – de son Forum culturel, car « tous les Blanc-Mesnilois ne se reconnaissent pas dans la programmation ».

Diane Scott évoque des dizaines de cas où le « populaire est un revolver sur la tempe », sans même évoquer des exemples plus récents, ainsi de la décision prise par la mairie de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), en décembre 2020, de déconventionner son théâtre pour y programmer des spectacles correspondant   « davantage aux attentes de nos concitoyens », ou de l’annonce faite en juin dernier par la mairie d’Arles (Bouches-du-Rhône), dirigée par Patrick de Carolis, de déconventionner le théâtre de la ville dont le projet ne concernerait que « 3 % de la population », au motif qu’il « faut que les 97 % restants reviennent au théâtre ».

 

 

Mais cette attaque idéologique, déjà identifiée, se redouble désormais de la prégnance d’une conception du populaire au théâtre, qui, sous l’influence des industries culturelles, mise « moins sur l’appartenance à l’assemblée que sur la puissance du chiffre auquel le spectateur s’identifie ».

L’industrie culturelle a en effet catalysé l’idée de bâtir un « grand public » qui, selon Diane Scott, n’a pas grand-chose à voir avec la définition historique du « populaire », mais « produit un effet-de-peuple, une nouvelle forme d’organisation humaine qui se reconnaît en un même objet de consommation globalisée ».

 

 

Anne Hamburger, ancienne vice-présidente de Disney Creative Entertainment, expliquait ainsi diriger « le plus grand théâtre des États-Unis […] Avec nos milliers de spectacles, de parades et de shows, notre public se compte en millions de personnes chaque mois, non pas en dizaines d’individus comme dans le théâtre expérimental. C’est une responsabilité. Je suis là pour rendre le grand public sensible à l’art et non pas pour prêcher des convertis ».

De fait, rappelle Diane Scott, une audience médiocre pour une pièce de théâtre diffusée à la télévision est de l’ordre d’un million et demi de personnes, tandis qu’un théâtre de jauge importante qui ferait salle comble une année entière sans jour de relâche n’atteindrait pas les 200 000 personnes.

 

 

En ce sens, explique-t-elle, « le “populaire” inventé par la culture industrielle disqualifie sans recours ce que le théâtre pourrait tenter de produire sous ce même terme. Au moment où le “mainstream” atteint des capacités productives décuplées, le théâtre et sa vocation populaire sont mis radicalement à la question ».

 

On avait déjà pu mesurer à quel point cette fusion capitalistique entre « public » et « grand public » et entre « divertissement » et « spectacle » avait pu influencer les contenus proposés, à travers un discours facile sur les « attentes du public », parfois fondé sur des « focus groups », pensés comme des réunions de consommateurs visant à affiner les produits culturels au cours même de leur de conception.

Le public est la fiction du capitalisme culturel, la figure qui permet de faire passer le pouvoir du capital pour la demande des consommateurs.

Mais Diane Scott va plus loin en soulignant que ce basculement n’a pas des effets seulement artistiques, mais aussi politiques, en raison de la façon dont le théâtre a longtemps été placé au centre des politiques culturelles et des attentes démocratiques afférentes.

 

Ainsi qu’elle l’écrit, « le public est la fiction du capitalisme culturel, la figure qui permet de faire passer le pouvoir du capital pour la demande des consommateurs. On pourrait établir une homologie avec la politique : le vote est la fiction qui permet de faire passer le rapport de force social pour le choix de ceux qui le subissent ».

Pour elle, la notion de grand public ne peut être ainsi « seulement posée comme une forme de cynisme néolibéral […], elle engage une question de représentation et elle est pensée comme une morale ». En effet, dans la mesure « où le populaire serait gage de démocratie et que son critère est quantitatif, s’ensuit que le minoritaire est du côté de l’erreur ».

 

Il existe de ce fait, juge la chercheuse, « un nœud entre le théâtre, la culture et le populaire », qui tient à la jonction entre la « force d’affirmation de la notion de populaire telle que le capitalisme la produit »« l’épuisement historique du théâtre comme puissance sociale » et l’interpellation qui pose au contraire « le théâtre comme lieu d’avènement du peuple, comme lieu privilégié où atteindre le populaire même ».

 

La situation est d’autant plus piégée que « la zone de réactivité culturelle s’est déplacée de la scène aux écrans. Le travail de l’actualité est aujourd’hui pris en charge par l’industrie du cinéma, par les séries en particulier ». Même si l’on pourrait trouver quelques contre-exemples, à l’instar de ce que tentent de faire les « pièces d’actualité » lancées par le Théâtre de la Commune à Aubervilliers, force est de constater qu’on se situe désormais bien loin de la matrice forgée durant la Révolution française où la Comédie-Française avait entièrement réinventé et allégé son mode de production pour proposer des spectacles « au fur et à mesure des évènements, en constante interaction avec l’actualité politique ».

 

Désormais, alors même que l’industrie culturelle a, en pratique, « irrévocablement détrôné et mis sur le bas-côté » le théâtre, comme en atteste par exemple le fait que le spectacle vivant vienne en dernier sur l’ensemble des choix effectués par les jeunes dans le cadre du Pass Culture en 2019, celui-ci reste pourtant au centre des attentes des politiques culturelles.

 

Ce décalage entre l’imaginaire et la réalité explique en grande partie que le monde du théâtre continue d’affirmer haut et fort sa fonction particulière, même si cela tourne à vide. En 2015, le directeur du théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes, déclarait que « la meilleure réponse au Front national, c’est le théâtre », tandis que Pascal Rambert, alors directeur du CDN de Gennevilliers, jugeait, un an plus tard, que « sans le travail des scènes publiques et subventionnées, la situation du pays serait pire ».

 

La pandémie et les fermetures des salles de spectacle pendant de nombreux mois n’ont fait que renforcer cette idée que le théâtre serait un lieu aussi nécessaire que spécifique d’expression et de représentation de la politique. Charles Berling, directeur de la scène nationale Châteauvallon-Liberté à Toulon (Var), jugeait ainsi à propos des salles de spectacle que « ce maillage-là, ce réseau français est remarquable parce que, justement, il fabrique la démocratie ».

 

Pourtant, tranche Diane Scott, « l’épuisement de tout enjeu du côté du théâtre a l’air entendu sauf pour ceux qui en vivent ». Pour elle, les années 2020 s’ouvrent en réalité sur « la destruction programmée et accélérée des institutions du XXe siècle, officiellement pour des raisons budgétaires, sans doute pour des motifs idéologiques qui visent à supprimer les espaces qui échappent encore aujourd’hui à la plus-value – école, hôpital, tribunal ».

 

Dans ce contexte, juge-t-elle, le théâtre n’est « plus un enjeu, même pour les belles âmes. La culture comme projet politique est un fait du XXe siècle, sa disparition fut thématisée des années 1990 aux années 2000 sous le nom de “crise de la culture”elle ne l’est désormais même plus ». Après avoir « été tant craint et haï, le théâtre n’a même plus d’adversaire », tranche-t-elle.

Une fois ce constat dressé, est-il possible de continuer de penser une politique théâtrale et culturelle, sans désespérer et en acceptant de se situer « en regard d’une double fin : celle de la puissance sociale du théâtre et celle de la séquence de l’État promoteur de la culture » ?

 

Pour Diane Scott, cela demeure possible pour la raison que le théâtre se distingue d’autres arts par sa « non-conservabilité » et sa « non-reproductibilité » : ce qui lui permet d’occuper la place intéressante de l’anomalie dans le capitalisme culturel et de rendre ce dernier plus lisible, et peut-être davantage résistible.

Il serait cependant vain, à la lire, de chercher à tamiser le théâtre qui serait vraiment politique de ce qui n’en serait pas, ni même ce qui serait du bon théâtre politique ou de ce qui en serait du mauvais, tant cette étiquette a été « posée ou auto-attribuée pour des metteurs en scène aussi divers que Thomas Ostermeier, François Tanguy, Claude Régy, Mohamed El Khatib ».

 

 

Mais, parce qu’il est en quelque sorte intrinsèquement hors-jeu, le théâtre permet peut-être de résister à la logique, aussi profonde que destructrice, portée par la notion de « grand public » qui se donne comme « la forme réconciliée par laquelle la culture rejoint le populaire, vérité de son adresse ». En effet, alors que les cultures dites highbrow et lowbrow ont longtemps été les signes d’une césure sociale profonde et redoublée, « la culture dominante actuelle, mainstream, s’offre comme sa réparation historique ».

Ainsi que l’écrit Diane Scott, « la culture de masse actuelle réaliserait le populaire, d’une part, qualitativement, comme abolition des hiérarchies culturelles, en tant que fusion de l’art et du divertissement, et, d’autre part, quantitativement, en tant que pourvoyeuse d’objets animés d’une quantité mondiale ». Une organisation de la dimension culturelle « solidaire de l’idée libérale, répandue aujourd’hui, qui consiste à penser le goût comme dimension privée de l’individu ».

 

 

Par la vertu de ces objets « grand public », la culture serait largement redevenue ce à quoi une partie du monde politique s’est acharnée à la réduire, à savoir « un apolitique, non seulement un endroit de suspension de la violence sociale, mais le lieu historique de sa résolution ».

De cette manière, argumente-t-elle encore, « après avoir été le mot qui divisait et hiérarchisait par excellence, la culture se pense désormais comme une scène étanche au social et, partant, étrangère à toute conflictualité ».

Au moment même où les guerres dites « culturelles » structurent de plus en plus l’espace politique contemporain, la culture ne semble plus porter aujourd’hui de « charges divisives » susceptibles de métaboliser autrement les conflits politiques et démocratiques.

 

 

Dans la notion actuelle de « grand public », le fait de « s’adresser à tous » devient synonyme de « plaire au plus grand nombre ». De cette manière, la « prétention et la force de l’industrie culturelle consistent à affirmer que “plaire au plus grand nombre” est un “s’adresser à tous” réaliste et réussi ».

 

Mais cet « happy end » propulsé depuis les années 2010 n’est en réalité que l’envers de la thématique de la « crise de la culture » en vogue dans les années 1990. Qui cohabite d’ailleurs, analyse Diane Scott, avec une version « gloomy ending » consistant à déplorer sans cesse ni retenue « l’échec de la démocratisation culturelle », à la manière dont, dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert pouvait écrire voilà plus d’un siècle : « Public (de la culture) : jamais le bon. »

 

Cette pseudo-résolution proposée par la notion de « grand public » des industries culturelles à la difficulté de la culture à remplir une mission émancipatrice et populaire est, selon Diane Scott, perverse car dépolitisante. Certes « la préoccupation mainstream » ne peut être illégitime « mais elle renonce à la question du s’adresser à tous, elle fait même programme de cet abandon. Elle méconnaît la dimension spécifique d’adresse et la dimension dialectique du tous. Car le tous du rapport culturel n’est pas le nom d’un ensemble mais d’une procédure ».

Parce qu’il est structurellement éloigné de la notion de « grand public », le théâtre peut donc être le lieu où se pensent les ferments d’une résistance à l’idéologie d’une culture pour « tous », en tout cas une visée où le « tous » désigne davantage un collectif en formation qu’un horizon chiffré.

À condition, toutefois, de se méfier d’un élément plus récent, à savoir la résurgence de la culture légitime sur la scène politique actuelle, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, qui semble entrer en contradiction avec la promotion d’un grand public et d’une « culture pour tous » neutralisée. Pour Diane Scott, cette mise en valeur du capital culturel du candidat Macron, qui actualise une acception « de la culture comme attribut de classe » serait surtout une ruse permettant de tenir « la droite la tête hors de l’eau de l’extrême droite ».

 

« La coalescence du néolibéralisme et de l’extrême droite n’ayant jamais été aussi patente, le déploiement d’une batterie de signes à même de soutenir le fantasme de la bourgeoisie pompidolienne a la fonction précise de décoller ce néofascisme du capitalisme », écrit-elle en conclusion de ce livre rude mais décapant. Qui prolonge aussi, en voulant décrire et politiser les métamorphoses des pratiques culturelles, l’ouvrage récemment publié par le sociologue Philippe Coulangeon montrant que les métissages culturels ne se sont pas traduits par un effritement des soubassements de classe du capital culturel au XXIe siècle.

 

Joseph Confavreux



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January 16, 2022 6:15 AM
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Marie-Christine Barrault : « Les morts nous apprennent à vivre »

Marie-Christine Barrault : « Les morts nous apprennent à vivre » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Annick Cojean dans Le Monde - Publié le 16 janvier 2022 

ENTRETIEN« Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de sa vie. L’actrice revient sur son métier, vécu depuis cinquante ans comme une passion et une « nécessité ».

 

 

Elle a tourné avec Eric Rohmer, Woody Allen, Manoel de Oliveira, Andrzej Wajda, Volker Schlöndorff… Son rôle dans Cousin, cousine, de Jean-Charles Tacchella, lui a valu une nomination pour l’Oscar de la meilleure actrice en 1977. Mais les planches demeurent la passion de Marie-Christine Barrault, et les grands auteurs (Tchekhov, Claudel, Duras, Giraudoux, Yourcenar…) des partenaires adulés qu’elle continue de servir, dans des pièces ou lectures à voix haute. A 77 ans, regard ardent, voix chaleureuse, elle sera sur la scène parisienne du Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier à partir du 28 janvier pour incarner Marguerite dans Une mort dans la famille, d’Alexander Zeldin.

Je ne serais pas arrivée là si…

… Si je n’avais pas vécu cette enfance difficile où l’âpreté de l’existence m’a très tôt sauté à la figure alors qu’à la maison les sentiments n’étaient jamais exprimés. Perplexités, chagrins, désirs, révoltes… Rien ne filtrait jamais. On ne commentait pas les événements ou tragédies de la vie, on ne disait rien des émotions et questionnements qui nous traversaient. Silence dans la famille. J’étais emmurée parmi les miens, sans clés pour comprendre, et sans paroles pour exprimer mon bouillonnement intérieur. Ma vocation d’actrice est née de ça. Du désir de me libérer de mes chaînes et de dire ce que je vivais. Instinctivement, je suis allée vers le métier de la parole.

Comment cette « âpreté de l’existence » vous est-elle apparue ?

Il y a d’abord eu la séparation énigmatique de mes parents ; notre placement chez notre grand-mère, mon frère et moi, rythmé par les visites rapides de mon père et de ma mère ; puis la brusque réintégration dans une famille « recomposée » au sein de laquelle j’ai découvert, du jour au lendemain, deux petites sœurs et un beau-père inconnus ; la maladie de mon père, trahi, humilié, infiniment vulnérable ; et enfin sa mort, quand j’avais 14 ans. Un traumatisme absolu puisqu’on m’a volé cette mort en refusant de me prévenir qu’il agonisait dans un hôpital de province. C’est fou quand j’y repense. On m’a simplement dit au téléphone : ton père est mort, l’enterrement est jeudi. Personne n’a songé à me demander si j’avais du chagrin, alors que j’étais anéantie. Cette première confrontation avec la mort m’a instantanément donné un sens de la gravité et de la profondeur de notre condition.

Vers qui pouviez-vous vous tourner ?

Certainement pas vers ma mère, réfractaire à toute discussion d’ordre intime. Mon réflexe, après une nuit de sanglots, a été de me précipiter à mon collège, où je suis tombée dans les bras de ma professeure de maths, une religieuse d’une extrême bienveillance. C’est la première personne avec qui j’ai pu parler de ce décès et du mystère de la mort qui me cueillait par surprise et ne m’a d’ailleurs plus quittée. Pourquoi la mort ? Comment la mort ? Jusqu’où la mort ? Encore aujourd’hui, je reste d’une curiosité folle sur ce sujet. Il m’obsède mais ne m’angoisse pas. Car la religieuse, ce matin de novembre 1958, m’a fait cadeau d’une réflexion qui est devenue MA phrase : « Les vivants ferment les yeux des morts. Les morts ouvrent les yeux des vivants. »

De quelle façon ?

Ils leur ouvrent une fenêtre sur l’au-delà, les obligent à s’élever au-dessus des distractions terrestres pour scruter des ténèbres qu’ils illuminent. En fait, ils nous apprennent à vivre ! Ils sont vivants en nous qui les avons aimés. C’est un bel endroit pour continuer à vivre… Et je sais que les êtres avec qui nous étions en fusion continuent de nous tenir la main. Vous vous rendez compte ? C’est quand même pas mal d’avoir des relations dans l’au-delà !

L’amour partagé avec eux ne disparaît pas avec leur dépouille corporelle. Il subsiste, enchante, galvanise. Quelle ânerie que l’expression « il a rendu l’âme » ! Mais voyons ! C’est son malheureux corps qu’il a rendu, justement pas son âme. Elle continue de vivre, à la fois proche et éternelle. C’est un sujet passionnant, la mort. C’est même le seul sujet qui importe.

On fait pourtant tout pour l’oublier…

Pas moi ! Et j’aimerais y entrer « les yeux ouverts », selon la belle formule de Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien. C’est-à-dire consciente et responsable. Pas en légume, branchée et bardée de tuyaux. Personne ne devrait se faire voler sa mort. L’instant ultime doit nous appartenir, je revendique la liberté de le maîtriser. C’est pour cela que je fais partie de l’association pour le droit de mourir dans la dignité. Au fond, j’aimerais partir comme ma grand-mère paternelle, morte dans les bras de son fils, mon oncle Jean-Louis Barrault, en murmurant : « Si tu savais, c’est merveilleux ! »

 

Qu’est-ce qui peut être « merveilleux » ?

La délivrance d’abord, parce que ma grand-mère souffrait. Et le corps, enfin, lâchait prise. Et puis le formidable apaisement que procure un départ entouré d’êtres aimés. J’étais là à l’instant où Roger Vadim [1928-2000], le grand amour de ma vie, a rendu son dernier souffle, et malgré l’extrême chagrin, c’était une espèce de grâce. J’ai eu le sentiment d’accoucher de sa mort. C’était très charnel. J’avais pris sa main et l’avais posée sur mon ventre. Et j’ai respiré avec lui, au même rythme que lui, jusqu’à ce que ça ralentisse, et puis s’arrête. Nous étions ensemble dans l’acte de mourir et je l’ai accompagné… jusqu’au seuil de la mort. Eh bien, d’avoir vécu cela participe de cette lumière et de cette joie qui m’habitent depuis sa mort.

Y avait-il du temps pour une dernière conversation ?

Oui, et elle a été fondatrice pour la suite de ma vie. Car il a dit cette phrase extraordinaire : « Je pars en te laissant des devoirs de vacance. » C’était, bien sûr, jouer sur le mot « vacance(s) », mais pour moi c’était clair : il parlait des devoirs que m’imposerait sa « vacance » et le vide sidéral dans lequel il me laissait. Il m’enjoignait d’être digne de cet amour fou que nous avions partagé pendant douze ans. Et il me mettait au défi de vivre, travailler deux fois plus, ne jamais baisser les bras. Sa mort était une douloureuse épreuve, mais, à 56 ans, elle me condamnait au sursaut, à la grandeur, à la beauté, j’ai parfois dit « à la sainteté », au risque d’être moquée. Comment exprimer autrement l’exigence de dépassement de moi que j’ai alors ressentie ? J’étais écrasée de chagrin, mais c’était exaltant et la joie demeurait. Cette joie qui élève, domine la tristesse et projette vers l’avenir.

Quand avez-vous pris conscience de votre « vocation » d’actrice ?

Ça s’est lentement construit et tricoté. Mais je pense qu’à 11 ans, si je n’avais pas eu peur qu’on abîme mon rêve, j’aurais déjà proclamé que je voulais être actrice. La découverte des premières lectures, en 6e et en 5e, a été un tel éblouissement ! Je découvrais des écrivains qui traitaient de sujets enfouis au fond de mon cœur ; des personnages qui évoquaient tout haut les secrets qui commençaient à m’étouffer. Quelle sidération ! Des murs s’effondraient, des horizons se dégageaient. Ma prof de français me demandait d’apprendre 10 lignes de texte, j’en apprenais 50. Les réciter devant la classe me procurait une excitation folle. Je lisais bien et on me sollicitait sans cesse. « La petite Barrault nous lira La Vierge à midi. » Claudel, c’était mon tube !

Mais il n’était pas question de l’avouer en famille…

Sûrement pas ! La seule personne à qui j’ai pu confier mon rêve, à 11 ans – il en avait 14 –, est Daniel Toscan du Plantier, qui fut mon premier amour et le père de mes enfants. Lui seul pouvait alors comprendre. Sinon, c’était impossible. Même à Jean-Louis Barrault, mon oncle, et à sa femme, Madeleine Renaud, qui incarnaient la liberté de penser, de vivre, d’interroger le monde qui me faisait tant vibrer. Quand je me suis décidée à le leur dire, des années plus tard, ils ont fait la gueule. « Ma pauvre fille !, m’a dit Jean-Louis. Il n’y a qu’à te regarder pour voir que tu es faite pour le théâtre comme moi pour être notaire ! » Quant à Madeleine Renaud, systématiquement jalouse des autres actrices, elle me voyait mieux en étalagiste aux Galeries Lafayette. « Ma petite, avec le physique que tu as, ne compte pas faire de cinéma ! »

Cela aurait pu vous couper les ailes…

Ah mais j’avais lu Rilke ! J’avais dévoré sa réponse au jeune poète qui s’interrogeait sur sa vocation et ses chances de réussir. Et elle tenait en un seul mot : la « nécessité ». Est-ce que vous sentez en vous la « nécessité » ? Tout le reste est secondaire. Est-ce que, en rentrant en vous-même, avec la plus grande honnêteté, vous vous dîtes : si je ne peux pas faire ça, il me faudra mourir ? Eh bien moi, je répondais oui. Oui, c’est une nécessité. Oui, je préférerais mourir que de ne pas faire ce métier. Ça fait cinquante-cinq ans que je l’exerce, et chaque jour c’est une nécessité. Cela donne une joie ineffable de faire ce pour quoi on est sûr d’être fait. Savoir qu’on est dans sa voie… Jamais je ne m’arrêterai.

C’est donc plus qu’un métier ?

C’est un engagement de tout l’être, corps et âme. Une façon d’être au monde. C’est pour ça que c’est impossible d’arrêter. On meurt !

Mais quel est le ressort ? Traquer les ressorts tumultueux de l’âme ? Et incarner…

Incarner ! Incarner des rôles, des textes, des mots, des sentiments. Incarner. C’est l’un des deux mots les plus importants de ma vie. C’est d’ailleurs pour ça que j’aime la religion chrétienne : c’est la seule rewligion basée sur une incarnation. Mon autre mot préféré est « oui » . Le « oui » est une ouverture. Le « oui » offre tous les possibles. Derrière un « oui », vous avez le monde entier.

On dit qu’il faut pourtant apprendre à dire non…

C’est ce que me dit ma fille quand elle me voit trop travailler. Je lui dis : je ne pense pas. Et je ne cherche pas. Parce que, derrière tous ces oui que j’ai dits, qu’est-ce que j’ai eu comme cadeaux !

Vous avez déclaré un jour que les comédiens ne sont pas intéressants avant 30 ans…

Mais parce qu’on apprend au fil des rôles ! On mûrit. On progresse. On se bonifie. J’ai travaillé, travaillé, travaillé pour devenir une bonne comédienne. Et quelquefois, en repensant à des rôles que j’ai joués très jeune, je me dis : si seulement je pouvais les réinterpréter aujourd’hui (en faisant oublier mon âge), je serais formidable ! Mais je ne serais pas arrivée là sans la prof de chant avec qui j’ai travaillé trois fois par semaine pendant trente ans. Elle m’a mise au monde bien mieux que ma mère n’a su le faire. Elle m’a tout donné !

Est-ce en chantant qu’on apprend à être actrice ?

Un acteur est à la fois l’instrumentiste et l’instrument. L’instrumentiste peut être inspiré, mais si l’instrument est un crincrin… Eh bien Geneviève Rex, cette prof de chant, m’a donné l’instrument. Et, par là même, l’inspiration. Qu’on chante ou qu’on parle, on utilise les mêmes cordes vocales. Et on fait travailler tout le corps. Elle m’a recollée, moi qui arrivais chez elle en kit. Elle m’a donné du souffle et de la sérénité ; une force intérieure qui n’empêche pas le trac mais qui m’assure que j’ai du répondant. Grace à elle, j’ai eu le sentiment que je pouvais tout jouer.

Même Claudel ?

C’est un peu à cause de lui que je suis devenue actrice. Quand j’ai vu, adolescente, jouer à l’Odéon le Partage de midi, je me suis dit que je raterais ma vie si je ne jouais pas un jour le rôle d’Ysé, alors incarné par Edwige Feuillère. Toutes les femmes de la terre sont contenues dans Ysé ! Je suis un personnage de Claudel, les pieds dans la terre, la tête dans le ciel, écartelée entre désir charnel et aspiration à la spiritualité.

 

Quel fut le tournant artistique après la mort de Vadim ?

J’ai eu moins de propositions de cinéma et de télévision – passé la cinquantaine, les rôles de femmes s’amenuisent – mais de plus en plus de spectacles mêlant musique et littérature. Et une foule de lectures publiques. De lectures passions. De lectures que je conçois comme des spectacles pour partager des textes admirables : Hugo, Flaubert, Proust, Camus, Malraux, Blixen, Voltaire, Perec, Sand… J’ai plus de cinquante textes dans ma besace, et l’été, de festival en festival, je sillonne la France au volant de ma petite voiture, le coffre plein de valises. J’ai l’idée que c’est utile, qu’il n’y a aucune raison pour que les gens loin de Paris soient privés de culture.

Vous donnez-vous une sorte de mission ?

Une mission très agréable, hein ! J’ai l’impression d’être la petite sœur de Molière qui arpente les routes avec sa charrette.

Cela fait-il partie de vos « devoirs de vacance » ?

La vie est un cadeau incroyable. La vivre à moitié serait un péché. Mon devoir de vacance consiste à la vivre pleinement, utilement, et au niveau de mon bel amour. Mon rapport avec mon agenda est hystérique. La moindre journée libre se remplit dans la seconde car je ne suis jamais rassasiée et je trouve toujours un moyen de dire oui aux nombreuses sollicitations. Et je m’en trouve heureuse. La petite fille qui aimait tant lire les textes en classe ne s’est pas perdue en chemin. Elle est près de moi, et je peux la regarder tranquillement, les yeux dans les yeux.

 

 

« Une mort dans la famille », texte et mise en scène d’Alexander Zeldin, aux Ateliers Berthier-Théâtre de l’Odéon, 1, rue André-Suarès, 75017 Paris, du 28 janvier au 20 février.

Retrouvez tous les entretiens de la série « Je ne serais pas arrivé là si… » de « La Matinale » ici.

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January 15, 2022 7:10 PM
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«Molière donne une notoriété aux comédiennes comiques» –

«Molière donne une notoriété aux comédiennes comiques» – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 15 janvier 2022

 

 

L’universitaire Florence Fix explique en quoi le dramaturge français du XVIIe siècle, inspiré par le théâtre italien, apporte une visibilité et une assise sociale aux actrices comiques.

 

Codirectrice de l’ouvrage Rire et émancipation féminine (1), professeure en littérature comparée à l’université de Rouen, Florence Fix rappelle qu’avec Molière, les rôles comiques féminins accèdent à la même stature que les rôles de tragédiennes.

 

On trouve beaucoup de femmes moqueuses ou rieuses dans le théâtre de Molière. Etait-ce, au XVIIe siècle, en totale rupture avec les représentations de l’époque ?

 

Je parlerais de transition plutôt que de rupture. Molière reprend en fait deux traditions. D’un côté, celle de la farce médiévale française, dans laquelle on trouve beaucoup de femmes jugées «grossières», qui s’esclaffent et se moquent. De l’autre, celle des comédiens italiens et leurs personnages archétypaux (barbon, servantes, etc.), dont ceux des soubrettes fortes en gueule, très mobiles, qui disent ce que leurs maîtres n’osent pas dire. En effet, à cette époque, les comédiens français sont en concurrence avec les Italiens qui ont beaucoup de succès, en partie parce que leur théâtre implique un jeu bien plus corporel que celui imposé par un XVIIe siècle français plus corseté. Molière repart de ces personnages d’Italiennes qui rient et surtout s’agitent. Mais ce qu’il apporte d’inédit, c’est qu’aux corps des femmes qui rient, il ajoute des textes. Il leur donne la parole.

 

Et il fait naître un nouveau statut, celui d’actrice de comédie…

 

Oui, et une femme qui devient célèbre par un rôle comique, c’est inédit. Il leur donne une visibilité, une notoriété et une assise sociale comme comédienne de théâtre comique. Certaines comédiennes, comme la propre compagne de Molière, Madeleine Béjart, qui marque beaucoup l’époque dans le rôle de la servante Dorine dans Tartuffe, rivalisent de notoriété avec certaines tragédiennes. Des actrices comme Mlle Beauval, ou Mme Bellecourt se rendent célèbres en ajoutant des gestes, elles sourient au public, elles se moquent de ce qu’elles font, pas tout à fait de manière brechtienne mais elles mettent à distance leur rôle de soubrette. Et deviennent très célèbres pour ça.

 

Avec lui, le rire des femmes change-t-il d’échelle sociale ?

 

Chez Molière, on trouve évidemment le personnage de la précieuse – qui incarne le rire aristocrate tourné vers l’esprit – et celui de la servante, qui porte le rire collectif, partagé, corporel, englobant. Il est très tendre avec les secondes, et bien plus sévère avec les premières, quoiqu’il montre aussi qu’elles sont malheureuses et sous la coupe d’un père intransigeant. Les précieuses persifleuses et cérébrales, dans son théâtre, n’aiment qu’elles-mêmes et débattent du vice que Molière dénonce – chez les femmes comme chez les hommes – l’hypocrisie. Mais attention, la servante de Molière ne ressemble pas socialement aux femmes rieuses de l’époque précédente.

 

Parce qu’elles ont plus de pouvoir ?

 

Avant lui, les soubrettes sont issues du «bas peuple», ce sont des paysannes au franc-parler et surtout elles rient sans maitrise d’elles-mêmes, puisqu’elles sont souvent ivres. On en retrouve un peu la trace avec le passage du rire irrépressible de Nicole dans le Bourgeois gentilhomme. Mais pour le reste, certaines servantes chez Molière sont quasiment des maîtresses de maison. Elles appartiennent à un corps intermédiaire et comme elles travaillent chez des bourgeois qui sont souvent des parvenus, elles pourraient presque appartenir à leur classe. Dorine, dans Tartuffe, c’est elle qui organise et tient le foyer. Donc avec Molière, elles sont montées en puissance comique, en puissance verbale, et en puissance sociale. Contrairement aux femmes ivres des farces, celles-là rient dans la parfaite maîtrise de leur effet.

 

Ce sont donc des figures d’émancipation féminine ?

 

De ce point de vue, elles sont tout à fait ambiguës puisque ces rôles sont à la fois socialement très innovants et conservateurs. Les servantes de Molière sont garantes de l’idéal bourgeois de l’époque. Leur objectif est la cohésion de la famille, ce sont elles qui dénouent les conflits. Dorine veut écarter le Tartuffe avant tout parce qu’il perturbe l’équilibre du foyer. A ce titre, elles rappellent les femmes des comédies antiques, celles de Lysistrata d’Aristophane, par exemple, dont le rire est souvent mis au service de la condition de la mère et de l’épouse. C’est un rire de déchirement qui vise à dénoncer ce que la société fait à la famille (la guerre prend les fils et les maris). Autre chose, ces femmes-soubrettes, quand elles font rire, elles le font aux dépens de leur propre sexualité, qui est tout à fait désamorcée. C’est une trace qui perdurera longtemps dans l’imaginaire collectif, qui a encore aujourd’hui du mal à lier rire et séduction. Le non-dit de la servante, c’est sa sexualité. Si elle est si proche de son maître, c’est qu’elle est «a-sexuée». Même si elle est «féminine» dans sa façon d’exercer son rire, comme on le qualifie à l’époque.

 

Quelle sera la postérité de ces rôles ?

 

Ça repasse par l’Italie avec Goldoni qui a beaucoup de servantes qui deviennent maîtresses de maison, indépendantes financièrement comme dans la Locandiera, et ça va jusqu’à   Madame Sans-Gêne, de Victorien Sardou en 1893, par exemple. Le XVIIIe siècle voit naître de grands rôles féminins comiques avec Beaumarchais et Marivaux, des rôles tournés vers l’«esprit». Mais les femmes paient très cher le retour à l’ordre moral du XIXe, qui va mettre en avant, contre les femmes comiques, la tragédienne ou les comédiennes de mélodrame. Dans les grands succès de ce siècle, les comédiennes des drames romantiques, type la Dame au Camélia de Dumas (1848), ne font pas rire du tout ! Aujourd’hui encore, trouver de grands rôles comiques féminins dans le répertoire dramatique contemporain, ce n’est pas facile. Ça s’est déplacé vers le cinéma, le one-woman show et le stand-up. Au cinéma, Jacqueline Maillan joue Pouic-Pouic, et au théâtre, du Koltès.

 

On a tendance à aborder Molière par le versant littéraire, mais les servantes, ce sont aussi des corps. Aujourd’hui, qu’auriez-vous à dire de cette dimension corporelle du rire des femmes ?

Molière étant devenu un «classique», dont on apprend les textes à l’école, on l’aborde encore trop souvent, à mon avis, de manière patrimoniale. Et l’on a tendance à oublier qu’à l’époque, c’était du théâtre hérité de la foire, de plateau, très influencé par les Italiens, pas du tout statique et cérébral. Quant à aujourd’hui, je crois que le rire corporel, à la Zouk, n’a pas vraiment bonne presse en France. Il y a certes, aujourd’hui, des stand-uppeuses qui comptent mais il me semble que leur rire va à chaque fois du côté du raffinement de l’esprit. Un exemple très intéressant et paroxystique, c’est Blanche Gardin, qui désamorce le caractère communicatif du rire en corsetant complètement son corps, en restant la plus statique et impassible possible.

(1) Sous la codirection d’Ariane Bayle, Ed. L’Harmattan, mars 2013, 196 pp., 20 €.
 
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January 15, 2022 6:19 AM
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Thomas Jolly, metteur en scène : « Quand ma grand-mère est entrée pour la première fois sur le plateau, j’ai pleuré à torrents »

Thomas Jolly, metteur en scène : « Quand ma grand-mère est entrée pour la première fois sur le plateau, j’ai pleuré à torrents » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Valentin Pérez dans Le Monde - 15 janvier 2022

 

Légende photo : Thomas Jolly, âgé de 4 ans, en 1986. « A cet âge-là, je commençais déjà à mettre en scène ma famille et mes copains dans des spectacles à la maison », raconte-t-il. THOMAS JOLLY

 

 

Le metteur en scène, remarqué très jeune, monte la pièce « Le Dragon » à Angers et s’apprête à recréer « Starmania » à la Seine Musicale. Il se souvient des spectacles de son enfance et de son aïeule, qui aurait voulu être une actrice.

 

« Me voici lors de ce qui doit être le réveillon de Noël 1986, en Normandie. J’ai 4 ans et les cheveux encore raides. J’aime ce canapé en velours, ces petits chaussons et ce costume brillant que m’avait fabriqué ma grand-mère Denise. Plus tard, il y aura d’autres costumes pour d’autres Noël : je me souviens notamment d’un modèle tout d’or et d’argent…

 

A cet âge-là, je commençais déjà à mettre en scène ma famille et mes copains dans des spectacles à la maison, à La Rue-Saint-Pierre, un village de Seine-Maritime. Avant que je ne m’attaque à Sept farces pour écoliers, de Pierre Gripari, que m’avait offert ma mère vers 6 ans, je montais des scènes de dessins animés. J’ai de grands souvenirs d’Astérix et Cléopâtre, notamment, où une amie jouait le goûteur quand c’est moi qui incarnais Cléopâtre !

J’allais régulièrement en vacances chez mes grands-parents, du côté de Saint-Martin-du-Vivier. Mon grand-père donnait dans leur maison des cours de catéchisme à des enfants, je les voyais débarquer le mercredi et, moi qui n’ai pas reçu d’éducation religieuse, j’étais à côté, écoutant d’une oreille sans bien comprendre. Ma grand-mère, elle, avait été infirmière. Ah, ma grand-mère… Une femme très belle, un côté fantasque que j’ai toujours aimé. Des foulards, des bijoux, des chapeaux, des gants, des couleurs… Elégante.

 

« Je pensais à quel point nous, gens de théâtre, avions déjà perdu, à 20 ans, la dimension exceptionnelle de ce que c’est que d’entrer en scène. »

 

A la fin de mes études au Théâtre national de Bretagne, en 2005, Stanislas Nordey, qui était le directeur, nous a donné carte blanche pour monter une pièce. J’ai choisi La Photographie, de Jean-Luc Lagarce, un texte peu joué autour de l’amitié, cette relation complexe qui reste pour moi un mystère. La pièce raconte l’histoire de sept anciens amis qui ont vécu un drame. Avec une absente, Catherine.

 

Les membres de ma promotion, âgés de 20 à 25 ans, jouaient les personnages, et je voulais qu’on imagine que ces jeunes étaient en réalité des morts et que cette Catherine, qui a un monologue, était la seule à avoir survécu. Pour cela, il fallait une actrice plus âgée. “Demande à Isabelle Huppertm’a suggéré Nordey, alors que je n’étais qu’un étudiant de 23 ans. J’ai eu une autre idée : et si je proposais à ma grand-mère ? Sans trop y croire, je l’appelle et elle me répond : Oui, bien sûr, j’arrive.” J’étais ému.

 

 

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Sur scène, je lui demande de partir du fond du plateau, de venir s’asseoir sur une chaise à l’avant-scène. Elle devait demeurer statique, silencieuse, pendant que le texte du monologue était projeté derrière elle et que résonnait L’Ile des morts, de Rachmaninov. Quand elle est entrée pour la première fois sur le plateau, pendant les répétitions, j’ai pleuré à torrents.

 

e pensais à quel point nous, gens de théâtre, avions déjà perdu, à 20 ans, la dimension exceptionnelle de ce que c’est que d’entrer en scène. Je la voyais dans une grande vulnérabilité parcourir les vingt mètres que j’avais tracés et cela me terrassait. Lors d’un déjeuner, je l’ai encore remerciée d’avoir accepté. C’est là qu’elle m’a confié que, plus jeune, son premier rêve était de devenir actrice.

 

J’étais bouleversé. Peut-être est-ce là l’une des clés de ma vocation ? Est-ce que le désir de jeu passe de façon filiale, de manière souterraine ? Dans cette famille où personne n’allait au théâtre ou à l’opéra, c’est comme si j’avais hérité, sans en avoir conscience, d’un désir frustré pour le faire enfin ­aboutir. »

 

 

Le Dragon, d’Evgueni Schwartz, mis en scène par Thomas Jolly. Au Quai d’Angers, du 18 au 25 janvier. Puis en tournée.

 

 

Valentin Pérez

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January 14, 2022 12:39 PM
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Nicole Garcia magistrale dans “Royan”, la gifle théâtrale de Marie NDiaye

Nicole Garcia magistrale dans “Royan”, la gifle théâtrale de Marie NDiaye | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama  - Publié le 19/07/21

CHRONIQUE D’AVIGNON – On sort laminé de ce haletant et ténébreux monologue, où se conjuguent les contradictions et les gouffres d’une femme blessée. Une pièce à ne manquer, à Avignon jusqu’au 25 juillet ou à Paris début 2022.

 

 

Marie NDiaye est devenue dramaturge à la mode. Les plus grands théâtres commandent aujourd’hui à la puissante romancière de 54 ans des pièces qu’elle compose avec plus ou moins de bonheur. Rudes ou bavardes. Parmi ses derniers opus, Royan, la professeure de français est sa plus bouleversante réussite, aujourd’hui donnée en fin de festival à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Ne le manquez pas. Quelle gifle, que ce haletant et ténébreux monologue, où se conjuguent, à travers une Nicole Garcia magistrale, les contradictions et les gouffres d’une femme farouche et solitaire, blessée et tragiquement fière. Force et puissance du théâtre, d’une comédienne ; on en sort laminé…

Gabrielle est donc professeure. Daniella, son élève préférée, celle qui lui ressemble le plus, vient de se jeter d’une fenêtre du lycée, ne supportant plus le harcèlement de ses camarades. Daniella est morte, la tête explosée. Quand elle rentre chez elle, ce soir-là, Gabrielle sait que les parents de la jeune fille l’attendent sur son palier. Ils veulent des explications. Elle ne veut surtout pas, elle, en donner, ni surtout les voir.

 

Elle attend dans l’entrée de son immeuble, devant les boîtes à lettres. Mais elle sent leur présence muette, là-haut, qu’on devinera dans la mise en scène sobre mais comme hantée par la morte, de Frédéric Bélier-Garcia. Il a plusieurs fois orchestré sur scène des textes de Marie NDiaye, dont il possède l’œuvre à merveille, et dirigé sa comédienne de mère, Nicole Garcia. Il maîtrise avec une fraternelle intuition le flux verbal hiératique et lyrique à la fois de la romancière ; sa force obscure au bord de l’incantation magique ; ses litanies forant le conscient jusqu’à l’inconscient, l’apparent jusqu’au caché, le parler jusqu’au silence.

Nicole Garcia, tragédienne géniale

Les personnages de Marie NDiaye déclenchent peu l’empathie, trop entiers, sauvages et bruts. Gabrielle n’y échappe pas. Elle a voulu assassiner sa mère, elle a abandonné plus tard son bébé et son mari. Et elle l’assume, sans remords. Puissante de ses faiblesses acceptées. La jeune Daniella, farouche et différente comme Gabrielle, mais exhibant sans complexe une laideur moquée par ses camarades, est la seule à l’avoir percée. Au point d’avoir fini par chavirer sa professeure, mystérieusement rendue à ses démons. Et qui a ainsi accepté que son élève devienne son bouclier et le bouc émissaire de la classe, prenne sa place de femme à haïr. Étrange et cruel tour de passe-passe.

Quand s’achève le lancinant monologue intérieur de Gabrielle, rendu éblouissant par l’interprétation d’une Nicole Garcia au génie de tragédienne, à la violence méchante, le spectateur a accompli un parcours hors norme. Il a compris et accepté le monstre qui sommeille en chacun, et en lui-même aussi. Il s’est rappelé les mythes antiques qui toujours nous habitent et ces vieilles légendes qui nous forgent. Archaïque et redoutable et fascinant périple au fond de nos déserts intimes. La voix grave et rocailleuse de Garcia, sa lourde tignasse éternellement blonde à la Gena Rowlands, son animalité sophistiquée, sa démarche fauve effraieront et hanteront pour longtemps les mémoires. L’actrice a évoqué, réveillé la mémoire de nos démissions, de nos mensonges, de nos injustices et de nos lâchetés. Elle s’est faite incendiaire pythie.

 

 

À voir
Royan, la professeure de français, de Marie NDiaye, 1h15, mise en scène Frédéric Bélier-Garcia, jusqu’au 25 juillet, 16h, la Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon. Tél. : 04 90 14 14 14.
Et du 17 janvier au 3 février 2022, à l’Espace Cardin, Paris 8e.

 

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January 14, 2022 9:04 AM
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Spectacle : « Les Gros patinent bien », le cabaret cartoon d’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois

Spectacle : « Les Gros patinent bien », le cabaret cartoon d’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 14 janvier 2022

 

Légende photo : Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan dans « Les Gros patinent bien », au Théâtre des Deux-Rives, à Rouen, le 8 novembre 2021. GIOVANNI CITTADINI CESI

 

 

Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, les deux artistes ont inventé une histoire à dormir debout où se croisent l’esprit des Monthy Python et le burlesque des clowns.

 

Donnez une boîte en carton à un enfant, il en fera forcément quelque chose : la transformera en cabane pour sa peluche, la découpera pour se fabriquer une épée, la décorera ou écrira dessus avec des feutres, etc. Bref, il s’inventera des histoires. C’est à notre âme d’enfant qu’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois font appel en créant un cabaret de carton aussi foutraque que son titre : Les Gros patinent bien.

 

Quelle folie digne des Monty Python que ce nouveau spectacle créé au Théâtre du Rond-Point à Paris ! Comme si ce duo d’artistes – qui nous avaient déjà régalés avec Bigre, inoubliable mélo burlesque – réalisait ici un rêve de gamins. Soit raconter une épopée déjantée de l’Islande jusqu’au sud de l’Espagne grâce à d’innombrables cartons qui, tour à tour, se transforment en objets, animaux, décors, dialogues, sous-titres.

 

Au milieu du plateau, dans le rôle du voyageur en quête éperdu d’une sirène, Olivier Martin-Salvan, costume trois-pièces et nœud papillon, reste assis, immobile, et ne cesse de parler, maugréer, chanter de la country, dans une langue en apparence anglaise mais surtout imaginaire. Autour de lui s’agite éperdument son complice Pierre Guillois, juste vêtu d’un maillot et d’un bonnet de bain noirs. Préposé au récit, il met toute son énergie et sa fausse maladresse à fournir les bons cartons pour faire défiler les paysages, les personnages, les événements climatiques, les outils et autres bibelots croisés tout au long de ce rocambolesque road-movie. Mime, danseur, il y a chez ce comédien aux grimaces irrésistibles un mélange de Jim Carrey et de Jerry Lewis.

Vertus consolatrices

On peut tout faire, ou presque, avec des morceaux de carton : aussi bien une tour de contrôle qu’une buvette, un cargo qu’un appareil photo, un requin que des patins à glace. Et quand il s’agit d’évoquer un troupeau de shetlands ou un crachin breton il suffit d’allier bruitage et mots écrits au gros feutre noir. Tout fait l’affaire. Surtout que ce duo, qui évoque le clown blanc et l’auguste, fonctionne à merveille : l’un est aussi corpulent que l’autre est maigre, l’un est aussi figé que l’autre est virevoltant.

Cartoonesque et délirant, ce spectacle, par son économie de moyens et son imagination débridée, a des vertus consolatrices dans une époque hypertechnologique et consumériste. On rit de ces gamineries pimentées d’absurdité et de burlesque mais qui n’oublient pas de glisser, ici ou là, des allusions à la folie de notre monde, migrants qui se noient dans l’indifférence, bétonnage des paysages, folie des serres fournissant des tomates quelle que soit la saison…

 

 

On est séduit par la virtuosité de ces comédiens et conquis lorsqu’ils se disputent et sortent de leur rôle parce qu’ils craquent face à l’allure effrénée de ce marathon de cartons. Ces ruptures sont les bienvenues dans cette aventure, certes très originale, mais parfois un peu répétitive. Il manque un petit rien, un zeste d’émotion, quelques changements de rythme et d’ambiance pour être totalement emporté. Mais le temps d’une soirée, on a souri comme des enfants emballés par une histoire à dormir debout.

 

 

Les gros patinent bien, cabaret de carton, de et avec Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois, jusqu’au 16 janvier au Théâtre du Rond-Point à Paris, puis du 25 au 29 janvier au Théâtre Sorano à Toulouse et à partir du 2 février au Théâtre Tristan-Bernard à Paris.

 

 

Sandrine Blanchard / Le Monde 

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January 13, 2022 12:54 PM
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Eric Ruf : « Molière a tout organisé pour qu’on fantasme sa figure »

Eric Ruf : « Molière a tout organisé pour qu’on fantasme sa figure » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - 13 janvier 2022 

Légende photo : Eric Ruf, à la Comédie-Francaise, à Paris, le 12 janvier 2022. JEROME BONNET / MODDS POUR « LE MONDE »

 

Dans un entretien au « Monde », Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, explique que l’irrévérence est essentielle pour représenter et jouer ce génial dramaturge.

 

La Maison de Molière fête son patron, dont on célèbre, à partir du 15 janvier, le 400e anniversaire de la naissance. Jusqu’à la fin juillet, la programmation de la Comédie-Française sera entièrement moliérienne, avec une vingtaine de spectacles et de propositions diverses : douze créations signées par Ivo van Hove, Julie Deliquet, Lilo Baur ou Louise Vignaud, et les reprises d’excellents spectacles. Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, revient sur cette saison Molière.

Molière est-il un célèbre inconnu ?

J’ai un peu cette impression. Si on considère qu’il n’est pas un homme sur un piédestal avec du plâtre partout, qui est-il ?

J’aime beaucoup le film réalisé par Ariane Mnouchkine en 1978, avec Philippe Caubère dans le rôle de Molière : elle le montre avant tout comme un homme, avant d’être une grande figure nationale. Et elle le filme dans son mystère, ce qui me plaît beaucoup et me semble très juste. On s’est rendu compte en travaillant sur cette saison Molière et sur les expositions avec la Bibliothèque nationale de France (BNF), que, à force de se pencher sur lui, on ne faisait qu’amplifier ce mystère, au lieu de l’éclaircir.

 

Est-ce dû notamment au fait que Molière n’a pas laissé de manuscrits, de lettres ou d’écrits intimes ?

Certainement. C’est étrange d’ailleurs que quelqu’un qui n’a pas laissé d’écrits soit aussi célébré. Molière ne se savait pas Molière ni quelle trace il allait laisser dans l’histoire. Son cas est vraiment étonnant : c’est comme s’il avait tout organisé pour qu’on fantasme sa figure.

Dans le cadre de cette saison Molière, j’ai demandé à Agathe Sanjuan, l’archiviste en chef de la Comédie-Française, de me sortir soixante portraits de lui. Il n’y en a pas un qui ressemble à l’autre et il y a des différences énormes entre certains portraits. Lequel est le vrai ? On dit que ce sont les portraits des frères Mignard, Nicolas et Pierre, lesquels sont les portraits officiels, qui sont les plus proches de la vérité du modèle. Mais en même temps on sait ce que veulent dire les portraits officiels…

Comment expliquez-vous cette absence d’écrits ? Est-ce dû à un Molière homme extrêmement occupé, acteur, auteur, chef de troupe, organisateur des plaisirs du roi ? Ou ces documents constitueraient-ils un trésor enfoui quelque part ?

Je ne me risquerai pas à commenter les diverses légendes qui courent depuis le XVIIe siècle… Je me dis juste qu’un hyperactif aurait justement eu le temps d’écrire ses propres mémoires, sa propre légende.

Mais on voit bien que sa vie fut d’une rare densité – d’ailleurs la richesse de son œuvre est sans doute due au fait qu’il écrivait aussi pour dénouer des nœuds contemporains. Ecrire très vite, suivre le goût du public, convenir à la demande, en tant que directeur de troupe, même quand ce n’était pas forcément ce qu’il aimait lui, faire en sorte que le roi soit content et donc être obligé d’allier ses propres tropismes aux plaisirs royaux… Tout cela a fait que, entre ce qu’il voulait écrire profondément, là où il ne s’oubliait pas, et là où il répondait à la commande, il y a une grande richesse.

 

 

Lire aussi l’entretien : Article réservé à nos abonnés Christian Hecq et Denis Podalydès, à propos de Molière : « Un rire de qualité est toujours accompagné de noirceur »

Mais je trouve beau que celui qui est le plus resté dans l’histoire soit celui qui pensait le moins s’y inscrire. Il ne cultivait pas sa propre légende de son vivant, il n’y faisait pas du tout attention. Je ne crois pas trop à l’existence d’écrits qui auraient été perdus. Généralement on dissémine beaucoup au cours d’une vie, surtout une vie comme la sienne. On aurait donc dû logiquement retrouver certains de ces papiers s’ils avaient existé.

Quelles sont les grandes lignes qui ont présidé à cette saison Molière ?

Ce que je voulais absolument, c’est que l’on puisse y voir des mises en scène et des pensées très différentes. Que l’on ressorte avec un éventail large, que l’irrévérence soit de mise et la découverte aussi.

Ce sera le cas avec ce Tartuffe « inédit » recréé par le grand spécialiste de Molière qu’est Georges Forestier et que met en scène Ivo van Hove en ouverture de cette saison. Je suis particulièrement fier de pouvoir dire que l’on fait une création mondiale d’une pièce de Molière en 2022 à la Comédie-Française !

Pourquoi l’irrévérence vous semble-t-elle si importante pour représenter Molière aujourd’hui ?

Les notions de respect et d’irrespect sont magnifiquement intéressantes au théâtre. Le respect parfois tue totalement les pièces, d’où l’admiration que j’ai pour des metteurs en scène comme Ivo van Hove ou Thomas Ostermeier, dont j’aurais rêvé qu’il fasse partie de cette programmation, ce qui n’a malheureusement pas pu être possible. Il faut savoir faire preuve de sauvagerie par rapport au répertoire, retrouver du muscle, pour respecter le muscle d’origine des grands auteurs.

Il ne s’agit donc pas de s’agenouiller devant une statue qui ne lui ressemble pas. Ce serait absurde. C’est un écrivain extraordinaire, mais, à partir du moment où on dit aux jeunes générations qu’il faut le respecter, on prend le risque de l’empeser. Et il est plutôt logique d’être irrévérencieux avec quelqu’un qui l’était lui-même.

Vous proposez non seulement des mises en scène des pièces mais aussi des spectacles sur Molière, signés par Julie Deliquet et Louise Vignaud notamment. Pourquoi ?

Au départ, c’est parti de cette obsession que j’ai pour Molière vu par les acteurs et pour les liens entre sa troupe et la nôtre, quatre cents ans après. Ce qui me fascine, ce sont les passations qui se sont faites d’un acteur à l’autre, au fil de ces quatre siècles.

J’en ai parlé à Julie Deliquet, pour qui la question de la troupe est au cœur du théâtre. Elle a eu envie de se lancer dans un portrait, en découvrant nombre d’aspects méconnus de la vie de Molière et de sa troupe : c’étaient des gens qui vivaient de manière confortable mais dans une marge de citoyenneté qui n’était pas simple. Mais, dans cette marge, ils avaient établi des principes d’égalité très étonnants pour l’époque, notamment entre hommes et femmes, qu’il s’agisse des salaires ou des prises de décision dans la troupe.

 

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Quant à Louise Vignaud, elle a eu envie de s’intéresser au sujet passionnant de la fascination de l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov pour Molière et de mettre en regard ces deux figures qui ont eu maille à partir avec la censure. Tout cela participe du même désir, du même principe de départ, de se dire que l’on a le droit de construire à partir de Molière.

Vous avez peu joué Molière vous-même, sauf au début de votre carrière, et vous ne l’avez pas mis en scène, sauf pour un « théâtre à la table ». Dans cette œuvre très diverse, quel est votre Molière ?

Il y a trois grandes qualités chez Molière : c’est un dramaturge hors pair qui sait écrire avec une rare efficacité. Il est un analyste précis des défauts humains, qui n’ont pas beaucoup changé. Et puis il y a le Molière qui travaille, un être obscur, qui, à l’intérieur de toute cette comédie, dit des choses de lui et a des réflexions sur son art. Avec beaucoup de courage, souvent, voire d’amertume.

 

 

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Ce Molière-là me touche beaucoup. Il y a quelque chose de pirandellien chez lui, une dimension métathéâtrale d’une grande modernité. Et une manière de creuser ses propres pulsions, sa psyché et la nôtre, avec une honnêteté incroyable. Une profondeur, aussi, dans le rapport à la mort comme dans Le Malade imaginaire, la pièce qu’il jouait quand il est mort lui-même. Je ne dis pas cela pour aller dans le sens des légendes autour de sa disparition, mais sa manière de mettre en jeu la présence de la mort dans cette pièce est troublante.

Que diriez-vous à un jeune d’aujourd’hui pour qui Molière semblerait appartenir à une planète lointaine ?

Qu’il faut venir le voir à la Comédie-Française ! J’aimerais que, à l’issue de ces créations, des jeunes se disent : « Waouh, on a le droit de faire cela avec Molière ? » Que les spectateurs puissent sortir avec plus de questions que de réponses, en se trouvant ébahis qu’un auteur vieux de 400 ans soit encore capable d’inspirer des modes, des formes, des pensées sur le théâtre, des manières de décorer et de costumer si différentes.

 

 

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Je dirais surtout que Molière est un personnage beaucoup plus complexe, plus libre, plus ombré que n’en laisse voir son statut d’auteur imposé dans les programmes scolaires. On a un peu tendance à vouloir faire lire les classiques aux jeunes sans leur expliquer que seul le sentiment d’appartenance et d’appropriation relève du classique. Si Molière est un classique, c’est parce qu’il y a encore quelque chose qui nous parle là-dedans et qu’il faut aller chercher, en intégrant une dimension ludique. Jouer avec Molière autant que jouer Molière, autrement dit.

 

 

Programmation
  • A la Comédie-Française (Salle Richelieu)

Le Tartuffe ou l’Hypocrite, mise en scène Ivo van Hove. Du 15 janvier au 24 avril.

Le Misanthrope, mise en scène Clément Hervieu-Léger. Du 2 février au 22 mai.

Le Malade imaginaire, mise en scène Claude Stratz. Du 21 février au 3 avril.

L’Avare, mise en scène Lilo Baur. Du 1er  avril au 24 juillet.

Les Fourberies de Scapin, mise en scène Denis Podalydès. Du 22 avril au 10 juillet.

Le Bourgeois gentilhomme, mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort. Du 7 mai au 21 juillet.

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres…, par Julie Deliquet. Du 17 juin au 25 juillet.

 

  • Théâtre du Vieux-Colombier

Dom Juan, mise en scène Emmanuel Daumas. Du 29 janvier au 6 mars.

Les Précieuses ridicules, mise en scène Sébastien Pouderoux et Stéphane Varupenne. Du 25 mars au 8 mai.

Le Crépuscule des singes, d’après les vies de Molière et Boulgakov, par Alison Cosson et Louise Vignaud. Du 1er juin au 10 juillet.

 

  • Studio-Théâtre

Six propositions par les acteurs de la troupe, du 27 janvier au 3 juillet.

 

Exposition : Molière en costumes : Centre national du costume de scène et de la scénographie, Moulins, du 26 mai au 1er novembre.

A lire : Molière, de Georges Forestier (Gallimard), 24 €.

A voir : Molière, par Ariane Mnouchkine, en Dvd, 33 €. Ou en Vod sur BelAir classiques, à partir de 4,99 €.

 

Fabienne Darge

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January 11, 2022 5:52 AM
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L'art puissant d'Elise Chatauret : "A la vie"

L'art puissant d'Elise Chatauret : "A la vie" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 10  janvier 2022

Légende photo : Au fond Charles Zevaco, devant, Solenne Keravis. Questions torturantes…Christophe Raynaud de Lage. DR.

 

 

Sur un texte composé avec Thomas Pondevie et la compagnie Babel, elle met en scène des comédiens sensibles dans une réflexion profonde sur la mort, le passage, qu’elle intitule « A la vie ! ». Et c’est formidable. 

 

Une bousculade de citations, une explosion de phrases. Un amoncellement de corps sans vie sur le plateau. Cela commence ainsi, A la vie !  Par des personnages arrachés au cadre de la pièce qui les protège…Ils surgissent, venus d’horizons très divers. De la tragédie à la farce grinçante, des antiques aux contemporains. Je meurs-Je sens que je me meurs-Mourons donc…

 

 

Les artistes qui ont composé le spectacle ne cherchent en rien à égarer le public, mais au contraire à l’éclairer. Avant d’entrer dans la salle, on vous remet un « recueil des emprunts aux textes dramatiques ». Vous saurez tout.

 

 

Dans une scénographie volontairement « théâtrale » de Charles Chauvet, qui signe également les costumes avec Morgane Ballif, espace fardé de lumières mouvantes de Léa Maris et d’un travail sur le son, subtil -micros compris- de Lucas Lelièvre et Camille Vitte, se déploie A la vie !

 

On commence par rire, d’un bon rire franc devant l’ouverture ironique et joyeuse, de ce moment de théâtre haut et puissant. Ils y passent tous : Hugo et Racine, Shakespeare comme Copi et plus tard Ionesco. Et les interprètes aussi, toutes et tous : Justine Bachelet, Solenne Keravis, Juliette Plumecocq-Mech, Emmanuel Matte, Charles Zévaco.

 

Mais ce prologue en costumes –que l’on retrouve à la fin dans une composition inspirée d’un tableau de Giotto, qui referme la représentation sur l’ombre d’ailes angéliques et chrétiennes- n’est là que pour mieux nous précipiter au cœur du chaudron d’un propos dérangeant. Non pas mourir, mais choisir de mourir, vouloir mourir. Et comment ? Et qui pour décider ? Et qui pour agir ?

Des questions graves, taillées dans le théâtre même. Des contradictions déchirantes. Les interprètes passent du « rôle » de patient à celui de « soignant », le temps d’enfiler une blouse blanche. Tout s’enchaîne à folle allure. Spectateurs, nous sommes confrontés à une cascade de « cas », de situations.

 

Mais rien ici qui emprunte à un catalogue éthique, sociologique, médical, dont on nous présenterait des exemples avec scènes illustrant des conflits, des difficultés morales ou scientifiques. Ici, il y a effectivement la vie, comme ne ment pas le titre, et le théâtre. C’est cela qui frappe et offre une assise magistrale à ce travail qui revendique l’enquête, la recherche. Mais qui est tout entier théâtral.

 

L’intelligence de la construction, la fermeté de la direction, l’humanité sans mièvrerie qui irrigue chaque scène, tout concourt à donner une force rare à la représentation. Le groupe des interprètes, familiers de l’univers d’Elise Chatauret, et esprits actifs de la conception de l’ensemble, est composé de personnalités rares. La jeune Justine Bachelet, présence et harmonie, vivacité, Juliette Plumecocq-Mech, précise comme fine lame et très sensible, Solenne Keravis, celle qui traverse les apparences, Emmanuel Matte, dans la densité, la métamorphose, Charles Zévaco, vif argent épanoui dans une danse époustouflante, sont unis et singuliers.

 

On ne connaissait pas le travail d’Elise Chatauret. Il arrive que des artistes et leurs créations nous échappent. Qu’on les rate. Après Ce qui demeure, dialogue entre une jeune femme et une femme de 93 ans, après Saint-Félix, enquête sur un hameau français, après Pères enquête sur les paternités d’aujourd’hui, trois productions de la compagnie Babel, trois mises en scène d’Elise Chatauret, sur des textes composés avec son groupe de comédiens et Thomas Pondevie dont on connaît aussi le travail au Théâtre de Montreuil et les propres recherches, telles celles ayant abouti à Supernova.

 

Mourir, la belle affaire, la grande affaire. Mourir, au théâtre, rien de mieux. Le Roi qui se meurt : « Vous tous, innombrables, qui êtes morts avant moi, aidez-moi. Dites-moi comment vous avez fait pour mourir, pour accepter. »

« Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir », ainsi qu’il est dit dans Suréna de Corneille.

 

 

Armelle Héliot 

 

 

« A la vie ! », des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Œillets, jusqu’au 16 janvier. A 20h30 en semaine, 18h00 le samedi, 17h00 le dimanche. Durée : 1h30. Tél :  01 43 90 11 11.

– 30 novembre > 4 décembre MC2 Grenoble, Scène nationale
– 22 mars 2022 : Théâtre de Chelles
– 29 mars 2022 : Verdun – Transversales
– 12/04 > 15/04/2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, CDN

Les précédents spectacles d’Elise Chatauret, Thomas Pondevie et la compagnie Babel sont en tournée en France. Consultez les lieux et dates sur le site : www.compagniebabel.com

 

 

 

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