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Le spectateur de Belleville
April 28, 2022 11:24 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 28 avril 2022 Christine Letailleur poursuit son roman d’amour avec les écritures du XVIIIe siècle en mettant en scène sa propre adaptation de Julie de Lespinasse, - sa vie, ses lettres d’amour sublimes - amie de D’Alembert et Condorcet. Une fête déchirante portée par Judith Henry. C’est le début lettre écrite, un jour de 1776, à six heures du soir, par Julie de Lespinasse, quelques mois ou semaines avant de mourir à 42 ans (d’amour et de tuberculose), une lettre adressée à celui qu’elle aime: « Je ne veux pas, mon ami, que, dans le peu de jours qui me restent à vivre, vous puissiez en passer un sans vous souvenir que vous êtes aimé à la folie par la plus malheureuse de toutes les créatures. Oui, mon ami, je vous aime. Je veux que cette triste vérité vous poursuive, qu’elle trouble votre bonheur [ le destinataire, le comte de Guibert, son cadet de dix ans ,vient de se marier] ; je veux que le poison qui a défendu ma vie, qui la consume, et qui sans doute la terminera, répande dans votre âme cette sensibilité douloureuse, qui du moins vous disposera à regretter ce qui vous a aimé avec le plus de tendresse et de passion. Adieu mon ami. Ne m’aimez pas, puisque ce serait contre votre devoir et contre votre volonté ; mais souffrez que je vous aime et que je vous le redise cent fois, mille fois, mais jamais avec l’expression qui répond à ce que je sens ». Julie écrira encore d’autres lettres à l’homme qu’elle aime jusqu’à ces derniers mots sentant sa fin imminente : «si je revenais à la vie, j’aimerai encore à l’employer, à vous aimer, mais il n’y a plus de temps ». C’est l’épouse de l ‘homme aimé par Julie de Lespinasse qui, découvrant ces lettres et leur incandescence, ne les jettera pas au feu, mais les fera éditer en 1809. On comprend que Christine Letailleur cette amoureuse des écritures du XVIIIe siècle, après Laclos et Sade et avant, un jour, Restif de la Bretonne, ait eu envie de frayer un bout de chemin amoureux avec Julie de Lespinasse. Son spectacle entrelace subtilement ses lettres et sa vie romanesque. Fille naturelle d’une comtesse (son père étant le mari de sa sœur), elle restera dix ans auprès de madame du Deffand (sa tante naturelle), introduite dans son fameux salon avant d’en être chassée (jalousie). Elle ouvre alors son propre salon fréquenté par les Encyclopédistes et bien d’autres. Très proche de son aîné de quinze ans d’ Alembert, qui l’aima d’un amour platonique et vivra auprès d’elle, Julie de Lespinasse connut un premier amour partagé avec un espagnol, M. de Mora qui, plus tard, mourra avant elle de la tuberculose. Elle aime bientôt follement, plus qu’il ne l’aime, le comte de Guibert, de dix ans son cadet, qui parcourt l’Europe, tire gloire d’un écrit militaire et finit par se marier avec une autre, de moins de vingt ans, au grand dam de Julie qui en a le double. Dans la mise en scène tout en finesse de Christine Letailleur, Guibert n’apparaît pas en scène autrement qu’en voix off (Alain Fromager) et par les lettres que lui adresse Julie, déployant entre eux un jeu ambivalent de la présence-absence. Seul apparaît furtivement auprès d’elle le spectre de M. de Mora qui lui l’aima tant et plus jusqu’à la mort, le rôle étant (bien) tenu par Manuel Garcie Kilian que l’on a souvent vu dans les spectacles de Christine Letailleur. L’espace nu presque abstrait est comme mental, excepté quelques bougies (cet adjuvant à l’écriture au XVIIIe siècle). Au centre du plateau, une méridienne entourée de rien, comme une île (scénographie Emmanuel Clolus et Christine Letailleur) où, en marge du monde, habite Julie de Lespinasse. C’est là qu’elle écrit ses lettres d’amour comme autant de lettres à la mer, c’est là qu’elle espère, désespère, pleure, veille, s’éveille, écrit, se meurt. Abritée sous une longue robe magnifique ( Elisabeth Kunderstuth), l’actrice Judith Henry, gracile, fragile et déterminée dans la passion solitaire de son personnage, malade (amour, tuberculose) se nourrissant de pilules d’opium, porte les mots vibrants de Julie de Lespinasse avec une juste fébrilité, tempo constant du spectacle, celui sonore d’une lettre que l’on froisse et défroisse pour mieux la relire. Jean-Pierre Thibaudat / Balagan Théâtre National de Strasbourg jusqu’ au 5 mai, tous es jours 20h, sf sam 30 16h et 20h Légende photo : Scène de "Julie des Lespinasse" © Jean-Louis Fernandez
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Le spectateur de Belleville
April 27, 2022 10:50 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 27 avril 2022 Le metteur en scène rejoue l’ultime pièce de Shakespeare, qui l’a accompagné toute sa vie, au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Dans l’air impalpable flotte toute une histoire du théâtre, encapsulée comme par magie entre les murs aux couleurs de ruines somptueuses. Au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, Peter Brook présente Tempest Project, et c’est un moment où se faufile une émotion particulière. Dans ce théâtre qui fut sa maison pendant près d’un demi-siècle, dont il a fait une caverne aux sortilèges unique au monde, le maître, âgé de 97 ans, revient à La Tempête, l’ultime pièce de Shakespeare. Lire aussi (archive de 2015) : Article réservé à nos abonnés Les Bouffes du Nord, l’espace vide idéal Il l’a déjà mise en scène à trois reprises, cette pièce qui l’a accompagné tout au long d’un chemin où le théâtre ne s’est jamais dissocié de sa vie. La première fois, c’était en 1957, en anglais, la deuxième, en 1968, en français. La dernière, en 1990, c’était ici, aux Bouffes du Nord, et beaucoup s’en souviennent : entre ces murs qui laissent voir les cicatrices du temps, les esprits de Sotigui Kouyaté, qui fit de Prospero un griot africain, de Romane Bohringer en Miranda pleine de vie et de fraîcheur, et de tous les autres, sont encore là. Lire aussi (archive de 1990) : Article réservé à nos abonnés Peter Brook, le magicien du théâtre, et sa « Tempête », entreprise de séduction Mais Tempest Project, c’est autre chose, « un projet qui n’a aucunement la prétention d’être une nouvelle version de La Tempête ou une Tempête redécouverte », prévient Peter Brook. Le spectacle est issu de plusieurs ateliers avec des acteurs, en anglais et en français, par Brook et sa fidèle collaboratrice, Marie-Hélène Estienne. Un chantier autour de La Tempête, en quelque sorte, toujours en cours, dont la fragilité et l’inachèvement même bouclent la boucle pour le metteur en scène, d’un chemin de théâtre qui a tendu à donner corps à l’invisible – aux esprits ou à l’esprit tout court. Les esprits sont bien la grande affaire de cette pièce en forme de conte, dont Brook met en place les éléments avec cette beauté minimaliste qu’il a peaufinée au fil du temps. Quelques baguettes de bambou suffisent pour une scène d’amour magnifique, qui dit bien la difficulté et la joie d’aller l’un vers l’autre, et le sentiment d’apesanteur éprouvé par tous les amoureux du monde. Forces de l’esprit Tous les acteurs ne sont pourtant pas au même niveau dans ce chantier théâtral, offert comme tel. La grande Marilu Marini est formidable en Ariel, esprit de l’air s’il en est, dont elle fait un clodo métaphysique, un petit clown dansant en pantalon de jogging et claquettes. Sylvain Levitte confirme un talent déjà remarqué dans la peau aussi bien de Ferdinand, le jeune amoureux, que de Caliban, l’esclave monstrueux de Prospero. Mais Ery Nzaramba (Prospero) et Paula Luna (Miranda) sont moins convaincants que leurs prédécesseurs. « La Tempête » est bien une métaphore du théâtre, et surtout du théâtre qu’a cherché Peter Brook tout au long de sa vie Le théâtre est une île, à l’image de celle de La Tempête, « pleine de bruits, de sons et d’airs mélodieux » – le lieu par excellence où peuvent s’incarner, de la manière la plus aérienne qui soit, les forces de l’esprit. Pour peu qu’elles soient convoquées par un mage à même de les animer. La Tempête est bien une métaphore du théâtre, et surtout du théâtre qu’a cherché Peter Brook tout au long de sa vie. Et Prospero, c’est bien Brook lui-même : un magicien doué de pouvoirs extraordinaires, dont le parcours a consisté à se défaire de ces savoirs comme d’une illusion, pour aller vers un théâtre de la vie et de l’épure, vers la simplicité et la profondeur permettant d’atteindre le cœur de l’existence humaine. Peter Brook, main dans la main avec Shakespeare, et avec sa profession de foi ultime : « Nous sommes faits de l’étoffe des rêves, et notre petite vie est entourée par un sommeil. » Fabienne Darge / Le Monde Légende photo : Sylvain Levitte (Ferdinand/Caliban) et Paula Luna (Miranda) dans « Tempest Project », par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, aux Bouffes du Nord, à Paris. MARIE CLAUZADE
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Le spectateur de Belleville
April 26, 2022 5:37 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 25 avril 2022 Celia Daniellou-Molinié a écrit et met en scène Finistères. Spectacle pour un homme seul, quelques voix off, de la magie. Récit d’un frère évoquant son jumeau, diagnostiqué schizophrène. Un grand jeune homme surgit. On le connaît. Il a joué autrefois au théâtre du Soleil. Il a une allure de jeune homme, mais il a bien ses quarante ans, Francis Ressort…Parce que l’on attend quelques spectateurs en retard, il propose des tours de magie avec un jeu de cartes. On est déjà dans la fiction, puisque le spectacle commence certainement tous les jours ainsi, et dans la palpitation de la réalité : la magie c’est toujours, « mais comment fait-il ? », « mais quel est le truc ? ». La palpitation du réel, c’est en fait le fil qui sous-tend Finistères. Celia Daniellou-Molinié, passée par l’Ecole Normale Supérieure, docteure ès lettres, passionnée de théâtre, intellectuelle et artiste, formée à la mise en scène en stages exigeants, propose avec Finistères une tentative pour approcher la maladie mentale. Rien de clinique dans sa démarche. Ce qui l’intéresse c’est le récit, la poésie. L’émotion. Elle le dit : elle s’est inspirée de plusieurs cas pour composer Finistères. Mais, de fait, c’est un cas unique que l’on croit saisir en écoutant Alban parler du destin de son frère jumeau Titouan. On croit tout. On y croit. Au fur et à mesure, on analyse. Et l’on se dit que les parents sont bien étranges qui semblent effrayés par la naissance de leurs garçons jumeaux et font tout pour les séparer. La schize, c’est eux qui la cultivent, se dit-on lorsqu’Alban nous raconte leur enfance, leur éloignement puisqu’il va à l’école publique tandis que son frère est envoyé au loin dans une école privée. Leur enfance, c’est la Bretagne. Ils sont nés à Douarnenez, ont grandi à Camaret, Presqu’île de Crozon. Les parents, on l’apprend plus tard, sont professeurs de lettres. Des soixante-huitards écolos, qui luttent contre le nucléaire, et ont baigné, au cours de leurs études, dans les discours de l’antipsychiatrie. On croit à tout cela tant Francis Ressort est convaincant, vrai. Qu’il mette la capuche du sweat rouge qu’il porte (costume Barbara Gassier) et Alban devient Titouan. Oui, on croit. On a le cœur serré. On connaît des malades mentaux. On connaît le désarroi des parents, on connaît les dénégations, l’impuissance, le désespoir qui peut saisir les familles, les proches. « Qu’est-ce que l’on a raté ? » se demandent les parents dont on entend parfois les voix « off » portées par les enregistrements de Camille Grandville et Jean-Paul Ramat. Avec beaucoup d’intelligence, une intuition profonde de la différence, de l’altérité, Celia Daniellou-Molinié, a fait appel à la magie. Les cartes, mais aussi les images inouïes. Le créateur, pour ce spectacle, est Arthur Chavaudret, assisté de Lucas Thébault. Certaines apparitions sont inspirées du formidable Etienne Saglio, avec son accord. Un supplément de poésie et d’irréalité. Un seul comédien en scène, un seul récit, mais une équipe artistique de premier ordre, un univers très travaillé : lumières d’Elsa Revol et Sébastien Marc, son Clément Gassier, avec Stéphane Leclercq, musique Clément Gassier également, qui est compositeur et Antoine Reininger, Catherine Lamagat, Jean-Marc Serre. On les cite, car on devine qu’ici le collectif, ici dans cette compagnie 16.51 Ouest, le partage est essentiel. Ce sont des enfants du Soleil, Celia Daniellou-Molinié, comme Francis Ressort et ils sont accueillis chez la grande Ariane Mnouchkine. L’émotion qui saisit le spectateur est puissante, profonde. Avec ce texte, sobre, avec cet interprète au visage ouvert, au regard profond, à la voix bien placée. De tout son cœur, de tout son corps (il a fait de la danse, également), Francis Ressort, très bien dirigé par Celia Daniellou-Molinié, nous conduit à ces frontières troublantes de la raison et de la déraison, des visions, des fantasmes, des délires, des apparitions, des fantômes. Mais il nous fait saisir la souffrance de Titouan, aussi. Pas seulement ses rêves fantasmagoriques. Cartoucherie de Vincennes, salle de répétition du Théâtre du Soleil. Du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30. Durée : 1h20. Réservation : 07 66 16 52 41. reservations@1651ouest.fr
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Le spectateur de Belleville
April 25, 2022 6:01 AM
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Par Marie Plantin dans Sceneweb - 22 avril 2022 photo Christophe Battarel
C’est un spectacle hybride et mutant qu’ont conçu Nicolas Liautard et Magali Nadaud. Une pièce qui résonne étrangement avec l’époque et aborde des sujets d’une actualité saisissante. Pangolarium superpose les pistes narratives, les écrans virtuels à la réalité du plateau pour mieux nous immerger dans son univers et nous inviter à la réflexion. Un an qu’on l’attendait ce spectacle intrigant, rescapé de multiples annulations et d’une année covidée dont on essuie encore les plâtres. Un an qu’il attendait de dévoiler enfin au public sa fable troublante aux allures prophétiques. Une adolescente vit cloîtrée chez elle, seule avec son père, au 36ème étage d’un immeuble. Elle ne connaît du monde extérieur que le ciel de sa fenêtre et ce qu’elle en apprend via les livres qu’elle compulse et internet, source infinie de connaissances. Curieuse, éveillée et particulièrement intelligente pour son âge, elle ne cesse de surprendre son père par ses questionnements et la maturité de sa pensée. Dotée d’un bras recouvert d’écailles, on suppose que son confinement est lié à sa difformité physique, à cette hybridation avec l’animal surprenante. Mais nous n’en dirons pas plus ici, il serait dommage de spoiler un spectacle tout de mystère charpenté qui avance ses pions au compte-goutte, sème ses indices autant que ses énigmes et de ce fait, captive de bout en bout. D’autant plus qu’il s’agit là d’un premier épisode qui nous tient suffisamment en haleine pour qu’on ai envie de découvrir la suite au plus vite. Mais il faudra patienter tout de même. Imaginé à quatre mains par Nicolas Liautard et Magalie Nadaud, Pangolarium s’ancre dans le monde d’aujourd’hui tout en ayant l’air d’évoquer le futur. Avec ses airs de science-fiction, ses références à la pop culture, son dispositif numérique superposant les écrans, il impose une esthétique extrêmement léchée et technologisée peu fréquente dans la création jeune public. Visuellement, c’est remarquable. Le film projeté dont les génériques ouvrent et clôturent le spectacle happe d’emblée. La scénographie judicieuse (très belle réalisation de Damien Caille-Perret) nous mène de la cuisine de l’appartement à l’obscurité de la forêt en passant par la salle de réunion de l’agence où travaille le père généticien. Elle accompagne le parcours d’éclosion de la jeune fille qui passe du dedans au dehors comme une sortie de chrysalide inattendue. Tous les éléments de la mise en scène concourent à mettre en espace les mutations à l’œuvre dans le récit et démultiplier l’un des sujets forts de la pièce abordé lors des conversations en tête-à-tête de la fille avec son père : le vrai et le faux ne sont pas si aisément discernables et les mécanismes de la croyance nous font parfois naviguer en eaux troubles. En cela, le spectacle déroule son intrigue et ses différentes strates comme un polar, aucun dialogue n’est anodin, le spectateur est tenu en haleine. Pris dans une posture contradictoire entre la fascination pour cette histoire énigmatique et une activité cérébrale intense pour reconstituer le puzzle narratif, le public est à la fois hypnotisé et actif. L’histoire, fantastique, ludique et philosophique, déploie ses arcanes avec intelligence et poésie tandis que la multitude des références qui la composent, du Cosplay à L’Iliade et L’Odyssée, en passant par un poème d’Edgar Poe, les écrits de Buffon, Charles Fourier ou La Vie des abeilles de Maeterlinck, tisse une toile fascinante où puiser matière à rêverie autant qu’à réflexion. Ce spectacle, remarquablement mené, est d’une beauté troublante. Marie Plantin – www.sceneweb.fr Pangolarium Texte et mise en scène, Nicolas Liautard, Magalie Nadaud Avec Sarah Brannens, Jean-Charles Delaume, Jade Fortineau, Fabrice Pierre, Célia Rosich Scénographie, création numérique et réalisation du lucanus cerf-volant, Damien Caille-Perret Création lumière, César Godefroy Univers sonore, Thomas Watteau Vidéaste, Christophe Battarel Prothèse, Anne Leray Costumes, Sara Bartesaghi Gallo, Simona Grassano Régie générale et lumière, Muriel Sachs Régie plateau, Emeric Teste Production Robert de profil La colonie (série) Réalisation et montage, Christophe Battarel Image et étalonnage, Cyril Battarel Assistante chef-opérateur, Fanny Bégoin Musique et mixage, Thomas Watteau Avec la participation à l’image d’Ivan Casian, Jürg Häring, Emel Hollocou, Swann Kébaïli, Amanda Wang, Noé Battarel, Aline Mauranges, Hélène Lapillonne, Alexandre Lapillonne, Catherine Loheac, Françoise Lestienne, Guy Chapus, Monique Duizabo, Olivier Duizabo Production Robert de profil Coproduction Théâtre Paris-Villette ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien de la Fondation des Artistes / MABA – Maison d’Art Bernard Anthonioz, le Théâtre de la Tempête à Paris et La Colonie de Condé-sur-Vesgre Action financée par la Région Île-de-France Durée 1h15 A partir de 9 ans Théâtre Paris Villette du 21 avril au 8 mai 2022 22 AVRIL 2022/PAR MARIE PLANTIN
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Le spectateur de Belleville
April 24, 2022 4:30 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog 24 avril 2022 Plus va le temps, plus Peter Brook creuse les interrogations de Shakespeare. En se penchant une fois de plus sur la dernière œuvre, en compagnie de Marie-Hélène Estienne, il offre aux spectateurs un moment miraculeux de théâtre pur. Quelques éléments de bois, des pièces de textiles, sont répartis sur le plateau dégagé des Bouffes du Nord. Le rouge domine. A un moment du spectacle, un rouge intense, un rouge sang vermeil, noiera l’ensemble du plateau et des murs faussement décrépits. Le théâtre est plein à craquer et, à la fin, la ferveur, l’admiration, l’émotion du public éclateront en applaudissements soutenus, longs, intenses, auxquels répondent les acteurs, bouleversés, eux aussi, comme étonnés de l’écoute et de la reconnaissance du public. C’est l’un des très grands spectacles de ce printemps. L’immense spectacle, petit format (1h15), épure, stricte direction des comédiens réunis, venus du monde entier, toutes générations liées, ellipses, et tout se comprend. On a ici la quintessence de La Tempête de William Shakespeare. Dernière œuvre de l’immense écrivain à la poésie universelle. On ne doit pas détailler ici les mouvements, les allées et venues, les surprises, la puissance de chaque scène, la simplicité apparente qui n’est ici qu’approfondissement, et que l’on connaisse ou non La Tempête, chacun est frappé, reçoit tout dans la lumière. Marie-Hélène Estienne et Peter Brook s’appuient sur la traduction de leur ami, de leur frère en travail et recherche, Jean-Claude Carrière. La distribution est superbe : off, on entend Harué Momoyama, qui ne vient pas saluer et qui donc n’est pas « live ». Une voix essentielle dans la représentation. On ne sait pas d’où vient cette voix pendant le spectacle. Les hauts de la salle, les coulisses ? Une voix qui est littéralement un protagoniste. Prospéro est incarné Ery Nzaramba, qui a joué avec Peter Brook The Suit et Battlefield. Elégant, tendrement autoritaire avec sa fille, Paula Luna, blonde, lumineuse, merveilleuse. Prospéro est très bon et doux avec Miranda, mais dur avec ses ennemis et stratège. C’est tout Shakespeare. Dans la double partition de Caliban, celui à qui l’île appartenait, et du jeune homme qui a échoué sur l’île, sans connaître les vilenies de adultes, Sylvain Levitte est idéal. Il est parfait en fils de magicienne réduit en esclavage, et délicat en amoureux… Autres incarnations magistrales, celle de Marilu Marini, qui fut Caliban, mais oui, chez Alfredo Arias, est ici Ariel. Ses ailes : les pans de son vaste manteau. Elle est si expressive, si coquine, si précise dans le sentiment comme dans la mimique, que l’on est subjugué. Enfin, les jumeaux Fabio et Luca Maniglio, ajoutent la magie de leur troublante ressemblance, à des scènes cocasses comme Shakespeare y tient tant. Une soirée immense. Du théâtre pur. Le geste magistral d’un poète extraordinaire, Peter Brook. Ici assisté d’une femme de théâtre qui est elle aussi du côté de l’épure, Marie-Hélène Estienne. Emotion et joie : on sort de là galvanisé, sûr que le théâtre est puissant, infiniment. Poésie pure et compréhension du monde. Théâtre des Bouffes du Nord, à 20h30 du mardi au samedi, supplémentaire le samedi à 15h30 et le dimanche à 16h00. Tél : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com
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Le spectateur de Belleville
April 22, 2022 10:29 AM
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Par Cristina Marino dans Le Monde - 22 avril 2022 L’auteur et metteur en scène poursuit son travail d’écriture à destination de la jeunesse commencé en 2018, avec l’école comme terrain de jeu.
Légende photo : Ibrahim (Mathias Bentahar, au premier plan) et Camille (Emilie Prévosteau, au fond) dans « Histoire(s) de France », d’Amine Adjina, lors d’une représentation en octobre 2021. GÉRALDINE ARESTEANU Les personnages d’Arthur (Romain Dutheil) et Ibrahim (Mathias Bentahar) constituaient déjà le duo central d’un spectacle pour le jeune public écrit et mis en scène en janvier 2018 par l’auteur, comédien et metteur en scène Amine Adjina intitulé tout simplement Arthur et Ibrahim. Il avait pour thème une amitié entre deux collégiens mise à mal par le racisme et le repli identitaire de leurs familles. Dans Histoire(s) de France, le duo devient trio avec l’arrivée du personnage de Camille (Emilie Prévosteau) mais l’intrigue se déroule de nouveau sur les bancs de l’école. Une professeure d’histoire tente d’enseigner sa matière différemment en proposant à ses élèves de sixième de choisir un moment marquant de l’histoire de France et de le rejouer devant la classe. Ce travail doit leur permettre de travailler à plusieurs et de confronter leurs points de vue pour aboutir à une vision commune de l’épisode retenu. Et c’est là que les choses se compliquent pour le groupe formé par Arthur, Camille et Ibrahim, qui vont avoir des difficultés à trouver un terrain d’entente autour de différentes périodes historiques. De la préhistoire avec les hommes des cavernes et les mammouths à la victoire de l’équipe de France à la Coupe du monde 1998, en passant par la guerre des Gaules entre Vercingétorix et Jules César et la Révolution française de 1789 avec la prise de la Bastille, les trois collégiens revisitent à leur façon et avec leurs mots d’ados la « Grande Histoire ». Tout en y mêlant parfois la petite, celle de l’amitié entre les deux garçons contrariée par leur amour naissant pour la même fille, Camille. Un Vercingétorix au féminin De ces regards décalés et insolites, parfois insolents, sur le passé de leur pays, naît un spectacle inventif et drôle, souvent touchant – jusque dans la naïveté de certains propos – et porté par la belle énergie des trois jeunes interprètes. Derrière l’humour et le comique de situation, surgissent des questions plus profondes, qui renvoient à l’actualité : quelle place pour les femmes dans une histoire souvent écrite par des hommes (Camille souhaite incarner un Vercingétorix au féminin avec des boucles d’oreilles, une forte poitrine mais aussi une épée pour se battre) ? Quelle place aussi pour les immigrés ou les Français d’origine étrangère dans une histoire racontée par les colonisateurs (Ibrahim s’invente un personnage de druide en djellaba et parlant un dialecte inspiré de l’arabe) ? La question du genre s’invite aussi dans la représentation avec un Louis XVI en talons aiguilles et une Marie-Antoinette en baskets, joués par Arthur et Ibrahim. Histoire(s) de France s’interroge également sur le théâtre comme lieu d’expression de la parole publique, en intégrant au spectacle des extraits vidéo d’un micro-trottoir réalisé à Paris sur la façon dont les gens perçoivent l’expression « nos ancêtres les Gaulois ». Des propositions pour la transformation de l’école formulées par des collégiens, sur le modèle des cahiers de doléances sous la Révolution française, ont été recueillies lors de rencontres de l’équipe avec des classes et lues sur scène par les comédiens. Une façon originale de faire entendre d’autres voix sur les planches. Histoire(s) de France, par La Compagnie du Double. Texte et mise en scène : Amine Adjina. Collaboration artistique : Emilie Prévosteau. Avec Mathias Bentahar, Romain Dutheil, Emilie Prévosteau et la voix de Kader Kada. A partir de 10 ans. Les 28 et 29 avril au Grand Bleu, scène conventionnée d’intérêt national – Art, enfance et jeunesse, à Lille.
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Le spectateur de Belleville
April 21, 2022 4:40 PM
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Par Marek Ocenas dans son blog Théâtre & Co - 21 avril 2022 Les Serpents de Marie NDiaye comptent parmi ces pièces contemporaines qui suscitent une curiosité grandissante et qui contribuent ainsi à la reconnaissance de l’auteur vivant : si cette pièce a déjà fait l’objet de plusieurs créations depuis sa parution en 2004 aux Éditions de Minuit, Jacques Vincey s’en empare à son tour en la servant dans une mise en scène sobre qui instaure une ambiance angoissante de conte fantastique. Après sa première donnée au Théâtre Olympia (Tours) début septembre 2020 (>),, cette création épatante est partie en tournée à travers la France : à la mi-avril 2022, les spectateurs la découvrent au Théâtre des Quartiers d’Ivry(>) Les Serpents s’inscrivent dans la dramaturgie singulière de Marie NDiaye éprouvée dans ses créations précédentes : l’action de ses pièces se noue généralement, sous forme d’enquête, autour d’un personnage énigmatique qui ne paraîtra jamais sur scène mais qui ne cesse de concentrer sur lui les regards des autres. La quête incandescente de ce personnage indomptable qui échappe à leur manipulation les mène aussi bien à en dresser un portrait troublant qu’à reconstituer son histoire à travers des révélations fragmentées, sujettes pourtant à caution en raison de leur caractère sensiblement subjectif. Dans Les Serpents, celui qui fait l’objet d’une telle quête est un homme potentiellement violent, à la fois fils et mari, qui attire à lui trois femmes : sa mère — Madame Diss, sa première femme Nancy et sa femme actuelle France. L’aura de cet homme d’âge mûr, tapi dans la cuisine avec ses deux enfants, envahit aussi bien l’espace environnant qu’elle subjugue l’esprit des trois femmes amenées à s’entretenir devant la maison située au milieu de vastes champs de maïs. S’il s’agit d’abord tant soit peu d’élucider l’histoire du petit Jacky exposé par le père aux serpents dans un rare acte de cruauté, chacune des trois femmes tente dans le même temps de reconsidérer son rapport à ce fils et mari à travers les relations que celui-ci entretient avec les deux autres. Les scènes qui se succèdent les unes après les autres avec des intervalles variés, notamment pour les dernières qui prolongent la durée épique de l’histoire, ne renferment au premier abord rien qui verse dans l’univers fantastique. Les angoisses des trois femmes et leurs rivalités implicites complexifient les relations entre elles en les plaçant des dans situations précaires qui les obligent à adopter des postures de façade autant pour paraître maîtresses de leurs destins que pour parvenir à atteindre à l’objet de leurs intérêts cachés. Des zones d’ombre se creusent ainsi rapidement entre la perception réaliste de l’histoire de ces trois femmes et son possible ouverture vers un univers étrange tissé d’autant de fantasmes frustrants que de traumatismes avoués à demi-mot : pourquoi la mère semble-t-elle haïr ce fils qu’elle ne cesse de rechercher ? pourquoi le père a-t-il infligé à Jacky un traitement inhumain pour le laisser ensuite dévorer par des serpents ? pourquoi Nancy a-t-elle abandonné son mari et son fils pour revenir des années plus tard ? pourquoi France finit-elle par lui céder sa place et ses enfants ? Jacques Vincey exploite dans sa mise en scène ces zones d’ombre qui laissent les spectateurs perplexes. Il y a quelque chose de profondément déconcertant dans les mobiles pervers de l’homme, mais aussi dans ceux des trois femmes, qu’on ne saura jamais expliquer rationnellement et qui s’apparente dès lors au fantastique. Jacques Vincey prolonge la part non rationnelle de l’histoire des Serpents en situant son action dans un espace non mimétique : la scénographie se garde bien de représenter la maison et des champs de maïs qu’évoquent inlassablement les trois femmes dans leurs discours. Mathieu Lorry-Dupuy a conçu un espace hautement théâtral en se servant de composantes élémentaires propres au théâtre : les deux côtés latéraux de la scène sont délimités par des rangées de projecteurs installés à la hauteur des épaules, alors que le grand mur du fond, constitué de haut-parleurs de tailles différentes, ne cesse de s’approcher du devant de la scène en réduisant peu à peu l’espace de jeu. Cet espace se rétrécit anxieusement jusqu’au moment de bascule qui renverse complètement les rapports de force pensées en fonction de celui qu’on entend çà et là gronder mais qu’on ne voit jamais. Ce parti pris scénographique déplace d’emblée l’action des Serpents dans un univers artificiel construit de la sorte pour stimuler des représentations audiovisuelles inquiétantes selon l’intensité variable d’une lumière déclinante et d’un fond-sonore composé de bruissements divers (entre autres, frémissement des feuilles de maïs ? ou battement d’ailes des insectes ? ou frottement des serpents ?). Ce parti pris scénographique conduit dans le même temps les spectateurs à tirer de l’histoire des Serpents une interprétation personnelle en lui suggérant avec ambiguïté des ouvertures possibles dépassant résolument une lecture terre à terre réaliste. De ce cadre mystérieux surgit une palpitante action scénique nouée à partir des relations fragiles des trois femmes, toutes troublées par la présence de cet homme qui exerce sur elles une fascination irrésistible. Les trois comédiennes — Hélène Alexandridis (Madame Diss), Bénédicte Cerruti (Nancy) et Tiphaine Raffier (France) — incarnent leurs personnages en leur prêtant des sentiments élevés ainsi que des postures distinguées. Malgré des divergences de goût, malgré des intérêts opposés, malgré des jalousies et des rivalités secrètes qui existent entre les trois personnages, et malgré enfin cette violence omniprésente qui plane sourdement dans les airs, les comédiennes ne versent à aucun moment dans l’excès de pathos, dans l’impétuosité d’une émotion forte, ce qui conforte l’ambiance angoissante instaurée par le cadre spatial. C’est qu’une certaine froideur déroutante qui se dégage de postures distantes et fières infère un étourdissant malaise moral au regard des révélations scandaleuses faites sur la mort de Jacky ou des propos francs tenus par Madame Diss, au regard du chantage glacial et glaçant de cette même Madame Diss qui soutire cyniquement de l’argent à Nancy en échange des informations sur la torture du petit garçon, évoquée avec une féroce suffisance pour être reçue avec une terrifiante sérénité. Chacune des trois comédiennes parviennent à individualiser son personnage en lui insufflant une dynamique conditionnée par des mobiles psychologiques si ambigus que ceux-ci s’imposent comme dépourvus de tout sens moral. Les trois comédiennes créent ainsi trois personnages de femmes infernales qui se laissent dévorer par celui dont elles ne parviennent pas à s’émanciper même après bien des années de séparation. L’étonnante dramaturgie de Marie NDiaye exploitée dans Les Serpents trouve un excellent interprète en Jacques Vincey qui transpose son univers dans une mise en scène captivante : loin de la renfermer dans une lecture orientée, le metteur en scène réactive des questionnements anthropologiques sur les mobiles des personnages appréhendés en dehors de jugement moral. L’histoire des Serpents semble ainsi merveilleusement sourdre autant de pulsions insondables que de représentations inavouables, à la limite de l’humain. Bande-annonce des Serpents de Marie NDiaye
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Le spectateur de Belleville
April 21, 2022 10:59 AM
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Par Philippe du Vignal dans Théâtre du blog - 20 avril 2022 Soixante-seizième édition du festival d'Avignon... Le plus important festival de théâtre au monde, créé en 1947 par Jean Vilar, aura lieu aux mêmes que d'habitude, du 7 au 26 juillet. Cette édition sera la dernière pilotée par Olivier Py, après un mandat de dix ans. Mais il restera avec sa compagnie en Avignon toute l'année. Et lui succèdera l'an prochain, Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène portugais bien connu en France, premier étranger à diriger ce festival. Olivier Py n'a voulu cette édition "ni récapitulative, ni commémorative». Mais s'y dégagent les mêmes lignes artistiques qui lui sont chères, avec une volonté, cette année encore, de privilégier les spectacles de metteuses en scène. Comme en témoigne l'affiche. Ce qui est tout à son honneur... Anne Théron mettra en scène une adaptation d‘Iphigénie de Tiago Rodrigues. Elise Vigier avec Anaïs Nin au miroir d’Agnès Desarthe. Solange Oswald, elle, avec le Groupe Merci, reprendra la fameuse Mastication des morts de Patrick Kermann, une pièce en plein air qu’elle avait créée en 1999. En adaptant Dans ce Jardin qu’on aimait, un récit de Pascal Quignard, Marie Vialle nous fait entrer dans un univers sonore où « la solitude devient une écoute absolue du monde, le souvenir d’un être aimé et la manifestation d’une cruauté inattendue ». Elle s’est aussi inspirée de la vie du compositeur américain Simon Pease Cheney. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un pasteur musicien perd sa femme en couches, se réfugie dans le deuil et commence à noter les bruits, les chants d’oiseaux, les sons de la pluie… ou encore la chorégraphe Maud le Pladec avec Silent Legacy. Et on peut espérer -s’il arrive à sortir de Russie- que le grand metteur en scène et cinéaste Kirill Serebrenikov qu’Olivier Py avait invité bien avant l’invasion de l’Ukraine, présentera dans la Cour d’honneur du Palais des papes, Le Moine noir. Un spectacle tiré d’une nouvelle d’Anton Tchekhov, créé le mois dernier au Théâtre Thalia de Hambourg. Il a mis en scène des textes de Gorki, Ovide, Shakespeare, Pouchkine et des opéras pour le Bolchoï et en Europe. Mais la radicalité de ses spectacles et ses positions pro-démocratie et LGBT ne plaisent pas beaucoup là-bas! Il y a deux ans, il a été assigné à résidence et condamné à de la prison avec sursis… Bien connu en France, il a présenté au festival de Cannes Le Disciple (2016), Leto (2018) et La Fièvre de Petrov (2021) et au festival d’Avignon, Les Idiots (2015) et Les Âmes mortes l’année suivante, puis Outside en 2019 (voir Le Théâtre du Blog) . Mais très mal vu par Vladimir Poutine dont il critique le régime, à cause de ses spectacles jugés trop audacieux, mais aussi parce qu’il soutient ouvertement les LGBT, il n’a pas le droit de quitter Moscou, après avoir été condamné, soi-disant pour détournements de fonds… Il y aura aussi d’autres spectacles étrangers comme Solitaire de Lars Norén mort l’an passé et dont Sofia Adrian Jupither a monté sept pièces. Et En Transit d’Amir Reza Koohestani; Il y a quatre ans, cet auteur et metteur en scène iranien partait pour le Chili. A une escale à Munich, il est transféré par la police des frontières vers la zone de transit. Motif : être resté quelques jours de trop dans la zone Schengen, suite à la délivrance inexplicable de deux visas de séjour différents. Il sera renvoyé en Iran. Dans la salle d’attente, il lit Transit d’Anna Seghers et se retrouve avec des gens semblables à ceux qui cherchaient, dans ce roman, un moyen de fuir l’Europe nazie. Cette année, peu d’œuvres d’auteurs «classiques», sinon cette adaptation de la nouvelle d’Anton Tchekhov et un Richard II de William Shakespeare, mise en scène de Christophe Rauck, le directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Avec, entre autres, Thierry Bosc, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel… Et Micha Lescot dans le rôle-titre: «J’avais travaillé Richard II pour un hommage à Jean Vilar, à Avignon, avec Gérard Desarthe. C’était resté dans ma tête. Il fallait que je trouve la bonne personne. » Il avait déjà été mis en scène par Christophe Rauck dans Départ volontaire de Rémi De Vos et lui dit qu’il avait envie du rôle. «Richard est à l’image de son époque: il est la crise. Lui-même est en crise. C’est pourquoi, il n’est pas assez radical, comme s’il avait eu le pouvoir trop tôt. Et au moment de sa destitution, son dépouillement est magnifique. » Et il y aura un autre Shakespeare, La Tempesta, mise en scène du Turinois Alessandro Serra qui a reçu le prix Ubu en 2017 pour un Macbettu, une version sarde d’après Shakespeare, interprété uniquement par des hommes, avec sonnailles, instruments anciens, cornes et peaux d’animaux... Mais pas la moindre trace, pas le moindre hommage à notre Molière à tous… Olivier Py a sans doute pensé que la coupe était bien assez pleine mais c’est vraiment dommage! Il avait écrit puis monté La Servante au Gymnase Aubanel en 95, un spectacle fleuve en vingt-quatre heures joué par vingt-huit acteurs sans interruption pendant sept jours et sept nuits… Peut-être histoire de renouer avec ses trente ans, il y créera cette année Ma Jeunesse exaltée, une sorte d’épopée en dix heures, avec un «dialogue entre un jeune arlequin et un vieux poète ». Et il reviendra au cabaret avec son personnage de Miss Knife à la fin du festival et avec aussi, les fameuses Dakh Daughters, un groupe de chanteuses et danseuses ukrainiennes que nous avions déjà pu voir dans les spectacles de Lucie Berelowitsch Du côté épopée théâtrale, un genre auquel Olivier Py est très attaché, sera aussi monté Le Nid de cendres par son auteur Simon Falguières . Une pièce en sept parties, inspiré par l’univers de contes traditionnels. Il nous parle d’un Occident en pleine autodestruction où naît Gabriel, recueilli par une troupe de comédiens ambulants et d’un pays de conte avec roi, reine ubuesques et Anne, une jeune princesse des temps modernes qui traverse les mers pour trouver l’homme qui sauvera sa mère d’un profond sommeil.. » C’est l’histoire d’un monde coupé en deux morceaux, qui, comme une pomme coupée en deux qui vont tenter pendant toute la pièce de se réunir. Je tends, dit Simon Falguières, à parler du monde d’aujourd’hui, de ce mouvement de l’Histoire que traverse notre génération, non pas en essayant de le montrer tel qu’il est mais en parlant la langue des contes.» Mais Shakespeare, Homère et Sophocle ne seront sans doute pas très loin… Nous ne pouvons tout citer mais il y aura aussi, comme d’habitude, plusieurs pièces jeune public dont Le Petit chaperon rouge par Das Plateau et Gretel, Hansel et les autres, l’histoire d’une frère et d’une sœur perdus dans la forêt par leurs parents et vite aux prises avec une sorcière. «Mon adaptation, dit Igor Mendjinski, contera la fuite, la manière dont on abandonne les enfants aujourd’hui, la peur de certains de ne pas trouver le bon chemin, et surtout le besoin de grandir sans perdre de vu qu’il est important de continuer à se raconter des histoires. » Il faut noter aussi deux expositions: L’œil présent de Christophe Raynaud de Lage qui a pris des milliers de clichés des spectacles à Avignon depuis dix-sept ans et qui, maintenant, apparaissent sur le site du festival le soir de la première, puis dans de nombreux articles article de presse. Et First but not last time in America par Kubra Khademi. Cette artiste afghane, réfugiée en France depuis sept ans, croise gestes épiques, poésie classique et slogans des femmes de son pays. Avec des peintures et performances nourries par la situation de son pays. «Ses représentations de femmes ne naissent pas du désir de montrer leur nudité mais de mettre en scène des corps libres. » Elle a aussi dessiné l’affiche de ce festival. A noter aussi : pour la seconde année consécutive, la participation de l’École supérieure d’art d’Avignon, maintenant dirigée par Morgan Labar. Située dans de grands bâtiments mais à la périphérie donc souvent mal connue des habitants, elle offrira comme l’an passé sur son annexe, quartier Champfleury, des ateliers gratuits aux enfants de la ville et aux autres mais sur inscription préalable. Au chapitre danse, cela sera aussi très international et c’est tant mieux, avec des créations comme, entre autres, Silent Legacy de Maud Le Pladec, avec Adeline Kerry Cruz, une enfant de Montréal qui, à huit ans, elle danse le krump né à Los Angeles il y a quelque vingt ans, et Audrey Merilus, une danseuse aux nombreux styles et techniques contemporains qui a travaillé avec Anne Teresa De Keersmaeker. Jan Martens qui était venu l’an passé avec un remarquable Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, revient avec une création : Futur proche. Et on pourra voir aussi Dada Masilo avec sa compagnie sud-africaine qui présentera Le Sacrifice. Et encore Tumulus de François Chaignaud.
Un festival aux multiples perspectives, bien dans la ligne des éditions précédentes. Sans grande surprise, à part l’arrivée très attendue mais peu probable, vu les circonstances, de Kirill Serebrenikov. Mais cette manifestation – et c’est regrettable- n’est pas vraiment populaire: les places, quels que soient les spectacles, selon Olivier Py s’arrachent dès l’ouverture de la location en ligne… Mais bon, l’an passé, la Cour d’honneur était loin d’être toujours pleine. Restera à son successeur la tâche d’arriver à faire revenir un public, élargi et jeune, avec une carte de spectacles de théâtre exigeants mais moins longs et à l’accès plus facile. Une carte maintenant offerte par le festival off qui n’a plus rien à voir avec celui d’il y a vingt ans -nous vous en reparlerons très vite- et dont la qualité n’a cessé de progresser depuis quelques années… Philippe du Vignal Le 76 ème festival d’Avignon aura lieu du 7 au 26 juillet. Prévente exceptionnelle de 10.000 places, uniquement en ligne, le samedi 4 juin à 14 h et ouverture des ventes en ligne, le mardi 7 juin de 14 h à 19 h. Et par téléphone : + 33 (0)4 90 14 14 14, du 7 au 30 juin, du mardi au samedi de 11 h à 19 h. Du 1er au 26 juillet : tous les jours de 10 h à 19 h et le samedi 11 juin de 14 h à 19 h. Ouverture des ventes au guichet, cloître Saint-Louis, 20 rue du portail Boquier, Avignon, du 11 au 30 juin, du mardi au samedi de 14 h à 19 h. Et du 1er au 26 juillet, tous les jours aux mêmes horaires.
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Le spectateur de Belleville
April 20, 2022 11:20 AM
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Hommages de comédiennes et comédiens à Michel Bouquet
Recueilli dans la presse et sur les réseaux sociaux Muriel Robin Propos recueillis par Sylvain Merle / Le Parisien Le 13 avril 2022 Il a su voir en elle le talent qui ne demandait qu’à éclore, l’a guidée, épaulée, encouragée. Elle l’a appelé « Monsieur Bouquet » pendant 30 ans malgré leur amitié et elle ne l’aura tutoyé qu’à deux reprises, les deux dernières fois qu’elle l’a vu… Muriel Robin et Michel Bouquet avaient une relation singulière et forte. Profondément triste, la comédienne évoque le monument disparu ce 13 avril. Que vous est venu à l’esprit en apprenant la disparition de Michel Bouquet ? MURIEL ROBIN. Tellement de choses… Ça aurait fait 45 ans en septembre qu’on s’est rencontrés avec Michel Bouquet… C’est mon arrivée à Paris, le conservatoire où il entre la même année que moi. C’est notre connivence, le fait d’avoir une relation avec lui, particulière. Quelques mois avant, je n’ai pas ouvert un livre de ma vie, jamais mis les pieds au théâtre et au milieu de plein de jeunes peut-être plus formatés pour le conservatoire, c’est à moi qu’il s’intéresse… Alors on prend un café tous les deux, un peu à part, et on parle de théâtre, j’écoute, j’écoute… Je me trouvais plus intelligente quand il me parlait. J’étais flattée qu’il s’intéresse à moi. J’ai toujours vouvoyé Michel Bouquet. Je l’ai tutoyé les deux dernières fois que je l’ai vu, il en était d’accord. Mais je l’ai appelé Monsieur Bouquet pendant au moins 30 ans, je n’arrivais pas à l’appeler Michel. C’est un monstre sacré, un monument, un maître. Ce qui me vient aussi, c’est cet homme qui, quand j’ai voulu tout arrêter il y a 15 ou 17 ans, m’a dit : « Tu n’as pas le droit d’arrêter, ce que tu donnes aux gens, il faut continuer à le leur donner ». C’est arrivé deux fois. Après le conservatoire, déjà, je voulais rentrer à Saint-Étienne, il m’en avait dissuadée. Il me disait : « Je suis ton père de théâtre ». Mais quelqu’un qui décide de votre vie deux fois, c’est plus qu’un père de théâtre. Il était un repère, un père. Quand je le croisais après le conservatoire, je le remerciais toujours. Il me répondait : « C’est moi qui te remercie ». Ce qui a fondé notre histoire d’amour, d’amitié, je l’ai su après, c’est qu’il s’est senti moins seul avec moi. On s’est épaulés. Je n’aurais pu l’imaginer, mais il me l’a dit tellement souvent et sa femme aussi. Elle me l’a dit encore tout à l’heure quand je l’ai appelée. Il rentrait et parlait de moi, disant « heureusement qu’il y a Muriel, elle comprend ce que je dis ». Pourquoi ? Il parlait respect du texte, travail, humilité. C’est ce que m’avaient appris mes parents, c’était pile pour moi… Il va me manquer et manquer à la France. J’ai peut-être un peu plus de tristesse que les autres, mais je pense qu’il est vraiment entré dans le cœur des gens. Il était très loin de l’image de cette bouche pincée qu’on voyait dans les films où il jouait toujours les méchants. Il était rock, fou, d’une folie singulière, il était audacieux, pas du tout l’acteur bourgeois dont il avait l’air. Il sortait souvent des clous, mais dans la dignité. Il était passionnant. Il était tellement de choses… Et je le trouvais beau en plus, parce que quand on a tout ça, on est beau. « C’est très important quelqu’un qui vous choisit et vous élève comme il l’a fait » Muriel Robin Qu’avait-il perçu en vous ? Il disait que j’étais un talent brut… Il fallait que ce soit au moins lui qui me le dise pour que je supporte de l’entendre. S’il le dit, lui qui s’y connaît… Waouh ! Ça, ça donne de la confiance ! Les artistes doutent, tous, et moi je n’ai pas vraiment confiance en moi, je ne pense pas que du bien de moi. C’est très important quelqu’un qui vous choisit et vous élève comme il l’a fait. Dans les moments, et il y en a eu, où je n’étais pas choisie, je me sentais seule, je me consolais parfois en me disant : « Est-ce que ce n’est pas mieux d’avoir un seul Michel Bouquet qui te dit qu’il est ton père de théâtre et qui t’aime infiniment plutôt que beaucoup d’autres moins intéressants ? » Vous preniez régulièrement de ses nouvelles ? Bien sûr, je parlais régulièrement à Juliette (sa femme) et je suis allée le voir. C’est bien pour lui, que ça se soit arrêté, moins bien pour moi et pour beaucoup d’autres, j’imagine… Et puis, ce n’est pas si mal d’arriver à cet âge-là, les choses sont à leur place. Il était unique, et moi je fréquente peu de monde, très peu, alors quand il y en a un qui s’en va, il en reste moins à chaque fois. Il va rester avec moi, à chaque fois que je vais aborder un texte. Il est tout le temps avec moi Michel Bouquet, il est en moi pour toujours et je ne le remercierais jamais assez de m’avoir élue. Légende photo : «Je me trouvais plus intelligente quand il me parlait», raconte Muriel Robin à propos de Michel Bouquet. LP/Fred Dugit À lire aussi Michel Bouquet, monument du théâtre et du cinéma, s’en est allé ----------------------------------------------------------------------------------- Gérard Watkins 13 avril Je suis en immense peine d’apprendre la mort de Michel Bouquet. Il est dans mon parcours d’acteur le pivot le plus essentiel. Je lui dois mon apprentissage du somnambulisme, l’art du fil, d’être absorbé au plus profond de la poétique des auteurs, je lui serais à jamais redevable du cadeau sans concession de la transmission qu’il nous a fait, de descriptions oniriques sans filets des œuvres de Shakespeare, Molière, Strindberg, d’une puissance imaginative à en trembler d’émotion, de la « tête froide » la temporalité de l‘œuvre embarquée au millième de seconde, pour mieux permettre la fièvre, l’oubli, et la jouissance d’être remis au monde le temps d’une représentation. Je lui dois aussi, et de cela je suis certain, le léger décollage de mes auriculaires quand je joue et quand je dirige. Je lui dois un merci des plus humbles et des plus sincères. Adieu très grand homme. ----------------------------------------------------------------------------------- Guillaume Podrovnik 15 avril · Le problème, quand on a un père metteur en scène, c’est qu’à la plupart des dîners à la maison, il y a plein de comédiens. Et quand on est ado, on n’accepte pas pas plus qu’on ne comprend pourquoi il y a des adultes qui, de toute évidence, ont plus de problèmes d’égo que soi. C’est un truc à te pourrir l’enjeu principal de ton adolescence: emmerder tout le monde avec tes problèmes existentiels, tes fragilités et ton orgueil. Normalement, à cet âge, on te le doit. T’as que ça. C’est le seul truc qui contre-balance les problèmes d’acné, de découverte malaisée du cul et tout ça. On t’écoute poliment parler de toi, ce qui n’a évidemment aucun intérêt. Mais avec des comédiens, laisse tomber, ils sont vachement meilleurs en monopolisation de la parole pour recentrer la soirée sur eux. Ils ont de la technique, alors que toi t’as juste des boutons et une fille dans ta classe que t’aimerais bien baiser sans avoir aucune idée de comment t’y prendre. Un combat perdu d’avance contre des gens ultra expérimentés en déversement de névroses et agitations corporelles excessives. Sauf Michel Bouquet. Et Juliette Carré, sa compagne. J’ai toujours été heureux de les voir. Ils m’écoutaient patiemment, alors que ça n’avait, évidemment, aucun intérêt. Le fait qu’ils n’avaient rien à prouver était doublé du fait d’être des gens incroyablement généreux, même avec des ados chiants. Comme je suis né le même jour que Michel, on a fêté une fois ou deux notre anniversaire ensemble. À l’époque, ça m’a paru complètement normal. Mais aujourd’hui, que quelqu’un comme lui se soit dit qu’il n’avait rien de mieux à faire – sérieux… – que de fêter son anniversaire avec un ado chiant comme j’étais forcément à l’époque, ça me fait me remémorer à quel point c’était un homme qui s’intéressait toujours aux autres, un homme d’une gentillesse et d’une générosité extraordinaire, à l’exact opposé de tant de ses rôles de salauds mémorables. Tout ça n’a pas beaucoup d’intérêt, à part pour moi. Mais je voulais apporter ma toute petite pierre personnelle pour que l’on n’omette pas qu’en plus d’être un acteur incroyable, c’était aussi un homme incroyable. On s’y attendait depuis des mois. Mais, au moins, il est parti paisiblement. Et si quelqu’un le méritait, c’était bien lui. ----------------------------------------------------------------------- Jean Luc Porraz 13 avril Il fut mon professeur en première année au Conservatoire. Il m’a énormément marqué comme il a marqué tous ceux qui l’ont approché. Bienveillant , encourageant ,passionnant .Merci Michel. — triste. ----------------------------------------------------------------------- Laurence Masliah · Michel Bouquet, Mon maître, Au sens profond du terme. C'est aujourd'hui - quand je dis aujourd'hui, je parle de ces dernières années, depuis que la transmission est devenue ma raison d'être - c'est aujourd'hui que j'en ressens le plus les effets. Michel Bouquet, Celui qui m'a tout donné, celui de qui j'ai tout reçu, et de qui j'ai tout gardé. D'abord, de façon presque inconsciente, comme un trésor enfoui mais bien présent. Puis l'enseignement, à mon tour, m'a fait revenir à lui plus que jamais, de façon cette fois consciente. Mes élèves le savent, auxquels je rebats les oreilles de ses conseils incontournables, essentiels, fondateurs. Avec lesquels je ne suis jamais avare d'anecdotes le concernant. Michel Bouquet n'a pas seulement été mon professeur. Nous nous sommes rencontrés, pendant une année, trois fois par semaine. J'ai bu ses paroles, écouté ses conseils rassurants quand j'étais trop ébranlée. "Tu te troubles Laurence, ne te troubles pas" Michel ne nous dirigeait pas. Ils nous apprenait le travail acharné, la lecture acharnée, car "l'acteur est un être culturel". Il s'adressait à chacune et à chacun en tenant compte de nos fragilités et de nos points forts. Il nous parlait, beaucoup, parfois pendant des heures, et certaines phrases résonnent encore à mes oreilles 40 ans après. "Il faut jouer les contraires" "Ce n'est pas toi qui dois être émue, c'est le public" "Il faut que tu mâches le texte, encore et encore" "Il faut jouer l'auteur avec humilité, c'est l'auteur qui compte" Quand j'écoute ses cours enregistrés au Conservatoire en 1986 et 1987, je suis épatée par sa drôlerie que j'avais un peu oubliée, par son humour et sa modernité de pensée. Ce n'était pas un être polissé. Il avait une sorte de classe, sans le filtre de la "bonne éducation". Je pense qu'il prenait même un malin plaisir à employer des mots un peu crus, à provoquer. J'ai maintenant lu ses entretiens, regardé de façon presque compulsive ses interviews, lu les pièces qu'il a jouées, vu les films auxquels il a participé. Jamais de lassitude à le côtoyer, même virtuellement. Toujours et encore de plus en plus d'admiration. Pas de celle qui met sur un piédestal. Non. De celle qui fait revivre de façon incroyablement présente, les moments privilégiés que j'ai eu la chance de vivre avec lui, et avec mes camarades de la promo 1985. Celle empreinte d'une immense affection. Aujourd'hui, ce n'est pas un au revoir, ni même un adieu, car Michel est, et sera toujours, mon maître de théâtre, et je l'en remercie de tout mon cœur. Laurence Masliah ----------------------------------------------------------------------- Pierre Richard 13 avril, Tourner deux mois avec Michel Bouquet, quel cadeau ! « Ah ! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie », disait Alfred de Musset. Michel avait les deux, et je suis immensément triste de sa disparition. Pierre Richard ----------------------------------------------------------------------- Nicolas Raccah 13 avril « - Le monde dans lequel nous vivons ne vous paraît-il pas trop dur, trop froid ? –Je dirais plutôt que c’est un monde bête. Pourquoi ? Parce que l’homme fait tout pour perdre conscience de son existence. Il veut se rendre irresponsable. Il s’agite pour se mettre sous la dépendance d’un système qui l’aide et le décharge de toute responsabilité. Il appellera cela la liberté (…) Je pense à cette espèce d’attirance vers le goulag. Quand j’avais 20 ans, j’ai travaillé pendant quelques jours avec Resnais, au sujet de Nuit et Brouillard. (…) La révélation de toutes ces atrocités m’a secoué terriblement. J’ai cru que la connaissance de ces faits horribles allait définitivement supprimer la possibilité de leur retour. Mais je me suis aperçu, au fur et à mesure de ma vie, que ce n’était pas du tout le cas, que c’était même plutôt le contraire. Le fait d’avoir osé aller jusque-là avait finalement créé la possibilité d’aller plus loin encore. Cela m’a terriblement ému. » (Michel Bouquet, La leçon de comédie, entretiens avec J-J Vincensini, éd Maisonneuve et Larose, Archimbaud, 2001, p.123) Au revoir, monsieur Bouquet. Vous m’avez plus d’une fois redonné goût à mon métier, que vous pratiquiez en gigantesque artisan. Vous aviez la densité et l’humilité d’un maître, d’un sensei japonais : « celui qui était là avant moi ». Il faisait bon de temps en temps observer vos traces et tenter de marcher dedans, comme un enfant. ----------------------------------------------------------------------- Pierre Val 14 avril Deux ou trois choses que j'ai retenu de lui. Un jour de répétition, au cours d'une de ses légendaires colères, toujours tournées contre lui-même (on les voyait venir, son visage commençait à s'empourprer et à branlotter de gauche à droite avant explosion), il avait crié : "Mais c'est ma vie que je joue !" Un autre jour, nous avions parlé de Georges Wilson qui avait été un de mes maîtres de théâtre. Il avait évoqué Godot, qu'il avait joué avec Georges sous la direction d'Otomar Krejca. À quelques jours de la première, alors que les acteurs n'avaient toujours reçu aucune indication de déplacement et qu'ils en demandaient, Krejca avait rétorqué : Ah ? Vous en voulez ? Et bien voilà. Michel, tu peux aller là et toi, Georges par là. Ça vous va ? Préparant Don Juan de Brecht d'après Molière que je devais interpréter à l'Œuvre sous la direction de Jean-Michel Vier, un de mes autres maîtres de théâtre, j'avais demandé conseil à Michel, dont les conversations sur le théâtre et l'acteur étaient toujours brillantes comme chacun sait. La première chose qu'il m'avait dite à propos de Don Juan : C'est un con. Ayant appris qu'il avait eu un malaise sur Le roi se meurt, je l'avais appelé chez lui pour prendre de ses nouvelles. Il m'avait dit très simplement, avec presque une voix enfantine : lorsque je suis arrivé sur scène, j'ai regardé autour de moi, j'ai vu le plateau, j'ai vu la salle et j'ai su que je n'y arriverai pas. Alors, j'ai demandé à ce qu'on baisse le rideau. Cette honnêteté, cette autorisation de l'impossible et de la vulnérabilité confirmaient à mes yeux son génie et son sens du théâtre. En souvenir ému. Pensées à Juliette Carré, Pierre Forest (cher papa Diafoirus), Valérie Karsenti et Georges werler (grâce auxquels j'ai pu travailler avec Michel), Sébastien, Clem, Nathalie Bigorre, Julie de Bona pour la photo, à tous ses proches et celles et ceux qui l'ont connu et travaillé à ses côtés.
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Le spectateur de Belleville
April 20, 2022 6:40 AM
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La metteuse en scène Christine Letailleur signe une version onirique et sensible de la pièce de Duras, adaptée de son roman « Un barrage contre le Pacifique ». De grands sentiments, de l'épique, comme au cinéma… et un beau quatuor de comédiens. Créé à Strasbourg en 2020 juste avant le confinement, le spectacle est à l'affiche du Théâtre de la Ville.
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April 19, 2022 4:39 AM
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Par le Figaro avec AFP - 17 avril 2022 Du 25 mai au 25 juin, des acteurs de la Comédie-Française côtoieront ceux de théâtres berlinois et de la «nouvelle scène athénienne», des étudiants et, si les démarches aboutissent, un groupe de chanteuses ukrainiennes lors de la Fête de la Musique.
Les Grecs Sophocle et Eschyle, encore et toujours, Molière, plus que jamais, des performances, de la musique, une dimension européenne: avec le retour des beaux jours, le monde du théâtre se retrouvera à Montpellier au Printemps des Comédiens, à partir du 25 mai. Après l'annulation de l'édition 2020 et les limitations de l'an dernier, ce sera «l'occasion de refaire le point sur l'état du théâtre», «avec joie et curiosité», s'est réjoui mardi le président du conseil d'administration du Printemps des Comédiens, Gérard Lieber, lors de la présentation de la 36e édition d'un festival né en 1987.
« L'écosystème du théâtre d'art» Après deux années marquées par la crise sanitaire, «le public a mis un peu de temps à revenir et il a redécouvert la joie de se décider au dernier moment, ce qui est moins joyeux pour les organisateurs, mais nous voyons qu'il y a toujours chez les gens une envie d'être ensemble au spectacle, une nécessité même que rien ne remplace», a pour sa part expliqué le directeur du festival, Jean Varela. Le patron du festival s'est attaché à décrire «l'écosystème du théâtre d'art» qui se met en place pendant quatre semaines, jusqu'au 25 juin. Les acteurs de la Comédie-Française côtoieront ceux de théâtres berlinois et de la «nouvelle scène athénienne», ainsi que des étudiants en art dramatique, des collégiens et, si les démarches aboutissent, un groupe de chanteuses ukrainiennes lors de la Fête de la Musique, le 21 juin. À LIRE AUSSI Comment la Comédie-Française fait son cinéma depuis 1908 L'épicentre de la manifestation sera le vaste et arboré Domaine d'O, à la périphérie de la ville. Le Festival s'ouvrira derrière les murs de la Cité internationale de la Danse avec Œdipe roi, tragédie d'après Sophocle mise en scène par Eric Lacascade (25, 27, 28 et 29 mai). En cette année du 400e anniversaire de la naissance de Molière, la Comédie-Française jouera trois fois, en extérieur, Le Tartuffe ou l'Hypocrite, pièce événement mise en scène par Ivo van Hove(26, 27 et 28 mai). Molière encore, mais pendant 6H30 cette fois, avec le spectacle Le Ciel, la nuit et la fête (Le Tartuffe/Dom Juan/Psyché) pour ce qui promet d'être, selon Jean Varela, une «grande nuit de théâtre populaire» (3 juin). La Phèdre de Sénèque, Prométhée, d'après Eschyle, Peer Gynt, d'après le Norvégien Henrik Ibsen ou encore Respublika, un spectacle en lituanien, russe et anglais, seront autant d'étapes d'un périple à travers l'Europe. À LIRE AUSSIPourquoi Molière règne toujours sur la comédie française Les spectateurs pourront également découvrir des pièces en cours d'élaboration au sein de la section Warmup, assister à un colloque sur «les scènes de médecine chez Molière» ou voir des adolescents de six collèges montpelliérains s'affronter sous la forme d'une «battle de monologues» après s'être frottés pendant des mois à Shakespeare et Molière. Légende photo : Des comédiens pour la pièce Le Bourgeois Gentilhomme, du réalisateur français Jérôme Deschamps lors du festival Printemps des Comédiens à l'Opéra Comédie de Montpellier, en juin 2019. PASCAL GUYOT / AFP
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Le spectateur de Belleville
April 18, 2022 6:31 AM
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C’était « une artiste éclectique, cultivée et élégante qui avait trouvé en notre pays une maison qui l’a accueillie et aimée », a salué le ministre de la culture italien, Dario Franceschini. L’actrice Catherine Spaak, née belge avant d’être naturalisée italienne, est morte dimanche, à l’âge de 77 ans, a rapporté lundi 18 avril la Rai, chaîne de télévision dont elle était un visage populaire.
Victime en 2020 d’une hémorragie cérébrale, celle qui fut la figure de la comédie italienne de l’après-guerre s’est éteinte dans une clinique romaine, a précisé la télévision publique.
Fille du scénariste Charles Spaak, nièce de l’ancien premier ministre belge Paul-Henri Spaak, un des Pères fondateurs de l’Europe, Catherine Spaak naît le 3 avril 1945 en France, à Boulogne-Billancourt, dans la banlieue ouest de Paris. Elle tourne avec Jacques Becker (Le Trou) avant de partir en Italie, où elle devient une actrice et animatrice vedette tant au cinéma qu’à la télévision.
Elle a joué dans quatre-vingts longs-métrages pour le cinéma et la télévision, notamment dans Le Fanfaron, de Dino Risi, Le Chat à neuf queues, de Dario Argento, Week-end à Zuydcoote, d’Henri Verneuil, ou encore Scandale secret, de Monica Vitti.
« Eternelle adolescente » En tant que chanteuse, elle enregistre notamment Quelli della mia età (1963), adaptation de Tous les garçons et les filles, de Françoise Hardy. Dans les années 1980, elle se consacre à la télévision comme animatrice et présentatrice et participe dans les années 2000 à des émissions de télé-réalité.
Sur Twitter, l’homme de télévision français Pierre Lescure a rendu hommage à sa « beauté juvénile et libre » tandis que l’écrivain Henry-Jean Servat a salué « l’éternelle adolescente du cinéma italien ». « Héroïne de comédies acidulées où son charme sauvage et ses moues poupines firent merveille, elle incarne avec peps l’épopée pétillante de la Dolce Vita », a-t-il écrit.
Le Monde avec AFP
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Le spectateur de Belleville
April 17, 2022 5:29 AM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde - 16 avril 2022 La Comédie-Française fête le 400e anniversaire de son « Patron » avec quatre nouvelles productions dont un « Avare », porté par un Laurent Stocker prodigieux. Quatre Molière et un grand soir : en ce mois d’avril, la programmation de la Comédie-Française a des allures de festival. La troupe fête et observe son « Patron » sous toutes les coutures. Au théâtre du Vieux-Colombier, Sébastien Pouderoux et Stéphane Varupenne actualisent Les Précieuses ridicules. Au Studio, Pierre-Louis Calixte livre un portrait intime à travers Moliere-matériau(x), tandis que Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz clament On ne sera jamais Alceste. Salle Richelieu, Laurent Stocker porte Harpagon au zénith. C’est à lui que l’on doit le grand soir, avec L’Avare, transposé en Suisse par la metteuse en scène Lilo Baur. Faire voyager Molière, dans l’espace et le temps, appartient à la tradition, à chaque époque renouvelée. Au Vieux-Colombier, Les Précieuses ridicules sont deux jeunes filles d’aujourd’hui, des cousines, à Paris. Elles vivaient en province où elles s’ennuyaient mortellement, elles rêvaient d’être là où tout se passe, surtout sur le plan culturel, et les voilà dans leur appartement, en chantier et bricolé : de vieux tapis, des piles de livres sur le sol, une carte du tendre au-dessus d’un panier de volley en verrerie… Idéal pour assouvir leur passion de la mode et de la peinture, qu’elles s’imaginent pratiquer en collant un visage maquillé sur une feuille. « Je ne vous ai pas acheté un appartement pour que vous en fassiez un lieu de débauche artistique », gronde le père, avec qui elles communiquent par interphone. Faire voyager Molière, dans l’espace et le temps, appartient à la tradition, à chaque époque renouvelée Les cousines gloussent, pour elles c’est « O. K. ». Car on ne parle pas Molière, ou très peu, au Vieux-Colombier. On s’exprime dans un français relâché, on joue de la batterie, on danse, on s’agite. Sébastien Pouderoux et Stéphane Varupenne, les deux excellents comédiens qui signent l’adaptation et la mise en scène du spectacle, sont pourtant partis d’une intention intéressante : montrer deux jeunes filles d’aujourd’hui qui veulent en être, comme les précieuses ridicules du XVIIe siècle, mais qui échouent différemment : elles sont moins précieuses que naïves, plus touchantes que ridicules. Force est de constater que cet objectif n’est pas atteint. Infantile, potache, indigent, le Molière du Vieux-Colombier est un ratage. Deux chemins Hasard de l’histoire : c’est au Vieux-Colombier que Louis Jouvet (1887-1951) a commencé à jouer, auprès de Jacques Copeau, dans les années 1910. Et c’est lui que l’on retrouve, au Studio cette fois, dans un spectacle auquel il faut accourir, On ne sera jamais Alceste. Cette phrase poursuit, quand elle ne les obsède pas, des générations d’apprentis acteurs. Jouvet l’a prononcée au Conservatoire, où, entre novembre 1939 et décembre 1940, son cours a porté sur la comédie classique, Molière en premier. Une jeune femme, metteuse en scène et universitaire, s’en empare : Lisa Guez. Elle a lu les livres de Jouvet pendant ses études, elle a vu Elvire Jouvet 40, le film réalisé par Benoît Jacquot en 1986 à partir du spectacle mémorable de Brigitte Jaques-Wajeman, qui portait sur la seconde scène d’Elvire dans Dom Juan. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Molière a tout organisé pour qu’on fantasme sa figure » Lisa Guez, elle, a choisi la scène d’ouverture du Misanthrope. Un sommet du théâtre classique. Comment l’aborder ? En nous faisant entrer dans le jeu. Au Studio, les spectateurs sont comme des élèves qui assisteraient à un cours, dans la salle de théâtre du Conservatoire. Ils regardent les deux comédiens qui jouent Alceste et Philinte, sous le regard de leur professeur, souvent cinglant. Jouvet n’est pas nommé, mais il est là, et bien là, à travers ses mots que Lisa Guez met en scène d’une manière jubilatoire : Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz sont tour à tour élèves et professeur. C’est un bonheur de voir des acteurs aussi doués et chevronnés jouer les débutants. C’en est un autre d’entrer dans la cuisine, à la fois artisanale et mystérieuse, de l’apprentissage d’un métier et d’un rôle. « On ne sera jamais Alceste », dit Jouvet. Alceste est un personnage qui existe avant nous et qui existera après nous. » Pierre Louis-Calixte n’a jamais été Alceste. Mais il a été Louis, un Louis magnifique dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, créé salle Richelieu en 2008. Quel lien avec Molière ? La troupe de la Comédie-Française, à laquelle l’acteur appartient depuis 2006. C’est étrange, quand on y pense, de passer chaque jour ou presque devant le fauteuil du Malade imaginaire, dans lequel Molière a joué son dernier rôle, un dernier soir, avant de mourir, le 17 février 1673. Que représente-t-il pour un acteur d’aujourd’hui, qui met ses pas dans les siens ? Avec Molière matériau(x), Pierre Louis-Calixte, au Studio toujours, mais seul en scène, cherche à comprendre ce qui les lie, Molière et lui, et se demande si « la vérité d’une vie n’est pas inévitablement romanesque ». Il y a beaucoup d’émotion dans cette confession d’un acteur, où se croisent deux chemins dans l’art dramatique, à quatre siècles d’écart. Plaisir sauvage A un moment, Pierre Louis-Calixte fait allusion à Laurent Stocker, qui lui joue L’Avare, salle Richelieu, dans la mise en scène de Lilo Baur. Cet Harpagon est suisse. Il vit dans une grande maison au bord d’un lac avec des montagnes au fond, une piscine et un terrain de golf. Il porte un pantalon blanc, une veste bleue et un diamant à l’auriculaire. Il est veuf, avec deux enfants. Sa fille, Elise, a les cheveux roulés sur le haut du front, et un maillot de bain jupette à pois. Son fils, Cléante, porte lui aussi un pantalon blanc, mais il l’assortit d’un pull jacquard. Ces vêtements sont les attributs d’une classe sociale riche, bien carrée dans son causse helvétique, dans les années 1950. Lire aussi Article réservé à nos abonnés Molière, un auteur « au Panthéon des célébrités mondiales » Lilo Baur connaît le contexte. Elle a grandi dans cette Suisse d’après la seconde guerre mondiale où l’argent trouvait refuge, sans que l’on se souciât de sa provenance. Elle a choisi d’en montrer l’étroitesse et le ridicule. Molière s’en trouve très bien. A passer les frontières, il s’affranchit des limites, tout en restant dans le registre de la comédie : Lilo Baur a le théâtre joyeux, elle ne cherche pas midi à quatorze heures. Mais elle sait donner une tonalité à ses spectacles. Sa mise en scène de L’Avare cultive la légèreté tout en s’appuyant sur un socle : la folie d’une société dégénérée, qui peut être douce, drôle, pernicieuse, explosive ou dévastatrice. Ce que fait Laurent Stocker en Harpagon relève du prodige. Tout le temps juste, il joue à l’allemande, d’une manière très concrète Rien ne tourne rond quand on vit dans l’entourage d’un rapace comme Harpagon, banquier sans doute, usurier sans conteste, qui enterre nuitamment dans son jardin la cassette contenant les 10 000 écus reçus d’une manigance financière. Toutes les relations, filiales, amoureuses et ancillaires, sont perturbées par l’avarice de cet homme, et Molière en joue avec un plaisir sauvage. Tyrannie paranoïaque d’Harpagon, révolte d’une fille qui veut choisir son mari, haine d’un fils qui aime la femme convoitée par son père : on n’est pas tendre, dans cette famille. On gère ses intérêts, tandis que La Flèche, le valet de Cléante, passe sur le gazon un détecteur à métaux, pour trouver la fameuse cassette… Déchaînement irrésistible Pour le spectateur, cet Avare est un régal. Simple, sans prétention, enlevé, il est servi par des comédiens qui ont toute marge de manœuvre pour exprimer leur personnalité. Elise Lhomeau (Elise) donne à son personnage une retenue fine qui contraste avec le déchaînement irrésistible d’Anna Cervinka en Marianne ivre morte. Jérôme Pouly prête à La Flèche, le valet de Cléante, une carrure placide qui répond au maintien félin et délicieusement filou de Serge Bagdassarian en Maître Jacques. Françoise Gillard rayonne dans le rôle de Frosine, l’intrigante, Clément Bresson tient droit le cap en Valère, l’amant d’Elise, et Jean Chevalier est remarquable en Cléante, le fils d’Harpagon et amant de Marianne : à la fois un balourd qui joue l’homme assuré, et retors par lâcheté, il se taille un franc succès. Quant à Laurent Stocker, il emporte tout. Ce qu’il fait, en Harpagon, relève du prodige. Tout le temps juste, alors que son rôle est d’une difficulté incroyable, il joue à l’allemande, d’une manière très concrète. Jamais il ne surjoue, jamais il ne cherche le public : il monte et redescend aussitôt. Selon les moments, il rappelle Charlie Chaplin, Michel Serrault, ou Louis de Funès, tous ces grands comiques qui ne pensent jamais au comique. On le regarde, stupéfait, émerveillé, et on voudrait que ça ne s’arrête pas. Les Précieuses ridicules, Théâtre du Vieux-Colombier, 21, rue du Vieux-Colombier, Paris 6e. De 12 € à 32 €. Jusqu’au 8 mai, à 19 heures le mardi, 20 h 30 du mercredi au samedi, 15 heures le dimanche. Durée : 1 h 15. On ne sera jamais Alceste, jusqu’au 8 mai à 18 h 30, et Molière-matériau(x), jusqu’au 24 avril, à 20 h 30, au Studio, Carrousel du Louvre, Paris 1er. De 12 € à 24 €. Durée des deux spectacles : 1 heure. Du mercredi au dimanche. L’Avare, salle Richelieu, place Colette, Paris 1er, en alternance jusqu’au 24 juillet. De 5 € à 42 €. Durée : 2 heures. Brigitte Salino
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Le spectateur de Belleville
April 28, 2022 5:09 AM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama - mercredi 27 avril 2022 Membre de la prestigieuse institution depuis 2001, Laurent Stocker s’attelle à tous les rôles qu’on lui confie avec gourmandise. Même en endossant le costume étriqué d’Harpagon. À la Comédie-Française, Laurent Stocker occupe la loge qui offre la plus belle vue sur les jardins du Palais-Royal. À ses pieds, les colonnes de Buren ; de l’autre côté du parc, les fenêtres de l’appartement où vécut la romancière Colette. L’acteur n’a pas eu à se battre avec ses camarades pour l’investir : « Personne ne voulait s’installer ici », sourit-il. Et pour cause : les deux dernières locataires, Catherine Hiegel et Cécile Brune, ayant été congédiées et priées de vider les lieux par la prestigieuse maison, la loge, un temps reconvertie en bureau, semblait porter la poisse. La voie était donc libre pour un prétendant peu enclin à la superstition. Entré dans les murs du Français en juin 2001, sociétaire depuis 2004, Laurent Stocker est un pilier de la troupe. À presque 49 ans, il endosse le costume d’Harpagon dans une version acérée de L’Avare, comédie de Molière que décape la metteuse en scène suisse Lilo Baur. Évoquant la radinerie légendaire du héros, il remarque: « C’est un homme qui garde tout ce qu’il détient serré contre lui : sa cassette, son argent et même son bonjour, qu’il ne donne pas, mais qu’il prête. » Cette manie du personnage de tout retenir, il l’a si bien assimilée qu’une séance d’ostéopathie lui a été nécessaire pour dénouer ses contractures naissantes. Le corps compact et nerveux, Laurent Stocker est un interprète ambigu. Une sorte de bombe ambulante qui menace d’exploser à chaque seconde, sa bonhomie et son sourire pouvant se muer en leur inverse sans qu’on ait rien vu venir. Ses ruptures de style maintiennent le public en alerte. On le trouve charmant quand, d’un petit rictus, il se révèle odieux. Cette dualité est une manne. Elle lui permet d’être crédible en toutes circonstances. Comique et tragique, léger et dramatique, il est imprévisible. « J’adore qu’on ne me reconnaisse pas », avoue cet inconditionnel de Louis de Funès et de Michel Serrault, qui pratique avec la virtuosité d’un caméléon l’art de la métamorphose. Un oncle Vania fourbu chez Anton Tchekhov (2016), un vieillard cacochyme dans La Mer, d’Edward Bond (2016), un clone de Hitler pour les besoins de La Résistible Ascension d’Arturo Ui, de Bertolt Brecht (2017) : il cultive une complexité nourrie de l’exploration de ses « failles ». Il n’a qu’une certitude : « Être dans le doute. » Il adorerait « répéter cinq mois, voire une année entière », car jouer, c’est comme cuisiner : il faut toujours chercher « l’ingrédient qui améliorera le plat que l’on va servir ». “Pendant le confinement, je sais que j’ai perdu en concentration. Harpagon me remet le pied à l’étrier.” Voilà vingt ans qu’il exerce sans se lasser ses talents à la Comédie-Française. Avant de se vouer à la vénérable institution, il a eu le temps de courir le monde. Sorti du Conservatoire national supérieur d’art dramatique en 1996, il a, à l’époque, multiplié les expériences théâtrales sous les directions de Philippe Adrien, Georges Lavaudant ou Alain Milianti. Il s’est envolé pour la Finlande, le Japon, la Russie. A connu la vie des saltimbanques qui dorment chaque soir dans des chambres d’hôtel différentes lorsqu’ils sont en tournée loin de chez eux. L’idée de se sédentariser ne lui déplaisait pas : « J’avais envie de me poser. » Être membre de la Troupe est un travail à plein temps. Le cinéma et la télévision parviennent pourtant à se faufiler dans les rares trous de son agenda. César du meilleur espoir masculin en 2008 pour le film Ensemble, c’est tout, Laurent Stocker est une figure récurrente du grand et du petit écran. Il a notamment été à l’affiche de J’accuse, de Roman Polanski, de Goliath, de Frédéric Tellier, et de Jeux d’influence, une série sur les dangers des pesticides. D’autres tournages sont sur le feu. Mais rien ne vaut le théâtre pour se remettre en selle : « Pendant le confinement, je sais que j’ai perdu en concentration. Harpagon me remet le pied à l’étrier. » Épicurien bienveillant Lorsque les salles ont fermé leurs portes au public, il est resté dans son appartement parisien, avec sa femme et ses deux petites filles : « C’était en même temps joyeux et pénible, comme si nous étions dans une prison dorée. Ma femme et moi n’avons pas vidé la cave, mais presque. » L’humour est sa seconde nature. Il a le rire facile et l’œil qui pétille. Il y a de la joie chez cet épicurien qui apprécie l’œnologie parce qu’elle est, dit-il, le moyen de se relier à la terre, d’où il vient. Il a grandi dans les Vosges, un pays rude où les gens « triment », au sein d’une famille aux revenus modestes. Sa mère a dû « se saigner » pour lui payer un beau costume. Elle voulait qu’il soit bien vêtu pour son premier jour dans le lycée parisien où il venait d’être admis. Il avait 16 ans. Tiré à quatre épingles, il a fait son entrée dans une cour peuplée de jeunes portant « des tee-shirts et des jeans déchirés ». Il lui a fallu apprendre les codes de la ville, qui ne ressemblaient en rien à ceux acquis dans les montagnes de son enfance. Il en a tiré une leçon : « Je sais ce que c’est que de se sentir comme un cul-terreux. » Et s’est fait une promesse : « Je ne serai jamais parisien. » Il se verrait bien, dans un futur lointain, emménager en Belgique, à Bruxelles. Il observe ses contemporains avec une attention bienveillante. « J’adore les gens, je les regarde en permanence, quels qu’ils soient. Ceux qui font du vélo, ceux qui marchent dans la rue, ceux qui font de la politique. J’ai envie de les embrasser. » Cette empathie vient de loin. Petit garçon, fasciné par les cérémonies liturgiques, il voulait devenir curé. Le prêtre appréciait tellement son sérieux qu’il le réquisitionnait pour être assisté lors des mises en bière. À l’âge où ses copains jouaient au foot, lui enterrait les morts. « J’en ai vu une vingtaine », se souvient-il. L’expérience, peu banale, ne l’a pas traumatisé. « Je n’ai pas de problème avec la mort et mon humour noir vient probablement de cette fréquentation précoce. » La foi l’a quitté lorsqu’il avait 7 ans. Il est passé du « cultuel au culturel » et a renoncé à porter la soutane. Enfin, pas complètement, puisqu’il se verrait bien en Tartuffe, ce héros moliéresque qui, pour être dévot, n’en était pas moins homme. À voir L’Avare, jusqu’au 24 juillet à la Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette, 1er. 01 44 58 15 15, comedie-francaise.fr, 5-43 €. Légende photo : Laurent Stocker reprend le rôle mythique de « L’Avare » de Molière : « J’adore les gens, je les regarde en permanence, quels qu’ils soient. Ceux qui font du vélo, ceux qui marchent dans la rue, ceux qui font de la politique. J’ai envie de les embrasser. » Photo Patrick Swirc pour Télérama
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Le spectateur de Belleville
April 27, 2022 5:35 AM
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Propos recueillis par Annick Cojean dans le Monde - 24 avril 2022 Un hommage national à l’acteur, mort le 13 avril, aura lieu mercredi. En 2016, il racontait au « Monde » comment il avait décidé de devenir acteur, un dimanche de mai 1943, à 13 heures…
Je ne serais pas arrivé là si… … Si une force mystérieuse n’avait pas poussé le petit apprenti pâtissier que j’étais à frapper un dimanche matin à la porte d’un grand professeur de théâtre. Je suis encore incapable d’expliquer ce qui m’a pris ce jour-là. Une étrange impulsion. Nous étions en 1943, en pleine Occupation. Je travaillais chez le pâtissier Bourbonneux, devant la gare Saint-Lazare à Paris, et j’habitais avec ma mère qui tenait un commerce de mode au 11, rue de la Boétie. Elle m’avait recommandé d’aller à la messe et j’avais pris sagement le chemin de l’église Saint-Augustin. Et puis voilà qu’au bout de la rue, j’ai bifurqué. Je me suis engagé sur le boulevard Malesherbes dans le sens opposé à l’église, suis parvenu à la Concorde et me suis engouffré sous les arcades de la rue de Rivoli jusqu’au numéro 190, une adresse, dénichée dans un bottin, que j’avais notée sur un petit bout de papier, dans ma poche depuis plusieurs jours. J’ai frappé chez le concierge et demandé M. Maurice Escande, le grand acteur de la Comédie-Française. « Il habite au dernier étage, vous ne pouvez pas vous tromper, il n’y a qu’un seul appartement. » J’ai sonné. Je n’avais pas encore 17 ans. Qu’attendiez-vous ? Rien. Je ne pensais rien, je ne savais rien. Même pas qu’il donnait des cours de théâtre. Mais il m’avait fasciné au Français où je l’avais vu, avec ma mère, jouer Louis XV dans la pièce Madame Quinze de Jean Sarment. Il était beau, à la fois sympathique et impressionnant. Et je m’étais dit qu’il représentait quelque chose de noble. Rien d’autre n’était conscient. Que s’est-il alors passé ? Une gouvernante a ouvert la porte : « Monsieur Escande est en train de se préparer pour aller à son cours de théâtre, mais enfin, entrez ! » Elle m’a fait patienter quelques minutes et j’ai entendu la voix d’Escande lui répondre : « Qu’il attende, je vais le voir. » Cela m’a paru fou, mais j’avais moi-même provoqué cette situation, alors j’ai pensé : il faut tenir, il faut tenir. Et Escande est arrivé. Charmant. « Vous avez préparé quelque chose ? », m’a-t-il demandé. « Je sais la tirade des nez de Cyrano de Bergerac. » « Alors dites-la. » J’ai commencé : « C’est un peu court jeune homme ! On pouvait dire… Oh dieu ! Bien des choses en somme… » Il a dit : « Eh bien, vous avez déjà une bonne voix, une bonne articulation. Mais vous n’auriez pas quelque chose de plus représentatif de votre âge ? » J’avais appris un petit poème de Musset et je me suis lancé : « Du temps que j’étais écolier, je restais un soir à veiller, dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir un étranger vêtu de noir, qui me ressemblait comme un frère… » Il a dit : « Très bien. Je vais tout de suite à mon cours, venez avec moi. » Et vous l’avez suivi ? Sans hésiter ! Oubliant la messe, ma mère, la pâtisserie, l’heure, tout. Nous sommes allés jusqu’au théâtre Edouard-VII en passant devant la Kommandantur et de nombreux soldats allemands. Deux cent cinquante élèves l’attendaient. Une vraie volière. Il m’a invité à me mettre au dernier rang de l’orchestre afin que j’assiste au cours. Et j’ai observé, envieux, des jeunes gens présenter des scènes devant leur professeur. Je me disais : « C’est inouï, ils ont la chance de ne faire que ça. Jouer ! » Jusqu’au moment où Escande a demandé à un élève de venir me chercher pour dire mon poème de Musset. Je me suis mis à trembler de tous mes membres, c’était une chose terrible, je suis monté sur la scène et j’ai commencé. Les autres élèves étaient attentifs ? Non ! C’était la fin du cours, ils se dispersaient, personne n’écoutait. Alors Escande s’est levé. Il m’a confié plus tard avoir pensé que s’il me laissait repartir ainsi, il ne me reverrait plus jamais. Il fallait qu’il provoque quelque chose. Il a crié : « Le cours n’est pas fini. Au lieu de bavarder et de faire des plans pour l’après-midi, vous feriez mieux de prendre une leçon. » Il s’est tourné vers moi et m’a lancé : « Recommencez. » Et j’ai redit le poème. En larmes. Complètement envahi par l’instant. Et j’ai senti que ce moment décidait de toute ma vie. Les élèves sont repartis en silence. Escande m’a dit : « Nous allons aller voir votre maman. » Et vous avez marché ensemble vers la rue de la Boétie ? Oui. Ma mère, sidérée, a découvert Escande sur le pas de sa porte. « Madame, a-t-il déclaré, je suis venue vous voir parce qu’il faut que ce petit fasse du théâtre. » Elle a dit : « Son père est en Poméranie, prisonnier, je ne peux pas prendre cette responsabilité sans son accord ! » Il a répondu : « Ne vous préoccupez pas. » Mais elle a insisté : « Il a sa petite paye et… » Il l’a interrompue : « Il assistera gratuitement à mon cours, il sera pris au conservatoire et je vous assure qu’il gagnera très vite sa vie. Il doit faire du théâtre. » Puis il est reparti. A 13 heures, ce dimanche de mai 1943, j’étais acteur. Fini la pâtisserie. J’étais définitivement acteur. C’est extraordinaire ! C’est Escande qui l’a été. Il a eu un sens politique, il a pris ses responsabilités devant le petit jeune homme. Et figurez-vous que je ne l’ai jamais remercié. Voyez comme on peut être injuste ! Je ne m’en suis rendu compte que plus tard. Le meilleur remerciement n’était-il pas de ne pas le décevoir professionnellement ? Bien sûr. Mais j’ai tout de même été pris d’un remords. Trop tard. Cette histoire montre cependant que la vie peut s’ouvrir d’un coup. Et qu’il y a des miracles. Je portais en moi ce miracle. Je ne savais même pas que je postulais pour cette chose énorme de devenir un acteur, c’était proprement inimaginable. La pureté du moment est donc incontestable. J’étais comme un enfant. Avec un bout de papier dans la poche. Il vous a tout de même fallu le courage de changer de chemin ! Non, il n’y avait pas de courage. J’ai été poussé. Par quoi ? Le destin ? Un ange gardien ? Oui, sûrement. Cela s’appelle aussi la vocation. Elle existe. Et quand on a la chance de la découvrir, je vous assure qu’on n’est plus seul dans la vie. Mais attention ! Elle exige tout ! Elle est sacrée et scelle votre destin. Le mien fut de me mettre à la disposition des auteurs et de les servir le mieux possible. Obsédé par ce qu’ils voulaient dire. Soucieux d’en savoir le plus possible sur leur esprit et leur intention. Il faut dire que j’ai eu la chance d’être formé par deux auteurs importants dès le début de ma carrière. Monsieur [Albert] Camus d’abord qui, dès le concours de sortie du conservatoire, nous a proposés, à Gérard Philipe et moi, de jouer dans sa prochaine pièce. Et puis Jean Anouilh. En parlant avec eux, en les fréquentant en répétition, en étant dans une sorte de camaraderie, je me suis senti admis à les représenter. Et ce fut incroyablement important. Vous parlez d’un métier de modestie antinomique avec l’ego hypertrophié de beaucoup d’acteurs ! Nous ne sommes là que pour servir ! J’ai passé ma vie à aller à la rencontre des auteurs. Il y a ceux que j’ai personnellement connus et harcelés de questions. Et puis les autres, distants ou morts, que je n’ai cessé aussi d’interroger et qui me répondaient. Comment ? Eh bien je m’accrochais tellement au texte, le lisant, l’explorant, l’interrogeant des centaines de fois, rejetant telle interprétation, telle autre et puis telle autre, que je finissais par avoir l’impression qu’ils me soufflaient eux-mêmes la vérité. Vous me faites penser à la pianiste Hélène Grimaud qui pense qu’à certains moments de grâce, le compositeur, Brahms par exemple, lui rend visite et inspire l’interprétation… Mais oui, je trouve Hélène Grimaud admirable et je la comprends. Votre père est-il venu vous voir jouer à son retour de la guerre ? Il est venu au théâtre de l’Atelier voir L’invitation au Château. Et il ne m’a rien dit. Il était envahi par ce qu’il avait vécu et il ne pouvait plus réagir. J’ai très bien compris son silence. Il n’est jamais revenu me voir. Dès lors, la seule chose qui m’ait intéressé, c’est de respecter le cadeau que m’avait fait Escande. Et d’en être digne. Il a commandé toute ma vie. Avez-vous eu la possibilité de repérer ou d’éveiller vous-même une vocation ici ou là ? Je n’y ai pas pensé. Je ne songeais qu’à mon devoir. Peut-être avez-vous fait, sans le savoir, le même cadeau qu’Escande ? Non. Je n’étais pas digne de le faire, moi. Suivre avec ferveur sa vocation fait-il une vie heureuse ? Non, cela fait une vie de malheur. De malheur ? Le malheur de savoir que c’est si dur, chaque fois si dur. On risque sa vie à chaque rôle, et si le rôle ne veut pas vous parler, si l’auteur se refuse à vous renseigner, c’est foutu. Et c’est tragique. Mais quand vous réussissez ? Quand votre interprétation sonne parfaitement juste et que le public applaudit acteur et auteur ? Eh bien on se jette aux pieds de l’auteur et on cire ses chaussures pour qu’elles soient encore plus belles. Il n’y a aucune gloire à tirer. Aucun orgueil. Au moins une certaine satisfaction ! Non. Jamais. Parce que c’est encore à refaire le lendemain. Et le surlendemain. D’ailleurs, je vous quitte parce que je joue ce soir. Je ne peux pas y échapper. Je dois me reposer et puis me préparer. Allons ! Il y a dans votre œil des paillettes de gaîté quand vous parlez de théâtre. Je suis en effet habité par quelque chose. Mais ne vous méprenez pas. Ce sont bel et bien des devoirs. Ma vie ne m’appartient plus, elle est à mes devoirs. Et je suis toujours dans ce vestibule de la rue de Rivoli, attendant de dire mon poème. Espérant le miracle qui se produit de temps en temps. Soixante-treize ans après votre rencontre avec Escande, vous avez donc toujours la même angoisse ? Oui. Car c’est l’auteur qui donne le talent. Et c’est lui qu’il faut supplier de parler. Je pressens que mon acolyte Hélène Grimaud partage ce point de vue. La quête est incessante… Il faut cette fois que je vous quitte. Je m’en vais vers mon doute. Propos recueillis par Annick Cojean (2016) Un coffret de deux CD « Molière-Shakespeare-Corneille-Beckett-Pinter… expliqués par Michel Bouquet » synthétise les cours donnés par le comédien lorsqu’il était professeur au Conservatoire national d’art dramatique en 1986-1987. Accompagné d’un livret de 12 pages. Edition Frémeaux & Associés.
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Le spectateur de Belleville
April 25, 2022 6:13 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 25 avril 2022 Un Juge, texte et jeu de Fabio Alessandrini, regard extérieur Karell Prugnaud, création vidéo Claudio Cavallari, musique Paolo Silvestri, lumière Julie Bertin, univers sonore Romain Mater, construction décors Alexandrine Rollin. Un juge italien sort du tribunal et revit ses vies multiples dont il a pu faire l’expérience amère. Il narre son parcours professionnel, s’interrogeant sur la notion de justice : prise de conscience d’une mission et de la valeur d’un serment, engagement dans la lutte contre la Mafia, en Italie et dans le monde ; complicité et liens d’amitié avec d’autres magistrats – combat, sacrifice et engagement. Le juge est celui qui énonce ce qui est juste, qui fait advenir la justice. Sur le plateau de théâtre, l’auteur et comédien Fabio Alessandrini d’Un Juge ne se présente pas comme détenteur d’un pouvoir: nul amour-propre inconsidéré, nulle pompe de cérémonial judiciaire, nulle richesse des ors d’un palais de justice. L’interprète s’adresse à la salle attentive. Revêtu d’une chemise blanche, d’une cravate et d’une veste sombres, costume sobre et urbain le protégeant, il montre la fonction et cache de prime abord la personne. Avec humour et ironie, le personnage débute sa prestation en expliquant les incohérences des lois italiennes concernant le meurtre d’un homme sur sa femme, la peine de celui-ci étant souvent fort amoindrie. Puis peu à peu, le tableau s’assombrit et la gravité s’installe au gré d’affaires de plus en plus lourdes et sanglantes, passant de la comédie à la tragédie. Faire justice revient à régler les différends entre particuliers et à assurer le respect de la loi, tout particulièrement le respect des grands interdits, fondateurs de la société, pour le maintien de la cohésion du groupe, soit la dimension politique de la justice, son caractère public. L’indépendance de la justice est considérée, dans toutes les constitutions modernes, comme la condition permettant à l’autorité judiciaire d’exercer sa fonction de « gardienne de la liberté individuelle ». Le juge n’applique pas la loi mécaniquement, il doit l’interpréter. Aujourd’hui, dans quelques systèmes judiciaires des pays industrialisés, l’image du juge est souvent illustrée par quelques personnalités chargées des dossiers dits « sensibles ». En France, on est passé de l’image du « petit juge » enfermé dans les contraintes de la hiérarchie et empêché de perturber la vie politique ou financière, quand il s’attaque aux délits de grands personnages, à l’image des juges médiatiques symbolisant l’indépendance de la justice. En Italie, les juges, instruments ou adversaires des abus du pouvoir politique, incarnent parfois le courage devant les menaces de vengeance criminelle – le cas des juges « anti-mafia » est notable. Et quand il ne tue pas, le métier de juge, exigeant et difficile, use à la longue ceux qui tentent de le pratiquer avec intégrité et ténacité. Le personnage – narrateur et interprète – est fils de notaire et ne veut pas reprendre la même charge, préférant mission active de service public, d’aide au bon fonctionnement de la collectivité. Nommé pour son premier poste dans une petite ville de Calabre, il fait ses premières armes contre la ‘Ndrangheta. Il s’occupe de dossiers délicats; victime d’un attentat, il est nommé à Palerme, confronté à la mafia sicilienne Cosa Nostra. De l’insouciance des études de Droit à la choquante confrontation avec la réalité du terrain, le héros raconte ses débuts dans une terre oubliée des Institutions, laissée à la criminalité organisée. A partir des témoignages et des récits de magistrats, se construit un parcours synthétique et exemplaire d’un juge d’aujourd’hui. Son histoire personnelle, sa recherche patiente et obstinée des causes et des origines des faits, permettent de traverser des moments cruciaux de notre histoire. Un témoignage sur la collusion entre les Institutions et les Mafias, le sabotage des Pouvoirs à l’égard de la Justice, les batailles contre la criminalité internationale. Ce Juge réinventé – composé d’identités diverses – traverse les temps et les espaces, charpentant un idéal de société. Telle une réflexion sur la frontière entre liberté individuelle et règle commune, responsabilité de décider de la vie d’autrui et de la différence entre justice et loi. Ce qui qui différencie l’être humain des autres êtres vivants, est son besoin ancestral de définir ce qui est juste et ce qui est injuste. Par-delà l’Institution et l’ensemble des articles de loi, la justice est un sentiment, un désir, un horizon à atteindre et à préserver, une utopie à cultiver – un outil d’évolution et d’élévation des esprits, repère pour l’égalité et la protection des droits, idées et valeurs fondatrices de civilisation. Justice des hommes ou justesse de la règle, point de bascule, d’équilibre. Fabio Alessandrini est tonique, investi peu à peu par son idéal de justice : il s’allonge sur son bureau pour réfléchir, mimant les si nombreuses victimes de mort de la Mafia, à la manière aussi des gisants religieux des églises italiennes – sculptures de marbre blanc allongées sous les autels. Debout le plus souvent, il porte un par-dessus beige sur le bras, prêt à partir, ou suspend le vêtement en entrant dans son bureau, poursuivant ses commentaires d’une situation à vif. Derrière lui défilent des images vidéo – ombres humaines indistinctes, allées et venues. Le juge joue au squash deux fois par semaine : face public, il renvoie sa balle violemment, s’adonnant à cette pratique physique et sportive avec niaque – séance d’équilibre et de réconfort. Il réécoute une bande audio enregistrée où il entend douloureusement sa dernière conversation avec son frère avant même que celui-ci ne soit tué dans un attentat. Le pouvoir politique ô combien compromis avec la Mafia le fait nommer dans une mission internationale en Amérique latine, à Bogota, pour lutter contre le Cartel de la drogue. Il y revit le même drame et les mêmes méfaits contre la justice. Une belle interprétation tirée au cordeau, convaincante et profondément incarnée sur un sujet qui nous interpelle. Véronique Hotte Du 20 avril au 1er mai 2022, les 24, 27, 28, 29 et 30 avril 19h, le 1er mai 19h, à La Reine Blanche 2 bis, Passage Ruelle 75018 – Paris. Tél : 01 40 05 06 96 reservation@scenesblanches.com www.reineblanche.com Tournée en cours : janvier-février 2023, DSN – Dieppe Scène Nationale, Espace Jean Legendre à Compiègne, Théâtre Jean Vilar à Saint-Quentin. Juillet 2023, Festival Avignon Off.
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Le spectateur de Belleville
April 24, 2022 5:23 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 23 avril 2022 Pères, écriture, dramaturgie et mise en scène d’Elise Chatauret et Thomas Pondevie. Avec Laurent Barbot et Iannis Haillet. Scénographie et costumes de Charles Chauvet et Jori Desq, création sonore Maxime Tisserand et lumières Léa Maris. La qualité de père – la paternité – équivaudrait au sentiment paternel, même si on n’est pas le géniteur véritable : « Il voyait Cosette tous les jours, il sentait la paternité naître et se développer en lui de plus en plus, il couvait de l’âme cette enfant (…) » (Hugo, Les Misérables) Donner la vie, engendrer, donner le jour à un enfant… Et laisser, quand il grandit, les silences s’installer lourdement au lieu de vivre plus « simplement » et éprouver plus « naturellement » la réalité affrontée. L’un raconte la chape de plomb tenue au-dessus de son enfance non éclaircie. Ou encore « Il n’est guère d’homme qui ne possède des enfants ignorés, ces enfants dit de père inconnu, qu’il a faits, comme cet arbre se reproduit, presque inconsciemment. » (Maupassant, « Un fils »). Comment être père aujourd’hui ? Du Papa Poule au pater familias, une forme théâtrale itinérante : Elise Chatauret et Thomas Pondevie, à la source du projet scénique, remercient les habitants de Sevran et de Malakoff qui se sont prêtés au jeu de l’entretien, en amont de ce beau Pères. En effet, suite à une enquête de terrain en 2020 sur la famille, à la Poudrerie à Sevran, Élise Chatauret et Thomas Pondevie, avec des habitants de Seine-Saint-Denis et de Paris-Sud, rencontrent particuliers, professionnels et institutions, voyant un angle mort : l’homme est absent. Aussi – provocation oblige – interrogent-ils la famille à partir des pères. Fidèles au théâtre documentaire, ils multiplient les entretiens et écrivent une partition théâtrale tissée de voix multiples. Sur le plateau, deux acteurs se saisissent des histoires collectées, dressant une fresque des paternités. Du bureau à la cuisine, de la recette de crêpe au book photo, ils brossent une série de portraits, faisant émerger de nouveaux récits : imaginer la paternité hors du patriarcat… Les acteurs se font courroie de transmission et interprètes, grossissant le trait, réinventant une vraie poétique depuis le matériau documentaire : la fiction et le théâtre font se déployer le réel. Comment fait-on famille ? Quels types de familles rencontre-t-on ? Classiques, recomposées, homo-parentales, monoparentales, d’adoption ? Et les nouveaux enjeux politiques et sociaux ? Les premiers entretiens autour de la famille ont conduit vers des femmes – histoires particulières, et institutions – directrice de PMI, assistante sociale, coordinatrice famille d’une maison de quartier. Soit l’exploration de l’incroyable évolution de la société en quelques décennies à peine, s’émancipant du modèle de l’autorité paternelle traditionnelle mais suivant de profonds atavismes. Ce prisme conduit vers les «hommes du futur», les familles de demain où la question de l’égalité des sexes rejoint l’émancipation du genre – inventivité des rôles et des postures. Apparaissent sur scène les « pères autorité » qui portent les règles et se refusent à la tendresse, les pères absents, les pères fuyants, les pères cassants, les pères économes. Et aussi des pères investis et présents, participant aux soins et à la vie des enfants, autant ou plus que les femmes. Émerge en majesté – sérénité, tranquillité et lumière – un couple d’hommes qui vient d’accéder à la paternité par GPA aux États-Unis. Se dessine en creux la possibilité de paternités alternatives. Les schémas se dérèglent : les hommes se montrent capables de tendresse, de soin et d’amour, et la famille sort de ses sillons préconçus. Cette typologie ouvre à des questions contemporaines : un état des lieux récent du congé parental en France, en Europe et dans le monde, une histoire de la dés-institutionnalisation du pouvoir paternel, un questionnement sur le patriarcat. A côté des histoires individuelles retracées par les comédiens, abondent en vrac les documents, entretiens audio, textes variés de sociologie, économie… et des tableaux, publicités et photos. Les deux comédiens, dans leurs rôles successifs, écrivent, dessinent, jouent de l’iconographie, aimantent images et icônes sur un grand tableau blanc derrière eux, comme en classe d’école – pléthore de magnets façon personnages de b.d. , et traduction des entretiens par le dessin, schématisation d’une fresque de la paternité entre arbre généalogique et typologie des pères. Une puéricultrice raconte l’évolution de l’implication des pères auprès des enfants durant ses trente ans de carrière, et une sociologue de la famille explique ce que la paternité gay apporte aujourd’hui aux conceptions étroites de la figure du père et de la masculinité en général. On entend des extraits du dernier débat à l’Assemblée sur le congé paternité (janvier 2021) laissant affleurer les réticences institutionnelles à l’œuvre. On entend aussi des propos de la sociologue Martine Gross, de l’économiste Hélène Périvier et de la journaliste Victoire Tuaillon. On parle d’autorité ou d’affection du père- bon père, père affectueux et compréhensif, père sévère, père indigne – être parâtre. Traditionnellement, le père est un ascendant mâle au premier degré – père naturel, père légal, avec rôle, avec autorité, avec puissance dans les différents types de famille – famille antique, romaine, relevant du patriarcat. Le pater familias ne signifie pas le géniteur mais le chef de famille. Aujourd’hui, peut être père qui le veut, femme ou homme…. Etre bon père de famille veut dire assumer son rôle d’une manière sage, prudente et scrupuleuse, quelles que soient les qualifications du père : légal, putatif, naturel, adoptif, nourricier, spirituel. Laurent Barbot et Iannis Haillet livrent sans compter l’intensité de leur belle présence active et amusée – oeil vif, en alerte, à l’écoute – l’attention rivée sur le public, diffusant telle petite musique à partir d’une table de bois bureau aux mille fonctions – plaque électrique ou régie radiophonique. Ils sont ironiques et malicieux, mais tout autant graves et réfléchis ou bien accablés – révélant, depuis le regard filial, les souffrances générées non seulement par le statut d’enfant mais par celui de l’adulte-même, avec en échange aussi, les satisfactions, les plaisirs, les bonheurs et les joies. Véronique Hotte Nouveau Théâtre de Montreuil – Spectacle en décentralisation du 22 avril au 28 avril 2022, vu le 22 avril au Wake up café à Montreuil, le 23 avril, 15h et 19h30, au Centre social Esperanto 68, rue des Ruffinsà 93100 Montreuil, le 24 avril, 12h30 et 17h, au Sample 18, av. de la République à 93170 Bagnolet, le 26 avril, 19h30, au Centre social Lounès Matoub 4-6 place de la République à 93100 Montreuil, le 27 avril, 15h et 19h, Centre Social Guy Toffoletti 43 rue Charles Delescluze à 93170 Bagnolet, le 28 avril, 15h30 et 19h30 au Centre social Grand Air, 40 rue Bel-Airà 93100 Montreuil. Tél : 01 48 70 48 90 www.nouveau-theatre-montreuil.com Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage
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April 23, 2022 7:38 AM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 22 avril 2022 Elise Darblay nous plonge dans les coulisses de la création des « Producteurs », le dernier succès en date de l’auteur d’« Edmond » et du « Cercle des illusionnistes ».
FRANCE 5 – VENDREDI 22 AVRIL À 22 H 40 – DOCUMENTAIRE Alexis Michalik a réalisé son « rêve américain » : amener Broadway à Paris en adaptant Les Producteurs, la célèbre comédie musicale de Mel Brooks. Créé en décembre 2021 au Théâtre de Paris, ce spectacle, toujours à l’affiche, confirme l’insolent succès de cet auteur et metteur en scène de 39 ans. En une petite dizaine d’années, Alexis Michalik n’a cessé de cumuler les réussites dans le théâtre privé. Du Porteur d’histoire (2011) à Edmond (2016), du Cercle des illusionnistes (2014) à Une histoire d’amour (2020), toutes ses pièces se jouent à Paris et en régions sans discontinuer. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Alexis Michalik, « Je n’ai pas assez de rage en moi pour laisser exprimer un propos politique fort. Plus j’avance et moins je sais » Davantage centré sur la « méthode » Michalik que sur son itinéraire, le documentaire réalisé par Elise Darblay nous plonge dans les coulisses de la création des Producteurs. « Je suis le premier spectateur. Si je m’ennuie, c’est que quelque chose ne va pas et c’est à moi de trouver la solution », insiste le metteur en scène. Pour imaginer la version française du spectacle de Mel Brooks, il n’a pas dérogé à ce qui fait sa marque de fabrique : un rythme endiablé et une troupe sans tête d’affiche, mais formidablement castée. Lire aussi : Choral et optimiste, le théâtre selon Alexis Michalik Au premier jour des répétitions, Alexis Michalik demande à ses comédiens un filage de la pièce. Fonctionnant à l’intuition, il a besoin d’entendre le texte pour faire naître les idées et mettre en mouvement les tableaux. L’ambiance au sein de la troupe est à la fois détendue et, revendique-t-il, « au taquet ». En homme pressé, le metteur en scène apparaît obsédé par la ponctualité de ses équipes. Concentré, il ne laisse jamais apparaître le moindre stress. Et pourtant, l’ampleur du projet est, pour lui, « inédite » : seize acteurs, sept musiciens, plusieurs régisseurs et un théâtre de 1 000 places à remplir. « Créer une famille » Depuis Le Porteur d’histoire, Alexis Michalik va de succès en succès. Lui qui a fait ses armes dans le « off » du Festival d’Avignon se retrouve multirécompensé lors des Molières. « Tout d’un coup, j’ai eu l’impression de basculer, je pouvais continuer à raconter des histoires au public. » Il aime « créer une famille » et rester fidèle. « Quand Edmond a été monté en 2016, on pensait rester trois semaines à l’affiche, la pièce se joue toujours », témoigne le comédien Régis Vallée, qui a connu Alexis Michalik au conservatoire du 19e arrondissement de Paris et fait partie de l’aventure des Producteurs. S’il est agréable de suivre le processus de création de cette comédie musicale et les relations entre le « chef d’orchestre » Michalik et les différents corps de métier qu’un tel projet nécessite, on aurait aimé que cette master class s’attarde davantage sur son parcours. Qu’est-ce qui fait courir Michalik que l’on voit furtivement distribuer des tracts en 2005 dans les rues d’Avignon ? Qu’est-ce qui anime ce comédien qui ne cesse d’écrire depuis l’âge de 14 ans et dont les histoires sont désormais attendues par le public ? Il répond : « C’est parce que j’ai une hyperconscience de la mort que je fais tout ça. »
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April 22, 2022 6:14 AM
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Par Véronique Hotte dans webthéâtre 13 avril 2022 Comment survivre à l’apartheid, en dépit de tout.
Écrite en 1972 dans le contexte de l’apartheid, Sizwe Banzi is dead de Athol Fugard est le fruit d’une collaboration avec les deux acteurs, John Kani et Winston Ntshona, qui ont conçu ensemble la fable tragi-comique. La première devant un public multiracial est interrompue par la police. La pièce est peu jouée en France, si ce n’est la mise en scène de Peter Brook, il y a quinze ans. Sur Sizwe Banzi is dead, Athol Fugard écrit : “J’en suis aussi fier que de tout ce que j’ai déjà pu faire. Dans ses moments clés, c’est une célébration de la vie très joyeuse et merveilleuse.” L’apartheid s’établit progressivement en Afrique du Sud comme système de gouvernement et modèle de société imposant « légalement » la séparation physique et territoriale et la hiérarchisation de quatre groupes raciaux : Blancs, Coloured, Indiens et Noirs. En 1950, sont réglementées les identités raciales, interdites les relations sexuelles et l’union maritale entre membres de « races » différentes, réduite la liberté de déplacement des Noirs, et interdite toute remise en cause de cet ordre. L’apartheid légal se renforce avec la systématisation des pass (1952), la promulgation du Separate Amenities Act et du Bantu Education Act (1953). Au théâtre, Athol Fugard, de père irlandais et de mère afrikaner, exerce comme auteur et metteur en scène, et parfois acteur. En 1965, il dirige la troupe The Serpent Players, composée exclusivement d’acteurs noirs, que rejoignent ses compatriotes, John Kani et Winston Ntshona. A travers le théâtre, les trois hommes dénoncent le régime alors en vigueur de l’apartheid, entre autres, avec trois pièces emblématiques, co-écrites par eux, Sizwe Banzi est mort (1972), Inculpation pour violation de la loi sur l’immoralité (1972) et L’Île (1973), trois pièces représentées à Londres, New-York et Paris, réunies en une trilogie : Statements. Cette opposition à la politique raciale pratiquée dans son pays vaudra à Athol Fugard, entre 1967 et 1971, une confiscation de son passeport, et des périodes d’emprisonnement aux deux autres hommes. La dernière pièce écrite est The Bird Watchers, représentée dès 2011 au théâtre que l’auteur dirige au Cap, The Fugard Theatre. Parmi ses interprètes de prédilection, outre John Kani et Winston Ntshona, l’Américain Danny Glover et le Sud-Africain Zakes Mokae. L’histoire du théâtre, riche en cette période d’interdits, doit beaucoup à l’œuvre d’Athol Fugard, ainsi Boesman and Lena (1969), ou son roman Tsotsi (1980), écrit en langue des townships et qui deviendra Mon nom est Tsotsi dans un film réalisé en 2006 par Gavin Hood. Un Africain peut-il rester un homme, au sens plein du terme, dans une société qui repose sur le racisme ? Styles est le protagoniste qui accueille le public, un photographe doué pour faire jaillir les rêves de ses clients, quand ils posent devant son appareil. Jean-Louis Garçon dans le rôle est plein de verve et de gouaille, heureux d’en découdre, il raconte son histoire. Ouvrier d’usine automobile, à force de niaque et de volonté, il change de vie, devient photographe. La vocation se mérite : on se bat pour y parvenir. Les deux auteurs de la pièce ont quitté leur travail d’employé ou d’ouvrier pour devenir acteurs : une autre variation sur l’identité, selon le metteur en scène Jean-Michel Vier. Jean-Louis Garçon encore interprète plus tard le personnage de Buntu, plus grave et responsable, qui accueille dans le township les autres, ses semblables ; le nom évoque l’Ubuntu, concept des langues bantoues du sud de l’Afrique, relié à l’hospitalité, la philosophie africaine. Le troisième personnage, Sizwe Banzi, est migrant dans son propre pays : il doit disparaître pour continuer à exister. Il est nommé « The man », quand il surgit, un homme sans nom, un fantôme. On parle aussi sans le voir de Robert Zwellinzima, un fantôme qui a quelque chose à dire… N’en disons pas plus : Cyril Gueï incarne avec force à la fois le spectre et l’éveil du survivant qui se bat. Pour le metteur en scène Jean-Michel Vier, dans un contexte de racisme et d’oppression, la pièce traite des questions d’identité existentielle et universelle. Hors des assignations sociales ou des clichés ethniques, qui sommes-nous et que faisons-nous de notre vie ? A nous de la choisir. La scénographie est simple et efficace : fond de tissu, carte de géographie, dessin de ville idéale pour mettre en scène les photographiés sous leur meilleur jour. D’un logis de township, on passe dans les rues nocturnes où les projecteurs du studio se font les réverbères de Port Elizabeth. Vitalité, humour et grandeur des personnages, à travers les épreuves et l’adversité. Face aux enjeux de survie, ils sont des icônes de liberté et de ressources inventives multiples. Authenticité, engagement et souplesse de jeu des interprètes qui donnent à voir toutes les promesses de combat et de résistance dont l’être humain est capable contre l’adversité et l’oppression. Sizwe Banzi is dead, texte de Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona, mise en scène de Jean-Michel Vier, avec Jean-Louis Garçon et Cyril Gueï. A partir de 13 ans. Du 4 au 26 avril 2022, lundi 19h, mardi 19h et dimanche 17h au Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver 75011 - Paris. Tél : 01 48 06 72 34 theatredebelleville.com Le 14 mai 2022, La Courée à Collégien (Seine et Marne). Le 11 octobre 2022, Théâtre de Villeneuve Saint-Georges (Val de Marne). Du 7 au 12 novembre 2022, Théâtre Dunois (Paris). Crédit photo : Daniel Maunoury
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April 21, 2022 3:57 PM
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Par Didier Péron dans Libération - 21 avril 2022 Acteur chez Demy et Schoendoerffer, producteur de Costa-Gavras et réalisateur de documentaires animaliers à grand spectacle, Jacques Perrin est mort jeudi à Paris. Il avait 80 ans. «Ce n’est pas moi, ce marin aux cheveux oxygénés, ce prince de conte de fées dans Peau d’âne alors que j’avais 29 ans». Jacques Perrin, né le 13 juillet 1941, pour beaucoup, est resté éternellement ce jeune premier déguisé en marin d’eau douce peroxydé dans les Demoiselles de Rochefort (1967) de Jacques Demy et altesse overdressed en pourpoint blanc ou rouge et en chapeau à plumes assorti dans Peau d’âne (1970), du même réalisateur. La persistance rétinienne, un peu légendaire et folle, de cette double apparition, il l’a subie plus que portée. Pour lui, des rencontres plus intenses, mémorables et déterminantes avaient eu lieu quelques années auparavant, quand le cinéaste introverti Valerio Zurlini le chope dans un couloir du théâtre Edouard VII alors qu’il n’a que 19 ans pour lui donner le premier rôle masculin aux côtés de Claudia Cardinale dans la Fille à la valise, en 1960 («Ce tournage nous a tous deux bouleversés») puis, deux ans plus tard, le magnifique Journal intime avec Marcello Mastroianni. L’acteur est marqué par la rencontre avec le cinéaste dont il disait qu’il voulait le transformer de l’intérieur en puisant au plus profond de lui-même. C’est d’ailleurs ce drame intimiste qui attire l’attention de Pierre Schoenderffer qui lui offre le rôle du sous-lieutenant Torrens pour son errance dans la jungle de la 317e section, lui qui n’a pas fait son service militaire : «On se prenait pas pour des héros, on était crevés et on marchait comme des hommes épuisés». Tourner ce film qui se place du côté de la lutte pour la sauvegarde de l’empire français en Indochine en plein début des années 60 politisées et de mouvement de décolonisation, fait grincer des dents et contribue sans nul doute à éloigner Perrin de la sphère Nouvelle Vague, garçon réservé à la raideur de premier de la classe, un peu vieille France face à la modernité de figures comme Jean-Paul Belmondo ou Jean-Pierre Léaud. Schoendoerffer décrit Perrin comme «une sorte d’ogre doux, animé par une volonté sans limite, mais dont nul ne peut s’inquiéter car elle est au service d’une ambition noble.» Ils resteront amis après ce premier tournage à la rude, refaisant régulièrement des films ensemble tels le Crabe-Tambour (1977) ou l’Honneur d’un capitaine (1982). Acrobaties comptables Sous la douceur, une volonté sans faille. C’est ainsi qu’il se révèle quand il reprend en main le projet abandonné par ses premiers producteurs américains de Z que Costa-Gavras cherche à tourner pour dénoncer la dictature des colonels grecs. Il crée sa maison de production, va trouver de l’argent en Algérie, se livre à des acrobaties comptables. Personne en France ne croyait au film et pourtant à sa sortie, c’est un succès public et le film vaut un prix d’interprétation à Jean-Louis Trintignant à Cannes puis deux oscars dont celui du meilleur film étranger : «Z a déclenché quelque chose en moi. Je me suis dit que j’avais la possibilité de vivre une vie formidable, d’inscrire dans la réalité tous les rêves qui se bousculaient dans ma tête.» Ainsi, Perrin va produire le premier film d’un certain Jean-Jacques Annaud, la Victoire en chantant (échec au box-office), il s’obstinera à mener à bien l’adaptation du Désert des Tartares de Dino Buzzati en rappelant Zurlini pour un budget déraisonnable qui ne sera pas remboursé par les entrées en salle d’une fresque étrangement immobile et ensablée, comme du Beckett sur écran large, en sueur et déshydraté. Après le sable, il y aura la mer pour les Quarantièmes rugissants de Christian de Chalonge où il escompte entraîner Jack Nicholson en haute mer, en vain, au point qu’il doit se résoudre à prendre le rôle principal. Un «beau projet gâché», dira-t-il, et dont il met dix ans à rembourser les créances auprès des banques. Scarabées et papillons Grandi dans un milieu relativement modeste, d’un père régisseur à la Comédie Française puis souffleur au TNP de Jean Vilar, et d’une mère comédienne, Marie Perrin, le comédien-producteur n’aura aucune timidité face à l’argent. Il en perdra à un endroit pour mieux le regagner ailleurs. Il a une intuition sur le cinéma animalier et la montée de la conscience écologique en misant sur Microcosmos : le peuple de l’herbe de Claude Nuridsany et Marie Pérennou en 1996, transformant chenilles, scarabées, papillons et fourmis en nouveau star-system pour 4 millions de spectateurs en France et des ventes internationales. Il creuse le sillon avec le Peuple migrateur qu’il coréalise : trois ans de tournage sur le mode National Geographic avec des innovations techniques comme l’ULM qui permet de filmer les bataillons de volatiles au plus près de leur voyage. On peut dire que Jacques Perrin devient une véritable machine à succès puisqu’il est aussi de l’aventure les Choristes, un des plus gros succès du cinéma français avec 8 millions d’entrées et une affaire de famille puisque le réalisateur, Christophe Barratier est son neveu. Il n’aura aucun mal à trouver 50 millions d’euros pour Océans qu’il cosigne avec Jacques Cluzaud, dénonçant notamment les massacres en haute mer d’espèces menacées. Résultat : 10 millions d’entrées dans le monde en 2010. Deux ans plus tard, Jacques Perrin était officiellement promu capitaine de frégate dans la réserve citoyenne, rejoignant les quelque 350 membres choisis sur dossier par la Marine nationale. Moussaillon dans l’allure, intrépide à la manœuvre, chic type selon ceux qui le fréquentèrent, «passionné et engagé» selon ses propres termes : «Je suis couvert d’une multitude de cicatrices mais la vie reprend toujours.» Il est mort ce jeudi à Paris, à l’âge de 80 ans. ---------------------------------------- Hommage Rosalie Varda: «Jacques Perrin, le seul prince qui existe, c’est lui» La fille d’Agnès Varda se souvient de l’acteur rencontré sur le tournage des «Demoiselles de Rochefort» en 1967. par Anne Diatkine / Libération Créatrice de costumes pour le cinéma, le théâtre et l’opéra, directrice artistique – notamment pour la société Ciné-Tamaris – Rosalie Varda, fille d’Agnès Varda, évoque avec émotion celui qu’elle a connu sur les tournages de Jacques Demy alors qu’elle était encore enfant. «J’ai connu Jacques Perrin sur le tournage des Demoiselles de Rochefort, c’était un tournage très joyeux, les deux Jacques (Perrin et Demy) étaient jeunes, ils étaient beaux, ils allaient danser, toute l’équipe passait leur soirée en boîte de nuit. Je me souviens que Demy avait demandé à Jacques Perrin de s’éclaircir les cheveux. Ce n’était pas réussi. Donc Demy l’a peroxydé encore plus et c’était devenu formidable. Qui d’autre que lui, pour que ce le soit ? Ce personnage de Maxence est resté dans la mémoire, comme un marin au romantisme le plus poétique qui idéalise l’amour qu’il ne cesse de chercher. Maxence, c’est un personnage de roman, qui ressemblait à Jacques. Lequel des deux ? Pour moi, Demy, qui ensuite le choisit pour être le prince dans Peau d’Âne. Et encore une fois, Jacques Perrin est à la recherche du grand amour. Il est habillé d’un costume improbable, en pourpoint et avec des cuissardes Renaissance. «C’est impossible à porter, mais Perrin le porte comme s’il allait de soi, sans aucun ridicule. Il est d’ailleurs le seul acteur à avoir réussi à incarner un prince dans un conte de fées. Je ne vois pas d’autres exemples. Le seul prince qui existe, qui ne provienne pas d’un dessin animé, joué par un acteur qui tient et tiendra sur des décennies, c’est lui. C’est le rôle le plus difficile qui soit. J’aime beaucoup la séquence onirique tout en blanc, où, avec Catherine Deneuve, ils font tout ce qui est interdit. Fumer, et on se demande bien quoi… Le plaisir de Demy était d’écrire pour Perrin des rôles qui ont l’air simple mais qui sont d’une modernité totale. «J’ai beaucoup d’admiration pour l’homme sans concession, qui a monté sa propre maison de production afin de produire des films engagés dans l’écologie à une époque où l’on était beaucoup moins nombreux à avoir moins conscience que la priorité des priorités, c’est la planète. «Le dernier souvenir que j’ai de Jacques (Perrin) remonte à quelques mois. Un hommage lui était rendu à Valenciennes, je ne pouvais pas y être et j’ai envoyé un petit montage avec des extraits d’un film en super 8 qu’Agnès Varda avait tourné pendant Peau d’Ane. Des images muettes, sur lesquelles j’avais écrit un commentaire. Le lendemain, il m’a appelé. On a commencé à parler et c’était doux. Ce soir, j’ai perdu mon prince, et on est beaucoup à avoir perdu son prince. Je vais en perm à Nantes. Avec qui d’autre que Jacques Perrin ?»
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April 21, 2022 10:18 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 20 avril 2022 Crédit photo : Simon Gosselin Trézène Mélodies (L’Histoire de Phèdre en chanson), d’après des fragments de Phèdre de Jean Racine, et d’extraits de Poèmes de Yannis Ritsos, Phèdre et Le Mur dans le miroir, mise en scène et musique de Cécile Garcia Fogel. Avec Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu – jeu et chant – et Ivan Quintero – guitare et voix. Scénographie et costumes Caroline Mexme, arrangements musicaux et harmonisation Ivan Quintero, lumières Olivier Oudiou. Une histoire de Phèdre en chansons – Phèdre aime en secret Hippolyte, fils de son époux Thésée, né d’un premier mariage avec une amazone… Alors qu’elle croit son époux mort dans une guerre contre les Enfers, elle lui avoue enfin son amour coupable. Or, Thésée revient… Malheur. Cécile Garcia Fogel avait réalisé avec sept comédiens une adaptation musicale de la tragédie de Racine en 1996 – bonheur d’une forme inventive à la fois aigüe et sensible qui enchantait l’époque . Elle recrée aujourd’hui ce spectacle avec une chanteuse-comédienne, Mélanie Menu, comme elle, et un guitariste-chanteur, pour une nouvelle exploration musicale approfondie. Un spectacle vif qui, entre chant, pas de danse et silences, mène la salle dans un univers tragique. La conceptrice révèle les chansons composées des fragments de la tragédie, tissées des mots du poète grec Yannis Ritsos – connotation contemporaine à cette histoire de passion. Sur des airs d’inspiration espagnole, jazz ou grecque, le trio scénique joue de la poésie comme de l’émotion. La comédienne et metteuse en scène Cécile Garcia-Fogel dit avoir composé naïvement en 1996, voici vingt-cinq ans, les mélodies, inspirée par le chant traditionnel et populaire de belles influences espagnoles, flamenco, quelques notes de jazz et rengaines enfantines répétitives. Elle affine aujourd’hui le trait musical, les accompagnements de l’époque, et le travail du chant et du parler chanté pour une formation d’oratorio plus épurée et plus resserrée. Un spectacle entièrement chanté que les extraits des poèmes de Yannis Ritsos – Phèdre et Le Mur dans le miroir – revivifient de leur poésie sensuelle et contemporaine à l’intérieur d’un monde feutré. De même, elle reprend musicalement le plaisir des chants traditionnels, mélodies espagnoles et orientales, le Rebetiko – chant des anarchistes grecs. Ces textes ainsi chantés ont à voir avec la rengaine, la plainte, des formes répétitives qui fraient avec l’envoûtement et aussi avec l’humour. L’action se passe à Trézène, ville du Péloponnèse : Phèdre se meurt d’amour pour celui qu’elle aime, Hippolyte. Quand on lui annonce la mort de l’époux, Thésée, combattant dans les Enfers, elle ose, sur le conseil de sa nourrice, avouer son amour coupable au jeune homme interloqué et amoureux de la jeune Aricie. Mais Thésée revient de son lointain voyage et, trompé sur la réalité des faits, lance sur son fils qu’il ne prend pas le temps d’écouter, la colère des dieux. Théramène est le triste porte-parole du récit des méfaits d’un monstre marin qui engloutit le vaillant chasseur. Souffrance des uns et des autres, douleur sensible d’un renoncement sentimental à la passion, Phèdre, l’éplorée, éprouve le désir de raconter toujours son asservissement à un amour interdit : « J’ai songé parfois à revêtir les habits d’un esclave ou d’un écuyer pour l’escorter à la chasse Te connaître dans ton espace – ta façon de courir de tirer tuer. Je voudrais te connaître dans cette application totale à une action qui échappe à la discipline pour mener à l’extase. Je t’imagine alors comme un danseur qui bondit et s’immobilise un instant dans son vol, retardant sa chute, abolissant la loi de la pesanteur. Cette maison est remplie de ton ombre La maison est un corps – je le touche, il me touche, se colle à moi, la nuit surtout. Les flammes des lampes me lèchent les cuisses, les flancs, leur lave me brûle, me rafraîchit, me désigne. La maison est un corps et c’est ton corps en même temps que le mien. Ton corps je le sais comme un poème appris par coeur que j’oublie sans cesse – la chose au monde la plus inconnue la plus changeante la plus inconcevable, c’est le temps humain – qui pourrait l’apprendre ? » (Phèdre de Yannis Ritsos) La scénographie de Caroline Mexme, sous les lumières de Olivier Oudiou, donne à voir l’intérieur d’une demeure aux volets fermés dont les stries lumineuses de soleil se reflètent sur un sol méditerranéen. Vêtements noirs à la grecque pour les interprètes, et seaux de sable noir que la protagoniste déverse autour d’ Aricie, par exemple, telle la marque tangible d’une malédiction. Une corde épaisse et blanche, enroulée, accessoire maritime, tient lieu de socle au personnage, tandis que les chaise de bois sont toutes renversées par un ouragan, quand s’invite le pire à venir. Les interprètes sont à l’écoute les uns des autres. Le guitariste Ivan Quintero se tient au plus près des actrices, faisant résonner voix, sons et vibrations suivant le rythme et la couleur des émotions. La majestueuse Mélanie Menu incarne tout autant le chasseur Hippolyte qu’Oenone – successivement l’imposant jeune ténébreux et la vielle confidente voûtée au service de Phèdre. Cécile Garcia Fogel, silhouette fragile et décidée, regard inquiet, voix grave légèrement voilée, chante et se se meut sur la scène avec art, distillant dans l’espace une présence énigmatique rare; qu’elle soit Phèdre ou bien Théramène, elle fait l’aveu des difficultés et des peines existentielles. Véronique Hotte Du 19 au 30 avril 2022, mardi, mercredi 20h, jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h, au Théâtre 14, 20, avenue Marc Sangnier 75014 – Paris. Tél : 01 45 45 49 77
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Le spectateur de Belleville
April 20, 2022 10:33 AM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde - 20 avril 2022 Avec « Ils nous ont oubliés » à l’Odéon, la metteuse en scène adapte « La Plâtrière », de Thomas Bernhard. Une expérience théâtrale et sensorielle à la fois puissante et étouffante. Légende photo : « Ils nous ont oubliés », d’après « La Plâtrière », de Thomas Bernhard. Adaptation et mise en scène de Sévérine Chavrier. RAYNAUD DE LAGE Les amateurs de théâtre ont leurs expressions. Elles peuvent parfois sembler bizarres, mais elles leur permettent de se comprendre sans s’expliquer plus longuement, au sortir d’une représentation. L’une d’entre elles est la suivante : « C’est du théâtre pour ceux qui aiment le théâtre. » Entendez : qui l’aiment au point de passer outre à certains défauts ou débordements. C’est le cas pour Ils nous ont oubliés, aux ateliers Berthier de l’Odéon. La représentation dure quatre heures. Le soir de la première, certains spectateurs sont partis au premier entracte – ils trouvaient le son trop fort –, d’autres au second entracte – ils se sentaient étouffés. Les raisons de ces spectateurs étaient entendables. Elles n’ont pas joué pour tous ceux qui sont restés jusqu’au bout, impressionnés par ce qu’ils voyaient, curieux de savoir où et jusqu’où ça irait. Ça – sans connotation dépréciative –, c’est du théâtre froid comme le gel en hiver, brûlant comme une quête : une adaptation du roman La Plâtrière, de Thomas Bernhard, par Séverine Chavrier. Directrice du Centre dramatique national d’Orléans, cette comédienne, metteuse en scène et musicienne, a connu un beau succès, en 2016, avec Nous sommes repus mais pas rassasiés, qui était déjà inspiré par Thomas Bernhard, mais par une pièce, Déjeuner chez Wittgenstein. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Théâtre : Séverine Chavrier et Thomas Bernhard cassent la baraque La Plâtrière est un des premiers romans de l’écrivain autrichien (1931-1989). Il s’ouvre par le récit d’un meurtre : une femme a été retrouvée morte dans son fauteuil d’infirme, dans la nuit de Noël. Elle vivait avec son mari dans une ancienne usine à chaux, achetée cinq ans plus tôt et transformée en forteresse. Un endroit infernal dans un paysage hostile. Konrad, le mari, et seul à avoir un prénom – sa femme n’est jamais appelée que « femme de Konrad » –, ne voulait surtout pas d’un « beau site », destructeur pour l’esprit, selon lui. Depuis vingt ans, il travaille à son essai sur l’ouïe, et il pense ne pouvoir écrire que dans un isolement absolu. Improvisations et ajouts Après le meurtre, Konrad est retrouvé à moitié gelé dans la fosse à purin. Ce qui s’est passé, ou a pu se passer, on le sait par un narrateur invisible. Avant d’arriver à la plâtrière, le couple avait vécu en voyageant, grâce à l’argent de la femme. Elle était déjà malade quand Konrad l’a épousée. Elle est désormais dépendante de son mari. Chacun est le tyran de l’autre, elle par ses demandes incessantes, lui par les expériences qu’il lui inflige pour étayer son étude sur l’ouïe. Toujours, Konrad se sent empêché d’écrire : les pensées ne passent pas la lisière de son cerveau, elles s’effacent devant la feuille. Tragédie de l’impuissance, enfer du couple, portrait d’une folie : telle peut se lire La Plâtrière. Tragédie de l’impuissance, enfer du couple, portrait d’une folie : telle peut se lire « La Plâtrière » Séverine Chavrier entre dans le roman comme dans un paysage qu’elle recompose. Elle ne suit pas Thomas Bernhard, elle poursuit la quête qu’il lui inspire, qui pourrait être celle d’un art de la scène total, où la musique, les sons, la vidéo, les corps et les voix s’allieraient autour d’un texte. On ne retrouve pas le style de l’écrivain dans Ils nous ont oubliés : Séverine Chavrier impose le sien, nourri d’improvisations et d’ajouts. Elle veut que le spectateur se sente englouti dans le huis clos entre Konrad et sa femme. Et elle y arrive : on n’échappe pas à « sa » Plâtrière, traversée de scènes fracassantes de beauté et d’expressivité, surtout dans la première et la dernière partie. Mais on peste aussi, devant ce qu’il faut bien appeler du nombrilisme, qui retient Séverine Chavrier de couper dans une matière trop dense et personnelle. Reste les murs abattus et troués par la neige, les vrais corbeaux et la corneille, la forêt sombre comme la mort, le musicien et les trois excellents comédiens. Reste le théâtre, au fond, avec ses illusions : « Se faire comprendre est impossible », disait Thomas Bernhard. Ils nous ont oubliés, d’après La Plâtrière, de Thomas Bernhard. Adaptation et mise en scène : Sévérine Chavier. Avec Laurent Papot, Marijke Pinoy, Camille Voglaire, Florian Satche (musicien). Ateliers Berthier, 1, rue André-Suarès, Paris 17e. Jusqu’au 27 avril. De 7 € à 36 €. Brigitte Salino
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April 19, 2022 7:50 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 18 avril 2022 Hanté par une histoire mettant en cause de jeunes enfants, dans le village où il est né, le comédien, co-fondateur du Munstrum Théâtre, entouré de ses amis artistes, a conçu Les Possédés d’Illfurth. Il joue, seul en scène, déchaîné et fascinant. Surgi il y a une dizaine d’années, le Munstrum Théâtre propose depuis des spectacles de tailles différentes, mais toujours originaux. Autour des deux créateurs, Louis Arène, Lionel Lingelser, tous deux passés par le conservatoire national supérieur d’art dramatique, s’est constituée une constellation d’artistes, comédiens, auteurs, scénographes, etc. Avec Les Possédés d’Illfurth on est dans un solo, mais l’interprète est entouré d’une équipe excellente : Victor Arancio pour la lumière, Claudius Pan pour le son, Ludovic Enderlen, à la régie. C’est lui, Lionel Lingelser qui a voulu puiser dans une histoire de son enfance, la matière d’un spectacle. Il a grandi dans un village d’Alsace, situé non loin de Mulhouse, Illfurth (le gué sur la rivière Ill). Cette commune est célèbre pour un cas d’exorcisme « réussi » conduit en 1869 pour « délivrer » deux enfants, deux frères, Joseph, 7 ans, Théobald, 9 ans, Deux enfants qui, depuis quelque temps, étaient au cœur d’étranges phénomènes et déployaient une force hallucinante. Au nom de la Sainte-Vierge, fut pratiqué cet exorcisme car les enfants étaient, selon la famille, les villageois, l’église, « possédés ». On ne fait que les évoquer dans Les Possédés d’Illfurth, texte écrit par Yann Verburgh, et la collaboration de Lionel Lingelser. Si l’ami Louis Arène est au poste de « collaborateur artistique », s’il a veillé sur le travail, c’est bien Lingelser lui-même qui surgit sur le plateau, féroce et tapageur, agressif, emporté dans une danse diabolique, jetant des regards inquisiteurs au public qui n’a qu’à bien se tenir… C’est un tourbillon, un texte puissant, un interprète étourdissant. Un exploit physique, une heure quinze durant : lui aussi est comme possédé. Il est Hélios, soleil bouillonnant. La ferme de son grand-père est la maison des enfants d’autrefois. Le petit Lionel/Hélios a peur. Et son ami Bastien va s’avérer être dangereusement séduisant. Ainsi, évoquant les enfants, Hélios/Lionel Lingelser nous parle sans doute, d’une manière pudique et libre à la fois, de lui-même. On rit beaucoup car la férocité est ici étincelant d’humour, d’esprit. Les Possédés d’Illfurth ne sont pas faits pour être résumés : il faut les recevoir, ces mots, ces humeurs, ces mouvements, ces ruptures, ces gestes. Le roi de fous, le roi du délire avec sa couronne en carton, et son tambourin rythmant la prosodie. Un homme blessé, qui court comme on fuit. Un acteur hallucinant dans sa présence, sa justesse, sa voix, son regard, tout son corps enflammé. Le public, jeune, ne s’y trompe pas : il est rock, Lingelser. On lui fait un triomphe, et tout à fait naturellement devant tant d’intelligence, de talent, de puissance émotionnelle. Armelle Héliot Les Possédés d’Illfurth, au Monfort, jusqu’au 23 avril, à 19h30. Durée : 1h15. Tél : 01 56 08 33 88. lemonfort.fr Suite de la tournée : Festival THEATRE en MAI – 27 au 28 mai 2022 à 20h, et le 29 mai 2022 à 15h, Théâtre des Feuillants à Dijon (21) FESTIVAL AVIGNON OFF – La Manufacture – Juillet. LA COUPOLE – 27 septembre 2022 (2 représentations), à Saint-Louis (68). L’ESPACE 110 – 30 septembre 2022 (2 représentations), à Illzach (68). LES TRANSVERSALES – Semaine du 3 octobre 2022 (5 représentations), à Verdun (55). LE TRIDENT, SCÈNE NATIONALE – 13 et 14 octobre 2022, à Cherbourg-en-Cotentin (80). DÔME THÉÂTRE – 22 novembre 2022, à Albertville (73). L’ESPACE BMK – 24 et 25 novembre 2022, à Metz (57). LE CARREAU – SCÈNE NATIONALE DE FORBACH – 30 novembre et 1er décembre 2022, à Forbach (57). LA MAC – RELAIS CULTUREL DE BISCHWILLER – 6 décembre 2022, à Bischwiller (67). SALLE DE SPECTACLES SOLENVAL – 16 et 17 décembre 2022, à Dinan (22). LE TANGRAM – SCÈNE NATIONALE – Semaine du 9 janvier 2023 (4 représentations), à Évreux (27 ; NOUVEAU THÉÂTRE DE MONTREUIL – CDN – 14 au 22 avril 2023 (8 représentations), à Montreuil (93). THÉÂTRE DE LORIENT – Semaine du 1er mai 2023 (2 représentations), à Lorient (56).
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April 18, 2022 2:12 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello -16 avril 2022 mauvaise de debbie tucker green, traduction Gisèle Joly, Sophie Magnaud, Sarah Vermande (Editions Théâtrales), mise en scène Sébastien Derrey. Création sonore Isabelle Surel, lumière Christian Dubet, scénographie Olivier Brichet, costumes Elise Garraud, coaching vocal Emilie Pie. Avec Cindy Almeida de Brito ( en alternance avec Océane Caïraty au T2G), Nicole Dogué, Lorry Hardel, Jean-René Lemoine, Bénédicte Mbemba, Josué Ndofusu Mbemba. debbie tucker green, dramaturge afro-caribéo-britannique, écrit son nom comme les titres de ses pièces en minuscules: mauvaise, dirty butterfly, born bad, storing Mary, random, créées à Londres. L’oeuvre de cette jeune auteure inventive participe d’une « poétique du trauma », exposant la confrontation d’un espace mental dans lequel la scène de souffrance est rejouée à l’infini, telle la paralysie psychique de l’être blessé dont le temps affectif s’est arrêté – tout refuge en soi disparu. La langue s’impose à travers l’art de la répétition, soit l’impossibilité d’inscrire l’élément du choc, privilégiant le retour du refoulé – ici, l’inceste du père sur sa fille dénommée Fille dans mauvaise. Le principe de la répétition met à l’honneur la résistance en même temps que l’art du comédien. La benjamine reproche à la grande soeur de la « martyrer » – réinvention savoureuse du mot. Le refoulement collectif qui a longtemps masqué socialement de nombreux cas d’inceste familial, tel celui de père-fille sous la contrainte, a amplement diminué, aujourd’hui on parle enfin. Dans notre société, non celle des dieux de l’Antiquité, un ordre est instauré dans les relations sexuelles. La tragédie d’Oedipe marque que l’inceste est une faute grave : il nie l’existence même des générations. Oedipe est le fils de Jocaste mais joue auprès d’elle le rôle de son propre père, et les enfants qu’il a conçus avec elle sont en même temps ses frères. L’inceste brise l’ordre de la Cité, instaurant le chaos et les Grecs y voyaient la marque du désordre des civilisations barbares. Celle ou celui qui est victime d’inceste est avant tout porteur d’une douleur intime sans le moindre repos – un enlèvement de soi par l’autre qui contraint et assujettit sans permission ni autorisation. La contemporanéité du sujet et la crudité du langage de debbie tucker green relèvent d’un théâtre d’affrontement. La violence a déjà (eu) lieu hors scène, le spectateur en est informé à la fois rétrospectivement et d’emblée. (L’écriture du traumatisme de Debbie Tucker Green ou la mise en jeu de la répétition, Hélène Lecossois dans Ecritures théâtrales du traumatisme, Esthétiques de la résistance, sous la direction de Christiane Page, Presses Universitaires de Rennes, 2012) Au sein de la famille, la pression contenue est prégnante durant laquelle Fille, l’aînée de la fratrie, provoque ses parents et ses frère et sœurs, les poussant et les acculant à parler. En échange, bribes de réponses ambiguës et contradictoires, injonctions, menaces, insultes et danse des mots. Mauvaise est celle qui dégage de la méchanceté et de la malveillance, malfaisante et démoniaque. La sœur, rebelle et revendicative, attaque le silence et sa violence, cette impossibilité intériorisée par les enfants de pouvoir parler. Elle interroge sa famille – surdité, silence et aveuglement – pour la faire avouer, l’amener à dire. Face à la société tout entière aussi qui se tait et ne voit pas. La forme et la composition servent le sujet qui n’arrive pas à se dire mais qui affleure dans les silences.(Entretien de Sébastien Derrey avec Frédéric Vossier, conseiller du TNS, octobre 2020) Pour le metteur en scène Sébastien Derrey, l’écriture de debbie tucker green joue sur l’impact de la phrase et ses percussions – choc sonore, tremblements surmontés et émotion brute. Le sens n’advient qu’ensuite, sous la recomposition du spectateur, qui élabore d’instinct le scénario. La traduction de Gisèle Joly, Sophie Magnaud, Sarah Vermande s’attache à la métrique, à la percussion ensorcelante d’une langue accentuée et rythmée – immédiateté et réalisme, soit le parler métissé des jeunes, éloquent populaire, urbain, enlevé, tonique, rap, spam et chant. Une partition vocale où le silence est son – voix sous-entendue et significative, beat qui relève de l’écriture de la diaspora africaine, avec sa pratique du double langage et du parler à demi-mot, afin que le « maître » opprimant ne saisisse pas les échanges – une forme spontanée de résistance. A côté de la langue polyphonique, la composition de la pièce est économe, éclatée en ellipses et sauts, entre les scènes séparées par des noirs, des ruptures de lumière, des disparitions. Qu’ils parlent ou qu’ils se taisent, les personnages sont victimes de l’absence de regard ou d’écoute qu’il faut à tout prix remettre en éveil ou bien « réveiller ». Or, celui qui regarde et écoute reste responsable – témoin et inactif. Fille qui interpelle son entourage exige qu’il soit destinataire à part entière afin qu’elle existe à travers l’écoute qui lui donne reconnaissance et existence enfin. Et pouvoir ranimer l’instinct d’une responsabilité devant la vulnérabilité de l’autre. Elisions, pauses, silences, flux de paroles, sauts, enjambements, les interprètes déclament en artistes du verbe, au coeur même d’une communication silencieuse développée par rapport à l’impossibilité de parler. « Le tabou de l’inceste permet l’inceste. Il faut une force surhumaine pour le révéler, comme Fille le fait, et c’est un autre geste de transgression. C’est la transgression de la loi du silence. La capacité de nommer l’ennemi. Quand on le fait, personne ne veut y croire. On a tout le monde contre soi. Les incesteurs n’ont pas grand-chose à faire quand ça explose dans la famille, ils ont juste à laisser les autres se déchirer entre eux. Une des seules choses prononcées par le père, c’est qu’il n’est pas obligé de parler. La vérité est rarement reconnue. » (ibid.) Avec l’excellente Océane Caïraty, en alternance avec Cindy Almeida de Brito, dans le rôle de la benjamine tonique et protégée; Nicole Dogué incarne la mère coupable, la « Chienne », celle qui n’a pas vu, n’a pas su protéger ou qui aurait participé à cet équilibre mortifère « retrouvé ».
Lumineuse, Lorry Hardel joue la Fille qui harcèle, tance et accuse, figure féminine courageuse et solitaire; à Bénédicte Mbemba revient le personnage de la cadette repliée qui doute, hésite, se méfie, se souvient des peurs passées, se rétracte; de même Josué Ndofusu Mbemba, qui interprète le frère, informe Fille, surprise, d’avoir été victime de ces mêmes agissements paternels, il soutient l’éplorée mais défend sa mère pourtant, avant de se rallier au silence familial taciturne. Quant à Jean-René Lemoine, le père accusé, il ne bouge guère, écoute sans réagir, se tait, clos. Une chaise, puis deux, trois, quatre et cinq chaises : il en manquera une, celle de Fille qui jamais ne trouvera sa place, jouet mineur des amusements et exigences paternels – abus et tyrannie. Un spectacle fort et intense à l’extrême, qui soumet le public au renversement d’un déni, à travers les tensions et la souffrance amère, vécues par Fille mais aussi par la famille entière en lice. Véronique Hotte Spectacle vu au T2G – Théâtre de Gennevilliers – Centre dramatique national, le 15 avril 2022.
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April 18, 2022 5:30 AM
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Par Lucile Commeaux dans Libération - 17 avril 2022 Habitué des grands textes revisités sur un mode gothico-pop, le metteur en scène signe une adaptation bancale et clownesque du conte de fées satirique «Le Dragon» du dramaturge soviétique Evgueni Schwartz. On connaissait la patte Thomas Jolly sur le grand répertoire – Shakespeare, Sénèque –, on la découvre appliquée à un texte méconnu : le Dragon, œuvre d’Evgueni Schwartz écrite en 1944 pour la jeunesse, interdite dès la première par un régime soviétique qui proscrivait ce qu’on appelait alors «la nocivité du conte de fées» au nom du réalisme socialiste décrété sous Staline. Au conte, Thomas Jolly et sa compagnie la Piccola Familia apposent leur esthétique habituelle – noire, gothique et pop – sur une scène au décor alambiqué. Derrière une vaste forme surlignée de néons qui évoque un œil de dragon, se superposent des architectures asymétriques : maisonnette bancale, portes de donjons, cercueils-coffres-forts et fonds gris découpés à la Fritz Lang, le tout plongé dans une fumée quasi omniprésente et des nappes électroniques. Gros arsenal pour un texte dont l’argument est pourtant rudimentaire : un dragon à trois têtes règne d’une main de fer sur un royaume soumis, dont les sujets l’aiment autant qu’ils le haïssent, jusqu’à ce qu’un étranger, «héros professionnel» du nom de Lancelot, décide de le combattre, et ne déstabilise pour le meilleur toute la structure sociale de la contrée. La fable politique épuise vite sa substance, le temps – vingt minutes à tout casser – que les personnages révèlent leur fonction. Pas de chance, il reste deux heures et demie. Pédagogico-lourdingue Sur l’édifice fragile de la fable enfantine, la grammaire Jolly n’a jamais paru aussi régressive, avec ses maquillages Famille Addams et ses accents Disney. Appliqués à un récit aussi faible, la pantomime et le surrégime redoublent inutilement des propos ultra lisibles. Les ficelles sont énormes, le texte farci de clowneries détachables comme des sketchs – témoin ces longues minutes d’un numéro politique grotesque, discours et corps emberlificotés devant un micro à pied. Si on ajoute à cela les clins d’œil répétés à notre époque, qui appuient à gros trait sur le fameux parallèle entre les années 30 et notre temps (le fascisme-à-nos-portes, les fake news, la fin de la «bamboche»), on obtient un spectacle pédagogico-lourdingue bien peu offensif, voire d’un agaçant opportunisme. Ici pas de «nocivité du conte de fées», pas de terreur, pas de pitié non plus, mais des rigolades qui tombent souvent à plat, et une morale conciliatrice navrante. Ça défile comme à la kermesse de l’école, mais une kermesse avec des gros sous et du gros son. Car le gros spectacle, Thomas Jolly sait faire, et il démontre encore une fois malgré la faiblesse dramaturgique du texte, sa maîtrise de l’espace, des décors, et du jeu. Lumières et musique rythment le récit au cordeau dans des espaces compliqués, et les comédiens engagent toute la plasticité de leurs corps et de leurs voix, très convaincants dans le genre boulevard. Dans le système Jolly, c’est souvent l’artefact théâtral qui accroche, et sur la morne plaine de cette bien pauvre épopée, un objet parfois ravive l’attention : une tête de dragon monumentale et animée comme une marionnette, un cochon de lait servi à la noce dont la patte (la «papatte») bouge. Alors que Lancelot s’équipe pour le grand combat, on lit sur son étendard «vaincre et faire la fête». Malheureusement le spectacle ne fait ni du tout l’un ni vraiment l’autre. Le Dragon d’Evgueni Schwartz mise en scène de Thomas Jolly et la Piccola Familia à la Grande Halle de la Villette (75019), jusqu’au 17 avril. Au Théâtre du Nord de Lille du 27 au 30 avril.
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