 Your new post is loading...
 Your new post is loading...
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 11, 2022 11:40 AM
|
Par Philippe Mesmer (Naha, envoyé spécial ) dans Le Monde - 10 mai 2022 Le centre culturel public Nahart présente trois pièces sur le thème de la rétrocession par les Américains de l’archipel aux Japonais, en 1972. « Je ne suis pas japonais ? je ne suis pas américain ? » La question taraude les neuf personnages de 9nin mayoeru uchinanchu, (« Neuf Okinawaiens en plein doute »), jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, enseignants ou agriculteurs, réunis pour discuter de la rétrocession d’Okinawa (archipel comprenant plus de 150 îles dans la mer de Chine orientale) par les Américains au Japon, dont le 50e anniversaire doit être célébré dimanche 15 mai. L’auteur, Gakuji Awa, a choisi de jouer avec le temps. Les mêmes personnages débattent en 1972, à la veille de la rétrocession, et aujourd’hui, plusieurs décennies plus tard : « Un bon moyen de voir que peu de choses ont changé, que les espoirs ont été déçus. » Ce constat transparaît dans les trois pièces – dont celle de Gakuji Awa, jouée par la compagnie Otonadan – présentées début mai au Nahart, centre culturel public inauguré en octobre 2021 au cœur de Naha, la capitale d’Okinawa. Le festival invite à s’interroger sur « ce qu’est la véritable paix » et « ce qu’est Okinawa ». Autrefois royaume des Ryukyu, prospère grâce à ses échanges avec l’Asie du Sud-Est, la Chine et le Japon, le territoire est devenu Okinawa après son annexion par Tokyo en 1872. Après avoir subi un effacement de sa culture, le petit archipel a vécu au printemps 1945 la plus violentes des batailles de la guerre du Pacifique, puis une humiliante occupation américaine jusqu’en 1972. La rétrocession portait l’espoir du départ des Américains. Le premier gouverneur après ce retour au Japon, Shobyo Yara (1902-1997), rêvait de faire d’Okinawa « La Mecque de la paix ». Aujourd’hui, le département concentre pourtant 70 % des bases américaines au Japon alors qu’il ne représente que 0,6 % du territoire nippon, et se trouve en première ligne de la rivalité entre Américains et Chinois. Facteur de division Le théâtre s’est déjà emparé de la bataille d’Okinawa. La compagnie Higa-za explore ce drame avec des créations entièrement réalisées en uchinaaguchi, la langue locale. La rétrocession apparaît toutefois comme un sujet plus ambigu, non dénué d’une nostalgie qui transparaît dans 72 Raida, des retrouvailles de motards quinquagénaires, présenté par la compagnie O.Z.E au Nahart. Dans 9nin mayoeru uchinanchu, les personnages rappellent le temps de l’occupation américaine, marquée par l’obligation d’un passeport pour aller au Japon, les trafics de cigarettes ou la monnaie spéciale « B yen ». Le retour au Japon reste toutefois facteur de division dans la société okinawaienne. « Des gens qui le soutenaient le regrettent aujourd’hui », note Syouichi Toyama, metteur en scène de 9nin mayoeru uchinanchu. « Beaucoup d’espoirs ont été déçus, notamment pour la paix car l’identité d’Okinawa reste imprégnée de pacifisme, en contradiction totale avec l’idée des bases militaires américaines », ajoute Akihito Arai. L’auteur et metteur en scène, fondateur de la compagnie Beach Rock, présente au Nahart Okinawa Cinderella Blues, l’histoire d’une jeune femme, fille d’un tenancier d’un « A-sign bar », les bars autorisés par les Américains avant la rétrocession. Repérée par des recruteurs de Tokyo, elle devient une star dans tout le Japon, incarnant la pureté teintée d’exotisme de la femme d’Okinawa. Le conte de fées menace de tourner au drame quand des rumeurs circulent sur son véritable père, soldat américain ayant déserté pour ne pas aller au Vietnam. Outil de propagande Situant sa pièce dans l’univers du spectacle et de l’apparence, Akihito Arai veut rappeler l’utilisation des arts de scène comme outil de propagande par l’occupant américain à Okinawa. « Juste après la guerre, le quartier général a créé une quarantaine de petits théâtres pour sa propagande. Avec le temps, ces théâtres ont cédé ce rôle au cinéma puis à la télévision. Le message était : “Tout va bien, ne vous inquiétez pas.” » Un message toujours prégnant dans la communication du gouvernement japonais sur les 50 ans de la rétrocession. Hors d’Okinawa, la situation comme l’histoire du petit archipel restent mal connues. En tournée dans le département de Tottori (Ouest), Syouichi Toyama a pu le constater : « Les réactions étaient totalement différentes d’ici.» Si bien que les questions soulevées lors du festival au Nahart pourraient rester cantonnées à Okinawa. Un regret pour Gakuji Awa, lui-même favorable à une plus grande autonomie d’un territoire dont il déplore « la disparition progressive de la langue, de la culture comme des paysages traditionnels ». Philippe Mesmer (Naha, envoyé spécial ) Légende photo : « Okinawa Cinderella Blues », joué les 4 et 5 mai au théâtre Nahart (Naha, Okinawa). TOMOAKI KUDAKA
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 11, 2022 9:22 AM
|
Par Patrick Sourd dans Les Inrocks - 8 mai 2022 Le huis clos vertigineux d’un hôpital psychiatrique vu par Lars Norén confronté avec brio aux troubles de nos contemporain·es. Capter la réalité du monde à travers le prisme d’une communauté dysfonctionnelle touchée par la maladie mentale… Un défi que se lance Lars Norén (1944-2021) avec Kliniken et que relève Julie Duclos en réactualisant le texte pour le présenter en miroir du temps présent. Narrant les aventures d’un territoire où l’intime déraille, la pièce a été écrite en 1993. Constatant que nombre des allusions à ces années-là et à la culture suédoise nous sont étrangères, Julie Duclos précise : “Nous avons fait un travail d’adaptation, sans toucher aux dialogues ni à la structure du texte, pour que ces références nous parviennent dans toute leur actualité. La pièce doit, comme à sa création, garder sa dimension documentaire, en prise directe avec le réel.” Il serait vain d’aborder Kliniken comme un simple texte à monter. L’auteur ayant été diagnostiqué schizophrène, il s’appuie sur sa connaissance des établissements psychiatriques. Pour témoigner de cet univers borderline, Julie Duclos va à la rencontre des médecins et des infirmier·ières du centre hospitalier de Valenciennes en se proposant d’organiser un stage d’écriture avec les patient·es. “Cette imprégnation était nécessaire pour moi, et forte. S’immerger dans un hôpital, c’est se questionner sur l’endroit d’où l’on regarde (qui sera plus tard l’endroit où l’on placera le spectateur) : ne pas juger ni présumer de ce que sont les gens, mais essayer de comprendre leurs singularités, rencontrer leur humanité.” La puissance de l’expérience Cette démarche de vérité est sa ligne de conduite pour diriger les treize comédien·nes, tous·tes remarquables, qu’elle réunit sur le plateau. La pièce respecte les fameuses unités de lieu et de temps du théâtre classique. Mais on demeure sous le choc de sa modernité, avec des dialogues dont la justesse semble puisée au réel, comme retranscrits à partir des notes d’un journal de bord. Ici, autant de patient·es que de pathologies, “anorexie, schizophrénie et dépression se côtoient sans échelle de valeur ou de gravité”. Le décor cadre avec réalisme la salle commune d’une institution avec son salon pour les rencontres, son coin fumeur et des vues sur un patio extérieur. Confronté·e à des personnages qui ne cachent rien de leurs fêlures, on ne peut qu’être pris·e de vertige et se questionner sur cette prétendue normalité qui nous enferme et nous inhibe. Là réside la puissance de l’expérience proposée par Lars Norén, quand le coin du doute nous force à briser l’armure. La folie des protagonistes s’accorde avec tant de justesse au chaos de notre époque qu’on ne peut que s’interroger sur le déraisonnable de prétendre continuer à être normal·e en ces temps criminels où le monde marche sur la tête. Kliniken de Lars Norén, adaptation et mise en scène Julie Duclos, avec Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Émilie Incerti Formentini… Du 10 au 26 mai, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 10, 2022 3:52 AM
|
Par Anne Diatkine dans Libération - 10 mai 2022 L’autrice-actrice de «Je suis une fille sans histoire», qu’elle joue à Paris, évoque son passage du livre à la scène et les obstacles rencontrés sur son parcours. Elle est une fille pleine d’histoires et nous fait partager leurs genèses, leurs constructions, ses doutes d’écrivain. Grâce à cette pièce qu’elle a déjà jouée une trentaine de fois, Alice Zeniter s’expose comme actrice pour la première fois. Sur scène, elle nous parle de son plaisir de lectrice, questionne les affects que portent les récits et le chagrin étonnamment vif qu’on éprouve à la mort de certains personnages. Elle nous explique pourquoi les récits des chasseurs de mammouth ont écrasé ceux des cueilleuses d’airelles – car oui, de tout temps, on a prétendu que la cueillette était féminine. Une conférence féministe sur la littérature qui a pris les oripeaux d’un enthousiasmant one-woman-show ? Pas vraiment, bien que la réflexion de l’autrice de l’Art de perdre soit comme toute conférence authentique nourrie de références saillantes et avenantes. Tandis qu’on écoute Alice Zeniter nous répondre au téléphone, le vent souffle dans son jardin en Bretagne. On est à Paris, et il est possible qu’elle entende de son côté un jeu de ballon dehors rythmant nos questions. Notre conversation est-elle le début d’un récit ? C’est précisément son sujet. Sur scène, quel est le moment le plus difficile pour vous ? Je ne sais toujours pas quoi faire pendant les saluts. Je n’ai pas de feuille de route. Je me sens entre deux, démasquée, sortie de mon rôle mais pas encore retournée dans mon état habituel. Quand j’étais assistante à la mise en scène, on calait toujours un moment pour répéter les saluts. Etre seule change tout, on ne peut pas s’appuyer sur l’énergie, les regards, les sourires des autres comédiens. C’est une pièce qui s’adresse très ouvertement à un public qu’on suppose jeune. Change-t-elle en fonction des lieux et des spectateurs ? Je suis une fille sans histoire a été créée juste avant la fermeture des lieux pouvant accueillir du public. J’ai commencé les représentations devant des visages masqués, dont je devinais les expressions, et j’ai été bouleversée de découvrir enfin les réactions des spectateurs sur des visages entiers. Je ne m’attendais pas à ce choc. J’aime beaucoup lorsqu’il y a dans la salle des scolaires. Les ados ont une manière propre de s’emparer à toute vitesse de ce qu’on leur propose, y compris d’un sujet aussi âpre que la narratologie. Dans le hall, après le spectacle, j’entends parfois des petits groupes qui discutent pour savoir s’ils ont déjà lu ou vu une œuvre sans résolution. Ça m’est très agréable de surprendre ces conversations. On dit parfois qu’un texte (de théâtre) ne doit pas être pédagogique. Vous faites l’inverse et vous nous embarquez. N’avez-vous pas craint d’être trop didactique ? Je ne suis pas dans la même situation que si, écrivant un roman, j’avais décidé qu’un personnage devait véhiculer mes idées. La pièce est conçue comme un moment où je partage à la fois mon amour des histoires et mes doutes à l’égard des formes qui se répètent, en produisant des hiérarchies et des valeurs dont il me semble très difficile de se dégager. Des femmes de ma génération m’ont fait remarquer le désespoir infini qu’il y a à considérer que je suis marquée au plus profond de moi-même par des récits où l’homme est tout-puissant et la femme enfermée dans la sphère domestique. Il n’existe pas de groupe témoin qui ne serait pas déformé par le récit du chasseur de mammouths ! Je suis constituée à mon insu et de manière irrattrapable par ces histoires. Je ne serai jamais libérée de leurs effets. Des personnes plus jeunes peut-être peuvent l’être. Pourriez-vous transmettre Je suis une fille sans histoire à une comédienne ? Quand on m’en a fait la proposition, j’ai été très surprise. Pourtant, cette femme que j’interprète est aussi une fiction. C’est une version améliorée de moi-même qui réussit constamment à s’exprimer. Est-ce qu’il faudrait que je réécrive les parties autobiographiques en fonction de la comédienne qui choisirait de le jouer ? Est-ce que j’accepterais de le faire ? Je ne suis pas tout à fait au clair… Philippe Caubère a continué à jouer Philippe Caubère sans transmettre son personnage… La pièce qui me paraît la plus proche de ce que je propose est Un faible degré d’originalité d’Antoine Defoort. Elle présente énormément d’informations tout en maniant des affects puissants. Elle traite des droits d’auteur dont on peut supposer qu’ils sont une notion froide et abstraite. Mais la question le brûle et lui importe au point qu’il lui est impossible de ne pas en parler. Je comprends tout à fait cet état ! Avez-vous grandi dans une famille féministe ? Pas ouvertement. J’ai été élevée par des parents qui pensaient que les femmes étaient absolument les égales des hommes et que tous ceux qui empêcheraient les filles d’avoir les mêmes chances que les garçons devaient être combattus. Mais je n’ai pas été outillée pour faire face aux obstacles que les jeunes filles peuvent rencontrer, ne serait-ce que par des discussions où ils auraient été nommés. Ou encore en me donnant accès aux textes qui les désignent. Ancienne élève à l’Ecole normale supérieure, romancière… votre parcours semble sans accroc. Avez-vous rencontré ces obstacles ? Je suis à la fois femme et fille d’immigrés. Ce que j’ai éprouvé assez banalement, c’est la peur panique d’être en situation d’imposture. J’ai ou j’avais une difficulté immense à prendre la parole dans un groupe de manière construite et forte. Tout, dans la manière dont j’avais été socialisée, me disait que je n’en avais pas le droit. Lors de mes premiers entretiens, j’étais par exemple incapable de refuser une question à côté de la plaque. Je mettais un temps fou à bricoler une réponse aimable, positive, alors que tout en moi hurlait. J’avais l’impression que j’avais déjà bien de la chance d’être publiée, de travailler comme dramaturge. Qu’il ne fallait pas, qu’en plus, je sois contrariante. Je suis une fille sans histoire de et avec Alice Zeniter, au Théâtre du Rond-Point du 11 au 29 mai.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 9, 2022 5:58 PM
|
Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog - 9 mai 2022 Festival Les Contemporaines à Lyon Ces rencontres d’écritures contemporaines francophones réunissent, dans le sillage du festival EN ACTE(S), les Journées des Auteurs de Théâtre de Lyon (J.L.A.T.), et les Lundis en Coulisses, consacrées à la découverte des autrices et auteurs. «Une aventure collective, entre des auteurs et des artistes avec qui nous souhaitons partager un temps de travail, et d’expérimentation au plateau du temps d’échanges », dit le jeune acteur et metteur en scène Maxime Mansion qui porte en EN ACTE(S) à bout de bras depuis 2014 (voir Le Théâtre du Blog); en Actes a pour but de faire jouer (et non simplement lire) des textes contemporains et organise des rencontres entre auteurs et metteurs en scène qui ne se connaissent pas. Chaque création répond à des contraintes précises : pas plus d’une heure, cinq comédiens maximum et sujet en écho à l’actualité. Un vrai travail de plateau, sans régie son ni lumière. Les compagnies sélectionnées ont douze jours de répétitions pour deux représentations. EN ACTE(S) a aussi édité les œuvres sélectionnées mais ce travail était très chronophage. C’est là qu’intervient l’idée lumineuse du rapprochement avec les J.L.A.T.. Créé en 1989, le comité de lecture de ces Journées choisit chaque année cinq textes qui seront lus en public et édités. » En 2018, le T.N.P. À Villeurbanne accueillait déjà EN ACTE(S) dans ses murs et ouvre cette année sa librairie aux éditeurs venus nombreux exposer leurs publications. Dans cette ambiance littéraire et théâtrale, un programme avec deux semaines de découvertes qui met notamment à l’honneur des autrices venues de loin. Un Ventre bleu de Haïla Hessou, mise en scène de Laurent Cogez Des tréteaux installés dans la salle Jean-Bouise font un radeau idéal pour cette histoire en forme de conte. Une narratrice nous emmène dans le ventre d’une baleine où le capitaine Achab, Pinocchio et Jonas se disputent l’attention d’une petite fille. Elle n’a que faire des mensonges du pantin, des colères du marin et des lamentations du prophète naufragé. Les injonctions contradictoires de ces personnages de légende la déboussolent. Quand ils se bagarrent sans fin, elle demande à la narratrice de la sortir de là, et, malgré les dangers du dehors, elle veut venir au monde. David Antoniotti, Xavier Besson et Victor Calcine n’auront pas le dessus : la petite (Lou Martin-Fernet) a une volonté acharnée.. Naître ou ne pas naître ? Une question en forme de métaphore de la maternité et un clin d’œil ironique à De l’inconvénient d’être né du pessimiste Emil Cioran. Haïla Hessou, issue de la première promotion d’auteurs dramatiques de l’Ecole du Nord à Lille, a déjà à son actif deux pièces éditées chez Lansman mais c’est sa première à être mise en scène. Souhaitons lui que cette troupe éphémère poursuive son projet. Aimer en stéréo de Gaëlle Bien-Aimé, mise en scène de Marion Levêque A Haïti, nous dit l’autrice, les radios locales sont essentielles à la communication et dans les villages les plus reculés, parviennent des nouvelles des uns et des autres. Souvent mauvaises dans ce pays en proie à des gangs meurtriers… Clermesine a dû quitter en urgence son île pour laquelle elle s’est battue. Sa radio, constamment allumée, lui rappelle les voix des siens et fait surgir en elle les mots pour dire sa nostalgie et sa colère. Azani V. Ebengou et Florianne Vilpont se partagent ce monologue d’exil et entrent de plain-pied dans une parole poétique et abrupte, nécessaire à l’autrice pour se reconstruire ailleurs. Comédienne et performeuse, Gaëlle Bien-Aimé écrit un théâtre puissant, très oral, à proférer. Maintenant ou jamais de Cédric Mabudu, mise en scène d’Eric Delphin Kwégoué Cet auteur béninois nous entraîne dans un monde magique et mystérieux où les morts reviennent défendre les vivants. Nous sommes dans le Terme Sud, un quartier confisqué par l’Etat: la forêt va être détruite et les habitants chassés de chez eux vivent sous couvre-feu. Reste un ultime recours: appeler à la rescousse un soldat tombé à la guerre. Sa veuve, pour lui rafraîchir la mémoire, le projette dans un lointain passé. Cette fable poétique et amusante révèle un auteur qui raconte avec l’humour du désespoir un combat de dernière chance contre un pouvoir prédateur. Dans un manifeste pour les écritures dramatiques d’aujourd’hui, professé par Les Contemporaines et le festival Regard Croisés* de Grenoble, est indiqué à l’article 6: « Nous déclarons savoir qu’il y a des langues inédites, sauvages, rétives, obscures, faussement plates et quotidiennes, trouées, baroques, imaginaires composées. » Un bon résumé de cette journée dense où le public, jeune et nombreux, a pu apprécier la diversité de ces écritures. Mireille Davidovici Spectacles vus le 6 mai au Théâtre National Populaire, 8 place Lazare Goujon, Villeurbanne (Rhône) . T. : 04 78 03 30 00. Les Contemporaines, du 2 au 14 mai : enactes.org/lescontemporaines/auteursdetheatre.org *Festival Regards Croisés du 18 au 23 mai www.troisiemebureau.com
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 9, 2022 8:11 AM
|
Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 6 mai 2022 Kliniken, texte de Lars Norén, traduction de Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli, Arnaud Roig-Mora ( Crises, éditions de L’Arche), mise en scène de Julie Duclos.
Folie ou épreuve sommaire de l’altérité, la pièce Kliniken (1993) de Lars Norén dessine les frontières incertaines, floues et troublantes, entre la dite normalité et la déraison existentielle, selon une écriture contemporaine mobile et agile à travers l’exploration sociologique du monde présent. Dramaturge majeur des dernières décennies du XX è et des deux premières du XXI è siècle, l’auteur suédois donne vie à « celles et ceux qui marchent de travers dans le monde, personnages à la marge, clandestins, abîmés, déréglés, fracassés, pulsionnels…, excessifs, vulnérables, fragiles, souvent drôles et terriblement vivants », dit Julie Duclos, metteuse en scène de Kliniken. Lars Norén pénètre patiemment dans un établissement psychiatrique où les relations entre tous échappent aux conventions sociales, certains victimes d’abus sexuels plus ou moins déclarés, oubliés et resurgis, d’autres anorexiques, ou encore schizophrènes, ou plus largement dépressifs. La vie et la destinée de ces personnages a emprunté des chemins de traverse, de marginalité et d’exclusion à travers des comportements inattendus, insolites ou inadaptés à la société normative. Pour cet espace-temps clos qui correspond à la respiration théâtrale d’une session de jeu, la metteuse en scène Julie Duclos, artiste associée au TNB – Théâtre National de Bretagne -, déploie et déplie le texte à la manière d’une fresque contemporaine, entre empathie et mise à distance. Lumière crue sur les conséquences de la civilisation moderne sur les plus fragiles ou sensibles. Cette population confinée nous ressemble beaucoup, estime la conceptrice, et l’œuvre de Norén tisse un lien entre travail documentaire et dimension poétique, « traçant un portrait remarquable des marginalités, des peurs qui courent les hôpitaux, des individus livrés à eux-mêmes hors de toute structure familiale. » L’auteur suédois, disparu en 2021, a lui-même fait l’expérience, à vingt ans, de l’hôpital psychiatrique pour schizophrénie, ayant affronté les électrochocs et l’isolement. Pour Julie Duclos encore, le spectacle ne surfe pas sur les vagues mortifères de la maladie, il est la proposition d’instants de vie partagés entre des êtres qui ne communiquent que très peu entre eux : nous, citoyens des villes ou des zones périphériques ou rurales, ensemble et seuls à la fois. Après une immersion dans les services de l’l’hôpital de Valenciennes, auprès des patients, des médecins, des infirmières, la jeune femme apprend que les psychotiques recèlent une forme de joie indéniable, une énergie du désir et du vivant propice à une exaltation scénique et théâtrale. Ainsi, les personnages sur le plateau ne sont autres que les spectateurs – à des degrés divers d’intensité, mêmes comportements, émotions, actes et paroles -, ils les renvoient à leur propre normalité mise sur la sellette et ré-interrogée – un miroir de notre monde, une mise en abyme. La scénographie de Matthieu Sampeur et Alexandre De Dardel, les lumières de Dominique Bruguière, le son de Samuel Chabert, la vidéo de Quentin Vigier et jusqu’aux costumes de Lucie Ben Bâta Durand, tous s’associent pour dessiner un milieu « naturel » de proximité identifiable. Un espace public anonyme, avec une table, quelques chaises sommaires, un canapé confortable, et des portes battantes qu’on ouvre et qui claquent. Avec une large fenêtre donnant sur un arbre en feuilles, abandonné aux climats saisonniers – soleil, pluie fine ou forte averse et sombre orage. La lumière est plus ou moins intense selon les états d’âme de chacun, et le beau temps revient. Sur les murs du lointain, en hauteur, sont filmés les personnages hors scène qui s’abandonnent à leur affaire et non à l’insouciance, à leurs anxiétés plutôt et peut-être à leurs rêves d’espoir. Ces figures insaisissables, furtives et équivoques restent pleinement elles-mêmes dans leur différence. Certains ne s’assoient que très rarement, debout le plus souvent, à ne rien faire, statiques ou bien pris de tremblements à peine perceptibles : ils sont comme des repères obligés dans l’espace, tel Markus qu’incarne Maxime Thebault, installé loin au fond de lui-même et peu enclin à l’ouverture. D’autres sont paradoxalement plus expressifs, aux antipodes de la passivité de Markus, tel Roger – le comédien Etienne Toqué -, silhouette nerveuse constamment exacerbée aux propos agressifs et insultants envers la gent féminine. Sa mère – Stéphanie Marc – est un monument de patience. « J’ai quel droit de vivre dans un monde de morts ? », questionne Mohammed, un peu suicidaire, interprété par Mithkal Alzghair, venu de Syrie et qui a perdu tous les siens dans la guerre. Julie Duclos a réactualisé à nos jours les conflits éloquents immédiatement contemporains. Martin – David Gouhier -, protégé socialement, veut se re-construire, avant de songer à mourir. Anders incarné par Yohan Lopez cultive toute l’étrangeté d’une déclamation heurtée et hachée. Les infirmiers Tomas et Harry – Cyril Metzger et Emilien Tessier -, l’un jeune, très physique et vif, et l’autre, plus âgé et fort de son expérience, délivrent sur la scène une présence de sauvegarde. Quant aux femmes, elles brandissent aussi haut que les hommes leur lot de souffrance incomprise. Alexandra Gentil joue Sofia, la jeune et jolie anorexique qui s’évertue à ne plus vouloir vivre. Erika – Manon Kneusé – dispose d’une gouaille et d’une éloquence hors norme, sollicitant l’attention de l’autre et s’exprimant volontiers sur ce qu’elle aime, sur ce qu’elle éprouve, dans le temps présent qui l’occupe. Leïla Muse est une figure juvénile énigmatique et mystérieuse qui se livre parfois. Alix Riemer, pour Anne-Marie, formule davantage ses souhaits, désirs et espérances, traversant solitairement l’espace d’une porte latérale à l’autre, concentrée sur ses attentes intimes. Quant à Emilie Incerti Formentini, assise sur sa chaise le plus souvent, elle est Maud, « la chatte socialo » , comme l’appelle volontiers Roger, usant d’une éloquence réduite à quelques images grossières. Maud fume ses cigarettes, la tête renversée et le corps en bascule, elle est celle qui est ailleurs, libre et perdue dans ses pensées, portant un regard bienveillant sur les autres, jouant aussi de l’ironie et du sarcasme, figure comique et populaire d’humanité souriante qui fait du bien. Le voyage de Kliniken,pour le public, est une aventure douce-amère qui l’interpelle, le bouscule et le grandit, à l’écoute des peines de ceux qu’on regarde vivre sans vouloir les connaître. Une séance de vie et de reconnaissance de ceux qu’on ne voit pas dans un monde de plus en plus dur et violent. Véronique Hotte Du 10 au 26 mai 2022, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h à L’Odéon – Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon 75006 – Paris.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 8, 2022 6:28 PM
|
Par Patrick Sourd dans Les Inrocks - 6 mai 2022 En écho au film “Affreux, sales et méchants” d’Ettore Scola, la troupe du Teatro di Napoli nous offre un “Tartuffe” rutilant sous la direction experte du directeur du TNP de Villeurbanne. Pour sa première mise en scène d’une pièce de Molière, Jean Bellorini fait le choix d’un pas de côté en montant Le Tartuffe en italien avec la troupe du Teatro di Napoli-Teatro Nazionale. La création de Il Tartufo était prévue à Naples en 2021. Retardé d’une année pour cause de pandémie, le spectacle trouve aujourd’hui naturellement sa place dans le cadre des hommages rendus pour les 400 ans de la naissance de l’auteur. Sans aller jusqu’à reproduire la structure des alexandrins, la traduction confiée au dramaturge Carlo Repetti s’est accordée au désir de Jean Bellorini de travailler sur la musicalité d’un texte en rimes. “Pour se rapprocher d’un parler plus naturel, les acteurs cherchaient à casser la rime, confie le metteur en scène. Je les ai invités à faire le chemin inverse pour qu’ils assument la poésie de la langue en partant de l’hypothèse que mettre en avant la forme permet d’avantage d’en faire ressentir le fond.” Molière plus vivant que jamais L’action s’inscrit dans une vaste cuisine décrépite où la patine des murs et le crasseux des carrelages témoigne d’une maison ayant fait son deuil des fastes du passé. Clin d’œil à la cruauté des comédies du cinéma italien des années 1970, Jean Bellorini plonge les scènes de groupe dans un tragi-comique qu’il dédicace au film Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola (1976). A contrario, il use de l’avant-scène comme d’un confessionnal pour y réserver avec vérité et pudeur les échanges relevant de l’intime. Moulé dans un legging de skaï noir et semblant sortir d’un after, un Christ (Luca Iervolino), perché sur sa croix, porte un regard mi-amusé mi-dégoûté sur les intrigues qui agitent la maison d’Orgon avant de jouer les redresseurs de torts. Manière d’affirmer la singularité des caractères, les costumes de Macha Makeïeff illustrent une humanité proche de la marge dans la diversité bigarrée d’un style vide-greniers en rupture avec les codes du bon goût. Betti Pedrazzi est impériale en Madame Pernelle, la matriarche. Incarnant un Tartuffe jouisseur et bon vivant, Federico Vanni réinvente le rôle en Don Camillo roué portant une soutane plissée. L’occasion pour lui de se livrer à un drolatique pas de deux avec Elmire (Teresa Saponangelo) lors de la fameuse scène de la table, tandis que son mari Orgon (Gigio Alberti) ronge son frein caché sous la nappe. Baignée de chansons puisées au répertoire de la variété italienne, Il Tartufo assume son hybridité culturelle avec majesté pour habiller Molière d’une très vivante modernité. Il Tartufo de Molière, traduction Carlo Repetti, mise en scène, scénographie et lumière Jean Bellorini. En italien surtitré en français avec Federico Vanni, Teresa Saponangelo, Betti Pedrazzi… Du 11 au 15 mai, Théâtre national Populaire, Villeurbanne. Du 20 au 29 mai, Nanterre-Amandiers-CDN.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 8, 2022 9:36 AM
|
Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 8 mai 2022 Je ne serais pas arrivé là si… » « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. Cette semaine, l’homme du théâtre de l’absurde raconte ses débuts dans le théâtre et cette fantaisie héritée de sa mère. Auteur, metteur en scène, réalisateur, acteur, Jean-Michel Ribes, 75 ans, quittera, à la fin de l’année, le Théâtre du Rond-Point, qu’il dirige depuis 2001. Fondant son projet sur « l’audace joyeuse » et « le rire de résistance », l’ancien compagnon de route de Roland Topor (1938-1997) a transformé ce lieu en temple parisien des auteurs vivants. A travers ses pièces (comme Théâtre sans animaux) ou ses séries télévisées (Merci Bernard, Palace), il a sans cesse cultivé l’humour absurde. Je ne serais pas arrivé là si… … Si je n’avais pas eu le soutien de ma mère. Je viens d’un milieu aisé, bourgeois, mais perturbé. Mon père nous a quittés quand j’avais 6 ans. J’étais très attaché à lui. Cet éloignement fut sentimentalement très douloureux. J’ai soutenu ma mère dans son chagrin, et, par la suite, c’est elle qui m’a soutenu. Je n’étais pas très équipé pour la réalité, je m’inventais des histoires, attiré plutôt par l’univers artistique. De loin, mon père s’y est opposé avec force et violence. Heureusement ma mère était là. Elle a surmonté ses malheurs avec un grand sens de l’humour et beaucoup de courage. Décoratrice d’intérieur, elle avait une liberté, une cocasserie. Ma fantaisie vient directement de la branche maternelle. Si je m’étais retrouvé coincé chez mon père, j’en aurais crevé. Ma mère a été mon oxygène. Comment votre père s’est-il opposé « de loin » à vos aspirations ? Une des amies de ma mère avait un fils en école de cinéma qui cherchait un petit garçon brun pour son film de fin d’études. J’ai participé au tournage. Ensuite, il m’a engagé pour jouer dans une pièce de théâtre Plouf, le petit fantôme. Quand mon père l’a appris, la situation est devenue folle. Pour lui, c’était comme si ma mère m’entraînait dans des turpitudes. Il lui a fait un procès, c’est allé très loin. J’avais 12 ans, je me suis réfugié chez mon meilleur ami d’école. Un jour, des gendarmes sont venus me chercher. Le tribunal avait tranché : je n’irais ni chez mon père ni chez ma mère, mais en pension. Entre-temps, votre mère avait refait sa vie avec un artiste, le peintre Jean Cortot… Cet homme a eu l’intelligence rare de ne pas remplacer mon père. Il m’a beaucoup influencé. J’ai eu la chance, enfant, d’assister à des dîners à la maison avec Raymond Queneau, Joan Miro, Milan Kundera… J’étais trop jeune pour savoir qui étaient ces gens, mais je voyais qu’ils s’amusaient beaucoup. Je me disais que si, devenir adulte, c’était être comme ces gens-là, alors il y avait un possible. Cela me rassurait. J’ai eu le même sentiment, vers 10 ans, lorsque ma mère m’a emmené pour la première fois au théâtre découvrir Cyrano de Bergerac, avec Pierre Dux. Cette vie inventée me semblait la vraie vie. Quand vous dites « Je n’étais pas très équipé pour la réalité », qu’est-ce que cela signifie ? J’avais du mal à m’adapter aux règles, aux raisonnements. Je n’étais ni fort en sport, ni un élève brillant, je ne communiquais pas bien. Il fallait que je trouve des gens qui aient le même langage que moi, le même rapport au monde. Quels souvenirs gardez-vous de vos quatre années en pension ? Un souvenir douloureux. Cette pension, le Montcel, à Jouy-en-Josas, dans les Yvelines, était dure, avec une discipline et un fonctionnement quasi militaires. Patrick Modiano, qui y était pensionnaire au même moment, en parle très bien dans son livre Un pedigree (Gallimard, 2006) : « A l’école du Montcel, les parents déposaient leurs enfants comme on dépose une valise à la consigne d’une gare oubliée. » Le seul côté positif est d’y avoir rencontré mon meilleur ami – qui l’est toujours – Gérard Garouste. Alors que j’avais été envoyé là-bas pour « cause criminelle » – avoir fait du théâtre –, avec mes copains de pension, nous avons monté deux pièces de théâtre. Jetez-moi par la fenêtre, je rentre par la porte ! Vous avez rompu toute relation avec votre père ? Il s’était remarié avec une femme riche, vivait dans une grande bourgeoisie conventionnelle. On ne se voyait plus. Je lui écrivais tout le temps mais il ne me répondait pas. J’ai appris plus tard qu’il n’avait jamais ouvert mes lettres. J’ai compris qu’il n’avait pas voulu les affronter. Son expression favorite était « Rideau ! », une manière de couper ce qui fait mal. J’ai mis longtemps à guérir de cet abandon. Ma mère m’a légué ses angoisses et mon père son hypersensibilité. On s’est un peu revus quand il a commencé à voir mon nom dans le journal. Aujourd’hui, par moments, quand je suis devant la glace, je revois mon père, c’est très curieux. C’est au Théâtre de Plaisance, à Paris, que vous constituez votre première « famille » de théâtre. « On avait le même langage », dites-vous. Comment le définir ? Après mon bac, mon père voulait que je fasse Sciences Po. J’ai refusé et je suis parti en fac de lettres et d’espagnol, surtout pour échapper à l’armée. J’ai alors commencé à créer des petites choses au Théâtre de Plaisance, sans penser au futur. Il accueillait les gens hors du circuit, qui n’étaient ni dans le théâtre de boulevard, ni dans une culture « culturisante », rigide. Quand j’ai commencé ce métier, si on n’était pas brechtien, on n’existait pas. L’excentricité était comme interdite. On s’est retrouvés, avec Jérôme Savary, Copi, Guénolé Azerthiope, Jean-Pierre Bisson, Philippe Khorsand… On jouait devant très peu de gens. On était dans la déconne, la fantaisie, la provoc. Gérard Garouste faisait des décors, on volait des tissus au Bon Marché, des bouts de bois sur les chantiers. Ma grand-mère maternelle confectionnait des costumes. J’aimais être chef de troupe. J’avais la sensation qu’il fallait absolument faire, se battre pour que les choses existent. Mais cette énergie n’a rien d’héroïque ou de courageux, c’était une fuite en avant. Mon moteur, c’était l’angoisse, la peur du monde, de ne pas trouver une place. « On a tout de suite beaucoup ri, avec Roland Topor. Il fuyait le bon goût, il était fulgurant. On se nourrissait l’un de l’autre » Et puis, un jour de 1971, je vois du monde attendre devant le théâtre. J’avais écrit Il faut que le sycomore coule, ma première pièce. Les critiques théâtraux Bertrand Poirot-Delpech, Philippe Tesson, Matthieu Galey avaient écrit des papiers délirants. A ce moment-là, tout a basculé. C’est comme si j’étais un footballeur amateur qui se retrouvait d’un coup en Ligue 1. Qu’a entraîné ce début de reconnaissance ? Le metteur en scène Jean Deschamps avait organisé un concours pour le Festival de Carcassonne. Les auteurs étaient appelés à écrire sur le thème de la Méditerranée. Dans un accès de mégalomanie inconscient, j’avais choisi de réécrire L’Odyssée d’une manière un peu folle, cela s’appelait L’odyssée pour une tasse de thé. « Pour qui vous prenez-vous ? », m’écrit Jean Deschamps. Sa réponse m’a attristé mais pas déstabilisé, car je m’étais beaucoup amusé à écrire cette pièce. Et puis, un jour, je passe devant le Théâtre de la Ville. Je me dis : tiens, c’est là que je devrais aller. Je monte à l’étage de la direction et donne mon texte à la secrétaire de Jean Mercure. Là encore, elle me répond : « Non mais pour qui vous prenez-vous ? Il faut prendre rendez-vous ! » Trois semaines après, Jean Mercure souhaite me voir. C’est comme si j’avais appris que le pape souhaitait me rencontrer ! Par culot, je l’ai invité à dîner chez moi. Un mois plus tard, il a accepté de prendre mon Odyssée. J’avais 26 ans. Cette pièce a été une merveilleuse aventure, avec une dizaine d’années de succès. Dans les années 1970, vous faites aussi une rencontre capitale, celle de Roland Topor... On s’est rencontrés lors d’un dîner chez Fernando Arrabal, dont j’avais monté une pièce, Le Lai de Barabbas. On a tout de suite beaucoup ri, avec Roland Topor. Il fuyait le bon goût, il était fulgurant. On se nourrissait l’un de l’autre. Je lui ai proposé de travailler sur Merci Bernard, on passait des après-midi à être morts de rire. « Merci Bernard », « Palace », ces deux séries télévisées que vous avez réalisées dans les années 1980, sont devenues cultes. Comment êtes-vous venu à la télévision ? Grâce aux conseils de Claude Berri, j’avais réalisé un premier film à sketchs, Rien ne va plus. Puis, des gens de télévision m’ont suggéré de proposer un projet. On a écrit un pilote qui s’appelait « Humour libre ». Je voulais faire un vrai magazine où tout était faux. Merci Bernard était quand même très dadaïste. Serge Moati, alors directeur de FR3, nous a dit O.K. On a tourné sans un rond, notamment avec Claude Piéplu, Jacques Villeret, Philippe Khorsand. La première émission racontait la journée d’un exhibitionniste ! Paniquée, la chaîne voulait tout arrêter, mais c’était trop tard, on avait cassé la vitre, les téléspectateurs étaient arrivés en masse. On avait une liberté totale, qu’on ne pourrait plus avoir aujourd’hui. On a fait, par exemple, les Jeux olympiques du Vatican avec un 4 × 100 mètres en eau bénite, où des nonnes se déloquaient et étaient d’une beauté incroyable. Celle qui gagnait se mettait à marcher sur l’eau. Hurlements de monseigneur Lustiger, convocation au Sénat. Agnès Varda, notamment, nous avait beaucoup défendus. Mais, au bout de trois ans, on a fini par être virés. « Surprendre, ouvrir une brèche pour ceux qui ne sont pas formatés pour une civilisation rigide, cela m’a toujours animé » Trois ans plus tard, le producteur Christian Fechner souhaitait lancer une émission comique, mais avec de vrais moyens. Ainsi est née l’idée de Palace, un endroit qui faisait rêver les gens et où on pouvait faire entrer le monde. J’écrivais avec Topor, Gébé, François Rollin… Et, quelques mois plus tard, Fechner nous dit : « O.K., on va le faire. » Il a racheté les studios de Boulogne. On y a construit le décor. Mais, quinze jours avant, toutes les chaînes nous abandonnent. En dernier recours, on a approché Canal+, ça a amusé Pierre Lescure et on a pu commencer. En 2000, vous avez été le premier président de l’association Ecrivains associés du théâtre (EAT), ce fut une porte d’entrée pour le Théâtre du Rond-Point ? Au départ, EAT était une manière de résister, de sortir de l’hégémonie de Lucien Attoun, qui, avec le Théâtre ouvert, avait pris en otage tous les jeunes auteurs et disait ce qui était bien ou pas. A la suite d’une réunion chez lui, on est partis, et on a créé EAT, à une époque où l’immense majorité des théâtres publics ne jouaient que des auteurs disparus. C’était un mouvement de contestation. Des auteurs inconnus ou connus, comme Jean-Claude Carrière, Jean-Claude Grumberg, Pascal Rambert, se sont réunis. Et puis, un jour, passant devant le Rond-Point en déshérence, j’ai eu comme une illumination : mais voilà, c’est là l’endroit pour les auteurs vivants ! Je suggère cette idée lors une assemblée générale de l’EAT. Il fallait qu’on se porte candidats, mais personne ne voulait se lancer. Jean-Claude Carrière me dit : « Tu es président, vas-y. De toute façon, t’inquiète pas, on ne l’aura pas. » On a déposé un dossier en relayant les demandes de l’EAT. Qu’est-ce qui a joué en votre faveur ? Je crois que ce qui a marché, surtout auprès du maire de Paris, Bertrand Delanoë, c’est que le projet sortait du ronron habituel. Il s’est dit : « Soit ce type est fou, soit il ne l’est pas tout à fait, et ça vaut la peine. » Un matin, à 8 heures, j’ai eu un coup de téléphone de Catherine Tasca, ministre de la culture. Je n’y croyais pas. J’ai demandé si on pouvait avoir une direction collective, ils m’ont dit non, une seule personne. J’y suis allé en promettant à l’EAT : « Je ferai ce qu’on a dit. » Qu’un auteur dirige un théâtre réservé aux auteurs vivants fut un tremblement de terre. On m’a accusé de tous les maux. Comme j’avais fait Merci Bernard et Palace, j’étais comme Zavatta qui rêvait de Notre-Dame ! Le public n’était pas un tas de veaux qui va voir uniquement une vedette dans le privé ou un énième Brecht au théâtre public : il avait soif d’audace. On a ouvert trois salles, une librairie, refait un restaurant et développé une dimension forum avec des débats d’idées et de société. On s’est engagés, en faveur du mariage pour tous, ou lorsque Christiane Taubira avait été comparée à un singe. Et quand on a programmé Golgotha picnic, de l’Argentin Rodrigo Garcia, en 2011, le théâtre a été entouré pendant plusieurs jours de CRS et de hordes de catholiques intégristes qui chantaient « Pendez Ribes dans son théâtre de Satan ! » Quand vous vous retournez sur ces vingt années au Rond-Point, qu’est-ce qui revient ? La curiosité du public m’a beaucoup marqué. Je me souviens aussi de ma plus grande terreur, quand on m’a dit : « Vous êtes auteur et directeur de théâtre, il faut le montrer. » Je savais qu’on m’attendait au tournant avec des mitrailleuses. Heureusement, ma pièce Musée haut, musée bas a été un succès. Ce fut un grand ouf ! de soulagement, comme si je m’étais jeté d’une falaise et que j’avais eu un élastique me permettant de remonter. L’une des choses que je crois avoir réussies au Théâtre du Rond-Point, c’est la « déchapellisation », la capacité honnête de voir qu’il y a du talent, des gens inventifs partout. Surprendre, ouvrir une brèche pour ceux qui ne sont pas formatés pour une civilisation rigide, cela m’a toujours animé. Faire rire était pour certains un crachat sur l’art. Or, la fantaisie, c’est ce qui nous permet d’être libres, d’anéantir le sérieux qui nous étrangle. Souvent, les mauvaises herbes de la culture sont plus parfumées que les glaïeuls de l’institution. C’est un peu ce qui s’est passé au Rond-Point, avec des ratés, bien sûr. Vous vous êtes fait autant d’ennemis que d’amis… Cela va peut-être vous surprendre mais, quand ça marche, vos ennemis deviennent vos amis. Ce qu’on faisait au Théâtre de Plaisance, je l’ai poursuivi au Rond-Point. La même liberté d’être soi, sans se préoccuper de ce qui va se dire ou pas. Vous passez le flambeau en janvier 2023 à Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel. Est-ce difficile de quitter le Rond-Point ? C’était plus qu’une maison, pour moi. Mais je n’ai pas peur de partir. Stéphane et Laurence ont, eux aussi, sauvé un théâtre, le Monfort. On est dans la même énergie, ça me fait plaisir. Et puis, je quitte un lieu, mais je ne me quitte pas. J’espère encore écrire. J’ai les mêmes envies que quand j’avais 14 ans.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 4, 2022 1:28 PM
|
Information du Monde avec AP - 4 mai 2022 Guerre en Ukraine en direct : près de 600 personnes ont perdu la vie lors du bombardement du théâtre de Marioupol Une enquête de l’agence Associated Press (AP) conclut que le nombre de victimes de la frappe aérienne du 16 mars est au moins le double de ce qui avait été estimé dans un premier temps. Pour de nombreux survivants interrogés par AP, le chiffre est encore plus élevé. En effet, nous disposons d’une enquête vidéo de l’agence Associated Press (AP) qui a interrogé 23 survivants et secouristes. Pour son enquête, l’agence a utilisé deux ensembles de plans des étages du théâtre, des photos et des vidéos prises à l’intérieur avant, pendant et après le bombardement. AP considère que le bombardement du 16 mars est l’attaque le plus meurtrière depuis le début du conflit, tuant près de 600 personnes à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment. C’est le double du nombre de victimes évoqué jusqu’à présent. Pour de nombreux survivants interrogés par AP, le chiffre est encore plus élevé. Les témoins ont déclaré qu’au moins 100 personnes se trouvaient dans une cuisine de campagne à l’extérieur du bâtiment lors du bombardement et qu’aucune n’a survécu. Ils ont également déclaré que les pièces et les couloirs à l’intérieur du bâtiment étaient bondés. Les survivants estiment qu’environ 1 000 personnes se trouvaient à l’intérieur du bâtiment lors de la frappe aérienne, mais que 200 personnes, au maximum, en sont sorties. L’enquête d’AP réfute aussi les affirmations russes selon lesquelles le théâtre a été démoli par les forces ukrainiennes ou a servi de base à l’armée ukrainienne. Aucun des témoins n’a vu des soldats ukrainiens opérer à l’intérieur du bâtiment.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 3, 2022 7:10 PM
|
Par Guillaume Lasserre dans son blog - 3 mai 2022 Dans une mise en scène à l'épure redoutable, Jacques Vincey se saisit des tremblements suscités par la puissance du texte de Marie NDiaye qu’interprètent trois comédiennes remarquables. « Les serpents », conte contemporain, se meut en récit funèbre dans lequel l’indicible dépasse la peur et la cruauté pour se loger dans l’obscurité du mystère un jour de fête nationale. Impressionnant. Le plateau s’illumine soudain, laissant apparaitre deux femmes. Madame Diss, déjà écrasée par la chaleur même si elle n’en laisse rien paraitre, est venue emprunter de l’argent à son fils. C’est sa bru, répondant au prénom de France, qui la reçoit devant la maison, dans laquelle elle ne rentrera pas. Le fils est aussi père et il prépare ses deux enfants pour le feu d’artifice qui aura lieu ce soir, jour de 14 juillet. « Je me suis mariée trois ou quatre fois sans en tirer profit[1] » justifie la mère à sa belle-fille étonnée de la voir dans le besoin. Entre les deux femmes, le contraste est saisissant. Madame Diss a le port altier de la bourgeoisie, une grâce naturelle socialement fabriquée qui ne cède jamais à la sentimentalité, un masque arboré que tente désespérément de porter France. Mais l’habit ne fait pas le moine et apparait visiblement trop grand pour elle. Des traits mal dégrossis, des os épais, un phrasé qui trahit son milieu d’origine, malgré ses efforts France reste, aux yeux de sa belle-mère, vulgaire, quelconque, insignifiante. Au cynisme blasé de la mère répond la candeur obséquieuse de la fille. La hiérarchie s’établit clairement dans le tutoiement de la première à la seconde qui la vouvoie. La déférence va jusqu’à se loger dans un « Je vous aime » prononcé par France à l’attention de Madame Diss et la promesse de l’aide qu’elle attend. Si bien que lorsqu’elle reviendra plus tard signifier le refus de son mari de lui prêter de l’argent, la mère lui réclamera la totalité des allocations familiales qu’elle perçoit : « Les enfants ça coûte mais il vous rapporte aussi. Je m’arrangerai avec cette somme » lui déclare-t-elle sans sourciller. Elles parlent de l’autre, de celle qui vient pour le feu d’artifice, semble vouloir croire France, de Nancy, celle qui occupait la place de France avant elle. Noir. Le plateau s’éteint soudain. Dans la moiteur des champs de maïs Lorsque la scène s’éclaire à nouveau, Nancy les rejoint, traversant la salle de haut en bas, cette salle qui figure les champs de maïs s’étendant à perte de vue devant la maison et dans lesquels, quelquefois, les enfants se perdent presque à en mourir. « Les maïs font le siège de votre maison. Rien que ces grands maïs qui ne font pas d’ombre » s’esclaffe Madame Diss supportant de moins en moins la chaleur. France regagne l’intérieur de la maison. La rencontre avec Nancy l’a visiblement secouée. Malgré une animosité certaine, l’ex-belle-fille et Madame Diss ont plus en commun qu’il n’y parait et le tutoiement qu’elles emploient semble les placer sur un pied d’égalité. Nancy semble avoir vaincu ses démons. « Je me suis libérée de ma peur et jamais plus je n’aurai peur » affirme-t-elle d’une voix moins assurée que les mots qu’elle prononce. Elle est revenue ici pour se recueillir sur la tombe de son fils. Elle vient le chercher, lui qui fut son mari, pour qu’ensemble ils lui demandent pardon. Madame Diss va abuser de son chagrin en lui faisant littéralement payer les souvenirs qu’elle n’a pas. Elle n’était pas là, jamais là, lui reproche-t-elle. Pour faire payer cette absence de la mère, le père s’attaqua à l’enfant, le brutalisa, le roua de coup, alla jusqu’à l’enfermer dans une cage pleine de serpents derrière la maison. Une proximité qui sera fatale à l’enfant. À chaque question posée, Nancy aligne les billets, seule condition pour entendre le récit de l’horreur de la bouche d’un témoin direct, Madame Diss. Elles sont au pied de la façade de la maison maintenant, comme si celle-ci s’était approchée par elle-même, une façade composée de dizaines de haut-parleurs prêts à hurler tel un effrayant mur de plaintes. L’atmosphère inquiétante se transforme alors en effroi lorsque France, revenue pour les supplier de partir, évoque ses enfants, endimanchés, assis sur leur petite chaise dans la cuisine, ne bougeant plus du tout de peur de courroucer leur père qui semble guetter la moindre faille pour exploser. Sont-ils déjà morts ? Y-a-t-il réellement des enfants ici ? Les hurlements du père épouvantent alors. La terreur est d’autant plus forte que l’on ne saura rien de ce qui se passe exactement. Marie NDiaye explore la cruauté humaine en prenant soin de garder l’histoire dans l’ombre pour mieux laisser libre cours aux fantasmes des spectateurs. N’imagine-t-on pas toujours le pire d’une situation dont on ne sait rien ? « Je me suis vue dans ses yeux être vous » lance brusquement France à Nancy. La métamorphose s’opère alors. Les deux femmes se déshabillent puis se rhabillent avec les vêtements de l’autre. Nancy, devenue France, peut à nouveau entrer dans la maison de laquelle elle ne ressortira plus, tentant tout d’abord de localiser les enfants, appelant le garçon par le prénom de son fils défunt, essayant de se frayer un chemin dans l’obscurité de la demeure où l’on s’est appliqué à obstruer avec soin toutes les ouvertures. « Le regard quantique de Nancy, qui retourne le cycle des saisons et restaure le passé, sera finalement obturé par les ténèbres. Et toutes les fenêtres seront noires[2] ». Les baffles crachent des sons qui s’apparentent à des lamentations. Le moment est terrifiant, dantesque presque. A-t-elle eu le temps de les voir ? Était-il tapis dans la cuisine ? La façade reste impassiblement figée. Le contraste avec les sons qu’émet la maison rend l’émotion plus vertigineuse encore. La chaleur est à son comble. Les lumières s’éteignent. Noir. Dans la dernière scène qui s’apparente à un épilogue, France-Nancy revient sur les lieux du drame. Devant la façade de cette maison que jamais le public ne pénètrera, elle s’étonne de retrouver Madame Diss. Bien moins fringante qu’au début de la pièce, celle-ci lui explique qu’elle n’avait nulle part où aller après qu’elles s’étaient quittées. C’est naturellement qu’elle est revenue chez son fils qui désormais l’effraie de plus en plus. Elle répond à toutes ses demandes pour sauver sa peau. Elle n’aurait sans doute pas voulu choisir entre la maman et la putain, seuls rôles que les femmes sont autorisées à jouer dans un monde patriarcal. « Souviens-toi de moi » lance-t-elle à Nancy-France. « Je reviendrai » lui répond-elle. À trop vouloir privilégier les apparences, « l’auto-suffisance de Diss se transformera en solitude malade[3] ». Du fait divers au conte fantastique Pour Jacques Vincey, « le théâtre est un art collectif dans lequel, la collaboration est essentielle[4] ». Son envie de monter la pièce est avant tout liée à la langue, à l’écriture de Marie NDiaye qui l’interroge dans le sens où il ne sait pas comment l’appréhender, où il est obligé d’inventer une façon de se l’approprier. Dans cette fable contemporaine, tout se passe sur le seuil de la maison de celui qui est le fils, le mari, l’ex-mari, des trois femmes, uniques personnages de la pièce, un jour de fête nationale. Madame Diss est assurément la figure centrale de ce trio. Elle est présente dans toutes les scènes sauf une. Sa froideur s’accorde avec une neutralisation du langage qui traduit parfaitement un rapport de puissance et de contrôle du monde et de la parole. France, quant à elle, est un personnage en construction permanente. En faisant le récit de la rupture sociale avec sa famille, elle compose une autofiction aussi émancipatrice qu’impudique. Nancy évolue dans un monde pétri de signes. Entre elles s’immisce petit à petit le fantôme de Jacky, enfant martyr expiant auprès d’un père violent l’absence de sa mère. Le sacrifice obsède les trois femmes. Toutes ont peur de l’homme mais sont tenues par un lien de nécessité, qu’il s’agisse de la dépendance financière ou affective ou encore de la culpabilité. Si elles sont victimes, elles se font aussi complices à certains moments, tenant un rôle plus ambivalent qu’il n’y parait. Dans « les serpents » tout se passe hors-champ, dans le ventre de cette maison devenue organique, vivante, là où se tapit le père, à la fois ogre et vampire, monstre se régénérant en dévorant ses enfants. Marie NDiaye construit habilement sa pièce à la croisée de plusieurs genres, si bien que la plupart des situations semblent à la fois familières et étranges. Terreurs enfantines, pulsions archaïques : le récit se déploie à partir d’un imaginaire mythologique et biblique, comme le rappelle la métamorphose de Nancy en France qui renvoie ici à la transfiguration. La mise en scène minimaliste de Jacques Vincey, aussi épurée qu’efficace, exalte un peu plus l’intensité du texte de Marie NDiaye. Il ne cherche pas à dévoiler davantage qu’il n’est écrit, en accepte au contraire le mystère, renforçant ainsi la tension contenue dans le texte pour établir une atmosphère angoissante qui va crescendo jusqu’à la suffocation. Le travail sur le son est ici prépondérant, servant à évoquer ce qu’on ne voit pas. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’un des rares éléments de scénographie est un mur d’enceintes, façade métaphorique de la maison de l’ogre. Créer le désir d’en savoir plus chez le spectateur, tenter de restituer des sensations telle la chaleur via les projecteurs, tels sont les enjeux que s’est fixés le metteur en scène. Il ne s’agit pas de conter une histoire pour tous mais au contraire que chaque spectateur, avec ses propres références, construise son récit à lui. Il y a autant de réalités différentes qu’il y a de spectateurs. En brouillant les pistes à mesure qu’il avance, le texte ne se laisse jamais totalement saisir. Marie NDiaye compose il y a presque vingt ans cette pièce pour trois comédiennes qu’incarnent magnifiquement Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti – qui décidément entretient, rôle après rôle, un rapport tragique à l’enfance – et Tiphaine Raffier – qui malgré son succès actuel en tant que metteuse en scène, semble beaucoup s’amuser sur scène –, trois actrices au diapason les unes des autres, concrètes et en même temps faillibles. À la fois pièce animale, organique et pièce allégorique, « les serpents » creusent du côté de nos inconscients. Assurément, NDiaye a le goût des triades féminines et du mystère jusqu’à s’amuser de nos peurs primaires. Jacques Vincey a lui aussi une aptitude aux plateaux féminins. Après « Mme de Sade », « Les Bonnes » et « UND », il réunit un trio de comédiennes remarquable pour honorer toute la fureur de ces serpents. [1] La pièce Les serpents de Marie NDiaye est publiée aux Éditions de Minuit en 2004. [2] Pierre Lesquelen, « La puissance, venin surhumain des hommes », Note dramaturgique, Les serpents, dossier pédagogique, p. 7. [3] Pierre Lesquelen, op.cit. [4] Carnet de bord, entretien avec Jacques Vincey, 1er septembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=lUn9Pjoh4uk Consulté le 30 avril 2022. Légende photo : Les serpents de Marie NDiaye, mis en scène par Jacques Vincey © Christophe Raynaud De Lage LES SERPENTS - Texte : Marie NDiaye; Mise en scène : Jacques Vincey; Avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti et Tiphaine Raffier; Dramaturgie et assistanat : Pierre Lesquelen; Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy; Costumes : Olga Karpinsky; Lumière : Marie-Christine Soma; Assistanat lumière : Juliette Besançon; Son et musique : Alexandre Meyer; Assistanat lumière : Frédéric Minière; Perruques et maquillage : Cécile Kretschmar. Spectacle créé le 29 septembre 2020 au Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours. Vu au Théâtre des Quartiers d'Ivry le 20 avril 2022. Du 19 au 23 avril 2022, Théâtre des Quartiers d'Ivry Manufacture des Oeillets - 1, rue Pierre Gosnat 94 200 Ivry-sur-Seine Du 27 avril au 5 mai, Théâtre national de Strasbourg 1, avenue de la Marseillaise CS 40 184 67 005 Strasbourg Cedex
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 2, 2022 8:36 AM
|
Par Joëlle Gayot dans Télérama - 2 mai 2022 Il a longtemps mené une double vie de dramaturge et de chef d’entreprise. Son œuvre aérée, entrecroisant politique et intime, est celle d’un commentateur subtil de nos sociétés. Michel Vinaver est mort le 1er mai à l’âge de 95 ans. Michel Vinaver fuyait l’imprécision comme la peste. Son œuvre, nette et précise, lui ressemble. Sans doute parce qu’il y a mis beaucoup de lui-même, notamment son expérience fondatrice de chef d’entreprise chez Gillette. Le point final de cette vie singulière vient d’être inscrit au bas des pages de la littérature dramatique. L’écrivain de théâtre est mort le 1er mai à l’âge de 95 ans. Né le 13 janvier 1927 de parents originaires de Russie, Michel Vinaver part à l’adolescence étudier sur un campus américain. Parfaitement bilingue, il traduit à 20 ans The Waste Land, de T. S. Eliott. L’exercice lui plaît. Il le réitérera. Une lettre que lui envoie son père déclenche sa vocation : il veut écrire. Mais pour dire quoi ? Albert Camus à qui il fait part de ses doutes l’encourage. Grâce à son aide, il publie en 1947 chez Gallimard son premier roman, Lataume. Un autre suivra peu après, L’Objecteur. Mais le jeune homme se destine au théâtre. Faire le récit de l’intériorité ne l’intéresse pas, expliquer les tenants et les aboutissants d’une situation le laisse de marbre. En revanche, la parole directe, partagée par une multiplicité de personnages, lui permet d’avancer sans avoir à brandir d’étendard politique ou idéologique sur le terrain de la pensée. Il aime confronter les convictions hétérogènes dont il équipe ses héros. « Je ne suis pas un écrivain engagé », avait-il coutume d’affirmer, précisant dans le tome 2 de ses Écrits sur le théâtre (éd. de l’Arche) : « Ce dont je suis convaincu, c’est qu’il est vain d’appeler à l’existence d’un théâtre des idées. Il est vain d’encourager les écrivains dans ce sens. Il en va des idées comme de la beauté. Il ne faut pas s’y efforcer. Si ça vient, c’est par-dessus le marché. » Est-ce pour cette raison que son œuvre est si aérée et déliée, pour cela qu’elle est grave sans jamais être pesante ? Ses textes fuient le didactisme même s’ils ne font pas l’impasse sur les enjeux qui secouent la société. On y croise des chefs d’entreprise, des ouvriers, des femmes au foyer, des financiers, des syndicalistes, des dictateurs et des rebelles, des intellectuels et des prolétaires. Une communauté qui, par bien des aspects, ricoche avec la vie de l’artiste longtemps partagée en deux champs bien distincts. Identités parallèles Adepte des écarts, le dramaturge mène de 1953 à 1982 deux existences parallèles. Il a deux identités. Chaque jour, il se rend au bureau sous son patronyme paternel : Michel Grinberg. Il travaille chez Gillette. Gagne sa vie dans l’entreprise, ce qui lui permet d’écrire à son rythme et en liberté, sous le nom (maternel) de Michel Vinaver. En 1955, il assiste en Suisse aux répétitions d’Ubu Roi que dirige Gabriel Monnet. Le metteur en scène lui passe commande d’une pièce. Il y répond par Les Coréens, drame guerrier et première incursion dans le cénacle du spectacle vivant. Gabriel Monnet comprend, à la seconde, que se tient devant lui un auteur d’envergure. Roger Planchon puis Roger Blin montent sa pièce dans les deux ans qui suivent. Après quoi Michel Vinaver publie Les Huissiers et Iphigénie Hôtel qui patientera dix-huit ans dans ses tiroirs avant d’être prise en charge par Antoine Vitez en 1977 sur le plateau du Théâtre des Quartiers d’Ivry. Puis l’auteur abandonne (provisoirement) son stylo. La maison Gillette l’absorbe tout entier. En 1964, il devient P-DG de la boîte. Ne revient au théâtre qu’en 1969 avec une fable fleuve qui fera date. Par-dessus bord réunit soixante personnages gravitant dans quelque vingt-cinq lieux. Représentée intégralement, elle dure près de sept heures. Au centre, se dresse le héros Passemar. Il est le double de l’écrivain : « À bien des égards, le personnage bouffon de Passemar est un autoportrait. Le héros, jeune romancier, le cœur à gauche, est embauché (à la faveur d’un quiproquo) comme stagiaire dans une puissante multinationale américaine fabriquant des produits de grande consommation. Sa première pièce suit de près son entrée (son admission…) dans le système. Pièce où l’on peut lire un saut hors (un rejet…) du système. » Par-dessus bord poste Michel Vinaver à une place où il régnera en maître : celle d’un commentateur subtil du rapport social, d’un observateur pointu des impacts du libéralisme sur les individus. Lorsqu’il quitte définitivement la société Gillette en 1982, il est un dramaturge en vue. Le mettre en scène une fois c’est s’exposer au risque, joyeux, de le mettre en scène plusieurs fois. Roger Planchon, Jacques Lassalle, Alain Françon, Robert Cantarella, Christian Schiaretti, Arnaud Meunier, tous ont fait leur miel d’une œuvre qui se prêtait aux esthétiques les plus diverses. Vinaver lui-même ne s’est pas interdit un passage à l’acte et a signé la mise en scène en 2008 de son texte L’Ordinaire, dans la salle Richelieu de la Comédie-Française. On aurait tant aimé qu’il soit joué de son vivant dans la Cour d’honneur du Festival d’Avignon. Cela n’a pas eu lieu. Quel manquement ! Publiées aux éditions de l’Arche (en coédition avec Actes Sud-Papiers), ses pièces entrecroisent politique et intime, actualité et histoire, comédie et tragédie. Son théâtre est à l’os. Réfractaire à la dramatisation et à la spectacularisation, il tricote entre eux des éléments disparates, fragmentaires, discontinus, puisés dans la banalité et le stéréotype. « Mon écriture ressortit au domaine de l’assemblage, du collage, du montage, du tissage. » Il fait confiance au frottement des paroles pour que des surfaces lisses surgisse une rugosité porteuse de réflexion. Ajuste les mots les uns aux autres comme une partition musicale dont la dissonance suscite une étrange harmonie. Sait comme personne capter l’événement qui a lieu et le passer en temps réel au filtre de son écriture. 11 septembre 2001, s’écrit dans l’écho immédiat de la chute des tours jumelles à New York. Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, ambitieuse comédie grinçante, entre dans l’intimité de la famille Bettencourt, alors même que celle-ci fait la une des journaux. C’est avec cette farce burlesque (mise en scène en 2015 par Christian Schiaretti au TNP de Villeurbanne) que Michel Vinaver met un terme à sa carrière d’auteur. Et clôt une œuvre qui a su dire, sans arrogance mais avec acuité, ce qui se cache sous le réel. Une dernière traduction (celle d’Un mois à la campagne, de Tourgueniev) lui a permis de retrouver en 2018 sur la scène du théâtre sa fille Anouk Grinberg. Lorsqu’on demandait à l’actrice qui était son père pour elle, elle répondait : « C’est un mensch. » Ce qui en yiddish signifie : « Une bonne personne. » Joëlle Gayot / Télérama
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 2, 2022 7:26 AM
|
Par Emilie Grangeray dans Le Monde - 1er mai 2022 Dans une adaptation remarquable, Cédric Aussir, soutenu par une très belle distribution et l’Orchestre philharmonique de Radio France, donne à entendre toute la dureté et la beauté de ce conte polysémique.
« THÉÂTRE ET CIE » – DIMANCHE 1ER MAI – CONCERT FICTION Quand il ne passe pas ses nuits à relire Balzac ou Joris-Karl Huysmans, quand il n’est pas occupé à terminer une série pour France Culture (Probation ; 57, rue de Varenne) ou France Inter (La Veste ; L’Otage), quand il ne se promène pas, virtuellement, dans New York ou qu’il n’est pas parti courir pour se détendre, Cédric Aussir relit Les Aventures de Pinocchio. En version originale. Et originelle parce que, dans la version première, « le saviez-vous ?, nous coupe-t-il le souffle, Pinocchio meurt pendu ». Avouant notre ignorance, il nous raconte. Comment Carlo Lorenzini, plus connu sous son nom de plume, Carlo Collodi (1826-1890), imagine ce pantin pour Il Giornale per i Bambini, ravi, parce qu’il a besoin d’argent, qu’on lui réclame une suite. La suite, c’est la fameuse fée bleue qui décide d’accorder une seconde chance à l’enfant terrible. C’est d’ailleurs avec et par elle (incarnée par la comédienne Céline Milliat-Baumgartner, récemment vue dans son Marilyn, ma grand-mère et moi, mis en scène par Valérie Lesort) que Cédric Aussir a décidé de commencer son adaptation pour France Culture de ce classique de la littérature italienne. Des années qu’il en avait envie ; la pandémie aura juste un peu retardé son enregistrement (le 25 mars avec l’Orchestre philharmonique de Radio France). Conte particulièrement cruel Mais quand même, on a beau savoir que les histoires pour enfants sont souvent dures, pourquoi avoir eu envie de donner à entendre ce conte particulièrement cruel – trente-six chapitres tous plus terribles les uns des autres, narrant les aventures d’un pantin de bois confronté à la cupidité, à la méchanceté et à la mort ? « Pinocchio, c’est se mettre du côté de l’enfant, dit-il. C’est entendre toutes les injonctions auxquelles il est soumis. Sans en faire un rebelle, Pinocchio symbolise le refus viscéral de la contrainte : il n’agit que selon son bon plaisir. Quitte à décevoir – ou pire. Mais, même en ce cas, ce qui le sauve c’est son bon cœur. Il ne s’agissait pas pour moi de condamner ou de pardonner la désobéissance, mais de donner à entendre son point de vue. » Pour écrire, Cédric Aussir a consulté plusieurs traductions et éditions. Et a décidé de ne rien retirer de la cruauté première. Pour autant, et comme il le souligne, il ne faut pas oublier la part d’humour et de fantaisie. De bonté aussi – fondamentale dans cette œuvre, laquelle, outre la problématique enfant/parent/autorité, soulève nombre de questions sur l’(in)animé et l’identité. D’ailleurs, le texte de Collodi est suffisamment riche pour supporter les nombreuses lectures et adaptations qui peuvent en être faites. Mais à entendre celle qu’en donne Cédric Aussir, on ne peut qu’être admiratif tant elle est remarquable, tant elle soulève de questions et émeut aux larmes. Il faut dire aussi combien sa distribution est belle (Rufus en Gepetto, c’est littéralement un cadeau) et si juste la musique originale signée du compositeur Manuel Peskine pour l’Orchestre philharmonique de Radio France, dirigé par Julien Leroy. L’on ne peut dès lors que formuler un souhait : celui que ce type d’événement soit joué plus d’une fois en direct. Ainsi, grands et petits pourraient aussi admirer le travail de la bruiteuse Sophie Bizzantz, laquelle, avec ses doigts de fée, n’a pas fini de nous émerveiller. Pinocchio, un texte de Carlo Collodi adapté et réalisé par Cédric Aussir. Enregistré en direct au studio 104 le 25 mars, ce concert-fiction est à retrouver sur le site de France Culture et l’application de Radio France. Ecouter sur le site de France Culture Emilie Grangeray
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
April 29, 2022 5:05 PM
|
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant) pour Le Monde - 29 avril 2022 Le tribunal correctionnel d’Anvers a prononcé une peine de dix-huit mois de prison avec sursis contre l’artiste flamand. Ses excuses, tardives, formulées par écrit, invoquant sa liberté créatrice n’auront pas suffi : le chorégraphe et plasticien flamand Jan Fabre a été condamné à une peine de prison de dix-huit mois avec un sursis de cinq ans par le tribunal correctionnel d’Anvers, vendredi 29 avril. L’artiste de 63 ans était absent, comme lors des deux premières audiences du procès que lui ont intenté onze anciennes danseuses de sa compagnie, Troubleyn. Le tribunal a estimé que la moitié des accusations étaient insuffisamment prouvées, ou prescrites, mais il a retenu un cas d’agression sexuelle et cinq autres de violences et humiliations, des faits qui se sont déroulés entre 2012 et 2015. « C’est une reconnaissance et une étape importantes, pas seulement pour les femmes courageuses qui ont témoigné, mais pour d’autres victimes qui se demandaient si de tels comportements étaient punissables, a commenté Me An-Sofie Raes, l’une des avocates des jeunes femmes. Le juge a estimé que M. Fabre avait créé, durant des années, un environnement de travail nuisible, hostile et insultant. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En procès pour harcèlement sexuel, le chorégraphe Jan Fabre se défend par lettre interposée Si le ministère public avait réclamé une peine de détention de trois ans ferme, l’avocate du créateur avait, elle, demandé la relaxe de son client. Me Eline Tritsmans s’est toutefois dite satisfaite d’un jugement qui, d’après elle, ramène l’affaire à de « justes proportions ». Parlant de l’agression sexuelle retenue par le tribunal comme d’un baiser appuyé – et « consenti » – et des violences imputées au chorégraphe comme d’une simple atteinte au « bien-être de travailleurs » – au sens d’une loi belge adoptée en 1996 –, l’avocate a opposé les témoignages des plaignantes à ceux de 169 autres membres de Troubleyn. Ils ont contesté que le directeur de la troupe se soit comporté de manière tyrannique ou ait créé une atmosphère délétère. Quant à la formule « No sex, no solo », utilisée depuis 2018 pour résumer l’affaire, elle ne serait qu’un « cancan », selon Me Tritsmans : son client n’aurait jamais exercé aucun chantage de ce type sur ses danseuses. Privation des droits civiques Le procès, et les détails qu’il a fournis à propos de moqueries, d’insultes ou de séances de photos très intimes, a, en tout cas, fait chuter de son piédestal un créateur mondialement célèbre, apprécié jusqu’au palais de Buxelles, où il s’était vu confier par la reine Paola la décoration d’une salle. Le fait que la condamnation prononcée vendredi soit assortie d’une privation, durant cinq années, des droits civiques de l’intéressé pourrait peser lourdement sur l’avenir de la compagnie, dont plusieurs productions ont déjà été annulées ou reportées. En mars, une commission d’avis du ministère régional de la culture a émis un avis négatif sur le renouvellement de la subvention (923 000 euros) qui devait être octroyée à Troubleyn pour la période 2023-2027. Une décision provisoire, mais qui, si elle était confirmée, mettrait en péril la compagnie. L’ancien ministre de la culture avait déjà exigé qu’elle se dote d’un nouveau comité de direction et d’une charte éthique, ce qui lui avait permis de continuer à percevoir de l’argent public. Selon Me Tritsmans, interrogée vendredi, la condamnation de Jan Fabre pourrait n’avoir « absolument » aucune conséquence sur le travail de l’artiste. « Il espère pouvoir le poursuivre, et rien n’indique que cela ne puisse être le cas », a déclaré l’avocate. Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant) Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma" Légende photo : Jan Fabre, le 29 mars 2016, à Athènes. LOUISA GOULIAMAKI/AFP
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
April 28, 2022 5:11 PM
|
Par Philippe Lançon dans Libération - 28 avril 2022 Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux proposent au Vieux-Colombier une variation punk du texte de Molière. Sauvage et bienvenu. «Oh, oh, je n’y prenais pas garde, /Tandis que sans songer à mal, je vous regarde. /Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur, /au voleur, au voleur, au voleur, au voleur» : pour voir de quoi le théâtre est capable lorsqu’il s’agit de tirer le maximum d’une situation ou d’une tirade, de la presser comme un kilo de citrons pour en exprimer tout le jus possible, ici le jus comique, on peut suivre, au Théâtre du Vieux-Colombier, cette variation punk, cette pochade expérimentale sur les Précieuses ridicules. Ce que parvient à faire Jérémy Lopez de ce madrigal de Mascarille, faux marquis et vrai larbin qui trompe et enchante les deux cousines ingénument snobs venues de province, vaut à lui seul, pour cinq minutes, le déplacement. Le texte qui suit, où il décortique avec elles sa chansonnette, est certes génial, un modèle de narratologie loufoque où Molière concentre Barthes, Genette et Fernand Raynaud, mais on ne l’a jamais entendu comme ça, un truc de garage band. Or, si le théâtre a un intérêt, c’est bien celui-là : faire exploser en les renouvelant des instants qui, aussi brefs et légers soient-ils, et quelle que soit la valeur de l’ensemble du spectacle, deviennent ce qu’on n’oubliera pas : des sensations. Micro en main avec changeur de voix, le comédien répète et répète chaque mot, chaque syllabe, en les chantant, les dégurgitant, les vomissant, les détournant, les frissonnant, comme une starlette en transe et à domicile sur YouTube ou TikTok, mais au second degré. «Tapinois» finit sous le tapis du sens et de la farce, le mot se noie dans sa lettre profonde et remonte vers le kitsch jusqu’à une surface qu’il n’avait pas quittée. Il remonte par les aigus, les cris, les larmes de Miss ou de crooner, accompagné par les fantômes de Mike Brant et d’Adamo en version cheap, tout cela avec un sens du geste, du ton, de la mimique, de la distanciation absolue, sauvage et sans mépris. Hommage électrique On peut trouver longs ce numéro et ce spectacle court, 1h15, mais le comique de surrépétition et la laideur soulignée du décor, des habits, des personnages, sont inhérents au parti pris des metteurs en scène Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux. Lesquels, pour ce qu’on en sait, ne font que rendre un hommage électrique à la manière dont Molière, en 1659, à 37 ans, s’inspirant de la comédie italienne, créa la pièce en l’étirant par de multiples jeux de scènes qui exaspérèrent plusieurs de ses concurrents de plume. Le texte qui le premier fit sa gloire n’a beau faire qu’un acte, il est ici à la fois raccourci et augmenté d’improvisations et de textes pris ailleurs : la chanson populaire qu’Alceste cite comme modèle de langue simple et pure aux mauvais poètes, des précieux justement, dans le Misanthrope ; un passage tiré de la Prétieuse ou le mystère des ruelles de l’abbé de Pure. Boileau dégomma ce contemporain dans l’une de ses satires («Si je veux d’un galant dépeindre la figure, /Ma plume pour rimer trouve l’abbé de Pure»). Le texte jeté ici à la face des hommes par Séphora Pondi et Claire de la Rüe du Can, interprètes tout en contraste des aliénées insoumises, l’une en volcan réveillé et l’autre en lys mal arrosé, est ouvertement féministe : «En vain aurai-je quelque sentiment pour un objet, les lois, l’alliance et même la bienséance du monde s’opposeront à mes désirs et m’assujettiront à prendre d’une main incertaine un objet inconnu, et comme je ne puis aimer ce qu’on me donne, je ne puis choisir aussi ce que j’aime.» A la fin, au milieu du mur molletonné turquoise, des tas de livres inutiles, du panier de basket en faux diamants, des meubles hideux et renversés, de la bouteille de Baygon posée sur la cheminée sous un misérable tableau abstrait, l’une des précieuses désenchantées, dégoûtée, prend la guitare cassée et la colle dans le cadre, comme un ready-made. L’art après l’art comme l’amour après l’amour, quand on n’y croit plus. Les Précieuses Ridicules, de Molière au Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 8 mai. Légende photo : Claire de la Rüe du Can, Séphora Pondi, Jérémy Lopez et Noam Morgensztern au Théâtre du Vieux-Colombier. (Raphael Gaillarde/Gamma-Rapho)
|
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 11, 2022 9:30 AM
|
Par Brigitte Salino dans Le Monde - 9 mai 2022 Au Théâtre Edouard-VII, le chanteur et comédien Amir Haddad joue « Sélectionné » avec une conviction chaleureuse. Il avait un sourire éclatant, de larges épaules. C’était un nageur, un grand champion, qui riait comme Henri Salvador et marchait comme Charlie Chaplin. Il s’appelait Alfred Nakache, et il a donné son nom à plusieurs piscines en France. Né à Constantine, en Algérie, en 1915, il est mort sur l’autre rive de la Méditerranée, à Cerbère, dans les Pyrénées-Orientales, en 1983. Il y a trois ans, il est entré au panthéon de sa discipline, l’International Swimming Hall of Fame de Fort Lauderdale, en Floride, aux Etats-Unis, où il a rejoint des célébrités telles que Johnny Weissmuller. En ce moment, il est au Théâtre Edouard-VII, à Paris, dans Sélectionné, une pièce qui retrace sa vie, hors du commun. A Constantine, la ville des ponts suspendus, il y a des gorges et des rivières, où le jeune Alfred Nakache, deuxième des onze enfants d’une famille juive, s’est découvert à 10 ans une passion pour la natation qui ne l’a plus lâché, et qui allait le sauver. En 1933, il rejoint le Racing Club de France, à Paris. En 1936, il est sélectionné pour les Jeux olympiques de Berlin. Cette année-là, il se marie avec Paule, son amour de jeunesse, sportive comme lui – tous les deux sont professeurs de gymnastique. Il enchaîne les médailles (cinq lors des championnats de France en 1938), bat le record du monde du 200 mètres brasse, en 1941. Un an plus tard, il est banni des bassins, en raison des lois anti-juives. Records Le 20 décembre 1943, Alfred Nakache, sa femme Paule et leur toute petite fille Annie sont arrêtés sur dénonciation à Toulouse, où ils vivent. Un convoi les mène à Auschwitz. Dès leur arrivée, ils sont séparés par un « Rechts » (« à droite ») pour sa femme et sa fille, et un « Links » (« à gauche »), pour lui, en qui un officier a reconnu le grand champion. Affecté à l’infirmerie, Alfred Nakache aide les détenus comme il peut, et, dès qu’il parvient à échapper à la surveillance des SS et des kapos, nage dans l’eau du bassin à incendie. Il a 30 ans quand, en avril 1945, il revient à Toulouse, affreusement amaigri et seul. Il découvre, ému, une piscine que la municipalité, le croyant disparu, a baptisée de son nom. Il attend le retour de sa femme et de sa fille, dont il apprend en 1946 qu’elles ont été gazées peu après leur arrivée à Auschwitz. Peu à peu, Alfred Nakache retrouve les bassins. Il renoue avec les records et avec la vie, rencontre une Sétoise, Marie, qu’il épouse. Après les Jeux olympiques de Londres en 1948, il arrête la compétition et redevient professeur d’éducation physique. Pendant les « trente glorieuses », il entraîne des générations de nageurs. Quand il prend sa retraite, à Cerbère, il nage tous les jours un kilomètre. Sur les photos, on le voit le plus souvent avec son grand sourire. Lire aussi Article réservé à nos abonnés Alfred Nakache, une vie à contre-courant Au Théâtre Edouard-VII, Amir Haddad a lui aussi un sourire éclatant. Le chanteur, auteur, compositeur (représentant de la France à l’Eurovision en 2016) et comédien franco-israélien de 37 ans porte beau. Pieds nus, vêtu de clair, il est seul en scène, et parle à la première personne, avec une conviction chaleureuse. Ainsi le veut le texte de Marc Elya, qui retrace la vie d’Alfred Nakache d’une manière honnête et didactique. Il se garde de jouer sur le pathos, et insiste sur ce que certains aujourd’hui appelleraient la résilience. « On n’oublie rien, mais on avance (…) on répare. » A la fin, le public, conquis, se lève comme un seul homme. Sélectionné, l’incroyable destin du nageur d’Auschwitz Alfred Nakache, de Marc Elya. Avec Amir Haddad. Théâtre Edouard-VII, 10, place Edouard-VII, Paris 9e, Jusqu’au 1er juin. De 29 € à 59 €. Durée : 1 h 15. Brigitte Salino
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 10, 2022 4:09 AM
|
Par Eric Demey dans Sceneweb - le 12 février 2022 Le Collectif L’avantage du doute croise écologie et féminisme dans un spectacle ultra drôle et en plein dans son époque. Toges, couches, Parques et ours blanc s’y mélangent dans un délire en tous points maîtrisé où résonnent les batailles du siècle et du moment. photo Jean-Louis Fernandez Le Collectif L’avantage du doute croise écologie et féminisme dans un spectacle ultra drôle et en plein dans son époque. Toges, couches, Parques et ours blanc s’y mélangent dans un délire en tous points maîtrisé où résonnent les batailles du siècle et du moment. Voilà un spectacle qui fait du bien à la fois aux angoissé.e.s du climat et aux énervé.e.s des structures patriarcales. Voilà un spectacle qui fait rire, qui soulage, qui se moque, qui porte une parole engagée et véhicule autant d’auto dérision. Voilà un spectacle d’écritures de plateaux avec des tirades à tomber, des punchlines mémorables et des numéros d’actrices et d’acteurs remarquables. Le Collectif L’avantage du doute, qu’on avait connu plus sage et décousu, vient de créer un spectacle toujours surprenant et drôle, que structurent percent des sujets qu’on pourrait qualifier de bobos mais qui sont pourtant bien des préoccupations générationnelles. Conformément à sa philosophie de base – des acteur.trices et pas de metteur.se en scène, des interprètes qui écrivent des textes retravaillés au plateau – le collectif présente un spectacle composé de saynètes très diverses. Mais quelque chose semble avoir mûri dans leur travail depuis au moins La légende de Bornéo. L’arrivée de Maxence Tual, ancien des Chiens de Navarre, grand ours barbu aux airs héberlués et au pouvoir comique exceptionnel n’y est pas pour rien. Le retour de Claire Dumas qui entame le spectacle avec un numéro d’impro en Bernard, beauf en slip kangourou évadé du Ministère de la Culture, qui accueille les spectateurs et chauffe la salle avec brio, non plus. Avec eux et largement à la hauteur, Nadir Legrand, « avec ses airs d’André Dussollier » comme dirait Bernard, qui compose notamment un angoissé du climat aussi touchant que drôle ; Mélanie Bestel, femme à tout faire, celle qui panique comme celle qui raconte avec un air de bourgeoise impassible le temps que ça lui prend de s’épiler le sif (si vous ne savez pas, on vous laisse chercher ce que c’est); et Judith Davis, la nullipare militante mesurée qui excelle en cachette à bien bander son arc. Côté structure, le spectacle raconte en filigrane comment les hommes de la compagnie d’un côté voulaient traiter du sujet du climat et les femmes de celui de leur place dans la société. Puisque le collectif fonctionne comme un espace démocratique et consensuel, Encore plus, partout, tout le temps traite des deux, qui finalement sont loin d’être déconnectés, comme l’a compris depuis longtemps l’écoféminisme. Pour autant garçons et filles n’étaient pas raccords. Et le spectacle entrelace des tranches de vie transformées en tranches de rire avec des inventions encore plus décollées du réel, des Parques qui tranchent leurs fils en période de pandémie, un coq à l’âne aux allures poético-schizophréniques, un fils qui tue son père ou encore un ours blanc qui, pour finir, dans un grand silence, traverse la banquise. Le décor est 100 % recyclé annoncent-iels pour commencer, et les toges récupérées d’un autre spectacle. Cela ne semble pas facile de s’inscrire dans une démarche écolo quand on veut faire du théâtre. Sur le fond, le collectif y parvient pourtant parfaitement bien. Assumant sa parole prosélyte d’autant mieux qu’il n’hésite pas à en rire, sans pour autant y renoncer. Parfait mélange entre humour efficace et plus risqué, entre blagues potaches, satires, clashs et ruptures de ton soudaines, paroles adressées et fictions au plateau, entre personnages fictionnels et réels, entre tirades dynamiques et dialogues bien balancés, Encore plus, partout, tout le temps s’est aussi enrichi de quelques recettes des Chiens de Navarre – on pense par exemple à la dimension visuelle, costumes et scéno kitsh-oniriques et drôles – et aussi d’un peu de références théâtrales à la Perez et Boussiron. Mais la théâtralité dense et riche et pleinement maîtrisée qu’y affiche l’Avantage du doute ne tient en rien de la contrefaçon, approfondit au contraire le style du collectif et fait en plus de ce spectacle un incontournable de la saison. Eric Demey – www.sceneweb.fr Encore plus, partout, tout le temps L’AVANTAGE DU DOUTE Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas, Nadir Legrand, Maxence Tual SCENOGRAPHIE ET VIDEO – Kristelle Paré LUMIERES – Mathilde Chamoux SON – Isabelle Fuchs COSTUMES – Marta Rossi ACCOMPAGNEMENT DU TRAVAIL VOCAL – Jean-Baptiste Veyret-Logerias REGIE GENERALE – Jérôme Perez-Lopez PRESSE – Irène Gordon-Brassart PRODUCTION- ADMINISTRATION – DIFFUSION – Marie Ben Bachir PRODUCTION L’Avantage du Doute COPRODUCTION Théâtre de Nîmes, Théâtre de Rungis, Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine, Théâtre de la Bastille – Paris, le lieu unique – centre de culture contemporaine de Nantes, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège. Durée 1h45 24 mars 2022 – Théâtre de Privas 31 mars 2022 – La Mégisserie – Saint-Junien Du 9 au 27 mai 2022 – Théâtre de la Bastille – Paris 12 FÉVRIER 2022/PAR ERIC DEMEY
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 9, 2022 6:35 PM
|
Par Cristina Marino dans Le Monde - 9 mai 2022 Dans « L’Huître qui fume et autres prodiges », le mentaliste et prestidigitateur a invité deux comédiens-manipulateurs pour un voyage aux frontières du réel et de l’imaginaire.
De quoi parlent un magicien et des marionnettistes quand ils se rencontrent sur scène ? De croyance, d’illusion… et de fils. Ceux, visibles, qui relient parfois la marionnette à son manipulateur, mais aussi ceux, invisibles, que l’on imagine dissimulés derrière certains tours de magie. Le mentaliste et prestidigitateur Thierry Collet, qui copilote depuis 2017, avec l’équipe du parc de La Villette, à Paris, le festival Magic Wip, a convié deux comédiens-marionnettistes, Brice Berthoud et Chloé Cassagnes, pour créer ensemble un spectacle au titre insolite, L’Huître qui fume et autres prodiges. Thierry Collet, qui a commencé la magie dès l’âge de 7 ans et a multiplié les créations avec sa compagnie Le Phalène depuis le milieu des années 1990, se transforme pour l’occasion en maître de cérémonie ou en meneur de revue pour orchestrer un cabaret virtuose. S’y mêlent des échanges entre les trois artistes sur les thèmes de la croyance et de l’illusion, des numéros extraits des répertoires respectifs de chacun, un accompagnement musical joué en direct par un batteur-percussionniste et un multi-instrumentiste-créateur sonore. L’ambiance du spectacle est dominée par la bonne humeur et la complicité évidente entre Thierry Collet et ses deux associés. Mais, derrière l’humour et le second degré, se profile une réflexion plus profonde sur les manipulations que l’on peut exercer sur une personne pour l’amener à croire certaines choses. Des marionnettes de différentes tailles en papier, marque de fabrique de la compagnie Les Anges au plafond, codirigée par Brice Berthoud et Camille Trouvé, font des apparitions de temps à autre, au fil de la représentation. Surgissent aussi, de derrière l’immense rideau rouge qui trône au centre du plateau, animaux en tout genre, automates et marionnettes : l’huître qui fume, bien sûr, mais également le célèbre hibou fascinateur de Jean-Eugène Robert-Houdin (1805-1871), considéré comme le père de la magie moderne ; un ver de terre géant ; un petit lapin blanc, et même des vers de terre bien vivants, très habiles dans le maniement des cartes à jouer. Deux numéros indépendants Plusieurs tours de prestidigitation et de mentalisme réalisés par Thierry Collet viennent rythmer la représentation. Brice Berthoud et Chloé Cassagnes proposent aussi deux numéros indépendants issus de leur univers respectif. Je Tue Nous, petite forme dérivée du spectacle R.A.G.E, de la compagnie Les Anges au plafond, met en scène un homme et son double, entre duo et duel. Combinant astucieusement magie, musique et marionnettes autour d’un surprenant jeu de miroirs, ce court spectacle amène à s’interroger sur la frontière entre rêve et réalité, aux limites de la folie. Avec Morceaux de la femme coupée en deux, Chloé Cassagnes s’inspire de l’un des grands classiques de la magie (la femme placée dans une boîte, puis découpée en morceaux) pour plonger le public dans un monde irréel peuplé de morceaux de corps, de cheveux… et même d’une adorable marionnette de lapin blanc. Ce dernier jaillit non pas d’un chapeau mais du trou béant apparu entre les deux morceaux de la boîte, clin d’œil malicieux à la panoplie du parfait magicien. Présentation en vidéo par Thierry Collet L’Huître qui fume et autres prodiges, de et avec Thierry Collet, Brice Berthoud et Chloé Cassagnes. Accompagnement musical : Arnaud Biscay (en alternance avec Kevin Lucchetti) et Dylan Foldrin. Avec Jonas Coutancier ou Antonin Dufeutrelle pour le numéro Je Tue Nous. Les 10 et 11 mai au Théâtre-Sénart, à Lieusaint (Seine-et-Marne). Les 20 et 21 mai au Théâtre 71, à Malakoff (Hauts-de-Seine). Cristina Marino Légende photo : Le mentaliste et prestidigitateur Thierry Collet, dans « L’Huître qui fume et autres prodiges ». CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 9, 2022 9:50 AM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde - 8 mai 2022 Avec le duo de metteurs en scène, les œuvres les plus classiques font le grand huit : « Le Bourgeois gentilhomme » free-style à la Comédie-Française, l’enchanteur « Voyage de Gulliver » en tournée et la prometteuse « Périchole », à l’Opéra-Comique.
Malgré l’heure matinale, un lundi qui plus est, « Mme Ressort et M. Herck », comme ils se surnomment eux-mêmes, ont l’esprit joueur. Dans les couloirs vénérables de la Comédie-Française, on dirait deux gosses lâchés dans un parc d’attractions. « Par quel manège commencer ? », semblent-ils se demander, au milieu des figures tutélaires du théâtre français, figées dans leur éternité minérale. Avec Valérie Lesort et Christian Hecq, les œuvres les plus classiques font le grand huit, et ça plaît. Ils forment aujourd’hui le duo de metteurs en scène que tout le monde s’arrache, au théâtre comme à l’opéra. Leur Bourgeois gentilhomme free-style triomphe à la Comédie-Française, leur Voyage de Gulliver enchante partout où il passe, c’est-à-dire un peu partout en France, ils ont été couverts de prix pour leurs premiers essais à l’Opéra-Comique, et La Périchole (mise en scène en solo par Valérie Lesort), qui s’annonce dans la même institution, est promise au même succès fracassant. La recette ? Le D-U-O – qui est aussi un couple à la ville. C’est peu de dire que ces deux-là se sont trouvés. Même si leur rencontre semblait aussi improbable que celle d’un parapluie et d’une machine à coudre (oui, mais qui jouerait le parapluie et qui la machine à coudre, dans l’affaire ?). « Quoique… Quand on rembobine les fils de l’histoire, finalement… », s’amusent-ils, sagement assis côte à côte dans la loge de Christian Hecq. Affinités électives A ma gauche, donc, Christian Hecq, 57 ans, 525e sociétaire de la Maison de Molière, et metteur en scène. A ma droite, Valérie Lesort, 46 ans, plasticienne, comédienne et metteuse en scène. L’un vient de Belgique, l’autre du sud de la France, mais ils ont un premier point commun : celui d’avoir été élevés par des mères passionnées de théâtre et de danse, qui les ont emmenés au spectacle dès leur plus jeune âge. Des affinités électives, ils s’en trouveront plein d’autres, quand ils se croiseront à Paris, au début des années 2000, puis quand ils se retrouveront en 2010, pour ne plus se quitter : le goût du monstre, du Grand-Guignol, du mauvais goût ou supposé tel, du surréalisme et celui du burlesque. Christian dans l’enfance regardait les Chaplin et les Laurel et Hardy avec son grand-père, Valérie était la petite-fille d’une comédienne, Alix Mahieux (1923-2019), qui avait joué avec Bourvil et de Funès, mais aussi avec Luis Buñuel. Au début des années 2010, Christian Hecq est devenu l’un des comédiens stars de la troupe du Français, avec son jeu hyper physique, clownesque et acrobatique, qui l’a fait triompher dans le rôle de Bouzin, dans Un fil à la patte, de Feydeau, mis en scène par Jérôme Deschamps. Valérie Lesort, elle, galère un peu : après avoir travaillé aux « Guignols de l’info », sur Canal+, et pour de gros ateliers d’effets spéciaux, où elle s’est spécialisée dans la sculpture de monstres, elle a eu envie de revenir au théâtre, en tant que comédienne. « Ce qui m’intéressait dans le jeu, évidemment, c’était la transformation, le monstre, la caricature…, assure-t-elle. Mais quand vous êtes une jeune femme, dans le théâtre français, on ne vous met pas dans cette case-là. Cela ne m’amusait pas du tout de faire ma belle, ma jeune première. Enfant, j’avais fait un peu de théâtre avec ma mère, et ce n’était déjà pas pour jouer les princesses. Comme Christian, j’ai toujours eu une attirance pour le clown. » Marionnette hybride Tous deux, « Herck » comme « Ressort », sont aussi passés – mais pas en même temps – par les mains expertes d’un très grand artiste : Philippe Genty, rénovateur de l’art de la marionnette en France, signataire de spectacles oniriques et magiques. Toutes les planètes étaient alignées pour qu’il se passe quelque chose, mais il faudra une commande de Canal+ pour servir de détonateur, quand Christian Hecq est sollicité par la chaîne pour une série de petites pastilles sur des thèmes d’actualité. Il en a évidemment parlé à Valérie et, ensemble, ils ont inventé l’inénarrable M. Herck, début de toute leur aventure artistique : une marionnette hybride, avec un corps tout grêle, un peu mou et pas très ragoûtant, et la tête de Christian Hecq. Une sorte de petit gros dégueulasse en slip kangourou, qui fut leur « premier bébé ». Les Lesort-Hecq en rient encore. « On se demande vraiment comment on a pu inventer un truc pareil ! Mais, avec cette première expérience [« Monsieur Herck Tévé », en 2012], on s’est rendu compte que ce qu’on proposait comme technique de marionnette hybride avait beaucoup plus de sens au théâtre, expliquent-ils en chœur. A la télévision, le spectateur a toujours l’idée qu’on peut bidouiller avec l’image. Sur scène, la magie opère beaucoup plus, du fait que la créature est présente “en vrai”. » Lire aussi : « 20 000 lieues sous les mers » ou la poésie au bout du fil Les planètes se sont définitivement alignées quand Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française depuis 2014, a suggéré à l’ensemble de la troupe d’exprimer ses désirs et ses talents. Christian Hecq a parlé de marionnettes, Eric Ruf a applaudi des deux mains, et Valérie Lesort, qui à l’époque sculptait des calamars géants pour une ONG de protection des fonds marins, a proposé d’adapter Vingt mille lieues sous les mers. Le spectacle, créé en 2015, fut une merveille de magie scénique et de poésie, qui a tourné pendant quatre ans, et remporté le Molière de la création visuelle, en 2016 : des poissons, des pieuvres et des méduses surgissant comme par magie dans le théâtre transformé en aquarium géant, un enchantement. Le gore et le monstre Les Lesort-Hecq se sont alors vu commander une création à l’Opéra-Comique par Olivier Mantei (Le Domino noir, de Daniel-François-Esprit Auber), et n’ont plus cessé d’être demandés partout. Ensemble ou séparément, puisque Valérie Lesort mène aussi des projets en solo, ils sont devenus les rois du décalage réjouissant, les as de l’invention improbable et ludique, toujours mis au service d’une vraie lecture des œuvres, au fil de spectacles où ils explorent plutôt leur veine poétique, ou plutôt leur goût pour le gore et le monstre. Les Lesort-Hecq peaufinent un univers scénique où tout fonctionne ensemble, l’invention visuelle, le jeu cartoonesque, la précision chorégraphique et la fraîcheur du regard porté sur les œuvres Le fil qui court tout au long du chemin, c’est évidemment celui de la marionnette, et du jeu marionnettique de Christian Hecq, génial pantin de lui-même. De spectacle en spectacle, y compris ceux où ne figurent pas de pantins, ils ne cessent d’explorer les infinies possibilités du dialogue entre la figurine et l’acteur, les allers-retours qu’il permet. « La marionnette, c’est vraiment un prolongement du corps de l’acteur, observe Christian Hecq. Ce que j’adore, avec la marionnette hybride, surtout, c’est qu’elle autorise un jeu assez chargé. On me reproche souvent d’en faire trop, dans mon jeu. Je dois me calmer. Quand j’en fais trop, ça peut piquer les yeux, déborder, ou sortir de l’histoire qu’on veut raconter. La marionnette, elle est déjà difforme, hyper expressive. Et donc, elle exige un visage hyper expressif aussi, sinon elle n’aura pas la même force. » « Et puis ce qui est magique, c’est que n’importe quel objet ou matière est manipulable, enchaîne Valérie Lesort. On peut donner un esprit aux choses les plus modestes et les plus improbables. » Démonstration faite avec l’éléphant de la scène du grand Mamamouchi, dans Le Bourgeois gentilhomme, en une scène de turquerie d’anthologie, où l’énorme créature est bidouillée en un assemblage d’ustensiles de ménage, de rouleaux de papier toilette, de vieilles nippes et autres objets sortis du quotidien le plus trivial. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Théâtre : Un « Bourgeois » en folie à la Comédie-Française Ainsi va l’art de ces deux-là, qui, pour un peu, se vivraient comme les freaks du théâtre français. De spectacle en spectacle, ils peaufinent un univers scénique où tout fonctionne ensemble, l’invention visuelle, le jeu cartoonesque, la précision chorégraphique et la fraîcheur du regard porté sur les œuvres. Les idées semblent sortir d’eux comme d’une pochette-surprise inépuisable et, quand on leur demande comment ils font, ils répondent tranquillement que « ça vient tout seul, à la table du petit déjeuner ». Equilibre acrobatique « On traque l’ennui. C’est notre plus grande mission, ajoutent-ils. On est comme on est : on aime les petits nains, les machines, le clip de Thriller, de Michael Jackson, la vieille technologie et la vieille science-fiction, le cinéma muet, la musique des Balkans parce qu’elle fait rire et pleurer, le Grand-Guignol, les histoires de vampires et de savants fous… On agite tout ça dans nos turbines, et ça donne à chaque fois un mélange différent. » Dans leurs spectacles, on retrouve le même esprit irrévérencieux, et la même tendresse pour des personnages à côté – de leurs pompes, de la norme, des règles de la société De Petite balade aux enfers, inspiré d’Orphée et Eurydice, de Gluck (Opéra-Comique, 2018-2019), à La Mouche (Théâtre des Bouffes du Nord et tournée, 2020), où ils avaient mixé la nouvelle de George Langelaan avec un épisode de l’émission de télévision « Strip-Tease », on peut avoir l’impression d’un grand écart digne des figures les plus osées de Christian Hecq quand il a joué Bouzin. Mais, dans tous leurs spectacles, on retrouve le même esprit irrévérencieux et la même tendresse profonde, enracinée dans l’enfance, pour des personnages à côté – de leurs pompes, de la norme, des règles de la société. Du côté de l’équilibre du couple, qui peut être aussi acrobatique que le jeu de Christian Hecq, ils semblent, là aussi, avoir trouvé la pierre philosophale, en carburant à l’humour et en se renvoyant la balle sans vampiriser l’autre – même si Valérie Lesort finit souvent les phrases commencées par Christian Hecq. De toute évidence, aucun des deux n’est la marionnette de l’autre. Le Bourgeois gentilhomme, de Molière. Jusqu’au 21 juillet, à la Comédie-Française, à Paris. La Périchole, de Jacques Offenbach. Du 15 au 25 mai, à l’Opéra-Comique, à Paris. Le Voyage de Gulliver, d’après Jonathan Swift. En tournée, tout au long de la saison 2022-2023. A lire : Jouer !, de Valérie Lesort et Christian Hecq, photographies de Fabrice Robin, entretiens de Chantal Hurault (éd. Studio Popincourt, 176 pages, 35 euros). Fabienne Darge Légende photo : Christian Hecq et Valérie Lesort, metteurs en scène du « Bourgeois gentilhomme », à la Comédie-Française, à Paris, le 2 mai 2022. LAURA STEVENS POUR « LE MONDE »
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 9, 2022 5:25 AM
|
Par Maïté Darnault, correspondante à Lyon pour Libération - 9 mai 2022 Acteurs du secteur et élus d’opposition s’alarment de la baisse drastique des dépenses allouées à de nombreuses structures des métropoles de Lyon et Grenoble. Et dénoncent une décision aussi soudaine qu’«arbitraire» du conseil régional présidé par Laurent Wauquiez. Une attaque «bien ciblée», que l’on ne peut comprendre «qu’à la lumière de votre hargne vis-à-vis des responsables politiques écologistes et de gauche de Lyon et Grenoble» : dans une lettre que Libération a pu consulter, adressée ce lundi au président d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, les conseillers régionaux d’Europe Ecologie-les Verts, du Parti socialiste et du Parti radical de gauche s’insurgent contre la décision annoncée il y a trois semaines par l’exécutif régional de réduire drastiquement les subventions accordées à une petite dizaine d’institutions culturelles des métropoles de Lyon et de Grenoble. Le couperet est tombé les 22 et 23 avril. Dans des interviews au Progrès et au Dauphiné libéré, Sophie Rotkopf, vice-présidente Les Républicains chargée de la culture, a justifié cette série de coupes budgétaires par le souci «d’irriguer la culture jusque dans les territoires les plus éloignés» : «On a beaucoup aidé certaines structures, ce n’était pas forcément le rôle de la région de les aider autant», a précisé l’élue. La liste est éloquente à Lyon : -350 000 euros pour la Villa Gillet, haut lieu de la promotion du livre, soit plus du tiers de son budget annuel ; -500 000 euros pour l’opéra, qui recevait jusque-là 2,8 millions de la région ; -253 000 euros pour la Biennale d’art contemporain, qui touchera 500 000 euros en 2022 alors que 753 000 euros étaient prévus ; -100 000 euros pour l’Institut Lumière, référence du 7e art, ainsi que le Théâtre national populaire de Villeurbanne. A Grenoble, le sabrage concerne la MC2, première scène nationale de France, qui devra se passer de 120 000 euros de crédits de fonctionnement et de 50 000 euros au titre de l’investissement. Enfin, l’Observatoire des politiques culturelles, acteur phare de la veille et de l’analyse du secteur, verra lui sa subvention diminuer de 60 000 euros. «De l’arbitraire ou du clientélisme» Si les intéressés ont fini par recevoir quelques jours après les articles de presse un courrier des services de la collectivité officialisant cette inflexion, on ignore pour l’heure à qui profitera ce qui est présenté comme un «rééquilibrage solidaire et équitable». Et si d’autres institutions, dans d’autres grandes villes de la région, seront également déshéritées. «Toutes les structures qui n’ont pas encore été notifiées de leurs subventions sont légitimes à s’inquiéter de recevoir prochainement une mauvaise nouvelle», redoute un connaisseur du dossier. A Lyon, cette inquiétude plane notamment sur la Maison de la danse, le Théâtre de la Croix-Rousse et le Théâtre Nouvelle Génération. D’où la mobilisation de l’opposition régionale pour tenter de contrecarrer ces décisions qu’elle estime dans son courrier du 9 mai dénuées de «critères transparents» et qui lui semble «plutôt relever en permanence de l’arbitraire ou sans doute du clientélisme». Car hormis les baisses appliquées à l’Opéra de Lyon et à l’Institut Lumière déjà approuvées par des délibérations précédentes, les prochaines devront encore faire l’objet d’un débat. «Ces subventions seront soumises au vote des élus au fil de l’eau lors des commissions permanentes à venir», confirme le cabinet du président de région. Même si l’équipe de Wauquiez dispose de la majorité au sein de l’hémicycle régional, la commission culture du 20 mai et la commission permanente du 25 mai s’annoncent houleuses. A la suite du verdict de Sophie Rotkopf dans la presse locale, la collectivité n’a pas jugé nécessaire d’émettre un communiqué ou d’organiser une conférence de presse, entretenant le flou qui caractérise la gouvernance de Laurent Wauquiez depuis son arrivée au pouvoir en 2016. En témoigne l’explication que son cabinet concède à Libération : le «rééquilibrage» invoqué pourrait bénéficier aux «petits festivals éloignés des grands centres urbains» et vise «l’ensemble des acteurs de la culture qui touchent de l’argent de la région, mais ça ne veut pas dire que tout le monde est concerné». Ainsi, ni «les plus petits», «les festivals qui ont des subventions inférieures à 4 000 euros», ni «la filière livre, la filière arts plastiques et la filière cinéma» ne seraient sur la sellette. Absence d’explications La direction de la Villa Gillet appréciera sans doute cette nuance (contradiction ?), à la veille du lancement de Littérature Live, son festival international de littérature, du 16 au 22 mai. Pour Sophie Rotkopf, le financement de cette institution reviendrait légitimement «aux collectivités concernées», puisque la Villa Gillet aurait «une empreinte strictement lyonnaise et métropolitaine». L’affiche de son festival aligne plus de 50 auteurs français et étrangers, des événements dans plus de 40 établissements scolaires (dont plus de la moitié dans l’Ain, la Loire, l’Isère, la Drôme et les Savoie) et une quinzaine de rencontres itinérantes de Chamonix à Roanne, en passant par Saint-Etienne et Volvic. Pour Arnaud Meunier, le directeur de la MC2 de Grenoble, qui fait part de son «étonnement» et de son «incompréhension» face à l’absence de «prise de contact préalable» et à des «tentatives vaines» d’obtenir des explications a posteriori auprès du cabinet de Wauquiez, «l’ardoise commence à être salée» : la baisse qui affecterait la scène nationale correspond «au tiers de la programmation de l’automne ou à trois emplois permanents». «Lorsque le budget prévisionnel 2022 a été voté en décembre, nous n’avons eu aucune alerte, explique-t-il. Cela témoigne d’une méconnaissance de ce que l’on fait, nos missions rayonnent dans tout le département de l’Isère. Et pendant la crise du Covid, notre institution a joué son rôle de courroie de distribution vers les plus fragiles.» Désormais, deux solutions s’offrent à Arnaud Meunier : «Appeler en catastrophe des compagnies pour renoncer à des spectacles ou l’impossibilité d’échapper au déficit.» Recherche compliquée de mécénat Isabelle Bertolotti, directrice artistique de la Biennale d’art contemporain de Lyon, s’avoue également «démunie» alors que la période post-Covid complique la recherche de mécénat pour la 16e édition de l’événement programmé de septembre 2022 à janvier 2023 : «Ce sont des décisions qu’il va falloir prendre : des médiations pour les lycéens ou des manifestations qui ne se feront pas. Lors des précédents conseils d’administration, dont la région fait partie, on avait l’assurance d’un budget équivalent sur trois ans, on a la sensation d’avoir été lâchés en route.» D’autant que la Biennale contribue à impulser près de 150 projets émanant des différents départements de la région. «C’est tout le réseau qui pourrait être affaibli», regrette Isabelle Bertolotti. «La région ne se désengage pas de la culture à Lyon», fait valoir le cabinet de Wauquiez, qui réfute tout «sujet politique» et vante la «mise en œuvre d’un fonds Covid de 500 000 euros mobilisés en fonction des demandes des structures», «plutôt à court terme». Le budget de la collectivité alloué à la culture est par ailleurs maintenu à hauteur de 62 millions d’euros pour 2022 (identique à celui de 2021). Lors du premier mandat de l’homme de droite, cette enveloppe n’a cessé de progresser, de 50,34 millions d’euros en 2016 à 68,33 millions d’euros en 2020 avant de refluer, suite à sa réélection, de près de 6 millions d’euros depuis deux années consécutives. Ce qui place, selon l’opposition régionale, l’Auvergne-Rhône-Alpes «dans le peloton de queue des régions françaises avec un ratio de 2,1 % du budget global». Civilisation gauloise Pourquoi rebattre les cartes en catimini, en cours d’année civile ? Le timing de ce «rééquilibrage» semble peu anodin. Tandis que certains observateurs avancent un «problème de trésorerie», imputable à la prodigalité de Laurent Wauquiez durant la crise sanitaire en miroir du «quoi qu’il en coûte» présidentiel, d’autres pointent le réveil des aspirations nationales du héraut de la droite dure à l’aune du fiasco de sa rivale Valérie Pécresse dès le premier tour de l’élection présidentielle. Et quoi de mieux que l’absence temporaire de ministre de la Culture, avec la valse des maroquins, pour redorer sa ligne identitaire ? Car la passivité n’a jamais été l’apanage de Wauquiez, même dans le domaine culturel où il n’est pourtant pas réputé à l’aise, ni apprécié par ses acteurs. Alors qu’une partie des institutions de la région tremblent en sourdine du sort qui pourrait leur être réservé, d’autres font d’ores et déjà figure de gagnantes du second mandat du président de région : le musée des Tissus à Lyon, dont Wauquiez s’est entiché de longue date, le château d’enfance de Saint-Exupéry dans l’Ain, auquel la région a «réservé» 30 millions d’euros pour lancer une «maison du Petit Prince», et le futur «musée de la Civilisation gauloise», implanté sur les lieux de la bataille de Gergovie dans le Puy-de-Dôme, d’un coût de plusieurs millions d’euros. Trois lieux d’inclination patrimoniale et mémorielle sur lesquels, selon l’opposition régionale, «aucune coopération territoriale avec les autres collectivités» n’est prévue, dans le but de s’«en attribuer tous les mérites et d’en tirer un prestige personnel». Légende photo : Une installation dans l'ancienne usine Fagor-Brandt de Lyon, avant l'ouverture de la Biennale d'art contemporain en septembre 2019. (Jeff Pachoud/AFP)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 8, 2022 1:29 PM
|
Le Monde avec AFP - Publié le 7 mai 2022 L’ancien ministre de la culture Jack Lang a salué « un grand seigneur du théâtre français » et s’est dit « immensément triste » de la disparition de celui qui était tout à la fois metteur en scène, écrivain, poète et comédien.
Le metteur en scène, écrivain, poète et comédien Gabriel Garran, également fondateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers et du Théâtre international de langue française, est mort vendredi à Paris, à l’âge de 95 ans, a-t-on appris, samedi 7 mai, auprès de son entourage. « La disparition de Gabriel Garran laisse orphelins tous ceux qui se sont autoproclamés les “enfants d’Aubervilliers” ainsi que plusieurs générations d’artistes qui ont pu trouver auprès de celui qui se nommait lui-même un “archangelet” une filiation artistique et populaire profonde », rendent hommage ses proches dans un communiqué, écrit notamment par son administrateur, Jean-Jacques Hocquard. « Jusqu’au bout de sa vie, sa vitalité était impressionnante. Il passait d’une idée fondatrice à une autre, ce qui a fait de ce théâtre un lieu exceptionnel. C’est aussi lui qui a introduit l’improvisation en France, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) la directrice du théâtre, Marie-José Malis. C’était quelqu’un de très discret, opiniâtre, courageux, novateur. Il laisse un héritage immense pour le théâtre francophone. » Gabriel Garran était un grand seigneur du théâtre français », a rapidement réagi sur Facebook l’ancien ministre de la culture Jack Lang, se disant « immensément triste d’apprendre sa disparition ». Lire l’entretien (archive, 2006) : "La banlieue est le lieu le plus juste pour faire du théâtre aujourd'hui" Deux théâtres, deux pièces, un roman et mille poèmes De son vrai nom Gabriel Gersztenkorn, Gabriel Garran est né en 1927 à Paris d’un couple de juifs polonais. Lorsque la guerre éclate, son père est déporté à Auschwitz, où il meurt. Gabriel Garran est contraint de fuir l’Occupation avec le reste de sa famille et d’exercer sous une fausse identité différents métiers, selon son entourage. Après la Libération, il devient animateur et découvre le théâtre. Sa rencontre avec Jack Ralite, élu communiste à la mairie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), lui inspire le projet du premier théâtre populaire permanent en banlieue, avec la création en 1965 du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, promu centre dramatique national, qu’il a dirigé pendant vingt ans. Il a ensuite créé en 1985 le Théâtre international de langue française dédié aux auteurs de langue française à travers le monde, qu’il dirigera pendant treize ans, avant de créer en 2005 sa dernière compagnie, Le Parloir contemporain, avec pour objectif d’être le point de rencontre entre littérature, théâtre et poésie, selon le communiqué. Gabriel Garran a également écrit deux pièces, La Couleur du pain et Le Rire du fou, un roman autobiographique, Géographie française, une adaptation, Tulipe ou la Protestation, et plus de mille poèmes dont la plupart sont inconnus des lecteurs ou édités sous forme de recueils, rappelle son entourage. Révélateur à travers ses mises en scène de nombreux talents, dont notamment des auteurs et artistes africains, maghrébins et québécois méconnus en France, Gabriel Garran a été récompensé en 2015 de la grande médaille de la francophonie par l’Académie française. Dans un communiqué, la direction du Théâtre de la Commune a rappelé le slogan de son fondateur : « L’avenir du théâtre appartient à ceux qui n’y vont pas. » Le Monde avec AFP
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 5, 2022 6:17 AM
|
Par Pierre Gelin - Monastier dans Profession Spectacle, le 5 mai 2022 VIDÉO – Depuis plus de 40 ans, la représentation du handicap dans le théâtre français a connu de grandes évolutions. Allons-nous vers une « normalisation » du handicap au théâtre ? Si oui, à quel prix ? Réflexions autour des enjeux artistiques, esthétiques, politiques, économiques et sociaux de l’inclusion. Depuis plus de 40 ans, la représentation du handicap dans le théâtre français a connu de grandes évolutions. Entre la promulgation de la loi « d’orientation en faveur des personnes handicapées » en 1975 jusqu’à la présentation de deux spectacles, par les compagnies inclusives L’Oiseau-Mouche et Catalyse, l’an dernier au festival d’Avignon, plusieurs étapes importantes ont été franchies, ainsi que le montrent les travaux de Marie Astier. Dans les années 1970, 1980 et 1990, on assiste à la création de plusieurs structures majeures : outre L’Oiseau Mouche à Roubaix et Catalyse à Morlaix, déjà citées, on peut également penser à l’International Visual Theatre à Paris, au Théâtre du Cristal dans le Val-d’Oise, au Théâtre Eurydice dans les Yvelines ou encore – pour s’ouvrir à l’international – aux « barboni » de Pippo Delbono, près de Naples, et la compagnie australienne Back to Back. On peut encore évoquer des spectacles de Bob Wilson, Peter Brook, Jérôme Bel, Madeleine Louarn, Mickaël Phelippeau, Romeo Castellucci, Emmanuelle Laborit, etc. En somme, la reconnaissance artistique et esthétique des spectacles interprétés par des comédiens et comédiennes en situation de handicap pourrait sembler être acquise. En apparence du moins… car, si le théâtre peut être, de l’avis de tous, un lieu inclusif, il peine encore à conquérir sa pleine et totale légitimité. Certains y voient une tendance au voyeurisme, telle une présentation de « monstres » héritée des siècles passés, quand d’autres la ramènent à une pratique sociale proche de l’art thérapie. Comment penser l’inclusion aujourd’hui ? Quels sont les éventuels combats artistiques et politiques encore à mener ? En quoi le handicap percute-t-il le regard des artistes, des professionnels et du public ? Nous pouvons encore citer les enjeux esthétiques, économiques et sociaux qu’amènent ces réalités dans le champ théâtral. La question, au fond, pourrait être la suivante : allons-nous vers une normalisation du handicap au théâtre ? Si oui, à quel prix ? INVITÉS – Olivier Couder, comédien et metteur en scène, fondateur du Théâtre du Cristal en 1989 – Aurore Boby, coordinatrice du Centre de Ressources Culture et Handicap de L’Évasion, ESAT artistique et culturel situé en Alsace – Richard Leteurtre, comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre Eurydice Voir la vidéo du débat (55 mn) POINTS ABORDÉS DURANT LA TABLE RONDE – Spécificité du handicap dans l’acte de création artistique. – Évolution récentes perçues. – Théâtre comme lieu inclusif : enjeux de l’inclusion. – Réception : spectateurs, critiques, professionnels. – Objectifs artistiques et politiques à court et moyen termes. – … Table ronde modérée par Pierre GELIN-MONASTIER
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 4, 2022 8:04 AM
|
Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 3 mai 2022 Avec « Mille et une danses (pour 2021) », le chorégraphe tresse expériences et souvenirs en un récit multicolore pour quinze interprètes.
Une atmosphère mystérieuse et fragile comme une bulle de savon prête à éclater. Une étrange manière d’attaquer le plateau avec énergie, mais aussi délicatesse, d’y poser un pied léger pour seulement laisser entendre le chuintement de la plante nue. Cette introduction intensément respectueuse de l’instant présent donne la saveur de Mille et une danses (pour 2021), de Thomas Lebrun. Cette pièce, conçue durant la pandémie, actuellement en tournée, a fait se lever une partie du public à Chaillot-Théâtre national de la danse, jeudi 7 avril. Si l’excitante séquence clubbing finale, désormais presque un passage obligé de certains spectacles contemporains, jette un voile de paillettes scintillantes sur son propos, il ne recouvre pas, et heureusement, l’ensemble de cette création riche, belle et complexe. Avec Mille et une danses (pour 2021), Thomas Lebrun fêtait les 20 ans de sa compagnie, fondée en 2000. A la tête du Centre chorégraphique national de Tours depuis 2012, cet artiste finement fantaisiste se faufile sur les traces de Shéhérazade pour un récit multicolore. Entre solos éclatés dans l’espace, duos et groupes, il l’a tressé des expériences et des souvenirs vécus par les quinze danseurs en scène qui ont mobilisé leur mémoire pour revisiter des morceaux choisis de leur parcours. D’où cette collection, qui ne dit pas précisément son nom, d’écritures et de styles, où l’on reconnaît parfois, entre les pas, des signatures d’hier et d’aujourd’hui. Daniel Larrieu, Pina Bausch, Ohad Naharin, Dominique Bagouet, Odile Duboc… s’y croisent. Lire aussi : Thomas Lebrun distord l’art de la chorégraphie avec fulgurance Sur une suite de musiques composites de Laurie Anderson, des Doors, d’Elvis Presley ou de Claude Debussy, les morts conversent avec des fantômes que les vivants embarquent dans cette traversée célébrant l’amour des gestes et des corps. Les halos de lumières discrètement en osmose de Françoise Michel enveloppent cette transmission. Hommages et variations, Thomas Lebrun livre une nouvelle et subtile exploration de l’histoire de l’art chorégraphique – sa passion. Déjà, La Jeune Fille et la mort (2012) ciselait une veine expressionniste pas loin de la danse-théâtre allemande. Deux ans après, Lied Ballet, présenté au Festival d’Avignon en 2014, composait en trois actes un ballet au goût insolite, entre pantomime, abstraction, narration… Un bouquet d’esthétiques également au rendez-vous dans ce nouvel opus. Une houle de corps Mille et une danses (pour 2021) émarge à ce que l’on appelle aujourd’hui « pièces grand format », autrement dit celles qui rassemblent plus de dix interprètes. Alors que la danse contemporaine avait tendance à se recroqueviller, elle retrouve, depuis quelques années, une ambition de gros plateau. La création, en 2019, du dispositif financier La Danse en grande forme, pilotée par l’Office national de diffusion artistique (ONDA), qui aide les petites compagnies désireuses de se confronter à une troupe importante, a sans doute donné un signal fort aux artistes pour relever ce défi. Succès du Festival d’Avignon en 2021, programmé partout en France et en Europe depuis, Any Attempt Will End in Crushed Bodies and Shattered Bones, créé par Jan Martens pour dix-sept interprètes, soutenu par l’ONDA, témoigne avec brio de cette aspiration. Parallèlement en tournée, Miramar, de Christian Rizzo, directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier, module une houle de corps, le plus souvent de dos. Sur un son électro dévastateur de Gerome Nox, onze silhouettes s’immergent dans des courants contraires et des circonvolutions enchevêtrées. Très réussi également, 3 Works for 12, pour douze performeurs, d’Alban Richard, à la tête du Centre chorégraphique national de Caen, déplie trois tableaux sur trois partitions de musique contemporaine pulsantes de Louis Andriessen, Brian Eno et David Tudor. Jeux graphiques concentrés sur les bras, géométries dans l’espace et kaléidoscope exubérant se chevauchent à perdre haleine. La juxtaposition de ces productions, qui se déploient magnifiquement sur scène, laisse apparaître des traits récurrents. Les marches et les courses, les mouvements de foule, qu’il s’agisse de se rebeller ou de faire la fête, le travail en chœur, sont notamment convoqués. Ces motifs s’incarnent de façon différente dans chacun des spectacles qui font vibrer avec ardeur l’être ensemble au regard du soliste et de l’individu. La question du corps de ballet contemporain trouve ici des réponses ancrées dans la diversité physique des interprètes, parfois de leur âge, voire de leur profil technique. Un imaginaire du groupe bigarré et puissant, jouissif aussi, surgit, entraînant les spectateurs dans une effusion grisante. Mille et une danses (pour 2021), de Thomas Lebrun. Les 12 et 13 mai, à Reims ; le 19 mai, à Orléans ; les 24 et 25 mai, à Bourges. Miramar, de Christian Rizzo. Les 9 et 10 juin, à Perpignan. 3 Works for 12, d’Alban Richard. Le 10 mai, à Marseille. Rosita Boisseau Légende photo ; Le danseur José Meireles (au centre), le 9 janvier 2021, au Centre chorégraphique national (CCN) de Tours. FRÉDÉRIC IOVINO
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 2, 2022 6:58 PM
|
Propos recueillis par Brigitte Salino dans le Monde. Article paru en 2012, re-publié le 2 mai 2022 en hommage, après l'annonce de son décès. A l’occasion de la mort de Michel Vinaver, dimanche 1er mai, à Paris, à l’âge de 95 ans, nous publions un entretien que le dramaturge avait donné à notre journaliste, Brigitte Salino, en mai 2012, lors de la publication de sa correspondance avec Albert Camus. Entre 1946 et 1957, Albert Camus et Michel Vinaver ont échangé 36 lettres. Cette correspondance a commencé après une conférence sur « la crise de l’homme », donnée par l’auteur de L’Etranger à New York, en 1946. Michel Vinaver était étudiant, il vivait aux Etats-Unis avec sa famille, qui avait fui le nazisme. Il a pris un train pour rejoindre New York et écouter Camus, qu’il presse, à l’issue de la conférence, de lui donner son numéro de téléphone. Les deux hommes se sont revus, puis ont commencé à s’écrire. Leur correspondance met au jour leurs divergences sur la question de l’engagement, politique et littéraire. En mai 2012, à l’occasion de la sortie de S’engager ? – Correspondance (1946-1957) (édition établie, présentée et annotée par Simon Chemama, L’Arche, 2012), Michel Vinaver avait accordé un entretien à notre journaliste, Brigitte Salino. (…) A l’époque, Camus est déjà antimarxiste, vous ne l’êtes pas. « L’avenir est au Parti communiste, à l’homme qui accepte sa crise », écrivez-vous. Vous ne vous êtes pour autant pas engagé au PCF. Pourquoi ? Cette question me renvoie au fait que, tout au long de mon existence, j’ai été dans l’incapacité d’entrer dans une structure, une organisation. De devenir un militant. Il y a quelque chose chez moi qui s’est toujours rétracté par rapport au fait de signer et de dire ainsi : « Je deviens membre de. » C’est vrai qu’en 1946 je me sentais proche du PC, mais pas communiste. D’ailleurs, je n’étais pas le seul. Il y a eu pas mal de gens qui étaient aux marges du Parti communiste. Cette proximité a-t-elle duré longtemps ? Non. Pour plusieurs raisons. D’abord, je ne veux pas exclure l’influence de Camus. Puis je crois que ma désillusion à l’égard du Parti communiste, ou plutôt mon détachement par rapport à la foi que j’avais en lui s’est fait un peu comme s’est fait, préalablement, mon détachement à l’égard de mon patriotisme, au moment où je me suis engagé dans l’armée. Le patriotisme, ça s’est passé une nuit, assez brusquement. J’en ai gardé une trace écrite. C’était comme une révélation : comme Claudel a eu la foi, j’ai perdu la mienne. Pour le communisme, ça ne s’est pas fait brusquement, comme pour le patriotisme, mais progressivement. Et assez rapidement. Lataume, mon premier roman, écrit en 1945, en témoigne (…). Après avoir vu « Les Justes », vous écrivez à Camus, en 1950, que vous êtes en désaccord avec sa pièce, parce que c’est du théâtre d’idées. Vous allez plus loin, en lui reprochant d’être devenu un écrivain qui se veut « responsable ». Camus vous répond qu’« il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites ». C’est surprenant, non ? Une des choses les plus extraordinaires, dans cette relation, c’est qu’on ait été à tel point divergents dans notre rapport à l’écriture et au théâtre, et que néanmoins cette relation ait perduré. Qu’il ne m’ait pas envoyé au diable. Pour moi, la découverte de la correspondance a été une grande surprise. J’avais gardé ses lettres, un peu comme un fétiche : elles étaient dans un coin, mais je ne les relisais pas (…). Dans mon souvenir, cette relation était plutôt à sens unique. En fait, elle ne l’était peut-être pas autant que je croyais. Peut-être que Camus a trouvé, avec moi, quelque appui pour s’accepter dans ses contradictions, telles qu’elles se manifestent dans le fait d’avoir écrit La Chute et pas seulement L’Etranger, livre pour lequel j’avais, et j’ai toujours, une absolue admiration. Dans cette correspondance, vous apparaissez comme un jeune homme déterminé, et indigné, dirait-on aujourd’hui. « Le seul engagement qui ait pour moi quelque signification, écriviez-vous, consiste à faire prendre aux hommes la conscience de leur situation. A leur faire recouvrer leur “réalité”, à vider l’Etat de sa monstrueuse “réalité”. » Le diriez-vous encore aujourd’hui ? Oui, je le redirais, presque dans les mêmes termes. Quand je m’adresse à Camus, je lui parle, en partant de L’Iliade, de la façon dont les hommes, en Occident, à partir d’un certain moment de l’Histoire, ont transféré à l’Etat leur pouvoir, leur puissance. Et, en définitive, ont abdiqué leur capacité d’agir, l’Etat devenant le dépositaire de cette force. Je n’ai pas vraiment changé par rapport à ça (…). En 1950, vous disiez que les « temps héroïques », ceux de la guerre de 1939-1945, ont créé une illusion, et que « l’homme ne s’est pas refait entier dans l’épreuve ». Quel adjectif emploieriez-vous pour les temps actuels, et quelle place y voyez-vous pour l’homme ? Je ne me sens pas de définir le temps d’aujourd’hui comme je pouvais, quand j’avais 20 ans, définir le temps où je vivais. Ce n’est plus mon mode. Mais mon engagement, qui couvre un peu tout mon parcours depuis la fin de la guerre, reste le même : c’est l’intérêt à l’immédiat et au quotidien, en deçà de toute espèce de généralisation possible. Une forme d’hibernation, si on veut. Une réduction des ambitions. On n’essaye pas de définir le monde dans une formule. On continue à s’intéresser à l’infime, et à voir comment cet infime se raccorde au paysage dans lequel on vit . Propos recueillis par Brigitte Salino
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 2, 2022 7:49 AM
|
par LIBERATION et AFP publié le 2 mai 2022 Celui qui mena pendant près de trente ans une double vie, cadre puis directeur de Gillette et auteur de théâtre, est mort à l’âge de 95 ans. C’est sa fille, la comédienne Anouk Grinberg, qui l’a annoncé dimanche soir. En 2016, le théâtre de La Colline reprenait l’une de ses toutes dernières pièces disséquant, cette fois, l’affaire Bettencourt. Philippe Lançon avait alors cette définition du dramaturge Michel Vinaver : «modeste et ironique Sophocle de l’Entreprise, vieux jeune homme vert sans habit d’académicien». Celui qui mena pendant près de trente ans une double vie, cadre puis directeur de Gillette et auteur de théâtre, est mort dimanche à l’âge de 95 ans. C’est sa fille, la comédienne Anouk Grinberg, qui l’a annoncé à l’AFP. Fils d’un antiquaire et d’une avocate, Michel Vinaver – Grinberg de son vrai nom – a écrit d’abord deux romans avant de venir au théâtre en 1955, deux ans après son embauche chez Gillette. «J’avais exclu d’emblée de dépendre de ma production littéraire pour vivre», confiait-il à l’AFP en 2015. Ses premières pièces, les Coréens – créée par Roger Planchon en 1956 – et les Huissiers n’ont rien à voir avec la vie de cadre de ce père de quatre enfants, dont Anouk Grinberg. «Je m’étais fixé un interdit : ne pas parler de moi et de mon travail», avait-il affirmé à l’AFP. Au bout de quelques pièces, c’est la panne. «J’en suis sorti en levant ce tabou». Il écrit Par-dessus bord : l’histoire de l’absorption d’une société familiale française par une multinationale américaine. Dès lors, l’entreprise prend une place centrale dans l’œuvre de celui qui sera nommé trois fois aux Molières et lauréat du Grand prix du théâtre de l’Académie française en 2006. Ainsi, les Travaux et les Jours se déroule dans le service après-vente d’un fabricant de moulins à café. Dans la Demande d’emploi, le personnage principal est un cadre au chômage. Dans l’Ordinaire, entré au répertoire de la Comédie-Française en 2009, le président d’une multinationale, son épouse, sa secrétaire et quatre vice-présidents survivent à un accident d’avion dans la cordillère des Andes. Lorsqu’Edwy Plenel, cofondateur du site Mediapart à l’origine de nombreuses révélations sur l’affaire Bettencourt l’approche pour une adaptation, Michel Vinaver juge l’affaire «trop abondante, avec trop d’événements, de personnages». Mais il est happé par l’intrigue et les relations passionnelles entre Liliane Bettencourt et sa fille Françoise, «des personnages de tragédie antique» selon lui. Résultat : Bettencourt Boulevard (créée au TNP de Villeurbanne), un mille-feuilles d’intrigues familiales, de jalousies dévorantes, de corruption à tous les étages. Avec en arrière-plan, la grande histoire : le père de Liliane Bettencourt, Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, a cultivé des amitiés collaborationnistes pendant la guerre, et le rabbin Robert Meyers, grand-père du mari de Françoise Bettencourt-Meyers, déporté à Auschwitz.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 2, 2022 4:27 AM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 mai 2022 Pendant des années, il aura été cadre puis PDG de Gillette France en même temps qu’il composait l’une des œuvres les plus importantes du théâtre contemporain. D’« A la renverse » à « Par-dessus bord », il a décrit avec un regard acéré la position de l’homme dans le champ économique. Il est décédé dimanche à 95 ans.
Sa vie a embrassé l’histoire sur près d’un siècle, et il en a fait une des œuvres les plus importantes du théâtre contemporain. Michel Vinaver, père de l’actrice Anouk Grinberg, est mort, dimanche 1er mai, à l’âge de 95 ans. Auteur d’une petite vingtaine de pièces, il restera notamment comme le grand dramaturge de l’« homo economicus », l’analyste minutieux de l’évolution du capitalisme au fil du XXe siècle. Un capitalisme qu’il connaissait de l’intérieur, pour avoir été, pendant trente ans, cadre dirigeant puis PDG de Gillette France. De A la renverse à Par-dessus bord, de Les Travaux et les jours à La Demande d’emploi, ses pièces, qui ont été montées par des metteurs en scène importants comme Roger Planchon, Antoine Vitez, Alain Françon, Jacques Lassalle ou Christian Schiaretti, ont inscrit comme jamais auparavant l’homme dans le champ économique. Mais aussi dans celui de l’Histoire, qu’il s’agisse de la guerre de Corée, de la guerre d’Algérie, du 11-Septembre ou, plus récemment, de l’affaire Bettencourt, considérée comme « une histoire de France ». Michel Vinaver, de son vrai nom Michel Grinberg, était né le 13 janvier 1927, dans une famille d’émigrés juifs russes. Son père, antiquaire, tenait un magasin qui s’appelait A la vieille Russie, et la famille baignait dans le milieu russe d’émigration, dont le grand-père maternel de Michel Vinaver, Maxime Vinaver, était une des figures : fondateur du KD, le Parti constitutionnel démocratique, en Russie en 1905, il continuait à travailler avec son dirigeant, Pavel Milioukov. Michel Vinaver a toujours dit que la judéité, en revanche, était totalement absente dans sa famille, sur le plan religieux comme sur le plan identitaire. « C’est avec Vichy que j’ai appris que j’étais juif », racontait-il dans un entretien en janvier 2009. La famille s’enfuit en 1941, grâce au roi Farouk, qui fréquentait le magasin paternel. Michel Vinaver se retrouve lycéen à New York, puis s’engage volontairement dans l’armée française, en 1944-1945. Il passe un an de caserne en caserne, sans combattre, et signe son premier geste d’objection face à ce qu’il estime être « l’absurdité » de la vie militaire. Rencontre avec Camus De retour aux Etats-Unis, il étudie la littérature anglaise et américaine, traduit The Waste Land, de T.S. Eliot. Ces humanities, qui étaient aussi très centrées sur l’étude de la civilisation grecque antique, l’ont « marqué pour la vie ». C’est à New York qu’il rencontre Albert Camus, qu’il « admirait sans réserve ». Camus l’encourage à écrire et publiera chez Gallimard le premier roman de Michel Vinaver, Lataume, en 1950, et le second, L’Objecteur, en 1951. Même si les deux hommes divergeront ensuite nettement sur le rôle de la littérature, le jeune écrivain se sent alors très proche de l’auteur du Mythe de Sisyphe : « Ce qui me reliait à lui, très intimement, c’était le thème de l’étranger : le fait de ne pas appartenir. D’être réfractaire, et non pas révolté – je n’ai jamais été un homme révolté. Cette incapacité à être dans la conformité générale qu’a Meursault dans L’Etranger. » Lire aussi Article réservé à nos abonnés Michel Vinaver : « C’est extraordinaire que Camus ne m’ait pas envoyé au diable » Entre-temps, Michel Vinaver est rentré en France, en 1947. Il s’inscrit en sociologie à la Sorbonne, avec Georges Gurvitch, et se passionne pour les recherches de Marcel Mauss, notamment pour son Essai sur le don. Il cherche du travail. Il est embauché chez Gillette et, « sur un malentendu », nommé chef du service administratif de la filiale française. Il restera dans l’entreprise américaine, dont il devient en 1966 le PDG pour la France, jusqu’en 1982. Cette expérience nourrira notamment deux de ses plus grandes pièces, Par-dessus bord, véritable épopée du capitalisme, et King, qui met au centre la figure de King C. Gillette, le fondateur de la firme américaine. Quand on demandait à Michel Vinaver s’il n’y avait pas de contradiction entre ses deux vies, celle de l’écrivain et celle du patron, il répondait que « c’était pour [lui] ce qu’il fallait : avoir un métier qui n’a rien à voir avec l’écriture ». Quand on demandait à Michel Vinaver s’il n’y avait pas de contradiction entre ses deux vies, celle de l’écrivain et celle du patron, il répondait que « non seulement il n’y avait pas de contradiction », mais que « c’était pour [lui] ce qu’il fallait qu’[il] adopte comme conduite de vie : avoir un métier qui n’a rien à voir avec l’écriture. Ne pas même songer à vivre du produit de ma plume, ne pas être non plus dans un métier annexe. Pour préserver l’autonomie de l’écriture. C’est lié au fait que pour moi l’écriture n’est pas faite pour communiquer, pour délivrer un message », ajoutait-il. C’est la rencontre avec Gabriel Monnet, une des grandes figures de la décentralisation théâtrale en France, au début des années 1950, qui va l’amener à écrire, en 1955, sa première pièce, Aujourd’hui ou les Coréens, située pendant la guerre de Corée. Après cela, Michel Vinaver n’écrira plus de romans et se consacrera exclusivement à l’écriture de théâtre et à celle d’essais sur l’art dramatique. La pièce, mise en scène par Roger Planchon au TNP de Villeurbanne, puis à Paris par Jean-Marie Serreau, rencontre immédiatement un fort écho, bien qu’elle tranche absolument avec les deux mouvements qui dominent la vie dramatique de l’époque : le théâtre engagé brechtien et le théâtre de l’absurde. Ne plus être soumis à la narration Roland Barthes, avec qui Michel Vinaver restera ami jusqu’à la fin de sa vie – son théâtre doit beaucoup aux Mythologies barthiennes –, défend la pièce, contre ses amis brechtiens qui l’attaquent violemment, lui reprochant de ne pas avancer de point de vue politique direct. Mais la légitimité apportée par l’auteur du Degré zéro de l’écriture encourage le jeune cadre d’entreprise à écrire une autre pièce, Les Huissiers, qui met en scène un problème économique sur fond de ce qu’on n’appelait pas encore la guerre d’Algérie. « En écrivant cette deuxième pièce, j’ai compris qu’avec l’écriture dramatique, j’avais trouvé mon champ : celui qui me permettait de ne plus être soumis à la narration. Dans mes romans, d’ailleurs, j’avais fait le minimum dans la continuité narrative, et le dialogue était premier. » Ensuite, il y aura Par-dessus bord, en 1969, épopée de sept heures, première grande pièce « économique », qui conte la lutte entre une multinationale américaine et une PME familiale française, pour régner sur le marché du papier toilette. La pièce est mise en scène dans une version courte par Roger Planchon en 1973 puis, en intégrale, par Christian Schiaretti, en 2008, toujours au TNP de Villeurbanne. Suit une période de dix ans, entre 1971 et 1982, où Michel Vinaver alterne l’écriture de pièces qui creusent cette veine économique et celle de textes plus intimes, des « pièces de chambre », comme Dissident, il va sans dire et Nina, c’est autre chose, qui seront mises en scène par Jacques Lassalle. En 1977, il revient sur la guerre d’Algérie avec Iphigénie Hôtel, que met en scène Antoine Vitez. Dans « L’Ordinaire », il s’interroge sur la fragile frontière entre civilisation et sauvagerie, en partant de l’histoire vraie de cet avion qui, en 1972, s’était écrasé dans la cordillère des Andes En 1982, Michel Vinaver démissionne de chez Gillette et se consacre alors entièrement au théâtre, en tant qu’auteur mais aussi comme traducteur, critique et professeur, d’abord à l’Institut d’études théâtrales de Paris-III, puis à l’université Vincennes-Paris VIII. Dans les vingt ans qui suivent, il écrit une série de pièces majeures. L’Ordinaire, d’abord, pièce qui entrera au répertoire de la Comédie-Française en 2009. Michel Vinaver s’y interroge sur la fragile frontière entre civilisation et sauvagerie, en partant là aussi d’une histoire vraie : celle de cet avion qui, en 1972, s’était écrasé dans la cordillère des Andes, crash dont les rescapés avaient dû se résoudre au cannibalisme pour pouvoir survivre. Cette veine anthropologique se poursuit avec Les Voisins (1984), qui met en scène les relations étranges entre les habitants de deux maisons jumelles, Portrait d’une femme (1984), qui sonde les abîmes d’un crime passionnel, et L’Emission de télévision (1988), dans laquelle deux cadres, collègues et amis proches, éjectés de leur entreprise à la suite d’une restructuration, se retrouvent en rivalité pour illustrer la condition de chômeur de longue durée de plus de 50 ans dans une émission de télévision de grande audience. Malentendus Puis ce sera King (1998), dans laquelle Michel Vinaver conte l’histoire saisissante et édifiante de King C. Gillette, auteur de brûlots révolutionnaires, inventeur du rasoir à lames jetables et grand patron capitaliste, en qui, sans doute, Michel Vinaver se regarde comme en un miroir déformé ou inversé. En 2001, à chaud, juste après l’attentat terroriste de New York, il écrit 11 septembre 2001, pièce polyphonique qui fait entendre toutes les voix des acteurs du drame, victimes et bourreaux, politiques aux commandes et êtres ordinaires. Cet oratorio du nouveau siècle sera créé au Festival d’Avignon, de manière un peu confidentielle, en 2003, sous la direction de Jean-François Demeyère, avant d’être mis en scène, avec plus de visibilité, par Arnaud Meunier en 2011. Enfin, en 2014, Michel Vinaver revient à l’écriture avec Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, directement inspirée de l’affaire et qui en dévoile les soubassements historiques et mythologiques. La pièce fait grand bruit et est mise en scène par Christian Schiaretti, fin 2015 et début 2016, au TNP de Villeurbanne et au Théâtre de la Colline, à Paris. Lire aussi Article réservé à nos abonnés « J’ai été immédiatement happé par cette histoire » Il faut maintenant revenir sur ce théâtre qui peut susciter un certain nombre de malentendus. Parce que Michel Vinaver s’est intéressé très directement au réel, au banal, à l’« ordinaire », dont il a même fait le titre d’une de ses pièces, on pourrait voir en lui le chantre d’un « théâtre du quotidien » dont l’étiquette lui a longtemps collé à la peau, et d’un théâtre réaliste, pour ne pas dire journalistique. Il n’en est rien, même si Michel Vinaver siégeait, dans le grand bureau de son appartement du 6e arrondissement de Paris, au milieu de piles de journaux et de dossiers bourrés de coupures de presse, dont certains dataient de l’après-guerre. Mais cet homme de verre fin et délicat, toujours d’une courtoisie réconfortante, vivait aussi dans un véritable petit musée composé de statuettes dogon, précolombiennes ou grecques, et de peintures de Jean Dubuffet. Et cela seul disait que pour lui, si l’art n’est jamais dissociable du réel, l’inverse est tout aussi vrai. « Quelle est la relation de l’événement actuel, immédiat, avec la forme que doit prendre un écrit de théâtre ? Je n’ai pas la réponse, mais c’est ce après quoi je cours depuis toujours. » Michel Vinaver ne récusait pas le terme de « théâtre d’actualité ». Mais il lui donnait un sens particulier, qu’il a détaillé dans un entretien accordé en novembre 2015 : « Un jour des années 1950, à la sortie d’un cours de Roland Barthes, j’ai noté ceci : “Mon matériau, le seul possible, c’est mon présent. Le présent, c’est ce qui colle à moi. Le nez sur le miroir”. Mais il faut s’entendre sur ce qu’on entend par “présent” ou “actualité”. A la source de mon travail, il y a aussi cette photographie qui montre deux objets préhistoriques trouvés en région souabe, près du Danube, et qui seraient vieux de 30 000 ans. Ce sont de petits objets, une tête de cheval, un oiseau, et je me dis qu’on n’a jamais fait mieux dans le rapport à l’actualité que ces artistes-là : ils donnaient une figuration à ce qui les entourait dans l’immédiat de leur vie. » « En même temps, poursuivait Michel Vinaver, ce ne sont pas un cheval et un oiseau : ce sont des objets d’art, c’est-à-dire des formes. Il y a là une concentration de ce qui est à la fois le mystère et le défi de la représentation. C’est le passage de l’informe à la forme qui m’intéresse. Quelle est la relation de l’événement actuel, immédiat, avec la forme que doit prendre un écrit et notamment un écrit de théâtre ? Je n’ai pas la réponse, mais c’est ce après quoi je cours depuis toujours. » « C’est cela, le réel » Michel Vinaver avait trouvé la forme : toujours subtile, musicale, chez celui qui était aussi un mélomane. Si le mystère avec lui s’insinue dans les situations les plus banales, c’est parce que le dramaturge, comme son confrère allemand Botho Strauss, dont il avait d’ailleurs traduit Le Temps et la Chambre, savait déceler ce qui dans la vie quotidienne des êtres est irrigué par des courants souterrains et mythiques. C’est ce qui lui plaisait tant, aussi, dans la peinture de Dubuffet : « Dès le début des années 1950, il était arrivé à faire exactement ce que je voulais réaliser dans l’écriture : peindre des personnages perdus dans le paysage. Des personnages que l’on ne peut pas distinguer de leur environnement ? C’est cela, le réel. Cerner par des traits ce qui sépare le personnage du paysage, c’est déjà une abstraction, une convention. Nous sommes perdus dans le paysage. » « Même dans ce que j’ai écrit de plus intime, il y a toujours cette orientation d’être du côté du petit contre le grand, du faible contre le fort » Alors théâtre politique, théâtre économique ou théâtre anthropologique, que celui de Michel Vinaver ? Théâtre engagé ? « Théâtre moléculaire », répondait-il. « Ecrire, c’est être dans le réel, et le réel est politique, est strié par le fait que nous sommes dans la cité, dans le monde. Alors il y a à ce moment-là des orientations qui se précisent et la mienne a été invariable : même dans ce que j’ai écrit de plus intime, il y a toujours cette orientation d’être du côté du petit contre le grand, du faible contre le fort. C’est une position politique si on veut, mais tout à fait en deçà de toute formulation idéologique. » Michel Vinaver a été le premier – il a été largement suivi depuis – à embrasser à ce point le réel dans sa dimension économique, à inscrire autant l’homme dans le champ du travail. La raison n’en était pas uniquement sa connaissance du monde de l’entreprise. « Ce qui m’intéresse, c’est de donner sa pleine densité à la relation des personnages avec leur humus, et leur humus, aujourd’hui, c’est le travail. C’est le lieu où se nouent les sentiments, les tensions, les passions, les conflits. Tout ce qui fait la substance traditionnelle du théâtre, les jeux de pouvoir, de rivalité, d’amour, a aujourd’hui migré vers le champ économique, alors que s’affaiblissaient les grands champs précédents : l’Etat, la patrie, le quartier, le château, la chambre à coucher… » L’« entrelacs » En quoi est-il « moléculaire », alors, ce théâtre ? En raison du mode d’écriture de Michel Vinaver, qu’il définissait lui-même comme celui de l’« entrelacs ». « L’entrelacs fait que dans une molécule de dialogue, il peut y avoir à la fois l’économique, l’amoureux, et le conflit avec le chef ou qui on veut. Ce mode d’écriture polyphonique est une façon de répondre à cette envie d’être dans le réel : le réel est fait d’un tissu comme celui-là, où se mêlent la guerre d’Algérie et des problèmes de coiffure. » Quant à l’engagement, Michel Vinaver ne niait pas qu’il y en ait dans son théâtre. Mais, là encore, à sa manière. « L’engagement chez moi n’est pas lié à un projet. Je ne pars pas d’une intention, mais de la confiance dans ce qui est écrit, en espérant que ça va agir. » « La fonction du théâtre, c’est quand même de déplacer un peu les spectateurs, de les décaler par rapport à là où ils sont calés, à leurs habitudes mentales, affectives, ajoutait Michel Vinaver. La distanciation que Bertolt Brecht opérait de manière dénonciatrice, elle est moléculaire chez moi : il s’agit, par d’infiniment petites secousses, très reliées les unes aux autres, de faire que les gens en sortant de la pièce se disent : “Ah, ce n’est pas exactement le point de vue que j’avais en entrant”. » Ainsi en va-t-il du théâtre de Michel Vinaver, qui réconcilie l’art et le présent, le trivial et le sacré, et a tendu un miroir en éclats à tous les grands problèmes du temps. Pourtant, il pouvait arriver à Michel Vinaver, lui aussi, de rester muet de sidération et d’horreur devant l’actualité. En janvier 2015, son petit-fils, Simon Fieschi, avait été grièvement blessé dans l’attentat contre Charlie Hebdo. Quand on lui avait demandé s’il voulait prendre la parole sur l’événement, l’homme qui avait écrit 11 septembre 2001 avait répondu qu’il n’en était pas capable. Avec le temps, peut-être aurait-il pu envisager d’affronter aussi cet insondable-là. Mais le temps l’a rattrapé, ce temps que Michel Vinaver, vous offrant une tasse de thé russe dans son calme bureau bordé d’arbres, semblait avoir apprivoisé de manière toute proustienne. Michel Vinaver en quelques dates 13 janvier 1927 Naissance à Paris 1950 « Lataume », premier roman (Gallimard) 1955 « Aujourd’hui ou les Coréens », première pièce 1966-1982 PDG de Gillette France 1969 « Par-dessus bord » 1988 « L’Emission de télévision » 1998 « King » 2001 « 11 septembre 2001 » 2014 « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France » 1er mai 2022 Mort, à Paris, à 95 ans Légende photo : Michel Vinaver sur la scène du théâtre Artistic Athévains, lors du filage de sa pièce « A la renverse », à Paris, le 31 mars 2006. PIERRE VERDY / AFP
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
April 29, 2022 11:32 AM
|
Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 27 avril 2022 LES BIJOUX DE PACOTILLE texte, interprétation Céline Milliat-Baumgartner mise en scène Pauline Bureau magie Benoit Dattez musique, son Vincent Hulot scénographie Emmanuelle Roy costumes, accessoires Alice Touvet lumière Bruno Brinas vidéo Christophe Touche collaboration artistique Cécile Zanibelli Crédit photo : Pierre Grosbois
Les Bijoux de pacotille, texte (Editions Arléa et éditions Hatier) et interprétation Céline Milliat Baumgartner, mise en scène Pauline Bureau. Le 19 juin 1985, à 3h30 du matin, une voiture sort de la route à l’entrée du tunnel de St-Germain-en-Laye – et prend feu sur le bas-côté. Les pompiers trouvent dans l’habitacle deux corps carbonisés, enlacés, un homme et une femme… Deux bracelets, une boucle d’oreille, du métal noirci, tels sont les restes maternels de l’accident fatal qui emporta dans un incendie la voiture parentale de l’auteure et comédienne Céline Milliat Baumgartner, interprète de ces Bijoux de pacotille. La fillette de neuf ans, son petit frère plus jeune encore, tous deux sont gardés, ce mardi soir, par un baby-sitter encore présent le mercredi matin. Sonne enfin le téléphone dans l’appartement de Saint-Germain-en-Laye, le grand-père informe l’adulte de l’horreur fulgurante d’une réalité nouvelle – la perte des deux parents. Céline est invitée le mercredi après-midi à l’anniversaire d’une amie : elle se souvient n’avoir pas compris, sur le coup, pourquoi la mère de celle-ci pleurait tant. Les orphelins ne sauront rien de ce désastre existentiel dans l’immédiat, pris en charge par la famille précautionneuse, élevés plus tard par une de leurs tantes. Peu à peu, ils accèdent à la dure réalité insoutenable puis, avec le temps, tenable. Mue par l’écriture, Céline Milliat Baumgartner explore, trente ans après l’accident, sa mémoire presque intacte mais dévastée de trous noirs et d’espaces vides, entre les objets et photos qu’elle possède, pour dresser le portrait de ses parents disparus. Père absent par son travail, mère actrice, ainsi aux côtés de Gérard Depardieu dans La Femme d’à côté de François Truffaut, et Céline est embrassée par l’acteur génial. La fillette fait de la danse classique dix ans, puis devient comédienne. Une boîte de carton kraft fermée, quelques livres, une paire de pointes, presque rien. La mise en scène de Pauline Bureau est claire, simple et efficace, donnant à voir au public une jeune femme dont la mise ressemblerait à celle d’une enfant, petite robe bleue d’été et bottines qui se déplacent seules, quand assise par terre, elle les retire. La vie va de l’avant, les chaussures enfantines – métaphore de Céline – avancent seules. Quand elle lit les quelques papiers officiels qu’elle a su conserver et retire de sa poche, l’un d’eux se rétracte et s’enflamme par magie, comme dans les contes. Tout n’est que poussière et fumée, cueillons le jour qui passe via une émotion tenue. Un grand miroir posé de biais dédouble la silhouette scénique et projette de face la photo du père vue d’abord de dos par le public car tournée vers le visage enfantin. Images d’un ciel bleu nuageux ou bribes d’un film ancien de vacances d’été à la mer. Céline Milliat Baumgartner fait le récit de sa jeune et pleine vie avec tact et distance, pudeur et sourire, une sincérité assumée au plus près de sa vérité propre, à force de patience et de recul dans la confrontation à une douleur subie, dès le plus jeune âge. A la fois observatrice et sujet sensible d’une expérience intérieure singulière, la narratrice raisonnante est capable de commenter ce qu’on n’explicite ni ne dit jamais, appréciant avec mesure ce qui lui est pourtant arrivé dans la perspective du vertige. Symptômes incontrôlés, les pleurs envahissent la jeune femme à certains moments. Or, créatrice d’un destin, sculptrice de ses jours, elle rattrape sa belle existence. Véronique Hotte Du 10 au 21 mai 2022, les 10, 11, 13, 17, 18 et 20 mai à 20h, les 12 et 19 mai à 19h, les 14 et 21 mai à 16h, au Théâtre 14 20, avenue Marc Sangnier 75014 – Paris. Tél : 01 45 45 49 77 https://www.theatre14.fr
|