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Les premiers mots de "Répétition" avec Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart, Stanislas Nordey, Denis Podalydès et Claire Zeller T2G - Théâtre de Gennevilliers - d...
Pour soutenir le théâtre, achetez de la pornographie. La formule, surprenante, est en fait simple: les billets pour le spectacle d’une petite compagnie de Madrid sont glissés dans des magazines porno afin de bénéficier d’un taux de TVA réduit face aux 21% frappant la Culture. C’est en se désespérant face à «l’absurdité» de voir le secteur du théâtre soumis au taux maximum de TVA existant en Espagne que Karina Garantiva, directrice et productrice de la petite compagnie Primas de Riesgo (Primes de risque), composée exclusivement de femmes, a eu cette idée il y a quelques mois.
Engagé dans un plan d’austérité drastique pour assainir ses finances, le gouvernement conservateur espagnol a décidé en septembre 2012 d’augmenter la TVA de 8% à 21% sur les spectacles de théâtre, musique et sur le cinéma. Les magazines, quel que soit leur contenu, sont eux soumis au taux de 4%, le minimum.
Tombées sur un lot de quelque 300 magazines érotiques des années 1980 et 1990 qu’un collectionneur particulier leur a vendu à bon prix, les comédiennes de Primas de Riesgo ont décidé de changer les statuts de leur compagnie de théâtre, pour devenir officiellement une société distribuant des magazines porno.
Masquant en partie les Unes coquines des magazines, elles ont glissé les tickets d’une unique représentation du «Magicien Prodigieux» («El Magico Prodigioso») du grand auteur classique espagnol Pedro Calderon de la Barca (1600-1681), le 25 novembre.
Prix du lot pour les spectateurs: 16 euros. Et pour les comédiennes, une campagne choc qu’elles ont baptisée «Magazines porno 4% - Calderon 21%».
- Une TVA «immorale» -
«Nous voulons que les gens s’interrogent. Quelle société prend ce genre de décision? Qu’ils comparent et tirent leurs conclusions», explique Karina Garantiva, une Colombienne de 34 ans installée en Espagne depuis plus d’une décennie.
«Nous ne voulons pas de subventions, notre initiative est privée. La meilleure subvention serait que les mesures fiscales ne m’empêchent pas de faire mon travail», précise-t-elle.
Le secteur de la culture a contribué à hauteur de 2,5% au Produit intérieur brut de l’Espagne en 2012, selon les derniers chiffres du ministère de l’Education et de la Culture.
Le spectacle vivant a subi de plein fouet l’impact de la hausse de la TVA jusqu’à 21%, selon une étude de la Fédération nationale des associations d’entreprises de théâtre et de danse (Faeteda) portant sur la première année de son introduction: les revenus bruts ont plongé de 26% et le bénéfice net des entreprises culturelles de 34%.
- Urgence -
Les files de spectateurs se sont nettement clairsemées, leur nombre diminuant de 29% pour passer de 13,1 à 9,3 millions. Les professionnels ont accusé le coup, avec la disparition sur la période de 1.800 postes directs.
Une «situation d’urgence», selon les professionnels du secteur qui demandent au gouvernement de suivre l’exemple des pays du continent (5,5% en France, 6% aux Pays-Bas, 7% en Allemagne et 10% en Italie) en ramenant la TVA sur la culture à 10%.
«Grâce à cette seule mesure, une compagnie grande ou de taille moyenne pourrait monter trois ou quatre spectacles de plus par an», calcule Jesus Cimarro, producteur madrilène de théâtre et président de la Faeteda.
En dépit des demandes pressantes, manifestations comprises, du monde de la culture, le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy maintient pour l’instant le taux maximum. Tant qu’il sera appliqué, la compagnie Primas de Riesgo poursuivra sa transformation en distributeur de magazines porno pour pouvoir vendre ses billets.
«Si la TVA change, nous suspendrons la campagne. Sinon, nous irons jusqu’au bout», affirme Karina Garantiva, satisfaite de la réaction du public, qui avait acheté 180 entrées pour la représentation du 25 novembre.
«C’est une manière originale de lutter contre le massacre économique dont les artistes sont victimes et je les soutiens complètement», réagit Diana Irazabal, jeune spectatrice, en feuilletant, amusée, son magazine.
Les comédiennes de Primas de Riesgo admettent que leur idée a aussi suscité des critiques. «Ce qui est immoral, ce n’est pas que des filles distribuent des magazines porno, mais que le gouvernement offre des facilités à ces publications plutôt qu’à son patrimoine culturel», rétorque sa directrice.
Jeune homme, Denis Podalydès répétait ses textes dans les allées du Château de Versailles. Aujourd'hui, il les apprend sur son scooter, entre le Théâtre des Champs-Elysées où il met en scène "La Clémence de Titus" et Gennevilliers où il va jouer "Répétition".
"J'adore arriver à Genevilliers et abandonner complètement les soucis de metteur en scène, entrer dans mon texte, ma relation aux autres acteurs", dit-il. "Jouer me repose complètement, c'est mon élément naturel, ma première identité, et ça me donne de la joie de revenir en répétition d'opéra le lendemain".
A 51 ans, ce bourreau de travail se partage entre la Comédie-Française - où il a fortement contribué au choix de son ami Eric Ruf comme administrateur - et ses engagements d'acteur, écrivain, metteur en scène de théâtre et d'opéra et... père d'un petit garçon de un an.
"La Clémence de Titus" est son troisième opéra: "Je me suis senti plus libre cette fois" confie-t-il.
"D'emblée j'ai tourné le dos à tout péplum". Les décors, conçus par Eric Ruf, qui signe toutes ses scénographies depuis dix ans, situent l'opéra dans les années 30 ou 40, dans un grand hôtel comme celui qui a abrité le gouvernement français à Bordeaux en 1940 ou Vichy en 1942.
"A chaque fois qu'un Etat est dans une crise majeure, que les lieux du pouvoir deviennent vacants, on se réfugie dans de grands hôtels".
"La Clémence de Titus", composé par Mozart quelques mois avant sa mort, en même temps que "La Flûte enchantée", doit beaucoup aux idéaux maçonniques chers au compositeur. Titus est un souverain éclairé, qui se refuse à gouverner par la violence et la terreur, et choisit la clémence lorsqu'il échappe à un complot.
- "Répétition": chacun joue son propre rôle -
"Ce qui m'a intéressé le plus, c'est la grandeur d'un homme d'Etat à travers la faiblesse, la solitude, la crise", explique Denis Podalydès.
"J'ai beaucoup coupé" dit-il, avouant avoir "subi un peu le livret avec ses longues plages de récitatifs" quand il était spectateur. "Je voulais que les chanteurs arrivent au chant frais: le récitatif est fait pour tendre la situation et le chant -waouh- pour faire partir les émotions, comme une espèce de gros plan sur un visage". Le vocabulaire emprunte au cinéma. Denis Podalydès a joué dans plus de 70 films, dont ceux de son frère Bruno.
Mais c'est Podalydès l'écrivain qui a séduit Pascal Rambert, le directeur du Théâtre de Genevilliers, l'auteur de "Voix off", émouvant autoportrait et hommage au théâtre publié en 2008 et "Fuir Pénélope", son premier roman, publié en janvier.
Pascal Rambert lui assigne le rôle de l'écrivain dans "Répétition", pièce singulière où chacun porte sur scène son propre prénom: "Denis" (Podalydès), "Emmanuelle" (Béart), "Stan" (Nordey) et "Audrey" (Bonnet).
"Pascal a écrit nos rôles à partir de ce qu'il connaît de nous", raconte l'acteur. "On se joue soi-même, en même temps qu'un autre, il y a un jeu extrêmement subtil entre réalité et fiction".
La pièce juxtapose quatre monologues, à peine entrecoupés de quelques interventions des autres acteurs. "C'est un collectif de théâtre comme il en existe beaucoup aujourd'hui: quatre acteurs qui ont décidé à 20 ans de travailler ensemble", raconte-t-il.
"Le spectacle est assez long, très dense, il demande énormément d'énergie, mais c'est un vrai bonheur".
"La Clémence de Titus", du 10 au 18 décembre au TCE.
"Répétition" du 12 au 21 décembre au Théâtre de Gennevilliers puis en tournée.
Révélé à Avignon, le jeune et phosphorescent metteur en scène se bat pour un théâtre ambitieux, populaire et engagé.
C’est une phrase de rien, lâchée comme ça, entre deux portes, alors qu’interrogé sur la marque de sa veste (inconnue au bataillon), Thomas Jolly, 32 ans, se plaignait de ne jamais trouver de vêtements à sa taille, qu’il a très fine. Une phrase de rien qui, bizarrement, reste longtemps après l’interview, comme un coup de laser appuyé sur la rétine. «Je suis phosphorique.» Soit, en homéopathie, l’un des trois profils de base désignant à raison, en ce qui le concerne, les sujets longilignes, sensibles et créatifs. Mais aussi un synonyme de phosphorescent, cette faculté tellement géniale qu’ont les vers luisants à rayonner dans la nuit. Ajoutez à cela l’expression «extrêmement solaire» choisie par son mentor, Stanislas Nordey, pour qualifier son ancien élève de l’école du Théâtre national de Bretagne (TNB), et nous voilà convaincue que notre portrait du remuant Jolly, acteur et metteur en scène délicat révélé au dernier Festival d’Avignon, sera lumineux, ou ne sera pas. Fusée. Il a beau rappeler que son Henry VI l’a occupé quatre ans et demi, l’impression dominante est celle d’un jeune homme monté très vite, très haut. Qui connaissait Thomas Jolly avant le 21 juillet, jour de la première représentation de cette trilogie de Shakespeare ? Commencée à 10 heures, l’intégrale s’est achevée à 4 heures le lendemain matin. Dix-huit heures dans le règne d’un roi, de son couronnement à son assassinat par le futur Richard III, qui, loin de les décourager, ont emballé critiques et festivaliers. En tournée ces jours-ci en région parisienne, l’épopée, qu’il a voulue «exigeante et populaire», séduit autant les lecteurs de Télérama que les fans de la série Game of Thrones, à laquelle, feuilletonnante et meurtrière, elle est sur Twitter régulièrement comparée.
Miroirs ? Une jambe croisée par-dessus l’autre, il fait tourner son pied sur lui-même, en même temps qu’il parle avec ses mains, ses bras, son corps tout entier. Un sujet lui tient à cœur, il jette son paquet de cigarettes devant lui et s’accroupit sur sa chaise, imprévisible et souple comme un chat. Est-ce parce qu’il aime les regards tournés vers lui, ou qu’il «meurt d’ennui en trois minutes» ? Thomas Jolly enchaîne les poses, et s’étonne qu’on s’en étonne. Quelque chose chez lui provoque, sans que l’on sache ce qui l’emporte, de l’agacement ou du désir. Il a le charme juvénile d’un Pierre Niney. La sensualité du Daho des années 80. S’il joue, finit-on par se dire, interpellée par le caractère à la fois pudique et généreux de ses réponses, c’est sans calcul. «Thomas n’a pas de multiples personnalités en fonction des gens qu’il côtoie, confirme son amie de toujours, l’actrice Charline Porrone. L’honnêteté est, je crois, la première de ses qualités.»
Spotlights. A en juger par son phrasé parfaitement articulé, dans les deux sens du terme, comme par les évocations qu’il fait de Bach ou de Rothko (son «idole»), on serait tenté de le ranger dans la catégorie des gens de théâââtre nés de qui il faut, là où il faut, soit quelque part entre l’Odéon et la Comédie-Française. Thomas Jolly a ceci de revigorant que pas du tout. Fils d’une infirmière et d’un imprimeur qui ne les emmenaient, lui et sa sœur, que deux à trois fois par an au spectacle, il a grandi dans un petit village près de Rouen, où il excellait dans la pratique de la pêche aux têtards et dans l’art des expéditions en forêt. «Mes parents ne m’ont jamais contraint, confie-t-il. Je rêvais d’être danseur étoile, ils m’ont inscrit à la danse. Pareil pour la musique. Le problème, c’est que les deux m’ennuyaient.»
Il découvre le théâtre à 11 ans, grâce à un livre de Pierre Gripari, Sept Farces pour écoliers. Ne fait que ça depuis : compagnie pour enfants, classe théâtre, licence d’études théâtrales, puis les cours du TNB, dont il sort «libéré». «Longtemps, je n’ai pas su quoi faire de ma culture populaire. Au TNB, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de honte à aimer Walt Whitman, Verdi et les Spice Girls.» Le 31 octobre, le Rouennais assistait au concert de Lady Gaga au Zénith de Paris. «Un cadeau de la troupe.» Il lit pas mal de mangas, dont il loue la liberté de ton et les schémas narratifs «luxuriants». Rien ne le détend davantage qu’une heure de Zelda.«Le jeu vidéo est la seule activité qui me repose, reconnaît-il. La moindre merde à la télé me fait réfléchir : j’analyse la réalisation de telle émission, les costumes et les lumières du dernier show de Beyoncé… Le théâtre est à la bourre quand on voit ce que les éclairagistes sont capables de faire sur ce type de concerts.» Son nom figure au générique de Henry VI, catégorie «création lumière».
Lux fiat ! Stanislas Nordey lui a proposé de devenir artiste associé au Théâtre national de Strasbourg (TNS), qu’il dirige depuis septembre. «Le travail de Thomas s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’institution, se justifie-t-il. Contrairement à Vincent Macaigne, qui prône la table rase, Thomas est un trublion raisonnable. Il cherche à améliorer l’existant en en faisant bouger les lignes.» C’est peu de dire que l’intéressé a de son art une vision citoyenne, dont Henry VI est le «manifeste» assumé. «Les politiques ont oublié que le théâtre est constitutif de la société, regrette-t-il. Sous l’Empire romain, les pièces rassemblaient 17 000 personnes ! Je ne comprends pas, d’autant plus en temps de crise et alors que les gens le réclament, qu’ils ne fassent pas de la culture un enjeu.» La veille de notre rencontre au Théâtre national de Toulouse, il provoquait une discussion avec le public sur le dossier de l’intermittence, dont à chaque représentation de Henry VI un personnage se fait par ailleurs l’écho. «Traumatisé» par la présidentielle de 2002, qui avait vu Jean-Marie Le Pen passer au second tour, il vote PS «du tac au tac», ce qui ne l’empêche pas d’être «refroidi» par la ligne du gouvernement actuel.
Eclipses. «Des angoisses, il en a, en convient son amie Charline Porrone, mais au lieu de les mettre de côté, il en fait quelque chose de positif.» La crise économique ? Il choisit de la voir comme «une période de reconstruction» à laquelle il «veut participer». La défiance à l’égard de la classe politique ? Il «refuse d’y céder.» L’amour ? Il hésite, pour une fois cherche ses mots. «Disons que ce n’est plus un besoin, mais une gourmandise.» En couple avec un comédien, il se dit «très heureux». On devine qu’il ne l’a pas toujours été. «N’allez pas écrire que je suis déprimé», s’inquiète-t-il soudain. Aucun risque. «Je l’ai fréquenté au quotidien pendant trois ans, et je n’ai jamais vu d’ombre sur son visage», remarque Stanislas Nordey. Sourire au bout du fil : «Un petit renard.» Plutôt une luciole, si vous voulez notre avis, cet insecte tortillant qui, dans Zelda, Shakespeare et ailleurs, rappelle le soleil au bon souvenir de la nuit.
EN 7 DATES 1er février 1982 Naissance à Rouen. 2003 Entre à l’école du Théâtre national de Bretagne. 2006 Fonde sa compagnie, la Piccola Familia. 2010 Entame son travail sur Henry VI.Juillet 2014 Présentation de Henry VI à Avignon. 3-14 décembre 2014Henry VI aux Gémeaux, la scène nationale de Sceaux. 2015 Artiste associé au Théâtre national de Strasbourg.
Par Chloé Aeberhardt Photo Ulrich Lebeuf pour Libération
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Avez-vous déjà respiré le parfum d’une lettre ? D’une missive à l’ancienne – comme au XXe siècle – écrite sur du papier et reçue par la poste ? Nous ne parlons pas de sa tonalité affective ni des sentiments qu’elle exprime, mais bien des senteurs qui s’en dégagent – l’odeur des mots. Page 171 du Tabac Tresniek, le jeune héros, Franz, replie une lettre qu’il vient de recevoir de sa mère et y plonge les narines. « Elle sentait les planches de ponton putrides et les roseaux secs de l’été, les petits morceaux d’écorce calcinés, le beurre clarifié en train de fondre et le tablier maternel saupoudré de farine. »
Des descriptions à faire pâlir les nez d’Hermès ou de Guerlain, on en trouve à foison chez Robert Seethaler. « C’est que je suis venu au monde avec un grave défaut de la vision… », explique, comme pour s’excuser, l’écrivain autrichien. Nous sommes à la Literaturhaus, dans le quartier de Charlottenburg, à Berlin. Autour de nous, les clients ont tout de suite repéré Robert Seethaler. Pas seulement à cause de sa taille – ce géant blond mesure plus de 2 mètres. Mais surtout parce que son cinquième roman, Ein ganzes Leben –, Une vie entière, récemment publié par Hanser et en cours de traduction aux éditions Sabine Wespieser – a fait de lui la coqueluche des médias et la star des librairies allemandes. Hambourg, Düsseldorf, Dresde, Munich, Cologne… : Seethaler est attendu partout. C’est presque un miracle de pouvoir l’attraper ici, à Berlin, où il vit depuis qu’il a quitté l’Autriche, au milieu des années 1990.
Mais revenons au défaut oculaire. « Quand j’étais enfant, à Vienne, j’allais à l’école pour les malvoyants, se souvient Seethaler. J’ai découvert la lecture par la voix de ma mère. Le monde extérieur m’effrayait. L’imaginaire m’offrait une consolation, un refuge peuplé d’émotions et d’images en mouvement… » Seethaler anticipe ma question. « Là, par exemple, tandis que je vous parle, je vous distingue, car je porte des lentilles et ai subi plusieurs opérations. Mais si je ferme les yeux, ne vous offusquez pas. Ce n’est pas de l’impolitesse. C’est une manière, au contraire, de me rapprocher de vous… »
Comme s’il faisait plus clair dans l’obscurité. Comme s’il était plus facile d’approcher les choses quand on ne les voit pas. C’est ce qui frappe chez Robert Seethaler : le visible n’est pas tout. Pour un peu, on conseillerait de lire ses livres dans le noir, les yeux fermés…. Plus tard, l’écrivain expliquera qu’il est doué de synesthésie. C’est-à-dire qu’il associe naturellement – comme Rimbaud dans ses Voyelles – des lettres et des couleurs ou des chiffres et des sons. « Depuis toujours. Je suis né comme ça… » Cette particularité de son cerveau a-t-elle une influence sur sa manière d’écrire ? « Ces images flottent, dit-il, elles sont sans cesse là, comme un décor, en arrière-plan. L’important pour moi, c’est de transmettre une expérience sensuelle derrière les apparences. »
De l’invisible, la conversation glisse vers l’inconscient. « Freud m’a toujours passionné, confie-t-il, comme médecin mais aussi comme “littérateur”. » A 16 ans, à Vienne, Seethaler dévore L’Interprétation des rêves puis se lance dans des études de psychologie. C’est l’âge auquel il est en conflit avec lui-même. A cause de cette « histoire d’yeux », comme il l’appelle. « Je vivais replié. Il fallait que je sorte de mon coin sombre. Que je me dépasse. J’ai décidé d’aller vers la lumière. Je suis devenu acteur… »
On imagine le tour de force. Diplômé de la Schauspielschule, l’académie d’art dramatique de Vienne, Seethaler joue dans nombre de longs-métrages, séries télévisées et pièces de théâtre. Cette année, le réalisateur italien Paolo Sorrentino lui a demandé de tenir un rôle dans La Giovinezza (« La jeunesse », sur les écrans en 2015), aux côtés de Michael Caine et Rachel Weisz. « J’ai dit cinq fois “non”, et puis j’ai fini par accepter, dit-il. En principe, le film sera montré à Cannes au printemps. Je n’ai pas un très grand rôle mais, grand ou petit, c’est la dernière fois que je joue. A 48 ans, je me rends compte que le métier d’acteur n’est pas fait pour moi. Je me sens nu dans la lumière. Etre vu suscite chez moi de la honte. Il n’y a rien de plus effrayant que d’être regardé. »
Disponibilité bienveillante Ecrire des romans, des scénarios : désormais, Robert Seethaler ne veut plus faire que ça. On lui demande de quoi parlent ses autres livres, ceux qui n’ont pas (encore) été traduits en français. « Leur point commun, dit-il, c’est qu’ils mettent en scène un “outsider” à qui la marginalité confère une force. Dans le premier – vous allez sourire parce que vous y verrez, comme souvent dans les premiers romans, une dimension autobiographique, et vous n’aurez pas tort –, dans le premier donc, mon personnage principal est une jeune fille de 16 ans avec… de très grosses lunettes. C’est quelqu’un de timide, qui parle à peine, mais qui, un jour, trouve le courage d’empoigner sa vie. Un peu comme Franz dans Le Tabac Tresniek, cette fille porte un regard naïf sur le monde. Mais quand je dis “naïf”, attention : c’est un mot que j’entends de manière extrêmement positive. Un mot qui veut dire “étonné”, “ouvert”, “frais”… »
Cette disponibilité bienveillante, on la retrouve chez Andreas, le héros de Ein ganzes Leben. « Comme tout bon petit Autrichien, j’ai eu une enfance où la montagne, la neige, le ski ont joué un grand rôle, raconte Seethaler, dont le père était plombier et la mère secrétaire. Un jour, sur une remontée mécanique, j’ai été envahi par un calme particulier. La forêt, le bruissement des sapins, le crissement de la neige : il y avait là quelque chose de magnifique et d’angoissant. C’est cet étrange alliage – une boule de silence, de beauté et d’angoisse – qui est devenu le noyau dur de mon histoire. »
Selon les mots de son auteur, Ein ganzes Leben raconte la vie d’Andreas, un vieil homme vivant seul dans une vallée perdue au milieu des montagnes. Et qui raconte sa vie, toute sa vie. « Vous voyez à quel point c’est simple, dit Seethaler. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas seulement l’irruption de la modernité dans cet endroit reculé. C’était que, comme souvent chez les vieillards, Andreas, quand il revoit son existence, place sur le même plan les événements banals et les épisodes dramatiques. La mort du frère, un bidon de lait renversé par le chien. Sans jugement ni morale. Son récit, c’est l’observation stricte de ce qui a été. L’observation et l’acceptation. »
Seethaler marque une pause. Puis corrige : « Ou plutôt non. Andreas n’accepte pas la vie. Il la prend dans ses mains. Nehmen und hinnehmen. Prendre et accepter. En allemand, les deux verbes ne signifient pas la même chose… » On pourrait observer qu’en français non plus, mais cela nous éloignerait du sujet. On a juste envie de dire à Seethaler que l’on « prend » un énorme plaisir à le lire, et que ce plaisir, on « l’accepte » sans difficulté. Plus délicat est d’analyser vraiment de quoi il est fait. Ses ingrédients. Comme on dirait « bois, roseau sec, écorce calcinée », on pourrait dire authenticité, simplicité et naïveté, au sens seethalien du terme. Mais il y a plus. Un charme opaque. Une manière mystérieuse de poser sur le monde ce « non-regard » étonné d’écrivain malvoyant. Qui nous apprend à le relire, ce monde, juste un peu différemment.
Parcours 1966 Robert Seethaler naît à Vienne (Autriche).
Années 1980 Il étudie à la Schauspielschule pour devenir acteur.
1994 Après avoir joué dans de nombreux films et au théâtre, il s’illustre dans la série allemande « Une équipe de choc » (« Ein Starkes Team »).
Années 2000 Il écrit 5 romans et 3 scénarios (non traduits).
2015 Best-seller en Allemagne, Ein ganzes Leben (Une vie entière) paraîtra chez Sabine Wespieser.
Semaine noire pour l'art contemporain à Caen. Après le flou entourant le futur Frac, voilà que le Wharf annonce dans une lettre sa disparition programmée.
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Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France - Régime des intermittents du spectacle - en lutte contre le protocole Unédic du 26 juin (...)
Nous ne nous laisserons pas intimider
Sur le site de la Direction de l’information légale et administrative du Premier ministre, nous lisons sous le titre Intermittents du spectacle : différé d’indemnisation chômage reporté au 30 juin 2016 au plus tard : « La mise en place d’un « délai de carence » concernant l’indemnisation des intermittents du spectacle (différé d’indemnisation chômage) ne va pas s’appliquer comme prévu initialement par la nouvelle convention chômage en vigueur depuis le 1er juillet 2014. Un arrêté publié au Journal officiel du jeudi 20 novembre 2014 prévoit d’en reporter l’application au 30 juin 2016 au plus tard. L’État s’est en effet engagé, le 19 juin 2014, à neutraliser ce différé et à compenser le coût pour le régime d’assurance chômage. À la suite de la nouvelle convention chômage, les règles sur le différé d’indemnisation ont été modifiées avec un allongement pour les salariés touchant des indemnités supérieures au minimum légal au moment de la rupture de leur contrat de travail. »
Nous le disions avant la signature de l’accord Unedic du 22 mars : nous ne voulons pas être sauvés [1]. Nous ne voulons pas voir le sort des intermittents du spectacle disjoint de celui des autres intermittents de l’emploi : chômeurs, intérimaires, précaires, sans papiers. La prise en charge du différé des annexes 8 et 10 par l’Etat aurait dû paraît-il nous réjouir. Il n’en n’est rien ! Cette décision, annoncée à la hâte en juin à la veille des festivals d’été par le gouvernement, n’avait d’autre but que d’étouffer la lutte portés par les intermittents de l’emploi depuis la signature et l’agrément de la convention d’assurance chômage du 22 mars 2014. Monsieur Valls voulait séparer par cette manœuvre la lutte des intermittents de l’emploi de celle des intermittents du spectacle. Il n’a trompé personne. Nous sommes encore et toujours unis dans la lutte.
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Publié dans l'Humanité : Jelle Saminnadin, comédienne
« Petite fille, j’étais la seule enfant noire dans mon école. Souvent obligée de me battre car on m’affublait d’insultes telles que “Négresse à plateau, Blanche-Neige, Boule de suie ou Noiraude”, je ne comprenais pas… j’avais juste une couleur différente. L’année dernière, au jardin des Tuileries, une femme m’a traitée de “macaque” et, l’autre jour, en venant au Théâtre Gérard-Philipe, une autre m’a regardée et a dit : “Toute cette racaille en France !..” Loin de moi la militante, je ne suis ni Angela Davis ni Miriam Makeba, qui étaient pour moi des femmes admirables, mais je suis fière d’incarner cette femme pour la deuxième fois, qui a pu être l’une de mes ancêtres, et de raviver sa mémoire. »
Guillaume Mivekannin, comédien
« L’inconscient collectif français ne prend pas en compte la volonté de l’État français de s’établir en empire colonial lors des siècles précédents et ses répercussions sur la société française actuelle. Je ne me sens pas de couleur, je suis autant noir que blanc et je ne souffre plus trop du racisme parce que je suis convaincu de ma légitimité. Malgré tout, je sens qu’il est urgent d’expliquer, d’enseigner, de tous nous éduquer sur cette période coloniale, sur ce désir de l’État français d’absorber tous ces pays, et sur les conséquences de ce désir des années après. Cela pour rendre leur légitimité à toutes les personnes françaises d’apparence différente, qui, à force de voir cette légitimité être niée, ont tendance à se replier en communautés. »
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Après plusieurs mois d’incertitudes, c’est avec une très grande affliction que nous vous annonçons la fermeture du Wharf, Centre d’art contemporain de Basse-Normandie.” La lettre émane de Gilles Forest directeur et Florence Dubus, assistante de direction. “Fondé en janvier 1990, grâce à la volonté de la Ville d’Hérouville Saint-Clair et de la Comédie de Caen, cet espace de création, de rencontre et de partage était jusqu’alors le seul équipement de cette nature en Basse et Haute-Normandie. Il permettait, outre ses actions de médiation et de rencontre des publics, à des artistes et des collectifs d’artistes de trouver les moyens de pérenniser leur production, de conforter leur statut professionnel indépendamment des institutions. Mais, comme d’autres équipements culturels, il participait également à la réduction de l’hémorragie des artistes de notre région vers d’autres contrées. La disparition d’un lieu de création dédié avant tout aux artistes résonne comme l’éradication territoriale d’une prise de parole, et d’une pluralité de propositions. Cette présence s’efface donc d’une géographie locale. Ainsi sur le district de Caen la Mer, ce rétrécissement de parole augure une sombre convulsion d’une poétique urbaine et « communautaire » qui se doit d’être sensible. Le budget du Wharf a été réduit de 26% ces six dernières années, jusqu’à l’annonce par la DRAC et la Région Basse-Normandie de fermer le Centre d’Art et de licencier le personnel. Florence Dubus, attachée de direction, et Gilles Forest, directeur, quitteront leurs fonctions à la fin de l’année 2014. La dissolution de l’association qui régit cette institution sera quant à elle effective au cours du premier trimestre 2015. ”
Tous deux ne pouvaient partir sans adresser des remerciements : “ Nos remerciements vont aux artistes qui ont dévoilé leurs œuvres, aux collègues critiques, conférenciers, historiens qui ont participé au rayonnement de cette institution, aux intercesseurs les plus variés qui ont été les porte-paroles du travail des artistes et dont les œuvres s’incarnent par et dans les publics. À toute cette « communauté », nous présentons notre gratitude pour tout ce chemin accompli au Wharf aux cours de ces 25 années.”
Ils soutiennent à la fin du communiqué : “ Si vous souhaitez réagir à cette information, vous pouvez le faire à l’adresse suivante wharf2@orange.fr et sur facebook: https://www.facebook.com/wharf.cac”
Il n’y a plus guère de doute. Le squelette exhumé en septembre 2012 à Leicester (Angleterre) lors de la construction d’un parking est bien celui du roi Richard III d’Angleterre, concluent des chercheurs à l’issue d’une série d’analyses génétiques et généalogiques. L'équipe internationale dirigée par Turi King (département de génétique de l’université de Leicester) publie ses derniers résultats dans la revue Nature Communication datée du 2 décembre. Selon elle, il s’agit du plus ancien personnage célèbre identifié par son ADN.
Dernier souverain britannique tué sur un champ de bataille, Richard III avait succombé à Bosworth le 22 août 1485 à l’âge de 32 ans, après seulement deux ans de règne. Les historiens savaient que son cadavre avait été enterré non loin de là, à Leicester, dans l’église de Greyfriars, une communauté franciscaine. Mais la trace de la tombe de ce souverain de sinistre réputation, dernier représentant des Plantagenêt, avait été perdue après la destruction de l’église, au XVIe siècle.
Scoliose et blessures à la tête Ce n’est qu’en septembre 2012 qu’une équipe de scientifiques a mis au jour, sur le présumé site de Greyfriars, des ossements pouvant être attribués à Richard III, selon des critères radiologiques et de datation. Des techniques modernes d’examen, d’imagerie notamment, ont ainsi établi que le squelette de Leicester correspondait à un homme âgé de 30 à 34 ans, avec une scoliose sévère et de multiples blessures à la tête, éléments tout à fait compatibles avec ce que l’on sait de Richard III. Les résultats de cette « autopsie » ont été publiés en septembre 2014 dans la revue britannique The Lancet.
Pour compléter l’enquête, Turi King et ses collègues, dont des spécialistes d’ADN ancien et des historiens, ont eu recours à plusieurs types d’examens génétiques. Richard III n’ayant pas de descendant direct, son ADN a été confronté à celui d’autres apparentés actuellement vivants.
Les chercheurs ont ainsi comparé l’ADN mitochondrial du squelette à celui de deux membres de la branche maternelle de la famille (descendants d’Anne d’York, la sœur aînée de Richard III). Une concordance quasi parfaite a été retrouvée, qui n’a que très peu de chance d’être due au hasard, soulignent les chercheurs. En revanche, l’étude du chromosome Y a révélé au moins un « point de rupture » entre l’ADN du squelette de Richard III et celui d’apparentés vivants issus de la lignée paternelle. Un élément apparemment discordant, mais pas inattendu selon les auteurs de l’article de Nature Communication, qui rappellent la fréquence élevée des fausses paternités lors d’études portant sur de nombreuses générations.
Enfin, les caractéristiques de l’ADN du squelette évoquent un individu aux yeux bleus (avec une probabilité estimée à 96 %) et blond (avec une probabilité de 77 %), « du moins dans son enfance ». Ce phénotype est concordant avec un portrait de Richard III appartenant à la société des antiquaires de Londres, présenté dans l’article.
Plus de cinq cents ans ans après sa mort, le « cold case » du roi Richard III peut enfin être classé. Le souverain sera inhumé le 26 mars 2015 dans la cathédrale de Leicester, avec une cérémonie qui sera le point d’orgue d’une semaine d’événements commémoratifs.
«L’installation-performance» du Sud-Africain Brett Bailey s’attire les foudres d’opposants qui lui reprochent ce qu’il entend précisément dénoncer : l’oppression des Noirs.
C’est une œuvre qui révèle une profonde fracture, un profond malentendu dans nos sociétés. Où l’on apprend qu’il ne suffit plus de vouloir être antiraciste pour l’être vraiment. Que la non-représentation des minorités ethniques est un problème réel : non pas la non-représentation en tant qu’objets, mais en tant que sujets ayant «voix» au chapitre. Et que le retour de manivelle peut être brutal.
Dégradant». Montrée à Avignon en 2013, puis au CentQuatre à Paris, et ailleurs dans le monde, la pièce-performance Exhibit B, du Sud-Africain Brett Bailey, a été annulée à Londres en septembre, avant d’être perturbée au théâtre Gérard-Philipe (TGP) de Saint-Denis la semaine dernière. Une partie des représentations de jeudi a été empêchée par des manifestants, les suivantes se sont déroulées sous protection policière durant le week-end. De quoi parle cette pièce ? «Exhibit B est une installation-performance en douze tableaux vivants qui dénonce des actes commis, d’une part, en Afrique, pendant la période coloniale, et, d’autre part, aujourd’hui, en Europe, envers certains immigrés africains. Un pan occulté de notre histoire, dont les constructions idéologiques racistes perdurent jusqu’à nos jours», indique le site du CentQuatre, qui accueille à nouveau la pièce la semaine prochaine.
Les spectateurs déambulent dans ce qui rappelle un zoo humain colonial, où des acteurs noirs parfois nus, muets, les suivent du regard. Dès avant la reprise de l’installation au TGP, une pétition du collectif «Contre Exhibit B» avait circulé, signée par plus de 23 000 personnes, demandant l’annulation des représentations : «L’exposition met en scène des Noirs enchaînés et dans différentes positions dégradantes. […] Les figurants noirs sont embauchés dans chaque ville où l’exposition est présentée, et les spectateurs payent pour visiter un à un les Noirs, qui restent silencieux et immobiles. […] Nous voulons exprimer notre opposition indignée à cet événement raciste.»
D’un côté, l’absolue bonne foi de Brett Bailey et de ceux qui soutiennent son travail, qui ne sont pas des antiracistes mondains, mais des travailleurs culturels et sociaux. Bailey fait en outre valoir qu’on ne peut juger de son installation sur documents, puisqu’Exhibit B propose une expérience à vivre, celle de la gêne physique, où celui qui est le plus dénudé, mis à l’os, n’est pas forcément l’acteur noir. De l’autre, une vraie frustration, qui s’est exprimée dans la rue, au prix de quelques violences puisque des manifestants se revendiquant de la Brigade anti-négrophobie ont, jeudi, brisé une vitre du théâtre, agressant verbalement et physiquement des spectateurs et des membres du personnel. La police est alors intervenue. Deux manifestants ont été interpellés.
Ce désir d’interdire a d’abord choqué. On ne peut pas à la fois condamner les cathos intégristes empêchant les pièces mystiques de Castelluci ou vandalisant le Piss Christ de Serrano et accepter qu’un spectacle antiraciste soit interdit par d’autres antiracistes. La réaction suivante a été de dire : ils n’ont pas compris. Sauf qu’à suivre la polémique marquée du hashtag #ContreExhibitB sur les réseaux sociaux, on voit bien que (à part quelques excités appelant à foutre le feu au TGP) les manifestants, au contraire, comprennent très bien, portant des pancartes «décolonisons les imaginaires» ou notant avec des accents bourdieusiens que «lutter contre le racisme, ce n’est pas regarder Exhibit B, mais questionner ses privilèges de dominant».
Déni. La comédienne Amandine Gay (que l’on voit dans les reportages en ligne des anti-Exhibit B) ou le sociologue Eric Fassin ont assez vite publié des textes dans Slate et Mediapart permettant de comprendre que c’était peut-être moins cette œuvre particulière de Bailey en particulier qui était perçue comme une agression, qu’un déni sociétal général de la parole «minoritaire». Gay rappelle ainsi que «les expériences de vie et le rapport à la question raciale, dans une société majoritairement blanche, sont extrêmement différents que l’on soit noir-e ou blanc-he. La lutte face au privilège blanc, qui inclut le monopole de la parole sur l’histoire et la représentation des Noir-e-s, aussi. Et ce, même lorsque les dominants sont bien intentionnés.»
S’il n’est évidemment pas question de cautionner quelque censure que ce soit, si Exhibit B doit pouvoir être joué, il faut entendre cette manifestation d’exaspération et résister à la tentation de réduire les contradicteurs, souvent jeunes et éduqués, par le mépris. Cette blessure de l’incompréhension se lit parfaitement sur Internet, avec par exemple ce tweet de @AudVoo, postant ce lundi : «Les gauchistes, c’est chiant. Ils font exprès de voir #ContreExhibitB = "On dit que les Blancs n’ont pas le droit de parler de racisme."»
Entre la LDH ou le Mrap et les chantres de la cause noire, le divorce est acté.
La mobilisation contre Exhibit B a de nouveau mis en lumière la rupture entre les organisations anti-racistes traditionnelles (Licra, Mrap, LDH) et de nombreux militants de la cause noire. Franco est le porte-parole de la Brigade anti-négrophobie, dont les membres ont occupé, quatre jours durant, le parvis du théâtre Gérard-Philipe avec ceux des Indigènes de la République ou d’Ausar. «On a prononcé un divorce net et précis avec les organisations antiracistes de façade»,dit-il. Pour lui, le spectacle de Brett Bailey «ne montre le Noir que dans une position humiliante», une «mécanique clairement raciste, consciente ou inconsciente». La comédienne Amandine Gay dénonce «une vision misérabiliste». Surtout, elle regrette le peu d’intérêt montré par la direction du théâtre à l’égard des manifestants : «Cela fait deux ou trois mois qu’on écrit sur le sujet, une pétition a reçu 20 000 signatures. Et pourtant, le pouvoir blanc refuse de voir ce qui se passe dans la rue et d’entendre les Noirs. Tout ce qu’on nous répond, c’est qu’on ne comprend rien à l’art.» Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), abonde : «Des propos ont mis de l’huile sur le feu, notamment quand Christophe Girard [maire PS du IVe arrondissement de Paris, ndlr] a parlé d’obscurantisme. C’est une vision paternaliste et colonialiste.»
En face, Mrap, LDH et Licra ont dénoncé la manifestation «devenue violente»et appelé la préfecture à protéger le théâtre et les spectateurs. Dans un communiqué distinct, le Mrap est allé plus loin en fustigeant «l’attitude pour le moins irresponsable de certains initiateurs de la manifestation», estimant qu’ils avaient permis à des «groupuscules, dont le discours ressemble à la rhétorique développée par Tribu K, organisation racialiste, antisémite violente dissoute en 2006, de se remettre en scène». Une accusation que ne supporte pas Amandine Gay : «On nous demande toujours de montrer patte blanche. Pourquoi devrait-on rassurer sur le fait qu’il n’y a pas de racistes et d’antisémites dans nos rangs ? Je n’en sais rien et je m’en fous !»
Parmi les opposants, le débat sur une éventuelle interdiction n’est pas tranché. Franco y est favorable : «Le chantage affectif sur la liberté d’expression, on ne prend plus. L’esclavage, c’est un crime contre l’humanité. On ne peut pas laisser passer.»Louis-Georges Tin y est pour sa part opposé, «parce que Bailey n’est pas Zemmour et qu’il n’est pas animé de mauvaises intentions». Il espère néanmoins que d’autres spectacles sur des «figures noires combattantes» seront prochainement mis en scène. Une proposition que plusieurs institutions culturelles ont accueillie favorablement.
l'Ecole du Nord recrute sa nouvelle promotion (2015-2018)
L’Ecole professionnelle supérieure d’art dramatique du Nord-Pas de Calais (Epsad) forme au métier de comédien depuis plus de 10 ans. Créée à Lille en 2003 par Stuart Seide, l’Epsad est devenue un repère sur le territoire national. En juin 2015, elle aura formé 60 comédiens en 4 promotions.Aujourd’hui dirigée par Christophe Rauck, nouveau directeur du Théâtre du Nord, l’Epsad a changé de nom : elle est dorénavant l’ECOLE DU NORD.L’Ecole du Nord prépare le recrutement de sa 5° promotion : elle sera composée de 13 élèves-comédiens et de 2 élèves-auteurs.
CLIQUER SUR LE TITRE OU L'IMAGE POUR OUVRIR LA PAGE DE L'ECOLE DU NORD SUR LE RECRUTEMENT DE LA NOUVELLE PROMOTION
"C’est l’une des premières pièces de Marivaux. Le thème: la raison d’État dans un papier de bonbon. Le Prince doit épouser une de ses sujettes, c’est une loi fondamentale du royaume : ainsi il épouse le peuple, et assure sa légitimité. Mais il est fort probable que Marivaux ne fait pas spécialement de la politique et qu’il voit là une condition intéressante à ce qui l’amusera toujours : l’expérimentation des sentiments. Le choix du Prince qui n’a rien laissé au hasard, s’est porté sur Silvia. Elle aime Arlequin, est aimée de lui, mais quelle importance, que valent ces « petits hommes » devant la raison d’État ? Une fois les deux amoureux villageois enlevés et séquestrés au palais, toute la Cour s’y met : il s’agit de les séparer, et avec leur consentement. On agira donc sur leurs points faibles : celui de Silvia, c’est la coquetterie et les rivalités féminines qui vont avec, celui d’Arlequin, les appétits de la chair: bonne table et jolies filles. La double Inconstance annonce La Dispute, une pièce de la fin, avec le même caractère expérimental, en moins systématique. Pour prendre le pouvoir sur les cœurs, il faut séduire, et pour séduire, il faut dé-naturer ces indigènes que sont Silvia et Arlequin : c’est la stratégie de la cour. Ça va marcher, mais pas comme elle s’y attendait : le double escalier de l’amour montant et descendant, fonctionne exactement comme dans les autres pièces, le mensonge conduisant à la vérité (provisoire ?) et le sentiment arrivant tout juste avec les mots pour le dire. Ce qui fait rire : la rapidité des étapes du désamour, et l’embarras à avouer un nouvel amour. Humanité ordinaire. Car la pièce rappelle magistralement, en particulier dans la bouche d’Arlequin une chose inouïe et oubliée : les hommes sont égaux. Un homme en vaut un autre, une femme en vaut une autre. Silvia sait que l’attrait pour un joli visage est plus fort que les frontières de classe, et Arlequin sait qu’un prince qui contraint les sentiments est un tyran. Celui-ci n’est pas Dom Juan face à Charlotte et Mathurine : lui qui semble avoir plus ou moins « eu » toutes les dames de la cour, est amoureux. Et l’amour est un danger, comme les bons sentiments, ce qui nous vaut une belle scène entre le Prince et Arlequin, au bord du vide d’un balcon qui les jetteraient dans la salle, c’est-à-dire presque dans le réel. Mais cette gravité-là est sous-jacente à la représentation de la Comédie Française. On a plutôt devant soi un très joli spectacle dans un emballage-cadeau, avec des costumes modernes, décalés, très « comité Colbert », d’avant-garde chic et choc. L’idée qu’il s’agit d’une répétition au foyer des comédiens donne un petit côté entre-soi charmant et agaçant, un peu inutile aussi : on n’a pas besoin de ce prétexte pour entrer dans l’artifice de la comédie.
Christine Friedel pour Théâtre du blog
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Comédie Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 1er mars.
Après La Barbe Bleue en 2010 et Peau d’âne en 2012, Jean-Michel Rabeuxarrive sur la scène de la Maison des Métallos avec son dernier conte, La petite soldate américaine, inspiré d’un vrai scandale qui avait rendu les Etats-Unis en émoi il y a neuf ans. Cette pièce très courte a le temps, en à peine 50 minutes, de faire rire et trembler.
Une soldate américaine chargée de surveiller des prisonniers chante pour eux dans ses rêves, les humilie dans la réalité puis les tue, avant de se retrouver elle-même victime lorsque ses supérieurs partent de Bagdad sans elle. A son retour aux Etats-Unis, elle est emprisonnée suite à la publication de photos la montrant souriante auprès de corps torturés, puis condamnée à la chaise électrique. Le metteur en scène explore à nouveau l’histoire que Claudine Galea avait racontée dans Au bord et qu’il avait lui-même sténographiée. Il se l’approprie dans un langage qu’il ne maîtrise que trop bien: le conte. La pièce est en effet tenue par un conteur à la voix grave, Eram Sobhani, prononçant les mots rituels « Il était une fois… » La répétition régulière de formules telles que « Bref, c’était la guerre », « Dans une prison de tôle ondulée », et « son esprit, on ne sait pas où il était » donnent au récit un ton quasi enfantin, bien que le sujet traité soit extrêmement dur. Après tout, Ribeux parle d’emprisonnement, de torture, et de mort. Il reprend visuellement des éléments des vraies photographies, notamment pour la scène de l’agonie de l’héroïne, sur un praticable éclairé, la tête recouverte d’un sac noir, et des fils électriques attachés aux poignets. Dans une même cohérence, la guerre est réduite en un vocabulaire simple qui dévoile la réalité crue: « marcher sur une mine, se prendre des missiles sur la tête ». Les mots sont forts, et pour les faire entendre davantage, les personnages utilisent un micro une fois sur deux. En pleine scène de torture, le conteur interrompt son récit linéaire, pour expliquer de manière détaillée et toujours dans une visée schématique, l’agonie de la petite soldate: « elle sent qu’elle mourrait si ça continuait, l’électricité ».
Bien que le but avoué de ce conte est d’être « sans fée mais avec moralité », on ne sait pas très bien ce que condamne précisément la pièce. La violence entre les hommes, peut-être. La soldate est après tout décrite comme un bourreau sans foi ni loi, mais sur scène, on ne la voit qu’en tant que victime. La peine de mort qui lui est inffligée pourrait être justifiée dans les mots, mais sur le plateau, ce n’est qu’un personnage aux yeux ébahis, qui a l’air de ne pas comprendre grand chose à ce qui lui arrive. Elle se fait d’ailleurs régulièrement porter comme une marionnette par le conteur, trois fois plus grand qu’elle, ce qui donne au duo un faux air de David et Goliath. Elle est vraiment petite, cette soldate américaine. Corinne Cicolari est touchante par sa voix aussi fluette que sa silhouette. D’autant plus que deux parpaings sensés évoquer la pénibilité et le poids d’un uniforme américain, lui sont posés brusquement sur le dos, suscitant les réactions effrayées du public qui craint qu’elle ne s’effondre. Mais elle tient bon, on se demande comment. Elle ne dira rien, mais illustrera par ses chants, et ses onomatopées symboliques (« Pan » et « Clic ») l’histoire racontée. « Chante ! » est un ordre qui lui est souvent fait. La musique est prégnante, du début à la fin de la pièce. On commence par le I’m feelin’ good de Nina Simone et on termine avec Louis Amstrong et son What a wonderful world après avoir entendu un chant arabe, interprété par les deux acteurs. Ceux-ci jouent également de la batterie et de la clarinette. Toutefois, l’harmonie et le rythme sont ce qui manque à ce spectacle: il peine un peu à démarrer, l’enchaînement des séquences pas assez huilé. On est cependant séduit par les deux comédiens bien assortis.
Un conte sans prétention, qui a le mérite de nous interroger sur la légitimité d’un homme à en faire mourir un autre, aussi inconscient soit-il.
Marie-Lucie Walch pour Toute la culture
La petite soldate américaine jusqu’au 7 décembre 2014 à la Maison des Métallos, 94 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris; le 13 janvier 2015 à Le Familistère, Guise; du 8 au 10 avril 2015 au Nest-Théâtre, Thionville; du 11 au 28 mai 2015 à l’apostrophe, Cergy.
Breyten Breytenbach, Sud-Africain de naissance, Français de cœur, a dit le 28 novembre que « si la France est devenue ça, c’est triste ». L’écrivain, qui a passé neuf ans dans les geôles de l’apartheid, évoquait les violences de la veille lors d’une représentation d’Exhibit B au Théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis. Avec ce spectacle, le Sud-Africain Brett Bailey entend dénoncer la souffrance infligée aux Noirs depuis le XIXe siècle, quand ils étaient exhibés dans des zoos humains. Des performeurs, parfois nus, sont en cage, muets mais fusillant du regard le spectateur qui se trouve renvoyé à sa culpabilité et à son animalité. Bouleversant, pour certains. Scandaleux pour d’autres. D’où cette première en France : des militants antiracistes s’en sont pris à un spectacle antiraciste. Et ils ne l’ont pas fait juste en brandissant des pancartes mais avec les armes de l’intimidation, de l’insulte, du coup de poing. Et, là aussi, c’est une spirale inédite.
Ce rejet n’est pas tant esthétique que communautaire. Marre de voir des Noirs réduits à leurs habits de victimes, et d’occulter leur révolte. Marre que le décideur (le metteur en scène) soit blanc et ceux qui exécutent (les acteurs) soient noirs. Marre que les Noirs soient sous-représentés dans la culture en France. Marre que le pouvoir blanc colonial ne soit pas figuré. Nous n’avons pas vu le spectacle. Pas envie. Pour certains, ce n’est plus une question de choix mais un combat pour mettre une croix sur Exhibit B. C’est grave d’interdire une œuvre, et il y a des lois et des tribunaux pour cela. Ce n’est pas la voie empruntée par les anti-Exhibit B. Trop lente, trop ardue puisque seule une association constituée depuis cinq ans peut saisir la justice. Du reste, les récentes interdictions viennent des pouvoirs publics, et pas sur le contenu mais en raison du trouble à l’ordre public – ce fut le cas pour Dieudonné. La contestation ne passe donc plus par le tribunal mais par la rue et les réseaux sociaux : écrire, interpeller, pétitionner, boycotter, manifester, cogner.
Commissaire du peuple Les Noirs en France ont des raisons de se sentir exclus, humiliés, dépossédés. Mais on ne les suit pas, ceux qui exigent de l’artiste qu’il colle à leur point de vue. L’artiste doit être responsable mais il n’a pas à se mettre dans la peau de l’autre. Il n’est pas historien ou sociologue. Il ne doit pas être représentatif. « Décolonisons l’imaginaire ! », pouvait-on lire sur une banderole des anti-Exhibit B. Surtout pas. Si chaque communauté s’érige en commissaire du peuple, des milliers de livres pourraient être brûlés, des expositions fermées. On n’en est pas loin en lisant notre enquête sur le port du voile à l’université (Le Monde du 22 octobre) : quand une professeure en sociologie de Nanterre a dit que des intouchables en Inde ont appris à lire grâce à des colons anglais, plusieurs étudiantes voilées « à la saoudienne » se sont levées d’un bloc en disant : « Vous justifiez la colonisation ! »
Prenons encore le film Django Unchained, de Quentin Tarantino, sorti en 2012. Le cinéaste noir Spike Lee, indigné de voir l’esclavage réduit à un « western spaghetti », l’a jugé « irrespectueux » envers ses ancêtres. A l’opposé, des conservateurs ont dénoncé un film qui véhicule un « racisme anti-Blancs ». Et on n’a pas entendu les anti-Exhibit B sur les longues scènes du film 12 Years a Slave (2013), de Steve McQueen, Oscar du meilleur film à Hollywood, qui montrent des esclaves nus, humiliés et fouettés. Il est vrai que McQueen est noir.
Manque d’ironie Quand Claude Lanzmann, auteur de l’immense Shoah, s’en prend avec virulence aux films qui traitent le sujet par la fiction ou en recourant à des images d’archives, ses arguments ne sont pas ceux d’un juif mais d’un cinéaste : les images seraient vaines pour traduire la monstruosité de l’extermination. Mais aujourd’hui, le débat esthétique est souvent balayé. On pourrait par exemple interroger la posture, disons naturaliste, de Brett Bailey pour Exhibit B, qui consiste à montrer crûment une horreur pour sensibiliser le public. Posture périlleuse, tant de l’horreur à l’œuvre le saut est fragile. On ne compte plus, par exemple, les expositions d’art contemporain qui entendent dénoncer la société de consommation mais se limitent à la montrer allègrement. Question de ton, de forme.
« TOUT ARTISTE EST DÉSORMAIS À LA MERCI D’UN AYATOLLAH DU CORRECT. » JEAN-PAUL GOUDE D’ironie aussi, ce qui manque un peu à une communauté qui se sent meurtrie. En 1978, l’artiste Jean-Paul Goude réalise une photo de sa compagne, la chanteuse noire Grace Jones, nue dans une cage, avec cette inscription : « Do not feed the animal. » Ne pas nourrir l’animal. Image indéfendable au premier degré et si on oublie que l’œuvre de Goude, imprégnée des codes de l’histoire coloniale, a joué son rôle en faveur du métissage black, blanc, beur. Il explique : « Toute décision artistique doit être située dans un contexte. J’ai imaginé cette photo lors d’une performance au Roseland Ballroom, salle mythique de New York prisée par la communauté gay. Grace voulait poser en bête sauvage, car elle se voyait ainsi. J’ai été critiqué, mais ça restait de l’ordre du débat. Aujourd’hui, tout est de plus en plus crispé, et c’est effrayant. Tout artiste est désormais à la merci d’un ayatollah du correct. »
L’avocat Emmanuel Pierrat en tire cette leçon : « On peut beaucoup moins montrer qu’il y a trente ans des œuvres audacieuses. Parce que ces œuvres sont vues sur Internet par un public à qui elles n’étaient pas destinées. » Internet réussit là où trente ans de politiques culturelles ont échoué : attirer un public qui pense que tel spectacle n’est pas pour lui. Avec cet effet boomerang : ce public cherche à détruire une offre dans laquelle il ne se retrouve pas. « Les murs du théâtre sont devenus des cloisons de verre », conclut Pierrat. Exhibit B sera repris au Centquatre, à Paris, du 7 au 14 décembre. Dans quel climat ?
Lire aussi : « Exhibit B » à Saint-Denis : le théâtre face aux « antinégrophobes »
Politique culturelle. Suite à une réduction inattendue de la subvention municipale, le Théâtre de Villeneuve-lès-Maguelone voit son avenir menacé. L’Etat et la Région assurent un soutien à l’équipe.
La passe d’armes qui a eu lieu lors du dernier conseil municipal de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault) fait des vagues. Jeudi dernier, le groupe d’opposition présidé par Serge Desseigne (PCF) est monté au créneau pour défendre la politique culturelle de la ville.
Au coeur du débat le vote du solde de la subvention au Théâtre de Villeneuve. Le montant attendu par la Scène conventionnée enfance et jeunesse pour boucler la fin de l’exercice se voit raboté de 33 000 euros. Le maire (divers gauche) Noël Segura avalise les propos de son adjoint aux Finances sur les difficultés de la commune conduisant à cette coupe budgétaire. Il n’a malheureusement pas trouvé la disponibilité pour s’exprimer sur ce dossier.
« Pour justifier le vote de la majorité, notre adjoint aux Finances a fait état de la mise à disposition du personnel municipal pour le théâtre et d’une certaine insatisfaction quant à ses missions », précise Serge Desseigne. « Mais dans le même temps il est question d’un budget d’investissement de 470 000 euros dans un dispositif de vidéo surveillance », s’indigne le conseiller qui voit dans ce choix politique l’influence de l’élu FN jouant la carte d’une démolition de la politique culturelle.
Assorti d'une bourse de 15 000$, le Grand Prix de la danse de Montréal a été remis ce matin à la chorégraphe américaine Meg Stuart (maintenant basée à Bruxelles). Le prix de la meilleure oeuvre chorégraphique de la saison 2013-2014 a par ailleurs été décerné à Benoît Lachambre pour Prismes (qui est d'ailleurs à l'affiche de la 5e salle de la Place des Arts ces jours-ci). L'interprète Carol Prieur est également lauréate du Prix du Regroupement québécois de la danse.
Une exposition sans pareille se tient au Lieu unique, à Nantes. A première vue, elle paraît modeste : vous entrez dans une vaste salle, et là vous voyez des tables, avec des dessins et des maquettes, éclairées de petites lampes. Mais quand vous vous approchez et que vous regardez de près, vous pénétrez dans un monde que vous quitterez à regret au terme de la visite : celui de l’utopie, appréhendée à travers le théâtre. Ou plutôt les théâtres, lyriques ou dramatiques. Car c’est d’eux qu’il s’agit, dans cette exposition née d’une question toute simple.
« Quel sujet donner à mes élèves ? », se demande Yann Rocher quand, en 2005, le cours d’histoire de l’architecture théâtrale lui est confié à Paris-Malaquais, l’école d’architecture dont il est issu. Yann Rocher, qui est aussi musicologue et acousticien, a envie de sortir des chemins balisés. Il décide de laisser de côté l’histoire traditionnelle de l’architecture des théâtres, qui passe essentiellement en revue les édifiés. Et de s’immerger dans l’autre histoire, celle des salles imaginées sur le papier mais jamais ou quasiment jamais construites. « Cette histoire rejoint et enrichit celle de l’utopie en architecture, qui s’intéresse surtout à la ville et à l’urbanisme. L’aborder à travers les théâtres est un programme d’étude rêvé, parce que les théâtres sont les plus rêvés de tous les bâtiments publics. Leurs seuls concurrents seraient peut-être les musées. Pour les architectes, construire un théâtre représente une chance rare dans une carrière. Quand ils l’ont, ils s’investissent totalement et se laissent aller à leurs propres rêves. »
Catalogue analytique de folies assumées Fouillant dans ses livres, Yann Rocher retient quarante projets de théâtres utopiques à travers l’histoire qu’il propose à ses élèves. Le sujet se révèle si passionnant qu’il se transforme en une recherche menée sur plusieurs années et s’enrichit de centaines d’autres projets. S’ensuit une exposition, « Théâtres en utopie », coproduite par le Lieu unique et la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs), où elle a d’abord été présentée, de juin 2013 à mars 2014, avant d’arriver à Nantes. Sur tous les projets qui sont passés entre les mains de Yann Rocher et ses élèves, 80 ont été choisis. Chacun est illustré par un ou plusieurs dessins, presque tous sont accompagnés de maquettes créées pour l’occasion, tous ont droit à un commentaire de quelques minutes qu’on entend avec des écouteurs. On va ainsi de table en table et l’on est stupéfait de ce qu’on découvre : des trésors d’imagination et de rêve qui traversent le temps, de l’Antiquité à nos jours, et constituent un catalogue analytique de folies assumées, de traits de génie et de névroses inavouées.
Car on entre – et c’est tout l’intérêt de l’exposition – dans la tête des architectes en regardant ces projets, présentés de manière chronologique. Et c’est à nous, en quelque sorte, de donner aux théâtres la vie qu’ils n’ont pas eue, la plupart du temps pour des raisons financières ou politiques : une crise, une faillite, un surcoût, une guerre, et en voilà certains, prêts à sortir du sol, qui sont restés dans les tiroirs. D’autres ont été écartés pour des raisons idéologiques, en particulier sous des régimes politiques durs, comme celui de l’Union soviétique. Il y a aussi ceux qui n’ont pas séduit les jurys parce qu’ils les désarmaient ou s’engageaient trop loin, à leur goût, sur le chemin de l’innovation. Enfin, il y a les autres, qui n’ont même pas cherché à s’imposer.
Désir d’infini En voilà un, dessiné par François Garas : le Temple à la pensée (1897-1907). Dédiéà Beethoven, il niche sur un piton rocheux et s’élève vers le ciel, comme un désir d’infini qui contiendrait ce que la musique du compositeur évoque à l’architecte. Il s’en dégage quelque chose de mystique, mais le plus troublant c’est qu’on y voit des grues, comme si le temple était dessiné en cours de construction. Ces grues n’ont jamais existé, sauf dans l’esprit de François Garas, qui constitue un exemple rare d’architecte allant jusqu’à imaginer l’édification d’un projet dont il sait qu’il ne verra pas le jour. Un tel rêve rend songeur. Surtout quand on sait qu’après avoir inventé d’autres temples, François Garas a choisi de rompre avec le monde et de s’isoler dans une « petite maison », pour méditer…
Deux autres architectes, qui ont eux aussi travaillé à des salles uniquement consacrées à Beethoven, ont été beaucoup plus pragmatiques. Hendrik Petrus Berlage a conçu, vers 1907, un bâtiment massif d’inspiration byzantine isolé près de Haarlem, sur une lande hollandaise que les auditeurs auraient pu admirer par de vastes fenêtres si le projet, né d’une commande, n’avait été enterré. Ernst Haiger a dessiné, à la même époque, une réplique d’un temple grec, à l’intérieur duquel aurait dû brûler un « feu à la joie » pour le final de la Neuvième symphonie. Mais la guerre est arrivée et le projet, prévu pour Stuttgart, est parti en fumée.
Edgar Varèse, lui, a eu plus de chance : la paix en Europe, après la seconde guerre mondiale, a permis que soit édifiée l’extraordinaire tente sous laquelle les visiteurs de l’Exposition universelle de 1958, à Bruxelles, ont pu entendre son Poème électronique, accompagné d’images et de films choisis par Le Corbusier et ponctué, pendant l’entracte, de Concret PH pour parabole-hyperbole, une pièce de Iannis Xenakis. A la clôture de l’exposition, la tente a été démontée, rejoignant ainsi les utopies réalisées, certes, mais fugacement.
Formes Il en va de même pour le génial auditorium sphérique que l’architecte Fritz Bornemann a conçu à l’occasion de l’Exposition universelle d’Osaka, en 1970. Si plusieurs compositeurs y ont été joués, Karlheinz Stockhausen en fut le principal inspirateur, et son programme électroacoustique a été entendu par des centaines de milliers de visiteurs, qui s’asseyaient sur des coussins placés sur une plate-forme, au tiers de la sphère, tout entière élaborée de façon à ce que la répartition du son y soit parfaite. Après la clôture de l’exposition, Stockhausen a essayé de faire transférer en Allemagne cette salle idéale. En vain. Depuis, l’auditorium est devenu une légende, non seulement parce qu’il a existé, mais aussi parce qu’il contient, en son projet, deux éléments récurrents dans l’histoire des « théâtres en utopie » : la collaboration entre un artiste et un architecte, qui a donné les projets les plus intéressants, et l’incarnation réussie du rêve obsédant d’arriver à construire une salle en forme de sphère.
A ce sujet, c’est fou le nombre de formes que les théâtres ont cherché à reproduire : l’œuf, la galaxie, la méduse, la soucoupe volante, l’amande, l’oiseau, la bouche, la boîte d’optique, la guitare, le corps humain, l’usine, le bateau, l’anneau, la grotte, l’arène, la spirale, la salle à manger de Néron… On trouve tout dans ce catalogue des inventions. Même le sexe : le fameux vagin qu’Hendrik Wijdeveld voulait offrir, en 1920, à la ville d’Amsterdam, avec son Grand Théâtre du peuple. Difficile de faire plus clair : le bâtiment épouse la forme de deux cuisses ouvertes sur l’« origine du monde », la salle ressemble à un ovule. Tout ici concourt à féconder, dans l’esprit de la fusion entre les acteurs et les spectateurs que l’architecte appelle de ses vœux – bien avant que les compagnies d’avant-garde des années 1960, comme le Living Theater, la mettent en pratique sur scène.
Dix ans plus tard, en Italie, Gae Aulenti et Luca Ronconi ont tenté une autre expérience : l’architecte et le metteur en scène ont travaillé main dans la main afin de trouver une « enveloppe » pour les six comédies d’Aristophane que le maître italien voulait créer. Cinq « conteneurs » ont été imaginés, qui entraînaient les spectateurs, assis, debout ou en procession, dans un voyage réflexif sur… l’utopie, justement. Un seul « conteneur » a survécu au rêve. Mais l’idée a fait son chemin, en posant les prémices du Laboratorio di progettazione teatrale, que Luca Ronconi a mis en place dans des ateliers désaffectés de la ville industrielle du Prato, près de Florence.
Destins d’artistes et d’architectes Cette histoire, qui s’inscrit dans un pays démocratique, forme un contraste poignant avec celle de Vsevolod Meyerhold, qui lui aussi a rêvé d’un théâtre pour une œuvre. Et en est mort. En effet, au tournant des années 1930, le metteur en scène russe met en chantier la création d’une pièce de Sergueï Tretiakov, Je veux un enfant. Il demande au peintre, photographe et architecte El Lissitzky d’imaginer une scénographie en accord avec son désir révolutionnaire de faire jouer les acteurs selon des principes biomécaniques, soit d’une manière purement physique, sans psychologie. C’est la maquette de cette scénographie qui sert de matrice au projet de deux architectes, Mikhaïl Barkhine et Sergueï Vakhtangov, quand Meyerhold décide, avec l’accord des autorités, de remodeler son théâtre, à Moscou. Mais les purges staliniennes en décident autrement. Les travaux, commencés, sont interrompus, Tretiakov et Meyerhold sont arrêtés et exécutés (en 1937 et 1940).
C’est cela aussi, l’histoire des « théâtres en utopie » : celle de destins d’artistes et d’architectes, à lire entre les lignes des projets que présente l’exposition de Nantes. Au Lieu unique, chacun peut faire son chemin selon ses centres d’intérêt : théâtres monumentaux, utopiques, théâtres mobiles, combinatoires, théâtres de verdure…
Le champ est vaste, comme est vaste la réflexion nourrie par le lien entre les utopies, les pays et les époques. On remarque que les Français sont des as de l’innovation, à l’époque de la Révolution. On s’immerge dans la République de Weimar, l’Italie fasciste, la Russie soviétique. On voyage jusqu’en Argentine, en Syrie et au Japon, avec le projet de Jean Nouvel et de Philippe Stark de l’Opéra de Tokyo qui clôt l’exposition. Et l’on aborde même les rives de la dystopie – ou contre-utopie –, avec certains architectes des années 1970. Ainsi se boucle la boucle d’une quête sans fin : la recherche d’un théâtre idéal. En la matière, tous les essais exposés, même les plus improbables, témoignent que l’utopie est comme la marche : il n’y a pas de pas perdus.
À VOIR « Théâtres en utopie. Un parcours d’architectures visionnaires », Le Lieu unique, 2, quai Ferdinand-Favre, Nantes (Loire-Atlantique). Du mardi au samedi, de 14 heures à 19 heures ; dimanche, de 15 heures à 19 heures. Entrée libre. Jusqu’au 4 janvier 2015.
À LIRE « Théâtre en utopie ». Le catalogue de l’exposition, par Yann Rocher, Actes Sud, (336 p., 35 €).
Brigitte Salino (Nantes, envoyée spéciale) Journaliste au Monde
Le lieu probable, puisqu’il y aura un naufrage : un bateau pour croisière, où une formation vocale fait partie des animations. Trois chanteuses et deux chanteurs, en tenue stricte, pour un récital de « musique germanique… allemande donc », est-il annoncé. Brahms pour débuter. L’air pénétré, jusqu’ici tout va bien. Détail, l’un des chanteurs a le bras ballant, vite remis en place et en douce par sa consœur. Deux chanteuses se disputent, discrètement, tout en continuant à chanter (une prouesse), puis de plus en plus distinctement. Le conflit gagne toute la troupe.
Voilà posée la manière du spectacle Le Concert sans retour par la formation vocale Cinq de cœur, mis en scène par Meriem Menant. Un assemblage impeccable de drôlerie et de virtuosité musicale présenté au Théâtre Le Ranelagh, à Paris, jusqu’au 31 décembre. Vaille que vaille, alors que tout vole en éclats, que les costumes prennent des couleurs, le quintette s’essaie à maintenir le cap de son programme, qui par ailleurs a une vision large du « germanisme » : Bach voisine avec Schubert, Grieg et Saint-Saëns et le Parole Parole de Gianni Ferro rendu célèbre par Dalida est proposé dans sa version allemande Worte nur Worte. Indifférence, valse canaille pour accordéon de Tony Morena (ici seules les voix sont instruments, rappelons-le) s’impose, le thème musical de John Williams pour le film Les Dents de la mer, remarquablement arrangé, annonce la catastrophe navale.
Jeu érudit « L’allemand, y’en a marre ! », hurle l’un des chanteurs. « Oui, l’anglais c’est plus facile », rétorque celle qui n’est désormais plus sa camarade. Et hop ! c’est la soirée boule à facette scintillante. L’un des sommets de la chanson régressive, Reality – thème écrit par Vladimir Cosma pour le film La Boum –, précède une bataille de tubes, chacune et chacun venant poser sur le tourne-disque (virtuel) sa chanson du moment.
Toute la force de Cinq de cœur tient à ce jeu érudit avec les genres et les époques, qui souligne des proximités harmoniques et mélodiques, autant qu’à des approches d’acteurs, très exacts dans les gestes, les postures, que cela soit dans l’exagération assumée ou dans la retenue. Un gag récurrent, « Michel, on a un problème », vient ponctuer le déroulé. Et les problèmes s’accumulent, menant du répertoire classique à la pop, de la chanson à des airs traditionnels.
Vocalement, la gamme des timbres permet bien des combinaisons : deux sopranos, Pascale Costes et Hélène Richer, une alto, Sandrine Mont-Coudiol, un ténor, Patrick Laviosa et un baryton, Fabian Ballarin. Interprètes de premier ordre, ils ne se contentent pas d’harmonisations à la tierce. Le travail d’ensemble est bien plus sophistiqué. Solistes, la fantaisie côtoyant la tendresse, ils ont tour à tour des moments de gloire, arrachés de longue lutte pour rester dans l’ambiance folle du spectacle.
La troupe des Branquignols C’est Hélène Richer pour Indifférence, Fabian Ballarin dans une reprise de Feeling Good, plus proche de l’aspect jazz big band de la version de Michael Bublé que de celle presque gospel de son créateur Anthony Newley en 1964, Patrick Laviosa dans Laura, de David Raskin, Pascale Costes qui propulse le classique du rhythm’n’blues I Put A Spell on You, Sandrine Mont-Coudiol qui donne une version à frémir d’Avec le temps, de Léo Ferré.
A plusieurs reprises, on songe à la troupe des Branquignols, que menèrent des années 1940 aux années 1970 Robert Dhéry et Colette Brosset, qui partaient d’une situation tenue pour la mener vers l’absurde, la catastrophe. Ainsi Jeune fille de 15 ans, traditionnel breton tragique, dans un envol d’effets vocaux de bombardes et binious, ou Mexico, la rengaine de Francis Lopez, avec fausses moustaches et sombrero littéralement à tomber.
Le Concert sans retour, par Cinq de cœur, Théâtre Le Ranelagh, 5, rue des Vignes, Paris 16e. Mo La Muette, Passy, RER Boulainvilliers. Du mercredi au samedi à 21 heures, dimanche à 17 heures. Jusqu’au 31 décembre, relâche les 18 et 25, supplémentaire, mardi 30, à 21 heures. De 10 € à 35 €. theatre-ranelagh.com
Sylvain Siclier Journaliste au service Culture du "Monde", rubrique Musiques (jazz, pop, rock, soul, chanson...)
La Nuit tombée d’Antoine Choplin (auteur qui est aussi le directeur du festival l’Arpenteur) est un roman fort qui se confronte à la catastrophe de Tchernobyl à travers une figure singulière : celle d’un père qui veut absolument retourner sur les lieux du drame pour récupérer la porte sur laquelle sa fille aujourd’hui décédée a laissé des traces. Un voyage sur un temps très court, avec la nuit en toile de fond, au plus près des habitants de cette zone interdite.
« Je n’ai pas fait un travail de journaliste ; mon but était surtout de comprendre ces personnes et de partager des instants avec elles, autour d’un verre de vodka ou en chantant » nous avait expliqué Antoine Choplin lors de la sortie du livre en 2012.
La metteuse en scène Chantal Morel, figure grenobloise d’un théâtre exigeant centré sur le verbe, a décidé de monter ce texte avec deux comédiens. Après l’avoir créé ce printemps dans la cadre du Festival de caves, elle redonne le spectacle dans son Petit 38 qui porte bien son nom : chaque soir, dans ce lieu exigu, le spectateur est comme le lecteur, au plus près des personnages, comme immergé avec eux – grâce notamment à la bande son évocatrice. Avec une économie de moyens et un brin de lyrisme appuyé, Chantal Morel livre une proposition (baptisée Ce quelque chose qui est là) tendue, centrée sur certaines figures du récit – dont un poignant liquidateur de centrale à l’agonie. Et recrée un bout d’Ukraine dévastée en tout juste une heure.
Aurélien Martinez pour Le Petit Bulletin, Grenoble
Angélica L., ange et démon en blanc et noir, entre ombre et lumière, extase et enfer. Espagnole. Furieuse, rageuse, ravageuse, telle qu’on a pu la voir dans ses spectacles présentés en France, depuis 2010 et cette faramineuse Casa de la fuerza qui fit trembler les vieilles pierres d’Avignon. Et douce, lumineuse, éclatant à tout moment d’un rire gai et franc, quand elle reçoit dans son hôtel parisien, à deux jours de la première de sa nouvelle pièce, You Are my Destiny (Lo Stupro di Lucrezia). Il est 10 heures du matin, elle porte une longue robe noire à haut de dentelle comme les mantilles des pèlerins de Semaine sainte, les ongles rouge sang.
Longtemps, Angélica a été en colère. Contre le monde. Et contre elle-même. Dans El Año de Ricardo, version très personnelle du Richard III de Shakespeare, elle se scarifiait. Dans Todo el cielo sobre la tierra, elle se masturbait et éructait sa haine des mères, de sa mère, coupable à son endroit d’on ne sait quel péché. « Je la déteste. Au fond, tout mon travail est une vengeance contre le ventre maternel. »
En comparaison, sa nouvelle création, présentée en avant-première à Rennes en novembre, semble (presque) apaisée, baignée dans les chants célestes de la Lucrezia de Haendel, interprétés par trois séraphiques chanteurs ukrainiens.
Mais la Liddell reste hérétique à jamais. S’inspirant de l’histoire de Lucrèce, violée par Tarquin un demi-siècle avant notre ère, racontée par Tite-Live et Shakespeare, peinte par Titien, Véronèse, Tintoret ou Cranach, elle ne trouve rien de mieux que de montrer la fragilité du violeur, et le désir de la victime pour son bourreau. C’est une chose qui a toutes les chances d’être mal comprise, par les temps qui courent.
Cérémonie intime et collective « Pour moi, Tarquin n’est pas un bourreau, un criminel. C’est un homme qui tombe amoureux, qui sait reconnaître la beauté et en souffre. Je veux parler du danger qu’il y a à reconnaître la beauté, de la tentation et du danger de l’extase. Le théâtre, pour moi, est le lieu où on peut s’approcher de la complexité de l’âme humaine. Il ne s’agit pas de parler du juste ou de l’injuste, du moral ou de l’immoral, mais d’approcher un mystère. Pourquoi ne pas pouvoir parler d’une femme qui tombe amoureuse de son violeur ? Pourquoi ne pourrait-on pas tisser une sorte de tissu que l’on tendrait au-dessus de l’enfer, et à travers lequel on pourrait le voir ? La poésie ne peut pas dépendre de l’idéologie ou de la justice. Sans le mal, l’homme n’aurait pas de destin… »
Seule une fille de militaire élevée sous le franquisme en Espagne peut encore donner un véritable sens à cette notion, si galvaudée aujourd’hui, de transgression. La Liddell, dans son enfance solitaire dans les casernes où était muté son père, a eu pour principal ami un livre qui s’appelle la Bible. Angélica est contre Dieu. Tout contre.
Plus que jamais, ce spectacle-là ressemble à une cérémonie intime et collective, sur laquelle elle règne avec une liberté souveraine, en maîtresse du jeu en robe de princesse vert d’eau, ou en grande prêtresse en robe noire ouverte sur son sexe dénudé et lisse. Devant la façade baroque et kitsch d’un palais de Venise, elle y orchestre le choc entre forces pulsionnelles et douceurs divines, en des images souvent surréalisantes, qui ne sont pas sans évoquer quelques autres grands d’Espagne.
Angélica règne sur les hommes, dix hommes puissants qui tapent comme des sourds sur des tambours, et à qui elle fait ensuite souffrir le martyre, leur imposant de s’asseoir à l’équerre contre le mur pendant de longues minutes. Son spectacle est un bien étrange jeu entre le féminin et le masculin où, comme toujours chez elle, l’innocence et la grâce se fraient un chemin à travers l’enfer. Rassurons les amateurs, la Liddell s’y livre aussi à une de ces performances stupéfiantes dont elle a le secret, s’enfilant un nombre impressionnant de bouteilles de bière et s’aspergeant copieusement du même liquide, en une forme de transe.
« J’ai tué Dieu » En vraie mystique, Angélica Liddell « passe par le corps pour atteindre l’esprit ». La metteuse en scène espagnole tient aussi sur son son blog un journal intime en textes et en images, bientôt publié aux éditions Les Solitaires intempestifs. Elle s’y met en scène, (dé)couverte de voiles noirs ou blancs, les mains noires, la chair blanche modelée et le visage en extase comme dans une statue du Bernin, accompagnant ces photos d’extraits de psaumes ou de poèmes d’Emily Dickinson. Angélica Liddell, c’est un peu la rencontre sur une table de dissection de Thérèse d’Avila et de Nina Hagen.
« Bien sûr que j’appartiens à l’Espagne noire, constate-t-elle en souriant, radieuse comme une madone brune. J’ai une relation très étroite avec la peinture de mon pays, avec Ribera, Zurbaran et Goya, qui ont été les maîtres de mon apprentissage esthétique et éthique. Pour moi, l’hérésie procède du sacré. J’ai tué Dieu, mais j’en suis aujourd’hui à un moment de mon existence où j’ai besoin de créer mon propre sentiment du sacré, ainsi que le préconisait Antonin Artaud. Le théâtre a à voir avec le sacrifice, depuis son origine, et pour moi il a à voir avec le sacrifice d’Isaac et avec l’arrivée de l’ange qui le sauve. Le théâtre est le lieu de l’apparition de l’ange, qui empêche que le sang soit répandu. »
Il est aussi le lieu de l’apparition de la beauté, pour cette femme inconsolable de la laideur du monde. « Je n’ai pas grandi au milieu des belles choses, souffle-t-elle, mais au milieu d’une forme d’ignorance et de barbarie très profondes. Mes grands-parents, paysans, étaient illettrés, mais je les aimais, ils m’ont appris à travailler jusqu’à l’épuisement. Mais ma mère, mon Dieu, ma mère… j’ai mis quarante ans à assumer qu’elle soit aussi retardée. »
Avec You Are my Destiny, elle dit avoir entamé son « cycle de la résurrection ». Le théâtre est aussi une oraison. Priez et criez pour nous, Angélica pleine de fureur et de grâce, offerte en sacrifice pour qu’enfin advienne une beauté salvatrice et rebelle, comme dans ce Stupro di Lucrezia, le plus beau spectacle de Liddell depuis La Casa de la fuerza, dont il serait l’envers rédempteur.
Les dates 1966 Naissance à Figueras (Catalogne), la ville de Salvador Dali.
1993 Création de sa compagnie, Atra Bilis (« Bile noire »).
2010 Découverte au Festival d’Avignon, avec La Casa de la fuerza (« La Maison de la force »).
2013 Tournée dans toute l’Europe, y compris Avignon, de Ping Pang Qiu et Todo el cielo sobre la tierra (El sindrome de Wendy).
2014 Création de You Are my Destiny (Lo Stupro di Lucrezia).
You Are my Destiny (Lo Stupro di Lucrezia), de et par Angélica Liddell (texte aux Solitaires intempestifs, 192 p., 15 €). Festival d’automne, Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. : 01-53-45-17-17 ou 01-44-85-40-40. Mo Odéon. Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures, jusqu’au 14 décembre. De 8 € à 38 €. En espagnol et italien surtitré en français. Durée : 2 h 20. www.theatre-odeon.eu et www.festival-automne.com
Après la mort annoncée (et dénoncée) du Centre d'art contemporain de Brétigny-sur-Orge et la mise en danger de la Panacée à Montpellier, d'autres mauvaises nouvelles du front de l'art contemporain sont arrivées.
Claire Moulène pour Les Inrocks
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Passée par le strip-tease, cette danseuse et chorégraphe de 47 ans expérimente la nudité des corps et le désir tenu à l’œil.
Avec son bonnet fiché sur la tête qui ne laisse apparaître que quelques mèches de ses beaux cheveux d’un brun lumineux, Gaëlle Bourges ne ressemble en rien de ce que le fanstasmeur de base peut imaginer d’une femme qui «fait dans le sexe». La donzelle de 47 ans a dû déjouer bien des pièges liés à cette étiquette qu’on lui a collée parce qu’un temps, de 2006 à 2009, elle a été employée dans un théâtre érotique comme strip-teaseuse, autrement dit, comme travailleuse du sexe. Il ne s’agit pourtant que d’une toute petite partie de sa vie qui démarre et se prolonge avant tout par la danse de création. Elle est née à Boulogne-Billancourt dont elle n’a aucun souvenir puisque ses parents, père ingénieur chimiste et mère au foyer, ont déménagé plusieurs fois et qu’elle a vécu aussi aux Etats-Unis. De la banlieue, elle ne se rappelle que du parc de Sceaux près duquel elle a grandi. «Jeux dans les arbres, cabanes et luge quand il neigeait, l’hiver. Je le traversais souvent pour me rendre au collège puis au lycée Lakanal. Je me souviens de quelques exhibitionnistes en imper, à moitié cachés dans les bosquets. Plus de rire que de peur. Alain-Fournier aimait ce parc et le Grand Meaulnes fut un de mes livres de chevet quand j’étais adolescente». Lui reviennent aussi le souvenir de l’Ile Seguin, de l’usine Renault. Réminiscences vagues. La danse qu’elle commence par le classique à 5 ans et qu’elle poursuit jusqu’à 18 ans par la rythmique, le modern jazz, les claquettes, c’est du sûr. Elle suit également une formation de clown, d’ art dramatique, puis enseigne la comédie musicale, la danse, le théâtre, travaillant en tant que régisseuse plateau à la BNF pendant cinq années. Un parcours éclectique peu courant dans le milieu chorégraphique. La danse est toujours présente et elle se jette à l’eau en passant une audition. «C’est là, raconte-t-elle, que j’ai compris que j’étais à côté de mes pompes. Si j’étais vue comme une élève surdouée dans les cours que je prenais en banlieue, j’ignorais tout du contemporain. Il fallait que je rattrape mon retard. Je suis repartie à zéro.»
A 32 ans, après des études en lettres supérieures à Lakanal et en anglais à la Sorbonne, elle reprend le chemin de la fac et entreprend une licence et une maîtrise en arts du spectacle mention danse à l’université Paris-8. Elle fonde le Groupe Raoul Batz avant son expérience de strip-tease : «Il n’y a pas eu une rupture avec ce que faisait le Groupe Raoul Batz. Les mêmes préoccupations se sont simplement radicalisées. J’ai eu le temps de goûter pleinement à la relation entre œil et exposition du corps nu. Ce dont traitaient déjà nos pièces.»
En 2009, lors du festival Antipodes au Quartz de Brest, on découvre sa conférence dansée Je baise les yeux où elle décrit d’une façon drôle et pertinente les techniques d’excitation qui transitent par le regard. Déjà, en écho aux travaux des post-féministes comme Gayle Rubin, Beatriz Preciado, Silvia Federici, elle démonte «la machine à produire du désir hétéro et des stéréotypes. On entretient cette machine huilée dont personne n’est dupe, ni les femmes, ni les hommes. C’est une grande rigolade et un système inégalitaire et rouillé.» Elle s’emploie à déconstruire ces schémas et s’y attaque en liant l’histoire du savoir avec l’histoire du corps et du nu féminin, notamment dans la peinture occidentale. C’est une suite logique à ses expérimentations de théâtre érotique : «Comme dans l’atelier du peintre, on nous appelait des modèles. On pouvait gagner du fric avec ça. Nous étions payées au cachet. C’était intéressant de constater que le désir hétéro ouvrait un pan de travail possible.» Dont quelques danseurs profitent, complément nécessaire au statut d’intermittent et scène d’exploration de la relation au public. En mettant en scène des corps non puissants, en réunissant des danseurs, des non-danseurs, des sex workers ou ex-sex workers, elle se met au défi de constituer une communauté qui décloisonne autant le milieu du sexe que celui du spectacle vivant.
«Déjà, s’amuse-t-elle, car elle est vraiment joyeuse, dans le strip-tease, on me faisait remarquer que je n’étais pas toute jeune. Si je poursuis dans le nu, je me demande si les programmateurs de théâtre seront toujours sensibles et excités par mon travail ! Parce que déjà, ils ont peur de me programmer.» Et elle ajoute : «Je ne fais pas l’unanimité. Je heurte les communautés. Je peux paraître trop froide pour les hétéros puisque je déconstruis, trop compromise pour certaines lesbiennes, trop pute pour ceux de la danse bien pensante… Je veux simplement dire la complexité de la pensée et des représentations, en montrant des corps qui remettent en question l’académisme, en travaillant avec des gens qui ont un parcours à la marge, qui ne sont pas reconnus dans leur parcours par leurs pairs. Et ensemble, nous expérimentons une façon de faire autre.»
Son nouveau spectacle revient sur cette pierre d’achoppement qu’est le nu féminin. Elle y fait référence à la tapisserie de la Dame à la licorne, visible au musée du Moyen-Age à Paris. Dans ses six panneaux, la tenture montre une demoiselle richement parée et toujours accompagnée d’une licorne, garde du corps de sa virginité. Gaëlle Bourges s’intéresse bien sûr à la Vierge et à «son organe génital dépositaire du sacré» Elle note au passage que la Vierge est toujours représentée de face. Dans sa pièce, elle la met en scène de dos, on imagine comment… Et la chorégraphe ne manque pas de remarquer que les tentures accueillaient également beaucoup d’animaux lubriques, dont 35 lapins. Elle n’oublie pas non plus de renvoyer à la définition de Salvador Dali avec son intraitable accent : «Une espèce de complexe aigu phallique.»
Avec cette création, Gaëlle Bourges referme son triptyque «Vider Vénus». Malgré un diplôme en éducation somatique par le mouvement, elle n’en a pas fini avec la danse, qu’elle continue d’enseigner ponctuellement. On l’avait vue à l’œuvre dans un quartier sensible de Seine-Saint-Denis. Elle était tout à fait à l’aise et réussissait à inciter les scolaires à faire confiance à leur corps, à accepter leur manière de bouger et à évacuer les tensions.
Car un des ses principaux engagements, qu’elle revendique, est de lutter contre les préjugés qui déprécient la danse. «Celle-ci est considérée comme un art où il n’y a pas matière à penser. Or, toutes les révolutions en danse ont eu lieu grâce à des gens qui l’ont pensée.» Et de préciser : «Je vois en ce moment se développer un retour réactionnaire dans le fait qu’on insiste beaucoup sur la technicité. Mais laquelle ? Il y a tellement de techniques qui sont à interroger. Par exemple, marcher en est une. Chaque technique est déjà un discours.» Et comme elle fut aussi femme de chambre chez une dame riche, elle sait qu’on ne se déplace jamais de la même façon. Et que c’est souvent fonction du contexte.
EN 6 DATES 4 janvier 1967 Naissance à Boulogne-Billancourt. 1994 Création de la compagnie du K. 1998 Reprend la fac et obtient un diplôme en Arts du spectacle. 2000 Création du groupe Raoul Batz, aujourd’hui l’association Os. 2009 Création de Je baise les yeux à Brest. 2 et 3 décembre 2014 Création de A mon seul désir à la Ménagerie de Verre, à Paris.
Par Marie-Christine Vernay Photo Stéphane Lavoué pour Libération du 3 décembre
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