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June 28, 2024 12:18 PM
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Au Festival d’Avignon, aux femmes les grands plateaux

Au Festival d’Avignon, aux femmes les grands plateaux | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde  - 28 juin 2024

 

 

D’Angelica Liddell à Marta Gornicka, cette édition est marquée par plusieurs créations de metteuses en scène, qui investissent les salles les plus prestigieuses.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/28/au-festival-d-avignon-aux-femmes-les-grands-plateaux_6245103_3246.html

Tiago Rodrigues récidive. Un an après avoir invité Julie Deliquet à créer son spectacle Welfare dans la Cour d’honneur du Palais des papes, le directeur du Festival d’Avignon convie deux artistes femmes à investir à leur tour le prestigieux plateau. Avec l’Espagnole Angelica Liddell (Dämon. El funeral de Bergman) et la Polonaise Marta Gornicka (Mothers. A Song for Wartime), le Festival en finit avec des décennies d’occupation masculine des lieux. L’édition 2024 de la manifestation sera celle d’une vague de metteuses en scène qui, de la Cour à la FabricA, en passant par les salles de Vedène ou du Gymnase du lycée Aubanel, plieront les mètres carrés à leurs esthétiques.

 

 

En France, leur capacité à s’approprier les grandes scènes semble désormais actée, même si elle a été longue à s’imposer. « Mis à part Ariane Mnouchkine, nous avions peu d’exemples sous les yeux, témoigne Caroline Guiela Nguyen. Cette rareté nous renvoyait en boomerang la question de notre légitimité. » A 42 ans, la metteuse en scène appartient à une génération qui a dû faire ses preuves avant de conquérir plus d’espace. Son premier spectacle se donnait sur le petit plateau du Théâtre de la Colline, à Paris. « Evidemment que je devais démarrer là, puisque je représentais l’émergence, ironise-t-elle en saluant l’initiative de Tiago Rodrigues. Il faut des actes exemplaires tels que le sien pour que les femmes comprennent de quoi elles sont capables. » Avec Lacrima, présenté au Gymnase Aubanel, elle prend d’assaut une scène de 18 mètres de large et 15 mètres de profondeur pour y développer un sujet étonnant : la broderie de la robe de mariage de la reine d’Angleterre.

 

 

Si elle ne devait citer qu’une image de sa représentation, ce serait « celle des mains de l’artisan qui coud 2 500 000 perles sur du satin ». Le détail pour dire l’humanité, l’envergure d’un lieu pour héberger la diversité des récits et des êtres : le grand plateau est, pour Caroline Guiela Nguyen, l’endroit de l’hospitalité avant d’être celui du pouvoir. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle accepterait la Cour d’honneur. En tout cas, pas tout de suite : « Je fabrique des boîtes noires, j’ai besoin de maîtriser chaque millimètre. Pour le moment, mes représentations rejettent le plein air ou le chant des oiseaux à la tombée de la nuit. »

Cathédrale de tissu rose

Qu’on ne s’y trompe pas. Les femmes n’ont pas un besoin impérieux de démesure pour affirmer leur autorité ou leur puissance artistique. Un relatif détachement qui, mine de rien, désinhibe l’approche qu’elles ont des planches. Il y a dix ans, Lorraine de Sagazan débutait dans le minuscule Théâtre de Belleville, à Paris. « Je suis arrivée dix ans après une génération de femmes qui a pu jouer des coudes et s’installer. La bataille me semble désormais gagnée, même s’il reste des combats à mener. Et même si on exige de nous, sans doute plus que pour les hommes, une forme d’excellence. » Aujourd’hui âgée de 37 ans, elle crée au Gymnase Aubanel Léviathan, un spectacle qui sera repris en 2025 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Une montée en gamme dont elle a maîtrisé le tempo. « J’ai eu de la chance, les choses se sont faites progressivement, j’ai pu petit à petit augmenter mes capacités. »

 

D’autres auraient sans doute la tête qui tourne face aux 16 mètres de large et 15 mètres de profondeur où va osciller, en ouverture de Léviathan, une cathédrale de tissu rose. Mais Lorraine de Sagazan n’est pas la proie « d’un vertige supplémentaire » à l’idée de ce qui l’attend. « Ce qui est au centre de ma démarche, c’est le projet artistique et le rapport qui se noue avec le public. On n’est pas toujours obligées d’aller dans les grandes salles, il faut pouvoir se déplacer, ne pas céder au savoir-faire. » Elle qui aménage des dispositifs bifrontaux, ou même quadrifrontaux, avoue passer son temps à « essayer de sortir du théâtre quand on ne cesse de [l]’y remettre ». La Cour d’honneur si convoitée ne la fait pas (encore) rêver. « On y travaille, en frontal, pour une masse. Tous les spectacles ne peuvent pas fonctionner sur ce mode. »

Cette masse qu’évoque la metteuse en scène est constituée de mille neuf cent quarante-sept personnes (telle est la jauge exacte de la Cour). Mille neuf cent quarante-sept paires d’yeux qui seront ainsi fixées sur la silhouette frêle d’Angelica Liddell, assise seule près d’un cercueil de bois. L’artiste ressuscite les funérailles de Bergman. « La Cour d’honneur est pleine de fantômes. Il n’y a pas à la remplir de décorum. Sa force spirituelle est telle qu’elle se suffit à elle-même, ce n’est pas un édifice mais une âme », constate-t-elle. Familière du Festival d’Avignon, cette performeuse espagnole a déjà foulé les planches du Cloître des Carmes et du lycée Saint-Joseph. Ceux qui, en 2010, ont assisté à sa toute première création avignonnaise, La Casa de la fuerza, n’ont pas oublié l’épreuve de force à laquelle elle se soumettait. Traînant à bout de bras de lourds canapés de cuir, Angelica Liddell donnait le ton : son corps-à-corps avec les scènes exige des volumes à la mesure de sa démesure. « Les lieux trop petits m’asphyxient. J’ai besoin de l’immensité des espaces pour mieux parler de la solitude et expérimenter la terreur de ces surfaces. »

 

 

Séverine Chavrier aurait dû jouer dans cette Cour d’honneur mythique son spectacle Absalon, Absalon ! (d’après William Faulkner). « Dans ma scénographie, il restera des traces de cette rêverie », confie-t-elle. Cette perspective n’ayant pas abouti, elle rapatrie à la FabricA « les fracas de temps, les éclats de souvenirs, le vent, la pluie, les odeurs d’une terre américaine romancée par Faulkner ». L’artiste est de celles dont les fresques au long cours aiguisent les sens du public en pulvérisant les limites de la théâtralité. Aux antipodes d’un dépouillement auquel sont contraints la plupart des artistes par manque de moyens financiers, son travail est un appel insistant aux excès. La preuve qu’existe encore un théâtre qui déborde, dégorge et porte haut l’élan vital des trop-pleins.

Terrains explosifs

« C’est par la matière que je trouve et cherche la bonne forme. Je ne me suis jamais dit qu’il fallait que je fasse un projet pour un grand plateau. Mes bagarres portent plutôt sur les moyens mis sur l’humain, le fait de revendiquer du temps car le temps, c’est de l’argent. Or les femmes aujourd’hui s’interdisent de rêver à certains projets car elles savent qu’elles n’en auront pas les moyens. » Le théâtre de Séverine Chavrier est total. Mais pas spectaculaire. « Je n’aime pas ce mot, rétorque-t-elle. Je parle plus volontiers de mouvements du plateau. Je ne sais pas poser une scénographie et la laisser vivre, j’ai besoin que les choses jouent et se transforment. » Sous sa conduite, les scènes deviennent des terrains explosifs. Le son et la vidéo augmentent l’espace en suscitant des hors-champ. Ou, à l’inverse, ils autorisent l’intimité de plans resserrés. « Ce qui est important, c’est que les femmes artistes soient présentes mais qu’elles fassent autrement », conclut-elle.

 

« Prendre un grand plateau est un acte politique », témoigne, pour sa part, Chela De Ferrari, qui adapte La Mouette, de Tchekhov (La Gaviota), et dirige à Vedène douze personnes, dont neuf sont aveugles. Parce qu’elle est directrice du théâtre La Plaza, à Lima, au Pérou, cette créatrice bénéficie d’une visibilité qui lui donne « reconnaissance et liberté de mouvement ». Au Pérou, ajoute-t-elle, « les femmes accèdent de plus en plus facilement à des espaces qui, il n’y a pas si longtemps, auraient été impensables ». Pour les hommes, cette redistribution des cartes n’est pas simple : « Il existe aujourd’hui une grande confusion chez eux quant à la représentation de leur masculinité. Beaucoup, notamment dans le domaine artistique, se demandent comment exprimer leur virilité. » Le temps n’est pas si loin où ils dirigeaient toutes les grandes scènes. Mais les choses changent, surtout à Lima, précise Chela De Ferrari, où les théâtres indépendants ont été pris en main par des femmes. Une configuration qui ne l’empêche pas de souffrir « du syndrome de l’imposteur », lorsqu’elle pense s’être lancée dans des aventures qui dépassent ses possibilités. « En cours de route, il m’arrive de douter de mes capacités, du projet, de tout ! Mais, heureusement, le besoin de créer et l’émotion que cette position produit en moi finissent par prendre le dessus sur la peur ou l’insécurité. »

En France aussi, les doutes des femmes ont la vie dure. Elles se savent scrutées et n’ont pas droit à l’erreur. Ces inquiétudes se dissiperont-elles lorsque l’artiste polonaise Marta Gornicka et ses vingt et une choristes entreront dans la Cour d’honneur du Palais des papes pour y faire résonner la voix soudée des femmes ? Les interprètes ont de 9 à 71 ans. Elles ont fui la guerre pour se réfugier en Pologne. Ces filles, sœurs, tantes, mères, grands-mères ne trembleront pas lorsqu’il faudra chanter ou hurler les horreurs vécues. « Alors que la guerre en Ukraine disparaît des couvertures de journaux, nous voulons être la voix de cette guerre. Un chœur composé de femmes des pays d’Europe de l’Est, toutes liées par une expérience commune de la violence et de la douleur, fera face à un autre chœur, le chœur des spectateurs d’Europe de l’Ouest. En plein cœur de cette guerre », affirme Marta Gornicka. En programmant Mothers. A Song for Wartime dans le cœur battant d’Avignon, Tiago Rodrigues n’entérine pas seulement l’excellence d’un projet artistique 100 % féminin. Il place l’Ukraine au centre du Festival, de la France et, au-delà, de l’Europe. Un geste fort, une réponse possible au chaos actuel.

 

 

 

Absalon, Absalon ! D’après William Faulkner. Mise en scène de Séverine Chavrier. Avec Pierre Artières-Glissant, Daphné Biiga Nwanak, Jérôme de Falloise, Victoire du Bois, Alban Guyon, Jimy Lapert, Armel Malonga, Annie Mercier, Hendrickx Ntela, Laurent Papot, Kevin Bah « Ordinateur ». La FabricA, les 29, 30 juin, 1ᵉʳ, 3, 4, 5, 6, 7 juillet à 16 heures. Durée : 5 heures.

 

 

Dämon. El funeral de Bergman. Texte et mise en scène d’Angelica Liddell. Avec David Abad, Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angelica Liddell, Borja Lopez, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois. Cour d’honneur du Palais des papes, les 29 juin, 1ᵉʳ, 2, 3, 4, 5 juillet à 22 heures. Durée : 2 heures.

 

 

Lacrima. Texte et mise en scène de Caroline Guiela Nguyen. Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grévellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam. Gymnase du lycée Aubanel, les 1er, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11 juillet à 17 heures. Durée : 2 h 55.

 

 

La Gaviota. D’après La Mouette, de Tchekhov. Mise en scène de Chela De Ferrari. Avec Patty Bonet, Paloma de Mingo Heras, Miguel Escabias, Emilio Galvez, Belén Gonzalez del Amo, Antonio Lancis, Domingo Lopez, Eduart Mediterrani, Lola Robles, Agus Ruiz, Macarena Sanz, Nacho Bilbao (musicien). L’autre scène du Grand Avignon-Vedène, les 15, 16, 18, 19, 20, 21 juillet à 11 heures. Durée : 2 h 15.

 

 

Léviathan. Texte de Guillaume Poix. Mise en scène de Lorraine de Sagazan. Avec Khallaf Baraho, Jeanne Favre, Felipe Fonseca Nobre, Jisca Kalvanda, Antonin Meyer-Esquerré, Mathieu Perotto, Victoria Quesnel, Eric Verdin. Gymnase du lycée Aubanel, les 15, 16, 18, 19, 20, 21 juillet à 18 heures. Durée : 2 h 30.

 

 

Mothers. A Song for Wartime. Mise en scène de Marta Gornicka. Avec Katerina Aleinikova, Svitlana Berestovska, Sasha Cherkas, Palina Dabravolskaja, Katarzyna Jaznicka, Ewa Konstanciak, Liza Kozlova, Anastasiia Kulinich, Natalia Mazur, Kamila Michalska, Hanna Mykhailova, Valeriia Obodianska, Svitlana Onischak, Yuliia Ridna, Maria Robaszkiewicz, Polina Shkliar, Aleksandra Sroka, Mariia Tabachuk, Kateryna Taran, Bohdana Zazhytska, Elena Zui-Voitekhovskaya. Cour d’honneur du Palais des papes, les 9, 10, 11 juillet à 22 heures. Durée : 1 heure.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : « Mothers. A Song for Wartime », de la Polonaise Marta Gornicka, le 28 septembre 2023. BARTEK WARZECHA

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Ouverture du Festival d’Avignon : la metteuse en scène Séverine Chavrier voit «Absalon, Absalon !» en large 

Ouverture du Festival d’Avignon : la metteuse en scène Séverine Chavrier voit «Absalon, Absalon !» en large  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Sonya Faure dans Libération - 27 juin 2024

 

L’adaptation colossale du chef-d’œuvre de Faulkner sur l’Amérique des plantations et de la ségrégation ouvre le Festival ce samedi. Comment mettre en scène un tel univers ? «Libé» a assisté aux répétitions.

 

 

Tiré du roman culte de William Faulkner, Absalon, Absalon ! de la metteuse en scène Séverine Chavrier est le tout premier spectacle qui ouvrira le festival d’Avignon, ce samedi 29 juin, à la FabricA. C’est aussi l’un des plus attendus. Comment adapter au théâtre un tel livre, obsédant et brûlant ? Comment porter sur scène les mots du grand écrivain du Sud, peintre de l’Amérique des plantations et de la ségrégation ? «Je n’ai pas la prétention de mettre en scène Faulkner, coupe Séverine Chavrier. La question est plutôt : en quoi cette matière m’autorise à rêver ? Est-ce que Faulkner peut m’aider à faire du théâtre ?» Oui, sans doute. Un théâtre plein, un théâtre de trop-plein, un théâtre excessif, comme le fait la metteuse en scène qui s’était déjà frottée à lui en 2016 avec son adaptation des   Palmiers sauvages.

 

 

Ce jour-là, à un mois de la première d’Absalon, Absalon ! à Avignon, l’ambiance de la répétition à laquelle on assiste est un peu tendue. «Je suis déjà très en retard», justifie Séverine Chavrier. Les deux camions spécialement affrétés pour le festival vont bientôt commencer à charger le décor depuis la Comédie de Genève, le théâtre dont elle a pris la direction en juillet 2023 et où elle travaille la pièce. Le comédien Laurent Papot a quelques minutes de retard au plateau, ça agace profondément la metteuse en scène. Il essaie d’infléchir une idée de mise en scène, c’est un «non» sans appel. «D’accord, d’accord… je ne veux pas être l’empêcheur de tourner en rond…» abdique-t-il avant de s’enfermer dans un cercueil. Un chien traverse la scène. Une comédienne, Victoire Du Bois, s’est fait porter pâle. On apprendra bientôt qu’elle sera absente à Avignon, à quelques jours de la première. Séverine Chavrier elle-même partira au bout d’une heure de répétition, exténuée par la pression. Le filage reprend son cours.

 

 

Le travail est loin d’être fini mais déjà la «bande-son» de la pièce, première et primordiale dans les spectacles de Chavrier, envahit tout l’espace et charrie des sons de trains, de voitures, le bruit sourd d’un projecteur de film mais aussi la musique jouée en live par l’artiste congolais Armel Malonga. A l’origine, Séverine Chavrier est musicienne et plutôt que de textes, elle parle des «partitions» de ses comédiens – douze personnes en tout sur le plateau, acteurs (saisissante Daphné Biiga Nwanak qui se démultiplie), mais aussi danseurs et performeurs (Kevin Bah ou la krumpeuse Hendrickx Ntela). Ils sont sur scène, ils sont aussi dans les vidéos tournées et projetées, en direct, sur un grand écran, images au noir et blanc épais, à la texture dense et voilée. Séverine Chavrier veut y retrouver les fantômes qui peuplent l’œuvre de Faulkner : «Retrouver, comme le dit Edouard Glissant, le vertige, le suspense, le différé, le dévoilement avec lequel il joue pour poser cette question : de quel héritage sommes-nous les héritiers ?»

 

Saisissante, Daphné Biiga Nwanak se démultiplie. (Alexandre Ah-Kye/festival Avignon)

Points d’échappée

Son saturé, visions, impression de torpeur, comme celle qui enveloppe Quentin et Miss Coldfield dans leur petit bureau à l’orée du roman, «pièce obscure torride et sans air dont les persiennes demeuraient toutes fermées et verrouillées depuis quarante-trois étés parce que du temps où elle était petite fille quelqu’un avait cru que la lumière et le déplacement de l’air véhiculaient la chaleur et que l’obscurité était toujours plus fraîche». Séverine Chavrier n’ouvre pas davantage les fenêtres. Mais elle offre des points d’échappée, fuyant une interprétation trop étroite de l’œuvre.

 

 

Absalon, Absalon !, paru en 1936, retrace l’histoire d’un homme, Thomas Sutpen, qui, parti de rien, bâtit un domaine, une plantation, prend femme et tente de fonder une descendance, mais qui pourtant reste un intrus dans la communauté où il a surgi un beau jour. Absalon, Absalon ! est l’histoire d’une malédiction. Sur la scène, les mots de Faulkner surgissent de loin en loin. «Ma fidélité à son œuvre n’est pas dans la littéralité, explique Chavrier. Je tente plutôt d’être fidèle à la sensualité, aux odeurs, au précipité d’images et de temps que le roman charrie.» La metteuse en scène avait même à l’origine supprimé le personnage – central – de Rosa Coldfield. L’été dernier pourtant, elle croise la comédienne Annie Mercier et lui confie qu’elle a peut-être fait une erreur. Elle lui propose de venir répéter avec l’ensemble des comédiens pour porter le personnage de Rosa sans savoir encore si elle le réintégrerait dans la pièce. Après quelques semaines d’essais, Miss Coldfield et Annie Mercier seront finalement de la distribution, et la voix rocailleuse de la comédienne apporte sa tessiture sépulcrale au spectacle. «J’ai milité pour qu’on garde davantage de tournures stylistiques de Faulkner, en vain», regrette la comédienne Annie Mercier. Le comédien Laurent Papot connaît très bien le travail de Séverine Chavrier, avec qui il a créé il y a plus de vingt ans la compagnie la Sérénade interrompue. Il était exceptionnel  dans Ils nous ont oubliés, la dernière pièce de la metteuse en scène, d’après Thomas Bernhard. Il est cette fois Thomas Sutpen. «Il n’y a pas une ligne de mon texte que je n’aie écrite… enfin, que Faulkner ait écrite et que je n’aie retravaillée, dit-il. Il faut bien : que se disent-ils les personnages faulkneriens ? Que pensent-ils ? On a peu accès à ce qui s’est passé en eux, il faut l’imaginer.»

 

 

Alors est-ce encore du Faulkner ? «Je pense que non, tranche Séverine Chavrier. L’objet scénique doit s’autonomiser de la matière du roman, sinon mieux vaut lire le livre.» Elle exagère, évidemment. Ce jour de répétition en tout cas, la glycine d’Absalon était bien là et sur la scène on devinait les fantômes qui, comme dans le roman, «commençaient à prendre une sorte de consistance, de permanence». Coup de force de Séverine Chavrier de citer si peu de mots de l’auteur et pourtant de faire entendre «les cris perçants» d’enfant qu’évoque Faulkner, ces cris qui «persistaient non pas comme un son maintenant mais comme quelque chose que pouvait entendre la peau, que pouvaient entendre les cheveux sur la tête».

Comme à travers un rêve d’insomnie

D’après Faulkner donc, vu dans un miroir déformant, dans une foire grotesque, avec sa maison hantée, posée là sur la scène à côté d’un cheval à bascule, sa musique lancinante et hypnotique de train fantôme. Sur le plateau il y a aussi des dindons, un chien et un boa qui fait crisser le micro sur lequel il rampe. «Séverine Chavrier ne renonce jamais, elle s’obstine, elle creuse», témoigne Annie Mercier. Fouraillant les leitmotivs du romancier que la metteuse en scène énumère : «La vengeance d’une femme répudiée, la jeunesse écrasée, l’enfance bafouée, l’histoire quasi biblique d’un fratricide – dans la famille Sutpen sur fond de guerre de Sécession.» Elle livrera, si on en croit le filage des deux premières parties du spectacle auxquelles on a assisté, une lecture obsessionnelle, ressassante du chef-d’œuvre. Comme à travers un rêve d’insomnie, une hallucination, une insolation.

La pièce dresse le portrait de l'Amérique ségrégationniste. (Alexandre Ah-Kye/festival Avignon)

La question de la peau et des corps, noirs, blancs, au cœur de l’œuvre du romancier du Sud n’est pas éludée, au contraire, mais totalement transformée. Le spectacle présenté à Avignon est une relecture critique d’Absalon. Non pas au sens de jugement, plutôt d’un prolongement. Chavrier a abordé Faulkner au côté de l’écrivain martiniquais Edouard Glissant, figure de la créolité et du «tout-monde» (et dont le petit-fils, Pierre Artières-Glissant, tient le rôle d’un fils Sutpen dans le spectacle) : «Dans Faulkner Mississippi [Stock, 1996], Glissant insiste sur l’obsession d’un homme, Thomas Sutpen, à fonder une lignée qui rejoue l’obsession de l’Amérique blanche, patriarcale et capitaliste. Absalon, Absalon ! est finalement le récit d’une Amérique qui échoue à fonder sa légitimité sur un double crime : le massacre des autochtones d’Amérique et la traite transatlantique.» Le mot «nègre» présent dans le roman de Faulkner n’est pas repris ici. «La question n’est pas d’interdire tel ou tel mot, mais d’éviter que des spectateurs afrodescendants se disent immédiatement : Cette pièce n’est pas pour moi», explique Noémi Michel, politologue devenue également dramaturge, qui intervient régulièrement auprès de metteurs en scène sur les enjeux de diversité et de représentation. «Nous avons cherché l’inverse : comment faire du commun le temps d’une création autour de l’œuvre de Faulkner ? Le romancier lui-même ouvre dans ses livres une perspective critique sur la société américaine blanche et sur sa fragilité… Ce n’est pas un hasard si tant de penseurs afro-américains, de Toni Morrison à la féministe noire Hortense Spillers, lui ont consacré tant de pages. Mettre en scène son œuvre en 2024 revient à se demander comment aiguiser notre regard sur les questions raciales.» Dans Faulkner Mississippi, Glissant a montré à quel point les personnages noirs sont centraux dans l’œuvre de l’écrivain mais restent souvent des observateurs muets. «Le plus passionnant a été de trouver quelle voix donner à ceux qui n’en avaient pas, témoigne Séverine Chavrier. Les personnages noirs de mon spectacle parlent, dansent, jouent, ils sont comme les coryphées des tragédies antiques.»

«Ça a été les montagnes russes»

Cela faisait sept ans que Séverine Chavrier pensait à l’adaptation d’Absalon, Absalon ! Et près de deux ans qu’elle y travaille avec ses comédiens et danseurs, toujours à sa manière, fondée sur l’improvisation. Chacun est arrivé avec «son» Faulkner, dans une liberté d’improviser d’abord presque totale mais accaparante – les acteurs mêlant histoires intimes et lecture personnelle du roman. Annie Mercier : «Je n’ai jamais tant travaillé un texte, j’ai noirci un gros cahier, j’ai fait des fiches sur chacun des personnages, j’ai réécrit des scènes…» Faulkner lu, relu, mâché, incorporé. Et le spectacle qui engloutit le récit et le fait renaître. Le matériau accumulé après ses heures de travail d’improvisation est dantesque. Le jour où nous assistons aux répétitions, en trois heures de filage, nous ne sommes arrivés qu’à la moitié de la deuxième partie. Il y en aura deux autres encore… et le spectacle devra durer quatre heures environ. «A partir de maintenant on va couper, resserrer. A cette étape, ce n’est plus qu’un travail rythmique», rassure Laurent Papot. «Pour moi ça a été les montagnes russes : j’ai été exaltée et parfois j’en ai pleuré, témoigne au contraire Annie Mercier. Séverine Chavrier est la seule à avoir son projet dans la tête. Il est difficile d’obtenir le texte, elle n’aime pas que nous nous sentions trop à l’aise, elle nous laisse dans une incertitude fructueuse. Ça me bouscule énormément. C’est quoi ce matériau ? Qu’est-ce qu’on agite ?» Parfois, alors que la metteuse en scène, casque sur les oreilles à côté des ingénieurs du son, contrôle tout à la fois la lumière, le son et le jeu, la comédienne s’assoit dans la salle vide, à la place du public à venir, pour tenter de mieux comprendre. Sur le plateau, le sol est fait de terre, noire. Laurent Papot est allongé dans son cercueil, les dindons viennent picorer des graines dans sa main.

 
 
 
Légende photo : Avec sa mise en scène sombre, Séverine Chavrier convoque les fantômes qui peuplent l’œuvre de Faulkner. (Alexandre Ah-Kye/festival Avignon)
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June 27, 2024 5:01 AM
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Festival d'Avignon : Tiago Rodrigues prévoit une 78e édition de combat

Festival d'Avignon : Tiago Rodrigues prévoit une 78e édition de combat | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos, le 26 juin 2024

 

En raison des JO, le rendez-vous mondial du théâtre s'ouvre plus tôt, le 29 juin, à la veille d'une séquence électorale critique. Le directeur du festival, Tiago Rodrigues, est bien décidé à assurer le rayonnement d'une édition particulièrement flamboyante ; et à la transformer, si besoin est, en espace de résistance culturelle.

 

 

Publié le 26 juin 2024 à 17:37Mis à jour le 27 juin 2024 à 09:58

Le « café lumineux » du Festival d'Avignon, comme l'a baptisé son directeur Tiago Rodrigues, risque un court-circuit en ces premiers jours de juillet marqués par des élections législatives cruciales pour le pays. Mais il ne va pas s'étreindre. « Je n'aime pas trop les dystopies, on verra ce que nous réserve le second tour. Si le RN perd, ce sera un festival de célébration ; s'il gagne, ce sera un festival de résistance. » L'artiste portugais, marqué par le souvenir de la dictature de Salazar, ne mâche pas ses mots : « Je n'accepterai jamais de collaborer avec un gouvernement d'extrême droite. S'il accède au pouvoir, je proposerai que l'Etat sorte du conseil d'administration. »

 

En attendant, cette 78e édition qui se déroule du 29 juin au 21 juillet ne changera pas de nature. « Son caractère de grande fête civique, populaire et démocratique, fondée sur une totale liberté de l'artiste, a plus que jamais raison d'être… Contrairement aux discours clivants des politiques et de certains médias, le théâtre cultive la complexité, la nuance, nourrit le débat démocratique », explique le directeur du festival.

Affiche brillante

Selon lui, l'urgence est d'abord de convaincre le public potentiel (130.000 places payantes en 2023) qu'il peut faire son devoir démocratique le 30 juin et le 7 juillet grâce aux procurations et participer au festival. « Dès l'entre-deux tours, des espaces de paroles sont envisagés pour que les festivaliers puissent débattre de l'avenir politique et du rôle de la culture. » Le festival a déjà dû se mettre au diapason des JO en avançant d'une semaine sa programmation. Il va donc devoir composer avec les échéances politiques. Seule certitude : son affiche est brillante.

 

 

La 78e édition se distingue par la place accordée à des artistes femmes de premier rang - Angelica Liddell dans la Cour d'honneur, Séverine Chavrier, Caroline Guiela Nguyen, Lorraine de Sagazan ou La Ribot. Elle s'annonce riche également du retour de Krzysztof Warlikowski, lui aussi dans la Cour d'honneur, du premier spectacle créé par Tiago Rodrigues en tant que directeur du festival avec la Comédie-Française (« Hécube, pas Hécube ») dans la Carrière de Boulbon et de la complicité du chorégraphe Boris Charmatz, artiste associé pendant la totalité de l'événement.

Par ailleurs, la part importante accordée aux spectacles en langue espagnole donnera l'occasion de découvrir de nombreux artistes latinos engagés. Tiago Rodrigues et ses équipes sont sur le pied de guerre pour que le festival fondé par Jean Vilar continue de faire vivre l'art et la pensée, pour que le « café lumineux » d'Avignon continue de nous éclairer, même au plus profond de la nuit.

78E FESTIVAL D'AVIGNON

A Avignon et alentours,

du 29 juin au 21 juillet.

Places toujours en vente sur le site.

festival-avignon.com

ou au 04 90 14 14 14

 

Philippe Chevilley

 

 

Légende photo :

Tiago Rodrigues et ses équipes sont sur le pied de guerre pour que le Festival d'Avignon continue de faire vivre l'art et la pensée. (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

 

 

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June 25, 2024 2:40 PM
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Les Français prêts à être bousculés par le théâtre

Les Français prêts à être bousculés par le théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Assia Belabbes dans Télérama - 21 juin 2024

 

 

Un groupement de soixante-dix théâtres a interrogé les Français sur leur fréquentation des salles et sur ce qu’ils souhaitent y voir. Bonne nouvelle : les sujets qui font mal ne leur font pas si peur !

 

 

 

Peut-on parler de tout sur scène ? La question figurait pour la première fois dans l’étude « Les Français et le théâtre » dont la 3e édition, dévoilée jeudi 20 juin, a été réalisée auprès de quelque 1500 Français par Médiamétrie et l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP ; environ soixante-dix salles à Paris et en région, plus vingt-cinq tourneurs). Preuve que l’actualité brûlante de ces derniers mois, de la guerre en Ukraine aux récentes élections européennes en passant par les événements au Proche-Orient, constitue un sujet de préoccupation majeur pour les professionnels du secteur...

 
Alors donc, peut-on parler de tout sur les planches ? La réponse est oui pour 60 % des Français (et 70 % des spectateurs de théâtre). Pascal Guillaume, directeur de l’ASTP − et du Théâtre Tristan-Bernard −, s’en félicite : « Cela peut servir d’argument pour rassurer et convaincre les élus de collectivités de la nécessité d’aborder des sujets délicats et sensibles sur les scènes qu’ils subventionnent. » Reste qu’un Français sur quatre (un sur trois parmi les « théâtreux ») juge au contraire que la religion, les guerres, les génocides, le terrorisme et la politique sont des sujets clivants.

Vive le bouche-à-oreille

Ils irriguent pourtant le théâtre depuis ses origines, de la tragédie grecque jusqu’à la création contemporaine − en témoignait récemment Terrassesun texte de Laurent Gaudé mis en scène par Denis Marleau, qui revient sur les attentats de 2015. Et aussi graves soient-ils, ils ne dissuadent pas les Français de se rendre dans les salles : la même étude de l’ASTP recense 12,2 millions d’entrées entre le printemps 2023 et le printemps 2024, soit 2 millions de plus que sur la même période un an plus tôt.

Les personnes interrogées ont assisté en moyenne à six représentations, soit une de plus qu’en 2022-2023. Si ce chiffre peut paraître élevé, c’est sans doute parce qu’il comprend les « spectateurs de théâtre au sens large », et même très large puisqu’il inclut quiconque a assisté à un spectacle de théâtre de rue, fréquenté un théâtre public ou privé, une salle municipale... ou même une représentation scolaire. Les moins de 35 ans représentent un gros tiers de ces spectateurs.

 

 

À lire aussi :

“On se demande ce qu’on va devenir” : contre l’extrême droite et contre l’austerité, la culture est dans la rue

 

 

Les spectateurs réguliers, dont l’âge moyen est d’un peu plus de 45 ans, sont principalement citadins, originaires de l’agglomération parisienne (où l’offre culturelle est plus abondante) et ont par ailleurs une pratique culturelle supérieure à celle de l’ensemble des Français (lecture, musique, streaming, sorties…). Ils font leurs choix sous l’influence de la presse écrite (33 %) et des sites de billetterie en ligne (39 %), mais surtout selon le bouche-à-oreille (48 %). La sortie au théâtre reste, pour une très large majorité, une expérience collective. Enfin, si 62 % des adeptes des arts scéniques affirment souhaiter multiplier ce type de sortie, 26 % disent y avoir renoncé, au moins en partie, à cause du prix trop élevé des places. Le pouvoir d’achat figure justement en tête des questions sensibles que les spectateurs se disent prêts à voir abordées sur scène... tout en regrettant de ne pouvoir se rendre au théâtre. Peut-on parler de tout sur scène ?, demande l’ASTP. Assurément, il le faudrait.

 
 
 
Légende photo : Pour 70 % des amateurs de théâtre, il n’y a pas de sujet qui ne puisse être abordé sur les planches (ici à l’Edouard VII à Paris). Photo Julien Daniel/M.Y.O.P.
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June 25, 2024 2:18 PM
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Au Festival d’Avignon, l’appel à la résistance contre le RN 

Au Festival d’Avignon, l’appel à la résistance contre le RN  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc dans Libération - 25 juin 2024

 

Les organisateurs du Festival et la maire d’Avignon se sont réunis lundi 24 juin pour appeler à faire barrage contre l’extrême droite, en accord avec les valeurs historiques de l’événement. Ils ont partagé leur peur pour le régime de l’intermittence du spectacle.

 

C’est le branle-bas de combat au festival d’Avignon. Dans la cour du Palais des Papes, tous ses responsables sont assis côte à côte le long d’une table rectangulaire, la mine sinistre. Devant la presse, ils ont appelé à faire barrage au Rassemblement national, et à la résistance. Ils sont cinq autour de Cécile Helle, la maire d’Avignon : Françoise Nyssen, présidente du festival (et ex-ministre de la Culture en 2017-2018), Tiago Rodrigues, son directeur, Harold David et Laurent Domingos, coprésidents de l’association coordinatrice du festival off, ainsi que Serge Barbuscia, président de l’association des scènes permanentes de la ville. D’une même voix, ils appellent à aller voter afin de ne pas laisser l’extrême droite accéder aux plus hautes responsabilités et plaident pour une édition d’autant plus intense, le festival retrouvant sa vocation d’agora ouverte dans une société «de plus en plus polarisée», il s’agit de «débattre pour ne pas se battre» (dixit Tiago Rodrigues).

Hausse des réservations du off

Le directeur du festival du in explique par ailleurs avoir prévu une fréquentation record pour cette édition, mais qu’après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et des législatives anticipées, «on ressent une chute importante des ventes de billets pour la première semaine du festival [qui commence le 29 juin, ndlr], jusqu’au 7 juillet». Une affirmation quelque peu tempérée par son directeur délégué, Pierre Gendronneau, qui a précisé que pour cette première semaine, 40 000 places ont été mises en vente, et qu’un volume de places toujours disponibles (autour de 5 000) est mis en vente à tarif réduit pour près d’une quinzaine de pièces présentées durant cette première semaine. Les représentants des théâtres permanents présents ont, pour leur part, mis en avant une hausse des réservations pour la partie dite off du festival.

Ce n’est pas la première fois que Tiago Rodrigues prend la parole sur la politique, lui qui défendait déjà l’inclusion du champ culturel dans les débats entourant les élections européennes dans les pages de LibérationFace au danger de l’extrême droite, il a tenu à formuler son souhait pour cette édition 2024 : «Le Festival d’Avignon doit être à la hauteur de ses responsabilités historiques, de son code génétique, de ses valeurs et ses principes depuis 1947 et sa fondation par Jean-Vilar. C’est un festival démocratique, populaire, républicain, écologiste, féministe, antiraciste.»

 

«On est à un moment charnière»

Alors que le premier tour des élections législatives anticipées est prévu le 30 juin, soit au lendemain de l’ouverture du festival, les organisateurs s’inquiètent particulièrement de l’avenir des artistes si le Rassemblement national en venait à obtenir une majorité de députés à l’Assemblée. Le directeur d’Avignon a évoqué la toujours possible remise en question «d’un régime d’intermittence qui inspire des artistes et des techniciens de toute l’Europe et de tout le monde», avant que Laurent Domingos ne renchérisse : «Il ne me semble pas avoir entendu beaucoup de paroles de défense de l’intermittence de la part du Rassemblement national, voire avoir bien entendu le contraire.» Une méfiance partagée par les syndicats du spectacle vivant, qui ont déjà manifesté par trois fois à Paris dans les dernières semaines.

 

 

Pour ce qui est du festival, Laurent Domingos a rappelé les événements en marge des représentations théâtrales : «On est à un moment charnière de l’histoire de la culture française. Il y aura plein de débats dans le village du off comme il y en aura aussi au Festival d’Avignon. Il faut que le public y participe. Il faut que la citoyenneté se montre au festival.» A ces débats s’ajouteront aussi les mobilisations organisées par l’intersyndicale de la branche culture, qui a d’ores et déjà annoncé une manifestation au sein de la cité des Papes samedi 29 juin, jour de l’ouverture du Festival in et veille des législatives. «Nous, les cigales allons être obligées de reprendre le monde en main afin de le rendre plus fréquentable», a résumé Laurent Rochut, directeur du théâtre La Factory.

 

 

Lara Clerc / Libération

 

 

Légende photo : Les organisateurs du Festival et la maire d’Avignon se sont réunis lundi 24 juin pour appeler à faire barrage contre l’extrême droite au Palais des Papes, à Avignon. (Alexandre Quentin)

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June 25, 2024 11:51 AM
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Julien Gosselin à l'Odéon

Julien Gosselin à l'Odéon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 24 juin 2024

 

 

Le metteur en scène et chef de troupe a été désigné vendredi 21, comme successeur de Stéphane Braunschweig, au Théâtre National/Théâtre de l’Europe.

 

De tous les metteurs en scène du cercle de création théâtrale      de France et d’Europe, metteurs en scène autour de la quarantaine, Julien Gosselin est à la fois le plus radical, mais aussi l’un des plusreconnus de la profession, tutelles comme critiques et spectateurs.

 

Né dans le Nord (le 10 avril 1987, à Oye-Plage, Pas-de-Calais) il a été l’un des très brillants élèves de l’Ecole du Théâtre du Nord, un foyer de formation de grande qualité, qui célèbre en cette année 2024, ses vingt ans. Le jeune Julien Gosselin a été un élève de Stuart Seide, venu des Etats-Unis depuis bien des décennies, associé à l’époque d’Antoine Vitez, metteur en scène audacieux et pédagogue très fertile.

 

Julien Gosselin n’a jamais dirigé d’institution, au contraire de l’un des artistes pressentis pour diriger la prestigieuse institution qu’est le Théâtre National de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Thomas Jolly, de quelques années son aîné (il est né le 1er février 1982).  Mais Julien Gosselin a le sens de la responsabilité :
dès 2009, il avait fondé le collectif « Si vous pouviez lécher mon
cœur ». Il a le sens du partage et c’est dans cette phalanstère heureuse que l’on a appris à connaître des garçons et des filles de grand talent, telle Tiphaine Raffier, telle Noémie Gantier. En sortant de l’Ecole professionnelle supérieure d’art dramatique de Lille (EPSAD), Guillaume Bachelé, Antoine Ferron, Alexandre Lecroc, Victoria Quesnel et les déjà nommés ont donc créé « Si vous pouviez lécher mon cœur ».
Un nom étrange, dérangeant qui se dénoue en ce terrible
avertissement : « vous seriez empoisonné ». Ces jeunes artistes ont prélevé cette phrase dans Shoah… Julien Gosselin est le metteur en scène de ses camarades. Ils montent Gênes
01
 de l’Italien Fausto Paravidino ou encore Tristesse animal noir de l’Allemande Anja Hilling. Dès 2013, ils sont au festival d’Avignon avec une jubilatoire et très intelligente adaptation (partielle) des Particules élémentaires de Michel Houellebecq. Cela les lance ! Suivront d’autres créations-fleuves, comme  2666 d’après Roberto Bolano.  Puis Joueurs, Mao II, Les Noms,  d’après Don De Lillo, Le Passé de Léonid Andreïev. Depuis, d’autres grands spectacles sont nés. Ainsi, l’année dernière, au Printemps des Comédiens, une production complexe et fascinante, reprise à Avignon, Extinction d’après une double inspiration, Arthur Schnitzler et Thomas Bernhard. Julien Gosselin a été artiste associé au Phénix de Valenciennes et à la Volksbühne Berlin. Il maîtrise parfaitement les contraintes économiques des productions et des « maisons » de théâtre. Nommé officiellement au premier jour de l’été 2024, le 21
juin, il entrera en fonctions comme directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, le 15 juillet prochain. Dans des conditions difficiles qui ont conduit Stéphane Braunschweig, en poste depuis 2016, à renoncer à un nouveau mandat. Le ciseau de l’équilibre des dépenses ne laisse presque pas de marge à la création. L’Odéon pouvait disposer de 1,5 million d’euros en 2016. Avec les augmentations des productions et du fonctionnement administratif et technique des salles, Odéon 6ème et Ateliers Berthier, il reste 500.000 euros pour la création.

 

 

Armelle Héliot

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June 21, 2024 1:21 PM
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Le metteur en scène Julien Gosselin nommé à la tête du théâtre de l’Odéon 

Le metteur en scène Julien Gosselin nommé à la tête du théâtre de l’Odéon  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Anne Diatkine et Rémi Guezodje dans Libération / 21 juin 2024

 

 

 
Connu pour ses adaptations impressionnantes, l’artiste, nommé ce 21 juin par Emmanuel Macron, prend la succession de Stéphane Braunschweig. A la direction de la salle parisienne réputée difficile, il devra «garantir la polyvalence» du lieu, malgré un manque de moyens critiqué par son prédécesseur.

 

 

C’est donc bien lui, la rumeur était fondée, et on ne saurait s’en plaindre. Depuis plus d’un mois, elle donnait le metteur en scène Julien Gosselin prochain directeur du théâtre de l’Odéon-théâtre de l’Europe. On s’étonnait tout juste que le suspense s’étire. Le metteur en scène bien aimé dans ces pages, fondateur du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur, et dont la dernière création,  Extinctiond’après Thomas Bernhard, Schnitzler et Hofmannsthal a été créée au dernier festival d’Avignon, vient d’être nommé par le président de la République, ce 21 juin, à la direction du théâtre, sur proposition de la ministre de la Culture, Rachida Dati.

«Paradoxe des grands théâtres nationaux»

Il prend la suite de Stéphane Braunschweig, qui avait annoncé en décembre à Libération ne pas se présenter à sa propre succession, pour cause d’absence totale de marge artistique pour poursuivre son projet, lequel implique des créations, l’invitation de plusieurs spectacles étrangers, et des prises de risques, des découvertes. Une quadrature du cercle telle que tous les autres metteurs en scène approchés – Thomas JollyThomas Ostermeier – ont décliné les avances qui leur étaient faites. Comment fera Julien Gosselin qui aurait accepté ce poste sans augmentation de budget ? A-t-il au bout du compte obtenu de la ministre de la Culture, très probablement éphémère, l’assurance que des moyens financiers viendraient à la rescousse ? A-t-il prévu d’engager des négociations pour modifier la convention collective réputée très difficile à réécrire au profit de la marge artistique ?

 

 

«Le paradoxe de ces grands théâtres nationaux est qu’ils sont en état de marche mais sans moyen pour l’artistique. Sans augmentation de la subvention, Julien prend un grand risque»,  analyse un artiste et ancien directeur d’une grande maison. La nomination de Gosselin, connu pour ses adaptations impressionnantes d’œuvres littéraires dont les Particules élémentaires de Houellebecq en 2013, et le roman-fleuve de Roberto Bolaño 2666 en 2016, interroge sur la stratégie qui pourrait être la sienne pour réussir à montrer des œuvres d’envergure internationale – les siennes et celles des autres – mais aussi les faire tourner dès lors que l’Odéon est producteur.

 

Programmation ouverte aux artistes du monde entier

Dans son communiqué, Rachida Dati confirme néanmoins que Julien Gosselin aura pour mission de garantir la polyvalence offerte par le théâtre de l’Odéon et les Ateliers Berthier, tout en proposant une programmation ouverte aux artistes du monde entier, des concerts et des conférences sur le site historique, ainsi que des temps forts de festivals. Julien Gosselin prendra ses fonctions au 15 juillet 2024. Il n’a auparavant jamais dirigé de théâtre. A la veille des législatives, il prend la tête de ce grand théâtre public réputé difficile dans un contexte politique incroyablement incertain. Devra-t-il en faire un lieu de résistance ?

 
 
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June 21, 2024 2:32 AM
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Léo Cohen-Paperman : «La représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre politique et populaire» 

Léo Cohen-Paperman : «La représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre politique et populaire»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Gilles Renault dans Libération - 20 juin 2024


Fasciné par «ces visages que nous avons tous en partage» qu’ils soient «adorés ou abhorrés», le metteur en scène déroule dans «Huit Rois (nos présidents)» une saga sur les chefs de l’Etat de la Ve République, dont les trois premiers chapitres, sur Chirac, Giscard et Mitterrand, sont donnés au Théâtre 13 à Paris.

 

Etalé sur une dizaine d’années, c’est un chantier artistique qui percute le tumulte sociopolitique dans lequel le pays n’en finit plus de s’enfoncer. Dès 2019, l’auteur et metteur en scène Léo Cohen-Paperman met en branle la saga Huit Rois (nos présidents) qui, sous forme d’épisodes distincts, évoque tous les chefs d’Etat de la Ve République, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron.

 

D’une facture et d’un intérêt variables, les trois premiers chapitres sont actuellement réunis au Théâtre 13 à Paris : «la Vie et la Mort de Jacques Chirac, roi des Français», traité sous la forme déconcertante d’une enquête onirique (qui reviendra début septembre au théâtre du Petit Saint-Martin à Paris), «Génération Mitterrand», dissection plus sobrement maîtrisée d’une époque basculant de l’euphorie à la désillusion et, dernier en date, «le Dîner chez les Français», farce giscardienne qui chercherait une issue improbable entre les Bodin’s et les Chiens de Navarre.

 

Entretien avec Léo Cohen-Paperman qui, au même titre que son homologue et ami Hugues Duchêne (Je m’en vais mais l’Etat demeure, l’Abolition des privilèges), a délibérément choisi d’utiliser la politique comme matière première de ses créations.

 

Qu’aviez-vous en tête en amorçant ce projet ?

 

«Les morts gouvernent les vivants» disait Auguste Comte – ou quelque chose comme ça, je n’ai pas vérifié la citation [elle est bien attribuée au philosophe, ndlr]. Le point de départ de la série est intime : mon père, Philippe Cohen, journaliste politique, est décédé en 2013. Faire cette série, c’est poursuivre un dialogue avec lui, le «doux échange de sentiments et d’idées» dont parlait toujours Comte. Ensuite, et c’est le plus important, il y a dès 2019 l’intuition que la représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre à la fois politique et populaire, parce que ces «rois» sont des visages que nous avons tous en partage – que nous les adorions ou abhorrions. Sachant que pour en faire de vrais personnages de théâtre, humains, fragiles, sincères, il ne faut pas s’arrêter à l’indignation. Au contraire, même : écrire sur le pouvoir exige d’arriver à les aimer tous, même ceux qui peuvent apparaître comme les plus vils.

 

Pourquoi ne pas avoir opté pour la simplicité d’un agencement chronologique ?

 

C’est totalement inconscient mais si je devais justifier l’ordre dans lequel nous avons créé les spectacles, je dirais ceci : «Chirac», c’est notre enfance. Nous sommes nés à la fin des années 80, quand il est élu en 1995, j’ai 7 ans, forcément, ça marque. Ensuite, «Mitterrand» était une réponse à «Chirac», dans la forme (moins d’incarnation, plus de sobriété) comme dans le fond (une pièce plus directement politique). Enfin, avec «Giscard», nous voulions remonter à l’origine de la crise structurelle qui a frappé la France depuis la fin des Trente Glorieuses.

 

Qui vous a donné – ou pourrait vous donner – le plus de fil à retordre ?

 

La difficulté réside partout, dans la représentation de chaque président. Prenons ceux que nous n’avons pas encore créés : De Gaulle, c’est le fondateur, le mythe, comment traduire son souffle, et son ombre imposante ? Pompidou disait : «Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, je souhaiterais que les historiens n’aient pas grand-chose à dire sur mon mandat» [la formule a été choisie pour être son épitaphe, ndlr.] A priori, ce n’est pas très engageant pour imaginer un spectacle. Sarkozy et Hollande sont clivants car ils appartiennent encore à notre actualité. Macron, n’en parlons pas, surtout dans le contexte actuel.

 

Avec Julien Campani, quand nous écrivons, nous essayons de regarder ces «rois» en face. Cela veut dire que nous tentons de leur donner une humanité, une fragilité… Qui ne nous empêchent pas d’être abasourdis devant le cynisme et la rouerie qui leur sont propres. Pour vouloir incarner la France, il faut un immense désir complètement fou qui conduit parfois à trahir ses amis, ses promesses, soi-même… En tant qu’artisans de théâtre, nous cherchons à faire vivre des personnages et des situations en faisant le pari, jamais simple, d’une humanité inaliénable, même au sommet du pouvoir, là où l’air est souvent irrespirable.

 

D’où la nécessité de faire la part des choses entre l’homme et les idées – comme chez Giscard, perçu comme fat mais qui a su prendre des décisions inattendues, voire courageuses ?

 

Oui, là encore, c’est tout le mystère de ce pouvoir français qui comporte parfois – souvent – une dimension sacrificielle. Nous avons ainsi constaté une disproportion entre la haine suscitée par VGE et la densité de son action politique. Pour saisir la détestation que lui vouèrent les Français, il faut parvenir à comprendre la mentalité d’une époque, le désir d’alternance… Mais aussi, encore une fois, la nature d’un pouvoir monarco-républicain : l’exercer en l’incarnant, c’est accepter une charge étrange à laquelle seul Pompidou, mort pendant son mandat, a échappé, [celle de] l’homme providentiel. Le président devient nécessairement bouc émissaire.

 

Pensée comme une saga en huit chapitres, la série pourrait-elle un jour en comporter un neuvième, où il serait question d’une reine ?

 

Mon objectif est de finir en 2027, avec la fin du second mandat d’Emmanuel Macron. Peut-être qu’au soir du second tour, nous proposerons une petite forme de vingt minutes sur le prochain président, ou la prochaine. L’histoire a ceci de fâcheux qu’elle nous réserve souvent des surprises ! Mais pour citer Claudel, «le pire n’est pas toujours sûr.»

 

Propos recueillis par Gilles Renault / Libération

 

 

Huit Rois (nos présidents), de Léo Cohen-Paperman, épisodes 1, 2 et 3, au Théâtre 13/Glacière (75013), jusqu’au 29 juin.

https://www.theatre13.com/saison/spectacle/huits-rois-nos-presidents

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June 20, 2024 12:30 PM
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«Narcissique», «sectaire», «dans le déni»... La culture est inoffensive face au RN, selon Ariane Mnouchkine et Éric Ruf

«Narcissique», «sectaire», «dans le déni»... La culture est inoffensive face au RN, selon Ariane Mnouchkine et Éric Ruf | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Article d'Elie Pillet dans Le Figaro - 18 juin 2024

 

Dans une tribune publiée par Libération, la fondatrice du Théâtre du Soleil dénonce la responsabilité des artistes dans la montée de l’extrême droite. Un constat d’impuissance partagé par Éric Ruf dans Le Monde.

 

 

«Qu'est-ce qu'on n'a pas fait ? Ou fait que nous n'aurions pas dû faire ? On pensait qu'on avait trois ans pour y réfléchir et soudain, ce geste du président de la République (...) et nous n’avons plus que trois semaines». Après la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron dans la stupeur générale le 9 juin, Ariane Mnouchkine, la créatrice du Théâtre du Soleil, s’est interrogée dans Libération sur la responsabilité des artistes par rapport à la montée de l’extrême droite en France. Son verdict est sans appel. Et sans aucune mansuétude pour le monde de la culture qu’elle juge narcissique.

 

Sa peur de l’arrivée au pouvoir du parti à la flamme date de 2002, «quand, pour la première fois, le FN est arrivé au second tour de l’élection présidentielle», précise-t-elle dans sa tribune du 12 juin. La potentielle victoire du Rassemblement national aux élections législatives du 30 juin et du 7 juillet serait sa «hantise». Le cri d’avertissement de l’artiste de 85 ans s’adresse notamment aux artistes de l’Hexagone. «Oui, nous allons nous trouver très vite, immédiatement peut-être, devant un dilemme moral : que ferons-nous lorsque nous aurons un ministère de la Culture RN, un ministère de l'Éducation nationale RN, un ministère de la Santé RN ? Un ministère de l'Intérieur RN ? Je ne parle pas de l'incompétence probable, que je mets à part. Je parle du moment où nous risquons de devenir des collaborateurs», s’alarme-t-elle encore. Avant d’ajouter : «Quand décide-t-on de fermer le (Théâtre du) Soleil ? Au contraire, va-t-on se raconter qu’on résiste de l’intérieur  Elle qualifie ces futures institutions ministérielles de «loups» qui joueront les «renards», qui chercheront à gâter, flatter ou financer les mondes de l’art. «Je ne veux pas être un personnage de la pièce que nous avons joué en 1979, Mephisto, d'après Klaus Mann », affirme-t-elle dans la tribune.

«Narcissisme» et «sectarisme»

Pour Ariane Mnouchkine, les premiers «responsables», ce sont justement les «gens de culture»«On a lâché le peuple, on n'a pas voulu écouter les peurs, les angoisses. Quand les gens disaient ce qu'ils voyaient, on leur disait qu'ils se trompaient, qu'ils ne voyaient pas ce qu'ils voyaient», déplore-t-elle dans Libération. D’après elle, même si les artistes se mobilisaient aujourd’hui contre le parti de Jordan Bardella, il serait trop tard. «Je ne suis pas certaine qu'une prise de parole collective des artistes soit utile ou productive», analyse-t-elle encore. En effet, Ariane Mnouchkine considère que ses «concitoyens en ont marre» des gens de culture, de leur «impuissance», de leurs «peurs», de leur «narcissisme», de leur «sectarisme» et de leurs «dénis». Une réflexion «sombre» que l’auteure de la tribune assume avant de faire appel à la bienveillance du «public» et de sa «troupe».

 

 

Le constat d’Ariane Mnouchkine est partagé par Éric Ruf, dans un entretien accordé au Monde le 16 juin. Et la même interrogation court sur les lèvres de l’actuel administrateur de la Comédie-Française : «Cela fait longtemps que Tiago Rodrigues, moi et beaucoup d'autres faisons ce cauchemar, longtemps que l'on se demande : le jour où le RN passe, qu'est-ce que je fais ?», a-t-il confié au Monde.

 

 

La vision d’Éric Ruf sur le secteur du spectacle vivant s’apparente à celle d’Ariane Mnouchkine : «La culture n'a plus aucun poids dans le débat politique, affirme-t-il auprès du MondeUn doute fondamental s'est installé, chez les politiques, et conséquemment dans les médias et dans la société, sur son utilité, un doute qui touche spécifiquement le théâtre. À quoi ça sert, la Comédie-Française, ses quatre cents salariés, ses quatre-vingts métiers, son expertise ?»

À moins de deux semaines du premier tour des élections législatives, face à ce constat d’«impuissance» dans le débat politique, les syndicats de la culture appellent, eux, à la mobilisation «contre l'extrême droite».

 
 
Légende photo : Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française et la directrice du Théâtre du Soleil Ariane Mnouchkine constatent dans deux tribunes différentes l’impuissance actuelle des gens de culture face à la montée de l’extrême droite. AFP / JOEL SAGET / AFP / CHARLY TRIBALLEAU
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June 20, 2024 11:06 AM
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Selon une étude Médiamétrie, un quart des Français restent fidèles au théâtre

Selon une étude Médiamétrie, un quart des Français restent fidèles au théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 20 juin 2024

 

Si la fréquentation des salles est stable, l’enquête, rendue publique jeudi 20 juin, montre que le prix des places, jugé trop cher, reste le premier facteur dissuasif d’assister à un spectacle.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/20/selon-une-etude-mediametrie-un-quart-des-francais-restent-fideles-au-theatre_6241813_3246.html

 

 

Quatre ans après le choc de la crise sanitaire liée au Covid-19, qui entraîna la fermeture des salles de spectacle durant de longs mois, la fréquentation du théâtre affiche un relatif retour à la normale. Selon la troisième édition de l’étude « Les Français et le théâtre », rendue publique jeudi 20 juin, 24 % des internautes interrogés déclarent être allés au théâtre (que ce soit dans des lieux publics ou privés) au cours des douze derniers mois, contre 21 % en 2023  et 27 % en 2022. Réalisé par Médiamétrie, du 2 au 10 avril, auprès d’un échantillon représentatif de 1 536 personnes âgées de 15 ans et plus, ce baromètre a été mis en place par l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), structure qui regroupe quelque soixante-dix lieux à Paris et en région, et vingt-cinq producteurs-tourneurs.

 

 

Lire le récit (2023) : Article réservé à nos abonnés Au théâtre, un public moins nombreux mais plus assidu
 

Ce petit quart de Français qui gardent un réel appétit pour ce type de sorties font preuve d’assiduité – ils ont vu, en moyenne, 6,2 représentations en un an (contre 5,4 lors du précédent baromètre) – et sont 74 % à déclarer aller au théâtre autant ou plus qu’avant. En outre, ils accordent un taux de satisfaction de 7,5 sur 10 (contre 7,2 en 2023) au dernier spectacle auquel ils ont assisté. Le profil de ce public du théâtre évolue peu. L’âge moyen est de 45,5 ans, les catégories socioprofessionnelles supérieures sont surreprésentées (43 %, contre 38 % dans le premier baromètre), les plus de 50 ans composent 42 % des spectateurs, 26 % habitent l’agglomération parisienne et tous ont des pratiques culturelles (lire la presse, des livres, écouter des podcasts, aller au musée ou à la bibliothèque) largement supérieures à la moyenne nationale.

 

Ce qui les pousse à se rendre au théâtre demeure « le plaisir de vivre une représentation dans une salle » (40 %), de « profiter d’un moment avec ses proches » (40 %), de « découvrir une nouvelle pièce » (40 %), de « sortir de chez soi et du quotidien » (38 %) et de « partager des émotions » (35 %). Si « l’envie de théâtre est toujours là », le prix des places, jugé trop cher, reste, pour la troisième année consécutive, le premier frein cité (39 %). Suivent la perte d’habitude (25 %) et le manque de temps (20 %). « Un prix attractif » est d’ailleurs mis en avant par 42 % des répondants parmi les raisons qui pourraient les inciter à aller au théâtre. La notoriété du casting ou du metteur en scène et « l’histoire » proposée arrivent largement en tête des motivations pour sortir. En revanche, le fait qu’un spectacle ait été récompensé, d’un Molière par exemple, n’a quasiment pas d’impact (6 % de citations).

Etonnante question

Pour ce troisième baromètre, un nouvel item a été ajouté concernant le type de spectacle le plus attendu. Sans doute en lien avec le besoin de se divertir en cette période chargée d’actualités anxiogènes, 71 % des répondants citent « de la comédie » et 55 % « de l’humour ». Mais ils sont aussi 49 % à être attachés à des esthétiques (créations contemporaines, théâtre classique, théâtre immersif, improvisation ou performance). Même s’ils aspirent à se détendre, 60 % des Français (et 70 % des spectateurs) considèrent que « tous les sujets ont leur place au théâtre », qu’il s’agisse de la pauvreté, de la crise environnementale, la maladie, l’homosexualité, les discriminations, l’identité de genre, etc. Cette part tombe à 50 % pour les guerres, le terrorisme et la religion.

 

 

Lire le compte-rendu (2022) : Article réservé à nos abonnés Après le Covid-19, la fréquentation des théâtres, jugés trop chers, est en baisse
 

Pour justifier l’ajout de cette étonnante question sur les sujets pouvant être abordés, Pascal Guillaume, président de l’ASTP et directeur du théâtre privé parisien Tristan-Bernard, met en avant les difficultés grandissantes de diffusion pour les pièces qui ne sont pas des comédies. « Les programmateurs et les élus sont de plus en plus frileux suivant les thématiques des spectacles proposés. Ces chiffres permettront de les rassurer et de dédramatiser et, espérons-le, d’inciter à une programmation diversifiée », explique M.Guillaume. A titre d’exemple, même Passeport, le dernier succès parisien d’Alexis Michalik, a plus de mal à tourner en France que ses précédents spectacles. La raison : la pièce aborde le sort des migrants et des réfugiés.

 

 

Sandrine Blanchard / Le Monde

 

 

Légende photo :  « Passeport », écrit et mis en scène par Alexis Michalik, au Théâtre de la Renaissance, à Paris, le 22 janvier 2024. ALEJANDRO GUERRERO

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June 20, 2024 4:09 AM
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Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse : « Le corps est un lieu de résistance à l’idéologie »

Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse : « Le corps est un lieu de résistance à l’idéologie » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Rosita Boisseau publié dans Le Monde le 20 juin 2024

 

Dans un entretien au « Monde », celui qui dirige le festival pour la dernière année revient sur l’évolution de la discipline depuis qu’il a pris les commandes de la manifestation montpelliéraine, en 1983.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/20/jean-paul-montanari-directeur-de-montpellier-danse-le-corps-est-un-lieu-de-resistance-a-l-ideologie_6241565_3246.html

Aux commandes du festival Montpellier Danse depuis 1983, Jean-Paul Montanari, 76 ans, figure bâtisseuse du paysage chorégraphique contemporain, signe une 44e et ultime édition aussi attractive que solide, valorisant les univers d’auteurs, comme le Britannique Wayne McGregor, le Japonais Saburo Teshigawara ou le Français Angelin Preljocaj.

Cette 44e édition est celle de votre départ en tant que directeur du festival. Dans quel esprit l’avez-vous conçue ?

J’avais la volonté de revenir à la création, de soutenir les artistes, qui en ont de plus en plus besoin. Montpellier est l’un des rares endroits où l’on coproduit encore massivement les œuvres. Cette édition est quasi exclusivement composée de créations d’artistes. Et quand je parle de création, c’est comme la recherche en médecine. L’artiste plonge dans l’inconnu, invente de nouveaux gestes, de nouveaux rapports à l’espace. Curieusement, je suis beaucoup allé chercher à l’étranger. Il faut dire que je laboure toujours le même champ : celui de l’écriture, de moins en moins présente chez nous. C’est donc le cosmopolitisme qui préside cette année – c’est-à-dire le fait de se nourrir de plusieurs cultures. D’ailleurs, il y a trois villes dans lesquelles je vais souvent pour me ressourcer et trouver de nouveaux artistes : Marrakech [Maroc], Tel-Aviv [Israël] et Montréal [Canada]. Mais j’ai la sensation, comme un écrivain écrit toujours la même œuvre, d’imaginer toujours un peu le même festival.

 

 

 

Il n’y a curieusement pas d’image sur les affiches pour présenter cette édition. Pour quelle raison ?

J’ai élaboré cette programmation avec mon équipe dans un état d’esprit un peu différent. Comment travailler normalement alors que la guerre est à nos frontières ? Il y a un affaiblissement du monde occidental, comme d’ailleurs de la démocratie. La danse contemporaine, elle aussi, qui est une invention occidentale, perd son essence pour céder la place à une esthétique mondialisée à la TikTok, invention chinoise diabolique. Il n’y a donc pas d’image pour cette édition. Rien que des lettres sombres sur fond blanc pour parler du deuil.

Quelles sont aujourd’hui les caractéristiques de la scène chorégraphique, selon vous ? L’emprise des réseaux a-t-elle changé fondamentalement la donne artistique ?

Ce qu’on a appelé la « danse contemporaine », depuis les années 1980, n’existe plus. Son histoire est en train de s’achever. Je compare cela au Nouveau Roman, qui a inventé une nouvelle manière d’écrire, puis s’est épuisé. Depuis, nous sommes revenus à quelque chose de beaucoup plus classique, à la Zola, avec aussi l’intrusion de l’écriture journalistique dans la littérature. L’esthétique qu’on voit notamment sur les réseaux sociaux, qui travaillent sur le sympa, l’agréable, le côté clubbing et dance floor, fait des ravages. D’intérieur, le geste est devenu extérieur. Et c’est sans doute le prix que paie la danse à vouloir devenir populaire. Aujourd’hui, 90 % des productions sont des spectacles de divertissement, avec la complicité de certains médias et des réseaux sociaux, ces poisons de l’époque. Les politiques, par ailleurs, sont friands de ces interventions faciles et gratuites dans les rues. Et pourquoi pas ! Sauf que ces animations assèchent les budgets pour la recherche. Et la danse qu’on peut appeler « savante » a tendance à se réduire…

Vous avez toujours défendu l’écriture et êtes resté réfractaire à la fameuse non-danse, qui, à partir des années 1990, s’est éloignée du mouvement dansé traditionnel pour intégrer d’autres disciplines. Où en êtes-vous, aujourd’hui ?

Dans les années 1970, je ne suis allé vers la danse, moi qui étais tourné vers le théâtre et le texte, que parce qu’elle était un langage du corps et possédait une écriture. Ses grands auteurs sont Merce Cunningham, Dominique Bagouet, William Forsythe… J’ai cru, notamment grâce à eux, que la danse était un art majeur parce qu’elle écrivait le monde. Comme dans la littérature ou la peinture, l’écriture et le style sont fondamentaux. Il y a encore aujourd’hui des chorégraphes, comme Angelin Preljocaj et Ohad Naharin, qui continuent à me passionner. Mais il est vrai que, ce qui m’intéresse, c’est le corps, et que la non-danse, aussi intelligentes soient, par exemple, les déconstructions de Jérôme Bel, m’a laissé au bord de la route.

Au regard du théâtre et du texte, comment la question du sens est-elle véhiculée par la danse ?

La danse ne travaille pas avec le sens, ni avec l’idéologie d’ailleurs. Le corps est un lieu de résistance à l’idéologie, contrairement au théâtre, notamment dans les années 1970, où des personnalités comme Jean-Pierre Vincent, Roger Planchon ou Patrice Chéreau, que je suivais et admirais, étaient vraiment politiques. La danse, elle, propose une autre lecture, qui a souvent à voir avec le désir et sa jubilation. Lorsque j’ai découvert Roméo et Juliette, de Maurice Béjart, en 1967, au Festival d’Avignon, c’est un monde de beauté qui était là et qui a depuis disparu. Le beau geste est devenu bourgeois, selon certains, et nous vivons actuellement dans une esthétique de la laideur. Le positif a été remplacé par le négatif et la mort.

 

Quels sont les chocs artistiques qui ont impulsé votre amour des chorégraphes ?

Alors que Françoise Hardy vient de mourir, je me suis souvenu que, en 1962, j’avais 15 ans et je venais d’arriver à Lyon d’Algérie, où je suis né. Je me suis beaucoup identifié à elle pendant quatre ou cinq ans. J’étais fou de cette fille et de ses chansons. Je peux encore les chanter, tant je les connaissais par cœur. Elle a joué un rôle particulier dans ce que je suis devenu. Je crois qu’elle est la matrice de l’amour que j’ai ensuite voué aux créateurs. Un amour qui s’est nourri de l’échange. Je pense à Emanuel Gat, à Raimund Hoghe mais aussi à Anne Teresa De Keersmaeker, à Sharon Eyal, à Mathilde Monnier et bien d’autres… que j’ai suivis avec assiduité et fidélité. On a accueilli ici leurs premières œuvres et coproduit quasi toutes les suivantes. Comme dans une histoire d’amour, il faut être deux. L’artiste et l’institution s’unissent à un moment donné, même s’il faut aussi laisser la liberté d’explorer d’autres univers.

Comment définiriez-vous la façon dont vous fonctionnez, comme programmateur ?

Je suis un passeur, mais j’ai un don naturel et particulier pour tomber amoureux des artistes et de leur univers. Il suffit souvent de quelques minutes devant un spectacle pour que je sache immédiatement que je vais l’aimer. Je n’ai aucune hésitation et je ne me trompe presque jamais. Je ne transige pas non plus avec mon désir. Lorsque j’ai démarré le festival avec Dominique Bagouet, qui l’a fondé en 1981, en même temps que le premier centre chorégraphique [celui de Montpellier], c’est bien parce que ma relation avec lui était celle de l’amour pour son travail. Oui, je peux véritablement parler d’amour, sans que ce soit charnel pour autant. Et mon travail de passeur est donc de convaincre le public qu’on ne peut pas vivre sans ces chorégraphes, et qu’il lui manquera quelque chose s’il ne voit pas untel ou untel. Avec soixante mille spectateurs annuels aujourd’hui en moyenne pour le festival et la saison, je pense que je les ai souvent convaincus.

Le hip-hop a le vent en poupe, avec la présence de la breakdance aux Jeux olympiques Paris 2024. Vous avez été l’un des premiers à la tête d’institutions à inviter cette danse dans les théâtres. Quel est aujourd’hui votre point de vue sur ce mouvement ?

Le hip-hop est devenu une danse codée, tournée vers le divertissement. Cela ne va pas nous empêcher de l’aimer. Certains chorégraphes, comme Mourad Merzouki ou Kader Attou, ont construit une œuvre. En février, Mourad a battu des records, au Corum de Montpellier, avec quatre représentations archipleines, soit huit mille spectateurs, pour sa pièce Zéphyr. Je le surnomme le « nouveau Béjart ». D’ailleurs, le maire de Montpellier, Michaël Delafosse [PS], a assisté au spectacle, et se souvenait que, lorsqu’il avait 17 ans, il avait assisté à une œuvre en plein air de Béjart sur la place de la Comédie. L’idée est née de proposer à Mourad, pour la clôture de la 45e édition, de mettre en scène une énorme performance au même endroit.

 

Les programmations semblent s’élaborer de plus en plus vite. Pour quelle raison ?

Oui, cela va de plus en plus vite, et ça commence à ressembler aux contraintes de l’opéra, où il faut réserver des chanteurs au moins trois ans à l’avance. La concurrence devient rude entre les programmateurs pour avoir les meilleurs, ceux qui ont du talent, autrement dit ceux qui cherchent et qui trouvent. Si on veut tel ou tel artiste, il faut le saisir au passage et lui dire qu’il sera à Montpellier deux ou trois ans plus tard. Ils sont peu nombreux ceux qui me touchent, comme Raimund Hoghe, qui a réussi à me bouleverser pendant quatorze ans, ou Emanuel Gat, dont les pièces sont très bien écrites, construites et grand public aussi par-dessus le marché. Les maîtres William Forsythe ou Jiri Kylian ne créent plus, et les autres, comme Merce Cunningham ou Trisha Brown, sont morts.

 

La question de votre succession est ouverte. Parallèlement, le départ concomitant de Christian Rizzo, directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier-Occitanie, le 31 décembre, comme vous, pose-t-il le débat sur la fusion des deux lieux ?

Oui, la question de la fusion est sur la table. Quarante-cinq ans après la création du Centre chorégraphique national et du festival, la nécessité de réinventer les institutions, qui ne correspondent plus aussi bien aux besoins d’aujourd’hui, ni à la société actuelle, me semble juste. Montpellier, comme capitale de la danse, est aussi l’endroit le mieux placé pour tenter de trouver de nouvelles solutions institutionnelles à un autre environnement. Mais faut-il aller jusqu’à fusionner les deux institutions ? Je ne sais pas…

 

 

Montpellier Danse, une 44ᵉ édition riche et variée
 

Comme en littérature, l’écriture chorégraphique se révèle aussi riche et variée que la vingtaine d’auteurs et d’autrices à l’affiche de cette 44e édition. Elle est segmentée chez le Britannique Wayne McGregor, dont la nouvelle pièce, Deepstaria, plonge dans un trou noir. Elle se confronte au deuil et à la mort dans une affliction sublimée par Angelin Preljocaj dans Requiem(s). Plus théâtrale, elle nous embarque dans le village d’Okiep, en Afrique du Sud, dont le paysage aride fleurit sous les doigts de Robyn Orlin dans …How in Salts Desert Is It Possible to Blossom… Moteur de débordements, elle propulse loin et fort Le Monde en transe, du Marocain Taoufiq Izeddiou. De Taïwan, Cheng Tsung-lung dessine une gestuelle ondulante pour Lunar Halo, tandis que, du Japon, Saburo Teshigawara raffine toujours davantage son style calligraphique dans Voice of Desert. Jeux olympiques 2024 obligent, un Discofoot joyeusement bondissant, conçu par Petter Jacobsson et Thomas Caley, et la performance en patins à roulettes Roller Derviches, signée Marta Izquierdo Munoz, conjuguent sport et danse.

Montpellier Danse, du 22 juin au 6 juillet. Montpellierdanse.com

 

 

 

Rosita Boisseau / LE MONDE 

Légende photo : Jean-Paul Montanari, dans son bureau à L’Agora, cité internationale de la danse, au couvent des Ursulines, à Montpellier, le 10 juin 2024. CÉLINE ESCOLANO/SAIF IMAGES
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June 18, 2024 12:25 PM
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Pour l’ouverture des JO, Thomas Jolly embarque un millier de danseurs avec sa chorégraphe Maud Le Pladec

Pour l’ouverture des JO, Thomas Jolly embarque un millier de danseurs avec sa chorégraphe Maud Le Pladec | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 18 juin 2024

 

 

LES JO DE JOLLY – “Télérama” suit le directeur artistique des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris Thomas Jolly tout au long de son travail. Huitième épisode, le projet chorégraphique, qui sera interprété par un millier de danseurs.

 

 

Les résultats des élections européennes, le triomphe de l’extrême droite n’ont pas abattu l’énergie de Thomas Jolly. Il croit à un sursaut, pense que les abstentionnistes vont se réveiller, aller voter et prouver leur foi dans ces valeurs républicaines qui nous fondent : liberté, égalité, fraternité, universalité, solidarité. Il dit qu’il est de la génération 2002, celle qui a voté pour la première fois à une présidentielle où s’affrontaient Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Après une semaine de tensions et de peurs, Jacques Chirac a bel et bien obtenu un score abracadabrantesque… Le directeur artistique des cérémonies des JO craint juste que celle du 26 juillet soit fragilisée par la violence qui peut surgir d’un pays divisé. D’autant que les forces de sécurité enserreront la ville.

Mais à dix-neuf jours du scrutin, la cérémonie ne pourra plus être transformée par quiconque, et ne relève de toute façon pas du politique, mais du Comité international olympique. Et Thomas Jolly se refuse aux prévisions, affirmant qu’elles rajoutent incohérence et embrouillamini. Mieux vaut penser et construire au jour le jour. Le tourmente bien davantage la confusion omniprésente en France : « Avoir mis en scène des tyrans comme Atrée dans  Thyeste  de Sénèque, le Richard III de Shakespeare, le Dragon  d’Evgueni Schwartz ou encore le Zero janvier de Starmania,  de Luc Plamondon et Michel Berger, n’a donc servi à rien ?  plaisante-t-il tristement. Depuis mes débuts je m’évertue à montrer des monstres politiques pour les dénoncer… »

 

Il semble quand même plutôt détendu ce jour de juin. « Plus la cérémonie approche et plus je vois sortir des ateliers pleins d’effervescence des costumes et des décors magnifiques, des chorégraphies splendides. » Justement, il est venu avec Maud Le Pladec, la chorégraphe qu’il a choisie pour superviser sous sa houlette tout ce qui sera dansé aux quatre cérémonies d’ouverture et de clôture. La brune « tellurique » (comme il dit) accompagne le jeune homme pâle. Ils se sont rencontrés en 2003 au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, où il était encore élève à l’école d’art dramatique que dirigeait Stanislas Nordey. Il a 21 ans, Maud Le Pladec, 27. Elle vient de danser au TNB dans un ballet de Loïc Touzé. Coup de foudre pour l’interprète à la coupe au carré façon Louise Brooks. Thomas Jolly trouve d’une puissance féminine incandescente son expression mi-théâtrale mi-dansée.

Ils se retrouvent sept ans plus tard toujours à Rennes où Maud Le Pladec est devenue artiste associée et où Thomas Jolly joue avec sa compagnie. Elle vient de remporter le Prix de la révélation chorégraphique du Syndicat de la critique dès sa première pièce, Professor, sur une musique très contemporaine de Fausto Romitelli. La complicité se noue entre la Bretonne née à Saint-Brieuc et le Normand né à Rouen. Chacun a vécu dès l’enfance sa passion de la danse ou du théâtre. Ils travaillent comme des dingues et se sentent transfuges de classe…

 

Je dois tout à notre service public. (…) Comme nulle part ailleurs, on peut ici se former, danser. Maud Le Pladec, chorégraphe

 

 

« Je viens d’un milieu ouvrier pauvre, raconte Maud Le Pladec. Je suis allée pour la première fois au cinéma à 16 ans et je n’avais vu de danse qu’à la télé. Je l’ai pourtant commencée à l’école dès 6 ans et dans toutes les formations municipales possibles : classique, contemporaine, jazz. Je ne vivais que pour ça ; et mon frère pour la moto. Mes parents se sont saignés pour lui en offrir une ; chaque dimanche, on le suivait en camion dans ses motocross. À 15 ans, pour payer mes cours de danse, j’en donnais déjà moi-même au lycée : douze heures par semaine. Je dansais même dans des fermes. »

 

 

À 19 ans, elle obtient son diplôme de professeur. « Mais je voulais celui de la formation Ex.e.r.ce au Centre chorégraphique de Montpellier que dirigeait Mathilde MonnierJe l’ai eu. Je dois tout à notre service public. La France est le berceau historique de la danse et notre système culturel l’a sans fin développée. Comme nulle part ailleurs, on peut ici se former, danser. Dans n’importe quel autre pays un danseur doit travailler à côté pour danser ; en France, il peut vivre de son métier. J’en suis la preuve. Sans ce système, je ne serais jamais devenue chorégrapheVoilà pourquoi il faut le préserver et pourquoi je veux continuer d’y travailler : pour que des filles comme moi puissent y arriver. Même si Thomas et moi ressentons souvent un peu de mépris dans nos milieux qui ont parfois un sens de la diversité sociale très caché. Ma place ne m’a jamais semblé acquise. »

 

Et Thomas Jolly de sourire en se rappelant qu’on qualifiait ses spectacles de « théâtre pour les nuls » ou de « kermesse » pour  « ados dégénérés » : « De peur de passer de l’autre côté du miroir, on a dû énormément bosser et “aller au public” comme y incitait généreusement Jean Vilar. » Et sa directrice de la danse et chorégraphe des quatre cérémonies de renchérir : « J’aime que ton théâtre soit ouvert aux spectateurs qui n’ont pas les codes. Curieusement, je n’ai jamais intellectualisé ma démarche et pourtant je passe mystérieusement dans la profession pour une chorégraphe “pointue”. Ce qui ne m’empêche pas de vouloir m’adresser au cœur ; j’aime la danse qui s’associe au théâtre, à la musique, devient un corps universel. »

 

 

Maud Le Pladec l’a prouvé, qui après quinze ans de danse chez Georges AppaixMathilde Monnier ou Boris Charmatz se lance dans la chorégraphie et travaille avec des metteurs en scène : en 2015 à l’Opéra de Lille avec le Flamand Guy Cassiers pour Xerse, de Francesco Cavalli (et Lully pour les ballets), en 2016 avec Thomas Jolly pour Eliogabalo, de Cavalli, à l’Opéra de Paris. Les deux artistes se sont enfin trouvés sur un opéra où Thomas Jolly mêle constamment la danse à la musique. Mais après l’exercice les voilà bientôt débordés d’autres boulots, au Centre chorégraphique d’Orléans où Maud Le Pladec succède en 2017 à Josef Nadj, ou au Centre dramatique d’Angers que dirigera trop brièvement Thomas Jolly (lire notre épisode 2).

 

Le gigantisme de l’espace était un défi : pour être visible, il faut à chaque tableau au moins cent cinquante danseurs. Maud Le Pladec, chorégraphe

 

 

Août 2022. Maud Le Pladec vient d’achever Silent Legacy au Festival d’Avignon – dialogue entre une jeune krumpeuse de 8 ans et une danseuse contemporaine – quand Thomas Jolly lui téléphone pour lui proposer d’être la chorégraphe des JO. Elle accepte d’emblée sans y croire. En décembre 2022, elle planche déjà avec l’équipe artistique. En février, le récit qui porte la manifestation du pont d’Austerlitz au pont d’Iéna est dessiné à gros traits. Maud Le Pladec peut commencer à travailler sur la douzaine de tableaux prévus.

 

Corps des athlètes, corps des danseurs : la chorégraphie est la discipline phare de la cérémonie d’ouverture. « Mon rôle est d’y véhiculer les valeurs du sport, de la République, de la France, et de célébrer l’arrivée du break comme la danse classique. L’équipe artistique que nous formons autour de Thomas désire marquer les cœurs comme les esprits, toucher ce monde entier qui va nous regarder. Vu l’ampleur de l’évènement, je n’avais pas envie de m’y coller seule. Je chorégraphierai personnellement cinq tableaux – soit mille danseurs en tout à diriger ! – et j’ai choisi une vingtaine de talentueux chorégraphes et personnalités de la danse pour les autres. Nous avons en tout auditionné deux mille danseurs que je souhaitais de tous âges, couleurs, morphologies et même avec des handicaps. »

Comme une comédie musicale au cinéma

De prestigieuses compagnies nationales sont encore prévues pour virevolter sur les quais de Seine (deux), les berges, les toits (cinq), les façades (deux), les ponts (deux) et même un escalier : le point fort s’annonçant entre le Pont-Neuf et Notre-Dame où l’on devrait danser la vie parisienne aujourd’hui. « Le gigantisme de l’espace était un défi : pour être visible, il faut à chaque tableau au moins cent cinquante danseurs. Faire se rencontrer le patrimoine et la danse contemporaine en était un autre. Mais pas question de faire de l’illustration, de la danse qui raconte. Plutôt une danse qui exulte un Paris en fête. »

 

La musique, la première à être créée, par Victor Le Masne (lire notre épisode 7), a donné le tempo. Quels corps pourraient au mieux l’incarner ? Chaque tableau s’est ensuite construit comme une comédie musicale au cinéma, en pensant simultanément comment les chorégraphies seraient filmées et magnifiées lors de la retransmission télé mondiale. « Travailler avec des contraintes est ma passionTout lieu est intéressant, il n’y a rien d’impossible, il faut juste traduire avec imagination son ambition artistique. »

Thomas Jolly ne semble pas s’être trompé en choisissant cette boule d’énergie et d’enthousiasme qui vient d’être nommée directrice du Ballet de Lorraine. Rien ne lui fait peur. Et elle se réjouit avec lui que Paris devienne le 26 juillet un somptueux théâtre en plein air. « La création de Thomas est révolutionnaire, comme l’est Paris. Cette cérémonie gigantesque va nous rassembler, nous inclure sous l’œil du monde entier. » Thomas Jolly la regarde avec ravissement. Mais refuse de répondre sur la présence éventuelle de Céline Dion. « Tant de noms circulent ! Je laisse dire, car ces bruits sont à mon sens le reflet d’envies qui sont transformées en info. Gims prétend avoir été appelé… Et Matt Pokora regrette qu’on ne l’ait pas appelé… Ces rumeurs sont finalement des alliées. Elles sèment le trouble. Et le désir. »

 

 

À suivre…

 

propos recueillis par Fabienne Pascaud / Télérama 

 

 

Légende photo : Thomas Jolly, directeur artistique des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Photo Damien Grenon/Photo12 via AFP

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June 18, 2024 8:47 AM
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Anouk Aimée, immense actrice française, est morte

Anouk Aimée, immense actrice française, est morte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Noémie Luciani dans le Monde le 18 juin 2024

 

En plus de soixante-dix ans de carrière, elle a tourné dans 74 films et séries et reçu de prestigieuses récompenses. Elle est morte, mardi, à l’âge de 92 ans, a annoncé sa fille.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/06/18/l-actrice-anouk-aimee-est-morte_6241061_3382.html

Anouk Aimée n’aimait pas qu’on parle de son âge. Rencontrée en 2012, à l’occasion de la ressortie en salle de Lola, de Jacques Demy, elle avait inauguré l’entretien d’une requête : « Je vous en prie, ne parlons pas de mon âge. Cela n’intéresse personne. » Ce qui était troublant, c’est que, disant cela, elle avait exactement la même voix que Lola cinquante et un ans plus tôt. Aussi était-il si charmant de l’entendre dire au présent « Lola, c’est moi », comme si le temps n’avait en effet pas eu d’importance. C’était une coquetterie, sans doute, que ce présent sans âge, et la coquetterie cependant en disait long sur la dame, et la manière qu’elle avait eue de mener sa barque sans grand souci des embruns, de l’opinion ou d’une carrière, avant de s’éteindre, mardi 18 juin, à l’âge de 92 ans. « Nous avons l’immense tristesse de vous annoncer le départ de ma maman Anouk Aimée, a écrit sa fille, l’actrice Manuela Papatakis, dans un message publié sur Instagram. J’étais tout auprès d’elle lorsqu’elle s’est éteinte ce matin, chez elle, à Paris. »

 

Elle avait commencé très tôt, et n’avait plus voulu s’interrompre, à sept ans près : le temps d’une parenthèse londonienne et conjugale à la fin des années 1960, auprès de l’acteur Albert Finney, pour lequel elle avait souhaité ne plus jouer qu’un rôle, celui d’épouse, dans la vraie vie.

 

Née Françoise Dreyfus, le 27 avril 1932, à Paris, Anouk Aimée était fille de comédiens, mais disait ne rien avoir de l’« enfant de la balle ». Elle avait poussé comme une fleur sauvage loin des projecteurs, élevée en partie par un parrain et une marraine, à la ferme. Elle n’avait eu d’abord pour le cinéma qu’un intérêt si distant qu’il existait à peine. Il avait fallu que le destin lui force la main, en la mettant sur le chemin du réalisateur Henri Calef, qui lui demanda abruptement si elle ne voudrait pas faire du cinéma. Elle n’avait jamais vraiment su d’où était venu ce oui qui lui avait éclos sur les lèvres.

 

 

Pour ce premier film, La Maison sous la mer (1946), Françoise a 13 ans, et son personnage s’appelle Anouk. Le prénom d’artiste trouvé avec ce premier pas, reste le nom : Jacques Prévert le lui offre. L’histoire est connue. Ils se rencontrent l’année suivante sur le tournage d’un film de Marcel Carné, La Fleur de l’âge, où elle joue avec Arletty, Serge Reggiani, Martine Carol. Le film reste inachevé : on en aurait monté une vingtaine de minutes et tourné la moitié, avant que la production n’arrête les frais. En reste les photographies de plateau d’Emile Savitry d’une Anouk ravissante et alors très en joues, et ce nom : « Aimée », « parce que tout le monde l’aimait », selon Prévert. On ne refuse pas semblable baptême.

S’inventer soi

Pendant la guerre, Françoise avait déjà cessé de s’appeler Dreyfus pour devenir Françoise Durand et esquiver l’étoile jaune. « Anouk Aimée », ce n’était plus une question de survie, mais cela obéissait encore à un principe vital : changer de nom pour s’inventer soi, sans qu’il s’agisse de devenir autre. « Je n’ai jamais fait de totale composition. Il y a toujours un morceau de moi dans mes rôles », disait-elle. L’un d’eux, tout de même, manqua de lui faire oublier Anouk au profit d’un autre prénom, Lola, celui de l’héroïne du film de Jacques Demy. « Je ne sais plus où commence Anouk et où commence Lola, où finit Lola et où finit Anouk », disait-elle toujours, cinquante ans après.

 

 

 
 

Sorti l’année suivant La dolce vita, Lola (1961) avait autant sinon plus que le film de Fellini participé à l’avènement cinématographique d’Anouk Aimée, si singulier dans sa nonchalance. Quand La dolce vita s’enivrait à capter la silhouette, les angles du visage qui avait perdu ses joues d’adolescente, une main aux longs doigts courbés sur une cigarette, Lola célébrait la naissance à l’écran d’un corps, de ceux que le cinéma n’oublierait jamais plus : une entraîneuse en guêpière et collants résille, aussi épargnée par la vulgarité que la Vénus nue dans sa chevelure de Botticelli. Impossible à concevoir, et pourtant Demy l’avait fait. Anouk Aimée avait simplement fait confiance, et n’essayait pas d’expliquer le miracle. Elle observait seulement : « Il y a des gens qui peuvent tout faire. Des femmes qui disent : “Oh merde, vous me faites chier.” Certaines choquent, d’autres pas. Lola peut le faire sans choquer, être grossière sans qu’on le remarque, parce qu’il n’y a en elle aucune vulgarité. »

 

Après Demy, Anouk Aimée semblait porter un morceau de Lola dans tous ses autres rôles, ce morceau-là : une sorte d’état de grâce, qui lui permettait de tout faire et tout jouer, sans jamais être touchée par la crasse ou la médiocrité. Non qu’elle ait jamais eu à cœur de tenter le diable, mais qu’elle ait presque toujours joué les élégantes, ou qu’elle ait fait des élégantes de toutes celles qu’elle jouait, c’était encore et toujours l’élégance, même – c’est loin d’être donné à toutes – chez Jean-Pierre Mocky (Les Dragueurs, premier film du cinéaste, sorti en 1959).

 

 

 

Très vite, sa carrière prend un essor international. A 17 ans, elle joue au côté de Trevor Howard dans La Salamandre d’or (1950), du Britannique Ronald Neame, producteur des premiers films de David Lean. En 1955 et 1956, on peut la voir dans deux films allemands, L’amour ne meurt jamais, d’O. W. Fischer, et Nina, de Rudolf Jugert. En 1959, elle tient un petit rôle dans Le Voyage, film américain d’Anatole Litvak, qui avait, six ans plus tôt, pour Un acte d’amour, fait jouer la toute jeune Brigitte Bardot, de deux ans la cadette d’Anouk Aimée.

 

 

Catherine Deneuve, 16 ans, attend alors son heure : la blonde Bardot, la brune Aimée incarnent à l’étranger les deux visages de la beauté à la française, qu’on ne saurait imaginer plus différents. D’un côté, la baby doll en bikini, la tignasse ensauvagée nourrie de soleil, les courbes. De l’autre, le halo mystérieux d’une chevelure sombre, la peau d’albâtre, la ligne, avec ce seul et étonnant trait hollywoodien des paupières lourdes sous le grand trait de noir, à la Monroe.

Sur les écrans du monde entier

Si l’aura internationale de Bardot doit assez peu à ses rares collaborations cinématographiques hors de France, Anouk Aimée rayonne plus durablement sur les écrans du monde entier, où elle trouve quelques grands rôles. Moins, sans doute, que ceux que son absolue justesse de jeu, sa maîtrise si fine de l’émotion contenue méritaient. Citons, sans surprise, Fellini : la grande bourgeoise épuisée par l’ennui de La dolce vita, l’épouse trompée et souriante de Huit et demi. Plus tard, Bellocchio, pour lequel elle interprète la dépressive Marta habitée de vertiges, qui lui vaut en 1980 le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour Le Saut dans le vide.

 

 

Les Etats-Unis lui font également la cour, affichant des attraits et des atours plus inattendus (en 1962, elle joue une reine de péplum pour Robert Aldrich et Sergio Leone dans Sodome et Gomorrhe) ou directement inspirés par son aura d’icône de mode, lorsqu’elle interprète un mannequin dans Le Rendez-vous, de Sidney Lumet, en 1969. Elle a 37 ans à la sortie de ce film, et le personnage résume bien son statut singulier dans le paysage cinématographique : la mystérieuse Carla, officiellement modèle, y est soupçonnée par ses fiancé ou mari jaloux de se prostituer.

D’un côté, l’icône, l’intouchable, celle qui semble n’exister que sur le papier glacé des revues élégantes. De l’autre, le corps public, achetable, disposable. Deux fantasmes contradictoires, ou peut-être complémentaires, qui continuent de dessiner de conserve l’image d’Epinal que l’on se fait souvent de la belle Française en Amérique.

 

Bardot était déjà « la » femme dans Et Dieu… créa la femme (1956), lorsque dix ans plus tard Anouk Aimée devint « une » femme pour Claude Lelouch, dans Un homme et une femme (1966) : une femme, n’importe quelle femme (l’inconnue que croise Lelouch sur une plage, et qui lui inspire le film), et finalement celle que l’on n’oubliera jamais plus – dans la romance que le film raconte, et depuis son fauteuil de spectateur enchanté.

 

Anne Gauthier (son nom n’importe guère), technicienne de cinéma, héroïne de la plus simple histoire et de l’un des plus beaux films d’amour du monde. Il gagne les cœurs dans le monde entier, amasse les récompenses, l’Oscar et le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, le Golden Globe de la meilleure actrice pour Anouk Aimée, et la Palme d’or au Festival de Cannes. Ce récit en forme d’hymne à l’amour, qui était pourtant destiné à Romy Schneider, semble taillé sur mesure pour la grande amoureuse qu’Anouk Aimée est alors et sera.

 

Elle s’est mariée trois fois, avec le cinéaste grec Nico Papatakis à 19 ans, le musicien Pierre Barouh, rencontré sur le tournage d’Un homme et une femme, dont il était l’auteur et interprète de la célèbre ritournelle en « chabadabada », l’acteur anglais Albert Finney. Vécut avec Elie Chouraqui, eut une liaison avec Omar Sharif, son partenaire dans Le Rendez-vous – autant de pages de sa vie qu’elle aura constamment gardées sous un voile de mystère, bien qu’elle ne se soit jamais interdit d’en parler.

Le goût du secret

L’évocation la plus éloquente qu’elle a pu en faire n’employait pas ses mots, mais ceux du dramaturge américain Albert Ramsdell Gurney, dont elle – qui n’était pas une habituée des planches – a joué inlassablement au théâtre, entre 1990 et 2014, les Love Letters, avec Bruno Cremer, puis Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Jacques Weber, Alain Delon, Gérard Depardieu…

Anouk Aimée aimait parler, mais elle méprisait les mots qui dévoilent, déchiffrent, déflorent. Elle n’était pas femme à donner des recettes. Interrogée sur le succès immense d’Un homme et une femme, dont on lui demandait si elle l’avait pressenti, elle répondait, à 80 ans, avec une candeur adolescente : « On ne sait jamais ces choses-là, mais on est heureux. C’est un bon signe, je crois. »

 

 

 
 

En cette occasion, comme elle l’avait toujours fait, elle avançait dans l’interview à rebours de toute analyse ou exégèse, qui ne semblaient pas revêtir à ses yeux le moindre attrait. Le ragot en avait moins encore, pas plus pourtant, sur l’autre face de la pièce, que le politiquement correct ou la langue de bois. Seulement, elle répondait à chaque question par une formule qui avait la forme grammaticale d’une réponse, et dans ce qu’elle disait triplait, malicieusement parfois, les points d’interrogation.

Etait-ce le signe d’un goût pour ce rôle vrai de femme mystère, « une » femme, qui pourrait être n’importe quelle femme et reste pourtant la femme que l’on n’oublie pas ? Plus simplement, au-delà de tout rôle, un goût du secret, et de toutes ces choses d’autant plus belles qu’on ne les explique pas ? Peut-être, plus simplement encore, le secret de cette élégance inégalée et pérenne, qui faisait d’elle une présence si singulière, paisible dans son naturel, et trouvant cependant dans sa transparence même l’impossible matière de son mystère.

 

 

Anouk Aimée en quelques dates
 

27 avril 1932 Naissance à Paris

 

1946 « La Maison sous la mer »

 

1960 « La dolce vita »

 

1961 « Lola »

 

1966 « Un homme et une femme »

 

1990 « Love Letters » (théâtre)

 

2003 « La Petite Prairie aux bouleaux »

 

18 juin 2024 Mort à Paris

 

Noémie Luciani / LE MONDE

 

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L'hommage publié par Libération : 

 

Visage élégant et éternel de la «Lola» de Demy, star planétaire depuis «Un homme et une femme», l’actrice mystérieuse, entrée en cinéma par accident, baptisée par Prévert et révélée par Fellini, est morte ce mardi 18 juin à 92 ans.

 

par Anne Diatkine

publié le 18 juin 2024
 
 
 
 

Anouk Aimée n’avait pas de téléphone portable. C’était une femme qui ne se laissait pas déranger. Elle vivait à Montmartre avec ses chats, sortait peu, recevait encore moins, ne changeait pas, n’avait rien perdu au fil des décennies de son mystère et de sa superbe, élégante jusqu’à la pointe de ses cheveux, qui lui permettaient de masquer en partie son visage, tandis qu’elle parlait, hésitante et tranchée, dans un double mouvement de retenue et de don, le regard tourbillonnant comme voyageant dans le monde de ses pensées.

 

Elle disait qu’elle n’avait rien décidé, que le hasard avait été salvateur et qu’elle avait eu beaucoup de chance. Elle riait alors, main sur la bouche, comme pour s’en excuser. La chance n’était pas un vain mot, une légèreté, mais renvoyait au contraire au pire du pire, l’effroi le plus terrible, à plusieurs reprises, comme le montre un beau documentaire de Dominique Besnehard et Muriel Flis-Trèves, la Beauté du geste, pour la collection Empreintes. La fillette a une dizaine d’années, elle est à la sortie de l’école communale de la rue Milton à Paris, et voici qu’une bande d’élèves la pointe du doigt en clamant «elle est juive, elle est juive, elle est juive» à l’officier allemand chargé de ramasser les enfants juifs. Elle pleure, il lui prend la main. Mais plutôt que de l’embarquer vers un ailleurs, il la ramène chez elle, ou plutôt chez sa grand-mère, où elle vivait. Quand il lui demande comment elle s’appelle, l’enfant refuse de lui répondre. Il s’en va, laissant la petite fille et la grand-mère, libres et tremblantes. Un peu plus tard, à Marseille, en 1944, où elle a rejoint sa mère et son beau-père, elle insiste contre la volonté de ce dernier pour aller en cours un samedi matin. A son retour de classe, il ne reste rien de l’immeuble. Le quartier a été bombardé.

 

 

A lire aussi, son portrait dans «Libération» en juillet 2012

Anouk Aimée, initiales A.A

26 juil. 2012
 
 

L’actrice ne dissipait pas le trouble sur son prénom. En 2012, dans une interview à l’Humanité, elle a cette réponse étrangement évasive comme si le péril n’avait jamais complètement disparu : «Mon vrai nom est Judith Dreyfus, quelquefois mon état civil est Nicole Dreyfus. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais petite, on m’appelait Françoise et Fanchon. Jusqu’à ce qu’on m’appelle Anouk.» Lorsque neuf ans plus tard, intriguée, on la joint pour lui demander comment elle s’appelle, elle délivre une version de son état civil d’autant plus déterminée qu’elle est peut-être inexacte : «Je ne me suis jamais appelée Nicole.» Puis méfiante et surprise : «Comment savez-vous que j’ai refusé de répondre à l’officier allemand qui me demandait mon prénom ?» Avant d’ajouter : «Vous savez, j’étais si jeune quand je suis devenue Anouk. Quelle importance ? Quelle importance cela peut-il avoir pour une petite fille qu’on la nomme Fanchon, Judith, ou Anouk ?» Anouk Aimée était ainsi : à la fois au plus loin et au plus proche du cœur atomique de son enfance.

 

«Vous voulez faire du cinéma ? J’ai un rôle pour vous»

Anouk Aimée est donc née Nicole ou Françoise Dreyfus, mais lorsqu’elle était enfant, tout le monde l’appelait Fanchon, jusqu’à ce qu’elle commence à faire du cinéma, où, à 13 ans, elle devient Anouk pour toujours, du nom du personnage de son premier film, la Maison sous la mer de Henri Calef. Ses parents, tous deux comédiens, sont séparés. Son père, qui travaille sous le pseudonyme de Henry Murray, qu’elle voit rarement et qu’elle adore, s’engage dès 1941 dans la Résistance, alors qu’il a été dénoncé comme juif «par soixante-et-onze lettres» qui proviennent de Français, adressées au responsable allemand des théâtres parisiens. Ce dont elle aura la confirmation soixante-dix ans plus tard en lisant les mémoires du comédien Paul Meurisse. A 13 ans, dans l’immédiat-après-guerre, elle se balade avec sa mère rue du Colisée quand Henri Calef, cinéaste aujourd’hui oublié, salue sa mère et aborde l’adolescente qui en paraît seize : «Vous voulez faire du cinéma ? J’ai un rôle pour vous.» Non, elle ne veut pas faire du cinéma. Elle rêve d’être danseuse classique – ce qui est d’ailleurs perceptible à l’écran dans ses premiers films. Sa mère l’encourage à accepter la requête de Calef. Au générique de la Maison sous la mer, la jeune actrice est créditée sous le nom de son personnage, Anouk. C’est son nom de scène, celui derrière lequel elle se cache, et l’année d’après, sur le tournage de la Fleur de l’âge, un film interrompu de Marcel Carné, Jacques Prévert y ajoute Aimée, car tout le monde l’aimait, qu’elle aimait être aimée et qu’«on ne peut pas rester avec un seul prénom durant toute sa vie», lui disait Prévert. Elle accepte avec joie : «Quoi de plus beau qu’être baptisée par Prévert ?» Rien ne va, cependant, sur ce tournage à Belle-Ile, d’après l’histoire vraie d’une révolte dans un bagne d’enfants et dont il ne subsiste que des photos magnifiques et une vingtaine de minutes de plans montés. Rien ne va, mais deux ans ans plus tard, la jeune fille qui ne veut pas faire du cinéma, est de nouveau recrutée grâce à Jacques Prévert qui signe l’adaptation et les dialogues, pour jouer la seule Juliette qui ait jamais eu l’âge du rôle dans les Amants de Vérone d’André Cayatte, au côté de Serge Reggiani, si jeune lui aussi.

«C’était merveilleux, tous ces génies ! Mais quand on mange du caviar tous les jours, on ne sait plus que c’est du caviar.»

—  Anouk Aimée à propos de ses fréquentations dans les années 1950 (Queneau, Genet, Picasso, Prévert...)

Pendant une dizaine d’années, jusqu’à sa rencontre avec Fellini en 1959, Anouk Aimée enchaîne les tournages sans réel plaisir d’actrice. Quelques rencontres fondamentales tout de même dont l’une, Alexandre Astruc, qui la recrute pour jouer Albertine dans le Rideau cramoisi, d’après Barbey d’Aurevilly, moyen métrage mythique, resté dans la mémoire cinéphilique grâce à l’admiration des cadets de la Nouvelle Vague pour l’inventeur de la «caméra stylo». Ce n’est pas que ses partenaires manquent de classe : comment refuser d’être Jeanne Hébuterne, la dernière compagne de Modigliani dans Montparnasse 19 de Jacques Becker quand c’est Gérard Philipe en personne, autant dire le dieu vivant de l’époque, qui incarne le peintre ? Mais le cinéma ne sait pas encore filmer la grâce sauvage de ses gestes. Si elle diffère nettement des comédiennes de sa génération, la caméra est un carcan et les nécessités du septième art emprisonnent sa beauté et sa jeunesse derrière un maquillage trop lourd. Plus cruciales sont les rencontres avec les écrivains dans un Saint-Germain-des-Prés qui exulte. C’est par l’intermédiaire de Nico Papatakis, le patron du cabaret la Rose rouge, qui deviendra son mari et le père de sa fille Manuella, mais qui en attendant ne sait pas comment parvenir à convaincre la jeune femme solitaire et timide de dîner, qu’elle fait la connaissance de Jean Genet chez Picasso. Anouk restera proche de Genet, qui écrira pour elle les Rêves interdits – il vendra son script à Tony Richardson qui le tournera avec Jeanne Moreau sous le titre de Mademoiselle. Toujours dans le documentaire de Dominique Besnehard et Muriel Flis-Trèves, elle se souvient de leurs promenades dans Paris : «Vous savez pourquoi j’aime marcher serré contre vous ? Parce que les hommes vous regardent et que moi, je les choisis.» Dans la même galaxie, elle fréquente Raymond Queneau et tout ce que la France compte d’existentialistes et d’avant-garde. Anouk Aimée : «C’était merveilleux, tous ces génies ! Mais quand on mange du caviar tous les jours, on ne sait plus que c’est du caviar.» Peut-être surtout qu’il est difficile de se contenter d’admirer. Manque encore le film qui la dévoile comme actrice, aux yeux du monde et aux siens. Ils seront deux coup sur coup, deux chefs-d’œuvre : la Dolce Vita de Fellini en 1960 et, un an plus tard, Lola, le premier long-métrage de Jacques Demy.

«Fellini, c’était une bombe !»

Anouk Aimée a beaucoup raconté sa rencontre avec Fellini, combien elle espérait être capable de résister à son propre enthousiasme afin de se prémunir d’avance contre la déception de ne pas être choisie pour le rôle, alors que le maître italien auditionnait foule d’actrices partout dans le monde. Il lui envoie un télégramme. Elle est prise sans faire d’essai. Elle découvre une manière de tourner inédite. «En France, le moindre bruit sur le plateau virait au drame. Avec Fellini, la cohue ne posait pas le moindre problème. Le premier jour, je ne comprenais rien. Tout le monde travaillait, mais sans se prendre au sérieux.» Puis le lendemain, processus qui reste un mystère, elle entre dans le monde de Fellini pour ne plus en sortir. Et se découvre bouger, respirer, sourire, fumer, devant la caméra, comme elle ne l’a jamais fait. Le cinéaste lui demande de marcher pieds nus dans une élégante robe du soir pailletée et lui apprend à s’exprimer avec le mouvement. «Fellini, c’était une bombe !» A ses côtés, il y a celui qu’elle considérera toute sa vie comme son frère de cinéma, Marcello Mastroianni, et qui contribue grandement à cet esprit festif et dépourvu de tout esprit de sérieux.

Puis, c’est Lola, et la rencontre avec un jeune cinéaste à la ténacité exceptionnelle : Jacques Demy l’impose contre l’avis de la production, laquelle, qui a une conception du sexy conventionnelle, exige Sophia Loren. Jacques Demy qui veut une interprète dont la caméra puisse capter les failles, ne cède pas. Avec Lola, Anouk Aimée renoue avec la danse. Elle met en jeu tout ce qu’elle vient d’apprendre sur le mouvement chez Fellini quand elle chante en dansant : «Lola, celle qui rit à tout propos, celle qui dit l’amour c’est beau, celle qui plaît sans plaisanter, celle qui rit de tout cela, qui veut plaire et s’en tenir là.» Les paroles sont signées Agnès Varda, et la musique manque encore car Quincy Jones qui devait la composer a fait faux bond. A la place, on a posé sur la platine un air des Platters, et Varda mime les gestes de ce qui ressemble à un slam très rythmé. La chanson, dont finalement Michel Legrand écrira la musique, est encore fantomatique. C’est elle, c’est Lola, et réciproquement. Anouk Aimée reprendra le rôle, dix ans plus tard, dans le beau et mélancolique Model Shop où, là encore, Jacques Demy se plait à la montrer filante et marchant, tout en blanc, à travers Los Angeles qu’on découvre pour la première fois «en décors naturels», une incongruité pour les Américains.

Les propositions pleuvent, notamment italiennes, et Anouk Aimée s’installe avec sa fille à Rome. De Sica, Lattuada, Risi, de nouveau Fellini pour Huit et demi, les années 1960 lui sourient. Difficile d’imaginer mieux. Ou plutôt : impossible de prévoir qu’elle va devenir une star internationale encore plus gigantesque, grâce à un tout petit film fauché d’un inconnu, Claude Lelouch, que Jean-Louis Trintignant – qui a déjà soufflé son nom à Demy pour Lola – lui présente. Peut-il exister pire offense ? A la veille du tournage, quand le cinéaste lui raconte enfin Un homme et une femme sur les lieux mêmes du tournage, elle le reçoit dans sa chambre d’hôtel, allongée sur son lit, et elle s’endort, bercée par son récit. Il n’est rien, il n’a donné aucun scénario à ses acteurs, et elle est la Grande Actrice. Mais tout même, il cherche illico à la remplacer, appelle toutes les comédiennes qu’il connaît. Mais comme dans les films qu’il tournera inlassablement, tout finit par s’arranger, et dès le deuxième jour du tournage, elle tombe amoureuse de Pierre Barouh qui a écrit la chanson du film – ne pas le confondre avec Francis Lai – et ils convolent ensemble après le tournage qui ne dure que treize jours.

Et ensuite ? Et ensuite, on n’imagine pas, et d’ailleurs elle non plus. Un homme et une femme ne rapporte pas tellement d’argent à ses deux interprètes principaux qui ont refusé d’être payés en pourcentage, mais la palme d’or, l’oscar du meilleur film étranger, et une myriade de prix d’interprétations à Anouk Aimée, dont un Golden Globe – elle rate de peu l’Oscar attribué cette année là à Elisabeth Taylor. Comment vit-on après un triomphe international ? Quelle est la suite ? A Los Angeles, lors d’une party organisée en son honneur, on lui demande qui elle aimerait inviter. Elle répond : Groucho Marx. C’est inattendu et en tout cas, sans esprit de calcul. Il laisse son cigare. Elle le garde en relique. Après des incursions chez Sidney Lumet (The Appointement) et George Cukor (Justine), mais aussi chez le Belge André Delvaux (Une femme, un train), elle décide de tout arrêter. Refuse entre autres, le Conformiste, le meilleur film de Bertolucci. Epouse l’acteur Albert Finney. Ils s’installent à Londres, et elle apprend un nouveau rôle qu’elle ne connait pas, puisqu’elle travaille depuis ses treize ans : celui de la femme au foyer. Une dizaine d’années sans jouer. Est-ce une traversée du désert ? Fut-elle choisie ? On ne sait pas très bien à quoi l’actrice passait ses journées dans les années 1970. Elle entame la décennie 1980 avec un nouveau film important, le Saut dans le vide, de Marco Bellocchio, avec Michel Piccoli, ils sont frère et sœur, pris dans une relation quasi incestueuse. Et tous deux sont récompensés du prix d’interprétation au festival de Cannes, en 1980. Manière de souhaiter la bienvenue à Anouk Aimée, qui signe son come-back. Sinon, ces années-là, elle est fidèle professionnellement à Claude Lelouch, et vit avec Elie Chouraqui.

«Un gentil fantôme»

L’un des derniers films qu’elle a tourné est la Petite Prairie aux bouleaux de Marceline Loridan-Ivens. A propos de ce tournage, où elle interprète le double de la cinéaste rousse, survivante de Birkenau, qui revient sur les lieux de l’horreur soixante ans plus tard et qui ne reconnaît rien et tout à la fois, elle confiait dans Elle : «A Birkenau, la terre parle, elle a une odeur différente, celle des cadavres entassés et jetés dans les fosses creusées par les déportés. On est restés trois semaines dans le camp, ce qui est beaucoup. J’ai longuement regardé Marceline caresser l’herbe, saisir la boue du lac faite des cendres des exterminés. Car toutes les cendres du crématoire étaient reversées dans le lac.» Le tournage marque considérablement son interprète qui est soudain renvoyée au plus tragique de son enfance et aux disparus dont les contours restent indistincts.

Sur France Culture quelques années plus tard, à Laure Adler qui lui demandait quel rôle elle aimerait jouer aujourd’hui, Anouk Aimée répondait : «J’aimerais bien être un fantôme. Un gentil fantôme j’espère.» Elle avait raison. Ses films et sa présence, son incroyable photogénie qui se démultipliait avec les années si bien qu’elle a toujours refusé de signer le moindre pacte faustien, nous hanteront tant que durera le cinéma.

 

 

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Programme du Festival d’Avignon 2024 : les spectacles à voir (sélection proposée par Libération)

Programme du Festival d’Avignon 2024 : les spectacles à voir (sélection proposée par Libération) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par le Service Culture de Libération - 28 juin 2024

 

 

La 78e édition du Festival d’Avignon se déroulera du 29 juin au 21 juillet et «Libé» vous guide dans la jungle du in et du off.

 

Trois pleines semaines de festival in (c’est deux jours de plus que l’an passé), 80 % de créations (que nul n’a donc encore vues avant leur passage à Avignon) dans des lieux aussi divers que la cour du palais des Papes, la FabricA, le romantique jardin du Mons ou la magique carrière de Boulbon. Plus de 1600 spectacles dans les 141 théâtres du off. L’équipe théâtre de Libé vous livre une vision subjective, forcément subjective, pour vous aider à vous y retrouver dans cette édition 2024. Bonne nouvelle, à l’heure où on écrit ses lignes à quelques heures du début du festival, il reste encore des places pour beaucoup de spectacles, y compris dans le in.

Attention, work in progress : notre sélection évoluera au gré de nos découvertes… ou de nos déceptions.

Dans le in

Absalon, Absalon ! de Séverine Chavrier d’après Faulkner

Comment adapter au théâtre un tel livre ? Comment porter sur scène les mots du grand écrivain du Sud, peintre de l’Amérique des plantations et de la ségrégation ? Comme dans tous les spectacles de la metteuse en scène, la «bande-son» de la pièce est primordiale – elle charrie cette fois des sons de trains, de voitures, le bruit sourd d’un projecteur de film mais aussi la musique jouée en live par l’artiste congolais Armel Malonga. Tout comme les vidéos tournées et projetées, en direct, sur un grand écran, images au noir et blanc épais, où Séverine Chavrier tente de retrouver les fantômes de Faulkner. Elle livrera, si on en croit les répétitions auxquelles on a assisté, une lecture obsessionnelle, ressassante du chef-d’œuvre, ce qui lui va bien. Comme à travers un rêve d’insomnie, une hallucination, une insolation.

 

Du 29 juin au 7 juillet à 16h00 à La FabricA, 5 heures avec entracte.

DÄMON, El Funeral de Bergman, d’Angélica Liddell

Héroïne et criminelle absolue du Festival, la metteuse en scène espagnole, qui incarne littéralement au théâtre la dimension transgressive de l’art, rejouera les funérailles du cinéaste suédois Ingmar Bergman dans la cour d’honneur du palais des Papes, avec les comédiens et comédiennes du Théâtre dramatique royal de Suède. Elle promet de déployer à nouveau ce qu’elle appelle la «pornographie de l’âme» : s’exposer sans filtre, sans personnage. Car pour elle, qui a poussé la violence esthétique jusqu’à choquer quand elle s’entaillait le corps ou urinait sur scène, «le vrai scandale n’est pas la nudité, mais l’esprit mis à nu».

 

Du 29 juin au 5 juillet à 22h00, Cour d’honneur du palais des Papes, 2 heures. Déconseillé aux moins de 16 ans.

Hécube, pas Hécube, de Tiago Rodrigues

C’est la première fois que Tiago Rodrigues travaille avec la Comédie-Française. La première fois qu’il écrit pour une équipe qu’il ne connaissait pas avant d’entamer les répétitions. La première fois qu’Elsa Lepoivre, Denis Podalydès, Eric Génovèse et les autres acteurs de la Comédie-Française jouent à la carrière de Boulbon, écrin magique s’il en est. Avec Hécube, pas Hécube, Tiago Rodrigues s’inspire d’une histoire dont il a été témoin : tandis qu’elle est en train de répéter, une actrice se bat contre la maltraitance dont est victime son fils autiste de la part de l’institution chargée de lui prodiguer des soins. Et voilà que le procès qu’elle mène pour son fils se confond avec la pièce qu’elle joue et réciproquement. Elle «aboie» et continuera «d’aboyer»«On a tous besoin de regarder le monde à travers les lunettes d’Euripide ! On a tous besoin d’un peu plus d’Euripide», nous confiait Tiago Rodrigues…

 

Du 30 juin au 16 juillet à la carrière de Boulbon. Durée : 1h47

Quichotte, de Gwenaël Morin

La langue invitée du festival est cette année l’espagnol ? Alors Gwenaël Morin (que Tiago Rodrigues surnomme «l’homme de la grande bibliothèque du festival») dégaine une adaptation bien à lui du Quichotte de Cervantes. Avec dans le rôle de Don Quichotte Jeanne Balibar et dans celui de Sancho Panza Thierry Dupont. Sans oublier la comédienne Marie-Noëlle en rossinante et Morin lui-même en âne. Dans la fragile silhouette du Quichotte, on est libre de voir aussi le portrait de l’Artiste en amoureux éperdu de l’imaginaire, en chevalier de l’illusion face aux monstres bien réels de notre monde.

 

Du 1er au 20 juillet (mais pas tous les jours) à 22 heures au Jardin de la rue de Mons, maison Jean Vilar. Complet.

 

Qui som ?, de Baro d’Evel

C’est la première fois qu’un spectacle mêlant cirque et acrobatie s’invite au festival. La compagnie franco-catalane c’est avant tout un duo : Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias. Elle, cavalière et gymnaste ; lui, fils de clown passionné par les arts plastiques : leur univers bigarré entremêle acrobatie, peinture, poésie, musique pour chercher comment «faire monde» et créer des spectacles conçus comme des rituels festifs, convoquant figures totems et matière plastique.

 

Du 3 au 14 juillet dans la cour du lycée Saint-Joseph. Complet.

La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib

Fidèle à sa veine du théâtre documentaire, Mohamed El Khatib met cette fois en scène des personnes âgées qui font le bilan de leur vie amoureuse et évoquent sans tabous leurs désirs. Sa nouvelle création réunit sur le plateau sept vieilles et vieux, tous amateurs, qui ont répondu à cette annonce : «Si vous avez plus de 75 ans et des histoires d’amour, appelez-moi.» Le metteur en scène ne voulait surtout pas faire appel à des acteurs, mais à donner la parole à ceux qui voient souvent leur parole confisquée – par les journalistes, les soignants, les familles surtout. Sur scène on parle vitalité, désir, amour, masturbation à la carotte, pression des enfants, rapprochement des corps dans les chambres de l’Ehpad. Loin des sujets clichés sur la vieillesse – perte d’autonomie, la décrépitude du corps et dépendance.

 

Du 4-19 juillet à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Complet.

Avignon, une école, de Fanny de Chaillé

 

 

Ils sont jeunes, et viennent de finir leurs cursus à la Manufacture à Lausanne. Fanny de Chaillé a immergé quinze jeunes comédiennes et comédiens dans les archives du festival d’Avignon. Que voient-ils, que questionnent-ils, qu’est-ce qui les frappe ? Peut-on se souvenir de spectacles qu’on n’a pas vus ? Peut-on incorporer une archive ? Avec Avignon, une école, spectacle sur une transmission en acte, Fanny de Chaillé poursuit une recherche mémoriale expérimentale qui traverse toutes ses pièces et en particulier le Chœur et Une autre histoire du théâtre.

 

Le 10, 11, et 12 juillet à 21h et 23h59 au cloître des Célestins

Forever, (Immersion dans Café Müller) de Boris Charmatz

Etre à deux mètres des interprètes du Tanztheater Wuppertal, qui reprennent Café Müller, la pièce la plus iconique de Pina Bausch ? On n’aurait pas osé y rêver, mais Boris Charmatz, artiste complice de cette édition, nous y convie. Le dispositif est formidable : les danseurs répètent pendant sept heures, le public reste le temps qu’il veut. Sans doute ne danse-t-on pas de la même façon la sixième heure et la deuxième ? Avec des textes de Heiner Müller et de Hervé Guibert.

 

 

Du 14 au 21 juillet de 14h à 19h à la Fabrica. Durée conseillée : 2 heures.

Elizabeth Costello, Sept leçons et Cinq contes moraux, de Krzysztof Warlikowski

 

 

Elizabeth Costello est un personnage, croisée dans plusieurs livres de l’auteur sud-africain J.M. Coetzee, une vieille romancière dont le public ne se souvient plus précisément de l’œuvre et qui livre des conférences plus ou moins scandaleuses. Elizabeth Costello s’est échappée du livre de Coetzee pour rejoindre l’imaginaire du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski qui l’a intégrée dans plusieurs de ses pièces. Pour incarner ce personnage qui «brouille la frontière entre la réalité et la fiction», Warlikowski, habitué du festival dont les spectacles laissent rarement indifférents, a choisi six actrices d’âges et de physiques différents, et un homme.

 

Reminiscencia, de Malicho Vaca Valenzuela

C’est la troisième fois seulement qu’un artiste chilien est présent dans le in d’Avignon. Le théâtre de Malicho Vaca Valenzuela est hanté par la mémoire et le territoire, comme il le confiait à Libération : «Si on fouille la terre ici, on trouve beaucoup de résurgences d’un passé douloureux. Entre autres, celles de cadavres d’innombrables personnes disparues à cause de la dictature ou des cartels. Cette sorte d’archéologie macabre offre la possibilité de mettre des mots sur ce que le pays a gardé sous terre.» Reminiscencia est un «collage de mémoire collective», le résultat d’un long work-in-progress poético-politique à travers son histoire familiale et sur les épisodes des différentes éruptions sociales chiliennes. Il l’alimente avec ses archives personnelles numérisées, des cartes virtuelles, des images de caméras en direct et Google Earth.

 

Du 17 au 20 juillet, à 11 heures et 18 heures, le 21 juillet à 11 heures au gymnase du lycée Mistral. Durée prévue : 55 minutes.

Dans le off

Sans faire de bruit, de Louve Reiniche-Larroche et Tal Reuveny

Mais qui est Brigitte ? Tous parlent d’elle. Le vieux père, la mère, le fils, la bru et même sa petite fille. Tous décrivent une femme qui sait «encaisser», qui ne vit que par et pour les autres – trop, même, s’accordent-ils à dire. Et quel est cet «événement», dont ils parlent, et qui a bouleversé l’équilibre familial ? Dirigée par la metteuse en scène Tal Reuveny, la comédienne Louve Reiniche-Larroche rejoue seule, sur fond d’archives audio et dans une ambiance de velours, la perte d’audition soudaine et déchirante de sa propre mère.

Du 3 au 21 juillet à 12h10, au Train bleu (relâche les 8, 15 juillet). Durée : 1 heure.

L’Odeur de la guerre, de Julie Duval

 

Deux ans déjà que le spectacle cartonne à juste titre : une heure quinze durant, seule sur scène, Julie Duval se raconte, volubile et cash – doutes, regimbements, blessures et rédemption compris, englobant dans la performance une dizaine de personnages qui, famille, proches ou enseignants, ont jalonné la sortie de la chrysalide. Une histoire personnelle d’émancipation qui frappe par la justesse du jeu comme de l’écriture.

Du 11 au 21 juillet à la Scala Provence.

 

Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative, de Antoine Defoort

Pastiche de conférence TedX sur les affres du travail créatif, Sauvez vos projets est un seul en scène drôle et salutaire où brille l’art d’expliquer les abstractions théoriques via d’ingénieuses métaphores. Altruiste, aventurier, Antoine Defoort partage sa méthode dans un spectacle, sorte de portrait loufoque de l’artiste au travail qui tient autant des ouvrages de développement personnel que du film Vice-Versa.

Du 3 au 21 juillet au théâtre du Train bleu.

Zaï, zaï, zaï, zaï, de Fabcaro mis en scène par Paul Moulin

Zaï zaï zaï zaï est un road-movie sur fond d’état d’urgence et de flambée sécuritaire. En gros, l’histoire absurdissime d’un dessinateur poursuivi pour avoir oublié sa carte de fidélité au supermarché, obligé de se rendre aux flics en chantant Mon Fils, Ma Bataille de Balavoine. La bande dessinée devenue best-seller de Fabcaro a été superbement non pas mise en pièce de théâtre mais en un bizarre machin sonore bruité face public par la bande de Blanche Gardin, Adèle Haenel, Maïa Sandoz et Paul Moulin. Les deux premières ne figurent pas dans cette reprise à Avignon mais l’essentiel y reste.

Du 2 au 21 juillet au 11, Gilgamesh.

An Irish Story de Kelly Rivière

C’est une enquête, celle de Kelly Ruisseau (dont on devine sans grand mal qu’elle est le double de fiction de la Franco-Irlandaise Kelly Rivière, autrice, metteuse en scène et actrice de ce seul en scène) sur les traces de son grand-père, Peter O’Farrel, né dans les années 30 en Irlande du Sud, parti s’installer en Angleterre dans les années 50 et qui disparaît dans les années 70.

 

Du 29 juin au 10 juillet 2024 à 18h20, à la Scala Provence. Durée : 1H25.

Héritage de Cédric Eeckhout

Une (vraie) mère et son (vrai) fils sur un plateau. Jo est coiffeuse, issue de la classe ouvrière, divorcée. Son fils est comédien, un brin décalé, et curieux de ses origines et amoureux de celle qui lui a donné vie. L’enquête familiale, qui montre le metteur en scène et acteur Cédric Eeckhout prendre l’allure et les apparats de sa propre mère rappelle évidemment d’autres travaux dont ceux d’Edouard Louis et de Didier Eribon, et aussi, allons-y pour les références improbables, Party Girl, le premier film de Marie Amachoukeli, Claire Burger, et Samuel Theis. Il rejoint aussi une tendance qui ne cesse de s’amplifier : celle de l’autobiographie scénique. On retrouvera par ailleurs Cédric Eeckhout comme dans Une ombre vorace de Mariano Pensotti, la forme itinérante du in.

 

Du 3 au 21 au théâtre des Doms. Durée : 1h20

Les Chatouilles d’Andréa Bescond

Pour célébrer les dix ans de sa pièce autobiographique, Andréa Bescond revient là où tout a commencé : au théâtre du Chêne noir, au off d’Avignon. Quand elle y a joué son seule en scène pour la première fois, c’était devant une petite poignée de spectateurs. Aujourd’hui, son spectacle lui a valu un molière, a été adapté en film lui-même récompensé aux césars.

 

Du 29 juin au 21 juillet au théâtre du Chêne noir. Durée : 1h45

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June 27, 2024 11:09 AM
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Festival Off Avignon 2024 : les meilleurs spectacles à voir dans le Off selon Télérama 

Festival Off Avignon 2024 : les meilleurs spectacles à voir dans le Off selon Télérama  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Emmanuelle Bouchez, Fabienne Pascaud, Kilian Orain dans Télérama, publié le 27 juin 2024

 

 

La 78ᵉ édition du Festival d’Avignon démarre samedi 29 juin, suivie du Off le 3 juillet. Stefan Zweig, Andréa Bescond, Kelly Rivière… Notre première sélection de 30 immanquables dans le Off, qui sera complétée durant le Festival.
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“Entrée des artistes”, d’Ahmed Madani

 

L’auteur et metteur en scène Ahmed Madani a longuement interrogé la dernière promotion d’une école de théâtre suisse appelée à fermer, mais qui lui a confié un ultime « spectacle de sortie » de fin d’année. Successivement Côme (Veber), Jeanne (Matthey), Rita (Moreira), Igaëlle (Venegas), Aurélien (Batondor), Dolo (Andaloro), Lisa (Wallinger) expliquent, individuellement, comment est né leur désir de théâtre et, collectivement, comment s’est faite leur formation. Souvent dans la cruauté, parfois le harcèlement. De leurs aveux remis en écriture et théâtralisés surgissent non seulement l’électrique désir de disparaître puis de renaître en scène, mais aussi le portrait finement ciselé dans ses ambiguïtés, ses troubles et ses paradoxes de tout une jeune génération. Sous la direction comme toujours généreuse d’Ahmed Madani, la délicatesse et l’enthousiasme l’emportent ainsi dans l’espace vide et pourtant si plein. Car, comme le dit si bien Jeanne, « rien n’est vrai mais tout est réel, vous êtes ici dans le seul endroit sur terre où cela est possible, vous êtes dans un théâtre ». — F.P.

 
TTT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre des Halles, 11h. Durée : 1h20. Relâche les 10 et 17 juillet. Tél : 04 32 76 24 51.
 
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“An Irish Story”, de Kelly Rivière

Depuis sa création, en 2020, cette « irish story », écrite, jouée et comme « traversée » en solo par Kelly Rivière, n’a jamais perdu son public… toujours touché au cœur. Spectacle à suspens conçue comme une remontée vers ses origines irlandaises, celui-ci rend compte des migrations du siècle dernier dont les raisons d’être et les circonstances, souvent, se perdent dans les mémoires familiales. À la fois conteuse, actrice, et très belle chanteuse aussi, Kelly Rivière – transformée sur scène en Kelly Ruisseau – y part bravement en quête de son grand-père Peter O’Farell qui s’est comme « évaporé » dans les années 1970, alors qu’il était arrivé à Londres, depuis l’Irlande, vingt ans plus tôt. Incarnant tous les physiques, toutes les langues et tous les accents – et passant de l’un à l’autre avec fluidité –, elle y a le talent de faire revivre une variété de mentalités, de personnalités, de milieux sociaux. Et surtout de si lointaines émotions, perdues dans la nuit des temps, qui finissent par l’éclairer, elle, à nouveau, d’une jolie lumière. — E.B.

TTT Jusqu’au 10 juillet, La Scala Provence, 18h20. Durée : 1h25. Relâche le 8 juillet. Tél : 04 65 00 00 90.

 

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“Ce qu’il faut dire”, de Léonora Miano

Quel texte que cet écrit pour la parole signé Léonora Miano ! La langue de l’autrice franco-camerounaise est ici transposée sur scène par Catherine Vrignaud Cohen, dans un geste simple mais efficace. Face aux spectateurs, une comédienne et une musicienne s’allient pour faire battre en rythme ces mots précis, puissants. On sent les deux femmes habitées par la force du texte, emportées par cette poésie chargée d’espoir. Sur la couleur de peau, sur la relation entre le continent africain et la France, sur le poids de la colonisation de part et d’autre de la Méditerranée, Léonora Miano pose des mots tranchants qui questionnent autant qu’ils passionnent. Il faut entendre Karine Pédurand leur rendre tout leur sens, certes avec des emportements parfois dispensables, mais animée d’un engagement total ! — K.O.

 
TTT Jusqu’au 21 juillet, La Reine Blanche, 11h. Durée : 1h20. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 85 38 17.
 
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“La Mégère apprivoisée”, de William Shakespeare

Elle a réussi un pari fou avec un entrain, une énergie indomptable. Même si la délicieuse Sarah Biasini incarne avec insolence le rôle, la vraie mégère apprivoisée, décapante et insolente de Shakespeare, c’est elle : la metteuse en scène Frédérique Lazarini, par ailleurs flamboyante comédienne. Il fallait oser réduire à cinq personnages cette épopée familiale feuilletonesque, survoltée et un brin machiste, et en faire une comédie tout italienne – quasi cinématographique – resituée ici dans les années 1950. Et ça marche ! Grâce à une bande d’acteurs savoureux, la metteuse en scène retourne la bouffonnerie baroque comme un gant, en ferait presque un brûlot féministe, sur cette place de village italien où tourne un cinéma ambulant. Où les images d’un écran géant se conjuguent à celles de la scène. On rit, on s’émeut ; ça va très vite et gaillardement. Shakespeare réinventé avec talent. — F.P.

 

TTT Jusqu’au 21 juillet, Le Petit Louvre, 13h35. Relâche les 8 et 15 juillet. Durée : 1h30. Tél :  04 32 76 02 79.
 
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“Je voudrais vous parler de Duras”, d’après Yann Andréa

Quel était le lien exact qui unissait Yann Andréa, étudiant en philosophie, homosexuel, devenu écrivain, à Marguerite Duras, femme de lettres au faîte de sa gloire, solitaire et revêche ? Entre 1980 et 1996, ces deux êtres très différents ont entretenu une relation mêlée d’amour, d’admiration, d’emprise, de violence. Des rapports complexes qu’explorent, via le théâtre, Julien Derivaz et Katell Daunis. Lui est Andréa. Elle, Duras. Mais cette dernière ne dit pas un mot, demeure silencieuse face au monologue de son amant. Ce spectacle sensible, signé par le collectif Bajour, suspend le temps. Hommage à l’immense autrice que fut Marguerite Duras (1914-1996), il ressuscite avec grâce le mythe d’une femme unique, insaisissable, magnétique… dont seule l’écriture renferme la véritable identité. — K.O.

 
TT Jusqu’au 20 juillet, jours pairs, La Manufacture, 12h. Durée : 1h05. Relâche le 10 juillet. Tél : 04 90 85 12 71.

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“Ma République et moi”, d’Issam Rachyq-Ahrad

Un HLM à la périphérie de Cognac. Issam Rachyq-Ahrad y campe sa mère, venue du Maroc, maîtresse absolue de la fête comme des saveurs gourmandes. Avec une lenteur délicate, il se couvre la tête d’un voile écru, cet accessoire qui fera de sa maman une femme soudain regardée différemment. Il raconte avec une grâce simple le voyage de celle-ci entre les deux rives de la Méditerranée – sa jeunesse cheveux au vent, le travail, la mort du mari, les relations à construire dans une société nouvelle où l’on a envie de s’intégrer. La raison d’être de ce spectacle est plus sombre qu’il n’y paraît : elle découle d’une scène filmée lors d’une assemblée du conseil régional de Bourgogne–Franche-Comté en 2019, dont un extrait est projeté. On y voit une mère voilée, accompagnant son fils à une journée citoyenne intitulée « Ma République et moi », être menacée d’expulsion par un élu RN. En révélant l’intimité tranquille de sa famille, Issam Rachyq-Ahrad envoie une élégante réponse aux fauteurs de haine. — E.B.

 

TTT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre des Halles, 14h. Durée : 1h. Relâche : 10 et 17 juillet. Tél : 04 32 76 24 51.
 
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“Le Lavoir”, de Dominique Durvin et Hélène Prévost

À la veille de la guerre de 1914, treize lavandières de Picardie battent leur linge au Lavoir imaginé par Dominique Durvin et Hélène Prévost. À la campagne, il était encore le lieu, interdit aux hommes, où se retrouvaient les mères et les filles, les épouses et les célibataires pour se raconter leur dure existence dans une société paysanne patriarcale où leur tâche à la ferme était usante. Au lavoir, elles se confiaient, discutaient, se disputaient, se rabibochaient, chantaient. Comme dans les gynécées, les hammams, les bordels. Au Festival Off 1986, l’accueil du Lavoir fut triomphal ; on y découvrait des paroles de femmes oubliées, méprisées. Repris par Frédérique Lazarini, à l’ère post- #MeToo, le texte garde sa saveur historique et populaire. Entourées de gaillardes comédiennes amatrices sur un plateau de bassines et draps blancs, Christine Joly, Emmanuelle Galabru et Coco Felgeirolles donnent vivacité, sensualité et détresse résignée à des scènes chorales alternant drame ou farce. On aime à y entendre la diversité des époques et des êtres. — F.P.

 
TT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre du Chien qui fume, 21h15. Durée : 1h30. Relâche les 10 et 17 juillet. Tél : 04 84 51 07 48.
 
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“Moman, pourquoi les méchants sont méchants”, de Jean-Claude Grumberg

Retour à l’essentiel avec ce théâtre tendre, drôle, authentique, centré sur la relation entre une mère et son fils. À Paris, Moman (touchant Hervé Pierre) élève seule Louistiti (formidable Clotilde Mollet), son fils « unique et préféré », dans un petit appartement où « l’électrique » fait souvent défaut. Le jour, quand il n’est pas à l’école, Louistiti assomme sa mère de questions sur la vie. La nuit, même histoire : le jeune garçon rechigne à dormir. « Pourquoi les méchants sont méchants ? » insiste Louistiti. C’est un problème auquel la mère ne sait pas vraiment répondre… L’existence est un mystère qui, aux yeux cartésiens du petit garçon, doit pourtant trouver une explication rationnelle. Le public, lui, goûte l’écriture habile et malicieuse de Jean-Claude Grumberg. Et ressort le sourire aux lèvres. — K.O.

 

TTJusqu’au 21 juillet, La Scala Provence, 10h15. Durée : 1h15. Relâche les lundis 1, 8 et 15 juillet. Tél : 04 65 00 00 90.
 
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“Les Chatouilles”, d’Andréa Bescond

Créé il y a pile dix ans dans le Off d’Avignon, le spectacle choc d’Andréa Bescond y revient après avoir beaucoup tourné, après être même devenu un film, signé en 2018 avec Alex Métayer, son complice metteur en scène. Seule en scène, l’actrice-autrice y aborde un sujet difficile : l’enfance massacrée d’une petite fille, qui, de 8 à 12 ans, a été agressée, violée par « un ami de la famille ». Cette histoire – qui est aussi celle d’une résilience – est la sienne. Et elle y assume, souveraine, toutes les voix. Celle du pédocriminel invitant la fillette aux « chatouilles » comme celle des copains, des profs, et de tous les adultes n’ayant jamais rien décelé. Tel l’improbable couple parental : père muselé et mère dans l’absolu déni. À 30 ans, l’ex-petite fille traîne cette dernière chez la psy. En vain. Ces scènes sont le terrible et caustique fil rouge du spectacle. Odette, son personnage, baptisé comme l’héroïne sacrifiée du Lac des cygnes, emprunte beaucoup de ses qualités à Andréa, qui était une enfant prodige de la danse classique. La comédienne-danseuse plonge dans des langages plus radicaux, plus bruts, plus violents – entre hip-hop et krump – pour y affûter sa « danse de colère ». Saisissante quand elle se tait et s’arc-boute d’un coup, se cambre ou se creuse sous l’on ne sait quel fardeau. Émouvante quand elle happe l’air de ses bras rapides puis reprend son récit, prête à en découdre avec le monde. — E.B.

 
TTT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre du Chêne Noir, 14h. Durée : 1h45. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 86 74 87.
 
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“L’Abolition des privilèges”, d’après Bertrand Guillot

Le 4 août 1789, à 19 heures, les députés de la première Assemblée constituante rejoignent la salle du Jeu de paume, à Versailles. La scène est encore vide, mais l’acteur Maxime Pambet fait irruption dans la salle et l’on croit aussitôt à son personnage de député modéré du tiers état, comme à tous ceux qu’il incarnera, du paysan à l’avocat, de l’évêque conservateur aux prêtres libéraux, de l’aristocrate ultra aux partisans d’une réforme de la Monarchie. Joël Pommerat avait travaillé dans cet esprit-là – réactiver 1789 grâce aux individus qui l’ont fait – dans sa puissante saga Ça ira (2015). Hugues Duchêne, jeune chef de troupe risque-tout qui avait, de son côté, feuilletonné l’histoire du premier mandat Macron, s’y essaie avec des moyens plus modestes. Plus maladroitement aussi sans doute. Mais sa prise de risque est salutaire tant elle interroge nos incertitudes contemporaines – insatisfaction sociale, guerre qui frappe à nos portes, changements climatiques. Malgré le faufil encore un peu grossier entre passé et présent, un tel pari s’avère passionnant, surtout en ces temps tourmentées. Rafraîchissant surtout, tant le lien établi avec le public qui figure ici les trois composantes du tiers état, est simple, efficace, généreux. — E.B.

 

TT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre du Train bleu, 15h50. Durée : 2h05. Relâche : 8 et 15 juillet. theatredutrainbleu.fr
 
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“Héritage”, de Cédric Eeckhout

Lorsqu’en 1982 Jo, alors talentueuse coiffeuse belge, décide de divorcer, sa vie prend un tout autre tournant. Cette mère de famille menait jusque-là une vie confortable, entourée de son mari et de ses quatre fils. Mais il lui fallait partir. Se reconstruire ailleurs, et vivre plus simplement, plus joyeusement. Jo a aujourd’hui près de 80 ans – elle en fait dix de moins ! – et se raconte dans ce spectacle qui lui est dédié. À ses côtés, son fils Cédric, comédien, interroge cette « mère courage », devenue malgré elle l’héroïque personnage de cette histoire bouleversante, banalement universelle. Sur scène, la musicienne Pauline Sikirdji accompagne le duo complice. Le fils se travestit et tente de se mettre dans la peau de sa mère, exhumant de multiples objets des cartons peuplant la scène. Jo commente, rit aux éclats, et le reprend. Cette belle et touchante conversation, sur la condition féminine, l’évolution des mœurs, les différences de classe, dessine l’héritage subtil qu’un parent laisse à son enfant. — K.O.

 
TT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre des Doms, 13h. Durée : 1h20. Relâche les 2, 9, 16 juillet. Tél : 04 90 14 07 99.
 
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“Le Menteur”, de Pierre Corneille

Écrite après Horace, Cinna et Polyeucte, cette comédie survoltée, en proie à une hystérie encore baroque, reprend finalement sur le mode du rire la quête d’identité que traversent bien des héros cornéliens. Dans ce Menteur raccourci et électrisé par Marion Bierry, nombre de personnages s’enchantent à passer pour d’autres. Fortement inspirée du dramaturge espagnol Alarcón, la pièce dit nos éternels troubles d’être, nos difficultés à nous adapter à un monde en perpétuelle métamorphose, ici la Fronde, qui commence à constester le pouvoir royal… Aidée par l’astucieuse scénographie de Nicolas Sire, Marion Bierry a su trouver le rythme, la fantaisie, l’humour de cette valse des mensonges qui remporta un triomphe en 1644. Alexandre Bierry, son propre fils, est un Dorante épatant de doutes, de folle espièglerie et de mortelle allégresse. Les mensonges cachent toujours des souffrances. — F.P.

 

TT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre du Girasole, 11h45. Durée : 1h35. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 82 74 42.
 
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“Lazzi”, de Fabrice Melquiot

Des fauteuils de cinéma désarticulés noircis de poussière jonchent le sol. Au milieu de ce chaos, assises sur des cartons, se tiennent dos à dos deux silhouettes tristement fatiguées. Vincent (Garanger) et Philippe (Torreton) sont deux copains passionnés de cinéma, autrefois fondateurs d’un vidéo-club. Ils s’apprêtent à Liquider ce «  petit commerce de proximité  », sapé par les plateformes en tous genres. Ils assument leur côté has been, mais regrettent quand même leur belle époque, tout en tentant de se réinventer dans un coin paumé du Vercors. Ce vieux « couple » quitté par les femmes (« un veuf et un divorcé ») forme aussi une sacrée paire théâtrale… L’auteur-metteur en scène Fabrice Melquiot l’a pensé ainsi. Vincent et Philippe s’envoient des piques, se jaugent, composant le portrait d’une génération qui a cru que le cinéma pouvait changer sa vie… L’ironie pointe sous le détachement de ces «  deux réactionnaires qui n’aiment pourtant pas le monde d’avant  ». On rit beaucoup. L’écriture de Melquiot est, comme toujours, tissée de trouvailles linguistiques, au fil d’une partition serrée qui emprunte son esprit coq-à-l’âne aux lazzi – variations grotesques de la commedia dell’arte. Les deux acteurs, assumant sur scène leurs corps vieillissants avec une souplesse de cabris, nous emmènent aussi au bord de gouffres inconnus. — E.B.

 
TTT Jusqu’au 21 juillet, La Scala Provence, 16h. Durée : 1h30. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 65 00 00 90.
 
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“Parler pointu”, de Benjamin Tholozan et Hélène François

Nombreux sont les provinciaux qui, une fois arrivés à Paris, ont dû gommer leur accent pour se fondre dans la masse en pratiquant un français « neutre ». Accompagné sur scène par un musicien, le coauteur de ce spectacle, Benjamin Tholozan, est de ceux-là. Originaire de Nîmes, le quadragénaire devenu parisien « parle pointu », comme disait son grand-père, pour désigner cette façon plate de dire les mots, dépourvue de la musicalité chantante caractéristique des Méridionaux. Flamboyant conteur, c’est avec humour que l’artiste remonte le fil de son accent disparu, et retrace l’origine de la langue française. Notre manière de parler a sans doute des conséquences plus importantes qu’on ne le croit, car derrière les questions, a priori banales, que se pose le personnage joué par Tholozan, se cache une violence, un passé aussi douloureux que passionnant… — K.O.

 

TT Jusqu’au 21 juillet, La Manufacture, 19h15. Durée : 1h25. Relâche les 10 et 17 juillet. Tél : 04 90 85 12 71. Également le 17 juillet au Festival Contre-Courant à 22 heures
 
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“Shahada”, de Fida Mohissen

On connaissait Fida Mohissen, le fondateur de plusieurs théâtres à Avignon – dont le 11, désormais permanent. On le savait syrien. Mais on ignorait qu’il avait précisément choisi cette ville symbole du théâtre en France pour s’installer il y a vingt-cinq ans, après avoir décidé de quitter son pays. Laissant derrière lui, à Damas, un père seul dans sa bibliothèque, les souvenirs d’une enfance heureuse passée à Beyrouth, ses copains de la fac de lettres (département de français tant il est tombé amoureux de la langue)… Et surtout une approche de la spiritualité héritée de l’Islam qui divise le monde en deux parties (ce qui est « péché », et ce qui ne l’est pas). Fida Mohissen, sur les conseils de son metteur en scène, François Cervantes, s’avance d’abord pour dire qu’il va simplement « témoigner » en français et que ce n’est pas si facile. Il confie ne plus se reconnaître dans ses carnets de jeunesse. Un acteur plus jeune vient derrière lui incarner cette parole ancienne. Leur dialogue va se tendre, tant il a fallu de temps à l’auteur-acteur pour comprendre que l’Occident ne se demande pas chaque matin comment détruire au plus vite le monde oriental… Chavirant, passionnant, dans le propos, dans la langue, comme dans l’interprétation, ce spectacle avait fait un tabac dans le Off 2023 — E.B.

 
TTTJusqu’au 21 juillet, 11•Avignon, 18h45. Durée : 1h05. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 84 51 20 10. ou 11avignon.com
 
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“PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres”, de Rachel Arditi et Justine Heynemann

Connaissiez-vous les Slits, ce premier groupe de punk rock féminin londonien, formé en 1976, dissous en 1981. Quatre jeunes musiciennes entre 14 et 20 ans, révoltées, échevelées, furieuses et douées qui parvinrent à obtenir le contrôle total de leur image auprès de leur maison de disques : exploit qu’aucun autre groupe n’avait encore réussi avant elles ! Rachel Arditi et Justine Heynemann ressuscitent cette formation pionnière et éphémère, féministe, dans une Angleterre en vrac qui verra l’accession au pouvoir de la trop libérale Margaret Thatcher. Mises en scène par Justine Heyneman, cinq formidables comédiennes-musiciennes (et un comédien-musicien !) revivent, jouent et chantent la tumultueuse odyssée de ces petites sœurs des Sex Pistols et autres Clash aux harmonies hurlantes, écorchées et tendres à la fois. Sur un plateau au désordre tout punk, à la sauvagerie endiablée, leur désespérance est pleine de vitalité, de rythme, de musicalité brute et folle. Une comédie musicale comme on n’en a guère l’habitude, frémissante de colère mais d’audaces, de rage mais de défis. Preuve que la parenthèse punk a laissé des traces incandescentes qui semblent aujourd’hui prêtes à se rallumer. — F.P.

 
TTT Jusqu’au 21 juillet, Scala Provence, 20h55. Durée : 1h35. Relâche les 1er, 8 et 15 juillet. Tél : 04 65 00 00 90.
 
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“Ressources humaines”, d’après le film de Laurent Cantet

Dire le monde tel qu’il est ou le réinventer, la question a toujours hanté le théâtre. Lorsque Élise Noiraud — formidable autrice d’Élise, trilogie seule-en-scène où elle incarne sa propre histoire — adapte Ressources humaines (1999), elle veut témoigner du monde de l’entreprise à l’aube des années 2000 et des désarrois des transfuges de classe. Frais émoulu de HEC — dont il est un des rares fils d’ouvriers à sortir diplômé —, Franck sollicite un stage à la direction des ressources humaines de l’usine où travaillent son père et sa sœur. Inquiet des conséquences du passage aux 35 heures, le patron l’y charge de ré- organiser le temps de travail. Tiraillé entre la classe populaire dont il veut sortir et la classe dirigeante dont il ne possède pas les codes, Franck se fait instrumentaliser. En scènes rapides et chocs sur le plateau nu, où seuls lumières, accessoires minimalistes et bande-son sculptent l’espace, Élise Noiraud transporte de l’usine à la cuisine maternelle, de la voiture du patron à la boîte de nuit locale. Dans Les Fils de la terre (2015), elle racontait déjà notre monde agricole exsangue. Elle continue de fouiller notre société, de s’y engager humainement, et de nous y engager. Le théâtre, formidable acteur du réel. — F.P.

 

TT Jusqu’au 21 juillet, 11-Avignon, 18h50. Durée : 1h25. Tél : 04 84 51 20 10.
 
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“La Contrainte”, d’après Stefan Zweig

Cette nouvelle autobiographique de l’écrivain autrichien Stefan Zweig n’est pas des plus connues. Pourtant, elle recèle une multitude de questionnements à bien des égards actuels  : ceux d’un homme appelé à la guerre, tiraillé entre son désir de liberté et l’injonction de remplir son devoir de citoyen. Sa femme, elle, l’encourage clairement à ne pas se mobiliser. Publié en 1920, ce texte a été judicieusement adapté par Anne-Marie Storme qui l’a dépouillé de ses marqueurs temporels et transformé en récit à la première personne. L’adresse au public n’en est que plus percutante malgré la musique parfois trop en force qui tranche avec le récit. Zweig n’a pas son pareil pour dire et faire ressentir les contradictions les plus intimes. Ce que cette mise en scène réussit à mettre en valeur. — K.O.

 
TT Jusqu’au 20 juillet, Théâtre de la Bourse du Travail CGT, 16h. Durée : 1h10. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 06 08 88 56 00.
 
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“Rêveries”, de Juliet O’Brien

À quoi rêvait-on enfant ? Et, une fois adulte, ou déjà vieux, sommes-nous parvenus à réaliser nos souhaits les plus chers ? C’est la délicieuse enquête menée par la Néo-Zélandaise Juliet O’Brien. L’artiste a sondé plusieurs personnes âgées sur leur existence. En résulte une constellation de récits qui embrassent la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie, les mutations économiques et sociales des années 1960 et 1980. Hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, mères, fils, frères, sœurs confient leurs aspirations majoritairement structurées par le travail, évoquent également leurs renoncements, leurs difficultés ou leurs joies. Les quatre comédiens passent d’un personnage à l’autre en un claquement de doigts et endossent autant de fragments de vie différents. Une parole universelle, populaire, souvent bouleversante, qui éclaire notre présent à la lumière de ce qu’ont vécu nos aînés. Si ceux-ci furent imprégnés par leurs propres idéaux, ils furent animés, aussi, par des envies communes à chaque être humain : être heureux, aimer et… rêver. — K.O.

 

TT Jusqu’au 21 juillet, Présence Pasteur, 19h45. Durée : 1h10. Relâche les 1ᵉʳ, 8 et 15 juillet. Tél : 04 32 74 18 54.
 
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“Camus-Casarès, une géographie amoureuse”, de Teresa Ovidio et Jean-Marie Galey

Des huit cent soixante-cinq lettres amoureuses échangées entre 1944 et 1959 par la comédienne Maria Casarès (1922-1996) et le dramaturge-romancier-philosophe Albert Camus (1913-1960), Teresa Ovidio et Jean-Marie Galey – leur incarnation théâtrale dans ce vibrant face-à-face – n’ont gardé… qu’une grosse centaine. Mais quelles lettres ! Qui chantent l’amour et le crient, l’exaltent et le mettent à sa place – solaire – avec une lucidité étrangement ancrée dans le quotidien de la création comme de la vie… Sur ces deux-là, la fille du chef du gouvernement républicain espagnol exilé et l’écrivain né en Algérie, soufflent les vents du Sud et un humanisme antique. Ils se sont rencontrés, aimés puis quittés à Paris en 1944. Camus est marié et sa femme revient d’Oran ; Maria Casarès rompt, elle a 21 ans. Ils se retrouvent en 1948. Et seul un accident de voiture, le 4 janvier 1960, les séparera à jamais. De cette tragédie amoureuse en ombres et lumières, exigences et défis, Teresa Ovidio et Jean-Marie Galey ont gardé ce qui témoigne, aussi, de ces années où un monde se reconstruit. Des extraits d’interviews de Casarès, des fragments plus politiques des Carnets de Camus complètent leurs missives, tandis que d’émouvantes archives sonores jaillissent de plusieurs vieux transistors, posés là pour unique décor. De son écriture chahutée mais souveraine, elle apparaît plus forte, plus joyeuse, plus féroce que lui, si souvent en proie au doute. Dans leurs costumes sombres et sans âge, Teresa Ovidio et Jean-Marie Galey, mis en scène par Élisabeth Chailloux, réinventent, réincarnent superbement les voix, les corps des deux amants, qui sans gémir ni renoncer à leur vocation surent avec orgueil s’aimer, se respecter jusqu’au bout. — F.P.

 

TTTJusqu’au 21 juillet, Théâtre Épiscène, 16h. Durée : 1h20. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 01 90 54.
 
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“Tendre Carcasse”, d’Arthur Pérole

Ça papote dans les coulisses et l’on entend depuis la salle les quatre performeurs se « chauffer » avant d’entrer en scène. Cette intimité partagée, comme par effraction, augure de la suite : une succession de confidences, mouvements et postures à l’appui, sur son corps comme il va. Corps peu à peu découvert, estimé, apprivoisé et finalement accepté. Les quatre danseurs et danseuses ont une façon d’égrener leur âge – de 22 à 27 ans –, leur identité, leur sexe, leurs occupations et leurs préoccupations avec une simplicité touchante. Et chaque élan personnel finit par composer le tableau d’une génération au fil d’un habile autoportrait collectif. Ancien danseur devenu chorégraphe, Arthur Pérole a transmis à tous ses interprètes, choisis hors des sentiers battus, une belle confiance, qui rejaillit dans un beau cri d’amour à la danse. À la vie. — E.B.

 
TT Du 6 au 16 juillet, Les Hivernales, 17h. Durée : 50 mn. Relâche le 11 juillet. Tél : 04 90 82 33 12.
 
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“Malaise dans la civilisation”, d’Alix Dufresne et Étienne Lepage

Quatre touristes un peu paumés et brut de décoffrage déboulent dans un théâtre vide en ignorant tout de sa nature, de son rôle, de ses règles. Ils l’explorent timidement et maladroitement d’abord, puis le dévastent bientôt avec ignorance et allégresse. Tout en faisant simultanément l’expérience de leurs corps, de l’utilité du langage, du vivre plus ou moins ensemble, de la solitude. La metteuse en scène Alix Dufresne et l’auteur Étienne Lepage ont fait alliance pour coécrire et diriger cette comédie ovni souvent taiseuse et acrobatique où ne sont pas oubliées les réflexions politico-philosophiques. Ils s’y attaquent à toutes sortes de conventions avec un humour absurde qui flirte avec le grotesque. Jusqu’à subtilement déranger. Les comédiens sont épatants et, de la salle à la scène, nous entrainent sur de curieux chemins… — F.P.

 

TT Jusqu’au 21 juillet, La Manufacture, site de la patinoire, 16h10. Durée : 1h50, navette comprise. Relâche les 10 et 17 juillet. Tél : 04 90 85 12 71.
 
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“Vive”, de Joséphine Chaffin

Anaïs est la fille préférée d’un as de la gastronomie qui reconnaît aussi en elle ses dons de cuisinier. La gamine est espiègle, douée en poésie, fan de La Fontaine. Et surgit l’inceste. Et la fille continue d’aimer son père malgré tout. Grâce à lui, elle deviendra une jeune cheffe prometteuse. Jusqu’à ce que vingt ans après les faits, elle l’accuse publiquement de l’avoir agressée sexuellement de 7 à 14 ans. Et c’est le récit de son procès, les flash-back sur l’enfance auxquels assiste le public. Joséphine Chaffin a écrit un récit volontairement didactique sur le drame de l’inceste et le désarroi, la sidération, la solitude qu’il provoque sur ses trop nombreuses victimes. Lumineuse, puissante, Hermine Dos Santos transcende admirablement le texte. Les acteurs endossent plusieurs rôles dans de rapides chassés-croisés qui rappellent la manière efficace d’Alexis Michalik. Simple et troublant. — F.P.

 
TTJusqu’au 21 juillet, Théâtre du Train Bleu, 13h20. Durée : 1h30. Jours impairs. Tél : 04 90 82 39 06.
 
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“Moby Dick”, d’après Herman Melville

Il suffit parfois de presque rien pour créer l’illusion. Avec leur engagement et leur générosité, les quatre comédiens de ce spectacle subjuguant nous plongent dans le roman écrit en 1851 par Herman Melville. Nuage de fumée à tribord, chants de matelots à bâbord, lumière tamisée… Moby Dick prend vie peu à peu comme à la lecture du livre. Avec une énergie communicative et un sens profond du jeu, la troupe nous embarque à bord du Pequod, ce baleinier lancé dans la folle poursuite du cachalot par le capitaine Achab, animé d’une haine obsédante envers l’animal qui a emporté l’une de ses jambes. Entre grands moments de théâtre et rêveries enivrantes, cette aventure s’adresse à tous… à condition d’embarquer dans cette expédition risquée ! — K.O.

 

TTT Jusqu’au 21 juillet, La Condition des soies, 19h30. Durée : 1h20. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 22 48 43.
 
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“Le Poids des fourmis”, de David Paquet

Dans un lycée particulièrement nul, un proviseur qui se fout de tout organise comme chaque année la « semaine du futur ». Ses très très mauvais élèves sont censés y réfléchir ensemble à ce qui pourrait changer la société, voire les dérèglements de la planète. Jeanne, l’anticapitaliste qui passe son temps à vandaliser les pubs, et Olivier, l’éco-anxieux naïf qui ne sait que se lamenter sur le réchauffement climatique, se présentent pour diriger cette semaine utopiste. Farce et fable dans des décors improbables de boules en plastique où plongent constamment les comédiens (quand ils ne lézardent pas sur des chaises longues), la satire politique de David Paquet, absurde et incongrue, est souvent réjouissante. Les comédiens québécois y déploient une verve, une violence, un humour ravageur inconnus dans nos contrées. Ils alertent aussi, et incitent à la solidarité et à la fraternité pour dépasser nos tragédies présentes et à venir. Qui dit mieux ? — F.P.

 
TT Jusqu’au 21 juillet, La Manufacture, site de la patinoire, 10h. Durée : 2h05, navette comprise. Relâche les 10 et 17 juillet. Tél : 04 90 85 12 71 ou lamanufacture.org
 
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“Yé ! (L’eau)”, par le Circus Baobab

Un couloir vide entre deux rangées de bouteilles en plastique écrasées. Une femme se tient dans l’ombre au milieu d’elles, et commence goulûment à boire de l’eau avant qu’un homme ne vienne accomplir à ses pieds une élastique danse de séduction. La horde de costauds qui déferle ensuite sera moins clémente avec elle. Car d’un coup son trésor désaltérant ne lui appartient plus : il vole de bras en bouche et devient l’enjeu du spectacle ! Rarement les thèmes de la sécheresse et de la bataille pour l’eau auront été si efficacement représentés, grâce à cette troupe venue d’Afrique et dirigée par Kerfalla Bakala Camara ,qui travaille main dans la main avec le metteur en piste français Yann Ecauvre. Car, dans Yé ! (L’eau) — traduction en langue soussou du précieux élément —, le Circus Baobab met le paquet, qu’il s’agisse de bouteilles compressées envoyées dans les airs comme de corps-à-corps compacts ressemblant parfois à des rucks de rugby… Dix hommes et deux femmes en jeans délavés et tee-shirts en Lycra bleutés n’ont rien d’autre que leur corps pour tout dire. Leur puissance d’expression est spectaculaire : ils défoncent les codes de l’acrobatie et leur hargne, trempée dans l’urgence mais souvent mâtinée d’humour, est époustouflante. — E.B.

 

TTT Jusqu’au 21 juillet, La Scala Provence, 11h45. Durée : 1h. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 65 00 00 90.
 
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Naïs”, d’après Marcel Pagnol

Mettant en scène le scénario de Naïs (1945), le film de Marcel Pagnol (1895-1974), Thierry Harcourt adopte des costumes des années 1970 pour évoquer la possible libération sexuelle de ses personnages. Inspirée d’une nouvelle beaucoup plus féroce et désenchantée d’Émile Zola, cette tendre tragi-comédie marseillaise adaptée par Arthur Cachia — qui interprète également Toine, le valet de ferme bossu que jouait au cinéma Fernandel — est au moins une jolie fable. Sur ce que peut la passion d’une femme. Toine y aime en secret Naïs, fille unique du métayer des Rostand, un veuf possessif qui fait d’elle sa domestique. Or Naïs devient la maîtresse du fils Rostand, qu’elle aime depuis l’enfance. Son père décide d’assassiner le jeune amant. Sur le plateau nu, la troupe emmenée par Thierry Harcourt dessine joliment ces personnages aux accents chantants. Du cinéma au théâtre, ce parcours-ci est plein de charmes et de féminisme triomphant. — F.P.

 
TT Jusqu’au 21 juillet, Condition des soies, 13h40. Durée : 1h15. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 22 48 43.
 
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“Montaigne, les Essais”, adaptation d’Hervé Briaux

Rien ne se prête mieux à l’oralité que la prose philosophique de Michel Eyquem, seigneur de Montaigne (1533-1592). Le comédien Hervé Briaux en donne encore ici une preuve sensible au fil d’une trop petite heure de traversée de ses Essais et récits de voyage. L’acteur suit au plus près la pensée de l’auteur au fil de ses expériences de vie. Ainsi commence-t-il par évoquer la relativité des coutumes et des croyances, exprimée par un homme qui a vu de très près les guerres de Religion. La remise en question de l’Homme tout-puissant régnant en maître sur la nature, distillée ici avec beaucoup d’humour, entre en résonance avec nos problématiques actuelles. Hervé Briaux réussit à nous inviter dans la bibliothèque où Montaigne aimait se retirer pour écrire. Acteur mûr, maîtrisant tous les registres, il sculpte avec finesse la langue de l’écrivain, en épouse le souffle avec de plus en plus de gravité, jusqu’à donner de la chair à la pensée et des frissons au public. — E.B.

TTT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre du Chêne Noir, 12h30. Durée : 1h. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél : 04 90 86 74 87.
 
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“Larzac !”, de Philippe Durand

À sujet complexe pédagogie bienvenue. Dans un dispositif scénique d’une simplicité absolue — une table, une chaise —, le comédien et metteur en scène Philippe Durand, repéré lors de son précédent spectacle 1336 (Parole de Fralibs), détaille les enjeux d’une utopie agricole vieille de quarante ans, née après dix années de combats contre le projet d’extension d’un camp militaire sur le causse du Larzac. À son entrée dans la salle, le public s’empare d’une « notice Larzac ! » qui rappelle la chronologie des événements. Remontant à la création du camp en 1902, pour s’achever en 2013, année où le bail emphytéotique accordé en 1985 par l’État aux paysans du plateau fut prolongé de trente-huit ans. Textes à l’appui, Philippe Durand restitue avec justesse les témoignages recueillis en 2020 et 2021 auprès des agriculteurs de la Société civile des terres du Larzac. Constitution de cette SCTL, fonctionnement en communauté, arrivée des « néo-paysans »… Le spectacle explore ainsi un modèle de gestion des terres unique en son genre, porté jusque dans l’accent par Philippe Durand. Celui-ci utilise avec simplicité les outils du théâtre pour incarner les paysans du « plateau », qui assument une agriculture innovante, basée sur le collectif et la démocratie. — K.O.

 
TT Jusqu’au 21 juillet, Théâtre des Halles, 18h45. Durée : 1h25. Relâche les mercredis 3, 10 et 17 juillet. Tél : 04 32 76 24 51.
 
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“L’Os à moelle”, de Pierre Dac

Du 13 mai 1938 au 7 juin 1940 – les Allemands entrent dans Paris sept jours plus tard – paraît dans les kiosques ce drôle de brûlot hebdomadaire de quatre pages, au format classique et d’apparence sérieuse. Sauf que tous les articles – petites annonces et recettes de cuisine comprises – y conjuguent absurdité et dinguerie. Pour alerter, par l’intermédiaire de l’ironie et d’un rire à peine déguisé, sur les menaces du nazisme. Le rédacteur en chef de ce canard déchaîné ? L’humoriste Pierre Dac (1893-1975), dont on connaît l’esprit de résistance, le goût pour la liberté et l’âme rompue aux loufoques délires. Admirablement dirigés par Anne-Marie Lazarini, les comédiens Cédric Colas, Emmanuelle Galabru et Michel Ouimet font revivre avec punch ce journalisme militant sur fond de catastrophe à venir. Constamment réjouissant, piquant et… terrible. Merci à Anne-Marie Lazarini d’avoir ressuscité cet Os à moelle oublié, mais bien nécessaire aujourd’hui. — F.P.

TT Jusqu’au 21 juillet, Petit Chien qui fume, 16h. Relâche les 9 et 16 juillet. Durée : 1h. Tél : 04 84 51 07 48.
 
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Festival d'Avignon 2024

Que donnent les spectacles du In ? Que voir dans le Off ? Du 29 juin au 21 juillet, nos journalistes Théâtre suivent au plus près l'actualité toujours bouillonnante du festival.

 

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June 25, 2024 5:22 PM
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Tragédie, mise en scène de David Bobée et Eric Lacascade, spectacle de sortie du Studio 7 (2021-2024) de l’Ecole du Nord à Lille. 

Tragédie, mise en scène de David Bobée et Eric Lacascade, spectacle de sortie du Studio 7 (2021-2024) de l’Ecole du Nord à Lille.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 25 juin 2024

 

Tragédie, mise en scène de David Bobée et Eric Lacascade, spectacle de sortie du Studio 7 (2021-2024) de l’Ecole du Nord. Textes écrits par les élèves-auteurs du Studio 7 de l’École du Nord, Ilonah Fagotin, Iris Laurent, Clément Piednoel Duval , Jean-Serge Sallh, accompagnés par Éva Doumbia. Avec les élèves-comédiens  du Studio 7 de l’École du Nord,Yassim Aït Abdelmalek Félix Back, Poline Baranova Kiejman, Jessim Belfar, Clément Bigot, Sam Chemoul, Jade Crespy, Fantine Gelu, Ambre Germain-Cartron, Loan Hermant, Mohammed Louridi, Ilana Micouin-Onnis, Marie Moly,  Chloé Monteiro, Miya Péchillon, Charles Tuyizere. Scénographie David Bobée et Léa Jézéquel, vidéo Wojtek Doroszuk, lumière Stéphane Babi Aubert, musique Jean-Noël Françoise, costumes Mayuko Bobée  et Angélique Legrand. Décor construit par L’Atelier du Théâtre du Nord. 

 

 

Brouhaha scénique et crash d’avion, morceaux de carlingue et d’ailes d’acier, d’où sortent seize jeunes comédiens qui évoquent, obsessionnels,  le monde-catastrophe dans lequel ils vivent. Le directeur et metteur en scène du Théâtre du Nord – centre dramatique national Lille Tourcoing Hauts-de-France, David Bobée, et le metteur en scène Eric Lacascade, parrain de ces élèves-comédiens, se sont mis à l’écoute de cette génération dite « sacrifiée », née dans les années 1998/2000, juste avant les attentats des Twin Towers à New-York, le début d’une longue suite d’attentats déstabilisant fort les esprits en France et dans le monde. Des jeunes restant aptes à des regards autres sur les hommes, de la violence à la joie.

 

 

Quatre élèves auteurs prennent en charge la parole de leurs compagnons interprètes, issue d’improvisations et de propositions sur le plateau, un récit collectif et fragmentaire dont la réinvention est permanente, libre parce qu’issue des ruines et « joyeuse parce que sans espoir ».

 

 

Formellement, sont proposés des monologues, dialogues, choeurs, à propos de la catastrophe, de l’état du monde. Quel héritage? Quelle peur ? Quel inconnu ? Comment agir ? En se ré-adaptant incessamment au présent. Et le théâtre permet de comprendre cette immersion dans le pessimisme. Non pour la dé-construction du monde mais sa reconstruction, sa réparation.

Les références à la mythologie antique sont au rendez-vous: Prométhée a volé le feu aux dieux du Mont Olympe, Chronos a dévoré ses enfants, Dédale a appris à voler à Icare qui s’est trop approché du soleil, Baudelaire est cité, Shakespeare aussi, à maintes reprises…Déjà, les catastrophes étaient au rendez-vous de toute humanité, avant et après…

 

Or, tout va de mal en pis, et puisque les parents ont mangé leurs enfants sans arrière-pensée, il semblerait bien que ce soit à présent au tour des enfants de prendre la peine de dévorer leurs parents – les boomers coupables d’avoir profité de tout et d’avoir saccagé la planète – car rien n’est plus tenable aujourd’hui, ni la situation sociale et économique du pays, ni la situation « morale » si insupportable pour des jeunes gens vifs et curieux, sur le point de se lancer dans la grande aventure de la vie…et du théâtre, et qui voient se dresser non loin d’eux les guerres, les catastrophes écologiques et climatiques.

 

Le catalogue de tout ce qui va mal est inépuisable, un répertoire, un inventaire à les « mille e tre » des maîtresses du Don Giovanni de Mozart et Da Ponte. Ces comédiens sur la scène égrènent les maux et les douleurs, les mises à mal et les catastrophes, ne distinguant nul chemin vers la lumière ou des lendemains qui chanteraient : no future.

 

 

Ici et maintenant, seul compte le présent immédiat, ce que l’on ressent soi auprès de ses camarades de misère confinés dans la même situation d’enfermement et d’impossibilité d’avancer. Paroles ressassées et obsessionnelles sur une fin proche ou imminente de la planète, échanges de monologues et de dialogues sur « rien qui ne va plus ». 

 

C’est à celui qui proposera la vision la plus noire, la plus défaitiste et déceptive. Répétitions compulsives, paroles assénées et mille fois entendues: un cadre d’écriture plus structurée et enlevée avec dialectique verbale – argumentation, conviction, émotion et rêverie – aurait été le bienvenu.Or, les acteurs combatifs, pleins d’élan et de caractère, sont de belles personnes singulières aux origines et conditions diverses.

 

Les interprètes cheminent sur les morceaux de carlingue ou les ailes de l’avion scratché, suivant le compte des jours qui passent jusqu’au trentième : l’action et le rythme se réveillent dès le quatorzième ou quinzième jour, les jeunes gens ayant terminé leurs diatribes lancées ensemble, face public, haranguant parents, spectateurs et terre entière. 

 

Il faut pourtant bien se départir de cette prison à ciel ouvert, en agissant et en ne succombant pas. Leçon de vie et de courage, les « sauvés » reconnaissent leur chance et cette joie inextinguible d’être au monde – respirer, goûter l’instant, aimer et faire du théâtre.

 

« A quoi sert le théâtre ? » Il sert à vivre – échanger, penser, se connaître et apprécier. Sans oublier l’humour, le comique et une distance enjouée que tous manient avec brio.

 

 

Véronique Hotte

 

 

Du 24 au 28 juin 2024 au Théâtre du Nord à Lille. Du 1er au 5 octobre 2024, au Théâtre du Nord à Lille. Les 16 et 17 octobre 2024 au Phénix, Valenciennes. Les 16 et 17 janvier 2025 au Tandem, Douai. Le 28 janvier 2025, Comédie de Béthune.  Le 31 janvier 2025, à La Faïencerie, Creil. Le 25 mars 2025 à la MCA, Amiens. Du 3 au 6 avril 2025, à La Villette, Paris

 

Crédit photo : Arnaud Bertereau

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June 25, 2024 2:27 PM
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Au Théâtre du Nord, à Lille, une « Tragédie », en attendant la fin du monde

Au Théâtre du Nord, à Lille, une « Tragédie », en attendant la fin du monde | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 25 juin 2024

 

 

Le spectacle de sortie des élèves de l’Ecole du Nord, mis en scène par David Bobée et Eric Lacascade, affronte les peurs, la colère et les renoncements de la jeune génération.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/25/au-theatre-du-nord-a-lille-une-tragedie-en-attendant-la-fin-du-monde_6243677_3246.html

 

La carlingue éventrée d’un avion occupe la scène du Théâtre du Nord, à Lille. Si ce n’est la fin du monde, ça y ressemble. Cette vision cataclysmique ouvre Tragédie, le spectacle de sortie des élèves de l’Ecole du Nord : quinze jeunes gens habitent ce plateau dévasté qui leur oppose pendant deux heures trente sa force d’inertie mortifère (il sera désossé, par leurs soins, à la fin de la représentation).

 

 

Ces quinze acteurs achèvent un cursus d’étude de trois ans. La fiction les transforme en une bande de jeunes adultes mûrs pour changer le monde. Pantalons et jupes de flanelle, cravates rayées, ils se présentent sur scène, revêtus d’uniformes scolaires. On les croirait sortis d’une université chic avec des discours à l’avenant. Engagés sur les causes sociétales et écologiques, ils cochent les cases du progressisme bobo : végans, wokistes, écolos, ils sont conscients de l’état déplorable de la société mais sont déterminés à en faire bouger les lignes. C’est pour cela qu’ils sont montés dans cet avion. Ils partaient colloquer, manifester, militer, prêcher la bonne parole. Sauf que l’avion est tombé.

 

Deux heures trente plus tard, et presque au terme du spectacle, débraillés, abîmés, en haillons, ces vivants sont devenus des survivants qui ont épuisé leurs réserves de nourriture, croqué le métal de la carlingue, résisté au cannibalisme, et surtout fait le deuil méthodique d’à peu près tout ce qui soude l’humain : l’amour, l’amitié, l’empathie, la confiance, la solidarité, la fraternité. Ces valeurs phares sont des ruines fumantes. Aucun rêve n’a fait barrage à l’effondrement programmé. Prométhée (mythe antique convoqué dans la fiction aux côtés de Pandore ou de Chronos) n’aurait pas dû voler le feu aux dieux pour le donner à l’homme. Pas sûr que ce dernier en ait fait bon usage.

 

 

Tragédie n’usurpe pas son titre. Le spectacle de ces jeunes gens parle de leurs angoisses, leurs peurs, leurs renoncements, leurs colères, leurs sentiments d’injustice et leurs constats d’impuissance.   Ils sont lucides et accusateurs : le voilà, l’héritage laissé par les « boomers ». On peut trouver la litanie agaçante et le listing des griefs et des plaintes systématiques, facile et anxiogène,  cela n’empêche : si l’on est de ces « boomers », impossible d’esquiver notre responsabilité quant au mental catastrophique de la jeune génération.

Une ambitieuse ligne narrative

La mise en scène conjointe de David Bobée et Eric Lacascade (parrain de la promotion) va bien au-delà d’une simple démonstration de travaux d’élèves. Les spectacles de sortie ont leurs codes. Parmi les impératifs du genre : la mise en valeur de chaque comédien débutant. L’exercice peut parfois dériver vers un bout à bout fastidieux de numéros solos et performatifs. Il est ici déjoué de belle manière pour être emporté dans une ambitieuse ligne narrative portée par des acteurs impeccables. Tous sont très bien, mais trois sont mieux que bien : Félix Back, Mohammed Louridi et Poline Baranova Kiejman.

 

Le texte qui aménage des temps de choralité, de dialogues ou de monologues, dessine pour les quinze comédiens autant de vrais rôles, d’existences, de présences. Cette pièce a été coécrite (sous la houlette de l’autrice Eva Doumbia) par quatre élèves de la promotion sortante de l’Ecole du Nord. Impossible de dire qui, d’Ilonah Fagotin, Iris Laurent, Clément Piednoel Duval ou Jean Serge Sallh, a signé tel ou tel passage.

 

 

L’écriture serrée et concise évite le bavardage et sait rester homogène. Elle ne s’inscrit pas dans le récit mais dans une analyse quasi clinique des possibles et des impossibles. Comment continuer à écrire des histoires ayant un début, un milieu et une fin alors que l’horizon vole en éclats et que, du passé, aucune leçon n’a été retenue. Figés près des ruines de l’avion, les jeunes sont englués dans un présent stérile qui s’égrène jour par jour jusqu’à extinction finale de leurs souffles. Ils meurent, les uns après les autres.

 

 

On aurait pu rester sur ça : ce sentiment de fin de tout, cette agonie physique, morale, psychologique qui courbait, sous le poids du tragique, les têtes du public dans la salle. Mais dans un retournement   de situation dont David Bobée a le secret, le dernier quart d’heure du spectacle renverse la table de l’abattement. Sans en dévoiler le contenu (qui n’est pas la partie la plus passionnante de la représentation), disons tout de même qu’il redresse les corps, revitalise les acteurs, redynamise le plateau, et réinjecte de la joie là où la sinistrose régnait. Tout ça, ce n’était que du théâtre ? Oui. Et tant mieux. Car, dans les gradins, on commençait vraiment à perdre pied.

 

 

 

Voir le teaser vidéo de "Tragédie" 

 

Tragédie, spectacle de sortie du Studio 7 (promotion 2021-2024) de l’Ecole du Nord. Avec Yassim Aït Abdelmalek, Félix Back, Poline Baranova Kiejman, Jessim Belfar, Clément Bigot, Sam Chemoui, Jade Crespy, Fantine Gelu, Ambre Germain-Cartron, Mohammed Louridi, Ilana Micouin-Onnis, Marie Moly, Chloé Monteiro, Miya Péchillon, Charles Tuyizere. Coécriture : Ilonah Fagotin, Iris Laurent, Clément Piednoel Duval, Jean Serge Sallh, avec Eva Doumbia. Mise en scène : David Bobée et Eric Lacascade.

 

Théâtre du Nord, à Lille. Jusqu’au 28 juin. Puis tournée à partir d’octobre.

 

Joëlle Gayot /  Le Monde

 

Légende photo : « Tragédie », spectacle de sortie du Studio 7 (promotion 2021-2024) de l’Ecole du Nord mis en scène par David Bobée et Eric Lacascade, au Théâtre du Nord, à Lille, en juin 2024. ARNAUD BERTEREAU

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June 25, 2024 1:55 PM
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Festival d'Avignon : coup de projecteur sur les grandes heures de la cour d'honneur

Festival d'Avignon : coup de projecteur sur les grandes heures de la cour d'honneur | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 

Par Philippe ChevilleyPhilippe Noisette dans Les Echos - 25 juin 2024

 

 

La cour d'honneur du Palais des papes est le berceau du festival d'Avignon. A l'aube de la 78e édition, retour sur ces moments marquants de l'histoire du théâtre. Du « Prince de Hombourg » mis en scène par Jean Vilar avec Gérard Philipe, au « Boléro » de Ravel chorégraphié par Maurice Béjart, jusqu'aux « Damnés », chef-d'oeuvre de Visconti adapté par Ivo van Hove.

 

Avignon, 21 heures… Le palais des Papes se colore d'un gris argenté alors que le crépuscule commence tout juste à obscurcir le ciel d'été. Dans la touffeur de la canicule ou la froidure du mistral, en jeans ou en tenue de soirée, le public se presse aux portes du monument du XIVe siècle. Un rituel sans cesse recommencé depuis 1947, année de naissance du festival international de théâtre. Le temps de passer les contrôles, et chacun est happé par la majesté du lieu, ce palais, cette cour d'honneur qui a vu passer beaucoup plus d'acteurs que de papes.

Pendant que les gradins récemment rénovés (1.947 places exactement) se remplissent et que résonne la fanfare d'accueil composée par Maurice Jarre, chacun a le temps d'admirer le grand mur sans fin percé de fenêtres qui sert de fond de scène. Les bavardages et les rires se mêlent au murmure des pierres ancestrales, jusqu'à ce que les lumières s'éteignent et que le spectacle commence. À ce début de nuit électrique, certains fous de théâtre préfèrent les frémissements de l'aurore quand, à l'issue d'une épopée au long cours, les premiers rayons du soleil transfigurent le palais. La fatigue alors s'efface. C'est la magie de la cour d'honneur.

La cour d'honneur, berceau du Festival

Certes, le Festival Avignon, fort d'une quarantaine de spectacles, auxquels s'ajoutent les 1.500 productions du « off », a depuis longtemps essaimé au-delà du palais et même hors des remparts de la cité. Le sublime Mahabharata, de Peter Brook, les folles chevauchées de Bartabas, les fresques futuristes de Julien Gosselin ont déployé leurs charmes dans d'autres lieux comme la carrière de Boulbon ou la FabricA. Mais la cour d'honneur garde sa puissance symbolique. Elle est le berceau du festival, lieu unique de représentation pendant les vingt premières années durant lesquelles son fondateur, Jean Vilar, ne proposait que trois spectacles. Aujourd'hui encore, elle donne le la, en présentant la création inaugurale.

 
Mieux vaut ne pas y rater son passage, ou c'est l'hallali ! Pour ouvrir le ban de cette 78e édition, le 29 juin, le directeur du festival, Tiago Rodrigues, a confié la scène tant redoutée à l'iconoclaste Angélica Liddell qui ne s'effraie de rien. On verra si son audace se révèle payante et si la marche funèbre de l'Espagnole, dénommée Dämon El Funeral de Bergman, emporte l'adhésion… Ce nouveau rendez-vous, très attendu, nous a donné l'envie d'un voyage dans le temps, un voyage semé de ces oeuvres sensationnelles qui ont marqué l'histoire d'Avignon et continuent de hanter l'esprit et le coeur des amoureux de la cour, des amoureux du spectacle vivant.
 

 

Retour aux origines, ou presque… On n'évoquera pas les toutes premières années de Jean Vilar, mais celle où il fait appel au prince des acteurs français, Gérard Philipe. En 1951, la star de cinéma débarque à Avignon pour jouer les premiers rôles dans deux spectacles : Le Prince de Hombourg et une reprise du Cid. Dans l'oeuvre de Kleist, le comédien surprend et bouleverse. Dans la pièce de Corneille, il emporte tout… Force d'un artiste solaire, charismatique, voire héroïque - victime d'une mauvaise chute pendant les répétitions, il ne manquera pas une représentation. Quelques images filmées le montrent tel un ange tombé du ciel, sa chemise blanche gonflée par le vent ; des enregistrements audios restituent son phrasé lyrique et mélodieux…

En 1966, la danse, sous l'impulsion de Jean Vilar, décide à son tour de relever le défi de la cour. Le maître d'Avignon convie Maurice Béjart. La star du ballet moderne donne alors son BoléroBacchanale ou Sonate à trois, faisant exploser le box-office. On vend même toutes les marches du gradin ! Deux ans plus tard, Béjart et son Ballet du XXe siècle sont encore de la fête… qui a bien failli tourner court. Pris dans les tourments de l‘après mai-68, le festival est sur la sellette. On entendra même des « Béjart, Vilar, Salazar » en guise de provocation. Le chorégraphe qui, comme Vilar, prône un art populaire et exigeant, en sera blessé. « Mai 1968 fut un moment capital de l'histoire française. Mais juillet 1968, ce fut une imposture », dira-t-il - 60.000 spectateurs lui feront néanmoins un triomphe durant une vingtaine représentations.

 

 

En 1981, Pina Bausch et sa danse-théâtre trouveront un écrin de rêve pour présenter un de ses chefs-d'oeuvre, Kontakthof. Pour la première fois dans l'histoire du ballet, les interprètes parlent entre deux passages dansés par des femmes en robe de soirée et des hommes en costumes de ville. Du jamais vu ! En 1983, la dame de Wuppertal est de retour avec Nelken. Peter Pabst, le scénographe de Pina, a planté des milliers d'oeillets sur le plateau. Le tout est d'une beauté irréelle. Mais la violence sous-jacente de la pièce est insupportable pour beaucoup de spectateurs. Comme si la chorégraphe nous tendait un miroir peu flatteur. Pina Bausch reviendra pour donner Café Müller puis Le Sacre du printemps sur son « tapis » de terre fraîche.

Mnouchkine et Vitez

En 1982, la papesse du théâtre prend ses quartiers d'été au palais. Ariane Mnouchkine y instille l'esprit du Théâtre du Soleil, son sens de l'image, du geste, du mot et cette énergie qui, aujourd'hui encore, enflamme toutes les générations… La cour devient un gigantesque coeur battant. Elle revisite Shakespeare - Richard IILa Nuit des rois, puis Henri IV, lors de son retour en 1984 -, déployant son théâtre universel. Une esthétique sang et or, puisant dans la culture asiatique, qui propulse les pièces du grand Will dans un ailleurs cosmique.

Autre génie de la mise en scène, Antoine Vitez écrit une des plus belles légendes d'Avignon : «Le Soulier de satin», de Paul Claudel, avec Ludmila Mikaël et Didier Sandre.

En 1987, un autre génie de la scène écrit une des plus belles légendes d'Avignon. Antoine Vitez, à l'invitation du directeur de l'époque, Alain Crombecque, met en scène l'intégrale du Soulier de Satin, embarquant les spectateurs jusqu'au bout de la nuit. Vitez déploie la pièce fleuve de Claudel sur une scène bleu océan, qui se peuple de quelques objets symboliques, figures de proues géantes ou bateaux miniatures. Ludmila Mikaël et Didier Sandre dans les rôles des amants désunis du siècle d'or font pleurer les pierres.

Longtemps rétif au théâtre plein air, Patrice Chéreau relève néanmoins le défi de la cour, un an plus tard, avec sa relecture flamboyante de Hamlet. Le héros de Shakespeare est campé avec superbe par un Gérard Desarthe irradiant le désespoir et surfant sur la folie. La scène, recouverte d'une surprenante marqueterie mouvante imaginée par Richard Peduzzi, le cheval au trot surgissant des entrailles du palais resteront pour toujours gravés dans les mémoires.

 

Vingt ans plus tard, changement de paradigme. En 2008, sous l'égide d'un duo de jeunes directeurs avant-gardistes, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, le metteur en scène plasticien fantasque Romeo Castellucci convoque L'Enfer, de Dante, dans la cour. Avec ses chiens sauvages déchaînés et son acteur-acrobate escaladant le mur du palais des Papes, Inferno est un tremblement de terre esthétique. L'image-choc, la performance, le chamboulement   sensoriel et psychique l'emportent sur la primauté du texte.

 

 

C'est pourtant le même duo qui va faire appel, en 2009, au prolifique auteur et metteur en scène d'origine libanaise, Wajdi Mouawad, pour une nouvelle aventure au long cours : Le sang des promesses. Pendant onze heures s'enchaînent ses trois pièces ardentes, LittoralIncendies et Forêts, qui mettent en scène la guerre au Moyen-Orient et en Europe, les drames et les secrets de familles. Le texte fait son grand retour dans la cour, mêlant avec audace la narration contemporaine et la tragédie antique.

 

En 2012, le maître britannique Simon McBurney fait imploser littéralement le cour d'honneur avec sa superbe adaptation du roman de Boulgakov, Le Maître et Marguerite. Cette fable diabolique qui nous entraîne du Moscou de l'époque soviétique à l'antique Jérusalem donne matière à un spectacle total, usant à la fois des artifices classiques du théâtre et de la technologie dernier cri. Grâce à la vidéo, McBurney simule au final l'effondrement du mur du palais, avant de propulser son héroïne dans les étoiles. Cap vers le futur…

 

Un chorégraphe conceptuel, Jérôme Bel, est invité en 2013, mais pour un singulier pas de côté. Dans Cour d'honneur, étonnante mise en abîme du festival, des spectateurs, choisis après un casting, racontent leurs souvenirs forgés par le lieu et les artistes qui l'ont habité. D'Antoine Le Ménestrel, reprenant la scène d'anthologie d'Inferno et grimpant aux murs du palais, à Isabelle Huppert, présente en vidéo, ou au danseur Samuel Lefeuvre, Jérôme Bel convoque non pas des fantômes mais une mémoire à vif.

 

 

Légende photo : Gérard Philipe, inoubliable dans «Le Prince de Hombourg» de Kleist, mise en scène de Jean Vilar, présentée dans la cour honneur au 5e Festival d'Avignon, en 1951.©Benno Graziani/Photo12

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June 25, 2024 6:47 AM
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Léo Cohen-Paperman : «La représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre politique et populaire» 

Léo Cohen-Paperman : «La représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre politique et populaire»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gilles Renault dans Libération - 20 juin 2024

 

Fasciné par «ces visages que nous avons en partage», le metteur en scène déroule dans «Huit Rois (nos présidents)» une saga sur les chefs de l’Etat de la Ve République, dont les trois premiers chapitres sont donnés au Théâtre 13 à Paris.

 

 

Etalé sur une dizaine d’années, c’est un chantier artistique qui percute le tumulte sociopolitique dans lequel le pays n’en finit plus de s’enfoncer. Dès 2019, l’auteur et metteur en scène Léo Cohen-Paperman met en branle la saga Huit Rois (nos présidents) qui, sous forme d’épisodes distincts, évoque tous les chefs d’Etat de la Ve République, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron.

D’une facture et d’un intérêt variables, les trois premiers chapitres sont actuellement réunis au Théâtre 13 à Paris : «la Vie et la Mort de Jacques Chirac, roi des Français», traité sous la forme déconcertante d’une enquête onirique (qui reviendra début septembre au théâtre du Petit Saint-Martin à Paris), «Génération Mitterrand», dissection plus sobrement maîtrisée d’une époque basculant de l’euphorie à la désillusion et, dernier en date, «le Dîner chez les Français», farce giscardienne qui chercherait une issue improbable entre les Bodin’s et les Chiens de Navarre.

Entretien avec Léo Cohen-Paperman qui, au même titre que son homologue et ami Hugues Duchêne (Je m’en vais mais l’Etat demeure, l’Abolition des privilèges), a délibérément choisi d’utiliser la politique comme matière première de ses créations.

 

Qu’aviez-vous en tête en amorçant ce projet ?

 

«Les morts gouvernent les vivants» disait Auguste Comte – ou quelque chose comme ça, je n’ai pas vérifié la citation [elle est bien attribuée au philosophe, ndlr]. Le point de départ de la série est intime : mon père, Philippe Cohen, journaliste politique, est décédé en 2013. Faire cette série, c’est poursuivre un dialogue avec lui, le «doux échange de sentiments et d’idées» dont parlait toujours Comte. Ensuite, et c’est le plus important, il y a dès 2019 l’intuition que la représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre à la fois politique et populaire, parce que ces «rois» sont des visages que nous avons tous en partage – que nous les adorions ou abhorrions. Sachant que pour en faire de vrais personnages de théâtre, humains, fragiles, sincères, il ne faut pas s’arrêter à l’indignation. Au contraire, même : écrire sur le pouvoir exige d’arriver à les aimer tous, même ceux qui peuvent apparaître comme les plus vils.

Pourquoi appeler «rois» tous ces élus au suffrage universel ?

Le titre de la série m’est venu d’une anecdote. De Gaulle, en finissant de conceptualiser avec Michel Debré la Constitution de la Ve République aurait dit : «J’ai résolu un problème de cent-cinquante ans.» J’aime beaucoup cette histoire, dont je n’ai pas vérifié la véracité, car elle raconte la nécessité (en tout cas, du point de vue de De Gaulle), pour trouver un régime stable (les IIIe et IVe Républiques avaient mené le pays à la capitulation de 1940 et à la guerre d’Algérie), de faire la synthèse entre les idéaux et acquis démocratiques issus de la Révolution française… et les mille ans de régime monarchique qu’avait connus la France. Donc l’utilisation du mot «roi» dit aussi ce besoin très national et ancré historiquement d’un pouvoir qui s’exerce par incarnation et non par délégation.

 

Pourquoi ne pas avoir opté pour la simplicité d’un agencement chronologique ?

 

C’est totalement inconscient mais si je devais justifier l’ordre dans lequel nous avons créé les spectacles, je dirais ceci : «Chirac», c’est notre enfance. Nous sommes nés à la fin des années 80, quand il est élu en 1995, j’ai 7 ans, forcément, ça marque. Ensuite, «Mitterrand» était une réponse à «Chirac», dans la forme (moins d’incarnation, plus de sobriété) comme dans le fond (une pièce plus directement politique). Enfin, avec «Giscard», nous voulions remonter à l’origine de la crise structurelle qui a frappé la France depuis la fin des Trente Glorieuses.

 

Qui vous a donné – ou pourrait vous donner – le plus de fil à retordre ?

 

La difficulté réside partout, dans la représentation de chaque président. Prenons ceux que nous n’avons pas encore créés : De Gaulle, c’est le fondateur, le mythe, comment traduire son souffle, et son ombre imposante ? Pompidou disait : «Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, je souhaiterais que les historiens n’aient pas grand-chose à dire sur mon mandat» [la formule a été choisie pour être son épitaphe, ndlr.] A priori, ce n’est pas très engageant pour imaginer un spectacle. Sarkozy et Hollande sont clivants car ils appartiennent encore à notre actualité. Macron, n’en parlons pas, surtout dans le contexte actuel.

 

Avec Julien Campani, quand nous écrivons, nous essayons de regarder ces «rois» en face. Cela veut dire que nous tentons de leur donner une humanité, une fragilité… Qui ne nous empêchent pas d’être abasourdis devant le cynisme et la rouerie qui leur sont propres. Pour vouloir incarner la France, il faut un immense désir complètement fou qui conduit parfois à trahir ses amis, ses promesses, soi-même… En tant qu’artisans de théâtre, nous cherchons à faire vivre des personnages et des situations en faisant le pari, jamais simple, d’une humanité inaliénable, même au sommet du pouvoir, là où l’air est souvent irrespirable.

 

D’où la nécessité de faire la part des choses entre l’homme et les idées – comme chez Giscard, perçu comme fat mais qui a su prendre des décisions inattendues, voire courageuses ?

 

Oui, là encore, c’est tout le mystère de ce pouvoir français qui comporte parfois – souvent – une dimension sacrificielle. Nous avons ainsi constaté une disproportion entre la haine suscitée par VGE et la densité de son action politique. Pour saisir la détestation que lui vouèrent les Français, il faut parvenir à comprendre la mentalité d’une époque, le désir d’alternance… Mais aussi, encore une fois, la nature d’un pouvoir monarco-républicain : l’exercer en l’incarnant, c’est accepter une charge étrange à laquelle seul Pompidou, mort pendant son mandat, a échappé, [celle de] l’homme providentiel. Le président devient nécessairement bouc émissaire.

 

Pensée comme une saga en huit chapitres, la série pourrait-elle un jour en comporter un neuvième, où il serait question d’une reine ?

 

Mon objectif est de finir en 2027, avec la fin du second mandat d’Emmanuel Macron. Peut-être qu’au soir du second tour, nous proposerons une petite forme de vingt minutes sur le prochain président, ou la prochaine. L’histoire a ceci de fâcheux qu’elle nous réserve souvent des surprises ! Mais pour citer Claudel, «le pire n’est pas toujours sûr.»

Huit Rois (nos présidents), de Léo Cohen-Paperman, épisodes 1, 2 et 3, au Théâtre 13/Glacière (75013), jusqu’au 29 juin.
Légende photo :  L'épisode «Génération Mitterrand» est une dissection sobrement maîtrisée d’une époque basculant de l’euphorie à la désillusion. (Pauline Le Goff)
 
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June 21, 2024 1:14 PM
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Julien Gosselin, nommé à la tête du Théâtre national de l’Odéon-Théâtre de l’Europe

Julien Gosselin, nommé à la tête du Théâtre national de l’Odéon-Théâtre de l’Europe | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Joëlle Gayot dans Le Monde, publié le 21 juin 2024

 

Le metteur en scène de 37 ans, adepte des «chocs  esthétiques », succédera le 15 juillet à Stéphane Braunschweig à la direction de la scène parisienne.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/21/julien-gosselin-nomme-a-la-tete-du-theatre-national-de-l-odeon-theatre-de-l-europe_6242144_3246.html

 

La nouvelle est tombée le vendredi 21 juin : le metteur en scène Julien Gosselin prendra, à partir du 15 juillet, la direction du Théâtre national de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris. Nommé pour un mandat de cinq ans, sur proposition de la ministre de la culture, Rachida Dati, et sur décision du président de la République, cet artiste puissant, né en 1987, s’est formé au sein de l’école de théâtre du Centre dramatique de Lille, où il a cofondé, dès la fin de ses études, la compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur. Révélé en 2013 au Festival d’Avignon avec la création hilarante et cynique des Particules élémentaires, d’après le roman de Michel Houellebecq, il s’est d’emblée affirmé comme l’un des metteurs en scène les plus enthousiasmants de sa génération.

 

 

Julien Gosselin conçoit des spectacles uppercuts qui immergent le public dans des traversées au long cours. Vidéos, musiques, jeu pulsionnel, exacerbation des passions, corps-à-corps avec la part monstrueuse de l’humain, ses représentations, le plus souvent adaptées de romans-fleuves, laissent rarement indifférent. Le dernier spectacle en date, Extinction (créé à Montpellier en juin 2023), revenait aux sources maléfiques du nazisme à travers une exploration des œuvres de Thomas Bernhard et d’Arthur Schnitzler.

 

 

 

Ce propagateur de « chocs esthétiques » (la formule est de lui) succède à Stéphane Braunschweig, qui, en janvier, a renoncé à se présenter pour un troisième et dernier mandat à la tête de la maison. « Je n’avais plus les moyens de mener à bien mon projet artistique », avait-il alors déclaré au Monde, en déplorant le soutien insuffisant de ses tutelles alors que les caisses du théâtre étaient de plus en plus asséchées.

Préféré à Thomas Jolly

Placé sous la coupe directe du ministère des finances, l’Odéon bénéficiera-t-il du coup de pouce financier que réclamait, en vain, son ancien directeur ? Pour l’instant, Julien Gosselin ne souhaite pas s’exprimer. « Je suis très heureux, a-t-il fait savoir au “Monde”, mais avant de répondre aux demandes d’interview, je veux d’abord parler avec les équipes du théâtre. »

 
L’annonce de sa nomination clôt six mois d’incertitudes et de rumeurs qui sont allées bon train. Préféré à Thomas Jolly (dont le nom revenait avec insistance), Julien Gosselin prend en charge un théâtre aussi fragile économiquement qu’il est exemplaire artistiquement. Il arrive par ailleurs dans une maison qu’il connaît bien pour y avoir présenté quatre de ses spectacles : Les Particules élémentaires, en 2014 ; 2666, d’après Roberto Bolano, en 2016 ; Joueurs, Mao II, Les Noms, d’après Don DeLillo, en 2018 ; Le Passé, d’après Leonid Andreïev, en 2021.

 

 

Son projet, précise le communiqué de presse du ministère, « s’inscrit dans une approche résolument tournée vers l’Europe et vers la création, sous toutes ses formes ». Ouverture aux artistes du monde entier, à des concerts, des conférences, ouverture également aux étudiants en théâtre, rencontres avec des personnalités du monde artistique et intellectuel : la note d’intention est encore à l’état de promesses. Reste à savoir si ces dernières pourront se concrétiser alors que le théâtre de service public clame, depuis des mois, les difficultés financières extrêmes dans lesquelles il se trouve. Et que la France traverse une crise politique sans précédent. Cela fait longtemps que Julien Gosselin souhaitait assumer une direction. Il vient enfin de l’obtenir.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

 

Légende photo : Julien Gosselin à Lille, en 2013. PHILIPPE HUGUEN/AFP

 

 

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June 20, 2024 5:44 PM
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Le RN et la culture (1/4) : à Perpignan, «les artistes évoluent dans un climat de méfiance» 

Le RN et la culture (1/4) : à Perpignan, «les artistes évoluent dans un climat de méfiance»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sarah Finger, correspondante à Montpellier, publié par Libération  le 17 juin 2024

 

 

Passage en force à la tête de la scène nationale, invitation de personnalités de droite dure, événement nostalgique de l’Algérie française… dans la ville dirigée depuis quatre ans par Louis Aliot, les acteurs de la culture dénoncent une politique culturelle favorisant le «repli sur soi».

 
 
 

Après une plongée au cœur de la commission culture de l’Assemblée nationale, où siégeaient 11 députés RN, Libé s’est intéressé aux politiques culturelles menées localement par le RN. Première étape à Perpignan (Pyrénées-Orientales), avant Villers-Cotterêts (Aisne), Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais) et la région Grand Est.

 

 

«Perpignan la rayonnante» : voilà le slogan choisi par l’équipe de Louis Aliot, patron RN de la ville depuis quatre ans. L’un des derniers «événements» en date en dit long sur les initiatives choisies par la mairie pour «rayonner». Début mai, un «Printemps de la liberté d’expression» donnait en effet la parole à quelques   «personnalités éloquentes», au rang desquelles Henri Guaino, ancienne plume de Sarkozy, le professeur Henri Joyeux, interdit d’exercice pour des propos antivax, ou encore l’identitaire octogénaire Alain de Benoist, ancien phare de la «Nouvelle Droite».

 

Quelques semaines plus tôt, une expo photo organisée par la ville et le Cercle algérianiste de Perpignan dressait un parallèle entre les méthodes et la stratégie du FLN et celles du Hamas. Son titre : «Soixante ans après, l’histoire se répète.» Côte à côte, des clichés des victimes du 7 octobre et de la guerre d’Algérie.

«Refaire l’histoire à sa sauce»

De telles propositions ne peuvent qu’attiser les tensions entre les décideurs locaux, les acteurs culturels et les élus d’autres collectivités. «La mairie de Perpignan nous a sollicités pour le financement de projets culturels qu’à une seule reprise, dans le cadre d’une exposition de ce Cercle algérianiste qui veut refaire l’histoire à sa sauce et défend des contre-vérités. Nous n’avons pas donné suite», se souvient Hermeline Malherbe, présidente (PS) du département des Pyrénées-Orientales. Scène nationale de Perpignan, le Théâtre de l’Archipel fut dès 2021 au cœur des tensions, tandis que le directeur barcelonais Borja Sitjà était débarqué sans ménagement. Les tractations autour de sa succession ont perduré de longs mois. Le ministère de la Culture a finalement donné son feu vert, il y a un an, à la nomination de Jackie Surjus-Collet, soutenue par la mairie, à l’issue d’une «mission flash» de l’Inspection générale des affaires culturelles, tout en rappelant que son projet avait été retenu dans un «contexte inédit», «sans faire consensus».

 

«Perpignan n’a pas de politique culturelle claire, lisible et élaborée, analyse Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie. La proposition se limite à des animations, de la communication événementielle, sans projet culturel.» Certes, souligne l’élue, «les dotations municipales se sont maintenues pour les opérateurs les plus visibles». «Mais on est dans le folklore caricatural et commercial, sans aucune offre d’envergure, sans innovation», enchaîne Benjamin Barou-Crossman, metteur en scène et directeur de la compagnie TBNTB. Lui-même travaille depuis 2020 dans les quartiers prioritaires de Perpignan, notamment avec la communauté gitane. Or ce comédien estime que «la proposition culturelle de Perpignan a plutôt renforcé le repli sur soi et même l’entre-soi. Pourtant il y avait matière à impliquer et à mettre en avant les artistes de ce territoire riche en talents».

«On est sur le qui-vive»

«A Perpignan, les artistes évoluent dans un climat de méfiance,  confie un acteur culturel qui préfère rester anonyme. On est sur le qui-vive, la corde raide, dans la peur d’être convoqué et privé de subventions. La ville veut rester aux manettes, et André Bonet, l’omniprésent adjoint à la culture, fait la pluie et le beau temps.» 

 

Autre personnage incontournable : Véronique Lopez, épouse de Louis Aliot et artiste peintre connue sous le nom de Vebeca. «Je m’implique beaucoup dans la vie culturelle de ma ville, grâce à mon mari», déclarait-elle en mai dernier lors de son exposition parisienne à la Galerie 104. «L’épouse de Louis Aliot occupe le poste de directrice de la communication par intérim, sans avoir été recrutée, depuis trois ans !» s’étranglent Bob Aïcha et Bénédicte Vincent, secrétaires généraux du syndicat SUD collectivités territoriales dans les Pyrénées-Orientales.

 

 

De son côté, André Bonet souligne que «le budget de la culture est le deuxième en termes de masse après l’éducation, et représente plus de 25 millions d’euros». Et de citer la construction d’une médiathèque annexe dans un quartier prioritaire dont l’ouverture est prévue fin 2025, la création du festival «les Méditerranée(s)» qui «regroupe un grand nombre d’événements autour d’un pays invité», ou encore le projet d’une école municipale des beaux-arts qui devrait ouvrir en septembre 2025. «Les relations avec l’Etat, et en particulier avec le représentant du ministère de la Culture en région, sont constructives et loyales», ajoute André Bonet. Quoi qu’il en soit, un chiffre rappelle la réalité politique perpignanaise : les 37% obtenus par le RN lors des européennes.

 
 
Légende photo : Louis Aliot, maire RN de Perpignan, le 2 septembre 2023, lors de l'inauguration du festival de photojournalisme Visa pour l'image. (Jc Milhet/Jc Milhet)
 
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June 20, 2024 11:22 AM
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Jean-Christophe Meurisse, réalisateur : "Ce que j’aime au cinéma, ce sont les conversations ennuyeuses"

Jean-Christophe Meurisse, réalisateur : "Ce que j’aime au cinéma, ce sont les conversations ennuyeuses" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Entretien radiophonique sur France Culture,  émission Les midis de Culture, par Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux. Diffusé le 20 juin 2024

 

Il fondait en 2005 un collectif mordu de théâtre et d'humour, Les Chiens de Navarre. Il poursuit aujourd'hui son projet corrosif, mêlant improvisation et absurde, et présente son troisième film, "Les Pistolets en plastique".

 

Ecouter l'entretien sur le site de France Culture (37 mn)

 

 

 

Notre invité est metteur en scène des Chiens de Navarre, aujourd'hui réalisateur à la rubrique des chiens écrasés. Son troisième film, Les Pistolets en plastique, en salles le 26 juin, accroche d'abord par son titre. Mais pourquoi des pistolets en plastiques ?

 

 

Pour dire d'abord que les héros de l’histoire - des enquêtrices amateurs, un misogyne fan de country, un profileur lymphatiques - n’ont rien ce sérieux ; qu’ils ressemblent à des enfants qui jouent sur des scènes de crime. Pour rappeler surtout que l’un des faits divers les plus marquants de ces dernières années, l’affaire Dupont de Ligonnès, est devenu une histoire que l’on se raconte pour se faire peur. Car tout tourne autour de cette affaire et de notre fascination pour le mal.

 

"On m’a demandé dans l’urgence de trouver un titre, et j’ai un rapport assez obsessionnel aux titres. En parcourant le scénario avec la scénariste Amélie Philippe, on est tombés sur ce terme de 'pistolets en plastique', et on s’est dit que ça sonnait vraiment bien !"

On n'échappe pas non plus à cette affiche, accrocheuse, arborant le visage de Xavier Dupont de Ligonnès vieilli : "ce serait quasiment son visage aujourd’hui. C’est aussi un moyen de le débusquer : peut-être qu’il va porter plainte contre moi, et que j’aurai arrêté Xavier Dupont de Ligonnès avec un film !"

Trouver le monstre pour en rire

Plus qu'une enquête barrée sur un fugitif, le film raconte notre fascination pour les monstres avec les personnages de Léa et Christine, symboles de notre curiosité morbide. "C'est une façon de parler à nos propres monstres, de ne pas passer à l’acte. Léa et Christine sont une parabole symbolique : elles sont à l'image de nous tous, lecteurs du numéro spécial du magazine Society sur Xavier Dupont de Ligonnès. Cette fascination là est à interroger. Il y a plus de fans de l’histoire de Ligonnès que d’électeurs de Macron !"

Pour Jean-Christophe Meurisse, c’est aussi la mission du cinéma que de jouir du mal pour l'évacuer : "plus on montre le mal, la violence, les méchants, moins il y en aura dehors. Je crois à cette mission du cinéma. Parce que l’on vit les choses par procuration avec notre imaginaire, et quand on sort de la séance, on se dit : ‘Ce n’est pas moins, ma vie est belle, je ne suis pas un monstre’. »

Sans prendre tout à fait à la légère le fait divers dont il s'inspire, le réalisateur puise surtout dans le registre du mal pour déployer un rire salvateur. "Je crois aux vertus, à la puissance sauvage du rire. C’est notre fusible. J’ai trouvé cela chez Beckett, qui disait que face au pire, il nous reste le rire. C’est mon angle à moi d’opter pour ce rire de résistance."

Le goût pour les conversations ordinaires

Meurisse a aussi un goût prononcé pour les conversations banales, qu’il veut restituer sans les rendre ennuyeuses. "L’ordinaire dans les dialogues de cinéma ou de théâtre, c’est d’entendre des mots qu’on entendrait pas dans un texte qu’on écrirait, comme 'Mobalpa'. Le choix des mots est un choix d’images, qui nous renvoie aux problèmes d’aujourd’hui."

 

 

Pour un ennui de qualité, il faut laisser de la liberté aux acteurs. "C’est un processus qui consiste à laisser improviser les acteurs pour qu’ils s’emparent des scènes, et que cela émane d’eux. C’est par l’inconscient qu’arrivent les mots d’aujourd’hui."

Extraits sonores :

  • Bande annonce du film Les Pistolets en plastique, réalisé par Jean-Christophe Meurisse
  • Extrait de la pièce Quand je pense qu'on va vieillir ensemble, avec la compagnie des Chiens de Navarre, au Théâtre de Dijon, en avril 2014
  • Archive de Quentin Tarantino, sur France 2, le 26/10/1994
  • Chanson de fin : Blood Orange, de Holiday Ghosts
 

 

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June 20, 2024 7:29 AM
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Déclaration du 19 juin 2024

Déclaration du 19 juin 2024 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Texte publié sur le site de l'ACDN : Association des Centres dramatiques nationaux, le 19 juin 2024 

 

La crise politique décisive que nous traversons ne tombe pas du ciel. Elle survient au terme d’une lente dégradation des services publics de notre pays, qui a provoqué un sentiment d’abandon et d’injustice dans des couches toujours plus larges de la population, sur lequel l’extrême-droite capitalise aujourd’hui. Cette dégradation relève d’une stratégie au long cours : réduire les moyens accordés au secteur public par différents leviers et, en parallèle, soutenir les offres, arguments et outils d’évaluation émanant du secteur privé et de sa logique de rentabilité ; laisser opérer cette forme discrète et efficace de mise en concurrence, tout en assurant aux citoyen.ne.s qu’on ne détruit rien, qu’on améliore le modèle, qu’on continue d’ailleurs à soutenir les lieux de culture, de soin, d’éducation, de recherche, de solidarité, pendant que s’accélère la mise en rivalité de tous contre tous, l’épuisement des forces, le transfert des compétences et de l’argent vers des intérêts privés. Jusqu’au jour où, la limite étant atteinte, le « dérapage » des comptes publics fait passer les réductions budgétaires pour une douloureuse nécessité. Cette guerre d’usure menée depuis quarante ans par les politiques néolibérales contre l’ensemble des services publics a progressivement franchi des seuils devenus critiques pour les outils de la collectivité et les principes de solidarité dont ils sont issus. Elle a favorisé la montée d’une extrême-droite qui l’utilise régulièrement comme argument électoral mais qui, lorsqu’elle prend le pouvoir, poursuit la même entreprise doublée d’une idéologie discriminatoire, comme maints exemples historiques et contemporains en attestent.

Depuis quelques années, dans le secteur public de l’art et de la culture, on entend monter la petite musique de l’évaluation, des oppositions grossières et démagogiques entre populaire et élitiste, ruralité et métropoles, lieux d’art et industries culturelles et créatives, entre local et international… Le refrain change tous les six mois, au rythme des appels à projets et des enjeux électoraux, pour aboutir enfin à des coupes budgétaires d’une brutalité inédite. Ces coupes mettent en péril la création et la production de centaines d’œuvres, la vie matérielle de milliers d’artistes et de compagnies, la mission de lieux de service public inventant au long cours des programmes accessibles d’ateliers et de rencontres avec les habitant.e.s, des représentations dans des établissements publics, dans des villages, des banlieues, des quartiers excentrés.

On entend dire que le modèle est en crise… Nous, artistes de théâtre qui avons travaillé en compagnies indépendantes soutenues par des partenaires publics, nous qui avons pris la responsabilité de diriger ces maisons de fabrique et de création que sont les Centres dramatiques nationaux, afin de pouvoir accompagner des œuvres et du public sur d’autres chemins que ceux de la consommation rapide, de la loi du marché et des applaudimètres, nous qui constatons jour après jour le retour en force et en nombre d’un public concerné et de vocations déterminées, nous pensons aussi qu’un modèle est en crise : celui qui croit aux noces du profit personnel et de l’intérêt général, du mercenariat et du bien commun. Certes, ce modèle est en train de produire sa Culture. Il produit ses événements, ses têtes d’affiche, sa tarification à l’acte. Il mesure l’art à son efficacité immédiate en termes de pansement social et de rentabilité économique. Il soumet toute formation à la logique de la sélection et de l’employabilité. Il se paie cher et enrichit ceux qui savent en profiter : l’industrie du spectacle et le secteur privé. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous contenter de défendre la ligne d’un service public devenu la cible avouée d’un néolibéralisme sourd, il nous faut affirmer que c’est précisément ce modèle et ces tendances dont nous sommes les adversaires, y compris dans nos propres pratiques.

En conséquence, les artistes directeur.ices des Centres dramatiques nationaux :

1. Déclarent leur solidarité avec l’ensemble des services publics, des travailleurs et travailleuses, des usagers et usagères qui subissent les conséquences de leur dégradation et risquent de subir demain les effets de politiques discriminatoires.

2. Demandent que les conditions d’exercice de l’art et de toutes les pratiques afférentes, notamment de transmission et d’éducation artistique, soient garanties selon des principes d’indépendance, d’égalité, de diversité et de liberté d’expression dignes d’une démocratie.

3. Demandent que le modèle singulier que constituent les Centres dramatiques nationaux au sein des théâtres publics français issus du mouvement de décentralisation, et dirigés par des artistes, soit réaffirmé dans ses missions principales de création, de production, de recherche, de transmission, d’éducation artistique et culturelle ; et que ses outils, métiers artistiques et techniques, au service des œuvres et des publics, soient garantis par une politique publique pérenne.

4. S’engagent à agir, au sein des théâtres qu’ils dirigent, pour la continuité des principes fondamentaux qui ont présidé à leur existence : la création d’œuvres d’art et de pensée libres et exigeantes en même temps que le partage avec le plus grand nombre et avec tous les publics, sans discrimination. Et demandent que soient considérées les temporalités et moyens nécessaires à ce double engagement : le temps long de la recherche et de la création comme celui de la transmission et de la rencontre des publics ; l’accompagnement digne et adapté des processus singuliers engagés par les artistes, dans toute leur diversité et leur pluralité.

5. Demandent que soient revus en conséquence les critères d’évaluation et de soutien appliqués aux compagnies indépendantes, aux Centres Dramatiques Nationaux et aux théâtres publics. La portée de leurs missions ne se mesure pas seulement à un acte d’achat (d’un spectacle pour un lieu, d’un billet pour un public) ni à des taux de remplissage ponctuels. Elles engagent le partage des œuvres et des pratiques dans une vision durable. C’est cette durabilité qui doit être soutenue financièrement, en limitant la multiplication des appels à projet (artistiques ou éducatifs) au profit de conventions, non seulement d’objectifs mais de moyens, pour les théâtres comme pour les compagnies.

6. Rappellent que les subventions qu’ils reçoivent (dites de complément de prix) ont pour fonction de réduire le prix de leurs billets, bien en-dessous des coûts de réalisation des spectacles, et qu’à l’année, le prix moyen d’une place est souvent inférieur à 10 €. Que ce sont donc les citoyen.nes qui garantissent, en tant que contribuables, l’existence de services publics de l’art et de la culture accessibles financièrement au plus grand nombre, et non intégralement soumis au jeu de l’offre et de la demande qui régit le secteur privé, ses impératifs de rentabilité et ses tarifs. Que cette mission de service public doit donc être soutenue par une politique fiscale plus solidaire et une politique de redistribution qui a pour vocation, non de garantir les marges du secteur industriel et privé qui bénéficie de 160 milliards d’aide publique, mais de pérenniser les outils de la collectivité mis aujourd’hui sous l’étouffoir (budget du Ministère de la Culture : 4,4 milliards, soit 0,57 % du budget de l’État), en indexant a minima le montant des subventions sur le taux de l’inflation.

7. Refusent de jouer le rôle de fossoyeurs que la limitation de leurs moyens veut leur faire tenir, aussi bien à l’endroit des compagnies indépendantes que des emplois permanents, refusent également l’opposition démagogique entre ces deux catégories, et affirment que, contrairement à ce que le discours dominant soutient, il n’y a pas trop d’artistes, il n’y a pas trop d’emplois permanents, il n’y a simplement pas assez d’argent pour tenir structurellement le juste équilibre et la répartition qui devrait accorder a minima autant de moyens aux uns et aux autres, comme il est préconisé dans nos cahiers des charges. Et demandent un refinancement qui permette de répondre à ces préconisations, au profit de la production artistique et des artistes.

8. Demandent que soit considérée l’importance de l’art et des formes d’expérience partagée qu’il crée dans une société dont les lignes de fractures ne cessent de se creuser, que soit pensés en conséquence le rôle des artistes dans les espaces communs de la société et leur présence non seulement dans les lieux de théâtre public, mais aussi dans les lieux de formation, d’éducation, de soin.

9. Déclarent leur engagement auprès de toutes les jeunesses dans la découverte des œuvres et l’enseignement de la pratique artistique et exigent que cette transmission de l’art soit un lieu d’expériences, de tentatives et d’émancipation par la pratique collective, l’ouverture au monde et la rencontre de soi par l’autre, opposé à l’esprit de performance, de compétition ou de normalisation autoritaire.

10. S’engagent à travailler avec tous les autres lieux et compagnies de théâtre public pour le développement de modèles complémentaires, coopératifs et solidaires qui favorisent l’emploi artistique, la prise de risque en matière de création et redonnent à chacun accès à la dignité et au sens de ses actions.

11. Soutiennent que tout projet artistique porte en lui un projet de société. Et qu’un service public de l’art et de la culture, opposé en tous points aux logiques marchandes comme au repli identitaire promu par les politiques d’extrême droite, doit être fondé et soutenu selon les principes démocratiques et émancipateurs qui ont fait l’histoire de la décentralisation théâtrale.

 

Les artistes directeur.ices des Centres dramatiques nationaux :

Pauline Bayle, Théâtre Public de Montreuil – CDN
Fréderic Bélier-Garcia, La Commune – CDN d’Aubervilliers
Jean Bellorini, Théâtre National Populaire
Lucie Berelowitsch, Le Préau – CDN de Normandie-Vire
Brice Berthoud, CDN de Normandie-Rouen
David Bobée, Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France

Émilie Capliez, La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
Matthieu Cruciani, La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
Chloé Dabert, La Comédie – CDN de Reims
Pascale Daniel-Lacombe, Le Méta – CDN Poitiers Nouvelle-Aquitaine

Fanny de Chaillé, TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine

Simon Delétang, Théâtre de Lorient CDN
Julie Deliquet, Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis
Nasser Djemaï, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne

Marcial Di Fonzo Bo, Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Aurore Fattier, La Comédie de Caen – CDN de Normandie
Nathalie Garraud, Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier
Cédric Gourmelon, La Comédie de Béthune, CDN Hauts-de-France
Kaori Ito, TJP – CDN Strasbourg-Grand Est
Daniel Jeanneteau, T2G – Théâtre de Gennevilliers
Marc Lainé, La Comédie de Valence – CDN Drôme Ardèche
Benoît Lambert, La Comédie de Saint-Etienne
Olivier Letellier, Les Tréteaux de France – CDN itinérant
Joris Mathieu, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon
Muriel Mayette-Holtz, Théâtre National de Nice – CDN Nice Côte d’Azur

Tommy Milliot, Nouveau Théâtre Besançon
Arthur Nauzyciel, Théâtre National de Bretagne
Maëlle Poésy, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
Christophe Rauck, Théâtre de Nanterre-Amandiers
Robin Renucci, La Criée – Théâtre national de Marseille
Olivier Saccomano, Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier
Abdelwaheb Sefsaf, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN
Galin Stoev, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
Carole Thibaut, Théâtre des Îlets – CDN Montluçon Auvergne-Rhône-Alpes

Alexandra Tobelaim, NEST – CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est

Camille Trouvé, CDN de Normandie-Rouen
Aurélie Van Den Daele, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin
Bérangère Vantusso, Théâtre Olympia – CDN de Tours
Julia Vidit, Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy Lorraine

 

le site de l'ACDN  https://www.asso-acdn.fr/

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June 19, 2024 5:12 AM
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Paris 2024 : avec le metteur en scène Thomas Jolly, dans les coulisses du spectacle dansé lors des cérémonies des JO

Paris 2024 : avec le metteur en scène Thomas Jolly, dans les coulisses du spectacle dansé lors des cérémonies des JO | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Carpentier dans Le Monde, le 18 juin 2024

 

Avec la chorégraphe Maud Le Pladec, le directeur artistique orchestre, à Saint-Denis, les répétitions de la représentation qui doit être donnée sur les berges et les ponts de la Seine, le 26 juillet.

Lire l'article sur le site du "Monde" :https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/18/paris-2024-thomas-jolly-leve-un-pan-du-voile-sur-les-ceremonies-des-jeux-olympiques_6241007_3246.html

« Je ne vous cache pas que je passe des nuits où j’angoisse un peu… Et aussi des jours. » Le jour – le 7 juin – où l’on rencontre Thomas Jolly, l’homme choisi il y a deux ans pour organiser les cérémonies des Jeux olympiques de Paris 2024, l’Assemblée nationale n’a pas encore été dissoute. On imagine que, depuis, ses nuits ne sont guère meilleures. La perspective de retrouver, côte à côte à la tribune, le président de la République, Emmanuel Macron, la maire (socialiste) de Paris, Anne Hidalgo, et un premier ministre issu du Rassemblement national, n’est plus une chimère inenvisageable.

 
 

Mais, pour l’heure, le metteur en scène qui a le vent en poupe (la rumeur le donne comme l’un des favoris pour l’Odéon-Théâtre de l’Europe à la rentrée) a d’autres questions en tête. Dans un hangar de banlieue au toit en béton armé et verre, près des voies ferrées de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), il vient découvrir les premiers pas d’une chorégraphie imaginée par Maud Le Pladec sur une musique de Victor Le Masne. Satisfaction visible à son sourire anguleux.

 

Cinquante danseurs répètent les mouvements hachés et joyeux que la chorégraphe, longs cheveux châtains, paupières surlignées, visage encadré de bijoux argentés, ongles à l’identique, sur un survêtement noir aux trois bandes blanches, vient de leur montrer. C’est populaire et contemporain à la fois. Quelques minutes seulement, mais qui suffisent à imaginer l’énergie et la synchronicité de ce qui va être donné à voir lors de la cérémonie d’ouverture sur les berges et les ponts de la Seine, tandis que, sur des bateaux, défileront les délégations d’athlètes. « Pour les JO, la danse, c’est moi, sourit Maud Le Pladec, qui dirige actuellement le Centre chorégraphique national d’Orléans avant de prendre, en 2025, la direction du ballet de Lorraine à Nancy. C’est mon ADN. [comprendre : cette énergie, cette foule compacte de danseurs] Pas un pont, pas une berge qui ne sera habitée par un événement artistique. »

« Hors du stade »

Ces cinquante performeurs ne sont en réalité qu’une partie des quatre cents qui composeront le tableau travaillé ici en « petit » comité… Quatre scènes. Dix ou douze tableaux sur les berges. Trois mille danseurs professionnels au total, d’ici et de partout, de France et d’au-delà… Une centaine de bateaux. « Un théâtre rêvé nommé Paris. Et son fleuve, s’enthousiasme la chorégraphe. Et, pour la première fois dans l’histoire des Jeux olympiques, pas dans un stade, mais hors du stade. » C’était l’idée de Thierry Reboul, le Marseillais spécialiste de l’événementiel, directeur exécutif des cérémonies, des événements et de la marque Paris 2024. Thomas Jolly, directeur artistique, y a ajouté sa patte imaginative. Alors que, traditionnellement, le show suit le défilé très protocolaire des athlètes, il a persuadé ses commanditaires de mélanger les deux. Une double première.

 

« Le show, la parade, les éléments du protocole, j’ai décidé de tout entremêler, glisse le metteur en scène habitué des spectacles gargantuesques et amateur de voies nouvelles pour escalader des sommets classiques. Faire que toute la cité danse, se synchronise. Jamais il n’y a eu de cérémonie qui ne soit pas dans un stade. Du coup, il n’y a pas de modèle. Il faut tout remettre en question en permanence. » Ses relectures de la trilogie d’Henri VI ou de Richard III de William Shakespeare ont fait date. Un Molière pour le premier, découpé en un presque feuilleton, et un sacre pour le second, dont il offre deux approches : R3m3 et L’Affaire Richard.

 

Dans le hangar de Saint-Denis flotte un parfum de secret-défense. La presse a été conviée, mais avec moult précautions : embargo, pas de caméra s’il vous plaît (sauf pour les partenaires sponsors). Il s’agit de lever un coin du voile pour appâter sans rien dévoiler, de façon à maintenir le suspense et à garder la surprise. « Je suis un coffre-fort, s’amuse-t-il, gourmand. En ce moment, je suis mi-homme, mi-coffre fort. Entendre les fantasmes des gens, moi qui sais ce qui va se passer, ça me fait souvent sourire. »

Réalités budgétaires

A la tête du Centre dramatique national d’Angers, Thomas Jolly, 42 ans aujourd’hui, en a démissionné sitôt qu’il a été nommé directeur artistique de « la cérémonie la plus populaire de tous les temps » à l’automne 2022. Il a fait venir Maud Le Pladec dans la foulée pour travailler avec lui. Les deux se connaissent depuis longtemps – depuis dix ans déjà, lorsqu’ils étaient tout deux artistes associés au Théâtre national de Bretagne, à Rennes. En 2016, lorsque Thomas Jolly monte son premier opéra, Eliogabalo, de Cavalli, pour l’Opéra de Paris, c’est déjà à Maud Le Pladec qu’il fait appel pour les parties dansées.

 

 

Lire le récit (en 2022) : Article réservé à nos abonnés Le metteur en scène Thomas Jolly démissionne de la direction du Quai à Angers
 

« Maud a une culture large de la danse », glisse-t-il en aparté, alors qu’en compagnie de Tony Estanguet, l’ancien champion de canoë-kayak et président du comité d’organisation des Jeux olympiques, il assiste – les deux hommes ne cachent pas leur plaisir – aux balbutiements du futur spectacle. « On a commencé à travailler sur les JO en décembre 2022, dit-il. La structure de la cérémonie a été posée en juin 2023. Et, depuis mars, cela devient concret. Les costumes sortent des ateliers, et l’on voit ici, pour la première fois, la danse de Maud épouser la musique composée par Victor Le Masne… »

Entre-temps, le chemin n’a pas été simple. De septembre 2023 à février, le « récit » imaginé par l’homme de théâtre avec ses trois scénaristes comme les rêves de mise en scène ont été renvoyés au purgatoire de leur faisabilité. « Je voulais construire une tour Eiffel inversée, ça, ce n’était pas possible. » Il a fallu se confronter aux réalités budgétaires (pas forcément les plus compliquées) mais aussi aux codes de l’environnement, aux règles patrimoniales, aux mesures de sécurité. Et même aux lois de la physique. « Sur l’un des ponts [il ne dira pas lequel], on voulait faire un grand ballet de deux cents danseurs. Les experts ont calculé qu’avec la résonance, les vibrations du poids des danseurs, le pont ne résisterait pas. On a dû transformer le tableau. »

 

 

De quoi faire douter ? Pas le genre du bonhomme. « Chaque spectacle que j’ai imaginé dans ma tête n’est jamais arrivé semblable à ce que j’imaginais. Non, ça ne crée pas de frustration : si une idée ne va pas jusqu’au bout, c’est qu’elle n’est pas bonne », assène-t-il. Sur le tapis de bal, Maud Le Pladec montre un nouveau pas à la bouillonnante assemblée réunie depuis une semaine dans cette salle de répétition improvisée. Au cinquième jour de répétition, étonnamment, de cette foule d’inconnus, on sent déjà émerger une troupe. Quelques pas en avant, des bras tendus, des entrelacs, un cri primal… On n’en saura pas plus. Teasing. Pour le reste, c’est : « Rendez-vous le 26 juillet. »

 

Laurent Carpentier / LE MONDE

Légende photo : Maud Le Pladec et Thomas Jolly, lors des répétitions des cérémonies des Jeux olympiques de Paris 2024 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 7 juin 2024. PARIS 2024

 

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June 18, 2024 9:07 AM
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Bourse Beaumarchais-SACD à la mise en scène théâtrale : les 7 projets lauréats

Bourse Beaumarchais-SACD à la mise en scène théâtrale : les 7 projets lauréats | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'Artcena - 12 juin 2024

 

SOUTIEN
Cette bourse permet à des metteurs en scène émergents de finaliser leur projet.

Depuis 2016, la mise en scène de théâtre fait l’objet d’une aide octroyée par l’Association Beaumarchais-SACD, qui cible particulièrement les artistes émergents (n’ayant jamais réalisé de spectacle ou bien un seul) porteurs d’un projet de mise en scène de leur propre texte ou d’un texte d’un auteur vivant francophone, ou écrivant leur mise en scène au plateau, seul ou en collectif.

Cette année, la commission Mise en scène – composée de Lucas Bonnifait, Naéma Boudoumi, Julien Fisera, Christelle Harbonn, Florence Lhermitte et Aurélie Thomas – a choisi de soutenir 7 projets :  

SUPER de Pauline Collin

 


Paula de Lucile Ribeaudeau


C’est oui ! de Louis Lubat


Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin de Juliet Darremont-Marsaud


Mon chat est queer et il aime les sextoys de Clémence Coullon

 


Une farce de Louise de Bastier


Les plaines de la calamité d’Alice Schwab


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