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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 4:39 PM
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Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 15 juillet 2019 L’Oiseau migrateur de Dorian Rossel (à partir de six ans)
Le Théâtre jeune public n’est pas en reste, au Festival, dans le in comme dans le off et il figure en bonne place dans la programmation proposée par la Suisse, avec cette pièce conjuguant simplicité et densité poétique. Sur le plateau nu, deux blocs noirs – piliers ou porte ouverte- vont bientôt se couvrir de dessins tracés en continu à la craie par le comédien et la comédienne. Avec un fil tendu, ils auront défini l’espace avant de dérouler l’histoire d’un garçonnet et d’une fillette, le temps des vacances. Une amitié enfantine et éphémère pour une aventure dans les marécages avoisinants, la rencontre avec une tortue pour l’une et un oiseau pour l’autre….
A l’aide de graffitis aux lignes épurées, produits en direct et bientôt effacés, chacun raconte sa version, d’abord en silence et en dessins, puis avec des mots. Leurs narrations se répondent comme en miroir et le décor bascule, révélant toutes les faces ornés des blocs, brouillant les pistes de ce scénario à entrées multiples. Finalement, posés dans une équilibre instable, ces éléments déconstruisent l’histoire qui finit elle aussi en suspens.
Dorian Rossel fait théâtre de tout et de rien : un sac plastique devient l’oiseau blanc qui s’envole ; des éponges créent l’univers aqueux du marais où les pas s’enfoncent dans un bruit de succion… C’est avec des adaptations, le film La Maman et la Putain et celle d’un roman Oblomov de Gontchravov que le Genevois s’était fait remarquer en 2014 au festival off. Il y revient avec deux spectacles* dont ce beau conte moderne, sans prologue ni conclusion, sans morale ni didactisme, où, avec un minimum d’effets, il suggère plus qu’il ne démontre et laisse aux enfants de quoi rêver autour de cette proposition ouverte.
L’Oiseau migrateur est présenté à Théâtr’enfants, un lieu dédié aux enfants pendant le festival : avec une programmation concoctée par Eveil Artistique, Scène Conventionnée jeune public. Cette structure développe toute l’année des projets artistiques à Avignon et dans les environs, depuis 1983. Elle s’apprête à changer de nom à l’automne pour devenir Le Totem.
Mireille Davidovici
Théâtr’enfants, 20 avenue Monclar, Avignon . T. : 04 65 00 02 31 jusqu’au 26 juillet, relâche le 14 et 21 juillet.
*Laterna Magica (voir Le Théâtre du Blog), une autobiographie fictionnelle d’Ingmar Bergman est présenté hors sélection suisse, au 11 Gilgamesh Belleville.
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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 3:42 PM
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Par Ève Beauvallet dans Libération — 14 juillet 2019 Avec une sélection constituée avant tout de petites formes, la délégation helvète a créé au sein du Festival une enclave salutaire d’expérimentations joyeuses et d’avant-gardes interlopes.
La semaine dernière, lorsque la pluie est survenue après des températures caniculaires, on célébrait cet événement à Avignon en dansant les bras en l’air dans les rues détrempées. Au même moment, d’autres (nous) fêtaient de la même façon l’arrivée de la «sélection suisse» dans la ville, après de longues journées à enchaîner dans le festival «in» (mis à part quelques jolies pièces çà et là) des pensums décevants - le pic de chaleur et de dépression ayant sans doute été atteint devant Nancy Huston slamant son besoin d’«altérité» au côté du danseur burkinabé Salia Sanou dans Multiple-s. Par effet de contraste, donc, on attendait impatiemment la petite délégation de créateurs pop et rigolos laborantins helvètes, laquelle n’ambitionne pas tant de vociférer la voix chevrotante à quel point le fascisme c’est terrible et la démocratie préférable, que d’inventer d’autres manières de raconter des histoires. De façon à ce qu’on les entende, par exemple.
Carte blanche La curatrice de cette sélection parallèle, Laurence Pérez, en est presque flippée, de cette manière qu’ont cette année certains de tendre les mains vers elle dans un élan d’espoir. On la rassure, on ne s’emballe pas : la sélection suisse présente avant tout de petites formes, certaines plus fragiles que d’autres… Mais tout de même, en quatre années à peine, l’ancienne directrice de communication d’Hortense Archambault et Vincent Baudriller (les prédécesseurs d’Olivier Py à la tête d’Avignon in), nommée en 2016 à la programmation suisse, a fait quelques merveilles. Dont les organismes helvètes Pro Helvetia et Corodis - principaux financeurs de l’opération - doivent se réjouir : «La sélection est née en 2016 du constat suivant, explique Laurence Pérez, c’était que la diffusion des Belges cartonnait sur les scènes francophones et que celle des Suisses, non.» Cette année, l’inénarrable François Gremaud, le concepteur des Conférences de choses que Laurence Pérez a révélé en France il y a deux ans, est propulsé du festival off au in (un des rares cas de transfuge entre les deux) et jusqu’aux prestigieux Festival d’automne et Printemps des comédiens.
Plus généralement, Laurence Pérez a fait de sa sélection suisse autre chose qu’une vitrine nationale censée représenter la diversité de créateurs locaux (ça, c’est ce que font à Avignon la plupart des régions françaises). Elle a eu carte blanche pour construire un minifestival, avec une ligne artistique très affirmée : en gros, expérimentations joyeuses et avant-gardes interlopes. En trouve-t-on davantage en Suisse, ce pays où les maîtres s’appellent Christoph Marthaler, Stefan Kaegi, Massimo Furlan ou Milo Rau ? «Je ne sais pas… Il n’y a pas le même rapport à la tradition qu’en France, pas la même culture déclamatoire, c’est sûr, et il y a l’influence du documentaire et de la performance de l’Allemagne, réfléchit-elle. Aussi, c’est vrai que plusieurs performeurs sortent d’écoles transversales (comme l’excellente Manufacture où théâtre et danse sont mêlés) ou d’écoles d’art [l’Ecal]. C’est une scène sans doute caractérisée par une sorte de simplicité et de bienveillance dans son adresse au public.» Une scène où l’on trouve pas mal de mix entre concepts oulipiens tordus et format stand-up, souvent baignés d’autodérision et versant moins dans la leçon édifiante que dans la chronique de l’infra-ordinaire. La bordure du stand-up étant un point commun peut-être entre François Gremaud et cette astucieuse Aurore Jecker, encore inconnue, qui a joliment inauguré la sélection avec son récit de road-trip farfelu en quête de son sosie, Helen W.
Affinités esthétiques Que tous les projets sélectionnés soient ou non des chefs-d’œuvre importe finalement peu. Ce qui l’est davantage, c’est que ce petit festival helvète s’affirme peu à peu comme une enclave visant à défendre - sans le même budget bien sûr, le sien n’est qu’à 400 000 euros - cet héritage que le festival "in" a visiblement renoncé à vivifier, lui qui préfère aux formes dites «postdramatiques» un théâtre politique textocentré occultant tout de l’apport de la performance, du documentaire et des arts visuels des trente dernières années (à de rares exceptions près). Ce n’est pas Laurence Pérez qui le dit, ses rapports avec l’équipe d’Olivier Py (directeur du «in») sont d’ailleurs très bons : une des pièces est programmée dans le in, le Phèdre !. Quant au reste de sa programmation, on la trouve dans ces nouveaux lieux du off très dynamiques - la Manufacture, le 11-Gilgamesh, le Train bleu - avec lesquels elle entretient des affinités esthétiques. «Acheter un théâtre aujourd’hui à Avignon, c’est devenu économiquement impensable. Et nous sommes très heureux de collaborer avec ces lieux où l’on croise désormais des programmateurs de scènes nationales - c’est-à-dire un public qui n’est pas le public "naturel" du off. Ça, c’est très nouveau.»
Ève Beauvallet Sélection suisse à Avignon jusqu’au 20 juillet. Légende photo : «Nirvana» du duo Delgado-Fuchs. Photo Alex Yocu
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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 2:57 PM
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Par Pascal Paradou su le site de RFI Publié le 13-07-2019
«Ça va, ça va le monde» au Festival d’Avignon. © Christophe Raynaud De Lage / Festival d'Avignon RFI recommence à partir de ce samedi 13 juillet son aventure théâtrale et radiophonique « Ça va, ça va le monde ! » au Festival d'Avignon. L’entrée est libre pour ce cycle de lectures de théâtre de plus en plus acclamé par le public. Présenté du 13 au 18 juillet au jardin de la rue de Mons, il réunit des auteurs du Bénin, de la Roumanie, de la Guinée, du Cameroun, du Togo et du Liban.
Chaque année, « Ça va, ça va le monde ! » est un rendez-vous où l’on se presse pour commencer, en douceur et l’esprit curieux, une journée de festivalier. Et pour la première fois, vous pouvez vivre cette année l'événement en Facebook Live, du samedi 13 au jeudi 18 juillet, à 11h.
Cigales du matin, carillons sonnant midi, le jardin de la rue de Mons, au pied du palais des Papes, est en effet un lieu de découvertes pour des textes peu ou pas connus, parfois inédits, écrits par des auteurs de la Francophonie du Sud. Six textes, six auteurs dont cette année Les inamovibles de Sédjro Giovanni Houansou, qui a remporté le prix RFI Théâtre 2018.
Dès les premiers mots, la tragédie est là… Malik, un jeune migrant, se jette sous un train, de désespoir. Ses parents rêveront, attendront longtemps son retour. Impasse et imposture. Avec le texte de ce jeune auteur béninois, la tragédie de ce siècle se déploie dans des allers-retours entre rêve, désir et attente.
Dire l’Afrique contemporaine
Sédjro Giovanni Houansou est un auteur engagé à dire l’Afrique contemporaine comme la plupart de ceux qui font du théâtre à Yaoundé, Conakry ou Lomé. Trois pays d’où sont originaires les auteurs lus dans ce cycle 2019 et qui, chacun, raconte frontalement des histoires liées à la migration (Sufo Sufo), à la corruption, au terrorisme (Souleymane Bah) ou à la mémoire de la colonisation (Mawusi Agbdjibji).
Chez les autrices venues d’autres espaces linguistiques et géographiques, l’Afrique n’est pas loin. Alexandra Badea prend à bras le corps la question de l’aide aux migrants et Hala Moughanie celle de l’appropriation de la terre. Une certaine gravité marque, comme souvent, cette édition 2019, mais la drôlerie, la folie et l’émotion sont aussi au rendez-vous avec des textes qui sont le meilleur témoignage de la vitalité de l’écriture dramatique dans le monde francophone.
Quand les mots s’envolent sur les ondes de la radio
Ces textes sont adaptés pour un format radiophonique, car chacune de ces lectures est enregistrée pour être diffusée sur RFI durant l’été. Il n’en reste pas moins qu’il y a toute la fragilité du théâtre, art de la présence et de l’éphémère par excellence. Acteurs et musiciens travaillent sous la direction du metteur en scène Armel Roussel pour dire, lire, jouer ces textes une fois, une seule, dans ce jardin intime sous l’ombre des micocouliers.
Puis, les mots s’envolent au-delà des murailles de la cité des papes, sur les ondes de la radio. Les grillons, une émotion, les mots, la découverte, c’est la magie du Festival d’Avignon en 50 minutes chrono.
Samedi 13 juillet, à 11h : Les Inamovibles, de Sèdjro Giovanni Houansou (Bénin)
Dimanche 14 juillet, à 11h : Celle qui regarde le monde, d’Alexandra Badea (Roumanie/France)
Lundi 15 juillet, à 11h : Danse avec le diable, de Souleymane Bah Thiâ’Nguel (Guinée)
Mardi 16 juillet, à 11h : Debout un pied, de Denis Sufo Tagne dit Sufo Sufo
Mercredi 17 juillet, à 11h : Transe-Maître(s), de Mawusi Agbedjidji (Togo)
Jeudi 18 juillet, à 11h : Memento Mori, de Hala Moughanie (Liban)
► Ça va, ça va le monde ! au Festival d’Avignon, du 13 au 18 juillet 2019, à 11h, au jardin de la rue de Mons. Une coproduction RFI / Festival d’Avignon / [e]utopia avec le soutien de la SACD. Mise en scène : Armel Roussel.
► Les versions radiophoniques des lectures seront diffusées sur l'antenne, le site et les réseaux sociaux de RFI tous les dimanches, du 28 juillet au 1er septembre 2019, à 12h10.
► Vous pouvez écouter ici les lectures précédentes.
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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 12:07 PM
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Texte rédigé par Marie-Pia Bureau, directrice de l’Espace Malraux, Scène Nationale de Chambéry, publié sur le site du SYNDEAC, 3 juillet 2019
Je dirige un théâtre qui s’appelle Malraux. Ce n’est pas rien. Du moins pour quelques-uns. Il m’arrive effectivement de croiser des gens à Chambéry qui me demandent pourquoi le théâtre porte le nom de Malraux. Ça ne les empêche pas d’y venir. Comme quoi.
Malraux c’est une pensée et c’est une volonté politique de l’après-guerre. Toutes récentes au regard de l’histoire des arts, donc très fragiles encore. Déjà bien anciennes au regard du renouvellement générationnel cependant. Désuètes et peut-être déjà inadaptées ? La question mérite d’être posée franchement.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faille jeter le réseau institutionnel que l’idée malrucienne a permis de fonder. Je crois qu’il est un formidable atout. En France, on peut voir à Chambéry, à La Rochelle, à Châteauroux, etc., dans nombre de villes moyennes, des propositions artistiques qui ne sont accessibles ailleurs que dans des villes-capitales. Mais il m’apparait comme évident que ces lieux ne remplissent justement leurs missions qu’en se réinventant constamment. Si nous avons pour ambition de rendre visibles des propositions artistiques dont l’objet est de changer la représentation du monde, c’est bien le moins que l’on puisse faire. Et pour produire des idées nouvelles, il faut sortir du jargon et des concepts. On n’invente que dans les interstices.
Avec l’équipe du théâtre, nous essayons de partager des questions simples auxquelles nous tentons d’apporter des réponses pragmatiques. Ces questions sont : Sommes-nous démocratiques et, si non, comment l’être mieux ? Comment faisons-nous entrer toute la ville dans notre théâtre ? Sommes-nous sûrs de n’oublier personne ? En quoi contribuons-nous à un développement positif et durable de notre territoire ?
Il n’y a évidemment aucune réponse qui vaille pour une vérité absolue à ces questions. Il n’y a que des tentatives qui sont autant de pas de côté permettant de dessiner une inflexion à la direction prise.
Pendant deux années que le bâtiment Malraux a été fermé pour sa rénovation, nous avons profité de la contrainte pour expérimenter d’autres façons de faire en termes de programmation. Par exemple, coconstruire (le verbe est déjà galvaudé mais nous nous sommes attachés à le faire vraiment) avec des partenaires du territoire, autres structures de diffusion, ou groupes ayant d’autres objets que le nôtre (le tourisme, le sport, l’écologie, etc.), avec qui il s’agissait de trouver un intérêt commun dans le choix d’un projet artistique et de le porter en commun dans nos réseaux respectifs. Par exemple, produire des formes qui ne sont pas à proprement parler du spectacle ou des œuvres telles qu’on les définit dans une scène nationale (moonboots party sur une piste de ski, escape game zombie dans le conservatoire, ciné-piscine, etc). Par exemple encore, développer avec les partenaires Italiens et l’université un projet européen en montagne dont le processus implique la mise en relation des artistes avec des acteurs du territoire dont les préoccupations sont très éloignées des problématiques artistiques. A chaque expérience, nous nous sommes attachés à en mesurer l’impact. Et dans l’ensemble, celui-ci est positif. Même très positif. A condition de savoir les écouter et comprendre leur fonctionnement, les « autres » ont de bonnes idées, cela vaut le coup de leur faire de la place pour trouver les synergies. Les moments de fête, de décalage, sont des instants importants de libération des corps, cela peut être aussi une des fonctions du théâtre que de garantir cette liberté, elle peut mener à l’œuvre au moins aussi surement que la pédagogie qui est notre credo habituel. Les artistes, ailleurs que dans les théâtres, créent de l’expérience commune ; c’est précieux.
Ces constats (et d’autres encore) nous conduisent à vouloir un nouveau projet pour le théâtre rénové. Nous essayons en rentrant dans les murs de mettre en place un fonctionnement qui prenne mieux en compte ces questions de partage de la décision et des choix avec les gens du territoire, avec les artistes, avec les équipes, de fonction du théâtre qui n’est pas seulement de proposer une programmation mais d’être un réel lieu de vie, d’échange et de liberté, de possibilité d’être ouvert à l’inédit, à l’impensé, dont l’initiative reviendrait certainement à d’autres que nous. Cela prend la forme d’un tiers lieu porté en association avec trois compagnies de Savoie et une restauratrice, qui comprend des espaces d’accueil, une salle de cinéma, des galeries d’expo, une brasserie comportant une petite scène ouverte, et d’une salle de répétition. Cela pose de multiples questions qui sont loin d’être résolues qui vont de la gestion budgétaire, aux possibilités techniques, aux horaires de travail, à la définition de l’ouverture et de ses limites, autant d’un point de vue philosophique que pratique. Mais cela a déjà la vertu pour nous de rendre une évolution possible.
Pour ceux qui avaient 20 ans dans l’après-guerre et jusqu’à mes 20 ans à moi qui en ai aujourd’hui 50, l’horizon des sociétés était la révolution. Les théâtres publics, tous ces lieux nés de la volonté politique dont Malraux fut une figure majeure, invitaient les regards à se tendre vers cette ligne. Pour ceux qui ont 20 ans maintenant, à l’horizon des sociétés, il y a la catastrophe. Le sens de notre action et donc des évolutions que nous effectuons les uns et les autres dans nos théâtres doit nécessairement être lié à ce constat. La question, c’est celle de l’avenir et de notre capacité à être les lieux de sa projection.
Marie-Pia Bureau
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Le spectateur de Belleville
July 8, 2019 6:59 PM
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Propos recueillis par Nicolas Truong dans Le Monde 08.07.2019 L’art théâtral apparaît souvent comme « ringard » aux yeux des classes dirigeantes, qui ne voient plus quel « profit » en retirer, constate l’historien, dans un entretien au « Monde ». A ce discours désenchanté, il faut opposer la richesse et la vivacité des propositions actuelles.
Professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Ecole normale supérieure de Lyon, auteur de Politiques du spectateur : les enjeux du théâtre politique aujourd’hui (La Découverte, 2013), Olivier Neveux vient de publier Contre le théâtre politique (La Fabrique, 320 pages, 14 euros), ouvrage dans lequel il critique l’inflation d’un prétendu théâtre politique au nom d’une réelle repolitisation de l’art. Alors que s’ouvre le Festival d’Avignon (jusqu’au 23 juillet), l’historien témoigne de la vitalité d’un théâtre engagé qui s’invente loin du macronisme culturel qui ne valorise que les « premiers de cordée ». Le théâtre fait-il encore événement ? Ou bien les élites, politiques et économiques, ont-elles largement délaissé cette forme artistique ? Oui, elles l’ont délaissée. Sauf en de rares occasions événementielles, le théâtre n’a plus la même centralité. Les élites n’y vont pas beaucoup. Il est possible que les plus cultivées le trouvent désormais ringard. Il est surtout probable, pour l’essentiel d’entre elles, qu’elles ne voient plus quel « profit » retirer de la fréquentation de cet art. Elles vivent même, parfois, cette indifférence et cette ignorance, avec une certaine fierté. Cela dit, il faut nuancer la perspective catastrophique que cela dessine : la culture et l’art n’ont, par le passé, jamais immunisé ces élites contre la barbarie.
Que révèle l’esthétique théâtrale dominante aujourd’hui ? Il est difficile d’en synthétiser une, car elle prend des formes diverses. Peut-être est-ce d’ailleurs un signe : elle tient plus de la juxtaposition d’œuvres que d’une hégémonie combative. On peut énumérer des caractéristiques : tout aussi bien, un vieux bon goût bourgeois, conformiste, une indifférence à l’histoire des formes théâtrales, qu’un attrait pour le littéral, le thématique, le direct, le kitsch métaphysique ou le réalisme psychologisant, des effets grossiers et univoques, pas mal d’emphase et de sentimentalisme, la connivence, une playlist un peu tendance et quelques noms glamour… Ce que révèlent, a minima, les esthétiques dominantes est bien que la « nouveauté » du nouveau monde est fortement éventée… Des œuvres sont jugées « radicales » ou « novatrices » alors même qu’elles ne viennent jamais que recycler, avec plus ou moins de brio, des procédés éprouvés et pourfendre ou dénoncer la méchanceté du mal et d’inoffensifs adversaires en papier. Mais ce ne sont là que des tendances, des signes et des symptômes partiels d’une logique d’ensemble qui n’est pas loin, sous de multiples aspects, du « réalisme globaliste » repéré par l’écrivaine Annie Le Brun dans l’art contemporain, et qui a pour effet d’intégrer, d’apprivoiser et de désamorcer toute critique et tout art.
Il faut soutenir, en revanche, contre tout un discours convenu et désenchanté, que ce présent est aussi et simultanément vif, voire luxuriant ; que les emballements moutonniers ne rendent pas compte de la multiplicité de tentatives, d’approfondissements, d’essais et de défis d’écriture, de mise en scène et de jeu qui, çà et là, dessinent un incomparable paysage pour l’art. La vie théâtrale est riche sinon qu’il lui manque peut-être, à cette heure, un élément essentiel si l’on en croit Antoine Vitez : « des partisans », car « un théâtre est une cause ».
Qu’est-ce que le macronisme culturel ? Et quelle est sa politique théâtrale ? Le macronisme culturel et sa déclinaison théâtrale procèdent de la logique néolibérale : se défier du service public. La « start-up nation » est réfractaire à l’idée d’exempter de la loi de la marchandise des sphères entières de la vie sociale. Tout doit être, à terme, soumis au régime de la concurrence, indexé sur le modèle de l’entreprise. Alors, même si la culture n’est pas, loin de là, son enjeu majeur, le macronisme s’y attaque, camouflé derrière le paravent de quelques artifices médiatiques et démagogiques.
« Il faut, pour mériter d’exister, produire quelque profit immédiat. Les artistes doivent se justifier de faire ce qu’ils font et se trouver une utilité consistante »
La destruction est insidieuse, elle est en cours. Elle se mène au nom des sempiternels motifs : la souplesse, l’expérimentation (moins de labels), la modernité (plus d’interdisciplinarité), la proximité (la déconcentration des services de l’Etat) et la nécessaire « adaptation » aux temps qui viennent (l’abdication devant le privé). Chaque secteur qui a pu endurer les précédentes contre-réformes sait à quoi s’attendre avec de pareils éléments de langage. On peut reconnaître au macronisme, il est vrai, de marcher dans les pas de ses prédécesseurs socialistes et de trouver de sérieux relais dans le monde artistique qui ne rechignent pas à intérioriser cette perspective.
Est-ce pour ces raisons que le théâtre doit, en permanence, se justifier ? Dans le macronisme, on aime les « premiers de cordée ». On peine à imaginer d’autres sens à la vie que d’en rejoindre le très sélectif club. Le mépris suinte pour qui n’a pas le désir de leur ressembler. Ils aiment les artistes à leur image : les vainqueurs, ceux qui sont partout reconnus, qui accumulent les prix et cochent les cases de la réussite… Ils passeront sans doute à côté de tout ce qui comptera artistiquement dans cette époque. De combien d’œuvres rendues impossibles seront-t-ils responsables ?
La raison de l’art, de l’œuvre, de la création leur est incompréhensible. Passé quelques divertissements mondains, quelques poussives ou distrayantes soirées conjugales, quelque rayonnement à l’export de la France, ils ne voient vraiment plus à quoi tout cela peut servir. Qui sont ces êtres qui préfèrent donner à leurs vies une tout autre ampleur, malgré la précarité, et passer du temps à créer de petits univers fictifs, à jouer et à rencontrer, loin de Paris, d’improbables publics ?
Il faut alors, pour mériter d’exister, produire quelque profit immédiat. Les artistes doivent se justifier de faire ce qu’ils font et se trouver une utilité consistante. Qu’ils aillent, par exemple, remédier à ce que les destructions méthodiques des services publics produisent de souffrance accrue et d’inégalité. Qu’ils contribuent à la pacification sociale. Qu’ils vantent les mérites de la République. Ou qu’ils fassent resplendir la grandeur artistique française. Leur utilité doit pouvoir se quantifier dans quelques tableaux comptables ou être, a minima, clairement exposée dans les dossiers de financement, et surtout être intelligible pour l’entendement technocrate.
Alors certes, depuis quelque temps le nouveau ministre [de la culture, Franck Riester], bien inaudible par ailleurs, a décidé, notamment pour se distinguer de sa prédécesseure, de « remettre l’artiste et le créateur au cœur des priorités du ministère ». Quel aveu : il en avait effectivement disparu au profit d’une légitime mais inefficace attention portée à l’éducation artistique. Il est probable, toutefois, que le ministère n’ait désormais plus assez de poids : il ne saurait freiner, à lui seul, des tendances historiques aussi lourdes.
Pourquoi assiste-t-on à une telle mise en valeur du caractère politique du théâtre, de la part des artistes, des programmateurs ou des institutions ? C’est, je crois, la conséquence de ce constat : retrouver sa place perdue, lorsque le théâtre représentait encore quelque chose – aussi fantasmatique soit ce temps. Il faut aussi répondre à la demande implicite de l’Etat et des élus locaux : « servez à quelque chose ». Il faut enfin démentir le procès en « dépense improductive » et en luxe inutile culpabilisateur par gros temps de crise.
La réalité sociale et environnementale – migrants, exclus ou réchauffement climatique – est très présente sur les scènes. Est-ce un signe de la vitalité politique du théâtre ou celui d’une uniformisation de sa fonction sociale ? On convoque, il est vrai, fortement, depuis quelques années, la vie sociale au théâtre. Ce dernier se fait l’écho de souffrances et d’expériences de vie. Les artistes partent en quête de « paroles authentiques », loin des poèmes dramatiques, ils se documentent, s’inspirent des sciences sociales. Ce parti pris est l’objet de justifications progressistes : faire apparaître et entendre l’invisible social, c’est-à-dire à la fois ce qui structure la société et ce qui est ignoré, caché, exclu. Cela produit parfois de grands spectacles. Mais si on rapporte cette démarche à la question politique, trois écueils majeurs apparaissent.
« La politique doit-elle vraiment se confondre avec la pédagogie ? Quel est ce présupposé qui vient faire du théâtre l’émancipateur de nos consciences ? »
Le premier tient à l’exhibition complaisante et lacrymale des misères du monde. Combien de spectacles n’ont pour enjeu que de venir vérifier bontés et empathies unanimement partagées de la scène à la salle ? Ensuite, il existe comme une foi dans la puissance révélatrice du théâtre : l’humanité manquerait de connaissance pour appréhender la souffrance, lui faire un sort ou s’en révolter. L’apport du philosophe Jacques Rancière sur les dangers politiques de la hiérarchique « logique explicatrice » – il faut des explicateurs – est éclairant. La politique doit-elle vraiment se confondre avec la pédagogie ? Quel est ce présupposé qui vient faire du théâtre l’émancipateur de nos consciences ? Enfin, un thème social ou politique ne suffit pas à faire « politique ». Il faut une opération, une traduction dans d’autres formes et d’autres perspectives que celles du seul constat et de l’indignation.
Mais le théâtre doit-il nécessairement se politiser ? Le théâtre est en partie saisi dans des enjeux politiques. Il prend place dans un présent inégalitaire, dans des rapports de force, il produit lui-même des rapports d’exclusion et de domination. Le théâtre est aussi un lieu où des salariés souffrent. Il est traversé par des luttes. Il manipule des mots, il expose des corps, il produit des représentations. C’est une pratique sociale. Bref, en un sens, il est politique malgré lui. La question porte sur sa politisation : le choix d’inscrire l’œuvre et sa pratique dans une dynamique politique. Bien sûr, il ne peut y avoir nulle obligation. « Toute licence en art » (selon l’expression d’André Breton). Et l’on voit des œuvres majeures qui s’en défient. Pour autant, on se gardera bien de frayer avec les esthètes qui défendent la nécessité pour l’art de ne jamais s’en mêler. L’histoire des théâtres politiques et militants est, en effet, riche d’inventions, de formes, d’expériences. Elle contribue à l’importance de cet art. Mais elle l’a fait, quand elle y est arrivée, à la condition de venir perturber les rapports convenus, policés et attendus du théâtre et de la politique. Cela suppose de ne pas se rallier à une conception consensuelle de la politique, de porter la contradiction et le conflit dans le présent, et de participer alors, à sa façon, précisément en interrogeant cette façon, au mouvement réel qui abolit l’ordre dominant.
Nicolas Truong / Le Monde du 8 juillet 2019
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Le spectateur de Belleville
July 7, 2019 7:35 PM
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Par Marie Pujolas – Rédaction Culture – France Télévisions le 01/07/2019 Ernest Pignon-Ernest : 50 ans de dessins et de collages sur les murs du monde exposés à Avignon
L'un des pionniers du street-art en France, Ernest Pignon-Ernest, expose plus de 400 oeuvres créées entre 1962 et 2019 dans la Grande Chapelle du Palais des Papes à Avignon : "Ecce Homo".
Ecce Homo, Voici l'homme, voici Ernest. Cela fait plus de 50 ans que l'artiste sillonne Paris, la France et le monde avec ses collages et dessins qu'il expose partout où il a un message à faire passer. Celui qui est considéré comme l'un des pionniers du street-art a les honneurs de la Grande Chapelle du Palais des Papes d'Avignon pour une grande exposition, presque une rétrospective.
400 oeuvres, des dessins préparatoires, des photographies et des collages sont présentés. L'occasion de découvrir son travail mais également tout le cheminement intellectuel et artistique d'Ernest Pignon-Ernest.
L'iconique Rimbaud Le Niçois est devenu très célèbre à la fin des années 1970 grâce à dessin collé à Charleville-Mézières, un portrait d'Arthur Rimbaud. Une image devenue iconique, tant la qualité du trait de crayon a réussi à faire ressortir la personnalité bohème et rebelle du poète. Un dessin qui a pourtant failli disparaître. Il a été sauvé par un admirateur qu'il l'a décollé de son pilier d'autoroute !"J'avais fait un parcours de l'image de Rimbaud, de Charleville à Paris" explique l'artiste. "Le dessin est en mauvais état mais c'est ce qui a de plus "Rimbaldien" dans mon histoire, ce sont des images qui ne se figent pas. Faire un Arthur Rimbaud en marbre, ça serait idiot !".
50 ans d'expression artistique à découvrir Malicieux, humain, exigeant avec lui-même : Ernest Pignon-Ernest est fier de présenter 50 ans de travail à Avignon. Très impliqué dans le processus préparatoire de chacune de ses expositions, il suit avec attention chaque étape et tient à ce que le parcours proposé permette au plus grand nombre de comprendre son approche artistique. Artiste engagé, il estime que son travail est de révéler à travers ses dessins la réalité d'un lieu chargé d'histoire pour qu'il ne tombe pas dans l'oubli.
Il va créer une oeuvre dans le Palais des Papes Ernest Pignon-Ernest peut investir aussi bien un mur sale d'un quartier défavorisé, qu'une église ou ici le Palais des Papes. Il a même l'intention, en janvier 2020, de créer une oeuvre "in situ" à l'occasion de cette exposition. Un événement qui devrait se dérouler dans l'espace du Trésor Bas du Palais des Papes.
Légende photo : Ernest Pignon-Ernest posant devant l'une des ces célèbres créations "Pasolini". Ici lors d'une exposition au Mamac de Nice en 2016. (FRANCK FERNANDES / MAXPPP)
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Le spectateur de Belleville
July 7, 2019 2:46 PM
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Par Christine Friedel dans Théâtre du blog 7 juillet 2019
Le Massacre du Printemps, texte et mise en scène d’Elsa Granat
D’un bout à l’autre de sa vie, comment faire ? De l’attente d’un bébé, jusqu’à la mort de la grand-mère, ou du père, ou de la mère, comment s’en sortir vivante ? Ce spectacle créé il y a deux ans au Studio d’Alfortville où Elsa Granat faisait partie de la troupe des Tchekhov montés par Christian Benedetti.
Cette pièce est un patchwork d’émotions, souvenirs, révoltes et rencontres. Comment faire, lorsque l’oncologue ne parle au mourant que “protocole “, “décharge“, “accord“, “institution“ ? Comment faire, quand c’est ma grand-mère à moi, la seule qui sait vraiment m’aimer, qui s’en va comme ça, dans la souffrance, avec ces “effets secondaires ». Lesquels ne sont, bien sûr, pas traités en priorité ? Et cette infirmière chanteuse, comment tient-elle le coup?
Elsa Granat et son équipe donnent toute leur attention aux émotions de la vie, y compris chez l‘oncologue obligée de les nier avec une telle force qu’elle en tombe en syncope… Une écriture morcelée, inégale, un peu énigmatique mais avec de jolis moments de poésie : comme la vie elle-même, on dira, où le sort de tous concerne chacun.
La scénographie est de la même eau: suggestive, ludique –ça commence par les restes d’une fête d’anniversaire- et représente sans montrer. On appréciera particulièrement le jeu culotté des comédiennes, sœurs de tourments et de sourire et l’intervention du son comme éveilleur de mémoire. Un moment délicat, même si le titre tire un peu fort sur la corde du jeu de mots.
Christine Friedel
Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Sain, Avignon à 11 h 50.
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Le spectateur de Belleville
July 7, 2019 9:18 AM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama - Publié le 05/07/2019.
Trois pièces – “Le présent qui déborde — Notre Odyssée II”, “Points de non-retour (Quais de Seine)” et “Granma. Les Trombones de La Havane” – s’emparent d’histoires personnelles et intimes pour brosser un portrait de la société dans laquelle elles s’inscrivent.
Le théâtre est un microcosme où se rejoue le vivre ensemble qui règle la marche du monde. Sur ses scènes s’expérimentent des formes de vie collectives. Cette 73e édition accentue le lien entre théâtre et politique en transformant des destins singuliers en creusets où se reflète l’organisation des sociétés. Qu’ils viennent du Brésil (Christiane Jatahy), de France (Alexandra Badea) ou de Suisse (Stefan Kaegi, de la compagnie Rimini Protokoll), les artistes optent pour le zoom. Au plan panoramique qui embrasse les paysages et noie la parole sous le discours, ils préfèrent les détails de témoignages bruts. Opèrent des focus sur des fragments de vécu, s’introduisent dans les familles, s’attardent dans les foyers, scrutent à la loupe les histoires personnelles. Puis ils reviennent en boomerang du particulier à l’universel. Et restituent au théâtre, ce faisant, sa portée politique.
Parce qu’elle veut adhérer au réel et à la vérité, Christiane Jatahy ne se contente pas de spectacles purement fictionnels. Avec Le présent qui déborde — Notre Odyssée II, elle s’est mise en quête d’« Ulysse réels, qui pouvaient témoigner de leurs vies d’exil, en résonance avec les péripéties et les émotions vécues par l’Ulysse d’Homère ». Elle a rapporté de Palestine, du Liban, de Grèce, d’Afrique du Sud, d’Amazonie, les récits d’acteurs réfugiés loin de leur pays natal. Une matière concrète qu’elle injecte sur le plateau grâce à des films vidéo. L’imaginaire ne fait plus seul autorité. Ce qui compte, c’est le vrai. Il exprime, mieux que l’allégorie ou la fabulation, l’errance des apatrides, leur tentative « de reconstruire un sentiment d’appartenance, ailleurs, précise l’artiste, même si c’est toujours le sentiment de l’entre-deux qui subsiste, entre un passé devenu inaccessible et un futur inatteignable. Ces personnes sont bloquées dans un présent si omniprésent qu’il en déborde ».
Née en Roumanie, l’auteure metteuse en scène Alexandra Badea sait, elle aussi, ce que signifie l’exil. En 2014, elle a choisi d’être naturalisée française. Alors qu’elle crée Points de non-retour (Quais de Seine), second volet d’une trilogie consacrée aux impensés de l’histoire française, elle constate : « Tout est politique dans la vie. Même l’amour. Le monde extérieur et, donc, la politique peuvent avoir une incidence directe dans la manière dont on vit l’amour. Il y a un aller-retour entre les deux. » Intime et politique, inextricablement imbriqués, interagissent, s’influencent mutuellement pour le meilleur et pour le pire. Faut-il mettre de l’air dans ce diabolique duo ? Et comment ? L’artiste tente l’expérience : « Dans mon texte, je regarde de quelle manière des événements historiques et politiques ont eu une action sur l’intime, et, notamment sur une construction identitaire. »
Après avoir évoqué les tirailleurs sénégalais dans le premier opus de sa trilogie, elle exhume, pour Avignon, une journée traumatique enfouie sous un épais silence. 17 octobre 1961 : dans les rues de Paris, des Algériens manifestent pour l’indépendance de leur pays. Beaucoup ne reviendront pas de cette marche dans la capitale. Une chape de plomb où se mêlent mutisme et déni s’abat sur leur disparition. Pour l’artiste, les répercussions de cette « journée portée disparue » poursuivent insidieusement la jeune génération algérienne : « Elle est emprisonnée dans un malaise qui trouve ses origines dans cette manifestation étouffée, achevée par un massacre et totalement occultée dans l’espace public. Il me semble que si on ne parvient pas à être épanoui dans l’intime c’est parce que, à l’extérieur, trop de choses influencent notre rapport à nous-même, aux autres et au monde dans lequel nous vivons. » Les maux d’une société, lorsqu’ils trouvent leurs mots au théâtre, peuvent-ils être réparés ? « Prononcés devant un auditoire, ces mots peuvent apaiser les blessures », affirme Alexandra Badea, bien convaincue que « la parole peut guérir ». L’histoire racontée sur la scène suit les pas d’un couple qui bascule de la guerre d’Algérie au pavé parisien ce jour fatal de 1961. Des bribes de souvenirs affleurent dans le présent de la représentation. Ils y délivrent leurs secrets. En restaurant les parts manquantes de notre mémoire collective, Alexandra Badea fait du théâtre le lieu d’une réconciliation entre passé et présent. L’espace d’une résilience. « Le théâtre est une manière de comprendre l’autre, de se mettre à sa place, de sortir de sa subjectivité et de développer une faculté empathique », conclut-elle.
La société cubaine vue au prisme de ses habitants La catharsis n’est donc pas un vain mot. Cette perspective a poussé Stefan Kaegi, du collectif Rimini Protokoll, jusqu’à Cuba, où il a rencontré protagonistes et héritiers de la révolution castriste. Des anciens aux plus jeunes, tous s’accommodent d’un régime politique qui a ses failles mais aussi ses atouts. Quatre d’entre eux, âgés de 25 à 35 ans, évoquent leur quotidien dans un spectacle documentaire intitulé Granma. Les Trombones de La Havane. Ils ne sont pas comédiens, mais traducteur, professeur d’histoire, informaticien, musicienne. Précarité oblige, ils vivent sous le même toit que leur famille. Pour Stefan Kaegi, leurs récits, ponctués de chants patriotiques, expriment « la transformation d’une société pleine de courage dans une île qui résiste aux modèles de croissance. » Certes, Cuba n’est pas un paradis. Mais cette observation des mœurs insulaires in situ est riche d’enseignements : « Je voulais observer les relations entre deux générations. L’une qui a dû, pendant soixante ans, prendre des décisions radicales, déterminant la vie collective mais aussi l’avènement d’un nouvel homme. L’autre qui a des motivations parfois très éloignées mais souhaite prolonger cette révolution et est bien décidée à prendre son futur en main. » Sur scène, la représentation se déroule dans les murs d’une maison dont le théâtre ouvre portes et fenêtres. Nous voilà avertis : de l’autre côté de l’Atlantique, sans jeter son passé aux orties, une société rêve d’avenir.
| Le présent qui déborde — Notre Odyssée II, d’après Homère, mise en scène de Christiane Jatahy, gymnase du lycée Aubanel, du 5 au 11 juillet à 18h, le 12 juillet à 15h, relâche le 7 (2h30).
| Points de non-retour (Quais de Seine), texte et mise en scène d’Alexandra Badea, Théâtre Benoît-XII, du 5 au 11 juillet à 22h, le 12 juillet à 15h, relâche le 7 (2h).
| Granma. Les Trombones de La Havane, mise en scène de Stefan Kaegi, cloître des Carmes, du 18 au 23 juillet à 22h, relâche le 21 (2h).
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Le spectateur de Belleville
July 6, 2019 6:09 PM
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Par Gilles Renault envoyé spécial de Libération à Lyon — 4 juillet 2019 Lorraine de Sagazan propose une relecture actualisée du «Platonov» d’Anton Tchekhov, sa première pièce restée inachevée.
On avait quitté Lorraine de Sagazan fin 2016, sur le dispositif trifrontal d’Une maison de poupée, cette adaptation moderne du texte d’Ibsen - autopsiant le dévissage en règle d’un couple bourgeois - qui confirmait, après un Démons de Lars Norén accaparé avec pas moins d’aplomb, les excellentes dispositions de la jeune metteure en scène, un temps assistante de Thomas Ostermeier. La revoici désormais en mode quadrifrontal. Une manière, dira-t-on, de resserrer encore plus l’étreinte : d’une part, en cadenassant la relation de proximité avec le public - qui, du reste, sera une fois de plus interpellé ou pris à témoin à intervalles réguliers - et, d’autre part, en convertissant l’espace scénique en une arène d’où nul protagoniste ne pourrait s’évader - une interprétation métaphorique corroborée, dans la deuxième partie du spectacle, par ces longs filets de sable s’écoulant à la verticale pour recouvrir le plateau et les corps.
Nobliau Troisième relecture d’un grand texte par Sagazan, l’Absence de père est en réalité la version primitive du Platonov de Tchekhov, qui écrit en 1878 sa première pièce de théâtre. Un texte qui circulera dans l’indifférence à Moscou, jusqu’à disparaître tout bonnement, avant de ressusciter en 1923, après la mort de son auteur, sous le nom du personnage central, un nobliau de province déshérité, séducteur bravache devenu instituteur de village à la surprise, mâtinée de déception, de ses proches. Etude d’un microcosme désenchanté, vaguement vénal ou raccroché aux branches d’amours perdues ou vouées à le devenir, Platonov est une longue pièce labyrinthique (et inachevée), où le lecteur pourrait autant se perdre que les personnages dont on scrute la dégringolade.
«Quand Tchekhov écrit Platonov, il a 20 ans, avec l’augmentation de l’espérance de vie, cela correspond à environ 35 ans, selon moi», extrapole Lorraine de Sagazan, dans un entretien avec Géraldine Mercier, secrétaire générale des Nuits de Fourvière, où la pièce était créée fin juin. «C’est un moment où l’on s’interroge sur sa propre vie, poursuit-elle. Est-ce que je peux faire table rase et tout recommencer, renverser ma propre situation et ma propre vie, ou est-ce que je suis en train d’écrire définitivement les choses ? C’est la douloureuse question que pose Platonov. C’est ce qui nous habite aussi, puisque c’est l’âge de la distribution.» Laquelle compte ici huit personnages (notamment interprétés par Lucrèce Carmignac, Romain Cottard, Antonin Meyer-Esquerré et Benjamin Tholozan, déjà sur la brèche lors des précédents spectacles de la compagnie du même nom).
Mari et femme, frère et sœur, anciens amants, veuve ou «simples» amis entremêlés, chacun a des comptes à régler avec le passé, autant qu’il ou elle peine à se projeter dans un avenir d’autant plus incertain que le présent n’offre aucune garantie, voire chancelle. «C’est pas de l’ennui mais c’est pas de l’amour», dit l’un, à propos d’une relation sentimentale. «Hamlet avait peur de rêver, moi j’ai peur de vivre», concède l’autre, entre deux escarmouches verbales («Si t’étais satisfait de ta vie, tu ne t’en prendrais pas au premier venu»), puisque, passé les effusions, le temps se couvre à mesure que l’amertume et le doute strient une atmosphère où le sarcasme affleure souvent sous la repartie.
Fil rouge A la matière première tchekhovienne, consciencieusement triturée, s’ajoutent les confessions intimes des comédiens, déroulant en fil rouge des souvenirs de filiation personnels, ainsi que de nombreuses références contemporaines (un air fredonné d’Yves Simon, une allusion à Kim Jong-un…) liées à une période caractérisée par un sentiment de grande confusion. Laquelle finit par gagner trop littéralement le plateau, dans un dénouement tragique enseveli sous les hurlements et les gesticulations scellant la mort des idéaux.
Gilles Renault envoyé spécial à Lyon L’Absence de père d’après Anton Tchekhov m.s. Lorraine de Sagazan. Du 26 au 28 juillet au festival Paris l’été, du 4 au 11 octobre à la MC93 de Bobigny et en tournée. Légende photo : La pièce a été créée fin juin à Lyon. Photo P. Victor. Artcompress
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Le spectateur de Belleville
July 6, 2019 3:27 PM
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Par Hugues Le Tanneur pour le site Des Mots de Minuit 06/07/2019
Seule sur scène, la comédienne Laure Wolf restitue à la perfection la confrontation abyssale d’une mère avec le souvenir de son fils parti un beau jour sans laisser d’adresse alors qu’il était âgé de dix-neuf ans. Sans nouvelles depuis des années, elle attend avec une mince lueur d’espoir cet enfant à qui elle ne peut adresser la moindre question sur son geste. Le dispositif scénique est on ne peut plus simple: une femme assise face au public avec en fond un écran. Les genoux serrés, elle répond à des questions posées par une voix-off. Mais avant même que la première question ait été articulée, quelque chose dans son attitude toute d’intériorité, dans sa concentration légèrement inquiète, le visage tendu, un peu crispé, a suffi pour introduire un élément essentiel de ce spectacle admirablement interprété par la comédienne Laure Wolf. Car ce qui ressort d’emblée du silence de cette femme assise, c’est le sentiment puissant de solitude qui émane d’elle. Elle pourrait être aussi bien face à une caméra dans son salon, dans sa cuisine ou sur le devant de sa maison, mais Cédric Orain a préféré la situer dans un espace indéterminé. Il n’a pas voulu donner à ce spectacle l’aspect d’un reportage. À cet égard, le fait que la première partie de la pièce soit construite sous la forme d’un interrogatoire est d’autant plus intriguant. Quelle est cette voix qui lui pose des questions? S’agit-il d’un policier? D’un médecin? D’un sociologue? On ne le saura pas. Elle-même ignore à qui elle a affaire. Quand elle demande “Vous êtes détective?”, l’interrogateur précise qu’elle n’est pas obligée de répondre aux questions si elle n’en a pas envie. La femme s’appelle Claire Brunet. Elle a deux enfants. Une fille, Sophie, la cinquantaine, et un fils, Vincent. Vincent a disparu alors qu’il était âgé de dix-neuf ans. C’était en 1973. Claire ne l’a jamais revu. Elle ignore totalement ce qu’il est devenu.
Rupture Selon le Ministère de l’Intérieur, chaque année en France deux mille cinq cents adultes disparaissent. Parfois on retrouve leur trace, mais leurs coordonnées ne sont pas transmises à la famille si la personne disparue ne le souhaite pas. En abordant avec ce spectacle le phénomène profondément dérangeant de la disparition, qui n’est ni un suicide, ni une fugue, mais correspond à un besoin viscéral de rompre avec son passé et ses proches pour changer de vie, Cédric Orain touche une corde d’autant plus sensible qu’il s’intéresse paradoxalement moins à la personne disparue qu’à la réaction des proches. En ce sens, Disparu parle avant tout d’un manque. Mais le plus frappant, c’est à quel point tout ce qui est évoqué dans l’histoire de cette mère et de ce fils en rupture est, par certains côtés, criant de vérité. On soupçonne l’auteur de s’appuyer sur un cas – ou plusieurs cas – bien réel. En 1968, Vincent était déjà un adolescent en rupture rejetant à la fois le système scolaire, son milieu familial et plus largement la société dans son ensemble. On apprend qu’il a toujours détesté l’école; ce qui est le cas de beaucoup d’enfants. Claire se souvient qu’une fois alors qu’elle l’accompagnait en classe, il lui a dit: “Maman, je grandis trop vite, j’ai peur de grandir trop vite et de ne plus être un enfant, et je n’ai pas envie de devenir un adulte comme vous!” Cette remarque ne lui serait peut-être pas revenue en mémoire sans la disparition de son fils. Mais en son absence tout devient un indice, une ébauche forcément insuffisante d’explication face à ce qui demeurera toujours une énigme. Alors que la police fait des recherches, Pierre, le père de Vincent, enquête de son côté. Il engage même des détectives privés. Une fois à la retraite, jusqu’à sa mort, il consacrera tout son temps à essayer de retrouver la trace de son fils. Toutes ces recherches infructueuses ont contribué à maintenir en vie une image de Vincent à la fois floue et sublimée. Celle d’un jeune homme marqué par les livres de Guy Debord et qu’une de ses amies aurait rencontré après sa disparition dans un aéroport en partance pour l’Inde. Avec le temps, Vincent est devenu un mythe, un fantôme. Ce fantôme, Claire continue de le porter en elle. Car elle ne peut pas l’oublier. Alors elle l’attend toujours. Et à cette attente fait écho cette autre attente quand, enceinte, elle portait dans son ventre cet enfant dont elle sentait qu’il allait lui donner de la force.
Tact et sensibilité C’est ainsi que cette projection heureuse dans un avenir riche de promesses s’est convertie en une remémoration anxieuse du passé. Claire se souvient par exemple de sa randonnée à deux avec Vincent sac au dos pendant plusieurs jours dans les Pyrénées juste après son bac. Mais la mémoire a des limites, d’où ces mots émouvants: “Je ne me souviens pas de la dernière fois où d’un petit geste tendre j’ai pu le consoler, je ne me souviens pas de la dernière fois où son corps est venu chercher le mien pour apaiser ses chagrins, je ne me souviens pas de son corps, plus de traces, son corps s’efface, j’ai l’impression que je ne m’en souviens plus, son corps manque.” À ce moment-là, la scène est plongée dans un clair-obscur. Laure Wolf n’a pas bougé de sa chaise depuis le début du spectacle et pourtant nous avons vécu avec elle une grande traversée – tournée à la fois vers le passé et vers un improbable, pour ne pas dire impossible, dénouement. Restituant avec beaucoup de tact et de sensibilité l’intériorité et la souffrance de cette mère meurtrie, son jeu est d’autant plus remarquable que pas une seconde elle ne cède au pathos privilégiant un juste équilibre qui donne au texte de Cédric Orain un impact d’une rare, généreuse et bouleversante humanité.
Disparu, de et par Cédric Orain, avec Laure Wolf, créé le 27 juin à La Maison de la Culture d’Amiens – 5 au 24 juillet: Avignon au théâtre du Train Bleu https://www.theatredutrainbleu.fr/disparu.html – 5 et 8 novembre à la Maison de la Culture d’Amiens
(Photo: © Manuel Peskine)
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July 6, 2019 1:46 PM
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Par Etienne Sorin dans Le Figaro le 05/07/2019 Programmer un spectacle de Pascal Rambert en ouverture dans la Cour d’honneur du Palais des papes, un pari osé… et perdu.
Envoyé spécial à Avignon
On dit des grands acteurs qu’ils peuvent rendre le bottin passionnant. Le bon vieil annuaire papier n’étant plus distribué qu’avec parcimonie, par quoi le remplacer? Le Rambert peut faire l’affaire. Un texte de Pascal Rambert n’a pas grand-chose à envier au bottin. Même rigueur formelle, même profusion langagière. Architecture, sa nouvelle création, présentée dans la Cour d’honneur du Palais des papes, est ainsi servie par une distribution so chic qui n’a peur de rien. Par ordre alphabétique: Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès (en alternance avec Pascal Rénéric), Laurent Poitrenaux et Jacques Weber. Pas des perdreaux de l’année. Des bêtes d’acteur. Ils sont tous bien, voire excellents dans le cas de Weber en patriarche monstrueux ou Podalydès en fils aîné bègue. Le cheval aussi est très bien (oui, il y a un cheval), sobre, juste. Il a les meilleures répliques.
» LIRE AUSSI - Jacques Weber: «Avignon, le théâtre et moi»
Mais personne ne sort indemne de trois heures trente (avec entracte) de ce spectacle à la verbosité éreintante. De quoi ça parle, Architecture ? D’une famille d’artistes et d’intellectuels qui règle ses comptes dans la première moitié du XXe siècle. Chaque membre porte le prénom de son interprète, c’est pratique. Jacques (Weber) est un architecte, veuf remarié, écrasant de tout son poids sa progéniture. Il n’a que du mépris pour ses deux fils, Stan (Nordey), philosophe homosexuel, et Denis (Podalydès), compositeur marié à Audrey (Bonnet). Pas beaucoup plus d’amour pour ses filles, Emmanuelle (Béart), épouse malheureuse d’Arthur, lieutenant-colonel belliciste, et Anne (Brochet), mariée à un journaliste populiste, Laurent (Poitrenaux). Jacques n’aime pas non plus vraiment sa seconde femme, Marie (Marie-Sophie Ferdane, dans une imitation de Fanny Ardant), que tout le monde déteste. À table, ils font semblant de manger et de se haïr. C’est Festen, sans l’inceste.
Chacun a son petit moment de gloire, sa tirade implacable, vociférée le plus souvent. Un échantillon? Emmanuelle: «Mais on y arrivera l’amour non possessif en tant que femme je ne suis pas une voiture s’imposera en attendant on fait des efforts surhumains pour aimer et être aimé et on n’y arrive pas je n’ai pas joui depuis combien de temps qui peut dire ici autour de cette table la dernière fois que j’ai joui c’était? Mais je parle de jouir vraiment la grande jouissance qui vous arrache le excuse-moi je comprends dire ça entre le fromage et les sorbets je comprends pardon excusez-moi excusez-moi je suis désolée.» C’est beau comme du Christine Angot. L’écriture de Rambert ressemble à du Jean-Luc Lagarce boursouflé; elle est donc le contraire de Lagarce (Juste la fin du monde), concis, bouleversant.
Chez Rambert, la vraie question n’est pas de savoir de quoi ça parle mais plutôt comment ça parle. Stan, sans doute philosophe du langage, se fait le porte-voix de l’auteur: «Je crois que la parole est performative.» Rambert réinvente la syntaxe et le fil à couper le beurre. Les mots agissent. En l’occurrence, chez ce spécialiste du conflit (voir son tube international Clôture de l’amour) ils ont le pouvoir de faire mal.
«“Architecture” est un memento mori pour penser notre temps» Pascal Rambert En toile de fond, il y a aussi l’Histoire avec une grande hache. Trente ans s’écoulent, de la Première Guerre mondiale à l’Anschluss. Rambert n’a pas choisi la période au hasard. Les guerres et les nationalismes! Notre passé sera notre futur. Il nous aura prévenus. Le délitement de la démocratie était déjà au cœur de l’un de ses spectacles, Les Parisiens ou l’Été de la mémoire des abeilles, déjà au Festival d’Avignon, en 1989. L’homme de théâtre est un prophète persévérant. La fin du monde, ou d’un monde, finira bien par arriver. «Architecture est un memento mori pour penser notre temps», écrit Rambert dans sa note d’intention. Paul Valéry peut aller se rhabiller. Plus sérieusement, sur le même thème, on conseille de lire ou relire Le Jardin des Finzi-Contini, le splendide roman de Giorgio Bassani.
Ici, le mobilier change avec les années, les personnages ne cessent d’évoquer la catastrophe à venir, mais l’Histoire reste ici une abstraction, un grand mot rattaché à aucun événement, ou à peine - une vague allusion à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand en 1914. La famille est trop occupée à laver son linge sale en public. On vous épargne la mise en abyme finale, coup de grâce dans cette Cour d’honneur qui ne verra ensuite que de la danse, avec Akram Khan, et de la musique électro, avec Arnaud Rebotini. The rest is silence.
«Achitecture». La Cour d’honneur du Palais des papes. Jusqu’au 13 juillet à 21 heures tous les soirs sauf dimanche. Légende photo : Jacques Weber interprète un architecte veuf tyranique et Marie-Sophie Ferdane joue sa seconde épouse, le 2 juillet, à Avignon. - Crédits photo : GERARD JULIEN/AFP
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June 30, 2019 7:58 PM
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Par Nathalie Moller sur le site de France Musique, publié le dimanche 30 juin 2019 Il y a 10 ans disparaissait Pina Bausch, l’une des plus importantes danseuses et chorégraphes du XXe siècle.
« A vous de trouver » répondait-elle lorsqu’on l’interrogeait sur le sens de ses spectacles. Disparue le 30 juin 2009, Pina Bausch a été l’une des plus importantes figures artistiques du XXe siècle, ambassadrice de la danse-théâtre dont les chorégraphies ont exploré les diverses émotions humaines, les relations amoureuses et sociales.
Lorsqu’on évoque le nom de Pina Bausch, on pense aussitôt à ces femmes qui se meuvent en robes longues sur scène, à ces hommes en costumes noir qui répètent inlassablement les mêmes gestes, à ces scènes de rires, de cris et de larmes, miroir grossissant de notre vie quotidienne. Derrière ces spectacles intenses : une chorégraphe discrète et mystérieuse, Pina Bausch, qui n’a jamais rien laissé paraître de ses opinions ou de sa vie privée.
« Avec son air aristocratique, tendre et cruel à la fois, mystérieux et familier » (Federico Fellini)
Il faut imaginer Pina Bausch observant ses danseurs pendant leurs répétitions. Elle fume constamment, a les cheveux bruns coiffés en queue de cheval basse, et porte toujours un même uniforme neutre, androgyne.
Calme, avec autant de tendresse que de pudeur, Pina Bausch crée une nouvelle forme de ballet, forme dans laquelle les danseurs parlent, crient, interpellent le public, dans laquelle les morphologies ne respectent aucune norme, si ce n’est la diversité.
« Certaines choses peuvent être dites avec des mots, d’autres avec des mouvements, dira-t-elle en 1999, alors qu’elle vient d’être nommée Docteure honoris causa de l’Université de Bologne. Mais il y a aussi des moments où les mots nous manquent, [...] Alors commence la danse. »
Philippina Philippina Bausch naît le 27 juillet 1940 à Solingen, une ville de l’Ouest de l’Allemagne. Ses parents tiennent un café-restaurant et l’une des activités favorites de Philippina est d’observer les clients, d’écouter leurs conversations, cachée sous une table.
Après des études de danse en Allemagne auprès de Kurt Joos (figure de la danse expressionniste), Philippina Bausch obtient une bourse pour aller étudier à la Juilliard School de New-York. Là, au sein de l’effervescente mégapole américaine, elle découvre une diversité culturelle qui la stimule, l’inspire, et qu’elle aura ensuite à coeur de reproduire au sein-même de sa compagnie en recrutant des danseurs venus des quatre coins du monde.
Bienvenue à Wuppertal Au début des années 1970, Pina Bausch est déjà une danseuse accomplie : elle s’est produite sur la scène du Metropolitan Opera de New York, a collaboré avec des grands chorégraphes internationaux tels que Paul Taylor, enseigne la danse moderne…
Mais en 1973, un important virage s’opère dans sa carrière. Pina Bausch est sollicitée par Arno Wüstenhöfer, le directeur du centre artistique de Wuppertal, ville moyenne de l’Ouest de l’Allemagne, près de Cologne. Wüstenhöfer lui donne carte blanche : elle peut diriger sa troupe de danse, recruter elle-même ses interprètes, et créer ses propres oeuvres.
Premiers pas vers la création Entre 1974 et 1978, Pina Bausch monte deux à trois spectacles par an : certains inspirés de son travail avec Kurt Joos, d'autres créés de toute pièce, ou d’autres encore construits sur des oeuvres préexistantes. Avec Iphigénie en Tauride (1974) et Orphée et Eurydice (1975) de Gluck, elle donne ainsi naissance à un nouveau genre : l’opéra-dansé, dans lequel chant et mouvement se complètent, se répondent.
Mais le cap de la création n’a pas été franchi sans angoisse, sans crainte, et la stratégie de Pina Bausch sera de diriger sans direction : « J’ai simplement osé aller… là où je ne connaissais pas le résultat » explique-t-elle en 2006 face à la caméra de la journaliste Anne Linsel.
La méthode Pina Au début d’une production, Pina Bausch pose des questions à ses danseurs, leur lance des défis : quelles sont les différentes manières de s’asseoir ? Comment danser l’amour ? La souffrance ? Puis elle les laisse improviser, les observe en silence, et choisit un ou plusieurs éléments pour sa chorégraphie.
Cristiana Morganti, danseuse, chorégraphe, et membre du TanzTheater Pina Bausch entre 1993 et 2014, raconte : « J’adorais cette phase, on était vraiment libres de faire tout ce que l’on voulait. Il y avait pleins de vêtements, d’objets à disposition… À certains moments, on était comme des enfants, on s’amusait, on rigolait comme des fous. »
« Mais il fallait en revanche développer une conscience totale de ce que l’on faisait, donner un sens à chacun de nos mouvements, poursuit Cristiana Morganti. Parfois on proposait quelque chose, et Pina nous demandait 5 mois plus tard de refaire exactement la même chose, avec les mêmes détails, la même robe, la même coiffure. »
Essuyer les critiques Alors qu’une véritable famille est en train de se former côté coulisses, la réception des oeuvres de Pina Bausch, elle, s’avère plus contrastée. Dans les années 1970, à Wuppertal, peu de spectateurs apprécient d'assister à des scènes de silence, de violence, de douleur ou de transe collective. Beaucoup sont ainsi scandalisés par cette forme nouvelle qu’est la danse-théâtre (TanzTheater), laboratoire des émotions humaines.
« Quand elle a commencé à faire du TanzTheater à Wuppertal, raconte Cristiana Morganti, le public était en colère. Elle devait parfois rester enfermée jusqu’à 3 heures du matin dans le théâtre, avec le directeur et le scénographe, parce que certains spectateurs furieux l’attendaient dehors ! Ils détestaient, ils avaient honte de ce qu’elle faisait. Et Pina en souffrait beaucoup. »
La reconnaissance « Au début des années 1980, Pina a commencé à aller à l’étranger où elle a eu ce succès phénoménal, retrace Cristiana Morganti. Et là, à Wuppertal, ils ont commencé à se dire que peut-être ils avaient une artiste un peu spéciale ! Maintenant, elle est adorée à Wuppertal. »
C’est au-delà des frontières allemandes, et notamment à Paris, au Théâtre de la Ville, que Pina Bausch rencontre ses premiers succès critiques, reçoit ses premières éloges. Les spectacles se jouent à guichet fermé, les invitations se multiplient, et des oeuvres telles que Le Sacre du Printemps (1975), Café Müller (1978), Kontakthof (1978) ou Nelken (1982) font définitivement date dans l’histoire de la danse.
Entre deux extrêmes « Quand on entrait dans la compagnie de Pina, se souvient Cristiana Morganti, on sentait assez vite que l’on faisait partie de quelque chose de spécial. Qu’on était en train de vivre quelque chose d’unique… Mais à un certain prix ! Pina travaillait avec des horaires impossibles, elle nous demandait d’aller au-delà de nos limites… Et elle était souvent imprévisible ! » L’oeuvre de Pina Bausch repose sur la tension, l’oscillation permanente entre banalité et exceptionnel, entre tendresse et violence. Sur scène, la chorégraphe veut montrer des personnes ‘normales’, tout en révélant leur plus profonde intimité, leurs souffrances et combats intérieurs.
« Les choses les plus belles sont dans la plupart des cas entièrement cachées, disait Pina Bausch dans son discours donné à l’Université de Bologne, en 1999. C’est pourquoi j’aime travailler avec des danseurs qui ont une certaine timidité, de la pudeur, et qui ne s’exposent pas facilement. [...] La pudeur garantit que si quelqu’un montre quelque chose de très petit, cela est vraiment quelque chose de spécial et qu’on le perçoive comme tel. »
Perpétuelles interrogations Pina Bausch répond aux questions par des questions, y compris au sujet de ses oeuvres. Ainsi lorsqu’on l’interroge sur le sens de Café Müller ou de Kontakthof, elle affirme ne pas à avoir de message à délivrer, encourage la subjectivité des spectateurs.
Au fur et à mesure des années, elle élargit cependant son spectre de questionnements, quitte la sphère des émotions intimes pour celle de la culture, de la société. Ses spectacles se font plus lumineux, et ses voyages l’encouragent à mettre en scène d’autres décors, d’autres traditions : la Sicile dans Palermo Palermo (1989), la Turquie dans Nefés (2003), le Japon dans Ten Shi (2004),la Chine dans Le Laveur de Vitres (2000) ...
« Elle a beaucoup changé, se souvient Cristiana Morganti. A la fin, elle nous disait que les gens souffraient déjà assez dans la vie, et qu’ils n’avaient pas besoin de souffrir, en plus, en allant au théâtre ! » Aussi lorsque Pina Bausch et sa compagnie s’installent au Théâtre de la Ville de Paris en 2007 pour y recréer Bandonéon, une pièce particulièrement étirée en longueur, la chorégraphe remet en cause le rythme du spectacle qu’elle avait créé 27 ans plus tôt.
« En 2007, elle sentait que le spectacle avait des faiblesses. Elle-même ne supportait plus certains timings extrêmement longs. Elle hésitait à changer certains éléments, elle avait ce conflit intérieur, mais Dominique Mercy [ndrl : danseur emblématique de la compagnie] l’a encouragé à garder le spectacle tel quel, fidèle à sa première version… »
Nouveaux horizons Tout au long des années 1980 à 2000, Pina Bausch et sa quarantaine de danseurs multiplient les résidences artistiques à travers le monde : Budapest, Palerme, Hong-Kong, Istanbul, Tokyo, Madrid, Séoul, Calcutta… Et c’est une artiste soucieuse d’éviter les provocations qui se révèle à travers ces voyages : « Quand on a fait des coproductions en Asie, en Inde par exemple, elle était très attentive à la manière dont nous étions habillés pour ne pas manquer de respect à la culture, à la religion » fait remarquer Cristiana Morganti.
Car Pina Bausch n’a jamais été habitée par la volonté de déranger ou de mettre mal à l’aise. Elle cherche avant tout à mettre en scène le monde qui l’entoure : « Il ne s’agit pas d’un art, ni même d’un simple savoir-faire. Il s’agit de la vie, et donc de trouver un langage pour la vie », explique-t-elle, en 1999, à l’Université de Bologne.
Dix ans après sa mort, sa compagnie TanzTheater Wuppertal lui subsiste, et continue à jouer ses oeuvres. « Par moment, je sais que ce n’est plus la même chose sans elle, sans sa direction, reconnaît Cristiana Morganti, qui ne danse plus avec la compagnie depuis 2014. Mais c’est vrai que la plupart des spectacles ont une telle force, leur construction est tellement géniale, que je me dis qu’il faut quand même continuer à faire ces spectacles. »
Par Nathalie Moller Légende photo : Pina Bausch à Hambourg, en 1983. , © Getty / VIRGINIA/ullstein bild
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Le spectateur de Belleville
June 30, 2019 7:21 AM
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Publié 9 juin 2019 / Entretien de Marie Astier avec Guillaume Cayet, publié dans Reporterre
En 2017, le paysan Jérôme Laronze était tué par un gendarme. Son histoire, qui allie crise paysanne et violences policières, a inspiré une très belle pièce de théâtre. Guillaume Cayet, l’auteur, mêle intime et politique et rend hommage à cet homme « qui a dit non à un système qui voulait l’engloutir ».
Ce samedi à 20h, dans la ferme du paysan Jérôme Laronze à Trivy en Saône-et-Loire, tué par un gendarme en mai 2017, aura lieu la première d’une pièce de théâtre tirée de son histoire, Neuf Mouvements pour une cavale. Trois balles, tirées par les forces de l’ordre, avaient atteint l’éleveur de vaches — une de côté et deux de dos — alors qu’il s’échappait au volant de sa voiture. Cela faisait neuf jours qu’il fuyait les représentants d’une administration au service, selon lui, de l’industrialisation de l’agriculture. L’histoire a inspiré le jeune auteur dramatique Guillaume Cayet, qui en a tiré une pièce. L’une des quatre sœurs de Jérôme, jouée par une comédienne, nous y raconte dans un monologue magistral comment ce n’est pas seulement un gendarme, mais un système agricole et politique qui a tué l’éleveur. Reporterre a pu assister à l’une des premières lectures publiques de la pièce, qui va au-delà du fait divers et relate avec tact et puissance les impasses imposées au monde paysan. Nous avons interrogé Guillaume Cayet au début de la tournée.
Guillaume Cayet
Reporterre — Votre compagnie est installée dans la ferme d’un céréalier bio, à Ennezat (Puy-de-Dôme), à côté de Clermont-Ferrand. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au monde paysan ?
Guillaume Cayet — Je viens d’un territoire rural à la limite de la Meurthe-et-Moselle et des Vosges. Quand j’ai commencé à écrire, toutes mes pièces parlaient de ce territoire. Je me suis rendu compte qu’il y avait un hiatus entre le territoire duquel je viens et les territoires urbains que j’ai arpentés en tant qu’étudiant. On ne connaît pas les territoires ruraux, les gens qui les peuplent. L’imaginaire que l’on en a est rempli de stigmatisations. L’une d’elles est de dire que le vote frontiste est un vote de beaufs, de la ruralité, de gens qui ne pensent pas. Une autre est la stigmatisation du paysan comme pollueur. Tout cela m’a beaucoup meurtri. Et puis, c’est théâtralement plus intéressant de travailler sur la campagne car la ville est polluée de flux, alors que la campagne ne l’est pas.
Comment avez-vous eu connaissance de l’histoire de Jérôme Laronze ?
On a eu l’idée avec Jean-Paul Onzon — le paysan qui héberge notre compagnie — d’ouvrir un nouveau cycle dans ma fiction, beaucoup plus intime, autour de paroles de paysans. Pendant deux semaines, on a rencontré des paysans et, à la fin, on est allé chez un porte-parole local de la Confédération paysanne [le syndicat agricole auquel Jérôme Laronze adhérait] qui connaissait Jérôme Laronze et qui nous a raconté son histoire. C’était en septembre 2017, quelques mois après sa mort. L’histoire rejoignait mes problématiques passées et à venir parce que je commençais tout juste un travail sur la violence policière avec le sociologue Mathieu Rigouste.
Comment avez-vous ensuite travaillé ?
Au début, j’étais très intrigué par la cavale. Je tentais d’imaginer ce que Jérôme Laronze avait pu vivre pendant ces neuf jours. Mais, assez rapidement, j’ai compris que ce n’était pas du tout de cela que je devais parler. Les violences policières, qui se terminent souvent par un non-lieu, m’ont fait penser à la tragédie d’Antigone qui cherche une sépulture pour son frère, et que Créon ne veut pas octroyer. J’avais lu quelques articles sur Marie-Pierre Laronze, l’une des sœurs de Jérôme, et je me suis dit : voilà, c’est cette femme qui va raconter l’histoire de son frère. Puis, les neuf jours de cavale ont donné neuf mouvements, qui sont autant d’entrées dans les dernières années de la vie de Jérôme. J’ai envoyé une première version du texte à Marie-Pierre, puis on s’est rencontrés, et j’ai retravaillé le texte à partir de ses remarques. Dans la pièce, il y a dans la pièce de fausses informations littéraires, mais aucune fausse information sur le dossier.
Cette histoire vous sert plus largement à poser les problèmes du monde paysan. En quoi n’est-elle pas qu’un fait divers ?
Cette histoire montre que la disparition des petits paysans est un choix politique, donc que ce choix politique est évitable. L’histoire de Jérôme raconte quelqu’un qui dit non à un système qui veut l’engloutir, comment, dans ce système de plus en plus néolibéral, on est obligé de répondre à des normes de plus en plus strictes parce qu’elles sont faites pour de gros groupes, pour l’agrobusiness. C’est la première chose.
La deuxième est qu’elle permet de faire le lien entre les consommateurs et consommatrices et les producteurs et productrices, et de montrer que l’on est beaucoup plus responsables que ce qu’on imagine de ce que l’on met dans nos assiettes. Cette histoire dit en miroir aux consommateurs et aux consommatrices : « Si vous voulez payer votre assiette moins cher, regardez les conséquences. »
Seule en scène, une comédienne joue la soeur du paysan décédé. Un côté très intime et quotidien de la vie paysanne est aussi mis en scène. Pourquoi ?
Une phrase ponctue le texte : « Entre le paysan et son oreiller, il y a… » et finit par « entre le paysan et son oreiller, il y a un meurtre commis par le sommeil sur les rêves ». C’est cela qui m’intéressait, comment l’intime, le privé, est politique. Et puis la pièce ne veut pas faire une hagiographie de Jérôme Laronze, dire qu’il était un saint. Elle raconte la vie d’un paysan avec, aussi, ses travers. L’intime permet de complexifier.
Quel sens cela a-t-il de commencer la tournée en jouant à la ferme de Jérôme ?
On a voulu offrir cette première à la famille et aux proches. C’est important pour moi de dire : « Ce texte, je l’ai écrit en imaginant votre frère, votre proche. » Et puis, on a envie de s’impliquer, que notre démarche soit parallèle à celle du comité de soutien et de la famille. À chaque fois que l’on joue le spectacle, on organise ensuite un débat en invitant soit Marie-Pierre, soit des spécialistes, soit des gens du coin pour essayer de produire non seulement un savoir littéraire, mais aussi des savoirs théoriques, pratiques, et des débats.
Quelles ont été les réactions du public aux premières lectures avant la tournée ?
L’histoire est tellement sidérante que les gens sont bouleversés. Ils sont étonnés de ne pas en avoir entendu parler. Mine de rien, comme pour Rémi Fraisse, le fait que cela se soit produit sur un corps blanc et pas un corps racisé change beaucoup de choses. D’un coup, la violence policière est partout, plus personne n’est à l’abri.
Par ailleurs, la pièce va très loin dans l’intime : c’est juste une comédienne qui parle pendant une heure, donc il se produit un phénomène d’identification, soit avec la sœur, soit avec le frère.
Enfin, il y a un retour comique concernant l’avocat du gendarme. Il a réagi dans les médias et je l’ai introduit dans la pièce. Comme le titre est Neuf Mouvements, il a dû penser que c’était une comédie musicale, ou un ballet. Donc il a dit que l’on n’avait pas à faire un barnum de cette affaire, que, bien sûr, il y avait une victime, mais qu’il y en avait d’autres, le gendarme et sa famille, et que pour ces gens, on ne pouvait pas se permettre de raconter l’histoire alors que l’affaire est encore en cours. Ce qui est intéressant et militant dans la pièce est justement de prendre parti sur une affaire en cours. Et la réaction de l’avocat est, finalement, très valorisante car elle signifie que l’adversaire croit plus à la puissance du théâtre que nous.
Que vous a apporté l’histoire de Jérôme Laronze dans votre travail sur les violences policières ?
Mon travail sur les violences policières a beaucoup découlé de pensées théoriques, notamment de celle de la sociologue Elsa Dorlin. Cette dernière dit que quand un corps essaye de se défendre, il est rendu indéfendable. C’est vraiment l’histoire de Jérôme, mais aussi celle d’Adama Traoré, de Lamine Dieng, où à chaque fois on a voulu criminaliser la victime et la rendre indéfendable. C’est horrible de constater que la théorie et la pratique entrent totalement en adéquation.
Cela montre que l’État, et sa violence légitime, produisent des rapports similaires sur les corps qu’il veut dominer. Tout cela relève d’une même logique d’écrasement des classes laborieuses. Cela rejoint également ma réflexion sur la métropolisation et l’urbanisation à outrance, qui ne créent que des principes sécuritaires, qui eux-mêmes créent une police de plus en plus répressive, donc de plus en plus violente.
Comme le sujet en est très politique, la pièce est-elle difficile à diffuser ?
C’est horrible de dire cela, mais c’est un monologue, donc la pièce ne coûte pas cher, et on a beaucoup de dates.
Cependant, je trouve que le théâtre a aujourd’hui un problème : souvent, il se veut politique, montre des conflits sur le plateau, mais, à la fin, les réconcilie. Tout cela va dans le sens d’un effacement des classes sociales. En sortant du spectacle, les gens se sentent contents et vont boire un verre. Cela va avec le problème qui est que le théâtre, aujourd’hui, s’adresse à une élite blanche plutôt vieillissante. Très peu d’ouvriers et de racisés vont au théâtre, et les agriculteurs, n’en parlons pas ! Le théâtre que l’on revendique n’est pas du tout cela ! On ne veut pas mettre les gens d’accord.
Neuf mouvements pour une cavale, une pièce de la Compagnie le désordre des choses, écrite par Guillaume Cayet, mise en scène par Aurélia Lüscher et jouée par Fleur Sulmont en alternance avec Cécile Bournay. Les représentations ce week-end :
Samedi 29 juin, 20 h, ferme de l’Amarante, Les Senauds, Trivy (Saône-et-Loire). Il s’agit de la ferme de Jérôme Laronze, reprise par le compagnon d’une de ses sœurs. Dimanche 30 juin, 15 h, chez Bernard Taton, Saint-Albin (Saône-et-Loire). Bernard Taton connaissait bien Jérôme Laronze et adhérait au même syndicat que lui, la Confédération paysanne. L’ensemble des autres dates est indiqué ici.
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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 3:59 PM
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Par Gilles Renault dans Libération — 15 juillet 2019
Passé maître dans l’art d’associer théâtre et vidéo, le metteur en scène, qui présente «Festen» à Paris, mène de front une quête à la fois artistique et citoyenne. Quiconque douterait du fait qu’en juillet le théâtre a droit de cité ailleurs que dans celle des papes pourra par exemple passer une tête au Centquatre. Où sous la si vibrionnante nef des anciennes pompes funèbres de la Ville de Paris se (re)joue la sombre partition de Festen, règlement de compte familial XXL où, entre la poire et le fromage, les convives découvrent l’indicible réalité d’un patriarche jadis coupable des pires infamies. Soit le fameux drame à l’étouffée du cinéaste danois Thomas Vinterberg, primé à Cannes en 1998, tel que transposé sur scène avec, caractéristique essentielle, l’omniprésence fureteuse d’une caméra traquant, par écrans interposés, les moindres gestes, attitudes et réactions des protagonistes.
Chef d’orchestre à la tête du collectif MxM, qu’il a fondé en 2000, le metteur en scène Cyril Teste a la théorisation fluide. Il loue «la beauté de la caméra qu’on écoute, dès l’instant que l’image vous parle, à l’inverse d’une prothèse qui ne saurait inventer de toutes pièces une intensité et une énergie propres au jeu des comédiens». Affirme que «l’innovation ne vient pas tant de la technologie que de l’usage qu’on en fait». Et précise vouloir scruter «ces espaces où le regard peut encore choisir d’errer», dans une époque multiconnectée qui paraît de plus en plus irrémédiablement obsédée par l’idée de ne plus concéder le moindre interstice au vide et au silence. Ce qui, métaphoriquement, donnera : «Plutôt que le tsunami, il me semble plus intéressant de partir au large, filmer ces petites ondes sur l’eau, quasi imperceptibles, qui annoncent la catastrophe.»
Au vrai, cela commence à faire un bail que Cyril Teste occupe une place de choix dans cette vision contemporaine du théâtre, où la vidéo et la musique se veulent bien plus que des adjuvants. Avec vingt-six mises en scène à plus ou moins haute teneur technologique depuis 1999, le personnage sans apprêt squatte le terrain avec la constance de celui qui pense «devoir garder le fil tout du long, pour espérer obtenir à la fin un semblant de vérité». Et, performances filmiques, lectures ou même opéra, nombre de ses projets ne passent pas inaperçus. A l’instar de Nobody, regard acerbe sur le monde de l’entreprise qui a attiré les foules dès 2015 ; ou, dernièrement, d’une relecture du Opening Night de John Cassavetes, marquant le come-back sur scène de l’icône Adjani. Une pièce dont le si bien nommé Teste décide de «revoir toute la mise en scène, seulement quatre heures avant la première», plus que jamais persuadé qu’au théâtre, lieu de recherche par excellence, «la démarche prévaut sur le résultat».
«A la fois véritable boule de nerfs dans le privé et directeur artistique vigilant, totalement investi par ce qu’il pense et prêtant une grande attention aux relations humaines, Cyril est un angoissé magnifique», abonde Stéphane Ricordel, codirecteur du festival Paris l’été, où se joue cette semaine Festen. «Qui pourrait imaginer que ce garçon, bosseur infatigable, capable de grands élans poétiques et possédant une culture générale monstrueuse, a redoublé sa première et sa terminale ?» ajoute celui qui, également à la tête du théâtre Monfort, va jusqu’à présenter Cyril Teste comme «le petit frère» qu’il aurait aimé avoir.
A propos de filiation, pour sa part, le metteur en scène envisage l’art comme «un moyen de survivre à ses manques et de se réconcilier avec son histoire», la sienne, en l’occurrence, n’étant pas des plus conventionnelles. Lui et son frère aîné, aujourd’hui militaire, poussent en pleine cambrousse dans le Vaucluse. Le petit-fils de paysan a 7 ans quand son père met les voiles et l’éducation se fait au contact des femmes, grand-mère, tante et surtout mère qui, secrétaire médicale, improvise à l’occasion «une garderie entre la morgue, l’hospice et les urgences».
Le véritable épanouissement, lui, se passe au contact de la nature environnante, autour de cette grande ferme au milieu des bois où il grandit, à 3 kilomètres du premier village. «Je partais parfois des heures avec mon chien et si on voulait me trouver, il valait mieux lever la tête», se souvient le gamin solitaire aux «velléités chamaniques» qui, à son tour, encourage désormais les deux fils de 5 et 9 ans qu’il a eus avec sa compagne, Carine Ogier (par ailleurs administratrice du Monfort), à chérir les arbres.
Mais les années 80 voient aussi la console Atari, le jeu vidéo Space Invaders et les mangas révolutionner l’ADN de toute une génération de mioches, qui troquent l’arc et les flèches en branches de noisetier contre une manette. «Mes émotions se sont construites à travers l’image plus que le verbe», resitue l’ancien dyslexique qui, douce vengeance, enjoint maintenant ses acteurs de «ne pas jouer les mots».
Admis aux Beaux-Arts de Marseille, Cyril Teste, qui a découvert le théâtre à la MJC, préfère finalement l’Erac, l’Ecole régionale d’acteurs de Cannes. Puis le Conservatoire de Paris, où naîtra son collectif associant comédiens, vidéastes, scénographe, webmaster, éclairagiste et compositeur. La machine MxM est lancée qui, depuis, ne cesse de carburer.
La quarantaine entamée, le metteur en scène amateur de bonne cuisine et de vin s’efforce de lever le pied pendant les vacances scolaires - comme cet été, où il part en famille dans le Sud, puis en Bretagne. Très attaché à sa Provence, dont subsiste une pointe d’accent, et des mains sans cesse en mouvement quand il s’exprime, l’«héritier de Pagnol» vit cependant de l’autre côté du périph parisien, à Montreuil, dont il loue ses vertus multiculturelles aux antipodes de l’intolérance qui, sur ses terres, gangrène les mentalités et le mine : «Un de mes amis d’enfance est algérien et j’ai très vite compris la souffrance, l’injustice et la violence qui n’ont cessé de s’amplifier dans cette région où je continue de voter, estimant que ma voix est plus utile là-bas qu’à Paris.»
Cette année, comme le précisait l’incipit, Cyril Teste n’est pas à Avignon. Mais, dès 2004, certains de ses spectacles y ont été créés. Une forme de consécration pour l’enfant du pays qui, toutefois, se souvient avoir été plus bercé par le chant des cigales que par les trompettes de la renommée. «Lorsque j’étais petit, nous ne fréquentions pas le festival. D’ailleurs, mon activité artistique favorite était le dessin puis, plus tard, la guitare jazz et la danse, autres médiums dans lesquels j’ai un temps songé m’investir. Après, quand j’ai grandi, il m’est arrivé d’y aller, mais pas pour voir des spectacles. Juste pour boire des coups avec les copains, ou se balader en ville.»
16 mars 1975 Naissance à Carpentras (Vaucluse). 1998 Conservatoire de Paris. 2000 Création du collectif MxM. 2010 Reset. 2015 Nobody. 16 au 19 juillet Festen au CentQuatre (75019). Légende photo : Cyril Teste, à Paris le 12 juillet. Photo Cyril Zannettacci. Vu
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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 3:06 PM
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Dans le jardin de la Maison Jean-Vilar, six comédiens lisent jusqu’au 18 juillet des œuvres d’auteurs francophones issus du continent.
Par Raoul Mbog dans Le Monde Afriques 15 juillet 2019
Tous les matins, à 11 heures, Avignon change de continent. C’est l’heure où les « amateurs des littératures africaines », mais aussi les curieux, se donnent rendez-vous à la Maison Jean-Vilar entre l’ancien palais pontifical et la place de l’Horloge. Là, dans le centre historique de la Cité des papes, RFI organise un voyage quotidien baptisé « Ça va, ça va le monde ! », en partenariat avec le festival.
Ce cycle de lectures publiques de textes francophones des pays du Sud veut « contribuer à une meilleure visibilité de ces dramaturges, souvent sous-exposés voire ignorés, en tout cas dont la présence sur les scènes françaises et européennes est malheureusement encore très faible », explique Pascal Paradou, coordinateur du projet depuis son lancement, il y a sept ans. Enregistrées dans cette bâtisse médiévale, réaménagée en hôtel particulier au XVIIe siècle, où rôde encore une partie de l’âme du fondateur de la manifestation culturelle, ces lectures sont ensuite diffusées tout l’été sur les antennes de RFI, « la radio mondiale ».
Samedi 13 juillet, pour la première séance d’ouverture du cycle, Valéria et près de 300 autres personnes assistent à la lecture de la pièce Les Inamovibles, un texte du jeune dramaturge béninois Sèdjro Giovanni Houansou, lauréat du prix RFI Théâtre 2018. Une histoire tragique, comme la plupart de celles liées à la migration, mais que l’auteur relate à la fois avec drôlerie et gravité.
C’est le drame de Malik, parti « tenter sa chance » en Europe, et qui finit par se jeter sous un train, afin de ne pas rentrer la tête basse au pays. C’est le calvaire de Lamine, autre exilé, qui souhaite repartir chez lui, mais dont le retour s’avère impossible, car il est « prisonnier » d’un vil passeur. C’est enfin la tragédie de celles et ceux qui, sur le continent, attendent. En somme, un autre regard sur la question des migrations, qui explore l’impossibilité du retour.
Pari réussi Fortuitement accompagnés par le chant des cigales et la musique des grillons, les six comédiens (dont deux femmes) offrent leur voix à ce texte poignant. Et le public, par ses rires, ses applaudissements, ses murmures, se surprend tantôt en acteur tantôt en personnage de la pièce. Sans doute en a-t-il été de même pour les 6 000 personnes qui ont suivi la représentation en direct sur les réseaux sociaux. Pari réussi, donc, pour le metteur en scène belge Armel Roussel, qui a mis en voix les six textes programmés pour cette édition 2019 de « Ça va, ça va le monde ! ».
Jusqu’au 18 juillet, trois autres auteurs dramatiques francophones subsahariens seront lus à Avignon. Le Camerounais Sufo Sufo, qui décrit une jeunesse rêvant d’exil dans sa pièce Debout un pied. Le Guinéen Souleymane Bah, dont le texte Danse avec le diable interroge les liens entre la corruption et le terrorisme qui gangrènent une partie de son continent. Le Togolais Mawusi Agbedjidji, qui revient sur la déculturation imposée par la colonisation avec sa pièce Transe-maître(s).
Autant de thèmes que le public pourra également retrouver lors de la lecture des textes d’auteures venues d’autres espaces de la francophonie. Ainsi, la Franco-Roumaine Alexandra Badea explore-t-elle la question de l’aide aux migrants dans Celle qui regarde le monde, et la Libanaise Hala Moughanie qui va clore ce cycle de lectures avec Memento Mori, sur la question ténue de la quête d’identité.
La programmation de ce rendez-vous est opérée en fonction de la thématique du Festival d’Avignon, dont cette 73e édition porte sur « L’odyssée ». « Ce cycle de lectures aura déjà permis d’entendre et d’enregistrer trente-six textes d’auteurs francophones, soit le début d’une belle collection radiophonique », indique, satisfait, Pascal Paradou pour souligner la pertinence de ce projet. Une pertinence que reconnaît le comédien et dramaturge congolais Julien Mabiala Bissila, présent à Avignon et fidèle chaque année à ce rendez-vous. « C’est une aubaine pour le public africain, qui souffre d’une absence de lieux de théâtre, d’espaces de création et de diffusion », fait savoir l’artiste qui vit entre Brazzaville, Paris et Bruxelles.
« En réalité, la radio est le plus grand théâtre que l’on puisse imaginer. Notre rôle de média de service public est aussi de sensibiliser à l’écriture contemporaine », ajoute Cécile Mégie, directrice de RFI, également avec enthousiasme et une petite pointe de satisfaction. Plutôt légitime, quand on observe le public qui se précipite chaque matin au jardin de la Maison Jean-Vilar.
Raoul Mbog (Avignon, envoyé spécial) Légende photo : Les six comédiens de « Ça va, ça va le monde ! », le cycle de lecture de textes francophones des pays du Sud dans le cadre du Festival d’Avignon, en juillet 2019. Anthony Ravera / RFI
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Le spectateur de Belleville
July 15, 2019 12:17 PM
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Iphigénie à Splott mise en scène par Blandine Pélissier à L’Artéphile restitue les accents profondément humains de l’écriture de Gary Owen. Comment une jeune galloise, immature et paumée, dans un quartier à la dérive de Cardiff va-t-elle être amenée à se sacrifier en toute conscience pour le bien de la communauté ? Où il est question d’alcool, d’amour, d’énergie et de transcendance. D’UNE IPHIGÉNIE À L’AUTRE Figure mythique de la littérature et des arts, Iphigénie est associée depuis l’Antiquité à l’idée de sacrifice. Les Grecs, aux portes de Troie, victimes de vents contraires, exigeaient qu’Agamemnon mène sa fille à l’autel pour apaiser les dieux. A Splott, un quartier du sud de Cardiff, frappé par le chômage et la misère, Efflie a subi un terrible préjudice. Mais, cette Iphigénie moderne, refuse de rester prisonnière d’un destin écrit par d’autres. C’est avec une lucidité assassine qu’elle immole l’indemnisation qu’elle est en droit de recevoir pour le bien de la communauté.
Sous l’écriture de Gary Owens ( manuscrit traduit en français par Blandine Pélissier et Kelly Rivière -dont M La Scène avait adoré An Irish Story-), Efflie décide ne n’être plus victime. La jeune fille combative, bravache et insolente choisit en toute conscience de s’oublier. D’oublier la violence qui lui a été faite, qui l’a meurtrie au plus profond de sa chair et de son âme. D’oublier sa vengeance, pour que les autres, les plus démunis, ses compagnons de misère, ne soient pas encore plus coupés des aides sociales.
« Quand vous me voyez bourrée dès le matin là, à zoner. Vous vous dites – Pauv’ pouffiasse. Sale traînée. Mais savez quoi ? Ce soir Vous êtes tous là pour me rendre grâce À moi. Ouais, j’sais, ça pique Mais vous là, chacun d’entre vous Vous me devez quelque chose. Et ce soir – les mecs et les meufs, mesdames et messieurs – Je suis venue pour ramasser. «
Pour incarner Effie, Blandine Pélissier a fait appel à Morgane Peters. Seule en scène, la jeune comédienne donne corps à la langue âpre et féroce du personnage. Sur un plateau volontairement minimaliste, l’accent est mis sur l’énergie, la force lumineuse de cette « laissée-sur-le-carreau », qui empoigne son destin pour le transcender.
A voir à L’Artéphile, à 21h40
Festival OFF d’Avignon 2019
Texte : Gary OWEN / Mise en scène : Blandine PÉLISSIER / Interprétation : Morgane PETERS / Lumières : Ivan MATHIS / Son :Loki HARFAGR / Collaboration artistique, scénographie, costumes, graphisme : SO BEAU-BLACHE /
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July 13, 2019 12:51 PM
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Par Sophie Jouve pour Francetvinfo.fr 12 juillet 2019 Avec un livre pour seul accessoire, emporté par sa passion pour Phèdre, un comédien campe tous les personnages de la plus célèbre des tragédies de Racine : un spectacle aussi délirant qu’instructif.
C’est un grand éclat de rire qui nous vient de Suisse (le spectacle est programmé dans le cadre de la sélection suisse en Avignon) et les places sont déjà prises d’assaut. François Gremaud a conçu et met en scène ce monologue interactif remarquablement interprété par le comédien Romain Daroles. D’abord conçu pour les lycées, ce petit bijou s’est installé à la Collection Lambert (ce musée d'art contemporain dispose d'une salle de théâtre) dans le cadre de la programmation du Festival In. A en croire les fous rires du public, un bel avenir s’ouvre devant lui. Seul en scène, avec une table et le livre Phèdre ! à la main, Romain Daroles s’enivre de la puissance des alexandrins, de la langue et du génie de Racine qui agence si bien le fond et la forme. Il décortique la généalogie des protagonistes par un désopilant name dropping ! Phèdre, la petite fille d’Hélios, le dieu du soleil, a aussi sa part d’ombre… Mettre en scène l'étonnement Tout à sa passion pour l’œuvre qu’il s’attache à partager, l’orateur se met à endosser tous les personnages et à rejouer la pièce avec son livre pour seul accessoire ; et ce livre devient successivement la couronne de Phèdre, la barbe de Théramène, l’armure de Thésée ou la mèche rebelle du bel Hippolyte, ce beau-fils dont Phèdre est tragiquement amoureuse. Les blagues potaches côtoient les remarques pertinentes et ironiques et d’autres fraiches et naïves, "pour mettre en partage sans mettre à distance" selon l’expression de François Gremaud lors de la traditionnelle conférence de presse d’après-spectacle. "Ce qui me plaît de mettre en scène, c’est l’étonnement à la base de la pensée. Comme j’aime beaucoup Phèdre c’est facile pour moi (…) Je suis suisse, j’ai étudié à Bruxelles, le mélange du dada et du surréalisme m’aide aussi sans doute ! La joie peut contenir toute la tragédie du monde". Un monologue joyeux, lumineux et instructif Sous une apparente simplicité, le texte ciselé rend toute la complexité de l’œuvre. Cette très jolie découverte, on la doit à Vincent Baudriller, ex-directeur associé du Festival d’Avignon et actuel directeur du Théâtre Vidy-Lausanne, qui a eu la riche idée de passer commande à François Gremaud qui avait déjà épaté les festivaliers avec son spectacle Conférence de choses. Phèdre ! un monologue joyeux, lumineux et instructif. Une déclaration d’amour à Racine mais aussi au théâtre. Le public ne s’y trompe pas en lui réservant une belle ovation. Bonne nouvelle, Phèdre ! part en tournée... "Phèdre !" de François Gremaud A la Collection Lambert, Avignon 11-21 juillet 2019 à 11h30 En tournée : Du 20 au 23 novembre 2019 MA scène nationale, Pays de Montbéliard Du 26 et 27 novembre 2019 Avant-Scène, Cognac Du 3 au 6 décembre 2019 Carré-Colonnes, Saint Médard-en-Jalles Du 9 au 13 décembre 2019 Théâtre Le Reflet, Vevey Du 14 au 17 décembre 2019 - L'Avant-Seine, Colombes Le 21 janvier 2020 - Theater Winterthur Du 22 au 24 janvier 2020 Théâtre du Passage, Neuchâtel Du 28 au 30 janvier 2020 - Théâtre de l'Archipel, Perpignan Du 3 au 7 février 2020 - Théâtre de Proche, Hédé-Bazouges Du 10 au 14 février 2020 - Epinal Du 17 au 21 février 2020 - Le 140, Bruxelles Du 2 au 4 mars 2020 - Vitrolles Du5 et 6 mars 2020 - Istres Du 10 au 13 mars 2020 - Nantes Du 16 au 18 mars 2020 - Maubeuge 24 mars 2020 - Théâtre de Chelles 26 et 27 mars 2020 - Espace 1789, Saint-Ouen Du 30 mars au 3 avril 2020 Arras Douai Du 6 au 10 avril 2020 Saint-Brieuc Du 16 au 18 avril 2020 - Terrasson Du 4 au 7 mai 2020, du 11 au 16 mai, du 18 au 20 mai, du 25 au 29 mai, du 2 au 6 juin 2020, Théâtre de la Bastille, Paris
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Le spectateur de Belleville
July 7, 2019 7:42 PM
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Par Patrick Sourd dans les Inrocks 28.06.2019 La Brésilienne évoque les coulisses du nouveau volet de son diptyque inspiré par Homère, où l’on croise des Indiens d’Amazonie et des réfugiés de toutes les nationalités. Le contexte brésilien infuse toujours en profondeur dans les spectacles de Christiane Jatahy. En 2018, avec sa pièce précédente Ithaque – notre Odyssée I, elle s’inspirait déjà d’Homère pour rappeler la manière dont Pénélope avait dû résister à la violence des prétendants au trône d’Ulysse et en faire la métaphore du climat délétère et des attaques qui visaient la présidente Dilma Rousseff et ont conduit à sa destitution en 2016.
Pour le deuxième volet de ce diptyque, la metteuse en scène porte un regard qui embrasse les violences à l’œuvre dans de nombreuses parties du monde sans oublier le Brésil. Revenant sur l’histoire d'un retour d'Ulysse qui dura dix années, elle s’attache aux temps forts de son périple légendaire pour les faire résonner avec le destin d’errance auquel sont confrontés les réfugiés d’aujourd’hui.
“J’ai souhaité mêler la fiction immémoriale à la réalité vécue au présent par des personnes contraintes par les guerres à fuir leur pays”
“A travers la geste poétique du héros d’Homère, j’ai souhaité mêler le récit d’une fiction immémoriale partagée par tous à la réalité vécue au présent par des personnes contraintes par la violence des guerres à fuir leur pays”, résume Christiane Jatahy.
En l’occurrence, O agora que demora – Le présent qui déborde, notre Odyssée II va d’abord se construire à travers un documentaire recueillant les témoignages de personnes déplacées, réfugiées en Palestine, au Liban, en Grèce et en Afrique du Sud.
Des réfugiés syriens, iraniens, irakiens
“Nous avons travaillé avec des comédiens et des comédiennes ayant un statut de réfugié, poursuit-elle. Dans le camp de Jenine en Palestine, nous les avons filmés à seulement quelques kilomètres de leur maison et des villes d’où ils ont été chassés. Au Liban nous avons tourné avec des Syriens, en Grèce avec un comédien iranien et un auteur irakien, en Afrique du Sud avec des familles qui avaient fui le Malawi et le Zimbabwe.”
Ainsi, chaque fable tirée de L’Odyssée devient le prétexte à des confessions bouleversantes témoignant du vécu de ses acteurs. Se réclamant d’un dialogue entre le film sur l’écran et l’instantané du théâtre, la pièce trouve sa forme à la croisée troublante de ces deux temporalités. Pour ses concepteurs, questionner l’intime des comédiens avec un tel projet ne pouvait se penser qu’en acceptant de briser l’armure.
Le scénographe Thomas Walgrave ainsi a décidé de lire des passages du journal intime tenu par son grand-père, qui avait fui son pays durant la Seconde Guerre mondiale et s’inquiétait que la famine ait atteint la Belgique où il avait laissé sa femme et l’enfant en bas âge qui deviendra sa mère.
On sait que L’Odyssée ne s’achève pas à Ithaque. Pour apaiser Poséidon dont il a tué le fils, Ulysse doit reprendre son chemin en portant une rame à l’épaule pour aller à la rencontre d’une communauté d’humains qui en ignorent l’usage.
Le retour à la maison des origines, un graal
Ce sera pour Christiane Jatahy l’occasion de revenir sur un épisode dramatique de l’histoire de sa famille, quand l’avion qui transportait son grand-père fut victime d’un crash au cœur de la forêt amazonienne en 1952.
“Comme Pénélope, ma grand-mère a attendu son retour toute sa vie avec l’espoir qu’il ait survécu. J’ai décidé que cette odyssée ne s’achèverait pas pour moi sans partir à la recherche des traces de sa présence dans la jungle, en questionnant les descendants des Indiens kayapos qui vivaient sur le territoire où son avion s’était perdu. C’est sur cette rencontre avec des hommes et des femmes qui pouvaient avoir encore la mémoire de ce qui lui était arrivé que je voulais clore ce spectacle, où le retour à la maison des origines est un graal pour tous ceux que nous avons rencontrés.”
Une manière pour Christiane Jatahy de prendre à rebrousse-poil un discours politique qui instrumentalise chaque réfugié pour en faire un intrus dans nos sociétés, alors qu'aucun n'a renoncé au désir ni à l'espoir de retrouver un jour la terre de leur patrie.
O agora que demora – Le présent qui déborde, notre Odyssée II d’après L'Odyssée d’Homère, mise en scène, réalisation, dramaturgie Christiane Jatahy. Du 5 au 12 juillet, gymnase du lycée Aubanel, Avignon
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Le spectateur de Belleville
July 7, 2019 7:22 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde le 8 juillet 2019 A Avignon, Julie Duclos fait résonner la pièce de Maurice Maeterlinck avec notre monde d’aujourd’hui.
Maurice Maeterlinck (1862-1949), l’ogre rêveur des lettres belges, est doublement présent à Avignon cette année. Et c’est bien : dans le fracas et le bavardage incessant du monde actuel, on aime à retrouver cette œuvre qui s’approche des clapotis de l’âme humaine, dans ses silences et ses secrets. En ce début de festival, la jeune metteuse en scène Julie Duclos s’attaque à Pelléas et Mélisande, l’œuvre maîtresse du poète symboliste belge, écrite en 1892. Puis la non moins jeune Céline Schaeffer – avec sa République des abeilles – livrera sa vision de La Vie des abeilles, œuvre plus méconnue du maître, qui obtint le prix Nobel de littérature en 1911.
La jeune femme a débarrassé la pièce du bric-à-brac symboliste qui lui est souvent attaché
C’est un beau Pelléas que celui de Julie Duclos, qui, comme tel, a été fort bien accueilli par le public à l’issue de la première, le 5 juillet, à La Fabrica d’Avignon. La jeune femme, qui figure désormais parmi les metteurs en scène qui comptent en France, a débarrassé la pièce de tous les clichés qui l’encombrent, du bric-à-brac symboliste qui lui est souvent attaché. Elle repart du texte et de lui seul, de sa poésie brute et concrète, des échos qu’il renvoie à notre monde d’aujourd’hui.
Pelléas est aussi pour elle l’occasion d’affirmer un geste de mise en scène où la vidéo, le son, la scénographie, la lumière jouent à parts égales avec les acteurs. C’est d’ailleurs d’abord par l’image que Julie Duclos, cinéphile avertie, attaque son spectacle, en un étonnant montage de plans en noir et blanc de paysages de brume ou de neige d’une beauté à couper le souffle. Et c’est encore à l’image, en couleurs cette fois-ci, que commence l’histoire, qui voit le prince Golaud, chassant le sanglier dans la forêt, tomber sur une jeune femme comme surgie de nulle part : Mélisande.
Un château sans soleil Mélisande qui a ici la beauté brune de l’actrice qui la joue, l’excellente Alix Riemer, Mélisande dont on ne sait pas d’où elle vient, ni ce qu’elle a subi avant d’échouer dans cette forêt. Golaud (Vincent Dissez) l’emmène au château de son grand-père, le roi Arkel, et l’épouse. Dans cet univers d’eaux dormantes, le drame, ou plutôt la « tragédie du quotidien » chère à Maeterlinck, se noue. « Je ne suis pas heureuse », se lamente Mélisande dans le château sans soleil. Mélisande et Pelléas (Matthieu Sampeur), le jeune demi-frère de Golaud, tombent amoureux l’un de l’autre, en un amour interdit qui déclenchera la jalousie irrépressible de Golaud, et les perdra tous deux.
Julie Duclos la fait entendre autrement, cette pièce souvent montée de manière assez éthérée. Tout en respectant totalement le texte, sa musicalité et son mystère, elle rend plus présentes les circonstances dans lesquelles prend place l’amour des deux jeunes gens. Un château, forteresse assiégée et grotte obscure, qui se meurt. Une guerre qui rôde, avec son corollaire, la famine, et des réfugiés qui s’aventurent jusqu’aux portes du château. Une jeunesse empêchée de vivre dans un monde trop vieux.
Les personnages sont d’ailleurs vêtus de costumes tout à fait contemporains, banals, ordinaires. La scénographie, une sorte de double boîte ouverte à étage, permet à Julie Duclos, grâce à la lumière et à l’image, de créer nombre d’atmosphères différentes, d’opérer des cadrages, d’alterner plans larges et gros plans, de faire entrer la forêt ou la mer qui entourent le château.
Entre trivial et sublime Entre ciel et terre, entre rêve et réel, trivial et sublime, jouant avec les légendes et les mythologies, le théâtre de Maeterlinck n’est pas simple à interpréter, mais Julie Duclos, dans sa direction d’acteurs, a su trouver une forme de simplicité et d’évidence. Sa distribution est parfaite, où brille d’abord le grand Philippe Duclos, qui n’est autre que le père de la jeune femme, dans le rôle du roi Arkel, celui qui dit : « Je suis très vieux, et cependant je ne suis pas encore parvenu à voir clair en moi-même. »
Vincent Dissez donne une sensibilité, une complexité au personnage de Golaud, qui n’est pas qu’une simple brute
Vincent Dissez donne une sensibilité, une complexité au personnage de Golaud, qui n’est pas qu’une simple brute. Quant aux deux amoureux, ils sont dans une forme de fragilité magnifique et offerte, deux enfants perdus qui aimeraient trouver leur île déserte, mais seront rattrapés par la société.
« Voici ce que je voudrais faire, écrivait Maeterlinck en 1898 : mettre des gens en scène dans des circonstances ordinaires et humainement possibles, mais les y mettre de façon que par un imperceptible déplacement de l’angle de vision habituel apparaissent clairement leurs relations avec l’inconnu. » Maeterlinck est un guide inégalable pour mener vers les territoires les plus silencieux de l’âme humaine.
Pelléas et Mélisande, de Maurice Maeterlinck. Mise en scène : Julie Duclos. Festival d’Avignon, La Fabrica, les 6, 7, 9 et 10 juillet, à 18 heures. Durée : 2 heures. Puis tournée saison 2019-2020 en France ; à Paris, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, du 22 février au 21 mars 2020.
Légende photo : Alix Riemer (Mélisande). Guillaume Malichier
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July 7, 2019 2:44 PM
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Craquante et touchante, à rire et à pleurer dans sa robe de mariée cousue de sacs en plastique, se triturant les doigts, se tordant la bouche et levant les yeux au ciel comme le ferait une petite fille espiègle - elle qui est devenue, avec le temps passant sur ses rêves inassouvis, "sans âge" -, ce personnage lunaire inventé de toutes pièces par Serge Valletti est ni plus ni moins fabuleux.
En elle se cristallisent les aspirations et frustrations mises à nu de ceux et celles qui, n'ayant pu vivre dans la réalité ce à quoi ils aspirent, trouvent dans un imaginaire aux confins de la folie, "la raison" d'être au monde.
Catherine Marnas, avec la même comédienne (Martine Thinières qui semble être née pour incarner ce rôle tant elle l'endosse comme une seconde peau), remet subtilement en jeu dix-sept ans après sa création "Mary's à minuit", tragi-comédie où le goût des autres, cher à Serge Valletti, s'exprime avec un subtil humour mâtiné de cruauté douce (l'oxymore semble ici de mise).
Tout commence avec une chanson populaire de Stone & Charden s'échappant du 45 tours que Maryse a glissé avec gourmandise dans son mange-disque. Mimiques à l'appui, entourée de cinq mannequins portant des robes de mariée, projetant ses rêves de midinette sur une scène parsemée de vinyles, elle dialogue silencieusement, divaguant au gré des aventures sentimentales lovées au creux des sillons.
Puis, coupant le son, elle se met à nous parler droit dans les yeux : "On m'a dit que j'avais de beaux yeux, de jolies jambes ? S'il veut me sauter qu'il le dise. Quand je baise, je ferme les yeux !". Dans cette rupture soudaine de ton, le clivage de Maryse tonitrue : certes, elle rêve au prince charmant mais son langage peut se faire cru pour dire qu'au-delà de sa naïveté et de ses errances mentales, elle n'est pas dupe des conduites des hommes… et de ses siens désirs.
Son champion élu qu'elle baptise Maclaren - n'a-t-il pas une belle voiture décapotable qu'il range sous les fenêtres de l'immeuble qu'elle habite ? - a une drôle de conduite : il semble s'ingénier à rater les rendez-vous quotidiens qu'elle lui fixe dans sa tête… Ce qui n'empêche aucunement Maryse le lendemain soir de l'attendre avec la même frénésie impatiente. Une vie passée à attendre le prince charmant, une existence nourrie par l'invention de la vie des autres, ça pourrait paraître fou… mais, pourquoi pas après tout ? Franchir la ligne ténue qui sépare le réel du récit qu'on s'en donne, pour s'évader dans le monde qu'on se crée, est-ce si déraisonnable que ça ? C'est distrayant à souhait, ça suffit à remplir une vie.
Sa vie, ses vies, elle les invente comme on dit d'un trésor… Quand elle l'a rencontré, lui, tout a changé… Sur les mots de Michel Polnareff, "Je te donnerai tous les bateaux tous les oiseaux tous les soleils petite fille de ma rue", elle virevolte avec sa robe de mariée immaculée. "Il" lui faisait des caresses "suggestives", s'il avait su ce que cela lui "suggérait", il l'aurait prise pour folle… La lucidité traversant la folie pour mieux la renverser dans son contraire. L'absurde comme révélateur de la réalité. Le grand jeu… "De toute façon, le docteur, il a dit Vous avez le droit, c'est inaliénable, il a dit".
Quand les mots viennent à déraper, ils disent l'essentiel. Elle, elle se prépare pour être prête quand il viendra la chercher. Bien sûr, il a toujours quelque chose à faire, il dit qu'il passera demain. Mais au fond d'elle, elle a toujours l'espoir qu'il viendra, qu'il la prendra dans ses bras. Alors elle se tient prête chaque soir… Et puis soudain la lucidité troue la folie éveillée.
Mais la folie est une notion fragile, n'est-on pas toujours le fou de quelqu'un ? Alors L'été indien de Joe Dassin et ses mots bleus, "Tu sais je n'ai jamais été aussi heureux que ce matin-là", recolore sa vie pour faire effraction dans ses idées un peu sombres.
Et puis la lucidité cruelle la rattrape encore, cette fois sans échappatoire possible. Retirant sa perruque rousse, le visage ravagé, Maryse apparaît face à nous sans la protection du "dé-lire" qui la tenait jusque-là à l'abri d'elle-même. "La vie risque de passer, je n'aurais vu que du feu…". Noir. Personnage de papier, plus vrai que les copies du monde réel qui l'a inspiré, Maryse navigue à vue entre raison vacillante et folie lucide. Ce qu'elle nous dit dans sa verve qu'elle cultive comme un art de vivre et qui la fait tenir debout, nous touche au plus profond en rentrant en résonance avec des lignes de faille dissimulées sous le vernis de notre moi-peau policé avec soin.
Mais si "Mary's à minuit" est si convaincante, c'est qu'au-delà de l'humour mordant de l'écriture de Serge Valletti, elle a rencontré son double en son interprète. Quant à la mise en jeu proposée par Catherine Marnas, elle participe pleinement à la création troublante d'un univers à la fois féérique, ouvrant les portes d'une douce folie teintée de nostalgie diffusée par les chansons populaires des années soixante-dix, et porteur de vérités humaines enfouies. En effet, la logique souterraine à l'œuvre dans les épisodes de folie de l'héroïne shootée aux errances de son imaginaire débordant, a à voir avec nos existences réelles. L'absurde est bien plus sensé qu'on veut bien se le dire ordinairement.
"Marys' à minuit" Photo © Frédéric Desmesure. Texte : Serge Valletti. Mise en scène : Catherine Marnas. Avec : Martine Thinières. Scénographie et lumière : Carlos Calvo assisté de Clarisse Bernez-Cambot Laberta. Son : Catherine Marnas assistée de Jean-Christophe Chiron. Régie générale : François Borne. Construction décor : Nicolas Brun, Maxime Vasselin, Cyril Bablin. Costumes : Édith Traverso assistée de Kam Derbali. Texte publié aux Éditions L' Atalante. Durée : 1 h 05. À partir de 14 ans.
•Avignon Off 2019• Du 5 au 28 juillet 2019. Tous les jours à 11 h, relâche le mardi. Théâtre des Halles, Salle Chapiteau 4, rue Noël Biret. Réservations : 04 32 76 24 51. >> theatredeshalles.com
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July 7, 2019 7:17 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 7 juillet 2019 « Points de non -retour (Quais de seine) » d’Alexandra Badea et « Final cut » de Myriam Saduis sont des pièces à l’affiche du Festival d’Avignon. L’une dans le In , l’autre dans le Off. A travers des histoires familiales entre deux pays, les deux spectacles passent par les massacres du 17 octobre 1961 à Paris. Des zones d’ombre où l’une se perd un peu et l’autre fait mouche.
Assise à un table en bois aux multiples tiroirs dont l’un est plus secret que les autres, l’actrice, autrice et metteure en scène Myriam Saduis nous regarde. Elle est calme, déterminée. Elle est là pour nous raconter une histoire, la sienne et celle de sa famille franco-tunisienne. Elle le fait dans un désordre calculé tout en nous guidant avec des « « retenez cela, j’y reviendrai tout à l’heure ». Son récit, non linéaire, est parfaitement structuré y compris dans ses digressions. Elle aura attendu plus de quinze ans avant d’oser parler d’elle et des siens sur une scène. Un passage à
l’acte nourri et rendu possible par une psychanalyse qui aura duré douze ans.?L’évocation des dernières séances -où Myriam Saduis joue à la fois l’analysée et l’analyste (avec une voix et un accent qui rappellent feu l’acteur Daniel Emilfork)- permettent au spectacle de se terminer sur une note drôle, point final d’une histoire qui ne l’est pas, drôle, celle d’une élucidation personnelle et familiale où l’Histoire tient le rôle de décor, de bande-son, de bande-image et d’éclairages. Quête autour d'un père
Myriam Saduis a un partenaire fantôme et omniprésent, sa mère (« merveilleuse et paranoïaque » résume t-elle), et un autre, éphémère mais bien réel l’acteur Pierre Verplancken, « j’y reviendrai tout à l’heure ». Et le père ? Il est où le père? Cette interrogation fonde le spectacle. Issue d’une famille de colons italiens vivant en Tunisie depuis le protectorat français, la future mère de Myriam tombe amoureuse d’un tunisien, le jeune et forcément beau Béchir Saädaoui. Sous la pression familiale mais pas seulement, le couple se sépare. Pire encore : le père disparaît des conversations , des albums photos, il devient un non-être, un non-dit. Myriam naît d’un père disparu jusqu’à son nom. Magie de la francisation autorisée par la loi, la petite Myriam Saädaoui devient Myriam Saduis. Folie que celle de ces jeux troubles de double creusant le doute et la folie. Ainsi ces moments extraordinaires où l’actrice Myriam Saduis, au profit volontaire et à la voix affirmée, casse son corps et prend une toute autre voix sortie de ses entrailles, pour chanter des bouts de mélodie de Barbara (« dis quand reviendras-tu ? » par exemple) que lui fredonnait sa mère.
Tous ces faits intimes sont aussi le reflet et le relais de l’Histoire, celle qui lie et délie deux pays, la France et la Tunisie, un mariage forcé celui-là, un jeu de dupes entre la colonisation menée des « races élues » et le rouge aux lèves de la civilisation apportée aux « races inférieures » alias métèques et autres bicots ou bougnoules avec citation terrifiante de Jules Ferry sortie d’un des tiroirs de la table. Chaque ouverture de tiroir est une flèche acérée. Ce que contient le dernier donne son titre au spectacle : Final cut. Je n’en dirai rien, bien sûr.
Née l'année du 17 octobre1961
Exemple type de la façon dont Myriam Saduis agence son spectacle. « Je suis née en France, en 1961. Et je n’ai découvert qu’à 40 ans dans quelles circonstances ma naissance a eu lieu » dit elle, assise à la table comme une conférencière ou un professeur d’histoire (fausse piste) en ouvrant son spectacle. Premier élément, l’année 1961 va convoquer les massacres du 17 octobre de cette année-là. La grande manifestation pacifiste des Algériens de France à Paris qui se terminera par un bain de sang : des centaines d’Algériens roués de coups, morts ou pas, jetés dans la Seine sur ordre du préfet Maurice Papon. Une page noire, dont la suite ne l‘est pas moins, « retenez cela j’y reviendrai tout à l’heure ». Deuxième élément : l’année 1961 convoque la bataille de Bizerte qui commença cette année là, moment de tension entre la France et la Tunisie devenue indépendante depuis peu qui se soldera par des bombardements meurtriers de l’armée française. L'un des moments peu glorieux et même monstrueux de notre Histoire lui aussi mis entre parenthèses ou oublié du glorieux récit de notre Histoire Nationale cher au président français.
Troisième et dernier élément, le 17 octobre en appelle un autre , celui de l’année 1896 qui vit la création sur la scène du théâtre Alexandrinski à Saint Pétersbourg de La mouette de Tchekhov. C’est là où intervient, à l’intérieur du monologue de Saduis, le premier duo avec Pierre Verplancken dans le rôle d'Arkandina, la mère de Constantin, et ce dernier (Saduis). La fameuse scène où le fils (Saduis donc) demande à la mère de lui refaire son pansement. Scène où l’on peut voir une mise en abîme du geste de Final cut : Myriam Saduis y refait le pansement de sa vie, le théâtre tenant le rôle de la bande Velpeau. Tout le spectacle est ainsi construit, monté peut on dire, passant de l’intime à l’historique, de la quête à l’introspection, de la confession personnelle à la construction théâtrale.
Final cut a été créé en 2018 au Théâtre Océan Nord à Bruxelles (où Myriam Saduis est artiste associée) dans la cadre d’un festival Mouvement d’identité. Avant Avignon , il était à l’affiche du festival Carthage dance qui comme le titre ne l’indique pas se passe à Tunis et ne se limite pas à la danse.
Fille d'aujourd'hui, couple des années 60
Quais de Seine est le second volet de Points de non-retour d’Alexandra Badea (qui signe également la mise en scène, une trilogie dont la première partie Thyaroye a été créée l’an dernier au théâtre de la Colline et nous avait laissé plutôt circonspect. Né Roumaine, Alexandra Badea est venue en France en 2003, dix ans plus tard elle devenait française et c’est dans sa langue d'adoption qu’elle écrit ses pièces. « A partir de ce moment vous devez assumer l’histoire de ce pays avec ses moments de grandeurs et ses coins d’ombre » lui a déclaré, en substance, le préposé de la République en lui remettant ses papiers. Une phrase qui jette les premières graines de la trilogie laquelle entend explorer quelques pages grises, noires ou manquantes de notre Histoire. Ses ombres.
Scène de "quais de Seine" © Christophe Raynaud de Lage Quais de Seine fait alterner deux histoires dans deux espaces et deux époques. L’une aujourd’hui au devant de la scène entre un psychothérapeute (Kader Lassina Touré) et une patiente, Nora (Sophie Verbeeck), une femme en souffrance qui a une « sensation d’effacement », « comme si ma vie était écrite par d’autres mains ». Le psychothérapeute va aider cette journaliste documentaire à se documenter sur sa propre histoire, à en remonter les fils secrets, à comprendre ce qui étouffe en elle . Derrière le cabinet sommaire du psychothérapeute (un lit, médical, point barre) ,dans un cadre surélevé figurant une chambre, l’autre histoire, celle d’un jeune couple des années 60 que forment Irène (Madalina Constantin) et Younes (Amine Adjina). Elle est fille de pieds noirs, il est Algérien. Pas simple. Elle tombe enceinte. Encore moins simple. L’enfant sera élevé par la famille de la mère, qui rejette le père. Le couple (sans l’enfant)fuit à Paris, pour tenir à distance les pressions familiales, mais d’autres pressions (FLN, rafles, nostalgie du pays natal, etc.) prennent le relais. Une autre fuite se profile. « Je veux vivre dans un endroit où je ne connais rien de l’Histoire, où cette politique restera en dehors de ma vie » dit Irène sous la plume de Badea par trop explicative.Les deux histoires finiront par se croiser.
La fragmentation entre les deux histoires crée un une discontinuité qui pourrait être productive si elle n’était pas systématique et , par ses courtes séquences, ne favorisait pas les raccourcis plus que les nuances créant une certaine monotonie structurelle dommageable au spectacle.
Alexandra Badea a sans doute mis beaucoup d’elle dans le personnage de Nora, journaliste qui enquête pour réaliser des documentaires. L’une comme l’autre découvre par exemple les événements du 17 octobre 1961 comme si c’était une page oubliée ou enfouie. C’était le cas, cela ne l’est plus. Depuis le procès de Maurice Papon contre Jean-Luc Einaudi, on sait de quoi il en retourne. Et les témoignages se sont multipliés depuis. Lors de ce procès, il fut prouvé que ce jour-là, les assassinats des Algériens ne se résumaient pas à quelques corps mais se comptait par centaines.
Et on le sait grâce aux témoignages de deux archivistes venant à la barre avec les copies de nombreux documents, celui oral de Brigitte Lainé et celui écrit de Philippe Grand (ce dernier étant trop émotif pour s’exprimer oralement). Deux Français exemplaires, deux lanceurs d’alerte dirait-on aujourd’hui. Grâce à eux, Einaudi a gagné son procès (lire La bataille de Paris, 17 octobre 1961, Seuil). Mais les deux archivistes ont été sanctionnés par leur hiérarchie. On les a privés de leurs dossiers et placardisés jusqu’à leur retraite. Brigitte Lainé est décédé il y a quelques mois. Dans sa notice signalant son décès, l’administration française s’est bien gardée de mentionner son témoignage lors du procès Papon-Einaudi (lire ici et ici) témoignage à l’origine de la plaque apposée sur un pont parisien dont parle Badea dans sa pièce. Jean-Luc Godard disait que le seul film à faire sur le camps de la mort serait de filmer l’administration des camps. Il y aurait aussi un film à faire ou une pièce à écrire sur l’administration française et ses persistants relents colonialistes.
Final Cut de Myriam Saduis Théâtre de la Manufacture, 18h10 jusqu’au 25 juillet (sf les 11 et 12)
Points de Non-retour (Quais de Seine) par Alexandra Badea, jusqu’au 12 juillet à 15h (sf le 7) à la salle Benoît XII, à la rentrée au Théâtre de la Colline du 7 nov au 1er déc. Puis tournée jusqu’en juin 2020 : Béthune, Nantes, Saintes, Aubusson, Saint-Etienne, et festival de Sibiu en Roumanie le 1er juin 2020. La pièce est editée à L 'Arche, 94p, 13€ Légende photo : Myriam Saduis dans "Final cut" © Marie-Françoise Plissart
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July 6, 2019 5:35 PM
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Article publié dans I/O n°100 daté du 06/07/2019 Par mariane dedouhet 5 juillet 2019
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Que serait une marionnette subversive ? Une poupée de mousse et de latex qui, tout en s’animant, c’est-à-dire en développant une âme, prendrait vie sans s’anthropomorphiser ; une diva chauve, hypersexuée, dotée d’une bouche dévorante, virile à gros seins, capable de dégager charme fou, sensualité et innocence, sans que ces qualités l’enchaînent pour autant à une identité humaine : de sorte que la poupée de Johanny Bert, auteur-metteur en scène montant à l’origine d’un succès du OFF – « Le Petit Bain », en 2017 –, renverse aussi bien son statut de marionnette – trop vivante pour être inerte – que son statut d’humain – trop libre pour se laisser pétrifier dans les catégories traditionnelles binaires de ce dernier. Zigzaguant entre et hors des identités, « Hen » (pronom suédois signifiant indifféremment les genres masculin et féminin), la marionnette éponyme, poupée pleine de possibles, se raconte en chansons, alterne mélodies politiques à la recherche d’un « genre utopique », chuchotements de ses états d’âme, déhanchements et grivoiseries anatomiques (« S’il te plaît bouffe-moi la rate, et les sinus, je t’en prie fais-moi un vessie-lingus »). Dans une obscurité voluptueuse, fendue par des néons fluo, une scène de cabaret abrite son émouvante confession et ses métamorphoses physiques. Deux musiciens attentifs, joueurs de xylophone et de violoncelle électroacoustique, sculpteurs de sons délicatement immersifs, ajoutent à l’intimité de l’effet boîte. Manipulée par deux hommes en noir à vue, la marionnette séduit et effraie, l’ambiguïté de sa monstruosité rappelant à nous autres la relativité de notre normalité. Ses interludes parlés, moins « maîtrisés » que le chant, ponctués d’hésitations et de silences, constituent autant de brèches de fragilité par lesquelles semble se dévoiler la vérité d’un être. La familière étrangeté de la poupée est une invitation à la scruter de près, afin d’y reconnaître quelque chose – inclinaison du visage, soupirs –, autant de détails par lesquels un autre apparaît. Thème fourre-tout, le genre et le questionnement qui l’accompagne sont ici renouvelés par la mise en chansons, dans un décalage plus propice à la sensibilisation qu’à la réflexion théorique. Charme des chansons (Brigitte Fontaine, Gainsbourg, Ringer, Pierre Notte), poupée effrontée et attachante, originalité du dispositif : l’ensemble suscite une séduction immédiate, grâce à cette exfiltrée d’un cabinet de curiosités, infiniment émouvante, nue et sans apprêt, qu’on a autant envie d’écouter que d’enlacer.
FESTIVAL : FESTIVAL D'AVIGNON Hen Genre : Marionnettes, Spectacle musical Texte : Brigitte Fontaine, Johanny Bert, Laurent Madiot, Perrine Griselin, Pierre Notte, Prunella Rivière Conception/Mise en scène : Johanny Bert Distribution : Anthony Diaz, Cyrille Froger, Guillaume Bongiraud, Johanny Bert Lieu : Théâtre du Train Bleu A consulter : http://lesindependances.com/projects/hen
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Le spectateur de Belleville
July 6, 2019 2:09 PM
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Par Rana MOUSSAOUI - AFP - 04 JUIL 2019
C'est un hymne à l'Europe, mais pas nécessairement une ode à la joie: le festival d'Avignon 2019 démarre jeudi avec une pièce sombre écrite par un dramaturge hanté par la montée du populisme sur le Vieux continent.
"Architecture", qui inaugure la 73e édition (4-23 juillet) du plus important festival de théâtre au monde avec celui d'Edimbourg, apporte malgré tout une réjouissance: une flopée de stars de la scène française y sont réunies, d'Emmanuelle Béart à Jacques Weber, en passant par Denis Podalydès ou Audrey Bonnet.
A la cour d'honneur du palais des Papes, lieu mythique de naissance du festival en 1947, cette pièce de Pascal Rambert, l'un des dramaturges français vivants les plus joués au monde, dresse le portrait sans complaisance d'une famille déchirée d'artistes, de philosophes et de compositeurs, telle une métaphore d'une Europe malade.
Située avant l’Anschluss en 1938, il ne se s'agit pas toutefois d'une pièce historique, précise à l'AFP M. Rambert qui en 2016 a obtenu le prix du théâtre de l'Académie française.
"Je l'ai construite de l'inquiétude que j'ai en 2019 face à ce qui se passe un peu partout en Europe, dans les pays où je joue mes pièces comme en Italie ou en Espagne, où Vox (parti d'extrême-droite) a remporté de très grands scores" en avril, précise l'auteur de 57 ans.
"Si à une époque aussi brillante et créative, on n'a pas empêché l'arrivée du nazisme, que dire de maintenant? C'est facile de dire qu'aujourd'hui ce n'est pas le 3ème Reich. Mais il y a quelque chose de plus insidieux", assure cet habitué d'Avignon.
- "Le faux devient vrai" -
Ses pièces, comme "Une (micro) histoire économique du monde" en 2010, "Clôture de l'amour" qui avait triomphé au festival en 2011 puis connu un succès mondial avec sa traduction en 23 langues ou encore "Répétition" en 2014, ont été jouées partout, du Mexique à Taïwan en passant par l'Egypte.
"Travailler dans tous ces pays me renvoie à un moment de l'histoire que je vis et que je trouve inquiétant, et mes pièces sont conscientes de l'état du monde", assure le metteur en scène qui se dit un "Européen extrêmement convaincu".
Et en tant que dramaturge, il affirme que son rôle est de "redresser le langage" à une époque dominée par la désinformation, où le faux devient vrai".
Le choix des acteurs n'est pas fortuit: il crée des pièces avec et pour ces grands interprètes depuis 2011.
"S'ils n'étaient pas là, il n'y aurait pas de pièce: je connais leur énergie, je passe beaucoup de temps avec eux", indique M. Rambert. Il a même réussi à convaincre Jacques Weber qui, pendant 50 ans de carrière, a boycotté le festival et notamment la cour d'honneur en raison selon lui de la mauvaise sonorisation.
Rambert n'est pas le seul au festival à traiter des inquiétudes à l'égard de l'Europe: Roland Auzet dans "Nous l'Europe, banquet des peuples" sur un texte du prix Goncourt Laurent Gaudé dans une "scénographie polyphonique" questionne le populisme, la démocratie et la représentativité.
Le festival, qui sous son directeur depuis 2013 Olivier Py est plus orienté vers les questions sociales et politiques que dans le passé, donne la parole cette année à Kirill Serebrennikov, enfant terrible du théâtre russe qui est interdit de voyage hors de Moscou malgré la levée de son assignation à résidence en avril.
Poursuivi pour une affaire controversée de détournement de fonds, le Russe verra, à distance, sa nouvelle pièce très attendue, "Outside", sur le photographe chinois censuré Ren Hang qui s'est suicidé à 29 ans en 2017, présentée à Avignon.
A défaut de têtes d'affiche -à l'exception de la pièce d'ouverture-, la prestigieuse manifestation théâtrale met en avant de potentielles pépites qui peuvent créer la surprise.
Subventionné à 56%, le festival a connu un taux de fréquentation dépassant les 95% en 2018.
Saluant la "diversité des propositions" dans le "in" comme dans le "Avignon off" le ministre de la Culture Franck Riester a annoncé jeudi au journal Le Monde le déblocage de plus de 10 millions d'euros supplémentaires pour la création (spectacles vivants et arts visuels), soit près de 3% du budget global de ce secteur (440M).
Par Rana MOUSSAOUI AFP © 2019 AFP
Légende photo : Répétition de la pièce de théâtre "Architecture" qui inaugure la 73e édition (4-23 juillet) du festival d'Avignon, dans la cour d'honneur du palais des Papes, le 2 juillet 2019 afp.com - GERARD JULIEN
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Le spectateur de Belleville
July 2, 2019 7:45 PM
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Par Jean Talabot dans Le Figaro le 26/06/2019
Un an après avoir déchiqueté l’identité nationale, le collectif revient avec Tout le monde ne peut pas être orphelin. Finement écrit.
Il est des révolutions qui perdent de leur force avec l’âge et le succès. Heureusement, les Chiens de Navarre ne sont pas du genre à s’embourgeoiser. Bien au contraire. Après 15 ans d’existence, la meute bête et méchante de Jean-Christophe Meurisse serait plutôt en pleine crise d’adolescence. Leur nouvelle création, Tout le monde ne peut pas être orphelin , fait ses crocs sur la famille. «Cette société intime, étrange et violente à la fois», d’après le metteur en scène, qui garde un souvenir plus que mitigé de la sienne. La preuve? Il a failli baptiser le spectacle Pleure, tu pisseras moins ou Dolto cul. C’est drôle mais plus très subversif. Tirer à balles réelles sur la famille est un exercice récurrent depuis les Atrides. Cette fois, il fallait tout faire voler en éclats. Les dogues sont des spécialistes.
Les Chiens de Navarre ne font pas que courir après des casseroles pour les faire tinter bruyamment
Hébété par ce début de canicule, le spectateur est propulsé en plein réveillon de Noël dans un dispositif bifrontal. Un couple de soixante-huitards (les ex-Deschiens Lorella Cravotta et Olivier Saladin, venus à la rescousse) renie ses enfants, beaucoup plus coincés qu’eux. Le chapon aux marrons s’écrase contre un mur. D’un côté comme de l’autre, il y a des projections. On a le droit aux conversations les plus plates du monde. Les tronçonneuses à moteur quatre-temps, l’ostéoporose et les hanches en céramique, l’itinéraire Bison Futé… Les Chiens de Navarre ne font pas que courir après des casseroles pour les faire tinter bruyamment, ils jouent aussi très bien. Leur humour demande beaucoup de sérieux.
Finesse d’écriture Au paroxysme de l’ennui, nouveau coup de tonnerre. Une cuvette de toilette aspire son hôte et éructe son trop-plein à grands jets. Gardons-nous de citer d’autres exemples. Les sources de l’humour fécal semblent inépuisables. Miracle! On se réconcilie sur les tambours de2001: l’Odyssée de l’espace . Avant que la mère n’émascule son nouveau-né dans une hilarante parodie d’une Médée trop tragique. Presque du fan service pour les fidèles du collectif. Soudain, bizarrement, une mélancolie désespérée prend le pas sur le scato. Devenu veuf et grabataire, le grand-père se fait laver dans une baignoire. Il neige au-dessus du salon bourgeois. Une famille de petits sapins de Noël part en fumée.
Derrière les volutes, on est frappé par la poésie des dernières scènes et la finesse de l’écriture (souvent improvisée). Bref, les Chiens de Navarre mûrissent sans grandir. Ces enfants terribles cracheront toujours sur les adultes. Eux, les bâtards surdoués de la grande famille du théâtre public. Espérons qu’ils fassent des petits.
En tournée en France à partir d’octobre et à la Villette (Paris XIXe), du 26 novembre au 7 décembre. Légende photo : Dans Tout le monde ne peut pas être orphelin, le collectif s’attaque à la famille. - Crédits photo : Philippe Lebruman
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Le spectateur de Belleville
June 30, 2019 7:47 PM
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Publié sur le site de France Musique, 29 juin 2019 Le Français Dominique Meyer, actuel directeur de l'Opéra de Vienne, prendra ses fonctions "mi-2020" à la tête de l'institution scaligère.
L'annonce en a été faite vendredi 28 juin par Giuseppe Sala, le maire de Milan et président de la Fondation de La Scala : Dominique Meyer a été nommé au poste de directeur de La Scala de Milan. Actuellement directeur de l’Opéra de Vienne, le Français - qui a été auparavant directeur de l'Opéra de Lausanne, en Suisse (1994-1999) et du Théâtre des Champs-Élysées à Paris (1999-2010) - succédera à l’Autrichien Alexander Pereira. Ce dernier, en poste depuis septembre 2014, a été mis à mal par une controverse autour de fonds saoudiens qui auraient servi à financer l'institution lyrique milanaise.
Pendant près d’une année toutefois, les deux hommes se côtoieront : Dominique Meyer prendra ses fonctions à compter de « mi-2020 » et Alexander Pereira les conservera jusqu’à la mi-2021, a précisé le maire de Milan.
Des succès et des débâcles Ancien directeur de l'Opéra de Zurich et du Festival du Salzbourg, Alexander Pereira, 71 ans, avait pris ses fonctions à la tête de la Scala à l'automne 2014. Son mandat a été terni en mars par une polémique autour d'un possible financement de la Scala à hauteur de 15 millions d'euros par des fonds saoudiens, avant que le théâtre n’y renonce.
A la tête du prestigieux Staatsoper de Vienne depuis 2010, Dominique Meyer y a atteint des chiffres de fréquentation historiques, avec quelque 610 000 spectateurs par saison et un taux de remplissage approchant les 99%. Il a également développé avec succès les retransmissions en direct payantes et fait venir l'ancien danseur étoile français Manuel Legris comme directeur du ballet.
Ses deux mandats ont toutefois été empreints d'accusations de frilosité dans la programmation et de problèmes de personnel. En 2014, le chef d'orchestre français Bertrand de Billy a ainsi claqué la porte, suivi la même année du directeur de la musique, l'Autrichien Franz Welser-Möst.
L'Académie de ballet fait aussi l'objet d'une enquête du parquet pour de lourdes accusations de mauvais traitements envers les élèves. La principale enseignante mise en cause dans cette affaire a été licenciée en janvier.
Dominique Meyer, qui briguait un troisième mandat à Vienne, a dû s'incliner au profit du président du label Sony Classical Bogdan Roscic, qui lui succédera en 2020. Il faisait partie de la short-list concernant la future direction de l’Opéra de Paris.
avec AFP
Légende photo : Dominique Meyer, © AFP / GEORG HOCHMUTH
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