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Le spectateur de Belleville
July 24, 2019 4:01 PM
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Par Anne Diatkine envoyée spéciale à Avignon - Libération — 24 juillet 2019 Emouvante et drôle, la pièce de Tamara Al-Saadi met en scène la dualité d’une jeune fille tiraillée par son désir d’intégration et le renvoi constant à ses origines irakiennes.
Comment représenter sur un plateau un espace mental, une pure intériorité ? Comment montrer spacialement le déroulé d’une vie qui débute à Bagdad durant la première guerre du Golfe et se poursuit en France, dans une ville jamais nommée ? Comment faire entendre à la fois l’oubli d’une langue, en l’occurrence l’arabe, et sa persistance continue, qui ne cesse de déborder alors que les mots ne sont plus que des sons ? Comment exposer sur scène le temps dans son épaisseur et la cohabitation de tous les âges de sa vie ?
Pulsions Cela s’appelle Place, comme la place qu’on prend ou qu’on laisse, qui se refuse ou qu’on s’interdit, et c’est l’heureuse surprise du «in» en cette fin de Festival, quand beaucoup de professionnels ont déjà déserté les lieux. Toutes ces questions, on suppose que la Franco-Irakienne Tamara Al-Saadi, a dû se les poser pour concevoir ce qu’elle nomme, comme Elise Noiraud pour le Champ des possibles, une autofiction scénique centrée sur le moment de bascule vers l’âge adulte. Et la jeune metteure en scène, auteure et actrice y a répondu par le vide.
Pour exposer l’effervescence mentale, autant commencer par ranger. Sur le plateau, il n’y a rien, ou pas grand-chose : une simple chaise-coque en plastique, identique à celle sur laquelle les spectateurs sont assis, quand la représentation commence. Une chaise vide, une place, sur laquelle le père de Yasmine, revenu mutique de prison, s’installera et ne bougera pas, il se fera oublier. Ce sont des scènes qui surgissent, pour dire l’épopée subjective de l’exil et le deuil de la langue. Des scènes de la vie familiale fugitives et obsédantes, comme la conjugaison du verbe «avoir» déclamée par Yasmine à sa grande sœur qui veut que sa cadette s’assimile.
Tamara Al-Saadi, 33 ans, dont ce n’est pas le premier spectacle, rend l’étrangeté et l’ostracisme par une matière sonore distendue, les voix aiguës dans la cour de récréation, les syllabes qui s’étirent. Peu importe qu’il soit peut-être trop explicite de mettre sur le plateau deux Yasmine, pour dire la déchirure dans sa langue et l’antagonisme des pulsions, puisque ça marche et que la confrontation des deux jeunes filles est souvent drôle, notamment quand la Yasmine excellente élève (formidable Marie Tirmont) s’interdit radicalement de prendre un café avec un étudiant qui lui plaît tandis que l’autre Yasmine (non moins épatante Mayya Sanbar) se bat physiquement contre cette version stricte d’elle-même.
Dossier A un certain moment, un nuage de sable tombe des cintres et submerge le plateau devenu à la fois désert et oubli - et on s’étonne que la scénographie devienne si belle avec si peu, quelques chaises et cette pluie. Parfois, les deux versions du même personnage coïncident presque, quand elles chantent a cappella un poème d’Aragon, en se décalant légèrement, et cette impossibilité à coller avec soi-même provoque une émotion forte.
La réussite de Place, lauréat du prix du jury et du prix des lycéens du festival Impatience 2018, tient aussi à sa drôlerie, qui échappe à la caricature alors qu’on sait bien que les rendez-vous à la préfecture pour obtenir une carte de résident ou déposer un dossier de naturalisation s’y prêtent. «Vous parlez français ?» demande l’employé à la jeune fille à laquelle il s’adresse depuis une demi-heure dans cette langue et dont l’oubli de la langue maternelle est précisément la boule noire.
Anne Diatkine envoyée spéciale à Avignon Place de Tamara Al-Saadi En tournée à la rentrée. Du 23 au 28 novembre au CentQuatre, 75019. Rens.: www.104.fr Des scènes de la vie familiale fugitives et obsédantes. Photo Christophe Raynaud De Lage
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Le spectateur de Belleville
July 23, 2019 3:58 PM
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Par Amélie Blaustein Niddam dans Toutelaculture.com 23 juillet 2019 Tommy Milliot ouvre la brèche du talent au Festival d’Avignon Dernier jour du Festival d’Avignon, et on en est sûr, Tommy Milliot fera tout de même le plein ce soir pour son final dans l’inconfortable salle du Gymnase du Lycée Mistral, car La brèche est une révélation de modernité.
Avant que le nom de Tommy Milliot ne soit inscrit au programme du Festival d’Avignon, il nous était inconnu. Sa compagnie Man Haast a été créée en 2014 et elle est basée à Marseille. Son credo : mettre en scène des auteurs vivants. La règle est respectée pour sa troisième mise en scène, La Brèche (The MacAlpine Spillway), de l’américaine Naomi Wallace. Nous avions repéré ce texte lors de la Mousson d’été 2018, et nous avions hâte de le voir monté. C’est chose faite.
Je nous souhaite la chance de trouver le sommeil
Lena Garrel, Matthias Hejnar, Pierre Hurel, Dylan Maréchal, Aude Rouanet, Alexandre Schorderet et Edouard Sibé sont Frayn, Oak, Acton et Judith. Oui, sept comédiens pour quatre rôles. Ils forment une bande de potes unis comme les doigts de la main. Ils vivent quelque part dans le trou de l’Amérique. Ils ont 17 ans, écoutent BB King, vont au supermarché, picolent. Tout va bien jusqu’au jour où ils font une immense connerie. Mais ça, on ne le comprendra que bien plus tard.
La très belle scénographie de Tommy Milliot se résume à un plateau blanc surmonté d’un muret. Derrière, une bande blanche ferme le regard. Ils sont 7 à camper 4 + 3 personnages, car l’un d’eux ne va pas survivre. Ils sont eux à 17 ans et eux vingt ans plus tard. Cela pourrait être gadget mais c’est tout le contraire. La lumière très bien écrite de Sarah Marcotte permet des clairs-obscurs et des négatifs qui rendent les changements de temporalités léchés.
Cette histoire dont on ne peut rien vous dire, car elle porte en elle son dénouement, résonne avec l’actualité des derniers mois au sujet du consentement. La bande des quatre va pousser bien trop loin les limites de l’amitié, jusqu’à commettre une multitude d’irréparables. Alors, le passé et le présent nous parviennent dans une langue très naturaliste et pourtant très écrite. Le texte percute dans sa simplicité, il est direct, il est d’autant plus glaçant.
Tommy Milliot est à surveiller de près. La Brèche n’a pas encore de dates parisiennes, mais en 2020, il mettra en scène Massacre de Lluïsa Cunillé à la Comédie Française.
Jusqu’au 23, Gymnase du lycée Mistral à 22h00-Durée 2h. Puis les 2 et 3 avril au Théâtre du bois de l’Aune à Aix- en-Provence et du 8 au 10 avril au Théâtre Joliette à Marseille.
Visuel : La Brèche – La Brèche © Alain Fonteray
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Le spectateur de Belleville
July 23, 2019 4:20 AM
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Par Thierry Jallet dans le blog Wanderersite 23 juillet 2019 Un homme est déjà assis sur la scène étroite et peu profonde. Il regarde les spectateurs qui prennent place dans les gradins – un espace tout aussi peu vaste pour une petite jauge, parfaite pour un théâtre de l’intime. Une table en fond de scène avec quatre verres contenant une quelconque orangeade. Une plante quelconque également en fond, dans l’angle à cour – dérisoire ornement. Quatre chaises en demi-cercle. L’homme occupe l’une d’entre elles. Il croise les jambes. Cheveux ras, lunettes, petite moustache. Un blouson en cuir. Un anneau à l’oreille. Sur le mur à jardin, un phallus dessiné à la craie. Et ces mots : « Young man needs boy with big cock ». Provocateur et évocateur pour le moins.
Sans transition, il prend la parole et se livre. Il écrit. Il ne connaît pas le succès. Il se résigne. « Si c’est pour faire du Marguerite Duras ou du Nathalie Sarraute en moins bien, c’est pas la peine. » Il pense au cinéma. Préférable pour le succès – qui sait ? Il écrit des nouvelles, en a envoyé dans différentes maisons d’édition. On lui a opposé un « refus extrêmement encourageant ». Il se rassure. C’est touchant. Les spectateurs rient. De lui, un peu mais aussi pour désamorcer le malaise. Il en arrive à la conclusion qu’il a « quelque chose à voir avec l’écriture ». Étrange préambule qui ne révèle presque rien au public, littéralement saisi. Oubliées, les conventions. Le spectacle se joue et on ne reconnaît rien ni personne. Comment affirmer l’identité de cet étrange locuteur qui se confie sur ses insuccès ? Est-ce la représentation-épure d’un Guillaume Dustan assagi ? Où sommes-nous ? Et nous, qui sommes-nous dans ce théâtre sans repère ?
Jeanne Lazar prend ainsi le parti de nous perdre d’emblée très habilement. Sans doute pour nous rendre plus vigilants, plus disponibles, plus sensibles – sans attendrissement mièvre – dans ce moment d’intimité fictive qu’elle et ses comédiens nous invitent à partager. Le dispositif est résolument simple, dépouillé de tout artifice. Restent les corps. Et surtout, la parole.
Les chaussures portées par Thomas Mallen, allusion discrète à la personnalité exubérante et transgressive de l'écrivain
Une femme et deux hommes entrent par la salle, à jardin. Ils vont boire et s’installent sur les trois autres chaises, près de celui qui est déjà assis. L’homme à la droite de ce dernier est vêtu d’un ensemble blouson-pantalon en jeans et ses baskets dorées à lacets rouges attirent l’œil ; l’homme à sa gauche, plus charpenté, les bras nus porte un t‑shirt blanc aux manches courtes relevées et un pantalon noir. Quant à la jeune fille, occupant la place la plus gauche du tout premier, elle est vêtue d’une combinaison pantalon bleu saphir et ses lèvres soulignées d’un rouge vif marquent son visage ouvert, amical envers tous. « Guillaume Dustan », dit-elle. Et retentissent pour la première fois les notes arrangées à partir d’un morceau du groupe Paradis. Un jingle qui reviendra plusieurs fois – comme un semblant de ponctuation. On comprend alors que nous participons à un talk-show à la télévision. Un programme déréalisé et recomposé pour le théâtre. « Une émission poétique, une sorte d’émission rêvée où l’écrivain a le temps de parler » déclare même Jeanne Lazar dans sa note. Tout s’éclaire alors dans une ingénieuse anamorphose permettant curieusement de mieux entendre ce qui se dit sur scène. Car c’est principalement de cela dont il s’agit : faire entendre la voix des « écrivains fascinants » qu’étaient Nelly Arcan et ici, Guillaume Dustan.
William Baranès de son vrai nom est mort à trente-neuf ans des suites du sida. Comme le décrit Thomas Clerc qui signe la préface du premier tome de ses œuvres chez P.O.L, on peut le définir comme « homosexuel militant, hédoniste déclaré, apologiste des drogues, chantre du monde de la nuit, pornographe politique (…) continuateur de l’esprit de 68 ». Figure provocatrice et subversive de la fin du XXème siècle, Guillaume Dustan est un météore pulvérisateur de toute forme de politiquement correct. Volontiers polémiste, il a souvent été confronté à de nombreux adversaires parmi lesquels les militants les plus engagés – on se souvient de la réaction virulente d’Act-up contre sa défense des relations sexuelles non-protégées en 2001. Cela étant, il ne s’agit pas de le réhabiliter ici, près de quinze après sa disparition. Le souci de la metteure en scène est bien que « nous puissions entendre ce que [ces écrivains] avaient à dire ». Elle oriente donc tout son travail de recherche au plateau sur ce qu’elle considère comme un paradoxe : « la parole de soi au milieu des autres ». Et la forme novatrice de cette émission de télévision fictive lui permet de mettre en lumière au sens propre du terme, cette apparente contradiction.
On identifie principalement la représentation complexe de Guillaume Dustan sous les traits du très justement désinvolte et fragile Thomas Mallen. « Mes livres sont sur la survie (…) la vérité est très violente » assène-t-il. Pas de demi-mesure dans cet échange en public – devant nous – les sujets abordés – actuels au demeurant – placent le plateau sous tension : l’homophobie et les insultes, l’usage des drogues, la condition des femmes, l’amour sans préservatif à une époque où on meurt massivement de la maladie. Préalablement, il a été dit au début qu’on pouvait tout dire, tout se dire au fil de cette conversation libre, supposée sans limite – car c’est le code du talk-show à heure de grande écoute. Évidemment, il n’en est rien. Le ton monte, les attitudes trahissent la nervosité. Jean-Luc (Glenn Marausse, drôle et touchant dans sa pudeur) et Laurent (Julien Bodet, formidable apollon hétéro) reprenant souvent les propos des authentiques contradicteurs de l’écrivain, maintiennent l’échange sous des latitudes contraignant la parole de Guillaume qui n’achève pas, corseté dans ce piège télévisuel reconstitué. « Là, il [Laurent] fait le plein de poésie, c’est super, mais je voudrais parler, de gay et tout ça ». La parole entravée. Le véritable Dustan en a largement fait les frais quand il participait à ces programmes. Certes, il acceptait complaisamment d’être l’agitateur outrageant de la soirée. Un effet notoire de l’égocentrisme. D’ailleurs, pour la postérité médiatique, il reste ses moments de buzz. Mais Dustan était plus complexe qu’il n’y paraît dans ce miroir aux alouettes où chacun est objectivé. Pour lui, il y avait là aussi l’occasion de monter à la tribune, de partager ses idées avec le plus grand nombre. Bien sûr qu’il se heurtait à ses propres contradictions, à ses propres angoisses aussi sans doute. La morale devant rester sauve, les animateurs le plaçaient dans une forme de rétention, réduit à sa propre surface. Le reflet d’un homosexuel à perruque insolent. Sans envergure.
Jeanne Lazar devient parfois cette intervieweuse moralisatrice – c’est elle-même qui joue le rôle, opérant un singulier mouvement de regard sur sa propre mise en scène. Pourtant, elle n’a de cesse de chercher à dénouer ses bâillons, en le faisant parler – parler de soi – à travers son adaptation, et par la bouche de tous les comédiens, elle incluse. Mêlant fragments d’interviews, extraits de ses romans, elle nous permet d’entendre « l’écrivain qui gagne » dans toute sa superbe, l’intellectuel s’adonnant à tous ses excès. La douleur dans un monde de sucre. L’homme sous l’image dénaturée de l’homme. Enfin.
Dans une grande sobriété, ces jeunes artistes réussissent ici un véritable tour de force théâtral : pendant les cinquante minutes de la pièce, ils emmènent les spectateurs dans un rêve éveillé à la rencontre – ou à la redécouverte – d’une personnalité captivante et magnétique. Un être vivant et pensant dans une temporalité contrainte, captif d’un « vivre vite » imposé par la maladie. On entend distinctement tous ses mots y compris ceux pour dire sa difficulté à exister. « Moi, je n’ai pas compris le monde. Puis, j’en ai rien eu à foutre, une fois que je l’ai compris ».
Gageons que la deuxième partie sur Nelly Arcan sera aussi finement aboutie. En attendant, Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la journaliste nous a vraiment plu : un coup de cœur ! Thierry Jallet pour Wanderersite Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la Journaliste D’après Je sors ce soir de Guillaume Dustan et plusieurs émissions de télévision auxquelles il a participé Adaptation et mise en scène : Jeanne Lazar Avec Julien Bodet, Jeanne Lazar, Thomas Mallen, Glenn Marausse Son et lumière : Anouk Audart Collaboration artistique : Morgane Vallée Production : Il faut toujours finir ce qu’on a commencé Avec le soutien de la région Hauts-de-France, la ville de Lille, le Théâtre du Nord - CDN Lille-Tourcoing, la Maison Folie Moulins à Lille, le Théâtre de la Loge, la SPEDIDAM, Fonds d'Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, la DRAC et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le spectacle a bénéficié du programme 90m2 CRÉATIF (La Loge - Le CENTQUATRE-PARIS) du soutien du Théâtre Paris-Villette, du Super Théâtre-Collectif, du théâtre de l’odéon. Avec le soutien de Romaric Daurier - Le Phénix Scène Nationale de Valenciennes Création au Théâtre de la Loge, mai 2018 Les œuvres de Guillaume Dustan sont publiées chez P.O.L
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July 21, 2019 6:11 PM
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Par Anne Diatkine Envoyée spéciale à Avignon pour Libération — 22 juillet 2019 Invitée dans le off du Festival d’Avignon, la jeune compagnie Nova explore la mémoire des acteurs du conflit avec une énergie et un talent incontestables.
Il arrive que les spectacles se fassent signe alors que tout les oppose dans leur choix esthétique, leur économie, et le type de théâtres dans lesquels ils se donnent. Tandis que le collectif allemand Rimini Protokoll se plonge dans la mémoire cubaine avec Granma, les trombones de La Havane (lire ci-contre) au même moment dans le off, la jeune metteuse en scène Margaux Eskenazi et la compagnie Nova font un tabac en explorant les traces de la guerre d’Algérie à travers, là aussi, la génération des grands-parents.
Torture Acteurs, metteuse en scène : tous ont recueilli les témoignages de leurs aïeux et de leur entourage afin de construire une pièce kaléidoscopique qui restitue des parcours intimes parfois jamais dits. Sont portés sur le plateau aussi bien une extraordinaire réunion d’anciens combattants qui tourne au désastre (Eva Rami, formidable) que des militants du FLN ou le procès de Jérôme Lindon pour la publication de livres condamnant la torture. Ou encore le discours d’entrée à l’Académie française d’Assia Djebar en 2006 (topissime Loup Balthazar).
Qu’est-ce qui nous emporte dans ce mouvement, un brin didactique ? De toute évidence, ce sont les acteurs, jeunes, complètement investis, qui interprètent une multitude de rôles, hommes, femmes, Algériens, Français, à l’énergie et au talent parfaitement visibles.
Promesse D’accord, l’absence de sonorisation les oblige à projeter leur voix, loin des conventions désormais habituelles pour le distingué public du in et du théâtre subventionné. Les acteurs jouent franc jeu, ils exposent dès leur entrée leur démarche documentaire et les rôles qu’ils interpréteront, mais on oublie vite la légère frayeur que peut susciter la clarification, tant la pièce tient sa promesse de faire advenir des bribes de mémoire, sans la figer. L’un des plus beaux moments advient lorsque Daniel, harki, raconte son arrivée en France avec ses parents dans le camp de Bias (Lot-et-Garonne), où ils resteront entassés dix ans.
La pièce est ambitieuse, elle embrasse tout, tous azimuts, on y croise tout autant Edouard Glissant que Zidane et Thuram, ou encore des anonymes. Et pourquoi pas ? Le titre, Et le cœur fume encore, est tiré d’un poème de Kateb Yacine, il sera dit par l’un des personnages, émigré algérien, au côté d’un harki. Ils ont grandi ensemble et se retrouvent à Mantes-la-Jolie (Yvelines) dans la même HLM, pacifiant malgré eux.
Anne Diatkine Envoyée spéciale à Avignon Et le cœur fume encore d’Alice Carré et Margaux Eskenazi Gilgamesh Belleville, Avignon (84). Jusqu’au 26 juillet. Légende photo : La pièce d'Alice Carré et Margaux Eskenazi est jouée dans le off d'Avignon. Photo Loïc Nys. Sileks
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July 21, 2019 12:39 PM
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Par Jean Couturier dans Théâtre du blog - 21 juillet 2019 Outside, mise en scène, scénographie et dramaturgie de Kirill Serebrennikov
Tout le monde connaît le destin tourmenté de ce metteur en scène russe de cinquante ans, homosexuel, enfant chéri du théâtre moscovite. Reconnu pour ses créations au Théâtre du Bolchoï, il est aussi le directeur artistique iconoclaste et hors-cadre du Gogol Center à Moscou, un établissement d’État construit à son image. Dernièrement, il a monté Un héros de notre temps (voir Le Théâtre du Blog) et Noureev. Son film Leto a été présenté l’année dernière avec succès à Cannes. Ce chouchou de la scène internationale a déjà été accueilli deux fois au festival d’Avignon, (voir Le Théâtre du Blog). Accusé de malversation financière, d’abord emprisonné puis assigné à résidence il est, depuis 28 avril, de nouveau libre de retravailler dans son théâtre mais n’a pas le droit de sortir de la ville ni de Russie.
C’est une coproduction du festival d’Avignon, du Gogol Center et de l’organisme privé Mart Foundation. À ce titre, elle ne fera pas partie du répertoire du Gogol Center. Kirill Serebrenikov a débuté avec sa troupe les répétitions à Moscou et les a poursuivies à Avignon, mais seulement par vidéos et messages audio. Ses artistes lui envoient une captation quotidienne de la représentation. La pièce fait revivre le jeune poète et photographe chinois Reng Hang, au destin brisé, connu pour ses nus réalisés en ville ou dans la nature. Inquiété par la censure, il s’est suicidé quarante-huit heures avant de rencontrer Kirill Serebrennikov pour ce projet. Cette création très attendue renvoie aussi au manque de liberté dont souffre aujourd’hui le metteur en scène russe.
Chaque soir, une photo différente de l’artiste chinois est affichée au lointain. La pièce s’ouvre sur un dialogue entre Kirill qui se qualifie de fugitif, et son ombre (jouée par un acteur tout de noir vêtu). «Si tu es enfermé dans une caverne ou une cellule, dit-il, tu ne vois que le mur du fond, de la lueur extérieure, tu ne vois que ta propre ombre. » On frappe à la porte : «Ouvre la porte, crétin, dit l’ombre. C’est le F.S.B. » Entouré et scruté par plusieurs hommes et femmes en noir, il pense que l’ «on n’a jamais étudié mon corps d’aussi près. » Tout est dit clairement, d’emblée.
Puis le personnage Kirill va rencontrer le personnage Reng Hang. Durant le temps du spectacle, les photos du Chinois vont renaître, reproduites sur scène par des modèles vivants, nus. Selon Evgeny Kulagin, un des chorégraphes : «On n’a pas copié les photos, c’est notre inspiration, on avait le même langage, le langage du corps. » Kirill Serebrennikov nous transporte aussi dans l’underground berlinois aux plaisirs interdits de: «A chaque fois que je fais une bêtise, je sens que la vie est meilleure. »
Théâtre, danse, chant se mêlent ici sur la musique d’Ilya Demutsky, jouée en direct. On ne retrouve pas le travail inventif du metteur en scène mais les conditions de création peuvent expliquer cela. Le spectacle révèle les angoisses et les douleurs du metteur en scène privé de liberté et sa frustration de n’avoir pas croisé le poète chinois : «L’oiseau peut-il voler et soudain mourir. » «Vos «posts» et vos «chats» sont aussitôt lus et classés dans des dossiers», dit-il. Il nous transmet, en une heure quarante-cinq, un message de liberté comme en témoigne, aux saluts, toute son équipe qui porte le T-shirt avec mention : Free Kirill.
Jean Couturier
L’Autre scène du Grand Avignon, Vedène (Vaucluse), jusqu’au 23 juillet à 15 h. Crédit photo :©Jean Couturier
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July 21, 2019 5:07 AM
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Publié dans Le Populaire du Centre - 20 juillet 2019 Martin Palisse, jongleur, dirige le Sirque, pôle national des arts de la piste à Nexon, dont le festival se déroule du 14 au 24 août. Il pense sa démarche créatrice dans un rapport à la société. En 2014, Martin Palisse était le premier artiste nommé par le ministère de la culture à la tête d’un pôle national des arts du cirque contemporain. Il signe sa 6e Route du Sirque, l'occasion de revenr sur les fondamentaux qui guident cet artiste.
Qu’est-ce que le cirque contemporain??
« On l’oppose en général au cirque traditionnel. Ses artistes cherchent à inventer, innover. Leurs spectacles ne sont pas une succession de numéros. Ils portent une dramaturgie, créent des univers, des histoires parfois concrètes, abstraites, poétiques. »
Qu’est-ce qui vous guide dans votre programmation??
« Je choisis un thème, un mot, qui m’est soufflé par le mouvement de la société. Cette année, le « futur » m’a inspiré, la question de notre avenir, notre perte, étant à l’ordre du jour. Alors j’invite par exemple Phia Menard et ses Contes immoraux, jongleuse avant-gardiste qui pose un regard sur la société. J’invite aussi Les Dodos. Ces très jeunes acrobates, qui révolutionnent le trapèze, sont le cirque de demain. Ils vont proposer le spectacle le plus fédérateur du festival. Les artistes se doivent de porter une vision, non dénuée toutefois d’une dimension enchanteresse.»
Votre édito porte cet engagement, donnant le sentiment que le cirque est politique.
« Hélas, le « cirque » ne l’est pas. Il reste au bord des choses, ne s’implique pas, ne se positionne pas. En revanche, à Nexon, le Sirque est politique. Je suis connu pour ça, ce qui me vaut des inimitiés. Mais au regard des mois passés, je ne vois pas comment ne pas être politique. Je le fais d’autant plus que, malheureusement, la plupart des hommes et femmes du champ artistique aujourd’hui se gardent bien de trop se mouiller sur les sujets cruciaux. »
Lesquels??
« La justice sociale, la nécessité de bouleverser notre régime démocratique, celle pour les artistes d’arrêter d’être des courtisans, la nécessité absolue d’embrasser l’écologie au sens large. L’écologie, c’est aussi l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité entre toutes les espèces vivantes. L’humain doit cesser de se croire supérieur.»
Comment cela se voit-il dans le festival??
« Mon travail ne consiste pas à le rendre visible mais à l’appliquer dans la façon de travailler. Toutefois, dans le festival, des éléments le marquent, avec la présence d’artistes aux parcours singuliers, qui se sont choisis des positionnements affirmés sans jamais s’en éloigner. Outre Phia Menard, c’est aussi la trapéziste Mélissa Von Vépy et sa performance Miroir-Miroir. De tels artistes ne sont pas des courtisans. Franck Lepage et sa Conférence Inculture II qui dénonce le mensonge politique?? Il est atypique. La réaction du maire de Nexon est d’ailleurs symptomatique. Il s’est permis de me dire l’an dernier que cet artiste n’avait rien à faire dans le festival. Alors, raison de plus pour l’inviter à nouveau?! »
Comment ne pas être courtisan quand on est à la tête d’un pôle dont l’Etat est la principale tutelle??
Question pas facile… On s’attache à garder sa liberté de parole, à ne pas se laisser enfermer dans des jeux d’appareils politiques. C’est plus facile en zone rurale, que dans une grande métropole. C’est aussi pour cela que j’ai voulu travailler à Nexon. Je savais que je ne perdrais pas mes valeurs. C’est aussi là qu’un travail est à faire auprès des citoyens des territoires ruraux.
Artiste, vous créez et jonglez. Qu’est-ce que votre spectacle Antico Futuro donné au festival??
« Un jongleur seul en piste part à la dérive dans une capsule spatiale, sur une création électro de Cosmic Neman. Cette forme m’a été inspirée par 2001 l’Odysée de l’espace de Kubrick. C’est au fond le premier spectacle SF du cirque?! Invitant à un bond spatio-temporel…»
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July 20, 2019 7:31 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde du 20 juillet 2019 Avec « Granma. Les Trombones de La Havane », Stefan Kaegi poursuit son travail de théâtre documentaire Cuba si ? Cuba no ? Cuba libre ? Que reste-t-il de la révolution cubaine, se demande le Suisse Stefan Kaegi dans Granma. Les Trombones de La Havane, un des derniers spectacles à voir dans le Festival « in » d’Avignon, avant la clôture, le 23 juillet. Depuis vingt ans, Stefan Kaegi, avec le collectif Rimini Protokoll, a inventé une nouvelle forme de théâtre documentaire, ludique et aiguisé, qui travaille la matière même du réel avec des « experts du quotidien », et souvent sous la forme d’interventions dans l’espace public.
On attendait donc beaucoup de ce Granma, qui pourtant déçoit, malgré la belle matière que brasse le spectacle. Après avoir mené des ateliers théâtraux à La Havane, Stéphane Kaegi a eu l’idée de faire dialoguer la jeune génération cubaine avec celle de ses grands-parents, qui ont été des acteurs de la révolution. Il a rencontré une soixantaine de jeunes gens, et en a choisi quatre, qui sont les protagonistes du spectacle.
Daniel, Milagro, Christian et Diana ont entre 25 et 36 ans, ils sont traducteur, professeure d’histoire, informaticien et musicienne. Chacun d’entre eux a un grand-parent qui a activement participé à la révolution, à différents niveaux. Le grand-père de Daniel, Faustino Pérez, était sur le bateau Granma avec Fidel Castro et Che Guevara quand, en 1956, les rebelles au dictateur Batista ont débarqué du Mexique pour mener la bataille qui marque le début de la révolution. Celui de Christian, militaire, a participé à la bataille de la baie des Cochons, puis s’est battu en Angola pour soutenir les soulèvements anticoloniaux. Celui de Diana était un chanteur renommé, appartenant à un groupe célébrant par la musique la nouvelle Cuba. La grand-mère de Milagro était une modeste mais tenace militante de quartier.
Histoires familiales Tous quatre sont donc sur le plateau, pour dérouler, à travers leurs histoires familiales, le fil de l’histoire cubaine de 1956 à aujourd’hui. Les images d’archives se succèdent, projetées sous les arches du Cloître des Carmes : images du Granma, de Fidel Castro, de Che Guevara, de John Kennedy, de l’opération de la baie des Cochons, de Mai 68 à Paris, de la chute du mur de Berlin…
C’est évidemment loin d’être inintéressant, mais sans que l’on voie ce qu’apporte ici la mise en théâtre, par rapport à un bon documentaire diffusé sur une chaîne télévisée de qualité. Le travail est assez paresseux et peu inventif au regard de ce qu’est capable d’offrir Stefan Kaegi. Il s’agit avant tout d’un montage, entre les récits racontés au plateau, les images d’archives et les apparitions vidéo de deux des grands-parents des protagonistes.
Quel héritage ? Mais, surtout, à l’issue de la représentation, on se demande ce que nous dit de la révolution cubaine ce spectacle qui pourtant semblait ouvrir des pistes intéressantes : non seulement s’interroger sur son héritage auprès de la jeune génération, mais aussi sur la manière dont cette mythologie révolutionnaire a essaimé dans le monde entier.
De tout cela, on ne saura pas grand-chose. Sans doute pour des raisons politiques, Daniel, Milagro, Christian et Diana s’avancent très peu sur leur appréciation de l’histoire de leur pays, ses envolées, ses avancées, ses échecs et ses dérives, et sur la manière de maintenir vivant cet héritage dans un monde qui semble avoir abandonné toute espérance de changer la vie. Restent le charme et la belle présence de ces quatre protagonistes, qui témoignent de l’histoire mixée de Cuba, où les descendants d’esclaves n’ont peut-être pas tout à fait le même statut que les descendants de colons. Mais, cela non plus, Stefan Kaegi ne le creuse pas. Les trombones de La Havane font entendre un son bien terne et bien lisse.
Granma. Les Trombones de La Havane. Conception et mise en scène : Stefan Kaegi. Festival d’Avignon, Cloître des Carmes, à 22 heures, jusqu’au 23 juillet. En espagnol surtitré. Durée : 2 heures.
Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) Légende photo : « Granma. Les Trombones de La Havane », spectacle de Stefan Kaegi Christophe Raynaud de Lage
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July 18, 2019 5:53 PM
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Par Guillaume Tion (à Avignon) dans Libération — 18 juillet 2019 Une quinquagénaire française et un jeune gay égyptien se découvrent. Un spectacle sur la flexibilité des différences culturelles. «C’est compliqué», confient-ils. Ils rient, sont gênés, presque timides. Parler des épisodes de leur vie est «compliqué». Elle, c’est Nini (Virginie Gabriel), française. Lui, c’est Mahmoud (Mahmoud El Haddad), égyptien. Les deux sont assis côte à côte, séparés par le bandeau de la traduction automatique. Le metteur en scène Henri Jules Julien veut dans ce spectacle questionner le moment de la rencontre interculturelle, lorsque chacun fait un pas vers l’autre dans un esprit d’ouverture tout en campant ferme sur les fondements de son éducation, de sa culture, de ses appartenances. La flexibilité, oui, mais jusqu’où ? Et durant cet échange entre deux personnes conciliantes, la discussion grippe parfois, au point aussi de s’apparenter à un duel.
Petit à petit, les langues se délient, chacun se raconte, une sorte d’amitié respectueuse se noue, et quand il faut danser, tout le monde est au diapason. Mais lorsque la musique s’arrête et qu’on aborde des points d’incompréhension, ou que les préjugés se font jour, tout se retourne. Les personnages sont volontairement archétypaux : Française blanche candide qui veut aider tout le monde et se sent noire à l’intérieur ; Egyptien gay qui aimerait qu’on le laisse tranquille tout en donnant des leçons.
Par delà le jeu naturaliste qu’ils proposent, les deux comédiens interfèrent aussi parfois dans le texte et donnent leur propre point de vue, sur la liberté, le capitalisme, la religion, la vie, ce qui augmente les niveaux de lecture. Finalement, le spectateur se retrouve devant un feuilleté de discours qui brasse témoignages, lieux communs, souvenirs, railleries et invectives. Et, effectivement, lorsqu’il en ressort, il trouve lui aussi la rencontre bien plus «compliquée», sans toutefois douter de la sincérité de la démarche.
Guillaume Tion (à Avignon) Mahmoud et Nini de Henri Jules Julien à la Maison Jean-Vilar jusqu’au 22 juillet, à 15 heures.
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Le spectateur de Belleville
July 18, 2019 1:50 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 15 juillet 2019
Joie, conception, texte et jeu de Anna Bouguereau, mise en scène de Jean-Baptiste Tur.
On a tous, hélas et heureusement, des souvenirs d’enterrement de proches dont les fantômes – rappel mémoriel des disparus qui étaient alors encore bien vivants et éloignés de perspectives plus sombres, et qui hantent à jamais notre imaginaire.
Des images fiévreuses de conversations infinies, auréolées de silences paisibles. Un paysage de paix en effet, une sérénité existentielle où les conflits ne semblent pas avoir leur place, si ce n’est précisément le surgissement abrupt et absolu de la mort.
Aussi Anna Bouguereau, l’auteure interprète de Joie, a-t-elle voulu évoquer les états d’âme et les sentiments de ceux qui restent quand les êtres chers quittent la vie.
Une manière bien personnelle de combattre une société où la peur de la mort a remplacé le bonheur tangible et sensible d’exister. Pour la conceptrice du spectacle, combattre la mort, c’est déjà la regarder en face et puis apprendre à vivre après.
La faille viendrait de la teneur de nos sociétés industrialisées vidées de leur sens, de leurs rêves, de leurs croyances, de l’absence de vrais rites mortuaires consentis, au profit d’une fuite en avant perpétuelle sans se retourner sur son passé et sur soi.
Respecter la mort – qu’on en parle librement et non pas plus ou moins honteusement, sans la masquer – revient finalement à faire l’éloge de la vie.
Et paradoxalement, se sentir pleinement exister dans l’œil de la tempête des événements tragiques qui jalonnent la présence au monde de tous les êtres.
La locutrice assiste donc à l’enterrement de sa tante Catherine qu’elle aime toujours en nièce affectueuse, reconnaissant la belle capacité humaine de la disparue.
« Jean-Michel a fait un discours, Jean-Michel c’est le mari de ma tante Catherine, et c’était déchirant parce qu’il pleurait pas du tout. Il était digne. C’est nul comme mot mais c’est ça il était digne ça m’a donné envie d’être digne… Et il avait toujours un petit sourire intérieur derrière ses mots l’air de dire, oui c’est terrible mais non c’est pas triste, c’est beau je vous regarde vous êtes tous là vous êtes vivants. »
Celle qui s’exprime, un peu coincée au départ, comme bridée par la situation pathétique de la mise en terre, se laisse aller peu à peu à l’évocation des rêves enfouis qui l’habitent – le désir d’aimer et d’être aimée -, le souvenir, à l’écoute d’une chanson, du premier slow dansé avec un garçon qu’elle avait elle-même sollicité.
Son cousin pour lequel elle éprouve un attachement peu avouable la reconduit en voiture à la gare, et elle ne lui en dira jamais davantage, consciente de sa folie.
Or, au-delà d’un fort sentiment de solitude et d’isolement personnel, elle prend progressivement conscience de cette vie pleine qui l’envahit malgré elle avec joie.
Le metteur en scène Jean-Baptiste Tur installe la comédienne Anna Bouguereau sur un plateau envahi d’ombre nocturne que seule éclaire une longue table lumineuse de banquet à nappe blanche – réceptacle de multiples bouquets de fleurs colorées.
Métaphore de convivialité festive déjà vécue et à revivre encore, métaphore de l’emplacement terreux de la tombe au cimetière, de l’habitacle fermé de la voiture du cousin, et de son bureau d’écriture, où elle rédige une lettre au mari de la défunte.
La jeune femme éplorée lutte contre sa peine et sa tristesse intérieures, signifiant en échange, dans la proximité des spectateurs, les désirs qui l’assaillent et la font tenir debout, sourire aux lèvres dans ses adresses au public interpelé, radieuse de vie.
Véronique Hotte
Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Sain à Avignon, Tél : 04 90 82 39 06, jusqu’au 24 juillet à 16h40.
Crédit photo : KarimC.
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Le spectateur de Belleville
July 18, 2019 1:43 PM
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Par Christine Friedel dans Théâtre du blog, 17 juillet 2019
Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne
« Que chacun, écrivait l’auteur en 1838 dans la préface de sa célèbre pièce, y trouve ce qu’il y cherche et le poète, qui ne s’en flatte pas, aura atteint son but. Le sujet philosophique de Ruy Blas, c’est le peuple aspirant aux régions élevées; le sujet humain, c’est un homme qui aime une femme; le sujet dramatique, c’est un laquais qui aime une reine. »
Hugo serait heureux de ces représentations et aimerait sans doute ce rituel de la montée du public au château, respirer le parfum du soir sur la terrasse (on se met à parler en alexandrins comme lui…), contempler l’amoureuse reconstruction d’un édifice démantelé à la Révolution au nom de l’égalité, pillé de toutes ses belles pièces. Hugo qui s’attaquait à la “bande noire“ des démolisseurs et qui a sauvé en son temps Notre-Dame de Paris en l’édifiant dans son roman. Il aimerait cette grande scène élisabéthaine qui met chaque spectateur à portée des comédiens et la grande porte de la façade à l’antique, évoquant celle d’un théâtre grec. Et ce public bienveillant et divers.
Le dramaturge dit bien ce qu’il fait: c’est du théâtre pour tous. Donc, dans un royaume espagnol en pleine décadence, Don Salluste de Bazan, homme de pouvoir avide et amer, se voit exilé par la reine pour avoir séduit et abandonné l’une de ses suivantes, autant dire rien, pour ce misogyne qui use des femmes et les méprise. Condamné au mariage ! Réparer ! Un Don Salluste ne s’abaisse pas à cela et se venge. En deux mots : il va jeter la Reine dans les bras de son valet, affublé du nom de Don César. Un vrai Don César existe, cousin du méchant, noble ruiné, aventurier aussi joyeux que maltraité par le sort, un peu Cyrano, un peu d’Artagnan, qui fera quelques brillantes apparitions dans la pièce (Jean-Christophe Quenon).
Mais un valet est un valet, autant dire rien. Et le perfide banni le rappelle régulièrement à Ruy Blas : «Il m’a fait /Fermer une fenêtre… ». Entre temps, sous son nom de haute noblesse, le valet est devenu ministre de la Reine -le Roi est à la chasse : « Madame, il fait grand vent et j’ai tué six loups»… Il s’est attaqué, au nom du peuple souffrant, aux célèbres «ministres intègres » : « Messieurs, en vingt ans, songez-y, /Le peuple, j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! /Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,/ Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,/Le peuple misérable et qu’on pressure encor,/A sué quatre cent trente millions d’or !/Et ce n’est pas assez ! »
Pour ces «Serviteurs qui pillez la maison!», inutile d’insister, la charge politique fait écho. Pour le potentiel comique de la pièce, révélé par le film La Folie des grandeurs avec Louis de Funès et Yves Montand, Yves Beaunesne le reprend à son compte, en donnant à cette histoire en accéléré un côté bande dessinée. Il a supprimé quelques personnages et concentré l’action grâce à des coupes ciselées. Il appuie le trait juste ce qu’il faut, avec la complicité des acteurs, de Jean-Daniel Vuillermoz qui a réalisé des costumes inspirés et de Cécile Kretschmar qui a imaginé des masques inquiétants. On vous laisse la surprise quant à la robe royale et à la crinoline diabolique de la duègne…
Mais surtout il a radicalement rajeuni l’histoire d’amour entre le “ver de terre“ et l’ “étoile“. Marie de Neubourg, sorte de Sissi avant la lettre (Noémie Gantier) se débat à la cour contre un ennui furieux. Passe un jeune homme amoureux et honnête (François Deblock)… Le jeune Ruy Blas et la jeune Reine sont égaux dans le désir et l’amour : c’est le sens du mot final du drame. Avec un jeu centré sur la libération que représente l’amour pour cette femme enfermée, et la transgression pour ce laquais qui se sait homme. Liberté, Egalité…
Pour l’émotion, car nous ne croyons plus aux drames, demandez à la musique de Camille Rocailleux et aux cordes d’Anne-Lise Binard et d’Elsa Guiet… Pour le plaisir, demandez à toute la troupe : Thierry Bosc en Don Salluste chafouin, d’une sobriété dangereuse, Guy Pion en (très) vieil amoureux chevaleresque et jaloux, et les “grands d’Espagne“, rats quittant le navire avec ce qu’ils peuvent de butin (Théo Askolovitch, Zacharie Feron, Maximin Marchand). Et puis ces figures féminines qui entourent la reine, Fabienne Luchetti en duchesse d’Albuquerque, raide comme le protocole et riche de la puissance de toutes ses frustrations, et Marine Sylf en Casilda, à l’opposé, toute en souplesse, gaieté et liberté.
Voilà une version allégée de Ruy Blas, qui ne se joue pas contre l’auteur (cela s’est vu, hélas !) : l’humour n’est pas le sarcasme mais la vérité du jeu, le point de contact avec une réalité où chacun se reconnaît. Une “série“ haletante, avec les trois objectifs de Victor Hugo généreusement remplis : distraire, donner à penser et émouvoir, même si c’est plutôt du côté du rire. Que demande le peuple ?
Christine Friedel
Château de Grignan (Drôme), Fêtes nocturnes, jusqu’au 24 août. T. : 04 75 91 83 65.
Du 8 au 10 octobre, Théâtre d’Angoulême /Scène nationale (Charente). Du 16 au 19 octobre, Odyssud, Blagnac (Gironde).
Les 5 et 6 novembre, Théâtre Firmin Gémier-La Piscine/Scène nationale, Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Du 12 au 15 novembre, Théâtre de Liège (Belgique). Du 19 au 23 novembre, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et le 26, Théâtre de l’Olivier, Istres (Bouches-du-Rhône)
Les 5 et 6 décembre, Théâtres de la Ville de Luxembourg (Luxembourg). Et du 16 au 20 décembre, La Manufacture, Centre Dramatique National, Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Janvier : du 8 au 18 Théâtre de la Croix Rousse, à Lyon (69). Du 22 au 26 Théâtre Montansier, Versailles (78)
Février : les 7 et 8 Théâtre Molière, Scène nationale de Sète (34). Le 11, Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains (74)
Du 26 février jusqu’au 15 Mars, Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national, Saint-Denis (93)
Mars : le 20, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (93), les 24 et 25, Théâtre Auditorium de Poitiers (86), Scène nationale
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Le spectateur de Belleville
July 17, 2019 6:03 PM
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Par Eric Demey dans Sceneweb.fr le 12 juillet 2019 Dans Laterna magica, Dorian Rossel poursuit avec brio son travail d’exploration et d’hommage à quelques figures majeures, et magiques, du cinéma du siècle dernier, en s’intéressant cette fois à celle d’Ingmar Bergman.
On connaissait l’amour de Dorian Rossel pour le cinéma de la Nouvelle Vague depuis sa très belle adaptation de La Maman et la Putain de Jean Eustache à laquelle avait succédé un spectacle fondé sur Le Dernier Métro de Truffaut. Avec Laterna Magica, le prolifique metteur en scène franco-suisse se penche sur la vie du légendaire Ingmar Bergman, contemporain des réalisateurs sus-cités, à partir de son écrit autobiographique du même nom. Les mêmes recettes produisant les mêmes effets, la simplicité du travail scénographique, l’intelligence dramaturgique et une remarquable interprétation font de ce spectacle une incontestable réussite.
Honneur aux acteurs, commençons par souligner l’épatante performance de Fabien Coquil, tout en présence, en ruptures, en nuances et en relances. Avec son visage poupin, cet acteur fraîchement sorti de l’école de la Comédie de Saint-Étienne incarne un Bergman chez qui l’enfant ne meurt jamais dans l’adulte. Les rapports conflictuels avec son frère et le cadre oppressant d’une famille de pasteur, où « Père » et « Mère » n’ont cessé de se déchirer, pèsent sur le récit que Bergman fait de sa vie, comme ils ont dû peser sur son enfance, et son devenir. L’autoportrait plein d’autodérision que le réalisateur fait de lui-même – un être froid, obsessionnellement organisé, en perpétuelle distance avec le réel, ne cessant de se réfugier derrière des masques sociaux – semble trouver ses racines dans une famille baignée par le puritanisme protestant de l’entre-deux guerres, qui tenta sans répit de domestiquer la vitalité de l’enfant Ingmar, qualifiée un jour par un pédiatre d’« élans maladifs ».
Honneur au metteur en scène ensuite, et à la metteuse en scène, puisque Delphine Lanza, qui joue également de petits rôles dans la pièce, a co-construit ce spectacle. Sa composition dramaturgique permet, à la fois, d’approfondir les différentes dimensions de l’autobiographie et de relancer le récit sur de nouvelles pistes à chaque fois que l’une d’elles menace de s’épuiser. A l’histoire familiale se superposent l’évocation d’une société corsetée, l’Histoire vécue à hauteur d’homme à travers l’engouement juvénile et passager de Bergman pour Hitler, la construction d’une personnalité, et, bien sûr, le rapport au cinéma, insuffisamment traité pour ne pas laisser un peu sur sa faim.
Dans une langue simple et épurée, comme la scénographie qui, à partir d’un grand tulle blanc et de quelques planches de bois, parvient à composer des univers suggestifs, bien que parfois inaboutis, Laterna Magica prend, comme La Maman et la Putain, la forme d’un hommage bien vivant au passé, délicat et sensible, autour d’un homme qui n’a trouvé que les masques et le mensonge pour répondre à sa soif de vérité.
Laterna Magica d’après Ingmar Bergman Avec Fabien Coquil, Delphine Lanza, Ilya Levin Mise en scène Dorian Rossel et Delphine Lanza Lumières Julien Brun Musique Yohan Jacquier Son Thierry Simonot Costumes Eléonore Cassaigneau Scénographie Cie STT Assistant Clément Fressonnet
Production Cie STT Avec le soutien de Fondation Meyrinoise du Casino, Loterie Romande, Ernst Göhner Stiftung, École de la Comédie de Saint-Etienne / DIESE # Auvergne-Rhône-Alpes. Remerciements Noémi Alberganti, Tamara Bacci, Barbara Baker, Daphné Bengoa, Duniemu Bourobou, Guilherme Bothelo, Antonio Buil, Xavier Fernandez Cavada, Carine Corajoud, Daria Deflorian, Madeleine des Oiseaux, Patrick Eichenberger, Romain Fouroux, Marcelline Gamma, Claire Gerignon, Sandra Heyn, Marie-Laure Lecourt, Olivier Lopez, Muriel Maggos, Pauline Masson, Patrick Merz, Arnaud Meunier, Alexandre Paradis, Jean-Michel Puiffe, Marco Renna, Caroline Simpson-Smith, Fabien Spillmann, Benno Steinegger, Séverine Skierski, Pierric Tenthorey, Audrey Vernon, Hervé Walbeck
La Compagnie est conventionnée avec les Villes de Lausanne, Genève et Meyrin et avec le Canton de Genève. Elle est associée à la Garance SN Cavaillon et à la MC Bourges, et Artiste associé en résidence au Théâtre Forum Meyrin.
Les œuvres théâtrales d’Ingmar Bergman sont représentées en langue française par l’agence Drama – Suzanne Sarquier en accord avec la Fondation Bergman et l’agence Josef Weinberger Limited à Londres.
Durée : 1h25
Festival d’Avignon Off 2019 11 Gilgamesh Belleville du 5 au 23 juillet à 10h30 – Relâches les 10 et 17
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Le spectateur de Belleville
July 17, 2019 5:46 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde / Publié le 17 juillet 2019 Le chorégraphe inclassable et fantaisiste fait équipe avec le mentaliste belge Kurt Demey dans « Garden of Chance ».
Rien ne fait peur au danseur et chorégraphe Christian Ubl. Dans le cadre de l’opération Vivre le Sujet, pilotée par la SACD, cet artiste au profil joyeusement inclassable fait équipe avec le mentaliste belge Kurt Demey dans Garden of Chance. « On ne se connaissait pas avant cette proposition et on a réussi à trouver un espace commun, explique-t-il. Il s’agit d’un lieu accueillant qui laisse la place à l’étonnement. Il va y avoir une roue de la fortune, une pelouse décalée, on y parlera hormones, on y jouera aux dés et aux cartes, on déchirera des photos. La chance est le fruit qui pousse dans nos arbres. »
Avec ce nouvel opus, drôle, fantaisiste, subtilement participatif, ce militant pour « une danse ouverte, sensible et universelle », risque de secouer le cocotier de tout ce que l’on croit savoir sur la danse contemporaine. Il faut dire que le trajet de Ubl, né en Autriche, installé en France en 1996, compile les expériences les plus paradoxales. Patineur artistique de compétition entre 9 et 14 ans, il devient ensuite expert en danses latines et court les championnats mondiaux dans l’équipe nationale d’Autriche jusqu’à 22 ans. Parallèlement, ce roi du cha-cha-cha, de la rumba et du paso doble, étudie aussi la gastronomie hôtelière tout en fréquentant le fameux festival de danse contemporaine Impulsztanz, à Vienne. Déclic. Dans la foulée, il engrange des stages auprès de Raza Hammadi, Serge Ricci, cavale pour se former entre Budapest, Nantes et New York. Il atterrit finalement à Istres en 1997 où il suit la formation Coline. Vite, il devient interprète pour Michel Kelemenis, puis Thomas Lebrun avec lequel il collabore pendant dix ans, David Wampach.
Christian Ubl : « J’ai longtemps été tiraillé entre mes origines populaires et ma formation contemporaine »
Depuis 2005, à la tête de la compagnie CUBe, il navigue entre spectacles comme le très aventureux May you live in Interesting Times (2005) et les projets singuliers tel How Much ? (2015), une création in-situ dans deux grands magasins abandonnés pour des étudiants, au Caire. Artiste-associé au Centre de Développement chorégraphique La Briqueterie jusqu’en 2020, il se fait connaître en 2014 avec Shake it out, pièce pour cinq danseurs et deux musiciens dans laquelle il travaille au corps la question de l’identité culturelle européenne sur un tapis de drapeaux de tous les pays. Cette pièce a reçu le prix du jury au concours (Re) connaissance, en 2014.
« J’ai longtemps été tiraillé entre mes origines populaires et ma formation contemporaine, confie-t-il. J’ai commencé à fouiller mon identité à partir de 2010 dans le solo intitulé I’m from Austria like Wolfi. J’ai renoué avec la tradition, le folklore, la peinture autrichienne comme celle de Klimt et de Schiele. Petit à petit, je me suis réconcilié avec ce que je suis en affirmant un travail sur la rythmicité, l’expressivité, la sensualité et l’ironie. » Un bouquet Ubl qui fleurira dans Garden of Chance.
Garden of Chance, de Kurt Demey et Christian Ubl. Vivre le Sujet, du 17 au 23 juillet. Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph.
cubehaus.fr/garden-of-chance-2019/
Rosita Boisseau Légende photo : Kurt Demey et Christian Ubl dans
« Garden of Chance » à Avignon. (c) Christophe Raynaud de Lage
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Le spectateur de Belleville
July 16, 2019 4:25 PM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde du 15 juillet 2019 Jean-Pierre Vincent met en scène la tragédie d’Eschyle avec des artistes du Théâtre national de Strasbourg.
Paul Fougère et Claire Toubin, dans « L’orestie », d’Eschyle, le 11 juillet, à Avignon. Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon Il est rare de voir L’Orestie d’Eschyle dans son intégralité. Jean-Pierre Vincent la met en scène avec les élèves du Groupe 44 de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, dont c’est le spectacle de sortie. Désormais, chacun et chacune va vivre sa vie d’artiste, pour écrire d’une manière inclusive comme c’est la règle au TNS, en pointe sur plusieurs fronts, en particulier la diversité : Stanislas Nordey, le directeur, a si bien œuvré pour ouvrir le concours d’accès à l’école que la diversité va de soi dans le Groupe 44.
Jean-Pierre Vincent a travaillé avec ce groupe pendant les trois années de son cursus. Il a choisi la tragédie d’Eschyle (env. 525- 456 av. J.-C.), la plus ancienne qui nous soit parvenue, parce qu’il voulait « revenir à la “case départ” de notre histoire ». Pour la traduction, qui est toujours un enjeu essentiel, il a demandé à son ami Bernard Chartreux de transcrire en français la version allemande que Peter Stein a établie à partir du grec quand, en 1980, il a signé à la Schaubühne de Berlin une mise en scène de L’Orestie restée dans les annales.
Jean-Pierre Vincent lui rend hommage, en reprenant une de ses idées les plus fameuses : faire jouer le chœur par des hommes du peuple âgés, vêtus de manteaux usés, courbés sur des cannes. Ces hommes prennent place à une table en bois fruste posée sur le sol de pierre. Un escalier mène à l’estrade sur laquelle se tient le palais des Atrides, symbolisé par une lourde porte en fer. C’est tout, et cela suffit pour donner un décor à la tragédie d’Eschyle, dont les douze acteurs et actrices jouent chacun plusieurs rôles et endossent divers âges de la vie.
Un côté vaudeville Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides : au Gymnase Saint-Joseph, où elles sont présentées en cinq heures (avec entractes), les trois pièces qui constituent L’Orestie commencent par une nuit étoilée, sous laquelle un veilleur du palais d’Argos attend que vienne « la bonne nouvelle », et s’achèvent par la lumière du jour à Athènes où, enfin, le malheur semble écarté. Entre les deux, on aura suivi le fil d’une histoire que Jean-Pierre Vincent met en scène d’une manière simple et accessible à tous, qui a le grand mérite de faire entendre clairement le texte.
Agamemnon, le roi d’Argos, rentre vainqueur de Troie. Aidée de son amant Egisthe, son épouse, Clytemnestre, le tue, ainsi que sa captive Cassandre, au motif qu’elle ne peut lui pardonner d’avoir sacrifié leur fille, Iphigénie, afin d’obtenir des vents favorables au départ pour Troie… Ces meurtres d’Agamemnon appellent les suivants. Dans Les Choéphores, Oreste, qui revient à Argos pour récupérer son trône, retrouve sa sœur, Electre, et venge leur père en tuant leur mère et Egisthe. Dans Les Euménides, Oreste, poursuivi par les Erinyes, qui punissent les crimes familiaux, reçoit le soutien d’Apollon, qui le purifie, et d’Athéna, qui établit à Athénes un tribunal où Oreste est jugé puis innocenté. Vaincues, les Erinyes acceptent la proposition d’Athéna, qui leur promet respect et protection si elles consentent à devenir bienveillantes.
Jean-Pierre Vincent présente Apollon comme un clone en costume doré d’Emmanuel Macron
Ainsi les Erinyes deviennent-elles les Euménides. Ainsi s’établit à Athènes un mode de gouvernance qui ne dépend plus directement des dieux, mais des citoyens. Ainsi, dit-on, naquit la démocratie. Jean-Pierre Vincent y croit comme on croit à une fable, sans se faire d’illusion. Il se délecte en présentant Apollon comme un clone en costume doré d’Emmanuel Macron : même coiffure sage, même allure, même gestuelle. La salle éclate de rire quand il explique que la mère ne compte pas dans la naissance d’un enfant, parce qu’elle n’est que le dépositaire d’une graine semée par le père.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Festival d’Avignon : « La Maison de thé » déconstruite en opéra-rock brechtien A ce moment-là, c’est la mauvaise foi d’un homme politique qu’Apollon-Macron fait entendre, plutôt que l’invention littéraire d’Eschyle. Les piques de ce genre ne manquent pas dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, qui appuie sur les passages ironiques de la version de Peter Stein et s’amuse des invraisemblances de L’Orestie, au regard de notre supposée raison. Cela donne de l’allant au spectacle, qui affiche sans complexe un côté vaudeville. Pourquoi pas ? On peut toujours relire la mythologie grecque à cette aune-là. Mais, pour peu que l’on attende de la tragédie quelque hauteur de vue sur nos destins, et quelque transcendance, on est en droit de le regretter. Reste à saluer les comédiennes et les comédiens qui engagent les promesses de leur talent dans cette Orestie.
L’Orestie, d’Eschyle. Mise en scène : Jean-Pierre Vincent. Avec Daphné Biiga Nwanak, Océane Caïraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Paul Fougère, Romain Guillot, Romain Gneouchev, Elphège Kongombe Yamale, Ysanis Padonou, Mélody Pini, Ferdinand Régent-Chappey, Yanis Skouta, Claire Toubin. Gymnase du lycée Saint-Joseph, à 14 heures. Tél. : 04-90-14-14-14. De 10 € à 30 €. Durée : 5 heures. Jusqu’au 16 juillet.
Brigitte Salino (Avignon, envoyée spéciale)
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Le spectateur de Belleville
July 24, 2019 1:14 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde le 22 juillet 2019 L’édition 2019, trop dominée par les questions politiques et sociologiques, a manqué de gestes artistiques forts.
Le Festival d’Avignon tire le rideau mardi 23 juillet (dans sa version « in », le « off » se poursuivant jusqu’au 28 juillet) avec un concert d’Arnaud Rebotini et du Don Van Club, qui vont interpréter, dans la Cour d’honneur du Palais des papes, la bande originale de 120 battements par minute, le film de Robin Campillo. Le rideau se referme, donc, sur une édition 2019 qui a suscité nombre d’insatisfactions et d’interrogations et qui devrait afficher des chiffres de fréquentation en légère baisse – même si ceux-ci seront bons, comme ils le sont systématiquement depuis une quinzaine d’années, en tournant autour de 95 % de taux de remplissage.
Les chiffres en eux-mêmes ne disent pas grand-chose, sinon que l’appétit de théâtre est toujours énorme dans notre pays. Ils ne disent pas l’essoufflement qui marque cette 73e édition du festival fondé par Jean Vilar : une forme d’épuisement de la ligne tenue par Olivier Py depuis son arrivée à la tête d’Avignon, en 2014, qui consiste à placer les enjeux politiques et sociétaux au cœur de la programmation, plutôt que les enjeux artistiques.
Notion de « spectacle sur… » En Avignon, le spectacle programmé en ouverture dans la Cour d’honneur du Palais des papes donne toujours le la du Festival. Avec Architecture, l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert, 57 ans, est apparu lui-même comme à bout de souffle, en signant une pièce à la fois boursouflée et sans relief, et laissant ses excellents acteurs (Emmanuelle Béart, Marie-Sophie Ferdane, Stanislas Nordey, Denis Podalydès…) se dépatouiller avec des personnages sans consistance.
La suite du Festival a semblé partir dans tous les sens, sans être structurée par une réelle pensée de programmation. Cette édition était pourtant placée sous le signe des odyssées d’hier et d’aujourd’hui, et de l’histoire européenne. Deux thèmes qui ont produit des spectacles forts, avec Le Présent qui déborde. Notre odyssée II, de la Brésilienne Christiane Jatahy, et Nous, l’Europe, banquet des peuples, de Laurent Gaudé et Roland Auzet.
Mais, plus les années passent, plus l’on s’interroge sur la notion de « spectacle sur… (les migrants, les femmes battues, le harcèlement à l’école, la révolution cubaine, la vie des abeilles…) ». La remarque est également valable pour le « off », d’ailleurs, où l’accent est de plus en plus mis, là aussi, sur les thématiques sociologiques.
Lire la critique : Festival d’Avignon : Kirill Serebrennikov s’évade en beauté A ces interrogations, c’est un artiste dissident, le metteur en scène et cinéaste russe Kirill Serebrennikov, qui a répondu superbement, en signant, avec Outside, non pas un spectacle « sur » son arrestation et son assignation à résidence par le FSB, les forces de sécurité intérieure russes, ni « sur » son homosexualité, sans doute au cœur du problème, mais bien un véritable geste artistique, partant d’une intimité et d’une singularité.
Avec Outside, le bien nommé, Serebrennikov a offert le spectacle le plus puissant et le grand succès de cette édition, défiant les codes de la bienséance, du bon goût et de la bien-pensance avec une liberté souveraine. Le Festival a présenté d’autres beaux spectacles, comme le Pelléas et Mélisande très réussi de la jeune Julie Duclos, ou Sous d’autres cieux, de Maëlle Poésy, et Le reste vous le connaissez par le cinéma, par Martin Crimp et Daniel Jeanneteau, spectacles plus inégaux mais délivrant des moments magnifiques. Ou encore le Phèdre ! frais et subtil de François Gremaud. De même que, du côté de la danse, les créations d’Akram Khan dans la Cour d’honneur, Outwitting the Devil, et de Wayne McGregor, Autobiography.
Avec « Outside », Serebrennikov a offert le spectacle le plus puissant et le grand succès de cette édition
Mais on s’interroge sur l’absence à Avignon, plus criante d’année en année, des grands maîtres européens du théâtre. Où sont passés les Platel, les Castellucci, les Lupa, les Ostermeier et autres Marthaler, lesquels ne font pas des spectacles « sur » un thème, ce qui ne les empêche pas d’offrir une pensée sur le monde ? Que dirait-on si la direction du Festival de Cannes décidait de se passer des Pedro Almodovar, Ken Loach et autres Nanni Moretti ?
Lire aussi « Pelléas et Mélisande » : une jeunesse empêchée dans un monde trop vieux Cette question est rendue plus aiguë encore par la présence de « découvertes » internationales qui n’ont pas leur place dans un festival de ce niveau, à l’image de La Maison de thé, du metteur en scène Meng Jinghui, premier spectacle chinois présenté à Avignon, et qui ne restera dans les annales que pour cette raison. On s’interrogera par ailleurs sur le choix d’exposer de jeunes artistes émergents, comme Clément Bondu ou Tommy Milliot, dans une manifestation dont ce n’est pas la vocation.
Théâtre d’intervention Quant à Olivier Py, souvent critiqué depuis qu’il est devenu pape d’Avignon pour avoir utilisé le Festival comme plate-forme pour ses propres créations, il s’est fait modeste dans cette édition, en ne produisant qu’un spectacle jeune public, L’Amour vainqueur, et un Macbeth philosophe travaillé en prison avec des détenus du centre pénitentiaire Avignon-Le Pontet.
Mais la présentation de ce Macbeth, après Hamlet et Antigone les années précédentes, pose une question délicate et complexe : le rendu de ce travail, absolument incontestable sur le plan politique, doit-il être systématiquement présenté au Festival d’Avignon ? Est-ce là, de manière répétée et non exceptionnelle, le lieu de cette forme de théâtre d’intervention, qui évacue tout débat possible sur les aspects artistiques ?
« Que peut faire le théâtre pour le monde ? Du théâââtre ! », clamait Olivier Py, par la voix de l’inénarrable Michel Fau, dans une de ses propres pièces, datant de 2006, Illusions comiques. Il semblerait bien qu’il ait changé d’avis depuis qu’il dirige le Festival d’Avignon. Ce revirement n’est pas solitaire, il est dans l’air d’un temps qui demande à nouveau à tout prix à l’art d’émettre un message, d’avoir une fonction sociale bien définie et bien nette.
Le chercheur Olivier Neveux, professeur d’esthétique et d’histoire du théâtre à l’ENS de Lyon, s’interroge sur cette tendance dans un livre passionnant, Contre le théâtre politique (Ed. La Fabrique). « Contre » au sens du « tout contre » de Sacha Guitry : Olivier Neveux n’est pas un tenant d’un art déconnecté du réel. Mais il alerte : peut-être que ce qui serait vraiment politique, aujourd’hui, ce serait de reconnaître à l’art sa juste place.
Fabienne Darge (Avignon)
Légende photo : Odin Lund Biron dans « Outside » de Kirill Serebrennikov, le 15 juillet 2019 à Avignon. GERARD JULIEN / AFP
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Le spectateur de Belleville
July 23, 2019 2:25 PM
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Publié sur le site d'ARTCENA - 19 juillet 2019 RENCONTRE Les 11, 12 et 13 juillet 2009, les États Généraux des Écrivaines et Écrivains de Théâtre ont ont donné lieu à l’établissement de 55 préconisations à mettre en œuvre.
Les préconisations issues d’un travail d’état des lieux et de rencontres mené pendant une année par les 9 commissions thématiques des États Généraux des Écrivaines et Écrivains de Théâtre (EGEET) ont été débattues les 11, 12 et 13 juillet 2019 à la Chartreuse-CNES de Villeneuve-lez-Avignon. 10 tables rondes étaient organisées pour réunir plus de 90 intervenants, dont des partenaires institutionnels (ARTCENA, DGCA, SACD), des équipes artistiques, des directeur.rices de lieu, des auteurs et autrices de théâtre.
Au total, 55 préconisations concrètes ont été prises par les partenaires lors de ces tables rondes, et celles-ci confirment la volonté des EGEET de poursuivre leur travail amorcé en 2018. Des rendez-vous fixés pour la rentrée auront pour objectif d’entamer un travail de mise en œuvre effective des préconisations, dont, la nécessité d’assurer la présence effective des auteurs et autrices dans les théâtres labellisés « Un auteur, un théâtre », d’inclure des textes dramatiques dans les programmes scolaires et de rédiger une charte visant à prendre en compte les spécificités de la profession d’auteur et autrice dramatique dans le statut des artistes auteurs et autrices.
Lire les 55 préconisations des États Généraux des Écrivaines et Écrivains de Théâtre
Les 55 préconisations des EGEET (PDF - 102.71 KO)
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Le spectateur de Belleville
July 22, 2019 2:45 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 19 juillet 2019 Daniel Jeanneteau s’empare de la pièce de Martin Crimp, « Le reste vous le connaissez par le cinéma », d’après « Les Phéniciennes » d’Euripide.
Tragédies d’hier, tragédies d’aujourd’hui, les unes au regard des autres : le fil rouge (sang) court dans cette 73e édition du Festival d’Avignon, comme dans toutes les autres depuis qu’Olivier Py a pris la direction de la manifestation, en 2014. En cette fin de festival, il ressurgit avec Le reste vous le connaissez par le cinéma, titre étrange qui recouvre une réécriture contemporaine des Phéniciennes, d’Euripide, par le brillant auteur britannique Martin Crimp.
Ces Phéniciennes qui nous arrivent du Ve siècle avant Jésus-Christ étaient déjà une nouvelle version de la pièce originelle, Les Sept contre Thèbes, d’Eschyle, écrite cinquante ans auparavant. C’est donc encore et toujours le mythe d’Œdipe qui est au cœur ici, fondateur de la Grèce et de notre civilisation, qui a servi à établir les valeurs qui sont – encore – les nôtres, de démocratie et de justice, pour dépasser les pulsions de meurtre et de prédation originelles.
La puissance du mythe est telle que chaque époque peut s’en emparer, pour réexaminer, dans le creuset concret du théâtre, l’état de ces valeurs. L’originalité d’Euripide par rapport à Eschyle, c’est de faire représenter l’histoire sous les yeux d’un chœur de femmes – et des femmes venues d’Orient, les Phéniciennes. C’est ce chœur de femmes qui a intéressé Martin Crimp, et Daniel Jeanneteau, qui met en scène la pièce.
Mythe et modernité Sous les yeux de ces Phéniciennes, que Daniel Jeanneteau fait jouer par des comédiennes amatrices, jeunes filles de Gennevilliers où le metteur en scène dirige le T2G − centre dramatique national, on retrouve donc les membres de la fameuse famille, tels que les connaissent les amateurs de théâtre. L’histoire prend place au moment où Œdipe, roi de Thèbes, vient de se crever les yeux et abandonne le pouvoir, après avoir découvert que la femme qu’il a épousée, Jocaste, est aussi sa mère.
Etéocle et Polynice, les fils qu’il a eus avec Jocaste, vont s’entre-tuer pour le pouvoir, sous les yeux de leur mère, de leurs sœurs Antigone et Ismène (qui n’apparaît pas dans la pièce de Crimp), de Créon, régent du royaume et par ailleurs frère de Jocaste, et donc de ces femmes venues d’ailleurs, considérées comme des barbares, et qui observent avec une distance ironique la « civilisation » dans laquelle elles ont échoué.
Ce qui est passionnant ici, et un peu discutable par moments, c’est la manière dont Crimp et Jeanneteau frottent le mythe avec notre modernité. La pièce se joue dans ce qui, plus qu’un décor, est un espace sensible et sobre, comme Daniel Jeanneteau sait en créer : une salle de classe avec ses chaises et ses bureaux avec, au fond de la cour, la caravane dans laquelle vit un Œdipe clochardisé. Les costumes, ceux des femmes notamment, adoptent résolument le style mixé des jeunes gens d’aujourd’hui.
La direction d’acteurs de Daniel Jeanneteau favorise toujours la singularité et la poésie des comédiens
Les petites réserves que l’on peut émettre, c’est que, si Martin Crimp est un auteur on ne peut plus subtil et cultivé, il est aussi très cérébral, et son écriture n’est pas exempte de tics postmodernes, comme s’il éprouvait le besoin de déjouer sans cesse le tragique par l’ironie. Du coup la représentation est inégale, avec des moments très forts et d’autres qui flottent, d’autant plus que la distribution non plus n’est pas homogène.
Mais pour ceux et surtout celles qui tirent leur épingle du jeu, la direction d’acteurs de Daniel Jeanneteau, qui favorise toujours la singularité et la poésie des comédiens, offre des partitions magnifiques. Stéphanie Béghain est au cœur d’un des plus beaux moments du spectacle, en contant avec une douceur extrême la bataille sanglante entre les deux frères. Solène Arbel est une Antigone électrique, Axel Bogousslavsky un Tirésias extraordinaire. Quant à Dominique Reymond en Jocaste, elle est tout simplement magnifique, profondément tragique sans jamais forcer le jeu. Du grand art.
« Le reste vous le connaissez par le cinéma », mis en scène par Daniel Jeanneteau au Gymnase du lycée Aubanel, Avignon. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE Le reste vous le connaissez par le cinéma, de Martin Crimp (traduit de l’anglais par Philippe Djian, L’Arche éditeur). Mise en scène : Daniel Jeanneteau. Gymnase du lycée Aubanel, à 18 heures, jusqu’au 22 juillet. Durée : 2 h 30. Puis tournée jusqu’en mars 2020.
www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2019/le-reste-vous-le-connaissez-par-le-cinema
Légende photo : Dominique Reymond (robe noire) incarne Jocaste dans « Le reste vous le connaissez par le cinéma ». CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
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Le spectateur de Belleville
July 21, 2019 12:45 PM
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Par Nicolas Arnstam dans Froggy's delight Iphigénie à Splott Artéphile (Avignon) juillet 2019 Monologue dramatique de Gary Owen interprété par Morgane Peters dans une mise en scène de Blandine Pélissier. On n'est pas prêt d'oublier ce personnage et cette comédienne là... Dans "Iphigénie à Splott" du gallois Gary Owen (idéalement traduit par Blandine Pélissier et Kelly Rivière), Morgane Peters est Effie, une fleur de bitume un peu trop portée sur l'alcool pour oublier son quotidien dans un quartier de Cardiff, au Pays de Galles. Et elle est absolument phénoménale. Le regard à la fois désabusé et déterminé, elle fixe les spectateurs. Dans ce monologue-confession, Effie exprime une rage trop longtemps fermentée dans l'univers urbain désolant où elle a grandie et dont elle connaît chaque recoin. Futée, la jeune femme n'a pas la langue dans sa poche, s'exprimant dans un argot moderne imagé et jubilatoire dont elle cogne chaque phrase avec toute l'énergie qui la caractérise. Un soir, elle qui ne croit plus en grand-chose, a une révélation en croisant la route d'un soldat, et veut croire encore à l'amour, s'abandonnant toute entière avant de cruellement déchanter. Le texte brillant de Gary Owen, file à cent à l'heure avec un humour décapant et irrésistible. On le suit, haletant par le rythme imposé par la comédienne splendidement dirigée. Cette pièce est magistrale par sa construction et par ce qu'elle dit de notre monde. C'est à Cardiff mais ça pourrait se passer à Manchester, à Roubaix ou à Calais. Toute l'aberration de la misère découlant du libéralisme à outrance éclate ici en un texte d'une fulgurante beauté que Blandine Pélissier met en scène avec maestria et fait résonner d'une façon on ne peut plus actuelle. Effie est une Iphigénie moderne qui prend en main son destin et guidée par sa grand-mère, brisera des générations de malédiction. S'entourant d'une équipe de grand talent : So Beau-Blache pour la sobre mais très évocatrice scénographie finement éclairée par Ivan Mathis, et Loki Harfagr pour la formidable bande son, Blandine Pélissier et la Compagnie Les Cris du nombril transmettent avec "Iphigénie à Splott" une déflagration salutaire. Un de ces spectacles qui vous hantent longtemps. La metteuse en scène donne à sa comédienne le plus beau des écrins pour qu'éclate son génie. En effet, avec une gouaille irrésistible, un sens des ruptures et une façon de bouger qui n'appartient qu'à elle, Morgane Peters est sans aucun doute la révélation de l'année. Remarquable de précision, d'acuité et de tension, elle conduit avec magnétisme le spectateur en apnée dans ce drame bouleversant où les larmes se mêlent aux rires. Et booste ce spectacle, montant en puissance jusqu'à des sommets d'émotion. Une étoile est née. Nicolas Arnstam
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July 21, 2019 12:35 PM
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Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 21 juillet 2019 Festival d’Avignon
Laterna Magica d’Ingmar Bergman, mise en scène de Dorian Rossel et Delphine Lanza
Avignon nous aura permis de découvrir le travail de ce metteur en scène genevois avec un spectacle pour enfants d’une grande finesse, L’Oiseau migrateur. Toute aussi délicate, cette pièce tirée de Laterna Magica du cinéaste suédois nous a séduits. « Ce spectacle est une réinvention pour le plateau, de la fausse autobiographie d’Ingmar Bergman, dit Dorian Rossel. Entre mémoires et exutoire, il se raconte.»
Devant un écran fortement éclairé, évoquant une lanterne magique et qui se démultipliera en d’autres surfaces blanches, Fabien Coquil incarne le réalisateur et il évoque son enfance, ses frère et sœur, un père pasteur strict, une mère soumise à sa férule. Aucun extrait de l’œuvre du grand maître ne sera montré, comme on pourrait s’y attendre, mais ceux qui connaissent ses films les projettent de mémoire sur l’espace vide et immaculé, agrémenté à cour et à jardin par des feuillages et de grands lys.
Les personnages dont il parle passent comme des fantômes derrière une mousseline tendue au milieu de la scène. Ils prennent parfois la parole mais l’essentiel du récit revient à cet acteur au physique d’éternel adolescent, en empathie réelle avec son texte. Formé à l’école de la Comédie de Saint-Etienne, il sait relayer une émotion sans pathos, entre humour et désenchantement.
Laterna magica est une confession hors de toute chronologie, les seules dates marquantes étant les deuils : mort de Mère, puis de Père, départ d’une amoureuse… Bergman revient à son enfance pour dire la sévérité de son éducation, la peur et la culpabilité inculquées par une religion obsédée par le péché. Il décrit la sécheresse affective et les sévices physiques infligés par celui qu’il ne nommait que Père : «On vous enfermait, pour un temps plus ou moins long, dans une penderie bien particulière. J’étais complètement terrorisé. » (…) «Cette forme de punition ne m’effraya plus quand découvris une solution: cacher dans un coin, une lampe de poche. Lorsqu’on m’enfermait, je cherchais ma lampe dans sa cachette et je dirigeais son faisceau de lumière contre le mur en imaginant que j’étais au cinéma. » Son frère, lui, a fini paralysé et sa sœur s’est « effacée ». Sa mère a caché toute sa vie son chagrin, qu’elle avait couché dans un carnet secret découvert dans un coffre de la banque après son décès…
Le cinéma et le théâtre ont sauvé le petit Ingmar… Ici, on explore en quoi cette créativité lui a permis de respirer, de s’échapper. «Je veux montrer dans ce spectacle, dit Dorian Rossel, les entrailles d’un homme dans toutes ses contradictions et sa complexité. » Il y parvient en une heure vingt. Et c’est magique. Laterna Magica, créé en avril au Théâtre Forum Meyrin en Suisse, est sans doute promis à un bel avenir.
Mireille Davidovici
11 Gilgamesh Belleville, 11 boulevard Raspail Avignon. T. : 04 90 89 82 63, jusqu’au 23 juillet à 10 heures 30.
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July 20, 2019 7:38 PM
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Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - le 05 juin 2019 L’auteure-metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen revient sur le succès international rencontré par son spectacle « Saïgon ». Depuis sa création au Festival d’Avignon, le 8 juillet 2017, Saïgon, la pièce de Caroline Guiela Nguyen, a connu un succès comme on en voit peu, tournant en France et à l’étranger – partout en Europe, d’Athènes à Moscou, en Chine, au Vietnam et en Australie – pendant deux ans. Ce spectacle magnifique, qui aborde les blessures de la colonisation et de l’histoire franco-vietnamienne par le biais de l’intime, est repris aux Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris (6e), avant de repartir en tournée. Parallèlement, Caroline Guiela Nguyen présente un spectacle en appartement, Mon grand amour. Entretien avec l’auteure-metteuse en scène qui, à 38 ans, fait figure de nouvelle étoile du théâtre français, non sans évoquer une Ariane Mnouchkine d’aujourd’hui.
Avez-vous été surprise par le succès de « Saïgon » ? En quoi est-il révélateur, selon vous ? On ne s’attendait pas à rencontrer un tel enthousiasme de la part du public, non, avec un spectacle joué en partie en vietnamien, avec des acteurs amateurs… Mais je pense que c’est justement ce qui a fait le succès de Saïgon : on y raconte une histoire qui n’avait pas été racontée, avec des êtres humains que l’on n’a pas l’habitude de voir sur les plateaux. Apparemment, cette histoire avait manqué à beaucoup de monde, et pas seulement en France et au Vietnam.
Comment expliquez-vous l’écho que « Saïgon » a eu à l’international ? Jamais je ne me suis dit, pendant la création, qu’on allait raconter une histoire universelle. Je n’aime pas ce mot, je trouve qu’il est aujourd’hui totalement perverti. Au contraire, on est partis d’une histoire singulière, celle de cette femme qui tient un petit restaurant vietnamien à Paris. Ce qui a été infiniment émouvant, c’est de voir à quel point cette histoire précise renvoyait des échos que ce soit en Chine, en Suède ou en Hollande : on a vu que l’histoire venait se loger en plein cœur chez beaucoup de spectateurs. En Europe, je pense que la pièce résonne fortement par rapport aux histoires coloniales, mais aussi sur la question actuelle de l’exil. En dehors des frontières de l’Europe, j’ai senti que Saïgon réveillait des interrogations sur la manière dont l’histoire de l’Europe s’est construite.
Comment se sont passées les représentations à Ho Chi Minh-Ville, ex-Saïgon ? Très bien. Nous avons pu jouer le spectacle dans son intégrité, sans censure. Les représentations ont été très chargées en émotions. Pour les comédiens viets kieu [Vietnamiens de la diaspora], qui n’étaient jamais retournés au pays, notamment. Les Vietnamiens se posent énormément de questions sur le sort de ces derniers. C’était comme s’ils avaient devant eux la part manquante de leur histoire, en une sorte de négatif des représentations françaises. Le spectacle, qui peut agir comme une forme de réconciliation entre le Vietnam et la France, a eu ici la valeur d’une réconciliation entre les Vietnamiens et les Viets kieu. On a senti que les enjeux étaient très forts.
Pensez-vous faire un théâtre politique ? J’ai été très étonnée du débat qui a eu lieu en France sur la question de savoir si notre théâtre est politique ou non. On l’a soupçonné de ne pas l’être : parce qu’on part d’histoires intimes, que l’on n’a pas peur de l’émotion, que l’on passe une chanson de Sylvie Vartan dans le spectacle ? Partout hors de France, la dimension politique est apparue comme évidente. Dans un monde où les mots se vident de leur sens, Saïgon montre que, derrière chaque personnage, il y a une histoire : qu’est-ce qu’être en exil, ne pas se sentir chez soi, perdre sa langue maternelle, vivre dans une autre culture ? Le spectacle redonne un visage aux acteurs de cette histoire.
D’où part votre réflexion sur les « récits manquants », les visages, les corps manquants dans le théâtre français ? De mes années à l’école du Théâtre national de Strasbourg. L’exercice même de l’école veut que l’on soit avec des jeunes de notre âge, de milieu plus ou moins homogène. Je sentais que mon imaginaire était en panne dans ce contexte. Je suis allée faire une pièce avec des dames en maison de retraite, et tout s’est débloqué chez moi. Là, j’avais un autre grain de voix, d’autres histoires, d’autres visages, un autre lieu, un autre rythme. Cette expérience m’a ouverte sur ce que je voulais faire : rencontrer des gens qui allaient venir peupler mes récits. Mes spectacles ne partent jamais de « sujets », je ne me dis jamais : « Je vais faire un spectacle sur la colonisation ou sur le deuil » – cela, c’est totalement abstrait, pour moi. En revanche, je rencontre des personnes, des lieux – un restaurant, un appartement –, et je me dis : « J’ai envie de raconter des histoires avec eux. » C’est très concret : la rencontre m’amène vers un sujet, que je déplie ensuite.
Pourquoi cet attachement au récit, aux personnages, et ne pas aller vers une forme documentaire ? Quel est le rôle de la fiction dans votre théâtre ? Parce que l’imaginaire est le lieu même du politique, contrairement à ce que l’on croit souvent. J’aime beaucoup cette expression du langage courant : « Je n’arrive pas à m’imaginer » – par exemple : « Je n’arrive pas à m’imaginer ce que c’est que de prendre un bateau et de quitter son pays. » Eh bien justement, le théâtre – ou le cinéma, en tout cas la puissance du récit – nous permet de continuer à imaginer l’humain. Quand on parle de migrants, d’intégration, d’identité, on a l’impression que, derrière ces mots-là, il n’y a personne. L’endroit qui peut être profondément politique, c’est de refaire apparaître des gens, de créer de l’imaginaire : remettre des êtres, des visages, des corps, derrière des mots abstraits. C’est quand on n’arrive plus à imaginer l’humain que l’on tombe dans les pires dérives. L’imaginaire me paraît être l’outil le plus urgent à remettre en marche aujourd’hui.
Que pensez-vous de la crispation actuelle autour des débats sur les questions postcoloniales ou décoloniales, comme lors de l’affaire de l’interdiction des « Suppliantes », d’Eschyle, à la Sorbonne ? On a fait appel à moi pour signer la lettre-tribune intitulée « Pour Eschyle » [publiée dans Le Monde du 11 avril, et signée notamment par Ariane Mnouchkine et Wajdi Mouawad]. Et je n’ai pas signé. Parce que je pense que cette lettre est d’une naïveté incroyable. Ce qui me gêne terriblement, c’est qu’en en faisant uniquement un débat de censure, on annule le débat réel, qui me semble capital pour la France d’aujourd’hui, sur la représentation des diversités. Je suis la première à m’élever contre les interdictions. Il faut que les spectacles se jouent. Mais il faut aussi entendre ce qui se joue dans des événements comme celui-ci : ce que cela remue, ce que cela crée comme violence, comme peine, comme incompréhension. Si on étouffe ce dialogue-là, on va dans le mur. Franchement, je crois qu’il y a autre chose à faire que d’écrire des lettres pour Eschyle. Il y a à écrire des lettres, des récits pour nous, pour les générations et le théâtre à venir.
Saïgon, de et par Caroline Guiela Nguyen. Les Ateliers Berthier-Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 17e, du 5 au 22 juin. Puis tournée jusqu’en mai 2020, en France et à l’étranger. Mon grand amour, dans un appartement du 13e arrondissement de Paris, du 16 juillet au 3 août, dans le cadre du festival Paris l’été.
Légende photo : Caroline Guiela Nguyen, auteure-metteuse en scène, Paris, le 4 juin. Frédéric STUCIN / PASCO / POUR LE MONDE
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July 19, 2019 9:44 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan Dans « Le reste vous le connaissez par le cinéma », Martin Crimp change la perspective de la pièce d’Euripide,« Les phéniciennes ». En faisant se côtoyer des acteurs de belle stature et un chœur de jeunes filles de Gennevilliers et alentour, le directeur du T2G, Daniel Jeanneteau, multiplie et diversifie la portée de la pièce. Et rehausse l’édition, pour l'heure moyenne, de ce festival d’Avignon. Elles sont là devant nous. Elles ne se sont pas donnés rendez-vous, mais la vie les a réunies, là dans ce lieu déserté et dépouillé, une salle de classe peut-être,une annexe de je ne sais quoi. Elles portent des robes, des jeans, des t-shirt, des survêtements, des habits de tous les jours. La plus petite, coiffée à la garçonne, porte un short et, en bandoulière, une gourde, elle est l’innocence même, plus tard vers le milieu de la pièce elle donnera à boire à un type qui ne va pas très bien. Elles ne sont pas d’ici. Elles diront plus tard à Polynice qu’elles viennent de la côte phénicienne (de là où était parti Cadmos bien avant elle « à la recherche d’Europe » comme le raconte Jocaste, on y vient) et qu’elles comptent rejoindre Delphes pour y honorer leur idole, Phébus Apollon « dieu de la Prophétie et de la Musique ». Des groupies qui s’y connaissent en toupie. Allez les Filles On peut, pourquoi pas, comprendre que ce sont les filles du Phénix ou qu’elles viennent de Phoenix, Arizona. Je dis n’importe quoi, je m’embrouille, elles m’embrouillent avec leurs mots de tous les jours. Elles sont là pour ça. Pour nous laver le regard et récurer nos oreilles trop habituées à ces vieilles histoire. Elles sont les agents de liaison de l’auteur Martin Crimp, un Anglais, perfide donc, qui en réécrivant Les phéniciennes d’Euripide, place ces « Filles » au centre du jeu de sa pièce au titre à la fois explicite et obscur : Le reste vous le connaissez par le cinéma . Plusieurs fois il sera questions de la belle Silviana Mangano, la Jocaste d’Œdipe roi de Pier Paolo Pasolini. Et aussi, brièvement, de Jason et les Argonautes, un film de Don Chaley. Elles sont là devant nous. Elles ne vont pas vraiment quitter les plateau. Elles veillent au grain. Elles savent ce qu’il faut dire, ce qui va se passer puisque cela s’est passé il y a des milliers d’années, on les a bassiné en classe avec des cours d’Histoire nationale, elles ont ça dans leurs gènes. Elles aident les autres, du beau monde (Œdipe, Jocaste, les fistons, les sœurettes, toute la clique) à accoucher d’eux mêmes, je veux dire, à dire ce qu’ils ont à dire. Ce chœur des Filles est formée de Delphine Antenor, Marie-Fleur Behlow, Diane Boucaï, Juliette Carnat, Imane El Herdmi, Chaïma El Mounadi, Clothilde Laporte, Zohra Omri.Il est emmené par un jeune actrice sidérante et inclassable, Elsa Guedj. Cela commence et cela finira par des énigmes en forme de charades absurdes. Première réplique de la pièce dans la bouche d’une des Filles, face au public : « Si Caroline a 3 pommes et Louise a 3 pommes combien d’Orange a Sabine ? ». Elles mettent tout de suite le public de leur côté. Chemin faisant, faussement et vraiment candides, elles nous manipulent. Elles nous font sourire pour mieux nous faire peur. Elles mènent la danse. Une composition musicale Et quand Jocaste entre après une charade où il est question, d’elle, les Filles sont là, pour l’aider à parler, lui souffler le texte qu’elle connaît pourtant par cœur mais qui est lourd à porter. Jocaste c’est Dominique Reymond. Voix grave profonde présence venue d’entre les gouffres sombres, actrice doucement tragique, sans effusions, discrète et déterminée, un sommet du théâtre. Encouragée par les Filles, Jocaste dait un topo de oute l’histoire passé de la famille depuis la fondation de Thèbes par Cadmos. Elle nous remet tout ça vite fait en mémoire : son fils Oedipe qui tue son père Laios à un carrefour, épouse sa mère et lui fait des enfants. : une fille Antigone (Solène Arbel )et deux fils Polynice( Jonathan Genet) et Etéocle (Quentin Bouissou) pour nous en tenir à la pièce de Crimp. On en arrive au présent de la représentation quand les deux frères se disputent le pouvoir, l’un qui ne veut pas le lâcher, l’autre qui réclame son dû, leur mère Jocaste qui essaie de joueur les go-bteween tandis que son frère Créon (Philippe Smith) prône l’ordre établi, faute de mieux. Bien avant le début de la pièce, Oedipe (Yann Boudaud back from Régy) s’est déjà percé les yeux avec une aiguille. Sa femme-mère et ses enfants l’ont enfermé dans une sorte d’algéco surélevé (scénographie Daniel Jeanneteau) dont il sortira vers la fin de la pièce après avoir voulu se pendre (mais on l’a privé de corde et de chaise). Entre temps, nous aurons eu la visite attendu de Tirésias interprété par insaisissable Axel Bogousslavsky qui sait dire des choses terribles en sautillant et que l’on a toujours grand plaisir à retrouver sur une scène. Et aussi, par deux fois, la présence discrètement magnifique de Stéphanie Béghain dans l’Officier-au doux-parler et au début, dans le rôle de la Gardienne. Belle idée du metteur en scène Daniel Jeanneteau que de mettre présence deux actrices intéreures aux voix opposées que sont Dominique Reymond et Stéphanie Béghain et on peut en dire autant corporellement pour les acteurs jouant les deux frères( devenus ennemis). Cette musicalité, Jeanneteau la poursuit en collaborant une fois de plus avec l’IRCAM (Sylvain Cadars), Olivier Pasquet signant un accompagnement musical quasi continuel et continuellement discret, quelque chose comme le bruissement de l’inconscient des personnages. Oui, pourquoi? Écrite fin 2013 et publiée chez l’Arche en traduction (Philippe Djian) deux ans plus tard, la pièce n’avait jamais été monté en France semble-t-il et il faut remercier Daniel Jeanneteau de s’y atteler. Le reste vous le connaissez par le cinéma met en scène un informel chœur de femmes -les filles, Jocaste et Antigone- qui regarde un monde d’hommes – les deux frèresennemis, Créon , etc.- s’entre-tuer et se défaire sous l’œil pervers des Dieux qui ont envoyé un aveugle, Tirésias, pour mettre de l’huile sur le feu tandis que le reclus sans yeux Oedipe tient le rôle du fou et du maudit. Après chaque moment de tension dramatique, les Filles reviennent au premier plan pour détendre l’atmosphère avec de nouvelles et plus incisives charades et questions : « Oui où est le sens ? Où est le sens que vous vous attendiez à trouver au cœur de la/ cellule humaine ? » (nous) demandent-elles en citant Tchekhov sans le vouloir. Ou plus tard : « pourquoi l’homme vêtu d’une chemise à carreaux porte-il un chapeau vert ? ». Oui , pourquoi ? Ou bien gamines faussement ou vraiment crédules on ne sait trop, elles assistent à la décomposition méthodique d’un monde annonciateur de chaos, ce qui n’est pas sans faire écho aux temps que nous vivons. Plus le tragique grandit, plus les Filles (alias Crimp) raffinent leur théâtre du dire. Allant jusqu’à faire en sorte que cela soit Jocaste qui prenne en charge le récit de la bataille qui oppose les deux frères -ses deux fils- et leurs armées, récit que lui a fait un officier de retour du front. C’est fout ce qu’elles adorent le théâtre, ces Filles. Une grande pièce, un spectacle qui la porte au plus haut avec une distribution on ne peut plus juste et des collaborations en osmose avec la mise en scène que Jeanneteau considère comme un art de la discrétion et de l’implicite. Signe qui ne trompe pas : ce spectacle est si riche, si affectueux avec les mots de Crimp et avec ses acteurs, qu’on a déjà envie de le revoir à la rentrée à Gennevilliers ou ailleurs. Le reste vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp, Festival d’Avignon, Gymnase Aubanel,18h, jusqu’au 22 juillet. Reprise en 2020 : du 9 janv au 1er fév au T2G de Gennevilliers, du 7 au 15 fév au Théâtre National de Strasbourg, du 10 au 14 mars du Théâtre du nord à Lille, les 20 et 21 mars au Théâtre de Lorient. Dans une traduction de Philippe Djian la pièce est publiée à l’Arche, 96p, 13€ Légende photo : Scène de "Le reste vous le connaissez par le cinéma" © Christophe Raynaud de Lage Scène de "Le reste vous le connaissez par le cinéma" © Christophe Raynaud de Lage
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Le spectateur de Belleville
July 18, 2019 3:54 PM
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Par Elisabeth Franck-Dumas envoyée spéciale à Avignon pour Libération — 18 juillet 2019 LA ROUTE DES PHOTOS CHINÉES Avec «Vies de papier», spectacle de Benoît Faivre et Tommy Laszlo, une quête déclenchée par la découverte d’un album de photos aboutit à une méditation sur l’histoire. Et vous, qu’emporteriez-vous d’une maison qui brûle ? Le cliché veut qu’on réponde «des photos». Idem du vol d’un smartphone : on se lamenterait d’abord de la disparition de sa bibliothèque d’images. Est-ce cela qui rend si poignante la découverte, dans un marché aux puces, d’un album familial dont personne n’a voulu ? Ces éclats de vie aux interlocuteurs implicites, surchargés d’émotion, qui se trouvent tout à coup sans destinataires ? Peut-être est-ce à cet endroit qu’agit Vies de papier, le spectacle imaginé par Benoît Faivre et Tommy Laszlo et visible dans le off d’Avignon, suite à la trouvaille d’un album au rebut. Le duo de la compagnie Bande passante a conçu, grâce à la vie en images d’une fillette dont ils ne savaient rien, un petit théâtre d’objets gracieux et délicat, alimenté par une enquête soigneuse sur sa vie et ses origines.
Que l’enquête ne soit finalement pas bien compliquée (et un brin fléchée…) ne change rien à l’affaire : l’objet de leur recherche n’était sans doute pas tout à fait ce qu’ils pensaient, et ce qu’ils trouvent dépasse de loin leurs attentes et les nôtres. A savoir, une puissante méditation sur l’histoire et la transmission.
La forme que prend cette méditation est d’abord documentaire. Le sol du plateau est couvert de planches de photos, sur la droite se trouvent une table et une caméra, et au fond est suspendu un écran sur lequel seront projetés un film et des images tournées en direct. La découverte aux puces de Bruxelles de cet album à couverture rouge, qui témoigne de la vie d’une Allemande née en 1933 (photo de nourrisson trognon), a lancé Faivre et Laszlo dans un voyage à sa recherche sur les routes d’Europe. Les étapes de leur quête seront racontées, filmées, projetées de manière linéaire, et agrémentées de petits croquis réalisés en live. Au fur et à mesure, le duo décolle aussi les photos, détoure les silhouettes, l’acte un peu sacrilège ayant pour effet de remettre les personnages en mouvement, d’amener de la vie où elle avait disparu. Et ce faisant, est entraînée dans leur sillage une ribambelle d’autres êtres, certains puisés dans le passé de ces deux aventuriers de la mémoire - où l’on comprend qu’il ne s’agissait pas seulement d’aller sur les traces d’une inconnue. Le dispositif hyper simple parvient à lier les fils de petites et grande histoires, jusqu’à alimenter un poignant défilé devant une lanterne magique qui vient modestement dire la seule importance de ce qui a été, et n’est plus. Ces «vies de papier», d’abord esquissées avec un peu trop de pédagogie, atteignent un sommet de réconciliation personnelle et collective.
Elisabeth Franck-Dumas envoyée spéciale à Avignon Vies de papier au théâtre Gilgamesh jusqu’au 26 juillet. Légende photo : L’album découvert aux puces de Bruxelles témoigne de la vie d’une Allemande née en 1933. Photo Thomas Faverjon
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Le spectateur de Belleville
July 18, 2019 1:47 PM
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Par Christine Friedel dans Théâtre du blog, 15 juillet 2019
Hen, textes de Brigitte Fontaine, Perrine Griselin, Laurent Madiot et Pierre Notte, création et mise en scène de Johanny Bert
Ce corps-là est fabriqué de pièces et de morceaux, changeant, transformable, outré ou réduit par l’artiste Eduardo Felix : un objet incroyablement sensuel. Il a avec lui, tout de noir vêtus, main dans la main, Johanny Bert et Anthony Diaz. Manipulateurs ? Ils l’animent, le/la font entrer dans la vie et avec quelle intensité ! Hen est devant, en toute fluidité, comme un masque pour l’acteur qui lui donne sa (belle) voix en direct. Difficile de faire plus vivant, plus physique que ce théâtre d’objets, accompagné ici par Guillaume Bongiraud, au violoncelle et Cyrille Froger, aux percussions : des présences fortes, attentives, malicieuses, parfois ironiques, en réponse à ce qui se passe dans le castelet.
Johanny Bert donne ici une nouvelle facette à son art de travailler avec les objets, pour employer un mot simple et d’inventer à chaque spectacle un rapport neuf et juste entre les vivants, les marionnettes, l’espace, les matériaux et la musique. Sa patte ? Une capacité à se réinventer, sans capitaliser sur une forme qui serait une signature. Hen éblouit par une agilité et un rythme musical sans temps mort. La poupée fait corps comme jamais avec son acteur, traversée par sa voix : une nouvelle voie pour Johanny Bert, modeste et ambitieuse. Un spectacle dur et tendre à la fois. À voir et à partager.
Christine Friedel
Théâtre du Train bleu, 40 rue Paul Saïn, Avignon, à 17h10, les jours pairs jusqu’au 24 juillet. T. : 04 90 82 39 06. Photo Christophe Raynaud de Lage
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Le spectateur de Belleville
July 18, 2019 6:42 AM
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Par Fabienne Darge dans le Monde du 18 juillet 2019
Festival d’Avignon : Kirill Serebrennikov s’évade en beauté Le metteur en scène russe interdit de sortie de territoire présente « Outside », inspiré du photographe chinois Ren Hang.
C’est le grand absent de ce Festival d’Avignon : le metteur en scène et cinéaste russe Kirill Serebrennikov n’a pas pu être présent, mardi 16 juillet, pour la première mondiale de son nouveau spectacle, Outside – le bien nommé. Son assignation à résidence, qui courait depuis juillet 2017, a été levée, le 8 avril, à l’issue d’un procès kafkaïen. Mais Serebrennikov est toujours sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire russe. L’artiste rebelle n’a donc pas pu vivre directement ce moment intense entre tous, qui a vu toute une salle se lever pour ovationner Outside avec une émotion palpable. Une émotion qui n’était pas due uniquement au statut de dissident de la nouvelle Russie, qui est désormais celui du metteur en scène, mais aussi à la qualité de son spectacle, qui offre un geste artistique d’une folle liberté. Article réservé à nos abonnés Lire aussi A Moscou, le procès kafkaïen du réalisateur Kirill Serebrennikov Kirill Serebrennikov a travaillé et répété ce spectacle en son Gogol Center, dont il a fait depuis 2012 un des lieux les plus excitants pour la jeunesse de Moscou. Une création qui met en son cœur un autre artiste : le photographe et poète chinois Ren Hang. Comme Serebrennikov, insoumis, homosexuel. Ren Hang photographiait ses amis, filles comme garçons, nus, devant les murs froids et impersonnels des villes, des bouquets de fleurs ou de feuillage éclatant sur leurs peaux délicates. Il s’est suicidé en 2017, à l’aube de ses 30 ans, et il est devenu un artiste culte pour la jeunesse chinoise. Un rempart dérisoire Comme un Pasolini d’aujourd’hui, il revendiquait une forme de pornographie, et non d’érotisme – une forme de pornographie, cela va sans dire, politique, dénonçant celle du monde d’aujourd’hui. C’est donc bien un double que s’est choisi Kirill Serebrennikov – et un double chinois, qui plus est. Et c’est une de ses photos qui ouvre le spectacle. Un jeune homme gracile allongé, nu, sur un parapet au-dessus du vide, devant une forêt de gratte-ciel. Un corps humain, fragile et beau, comme un rempart dérisoire et nécessaire face au béton et au danger. Un filet de sang coulant de son sexe. Dans Outside, Serebrennikov orchestre le dialogue entre ses deux doubles, l’un qui l’évoque lui directement, et l’autre qui ressemble à Ren Hang. Le premier est derrière sa fenêtre, dans son petit appartement de Moscou, parlant à son ombre tout enveloppée de noir, lui racontant que son « envie d’être sur les toits » a toujours été « plus forte que la peur ». Ce motif de l’envol traverse tout le spectacle, où l’artiste russe arrive à mettre en scène avec le grotesque – et donc avec la distance – nécessaire l’épisode de son arrestation par le FSB, autrement dit le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, digne successeur du KGB soviétique. Un spectacle d’une énergie incroyable, gorgé de danse, de musique, de tableaux plastiques et de poésie A partir de là, Serebrennikov signe un spectacle d’une énergie incroyable, gorgé de danse, de musique, de tableaux plastiques et de poésie – celle de Ren Hang –, se promenant avec une liberté absolue dans les formes artistiques, envoyant un pied de nez magistral aux censeurs de tout poil, y compris ceux du bon goût. Esthétique de fête foraine ou de boîte de nuit gay et sadomasochiste, musique techno berlinoise et chansons chinoises, tableaux maniéristes à la Robert Mapplethorpe, joignant la fragilité de la chair à celle, encore plus éphémère, de fleurs éteintes à peine écloses. Un fond de mélancolie Et des corps, des corps, des corps. Nus, jeunes et beaux. Sous toutes les coutures. Parce que c’est bien là l’objet du délit, le cœur du politique, pour tous les artistes résistants russes d’aujourd’hui, des Pussy Riot au performeur activiste Piotr Pavlenski. Pour Ren Hang, il était impossible de vivre son homosexualité librement dans la Chine d’aujourd’hui. Pour Kirill Serebrennikov, comme il le dit dans le spectacle, « voleur = pédé = ennemi de l’Etat » (le metteur en scène a été interpellé, à l’été 2017, au motif de détournements de fonds au profit de sa compagnie théâtrale). Pour leurs amies femmes, ce n’est guère mieux, entre les rôles de poupée Barbie ou de prostituée. Avec ses photos, Ren Hang a sans doute voulu rendre à ces corps leur innocence et leur fraîcheur, évidemment bien plus éclatantes que celles des régimes qui les persécutent. Et c’est cette innocence et cette fraîcheur que Kirill Serebrennikov retrouve dans le spectacle, où l’énergie ravageuse est d’autant plus séduisante qu’elle vient s’inscrire sur un fond de mélancolie. « Mon livre parle d’amour et de solitude », dit Ren Hang au jeune éditeur qui craint de le publier.
Une solitude qui est aussi celle du metteur en scène russe pendant ces presque deux ans d’assignation à résidence, et qu’il évoque avec pudeur, aidé par le charme et le talent des ses interprètes, acteurs-danseurs-performeurs-chanteurs. Lesquels sont tous venus saluer en ligne, à la fois graves et joyeux. Le héros de la soirée, lui, n’est apparu qu’en image sur les tee-shirts imprimés à l’effigie de « free Kirill », puisqu’il est « outside », à tous les sens du terme. Outside, de et par Kirill Serebrennikov. L’Autre Scène du Grand Avignon, Vedène, à 15 heures, jusqu’au 23 juillet. En russe surtitré. Durée : 2 heures. Les photos de Ren Hang sont visibles dans un livre publié aux éditions Taschen. Fabienne Darge (Avignon)
Légende photo : « Outside », de et par Kirill Serebrennikov. Christophe Raynaud de Lage
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Le spectateur de Belleville
July 17, 2019 5:57 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan, mars 2017 Elsa Granat est une femme de belle compagnie. Elle accompagne des rôles quand elle les joue, des actrices quand elle les dirige ; dans sa pièce « Le Massacre du printemps », elle accompagne la fin de vie de ses parents atteints d’un cancer tout en attendant un enfant. Un épatant théâtre éclaté.
Une femme enceinte est allongée sur un relax. Elle nous dit que depuis qu’elle attend un enfant elle n’a jamais autant rêvé de celle qui l’a enfantée, elle. Et qui ne verra jamais l’enfant qu’elle porte et auquel elle parle en nous parlant. Sa mère, elle l’a accompagnée tout au long d’un cancer incurable, lors de son hospitalisation. Au lendemain de l’enterrement de la mère, c’était au tour du père. Un cancer lui aussi. Nouvelle hospitalisation, nouvel accompagnement.
« Vous avez fait les démarches ? »
C‘est tout cela qui revient dans le corps de celle qui en porte un autre, à demi endormie sur un relax. Comme un débordement d’images incertaines, de mots enfouis, un trop-plein fait de brisures, d’éclats, de secousses, de contractions. Les eaux de sa mémoire chavirée se déversent en déployant des figures. La sienne d’abord, celle d’Edith (qui sonne comme Œdipe) qui se (dé)compose ainsi : la femme enceinte de 34 ans, la jeune Edith de 25 ans (Edith Proust, pugnace), la vieille Edith de 90 ans (Jenny Bellay, détonante) qu’elle est devenue d’un seul coup à travers les épreuves de ces deux cancers successifs, figure qui est aussi comme un écho de la mère morte. Et les figures côtoyée par les Edith à l’hôpital : une aide-soignante (Clara Guipont), un médecin oncologue ou cancérologue (Hélène Rencurel, à la nervosité troublante) et un musicothérapeute (Antony Cochin, qui veille aux sons du spectacle).
Elsa Granat a écrit le texte et le met en scène tout en interprétant le rôle de la femme enceinte. Elle est vraiment enceinte et c’est un trouble qui ajoute au trouble de l’introspection, d’autant que tout se passe le jour de son anniversaire. On glisse ainsi d’une Edith l’autre comme autant de composants d’un être pluriel. La mère, puis le père, on ne les verra pas, ni ne les entendra. Le lit d’hôpital est là au fond, on ne voit que ceux qui sont à son chevet ou le personnel médical qui passe en coup de vent lâchant des mots benoîtement assassins : « Vous avez fait les démarches ? Nous, on ne la gardera pas ici », dit l’aide-soignante. Incompréhension, refus. L’oncologue : « Mais on n’a pas le choix. On n’est pas équipé ici. »
« Tout se mélange dans ma tête »
La femme enceinte, outre le creusement de sa vie, entre dans celles de ces êtres étrangers en blouse blanche dont elle imagine les ressorts, les envies, les fantasmes ou se remémore les propos. La pièce ouvre ainsi des ressacs, se construit en étoile, loin de toute linéarité, multipliant les possibilités d’Edith, entre rêve et souvenirs, jusqu’à faire dialoguer deux Edith entre elles. Elsa Granat tente ici une dramaturgie éclatée des plus passionnantes bien qu’inégalement accomplie sans doute parce que la femme enceinte – qu’elle est et qu’elle joue – en est insuffisamment le pivot affirmé. Mais c’est là peut-être un regret de spectateur car Elsa Granat est une actrice de premier ordre et la voir en scène est toujours un ravissement.
On l’a vue dans les Tchekhov montés par Christian Benedetti, (lire ici), au Théâtre de Vanves dans le Platonov de Benjamin Porée (lire ici). Elle a magnifiquement mis en scène Roxane Kasperski dans son monologue Mon amour fou racontant la vie d’une jeune femme auprès d’un compagnon maniaco-dépressif (lire ici).
A la jeune oncologue qui, pressée, vient de sortir de la pièce, la femme enceinte, court-circuitant les temps et les identités, dit : « Je t’en supplie, donne-moi quelque chose. Pas un lexomil. Donne-moi un tout petit peu de temps. Une minute. Un bout de toi. Un truc à toi. Avant que je te déteste définitivement. N’importe quoi. Un souvenir. Une anecdote. N’importe quoi. » Alors l’oncologue revient et raconte un souvenir. C’est une femme qui flirte trop quotidiennement avec la mort pour ne pas trébucher. S’évanouir. Et ainsi de suite.
Vers la fin, la femme enceinte s’adresse au public : « Je vous avais prévenus, mes rapprochements sont impardonnables. Tout se mélange dans ma tête. » Sans fard, Elsa Granat met en scène la confusion, le trouble qui l’habitent. Tout finira par un jeu d’enfant.
Théâtre-Studio d’Alfortville, du lun au ven 20h30, sam 17h et 20h30, dim et jeu 9 relâche, du 3 au 15 mars. Teaser vidéo du spectacle Au Théâtre du Train bleu jusqu'au 24 juillet, 11h50 les jours pairs Légende photo : scène du spectacle "Le massacre du printemps" © Franck Guillemain
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Le spectateur de Belleville
July 17, 2019 5:36 PM
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Par Romaric Daurier, Directeur du Phénix, scène nationale de Valenciennes — Publié dans Libération le 18 juillet 2019
Il y a quinze ans, le Festival voyait les tenants d’un «théâtre de la parole» s’opposer aux défenseurs d’un «théâtre visuel» inspiré d’autres arts comme la danse. La polémique a laissé des traces : aujourd’hui encore, la France ne met pas assez en avant ce «théâtre élargi» qui connaît un grand succès à l’étranger. Avignon : extension du domaine du théâtre Tribune. Les œuvres produites pour la scène ont longtemps été analysées selon leur rapport au texte. On comprend alors qu’en 2004, année où le duo Hortense Archambault-Vincent Baudriller est arrivé à la direction du Festival d’Avignon, leur programmation ait pu décontenancer une certaine frange de la critique et des spectateurs. En invitant le Suisse Christoph Marthaler ou l’Italien Romeo Castellucci, par exemple, ils montraient la vitalité d’un théâtre plasticien - ou des pièces-machines comme les nommait Michel Vinaver - dans lequel la psychologie des personnages et l’action dramatique n’occupent qu’un plan secondaire. C’était il y a quinze ans. On y formulait alors l’opposition entre théâtre de texte et théâtre d’images, qui s’incarna dans une virulente querelle esthétique, notamment cristallisée autour du plasticien et chorégraphe flamand Jan Fabre - associé à une édition 2005 du Festival qui introduisait en nombre dans les murs les «poètes de la scène» et les formes «transversales».
La polémique s’était donc résumée ainsi : théâtre de la parole VERSUS théâtre visuel, assimilé avec rapidité aux arts visuels et à la «performance». L’émergence de cette dualité - cachant certainement une pluralité de formes plus large - convient d’être interrogée dans la réduction qu’elle a opérée. La bataille de légitimité entre «anciens» et «modernes» s’est traduite alors souvent dans les propos et les écrits tenus par une lutte sous-jacente sur la nature de la représentation, et par conséquent sur la propriété de l’espace politique que des manifestations comme Avignon portent en leur sein. Aussi la production de ce théâtre «d’images» était-elle jugée par ses détracteurs comme une désertion de l’espace politique, une traîtrise au sens de la «parole» qui devait être véhiculée sur le plateau. Une occupation illégitime qui ne défendrait pas l’héritage idéologique gagné de haute lutte par la décentralisation.
Pourquoi l’édition 2005 du Festival d’Avignon a-t-elle laissé tant de traces ? Une tension des générations d’abord : le mouvement de «non-danse» a poussé les portes depuis le début des années 90, redistribuant les héritages esthétiques entre arts visuels et arts vivants, puisant dans l’histoire de la performance. En 2004, se heurte ainsi aux défenseurs du théâtre de texte une génération d’auteurs de théâtre nourrie par la danse des années 90 de Boris Charmatz, Christian Rizzo, Alain Buffard ou Mathilde Monnier… Une génération nourrie aussi par des aventures internationales de créateurs ou de collectifs passant d’un support à l’autre. Et encore aujourd’hui les démarches théâtrales de Gisèle Vienne, Fanny de Chaillé, Antoine Defoort et Halory Goerger, Philippe Quesne, Yan Duyvendak, Jérome Bel, et bien d’autres sont systématiquement rangées du côté de la danse ou des arts visuels, et non du théâtre, alors même que l’utilisation du langage articulé et de la parole occupe le premier plan de ces créations.
Alors pourquoi, en 2019, longtemps après cette querelle des héritages, aujourd’hui que la direction du Festival d’Avignon a changé (il est dirigé par Olivier Py), faut-il faire le constat d’une visibilité insuffisante en France de ce «théâtre élargi» (pour reprendre l’expression que Boris Charmatz utilise pour la danse), là où il prouve sa belle vitalité sur les scènes et festivals étrangers ? Et noter à quel point il a déserté le festival «in» d’Avignon - si l’on excepte quelques signaux isolés au hasard - alors qu’il a durement conquis les faveurs des publics et durablement inspiré une génération d’artistes, de professionnels, de spectateurs en France et à l’étranger grâce à la précédente direction du Festival ?
Récemment, les analyses publiées sur la résurgence du théâtre «politique» passaient elles aussi à côté de l’hybridation des arts, et de ces œuvres qui, formellement, redéfinissent l’importance du contexte - au sens premier de ce qui entoure le texte - et se nourrissent d’héritages irréductibles à la seule tradition théâtrale. Le «théâtre élargi» est lui aussi politique mais pour le voir, il faut convenir que les formes de militantisme politique ont changé depuis leur manifestation des années 70.
Le théâtre accueillant ces démarches «performatives» est qualifié d’interdisciplinaire. Il faudrait interroger ici l’héritage de Dada, de l’Oulipo, de Fluxus qui ont nourri une porosité entre les disciplines artistiques et considéraient le théâtre comme un lieu de manifestation. Il est aussi intéressant de voir comment le travail de Bruce Nauman et ses expériences sur le langage, la répétition, ont pu nourrir l’écriture chorégraphique en France. Par ailleurs, dans le rapport au texte, la poésie contemporaine la plus récente a été d’abord introduite sur les plateaux par la danse ; nous pensons aux expériences d’Emmanuelle Huynh avec Christophe Tarkos, de Boris Charmatz avec Bernard Heidsieck, de Gisèle Vienne avec Dennis Cooper, et le travail de défricheur de Hubert Colas bien sûr… Une extériorité salutaire, bien oubliée depuis.
Aujourd’hui, le paysage théâtral français n’est pas triste : nous ne voyons pas le même. Au-delà des écritures traditionnelles du théâtre de texte, au-delà de la modernité fugace des écritures de plateau, il s’invente aujourd’hui des écritures de contexte réellement passionnantes. Et notamment dans la plus jeune génération qui a assimilé l’histoire récente de l’hybridation des arts pour réinvestir des récits d’une ampleur inédite et renouer avec la fiction, la fable et le poème. Une génération post-disciplinaire qui, au-delà des arts visuels, nourrit un dialogue ouvert avec le roman, le cinéma, le son, les sciences humaines et politiques, la radio, l’espace public et l’écriture théâtrale elle-même pour les auteurs… Car comment imaginer actuellement que les arts de la scène ne puissent pas opposer au broyage en cours des industries culturelles, des dispositifs d’énonciation - spatiaux et temporels - radicaux et salutaires, politiques par leurs formes ? Il ne s’agit pas de figer un horizon dogmatique, mais d’ouvrir le champ des possibles et d’un espace critique. «Notre héritage n’est précédé d’aucun testament», écrivait René Char, fondateur en 1947 d’une semaine d’art en Avignon. C’est d’autant plus vrai pour les arts vivants.
Romaric Daurier Directeur du Phénix, scène nationale de Valenciennes
Légende photo : «L'histoire des larmes» de Jan Fabre, à Avignon, en 2005. Photo Laurent Philippe. Divergence
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