Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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October 18, 2019 5:21 PM
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P. U. L. S. , au Théâtre de la Bastille. Matisklo, texte de Paul Celan

P. U. L. S. , au Théâtre de la Bastille. Matisklo, texte de Paul Celan | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Théâtre du blog 18/10/2019

 

 

P. U. L. S. au Théâtre de la Bastille
Matisklo, texte de Paul Celan, traduction de Ton Naaijkens, conception et mise en scène de Bosse Provoost

Le Théâtre de la Bastille et la Scène flamande entretiennent des relations fécondes. Project for Upcoming Artists for  the Large Stage, un dispositif initié par Guy Cassiers et le Toneelhuis-Théâtre d’Anvers propose un accompagnement à de jeunes artistes pour les faire découvrir au public. Bosse Provoost, dit Guy Cassiers, a choisi la grande scène du Toneelhuis pour ses possibilités techniques et spatiales qui favorisaient chez lui la recherche d’un langage visuel. Il avait par ailleurs collaboré avec Jan Lauwers pour Guerre et Térébenthine, et avec Ivo Van Hove pour Een Klein Leven.  P. U. L. S. offre aux artistes, u cadre de travail en termes de production et financement, mais aussi une aide concrète et morale pour conduire une création dans un dialogue permanent.

 « Il y a encore des chants à chanter au-delà des hommes », écrit Paul Celan que la Shoah n’a cessé de hanter et dont l’écriture sonde patiemment l’obscurité du monde. Ici, Bosse Provoost nous invite  à découvrir un monde qui se situerait hors des mots, à l’intérieur du silence de la poésie de Paul Celan et  avec des matières évoquant des paysages étrangement animés, avec aussi des costumes  en bois  rappelant le lointain souvenir des hommes. Paul Celan a été pour Bosse Provoost une rencontre forte avec une poétique sur des thèmes qui paraissent hors de portée du langage. Dans Renverse du souffle, un être a survécu -ou pas- à la Shoah. Et dans Partie de neige, une voix se fait entendre depuis l’intérieur de la mort : quelqu’un imagine sa  disparition ou s’imagine encore étant mort.

 Matisklo est construit autour de ces poèmes. Le poète cherche le salut dans le langage, un lien indéfectible entre les hommes mais difficile à suivre. A qui s’adresse-t-il? Aux lecteurs et au public, ou bien aux défunts ? En même temps,ici ne subsistent pas que ces seuls liens. La scénographie est inspirée du travail du Suisse Adolphe Appia (1862-1928) et de l’Anglais Gordon Craig (1872- 1966), des artistes militants qui ont émancipé le théâtre de la littérature, en utilisant l’espace, la lumière et le mouvement. D’où la distance entretenue ici entre les comédiens et les  spectateurs. Sur scène, des étudiants des années 1960 aux cheveux longs pantalon ordinaire et pull simple, le regard intériorisé… L’un d’eux déclame la poésie de Paul Celan en flamand. Auprès de lui, un arbre survient: un homme recouvert entièrement de lattes de bois, corps et tête, comme en un jeu de Lego mais en bois. Nul dialogue entre eux mais deux énormes cylindres énormes horizontaux sont poussés à vue, depuis les coulisses jusqu’au plateau,  puis rétablis à la verticale, des cheminées, peut-être…  Et plus tard, un arbre surgit de l’un d’eux.Une meule de foin, à moins que ce ne soit une brosse énorme pour lavage de voitures, paraît respirer et attendre le poème.

 Plus loin, un volume en papier d’aluminium, peut-être une couverture de survie, significative du poème, avance comme en rampant sur le plateau, sans qu’on ne voie qui en est le locataire.  S’élève pourtant parfois une forme de tête que l’on voit seulement de dos. Rêve infernal : les hommes semblent avoir disparu ou muté. Quel est ce monde ? La proposition scénographique est éloquente, à la fois élémentaire et énigmatique. Avec ici, une attention au sens d’un poème fort, particulièrement mystérieux.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème), jusqu’au 18 octobre. T.: 01 43 57 42 14.

 

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October 16, 2019 6:55 PM
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En garde à vue adaptation du roman de John Wainwright, mise en scène de Charles Tordjmann

En garde à vue adaptation du roman de John Wainwright, mise en scène de Charles Tordjmann | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean Couturier dans Théâtre du blog 15 octobre 2019

 

 

En garde à vue, adaptation du roman de John Wainwright par Francis Lambrail et Frédéric Bouchet, mise en scène de Charles Tordjman

Claude Miller en 1981 adapta ce roman de l’auteur de polars britannique (1921-1995)  pour un film à la distribution mythique: Romy Schneider, Michel Serrault et Lino Ventura. Ici, le spectacle réunit Wladimir Yordanoff (le commissaire Toulouse) que jouait Lino Ventura, et Thibault de Montalembert (Monsieur Bergerot) interprété par Michel Serrault. Ces acteurs avaient déjà joué ensemble Hamlet dans la mise en scène-culte de Patrice Chéreau (1988). Il y a aussi Marianne Basler et Francis Lombrail pour former avec eux un quatuor exemplaire.

Un soir de Noël, l’inspecteur Berthil (Francis Lombrail) et le commissaire Toulouse interrogent Monsieur Bergerot, le maire d’une petite ville qui,  de simple témoin du meurtre de trois jeunes filles, devient le principal suspect. Et les policiers vont tenter, chacun à sa manière, de le faire avouer. Dans un décor géométrique sans références, Monsieur Bergerot s’effondre. «On peut toujours essayer de mentir, si c’est vraisemblable», dit le commissaire Toulouse. Mais tout accable ce suspect jusqu’à  son épouse (Marianne Basler) à qui Toulouse dit : «À trop vouloir un coupable, vous finissez par le fabriquer. »

Charles Tordjman dirige avec justesse et sensibilité ses acteurs qui sont tous de grande qualité. Nous ne révèlerons pas le dénouement de la lutte pour la vérité qui détruira les protagonistes. Dans un affrontement verbal intense, même si les silences sont ici très évocateurs. «Plus j’avançais dans ma pratique du théâtre, dit Thibault de Montalembert, plus je percevais que le silence était le texte du comédien. » Il faut aller voir ce remarquable  spectacle.

Jean Couturier

Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles Paris (XVII ème). T. : 01 43 87 23 23.

Le texte de l’adaptation de Francis Lambrail et Frédéric Bouchet est publié à L’Avant-Scène Théâtre.

 Photo ©Laurencine Lot

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October 15, 2019 5:21 PM
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Camarades par la Compagnie Les Maladroits

Camarades par la Compagnie Les Maladroits | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 14/10/2019

 

Qu’en est-il de mai 68 ? Que sont devenus celles et ceux qui écrivaient sur les murs : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi» ? Comment l’utopie a-t-elle tenu face aux vicissitudes de la vie? Benjamin Ducasse, Valentin Pasgrimaud, Hugo Vercelletto et Arno Wögerbauer interrogent l’Histoire à travers les récits de ceux qui ont vécu mai 68. Ils ont mené une enquête auprès d’une vingtaine de ces « camarades“ et collecté leurs récits : «Outre l’année 68, nous choisissons de nous concentrer sur les expériences communautaires, les luttes féministes et la radicalisation de certains parcours. Une rencontre décisive nous a inspiré le personnage de Colette. »

Pour nous mettre en haleine, les artistes se livrent à un sondage : que représentent pour nous ces années là? Résultat: un inventaire à la Jacques Prévert avec couleur orange dans la décoration, guerre au Viet nam,  L.S.D., grève chez Renault, gaz lacrymogènes, Manifeste des 343 , Alain Geismar,  Daniel Cohn-Bendit,  Easy Rider,C laude François,  Jean Ferrat… Comment assembler tous ces éléments? Après une A.G. houleuse où tenants du documentaire et adeptes de la fiction s’affrontent, ils installent l’espace de jeu.

Une table de cuisine en stratifié sera le plateau d’un théâtre miniature où les personnages, réduits à des bâtons de craie, vont évoluer. Sur un tableau noir, s’inscrivent les chapitres de la vie de Colette. Des boîtes à biscuits peintes en noir avec des fenêtres dessinées font office d’immeubles. Quelques accessoires et éléments de costumes pour distinguer les personnages tandis que les acteurs manipulent décor et morceaux de craie représentant l’héroïne, sa famille, ses amis et amants. Cette militante de mai 68 et des luttes féministes des années soixante-dix est née à Saint-Nazaire en 1948 dans une famille modeste: père boucher, mère femme de ménage… En 1967, étudiante à Nantes, elle rencontre des militants des comités Viet nam…Puis agitation estudiantine, manifs, Université occupée et séquestration du Recteur,  arrestations… Déjà, les femmes commencent à revendiquer leur place dans ces luttes où elles n’ont pas la parole. Viendront alors le féminisme, les combats pour l’avortement avec la méthode d’aspiration Karman, la plaidoirie de Gisèle Halimi au procès de Bobigny, le mouvement S.O.S. Femmes battues … Colette en sera partie prenante, puis on perdra sa trace.

A quoi tout cela aura-t-il servi ? se demandent Les Maladroits qui savent créer avec habileté des images à partir de peu: comme cette farine jetée sur les immeubles figurant les bombardements qui ont détruit Saint-Nazaire à 80 %. Soufflée, cette poudre blanche devient brouillard sur le port breton ou la fumée des gaz lacrymogènes. Une craie écrasée symbolise la répression policière … Chaque geste est calculé, chaque manipulation millimétrée selon une chorégraphie très précise. Avec de subtils décrochages de jeu, les acteurs-manipulateurs apportent leurs commentaires à ce récit situé entre réalité et fiction : «Tout est vrai, disent-ils, mais tout est inventé. »

Avec ce spectacle d’une heure vingt, bien écrit, d’une extrême finesse et d’un humour décapant mais non dénué d’émotion, ils questionnent autant les générations précédentes que la leur, à la recherche de sa propre histoire. Un véritable travail collectif pour inventer un théâtre bricolé, ingénieux, jouissif et  où ils insufflent de la vie à des matériaux de récupération. Il faut suivre cette compagnie venue de Nantes.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 octobre, Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette. 73 rue Mouffetard, Paris (V ème) T. : 01 84 79 44 44.

 Le 5 novembre, Quai des arts, Pornichet (Loire-Atlantique); les 15 et 16 novembre,  MarionNEttes, Festival international de Neuchâtel (Suisse) ; le 21 novembre, Saint-Denis-de-Gastines (Mayenne); le 26 novembre, TRIO…S, Scène de territoire d’Hennebont (Morbihan) ; du 27 au 29 novembre, Les Quinconces, Le Mans (Sarthe). Les 18 et 19 décembre,  La Paillette Rennes (Ile-et-Vilaine). Le 10  janvier, La Maison du Théâtre, Brest (Finistère);  le 14 janvier, L’Hectare, Vendôme (Loire-et-Cher) ; les 16 et 17 janvier, Jardin de Verre, Cholet (Maine-et-Loire) et le 30 janvier, Festival Graine de Mots, Bayeux (Calvados).

Les 6 et 7 février, Scènes Croisées de Lozère, Mende (Lozère) et le 29 février, Nuit de la marionnette, Clamart (Hauts-de-Seine). Le  20  mars, Théâtre l’Odyssée, Orvault (Loire-Atlantique).

Le 7 avril, Théâtre Le Passage, Fécamp (Seine-Maritime); le 9 avril, Théâtre de Laval (Mayenne) ; le  28 avril, Le Carroi, La Flèche (Sarthe) et le 30 avril, Villages en scène, Faye d’Anjou (Maine-et-Loire). Du 5 au 7 mai,  Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle) ; le 11 mai, Théâtre Municipal, Charleville-Mézières (Ardennes) et le 26 mai, M.J.C. , Rodez (Aveyron).

 

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October 14, 2019 12:14 PM
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 Yannick Jaulin, en profondeur

 Yannick Jaulin, en profondeur | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sébastien Acker dans La Nouvelle République 13:10/2019

Le conteur poitevin présente, depuis jeudi, ses deux derniers spectacles en vingt-deux représentations, aux Bouffes du Nord à Paris. Un sacré défi.

Certes, c’est la quatrième fois qu’il se produit aux Bouffes du Nord, en amoureux de ce vieux navire resté dans son jus et où traîne toujours l’âme de Peter Brook dans les coursives. Mais Yannick Jaulin mesure la singularité de ce grand défi. Depuis jeudi, et jusqu’au 26 octobre, il enchaîne vingt-deux représentations de ses deux derniers spectacles, Ma langue maternelle va mourir et j’ai besoin de vous parler d’amour, et Causer d’amour. C’est la toute première fois qu’il joue ce diptyque baptisé Ma langue mondiale en une même soirée… une sacrée prouesse physique aussi !

« Je me sens au bord du grand vide, confiait-il, à quelques heures de ses deux premières, jeudi 10 octobre au soir. Ce saut dans le vide, je le réalise avec deux spectacles très importants pour moi parce que je ne pense pas, dans ma vie, avoir touché à ce point à mon intimité. »

Dans Ma langue maternelle, spectacle créé en janvier 2018, on le retrouve extraverti. Il part de la singularité de sa langue pour camper le monde.

Dans Causer d’amour, il effectue le chemin inverse, plus grave, vers les profondeurs intimes de ce gamin né en Vendée, comédien et conteur professionnel depuis 1985 avec sa fameuse verve mâtinée de son « parlanjhe » poitevin-saintongeais. « Ça a été mon trésor et mon boulet, cette langue, celle qui a fait en sorte que je ne sois pas un artiste majeur et celle qui est là, au fond de moi, dans mes tripes », analyse-t-il.
“ En cinq mois j’ai totalement dévissé ” « Ma femme m’a annoncé qu’on allait se séparer. Je savais déjà que j’allais parler de ma construction amoureuse maladroite, dans ce dernier spectacle… et en cinq mois, j’ai totalement dévissé jusqu’aux profondeurs de mon être », confie l’artiste.

Au final, son diptyque part en quête d’une paix intérieure à coups de constats lucides et de fondamentaux.

Au centre de tout, la langue maternelle fait figure de matrice. Sa maman, d’ailleurs, on la retrouve dans les profondeurs de son récit. La déclaration d’amour de Yannick Jaulin porte haut la singularité d’une langue natale que l’institution passe à la moulinette de la langue française ; c’est aussi une vraie ode à la terre mère. Une singularité si universelle, en somme.

Avec Alain Larribet, cet émouvant ancien berger béarnais qui l’accompagne à la musique et au chant sur Ma langue maternelle, le comédien et conteur « passe le filtre de la raison pour arriver à l’émotion ». Tout son métier. « J’ai toujours été bouleversé par les contes, dès qu’à 16-17 ans je suis parti collecter leurs histoires chez les mémés de Vendée. Le conte, c’est un formidable outil de l’émancipation humaine. C’est ça : nous avons tous notre boîte à outils pour devenir des humains libres et c’est formidable pour nous affranchir de nos limites, de nos lourdeurs… et d’assumer nos parts d’ombres. »

Au creux de ces ombres, il flottait dans l’air des Bouffes du Nord, jeudi lors des deux premières, une émotion très palpable parmi le public de ce théâtre « si désuet et puissant, si porteur des beautés les plus extravagantes », selon Yannick Jaulin. Tellement raccord avec cette extravagante beauté qui inonde d’amour ce lieu quand ce sexagénaire retrouve sa bouille de gamin pour dire « i t’aeme » (*) dans sa langue maternelle.

« Ma langue maternelle va mourir et j’ai besoin de vous parler d’amour » (du jeudi au samedi à 19 h) et « Causer d’amour » (du mardi au samedi à 21 h). De 12 € à 25 € par spectacle. Internet : www.bouffesdunord.com

(*) « Je t’aime » en poitevin-saintongeais.

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October 12, 2019 6:58 AM
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Le temps des seigneurs, lettre à Alain Crombecque 

Le temps des seigneurs, lettre à Alain Crombecque  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 12 OCT. 2019 

 


Il y a dix ans, le 12 octobre, disparaissait Alain Crombecque. Ni acteur, ni auteur, ni metteur en scène, il était un amoureux des arts et des artistes. Curieux, attentif, tout chez lui était affaire de rencontres. A la tête du Festival d’automne et du Festival d’Avignon, il fut un grand directeur. Le contraire d’un programmateur. Une époque révolue ? Retour sur le parcours d’un seigneur.



 Cher Alain, cher directeur

Dix ans déjà que tu n’es plus là. Dix étés et autant d’automnes. Dans les heures et les jours qui ont suivi ta disparition le 12 octobre 2009, tu n’étais plus là pour compter le nombre de tes amis qui se sont manifestés dans les médias, auprès de Christine, ton épouse, de votre fille Helena, de tes collaborateurs au Festival d’automne dont tu étais le directeur. Nombreux, si nombreux. Parmi eux, Valère Novarina. Au milieu des années 80, il avait décidé de tourner le dos au théâtre. A l’époque, il venait de proposer son Drame de la vie à trois metteurs en scène qui avaient décliné l’offre. Laurence Mayor, comédienne novarinienne en herbe, lui avait suggéré de mettre en scène son texte lui-même et de peindre les décors. Tu eus vent de cette proposition, la jugeas juste, opportune, et la fis tienne. « Sans l’invitation claire, courageuse, et la très grande confiance d’Alain Crombecque, je serais resté définitivement hors du théâtre », écrivit alors l’auteur de la Lettre à Louis de Funès. Toute ta vie aura été ponctuée de tels gestes, justes et opportuns qui arrivaient à point nommé dans le parcours d’un artiste, d’une équipe.

Dix ans après ta mort, que nous dis-tu ? Que le théâtre se nourrit de ses entrailles pour avancer dans l’inconnu, qu’il ne connaît d’autres frontières que celle de l’illimité, qu’il n’est pas un mais multiple, qu’il n’est pas l’affaire d’un seul, fût-il un génie ou un tyran, mais d’une multitude, qu’il est le garde-fou de l’inventif. Que, dans ce magma obscur et lumineux qu’est le « monde du théâtre » et des « arts vivants », tu as su, au fil des années, en te fondant sur un alliage complexe, allant de l’intuition à l’amitié, te forger un rôle unique. Un terme ancien, presque vieux comme le théâtre, le résume mieux que tout autre : directeur. Oui tu fus, bien que de taille modeste sous la toise, un grand directeur. Et, dix ans après ta disparition, au-delà de ta personne, c’est cela qui nous interroge, à une époque où les « grands directeurs » de théâtre ou de festivals comme tu le fus se font rares et sont, peut-être, en voie de disparition.

Tu n’étais pas né dans le sérail, tu ne fus jamais un acteur – sauf une fois, figurant (un éboueur), dans une pièce d’Armand Gatti mise en scène par Jacques Rosner – tu ne fus jamais un auteur et encore moins un metteur en scène. Tu fus d’abord un spectateur. Celui qui, assidu jeune homme, allait voir les spectacles novateurs de Roger Planchon au Théâtre de la Cité, dans ta ville, Lyon.

De l’UNEF à la Contrescarpe

C’est là, au siège de l’association des étudiants de Lyon que tout commença. Un « moment fondateur », diras-tu au micro de France Culture (« A voix nue », Joëlle Gayot) : l’organisation d’une exposition de peintures (peintres lyonnais et Ecole de Paris). Un « moment » en trois mouvements : le choix des artistes et l’importance qu’il y a à les faire connaître et reconnaître, le dialogue entre eux d’un côté, le public de l’autre et toi entre les deux, au cœur de l’organisation de l’événement avec tout ce que cela suppose de talent de négociateur pour obtenir accords des uns et des autres, sans parler de la recherche des subsides. Trois mouvements que tu allais décliner de bien des manières tout au long de ta vie et particulièrement quand tu seras directeur du Festival d’automne et directeur du Festival d’Avignon.

C’est le syndicalisme étudiant (à la grande époque de l’UNEF) et les responsabilités nationales que tu occuperas qui te conduiront à organiser des festivals culturels internationaux (à Strasbourg, Alger, Lille, Paris) – le mot festival entre donc très tôt dans ta vie.

Ces mêmes responsabilités te feront voyager jusqu’à Cuba, jusqu’en Chine. Très tôt aussi, tu sus l’importance des voyages pour le directeur qui germait en toi, c’est-à-dire : aller à la rencontre des artistes étrangers et souvent inconnus hors des frontières de leur pays et parfois même dans leur propre pays, de les côtoyer sur place, dans leur quotidien, leur milieu, de dialoguer avec eux, de pressentir le moment où il sera important et parfois urgent de les faire venir, d’organiser leur découverte, d’être « collé » à eux comme tu le diras, c’est-à-dire « de ne pas être là uniquement pour produire, payer, encadrer, faire des agendas ».

C’est le « hasard », diras-tu encore, qui te fit côtoyer très tôt des hommes de théâtre. Hasard est un mot que tu aimes jeter dans la conversation comme d’autres bottent en touche. Bien sûr, il n’y a pas de hasard. Si l’étudiant dilettante que tu es se retrouve à traîner place de la Contrescarpe, ce n’est pas par hasard. C’est là, dans les cafés – c’est important les cafés, les discussions informelles de café dans ta vie de directeur en herbe –, que tu rencontres le metteur en scène argentin Victor Garcia et puis tous ceux qui rôdent dans les parages ; des inconnus comme Jérôme Savary ou Copi. C’est lors d’un festival de l’UNEF que tu organises (avec Jean-Jacques Hocquart) à deux pas de la place de la Contrescarpe que Jérôme Savary donne son premier spectacle, que Copi joue l’un de ses textes et qu’arrive de Chine (où Chou-en-Lai t’avait demandé si le café des Cinq Billards existait toujours place de la Contrescarpe) le spectacle d’une compagnie de danses des Gardes rouges.

Ta vie est ainsi faite et sera toujours faite de rencontres. C’est là ton premier maître mot. C’est celui qui te vient aux lèvres quand on te demandera plus tard le pourquoi et le comment de ta vie. C’est celui que tu nous as légué comme un trésor. Et tous ceux qui t’ont rencontré, qui ont, ne serait-ce que pris un café avec toi, en savent quelque chose.

Ainsi deviens-tu « attaché de presse » de la bande de la Contrescarpe. Il faut prendre cet intitulé avec des pincettes. D’abord auprès de Victor Garcia qui met en scène Le Cimetière des voitures de Fernando Arrabal. Par « hasard », dis-tu à Colette Godard, « parce que Victor me le demande ». Par amitié donc, pour aider, accompagner, tu fus un homme de belle compagnie. Il en sera de même pour le tout premier spectacle de Jérôme Savary : « Sans vraiment le décider, je me trouve en train de m’en occuper », diras-tu. Comme un peu plus tard, en 1968, tu t’occuperas de Peter Brook qui, privé d’asile au Mobilier national par l’Etat français, trouve refuge à Londres. « Ce jeune homme caché, super-sensible » qui fait partie du voyage et que décrit Peter, c’est toi. « C’est Alain qui, modestement, gentiment, a tout pris en main pour que, peu après notre arrivée à Londres, nous puissions présenter notre recherche à la “round house” devant un public assez mystifié ». Et c’est « le même Alain, toujours aussi secret et aussi habile » qui, quelques années plus tard, accompagnera l’ouverture du Théâtre des Bouffes du Nord. La fidélité est le second de tes maîtres mots.

Quand Jérôme Savary met en chantier Zartan, le frère mal aimé de Tarzan, te voici « attaché de presse-administrateur, coupeur de billets et coffre-fort ambulant », écrira le metteur en scène dans l’un de ses livres de mémoires (Ma vie commence à 20h30, Stock). Il y décrit ta façon d’être « l’antithèse parfaite de l’attaché de presse » que tu devrais être. « Il était absolument impossible de lui arracher un mot sur les spectacles qu’il était censé défendre. Et c’était là, en fait, la meilleure manière de les promouvoir. Dans un monde où les attachés de presse vous soûlent de mots, le mutisme absolu de Crombecque excitait la curiosité du journaliste. » En 1971, au Théâtre de la Cité universitaire, Zartan fait un triomphe. Ton silence fut souvent ta seule parole et ton meilleur porte-parole. Et ta route d’étrange attaché de presse va croiser un autre « Argentin de Paris », Alfredo Arias, et puis aussi celle de Claude Régy. Des rencontres, encore et toujours des rencontres.

Le Festival d’automne, première époque

Cet attaché de presse atypique et cet ami des artistes que tu es font que Michel Guy, en créant le Festival d’automne en 1972, t’engage à ses côtés comme attaché de presse sur les conseils de ce fin renard qu’est Lucien Attoun. C’est la personne que tu es, de gauche de surcroît, que l’homme classiquement de droite qu’est Michel Guy apprend à connaître. Votre goût commun pour la peinture moderne et le goût des cultures extra-européennes qui vous attendent au coin d’un voyage, votre curiosité toujours en éveil et votre façon d’être à côté des artistes, ni devant, ni trop loin derrière, vous rapprochent. Et, tout naturellement, lorsque Michel Guy est nommé secrétaire d’Etat à la Culture (Giscard d’Estaing président, Jacques Chirac, Premier ministre), il te demande d’assurer l’intérim pendant tout son mandat. Te voici directeur à 35 ans, te voici directeur artistique du Festival d’automne le 28 juin 1974.

Le Festival d’automne 74 est, bien sûr, déjà programmé. Y figurent des artistes qui te sont familiers comme Peter Brook qui ouvre l’antre des Bouffes du Nord avec Timon d’Athènes, et comme Copi et Jérôme Savary qui signent ensemble un opéra-tango avec toute la troupe du Grand magic circus. Michel Guy t’a conseillé d’aller voir ce qui se passe à Berlin à la Schaubühne où tu es ébloui par Les Estivants de Peter Stein qui viennent au Festival 1976 et Stein apporte dans ses bagages Klaus Michael Grüber avec Lire Horlderlïn, un Grüber qui nous avait ébranlés avec son Faust Salpétrière l’année précédente, celle où le Festival fait revenir Giorgio Strehler à Paris avec Il Campiello, tout comme Luca Ronconi avec Utopia. 76, c’est aussi l’année où l’on découvre Einstein on the Beach, un opéra de Robert Wilson et Philip Glass, et Le Livre des splendeurs de Richard Foreman, ancrant cette veine américaine de Michel Guy présente dès la première année avec la Dance company de Merce Cunninhgam, et Ouverture, un spectacle en 24 heures de Robert Wilson.

En 1977 sont conjointement à l’affiche deux spectacles de Carmelo Bene dont S.A.D.E « spectacle en deux abstractions », La Classe morte de Tadeusz Kantor (après son passage au festival de Nancy de Jack Lang dont tu es un spectateur fidèle) et quatre spectacles du théâtre de la Taganka de Moscou signés Iouri Lioubimov dont un Hamlet avec Vladimir Vissotsky dans le rôle-titre. Rétrospectivement, cette avalanche de sommets en un mouchoir de poche donne le vertige. Je me souviens comment, l’un de ces jours où ta parole se déliait, tu aimais raconter les âpres négociations avec le pouvoir soviétique pour faire venir ces quatre spectacles à Paris et le rôle d’intermédiaire discret et précieux que joua ce merveilleux homme de l’ombre que fut Fernand Lumbroso pour lequel tu avais beaucoup d’affection.

Changement de gouvernement, Michel Guy perd son poste et revient diriger le Festival d’automne. Tu quittes l’aventure le 24 avril 1978 en ayant largement mis sur pied les grands axes du Festival qui commencera quelques mois plus tard avec un long périple au Japon autour de l’exposition Ma espace-temps, au Japon : calligraphies, concerts de musique contemporaine japonaise, « danse-théâtre » avec Tanaka Min,  Tadashi Suzuki et bien d’autres. Alors qu’il était secrétaire d’Etat, lors de l’un de ses voyages, sur un papier à en tête des Philippines Airlines, Michel Guy t’envoie une lettre le 27/11/76 : « Mon cher Alain, j’ai vu ici un nombre considérable de choses passionnantes. Je crois qu’il y a matière à faire un énorme “projet japonais” en 78, tant classique que moderne. » Il a pris quelques contacts « avec les officiels et les artistes » et conclut sa missive : « Ne tardez pas trop, les Japonais sont très formalistes et lents. » Joséphine Markovits pour la musique, Marie Collin pour le théâtre et toi pour un peu tout, effectuez le voyage au Japon. Le même festival met à l’affiche des metteurs en scène promus par Michel Guy à la tête d’un CDN, Georges Lavaudant à Grenoble qui vient avec Maître Puntila et son valet Matti, Bruno Bayen à Toulouse qui vient avec La Mouette. Et puis il y a ce metteur en scène à part qu’est Jean-Marie Patte qui entame une longue fidélité avec le Festival (neuf spectacles). Les grandes choses peuvent être l’affaire de quelques personnes réunies par l’amitié, la compétence et la confiance. C’est une leçon que tu n’oublieras pas.

Tout ce périple depuis Lyon, les festivals de l’UNEF, la place de la Contrescarpe jusqu’au siège du Festival d’automne rue de Rivoli (Michel Guy habite au-dessus) ont façonné une image de toi hors du clivage habituel droite/gauche, celle d’un homme proche des artistes (qu’ils soient connus ou encore inconnus), nullement courtisan, aucunement arriviste, moderne mais hors mode, peu disert mais disant juste. Jack Lang qui a fondé le Festival universitaire de Nancy en 1963 devenu par la suite un Festival mondial du théâtre, fait appel à toi lorsqu’il dirige brièvement le théâtre de Chaillot au moment où le TNP se décentralise à Villeurbanne sous la double direction de Planchon et Chéreau. Lang t’envoie également en mission dans différents pays pour le Festival de Nancy sur lequel il garde un œil attentif. Bientôt, il te proposera d’en prendre la direction, offre que tu étudieras avant de la décliner avec beaucoup de lucidité comprenant que les grandes années du Festival sont derrière lui.

Du TNP à Nanterre

Patrice Chéreau nommé au Théâtre de Nanterre en 1982 avec un projet d’envergure fait à son tour appel à toi. Il te connaît depuis L’Affaire de la rue de Lourcine. Te voici « conseiller artistique », autrement dit : tête chercheuse et fouineuse. Chéreau souhaite inviter le metteur en scène Luc Bondy qui n’est jamais venu en France. Tu as déjà vu plusieurs spectacles de lui en Allemagne. Tu le rencontres à la Schaubühne de Berlin, comme toujours tu as un livre dans ta poche ou sous le bras, Bondy remarque que tu lis Vienne fin de siècle et c’est ainsi que naît l’idée de Terre étrangère, une pièce de l’écrivain autrichien Arthur Schnitzler, premier spectacle étranger invité à Nanterre-Amandiers, énorme succès. « Nous ne nous sommes jamais quittés », dira Bondy au lendemain de ta disparition au micro de Laure Adler. « Aujourd’hui, je me demande qui il était. A-t-il laissé des notes, des carnets ? Qui d’entre nous l’a véritablement connu ? » Tu n’as laissé aucun carnet intime et dix ans après la crise cardiaque qui te fut fatale, tu gardes ta part de mystère. « Finalement, la personne la plus secrète que j’ai connue », écrira Bondy à ton épouse Christine, la mère de ton unique enfant, Helena.

Toi qui fut engagé à gauche dans le syndicalisme étudiant et plus tard dans l’éphémère revue de théâtre Calliope (deux numéros) aux côtés de Serge July et d’autres, la politique te rattrape pour te jouer le plus beau tour qui soit. Aux élections municipales d’Avignon, la droite bat ce fief de la gauche, le nouveau maire fait appel à Michel Guy comme conseiller artistique. Ce dernier te fait comprendre qu’il faut te tenir prêt à succéder au directeur du Festival d’Avignon Bernard Faivre d’Arcier (énarque de gauche), à l’issue de son mandat. Mais Faivre d’Arcier démissionne et ton destin s’accélère : te voici nommé à la tête du Festival d’Avignon. Toi, l’homme des coulisses, te voici propulsé au devant de la scène, te voici homme public. Les artistes, le milieu théâtral te connaissent et t’apprécient, ta nomination est favorablement accueillie, mais le grand public ne sait pas grand-chose de toi. Il n’en saura jamais beaucoup, même si on ne compte plus le nombre de portraits qui te furent consacrés dans les médias.

Si au Festival d’automne tu pouvais avoir un dialogue permanent avec Michel Guy mêlant amitié et admiration réciproque, c’est avec un mort que tu vas entamer un dialogue au Festival d’Avignon, avec son créateur, Jean Vilar. Lorsque après le retour de Michel Guy à la tête de son festival tu avais travaillé au TNP auprès de Georges Wilson, tu avais passé beaucoup de temps à consulter les archives, à lire les notes de Vilar. Tu l’avais rencontré une seule fois, en 1964, lorsque tu avais participé, en tant que syndicaliste étudiant, à un débat qu’il animait au Verger Urbain V. Tu avais balbutié maladroitement un discours en lisant tes notes, Jean Vilar t’avait proposé de boire un verre. Là, autour d’une table, il t’avait donné une leçon d’élocution. Tu racontais souvent ce souvenir avec tendresse et tu te souvenais aussi que le festival de l’UNEF près de la place de la Contrescarpe se déroulait quasiment sous les fenêtres de Vilar qui habitait rue de l’Estrapade. Tu n’auras jamais été un orateur capable de parler avec assurance pour ne rien dire, tu aimais trop les mots pour cela. En arrivant à la direction du Festival d’Avignon, tu diras avoir « avant tout cherché à être en accord avec les forces obscures de l’origine ».

Avignon, dialogue avec l’origine

Ce dialogue muet avec Vilar te conduit à inviter dans la Cité des papes les acteurs qui, à ses côtés, assurèrent sa gloire dans les premières années. Certains sont tentés mais effrayés comme Jeanne Moreau (elle surmontera sa peur pour La Célestine auprès d’Antoine Vitez). D’autres sont ailleurs, comme Philippe Noiret. Maria Casarès ne dit pas non (elle viendra, héroïne d’une pièce de Copi, La Nuit de madame Lucienne, mise en scène par Bruno Bayen). Alain Cuny dit oui tout de suite. Je le revois s’asseyant sur le lit de sa chambre dans un hôtel à deux pas du Palais des papes, arrivant de la gare où l’on (une équipe de l’éphémère télé-Libération) avait tenu à l’escorter comme un prince en louant une limousine. Quelqu’un frappe à la porte, on ouvre, c’est un énorme bouquet. De ta part. Le colosse en fut ému. Il le fut plus encore lorsque, avant son départ après avoir fait tonner des pages de Strindberg, tu lui avais dit qu’il pouvait revenir au Festival quand il le souhaiterait, qu’il était ton « invité permanent ». Il allait revenir et plus d’une fois, lire, lire encore. De même fis-tu revenir ceux qui en avaient été exclus par tes prédécesseurs : Théâtre Ouvert et sa boîte à textes nouveaux mis en espace (aventure qui avait débuté en Avignon l’année de la mort de Vilar), Jacques Robert et le cinéma dans la Cour d’honneur. Ce sont des gestes comme ça qui font la différence entre un directeur et un programmateur.


Tu aimais les femmes, plusieurs actrices et une scénographe partagèrent un pan de ta vie. Tu aimais t’entourer de femmes et ce fut le cas au Festival d’Avignon avec Véronique Charrier, Nicole Taché et Yolaine Baignères. Une fine équipe, soudée. Le Festival d’automne dure plusieurs mois, et se déroule dans de nombreux lieux sans point de ralliement. Avignon concentre le temps sur trois semaines, tout y est plus exposé, toi le premier. Ton Solex devient ta légende : il est comme toi, ni lent, ni rapide, à la fois déterminé et dilettante. Tu ne dis pas grand-chose mais tu es partout à la fois, les soirs de première et les autres soirs et quand on parle avec toi tu es là pleinement avec ton regard qui fuit le face-à-face, à l’écoute constamment, jamais pressé. Ah ! comme ces étés furent jolis ! Tous les fils qui avaient tissé ta vie se donnèrent rendez-vous à Avignon, de façon plus claire, plus manifeste qu’au Festival d’Automne.
Ton amitié ancienne avec Patrice Chéreau réussit à le convaincre d’affronter le monstre – le plein air de la Cour d’honneur du Palais des papes – avec son Hamlet. « Il m’avait convaincu, j’avais envie d’être avec lui, c’est aussi simple que cela », dira Chéreau.

Ton compagnonnage avec Peter Brook fit que tu poursuivis naturellement jusqu’à son terme l’aventure du Mahabharata mise en orbite par ton prédécesseur. Et c’est ensemble, Peter et toi, que vous irez visiter la carrière Callet à Boulbon où le spectacle allait s’adosser à la nuit avant de s’achever au petit matin dans les premiers rayons du soleil levant salué par les oiseaux. Un embrasement où l’on tient toute une nuit le théâtre entre nos bras qui se renouvela avec la nuit du Soulier de satin dans la mise en scène d’Antoine Vitez lors de la première intégrale qui triompha avec un début en deux parties plus chaotique. Vitez te remercia de « la confiance sans défaillance » que tu lui fis.

Par la suite, lorsque le directeur de Chaillot qu’il était alors mit en scène Lucrèce Borgia dans la Cour, le soir de la première tu vis Jean-Pierre Jorris, qui avait été le premier Cid de Vilar avant Gérard Philipe, venir au centre du plateau, s’agenouiller et saluer le mur imposant de la Cour d’honneur. Une scène qui t’éberlua autant qu’elle te contenta et que tu aimais raconter, en concluant d’un mot qui résumait tout : « magnifique ».

Ton goût des voyages et l’envie de partager des cultures venues d’ailleurs firent venir à Avignon des artistes qui, de la Thaïlande jusqu’au Cambodge, racontaient de bien des manières la grande épopée du Ramayana. C’est avec la complicité de Soudabeh Kia, une amie iranienne réfugiée en France et avec la bénédiction du Quai d’Orsay qu’au temps des mollahs tu fis venir le tazieh, cette forme de théâtre préislamiques captée par le chiisme, et des musiciens iraniens qui, dans leur pays, n’avaient pas le droit de pratiquer leur musique. Et on vit ce spectacle incroyable : une théorie de mollahs asssis au premier rang dans la Cour d’honneur écouter toute une nuit des musiciens honnis dont, au petit matin, le souffle puissant et déchirant d’un zurna joué par Shah Mirza Moradi, un épicier du Loristan qui jusqu’alors n’avait pu pratiquer son instrument que discrètement dans une cave capitonnée et pour lui seul.

La même amie complice fit venir une autre année des musiciens du Pakistan dont l’apothéose fut une nuit au Cloître des Célestins où le grand Nusrat Fateh Ali Khan entra en scène du côté de quatre heures du matin. Derrière tout cela, un art de la négociation que tu savais pratiquer avec tact et persuasion et parfois avec la froide fureur d’un télégramme comme le raconte Antoine de Baecque dans son Histoire du Festival d’Avignon (Gallimard) lorsque Pierre Boulez est sur le point d’annuler la création de Répons dans la carrière Callet à Boulbon parce qu’aux jours prévus pour les essais de son, le maire de la localité a programmé un son et lumière.

Si le Festival d’Avignon est « une idée de poète », à savoir René Char, cette phrase, longtemps malaxée, généra en toi l’envie de présenter au festival des poètes, de les honorer par des spectacles, des expositions, des rencontres et des retransmissions sur France Culture par Alain Truttat qui fut, lui aussi, un précieux complice et te fit rencontrer Nathalie Sarraute. Elle vint tout comme Francis Ponge avec qui tu te promenas dans la ville pour retrouver le collège qu’il avait fréquenté et constater que la glycine de son souvenir était toujours là. On vit aussi Edmond Jabès, André Du Bouchet ou Robert Pinget honoré par Joël Jouanneau, Chantal Morel, Jean-Marie Patte et de grands acteurs. Ou encore Georges Perec, avec Sami Frey juché sur un petit vélo disant Je me souviens. « Il [Alain] m’a encouragé à réaliser ce que je n’aurais peut-être pas osé sans son incitation simple et directe », dira l’acteur.

En 1971, tu avais participé à un spectacle sauvage que Claude Confortès avait concocté pour célébrer le centenaire de la Commune de Paris et qui fut joué place de l’Opéra, sans autorisation bien sûr, jusqu’à ce que la police n’arrête l’auteur-interprète et sa partenaire, Delphine Seyrig. Sur les photos prises par William Klein, on te voit, les cheveux mi-longs, l’œil brillant, un rien goguenard. Peut-être t’es-tu souvenu de ce spectacle sur la voie publique lorsque tu fis entrer au Festival deux compagnies de théâtre de rue, Zingaro et Royal de luxe.

Et comment ne pas penser à Tadeusz Kantor qui te demanda de venir le chercher aux portes de la cité des papes avec les clefs de la ville, autre histoire que tu aimais raconter, rappelant au passage que tu avais effectué dix voyages à Cracovie pour voir Kantor « sans avoir rien à lui demander, simplement pour le plaisir de le rencontrer » ? Comment ne pas penser à la présence de Heiner Müller place des Carmes pour Le Cas Müller de Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret tandis que Matthias Langhoff mettait en scène sa pièce La Mission ? Et bien sûr Valère Novarina servi par des acteurs habités par son écriture comme André Marcon. Ou encore cette carte blanche que tu offres à Nadia Croquet (qui, avec Marie Pénin, avait fait du Théâtre de la Bastille un lieu incontournable) pour un délirant cabaret. Et ce Russe découvert à Moscou lorsque le pays s’ouvre, que personne ne connaît encore et qui se nomme Anatoli Vassiliev. Je nous revois dans le sous-sol de la rue Povarskaïa à Moscou découvrant le même soir sa mise en scène sidérante de Six personnages en quête d’auteur.

Retour au Festival d’automne

Les bisbilles avec la municipalité avignonnaise repassée à gauche, la crise des intermittents qui te conduit à arrêter un jour le Festival pour la première fois de son histoire, la mort d’Antoine Vitez le 30 avril 1990 et celle de Tadeusz Kantor à la fin de cette même année, assombrissent tes derniers festivals. N’ayant pas obtenu « l’indépendance artistique et financière » que tu souhaitais de la part de la ville et de l’Etat, tu décides de partir. Ton dernier festival connaît de beaux moments comme l’hommage à Octavio Paz, la venue de Le Clézio et de Rigorbeta Menchu en cette année du 500e anniversaire de la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb. Peut-être es-tu las, peut-être as-tu « perdu la main » pour la Cour d’honneur comme tu le diras plus tard, une Cour où tu aurais aimé que viennent se mesurer Klaus Grüber, Luca Ronconi, Peter Stein ou Michel Piccoli dans Le Roi Lear. Des rêves inassouvis. Tu aimais citer ces mots de René Char : « Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. »

A Paris, Michel Guy malade du sida est mort lui aussi en 1990, le 30 juillet. L’équipe du Festival d’automne attend ton retour, tu reviens doucement. Et tu n’en bougeras plus. Façon de parler. Car tu bouges beaucoup, tu voyages de par le monde et, dans les locaux de la rue de Rivoli, tu te promènes de pièce en pièce. Jamais je ne t’ai vu assis au bureau qui était censé être le tien en face de celui de Marie Collin.

Le festival 1991 est dédié à Michel Guy. A l’affiche, de belles fidélités : Merce Cunningham, Lucinda Childs, Patrice Chéreau, Valère Novarina, Klaus Grüber, François Tanguy et le Théâtre du Radeau, aventure qui, elle aussi, poursuit et poursuivra un long compagnonnage avec le Festival entamé en 1987 avec Mystère bouffe. « Je n’hésite pas à revendiquer mes engouements, mes partis pris, mes amitiés, mon entêtement. J’en tiens pour le coup de foudre, en même temps que pour le compagnonnage de longue haleine. Qu’on n’imagine pas que le Festival d’automne puisse exister sans passion. » Ces lignes ne sont pas de toi mais de Michel Guy (elles accompagnent l’édition 1978), cependant elles te ressemblent. Un même esprit vous animait l’un et l’autre. Michel Guy cite bien des noms, de Pierre Boulez à Robert Wilson, qui font les délices et les aléas d’un long compagnonnage. Tes collaboratrices et toi en ajouteront d’autres au fil des années, comme Claude Régy dont tu fus l’éphémère attaché de presse, Luc Bondy que tu fis venir au Théâtre des Amandiers, Christoph Marthaler, Marc François, Piotr Fomenko, Krystian Lupa, le Wooster group, le tg STAN, Roberto Castellucci, Rodrigo Garcia, Sylvain Creuzevault pour ne citer que des hommes de théâtre (rares sont à l’affiche des mises en scène signées par des femmes, peu nombreuses encore à signer des mises en scène). Il faut beaucoup de doigté pour programmer des nouveaux venus. Tu ne cherchais pas à être le premier (maladie infantile des programmateurs) mais à le faire au moment juste et dans un intense accompagnement. Si Valère Novarina est un auteur qui t’importe et que tu honoras soit à travers ses mises en scène soient celles de ses textes mis en scène par Claude Buchwald, en revanche on note l’absence de deux grands auteurs (et metteurs en scène), Jean-Luc Lagarce et Didier-Gorges Gabily. « Je suis passé à côté », me diras-tu. Est-ce que la curiosité s’est quelque peu effilochée au fil des années ? Ta « quête ininterrompue de l’étonnement » trouva-t-elle plus difficilement matière à s’égayer ? Les derniers mois de ta vie, tu n’allais pas bien et c’est en allant voir un médecin de l’âme et du corps que tu t’es effondré.

Le temps des seigneurs

René Gonzalez à la tête de la MC93 puis du Théâtre de Vidy à Lausanne, et Ariel Goldenberg, qui succéda à Gonzalez à la MC93 avant de diriger le Théâtre de Chaillot, étaient deux de tes partenaires préférés. Vous exerciez le même métier, celui de directeur, avec la même passion mêlée d’obstination, la même audace, le même plaisir. Avec, entre vous, la même complicité, le même respect. Gonzalez a été emporté par un cancer (en 2012), Goldenberg a été viré (en 2008) sans raison du Théâtre de Chaillot par caprice ministériel et depuis semble s’être retiré des affaires. Certains avaient pensé à eux pour te succéder au Festival d’Avignon. Ils étaient comme toi dans le théâtre depuis toujours, aux côtés des artistes (Gonzalez ayant vite renoncé à une carrière d’acteur sachant qu’il ne serait jamais Terzieff ou Cuny, deux acteurs qu’il admirait). Vous avez souvent travaillé ensemble, de concert. « Etre du bond, pas du festin », Gonzalez aimait citer ces mots de René Char, poète qui lui tenait lieu de vigie. Vous étiez des êtres bondissants. A l’affût. « Etre à l’origine du mouvement, des premiers balbutiements, des premiers émois, des premières découvertes, des premiers rêves », disait « Gonzalo du lac ». Tu ne parlais pas avec un tel lyrisme, mais tes silences ne disaient pas autre chose lors de la découverte d’un jeune artiste quand tu allais à sa rencontre.

Tu étais aussi très proche de Thomas Erdos, homme de l’ombre s’il en fut. « Il avait un réseau international sans pareil, fait de connivences et de sensibilité », disais-tu. Le sachant condamné (il mourut d’un cancer en 2004), Pina Bausch était venue dîner en tête-à-tête avec lui le jour de ses 80 ans. Lorsqu’on lui rendit hommage après sa disparition, elle était là avec toute sa troupe. Pina lui devait beaucoup et elle n’était pas la seule à lui être redevable. Tu en sais quelque chose. Cet émigré Hongrois avait ses entrées en Inde et au Japon et il t’accompagna plus d’une fois dans ces pays, ou encore en Iran, pays de sa collaboratrice Soudabeh Kia. Il n’était pas directeur, plutôt agent, conseiller, « go-between », disait-il, bref : homme de l’ombre, « l’ombre merveilleuse des coulisses, cette antichambre de la magie », disait-il encore.

Tu étais, vous étiez, des seigneurs. L’amitié dictait l’intérêt et non l’inverse. La prise de risque fut votre seconde nature. Vous n’aimiez rien tant que de faire découvrir un artiste dont vous veniez de voir le travail dans un sous-sol provincial ou à l’autre bout du monde et de faire un bout de chemin, voire toute une vie, avec lui. Je me souviens de Frères et Sœurs, le spectacle de Lev Dodine. Venu une première fois au Festival d’automne, il ne rencontra qu’un public clairsemé, des demi-salles. Etait-ce trop tôt ? Les dates (Toussaint) portèrent-elle la poisse au spectacle ? Ni toi ni ton équipe ne parlèrent d’erreur. Vous saviez que ce spectacle était d’une qualité et d’une ampleur telles qu’il ne saurait passer à la trappe de l’histoire du Festival. Deux saisons plus tard, le même spectacle revint et ce fut un énorme succès. Un directeur de théâtre a des convictions intimes, une foi dans ses choix, son action. Un programmateur se contente de programmer en espérant que le public viendra. L’un joue sa vie ou presque, l’autre se contentera, au pire, d’un moment de désagrément.

Frye Leisen avait fondé un festival à Anvers avant de fonder le Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles en 1992. Elle le dirigea pendant quatorze ans avant de laisser place à une nouvelle génération. En 2014, directrice artistique du Wiener Festwochen, elle démissionne car la part des dépenses administratives est supérieure aux activités artistiques. Inversion que tu n’acceptas jamais. L’année suivante, elle donne une conférence au Sydney Opera House. Tout ce qu’elle dit ce jour-là, tu aurais pu le dire. Elle dit qu’elle place l’artiste au centre. Elle raconte que c’est à elle de s’adapter au rythme de l’artiste et à ses besoins, de l’accompagner dans la production de son travail. Elle dit qu’il est important de se déplacer, d’aller découvrir des artistes et de voir l’artiste chez lui dans son pays, son milieu, que la personnalité de l’artiste est plus importante qu’un seul de ses travaux, qu’il faut s’engager dans ce qu’elle nomme un « parcours » avec lui, avec elle. Que son rôle de directrice de théâtre ou de festival est comme le tien celui d’un trait d’union, ce petit signe qui réunit deux mots, deux mondes, les artistes et les spectateurs.

Dans tes propos, ici et là, tu ne mentionnes pas Frye Leisen. Je suis sûr que vous vous connaissiez, que vous vous estimiez. Que vous partagiez ce que tu nommes « l’intuition et la prémonition », que l’activité de Michel Guy puis la tienne furent pour elle sinon un modèle du moins une source d’inspiration, une aventure sœur. D’ailleurs les ponts entre le KunstenFestivaldesarts et le Festival d’automne furent multiples.

Comme toi, comme Michel Guy, René Gonzalez, Ariel Goldenberg, Thomas Erdos, Frye Leisen  encore Benedicte Pesle récemment disparue) étaient « l’ami des artistes sans en être un », tout comme tes collaboratrices au Festival d’Avignon et au Festival d’Automne. Après ta disparition brutale, Joséphine Markovits et Marie Collin, tes complices, ont tenu le flambeau de l’Automne jusqu’à la nomination d’un nouveau directeur, Emmanuel Demarcy-Mota, avec lequel elles travaillent désormais.

Ce nouveau directeur est d’abord un metteur en scène, comme l’est l’actuel directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py. Comme l’est également Arthur Nauzyciel, le nouveau directeur du Théâtre national de Bretagne, belle maison abritant un festival et un centre de création d’envergure mis en place par ses prédécesseurs Emmanuel de Véricourt et François Le Pillouër qui, eux aussi, étaient des amis des artistes sans être pour autant des metteurs en scène. Comme le furent, en leur temps, celles et ceux qui prirent les rênes du Festival mondial de Nancy (Jack Lang, directeur-fondateur, puis Lew Bogdan, Michelle Kokosowski, etc). Ou comme le directeur-fondateur du festival Sigma de Bordeaux, Roger Lafosse. Ce n’est pas un jugement, c’est un constat. Qui me laisse songeur. Perplexe ? Oui, perplexe. En colère ? Oui, en colère. Car, tous autant que vous êtes – c’est-à-dire une poignée –, vous, seigneurs du théâtre, avez joué un rôle sans pareil. Ce temps est-il en passe d’être révolu ?

Voilà, cher Alain, cher Directeur, ce que j’avais envie de te dire en me souvenant de ta vie et celles de tes pairs. Ta mort nous laisse inconsolés bien sûr, mieux, elle ne nous laisse pas tranquilles. Je t’embrasse, toi que je n’ai jamais embrassé.

France Culture diffusera dimanche 13 octobre de 21 h à 23 h "Les années avignonnaises" et "les années du festival d'automne" d'Alain Crombecque, deux émissions enregistrées et diffusées pour la première fois en juillet 2009 et novembre 2009.

 


Légende photo : Alain Crombecque © DR

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October 11, 2019 7:49 PM
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Benjamin Lazar, un brin ténébreux

Benjamin Lazar, un brin ténébreux | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Tion dans Libération - 11 octobre 2019

 

A l’Athénée, le disciple d’Eugène Green déploie son univers baroque et sombre avec la reprise de sa mise en scène de «l’Autre Monde», de Cyrano de Bergerac, et la création de «Maldoror», d’après Lautréamont. Ludique et surréaliste, un double voyage dans les tréfonds de l’âme.

 

 

 

Benjamin Lazar serait-il un artiste de la pénombre comme il y a des lumières tamisées ou des tableaux qui baignent dans le clair-obscur ? Comédien, mais aussi metteur en scène, il squatte en cette rentrée le Théâtre de l’Athénée avec deux de ses spectacles, où il aime entre autres jongler avec l’insolite et les ténèbres. Le premier, l’Autre Monde, ou les Etats et Empires de la Lune, met en scène Savinien de Cyrano de Bergerac dans sa rencontre avec les Séléniens. Le second, Maldoror, décante scéniquement toute la fougue inquiétante de Lautréamont. Si l’on ajoute à ses récentes productions une mise en scène d’un opéra de Stockhausen l’an dernier (Donnerstag) et une revisitation de la Traviata il y a trois ans, l’homme de 42 ans semble de tous les mondes, de toutes les époques, uniquement mû par son attrait d’une sombre complexité. «Le lien entre toutes ces œuvres, nous explique-t-il au bar de l’Athénée, un après-midi pluvieux, c’est aussi la volonté de me surprendre moi-même. Je me sens comme un explorateur face à ces textes. Ils doivent contenir plus qu’un message immédiatement lisible, il faut qu’ils recèlent un mystère qui résiste à une analyse de premier abord, que j’aie envie d’y passer du temps, en préparation mais aussi sur scène pour essayer de le comprendre.»

Diction et gestuelle

Pour Lazar, tout débute avec le baroque. La pompe baroque ? Non, la restitution du parler baroque. Le jeune Benjamin, enfant de la rive gauche, du côté d’Alésia, et scolarisé au lycée Montaigne, s’inscrit à un atelier théâtre organisé par sa professeure Isabelle Grellet et parrainé par… Eugène Green, le Monsieur baroque du théâtre contemporain, qui a ébloui les salles dans les années 80 avec ses spectacles historiquement informés, pendant scénique du renouveau interprétatif musical. «La rencontre avec le baroque, très profonde, s’est faite très jeune, se rappelle le metteur en scène. J’y ai reconnu quelque chose. Mais quoi ? On ne sait pas toujours. J’ai l’impression que ces quelques outils simples - prononciation un peu différente, utilisation du corps décalée de la vie quotidienne, qualité de lumière… - que tous ces petits pas de côté permettaient d’atteindre d’autres couches de la réalité.»

 

De fait, son quotidien s’en trouve immédiatement marqué. Après le bac, Lazar abandonne une prépa littéraire pour s’engager dans le théâtre, et intègre l’école Claude-Mathieu. Ses parents, scientifiques - père directeur de l’Inserm, mère chercheuse -, le laissent faire. A l’opposé des tenants de l’école réaliste, l’étudiant Lazar représente une sorte d’archétype de niche, le baroqueux, toujours un peu perché. Il en tire une indication qui guidera plus tard son travail de metteur en scène : «Travailler avec un jeu si particulier me fait comprendre que tout est forme - même quand on croit qu’on est dans le naturel, il est construit.» Puis il s’acoquine logiquement avec des musiciens, «eux aussi forcément dans le décalage, car à la différence des autres, ils chantent», et en vient à fonder sa compagnie, l’Incrédule, qui propose, dans les pas du défrichage d’Eugène Green, alors tourné vers le cinéma, ses propres spectacles baroques.

 

Et donc cet Autre Monde, ou les Etats et Empires de la Lune, mis en scène en 2004 après un Bourgeois gentilhomme qui l’a fait connaître, et qui tourne régulièrement depuis. Une sorte de bouffonnerie précurseure des livres d’anticipation, où Lazar retrouve une fibre qu’il aime chez Perec - lui qui, ado, a spontanément tapé à la porte des Amis de Georges Perec et a assisté à des séminaires -, soit le ludique qui dissimule des sentiments plus profonds. La scène de l’Athénée est éclairée à la bougie et dans ce one-man-show 1650, Benjamin Lazar fait rebondir la diction et la gestuelle du temps. Tandis que, côté cour, l’ensemble La Rêveuse (Florence Bolton aux violes et Benjamin Perrot aux luths) l’accompagne dans ses pérégrinations folles, tant géographiques que spirituelles ou corporelles. «Avec ce genre de mise en scène, je n’ai pas l’impression de vouloir refaire de façon stricte quelque chose qui a existé. On réinvente plutôt, on trace un chemin impossible vers le corps et les techniques disparues, qu’on finit par rencontrer au milieu du pont, à un point imaginaire entre le passé et le présent.» Pour ce spectacle, une ironie naît aussi des postures intellectuelles, en avance sur son temps, adoptées par le narrateur, qui viennent cogner à l’effort scénique organisé vers un idéal de représentation passée.

 

La notion de voyage, de folle traversée, peut aussi relier les deux spectacles. «Je cherchais un lointain cousin à associer à Cyrano, à son caractère adolescent. Et je suis tombé sur Lautréamont.» Et nous, sur la puissance hors pair d’Isidore Ducasse, alias comte de Lautréamont, grand inspirateur des surréalistes, par son œuvre mais aussi le mystère de sa vie brève et à trous, tel un James Dean romantique de la littérature française, qui a pondu à compte d’auteur en 1868 cet hybride vociférant devenu incontournable de la littérature sombre, les Chants de Maldoror. Un de ces ouvrages brûlants que l’on pense se rappeler toujours mais dont on oublie la richesse, et que le spectacle vient prestement aviver.

«Refus de dormir»

«Il n’y aurait pas de XXe siècle artistique sans Lautréamont. Il ouvre les portes de l’inconscient et les affronte éveillé. Avec une thématique de l’insomnie, le refus de dormir. La volonté de regarder en face.» Comment se promène-t-il dans cette œuvre ? «J’essaie de garder la même ambiguïté que Lautréamont crée dans l’ouvrage. A partir du moment où il édite les six chants réunis, il gomme les moments où il disait "Maldoror parle". Tout glisse entre le je, le il, Lautréamont, Ducasse. C’est un miroitement de plusieurs identités.» C’est dans ce coin de pensée que vient aussi cristalliser une habitude qui éclaire le travail de Lazar : ne pas tout expliciter, laisser au spectacle une part d’irraison, de vide. Scéniquement, Maldoror est chargé, mais Lazar se refuse à trop remplir. «La gageure est de laisser absolument au spectateur une place pour sa propre interprétation», explique celui qui sait si bien ménager les ombres.

 

 

Guillaume Tion Photo Ludovic Carème 

 

L’Autre Monde, ou les Etats et Empires de la Lune de Savinien de Cyrano de Bergerac jusqu’au 12 octobre. 

 

Maldoror de Lautréamont du 15 au 19 octobre. Mises en scène de Benjamin Lazar, au Théâtre de l’Athénée, 75009.

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October 11, 2019 6:35 PM
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Hommage à Jacques Nichet au Théâtre de l'Aquarium ce dimanche 13 octobre à 15h

Hommage à Jacques Nichet au Théâtre de l'Aquarium ce dimanche 13 octobre à 15h | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Hommage à Jacques Nichet

Le grand metteur en scène a disparu en août denier à Béziers ( voir Le Théâtre du Blog) .
Un hommage lui sera rendu ce dimanche 13 octobre au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes.
Au programme: de 15 h au 17 h: Hommage suivi d’un verre amical. Et à 18 h, Thierry Bosc interprètera Compagnie de Samuel Beckett que mit en scène Jacques Nichet. Ce fut son dernier travail.

Ph. du V.

Confirmer votre présence ( nombre de places limité)  à :hommagejnichet@gmail.com

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October 9, 2019 7:03 PM
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Villa Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, mise en scène de Pierre Cuq 

Villa Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, mise en scène de Pierre Cuq  | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Véronique Hotte dans son blog Hottellothéâtre - 9 octobre 


Villa Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, traduction de Leila-Claire Rabih et Frank Weigand (Editions Actes-Sud), mise en scène de Pierre Cuq – Lauréat du Prix du Jury – Prix Théâtre 13 /Jeunes metteurs en scène 2019 pour ce spectacle.

 La pièce Villa Dolorosa de l’auteure allemande Rebekka Kricheldorf apparaît comme une adaptation « décapante » des Trois Sœurs de Tchekhov – tendance bobo, soit bourgeoise et bohème – d’un début de XXI è siècle immédiatement contemporain.

Macha exprime librement le passage de ses états d’âme et de ses pensées intimes :

« Se lever, se laver, vivre, se laver, dormir, se lever, vivre, se laver, dormir, se lever, se laver, vivre, se laver, dormir, misère, Je crois que je vais me foutre en l’air. »

Ennui morose et sentiment de lassitude vaine depuis la monotonie terne des jours.

Le temps de la représentation, Irina fête son anniversaire trois fois – 28 ans, 29 ans puis 30 ans -, et à chaque fois, le même désenchantement et la même déception.

Ses sœurs sont présentes à ses côtés, la mélancolique Macha, éternellement assise sur son fauteuil malgré son jeune âge, et qui fuit son mari ; Olga, l’enseignante et directrice de lycée, critique incisive de l’état du monde – la seule qui ait un salaire.

Souvent, raconte-t-elle, elle se dit qu’elle aurait préféré épouser un dentiste, en bourgeoise insouciante et consommatrice ; or, elle accomplit –corps et âme – sa mission pédagogique d’enseignement, ce à quoi ses deux sœurs ne prétendent pas.

Il arrive à la professeure de penser tout bas alors qu’elle fait front quotidiennement à une classe médiocre ; elle profère à part soi ce qu’elle aimerait faire savoir à tel élève :

« … aucun avenir ne t’attend qui serait meilleur que le présent, mieux vaut quitter cette planète dès maintenant, ça t’évitera de tourner à vide pendant des milliers d’heures…, mais tu n’as pas le droit de faire ça, tu es la personne référente qui doit transmettre des valeurs positives … »

Irina, éternelle étudiante, passe d’une recherche doctorale à l’autre, sans l’accomplir jamais, restant à réfléchir oisivement dans le désœuvrement de la maison familiale.

Le frère Andreï accompagne à distance les trois sœurs, écrivain en herbe peu probant, et employé au service culturel de la mairie de la bourgade allemande.

Sa femme Janine cultive un quant-à-soi pratique et populaire qui ne sied guère aux affectations sororales – ce sentiment d’appartenance à une classe sociale supérieure aux prétentions morales, culturelles, littéraires, musicales, si étrangères à l’intruse.

Georg est présent également, ami du frère et amoureux de Macha qui l’aime, écartelé entre les tentatives de suicide de son épouse et le désir de changer de vie.

Juste reconnaissance d’un petit monde, le nôtre – zoom avant dirigé sur les générations montantes, avides de vivre mais dont le bel élan juvénile est empêché par la sensation prégnante et collective d’avoir l’herbe coupée sous le pied.

Rancœur et amertume, les êtres se dégagent de toute responsabilité individuelle pour ce qui est de la vision du chaos social, de l’ordonnancement désuet du monde.

Les personnages parlent et discourent, conversent et s’entretiennent, maîtres d’une parole qu’ils dominent avec aisance et nonchalance, sûrs de ce pouvoir, si ce n’est qu’ils ne cessent en même temps de contourner toute action efficace, préférant donner refuge à leur destin dans une velléité aléatoire d’agir, non dans une volonté.

La mise en scène de Pierre Cuq est décidée et enlevée, sûre de sa démonstration.

Les acteurs, Pauline Belle, Cantor Bourdeaux, Olivia Chatain (en alternance avec Pauline Tricot), Sophie Engel, Grégoire Lagrange, Aurore Rodenbour sont magnifiques d’énergie, de vitalité et d’ardeur, en dépit du désenchantement joué.

Face public, les yeux plantés dans les yeux des spectateurs, ils assènent leur vérité et leurs certitudes, prenant chacun à témoin, incarnant une volonté paradoxale d’en découdre scéniquement, au-delà de la désespérance de leurs paroles et regards.

Une résistance tonique, une vision du monde qu’ils s’emploient systématiquement à déprécier, à rendre négative, s’amusant d’un certain cynisme en vogue, l’ironie de cette fierté à se sentir apte à commenter l’effondrement même de leurs convictions.

L’humour, les situations cocasses et comiques participent du dynamisme de la mise en scène, quand les acteurs prennent plaisir à rire des autres et d’eux-mêmes.

Expressions éloquentes et grimaces, attitudes codées, réflexes de classe et de génération, ces contemporains obéissent encore à des règles rigides intériorisées.

Le public en sourit davantage, amusé de reconnaître les travers de chacun et de soi.

Véronique Hotte

Théâtre 13/Scène, 30 rue du Chevaleret 75013 Paris, du 8 au 20 octobre 2019, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h. Tél : 01 45 88 62 22.

 

 


Crédit photo : Olivier Allard.

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October 8, 2019 11:08 AM
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Data Mossoul, texte et mise en scène Joséphine Serre

Data Mossoul, texte et mise en scène Joséphine Serre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Yvon Le Scanff dans la Revue Etudes -  octobre 2019


Il n’est sans doute pas étonnant qu’un tel spectacle prenne place dans la programmation de saison d’un théâtre dirigé par Wajdi Mouawad : il superpose en effet trois strates de temps enchevêtrées autour d’une idée de théâtre, une ville – Mossoul - et sa mémoire : 2025 (du centre Data Geolog au Motel Assurbanipal, lieu de résistance de hackers aux USA), 2014-2016 (la guerre de Mossoul et les agissements de l’état islamique), 612 avant J.C (Ninive, son dernier empereur et son scribe). C’est en revanche une bonne surprise – du moins si on découvre Joséphine Serre – de passer près de trois heures à suivre avec attention une histoire captivante, à envisager des questions de civilisation et leurs enjeux profonds, sans ennui mais également sans paresse. Il est vrai que le spectacle, parfaitement informé mais sans didactisme pesant, ne manque pas de faire écho à des préoccupations actuelles concernant notamment les problèmes bio-éthiques liés au big data et à sa manipulation. Ainsi tour-à-tour sont évoqués les évaluations numériques des citoyens (qui rappelle le projet chinois de notation continue au sujet de l’attribution d’un crédit social), l’effacement de données sensibles (notamment liées à des recherches sur le changement climatique) ou la copie numérique intégrale des données d’un individu. Le spectacle montre bien que pendant qu’on s’effraie des androïdes de la Science-Fiction quand elle annonce et dénonce le risque et l’horizon de manipulations génétiques, l’informatique avance à grands pas vers la duplication numérique de l’être humain. Cette question de la conservation – copie, mémoire, archive, stockage etc. – est bien au cœur de ce spectacle éminemment pensif et un brin panique. De fait, ce qui est admirablement montré sur scène c’est bien la réversibilité des valeurs et des principes. Le personnage emblématique de cette bi-polarité est bien Mila Shegg (l’avatar lointain et un peu désorienté de Gilgamesh), l’informaticienne spécialiste de l’informatique quantique et donc de la duplication non binaire (ce qui est là est ailleurs, ce qui est autre est le même) : elle finira par renier son propre camp et quitter Geolog (les stockeurs-destructeurs) pour rejoindre les hackers conservateurs-réactionnaires (le projet internet archive ?) dans le Motel Assurbanipal, du nom de l’empereur bien connu sous le nom de Sardanapale, fondateur de la première bibliothèque, et notamment premier conservateur de l’épopée de Gilgamesh, dont la hantise millénaire est précisément de se conserver. Dans ce spectacle, l’instinct de conservation engendre l’idée-monstre d’une possible copie intégrale et numérique de l’être humain tandis que le nihilisme prend le masque d’une barbarie technologique et hégémonique aux bonnes intentions affichées (Geolog, double et avatar anagrammatique de qui vous savez) ou à l’inverse le visage de la brutalité obscurantiste et inhumaine (Daesh). Le finale, choral et chaotique, éperdu dans le chaos des temps et le labyrinthe des espaces quantiques concomitants nous apprend ce que nous avions fini par comprendre en suivant le fil d’Ariane d’un spectacle qui restera archivé dans notre mémoire vive : Mossoul c’est Ninive, il suffit juste de passer le fleuve de l’oubli.



Jusqu’au 12 octobre 2019 à La Colline – Théâtre national (Paris)

27 et 28 mars au LU – le lieu unique, Nantes

Novembre 2020 au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine

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October 6, 2019 4:03 PM
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Le Pont du Nord, un spectacle de Marie Fortuit

Le Pont du Nord, un spectacle de Marie Fortuit | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte, publié dans Théâtre du blog 6/10/2019

 

Entre autres inspirations bienfaisantes, une chanson-comptine s’est invitée à l’esprit de l’auteure, metteuse en scène et comédienne. Artiste associée au Centre Dramatique National de Franche-Comté pour la saison 2019/2020, elle reprend ici un air et des paroles enfouis dans sa mémoire depuis l’enfance : «Sur le pont du Nord, un bal y est donné. Sur le pont du Nord, un bal y est donné… La belle Adèle voudrait bien y aller, la belle Adèle voudrait bien y aller… » La jeune fille demande l’autorisation à sa mère qui lui répond : « Non, non, ma fille, tu n’iras pas danser. Non, non, ma fille, tu n’iras pas danser … »  Et, comme dans un conte, écrit l’auteure, le frère d’Adèle arrive sur un bateau doré, transgresse l’interdiction maternelle et emmène sa sœur au bal. Tous deux enchantés dansent une fois ensemble mais le pont s’écroule et ils meurent noyés. «Voici le sort des enfants obstinés»  dit la morale de cette chanson populaire.

 Ici, l’héroïne et narratrice est interprétée par l’auteure dont la parole intérieure répond à un bel élan poétique mais aussi à celle aussi du frère et de l’amie, et à celle silencieuse d’un un pianiste taiseux qui joue Beethoven et Schubert. La parole intime a aussi circulé à l’intérieur du quatuor, lors d’improvisations où se sont invités souvenirs et imaginaire. La scène se révèle d’autant plus significative des sentiments existentiels que l’eau a coulé sous les ponts. Laissant passer le cours irréversible des jours et dessinant une distance propre à l’élucidation de la signification des événements…  A la manière de Risibles amours (1968) de Milan Kundera, que cite Marie Fortuit, les êtres traversent le présent les yeux bandés, pressentant ce qu’ils vivent. Plus tard, le bandeau dénoué, ils examinent leur passé et ont enfin conscience de ce qu’ils ont vécu et en comprennent le sens trop longtemps caché. D’un côté, le théâtre et l’art qui s’extraient d’une expérience intime et symbolique mais, de l’autre, la vie quotidienne avec ses codes sociaux, références et habitudes.

 Adèle a grandi à vingt kilomètres de Valenciennes, à Maresches (Nord), élevée avec son frère par sa mère, une veuve qui tient un magasin de parapluies. Pour le frère et la sœur, le football est une passion, une vraie. Et Marie Fortuit a joué sérieusement au foot et a fait partie de l’équipe du Paris-Saint-Germain. A côté de la finale de foot masculin en juillet 1998 vue sur les écrans des bistrots, a lieu la ducasse, cette kermesse populaire, à Maresches  avec un bal comme ce soir de juillet quand résonne la victoire enivrante de la Coupe du Monde. Heureux, frère et sœur chantent Si tu n’existais pas… de Joe Dassin.  Mais Adèle quitte le Nord pour Paris et Octave, son frère, la rejoindra seulement dix ans plus tard, pour un entretien d’embauche. Il la retrouve dans l’appartement de leur tante décédée, occupé par son compagnon, un musicien. Adèle s’est reconstruite pour se redéfinir librement et tenir, en toute connaissance de cause, les fils embrouillés et emmêlés de sa jeune existence. Elle se révèle au spectateur dans l’authenticité et la pudeur et elle communique par texto, de conscience à conscience, avec une amie, pilote de ligne. Une présence/absence, ultime repère d’une attente inespérée…

 Louise Sari a imaginé une scénographie ludique avec un sol qui pourrait être un terrain de sport avec, au centre, une chambre à deux lits-tiroirs pour le frère et la sœur et des éléments de mobilier qui seront aussi les premiers gradins d’un stade. Dans un rapport bi-frontal entre scène et salle. Des ballons ici et là, des séances d’habillage/déshabillage dans un vestiaire… Les deux acteurs interprètent au micro des chansons, entre autres, celle de la pilote de ligne, lors d’une étape au Japon.

La vie impulsive va, comme elle va, dans un désordre savamment ordonné et la surface de jeu est un espace de réparation existentielle,  un miroir tendu au public qui peut se reconnaître ici ou là, dans cette expérience fondatrice. La leçon finale, si leçon il y a, n’est pas tant comme dans un match de foot où il faut à tout prix prendre le ballon, de marquer et de vaincre l’autre, mais de savoir vivre sereinement auprès de lui.

La lumineuse Marie Fortuit (Adèle) a une force imparable et une sensibilité à fleur de peau. Antoine Formica  est, lui, un frère franc et ouvert, capable d’humour et à l’énergie comparable à celle d’Adèle… dont l’amie et amante, reine du ciel et des songes, est incarnée entre liberté et retenue par Mounira Barbouch, à la belle présence et le sourire aux lèvres. Damien Groleau est le pianiste de ce spectacle enthousiaste, pétillant qui a une réelle délicatesse poétique.

 Véronique Hotte

Le spectacle a été créé et joué au Centre Dramatique National Besançon-Franche-Comté, avenue Edouard Droz, Besançon (Doubs) jusqu’au 5 octobre. T. : 03 81 88 55 11.

Théâtre du Garde-Chasse, Les Lilas (Seine-Saint-Denis) le 10 octobre et Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis) du 15 au 23 octobre. T. : 01 43 62 71 20.

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October 5, 2019 10:44 AM
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Théâtre : l’hymne à la joie de Pippo Delbono

Théâtre : l’hymne à la joie de Pippo Delbono | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino  dans Le Monde 4 octobre 2019
L’auteur et metteur en scène italien présente « La Gioia », au Théâtre du Rond-Point à Paris.


Quand Pippo Delbono vient à Paris, il nous donne des nouvelles. Ses spectacles sont comme des lettres ouvertes dans lesquelles il se livre, entouré de ceux qu’il aime et qui l’accompagnent souvent depuis des années. La vie n’a pas été tendre pour beaucoup d’entre eux, jetés sur des trottoirs par des parcours chaotiques, ou écartés parce qu’ils n’étaient pas dans la norme. Pippo Delbono les prend tels qu’ils sont, car il est tel qu’il est : un homme qui sait ce que vaut un regard, une parole, un geste ; le miroir d’une humanité chancelante qui n’a pas peur de dire qu’elle a peur, qu’elle est triste ou malade, mais qui toujours cherche la lumière.

Lire la nécrologie : L’acteur italien Bobo est mort

 


Cette lumière, on la trouve, irradiante de beauté et magnifique de tendresse, dans La Gioia (La Joie), le premier spectacle de Pippo Delbono après la mort de Bobo, à 82 ans, l’hiver dernier. Bobo, pour ceux qui l’ont vu en scène, est inoubliable : un acteur né, qui ne savait ni lire, ni écrire, ni parler. Un prodige de présence, qui comprenait tout et surtout chacun. Assis dans la salle en face de lui, vous aviez le sentiment qu’il ne s’adressait qu’à vous, et vous disait droit dans les yeux ce qui se murmure à l’oreille. Et puis, Bobo était une star, un cabot céleste aimant les saluts, qu’il a pratiqués autour du monde, pendant les vingt-deux ans où il a accompagné Pippo Delbono.

« La Gioia » commence avec des fleurs sur une tombe, et s’achève avec des fleurs en liesse et en lianes

Leur histoire avait commencé en 1996 dans un asile psychiatrique près de Naples, où Bobo (Vincenzo Cannavacciuolo à l’état civil) vivait depuis trente-cinq ans. Microcéphale, il était destiné « à rester un enfant », selon les médecins. Il fut pour Pippo Delbono un frère de cœur, un allié sur scène et hors du théâtre. Sa voix avait des accents d’oiseau. On l’entend dans La Gioia, et avec elle c’est la vie qui chante son adieu et sa renaissance. Car tout s’enlace, sur le plateau du Théâtre du Rond-Point à Paris où La Gioia commence avec des fleurs sur une tombe, et s’achève avec des fleurs en liesse et en lianes, tombant des cintres vers le sol.

Entre les deux, mamma mia !, on voit et on entend une sarabande d’images, de tableaux vivants, de danses et de chants qui ressemblent à la vie quand, éclatante, elle renaît de trous noirs. Pippo Delbono est là, parmi ses onze compagnons et compagnes. En jean et chemise blanche, des feuilles à la main, il orchestre La Gioia dont il est le récitant. Sa voix a des accents à la Carmelo Bene, elle nous parle d’enfance, de folie, d’innocence, de douleurs et de rêves. Bouddha y côtoie Pirandello et Sophie Calle, certains souvenirs passent comme des voiles d’automne, d’autres ont des habits de lumière, tous s’assemblent dans l’instant du théâtre.

Hommage et souvenirs
Pippo Delbono rend hommage à ceux qui fabriquent La Gioia avec lui, et qu’il nous présente. Voici Nelson, qui était clochard, Ilaria, qui aime à la folie le tango, Pepe et Safi, réfugiés argentin et afghan. Voici le souvenir de Nicola, à qui est dédié le poème de Rimbaud, « Par les soirs bleus d’été… ». Voici Gianluca, trisomique, qui vient de Varazza, en Ligurie, comme Pippo. En robe bleue flashy, il chante en play-back une chanson d’amour de Loretta Goggi, et il est fou de joie. Puis c’est lui, dans l’habit blanc d’un pierrot lunaire, qui se tient, sérieux comme un pape, assis sur un banc, avec un gâteau sur les genoux.

Bobo ne connaissait pas sa date exacte de naissance. Alors, raconte Pippo Delbono, parfois la troupe décidait que c’était son anniversaire, et lui organisait une fête. La Gioia, qui voudrait être « le plus beau spectacle du monde », c’est cette fête.

La Gioia, de et mis en scène par Pippo Delbono. Avec Dolly Albertin, Gianluca Ballarè, Margherita Clemente, Pippo Delbono, Ilaria Distante, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Pepe Robledo, Zakria Safi, Grazia Spinella. Théâtre du Rond-Point, 2, av. Franklin D.Roosevelt, Paris 8e. Tél. : 01-44-95-98-21. De 13 € à 38 €. Durée : 1 h 20. En italien surtitré. Jusqu’au 20 octobre.

Brigitte Salino

 

Légende photo : « La Gioia », de et mis en scène par Pippo Delbono, au Théâtre du Rond-Point, Paris. Luca Del Pia

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October 3, 2019 7:17 PM
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L’île des esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey

L’île des esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 1er octobre 2019

 

 

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.



L’île des esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey.

 L’île des esclaves de la pièce éponyme de Marivaux (1725) est une île de la Grèce antique dans laquelle des esclaves, révoltés par les lois en cours, se sont révoltés.

Au départ, un naufrage, comme il se doit, fiction de toutes les fictions, qui fait échouer des personnages sur une île de sable peu habitée et ouverte aux songes.

Pour l’occasion, un noble athénien, Iphicrate, est jeté sur le rivage avec son serviteur Arlequin, que rejoignent bientôt une coquette, Euphrosine, et sa suivante Cléanthis.

Trivelin, ex-esclave, est le maître de l’île dont il régit règle et lois nouvelles : maîtres et valets échangent leur rôle, leur condition, leur nom et leurs vêtements – étrangeté,

Une épreuve de trois ans doit précéder le retour des anciens maîtres, si ceux-ci ont fait amende honorable en passant l’expérience morale qui leur est imposée. Telle est la fable de la pièce philosophique dont un seul acte en fait le récit prompt et efficace.

Or, ce qui pouvait apparaître comme une révolution sociale pour les anciens valets auxquels paraissait possible l’accès à l’autorité, à la reconnaissance et au confort, se révèle une aventure désenchantée de rupture d’un rêve libératoire – déception.

C’est aux valets encore qu’il revient de surmonter leur amertume – rancœur et désir de vengeance -, pour amorcer un cheminement vers l’élucidation de leur humanité.

Promesse d’une comédie de mœurs quand le rire amer des maîtres disparaît au profit de celui, solaire et joyeux, des valets conquérants, ne rechignant pas à goûter au bonheur, dès que s’accomplit le retournement social, moral et esthétique.

Arlequin, personnage de la commedia dell’arte, satisfait les attentes, d’autant qu’il s’amuse à jouer la comédie de l’amour avec sa nouvelle compagne, la maîtresse. Thomas Christin pour Arlequin est malicieux, pertinent et insolent à souhait. Et Blanche Adilon qui incarne Euphrosine, dame athénienne, est élégante et lointaine, comme il se doit, pour un personnage – théâtre et vie sociale- qui tient son rang.

Charlotte Ngandeu, pour Trivelin, le magistrat de l’île, est une figure altière, assénant à plaisir ses leçons acidulées d’humanité dispensées aux maîtres d’abord : « Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons ; ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs, que nous voulons détruire. »

Michel Grédé, pour Iphicrate, le gentilhomme, joue l’étonnement et la surprise, ne comprenant toujours pas pour quelles raisons il se trouve ravalé au rang de valet.

Pour Cléanthis, au service d’Euphrosine, Diane Pasquet simule colère et volonté de vengeance, n’acceptant pas qu’on puisse une fois encore renverser les rôles.

Tous les protagonistes, bousculés et malmenés, brusqués et tancés, sont malgré eux, mis à nu et réduits à leur simple humanité sur la scène de la représentation. Réactions plus ou moins avouables, sentiments cachés et petites indignités.

Ces jeunes comédiens et comédiennes de l’ensemble artistique du Théâtre de Tours portent haut l’aventure théâtrale, proposant même en épilogue de la représentation, une performance personnelle bien sentie en lien avec l’œuvre de Marivaux.

De son côté, le metteur en scène de L’Ile des esclaves et le directeur du Centre dramatique de Tours, Jacques Vincey, a proposé avec brio son propre prologue.

La scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy, les maquillages et perruques de Cécile Kretschmar accentuent la dimension poétique de la tonalité facétieuse de l’œuvre.

Une pluie épaisse de ouate blanche – sensation assourdie d’une matière mousseuse ou cotonneuse -, se déverse sur les protagonistes qui s’y vautrent à volonté ; et la perruque de la dame athénienne dessine à son tour une tour laineuse encombrante, réplique fantasmée de la coiffure de Marge Simpson, épouse du fameux Homer.

La soubrette apparaît, de son côté, avec l’ossature d’un panier de robe et ses atours.

Un hymne à la morale et à la justice, dans une société où l’homme peut s’amender afin qu’une société plus juste puisse voir le jour, signes et prémices révolutionnaires.

Une version foraine pour petite salle existe, une autre découverte de ce petit joyau.

Véronique Hotte.

Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours, du 25 septembre au 5 octobre 2019. Amboise, les 17 et 18 octobre. Le Préau – Centre dramatique national de Normandie – Vire ( à confirmer), du 5 au 9 novembre. L’Avant-Seine au Théâtre de Colombes, les 13 et 14 novembre. MA Scène nationale – Pays de Montbéliard, le 19 novembre. L’Entracte, Scène conventionnée de Sablé, le 22 novembre. Théâtre de Chartres, le 26 novembre. L’Echaiier – St Agi, le 29 novembre. Théâtre de Thouars, du 3 au 5 décembre. Théâtre-Sénart, Scène nationale (hors les murs), du 17 au 20 décembre. Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours, du 23 au 31 janvier 2020. Les 3 T – Scène conventionnée de Châtellerault, le 12 mars. Théâtre du Cloître – Scène conventionnée de Bellac, le 19 mars. Théâtre – Sénart, Scène nationale,  du 1er au 3 avril. L’ATAO Orléans, le 8 avril. Scène nationale d’Aubusson, les 4 et 5 mai.

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October 3, 2019 12:38 PM
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Alors Carcasse, texte de Mariette Navarro, mise en scène de Bérangère Vantusso

Alors Carcasse, texte de Mariette Navarro, mise en scène de Bérangère Vantusso | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 24 septembre 2019

 

Alors Carcasse, texte de Mariette Navarro, mise en scène de Bérangère Vantusso – Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes Charleville-Mézières 2019.





Alors Carcasse, texte de Mariette Navarro (2011, Cheyne Editeur), mise en scène de Bérangère Vantusso – Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes Charleville-Mézières 2019.

En 1999, Bérangère Vantusso crée la compagnie trois-six-trente, confectionnant des créations hybrides, situées au croisement des arts plastiques et du théâtre, où se rencontrent souvent marionnettes à taille humaine et comédiens – bel hyperréalisme.

Avec Alors Carcasse, création de 2019 en co-production ave le Festival dont les deux premières mondiales ont eu lieu à Charleville-Mézières, Bérangère Vantusso porte à la scène un texte de Mariette Navarro, poème articulé autour d’un être fictif qui hésite et attend, arrêté sur un seuil ou un bord, s’obstinant à se tenir immobile.

La carcasse est l’ensemble des ossements décharnés du corps d’un animal qui tiennent encore les uns aux autres, le squelette, l’ossature, le dessin essentiel.

Carcasse désigne aussi – familiarité – le corps humain : on « soigne sa carcasse ».

Cette Carcasse est une figure indécidable dans le poème de Mariette Navarro.

Bloquée sur le palier de notre présent, cette présence absence refuse d’obtempérer aux injonctions du monde contemporain qui la sollicitent et la « saturent ».

Non loin, Plusieurs semblent vivre la même aventure incertaine et approximative :

« Plusieurs aussi sont là, au beau milieu de leur époque, mais Carcasse particulière- ment est au seuil, caresse du pied le seuil et se tient là, avec au visage une impression d’absence qui cloche beaucoup avec le reste. »

Le personnage vaste, tantôt tel un continent – la planète mise à mal en nos temps incertains -, tantôt à notre humble échelle, témoigne d’une humanité infaillible dans son attente anxieuse et indécise – une présence maladroite et un refus existentiel.

La metteuse en scène présente à son public averti des représentations abstraites de ses personnages à travers de beaux interprètes et récitants à la fois, danseurs ou marionnettistes, qui portent ensemble et à bout de bras – au sens propre – et de manière polyphonique, la figure invisible d’une image dont la poésie résonne.

Résister aux cadres, tel est le vœu de Carcasse qui remet en cause ces derniers.

« Il semble que se tenir là ne soit pas une plaisanterie. Il semble qu’on ne plaisante pas avec un corps avec un corps comme ça qui tangue tout au bord d’un seuil et se déploie dans tous les sens. Plusieurs sentent plutôt que l’heure est grave avec des décisions à prendre et des camps à choisir. Plusieurs préfèrent préserver l’ordre et maintenir le cours des choses pour la plus grande sécurité. »

Or, « Carcasse » s’impose, le nom heurté est répété à n’en plus finir – répétitions, allitérations de consonnes nettes et coupantes, et assonances en « a » grand ouvert.

Est-ce un personnage ? Une invective ? Une figure, un corps fictif et symbolique, une marionnette peut-être pour la marionnettiste confirmée Bérangère Vantusso.

Les interprètes investissent le corps de Carcasse, redessinent sa forme, lui donnant corps, grâce à des tiges de bois, rassemblées en brassées ou bien désaccordées, portées minutieusement ou entassées en désordre sur le plateau, danse insolite.

Ces tiges en bois, soulevées et hissées à hauteur de bras, accessoires dont le manipulateur use pour animer ses créatures, façonnent le bel art singulier de la manipulation d’objets, comme un écho à notre fragilité et à la brutalité du monde.

Ils, elles portent à la fois Carcasse et Plusieurs, les construisant puis les déconstruisant, les retenant et les relâchant jusqu’à ce qu’ils forment un tas de baguettes brutes que le spectateur réinstalle à sa manière en son for intérieur.

Soit la charpente fictive d’un rêve, l’armature entrevue d’un ouvrage de songe, l’assemblage poétique des baguettes entre elles, soutenant la forme disparue.

Carcasse s’arrête sur le bord, refuse de continuer sa marche, se dégageant du flux du monde et de son emportement pour ne répondre qu’à une injonction intérieure. Et se construire soi-même – une forme, une allure, une apparence, une vision offerte.

Les tiges de bois convoquent sur le plateau un duo scénique – la marionnette et son marionnettiste -, un assemblage d’accessoires, liens et repères, accordant l’existence, nous-mêmes en miroir, tentant de vivre ainsi que vivent les hommes…

Boris Alestchenkoff, Guillaume Gilliet, Christophe Hanon, Fany Mary, Sophie Rodrigues et Stéphanie Pasquet sont des performers complices, tentant de redessiner les formes en question et de les redistribuer toujours plus poétiquement.

Véronique Hotte

Les 21 et 22 septembre 2019 au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes Charleville-Mézières (Ardennes). Du 11 au 15 octobre 2019, Studio-Théâtre de Vitry, en partenariat avec le Théâtre Jean Vilar. Les 14 et 15 novembre 2019, Festival International de Marionnettes de Neuchâtel, en partenariat avec le TPR La Chaux-de-Fonds. Du 27 au 29 novembre 2019, Théâtre de Sartrouville, CDN des Yvelines. Les 5 et 6 décembre 2019, Le Manège, Scène nationale de Reims. Du 4 au 6 février 2020, Le NEST, CDN de Thionville-Lorraine. Du 12 au 14 fév. 2020, TJP – CDN de Strasbourg – Grand Est. Le 4 mars 2020, Théâtre Jean Arp – Clamart, scène territoriale pour la marionnette et le théâtre d’objet, en partenariat avec le Festival MARTO. Du 12 au 15 mars 2020, La Manufacture des Oeillets – CDN d’Ivry.

 


Crédit photo : Ivan Boccara.

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October 17, 2019 7:21 PM
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«L’Assemblée des rêves», la planète des songes 

«L’Assemblée des rêves», la planète des songes  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Annabelle Martella dans Libération — 17 octobre 2019 

 


«L’Assemblée des rêves» recense et rejoue les récits oniriques recueillis auprès de passants à Nanterre puis Rome, New York et au Caire.

Un travail documentaire rejoué sur scène. Photo P. Le Goff
C’est le France Inter des rêves, une radio étrange née d’un bien curieux travail d’investigation. En 2017, lors de la campagne présidentielle, Duncan Evennou et Lancelot Hamelin (respectivement metteur en scène et auteur) mobilisent un collectif d’artistes, de scientifiques et de citoyens pour sillonner Nanterre et enregistrer les réponses à ces simples questions : «As-tu rêvé ? As-tu un rêve à partager ?» demandent-ils aux badauds croisés en centre-ville, à la sortie du RER ou dans les parkings. A la manière de sociologues sortis d’un roman de Perec, ces enquêteurs du sommeil paradoxal débusquent ainsi des récits surréalistes et décident d’élargir l’investigation à diverses villes du globe, curieux de vérifier l’état du lien entre psyché et espace public : Le Caire, New York, Rome…

Sur le plateau, quatre acteurs sont attablés derrière des micros et transposent à tour de rôle, sans les interpréter, les rêves de Claire, 19 ans, d’Anne-Marie, 77 ans, celui d’une jeune entrepreneuse spécialisée dans le bien-être qui se transforme en Superwoman, celui encore d’une marchande qui prédit dans un cauchemar un attentat à venir. C’est un projet qui séduit bien sûr par l’originalité de sa matière documentaire, laquelle célèbre l’infra-ordinaire, mais il surprend aussi par son caractère théâtral, en tout cas celui qu’ont su lui trouver ses auteurs. Chaque enregistrement est disséqué au scalpel pour y trouver matière à jouer. D’un tic de langage, d’une manière singulière de prononcer le mot «violet» naissent ainsi des personnages suffisamment drôles et attachants pour donner corps à cette étrangeté humaine qui sous-tend les villes sans qu’on la remarque.

Annabelle Martella


L’Assemblée des rêves de Duncan Evennou et Lancelot Hamelin Plateaux sauvages, 75020. Jusqu’au 18 octobre.

 

Photo P. Le Goff

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October 15, 2019 6:38 PM
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"Reconstitution : Le procès de Bobigny" Emilie Rousset et Maya Boquet passent le témoin au Festival d'Automne

"Reconstitution : Le procès de Bobigny" Emilie Rousset et Maya Boquet passent le témoin au Festival d'Automne | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Amélie Blaustein Niddam dans Toute la Culture.com 15/10/2019

 

Créée au T2G, la nouvelle pièce des exigeantes Émilie Rousset et Maya Boquet est au Festival d’Automne. Un spectacle à la fois déambulatoire et participatif qui questionne l’histoire et la mémoire du célèbre procès de Bobigny, qui en 1972 a ouvert la voie vers la dépénalisation de l’avortement.

L’installation est juste magnifique. La lumière pensée par Laïs Foulc est un bijou. Douze cercles de chaises sont alignés dans la grande salle du T2G vidée de ses sièges. Au centre de chaque rond se trouve un carré de lumière comme un feu de camp du XXIe siècle. Face à face, le travail de vidéo de Louise Hémon fait défiler des focus sur des statues qui symbolisent la justice.

La mise en scène parfaite d’Emilie Rousset fait le reste. Depuis quelques mois, les chorégraphes et les metteurs en scène contemporains utilisent le son dans leurs pièces d’une façon complètement neuve. Dans un geste très moderne,  le public est ici casqué.  

Nous allons où nous voulons, nous nous asseyons autour d’un intervenant dont nous connaissons le nom et la fonction : Emile Duport, un militant « pro-vie », Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, Christine Delphy, sociologue, co-fondatrice du MLF, René Frydman, spécialiste de la reproduction, Marielle Issartel, chef monteuse, Jean-Yves le Naour, historien, Myriam Paris, spécialiste du contrôle des naissances à la Réunion, Véronique Séhier, co-présidente du planning familial, Claude Servan-Schreiber, témoin au procès, Véronique Champeil-Desplats, responsable du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, Françoise Fabian, comédienne, témoin au procès,  et Marie Bardet, danseuse, militante pour le droit à l’avortement en Argentine.

Il faut tout d’abord apporter quelques clés de lecture car cette performance demande d’accepter d’être un peu perdu. Il faut un premier temps pour comprendre que les noms qui sont affichés sur les cartels devant les cercles ne sont pas les personnes qui vont venir nous parler. Ensuite il faut un second temps pour comprendre que dans les oreillettes des comédiens, la voix du témoin est, elle, bien réelle.  Ce n’en est pas une pièce documentaire pour autant, car les textes dits sont des montages. Nous sommes au théâtre.

Une fois le dispositif compris, il devient fascinant. 

Emilie Rousset travaille les « strates ». Elle joue des aller-retours entre la fiction et le réel, toujours. Ici, le casting est fou, on retrouve beaucoup d’interprètes proches de Joris Lacoste ou de Vincent Thomasset. C’est-à-dire des acteurs qui ont un rapport à la voix quasiment radiophonique. Citons-les : Véronique Alain, Antonia Buresi, Rodolphe Congé, Suzanne Dubois, Emmanuelle Lafon, Thomas Gonzalez, Anne Lenglet, Aurélia Petit, Gianfranco Poddighe, Lamya Régragui, Anne Steffens, Nanténé Traoré, Manuel Vallade, Margot Viala et Jean-Luc Vincent

Précisons que le dispositif est activé pendant 2h30, cela veut dire qu’on ne peut pas passer à toutes les tables, appelons-les comme ça. Donc, chaque « spectateur » aura sa perception de la pièce. Dans notre parcours nous croisons Emmanuelle Lafon,  qui a co-fondé avec Joris Lacoste l’encyclopédie de la parole. Quand on est assis avec elle, elle incarne avec plasticité les mots de Camille Froidevaux-Metterie. Il faut ajouter qu’à aucun moment les comédiens ne jouent à imiter « leur » témoin. Les comédiens ne jouent pas. Leurs voix et leurs postures sont les mêmes quel que soit le « personnage » dont ils transmettent les mots.

Sur le fond, évidemment, il est formidable de se plonger dans les mots au procès de Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi. Il est fascinant de comprendre le choc qu’il a été comme le rappelle Rodolphe Congé qui pour nous, à ce moment, « était » Véronique Champeil-Desplats, responsable du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux. « Elle » dit :  » Faire un procès à la loi, c’est très nouveau à l’époque ».  

Finalement, l’apport du spectacle dépend beaucoup des choix que nous faisons,  et nous avons voulu mélanger les voix. De la  pire (Emile Duport) à la  plus sensible (Françoise Fabian) en ponctuant notre parcours de paroles d’universitaires. 

Reconstitution, le procès de Bobigny n’est donc PAS une reconstitution du procès de Bobigny mais  une réflexion très juste du point vue historique sur la transmission et l’apport de ce procès qui a tout changé. Camille Froidevaux-Metterie nous « dit » que le droit à l’avortement est « l’entrée dans la modernité démocratique ». Ce n’est pas inutile, en ce moment,  de le rappeler.

Informations pratiques :

Théâtre de la Cité internationale-19 et 20 Octobre

!POC!- 16 Novembre

Le Théâtre de Rungis -30 Novembre

Théâtre de Chelles-1 Février

Visuel : © Philippe Lebruman

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October 14, 2019 7:30 PM
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Reconstitution : le procès de Bobigny d’Emilie Rousset et Maya Boquet

Reconstitution : le procès de Bobigny d’Emilie Rousset et Maya Boquet | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Christine Friedel dans Théâtre du blog - 14 octobre 2019

 

 

Reconstitution : le procès de Bobigny d’Emilie Rousset et Maya Boquet

 L’actualité force la porte du théâtre. Le recul, en Europe et dans le monde, du droit pour les femmes à disposer de leur corps et d’avoir accès à l’I.V.G., nous inquiète à juste titre. Deux jeunes femmes ont mis en scène la mémoire du fameux procès de Bobigny (Seine-Saint-Denis), un  procès majuscule et voulu exemplaire par la grande avocate  Gisèle Halimi : avec le cas de Marie-Claire, seize ans à l’époque, violée, puis enceinte et dénoncée par son violeur pour délit d‘avortement, ainsi que sa mère, deux amies  ayant servi d’intermédiaire et  la « faiseuse d’anges » !

Il fallait donc faire abolir la loi de 1920 (aggravée par la suite à deux reprises) qui interdisait toute publicité pour la contraception et criminalisait l’avortement. Loi meurtrière : des milliers de femmes mourraient chaque année faute d’encadrement médical. On le sait, mais certains ne veulent pas le savoir : aucune interdiction, aucune sanction, aucun danger n’arrête une femme qui refuse de mettre au monde un enfant dans des conditions qu’elle juge impossibles.  Quitte à en passer pour elles par la peur, le traumatisme, l’humiliation et la « punition » avec  curetage à vif : à lire entre autres dans  L’Événement d’Annie Ernaux. Au printemps dernier  a été créé au Vieux-Colombier à Paris  avec les acteurs de la Comédie-Française, Hors la loi  de Pauline Bureau (voir Le Théâtre du Blog). Le drame de l’adolescente et le retentissant  procès qui a suivi,  y étaient incarnés, et en même temps mis en perspective avec la Marie-Claire d’aujourd’hui. Un travail clair et fort. 

À Gennevilliers aujourd’hui,  Émilie Rousset et Maya Boquet en éclairent les enjeux d’une autre manière. Elles ont collationné les documents, rencontré les témoins de l’époque : « Nous avons choisi des matériaux où il y a un rapport très fort au langage et à la représentation, par exemple les débats politiques et le procès » pour  «créer des formes théâtrales qui sont des sortes d’hypothèses de la réalité, révélant artificialité et merveilleux ». Nous voici donc invités à prendre place dans l’un des douze cercles de parole et d’écoute sur le double plateau du Théâtre de Gennevilliers. Stars, universitaires, avocats, prix Nobel : beaucoup de femmes parmi les grands témoins de l’époque mais aussi des hommes. L’avortement n’est plus seulement Une Affaire de femmes, selon le titre du film de Claude Chabrol (1988) sur la condamnation et l’exécution sous Pétain d’une femme qui pratiquait des avortements.

Ils se souviennent plus ou moins, parce que la mémoire trie, exagère, oublie et surtout ils  racontent. Ces textes portent la marque d’une époque de libération et de violence politique : on apprend, sidéré, qu’au moment où la contraception et l’avortement étaient encore illégaux en France (1972), ils étaient activement promus  à la Réunion, en vue d’un « équilibrage » ethnique selon son député « décomplexé » Michel Debré. On entend la journaliste Claude Servan-Schreiber affirmer que, oui, elle est une bourgeoise et qu’ elle a ainsi pu avorter dans de bonnes conditions en Suisse : la liberté des femmes est encore une question de classe sociale. On écoute le témoignage du professeur Milliez : « Je ne vois pas pourquoi nous, catholiques, imposerions notre morale à l’ensemble des Français. »

Chaque prise de parole dure environ un quart d’heure, puis l’auditeur et le comédien changent de cercle. Car il s’agit bien de comédiens qui jouent un rôle précis : faire passer une parole, une vie. Un jeune homme joue Françoise Fabian, témoin au procès  mais peu importe, il entend l’humour, l’intelligence, l‘élégance de la comédienne et nous les restitue avec sa propre vivacité. On le retrouvera plus tard en professeure de sciences politique ou en médecin. « C’est aussi une façon de recréer pour le-la spectateur-trice, le rapport que nous avons eu, Maya et moi, à ce document d’archives : naviguer entre les plaidoiries, les réquisitoires, les témoignages et choisir ensuite d’aller interroger telle ou telle personne. »

 Ces vérités multiples prennent de plus en plus de vie au fur et à mesure du parcours. C’est entendu, on ne pourra pas tout voir ni tout entendre mais tous ces points de vue construisent une vérité passionnante et ouverte, sans pour autant tomber dans le relativisme. Le plaisir grandit. Quand on nous a annoncé le dispositif avec casque d’écoute, on pouvait s’inquiéter d’un recours à la technologie, d’un projet conceptuel. Rien de cela : tout fonctionne avec une parfaite économie et une toute aussi parfaite efficacité ; le réglage impeccable du son y est pour beaucoup, comme les circulations aisées.

 L’invention de cette forme théâtrale est en parfaite adéquation  avec le projet philosophique. La scénographie est celle de l’écoute mais sur les deux fonds  de scène opposés, des images du Palais de justice nous font un petit signe de biais, légèrement ironique : pesanteur solennelle des colonnes que le procès de Bobigny a ébranlées, Justice incarnée par une figure féminine d’une puissance illusoire, gros plans sur le masculin et le féminin de quelques statues, et même sur une feuille de vigne… Nous sommes captivés par cette adresse personnelle et vivante. Voilà du gai savoir, profond, effervescent. Voilà une Reconstitution comme en donne parfois le meilleur théâtre : un faisceau de pensées et d’émotions (qui, elles-mêmes, donnent à penser) à partager et qui ouvrent des espaces immenses.

Christine Friedel

Le spectacle a été joué au Théâtre de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis), du 10 au 14 octobre.

Théâtre de la Cité Internationale, Paris (XIVème), les 19 et 20 octobre.
 Et en Val-de-Marne : au P.O.C. d’Alfortville, le 16 novembre et au Théâtre de Rungis, le 30 novembre.

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October 13, 2019 3:54 PM
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L'enfance et l'extravagance en scène

L'enfance et l'extravagance en scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Sur le site de l'émission d'Aurélie Charon sur France Culture : "Tous en scène"  13/10/2019

 

Ecouter l'émission en ligne sur le site de France Culture


La metteure en scène Macha Makeïeff met en scène "Lewis versus Alice" et sonde l'univers et la personnalité de Lewis Carroll avec fantaisie et folie. La chorégraphe Mathilde Monnier avec ses complices La Ribot et Tiago Rodrigues imagine le spectacle "Please Please Please". LIVE : Rosemary Standley

Macha Makeïeff, auteure, metteure en scène, directrice du Théâtre de la Criée (Marseille). Son spectacle Lewis Versus Alice, qui s’est joué jusqu’au 13 octobre au Théâtre Gérard Philippe (Saint-Denis) part en tournée en France jusqu’en janvier 2020, à commencer par Le Quai (Angers) du 17 au 19 octobre : un spectacle musical écrit à partir d’une matière composite, issue aussi bien des œuvres de l’auteur d’Alice au pays des merveilles (De l’autre côté du miroir, Sylvie et Bruno, La Chasse au Snark...) que de son Journal et des écrits de ses contemporains sur lui (Virginia Woolf, Louis Aragon...). C’est une plongée dans l’univers fantasmatique de Lewis Carroll, où sa biographie croise les visions oniriques d’un poète qui “défend un état d’enfance un peu sauvage”, un état que Macha Makeïeff cherche à saisir en mots et en musique. 

Elle publie "Zone Céleste" aux Editions Actes Sud.

Geoffrey Carey, comédien du spectacle

Mathilde Monnier, chorégraphe, ex-directrice du CND (Pantin). Avec le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues et la chorégraphe et vidéaste espagnole La Ribot, elle présente Please Please Please : un trio à découvrir le 15 octobre à L’Espace 1789 (Saint-Ouen) puis du 17 au 20 octobre au Centre Pompidou (Paris), avec le Festival d’Automne à Paris et le programme New Settings de la Fondation Hermès, dans le cadre du portrait que le Festival consacre à l’artiste La Ribot ; en tournée en France, Suisse, Portugal, Espagne et Italie jusqu’en septembre 2020. Usant du texte et de la danse, ils questionnent ce que l’institution, de l’école au centre d’art, fait aux corps ; et en miroir, ce que la marginalité fait à la norme et à la discipline. Mathilde Monnier a dirigé le Centre National de la Danse (Pantin) jusqu’en juin 2019, un lieu dont elle a fait en cinq ans un Centre d’Art pour la Danse ; c'est aussi à l’aune de sa carrière, chorégraphe depuis les années 1980, qu’elle évoque cette performance sauvage, co-signée via “un pacte dérégulé par lequel tous trois s’engagent à préserver ce que la danse a de plus indomptable”... 

LIVE : Rosemary Standley, musicienne, chanteuse. Avec le pianiste Clément Griffault, qui partage la scène de Lewis Versus Alice à ses côtés, elle joue en studio deux morceaux dont l’un est issu du spectacle : Alice et Lewis (Soon will come too soon). 

INTERVENANTS
Macha Makeïeff
Metteuse en scène, directrice du Théâtre de la Criée (Marseille)


Mathilde Monnier

Chorégraphe

 

Rosemary Standley
chanteuse

 

et aussi Geoffrey Carey, comédien et Clément Griffault, pianiste.

Légende photo : Lewis versus Alice, Macha Makeieff• Crédits : Christophe Raynaud de Lage

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October 11, 2019 8:11 PM
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Clotilde Hesme fait danser Sylvester Stallone

Clotilde Hesme fait danser Sylvester Stallone | Revue de presse théâtre | Scoop.it

La comédienne est à l’affiche du Centquatre, à Paris, dans une pièce qu’elle a conçue avec Fabien Gorgeart, d’après une nouvelle d’Emmanuèle Bernheim.

Par Fabienne Darge dans Le Monde du 12 octobre 2019

Ne pas se priver d’un moment de grâce : au Centquatre, à Paris, Clotilde Hesme joue Stallone, d’après un texte d’Emmanuèle Bernheim, et c’est un spectacle qui a un charme fou, à l’image de cette belle comédienne, libre et aventureuse. Emmanuèle Bernheim, morte en 2017, à 61 ans, écrivait des romans, des scénarios et des articles pour Les Cahiers du cinéma. Elle aimait les films d’action américains, et plus particulièrement ceux de Sylvester Stallone.

En 2001, à l’invitation du Monde, elle a fait de cette passion le point de départ d’une nouvelle, Stallone (Gallimard, « Folio »). C’est un livre comme elle savait en écrire : court, filant à toute vitesse de la (re) naissance à la mort, sans lourdeur et sans pathos. Son héroïne, Lise, qui végétait doucement dans sa petite vie de secrétaire médicale, décide de reprendre en main son existence, après avoir vu Rocky III au cinéma.

A partir de là, la célèbre chanson du film, Eye of the Tiger ainsi que toute la filmographie de l’acteur vont l’accompagner, comme un de ces ressorts secrets, en apparence anodins, qui sous-tendent une existence. Lise va reprendre ses études de médecine, se mettre à la boxe, se marier, avoir des enfants. Stallone est là, toujours, comme un talisman. Qui ne la protégera pourtant pas jusqu’au bout du tragique de l’existence.

Avec classe et humour
Rien ne pèse dans ce texte qui célèbre la force de la fiction et l’importance de l’art dans nos vies, et pose par petites touches, au fil du fulgurant parcours de son héroïne, nombre de notations sur ce qu’il en est de se construire une existence. Et rien ne pèse dans l’interprétation de Clotilde Hesme, qui a conçu le spectacle en compagnie de deux complices, le cinéaste Fabien Gorgeart, avec qui elle a tourné Diane a les épaules (2017), et le musicien et comédien Pascal Sangla, qui l’accompagne sur le plateau.

Et les voilà, sur ce plateau nu, lui assis devant sa console, elle debout au micro, passant du récit à l’incarnation avec une fluidité aérienne. Lui, aux manettes d’une écriture sonore délicate, elle, avec son corps de grande gigue, sa féminité et son côté garçon manqué, en jean et sweat-shirt rouge, très années 1980. Clotilde Hesme fait danser les mots d’Emmanuèle Bernheim comme elle fait danser le corps du boxeur Rocky Balboa, avec une classe et un humour qui n’appartiennent qu’à elle, dans cette partition où, sans doute, elle livre aussi en filigrane quelque chose d’elle.

Sylvester Stallone, lui, n’apparaîtra que de manière imperceptible, comme un fantôme. Une image mentale qui accompagne l’héroïne et qui, pour une part, la constitue. Ainsi en va-t-il, dans cette soirée tout à la fois pleine de mélancolie et de vitalité, dont on sort avec l’envie de chanter à tue-tête « It’s the eye of the tiger, it’s the thrill of the fight »…

Stallone, d’après Emmanuèle Bernheim. Conception : Fabien Gorgeart et Clotilde Hesme. Mise en scène : Fabien Gorgeart. Festival d’Automne, le Centquatre, 5, rue Curial, Paris 19e. Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 17 heures, jusqu’au 26 octobre. Durée : 1 h 15. De 16 € à 18 €.

Fabienne Darge

 

Légende photo : Clotilde Hesme dans « Stallone », d’après Emmanuèle Bernheim. Huma Rosentalski

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October 11, 2019 6:53 PM
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Rêves d’Occident de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Jean Boillot.

Rêves d’Occident de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Jean Boillot. | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 11 octobre





Rêves d’Occident, texte de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Jean Boillot.

 Pour Jean-Marie Piemme, auteur associé au Nest – CDN transfrontalier de Thionville – Grand Est – et le metteur en scène Jean Boillot qui en est le directeur jusqu’en décembre 2019, la magie d’enfance et ses manipulateurs ont disparu de l’imaginaire.

La dimension fantastique est remplacée par l’idéologie du Progrès qui prétend dominer la Nature et « augmenter » l’Homme par le savoir et la technique – choisir la couleur des yeux de son enfant, lui accorder plus ou moins telle aptitude physique…

La pièce tragi-comique Rêves d’Occident inspirée de La Tempête de Shakespeare se donne tel un conte théâtral et musical autour du rêve prométhéen de l’Occident.

Mais jusqu’où aller dans la maîtrise du monde sans qu’il ne se retourne contre soi ?

Métamorphose des rapports Nord-Sud, permanence des relations bousculées entre les parents et les enfants qui souhaitent s’émanciper, le spectacle condense un progrès de cinq siècles, depuis les premières dissections jusqu’à l’homme augmenté.

Prospero, homme de savoir et de pouvoir, a fui son duché de Milan car ses recherches sur les secrets de la Vie ont monté l’Eglise et le peuple contre lui mais il n’en réalise pas moins son rêve, édifier une grande ville, modèle de progrès collectif.

Un souvenir plutôt récent de notre propre temps où la création de villes nouvelles se présentait à l’esprit et à la vue comme l’invention ultime d’une modernité épanouie.

Tout est possible sur l’île de Prosperia, inspirée de la cité idéale de la Renaissance.

Le personnage emblématique est interprété avec brio par Régis Laroche qui joue aussi son frère ennemi Antonio, usurpateur du pouvoir, fantôme de sa conscience.

A ses côtés, mais de manière de plus en plus distante, Ariel, le précepteur de Miranda, fille de Prospero, et le bouffon du roi, est incarné par la verve joyeuse de Philippe Lardaud, qui s’amuse entre la mélancolie du philosophe et l’art du clown.

Cyrielle Rayet est une princesse volontaire et vindicative, qui passe de l’enfant soumise à une jeune fille rebelle qui sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas.

Sycorax – Isabelle Ronayette à la présence scénique ludique – est la shaman de l’île.

Compagne de Prospero, elle est une amoureuse qui ne prendra conscience que fort tard de la nuisance perverse que le pouvoir occasionne chez son amant et savant.

Caliban que joue Axel Mandron est le fils de Sycorax – une figure de résistance à la tyrannie royale. Et Xénia par Nikita Faulon est une naufragée glamour de manga, une héritière associée au rêve de Prospero d’un centre de recherche pour l’éternité.

Or, le savoir provoque un sentiment de pouvoir auquel l’autre/adversaire résiste. Prospero ne maîtrise ni ses connaissances ni sa raison ni son équilibre mental.

Il finira seul puisque son fils adoptif, sa fille et son épouse auront plié bagages.

Pour l’accompagnement épique de ce conte théâtral et musical, une composition de Jonathan Pontier fondée sur un instrumentarium autour du bois et du métal, un jeu de voix qui s’amuse des cultures et des vocalités autres et mélangées, des partitions vocales qui voyagent entre le parlé et le chanté, entre chuchotis et déclamations.

Mathilde Dambricourt et Lucie Delmas, musiciennes aux jolis atours dans les costumes de Pauline Pô, officient à vue dans la fosse, se répondant de cour à jardin et vice-versa. De même, Géraldine Keller qui incarne Liane sur la scène, une soubrette au parler franc et populaire belge, est une figure comique plaisante qui n’en demeure pas moins une chanteuse lyrique de talent.

La scénographie de Laurence Villerot accorde des perspectives de fuite à l’intérieur d’un théâtre à l’italienne réinventé, un manteau d’arlequin redistribué et recadré que cernent fragments de lambris désajustés, et dont le mur de lointain reçoit les images vidéo d’Emilie Salquèbre et d’Olivier Irthum.

Une forme hétéroclite revendiquée, la métaphore signifiante d’un monde à vau-l’eau.

Aussi, une société sous vidéo-surveillance et les lumières d’écrans de toutes sortes : la rue nocturne où se fomentent les oppositions et les rébellions est à proximité des foyers. On verra même Prospero errer en Roi Lear et en folie sur une lande désolée.

Un récit en vrac d’une épopée contemporaine avec son lot de péripéties et de rencontres humaines, entre folie des grandeurs, jalousie, rivalité pour le pouvoir, déni de la réalité des sentiments et solitude extrême pour une fin de parcours existentiel.

Le spectacle composite pourrait gagner en rythme et en conviction en se resserrant.

Il n’est demeure pas moins un juste miroir menaçant pour l’homme et sa planète, tendu politiquement au public par le biais d’excellents comédiens et musiciens.

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité internationale, 17 bd Jourdan 75014 – Paris, du 7 au 26 octobre, lundi, vendredi 20h, mardi, jeudi, samedi, 19h, relâche mercredi et dimanche. Tél : 01 43 13 50 60.

 

Crédit photo : Arthur Pequin

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October 11, 2019 10:00 AM
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Le théâtre de Kafka, article de Jean-Pierre Han

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Par Jean-Pierre Han dans  Les Lettres Françaises, février 2019

 

 

Notre appréhension de l’oeuvre de Kafka – fortement établie depuis des lustres – risque-t-elle de changer avec la publication des deux volumes de la Pléiade dirigée par Jean-Pierre Lefebvre avec la collaboration d’Isabelle Kalinovski, Bernard Lortholary et Stéphane Pesnel ? Ce qui est sûr c’est que cette édition diffère en bien des points de celle précédemment parue en quatre volumes dans la même collection entre 1976 et 1989, sous la direction de Claude David. D’abord parce que par-delà les différences naturelles des traductions, celles-ci ont parfois été établies sur des textes qui ne sont pas tout à fait les mêmes, notamment dans leur organisation. Chacun – et bien évidemment Max Brod le premier, à qui nous devons la connaissance de l’oeuvre de Kafka puisqu’il a passé outre les recommandations de l’auteur de détruire une masse d’écrits de toutes sortes, et de ne pas réimprimer ce qui était déjà paru – y a été de son agencement des écrits et ensuite de son commentaire. En somme le corpus a quelque peu changé. L’édition de Jean-Pierre Lefebvre a pour base l’édition critique publiée en 18 volumes en Allemagne par Fischer entre 1982 et 2013. C’est elle qui désormais fait loi, et en ce sens la présente édition de la Pléiade est un événement, en même temps qu’elle nous restitue un Kafka de notre temps. Il faut louer ici le travail de Jean-Pierre Lefebvre et de ses collaborateurs, les introductions du premier nommé et l’appareillage critique étant de tout premier ordre.

 


Kafka et le théâtre

Nous autorisant de ce qu’écrit Jean-Pierre Lefebvre dans son introduction du premier volume consacré aux Nouvelles et récits : « Mais la fin de l’année 1911 fut surtout marquée par un événement extérieur que toute la critique considère comme majeur dans la vie intellectuelle, voire dans la vie affective de Kafka : sa rencontre plus personnelle avec la troupe de théâtre yiddish de Jizchak Löwy, qui s’installa à Prague pendant près de quatre mois. Elle fut comme une révélation, une incidence sur sa pensée et son écriture, fut considérable et définitive », et en renversant la proposition, on pourra se poser la question de savoir pourquoi, dans la cohorte des écrivains contraints d’affronter les feux de la rampe à leur insu, Kafka a été autant sollicité. À telle enseigne que dans bon nombre d’ouvrages critiques qui lui sont consacrés, on trouve une rubrique concernant les principales mises en scène de ses oeuvres. Sont cités, entre nombreux autres, Jean-Louis Barrault à plusieurs reprises (il y a souvent récidive avec Kafka), Antoine Bourseiller, Henri Ronse, Philippe Adrien (lui aussi récidiviste patenté)… Cette saison c’est le grand metteur en scène polonais Krystian Lupa qui y est allé de sa mise en scène du Procès… Bref on n’en finit pas de vouloir liquider Monsieur Joseph K., double de Kafka comme chacun sait.

C’est une longue histoire que celle de Kafka avec le théâtre. Pourtant hormis quelques fragments dialogués, nous ne connaissons de l’auteur pragois qu’une seule pièce, inachevée comme la plupart de ses écrits, Le Gardien du tombeau, traduit dans l’édition Jean-Pierre Lefebvre Le Gardien de la crypte, un texte à propos duquel Henri Politzer évoquait les noms de Hugo von Hofmannstahl et de Maurice Maeterlinck.

Très tôt, et bien avant sa rencontre avec les acteurs juifs, Kafka s’est intéressé au théâtre. Étudiant il fréquentait assidûment le Théâtre tchèque et le Théâtre allemand (le Deutsches Nationaltheater) tout comme il hantait les soirées poétiques et les conférences. Plus tard il fera la connaissance de Paul Claudel, ira à Paris et assistera à une représentation de Phèdre à la Comédie-Française… Toutes choses anecdotiques en regard de sa rencontre, en octobre 1911 donc, au Café Savoy, à Prague, avec Jizchak Löwy, le directeur d’une troupe de théâtre juive itinérante (par la force des choses), une troupe en butte aux mille et une misères et vexations réservées aux gens de la profession. Dans son Journal (qui fera l’objet d’un troisième volume de la Pléiade), Kafka parle très longuement, sur plus d’une centaine de pages, de ses relations avec Löwy et le théâtre. Les pièces jouées par Löwy et ses compagnons en yiddish dans le quartier mal famé du café Savoy sont décrites avec une minutie toute particulière.

Le regard que porte Kafka sur le théâtre n’est pas celui d’un écrivain ordinaire. Ce n’est pas tant le contenu littéraire des pièces qui l’intéresse que la manière physique dont elles sont représentées, ce en quoi il semble plutôt être de notre temps que du sien. Il s’attarde volontiers à décrire les décors, les costumes, tel geste significatif de tel acteur ou de telle actrice. Écoutons-le faire cette description quasi clinique de Tilly, la femme de Wedekind : « voix claire et bien détachée de la femme. Visage étroit en forme de croissant de lune. Le bas de la cuisse se détache latéralement quand elle est debout et immobile. » Ou encore à propos de la Dubrovnicka Trilogie d’Ivo Vojnovic : « Du deuxième acte, je ne retiens qu’un cou délicat de jeune fille qui, partant d’épaules vêtues de rouge brun entre des manches bouffantes, s’allonge et se tend vers une petite tête. Du troisième acte, le frac froissé et le gilet de fantaisie sombre, barré d’une chaîne de montre en or, descendant des anciens Gospodars courbés par l’âge. » Il parle des coulisses et décrit loges et vestiaires des acteurs avec un « amour constant ». Tant et si bien qu’il finit par s’assimiler à la compagnie : « si seulement nous avions des décors… », « comment allons-nous jouer Der Wilde Mensch ? » Et ce qui devait arriver arrivera : il tombe amoureux d’une des actrices de la compagnie, Amali Tschissik…

Son amitié avec Löwy est réelle, et il rédigera plus tard ses souvenirs. Kafka se démène, aide son ami à organiser des tournées. Lui-même met sur pieds une soirée qu’il ouvre avec une conférence sur le yiddish. Dans ce sens, son expérience « théâtrale » est capitale, sa rencontre avec Löwy et ses acteurs juifs déterminante dans ses prises de position à l’égard du judaïsme (que Jean-Pierre Lefebvre explique parfaitement dans son introduction). Il y aura retrouvé ses racines culturelles profondes.
Une écriture « théâtrale »

Tout ceci n’explique cependant pas la profonde fascination qu’exerce Kafka sur les hommes de théâtre. Mais la façon dont l’auteur du Procès appréhendait les spectacles de Löwy coïncide quelque part avec sa manière d’écrire. Il y a ainsi, chez lui, un refus de tout ce qui est abstrait. Il pense et procède par images. Première perche tendue, semble-t-il, aux adaptateurs et metteurs en scène de théâtre et de cinéma. Malheureusement, comme le remarquait judicieusement Marthe Robert, l’une des traductrices de l’édition Claude David (avec bien évidemment l’« historique » Alexandre Vialatte), les images proposées par Kafka sont toujours en trompe-l’oeil ! Si, en outre, il s’emploie à décrire tel ou tel geste, l’« étonnement va toujours de pair avec la description. Il enlève au geste humain son sens traditionnel et en fait l’objet de réflexions sans fin », note Walter Benjamin. Tout est bien théâtre chez lui, mais souvent au sens péjoratif du terme. C’est ainsi que les réquisitoires, les jugements, les procès en mauvais théâtre, foisonnent dans son oeuvre. D’où aussi ses longues descriptions des décors, ces coups de projecteur sur les personnages secondaires, tous étranges, car nous savons à peine ce qu’ils sont, d’où ils viennent, etc. Les personnages principaux eux-mêmes semblent jouer dans des pièces aux répétitions desquelles ils n’ont pas été conviés, d’où leurs constantes bévues. Peut-être d’ailleurs se sont-ils tout simplement trompés de pièces.

Le théâtre, chez Kafka, ce sont les autres. Lui se contente de décrire physiquement ses personnages et de nous en donner des sortes de bulletins de santé. Pas étonnant que la notion de fatigue soulignée par Jules Supervielle, liée à la notion d’étouffement, soit capitale chez lui. Pendant ce temps-là le lecteur a l’impression de rêver, ou de faire un cauchemar, mais devient, sans qu’il y prenne garde, spectateur…



Jean-Pierre Han



Franz Kafka, Nouvelles et récits
Gallimard, La Pléiade, 1 318 pages, 65 €

Franz Kafka, Romans
Gallimard, La Pléiade, 1 052 pages, 60 €

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October 8, 2019 8:25 PM
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Maldoror, d’après Lautréamont, mise en scène et interprétation de Benjamin Lazar

Maldoror, d’après Lautréamont, mise en scène et interprétation de Benjamin Lazar | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 3 octobre 2019


Photo : Jean-Louis Fernandez

Maldoror, d’après Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont, mise en scène et interprétation de Benjamin Lazar, création musicale de Pedro Garcia-Velasquez et Augustin Muller.

Le comte de Lautréamont, alias Isidore Ducasse, naquit en 1846 en Uruguay et mourut 24 ans plus tard à Paris, au 7 de la rue du Faubourg-Montmartre. Il est l’auteur d’une œuvre d’une modernité fulgurante, Les Chants de Maldoror (1869), un livre confidentiel d’abord, puis fascinant les Surréalistes, Jarry, Henri Michaux…

Un livre d’aventures et de métamorphoses dont six chants racontent l’expérience existentielle de Maldoror, lequel « fut bon » au départ, une période relativement éphémère, à côté de celle plus longue où le même s’estime dur, méchant et cruel, à la manière de ces tristes hommes à l’humanisme absent, insignifiant et décevant.

Maldoror a aimé la femme du requin, a bataillé en « être imaginaire » avec la force d’un dragon et la faiblesse du désespoir, a disparu et est reparu selon des métamorphoses variées, avant d’affronter la mort et d’entrevoir l’arbre de la vie :

« Dans une nuit de veille, il sort lentement, l’un après l’autre, ses membres de sa couche. Il va réchauffer sa peau glacée aux tisons rallumés de la cheminée gothique…  Il contemple la lune qui verse, sur sa poitrine, un cône de rayons extatiques, où palpitent, comme des phalènes, des atomes d’argent d’une douceur ineffable. Il attend que le crépuscule du matin vienne apporter, par le changement de décors, un dérisoire soulagement à son cœur bouleversé. »

Un monde à l’envers où la tête en bas, on s’enivre malgré soi à l’excès.

L’univers sonore – une création musicale de Pedro-Garcia Velasquez et Augustin Muller – installe une ambiance à la fois feutrée et inattendue, composée de bruits et de sons improbables – ondes marines, cris de sirène ou de baleine, vibrations.

Vol d’oiseaux, danse des animaux marins, aimantation magnétique, boucles sinueuses du python, arabesques de pieuvre, courses de requins, les images océanes de violence brute et de confrontations fatales se succèdent dans le chaos.

De ces figures, entre excès et parodie, apparaît l’image d’un héros dépréciatif et satanique, en lutte ouverte contre Dieu, porté par l’élan d’une figure épique.

Imagination rebelle, fureur ou goguenardise, des sentiments explorés à l’infini.

Maldoror, être surhumain, est un archange du Mal, luttant contre le Créateur ridiculisé, et commettant des actes meurtriers sadiques sur de beaux jeunes gens.

Les scènes sont violentes – le malheur et la méchanceté y sont permanents. Les objets – tel un cheveu -, et les animaux parlent, les métamorphoses se multiplient.

Dandy solitaire du XIXè, Lautréamont est un insoumis, saisi de rêves sauvages, n’écrivant que la nuit, assis à son piano, et déclamant en plaquant des accords.

L’image rayonnante de ces chants au milieu de la nuit silencieuse fonde l’inspiration du metteur en scène éclectique, Benjamin Lazar :
“Dans une chambre de location, les vibrations musicales d’une feuille de papier accrochée à un clou sont les prémisses d’une tempête au centre de laquelle se cache le personnage de Maldoror.”

Le comédien et metteur en scène interprète la figure héroïque obscure, sûr de son élocution claire et de sa phrase bien scandée, égrainant un beau poème articulé.

La scénographie d’Adeline Caron et de John Carroll soutient la verve mesurée et contrôlée de l’artiste, dont le lit de fer ouvragé d’une chambre est couvert de fleurs colorées – belle et grave couche d’un agonisant en même temps que fête florale.

Un espace de travail – un établi design et figuré – sert d’évocation d’une scène première, où, lors d’une soirée d’enfance, le père du héros lit, tandis que sa mère coud et que lui-même est en train d’écrire. Aller récupérer des ciseaux à la demande de la mère représente une entreprise pleine de péripéties et de rebondissements.

Une voile de bateau est montée ou démontée sur la scène, et l’on voit, répercutée sur l’écran du lointain proposé au regard du public, des images renversées de la réalité urbaine, un film en noir et blanc, – passages et immeubles de la rive droite – comme des régions – promenades à l’ombre des clairières sous un dais forestier.

Peu à peu, le héros se métamorphose, passant de l’homme à la femme, racontant des scènes atroces inattendues, d’un ton critique et ironique. Il brille, radieux, dans la nuit qui l’entoure, à travers son éloquence et sa propension à dire la prose poétique.

Une leçon de songes noirs à l’imaginaire débridé et rattrapé au vol par l’acteur.

Véronique Hotte

Athénée – Théâtre Louis-Jouvet, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau 75009 – Paris, du 2 au 5 octobre et du 16 au 19 octobre à 20h,  le mardi 15 octobre à 19h. L’autre monde ou les états et empires de la lune, du 8 au 12 octobre.Tél : 01 53 05 19 19.

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October 8, 2019 8:02 AM
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Théâtre : Le rêve éveillé du « Livre de la jungle »

Théâtre : Le rêve éveillé du « Livre de la jungle » | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Brigitte Salino  dans Le Monde Publié le 04 octobre 2019

 

Bob Wilson met en scène un spectacle d’une beauté souvent intrigante, une métaphore qu’il puise dans sa propre enfance.

« Jungle Book », par Robert Wilson, au Grand Théâtre de Luxembourg, le 22 avril 2019. LUCIE JANSCH

Vous pouvez emmener les enfants : Bob Wilson a créé Jungle Book (Le Livre de la jungle) pour eux, ce qui, dans son esprit, veut dire pour chacun, quel que soit son âge. Car le temps ne prend pas de rides quand il a le visage de Mowgli, ce petit d’homme qui court dans l’imaginaire de nos vies, comme Peter Pan, à qui Bob Wilson avait consacré un spectacle en 2013. Mais Jungle Book s’inscrit aussi dans la lignée des fabuleuses Fables de La Fontaine créées à la Comédie-Française, en 2004 : pour le Texan de génie, les animaux sont les meilleurs alliés du théâtre, parce qu’ils nous apprennent à regarder et à écouter.


Dans Jungle Book, ils habitent un monde du rêve éveillé, qui se détache sur de grands cieux aux lumières mouvantes, et qui se déhanche sur la musique de CocoRosie, jouée en direct. La jungle est partout où un enfant abandonné est livré à un entourage dont l’hostilité le dispute à la bienveillance. Ce n’est pas un livre d’images, comme dans le dessin animé de Walt Disney, mais une métaphore, qui sûrement puise dans la propre enfance de Bob Wilson. Et, évidemment, c’est beau, d’une beauté souvent intrigante, à couper le souffle.


De grandes silhouettes

Kaa le serpent, Shere Khan le tigre, Bagheera la panthère, Baloo l’ours, le père et la mère ours, le chacal… ils sont tous là, dessinés comme de grandes silhouettes dans un monde où Mowgli, même grand, paraît petit. Frêlement joué par Yuming Hey, ce Mowgli semble effacé. On s’attache plus à ceux qui l’entourent et qui nous laissent légers, emplis d’un bonheur d’enfant rêvant, quand se referme ce Jungle Book promis à un bel automne.

Jungle Book, d’après Le Livre de la jungle, de Rudyard Kipling, mise en scène de Robert Wilson. Avec Aurore Déon, Naïs El Fassi, Yuming Hey, Roberto Jean, Jo Moss, Olga Mouak, Nancy Nkusi, François Pain-Douzenel, Gaël Sall. 13e Art, Paris 13e. Du mardi au vendredi à 19 h 30 ; samedi à 15 heures et 19 h 30 ; dimanche à 15 heures. De 10 à 28€. Durée : 1h15. Jusqu’au 8 novembre. Dans le cadre du Festival d’automne.

Brigitte Salino

Légende photo : « Jungle Book », par Robert Wilson, au Grand Théâtre de Luxembourg, le 22 avril 2019. 

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October 6, 2019 4:00 PM
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Jean-Pierre Bodin : “ Cette création est un acte politique ”

Jean-Pierre Bodin : “ Cette création est un acte politique ” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sébastien Acker dans La Nouvelle République 
Publié le 04/10/2019 


Jean-Pierre Bodin est de retour en création avec un propos engagé et affûté sur le monde du travail. En vue, une résidence et trois dates à venir à Niort.

On l’avait quitté à l’été dans l’effervescence de son 1.010e « Banquet de la Sainte-Cécile » au cœur de son cher Festival au village de Brioux ; en cet automne, on retrouve le comédien et auteur à Niort en pleine création de « L’entrée en résistance », dans les starting-blocks d’une résidence au Moulin du Roc, du 21 octobre au 5 novembre, sachant que, dans la foulée, la scène nationale diffusera le spectacle en trois premières, à Saint-Symphorien le 8 novembre, puis au Patronage laïque de Niort.
On retrouve surtout Jean-Pierre Bodin tel qu’il est, intarissable sur la continuité de son œuvre chevillée au monde du travail, dans une ébullition permanente animée par une passion hors du commun pour le théâtre, son théâtre, engagé dans cette noble altérité qui l’anime, toujours prompt à dégainer un sujet de fond dans l’air du temps sur le monde ouvrier.


Galvanisé par son éternel enthousiasme, le petit-fils d’ouvrier, régisseur les mains dans le cambouis devenu cet auteur et comédien qui aime toujours autant agir, revient à son terrain de prédilection. Celui de ses mémoires d’«Ouvriers niortais » à Boinot en 2013. Retour, aussi, à sa tribune préférée avec sa compagnie La Mouline, basée à Niort. « C’est un acte politique. Ce théâtre, c’est le dernier endroit où tu as 300 personnes réunies en même temps sur la même chose et où chacun peut mettre au centre sa pensée en s’emparant de l’imaginaire », glisse-t-il, le regard sémillant et si finement affûté.


“ Il sait mettre des mots sur l’inexplicable ”
La pensée, la réflexion, la rencontre des intelligences, c’est bien le sujet. Dans « L’entrée en résistance », il ouvre le champ de toutes ces poches de résistance souterraines d’une base qui, au travail, crée des espaces de réflexions et des méthodes autonomes, hors des instances conventionnelles. Des actes informels, en phase avec l’amour du métier et une réalité du terrain face aux injonctions des nouveaux managements, comme un engagement en résistance pour esquiver notamment ces souffrances et incompréhensions qui peuvent confiner au drame.
Jean-Pierre Bodin avait d’ailleurs abordé le suicide au travail dans sa précédente création « Très nombreux, chacun seul » (2012). Ainsi avait-il rencontré Christophe Dejours, fondateur de la psychodynamique du travail, et noué une telle complicité que le croisement entre théâtre et recherche est devenu une évidence partagée. A la coécriture avec l’éminent psychanalyste, professeur de psychologie au Cnam et avec la créative Alexandrine Brisson, Jean-Pierre Bodin partage la scène avec les deux co-auteurs sur « ce sujet innovant créé par d’émergents seniors qui ont conscience que ce n’est pas une utopie, mais une démarche ».
Sacré pari pour le chercheur à l’agenda hyperchargé et rompu aux conférences de se retrouver en scène pour plus de 30 dates jusqu’au Théâtre de La Reine blanche à Paris, au carrefour des arts et des sciences. « Christophe Dejours a absolument compris les vertus de ces arts premiers pour mettre en route la pensée, partager les recherches qui l’animent. Il sait mettre les mots sur l’inexplicable », estime un Jean-Pierre Bodin à la passion d’autant plus contagieuse qu’elle est dotée d’une raison très profonde.


« L’entrée en résistance », de et par Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Christophe Dejours, mardi 5 novembre, 20 h 30, Espace des moulins à Saint-Symphorien ; Patronage laïque à Niort, vendredi 8 novembre (20 h 30) et samedi 9 novembre (19 h). De 7 € à 15 €. Tél. 05.49.77.32.32.


Sébastien ACKER
Journaliste, rédaction de Niort

 

Légende photo : Jean-Pierre Bodin a notamment nourri auprès d’agents forestiers le propos de cette pièce écrite à trois coauteurs.   © Photo NR

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October 4, 2019 7:01 PM
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Les Francophonies des Ecritures à la scène 2019

Les Francophonies des Ecritures à la scène 2019 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 1er oct. 2019

 

 

Les Francophonies des Ecritures à la scène 2019

Son nouveau directeur Hassane Kassi Kouyaté, a programmé ce festival en deux  fois (voir Le Théâtre du Blog). En ce moment, Les Zébrures d’automne et, en mars  prochain, Les  Zébrures de printemps, surtout consacrées aux écritures francophones. Pour l’heure: théâtre, cirque, danse, poésie, musique et quelques films à l’appui des spectacles. Chaque jour, des rencontres avec les artistes puis quelque quatre spectacles et un concert jusque tard dans la soirée. Au centre ville, une ancienne caserne a été investie pour être un lieu de rencontres et d’échanges… Plusieurs créations verront le jour  au fil de ces deux semaines  avec un public nombreux et curieux. Ce festival a la particularité de nous faire voyager dans les vastes territoires de la Francophonie et d’interroger cette notion aujourd’hui sujet à controverse.

Le petit peuple de la brume  par le Théâtre du Papyrus ( jeune public )

Qu’y a-t-il au-delà de la cheminée? Derrière un violoniste, tels les personnages du Joueur de flûte de Hamelin, nous entrons à la queue-leu-leu dans une grotte enfumée. Des enfants nous précèdent, brandissant des clochettes pour ne pas se perdre. Petits et grands prennent place sur les gradins, face à un paysage désolé. Au  milieu des ruines, bois calciné, un petit lac volcanique crache des fumerolles inquiétantes et toute vie semble impossible dans ce désert aride.

Trois comédiens-musiciens vont révéler au public un étrange univers et nous allons découvrir un peuple de minuscules bonshommes, réfugiés dans des trous pour se protéger du froid. Manipulés avec délicatesse  par les artistes, ils vont reconquérir leur territoire… Un petit garçon, plus hardi que les autres et encouragé par les acteurs, s’aventure au bord du lac et affronte un dragon qui a causé la catastrophe mais qui sera apprivoisé; grâce à son feu, il redonnera vie à la Nature…

Ce message d’espoir, distillé en images et à hauteur d’enfant, échappe à tout didactisme; et fantastique et poésie s’y donnent rendez-vous. Même si le texte est plus improvisé qu’écrit (dommage!) et si le récit manque de fil rouge, on entre avec plaisir dans ce monde. Les figurines miniatures (en mousse habillée de sisal) ont un aspect minéral et semblent naître de la lande brune. Et le dragon dont le cou émerge de l’eau bouillonnante, prend l’aspect d’un tronc d’arbre mort et souffle flammes et fumée. Le quatrième marionnettiste, invisible sous les collines du pays de la brume, manipule d’une main sûre, cette bête pas si effrayante que ça: mi-dinosaure, mi-monstre du Loch Ness…

A l’heure où l’on sonne l’alarme sur le devenir de la planète, ce spectacle, créé en 2002, est toujours d’actualité, même si les tout-petits n’en perçoivent pas bien le message. Il aura fallu venir à Limoges pour découvrir cette compagnie belge qui a déjà beaucoup voyagé…



Koteba de Seydou Boro

«Comment peut-on mettre un enfant au monde et vouloir sa mort? Comment peut-on utiliser le sexe comme arme de guerre ? Paroles chorégraphiques, tissées d’images et de gestes,  le solo teinté de vaudou et de butô invoquera des mots qui claquent et qui dansent.»

Ainsi Seydou Boro définit sa dernière création -comme interprète. En robe rouge, torse et visage grimés, c’est une étrange créature au corps d’homme mais aux gestes féminins qui apparaît. Inceste, viol, abus… Comment dire l’indicible? Une danse sinueuse inspirée du boûgô, un rite de la société secrète des Yonyonsés, rappelle étrangement les danses orientales. Et les mots durs, susurrés au micro et avec délicatesse par Seydou Boro, contredisent une gestuelle douce, éloignée de la violence verbale exprimée. Bien plus puissants et plus efficaces sont les regards et la mimique accablée de son personnage quand il fait face au public. On reste, quarante-cinq minutes durant, sous le charme de la technique très personnelle de cet artiste à l’étrange présence qui a longtemps travaillé avec Salia Sanou, danseur et chorégraphe burkinabé. Avec lequel il dirige une compagnie et a le désir de sortir des stéréotypes folkloriques traditionnels. Ensemble, ils créent à Ouagadougou (Burkina Faso), la Termitière, un centre chorégraphique. Seydou Boro y travaille ses propres créations mais forme aussi de jeunes générations d’interprètes et offre un programme  de spectacles contemporains… Il  renouvelle ici le koteba, une forme du théâtre traditionnel bambara.

 



Errances chorégraphie d’Auguste Ouédraogo et Bienvenue Bazié

Ce solo s’est construit après une rencontre avec le sculpteur Jean-Philippe Rosemplatt, dont Auguste Ouédraogo a découvert les œuvres. Entre autres, Le Fardeau, figurant un homme debout, portant comme le poids de sa vie sur son dos courbé. Mais c’est l’appel d’un ailleurs que le danseur y lit et qui va le mettre en route? lui faire explorer et développer une gestuelle. Et comme lui, le faire aller, au-delà de son cadre quotidien, vers une nouvelle vie.

L’idée même de ce voyage se transpose en mouvements et le dialogue s’instaure entre la statue, figée et l’homme qui se meut sans hâte, avec l’espoir d’un avenir meilleur. Errances traite des migrations humaines, aussi vieilles que le monde mais qui se multiplient aujourd’hui. Auguste Ouédraogo questionne en douceur cet arrachement que lui évoque ce Fardeau, donnant vie à cette statue, avec une danse terrienne et puissante. Les deux solos de ce programme, très différents, sont un aperçu des créations personnelles d’artistes africains.

 

 


Le Pire n’est pas (toujours) certain, texte et mise en scène de Catherine Boskowitz

La représentation justement commence dans le bruit et la fureur. Sur le plateau nu, derrière un voile transparent, les comédiens tracent des signes au sol et prennent des mesures… Leur tapage brouillon cesse bientôt, leurs dessins sont recouverts de draps, pour faire place à un homme en longue robe qui psalmodie le prose chantante du Soulier de satin de Paul Claudel, nous menant directement aux confins de l’Europe. Un marin, agrippé à un mât, scrute l’horizon vers Lampedusa et l’île de Malte. On entend un récit de sauvetage en mer… Les rescapés deviennent des marionnettes que l’administration fait tourner en bourrique.

La vieille Europe, affublée de cornes, exhibe ses  gros seins (allusion au mythe grec de la princesse Europe enlevée par Jupiter déguisé en taureau). Elle siège, satisfaite, au concert inaudible des Nations dont les représentants n’en finissent pas d’invoquer les crises migratoires. Autres personnages de ce conte actuel situé dans un futur proche : une fée-clochette au nez de clown se moque des discours stéréotypés des politiques que Catherine Boskowitz démonte, en apportant d’autres points de vue. Un chien se prend d’affection pour un jeune garçon échoué sur une plage et l’accompagne jusqu’à la frontière impénétrable de Macédoine. Il nous raconte avec humour le quotidien des camps qui jalonnent les Balkans et le sort tragique des candidats à l’exil… Une femme  attend depuis des mois au bord de la mer de passer en Europe… Des militants lui viennent en aide pour un voyage clandestin à travers plusieurs pays, grâce à un réseau international d’entraide… Oui, la solidarité existe, discrète et fragile… Et Catherine Boskowitz, fortement engagée dans cette cause, nous en fait mesurer les enjeux.

Les histoires croisées qu’elle a tissées sont portées par d’excellents comédiens, en particulier Marcel Mankita en chien jovial et Nanténé Traoré, émouvante dans le personnage de cette femme au bord de la mer. Mais les nombreuses pistes suivies risquent de dérouter le spectateur. Certes, il y a beaucoup à dire (et à faire) et la matière est complexe mais ici, les fils conducteurs ne sont pas faciles à démêler. Dommage car on s’attache aux personnages et certaines scènes ne manquent pas de force et emportent la conviction. Un vaste et ambitieux chantier, un travail en cours qui devrait gagner en rythme et clarté au fil des représentations. A suivre…

Mireille Davidovici

Spectacles vus à Limoges, le 27 septembre.

Zébrures d’Automne se poursuit jusqu’au 5 octobre.
Les Francophonies de l’écriture à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T.  : 05  55 10 90 10.

Le Petit Peuple de le brume (dès quatre ans), du 3 au 6 décembre, Théâtre Varia, 78 rue du Sceptre, Ixelles (Belgique)

Koteba, en octobre, Théâtre de l’Île, Nouméa (Nouvelle-Calédonie) et Festival Burkin’Arts à Villeneuve-lès-Avignon (Gard).

Le pire n’est pas (toujours) certain, du 28 au 30 novembre, Collectif 12, Mantes-la-Jolie (Yvelines) et du 10 au 22 décembre, MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

 

Photo : © Christophe Péan

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October 3, 2019 6:10 PM
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Les Francophonies des Écritures à la scène 2019 (suite)

Les Francophonies des Écritures à la scène 2019 (suite) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog - 3 octobre 2019


Les Francophonies des Écritures à la scène 2019 (suite)

 Aux Zébrures d’automne, chaque matin ont lieu des rencontres avec les artistes et des projections de films, remises de prix, entretiens… Ce qui, à l’orée des spectacles, élargit les échanges avec le public, toujours friand de débats, et entre professionnels. La notion de francophonie soulève en effet de nombreuses questions qui évoluent au fil du temps et un festival comme celui-ci permet, entre autres, d’en suivre l’actualité…  

 Entretien avec Felwyne Sarr

Avec un art consommé de l’interview, le directeur du Festival nous présente cet homme-orchestre sous un jour nouveau. L’auteur sénégalais a choisi la voie universitaire, sans pour autant renoncer à ses premières amours: la musique et à la littérature.  Romancier et poète, il a reçu plusieurs distinctions pour Afrotopia, un essai paru aux éditions Philippe Rey (2016) et qui vise à définir un futur original pour l’Afrique, en respectant l’esprit syncrétique préexistant à la colonisation dans les sociétés de ce continent.
Dans sa pratique artistique comme dans son enseignement, il cherche à décloisonner les savoirs : «On a hyper-spécialisé les êtres, on est devenu plus savant mais moins intelligent, on a du mal a saisir la globalité.» Avec son champ de recherche: l’épistémologie du non-logos , il  veut redonner une dignité à des formes de savoir, autres que les sciences exactes ( ceux du corps, de l’art, des mystiques). Selon lui, la quête de la modernité en Afrique est imposée de l’extérieur et le défi, pour le continent, est de définir «une société du bien-vivre ensemble, conciliant le savoir et le faire. »

Emmanuel Macron lui a demandé d’examiner comment la France pourrait restituer les œuvres d’art qu’elle possède, aux pays africains. Il a mené cette étude avec Bénédicte Savoy, historienne d’art et professeur au Collège de France. Il s’agissait tout d’abord d’établir un inventaire  de la provenance des biens, en distinguant ceux obtenus par pillage comme les objets du Palais royal d’Abomey au Bénin, par collecte scientifique, comme Marcel Griaule l’a fait en pays Dogon (décrit Michel Leiris dans L’Afrique fantôme), par achat à vil prix… Il fallait aussi déterminer selon quels critères les pays intéressés choisiront les œuvres restituées et se prépareront à les accueillir… Une tâche difficile, vu le rapport ambigu de la France avec les pays africains et les controverses dont ce processus fait l’objet. Et il faudra aussi modifier la loi d’inaliénabilité du patrimoine culturel français… À l’heure où le Collège de France, a ouvert une chaire permanente d’histoire et archéologie des mondes africains, la question est plus que jamais à l’ordre du jour.

En conclusion, Hassane Kouyaté donne rendez-vous l’année prochaine à Felwyne Sarre pour un concert avec ses cinq frères, musiciens comme lui, qui ont créé chacun leur propre orchestre… Un festival familial ! En attendant, nous le retrouvons au foyer de l’Opéra pour Habiter le monde poétiquement, un dialogue entre René Char, Aimé Césaire et ses propres textes. Ce concert de mots et de musiques, était accompagné par le comédien Étienne Minoungou et par Simon Winsé au ngoni, à la kora et à la flûte peule.

 Rencontre avec Mohamed Kacimi

Tout aussi passionnant, l’écrivain sollicité à propos de Jours tranquilles à Jérusalem, une  œuvre mise en scène par Jean-Claude Fall et qu’il a adapté de son Journal de bord tenu pendant les répétitions de la pièce Des Roses et du Jasmin d’Adel Hakim (voir Le Théâtre du Blog). Le dramaturge franco-algérien revient sur cette expérience, largement racontée dans son livre*. Il a une réflexion critique et pleine d’humour sur ce moment catastrophique de notre histoire, à travers le prisme d’une aventure humaine et théâtrale unique qui eut lieu au Théâtre national palestinien de Jérusalem-Est.
 Il se dit fataliste à propos du conflit entre Israël et les Palestiniens. Pour lui deux positions victimaires s’affrontent: «Les Juifs se vivent en victimes universelles et les Palestiniens leur renvoient : “Ma douleur est plus grande que la tienne“. (…) Là-bas, la guerre est une nécessité et cimente deux sociétés l’une contre l’autre, alors que, pour les Européens, la paix est un absolu. Il leur aura fallu 150 millions de morts pour être en paix. » (…) «En Israël, la guerre cimente une société composite mais les organisations palestiniennes, elles, ne veulent pas la paix mais la justice…» Mohamed Kacimi nous met en garde sur ce processus de victimisation, de quelque bord qu’ils soit : «Les Palestiniens incarnent la victime universelle, comme métaphore de la souffrance. » (…) « Mais l’amour pour la Palestine peut masquer une haine millénaire des Juifs… »

 Je ne suis pas vivant mais poète** documentaire de Julie Peghini

 « Je suis un homme torpillé qui habite un monde torpillé. C’est pour remettre une dimension magique aux choses que j’écris», disait Sony Labou Tansi. Julie Peghini n’est pas cinéaste mais ethnologue et maîtresse de conférences à l’université ParisVIII-Vincennes-Saint-Denis. En découvrant l’œuvre de l’auteur congolais, elle décide de lui consacrer un film et, pour cela, se forme pendant neuf mois à l’atelier documentaire de la F.E.M.I.S. Sur les traces de Sony Labou-Tansi, elle nous entraîne au bord du fleuve Congo et dans les lieux familiers de son héros. Elle nous livre aussi la parole aigüe de ce chantre de l’Afrique : «Nous voulons créer une culture de choc.» (…) «Convoquer une monde dont nous avons été absents trop longtemps ! L’Afrique est le nouveau monde.»

Et elle donne voix à des écrivains qui estiment être ses héritiers, comme Dieudonné Niangouna : «Je suis devenu Dido par la force de Sony, par la sonyfication des énergies.»  Le jeune dramaturge lui a consacré un spectacle en 2017: Antoine m’a vendu son destin/ Sony chez les chiens (voir Le Théâtre du Blog) mais il a aussi orchestré un hommage au poète pour le vingtième anniversaire de sa mort, à son festival Mantsina-sur-scène 2015, à Brazzaville. Mais, à cause d’une lettre adressée au président Denis Sassou Nguesso, il y fut interdit de séjour! La cinéaste nous en a rapporté des images puis nous emmène aux Récréâtrales, un autre festival important où l’on voit dans les rues de Ouagadougou ( Burkina-Faso) des passants lire avec délectation un poème de Sony Labou Tansi traduit pour l’occasion en kikongo: « Le Congo est comme une épine, si tu y touches, tu te blesses ! Le moment du film que Julie Peghini préfère.

«J’écris pour être vivant. Pour le demeurer. Je sais que je mourrai vivant», plaisantait le poète et cette réalisation contribue à l’immortaliser…

 Les prix de littérature dramatique

 Traditionnellement, plusieurs en sont remis lors de ce festival. Le prix Sony Labou Tansi revient à  Marine Bachelot Nguyen pour Le Fils  publié aux éditions Lansman. Choisi, parmi cinq textes publiés, par 1.200 lycéens dans les Académies en France métropolitaine, en Outre-mer et dans les lycées français à l’étranger : Vietnam, Algérie, Gabon… «Cette fiction a un fort ancrage documentaire, note l’auteure. «Un travail de recherche sur les mouvements catholiques intégristes en France et sur d’autres mouvements, plus policés et ambigus, a accompagné et précédé l’écriture du texte. »  

Une femme d’aujourd’hui, en province, à la vie bien ordonnée entre famille et travail… qui va à la messe le dimanche avec  son mari et ses deux fils qui grandissent, si différents l’un de l’autre. Elle s’engage dans des mouvements catholiques traditionalistes et va aux manifestations contre le spectacle de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu. Puis elle participera aux marches contre le mariage pour tous. Avec le sentiment d’appartenir à une bonne société bien pensante… Rien de moraliste dans cette commande  de la compagnie L’Unijambiste, en réponse à  l’essor de l’intégrisme catholique. Mais une analyse  froide et scrupuleuse des mécanismes à l’œuvre dans l’engrenage qui conduit à des engagements politiques nauséabonds, en toute inconscience. 

 Prix de la dramaturgie francophone de la S.A.C.D.

La commission Théâtre a retenu parmi une dizaine de textes proposés par la Maison des auteurs de Limoges, Sucré Seize (huit filles) de la Québécoise Suzie Bastien qui aime l’idée « d’une guérilla poétique de filles sur scène ». Avec ces huit monologues de dix minutes, chacun dans une langue particulière, alternant paroles crues et confidences plus réflexives, elle trace un portrait composite de l’adolescente nord-américaine d’aujourd’hui. «J’ai maintenant envie de refaire le même chemin mais cette fois avec huit vieilles femmes » dit Suzie Bastien, dans un entretien où elle brosse au passage un panorama de la dramaturgie de son pays. ***

 Le prix R.F.I. Théâtre
prix rfi valérie cachard

Depuis 2014, la Radio attribue ce prix Théâtre, suite à un appel à l’écriture, pour encourager les nouveaux dramaturges francophones (voir Le Théâtre du Blog). Cette année, il revient à la Libanaise Valérie Cachard pour Victoria K, Delphine Seyrig et moi ou La Petite Chaise jaune. « C’est l’histoire d’une femme/Non, c’est l’histoire de deux femmes/C’est l’histoire d’une ville/Non de deux villes/Non, d’une ville qui fut un jour coupée en deux. » Une histoire de paradis perdu et de péché… A travers des vestiges découverts dans une maison abandonnée  à Beyrouth : carnets, lettres, objets, la narratrice-autrice reconstitue la vie de Victoria K … Ces restes se combinent avec des archives pour composer l’histoire du Liban. S’y mêlent les souvenirs de l’autrice qui improvise sa propre partition dans laquelle Delphine Seyrig et Victoria K surgissent comme des apparitions. Cette pièce archéologique procède par couches successives et répétitions de motifs. Valérie Cachard est la deuxième femme, libanaise de surcroît, à recevoir ce prix après Hala Moughanie en 2015.

 Mireille Davidovici

Zébrures d’Automne se poursuit jusqu’au 5 octobre.
Les Francophonies, de l’écriture à la scène : 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10.

*Jours tranquilles à Jérusalem est publié aux éditions Riveneuve.

** Je ne suis pas vivant mais poète sera projeté en version longue au Centre Georges Pompidou, le 8 novembre à 20 heures, dans le cadre des Rencontres documentaires.

 ***Extraits publiés dans La Récolte, Editions Passage(s), 14 allée du Père Jamet, Caen (Calvados) editionspassages@gmail.com T. : 06 58 29 36 80  revue.larecolte@gmail.com

 

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