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Je ne serais pas arrivée là si… Cette semaine, l’autrice de « L’Assignation. Les Noirs n’existent pas » raconte sa découverte du racisme.
Ecrivaine, autrice de romans et d’essais, dont L’Assignation. Les Noirs n’existent pas (Grasset, 2018), Tania de Montaigne a reçu en 2015 le prix Simone-Veil pour son livre Noire. La vie méconnue de Claudette Colvin (Grasset, 2015). A 48 ans, elle monte sur la scène du Théâtre du Rond-Point pour raconter le parcours de cette militante afro-américaine pour les droits civiques.
Je ne serais pas arrivée là si…
… si ma mère ne m’avait pas inscrite, l’été de mes 17 ans, à une colonie de danse et de théâtre à Avignon. J’ai grandi dans un milieu où il n’y avait pas d’argent. Je partais uniquement en colonie pour les vacances. Nous étions tout un groupe de jeunes qui n’étaient jamais allés de notre vie ni au théâtre ni à ce festival. Lorsque je me suis retrouvée dans la Cour d’honneur du Palais des papes pour assister, pendant cinq heures, à l’Hamlet de Patrice Chéreau, j’ai appris quelque chose que je n’ai jamais oublié : j’ai vu quelqu’un qui s’autorisait tout, Chéreau, et quelqu’un qui ne pouvait pas être lui-même puisqu’il était chargé d’être tous les autres, Hamlet. En fait, ça m’a rendu l’art concret.
Et quels sentiments cela a-t-il suscités ?
Ça m’a galvanisée, ça m’a autorisée. C’était la première fois que je voyais ça de ma vie. A partir de ce jour-là, je me suis dit : « Si écrire veut dire poser sa singularité – qu’elle soit bonne ou mauvaise, peu importe –, dire “je” à travers d’autres choses qui s’organisent, alors je peux écrire. »
Et que s’est-il passé lorsque vous êtes rentrée chez vous ?
J’ai découvert que cet Hamlet passait au Théâtre de Nanterre. Je suis allée voir ma prof d’anglais et j’y ai amené toute ma classe. J’ai refait cinq heures de voyage à nouveau enchanté. J’avais eu le même sentiment quand j’ai commencé, au collège, à travailler sur le XIXe siècle. Se frotter à Maupassant ou à Zola permet de mettre des mots sur une rage et se dire : « A nous deux, Paris. Vous nous avez mis à un endroit, mais il n’y a que vous qui pensez qu’on ne peut pas en bouger. » Le sentiment que c’était ouvert, plus vaste que ce qu’on croit. Se sentir financièrement responsable de sa propre famille et ne pas pouvoir mener sa propre existence, c’est un vrai sujet de pauvre.
Au cours de votre enfance dans une cité de Draveil, dans l’Essonne, quelle éducation avez-vous reçue ?
J’ai reçu une éducation très carrée. Jusqu’à mes 6 ans, j’ai grandi avec ma mère chez ma grand-mère. Ma mère était très jeune, elle a appris la sténo, a commencé à travailler comme intérimaire puis a été embauchée à Aéroports de Paris (ADP). C’est ce qui nous a permis de déménager toutes les deux et d’habiter dans une autre cité. Et grâce au comité d’entreprise d’ADP, j’ai pu partir en colo.
« Ma mère n’a pas fait d’études et c’était très important pour elle que j’en fasse. Mais sa méthode était particulière : elle voulait que je sois autonome »
Ma mère n’a pas fait d’études et c’était très important pour elle que j’en fasse. Mais sa méthode était particulière : elle voulait que je sois autonome, indépendante. Elle n’est jamais intervenue. Aujourd’hui, je me rends compte de la chance que cela a été. A l’époque, j’aurais aimé qu’elle vienne me chercher comme les autres mères, avec un petit goûter. Je ne comprenais pas qu’elle ne soit pas là.
Je porte le nom de ma mère. Je n’avais pas de père. J’étais inscrite à l’école qui dépendait du secteur de ma grand-mère, dans le centre-ville. J’étais la seule élève noire, une des rares pauvres et la seule sans père. J’avais l’impression que ce n’était pas normal. Ma nourrice, blanche, qui habitait dans la même cité que nous, venait me chercher. Dès qu’il y avait une femme noire dehors, il y avait toujours un instit pour me dire d’aller voir ma mère ! Avec Keltoum, la seule élève qu’on disait « arabe », alors qu’elle était française comme moi, on était, dans cette école, les deux perdues dans un océan de bourges !
Qu’est-ce qu’on retient de cet environnement ?
C’est là que j’ai découvert que j’étais noire. Mes premiers jours d’école furent un choc thermique. Les présupposés se sont multipliés : si on est noir, on vient forcément d’une famille nombreuse (pas moi), on est africain (je suis française) ! Je n’étais pas du tout préparée à tout cela. Quant à mes cheveux, je voulais qu’ils bougent !
Le racisme produit quelque chose qui donne un itinéraire. Tout à coup, on découvre qu’il a un dictionnaire, que tout est prédéterminé. Tout le travail est de saisir que ce dictionnaire n’est pas une obligation. Qu’il est produit ailleurs. Dans un premier temps, le racisme m’a obligée, d’un coup, à mesurer chaque pas. Puis il a fallu se déprendre de cette feuille de route. Le fait d’avoir été dans une école où j’étais la seule m’obligeait d’essayer de comprendre ce qu’était cette solitude.
En parliez-vous avec votre mère ou votre grand-mère ?
Quand j’ai entendu : « Ah, elle est noire, donc elle est sale », ma grand-mère m’a dit : « Que crois-tu que tous ces gens cherchent l’été ? Ils cherchent à être noirs. » Je venais d’entrer dans le problème de plain-pied. Ma grand-mère est née en Guadeloupe, ma mère en Martinique. Ce n’était pas la même histoire. Moi, j’étais une petite gosse de banlieue parisienne. Ces deux femmes ne pouvaient pas m’aider. C’était mon histoire, il fallait que je m’en dépatouille.
Avez-vous été la seule Noire en classe tout au long de votre scolarité ?
Pas seulement noire, mais noire et pauvre. Au collège, comme je faisais allemand première langue et latin, j’ai constaté que, pendant la journée, je ne voyais pas les gens avec qui je vivais. On ne se croisait pas. Pour moi, tout était possible. Alors qu’eux étaient orientés à la serpe en CAP ou BEP. Plus tard, j’ai bifurqué dans un autre lycée de l’Essonne, à Athis-Mons, pour être avec des gens nouveaux en demandant une option particulière : le russe. Je me suis retrouvée dans une classe géniale, avec une réelle mixité, ça changeait tout.
« J’ai toujours été sauvée par les autres. Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas croisé des gens qui avaient une ambition pour moi »
Lors des épreuves du bac littéraire, j’ai raté la philo et je devais passer le rattrapage. J’ai appelé ma mère à son bureau pour lui dire : « Je suis au rattrapage et je n’irai pas. » Très clairement, à cette époque-là, se croisaient une histoire familiale où les gens n’ont pas fait d’études et le passage à l’âge adulte. Je faisais ma petite rebelle. Une de nos voisines, que ma mère avait prévenue, est venue me voir : « Tu vas monter dans la voiture, tu vas arrêter les conneries et tu vas me faire le plaisir d’avoir ton bac. » J’ai fini par l’avoir. Sans elle, je n’y serais pas allée. J’ai toujours été sauvée par les autres. Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas croisé des gens qui avaient une ambition pour moi. Pas une ambition d’« être la meilleure », mais une ambition humaine. C’est ce que ma mère a fait pour moi. Dire toujours : « Va voir ailleurs. » J’essaye à mon tour de restituer ça : ne pas se sentir assigné.
Quels sont alors vos rêves ?
Je pensais que je devais faire l’ENA, intégrer la haute administration, là où les choses se décident. Je m’inscris alors en prépa Sciences Po, mais je découvre que j’ai été prise parce que je m’appelle de Montaigne. Il n’y a que des aristos blancs. Dans une salle, je vois des étudiants préparer une manif antiavortement. On me propose d’aller à des rallyes. Je pense à des courses de voiture… Tout était délirant. J’ai compris le malentendu. Ensuite, j’ai fait des études de sciences politiques, tout en travaillant, en parallèle, comme serveuse.
On vous interroge sans cesse sur votre nom : qu’a-t-il suscité de plus pénible ?
Mon nom est martiniquais, il vient directement de l’histoire de l’esclavage. Depuis que je suis petite, il y a toujours des gens pour me demander si c’est mon vrai nom, tellement ça leur semble étrange qu’une Noire puisse s’appeler comme ça. En général, si j’ai quelqu’un au téléphone pour une recherche d’appartement ou de travail, tout va bien. Mais quand on se rencontre, cela devient différent. On me dit : « Ah, je ne vous voyais pas comme ça ! »
A la fin de vos études, vous passez votre premier entretien d’embauche pour un poste d’attachée parlementaire. Une expérience qui vous a mise en colère…
Oui, vraiment. J’avais fait cinq années d’études, tout en faisant des petits boulots ; franchement, j’estimais que j’avais fait ma part. Et soudain, il y a cet épisode… J’avais envoyé mon CV, une lettre de motivation, mais pas de photo. A la fin de l’entretien, le député me dit : « Vous allez rentrer chez vous et m’écrire une lettre pour m’expliquer pourquoi vous êtes faite pour ce poste. » C’était irrespectueux et, à la fois, ça me rendait impuissante. S’il m’avait dit : « Ça ne va pas », OK. Mais là, c’était comme une gifle et ça aurait pu être mortel. J’en ai pleuré. Je me disais : « Si c’est ça tout le temps ma vie, alors ça va être compliqué. Et est-ce que ça vaut même le coup ? Mon énergie n’y suffira pas. » Je me demandais ce qu’il fallait faire. Des trucs de la feuille de route des Noirs ?
Comment avez-vous rebondi ?
« Réinjecter de l’égalité dans la scolarité a toujours été mon sujet de prédilection »
Une copine qui était standardiste à Europe 1 m’a fait passer une offre d’emploi. Je rencontre alors Catherine Malaval, de Canal J, qui recherche quelqu’un pour une émission quotidienne destinée aux enfants. A l’époque, à côté de mes petits boulots, j’étais bénévole en accompagnement scolaire au centre social de Draveil. Réinjecter de l’égalité dans la scolarité a toujours été mon sujet de prédilection. J’ai passé le casting de Canal J et j’ai été prise. Ce fut un tremplin. Jérôme Bonaldi, de Canal+, a vu l’émission et m’a appelée. Je suis alors partie à Canal+. Mais j’ai détesté. Je croyais que c’était la chaîne des « rois du cool », ouverts d’esprit, mais le premier jour, le service de sécurité m’a bloquée pendant une heure à l’entrée, refusant de croire que j’étais animatrice. Puis, dans l’ascenseur, quelqu’un m’a dit : « Je suis très content que tu sois là car je sens que tu es groovy sans être funky ! » Je n’y suis restée qu’un an.
Et l’écriture dans tout cela ?
Je voulais avant tout sécuriser ma famille. Avec mon contrat de Canal+, j’ai pu emprunter et acheter un appartement pour ma mère. Elle avait un toit qu’on ne pourrait pas lui enlever. Alors, j’ai pu faire les deux choses qui m’importaient : arrêter la télé, car je ne m’y trouvais pas bien, et essayer d’écrire. Comme j’avais mis des sous de côté, j’étais à plein temps au centre social et j’écrivais dans le RER.
Vous ne parlez jamais de votre père ?
Parce qu’il arrive tard dans mon histoire. Je ne le connais que depuis dix ans.
Vous êtes allée à sa recherche ?
Oui. Quand j’ai été prête à aller le chercher. Peut-être était-ce lié à un questionnement sur faire ou pas des enfants. J’allais approcher de la quarantaine, il y avait une urgence à savoir. J’avais très peu d’infos sur lui, mais, au final, ma recherche n’a duré que quatre jours ! Mon père est américain et congolais. Et musicien. Quand il a rencontré ma mère, il était dans un groupe. Sur Internet, j’ai trouvé le contact d’une manageuse en Californie. J’ai laissé un message en expliquant que je faisais une recherche sur cet ancien groupe. La manageuse m’a rappelée : « Je peux lui faire passer votre numéro de téléphone car il est à Paris. » Le hasard a fait qu’il était à quatre stations de métro de chez moi, en train de mixer un album ! Tout était fou. Après, il m’a fallu beaucoup de temps pour assimiler tout cela.
Mais votre famille ne vous en avait jamais parlé ?
Ah non. On était vraiment sur un sujet clos. Je n’avais aucune info. On me disait qu’il était mort…
Et cette première rencontre, alors ?
Il m’a dit : « Ah, je t’attendais ! » Il fallait que je remette tout dans l’ordre ! J’ai découvert toute la partie congolaise et américaine. Je suis son aînée. Il est venu à l’enregistrement de mon premier album, puis on a fait des voyages ensemble. J’ai eu de la chance sur ce que j’ai trouvé ! Je suis bien tombée !
« Avec la mort de George Floyd, un espace s’est ouvert », dites-vous. Mais quel espace ?
« J’ai écrit “L’Assignation” parce que je n’en pouvais plus d’être ramenée à une pensée prétendument “noire” qui n’est pas forcément la mienne »
Soudain, la question du racisme est redevenue centrale. Avant George Floyd, le film Tout simplement noir n’aurait pas fait la « une » des journaux. J’ai écrit L’Assignation parce que je n’en pouvais plus d’être ramenée à une pensée prétendument « noire » qui n’est pas forcément la mienne. Je voyais que ça arrangeait tout le monde de penser que, lorsqu’un Noir parle, il parle pour tous. D’ailleurs, lors de la sortie du livre, la première question des journalistes était : « Est-ce que vous en avez parlé à des Noirs ? » Je leur demandais : « Poseriez-vous cette question à un Blanc ? » La communauté noire n’existe pas. Il n’y a pas de rapport entre une Erythréenne sans papiers et une Martiniquaise, entre un Noir qui a de l’argent et un qui n’en a pas. C’est justement le racisme qui produit ce rapprochement et efface les singularités.
Quels sont les auteurs qui ont compté pour vous ?
James Baldwin a changé quelque chose pour moi : c’est quelqu’un d’une incroyable honnêteté sur sa place et la complexité de cette place. Il ne veut jamais être vertueux ni angélique, ça ne l’intéresse pas. Il est écrivain, ça, ça l’intéresse. Il se plaçait à un endroit qui était inédit. Voilà un homme libre. Si, à la fin de ma vie, je peux me dire que j’ai été une femme libre, j’aurai fait mon taf.
Noire, d’après Noire. La vie méconnue de Claudette Colvin, de et avec Tania de Montaigne. Adaptation et mise en scène : Stéphane Foenkinos. Du 15 au 26 septembre au Théâtre du Rond-Point, à Paris
Il était l’un des co-fondateurs du Théâtre du Soleil. Forte personnalité de la troupe d’Ariane Mnouchkine, il a travaillé avec d’autres artistes, formé des comédiens et été un spectateur passionné que l’on ne cessait de rencontrer lorsqu’il ne jouait pas.
Un profil d’aigle écrit son ami Jean-Claude Berruti : « ton profil de gentil aigle » dit-il plus exactement dans un hommage publié sur Facebook et transmis par le Théâtre du Soleil. C’était frappant. Une forte personnalité physique, sensible, intellectuelle, Gérard Hardy.
Il avait 85 ans. On ne l’imaginait pas octogénaire car il se tenait très droit, comme un danseur, un athlète affectif aurait dit Antonin Artaud (né un 4 septembre…).
Gérard Hardy s’est éteint dans la nuit du 1er au 2 septembre.
Photo de Guido Mencari (que nous remercions). DR publiée par Olivia Corsini. Le dernier rôle de Gérard Hardy. Il avait été élève de l’Ecole de théâtre de Chaillot alors que Jean Vilar était encore là et il avait, comme figurant, côtoyé la grande équipe du TNP.
Il avait aussitôt enchaîné avec le groupe réuni autour d’Ariane Mnouchkine, l’Association théâtrale des étudiants de Paris. Il est aux Arènes de Lutèce, en juin 1961. Ils jouent Gengis Khan d’Henry Bauchau.
Sur le site du Théâtre du Soleil, demeurent quelques photographies. Et sur celui de l’INA, on peut retrouver le reportage de Georges Paumier, ancien comédien, réalisateur phare du théâtre à la télévision. Il avait filmé la jeune troupe pour une émission d’Eliane Victor. Un très précieux et émouvant document.
Gérard Hardy est donc là. Si jeune ! Il sera là, quatre ans plus tard, pour fonder, avec Ariane Mnouchkine, Philippe Léotard, Roberto Moscoso, Jean-Claude Penchenat, Françoise Tournafond, le Théâtre du Soleil. Son chemin se confond dans les premières années avec la vie de la troupe qui présente ses spectacles au Cirque de Montmartre, entre autres lieux : en 64 Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki en 64, Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier en 1966, La Cuisine d’Arnold Wesker en 1967, Le Songe d’une nuit d’été en 1968, Les Clowns en 1969, puis, en 1970 et 1972, le cycle de la Révolution, 1789 et 1793.
Entretemps, évidemment, la troupe s’est installée à la Cartoucherie. Gérard Hardy sera aussi des aventures de Méphisto de Klaus Mann en 1979 et plus tard L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, grand texte d’Hélène Cixous.
Dès les années 70, Gérard Hardy commence à explorer d’autres univers, même s’il est de l’aventure du film Molière qui sort en 1978 et est tourné en grande partie sur le site même de la Cartoucherie, avec les décors double face de Guy Claude François.
La forte personnalité de Gérard Hardy, sa puissance, son regard ferme, son visage (« aigle gentil » donc, à la Béjart, un peu), son articulation classique, son aristocratie et son engagement sans faille, son attention aux autres, séduisent. Et lui, il a le goût de l’aventure et de la liberté. Mais il est consubstantiel au Soleil. C’est sa maison d’éternité.
Il travaille sous la direction du romanesque André Engel avec Baal de Brecht en 1976, enchaîne avec la Franziska de Wedekind montée par Agnès Laurent. Avec Jean-Marie Simon qui l’engage pour Intrigue et amour de Schiller, en 82 et Gilles Atlan qui le dirige dans Minetti de Thomas Bernhard, il est heureux. Il tourne dans le Danton d’Andrzej Wajda qui sort en 1982…et au théâtre, c’est l’intimidant (et très timide) Klaus Mikaël Grüber qui l’appelle à rejoindre le groupe magnifique de comédiens français qu’il réunit pour La Mort de Danton de Büchner. On est en 1989, année de célébration. Cela se crée à Nanterre-Amandiers. C’est inoubliable.
Et il va entamer un sacré long parcours avec Gilles Bouillon qui dit aujourd’hui, dans les colonnes de la République du centre, son chagrin et son bonheur d’avoir travaillé avec cet homme impressionnant qu’il avait rencontré alors qu’il avait vingt ans et était élève de l’école du TNS. Dès 83, il le dirige dans Le Marchand de Venise. Gérard Hardy est Shylock. C’est à Bourges. Mais ce sera surtout à Tours, alors qu’une profonde amitié les lie, que les deux artistes vont travailler ensemble. Gérard Hardy devient une figure très importante du Nouvel Olympia mais, de plus, comme il dirige des ateliers dans les établissements scolaires, il exerce un ascendant très fort sur plusieurs générations et insuffle le goût du théâtre et des beaux textes à de nombreux jeunes. Citons quelques-uns des spectacles, parmi la bonne douzaine élaborée ensemble : Marivaux, Brecht encore (Dans la jungle des villes) Molière, jusqu’à Dom Juan en 2013.
Gérard Hardy aimait partager. Avec Stuart Seide il plonge toute une année dans les textes de Samuel Beckett et se sent bien dans cet univers aussi musical que métaphysique avant de commencer un long chemin avec celle qui dirige aujourd’hui le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Claire Lasne-Darcueil. Elle écrit parfois, mais surtout explore Tchekhov sans délaisser Molière ou Shakespeare.
Le cinéma fait signe de temps en temps à Gérard Hardy (mais il est en scène, en tournée, ou dans les régions). On le voit dans Jean Galmot, aventurier d’Alain Maline dans Ridicule de Patrice Leconte en 1996. Et dans les années 2000, dans courts-métrages très remarqués : L’Infante, l’âne et l’architecte de Lorenzo Recio en 2001 et Chevaliers errants de Laurent Leclerc, avec un professeur faisant travailler ses élèves sur Don Quichotte, en 2015.
Tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec cet esprit volontiers rebelle, aussi accueillant qu’il pouvait être sévère, le pleurent aujourd’hui. Le Soleil bien sûr et ses amis. Et ceux avec qui il n’a joué qu’occasionnellement Lorsqu’il ne jouait pas, Gérard Hardy allait à l’opéra, au concert, au théâtre. On le croisait partout, beau visage toujours, marqué de rides, regard aigu, enveloppé de grands manteaux…
Une de ses dernières apparitions, il y a un peu plus d’un an, était dans A Bergman affair, travail d’Olivia Corsini et Serge Nicolaï : deux enfants du Soleil, de la nouvelle génération… Ainsi boucla-t-il la boucle, du Soleil au Soleil…
Sous le regard débordant d’empathie de Thomas Ostermeier, l’auteur Edouard Louis joue Qui a tué mon père ? au Théâtre des Abbesses et franchit ainsi une étape supplémentaire dans la mise à nu déjà opérée à travers ses trois récents romans. En portant à la scène ses propres mots, il livre une performance aussi sensible que sincère.
Silhouette adolescente, en simple sweat à capuche, jean, baskets, posté devant l’écran de son ordinateur ou devant un pied de micro, Édouard Louis adopte le sérieux de l’écrivain au travail comme les attitudes gamines de l’enfant qu’il était. Tour à tour sombre, enjoué, dur, léger, provocateur, compatissant, c’est avec beaucoup de nuances et de justesse qu’il retrace son jeune parcours. Derrière lui, un large écran pour seul décor projette des routes et des routes à l’infini comme autant de chemins qu’il a cherché à fuir ou à tracer pour mieux avancer, échapper, se construire, être ce qu’il est. Ainsi défilent des paysages de campagne étale, froide et laide sous la brume et la bruine. Lorsque cette morne grisaille disparaît, c’est pour céder la place à des tonalités subrepticement plus pop acidulées, celles des tubes adolescents de Britney Spears à Céline Dion, sur lequel se déchaîne frénétiquement le garçon dans sa chambre en secret.
Stanislas Nordey, commanditaire et premier interprète de Qui a tué mon père en 2018-2019 – un texte spécialement composé pour le théâtre donc – mettait l’accent sur la force contestataire du livre pamphlétaire articulée de manière frontale, bouillonnante, véhémente, avec toute la puissance analytique qu’on lui connaît. Maintenant que son auteur prend lui-même en charge ses mots au plateau, c’est forcément l’authenticité et l’hypersensibilité de la parole vécue qui priment. Moins matinée de colère que d’une étrange douceur mêlée à une palpable gravité, le discours se fait entendre sur le ton presque feutré de la confession et de la possible réconciliation.
Thomas Ostermeier qui a déjà monté Histoire de la violence avec sa troupe d’acteurs de la Schaubühne à Berlin, poursuit son compagnonnage avec Édouard Louis en lui offrant l’occasion de monter pour la première fois sur scène et d’incarner en chair et en os le récit de sa vie. Sa mise en scène se propose comme l’ouverture d’un album de famille. Elle pénètre l’espace de la mémoire et la réminiscence. L’acteur y dévoile une large part de son enfance. Peu de moments heureux émaillent cette période délicate de la découverte et de la construction de soi. Les souvenirs affleurent comme des flashs. L’un d’eux, raconté de manière diffractée et obsessionnelle revient comme un leitmotiv : celui d’une soirée au cours de laquelle, devant quelques invités attablés, le jeune garçon improvise avec quelques camarades un faux concert au cours duquel il imite la chanteuse du groupe Aqua. Ce jeu d’enfant, évidemment non blâmable, insupporte son père enfermé dans le mépris convaincu du moindre signe de féminité chez un homme et le rejet catégorique de l’homosexualité.
On devine l’écrasante présence de ce père, figure honnie autant qu’aimée, à travers le vieux fauteuil recouvert d’un plaid qui est placé à l’avant-scène se dérobant au regard. L’homme bourru inspire la honte et la crainte avant de devenir un corps souffrant, prématurément broyé par le travail et la pauvreté, puis se voit ériger en représentant édifiant de la maltraitance politique contre laquelle toute la classe populaire infériorisée, opprimée, sacrifiée, doit vainement lutter. Il permet alors la dénonciation d’une réalité sociale impossible à ignorer. Cette dimension accusatrice du texte d’Édouard Louis est ingénieusement mise en scène par Ostermeier comme un étonnant rituel d’exorcisme mené par l’adulte-enfant en cape et masque de super héros, fabricant une sorte de tableau de chasse où trônent les « dominants », à savoir les femmes et hommes politiques qui selon lui sont hautement responsables de la dégradation de son père. Les photos de Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron sont suspendues à un fil et enfumées d’autant d’invectives que d’assourdissants pétards. C’est d’ailleurs sur le besoin d’une révolution que se conclut la performance qui bouscule et émeut.
Après 27 ans à la tête du Théâtre de l’Athénée, son directeur Patrice Martinet inaugurera dans les jours qui viennent sa dernière saison, avant de céder la main au duo constitué d’Olivier Mantéi et d’Olivier Poubelle.
Joyau du patrimoine théâtral parisien, le théâtre de l’Athénée est situé rue Boudreau, dans le 9ème arrondissement, juste à côté du Palais Garnier. Classé monument historique en 1995, 100 ans après son inauguration, il a pu bénéficier à cette occasion d’un vaste chantier de rénovation grâce au soutien du ministère de la Culture.
Au-delà de ses richesses architecturales, c’est bien la grande figure de Louis Jouvet, qui l’a dirigé de 1934 à 1951, qui hante encore ses murs : tout au long du XXème siècle et jusqu’à aujourd’hui, sa magnifique salle à l’italienne comme sa petite salle n’ont cessé d’abriter les œuvres de créateurs emblématiques du théâtre contemporain tels Samuel Beckett, Jean-Luc Lagarce ou Robert Wilson.
Poursuivant le projet de théâtre musical développé par Patrice Martinet, les actuels directeurs du Théâtre des Bouffes du Nord apporteront leur savoir-faire pour développer les activités de production de cette maison. Ils signeront en 2021/2022 leur première programmation à la tête de l’établissement.
Le ministère de la Culture, unique financeur public de l’établissement à hauteur de 2 millions d’euros, et soucieux de maintenir les missions de service public de l’Athénée, poursuivra son accompagnement dans les mêmes conditions.
Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Culture, salue l’engagement de Patrice Martinet au service des artistes et souhaite le meilleur à ses successeurs.
C'est une aventure qui finit bien après avoir failli mal tourner pour le propriétaire du Théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet. Patrice Martinet annonce ce 8 septembre sa dernière saison - ambitieuse et donc courageuse compte tenu du contexte - à la tête de cette mythique salle à l'italienne de 550 places, avant de passer le témoin au duo Olivier Poubelle et Olivier Mantei , les patrons des Bouffes du Nord.
Parce qu'il se sent proche artistiquement de ce tandem, il lui cède le fonds de commerce de son théâtre (les murs appartiennent à Groupama) « à un prix qui n'a rien à voir avec celui du marché [ndlr : jusqu'à 10.000 euros le siège] » avec, en contrepartie, l'assurance que la vingtaine de salariés reste à l'Athénée et que le théâtre conserve son identité.
Avec Olivier Poubelle, producteur de musiques actuelles à la fibre théâtrale et Olivier Mantei, le directeur de l'Opéra-Comique, Patrice Martinet a l'assurance que l'Athénée conservera un esprit de théâtre public. Car cette scène privée a la particularité de recevoir pour cela 1,8 million d'euros de subventions du ministère de la Culture, autant, si ce n'est plus, que ses ressources propres de 1,4 à 1,8 million d'euros (billetterie, privatisations, bar, mécénat) selon les années.
Mécénat perdu
Cette cession aurait pu profiter à d'autres. En 2016, soucieux que l'Athénée reste bien un théâtre dans ce quartier de la Madeleine convoité des promoteurs, Patrice Martinet veut le léguer à une fondation et confier les rênes de la salle au chef d'orchestre Maxime Pascal. Il trouve une mécène franco-américaine prête à doter la fondation de 3,5 millions sur cinq ans. Gérald Azancot, président du groupe immobilier Fiminco, envisage aussi de soutenir le projet tout comme la philanthrope finlandaise Karolina Blaberg.
Mais un fait inattendu grippe la belle mécanique. Stéphane Lissner , encore patron de l'Opéra de Paris et Jean-François Dubos, l'ex-président du directoire de Vivendi, s'intéressent à l'Athénée qu'ils souhaiteraient reprendre et ils persuadent le ministre de la Culture Franck Riester que leur solution est la meilleure.
Patrice Martinet, directeur du théâtre de l'Athénée, a vu son projet de fondation refusée par l'ex ministre de la Culture Franck Riester, malgré le soutien du père de la loi mécénat, Jean-Jacques Aillagon.
Deux anciens ministres de la Culture - Jack Lang et Jean-Jacques Aillagon - plaideront pour la fondation, en février 2019, auprès de Franck Riester. « J'ai trouvé très vertueuse cette fondation de la part d'un directeur dont j'admire la justesse du jugement artistique écrit Jean-Jacques Aillagon, père de la loi mécénat. D'autres auraient cherché à tirer un profit pécuniaire en cédant aux avances des intérêts privés, qui s'emparent des théâtres parisiens les uns après les autres, jusqu'à créer des situations de concentration. »
Mais Patrice Martinet apprendra en avril 2019 que « la fondation ne se fera pas car le ministre a choisi Stéphane Lissner » pour lui succéder. Pour accentuer la pression, le ministère de la Culture menace à la fin de cette même année de ne pas verser le solde de 70 % de la subvention, s'il n'y a pas « poursuite des discussions avec un repreneur qui garantisse la pérennité d'un théâtre public dans les murs ». « Je n'ai donc plus qu'à partir ! » s'effondre Patrice Martinet. Jusqu'à ce qu'en mars 2020, encore droit dans ses bottes, il signe finalement une promesse de vente irrévocable avec Olivier Mantei et Olivier Poubelle, venus initialement lui proposer une alliance entre leurs théâtres.
Il avait déjà adapté “Qui a tué mon père” pour le théâtre. Édouard Louis joue à présent son propre rôle sur scène, dirigé par Thomas Ostermeier.
Les plus grands metteurs en scène de théâtre s’arrachent Édouard Louis. Qu’a donc ce romancier blond de 27 ans aux allures de jeune premier des années 1950 pour fasciner tant le patron du Théâtre national de Strasbourg, Stanislas Nordey, que le Flamand Ivo van Hove, le Suisse Milo Rau, ou l’Allemand Thomas Ostermeier ? Tous auront récemment monté ou adapté Qui a tué mon père, monologue commandé par Stanislas Nordey en 2018… À travers ses récits très autobiographiques, à travers ses souffrances d’enfant gay condamné par le regard des autres, à travers ses souffrances de jeune homosexuel agressé, violé, Édouard Louis saisit en effet superbement les violences souterraines du monde d’aujourd’hui, la misère et la cruauté de nos sociétés. Même le cinéaste américain James Ivory, 92 ans, a succombé, qui vient d’achever pour Netflix un scénario de série tiré d’En finir avec Eddy Bellegueule (2014) et d’Histoire de la violence (2016). Mieux : le patron de la Schaubühne de Berlin, Thomas Ostermeier, a poussé l’artiste à vif à incarner lui-même en scène Qui a tué mon père. Rencontre.
Quel type d’acteur êtes-vous ? Je me sens acteur de nature. De culture. L’enfant gay que j’étais, considéré comme trop différent, a dû jouer tellement de rôles pour se faire accepter : le dur, le sportif, le tombeur de filles… Je n’étais pourtant rien de ça. Mais à 10 ans, j’étais efféminé, ma voix était aiguë, je me tordais les mains, ma mère me reprochait souvent mes manières. Et à l’école, on me traitait de tapette, de pédale, de pédé. D’où ça me venait ? Mystère. Mais j’ai essayé de me corriger, pour ne pas être à l’écart. D’autant que je n’avais déjà rien d’extraordinaire : moyen scolairement, banal, médiocre en tout. J’ai tenté tous les clubs proposés au collège pour m’intégrer. Ça n’a marché qu’au club de théâtre. Le théâtre est ainsi devenu un moyen de survie pour moi. Car, enfin, les autres m’y appréciaient. Je me souviens très bien de la première saynette que j’y ai jouée — d’après Charlie et la chocolaterie, de Roald Dahl. Je n’avais pas peur, j’avais l’habitude. Et pour une fois, sur scène, je pouvais tout me permettre, même les comportements condamnés : être extraverti quand les hommes doivent être du côté du silence et de la masculinité… Dès que j’ai su qu’il existait une option théâtre au lycée d’Amiens, je m’y suis inscrit. Pour la première fois, quelqu’un de ma famille d’ouvriers accédait à une filière d’enseignement général…
Que représente le théâtre pour vous ? Il m’a construit. À Amiens, dans cette arche de Noé pour transfuges freaks qu’était la filière théâtre, il m’a fallu en effet accomplir une seconde mutation. Après la honte sexuelle, j’ai vécu la honte sociale. Fils d’ouvrier, je ne possédais aucun des codes nécessaires. J’étais habillé en survêtement, j’avais les dents abîmées, la malbouffe avait fait de moi un obèse. Les outils que j’ai acquis au théâtre m’ont permis de me réinventer. Simone de Beauvoir disait : « On ne naît pas femme, on le devient . ». Si je voulais devenir quelqu’un d’autre, il allait falloir que je joue le rôle idoine pour le devenir. Tous les LGBT et les transfuges de classes sont des acteurs et des actrices.
Où donc est le « vrai » Édouard Louis ? L’authenticité, c’est ce qu’on se fabrique, pas ce qui nous a été assigné par le monde et qu’on n’a pas choisi ! L’authenticité, c’est la manière dont on s’arrache à ce à quoi la société nous a condamnés à la naissance !
Pourquoi vous intéressez-vous à l’écriture théâtrale ? La force politique du théâtre est plus grande que celle du roman. Le théâtre confronte d’emblée le spectateur à un discours incarné sur le plateau. On peut se détourner d’un SDF quand on en croise un sur son chemin, on ne peut pas détourner le regard de ce qu’on voit sur scène : on est venu pour ça. L’art, aujourd’hui, privilégie la suggestion, la métaphore. Il ne faut pas dire, pas montrer les choses, au risque d’être « didactique », lourd, ou vulgaire. Je crois au contraire que les dire, les rendre visibles permet de les changer et de s’en émanciper. Beaucoup de grands romanciers contemporains — Jean Genet, Elfriede Jelinek, Thomas Bernhard — sont ainsi venus au théâtre parce qu’il était un moyen de forcer à regarder. À la demande de Stanislas Nordey, j’ai donc écrit Qui a tué mon père pour la scène.
De quoi ce monologue empêche-t-il de détourner les yeux ? De la conviction que la politique est une question de vie et de mort, pas un simple regard sur le monde. Par exemple, les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres, c’est un fait. À la cinquantaine, mon père a aujourd’hui le corps détruit. Un accident de travail à l’usine lui a brisé le dos et l’a paralysé de longues années. Mais pour toucher des allocations — de plus en faibles —, l’administration l’a forcé des mois durant à chercher des boulots qui n’existaient pas dans sa région, et que, de toute façon, il ne pouvait plus faire. Comme Daniel Blake dans le film de Ken Loach, la Palme d’or de Cannes en 2016. Ce système est kafkaïen. Alors oui : les politiques qui l’ont acté ont du sang sur les mains. Celui de mon père et de tant d’autres, aussi. Des pauvres ostracisés comme lui ; des Noirs, des Arabes, victimes de violences policières ; des femmes livrées à la violence masculine. Quel discours ont aujourd’hui les politiques contre la domination masculine ?
“ J’ai honte de ne pas savoir changer le monde”
Comment vous battez-vous contre ces injustices ? J’écris ! Je manifeste. J’interviens dans la presse. Je suis depuis le début de sa lutte aux côtés d’Assa Traoré, cette militante antiraciste qui se bat contre les violences policières dont a été victime son frère. J’ai marché avec les Gilets jaunes, défendu la cause animale… Quand on écrit laborieusement, comme moi, on ne parvient pas toujours à militer assez, comme l’ont fait Simone de Beauvoir, Sartre, Bourdieu. J’ai honte de ne pas savoir changer le monde tout de suite. Mais je n’ai pas envie de me défaire de cette honte. Elle est un moteur. Thomas Ostermeier, qui me met en scène dans Qui a tué mon père, partage ce sentiment.
Comment s’est passée votre collaboration ? J’avais été ébloui par sa mise en scène d’Histoire de la violence, mon deuxième livre. Le lycéen féru de théâtre que j’avais été le considérait comme un maître, à l’égal de Patrice Chéreau et d’Ariane Mnouchkine ; toute ma classe était allée voir son adaptation de Hedda Gabler, d’Ibsen, en 2007, et j’avais été bouleversé… Et voilà qu’Ostermeier s’intéresse à moi, que nous sommes même devenus amis ! Il m’a proposé de suivre la tournée du spectacle ainsi que celle du Voyage à Reims, de Didier Eribon, qu’il avait aussi monté. Un soir, alors que nous allions dîner après la représentation, je suis monté sur scène par jeu et j’ai dit une partie du texte de Nina Hoss, la grande comédienne allemande. Thomas, étonné, m’a trouvé bon, et m’a proposé peu après de jouer mon propre rôle dans Qui a tué mon père, déjà créé en 2019 par Stanislas Nordey.
“On ne peut plus écrire comme au temps de Zola”
Comment vous a-t-il dirigé ? Il est étonnamment doux avec ceux avec qui il travaille, de la régie aux comédiens. Il est en dialogue permanent, s’interroge, doute, pose des questions à tous, et même sur leur vie privée. Il n’est jamais tyrannique. Il s’est construit lui aussi dans la douleur, dans ce théâtre berlinois où nombre d’artistes étaient déjà des « fils et des filles de » comédiens célèbres… ce qu’il n’était pas. Thomas ne m’a jamais forcé à rien. Sauf à la sobriété : « L’émotion est déjà dans ton texte, Édouard, inutile d’en rajouter. » Cela n’était pas facile pour le fan de Céline Dion et de Britney Spears que je suis…
N’est-ce pas impudique de jouer son propre rôle comme vous le faites ? J’espère bien que c’est impudique ! Car qui décrète l’impudeur ? La société ? L’histoire ? La politique, une fois encore ?… C’est parce que je prends le risque de l’impudeur autobiographique, bien plus forte encore en étant moi-même corporellement sur un plateau, que ça devient si intéressant. Je radicalise l’autobiographie. J’y confronte de plein fouet les gens. Or, non seulement l’autobiographie permet au spectateur — comme au lecteur — de mieux s’identifier, mais elle empêche aussi de tourner la tête, comme je le disais : c’est arrivé réellement à quelqu’un ! Je suis sûr que par cette nouvelle matière autobiographique — à condition de franchir la frontière sociale du convenu, du dicible et de l’indicible —, on fera avancer le roman ou le théâtre. On ne peut plus écrire comme au temps de Zola, quand Internet, les réseaux sociaux n’existaient pas. Maintenant, on a tout vu, on n’a plus rien à apprendre. Reste à ne plus détourner la tête de ce qui existe. Durement.
Comment voyez-vous la rentrée en France ? Conflictuelle. Parce que le système social est cassé, parce que règne la violence policière et politique, devenue la vraie culture d’entreprise du gouvernement. Ce dernier ne ploie devant aucune manifestation de la population, il s’en fiche. Tant que cette violence ne cessera pas, je comprendrai que continue la violence dans la rue.
Eprouvez vous au moins un grand plaisir en scène ?
Gigantesque face à l’aridité de l’écriture… Passer huit heures par jour en pyjama pendant des mois, sans être sûr qu’il y ait quelque chose d’intéressant à la fin… Le livre, c’est impalpable. Au théâtre grâce aux répétitions, on sent si on avance ou non ; et on peut avouer ses faiblesses, sa peur, crier, danser sur scène, dévoiler son corps. Voir aussi travailler un génie comme l’est pour moi Thomas Ostermeier.
C’est quoi un génie ?
Quelqu’un qui a des intuitions fulgurantes et qui ont un sens ; quelqu’un qui va toujours droit devant ; quelqu’un qui est en lien avec la beauté, la violence, aussi, omniprésente dans ce monde d’aujourd’hui, et qu’on a tant de mal à percevoir. Car la violence est souvent dans le silence et l’invisibilité. Toni Morrisson, Ken Loach, Isabelle Huppert en sont pour moi. Que le théâtre m’ait permis d’observer un génie de près est une joie. Le théâtre m’a toujours été terre d’accueil.
Comment ça ?
Dans notre section théâtre du lycée d’Amiens, les professeurs nous emmenaient régulièrement en car voir des spectacles à Paris. Et à la sortie, on nous ramenait en car à Amiens. Mais mes parents habitaient loin ; c’était toute une histoire pour rentrer à la maison. Je me souviens qu’un soir à la Cartoucherie de Vincennes, venu assister aux magnifiques Ephémères d’Ariane Mnouchkine, j’appelle mon père à l’entracte pour lui demander de venir me prendre au retour. Il refuse. J’étais paniqué. J’avais 15 ans, n’osais pas demander à mes camarades de dormir chez eux ou que leurs parents me raccompagnent, ils ne savaient réellement pas grand’chose de mes difficultés. Je reste ainsi pétrifié dans le hall sans oser retourner voir la deuxième partie et voilà que surgit Ariane Mnouchkine. « Tu ne vas pas voir le spectacle ? Ca ne te plait pas ? » Par sa présence, son écoute, elle a réussi en quelques minutes à ce que je lui raconte des difficultés que je n’osais avouer à aucun camarades, j’avais si honte. « Tu n’as qu’à dormir avec nous ici, on te raccompagnera demain, ne t’inquiète pas. Et retourne dans la salle…» Seuls des gens de théâtre m’ont ainsi accueilli. Comme Ariane Mnouchkine qui ignore même cette histoire et ne se souvient plus du gros gamin aux dents cariées qu’elle a réconforté – elle le fait à tellement d’autres.
Et vous avez couché à la Cartoucherie ?
Non, requinqué j’ai finalement trouvé une autre solution, osé demander à un copain de classe. J’étais trop timide, trop honteux, trop idiot. J’ai raté la formidable occasion de dormir là-bas. Je la regrette encore.
Qui a tué mon père, du 9 au 26 sept. (sf dim.), 20h. | Théâtre des Abbesses, 31, rue des Abbesses, 18e | 01 42 74 22 77 | theatredelaville-paris.com | 20 €.
Avignon 2019 | Le dramaturge et metteur en scène Olivier Py s'entretient avec Arnaud Laporte. Le directeur du Festival d'Avignon nous emmène dans les coulisses de sa volonté de création et retrace son parcours. Une Masterclasse enregistrée à l'occasion de la 73ème édition du festival.
Arnaud Laporte s'entretient avec Olivier Py dans cette Masterclasse enregistrée à l'occasion du 73ème Festival d'Avignon.
Concernant son rapport à la notion de vocation, Olivier Py retrace le chemin qui l'a mené au théâtre :
J'étais dès la petite enfance destiné à la vie artistique et intellectuelle alors même que rien ne m'y prédestinait. Olivier Py
Ma famille n'était pas une famille qui travaillait dans la culture. Ils n'étaient pas non plus rétifs. Mes parents étaient pieds-noirs, donc j'ai dévoré Camus. J'ai lu tout ce qu'il y avait dans la bibliothèque. Olivier Py
Écriture, mise en scène, jeu, théâtre, opéra, cinéma, musique : celui qui est aujourd'hui directeur du Festival d'Avignon est un touche-à-tout :
J'avais un professeur de philosophie en hypokhâgne qui me disait "Lorsque l'on hésite entre deux choses, il faut prendre les deux." C'est un enseignement difficile à tenir. Olivier Py
Dès l’adolescence j'ai perçu la scène comme le lieu même du poétique.Olivier Py
C'est ça qui n'en finit pas de renouveler le théâtre : la volonté d'une génération de dire qu'elle existe, à la fois dans la rupture avec ce qu'il s'est passé mais aussi dans l'héritage. Si une génération se contente d'être dans la rupture, elle va ensuite reproduire des schémas de pouvoir. Pour détruire l'héritage du pouvoir, il faut assumer l'héritage de la culture. Olivier Py
Légende photo : Olivier Py lors d'une conférence de presse du 73e festival d'Avignon• Crédits : Boris Horvat - AFP
Jean-Paul Wenzel a inauguré, à Cosne-sur-Loire (Nièvre), un lieu magnifiquement original qui abrite la compagnie La Louve, animée par sa fille Lou, et la Dorénavant Cie, qu’il dirige (1). Il a acquis un ancien garage, avec l’habitation attenante. Au prix de l’énergie de l’espoir et de l’huile de coude généreusement dépensée, le Garage Théâtre a offert son premier festival du 31 août au 6 septembre. Arrivé le 3 septembre, je n’ai pas pu voir, le regrettant, la mise en espace, de et par Lou Wenzel, de Max Gericke, pièce de Manfred Karge. Je n’ai pas vu l’Arbre monde, une ode au monde végétal conçue et interprétée par Sylviane Simonet. Je n’ai pas vu et entendu Gérard Morel dans ses chansons douces-amères. Je n’ai pas vu, en hommage au sol nourricier, Terre arable, qu’a écrit et interprété Lorène Menguelti, escortée par le musicien Pierre Wolff. Pour un envoyé spécial, ça la fout mal d’avouer ce qu’il n’a pas vu. Croyez-moi sur parole, je les connais, ceux que je n’ai pas vus. J’en réponds les yeux fermés.
En revanche, j’étais à la lecture surprise, par la jeune Nina Le Poder et Lou Wenzel, de la Fleur de pissenlit, formidable nouvelle noire de Wolfgang Borchert. Le soir même, c’était, par Hovnatan Avédikian, Mounir Margoum, Lorène Menguelti et le joueur d’oud syrien Hassan Abd Alrahman, une très belle mise en espace de Tout un homme, de Jean-Paul Wenzel, si fraternelle plongée dans l’existence des immigrés maghrébins, naguère encore envoyés au charbon. Le 4, ce fut la surprise de la lecture, par Lorène Menguelti, de la Récolte des hannetons, un texte sien, d’une belle coulée de prose poétique dans la quête de ses origines berbères. Le soir, Denis Lavant, acteur de génie, acteur d’air et de feu, a révélé à un public littéralement soulevé, l’écriture foudroyante de Jean-Pierre Martinet, auteur de la Grande Vie, partition tragico-obscène qui semble un peu, pour l’esprit, d’un Beckett avec trop de mots et d’un Céline en proie à l’opium. Samedi 5, il y eut, sous un grand arbre, pour clore le bal des mots dits, une offrande plurielle d’ordre poétique, au gré des goûts des artistes toujours présents. À la nuit, la mise en espace d’ Oma, texte puissant d’Arlette Namiand sur une allégorie de femme mère de toutes les guerres du siècle dernier, était jouée par Martine Bertrand, Lou Wenzel et Anne-Gabrielle Lia-Aragnouet au violoncelle. Au Garage Théâtre, en toute rigueur et intégrité, se dessine une relance de l’œuvre de décentralisation qui refait sens.
Jean-Pierre Léonardini
(1) Le Garage Théâtre, 235, rue des Frères-Gambon, à Cosne-sur-Loire, le.garage.theatre@gmail.com
Avec cette performance culinaire, l’artiste de cirque et le chef doublement étoilé s’associent pour renouveler l’art de la dégustation.
Attaquer la rentrée en passant par la case Encatation, performance culinaire créée conjointement par l’artiste de cirque Johann Le Guillerm et le chef doublement étoilé Alexandre Gauthier, à l’affiche jusqu’au 6 septembre, du CentQuatre, à Paris, est un tremplin de rêve. On en sort l’estomac au chaud et en état second, avec du chocolat plein les babines et des biscuits sablés à la chicorée pour le petit déjeuner au fond du sac. On reste longtemps sur un petit nuage bien moelleux, reniflant ses doigts au cas où il resterait encore une infime trace de potimarron fumé tout en feuilletant l’album-souvenir glissé à chaque participant avant de quitter la table.
Quelle magie délicate dans cette Encatation, impeccablement dressée et pesée par deux esprits aussi aventureux et malicieux l’un que l’autre. Johann Le Guillerm et Alexandre Gauthier, patron de LaGrenouillère, près de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais), se sont bien rencontrés, imbriquant leurs deux univers dans une création spectaculairement gourmande qui sert autant la cause des projections plastiques du premier que de la cuisine du second. Entourant les deux cuistots et les préparateurs, un long ruban sinusoïdal en bois sert de table. Crise sanitaire oblige, chacun des 60 convives est enchâssé dans un petit cockpit de Plexiglas souple qui réverbère l’ensemble du dispositif. Le ballet des assiettes peut commencer.
Aussi comestible qu’esthétique
Les circonvolutions mentales de Le Guillerm, sa passion pour les mécanismes et les formes, les renversements de situation trouvent grâce à Gauthier une traduction culinaire épatante. Aussi comestible qu’esthétique, reliant l’estomac et le cerveau, un axe arpenté en permanence par Johann Le Guillerm qui accompagne le spectacle en voix off, Encatation sert une collection d’en-cas délicieux et rares. Les « expériences » s’additionnent sans chiffonner les papilles préalablement aérées par une bille d’eau aphrodisiaque. On profite d’un choix spécifique d’ingrédients (betterave, brocoli, cabillaud…), de couleurs (orange, rouge…), de saveurs (sucrées, salées, entre les deux). On chasse le petit pois au pic, on roule une boule d’épinard qui rappelle en miniature la fameuse et énorme Motte végétale conçue en 2003 par Le Guillerm, on trempe les doigts dans la sauce et on lèche son plat sans y laisser une miette. Mal élevé ? C’est trop bon.
Renouvelant l’art de la dégustation comme un élan de tout l’être engagé dans l’action de manger, de se nourrir et au-delà, ce rituel lent et étonnant jusqu’au dessert met la langue au cœur de l’affaire. Celle que l’on tire mais aussi celle littéraire et joueuse de Le Guillerm qui se roule dans les jeux de mots et galipettes verbales. Chiche de pois mais fort en bouche, petit à petit l’appétit grandit. Enveloppé par une bande-son organique, zébrée de lumières, Encatation ne laisse pas sur sa faim, se révélant une expérience totale de tous les canaux.
Encatation, de Johann Le Guillerm et Alexandre Gauthier. Jusqu’au 6 septembre, CentQuatre, Paris. Du 26 au 29 novembre, Cirque-Théâtre, Elbeuf (Seine-Maritime).
Rosita Boisseau
Légende photo : L’attraction culinaire « Encatation », de Johann Le Guillerm et Alexandre Gauthier. GRÉGOIRE KORGANOW
On est saisi d’entrée par cette « disputatio » réglée comme une pièce musicale par Marcel Bozonnet qui joue la mort, face à Logann Antuofermo, dans « Le Laboureur de Bohème ». Une joute métaphysique.
Il est plié de douleur, de chagrin, au pied du mur du fond. Lové comme un enfant. Dans un costume couleur sable, qui évoque le Moyen-Âge, mais aussi un bébé au maillot…Car c’est bien cela. Un homme va se lever. Interpeller la mort comme Job interpelle Dieu. Le Laboureur est nu et sans défense, malgré la puissance de sa pensée, son audace, son sens du raisonnement et de la réplique. On devine obscurément qui gagnera, à la fin…
C’est Philippe Tesson qui a voulu que ce dialogue très puissant soit joué dans le Théâtre de Poche, que dirige sa fille Stéphanie et qui l’a proposé à Marcel Bozonnet. Le comédien et metteur en scène, ancien Administrateur général de la Comédie-Française, avait monté, l’hiver dernier, une évocation poétique et musicale, construite avec Olivier Beaumont, de l’Eloge funèbre par Bossuet, d’Henriette d’Angleterre. « Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs. Le matin, elle fleurissait ; avec quelles grâces, vous le savez : le soir, nous la vîmes séchée… »
Le Laboureur de Bohème n’est pas une œuvre inconnue. Florence Bayard, l’a traduite. Dans la présentation par le Théâtre de Poche, on nous dit que « cette partition a été redécouverte au XIXème siècle » et qu’elle « connut un destin théâtral dès le XXème siècle. »
On n’a pas oublié la version qui pour nous, a remis en lumière ce texte très étonnant, la mise en scène de Christian Schiaretti qui dirigeait alors Didier Sandre, le Laboureur et Serge Maggiani, la Mort. Avec également Fabien Joubert, apparition d’un ange.
Il n’y a pas d’ange visible dans cette version. Dans la traduction de Dieter Welke et Christian Schiaretti, l’adaptation mettait la Mort au féminin. Pas dans cette version, adaptation de Judith Ertel et mise en scène de Marcel Bozonnet et Pauline Devinat, d’après la traduction de Florence Bayard. Ils la mettent, cette Mort, bizarrement, au masculin.
Etrange, tout de même, et c’est le tout début : « Terrible destructeur de toute contrée, nuisible proscripteur de tout être, cruel meurtrier de toute personne, vous, Mort, soyez maudit ! ».
Dans un espace imaginé par le grand artiste qui a fait vivre les spectacles –et costumes en particulier- de la Comédie-Française, Renato Bianchi, très graphique mais sans froideur abstraite, on écoute donc deux interprètes.
L’un, de longue route, dans les superbes enveloppements de costumes, avec la présence de quelques masques superbes de Werner Strub, et des lumières très fines de François Loiseau, impose la Mort. Marcel Bozonnet possède un timbre très personnel. On le reconnaît à la première syllabe. Il est musical. Il s’offre quelques moments de danse. Il a pensé à des moments de danses macabres. Il les situe dans un texte : elles sont tibétaines, guinéennes, espagnoles.
Avouons que nous avons vu un danseur japonais. Tel Kazuo Ohno dans l’art spirituel du butô.
Bozonnet est inquiétant avec son maquillage pâle et les yeux féroces de la Mort.
Face à cet artiste de grande expérience, le jeune, le tout jeune Logann Antuofermo que l’on a pu voir cet été dans le film de Philippe Garrel, Le Sel des larmes, impose loin de toute démonstration, la voix –la sienne est très bien placée- du Laboureur. Job et un enfant désarmé, désarmant.
L’auteur, Johannes Von Tepl, est un érudit. Un savant. Un très grand esprit. « La plume est ma charrue ». Il est recteur de l’université de Saaz, en Bohème. Il est également administrateur de la ville. Il a déjà beaucoup écrit lorsqu’il compose Le Laboureur de Bohème. Le texte daterait de 1401. Il nous touche directement.
Sincérité, colère, éloquence, puissance : le savant auteur (qui a plus d’une demi-douzaine de noms) vient justement de perdre sa femme. La véhémence le porte. Logann Antuofermo lui, endosse cette partition avec une sincérité, une lumière radieuse et douce. Il est remarquable. Regard ferme et doux, quelque chose de tendrement farouche, courageux personnage, interprète très fin et d’une belle maturité.
Il y a aussi de la musique. D’autres voix et notamment, Anne Alvaro. Des instants que l’on ne saisit pas clairement mais qu’importe. Détail. Ici, il s’agit ici d’un théâtre très humain, très haut et accessible. Du théâtre de plaisir et de partage.
Théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 21h00, le dimanche à 17h00. Durée : 1h25. Texte de l’adaptation publié dans la collection « Quatre vents » (10€). Traduction de Florence Bayard, éditée par la Sorbonne, collection Traditions et Croyances.
Dans un entretien donné au « Monde », la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, admet que la distanciation est à manier avec délicatesse dans les théâtres tels que le Poche. Pas de règle unique et écrasante, souligne-t-elle.
Ecrabouillés que nous sommes, les uns sur les autres, dans les métros, les bus, au théâtre, sage, chacun dans son fauteuil, on peut demeurer, une heure, une heure et quelque, sans risquer plus que dans la vie quotidienne.
Légende photo : Avec vue de l’espace imaginé par Renato Bianchi. .La Mort ou le Diable ? Marcel Bozonnet, maquillages de Catherine Saint-Sever, costume de Renato Bianchi. Photographie de Pascal Gély. DR.
La famille Wenzel, de père en fille, ouvre un théâtre dans une ville de la Nièvre, Cosne-sur-Loire, qui en était dépourvu. Avec, au cœur d’un premier festival, une flopée de textes contemporains. Salutaire et réjouissant.
Le père, Jean-Paul Wenzel, formé à la bonne école du Théâtre national de Strasbourg, allait, des décennies durant, jouer, mettre en scène et d’abord écrire bien des pièces dont la plus célèbre, Loin d’Hagondange, restera comme la pièce emblématique du « théâtre du quotidien » et sera traduite en bien des langues. Wenzel, Olivier Perrier et Jean-Louis Hourdin, fameux trio de camarades à l’esprit communard, allaient fonder les Fédérés qui présideraient à la naissance du CDN de Montluçon, le théâtre des Ilets qu’ils dirigèrent de 1985 à 2002, théâtre aujourd’hui tenu par une digne héritière : Carole Thibaut. Parallèlement, les trois complices, chaque été depuis 1976, à Hérisson, village de l’Allier où vit Olivier Perrier, nous donnaient rendez-vous au bord de l’Aumance pour les vite légendaires Rencontres d’Hérisson qu’ils surent arrêter en 2002. L’année suivante, c’est en Ile de France que Jean-Paul Wenzel créa sa compagnie – Dorénavant Cie – avec sa compagne l’autrice Arlette Namiand. Ils prirent tout de même le temps de faire une fille, Lou.
La fille, donc, Lou Wenzel, formée, elle, à la défunte école de Chaillot et à celle de Saint-Etienne. Actrice et metteuse en scène, elle devait fonder sa propre compagnie, La louve, en 2005, en mettant en scène une adaptation du très beau livre de Wolfgang Borchtch, Devant la porte, puis d’autres textes contemporains. Tel père, telle fille. Au demeurant, le père devait plusieurs fois mettre en scène sa fille.
De moins en moins aidée – les DRAC sont souvent et sottement impitoyables avec les grands aînés toujours sur la brèche –, la compagnie de Wenzel est aujourd’hui lasse de l’Ile de France et s’apprête à baisser le rideau parisien. Quant à la Louve , elle a soif d’aventures buissonnières, loin des sunlights aveuglants de la capitale, sans doute aussi, biberonnée avec les légendes des Fédérés, de Montluçon en Hérisson, a-t-elle envie de prendre l’air. Donc, depuis deux bonnes années, la fille, épaulée par son père, cherchait un lieu pour y installe sa jeune compagnie. Non pas un théâtre mais un lieu qui en deviendrait un. Dans un endroit, une ville qui en était dépourvu. C’était le cas de Cosne-sur-Loire, ville de la Nièvre à deux heures de la capitale. L’Eden cinéma, orgueil de la cité, avec son extraordinaire façade était là avant que Marguerite Duras n’accapare ce nom, mais dans cette ville avec vue, de l’autre côté de la Loire, sur les vignes de Sancerre et le crottin de Chavignol, aucun théâtre n’a jamais été édifié.
C’est désormais chose faite. Alors que la Louve et son père commençaient à désespérer, après avoir visité des lieux trop grands ou trop petits dans la région, le miracle est arrivé : on leur a parlé d’un garage de taille moyenne qui était à vendre avec une maison à côté un grand jardin herbeux derrière. Bref, l’idéal. C’est ainsi que le Garage-théâtre, financé pour l’essentiel avec les droits d’auteurs mis de côté par Wenzel, s’est ouvert le 31 août. Un événement salué comme il se doit par le Journal du centre et La Voix du sancerrois.
L’attente était grande assurément, car, dès le premier soir, la salle était comble pour la recréation de Max Gericke de Manfred Karge, pièce que Lou Wenzel avait déjà interprétée, seule en scène, aux Plateaux sauvages dans une autre mise en scène. Belle histoire que celle de cette femme dans l’Allemagne précédant Hitler qui, à la mort de son mari, se fait passer pour morte et, pour vivre, prend l’identité et la place de grutier de celui-ci avec tout ce qui s’ensuit.
Hier soir, Wenzel a repris sa pièce Tout un homme, déployant les facettes de l’immigré avec une belle distribution : Hassan Ald Akhaman, Mounya Boudiaf, Mounir Margoum et Hammou Graïa. Ce soir, Denis Lavant donnera du relief vocal et physique au texte de Jean-Pierre Martinet La Grande Vie et sans doute pourra-t-il dédicacer l’ouvrage Echappées belles qu’il vient de publier (éditions les Impressions nouvelles) où il explore avec passion – et c’est passionnant – son parcours de Vitez à Léos Carax et de Essenine à Beckett. Ce « premier festival du Garage-théâtre » se terminera samedi avec Oma, un texte d’Arlette Namiand mis en scène par Jean-Paul Wenzel avec Anne-Gabrielle Lia-Aragnouet au violoncelle et, à ses côtés, deux actrices, Martine Bertrand et, bien sûr, la louve Lou.
Avant l’hiver, on songera à équiper le lieu pour qu’il soit chauffé et on mettra sur pied les ateliers de théâtre avec des amateurs qui ont été retardés pour cause de confinement et autres agaceries. Qu’importe, le Garage-théâtre est né à Cosne-sur-Loire et c’est une belle nouvelle.
Le Garage-théâtre, 235 rue des frères Gambon, Cosne-sur-Loire (58), 03 86 28 21 93, le.garage.theatre@gmail.com
Sa longue et belle silhouette a longtemps hanté les rues et la scène du Nouvel Olympia, dans les années 1980 - 2000, à Tours. Le grand acteur de théâtre Gérard Hardy est décédé mercredi 2 septembre à Paris. Hommage.
Gérard Hardy ne passait pas inarperçu. Dans les années 1980-2000, le comédien a vécu et travaillé à Tours au côté du metteur en scène Gilles Bouillon, alors directeur du théâtre Le Nouvel Olympia (aujourd'hui Théâtre Olympia). Sa grande silhouette, sa "gueule" de théâtre, sa curiosité à revendre et son amour du théâtre sans aucune mesure sont salués aujourd'hui par ceux qui l'ont connu. Gérard Hardy est décédé mercredi 2 septembre au matin à Paris.
Depuis longtemps parti de Tours, Gérard Hardy a laissé une empreinte indélébile dans les mémoires de ceux qui l'ont vu sur scène incarner les plus grands rôles du répertoire, ceux aussi qui l'ont connu en tant que professeur dans les cours donnés en atelier théâtre.
Cofondateur en 1964 du Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine
"La première fois que j'ai travaillé avec Gérard Hardy, explique Gilles Bouillon, joint au téléphone, c'était en 1983 à Bourges pour Le Marchand de Venise. Il jouait Shylock. Il était remarquable. Gérard, je l'avais vu jouer avec Mnouchkine, j'étais dingue de ce gars-là. Quand j'ai commencé à faire des mises en scène et qu'il a accepté de faire partie de la distribution, j'étais tellement heureux."
Et puis l'histoire d'une première rencontre professionnelle s'est transformée en amitié forte entre les deux hommes. "Après Bourges, je suis venu à Tours pour créer le Nouvel Olympia et Gérard a été de l'aventure. Il a participé à douze ou treize de mes créations. Que des grands rôles ! Il a même été permanent de la compagnie. Il était très présent dans Tours, il animait des ateliers théâtre, notamment au lycée Grandmont."
Gérard Hardy était "l'un des plus grands acteurs de théâtre français", continue Gilles Bouillon. En 1964, il a cofondé le désormais mythique Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine mais aussi l'acteur Philippe Léotard. "Il a travaillé avec les plus grands metteurs en scène, notamment Grüber ou Jean-Pierre Vincent. Il était incroyablement curieux de théâtre. Quand il ne jouait pas, il allait au théâtre, découvrir de jeunes talents. A Tours, on se moquait de lui parce qu'il avait ce Solex qui l'emmenait partout. Il était capable d'aller à Blois en Solex pour aller voir un spectacle."
La nouvelle de sa disparition a notamment fait réagir Jean-Pierre Tolochard, ancien adjoint à la culture de Jean Germain. "La première fois que j'ai vu Gérard Hardy, c'était dans le Méphisto d'Ariane Mnouchkine d'après Klaus Mann à Avignon en 1979. J'étais loin de penser que nous partagerions autant de moments merveilleux auprès de lui tout au long de son compagnonnage au Centre dramatique avec Gilles Bouillon où il a tant apporté sur scène comme dans la programmation. Son goût pour la conversation, sa curiosité insatiable, sa passion pour la culture la plus vivante, tout cela, il l'a partagé avec élégance et simplicité et avec cette drôlerie malicieuse qui éclairait d'un coup, son visage."
«Le nouvel équipement n’ouvre pas simplement des perspectives, il change tout ! Concernant le projet artistique, nous continuerons sur les mêmes lignes mais allons pouvoir envisager de nouvelles choses, ouvrir la programmation à des spectacles que l’on ne pouvait pas accueillir avant, inviter de nouveaux artistes, et surtout, proposer des séries plus longues - jusqu’à deux semaines pour certains spectacles - qui permettent d’installer les artistes et de développer les publics », indique à News Tank, Jean-Marc Grangier, directeur de la Comédie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), à l’occasion de l’inauguration du nouvel équipement de la Scène nationale le 04/09/2020. « Avec nos deux nouvelles salles, nous sommes sur des jauges plus conventionnelles de 878 et 336 places. Le public gagnera en confort et recevra beaucoup mieux les œuvres présentées », ajoute le directeur.
Créée en 1997, la Scène nationale ne disposait pas de lieu en propre et était accueillie dans diverses salles municipales ou voisines, dont la maison de la culture de Clermont. Le nouvel équipement comprend deux salles de spectacle, un studio de répétition de 250 m² (avec un gradin de 50 places), trois salles de médiation, une bibliothèque et un restaurant (Les Grandes Tables de La Comédie). Le projet architectural a été conduit par le Portugais Eduardo Souto de Moura (Prix Pritzker 2011).
Les premières représentations se tiendront à partir du 25/09/2020 avec deux créations : « Société en chantier » de Stefan Kaegi, puis « Le Lac des Cygnes » d’Angelin Preljocaj. Des visites guidées seront également organisées en octobre.
« Dans le contexte actuel, nous restons optimistes. Nous avons fait le choix de maintenir la programmation telle que je l’avais imaginée avant le début de la crise sanitaire. Elle est enrichie par les spectacles reportés. Ce n’est pas plus mal car après des mois d’arrêt, les artistes et compagnies souhaitent faire des dates », poursuit Jean-Marc Grangier qui répond aux questions de News Tank.
Après plus de 20 ans sans lieu fixe, La Comédie de Clermont-Ferrand va enfin disposer de son propre théâtre. Pourquoi cet équipement ne voit le jour qu’aujourd’hui ?
C’est une très longue histoire. Même encore aujourd’hui, je n’arrive pas à avoir de réponse précise. Mon prédécesseur, Jean-Pierre Jourdain, et le président de l’association Comédie de Clermont souhaitaient installer la Scène nationale dans l’opéra-théâtre de la ville. Mais, sentant que ce dossier n’avancerait pas, Jean-Pierre Jourdain a préféré partir. Lorsque je lui ai succédé, la Ville a finalement retenu son idée. J’étais contre : il me semblait incohérent d’installer un projet de Scène nationale dans un tel lieu qui ne dispose que d’un petit plateau de 9 mètres par 9. Puis après réflexion, et parce que refuser cette proposition voulait dire que la Scène nationale n’aurait jamais de lieu fixe, j’ai fini par accepter. Nouveau rebondissement puisque trois mois plus tard la Ville décidait d’engager un projet de construction d’un théâtre ! Olivier Bianchi, alors élu en charge de la culture, était d’accord avec moi sur le fait qu’un projet de Scène nationale ne pouvait pas rayonner dans un petit théâtre à l’italienne. Il a joué un rôle important pour faire basculer le choix du maire en faveur d’un nouveau bâtiment.
Pourtant, le bâtiment n’est finalement livré que dix-huit ans après.
Entre les idées, la volonté et le passage à l’acte, il y a toujours un temps. Il a fallu rassembler les parts budgétaires. Le projet a pris un tournant décisif lorsque Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, a annoncé le soutien financier de l’État. À partir de là, Ville et État ont été porteurs du projet et ont convaincu les autres collectivités territoriales de les suivre.
Budget de construction
• 38 M€ HT, dont :
- État : 6 M€ HT
- Région Auvergne-Rhône-Alpes : 4 M€ HT
- Conseil départemental du Puy-de-Dôme : 4 M€ HT
- Clermont Auvergne Métropole : 8 M€ HT
- Ville de Clermont-Ferrand : 16 M€ HT
Ce déménagement arrive à un moment où les conditions d’accueil sont fortement perturbées par la crise sanitaire. Comment appréhendez-vous cette rentrée ?
« La Comédie co-produira plus et accueillera davantage d’artistes en résidence »
Hors contexte Covid-19, le déménagement dans le nouvel équipement est préparé depuis plusieurs années. Il s’accompagne d’un renforcement de l’équipe et du développement significatif de l’activité puisque la Comédie co-produira plus et accueillera davantage d’artistes en résidence. L’ensemble des partenaires a joué le jeu et chacun a augmenté sa subvention pour arriver à un budget global de 5,35 M€. C’est important de sentir le soutien des tutelles autour de notre projet.
Dans le contexte actuel, nous restons optimistes. Nous avons fait le choix de n’ouvrir la billetterie et les abonnements que le 02/09/2020 afin de nous adapter aux dernières mesures et règlementations en vigueur.
Les recettes de billetterie sont une part importante de notre budget et le seront encore davantage dans les années à venir car j’ai choisi d’augmenter le nombre de représentations par spectacles. Avant le début de la crise sanitaire, nous avions dépassé la barre symbolique du million d’euros de recettes de billetterie. Nous avons été coupés dans cet élan parce qu’il a fallu rembourser des places.
Pendant le confinement, je me suis posé beaucoup de questions : Doit-on maintenir le nombre de spectacles en 2020-2021 ? Le réduire ? Déprogrammer des « gros » spectacles ?… J’ai fait le choix de maintenir la programmation telle que je l’avais imaginée avant le début de la crise. Elle est enrichie par les spectacles reportés. Ce n’est pas plus mal car après des mois d’arrêt, les artistes et compagnies souhaitent faire des dates.
« Après des mois d’arrêt, les artistes et compagnies souhaitent faire des dates »
Il était vraiment important que le Gouvernement nous permette d’ouvrir tous les fauteuils (avec la suppression de la distanciation physique en zone verte en contrepartie du port du masque en continu, NDLR). C’était aussi une question de cohérence car il était incompréhensible de voir les trains et avions remplis alors que les salles de spectacle devaient réduire leur jauge. Comme il était incohérent de voir le Puy du Fou accueillir 12 000 personnes côte à côte en tribune…
Quelles sont les perspectives offertes par le nouvel équipement ?
« Un équipement absolument unique en France et dans le monde »
C’est un théâtre absolument unique en France et dans le monde. Roméo Castelluci l’a visité lorsqu’il était encore en chantier. Il a été impressionné et considère l'équipement, selon ses mots, comme le plus beau du monde. Il le compare, en termes de possibilités techniques, au théâtre de Yokohama au Japon.
Ce potentiel incroyable est le fruit du projet de l’architecte Eduardo Souto de Moura qui, malgré son talent reconnu dans le monde entier, n’a pas cherché à construire une espèce de mausolée à son image. Son approche est au contraire humble et sobre et cela se ressent très fortement. La façade, les extérieurs et les espaces intérieurs ont été pensés dans le respect des artistes et des publics.
Eduardo Souto de Moura n’avait jamais édifié de théâtre avant celui-ci. Il s’est donc adjoint un scénographe, Félix Lefèvre, pour l’accompagner dans le projet architectural.
« Le nouvel équipement n’ouvre pas simplement des perspectives, il change tout ! »
Ce nouvel équipement n’ouvre pas simplement des perspectives, il change tout ! Tout d’abord, nous changeons de statut. Nous passons, d’une certaine manière, de « sans domicile » à « châtelain ». Malgré ce nouveau statut, il nous faut absolument garder un esprit d’ouverture, montrer aux publics que ce théâtre est aussi le leur.
Concernant le projet artistique, nous continuerons sur les mêmes lignes, mais allons pouvoir envisager de nouvelles choses, programmer des spectacles que l’on ne pouvait pas accueillir avant, inviter de nouveaux artistes, et surtout, proposer des séries plus longues - jusqu’à deux semaines pour certains spectacles - qui permettent d’installer les artistes et développer les publics.
Quels types de spectacle allez-vous désormais pouvoir accueillir ?
Jusqu’à présent, il était compliqué de faire une programmation, de trouver les salles adaptées aux projets artistiques que je souhaitais montrer, de faire coïncider les dates de disponibilité des lieux avec celles des équipes artistiques…
« Le public gagnera en confort et recevra beaucoup mieux les œuvres présentées »
De plus, la maison de la culture de Clermont, qui accueillait la plupart des spectacles de la Scène nationale, avait une capacité de 1 400 personnes, ce qui est beaucoup pour le théâtre. Avec nos deux nouvelles salles, nous sommes sur des jauges plus conventionnelles de 878 et 336 places. Le public gagnera en confort et recevra beaucoup mieux les œuvres présentées.
La grande salle (la Salle de l’Horizon), a un plateau immense, parfaitement équipé techniquement, qui pourra accueillir des grandes formes. Disposer d’un tel outil sera l’occasion de proposer aux jeunes équipes d’y créer des spectacles, d’oser le grand plateau. Aujourd’hui, la production de ces jeunes équipes est formatée par plein de choses : la pression de la diffusion, des subventions… Elles se limitent souvent à des solos ou des distributions restreintes au lieu d’oser les grandes formes. Nous, programmateurs, contribuons aussi à cela… C’est dommage pour la création artistique. En danse par exemple, les grandes formes se font de plus en plus rares… Je souhaite donc accompagner davantage les jeunes artistes à prendre des risques et ne pas se limiter aux petits plateaux.
La deuxième salle (la Salle des Possibles) est, elle, entièrement modulable. Elle pourra accueillir des propositions en bi-frontal, tri-frontal, avec du public debout… Le premier spectacle qui y sera montré est une création de Maud Lefebvre, Une femme sous influence, adaptation théâtrale du film de John Cassavetes en bi-frontal avec des charriots qui tournent autour des gradins. Lorsque nous avons discuté de ce projet, l’équipe technique était très inquiète quant à la capacité de Maud à faire tourner ce spectacle en raison de la complexité du dispositif scénique. Effectivement, elle tournera sans doute peu. Je trouve cela vraiment anormal. On ne peut pas museler à ce point les artistes. Je suis donc particulièrement heureux qu’elle ouvre cette salle pour montrer aux artistes qu’il faut résister aux injonctions et contraintes.
Pour l’équipe de la Comédie, les choses vont également radicalement changer puisque nous travaillerons désormais tous ensemble dans le même lieu, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Enfin, les publics disposeront, eux, pour la première fois d’un théâtre ouvert dans la journée.
Comment envisagez-vous l’ouverture du théâtre en journée ?
Nous avons défini deux axes de développement qui permettront aux gens de s’approprier le théâtre en dehors de la représentation des spectacles :
« Un lieu où l’on essaie de rapprocher monde urbain et monde rural »
La ruralité. Le monde agricole entoure Clermont-Ferrand mais est souvent très éloigné de nos pratiques et de notre travail. Face aux défis sociétaux et écologiques qui nous attendent, j’ai souhaité mettre en perspective les liens qui unissent la ville et le monde rural en construisant des projets qui favorisent les échanges entre les deux. C’est aussi une manière de faire entrer dans le théâtre des thématiques qui y sont habituellement peu abordées. Pour cela nous sommes partis d’une expérience développée l’année dernière avec nos artistes associés, l’auteur Guillaume Cayet et la metteuse en scène Aurélia Lüscher (Cie Le Désordre des choses). Guillaume Cayet avait écrit un très beau texte sur un drame paysan. Le texte a été joué dans des fermes de la région et a attiré un public nombreux. Le sujet intéressait mais, plus que tout, on sentait chez les gens un désir d’échanges et de rencontres. Pour poursuivre cette démarche, nous ouvrons cette année le grand hall chaque deuxième lundi du mois pour un marché nocturne avec des producteurs locaux. Ce marché s’accompagnera de conférences, projections de films, performances ou expositions, et sera poursuivi par un repas préparé par des producteurs. Le plasticien Patrick Pleutin sera présent chaque lundi pour « mettre en dessin » ces moments de partage, tandis que Guillaume Cayet proposera des ateliers d’écriture chez les agriculteurs qui donneront lieu à des restitutions au théâtre : lectures, expositions… Le nouveau théâtre sera un lieu où l’on essaie de rapprocher monde urbain et monde rural.
La jeunesse. Clermont-Ferrand attire beaucoup d’étudiants. Mais très souvent pendant leurs études, ils s’éloignent de la culture, arrêtent de jouer d’un instrument, de suive des cours de danse… Nous voulons donc être à l’écoute des jeunes désireux de partager un projet artistique dans le cadre scolaire, étudiant ou de façon individuelle. Des projets spécifiques leur seront dédiés tout au long de la saison et des outils seront mis en œuvre pour les accompagner : conseils au projet artistique, accompagnement des élèves et enseignants des options de pratiques artistiques…
La venue des jeunes au théâtre est souvent freinée pour des questions financières. Comment répondez-vous à cette problématique ?
Cette problématique est prégnante à Clermont où 50 % des étudiants sont boursiers. La saison passé, nous avons créé une carte à 5 euros pour les jeunes de moins de 27 ans et adaptée à leurs pratiques. On le sait, le mode de sortie des moins de trente ans, c’est une sortie à la dernière minute. Cette carte permet de bénéficier de tarif préférentiel sans les contraintes de l’abonnement puisqu’il est possible de prendre une place jusqu’à la dernière minute et sans un nombre de spectacles imposés. Nous avons aussi mis en place le principe des billets solidaires et proposons des paniers solidaires en lien avec des producteurs locaux pour qu’ils se nourrissent mieux.
Le théâtre est implanté dans un nouveau quartier de Clermont-Ferrand près de la maison de la culture, des futurs médiathèque et FRAC, de l’école d’art et des facultés. Allez-vous développer les liens avec ces lieux ?
Bien sûr. Nous allons notamment développer des projets avec le FRAC. Le partenaire le plus immédiat pour moi est le Festival international du court métrage qui a une histoire extraordinaire et une équipe remarquable. Ils sont assez contraints dans leurs espaces actuels et nous les inviterons régulièrement, d’abord pour le temps du festival (du 29/01 au 06/02/2021, NDLR), mais aussi pour qu’ils puissent développer des choses chez nous en dehors du temps du festival. Nous travaillerons aussi en lien avec le Centre du costume de scène de Moulins (Allier) qui ouvrira en 2021 un nouvel espace dédié à la scénographie.
La saison 2020-2021 de la Comédie de Clermont en chiffres
1/1
40 spectacles
170 représentations
5 créations :
Société en chantier de Stefan Kaegi (Rimini Protokoll)
Le Lac des cygnes d’Angelin Preljocaj
La Comparution de Guillaume Cayet et Aurélia Lüscher
deux créations du groupe Lifting (constitué de femmes seniors amateurs travaillant avec des chorégraphes professionnels à la création de pièces)
1 première en France :
L’Odyssée. Une Histoire pour Hollywood, d’après Homère et Hanna Krall, mise en scène par Krzysztof Warlikowski.
Jean-Marc Grangier, propos recueillis par NewsTank
THEÂTRE - Pour lancer une saison perturbée par la crise sanitaire, Jean-Michel Ribes a imaginé un festival de plein air, Le Rond-Point dans le jardin. Sur un tréteau adossé à l'arrière du théâtre, des artistes familiers des lieux présentent de courtes formes singulières. « Les gros patinent bien », l'hilarant « cabaret de carton » d'Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois, créé le 9 septembre, a donné le « la ».
Tous au jardin ! Au jardin du Rond-Point précisément, où sur un tréteau, à la fin du jour, le théâtre reprend de l'oxygène avec de petites formes insolites commandées par Jean-Michel Ribes, le patron des lieux. La pandémie de covid n'a pas entamé l'imaginaire des artistes et leur capacité à nous faire rire. En témoigne l'hilarant « cabaret de carton », conçu dans l'urgence par Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois, « Les gros patinent bien ».
Il n'est pas question ici d'assister à un remake clownesque d'« Holiday on ice » … les deux artistes fantasques signent un spectacle-monde joyeusement bricolé, qui nous fait voyager des fjords jusqu'à la sierra, des Pays du Nord à l'Espagne, en passant par la Grande-Bretagne et la France, en utilisant tous les moyens de transport ou presque : patins à glace, mais aussi avion, bateau, vélo et même trottinette… Assis sur une chaise de fortune, Olivier Martin Salvan déclame (et chante parfois) son épopée à la manière d'un grand acteur « bergmano-shakespearien », inventeur d'une « novlangue » à forte consonance british.
Cabaret de cartoon Pas besoin de sous-titres. L'essentiel de l'action, les lieux et les objets sont décrits au feutre noir sur des bouts de carton, qui, rassemblés et scotchés, servent aussi à l'occasion de décors et de costumes. Court vêtu (d'un simple maillot de bain), Pierre Guillois, transformé en accessoiriste et en figurant de luxe, est aussi à l'aise en requin, qu'en pilote nazi, en épicier(e), en « señorita » lascive ou en joueur de cornemuse survolté. Ses courses folles, de cour à jardin, contrastent avec l'apparente immobilité d'Olivier Martin-Salvan.
Usant avec bonheur du comique de répétition et multipliant les gags potaches, le cabaret de carton devient cabaret de « cartoon »… Masqué et « distancié » (comme l'impose la réglementation dans les théâtres en zone rouge), le public a vite fait d'oublier l'ambiance anxiogène du moment. Les masques n'empêchent pas les rires et les applaudissements de retentir. Le théâtre au jardin, avec l'été indien en prime, est un bon remède au stress.
Joué deux fois (les 9 et 13 septembre) « Les Gros patinent bien » s'intègre dans un programme roboratif qui court jusqu'à la fin septembre. Au menu, entre autres, un concert de Tania de Montaigne (le 13), deux récitals de François Morel (les 15 et 16), un « cabaret-procès » dédié à l'affaire Harvey Weinstein et au mouvement #MeeToo de Pierre Notte (le 17), Pierre Arditi qui « lit ce qu'il aime » (le 19), la très grinçante « revue de presse » de Christophe Alévêque (les 22 et 25) et « La Pyramide » de Copi, une rareté, mise en scène par Joséphine de Meaux (le 27).
LE ROND-POINT DANS LE JARDIN Spectacle Paris, derrière le théâtre du Rond-Point . (01 44 95 98 00) Entrée libre, jauge de 100 places. Du 8 au 27 septembre, à 18 h 00 (à 16 h 00 également le week-end)
Un vent de révolte souffle sur les jeunes artistes de la scène, et le théâtre leur offre, en cette rentrée un peu glacée par la crise sanitaire, un formidable tremplin médiatique. Faut-il encore, bien sûr, que des directeurs intelligents prennent le risque de programmer des textes hautement politiques et parfois dérangeants. Au Théâtre de Belleville, Guillaume Gras et sa compagnie A Table! présente Un ennemi du peuple, la pièce incendiaire d’Henrik Ibsen dans une version contemporaine et au milieu d’un public conquis, tandis qu’à La Reine Blanche Julie Timmerman poursuit, après Un Démocrate, une saga sur la prédation d’une multinationale américaine de bananes en Amérique Centrale. Acteurs brillants, texte passionnant, rythme incisif, du théâtre qui brûle et qui réveille !
A la fin du 19° siècle, le norvégien Henrik Ibsen plonge sa plume dans l’encre bien noire de la corruption et de l’hypocrisie sociale dans une pièce volcanique dont le héros serait aujourd’hui… un lanceur d’alerte. Tomas Stockmann est un médecin jeune et brillant, en charge d’un centre de médecine thermale. Sa femme est la fille d’un riche industriel dont les capitaux arrosent la municipalité, elle même dirigée par un maire qui veille paternellement à la bonne santé de sa ville de cure et des revenus réguliers que l’eau de la région leur rapporte. Petits bourgeois et commerçants veillent aussi au grain, récoltent leur pécule en défendant leur bifteck, bref, tout ce petit monde récolte sa part de gâteau. Le problème survient quand Stockmann révèle, au terme d’une longue analyse bactériologique, que les eaux des thermes sont empoisonnées par une bactérie, dangereuse pour les curistes. Il tente d’alerter ses pairs, ses amis, passe par le journal local, sans s’imaginer une seule seconde que cette nouvelle ferait l’effet d’une dynamite que chacun souhaite désamorcer. L’efficacité du spectacle tient dans le fait que le metteur en scène réussit à transposer l’action aujourd’hui, sans décors ni costumes, par des répliques simples et directes qui vivifient l’action. Les spectateurs sont assis autour des acteurs qui incarnent les protagonistes, dans un thriller haletant et tragique. Nicolas Perrochet et ses camarades font preuve d’un engagement total. Une réussite !
Bananas (and kings)
Il y a dans la nouvelle création de Julie Timmerman un souffle épique, un mélange de réalisme et d’onirisme qui évoque Angels in America, pièce fleuve de Tony Kushner qui racontait l’Amérique des années SIDA et leur lot de mensonges et de compromissions. Nous sommes ici en 1954 au Guatemala, alors que la CIA provoque un coup d’Etat pour mettre fin au mandat du socialiste Jacobo Arbenz, accusé de dangereux bolchévisme en pleine guerre froide. La multinationale américaine United Fruit Company pouvait enfin agir à sa guise en multipliant les faramineux profits déjà acquis au Guatemala, en Colombie, au Honduras et à Cuba, utilisant les populations pour produire à moindre coût et selon des méthodes militaires des tonnes de bananes et fournissant à leurs dirigeants des gratifications en nature. Le sujet est brûlant puisque la United Fruit Company sévit encore, sous d’autres appellations, et malgré les maladies qui frappent régulièrement des bananes soumises à une monoculture intensive et à de puissants pesticides.
Et c’est bien là le sujet de cette création, qui raconte à travers tout le 20° siècle, et depuis les westerns du 19 siècle, comment les Américains ont assujetti des populations entières d’Amérique centrale, y ont modifié leur cultures naturelles et leurs modes de vie, pour asseoir un capitalisme de plus en sauvage. Quand le profit économique provoque des coups d’Etat, des maladies inconnues et la disparition de certaines espèces, il y a de quoi se saisir de cette pieuvre dramatique et mortifère. Dans une scénographie efficace de Charlotte Villermet, un rideau noir et deux ventilos, les personnages se succèdent sur un rythme brechtien, changeant de maquillage et de costume à vue, alternant le grotesque et le lyrique, le réalisme et le fantastique. Les quatre comédiens sont éblouissants : Anne Cressent, vibrante et d’une présence lumineuse, procureur ou indienne défigurée; Mathieu Desfemmes en businessman roublard, yogi humaniste épris de revanche sociale ; Jean-Baptiste Verquin est un prédateur satanique, sorte de Richard III illuminé et Julie Timmerman un second couteau qui trempe dans tous les coups, totalement amoral. A découvrir de toute urgence.
Hélène Kuttner
Un ennemi du peuple, d'Henrik Ibsen
Metteur en scène : Guillaume Gras
Distribution : Un ennemi du peuple : Ivan Cori, Marie Guignard, Eurialle Livaudais, Bruno Ouzeau, Nicolas Perrochet, Gonzague Van Bervesselès
BANANAS (and kings)
Texte et mise en scène Julie Timmerman BANANAS (and kings) : Anne Cressent + Mathieu Desfemmes + Jean-Baptiste Verquin + Julie Timmerman
Bananas (and kings) tournée sur La saison 2020-2021 3 - 4 novembre 13 novembre 20 novembre 11 décembre 5 février 11 février 5 mars 19 mars 13 avril 20 avril 27 mai théâtre andré malraux de rueil-malmaison (92) sous réserve pour le 4-11 centre culturel aragon-triolet d’orly (94) Grange dîmière de Fresnes (94) espace culturel andré malraux du kremlin-Bicêtre (94) théâtre des 2 rives de charenton-le-Pont (94) théâtre de cambrai (59) L’entre-deux - scène de Lésigny (77) espace culturel Boris vian - Les ulis (91) espace culturel Baschet, saint-michel-sur-orge (91) L’atao d’orléans (45) sous réserve théâtre du Bordeau - saint-Genis-Pouilly (42)
Dans son livre Krystian Lupa, les acteurs et leur rêve, Agnieszka Zgieb nous fait pénétrer dans les arcanes du metteur en scène polonais à travers la voix de ses interprètes. Fascinant.
Avant Krystian Lupa, il y eut en Pologne de grands maîtres du théâtre – Jerzy Grotowski, Tadeusz Kantor. Après lui, Krzysztof Warlikowski, qui fut son assistant, a formidablement pris la relève. Ce qui les distingue et les rend uniques dans le paysage théâtral européen, c’est la recherche acharnée d’une expérience qui cristallise et sublime la connaissance intime de soi, un voyage intérieur qui prend le large pour aborder les rives d’une humanité partagée.
Agnieszka Zgieb, autrice et traductrice de théâtre, connaît bien Krystian Lupa et lui a déjà consacré un remarquable ouvrage illustré en 2018 (Krystian Lupa, éd. Deuxième époque) où elle donnait à découvrir le dessinateur impénitent que cache le metteur en scène. Ou plutôt l’osmose entre les deux, née dans l’enfance lorsque Lupa créait déjà son propre langage, inventait le plan d’une ville, ses habitant·es et leurs histoires…
Lupa, pédagogue autant que metteur en scène
Le livre qu’elle publie aujourd’hui creuse le mystère de l’acteur en donnant la parole au metteur en scène et à ses interprètes. En introduction, elle déploie les grands axes de la méthode Lupa : “Il y a le monologue intérieur (la porte d’accès), le paysage (la construction de la matière de départ), le corps en rêve (l’outil) et surtout l’acteur avec toute sa personnalité et son vécu.” Et ses chemins de traverse : l’improvisation, le dessin intérieur, l’intuition.
“Rencontrer Krystian Lupa n’est pas sans danger. On ne revient pas de ce pays-là.” Mélodie Richard, comédienne
Mais, loin d’être un ouvrage théorique, le livre nous fait approcher de l’intérieur le processus de création qui forme le fil rouge d’un parcours magistral : de ses mises en scène des pièces de Thomas Bernhard à sa dernière création, Le Procès de Kafka. En guise de prologue, Krystian Lupa écrit : “Je suis très curieux de découvrir ce qui peut découler du livre d’Agnieszka Zgieb : ce projet tente de sonder l’autre côté de la lune. Ce que je note avec obstination à travers l’acteur, c’est l’expérience de l’homme. (…) La création et le processus de connaissance sont chez moi vampiriques : ils sont inscrits dans la condition du metteur en scène, de l’artiste qui crée d’autres êtres, ou disons plutôt à l’aide d’autres êtres.”
L’évocation du chamanisme revient à plusieurs reprises pour évoquer le travail avec Lupa, le pédagogue autant que le metteur en scène. L’acteur Adam Nawojczyk, qui fut d’abord son élève, le résume parfaitement : “C’est un chaman qui cherche à nous transfuser un rêve commun. Il exige une prise de risque et un dévouement total.” Avec d’autres mots, l’actrice française Mélodie Richard, qui a joué sous sa direction dans Salle d’attente de Lars Norén en 2011, fait le même constat : “Rencontrer Krystian Lupa n’est pas sans danger. On ne revient pas de ce pays-là.” On y dépose nos rêves et on les voit grandir.
Un film tel un rêve éveillé
C’est exactement ce que fait Denis Guéguin, vidéaste et collaborateur de longue date auprès du metteur en scène Krzysztof Warlikowski, dans le film homonyme qui accompagne la sortie du livre. Réalisé à Varsovie pendant le confinement, en avril et mai dernier, il délivre dans un fondu enchaîné d’images, de sons et de paroles, la quintessence de la quête théâtrale dont témoigne le livre.
Il s’ouvre sur l’image d’une faille courant le long d’un mur que suit la caméra dans un travelling nonchalant. S’y superposent bientôt des dessins de Krystian Lupa, les portraits filmiques des acteur·trices, tandis qu’en voix off, on entend leurs témoignages, lus par des acteur·trices français·es. Le film se déroule tel un rêve éveillé, parfaite illustration du travail poursuivi sans relâche par Lupa et ses acteurs·trices.
Une bouffée d’air vitale, relate Denis Guéguin : “Alors que des créations s’arrêtaient, dans un climat général bizarre où plus aucune salle de spectacles, de cinéma, d’opéra soit ouverte, la toile explose de forme diverses et variées de vidéos issues du confinement. (…) Avec des prises de vues improvisées au smartphone, les dessins filmés de Krystian, les voix, les visages et la musique de Bogumil Misala, le film s’est construit sans budget et sans contrainte, avec une écriture automatique, expérimentale et singulière.” Une magnifique porte d’entrée dérobée pour s’immerger dans l’univers de Krystian Lupa.
"Je vous parle des frémissements intimes qu’apportent de petits plaisirs, des interrogations et même des déconvenues si on leur laisse le loisir d’exister."
Françoise Héritier
C’est une terrasse à Montmartre, intime, un recoin bachelardien,
sublimé par la vue imprenable sur Paris qui remplacera les «vraies» planches pour l’occasion. En ce début de déconfinement c’est plus qu’un privilège d’être là, cela relève d’un mystère. On est dans l’intimité réelle, et pourtant - nous sommes le vrai public à regarder la toute première présentation du Sel de la vie , une pièce de théâtre tirée du livre de Françoise Héritier avec le même titre, rêvée et jouée par Florence Payros.
En scrutant le ciel, étant rassuré que la Tour Eiffel était toujours là, le sentiment d’être à Paris me revenait au compte-gouttes comme
confirmation qu’une absence, un vide, sont désormais (et pour combien de temps?) derrière nous…
Et la pièce commença…
Françoise Héritier est une anthropologue, ayant suvi des études
d’ethnologie après avoir écouté Claude-Lévy Strauss. Elle a succédé à ce grand homme au Collège de France. Vers la fin de sa vie, elle a écrit des livres «hors champs» et «hors murs», avec un sentiment que le «souvenir n'est plus mais la mémoire sensuelle du corps parle toujours». Suite à une carte postale d’un ami, et en guise de réponse, elle avait commencé à énumérer les beautés, les instants magiques et uniques dans nos vies de tous les jours. Et on plonge dans nos souvenirs, ces petits riens, des
enchantements sans noms, touché au plus profond de notre âme, que l’ on oublie, tacitement et facilement, ces moments de grâce, conséquence du simple fait d’exister.
Florence Payros, et on s’en aperçoit immédiatement, n’est pas ici une interprète classique qui nous transporte vers un autre monde, elle est plus que la voix, que le corps nécessaire pour nous transmettre un message, un code, elle est notre invocatrice, elle illumine le relais d’une confidence, car tout est en interaction, on participe à la pièce - sans bouger, sans dire un mot, car ça nous parle, ça parle de nous. Et l’Autre réapparaît !
On y découvre, lentement, que cette invitation, cette invocation était justement pour s’ouvrir et «sentir la densité d'un silence attentif». Et la présence , naturellement.
Tout nous revient… tout, ou presque. Emmenés dans la douceur et la rêverie verbale, avec des mouvements qui nous chuchotent à leur tour, Florence Payros démontre la passion des mots qui dansent comme dans une mélancolie heureuse. On est ailleurs, mais cette même douceur nous tient par la main et nous retient car il y a encore des choses à évoquer, à entendre. Encore et encore…
Cependant, il y a un vrai “danger” avec ces livres, avec les récits
d’une beauté pareille et d’une profondeur semblable. Très souvent, il ne se passe rien vraiment de théâtral, il n’y pas un drame, un crime en préparation, même l’ombre d’une surprise… Vite, on sait que ce ne sont que des émotions pures qui sont en cause, et on est vulnérable, touché, sans les cris et les gestes graves. Sans lourdeur sur scène.
Certains d’entre nous allons avoir des larmes dans les yeux, c’est ça le théâtre participatif de post-confinement, où, pour que ça dure, et que tout garde un sens subtile d’une rencontre confidentielle, les phrases sont incarnées, délicatement, car la comédienne a su trouver la tonalité, le seuil de la tendresse pour nous confier la confidence… en digne “héritière” d’un texte qui nous donne l’impression forte d’être écrit pour elle.
C’est un feu d’artifice de mots doux qui se terminent en apothéose,
bien qu’il n'y ait pas de catharsis, mais seulement (seulement ?) des larmes… Des larmes de joie, de ces instants de la vie éveillée mais aussi de ce rituel, de leur invocation littéraire et si théâtrale, malgré tout !!! Avec un sentiment que quelque chose étrangement intime et fin nous habite comme Héritier l’avait décrit dans un autre livre: Caresser l'idée que, peut-être,
sait-on jamais? - tout compte fait, à tout prendre, pourquoi pas? - à tout hasard, éventuellement, ce sentiment qui vous emplit de joie pourrait bien être ce qu'on appelle l'amour.
LE SEL DE LA VIE de Françoise Héritier. Un seule en scène avec la comédienne Florence Payros sous le regard de Marie Potonet.
Ecrit par la grande anthropologue Françoise Hériter qui succéda à Claude Levi-Strauss au Collège de France, Le Sel de la vie est une énumération de toutes les petites choses quotidiennes qui embellissent la vie. Sous une forme légère et poétique, il nous ramène à l’'essentiel, il est une invitation "très sérieuse" à savourer chaque instant. « Prendre un café au soleil », « suivre le vol d’une seule hirondelle au milieu des autres » ou bien « haïr le ton cassant », « l'absence de considération pour les autres », font partie de ce florilège pétillant relevant d'une certaine éthique : celle de la résistance à l'indifférence.
En nos temps semi-confinés, les mots de Françoise Héritier nous convient à nous arrêter sur tous les petits riens, en réalité essentiels.
LE SEL DE LA VIE de Françoise Héritier. Un seule en scène avec la comédienne Florence Payros sous le regard de Marie Potonet.
Le metteur en scène monte trois tragédies pour le grand rendez-vous culturel de la rentrée en Ile-de-France.
La météo n’aura pas la peau du théâtre. Il est 6 h 30, samedi 5 septembre. Il pleut doucement. On a rendez-vous avec Ajax, Antigone et Héraclès. La Cartoucherie de Vincennes sort de la nuit. Déjà installée en demi-cercle sur la « prairie », une centaine de spectateurs masqués est là. Qui assis sur une couverture, une chaise, qui emmitouflé dans sa doudoune ou son imper. Des silhouettes s’agitent dans l’aire de jeu cernée au sol par un épais trait de craie rouge.
C’est parti vite et ça n’arrêtera pas pendant près de cinq heures.« Ajax » est la première des trois tragédies qui ouvrent le Festival d’automne
Pas le temps de prendre ses marques, une voix masculine fend l’air. Ajax, le héros de Sophocle, vient d’égorger un troupeau de bêtes en croyant qu’il s’agissait des amis d’Ulysse. Rejoint par une cohorte de comparses, il nous emporte torse nu dans le vent mauvais de son destin et de son suicide pendant que l’on se replie sous un parapluie ou à l’abri des arbres.
C’est parti vite et ça n’arrêtera pas pendant près de cinq heures. Ajax est la première des trois tragédies qui ouvrent le Festival d’automne, en partenariat avec l’Atelier de Paris. Viendront Antigone et Les Trachiniennes, autour d’Héraclès, également centrées sur le thème de la mort.
Dans la mise en scène très physique de Gwenaël Morin, dont on connaît aussi la voracité marathonienne, cette triplette intitulée Uneo uplusi eurstragé dies lance deux jours de spectacles, films et concerts entièrement gratuits, distribués entre la Cartoucherie de Vincennes et l’Espace Cardin, à Paris (8e).
Elle donne le pouls de ce rendez-vous inhabituel imaginé par Emmanuel Demarcy-Mota, directeur de la manifestation. Sur le modèle de la réouverture, lundi 22 juin, de l’Espace Cardin - Théâtre de la Ville, qu’il pilote également, il a imaginé ce week-end inédit en complicité avec les directrices artistiques du Festival d’automne, Marie Collin et Joséphine Markovits. Un débat d’idées sur le thème de la pandémie et de la transformation des relations sociales complète le programme.
Le choix de Gwenaël Morin est parfait. Son théâtre est direct, pulsant, net. Gros morceau sans doute que ces trois tragédies de Sophocle, qui passe comme une lettre à la poste. Mais pourquoi ce démarrage à l’aube ? « Le fait de se lever pour aller au théâtre, le fait de traverser la nuit pour attendre que ça commence, puis que le soleil se lève à l’intérieur du spectacle, cela crée un renversement », explique le metteur en scène dans le dossier de présentation.
La fougue et l’ardeur des comédiens soutenus par l’intensité nerveuse de Morin qui veille sur eux au premier rang ne nous lâchent pas
Depuis les années 2000, Morin bouscule. Il est l’homme du Théâtre permanent, dont la compagnie, pendant un an, en 2009, aux Laboratoires d’Aubervilliers, a joué régulièrement et gratuitement Lorenzaccio,Hamlet ou Bérénice. Il a aussi mis en scène, entre autres, quatre pièces de Molière en 2016 et quatre Fassbinder, avec lesquelles il avait déjà ouvert le Festival d’automne, en 2013. Autant dire qu’il ne fait qu’une bouchée d’Ajax, d’Antigone et d’Héraclès, fouettés par une troupe de jeunes acteurs âgés de 25 à 30 ans.
Son parti pris d’un art volontairement pauvre, fabriqué avec les moyens du bord et les vêtements du jour – ici, beaucoup de sweat-shirts –, colle au plein air. Un seul panneau en carton de plus en plus gondolé sous la pluie sert de décor tout en dissimulant les coulisses minuscules. On peut observer parfois en même temps l’action et ses préparatifs avec changements de costumes et d’accessoires. Cela ne découd pas la fiction théâtrale tragique qui se déroule de toute urgence devant nos yeux. La fougue et l’ardeur des comédiens soutenus par l’intensité nerveuse de Morin qui veille sur eux allongé dans l’herbe au premier rang ne nous lâchent pas. Leur projection dans Sophocle est éloquente, sincère.
Le texte sonne fort et précis dans la traduction d’Irène Bonnaud qui rend Sophocle presque familier, et c’est un bonheur. Il tape là où il faut : au cœur et au ventre. La fraîcheur de l’air de plus en plus humide au fil du temps n’entame pas la ferveur silencieuse du public qui se requinque à chaque entracte d’un café-croissant, puis d’un verre de vin-charcuterie. Il est 11 heures lorsqu’on émerge de ce champ de massacre, les pieds gelés mais le cerveau en ébullition.
Le tourbillon vocal de « Blablabla »
Bascule urbaine l’après-midi à l’Espace Cardin, où le texte et la voix sont aussi au rendez-vous. Après une parenthèse filmique cocasse avec la série Rituels, coréalisée par Emilie Rousset et Louise Hémon, plus mouvementée avec le chorégraphe Boris Charmatz dans Les Disparates, réalisé par César Vayssié en 2000, on se retrouve happé par le tourbillon vocal de Blablabla, mis en scène par Emmanuelle Lafon.
Dans un petit studio dont les gradins sont rythmés par des bandes de tissu pour marquer l’espace à laisser vide entre les spectateurs, la comédienne et chanteuse Anna Carlier mène tambour battant ce show étonnant, composé d’une centaine d’inserts textuels. De la speakerine TGV à Buzz l’Eclair en passant par Catwoman, elle imite les voix, les accents et endosse tous les personnages au quart de seconde.
Ce mixage de la bande-son de la vie file le tournis. On reprend sa respiration dans le jardin où, assis sur un banc, le musicien Haig Sarikouyoumdjian fait délicatement vibrer son duduk, hautbois arménien. Souffle profond, aspiration vers le ciel presque dégagé. Le soleil se couche. D’un arbre à l’autre, la boucle de cette journée délicieusement spéciale est bouclée.
Quels sont les spectacles à voir cette semaine au théâtre ? Voici le résumé de ma semaine théâtrale !
Cette semaine le monde du spectacle a perdu une show woman de talent qui a incarnée à l'écran Dolly levi dans Hello Dolly au Théâtre Mogador après Carole Channing à Broadway ou Barbra Streisand au cinéma dans le film de Gene Kelly, il s'agit évidemment d'Annie Cordy qui nous a quitté à l'âge de 92 ans ! Goodbye Dolly !
Ce week-end c'était l'ouverture du festival d'automne à Paris. Après avoir été privé de Festival d'Avignon j'étais ravi de retrouver l'ambiance d'un festival et ça a commencé très tôt à la cartoucherie à l'atelier Carolyn Carlson à côté du théâtre de l'aquarium, dans le parc, pour découvrir le dernier spectacle de Gwenael Morin avec les talents Adami. On y a même retrouvé la géniale Luce de la Nouvelle Star dont on retiendra la reprise de Gigi l'amoroso de Dadila.
GWENAËL MORIN Uneo uplusi eurstragé dies Le metteur en scène Gwenaël Morin creuse un sillon original depuis des années : temps de répétition court, absence de décors et de costumes, répartition des rôles tirée au sort. C’est avec ce dispositif et la promotion « Talents Adami Théâtre » de 2019 qu’il s’était confronté à l’œuvre de Sophocle dans Uneo uplusi eurstragé dies, spectacle renouvelé pour le Festival d’Automne 2020. Cette fois-ci en plein air, ses comédiens affrontent les dieux sous les rayons d’un soleil matinal. Avec trois tragédies (Ajax, Antigone, Les Trachiniennes), Gwenaël Morin met en scène la mort de grandes figures tragiques à travers son propre système de jeu. Il parvient à créer une forme théâtrale contemporaine et les conditions de représentation pour voir l’œuvre de Sophocle aujourd’hui.
Conception et mise en scène, Gwenaël Morin // Avec la promotion 2019 des « Talents Adami Théâtre » : Teddy Bogaert, Lucie Brunet, Arthur Daniel, Marion Déjardin, Daphné Dumons, Lola Felouzis, Nicolas Le Bricquir, Diego Mestanza, Sophia Negri, Remi Taffanel // Collaboration artistique, Barbara Jung Coproduction Festival d’Automne à Paris ; Théâtre Garonne – scène européenne (Toulouse) // Coréalisation Atelier de Paris / CDNC ; Festival d’Automne à Paris // Avec l’aide à la reprise de l’Adami // Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès
Ensuite il était l'heure d'aller à l'espace Cardin pour découvrir un des portraits du Festival d'Automne, Encyclopédie de la parole !
ENCYCLOPÉDIE DE LA PAROLE / EMMANUELLE LAFON blablabla Une centaine de paroles, d’origines les plus diverses, sont prononcées par la même bouche. Tissées ensemble, elles offrent tout un théâtre à l’imaginaire des spectateurs, petits et grands. Le chef de train nous accueille à bord du TGV nº1456, un robot décline son identité, un commentateur sportif égrène les noms de joueurs, une youtubeuse ouvre une dispute, la voix du photomaton délivre ses instructions, un rappeur rappe… Qu’entend-on du sens des mots quand, extraits de leurs contextes, on s’en empare comme d’une matière sonore ? Sonorisées grâce à un dispositif développé par l’Ircam, les comédiennes et musiciennes Armelle Dousset ou Anna Carlier jouent avec la collection de l’Encyclopédie de la parole et font surgir une flopée de personnages et de situations, des plus quotidiens aux plus féériques. Conception, Encyclopédie de la parole // Composition, Joris Lacoste // Mise en scène, Emmanuelle Lafon // Avec Armelle Dousset et Anna Carlier (en alternance) // Création sonore, Vladimir Kudryavtsev // Lumières, Daniel Levy // Coordination de la collecte des documents sonores, Valérie Louys // Collaboration informatique musicale Ircam, Augustin Muller Production Échelle 1 :1 en partenariat avec Ligne Directe // Coproduction La Villette (Paris) ; Le Volcan, scène nationale du Havre ; Théâtre de Lorient-centre dramatique national ; La Bâtie – Festival de Genève ; Théâtre L’Aire Libre ; Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; T2G –Théâtre de Gennevilliers ; Festival d’Automne à Paris // Coréalisation Théâtre de la Ville – Espace Cardin ; Festival d’Automne à Paris
Une série que les habitués du festival d'automne connaissent bien et que je découvre avec plaisir. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Abonne-toi → https://goo.gl/fjM587 - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Avec son nouveau roman, la jeune autrice multiprimée s’interroge sur l’engagement en politique et la nécessité d’écrire.
Marchant sur la plage, la marinière fière, Alice Zeniter laisse échapper un doute. L’espace d’un instant, un petit, mais quand même. Ecrire ? Franchement ? Elle est venue nous chercher à la gare, avec son utilitaire. On est passé un instant chez elle, une petite maison dans les terres, à dix minutes de la mer, il y avait aux toilettes le Monde diplo et la BD d’Inès Léraud sur les algues vertes. On n’écrit pas où c’est exactement, c’est voulu. Elle a des admirateurs parfois trop envahisseurs. L’autrice préfère rester discrète. Disons que c’est en Bretagne, dans les Côtes-d’Armor, le vent souffle et il ne fait pas très chaud.
A un âge, 34 ans ce lundi, où la plupart des auteurs sont heureux de publier leur premier roman, Alice Zeniter hésite.
L’accouchement de son dernier ouvrage, Comme un empire dans un empire, a été difficile. «Pendant plusieurs semaines, j’ai pensé arrêter après celui-là. Je me disais que ça serait bien de retrouver un rôle de passeur. Peut-être que je pourrais transmettre les textes des autres plutôt que de m’échiner à faire quelque chose qui me déçoit toujours un peu», raconte celle qui a été prof, notamment à Budapest. Sentir qu’elle ne deviendra pas James Joyce, et renoncer ? Alice Zeniter, qui est aussi metteuse en scène, a publié très jeune, à 16 ans, en 2003. Elle a connu ensuite le succès avec Sombre Dimanche, en 2013, prix du Livre Inter. En 2017, elle obtient le Goncourt des lycéens pour l’Art de perdre, récit fouillé de ses origines algériennes, autour de l’histoire de son grand-père paternel, un harki. Les ventes, énormes, près de 600 000 exemplaires, la mettent presque à l’abri du besoin, elle qu’on ne verra jamais tout claquer en jéroboams à Saint-Tropez. Ses ouvrages sont salués. Son style, «en ligne claire» comme dit joliment son ami écrivain Vincent Message, est accessible pour le plus grand nombre, intelligent sans être pédant. Elle y attache une grande importance, glissant çà et là des alexandrins discrets, «blancs», pour son plaisir. «C’est quelqu’un qui écrit pour les lecteurs tout en vouant un culte à la littérature», dit la journaliste Victoire Tuaillon, camarade de soirées baudelairiennes. «On s’assoit à une table avec du bon vin, on parle de livres, d’amour, de politique et de féminisme, et, à la fin, on est très ivres.» Alice Zeniter est bien partie pour être l’une des grandes écrivaines de sa génération, de celles qu’on étudie dans les livres scolaires, plutôt que de celles que l’on brandit dans les concerts punks.
Depuis le succès de l’Art de perdre, elle n’a pas arrêté de produire : pièce et adaptation de théâtre (notamment pour sa troupe), récit jeunesse, etc. Mais Comme un empire dans un empire signe son retour au roman fictionnel pour adultes, catégorie reine du petit monde des lettres. L’opus sur l’engagement politique narre la rencontre entre un jeune attaché parlementaire PS et une hackeuse éprise de liberté et des Anonymous. Celle qui a écrit sur le mariage blanc ou la Hongrie, en passant par le polar écossais, aborde une nouvelle thématique. En bonne élève, même si elle n’aime pas qu’on la voie ainsi, Alice Zeniter s’est abondamment documentée, pour comprendre l’art du piratage informatique. Elle a visité l’Assemblée nationale avec les équipes de François Ruffin, pour qui elle voterait bien en 2022. «C’est une extraordinaire bosseuse, admire son éditrice chez Flammarion, Alix Penent. Et en même temps, une vraie romancière : elle est plus engagée dans la vraie vie que dans son livre mais elle sait que le roman c’est l’espace de la question, du doute, et non pas de la thèse.»
Retour à l’incertitude.«J’ai commencé à écrire sans aucun problème et au milieu, je me suis arrêtée en me disant : "Mais en fait personne ne me pardonnera jamais de faire autre chose que l’Art de perdre", raconte l’autrice. Si je m’éloignais de l’Algérie, de la fresque familiale, j’allais forcément décevoir et dépiter les gens. J’ai fait mon tube, j’ai fait Tomber la chemise et c’est fini.» La brune rit, d’un rire clair, sans amertume, ni peur. Pour se changer les idées, elle a travaillé sur un seule-en-scène, le jouera l’année prochaine, si le Covid le veut. Elle coprépare aussi un scénario de dessin animé.
Produire, toujours.
C’est sûr, avec Comme un empire…, dans cette aventure peuplée de semi-zadistes bretons et de gilets jaunes (sur qui elle pose un regard favorable), les couleurs et les odeurs de la Kabylie sont bien loin. Alice Zeniter n’a rien fait pour aider son lecteur, délaissant les grands complots, les rebondissements abracadabrantesques et les histoires d’amour : plutôt la politique comme on va acheter le pain, en espérant qu’entre chez soi et la boulangerie on sera enlevé par les services secrets, mais en fait non. Assumant cette «déception» potentielle, elle dit : «J’essaye de casser la figure du sauveur. C’est une manière délétère et apolitique de raconter une histoire, voire fasciste. Les super-héros dépolitisent la masse et la forcent à basculer dans le culte de l’homme providentiel. Tu ne seras jamais aussi fort que Superman, autant laisser Superman faire les choses.» Une hypothèse, en passant : si elle-même n’arrive pas à être satisfaite, pourquoi le lecteur devrait-il l’être ?
Son père travaillait à la CAF, sa mère était prof d’art manuel et de techno, ils sont à la retraite. Elle est née en banlieue parisienne, a grandi dans le pays d’Alençon, en Normandie, avec ses deux sœurs, l’une prof de français à Nanterre, l’autre dans le cinéma, à New York. Elle se souvient de sa honte de fille de la classe moyenne, arrivant face à tous ces Parisiens surinformés en prépa A /L à Lakanal, à Sceaux, où Augustin Trapenard lui faisait passer des colles d’anglais. Cela ne l’empêche pas de réussir ses études, entrant à l’ENS Ulm, option théâtre. Alice Zeniter savait ce qu’elle voulait : «J’avais envie de tout à la fois. D’être lue. De pouvoir écrire sans que ça soit du temps volé. De pouvoir continuer à lire énormément, que ça ne soit pas juste un loisir.» Elle cite son roman de chevet du moment, le Problème à trois corps de Liu Cixin, ses passions éclectiques, Apollinaire, Damasio, Franzen, etc.
Elle ne veut pas d’enfant : ça prend trop de temps. Après avoir écumé les résidences d’écriture, elle a acheté une maison dans cette campagne reculée, pour pouvoir avoir son espace à soi. Créer, tranquille. Ses amies saluent sa générosité, sa manière d’aider les autres sans trop en dire. Sauf lorsqu’elle rédige. Là, elle peut être grognonne. Elle préfère remonter les courroies de sa machine à laver plutôt que parler à quelqu’un et renvoie donc son mec à Paris, où il vit à moitié. Derrière nous, il passe la motobineuse dans le jardin. On demande ce qu’il fait, quand il ne tond pas : «En ce moment, on écrit un film ensemble.»«Et sinon ?» La réponse se perd dans les volutes de fumée de sa roulée. Elle aime les mystères. Elle ne le dit pas. Garder un coin privé, pour mieux raconter l’autre.
7 septembre 1986 Naissance à Clamart (Hauts-de-Seine). 2017L’Art de perdre. Août 2020Comme un empire dans un empire (Flammarion).
Eric Ruf, l’administrateur général de la maison, a présenté mercredi 2 septembre le programme de la saison 2020-2021.
Une saison doublement particulière s’annonce à la Comédie-Française. Comme tous les théâtres, elle doit composer avec les mesures sanitaires. Elle doit aussi s’acclimater à une nouvelle salle, le Théâtre Marigny, au bas des Champs-Elysées (Paris 8e), qui l’accueille jusqu’en janvier, le temps que soient menés à bien des travaux de rénovation, salle Richelieu, place Colette (Paris 1er) : changement du système de pilotage des cintres, réaménagement du hall d’entrée et de la boutique, qui ouvrira désormais sur ce hall.
Pendant cette période, la troupe jouera dans quatre salles : la grande et la petite du Théâtre Marigny, dirigé par Jean-Luc Choplin, le Théâtre du Vieux-Colombier (Paris 6e) et le Studio-Théâtre (Paris 1er). C’est donc une saison placée sous le signe de « la navigation à l’estime », pour reprendre une formule d’Eric Ruf, l’administrateur général de la maison, qui va commencer, le 30 septembre, avec Le Côté de Guermantes, adapté et mis en scène par Christophe Honoré, d’après le troisième tome (1920) d’A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust.
Alternance dite « légère »
Cette création très attendue sera présentée jusqu’au 15 novembre dans la grande salle de Marigny, où la Comédie-Française ne pratiquera pas une alternance classique, en changeant de programme tous les soirs, mais une alternance dite « légère », avec des « miniséries » de spectacles.
Proust partagera ainsi l’affiche à partir du 30 octobre avec Molière, dont la troupe reprend l’historique production du Malade imaginaire dans la mise en scène de Claude Stratz, jusqu’au 3 janvier 2021. A partir du 4 décembre, Molière partagera l’affiche avec Mais quelle Comédie !,une création de Marina Hands et Serge Bagdassarian, à qui Eric Ruf a demandé d’imaginer « un grand cabaret réunissant les chanteurs-musiciens-danseurs-comédiens de la troupe pour égayer notre époque qui en a tant besoin ».
La petite salle du Marigny accueillera Guillaume Gallienne, seul, et mis en scène par Claude Mathieu, dans François, le saint jongleur – une belle occasion d’entendre un texte de Dario Fo (du 29 septembre au 15 octobre). Puis Eric Ruf reviendra à Bajazet, en proposant une nouvelle mise en scène de la pièce de Racine (du 17 octobre au 15 novembre). Et, pour finir l’année, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux reprendront (du 25 novembre au 3 janvier) Les Serge, le spectacle sur Serge Gainsbourg qui leur a valu un franc succès en 2019. Au Théâtre du Vieux-Colombier, Pauline Bureau ouvrira la saison en reprenant Hors la loi, un spectacle sur leprocès de Bobigny et la loi Veil(du 18 septembre au 25 octobre), avant que Léna Bréban ne propose sa version de Sans famille, d’après Hector Malot (du 25 novembre au 10 janvier).
Au Studio-Théâtre, on entendra des voix très diverses, à travers trois seuls-en-scène : Albert Londres avec Les Forçats de laroute, par Nicolas Lormeau (du 11 au 27 septembre), Paul Claudel avec La Messe là-bas, par Didier Sandre (du 30 septembre au 11 octobre), Jack Ralite avec La Pensée, la Poésie et le Politique, par Christian Gonon (du 14 au 25 octobre). Comme chaque année, un spectacle sera ensuite plus particulièrement dévolu aux enfants : Hansel et Gretel, des frères Grimm, dans une nouvelle mise en scène signée de Rose Martine (du 19 novembre au 10 janvier).
La suite de la saison sera annoncée plus tard par Eric Ruf, et, autre nouveauté, les billets seront mis en vente mois par mois. Avec les mesures de distanciation, les salles devraient être remplies à 50 % ou 60 % de leur jauge.
La Comédie-Française au Théâtre Marigny, carré Marigny, Paris 8e. Tél. : 01-44-58-15-15. Comedie-francaise.fr
Brigitte Salino
Légende photo : Répétitions du « Côté de Guermantes », d’après Marcel Proust, adaptation et mise en scène Christophe Honoré, avec (de gauche a droite) les comédiens de la troupe de la Comédie-Française Yoann Gasiorowski, Laurent Lafitte, Elsa Lepoivre, Florence Viala, Julie Sicard et Stéphane Varupenne, en février 2020, dans la salle Richelieu (Paris 1er). JEAN-LOUIS FERNANDEZ
Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - 4 septembre 2020
Le directeur du Festival d’automne, qui se déroule du 5 septembre au 7 février, défend une édition solidaire à l’attention des artistes, des partenaires, des publics et des personnes qui ont été en première ligne pendant le confinement.
Après l’annulation des festivals de l’été, et ses multiples conséquences sur la création française et européenne, le Festival d’automne était très attendu. Il s’ouvrira le 5 septembre et se poursuivra jusqu’au 7 février, avec un programme ambitieux et éclectique, mêlant de grands noms de la scène européenne, comme Anne Teresa de Keersmaeker ou Christoph Marthaler, des stars françaises comme Bartabas ou Boris Charmatz, des découvertes d’importance, comme le Britannique Alexander Zeldin, et de jeunes artistes-chercheurs à l’univers singulier, à l’image de Gisèle Vienne,Marion Siéfertou Joris Lacoste. Sans oublier un passionnant focus Africa 2020. En l’état actuel de l’épidémie, les spectacles seront joués avec une jauge réduite à 50 %. Entretien avec le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Festival d’automne, également à la tête du Théâtre de la Ville, à Paris.
A quel point la crise sanitaire a-t-elle impacté ce Festival d’automne 2020 ?
L’édition 2020 était quasiment bouclée en février, juste avant que le Covid-19 arrive. Elle comprenait 80 projets, dont plus de la moitié internationale. Tout au long des mois d’avril et mai, l’inquiétude et l’incertitude ont prévalu, car la crise sanitaire a eu pour nous différents impacts. Les créations en cours se sont arrêtées net, or nous sommes un festival de création. Que faire, si les compagnies ne pouvaient pas reprendre le travail à temps ? Quid, ensuite, des projets internationaux mis en danger par la fermeture des frontières ? Il y avait enfin la question de la relation avec les théâtres et les musées : nous sommes un festival sans lieu propre, nous travaillons avec une cinquantaine d’institutions différentes, avec lesquelles il a fallu discuter, alors que tout le monde était en état de sidération.
La situation vous a-t-elle amené à changer fondamentalement le festival ?
Oui et non. C’est plutôt que nous avons composé un autre kaléidoscope que celui qui était prévu. La première décision a été de reconstruire une édition à visée solidaire à l’attention des artistes, des partenaires, des publics et des personnes qui ont été en première ligne pendant le confinement. Beaucoup de projets internationaux ont été repoussés à 2021 ou 2022. Le report permet de continuer à soutenir des artistes qui ont un besoin vital de l’aide du festival, comme le Brésilien Bruno Beltrao ou la Marocaine Bouchra Ouizguen, par exemple. Certains projets ont été annulés, comme celui de la plasticienne Zoe Leonard, qui n’était pas réinventable.
Quelles formes prend cet engagement pour un festival solidaire ?
Il s’agit d’abord du maintien des engagements du festival envers les artistes, afin de soutenir la création contemporaine. 75 % des programmes ont été maintenus malgré la prévision de chutes de billetterie liées aux diminutions de jauges, et 20 % des spectacles programmés ont été reportés à l’automne 2021 ou 2022 plutôt qu’annulés. Cet engagement solidaire vise ensuite les publics jeune et défavorisé, avec une action forte menée pour leur permettre un accès à nos spectacles. Et nous ouvrons cette année un partenariat inédit avec l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) et plus particulièrement l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. C’est un axe fort culture-santé que nous souhaitons initier, avec des ateliers, des rencontres, une académie amenée à se développer… Comment la culture fait-elle partie de la manière dont on prend soin de l’autre ? Voilà une question qui me semble intéressante.
Avez-vous eu un sentiment d’injustice face à la fermeture des théâtres, alors que la distanciation n’était plus respectée dans de nombreuses circonstances de la vie courante ?
Comme beaucoup d’autres, j’ai été troublé pendant cette période par le fait que l’autorité sanitaire semblait réfléchir à la place de tout le monde. La norme médicale a semblé tout dominer, en effet, sans que cela soit vraiment remis en question. Ma réaction face à cette situation, c’est plutôt de me dire qu’il faut travailler avec des médecins, entrer en dialogue et réfléchir ensemble. Aujourd’hui, on doit jouer devant des salles remplies seulement à moitié, mais les métros et les trains sont pleins : il y a là une forme d’incohérence qui crée de l’anxiété. Au-delà du virus, il me semble qu’il faut aussi envisager l’état mental général d’une société. Mais je pense aussi qu’on en arrive à ces incohérences parce que du côté du ministère de la culture, on est en manque d’une vision, d’une parole forte, d’un élan.
Pensez-vous que le public va se remettre à fréquenter les lieux de culture, et en aura-t-il les moyens, avec la crise économique qui s’ouvre en cette rentrée ?
L’ensemble du monde culturel va bien entendu être très attentif à cette question, mais en ce qui nous concerne, on est pour le moment à un niveau de réservations légèrement supérieur à celui de 2019. Il y a un désir important d’art, de théâtre, d’imaginaire.
La crise sanitaire a-t-elle amené les artistes à faire évoluer leurs projets, sur le plan des thèmes comme des formes ?
Les attitudes sont très diverses. Certains artistes se sont rendu compte que la création qu’ils avaient prévue n’avait à leurs yeux plus de sens – c’est d’ailleurs mon cas, je devais monter une pièce de Pirandello, projet que j’ai abandonné. D’autres se sont dit qu’ils allaient réinventer l’œuvre prévue par rapport au contexte, à l’image de la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker qui, avec Drumming Live, s’interroge sur l’espace et sur la position du spectateur, du point de vue aussi bien physique qu’éthique. D’autres encore n’ont rien changé. Certaines créations flirtent avec le sujet de la maladie et ses conséquences, mais sans l’aborder directement, ce qui ne serait pas forcément très intéressant, d’ailleurs. C’est plus diffus. Cette saison qui s’ouvre, c’est une saison Covid. Elle va forcément nous amener à repenser la question de l’altérité, de la vulnérabilité, de l’attention à l’autre, et à réfléchir à la question de la peur.
Cette crise, qui vient après d’autres qui se succèdent depuis le début des années 2000, doit-elle amener les institutions culturelles à se réinventer ?
Je pense que c’est indispensable, en effet. Le monde de l’art ne peut plus rester seul, il doit inventer de nouveaux liens, de nouvelles solidarités. On voit bien qu’on est en ce début de XXIe siècle dans une phase de transition extrêmement délicate, et la culture a un rôle fondamental à jouer, elle est au cœur des enjeux, de l’invention d’un nouvel humanisme face aux effets destructeurs du capitalisme mondialisé. Mais pour pouvoir jouer ce rôle, il est indispensable que les lieux de culture s’ouvrent beaucoup plus, à tous les sens du terme, y compris au sens le plus basique : pourquoi la plupart des théâtres sont-ils fermés pendant tout l’été et les vacances scolaires ? Si l’art est indispensable, il doit accompagner tous les moments de nos vies. Le virus, je le vois comme un accélérateur du meilleur comme du pire. Comme disait Camus : « Rien n’est donné ni promis,mais tout est possibleàqui accepted’entreprendre et de risquer. »
Avec l’événement Le Rond-Point dans le Jardin, Jean-Michel Ribes célèbre le retour à la vie théâtrale. De nombreux artistes viendront jouer, chanter, lire des textes, danser, et surtout « planter leurs mauvaises graines de la culture pour que repoussent les herbes folles de la joie, d’un rire qui résiste à tous les virus comme aux idées confinées. » Que la fête commence !
Quand avez-vous imaginé ce jardin extraordinaire ?
Jean-Michel Ribes : Dès le début du confinement ! J’ai eu le pressentiment que l’on pouvait faire quelque chose. Le théâtre étant entouré de jardins, je me suis dit qu’il fallait s’en servir. C’est en regardant l’arrière du théâtre, qui est très beau, avec ce portique qui en était autrefois l’entrée (du théâtre), que j’ai su où poser le tréteau, qui représente une sorte de retour aux sources. J’ai décidé que les spectacles se donneront de 18h30 à 19h30, heure où l’on joue d’habitude à l’intérieur en première partie de soirée. On démarre le 8 septembre à la douceur de l’été indien. En Souhaitant qu’il soit avant tout un été, où du moins qu’il en reste quelque chose.
Vous ne craignez pas que l’automne pointe son nez ?
Jean-Michel Ribes : Non, non ! J’ai téléphoné à la météo, à tout le monde, pour m’assurer que cela se passerait bien. Ils ont dit que tout irait bien. Ils ont intérêt à ? ce qu’il en soit ainsi, sinon je fais un procès !
Comment avez-vous conçu la programmation ?
Jean-Michel Ribes : J’ai appelé mes amis ! Ils ont répondu oui très vite. J’ai été très surpris, très heureux, très touché, par leur adhésion immédiate au projet. Non seulement, ils avaient envie de jouer, de faire des trucs, de retrouver l’échange avec un public, mais c’était aussi par solidarité avec le Rond-Point. Ce sont tous des artistes. Cela va de François Morel à Marie Payen, en passant par Daniel Pennac, Pierre Arditi, Mathieu Madenian, Christophe Alévêque… Cela m’a fait chaud au cœur. Ensuite, j’ai décidé aussi que ces spectacles seront gratuits. Je pense que l’on va pouvoir avoir 100 personnes assises. Comme cela sera sonorisé, les passants, les curieux, ceux qui resteront derrière les barrières, pourront entendre. Ce sera vraiment du spectacle, avec du théâtre, des lectures, des chanteurs, danseurs, magiciens. On garde l’aspect ludique, audacieux et surtout joyeux.
Et très éclectique, car il y en a pour tous les goûts, tous les âges. Le brassage des générations, c’est important pour l’avenir du théâtre ?
Jean-Michel Ribes : Oui, mais vous savez, le public du Rond-Point se compose, d’un peu plus de 35 % de jeunes, ce qui est beaucoup, près de 30 % de gens d’âge moyen, et puis le reste de gens plus âgés. C’est un poncif de le dire, mais la jeunesse est une chose qui souvent ne se perd pas avec l’âge. Curieusement, parfois, le jeune âge est plus vieux que l’âge avancé. « La tragédie quand on est vieux c’est d’être toujours jeune ». Beaucoup de gens le sont, cela se voit. Je me suis aperçu que souvent les spectacles les plus audacieux, les plus iconoclastes, qui sortent de la route, qui sautent dans le vide, ce sont des gens plus adultes, plus âgés qui sont fans de cela.
Vous disiez que les amis ont tous répondu présent, ce qui rappelle que le théâtre est aussi une famille ?
Jean-Michel Ribes : Oui, avec ce qui va avec la famille, les détestations, les haines, les jalousies… Mais ici, ce n’est pas tant une famille, c’est surtout l’amitié qui a joué. En échos à ceci, il y a aussi les spectateurs et j’ai été très touché par leur réaction. On a dû annuler tous nos spectacles de mars, avril, mai et juin, et bien, presque 75 % du public, n’a pas voulu se faire rembourser par solidarité avec nous. Et on n’avait rien demandé.
C’est pour cela que vous leur offrez cette fête de la rentrée ?
Jean-Michel Ribes : Je l’avais décidé avant de savoir qu’ils auraient cette belle attitude, mais c’est un peu ça. C’est une sorte de réponse à Macron qui nous a demandés, à nous les artistes, d’inventer. Ce qui était très gentil de sa part puisque ce n’est pas du tout ce que l’on fait depuis que l’on est né. Alors voilà, j’ai inventé ça.
Et pour la rentrée, le théâtre ouvre ses portes avec quels spectacles ?
Jean-Michel Ribes : Il y a pas mal de choses. On a trois spectacles, Noire de Tania de Montaigne, Mon dîner avec Winston d’Hervé Le Tellier de et La visite d’Anne Berest, qu’on reprend parce que cela a été décapité au bout de très peu de représentations. Ce sont plus des continuations que des reprises ! Puis il y aura une création, Exécuteur 14 d’Adel Hakim avec Swann Arlaud et mis en scène par Tatiana Vialle.
Jean-Michel Ribes : Très prochainement, si Dieu le veut, mais il semble le vouloir pour l’instant ! Elle tourne jusqu’à mi-janvier puis revient ici pour deux semaines. Et puis, il y a un projet qui m’est tombé dessus et me ravi. A la fin du confinement, beaucoup de gens, des journalistes et autres, s’apercevant que ce qui avait manqué le plus aux Français avait été les bistrots, ont contacté Jean-Marie Gourio. Du coup, on a décidé de repartir et d’offrir un dernier tour de brèves de comptoir. Cette « Tournée générale ! » s’installera au théâtre de l’Atelier à partir du 2 mars.
Entretien avec Jacques Vincey, metteur en scène, à l'occasion de sa création du texte de Marie Ndiaye, Les Serpents. Il nous dit pourquoi ce texte, il évoque l'importance de la collaboration artistique au théâtre sans oublier la place du spectateur dans l'acte de création théâtrale.
Par Jean Couturier pour son blog Bookemissaire 1er septembre 2020
Pour cette rentrée, Sylvain Tesson donnera quatre soirées les 7, 14, 21 et 28 septembre à 18h30 au théâtre de Poche Montparnasse
La période récente est symbole d’immobilité, vous prouvez à travers vos voyages, votre écriture, vos chroniques radios et la scène, que l’on peut être mobile d’une autre manière. Vers quelles lignes de fuite va votre préférence aujourd’hui?
Retour à la montagne ! En France, nous avons une avenue de liberté : l’arc alpin. La subduction des Alpes au Quaternaire : cela s’est passé près de chez vous ! L’alpinisme demande un effort gigantesque qui vous fait gagner du temps. Une ascension, c’est une vie ! Chaque geste compte. On se souvient de chaque pas. On prend dix ans ! Ce n’était tout de même pas la peine d’aller à Bangkok ! J’étais au sommet du Grépon la semaine dernière, j’ai embrassé la Statue de la Sainte Vierge (44 kilos) qui a été rivée sur le rocher en 1927.Quel bonheur que les membres des comités laïcs et les déboulonneurs soviéto-ravacholiens soient trop occupés dans la vallée pour faire l’effort de monter là-haut.
La rencontre avec le public caractérise le spectacle vivant, cette rencontre presque subversive en période virale vous devient elle nécessaire? Subversive ?
N’exagérons rien. Nous sommes arrivés à un tel degré de panique que nous trouvons rebelle de nous embrasser. C’est tout de même encore moins subversif qu’à Kaboul ou même à Ankara. Nous sommes devenus, nous autres Français, des gens très sensibles. Cette délicatesse me ravit car je déteste la brutalité. Qu’est ce que la politique ? L’art de contenir les foules, de les contenir. Les Jeux y aident, les religions aussi. Le Virus parachève l’anesthésie. Le Covid c’est la camisole. Le théâtre est une épine dans l’ordre sanitaire. Pensez ! Des gens qui crachent sur des gens qui dorment ! Mon père l’a dit dans un petit libelle : l’effet le plus grave de ce virus serait de nous conforter dans une paresse intellectuelle dont le mot d’ordre serait : « rentrez chez vous et allumez Netflix ». Il a bientôt 100 ans. Il est donc normal qu’il soit effaré par la mollesse, la prudence, la pusillanimité générale et la fatigue érigée en trésor national.
« Voyageur sans bagages », y a-t-il d’autres univers de création comme la peinture, la photo, où d’autres que vous aimeriez explorer?
Mais pour créer, il faut avoir du talent ! Je ne sais pas me servir d’un appareil photo, ni d’un pinceau. En spectateur, oui, je veux bien tout voir ! Je regarde ébloui Turner, Raphaël et Corot. Et j’ai découvert récemment les atmosphères de Burne-Jones qui me donnent envie de courir les landes celtiques.
Comme l’exprimait Louis Jouvet, il faut mettre de l’art dans sa vie et de la vie dans son art. Qu’est ce qui anime le plus vos paysages intérieurs?
Je mets le temps dans l’espace en grimpant sur les vieux affleurements de la Terre, granitiques ou calcaires. Puis je donne forme au temps en contemplant longtemps les paysages naturels. Je mets de l’Histoire dans la géographie en vénérant les paysages. J’aime que les mots décrivent un paysage. Le verbe prolonge le voyage. Pour moi le plus beau des gestes-barrière c’est de lever la barrière et de ficher le camp. Je crois que j’ai le virus. Du mouvement.
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