Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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February 14, 2018 5:32 PM
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Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Véronique Hotte dans son blog Hottello

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel

 La pièce de Marivaux Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) est emblématique de l’esthétique et de la dramaturgie de l’auteur de théâtre du XVIII é. L’intrigue amoureuse tient au mariage arrangé de deux jeunes gens de bonne famille par leur père respectif. Et les manipulés peuvent se déclarer tout autant manipulateurs.

Orgon, père de Silvia, est interprété par Alain Pralon, bonne humeur et facétie.

Grâce à des déguisements parallèles, les maîtres jouent aux domestiques – et en échange, les serviteurs prennent l’apparence de jeunes gens bien nés – afin de mieux connaître celui ou celle à qui on est destiné, qu’on ne connaît pas, et qu’on voudrait sonder plus avant, du côté du cœur sincère et des sentiments authentiques.

Les jeux de l’amour ainsi distribués font que Silvia, la maîtresse de Lisette, craint d’aimer un valet, alors que femme de chambre et vrai valet se réjouissent. Arlequin, changé en Dorante, son maître, exprime un empressement auprès de la fausse maîtresse qui brûle de consentir à la passion que semble lui porter ce maître inouï.

La raison l’emporte sur les jeux de miroir et le vertige des défroques sociales échangées provoque le rire chez les valets et un trouble étrange chez les maîtres.

Volte-face, travestissement et tournoiement des identités, quatre personnages de théâtre jouent un rôle qui n’est pas le leur, au risque de s’y perdre eux-mêmes. Les dialogues sont vifs et enjoués, malicieux et spirituels, et le public est pris à partie quand on lui concède les apartés – réflexions et émotions – des « moi » amoureux.

La mise en scène de Catherine Hiégel respire – souffle ample et belle cadence.

Dans un décor de pierre et de verdure, hôtel particulier ou maison bourgeoise, sous des branchages de feuilles vertes et dans la perspective de taillis ordonnés, la comédie résonne dans la bonne humeur et la joie, même quand la soubrette et sa maîtresse échangent sur le mariage, et plus particulièrement sur le mariage arrangé.

Laure Calamy en femme de chambre pleine de gaieté est une Lisette à la fois facétieuse et sensible, jouant sur sa fibre comique avec le plus grand des naturels. Minaudant face à son amant, mimant petits gestes et marques d’attention risibles, elle sait se moquer des différences sociales, contrefaisant la dame de condition. Prête à se hisser d’emblée dans des hauteurs qu’elle n’aurait jamais osé entrevoir.

Quant à Arlequin interprété par Vincent Dedienne, il en a l’élan puissant et l’équilibre physique, quand il saute de contentement et de bonheur indicible, après avoir essuyé l’humiliation de révéler son identité réelle de « soldat de chambre ».

Clotilde Hesme exprime à travers la belle et digne Silvia, douceur, sensibilité et esprit subtil, incarnant le rôle de sa suivante avec peu de souci de vérité, profondément séduite malgré elle par le valet du prétendant qui n’est autre que le prétendant.

Nicolas Maury pour Dorante ménage passion et raison, pudeur et folie amoureuse.

Et Cyrille Thouvenin qui joue Mario, le frère de Silvia, utilisé pour rendre jaloux Dorante, s’amuse tout autant que son père Orgon – maîtres masculins, de plus.

Un spectacle printanier à la fraîcheur ludique qui distille un plaisir populaire de théâtre, et les spectateurs ne se privent pas de rire aux facéties exposées.

Véronique Hotte

Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 bd Saint-Martin 75010 Paris. Tél : 01 42 08 00 32, jusqu’au 29 avril.

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February 14, 2018 3:28 AM
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Une version de «Richard II» sang et eau 

Une version de «Richard II» sang et eau  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan



Le collectif Eudaimonia et son directeur artistique Guillaume Séverac-Schmitz propulsent vigoureusement en scène « Richard II » de Shakespeare dans une adaptation pour partie discutable et une traduction qui se veut punchy et poétique mais s’avère trop putassière pour ne pas nuire à la force du spectacle.



Au centre de la scène, une baignoire. Un homme prend son bain. Un autre homme apparaît et l’assaille violemment. Grandes giclées d’eau et de sang. Fin de la courte scène. Rapidité, eau et sang : le vocabulaire scénique de ce Richard II est donné dans ce meurtre de Gloucester tenant lieu de prologue et de palette. Une palette qui se déclinera avec force tout au long du spectacle à grands renforts de pétales rouges et de seaux d’eau. Le tout sur une scène quasi nue, simplement et justement aménagée avec des chaises, des échelles et praticables à roulettes (scénographie comme toujours opératoire d’Emmanuel Clolus).
« Ça va mec ? »

La pièce de Shakespeare compte une trentaine de personnages. Ils ne sont que sept acteurs et actrices de plusieurs générations (Jean Alibert, François de Brauer, Baptiste Dezerces, Pierre Stefan Montagnier, Thibault Perrenoud, Nicolas Pirson, Anne-Laure Tondu) dans le spectacle conçu par Guillaume Séverac-Schmitz, « directeur artistique » du collectif Eudaimonia. Clément Camar-Mercier signe la traduction, l’adaptation et la dramaturgie du spectacle. Ce dernier, pour la compagnie Kobal’t, avait traduit et adapté La Mouette de Tchekhov, un massacre (lire ici). Ici, c’est une autre histoire.

La traduction vise à rendre la langue de Shakespeare plus vive, plus orale et cela conduit, ici et là, à de belles réussites. Mais le traducteur veut aussi, à tout prix, glisser dans la poésie de Shakespeare des expressions du tout-venant d’aujourd’hui et là, comme pour Tchekhov, il se tire une balle dans le pied. Les exemples abondent.

« Comment te sens-tu ? Comment va le vieux John de Gaunt ? » demande le roi Richard dans la traduction (la dernière en date) de Frédéric Boyer (Tragédie du roi Richard II, éditions POL). Cela devient « L’âge te fait du bien, vieux Gand ? Ça va mec ? ». « Tout est devenu absurde / Plus rien n’est à sa place » (Boyer) dit York quand tout le monde complote contre le roi Richard parti guerroyer en Irlande ; cela devient « Mais quel bordel ! ». « Au travail, et demain le repos » devient « Encore un peu de boulot et après les vacances ! » ; les « bedeaux » sont des « clodos » ; « laisse-moi passer, femme insoumise » accouche de « dégage féministe ». Sans compter les « où est le problème » et autres « c’est quoi le problème ? » qui reviennent dans différentes bouches. Le problème, c’est que la poésie de Shakespeare est lacérée, cisaillée par ces sottises et que le spectacle perd beaucoup de sa force à multiplier ces effets plus putassiers que potaches.


Scène de "Richard II" © Guilermo Cuartero
La pièce est l’histoire d’un roi qui grandit en perdant sa couronne. Jan Kott (Shakespeare notre contemporain, Julliard) allant jusqu’à dire que vers la fin de la pièce, Richard « atteint à la grandeur du roi Lear. ». Quand sa couronne royale commence à vaciller, Aumerle, le fils du duc d’York qui lui est resté fidèle (pas pour longtemps), le rappelle à l’ordre : « Courage, mon prince. Souviens-toi qui tu es. » Richard : « Oh oui : Je me suis oublié. / Je suis bien le roi pourtant » (Boyer). Cela devient : « Ah oui, tiens : je suis le roi, c’est ça ? Une pédale royale, oui ». A quoi bon ajouter ça au texte ? S’offrir un effet ? C’est d’autant plus inutile que le corps de l’acteur (Thibault Perrenoud) montre abondamment cette part du personnage.
Le jardinier et le palefrenier

Certaines scènes ont été supprimées, d’autres raccourcies et c’est bien agencé. Ailleurs, en raison de la suppression de certains personnages, des répliques changent de bouche, là c’est parfois plus acrobatique.

C’est aussi sans doute au nom de l’efficacité scénique que deux scènes apparemment inutiles sont biffées, deux beaux temps d’accalmie. A la fin de l’acte III, la suppression de la scène entre la reine et sa servante entraîne celle de leur rencontre avec le jardinier et de ses aides. Le jardinier annonce à la reine que le roi a été fait prisonnier, faute d’avoir comme lui nettoyé son jardin en taillant les branches superflues, en saignant l’écorce des arbres fruitiers une fois l’an. Shakespeare excelle dans ces personnages du peuple qui exercent un métier le temps d’une scène et disent ce qu’il faut dire. Autre scène, à la toute fin de la pièce apparaît l’ancien palefrenier de Richard. Il est venu de York pour le voir dans la tour de Londres et il raconte avoir vu en chemin le nouveau roi (Bolingbroke) défiler dans les rues de Londres chevauchant Barbarie, le cheval de Richard que le palefrenier avait dressé. On parle cheval. Petit moment de répit et de poésie avant que le palefrenier sorte, expulsé par le gardien, et que les assassins entrent.

On peut d’autant plus regretter la suppression des ces scènes et les facilités de langage énoncées plus haut que le metteur en scène et le traducteur-adaptateur ont travaillé la main dans la main et co-signent un texte dans le programme où il est justement dit que Richard « abandonne totalement l’addiction au pouvoir éternellement lié au sang, pour pénétrer dans un autre monde, fou, féerique, malade du verbe ».

Le verbe n’est pas toujours au rendez-vous, loin s’en faut ; la mise en scène apparaît plus assurée. La fin de Richard faisant écho à celle de Gloucester au prologue est de toute beauté. Il en va de même pour la scène centrale, celle de l’abdication et des papiers que l’on veut à toute force faire signer au roi, reconnaissant ses crimes. Une scène qui sera censurée par le pouvoir royal anglais dans plusieurs éditions des pièces de Shakespeare. Une scène qui préfigure tous ces procès aux aveux extorqués dont le XXe siècle a été si friand et que ne dédaigne pas le XXIe. Richard ne passe pas comme Eltsine un pacte avec Poutine pour lui laisser la couronne. Richard ne signe pas. Il n’obéit plus aux règles, aux codes. Il n’est plus rien. Il est tout. Et rien. Comme il le dit dans la scène fameuse du miroir. Ici le miroir est figuré par un peu d’eau que l’on verse doucement sur la scène. Ah, si tout le reste pouvait être à la hauteur de ce geste !

Le spectacle créé au Théâtre de l’Archipel de Perpignan était à l’affiche de la Maison des arts de Créteil la semaine dernière. Suite de la tournée : du 27 fév au 1er mars à la Coursive, la Rochelle ; du 15 au 24 mars au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon ; les 28 et 29 mars, Piscine de Châtenay-Malabry ; les 4 et 5 avril au Théâtre d’Angoulême.


Légende photo : "Richard II" prologue © Guilermo Cuartero

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February 13, 2018 6:05 PM
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Oral au bac : «Même l’improvisation ne s’improvise pas» - Libération

Oral au bac : «Même l’improvisation ne s’improvise pas» - Libération | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Marlène Thomas  — dans Libération  14 février 2018 

L’épreuve envisagée pour la réforme du bac implique une formation à la prise de parole. A l’université de Saint-Denis, le programme Eloquentia laisse entrevoir les avantages et écueils d’un tel apprentissage au lycée.



Oral au bac : «Même l’improvisation ne s’improvise pas»



Paris-VIII, samedi 3 février. Seules les voix de deux groupes d’étudiants résonnent dans l’université désertée de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Dans une salle, quinze étudiants débattent, sur le thème de la majorité à 16 ans. De tous niveaux d’études (de la première année jusqu’au master 2), ils sont là pour la même raison: apprendre les ficelles de l’art oratoire, via le programme Eloquentia Saint-Denis. Bertrand Périer, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, anime la discussion. Il s’occupe de la formation à la rhétorique depuis la création du programme dans le département, voilà six ans, par Stéphane de Freitas, entrepreneur social et réalisateur. Depuis, d’autres universités d’Ile-de-France et ailleurs dans le pays ont aussi accueilli cette formation gratuite de soixante heures.

En ce début d’après-midi, chaque jeune incarne un rôle, avec un temps restreint pour exposer son argument. «Tu as trente secondes et tu bafouilles !» lance le formateur à Didier, député du jour. Après plusieurs exercices, l’avocat leur expose la structure d’un discours, une des clés pour bien s’exprimer. Mustafa, 21 ans, en L1 cinéma, est ultra-attentif : «Je ne me sens pas du tout à l’aise à l’oral et j’ai envie de prendre confiance en moi.»Le projet de grand oral au bac ? «Je ne me serais pas senti apte à parler trente minutes [finalement, il devrait plutôt durer vingt minutes, ndlr]. Les oraux de langues ou de français duraient bien moins longtemps et j’avais déjà très peur.»

Si Mustafa est déjà bachelier, les collégiens actuellement en troisième pourraient être concernés par cette épreuve, si la réforme du bac est votée par l’Assemblée. Une des mesures phares du rapport de Pierre Mathiot, rendu le 24 janvier au ministre Jean-Michel Blanquer, est la mise en place de cette grande épreuve orale de trente minutes, inspirée du colloquio italien (lire ci-contre). Une forme de retour aux sources : lors de la première session du baccalauréat, en 1809, les candidats ne passaient qu’un oral. Ils étaient essentiellement issus de la bourgeoisie : étudier au lycée était payant jusqu’en 1930, sauf pour quelques rares boursiers, créant un contexte élitiste.

«Marathon»


L’oral prévu par la réforme se déroulerait devant un jury de trois personnes, dont une extérieure au lycée. L’élève devrait présenter durant vingt minutes un sujet pluridisciplinaire travaillé en première et en terminale, en groupe ou individuellement. L’oral, clos par un échange de dix minutes avec le jury, compterait pour 15 % de la note. Le rapport prévoit en amont «un temps dédié dans les emplois du temps» et «une aide à la préparation spécifique».

Mais quelques heures de préparation au lycée suffiront-elles ? Jusque-là, le système éducatif français (contrairement au modèle anglo-saxon) laissait peu de place au travail de l’oral, une fois dépassé le stade de la maternelle. Et la pédagogie reste aujourd’hui essentiellement «descendante» : la parole est majoritairement tenue par les professeurs, et le silence des élèves, valorisé. «Cette épreuve manquerait son objectif si elle n’était pas préparée en amont par un enseignement dédié, le programme scolaire actuel n’est pas suffisant, avertit Bertrand Périer. Même l’improvisation ne s’improvise pas. Un oral obéit à des règles sur la respiration, la posture, le geste, le regard, l’argumentation, la structure du discours. Tout cela s’apprend.» L’avocat poursuit : «Demander à des élèves non formés de passer un oral de trente minutes, c’est comme demander à quelqu’un qui n’a jamais fait de course à pied de courir un marathon.» Le formateur estime néanmoins qu’avec de l’entraînement, l’épreuve serait légitime. «Le bac est la porte d’entrée vers le monde du travail et les études supérieures où les compétences orales seront testées. Il est normal qu’elles soient évaluées et surtout enseignées en amont.»

A Eloquentia, les jeunes développent leurs aptitudes dans divers modules : la rhétorique, l’expression scénique, l’insertion professionnelle, les techniques vocales ou encore la poésie et la déclamation. La difficulté majeure est souvent la même : le manque de confiance en soi. Débit trop rapide, problème de posture ou d’articulation en découlent souvent. Alexandra Henry, formatrice en expression scénique et metteuse en scène : «Nombre d’étudiants arrivent avec la boule au ventre. Il existe des techniques à apprendre pour gagner en assurance.» Eddy Moniot, 23 ans, a suivi la formation et remporté le concours en 2015. Désormais comédien, il enseigne l’art oratoire à des collégiens et lycéens, chez qui les blocages sont encore plus tangibles. Il évalue : «Alors qu’en sixième, la formation enthousiasme les élèves, ils se renferment en fin de collège, craignent le regard des autres. En terminale, ils font le strict minimum, ne sont plus eux-mêmes. Une carapace que l’on retrouve par la suite, d’où l’importance de se préparer à l’oral dès la primaire.»

Certains spécialistes de l’éducation craignent également qu’instaurer cet oral sans réelle formation participe à creuser les inégalités sociales. Hasna, 22 ans, en L3 de droit à Saint-Denis, s’en alarme : «Je viens de banlieue et notre façon de parler est différente de celle des Parisiens. On pourrait être pointés du doigt, alors que ce n’est pas de notre faute.» Une crainte partagée par Pierre Merle, sociologue spécialisé dans l’éducation : «Les pratiques d’expression orale sont fortement liées aux codes sociolinguistiques (niveau de maîtrise lexicale, syntaxique et grammaticale), maîtrisés différemment selon les milieux sociaux, et ces codes sont plus restreints parmi les enfants de catégories populaires.» Le sociologue estime également que la maîtrise de l’expression orale, jugée lors d’un entretien, «renvoie à des propriétés sociales qui n’ont pas de rapport avec la profondeur de la réflexion. On peut s’exprimer très bien pour dire des choses creuses et s’exprimer de façon maladroite et avoir une pensée plus travaillée. Le risque est de juger l’apparence plutôt que le fond».

Joutes


Mathieu Ichou, chercheur à l’Ined (Institut national d’études démographiques) en sociologie de l’éducation et des inégalités, relève un deuxième facteur de discrimination dans cet exercice : les critères de notation. «L’évaluation d’un oral est toujours plus difficile que celle d’un écrit. Moins le barème est précis, plus il peut laisser une place aux biais éventuels des correcteurs, souvent liés à l’origine sociale des élèves. Ils jugent leur "savoir-être" autant que le contenu, donc si les élèves n’ont pas les compétences pour tenir un oral dans les formes reconnues légitimes par l’institution scolaire, cela aura des conséquences négatives sur leur notation.» Le chercheur estime «qu’il est justement du rôle de l’école d’essayer de réduire ces inégalités de départ». Former les enseignants semble dès lors primordial. «Je n’ai pas du tout été préparée à la prise de parole devant les élèves, la posture, l’éloquence. Chacun fait un peu comme il le sent, en fonction de sa propre aisance à l’oral», regrette Diane Poupart, enseignante stagiaire d’anglais dans un collège ligérien, passée par un master dans une ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation).

Inciter à plus de dialogue serait un bon point de départ mais ne suffit pas. Bertrand Périer : «C’est une vraie matière qui a ses règles, son corpus théorique, ses exercices pratiques. C’est ça qu’il faudra d’abord transmettre aux formateurs.» Mais mettre en place des pédagogies actives est complexe. «Il faudrait moins d’élèves dans les classes, mener une réflexion sur les modes de transmission des connaissances. C’est le problème que rencontrent les professeurs de langues. Souvent, seuls les meilleurs s’expriment, ce qui favorise plutôt un creusement des écarts que l’égalité des chances», déplore Pierre Merle. Conscients de ces difficultés, certains enseignants du secondaire font appel au formateur d’Eloquentia, Eddy Moniot. Qui décrypte : «Les professeurs veulent qu’on aide leurs élèves à réussir leurs oraux. L’idée est aussi de former l’enseignant en parallèle pour qu’il puisse réutiliser la méthode.» La démarche existe aussi indépendamment du programme francilien : ce sont par exemple ces enseignants de collèges et lycées, notamment des académies d’Orléans-Tours, Créteil ou Toulouse, qui animent des clubs débats. Un moyen d’entraîner les élèves à la prise de parole par des joutes oratoires ludiques.

Marlène Thomas


Légende photo :  A l’université Paris-VIII de Saint-Denis, le 3 février. Photo Rémy Artiges pour Libération

Béatrix B's curator insight, January 3, 2023 4:37 PM
Le constat est que L’erreur, est encore plus anxiogène  lorsqu’elle est commise à l’oral,. le système éducatif français laissant encore peu de place au travail de l’oral, même pour ce qui est de l’enseignement des langues étrangères.
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February 12, 2018 7:37 PM
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«Par cœur», chronique d’un vieil acteur en mal de mémoire 

«Par cœur», chronique d’un vieil acteur en mal de mémoire  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan, 12 février 2018


Chirurgien devenu acteur, Gilles Kneusé raconte avec affection l’histoire d’un spectacle où, partenaire d’un vieil acteur célèbre, il voit ce dernier lutter en répétitions et jusqu’au soir de la première contre la perte de mémoire de son texte signé Thomas Bernhard.

Toutes les actrices, tous les acteurs traînent au long de leur vie professionnelle une terreur inguérissable, celle du trou, qui peut soudain les entraîner en un instant dans l’abîme. On sait le texte par cœur, on l’a dit la veille au soir et soudain, à la fin du phrase, rien, un vide abyssal. Dans Scènes de la vie d’acteur (éditions Seuil/Archimbaud), Denis Podalydès l’aborde par deux fois. Un court chapitre de sept lignes intitulé « Le trou », récit d’un trou advenu un 23 janvier sous l’œil d’une partenaire guettant sa « perte ». Un chapitre plus long intitulé « Mémoire d’un trou de mémoire », récit d’un trou advenu le 9 mai 1999 à Bourgoin-Jallieu alors qu’il joue Le Legs de Marivaux. En termes précis, il décrit la « lourde moiteur » qui « dégorge des tempes, du front et jaillit presque du col » avant que ne « monte enfin la pure, la puissante peur, pure peur panique, l’extrême de l’effroi ». Et le combat qui s’ensuit. Dans le chapitre suivant, intitulé « Mémoire », il dit sa difficulté à apprendre telle tirade du Menteur de Corneille, comment il y est finalement parvenu, non sans mal. Il redit alors le texte trois fois, dîne, regarde la télévision, lit un livre, se couche. « Au matin, méfiant, j’ai relu le passage avant de m’y risquer. Mais je savais. Par cœur. »

Minetti, Lear, l’âge

Par cœur est le titre d’un livre de Gilles Kneusé, un chirurgien qui, au mitan de sa vie, laissa tomber son métier pour devenir acteur. Pour en avoir été le témoin auprès d’un vieil acteur, il aborde un sujet cousin du trou, plus pernicieux et non réductible à un mot, pas même le mot perte, quelque chose entre la mémoire et l’oubli, entre la difficulté de mémoriser un texte et l’impossibilité de maintenir tout à fait à flot sa mémorisation.

Kneusé dit avoir longtemps garder cette histoire pour lui mais l’acteur ayant évoqué publiquement sa mémoire devenue fuyante et son regret de ne plus pouvoir jouer au théâtre, il s’est senti autorisé à en parler. L’acteur n’est pas nommé, mais le nom de la pièce est mentionné, Minetti de Thomas Bernhard, le titre est un nom propre, celui d’un acteur allemand célèbre qui, d’ailleurs, créa la pièce portant son nom. L’histoire d’un vieil acteur qui voudrait jouer encore une fois le roi Lear, rôle interprété avec succès trente ans auparavant.

Le vieil acteur qui s’apprête à jouer Minetti au Théâtre de la Colline en janvier 2009 a lui aussi interprété le rôle écrasant du Lear, quatre ans auparavant, et c’est le même metteur en scène qui le dirige dans Minetti. Aucun nom n’est donné tout au long du livre, par pudeur peut-être ou bien parce qu’à travers cette histoire d’autres se reconnaîtront, mais il ne faut pas être devin pour deviner le nom du vieil acteur, Michel Piccoli, et celui du metteur en scène, André Engel. Tous ceux qui étaient au Théâtre de la Colline le soir de la première se souviennent de cette soirée particulière. Le lendemain, j’écrivais ces lignes dans mon blog (lire ici l’intégralité de l’article) :https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-theatre-et-balagan/20090117.RUE7201/l-immense-piccoli-immense-et-pathetique-minetti.html

« Un vieil acteur magnifique »

« Le rôle est moins écrasant que celui du vieux roi, mais Minetti, une fois qu’il est entré en scène, n’en sort quasiment plus. Pour l’essentiel, le spectacle repose sur ses épaules. Celles de Piccoli sont légèrement voûtées. Michel Piccoli – “l’immense Michel Piccoli” – en vieil acteur âgé qu’il est, entre en scène avec tous les rôles de sa vie, synchrone avec ce “portrait de l’artiste en vieil homme” qu’est Minetti. On le regarde murmurer ces mots d’un personnage de théâtre qui se trouve être un acteur, et c’est comme un léger crépitement familier, une voix amie, un feu de cheminée qui nous réchauffe. On est content d’être là, de suivre les pas de sa haute silhouette qui n’ont plus la vivacité de naguère, mais tout de même. C’est un vieil acteur magnifique. »

Et je poursuivais : « La fatigue ? L’hiver ? L’usure du temps ? Qu’importe. La mémoire, cette traîtresse, fait des siennes. Alors l’acteur, qui a trois quarts de siècle de métier dans son grand coffre, se lève, s’approche d’un rideau, d’une fenêtre et l’air de rien (“tiens, il ne neige plus”) écoute la voix du souffleur. Et ça repart avant de se gripper derechef. Et le souffleur de remettre ça. La peur, on le devine, habite cette voix qui ouvre sur des gouffres. »

Et je concluais : « Dans la salle, comme l’histoire de l’acteur Minetti et celle de l’acteur Piccoli ne sont pas sans points communs (l’âge, Lear, l’aura), beaucoup de spectateurs n’y voient que du feu et c’est tant mieux. D’autres souffrent avec lui de le voir chercher son texte et cela fait mal. On voudrait tellement écrire combien “l’immense Piccoli” est magnifique. Il l’est. Mais il est tout autant pathétique. »

« Il s’est arrêté de parler »

Il n’y avait pas de souffleur au Théâtre de la Colline, c’est le réceptionniste de l’hôtel dans la pièce qui en tenait lieu, l’hôtel où le vieux Minetti vient d’arriver, et c’est Gilles Kneusé qui tenait le rôle du réceptionniste. Cela fait des mois qu’ils se côtoient, des mois qu’aux répétitions Kneusé lui souffle son texte. Par cœur fait retour sur ce compagnonnage le temps d’un spectacle et s’échappe dans la vie passée du chirurgien que fut Kneusé et des rôles de chirurgien que joua Piccoli au cinéma. Tout se mêle. L’acteur admiré, le partenaire, le médecin-chirurgien que Kneusé reste, bien qu’il n’exerce plus, le pompier-infirmier qu’il devient auprès de l’acteur. Tout s’imbrique.

Par cœur démêle les fils de cette histoire : le jour où le vieil acteur très digne refuse les oreillettes dont on veut l’équiper ; le médecin spécialiste qu’ils vont voir ensemble à Lausanne, ville où ils répètent ; les errances le soir de la première où le réceptionniste fait tout ce qu’il peut pour venir au secours du vieil acteur…

La fin de la pièce approche, Kneusé ne cesse de le regarder : « Il s’est arrêté de parler. Il est face à la fenêtre. Il est tout à fait calme. Il ne me fait aucun signe. J’ai même l’impression qu’il a oublié que j’étais là. J’essaye de capter son regard. En vain. J’attends. Cerné entre une salle pleine à craquer et des coulisses où grouille toute une équipe, il a l’air de quelqu’un qui est totalement seul. »

L’auteur (son premier livre) Gilles Kneusé admire éperdument le vieil acteur. Et c’est d’abord cela, ce livre : un exercice d’admiration.

Par cœur de Gilles Kneusé, éditions de Mauconduit, 160 p., 15€.

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February 12, 2018 1:59 PM
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Pluie de créations et de premières françaises au Printemps des comédiens 2018: Lupa, Tiago Rodrigues, Warlikowski, Emma Dante....

Pluie de créations et de premières françaises au Printemps des comédiens 2018: Lupa, Tiago Rodrigues, Warlikowski, Emma Dante.... | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Publié dans Sceneweb



Le printemps des Comédiens de Montpellier 2018 qui se déroulera du 1er au 30 juin 2018 au Domaine d’O s’annonce alléchant. On vous avait déjà annoncé la nouvelle version de la La conférence des oiseaux de Jean-Claude Carrière par Guy Pierre Couleau. La programmation complète vient d’être dévoilée avec de grands noms qui présenteront leur spectacle en première française: Lupa, Tiago Rodrigues, Warlikowski, Emma Dante. On pourra aussi découvrir une nouvelle création d’André Engel avec Serge Merlin, le Faiseur d’histoires d’après Thomas Bernhard et Hate, un spectacle avec Laetitia Dosh, dans une co mise en scène de Yuval Rozman et une scénographie de Philippe Quesne.

La conférence des oiseaux
Farid Uddin Attar / Jean-Claude Carrière
Guy Pierre Couleau
Création
Ce spectacle parle de ce que nous sommes. Il traite de notre humanité, de nos souffrances, de nos beautés et décrit avec une dimension poétique évidemment théâtrale, les chemins que nous devrions emprunter tout au long de notre vie, pour accéder à la découverte de ce que nous sommes.
Mais qui sont ces oiseaux qui se mettent à parler et dire leurs craintes, leurs espoirs et leurs rêves ? Toutes ces espèces, connues et inconnues, sont la métaphore des espèces humaines et animales qui s’expriment ensemble, à visages enfin découverts, désireuses de construire un monde de paix et de tolérance.
théâtre – du 22 au 30 Juin




Ça ne se passe jamais comme prévu
Tiago Rodrigues
Première en France
ça ne se passe jamais comme prévu, une pièce écrite et mise en scène par Tiago Rodrigues est un spectacle de sortie des étudiants de La Manufacture de Lausanne.
Jusqu’où peut-on aller sur la scène d’un théâtre ? Quelles sont les limites à ne pas franchir ? Brûler le drapeau national est interdit au Portugal, mais qu’en est-il sur scène ?
théâtre – 29 et 30 Juin



Le procès
Kafka / Krystian Lupa
Première en France
Krystian Lupa n’est pas un metteur en scène à faire du théâtre un divertissement. Et moins encore aujourd’hui, dans son pays, la Pologne, menacé par une dérive autoritaire. En montant
Le Procès de Kafka, Lupa témoigne, proteste, résiste. Son Procès a été un événement tourmenté en Pologne – il a quitté la mise en scène, y est revenu.
Sa venue au Printemps des Comédiens est un événement tout court.
théâtre – 1er et 2 Juin



On s’en va
Hanokh Levin / Krzysztof Warlikowski
Première en France
On s’en va est le titre du nouveau spectacle réalisé par Krzysztof Warlikowski, d’après Sur les valises d’Hanokh Levin. Le monde décrit par Levin est une nouvelle version d’une réalité minée par la déception où tout le monde est convaincu que la vie est ailleurs, entraînant le désir de s’échapper, de partir, de changer les choses, parfois à tout prix. Il y a cependant quelque chose qu’ils ne remarquent pas : très vite, leurs désirs perdent leur côté tragique et les font sombrer dans le ridicule et le désespoir.
théâtre – 29 et 30 Juin



Macbettu
William Shakespeare / Alessandro Serra
Première en France
Le Macbeth de Shakespeare joué en sarde et, comme dans la plus pure tradition du théâtre élisabéthain, interprété uniquement par
des hommes. L’idée est née d’un reportage photographique sur les carnavals de la région sarde de la Barbagia. Sons funèbres que produisent les cloches et les antiques instruments, peaux d’animaux, corne, liège… La puissance des gestes et de la voix, la connivence avec Dyonisos et en même temps l’incroyable précision formelle des danses et des chants…
théâtre – 11 et 12 Juin




La scortecata
Giambattista Basile / Emma Dante
Première en France
Avec son style incomparable, Emma Dante explore le thème de la beauté et de ses paradoxes. La Scortecata raconte l’histoire d’un roi qui tombe amoureux de la voix d’une vieille
femme qui vit dans une masure avec sa soeur.
Nous allons découvrir un monde fascinant, celui de la culture populaire et des dialectes napolitains, nourri d’expressions argotiques, de proverbes, d’invectives populaires entre commedia dell’arte et dialogues shakespeariens.
Théâtre – 1, 2 et 3 Juin



Federico Garcia Lorca / Oriol Broggi
Première en France
Bodas de sangre, récit d’amour et de mort. L’auteur, poète assassiné par les soudards de Franco : tout s’entremêle pour faire de la pièce la plus connue de Lorca une oeuvre qu’on n’aborde
pas à la légère… La compagnie LaPerla29 a choisi d’épurer le texte et de faire irradier par le flamenco, par la présence d’un cheval, ce noyau d’animalité qui est au coeur de la pièce. Elle ne sort que plus impressionnante de ces confrontations.
théâtre – 15, 16 et 17 Juin



Le faiseur d’histoires
Thomas Bernhard / André Engel / Serge Merlin
Création
Le Faiseur de théâtre est méchant
Il règle ses comptes
Il veut marquer sa différence
Il mélange tout il exagère il est fou
Mégalomane
Misogyne
Misanthrope
Infantile
Insupportablement incorrect
Désespéré
Il vous jette Montaigne et Schopenhauer
à la tête
Il s’interroge sur le degré d’humidité
du cimetière
Il ferait tout pour le théâtre
y compris devenir le théâtre
y compris saboter le théâtre
pour qu’il advienne
Poseur de pièges
dit-il
à tous et à lui-même
Alors, quand on a le texte
l’acteur
le lieu
comment ne pas dire
ses rognes et ses rages
théâtre – 14, 15 et 16 Juin



Hate
Laetitia Dosh / Judith Zagury / Yuval Rozman
Philippe Quesne
Première en France
Laetitia Dosch a décidé de partir en voyage, a commencé un journal intime pour mettre des mots sur ses impressions et sur les résonances de l’actualité avec sa vie personnelle. C’est la matière première de Hate, écriture fragmentée, personnelle et impressionniste. Laetitia Dosch écoute et raconte les doutes et les colères, les douceurs et les espoirs. Elle invite à un voyage
vers l’autre, offrant à l’animal une place pleine et entière de complice et d’égal. Ce faisant, elle partage sa conviction forte et assumée que les humains et les animaux, que les humains entre eux, pourraient vivre dans la confiance éprouvée et réciproque et la fantaisie partagée.
théâtre – 22 et 23 Juin



Mon grand-père
Valérie Mréjen / Dag Jeanneret
Création
Le grand-père volage et fantasque d’une famille à rallonge est le personnage central d’un théâtre familial riche en péripéties. Farfelus de tout poil, adultères tranquilles, menaces spectaculaires, recompositions hasardeuses, situations rocambolesques mais aussi objets, bribes de chansons, expressions familiales, choses vues
de l’intérieur. Tout un infra-ordinaire qui ici, plutôt que se diluer dans la mémoire, est nommé.
Pour dire comment c’était, cette enfance unique et perdue. Ecrits à la manière de notations minimalistes, comme dans les Je me souviens de Georges Perec, ces instantanés attrapés à
l’existence reconstituent l’unité d’un regard sur la France des années 70 et 80. Sur ce que nous étions. Sur ce que nous sommes.
théâtre – 28, 29 et 30 Juin

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February 11, 2018 7:30 PM
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Richard II, d’après William Shakespeare, Collectif Eudaimonia, conception Guillaume Séverac-Schmitz, 

Richard II, d’après William Shakespeare, Collectif Eudaimonia, conception Guillaume Séverac-Schmitz,  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello
Crédit photo : Gcuartero



Richard II, d’après William Shakespeare, Collectif Eudaimonia, conception Guillaume Séverac-Schmitz, traduction, adaptation et dramaturgie Clément Camar-Mercier

« Au nom du Ciel, asseyons-nous à terre, et disons la triste histoire de la mort des rois : les uns déposés, d’autres tués à la guerre, d’autres hantés par les spectres de ceux qu’ils avaient détrônés, d’autres empoisonnés par leurs femmes, d’autres égorgés en dormant, tous assassinés ! » (Shakespeare, Richard II)

« Tous quoi ? » interroge Thibault Perrenoud, l’acteur narquois du rôle-titre de Richard II, monté par Guillaume Séverac-Schmitz. Souffle ample, vivacité ingénue et espiègle, le comédien joue la désinvolture juvénile et le beau spectacle, danseur et provocateur, heureux d’en découdre sur la scène avec le titre de pouvoir royal.

Richard II de Shakespeare est l’histoire d’un homme qui perd tout, mais qui dans sa chute révèle qu’il existe une manière de gagner qui consiste à perdre : « Si Richard II est l’histoire d’un roi qui chute, c’est aussi celle d’un acteur qui laisse le premier rôle » – un geste tragique peu souvent donné comme glorieux, dit le Collectif Eudaimonia.

La pièce historique commence par l’assassinat du duc de Gloucester, oncle du roi.

Le dignitaire nu entre dans sa baignoire, le bain de sang survient aussitôt, une flaque rouge stagnant au centre du plateau, auréolée de quelques pétales de roses rouges.

Le sang ne sera jamais nettoyé, ni lavé, ni caché, mais exposé à la vue de tous.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’histoire des rois est l’histoire âcre de leur assassinat.

Suite à une querelle sur les culpabilités, le roi bannit Bolingbroke, duc de Lancastre et Mowbray, duc de Norfolk. Ayant fait main basse sur la fortune de Jean de Gand, père de Bolingbroke, Richard part faire la guerre en Irlande. A son retour, Bolingbroke, revenu d’exil avant terme, réclame l’héritage de son père. Sous la force, Richard donne son royaume et sa couronne à Bolingbroke, devenu Henri IV, roi d’Angleterre tandis que le roi déchu, dans sa prison, est abandonné à sa folie.

L’image du pouvoir est la couronne, et l’acteur joue à plaisir avec cet accessoire.

« On peut la saisir de ses mains, l’arracher de la tête du monarque mourant et la poser sur la sienne. Alors on est roi. Alors seulement. Mais il faut attendre jusqu’à ce que le roi meure, ou hâter sa mort. » (Jan Kott, Shakespeare notre contemporain)

Quand le roi apparaît, juché sur un escalier promontoire sur roulettes – un trône -, couronne scintillante sur la tête et sceptre brillant à la main, applaudissent les dignitaires courtisans- premier public – sous le regard admiratif des spectateurs.

La scène de l’abdication du roi est cruciale. Le changement de pouvoir ne se fait jamais sans douleur puisqu’il est tenu soit de Dieu, soit de la volonté du peuple.

Entre Richard sous escorte, dépouillé de ses atours royaux : « Pourquoi suis-je mandé devant un roi, avant d’avoir secoué les royales pensées dans lesquelles je régnais ? J’ai à peine appris à insinuer, à flatter, à saluer et à plier les genoux (…) mais je me rappelle bien les traits de ces hommes : n’étaient-ils pas à moi ? »

Il porte la couronne pour la donner à Henry, contraint de lire les accusations qui l’accablent- la déposition rendue légitime : « Le faut-il ? Faut-il que je dévide l’écheveau de mes folies ? Bon Northumberland, si tes fautes étaient enregistrées, ne serais-tu pas humilié d’en donner lecture devant cette si noble compagnie ? »

Le détrônement est rapide, le nouveau roi attend. Héros positif, vengeur de la loi violée et défenseur de la justice dans Richard II, Bolingbroke joue désormais le rôle de Richard II dans une nouvelle tragédie – Henri IV. L’acteur François De Brauer a toute la prestance et la dimension mystérieuse de la figure de Bolingbroke.

Pris de doute et de peur, il tolère l’assassinat du roi déchu qu’il n’a pas ordonné ; il s’est pourtant dit à lui-même : « N’ai-je pas un ami ? », ce qu’entend l’ami qui lui apporte la dépouille et qu’il chasse, exigeant des funérailles solennelles à Richard.

Le Collectif Eudaimonia donne toute la mesure de son talent, mobile, vif et actif : économie des moyens inversement proportionnelle à l’efficacité des accessoires et du jeu des comédiens. Maîtrisant grandement leur partition vocale – malgré une traduction parfois relâchée et complaisante – et leur partition gestuelle, les acteurs dansent une ronde enivrante et exactement rythmée et cadencée, à la mesure du cheminement sans faute d’un destin royal qui va tout droit à une mort anticipée.

Saluons aussi pour la fête qu’ils savent organiser dans un tempo rigoureux – dureté et compassion -, les acteurs Anne-Laure Tondu, Jean Alibert, Gonzague Van Bervesselès, Pierre Stefan Montagnier et Nicolas Pirson, de belles figures tragiques.

Nul n’échappe à l’effroi face au monde, nul ne peut non plus l’accepter. Telle est la condition existentielle, bousculée entre valeurs humanistes et actes sanglants, tenue irréversiblement encore sous l’emprise d’une mauvaise conscience terrorisante.

Véronique Hotte

MAC- Maison des Arts de Créteil, place Salvador Allende, du 6 au 10 février 2018. La Coursive – Scène nationale, La Rochelle, du 27 février au 1er mars 2018. Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, du 15 au 24 mars 2018. Théâtre La Piscine, Chatenay-Malabry, les 28 et 29 mars 2018. Scène nationale d’Angoulême, les 4 et 5 avril 2018.

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February 11, 2018 3:19 PM
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Bulle Ogier: «Au théâtre, je m’invente, j’échappe au cliché» - Le Temps

Bulle Ogier: «Au théâtre, je m’invente, j’échappe au cliché» - Le Temps | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Alexandre Demidoff dans LeTemps.ch


L’actrice chérie de Jacques Rivette, de Barbet Schroeder et de Marguerite Duras a le génie du décalage. Elle joue «Un amour impossible» de Christine Angot, au Théâtre populaire de La Chaux-de-Fonds, mardi et mercredi. Conversation avec une écorchée neigeuse

L’allure de Bulle Ogier. Ses yeux de voyance, ses bottines d’amazone des villes, son air de mutinerie qui vous happe. On ne sait plus comment ça a commencé. Quand Bulle est apparue vraiment. Mais depuis un demi-siècle, la comédienne est de toutes les fugues qui marquent. Dans sa jeunesse, elle intimidait parfois ses partenaires. Sur La Salamandre, le film d’Alain Tanner, Jean-Luc Bideau raconte que ni lui ni Jacques Denis n’osaient approcher ce corps voyou, tant il était tentateur et dangereux. Marguerite Duras, qui la chérissait sur les planches ou devant sa caméra, disait: «Bulle, ce n’est pas la Nouvelle Vague, c’est le vague absolu.»

L’amour d’une mère


Dans l’oreille, la voix de Bulle justement, pas vague du tout, une de ces matinées où le pôle Nord s’invite à Paris où elle s’emmitoufle, comme à Genève d’où on l’appelle. Elle vous parle d’Un amour impossible, l’histoire de Christine Angot et de sa mère Rachel. Dans ces pages passe le spectre d’un mari aimé et d’un père qui abuse de tout, de la confiance, de l’ardeur, du printemps de sa fille. L’auteur de L’Inceste a adapté son récit pour les planches. Bulle Ogier joue Rachel, Maria de Medeiros est sa fille. La metteuse en scène Célie Pauthe, une farouche qui sait où elle va, a réglé ce face-à-face à Besançon, puis à Paris, avant la reprise au Théâtre populaire romand de La Chaux-de-Fonds, mardi 13 et mercredi 14 février.

Pascale Ogier comme un ange
On imagine Bulle Ogier dans son repaire parisien. Son mari, le cinéaste Barbet Schroeder, rôde pas loin. Sur un guéridon, des livres en équilibre. Aux murs, beaucoup de tableaux – sa mère était peintre. Et encadré, le texte que Marguerite Duras a écrit dans Libération pour saluer la si libre Pascale Ogier, fille unique de Bulle, décédée à 25 ans, le 25 octobre 1984. Un jour, Bulle Ogier a raconté à Libération justement qu’au théâtre, au moment des saluts, elle finissait toujours par discerner dans la salle une jeune fille souriante aux cheveux noirs. «Pendant un court instant, je pense: «Tiens, Pascale est venue, ce soir. Elle aurait pu me prévenir.» C’est très bref.»

Vous écoutez Bulle Ogier et la marée remonte, en douce. Vous la revoyez, passante dans le vent glacé de Rêve d’automne, cette déchirure bouleversante signée Patrice Chéreau en 2010 sur un texte de Jon Fosse. Vous repensez à ses lunettes fumées et à sa silhouette d’hermine, façon Sunset Boulevard, dans Les Fausses Confidences. C’était Marivaux aiguisé en 2014 par ce papillon de Luc Bondy, à Paris encore. C’était leste et hautement troublant. Alors Bulle, si on parlait du métier de vivre?

Le Temps: Que faut-il pour que vous acceptiez un rôle?

Bulle Ogier: Il faut que j’aie vu un spectacle du metteur en scène, qu’il m’ait donné envie. Quand c’était Patrice Chéreau, Luc Bondy ou Claude Régy, je n’avais pas d’hésitation. La demande d’un maestro est une joie. Célie Pauthe, en revanche, je ne connaissais pas. Mais je savais qu’elle avait monté La Maladie de la mort de Duras, avec Valérie Dréville, une comédienne que j’aime. Je me suis dit qu’il fallait la rencontrer. Nous sommes allées ensemble à Paris écouter Christine Angot qui lisait son texte Conférence à New York. Et je l’ai aimée tout de suite, Célie Pauthe. A l’instinct. Elle m’a dit aussi que Christine adapterait elle-même Un amour impossible. Ça m’a convaincue.

Et Christine Angot, la connaissiez-vous?

Nous nous sommes croisées un jour chez Yohji Yamamoto à Paris. Nous avions toutes les deux flashé sur une paire de bottes rose vif. Mais il n’en restait plus qu’une. Nous les avons essayées. Le lendemain, je suis retournée au magasin pour dire que je laissais la préséance à Madame Angot. Le vendeur m’a dit que je pouvais les prendre, parce que finalement nous n’avions pas la même taille. C’est futile, mais c’est le genre de rencontre qui vous lie. Parce que c’est intime.

Vous aviez lu ses livres?

Oui, beaucoup, parce que mon mari était fou de cette littérature. J’avais lu L’Inceste, La Petite Foule, Sujet Angot, Le Marché des amants. Mais pas Un amour impossible. Ce texte est différent, je l’ai trouvé émouvant. Le rôle de cette mère était magnifique. Je n’ai mis qu’une condition: il fallait que Christine l’adapte vite pour me laisser le temps de mémoriser. Parce qu’à mon âge, ça devient difficile.

Qu’avez-vous fait le premier jour des répétitions avec Célie Pauthe et Maria de Medeiros?

Christine était là, avec nous, autour d’une table. Nous avons lu le texte, elle a enlevé des mots, ajouté des phrases, comme Marguerite Duras qui était toujours très impliquée dans les spectacles.

On rapproche parfois Marguerite Duras de Christine Angot. Se ressemblent-elles?

Je ne dirais pas ça. Toutes les deux parlent d’elles, mais pas de la même façon. Christine écrit à la première personne, elle considère que ce «je» est le «je» de tout le monde, que c’est un «je» habitable. Elle est plus directe que Marguerite. Mais face aux acteurs, elles ont la même attention à la parole, à sa musique, à la nécessité de couper, de changer la place d’un mot.

Qu’est-ce que raconte ce spectacle?

Un amour maternel et joyeux. Dans le récit, le père, Pierre, est présent. Dans la pièce, Christine l’a fait disparaître. Mais il hante la mère et la fille abusée. Devenue adulte, cette dernière questionne: «Pourquoi tu n’as rien dit? Pourquoi tu n’as rien fait? As-tu vu d’ailleurs ce qui se passait?» Elle enquête, ça prend un tour dramatique, mais ça finit dans la lumière, à cause de leur amour.

Avez-vous rencontré Rachel?

Oui, elle est venue voir le spectacle deux fois. Elle a souri, je lui ai mis des fleurs dans les bras. C’est une femme qui a beaucoup de classe, très belle encore. On comprend comment elle a pu séduire Pierre, ce bourgeois qui n’aimait pas les juifs.

Impossible de ne pas penser à votre fille Pascale?

Oui, mais c’est difficile d’en parler. Parce qu’elle est partie tellement jeune. Dans la pièce, nous traversons une vie. Au début, j’ai 26 ans, à la fin 84. Mais c’est vrai, jouer le rôle de cette mère magnifique est éprouvant, pour les raisons que vous dites. Ça peut vous esquinter, surtout quand on reprend après une longue interruption, comme c’est notre cas, à Maria et à moi.

A 15  ans, je n’imaginais pas que je serais comédienne. Pas du tout. Je voulais être journaliste pour rencontrer des gens

Vous n’avez pas été élevée par votre père, avocat, mais par votre mère, artiste. Qu’a-t-il pensé de votre choix d’être actrice?

Il n’a pas aimé, en tout cas pas le théâtre que je pratiquais avec Marc’O, un ami d’André Breton, qui pensait que la musique faisait partie du jeu, qui avait une vision anarchique de la création, incroyablement stimulante et rigoureuse. Mon père a écrit une lettre pour que je ne porte pas son nom. Mais ça m’était égal. J’étais très proche de ma mère.

A 15 ans, comment voyiez-vous votre vie?

Je n’imaginais pas que je serais comédienne. Pas du tout, mais pas du tout. Je voulais être journaliste pour rencontrer des gens, parce que je ne voyais personne, à part ma mère, ma famille Ogier, les bonnes sœurs.

Quand vous vous êtes tournée vers le théâtre, qui vous inspirait?

Je ne connaissais rien, à part Gérard Philipe, Jean Vilar et le Théâtre national populaire. Quand je me suis mise à travailler comme apprentie actrice, à 20 ans, j’ai vu beaucoup de films américains. J’étais fascinée par les acteurs de l’Actors Studio, Natalie Wood notamment. Et j’allais beaucoup au Théâtre des Nations à Paris, à la découverte d’artistes étrangers, le Berliner Ensemble de Bertolt Brecht et de son épouse Helene Weigel. Là, j’ai commencé à comprendre ce qu’était un acteur. J’étais avide de tout, de la libération prônée par le Living Theatre des Américains Julian Beck et Judith Malina, de l’étrangeté magnifique du théâtre nô et kabuki. Ces spectacles, c’était mon école.

«La Salamandre» et Alain Tanner vous révèlent en 1971. A partir de là, vous serez l’égérie des cinéastes les plus raffinés, Jacques Rivette, Barbet Schroeder, Daniel Schmid, un autre Suisse, Marguerite Duras… Qu’évoque pour vous «La Salamandre»?

«Je joue une mère, un rôle magnifique mais qui peut vous esquinter.»  


Le film m’a fait connaître, pas seulement en France, en Belgique et en Suisse, mais un peu partout. Il représentait l’esprit post-68. Il est devenu un emblème de ça. C’était curieux. Parce que j’incarnais Rosemonde, une ouvrière dans une usine de saucisses, tout le monde pensait que j’étais Suisse et que j’avais vécu des choses difficiles. Alors que j’avais grandi dans le XVIe arrondissement à Paris.

Le cinéma vous accapare très vite, mais vous n’avez jamais renoncé aux planches. Pourquoi?

Parce que le théâtre est un exercice physique. J’aime ce côté sportif. Ma crainte dans les années 1970-1980, c’était de me figer dans une certaine image au cinéma, qu’on me confie toujours le même type de rôle. De cela, je ne voulais pas. Alors, quand Jean-Louis Barrault m’a proposé en 1975 de jouer dans Des journées entières dans les arbres, de Marguerite Duras, je n’ai pas hésité. Au théâtre, je pouvais composer, inventer, comme dans Les Fausses Confidences avec Luc Bondy où j’ai proposé de porter des lunettes noires à la Peggy Guggenheim et de boire du whisky.

Quel est le livre que vous offrez?

Oblomov de l’écrivain russe Ivan Gontcharov, un classique du XIXe. J’adore ce roman, ce personnage d’Oblomov qui a décidé de vivre sur son divan. Je suis fascinée par cette position de refus, dont la nature nous échappe. Est-elle philosophique ou existentielle? Ou s’agit-il seulement de paresse?

Avec le temps, qu’est-ce qu’on gagne?

J’ai de plus en plus peur. Je me souviens de Madeleine Renaud dans Savannah Bay de Marguerite Duras. Nous jouions ensemble et Madeleine, qui avait tant de métier, qui avait joué tous les rôles, me disait: «Ma petite, j’ai tellement peur, tellement peur…» Ça m’étonnait. Aujourd’hui, je comprends.

«Un amour impossible», La Chaux-de-Fonds, L’Heure bleue, ma 13 et me 14 à 20h15. www.tpr.ch/saison/



«Un acteur, voyez-vous, est fait de talent et de chance»
De Bulle Ogier, le metteur en scène Claude Régy a dit que c’était «une force sans contour net. Une transparence avec un centre de gravité très fort.» Dans Libération encore, il précisait ainsi sa pensée: «Elle a ce don, sans parler, sans écrire, sans même jouer, de donner à voir l’invisible.» Cela pourrait être une définition de la présence. Elle est là, juste là, et dans son sillage, tout est là aussi. Marc’O, son professeur en théâtre dans les années 1960, Marguerite Duras plus tard, Patrice Chéreau, Luc Bondy ont chéri cette vibration, cet archet écorché à l’improviste. Mais elle, que retient-elle de ces maîtres du détail?

Vous avez joué pour Patrice Chéreau dans «Le Temps et la Chambre» de Botho Strauss au début des années 1990, dans «Rêve d’automne» en 2010. Que vous a-t-il appris?

Il était lui-même un grand acteur. Comme metteur en scène, il était d’une précision implacable, au centimètre près. Il n’autorisait aucun laisser-aller. Au cinéma, avec Jacques Rivette, j’étais beaucoup plus libre, je pouvais improviser. Patrice cherchait le moment exact.

Avec Claude Régy, vous avez joué «L’Eden Cinéma» de Marguerite Duras en 1977. C’est un maniaque du détail, lui aussi, non?

Chaque soir, il était dans la salle pour assister à la représentation, s’assurer que nous respections ses intentions à la virgule près. Travailler avec lui était parfois douloureux. Il peut dire des choses blessantes d’une voix impassible, c’est sa méthode un peu sadomaso de guider les acteurs. Et quand il sort du théâtre, il est tout content.

Vous avez été très fidèle à Luc Bondy, depuis «Terre étrangère» d’Arthur Schnitzler en 1984 jusqu’aux «Fausses Confidences» en 2014, en passant par «John Gabriel Borkman» d’Ibsen en 1993 au Théâtre de Vidy. Comment s’est noué ce lien?

Je me souviens, j’étais à l’étranger pour un tournage et j’apprends que Luc Bondy cherche une actrice pour jouer Génia dans Terre étrangère. J’avais lu le texte de Schnitzler, j’étais folle de ce rôle, mais j’étais loin. A mon retour à Paris, j’apprends que Luc n’a pas trouvé sa Génia. C’est ainsi que j’ai travaillé avec lui. Un acteur, voyez-vous, est fait de son talent, de son imagination et de la chance. J’ai eu beaucoup de chance.

Luc Bondy et Patrice Chéreau: qu’est-ce qui les distinguait?

Luc était tout le temps sur scène pour jouer les rôles. Il pouvait passer à l’improviste d’un personnage à l’autre et ces bifurcations le faisaient rire. Il riait beaucoup. Patrice, lui, était comme un chef d’orchestre, il était sur le plateau et il dirigeait tout avec son index. Les deux travaillaient leur matière jusqu’à la dernière minute de l’ultime répétition. Luc pouvait changer toute une scène la veille de la première. L’un et l’autre aspiraient au tableau parfait, c’est-à-dire la vérité de l’instant.

A toute allure

1939 Bulle Ogier naît à Paris, de son vrai nom Marie-France Thielland. Sa mère est peintre, son père avocat.

1963 Elle fait ses débuts au théâtre dans «Le Printemps», spectacle de Marc’O, son mentor, un artiste qui va la former.

1971 Elle joue Rosemonde dans «La Salamandre» d’Alain Tanner, aux côtés de Jean-Luc Bideau et de Jacques Denis. Ce film la révèle. Désormais, elle enchaîne les tournages, pour Jacques Rivette, Daniel Schmid, Barbet Schroeder, son mari, etc.

1984 Sa fille Pascale meurt à 25 ans.

1999 Elle pique dans «Vénus beauté» de Tonie Marshall.

2014 Elle est merveilleusement excentrique dans «Les Fausses Confidences» de Marivaux, avec Isabelle Huppert, sous la direction de Luc Bondy, l’un de ses «trois Suisses chéris» avec Barbet Schroeder et Daniel Schmid.

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February 11, 2018 2:16 PM
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Lukas Bärfuss : "Pour être un écrivain, il faut avoir du courage : jeter le cœur par la fenêtre et sauter"

Lukas Bärfuss : "Pour être un écrivain, il faut avoir du courage : jeter le cœur par la fenêtre et sauter" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie Richeux sur le site de son émission "Par les temps qui courent" sur France Culture :



L’écrivain et dramaturge suisse, francophone, publie "Hagard" aux éditions Zoé, traduit de l’allemand par Lionel Felchlin ; un homme se met à suivre une femme inconnue dans la rue et va vraisemblablement renoncer à une existence sérieuse et assurée, pour aller vers sa propre destruction.


Rares sont les torches vives. Rares sont les êtres brûlants. Que décide-t-il de brûler en lui, celui qui abandonne les derniers points de sa batterie de téléphone, les derniers liens avec le monde d’avant, pour suivre une femme inconnue, dans les rues, sur les quais, attendre une vision dans l’habitacle gelé d’une voiture ? Difficile à savoir. La fiction souffle le froid comme le chaud, et quiconque veut démêler les fils de la réalité s’emmêlera les pinceaux. Donc, c’est un risque à prendre. Lire est un risque à prendre. Aimer aussi. Et si, comme l’écrit Lukas Bärfuss, toute rencontre requiert une première entorse à la ligne que trace la bienséance autour de chacun, cela vaut aussi pour un texte. Son roman « Hagard » est publié aux éditions Zoé.



Extrait des propos de Lukas Bärfuss au cours de l'émission : 

"Hagard", le mot n'est pas très courant en allemand. Étymologiquement, il vient de la fauconnerie et des oiseaux. C'est un très vieux mot qu'on trouve par exemple chez Shakespeare, il signifie ces oiseaux qu'on a capturés, il a aussi un lien avec les sorcières.... J'ai tout de suite aimé ce mot, ce titre. J'ai une faiblesse pour les dictionnaires, et quand je l'ai trouvé dans le Dictionnaire de la Chasse, c'était évident, même si le mot n'apparaît pas dans le livre.

Qu'est-ce que je fais avec l'histoire, avec les représentations ? Comment je fais pour sortir ces représentations de mon cerveau ? Je n'ai que ce système abstrait : la langue.

Ecrire, ce n'est jamais tout de suite. On a des images, des images tout à coup ; le vent du printemps qui joue avec les cheveux... Moi, j'ai toujours trouvé que le fait qu'on ne laisse pas d'intimité aux personnages, était un problème. On est des voyeurs, on les suit partout.  Ecrire, c'est toujours être en train de déchiffrer le monde. Ça ne s'arrête jamais. 

Je n'ai pas peur de ma peur, la peur c'est le signe que quelque chose est vivant. Les morts n'ont pas peur.

Programmation musicale :

Vendredi sur mer, La Femme à la peau bleue
Scout Niblett, Gun


Légende photo :  Lukas Bärfuss• Crédits : Markus Scholz/DPA - AFP

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February 10, 2018 6:49 PM
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La barbarie, une conversation avec Daniel Loayza

La barbarie, une conversation avec Daniel Loayza | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans le site de son émission "Une saison au théâtre" sur France Culture.



Ecouter l'émission en ligne (30 mn) : https://www.franceculture.fr/emissions/une-saison-au-theatre/la-barbarie



Ouvrons notre encyclopédie mouvante du théâtre à la page "barbarie". Que font les barbares au théâtre ? Qu’ont-ils à nous dire ? Nous font-ils du bien ou du mal ? La question, d'abord ancrée dans l'Antiquité, se pose toujours sur nos scènes contemporaines. Pleins feux sur une figure de l'altérité...


... une figure éclairante, s'il en est. Le  théâtre n’a pas l’apanage de l’humain qui devient inhumain. Les  peintres, les écrivains, les cinéastes eux aussi se font les puissants  portraitistes du meurtrier, de l’assassin, du violeur, du fasciste. Pour s’inspirer,  ces artistes n’ont qu’à tourner leurs regards vers la réalité. Elle  regorge malheureusement de modèles. Mais le théâtre a, lui, une longueur  d’avance qui le distingue et qui le rend unique. Il puise dans le monde contemporain mais peut aussi, parce qu’il est  représentation vivante et dans le temps présent, ressusciter l’histoire.  Une histoire qui démarre dans l’arrière pays antique. Le barbare à  visage humain est un pilier du théâtre. Et ce, depuis toujours. Le spectacle serait cet art qui écoute rugir la bête dans la  jungle.... Mais laquelle, exactement ? Quel miroir nous tend t-il, cet autre ?

Avec Daniel Loayza, agrégé de lettres classiques, dramaturge, traducteur d’Eschyle, Sophocle, Shakespeare, également conseiller artistique au Théâtre de l’Odéon depuis plus de vingt ans. Plusieurs  spectacles créés en ce début 2018 convoquent la notion de barbarie, peut-être consubstantielle au théâtre : Macbeth (Stéphane Braunschweig, au Théâtre de l’Odéon), Tertullien (Patrick Pineau, au Théâtre de Poche Montparnasse), Les Bacchantes (Bernard Sobel, au Théâtre de l’Epée de Bois), ou encore 1993 (Julien Gosselin, au T2G)... Cette actualité multiple est l’occasion de se poser la question de la prégnance toute contemporaine de cette notion à l’épreuve des textes comme du plateau, présente dès les prémisses avec la tragédie gréco-latine. 

Le regard éclairé de notre invité, en tant que traducteur, spectateur, mais aussi en tant que dramaturge au carrefour du texte et de la scène, nous aide à appréhender un terme galvaudé : parce qu’il est son miroir, on oppose d’emblée la barbarie à la “civilisation” sans forcément prendre le temps de creuser plus avant ses sens profonds, complexes, humains : cathartique, philosophique, psychanalytique, politique...

Citations de l'émission (propos de Daniel Loayza) : 


"Les grecs ont été les premiers à regarder les barbares dans les yeux. [...] Le barbare est celui qui habite loin, qui n'a pas notre culture ni notre langue ; c'est, à la limite, notre inverse. C'est aussi celui, comme Dionysos - divinité du théâtre d'ailleurs - qui n'est pas vraiment un homme : il est trop féminin pour être tout à fait un Dieu. Dionysos libère de toutes les identités arrêtées : il est une menace pour l'ordre établi, délimité. Sa féminité, dans un corps masculin, laisse à penser que les grecs voient en lui une figure de l'entre-deux."

"Le barbare permet d'ébranler le modèle du citoyen grec : masculin, roi, guerrier. [...] Une cité qui s’arque-boute sur le principe de l'altérité se retourne contre elle-même. Voici la leçon d'Euripide."

"Le théâtre grec, dans un premier temps, nous montre le sang. La "catharsis", c'est en grec le simple fait de s'en laver, de s'en nettoyer. C'est seulement comme une lessive, en fait. C'est ensuite Aristote qui, le premier, dote ce mot du sens qu'on lui connaît." 

Intervenants : 
Daniel Loayza



"Macbeth" de William Shakespeare, mise en scène Stéphane Braunschweig, traduction Daniel Loayza, actuellement à l'affiche de l'Odéon - Théâtre de l'Europe  • Crédits : © Elizabeth Carecchio (photo de répétition)

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February 10, 2018 11:22 AM
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Le programmateur culturel sert-il vraiment (à) quelque chose ?

Le programmateur culturel sert-il vraiment (à) quelque chose ? | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Catherine Dutheil-Pessin, sociologue de la culture, professeure à l’université de Grenoble, et François Ribac, compositeur et sociologue, maître de conférences à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, publient aux éditions La Dispute La Fabrique de la Programmation Culturelle. Le livre est né au terme d’une étude menée auprès d’un panel de programmateurs issus d’institutions culturelles reconnues ainsi que de lieux plus petits, mais à la non moindre influence.

Comme le notent les auteurs au début de l’ouvrage, cette enquête comble un vide, celui d’une analyse du spectacle vivant pour les chercheurs et les professionnels, forcés de se tourner vers le ministère de la culture lui-même.

Une responsabilité artistique remise essentiellement aux programmateurs

Ressource utile et jusque-là manquant à une analyse sociologique pertinente de la programmation culturelle française, l’étude conduite par Catherine Dutheil-Pessin et François Ribac a le mérite d’aller dans le détail. En interrogeant et en accompagnant dans leurs pratiques trois générations de programmateurs culturels, les auteurs font émerger une somme importante de données et un regard global qui semble réaliste sur ce corps social. Parfois même, la description de certaines pratiques s’avère trop détaillée pour les questions qu’elles soulèvent (fallait-il autant de pages pour commenter le moindre tableau organisationnel ?).

Les conclusions que l’on peut tirer de l’étude sont néanmoins riches d’enseignements, dont le premier, à la charge du lecteur, pourrait s’avérer celui-ci : combien la responsabilité du paysage culturel français et des politiques culturelles elles-mêmes reposent sur les programmateurs et l’exercice de leur profession !

Un figement politique lié aux années Lang

Les auteurs commencent par observer que leurs sujets se divisent en trois groupes générationnels : les pionniers, les bâtisseurs et les professionnels intégrés. Manque malheureusement, au début de l’étude, un questionnement qui nous semble émerger naturellement d’un état de fait commun aux trois groupes : le lien qui les lie est politique tout autant que social, même si chaque génération se montre éclectique dans ses goûts et ses trajectoires.

Le constat est fait que les différentes générations de programmateurs sont héritières d’une certaine vision de la culture, d’une histoire commune et relativement homogène dans sa filiation politique, dont le point culminant semble se trouver dans les années Jack Lang. Si les auteurs passent rapidement sur ce point, il s’agit pourtant là d’une donnée non négligeable et relativement attristante, puisqu’elle confirme que la vocation de programmateur (osons le dire, d’acteur culturel en général) reste très liée à un certain entre-soi social voire politique, ou en est issu.

Alors que les politiques publiques de la culture auraient dû permettre à l’ensemble de la population de s’intégrer au milieu culturel professionnel, reflétant toute la diversité des identités culturelles des citoyens, on s’aperçoit que c’est plutôt l’inverse qui s’est produit, avec des politiques publiques et des institutions désormais dirigées par une communauté d’acteurs culturels provenant d’une classe moyenne marquée à gauche et plutôt homogène.

En dehors de cette homogénéité de « sensibilité », les profils sont divers et les chemins qui mènent à la profession peuvent s’avérer chaotiques. Des défricheurs des années 70, baignés dans une atmosphère « Do it yourself », proches du milieu de l’éducation populaire et des MJC, aux professionnels intégrés des années 90, durant lesquelles sont apparues des filières universitaires spécifiques à ce secteur, le plus petit dénominateur commun pourrait être l’importance du circuit associatif. Les expériences de programmation, d’expérimentation préprofessionnelles font en effet souvent office de déclencheur de vocation.

Différences structurelles

Au-delà des différences de profils, le livre soulève à plusieurs endroits les conflits nés de l’opposition entre structures nationales et lieux plus petits. Une forme de « lutte des classes » cristallisée à Avignon par exemple, mais qui semble essentiellement liée à une différence d’échelle, à un cloisonnement des réseaux, plutôt qu’à une vision différente de l’enjeu culturel (même si les petits condamnent le « business » des gros, le vocabulaire politique reste le même).

Pour ce qui est de l’analyse des pratiques, de la programmation en elle-même à la discussion entre professionnels de la qualité des spectacles vus, en passant par l’importance des réseaux, formels et informels, l’étude regorge de témoignages bien choisis et permettant une immersion dans le milieu exhaustive. On vous laisse apprécier cette richesse descriptive qui pourrait bien faire naître d’autres vocations !

Le programmateur : expert ou éclaireur ?

La question de la valeur des choix de programmation est parcourue de manière intéressante à travers l’enquête. Dans le chapitre portant sur les espaces de travail, les auteurs notent la différence de fonctionnement marquée entre les structures au fonctionnement collégial – associations et lieux amateurs – et les institutions où le programmateur – souvent directeur du lieu – est seul maître à bord. Ils concluent en une formule ramassée : « Plus l’on dispose de moyens importants, moins l’on discute avec les autres ». Où la palabre, la négociation d’une vérité commune, est abandonnée à une supposée expertise par essence et explicitée seulement à posteriori, sur la plaquette de saison du lieu culturel…

Cet enjeu surgit aussi quand on demande aux programmateurs de décrire leur métier : tous se retrouvent dans l’idée de servir l’intérêt public des citoyens et non dans une vision plus mercantile de la culture. Pourtant, tous admettent que leurs choix s’orientent avant tout en fonction de leurs plaisirs et désirs personnels. Aucun ne met en avant une quelconque professionnalisation de leur regard ou de leur méthode de travail, en rapport avec une culture partagée, diverse, controversée ou source de lien social. Si ces termes sont employés par les programmateurs lorsqu’il est question de leur conception de la culture en général, ils disparaissent brusquement quand vient l’heure du choix : ils ne mettent en exergue qu’une notion qualitative intrinsèquement subjective.

C’est un débat qui n’est malheureusement pas soulevé : est-on un bon programmateur parce qu’on a de « bons goûts » ou a-t-on de « bons goûts » parce qu’on est programmateur ? En tant qu’acteur d’une politique culturelle, y compris alternative, le programmateur a-t-il une responsabilité envers « son » public, qui devrait le pousser à dépasser ses propres préférences et à poser des enjeux plus larges pour ses choix de programmation (enjeux sociaux, politiques, économiques, artistiques, culturels…) ?

Le programmateur est ici perçu comme un expert de la valeur commune, en raison de son métier, plutôt que comme un éclaireur au service de la vie culturelle publique. Cette impression est renforcée, quelques chapitres plus loin, dans une analyse pertinente, bien que soulevant peu de questions, de la définition du programmateur à travers la maîtrise d’un langage, d’un vocabulaire particulier. Par comparaison bien sûr, ou par opposition, il paraît évident que leurs compétences sont valorisées face à tous les élus adjoints à la culture dont le seul leitmotiv semble se résumer à : « Faites du grand public ! ».

Quelle différence y a-t-il entre le bon et le mauvais programmateur ?

Mais la question de la valeur de leur propre choix échappe à un débat intra ou extra professionnel – ou plutôt ne semble se positionner que sur la légitimité du goût et les compétences techniques des uns et des autres. Difficile de ne pas le déplorer à l’heure des droits culturels, quel qu’en soit le résultat concret !

Plus encore, nombre de programmateurs sont recrutés sur la base du « projet » qu’ils portent, dans un croisement projeté par la structure entre la singularité de la personne et « l’universalité des objectifs de l’action publique ». Mais sur quels critères ?

Plus grave, l’éventualité même d’un retour des usagers, du public, est considérée comme un « danger » par nombre d’entre eux ! Le parallèle qu’établissent les auteurs avec les paradoxes institutionnels de la Ve république est bien senti – parallèle poursuivi avec une analyse du problème posé par l’extra-territorialité des spectacles comme critère qualitatif dans la programmation d’aujourd’hui : au sein de la République, le local est nié, et l’universel ne peut venir que du hors-sol.

Cette question de l’expertise, innée ou acquise, se retrouve pourtant à l’endroit de la résolution des problèmes auxquels sont confrontés les programmateurs : on accepte volontiers, comme hommage aux professionnels, la description infernale des enjeux auxquels sont soumis ces véritables équilibristes ; on perd la tête à s’imaginer composer entre pressions politiques, exigences du public, moyens financiers réduits et subventions raréfiées, contraintes juridiques, techniques, matérielles… C’est à cet endroit que l’expertise est prégnante, et digne d’admiration.

Le rôle du programmateur, ancré dans la notion de territoire, semble avant tout de défendre « sa » vision artistique grâce à une « technicité » professionnelle qui lui permet de transformer ces contraintes en « modes opérationnels ». La métaphore proposée du Rubik’s Cube semble particulièrement bien choisie…

« Humanitude » et droits culturels

En conclusion, on ne peut qu’aller dans le sens de Catherine Dutheil-Pessin et François Ribac lorsqu’ils diagnostiquent ce manque de considération précédemment décrit pour « l’expertise profane » et le dialogue social sur le plan des valeurs. Il est dommage de ne choisir comme alternative que le mot de Jacques Testard, « humanitude », et de ne pas faire appel aux droits culturels, bien inscrits dans la loi française.

Mais les prescriptions sont les mêmes : démocratie participative, palabre et expertise interactionnelle sont probablement les remèdes aux maux du médecin-programmateur, sans que cela remette en question sa légitimité ou sa nécessité au sein du paysage culturel.

Dans un très beau passage, à la fin de l’étude, intitulé « la qualité esthétique est-elle subversive », on trouve cet extrait qu’on aimerait voir devenir la devise des acteurs culturels : « La médiation n’est pas le processus par lequel on forme des apprentis à la culture, mais c’est la culture qui est la médiation par laquelle les êtres s’expriment et rentre en contact ». N’en déplaise à Gilles Deleuze.

Maël LUCAS

Catherine DUTHEIL-PESSIN et François RIBAC, La Fabrique de la programmation culturelle, La Dispute, 2017, 240 p., 23 €

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February 10, 2018 10:11 AM
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No Border (titre provisoire), texte de Nadège Prugnard

No Border (titre provisoire), texte de Nadège Prugnard | Revue de presse théâtre | Scoop.it




No Border (titre provisoire), texte de Nadège Prugnard

De la parole et du sens, voilà en substance ce que nous offre Nadège Prugnard, préleveuse de mots dans le terreau du réel, comme d’autres carottent la banquise. Il y a deux ans, Guy Alloucherie avait confié à celle qui dirige la compagnie Magma Performing Théâtre, un nouvel arpentage : la jungle de Calais.

Il prépare avec sa compagnie Hendrick Van Der Zee une exploration circassienne de cette grande tragédie de toujours, intensément contemporaine, la migration. Pour cela, il s’appuie sur une auteure de talent. Attention, rien de la posture de l’artiste qui descend de sa tour d’ivoire pour ausculter de loin les êtres en souffrance. Nadège Prugnard a usé ses semelles dans les bars, et sur les routes du Cantal (voir Le Théâtre du Blog),  et a rencontré femmes en lutte, militant-e-s ruraux pour amplifier avec superbe leurs maux souvent tus. Elle se pose résolument la question de la frontière entre l’autre et soi, de l’intime et de l’impudeur, et n’hésite pas à se confronter à sa propre impuissance, à ses exils, à ses errances.

Quand nous l’avons écoutée une première fois à la Chartreuse (profitons-en pour saluer cet admirable lieu de résidences d’écriture), elle en était encore à une étape de défrichage, face à des monceaux de rushs sonores. Sa proposition se vivait comme un jet, comme une sorte de poème ininterrompu où se mêlent des centaines de voix d’hier et d’aujourd’hui, voix d’exils, traduites par fragments, comme tombées d’une tour de Babel à la démocratie branlante. La simplicité d’un : «Je suis perdu» nous transperce. Il y a ceux qui ne veulent pas parler, ni être pris en photo. Il y a la litanie des prénoms, des pays d’origine, des mots à pleurer, de l’anglais de cuisine, la langue de la bricole.

Il y a l’avis des gens qui savent, qui disent qu’on «ne fait pas de théâtre avec de bons sentiments». Il y a la beauté comme vaccin contre le fascisme. Nadège Prugnard creuse la terre et la boue, en exhume le vers, ce versus latin, ce sillon de la charrue, plaie béante à ciel ouvert. Elle y décèle les bombes pernicieuses de l’ultra-libéralisme qui nous tue tous, qui enfume salement nos impuissances et nos révoltes. «Je fais remonter le poème avec les doigts», dit-elle. Et explose à intervalles réguliers ce refrain: « nos tremblements couronnés et trahis», puis surgit comme une fusée de détresse, la peur d’Idir : « Je me sens pas réel. »

C’est un grand texte debout, un écrit au tissage cosmopolite qui entrelace les témoignages de migrants, mais aussi ceux d’habitants et de bénévoles, qu’on entend moins souvent.  Dans un style irrigué par la rue et le rock, ses terres d’élection.

Ça pue le vrai, le vivant, la douleur et la joie. Ça embaume aussi: métaphore enivrante et omniprésente de Vénus, étoile, guide, besoin d’amour, «comme on frappe un amoureux, comme on embrasse un monstre ». Alain Bashung rôde.

Mots crus en intraveineuse, langues tout en en cris, larmes et tambours, rythme enflammé par la lave de l’émotion… Nadège Prugnard éruptive et sensible, sait nous parler d’eux, de nous. Elle nous réapprend à écouter ce grand hurlement de l’Histoire, là, tout proche. Nous suivrons de très près la création qui suivra.

Stéphanie Ruffier

Quarante quatrièmes rencontres d’été de la Chartreuse, Villeneuve-Lez-Avignon, lecture par l’auteure. T:  06.85.98.50.63.

Lire aussi le bel ouvrage collectif Décamper aux éditions La Découverte.


Repris lundi 12 février 2018 à 19h00  à l'Echangeur, Bagnolet

http://www.lechangeur.org/event/no-border/

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February 10, 2018 9:02 AM
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Théâtre de Nevers : le choix de Coline Serreau contesté mais approuvé par le conseil municipal

Théâtre de Nevers : le choix de Coline Serreau contesté mais approuvé par le conseil municipal | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par jean-Mathias Joly dans la République du Centre


Coline Serreau sera bien la directrice du théâtre municipal de Nevers à partir de juillet prochain. Le conseil a approuvé ce choix, ce mardi 6 février. Non sans de fortes critiques de l'opposition... et de l'adjointe à la culture, Véronique Lorans, qui n'a pas pris part au vote.
Il n'y avait qu'une délibération soumise au vote du conseil municipal de Nevers ce mardi 6 février : la délégation de service public par affermage pour l'exploitation du théâtre municipal, du 1er juillet 2018 au 30 juin 2023. Au bout de 2 h 30 de débat, le conseil a approuvé la proposition de la commission qui avait étudié les candidatures et a confirmé la nomination de Coline Serreau comme directrice. Un vote à la majorité, pas à l'unanimité : 24 voix pour, 11 contre, 3 abstentions.

Et surtout, un refus de voter : celui de Véronique Lorans, adjointe à la culture. Elle a expliqué d'entrée sa position, dans une prise de parole claire, posée, tout en équilibre entre le respect de la majorité municipale, à laquelle elle appartient toujours, et sa conviction profonde que le choix de Coline Serreau n'est pas le bon.

Coline Serreau bientôt directrice du théâtre municipal de Nevers

"Merci monsieur le maire de faire en sorte que la parole soit libre au sein du groupe Nevers à Venir. C’est la marque de fabrique de notre mouvement", a-t-elle déclaré. "Bien que solidaire de votre action, je suis en désaccord sur le choix que vous avez fait. Nous ne sommes pas en présence de deux offres de qualité comparable et le choix de la notoriété ne me semble pas pertinent. Coline Serreau a 71 ans, sa dernière création au théâtre date de 2006. D'un autre côté, nous avons Olivier Broda, 42 ans, qui a débuté sa carrière à Nevers en 2000. (...) Nous devions choisir entre une artiste en fin de carrière, à la notoriété relative voire surfaite, et un artiste émergent en train d'acquérir une notoriété nationale. Vous comprenez où se situe à mes yeux le pari de l’avenir et du rayonnement de Nevers."

L'adjointe à la culture a opposé les deux projets, démontré le sérieux et la rigueur d'Olivier Broda et son équipe tout en pointant l'inexpérience de Nathanaël Serreau, le fils de Coline Serreau, qui deviendra administrateur du théâtre. Elle a insisté sur le travail étroit que proposait de mener Olivier Broda avec les acteurs culturels locaux. Elle a émis de sérieux doutes sur la capacité de Coline Serreau à obtenir le label Centre dramatique national (CDN) comme elle le prétend (il n'a plus été attribué depuis vingt ans) et à réunir un million d'euros de subventions publiques par an, de la part de la Région et l'État.

J'interpelle le ministère de la Culture et la présidente de Région : confirmez-vous ce soutien au théâtre de Nevers ? Est-il lié exclusivement au nom de Coline Serreau ? D’autres projets peuvent-ils en bénéficier ?

Véronique Lorans a terminé en anticipant les critiques de l'opposition : "Ceux qui ont abandonné le petit théâtre si cher aux Neversois ne me semblent pas légitimes pour critiquer le choix du maire".

Les élus de l'opposition ne se sont cependant pas privés de faire entendre leur voix. Tous n'étaient d'ailleurs pas dans la majorité au moment de la fermeture du théâtre en 2010.

Ils ont avancé de nombreux arguments. L'âge de Coline Serreau. Des doutes sur sa présence régulière à Nevers. L'inexpérience de son fils. L'impossibilité d'obtenir le label CND. La démesure d'un projet qui leur semble mal ficelé financièrement et imprécis artistiquement. Le manque de garantie sur le travail en relation avec les structures locales. Le choix de la notoriété et la communication aux dépens d'une cohérence culturelle. Et le revirement de la commission qui a d'abord trouvé le projet de Coline Serreau insuffisant, avant de changer d'avis.

Wilfrid Sejeau (EELV), a même demandé aux élus de la majorité de surseoire : 

Nous pouvons encore donner une chance au meilleur projet, celui d'Olivier Broda, et rattraper la donne. Qu'on ne se trompe pas, il ne s'agit pas d'un projet de renommée nationale contre un projet local. Sur la capacité d'accueillir des artistes renommés, le projet d'Olivier Broda est meilleur. Je ne le défends pas parce qu'il est Nivernais, mais parce que son projet est meilleur.

Denis Thuriot a répondu point par point. "Il y a eu trois jurys sucessifs de commission, les projets ont été revus, amendés, ont évolué, c'est normal", a-t-il justifié. "Coline Serreau a entendu nos remarques. Le travail en relation avec les partenaires culturels locaux est dans le cahier des charges. Elle devra s'y conformer. Elle a une carrière, un parcours, ne dîtes pas qu'à 70 ans on ne peut plus travailler. Si elle obtient le label CND ce sera très bien mais tout son projet n'est pas conditionné à cela. Nous ne l'avons pas choisie non plus que pour sa notoriété. C'était un choix difficile, les deux propositions étaient de qualité. Nous avons choisi celle qui nous semblait bonne pour l'avenir. Je n'ai aucun intérêt personnel à choisir Coline Serreau plutôt qu'Olivier Broda, je ne suis que de passage. Ce qui m'importe, c'est l'intérêt général, c'est la pérennité du théâtre."

Le choix de la commission a finalement été validé. Coline Serreau sera bientôt directrice du théâtre municipal de Nevers, un édifice pour l'instant en rénovation. Sa fermeture, en janvier 2010, avait valu de nombreuses critiques à la précédente majorité, dirigée par Didier Boulaud puis Florent Sainte Fare Garnot. Ce dernier n'était pas là, ce mardi, pour débattre du choix du délégataire qui aura la charge d'organiser la réouverture.

Jean-Mathias Joly


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February 10, 2018 8:16 AM
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« Art » bien vivant au théâtre Antoine

« Art » bien vivant au théâtre Antoine | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Philippe Chevilley  dans Les Echos  Le 09/02 

Le trio Berling-Darroussin-Fromager fait des étincelles pour la reprise du « tube » de Yasmina Reza dans la mise en scène originelle de Patrice Kerbrat. Place aux rires et à la mélancolie d'un fin théâtre de « boulev'art ».
La pièce emblématique de Yasmina Reza n'est à l'affiche que depuis quelques jours, mais on peut sans trop de risques affirmer que le retour d'« Art » au théâtre Antoine, un quart de siècle après sa création, est un pari réussi. On savait que cette histoire d'amitié entre trois hommes, mise à mal par l'achat d'un « tableau blanc », tenait la route, qu'elle n'avait pas été traduite dans une quarantaine de langues et jouée dans la plupart des capitales du monde pour rien. On avait même pu constater l'an dernier qu'elle était soluble dans le théâtre expérimental du collectif belge tg STAN. La reprise de la mise en scène originelle de Patrice Kerbrat, faite d'élégance discrète et de distance calculée, s'avère toute aussi probante.

Le temps a passé. Les polémiques sur l'art contemporain vont toujours bon train (de McCarthy à Koons...). Mais, comme le souhaite l'auteur, ce n'est pas tant le débat sur la qualité du tableau minimaliste qui focalise l'attention. C'est la vision d'une amitié qui se délite, au gré d'une existence chaotique faite de tocades, de renoncements ou de routine. Serge, l'acheteur, dermatologue amateur d'art, Marc, l'ingénieur allergique à toute modernité, Yvan, le papetier de fortune, adepte de tous les compromis, voient leur planète respective se rétrécir et s'éloigner l'une de l'autre. « Art » est un vrai-faux boulevard sur la solitude des hommes, qui fait rire jaune et vire au noir.

DÉCOR STYLISÉ
La scénographie a de l'allure, avec son intérieur stylisé bourgeois-chic pourvu de panneaux coulissants, et ses belles lumières qui tour à tour éclairent et jettent dans l'ombre les protagonistes. D'aucuns se souviennent avec émotion des prestations de Vaneck, Luchini, Arditi, Rochefort, Trintignant ou Blanc. Le trio réuni aujourd'hui n'a pas grand-chose à leur envier. Alain Fromager campe un séduisant Serge, dandy mélancolique et sans cesse à cran. Charles Berling est drôle et poignant dans le rôle du quasi-nihiliste Marc, bouillant à l'extérieur, brûlant de l'intérieur. Du côté des fous rires, c'est Jean-Pierre Darroussin qui rafle la mise - confondant de naturel et de malice dans la peau d'Yvan, loser bouc-émissaire.

Ce triangle magique captive et manipule adroitement le spectateur avant de le cueillir à froid lors du dénouement doux-amer. Tout le monde (ou presque) pourra trouver son compte dans ce spectacle hors d'âge qui tire un trait malin entre boulevard et théâtre d'art.


de Yasmina Reza

Mise en scène de Patrice Kerbrat.

A Paris, théâtre Antoine

(01 42 08 77 71)

Durée: 1 h 25.


Légende photo : Jean-Pierre Darroussin (Yvan), Charles Berling (Marc) et Alain Fromager (Serge) se déchirent autour d'un « tableau blanc ». Photo Pascal Victor/ArtComPress

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February 14, 2018 5:20 PM
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Théâtre : Radouan Leflahi, de l’Atlas aux fjords

Théâtre : Radouan Leflahi, de l’Atlas aux fjords | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 14.02.2018


A même pas 28 ans, le comédien se voit offrir par David Bobée le rôle de Peer Gynt, un des plus énormes de tout le répertoire.


Heureux qui, comme Radouan, a fait un beau voyage. A même pas 28 ans, il se voit offrir par David Bobée le rôle de Peer Gynt, un des plus énormes de tout le répertoire. Lui, le jeune comédien inconnu mais que l’on avait remarqué, déjà, dans Roméo et Juliette et surtout dans Lucrèce Borgia, aux côtés de Béatrice Dalle, signés par le même metteur en scène.


Peer Gynt, c’est lui, Radouan ­Leflahi, dont le chemin pour en arriver là a été moins simple que pour d’autres. Comme le ­héros d’Ibsen, il est un fils sans père, élevé par sa mère, immigrée marocaine – « Berbère », précise­ra-t-il à plusieurs reprises –, et ses sœurs. Sa famille vient d’un ­village du Moyen-Atlas où il retourne souvent pour se « ressourcer », et en lui la poésie de ces montagnes-là s’unit à celle des fjords de Norvège.

RADOUAN LEFLAHI, COMÉDIEN : « J’AI MIS LES BOUCHÉES DOUBLES, NOTAMMENT DANS LE TRAVAIL SUR LA LANGUE »



Il a voulu être acteur très tôt, dès l’âge de 6 ans. « Tout le monde s’est fichu de moi », constate-t-il. A remballé ses rêves. Le théâtre n’arrivait pas jusqu’au quartier de la périphérie de Rouen où il a grandi. Radouan Leflahi a passé un bac marketing et fait énor­mément de sport, lui qui était « comme une pile électrique ».

Pourtant, au lycée, une de ses profs lui souffle de ne pas laisser tomber. Le jeune homme s’inscrit au concours d’entrée du ­Conservatoire de Rouen. Dans le jury, Maurice Attias, le directeur du Conservatoire, et David Bobée décident de l’admettre à l’école. « Je ne connaissais rien, j’avais vu en tout et pour tout trois pièces de théâtre dans ma vie, mais j’ai été le plus heureux des hommes, malgré la violence sociale que m’a envoyée à la figure cette insertion dans un milieu très éloigné du mien, raconte-t-il. Et j’ai mis les bouchées doubles, notamment dans le travail sur la langue. Parce que je suis tombé amoureux de Racine, du Claudel de Partage de midi, et du théâtre classique en général. »

Un comédien complet


« Je ne crois pas que l’on puisse faire du théâtre si on n’est pas attaché à la langue, insiste-t-il. Moi, j’adore ça, et un peu plus chaque jour. » Ce goût des « beaux, des grands mots » en a fait un acteur à la diction parfaite, qui en remontre à ceux qui supposent que les comédiens « issus de l’immigration » seraient incapables de ciseler les vers de Racine ou de Hugo.

Et comme Radouan Leflahi est aussi un athlète, admirateur du jeu très physique des acteurs allemands de la Schaubühne de Berlin ou du Berliner Ensemble, il est devenu un comédien complet. Etre ou ne pas être Peer Gynt ? Là n’est pas la question. « Je ne peux pas être Peer Gynt, sourit-il. Mais Peer Gynt peut être un tout petit peu moi… Il n’existe que parce que j’existe, sinon il n’est que du vent, de la fumée. C’est ce qui est beau : quand j’ai lu la pièce la première fois, je me suis dit, “c’est fou que ce petit Nor­végien du XIXe siècle ait vécu les mêmes choses que moi…”. J’ai été touché au cœur par la manière dont Ibsen, comme le disait Hugo, parle de nous en parlant de lui. »

Loin des rôles assignés de ­rappeur ou de mauvais garçon, Radouan Leflahi rêve de jouer Néron dans Britannicus, ou Mesa dans Partage de midi. Il fuit comme la peste les figures d’« Arabe de service » qui ne manquent pas de lui être proposées. Quand on lui demande s’il se sent appartenir à une double ­culture, il répond simplement « oui ». Mieux vaut deux cultures qu’une seule, ou aucune.

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February 13, 2018 7:34 PM
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« Le Traitement » vénéneux de Rémy Barché, Les Echos Week-end

« Le Traitement » vénéneux de Rémy Barché, Les Echos Week-end | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Vincent Bouquet dans les Echos | Le 13/02/2018 



« Le Traitement » vénéneux de Rémy Barché



Au Théâtre des Abbesses, le jeune metteur en scène poursuit son exploration de l'oeuvre de Martin Crimp. Grâce à une mise en scène au cordeau, il réussit en extraire tout l'onirisme malsain.
A force de s'y aventurer, Rémy Barché est devenu un expert de « Crimpland », capable d'avoir un recul dramaturgique fécond sur l'univers de l'écrivain britannique. Après avoir exploré « La Campagne », « La Ville » et « Play House », le jeune metteur en scène a habilement combiné deux autres de ses textes. Pourtant écrits avec plus de vingt ans d'écart par Martin Crimp, « Messager de l'amour » et « Le Traitement » fonctionnent en troublant miroir l'un de l'autre. Sous l'influence de Barché, le premier, plus récent, devient l'antichambre glaçante du second. Court monologue d'une femme qui n'existe que par la domination - consentie ? réelle ? fantasmée ? - qu'exerce sur elle son mari, il entre en parfaite résonance avec l'histoire d'Anne, nébuleuse héroïne du « Traitement ».

Elle aussi assure avoir vécu une séquestration conjugale. Au couple de producteurs bouffis de superficialité qui l'interroge, elle livre son vrai-faux témoignage en pâture, convaincue qu'ils pourront en faire un film. Séduits, Jennifer et Andrew le sont d'autant qu'ils sont justement à la recherche de cette fameuse « histoire vraie » qui leur offrirait un scénario en or. Mais celle d'Anne ne leur suffit pas. Pour la rendre plus cinématographique, ils vont lui faire subir un « traitement » - cette étape qui transforme une idée en récit séquencé -, sacrifier le réel au fictionnel et cannibaliser la vraie Anne au profit de son personnage.

PERSONNAGES TOXIQUES


De cet amas vénéneux, Rémy Barché joue avec maîtrise et délectation. Intrinsèquement théâtrale, sa mise en scène n'hésite pas à emprunter tous les codes du cinéma, des génériques de début et de fin jusqu'aux plans de coupe de New York vus et revus dans les séries et les films américains. Sa lecture de Crimp est si fine qu'il parvient à en extraire tout l'onirisme malsain, celui d'une ville aussi fascinante qu'effrayante, d'une industrie du cinéma aussi clinquante que corrompue.

Malgré une intrigue qui peine à se mettre en place, une utilisation de la vidéo trop illustrative et des comédiens que l'on aurait adoré voir encore plus machiavéliques, se dégage une atmosphère à la David Lynch d'où naît un malaise patent. Elégante et rusée, la scénographie modulable de Salma Bordes n'y est pas pour rien. Elle participe au savant empilement de poupées russes, réelles et fictionnelles, théâtrales et cinématographiques, orchestré par le duo Crimp-Barché, à la diffusion de cet air vicié expiré par des personnages toxiques entre lesquels les rapports de domination moraux, sociaux et sexuels sont rois.


LE TRAITEMENT
précédé de « Messager de l'amour ». Texte de Martin Crimp, mise en scène de Rémy Barché.

Paris, Théâtre des Abbesses dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville (01 42 74 22 77), jusqu'au 23 février. Durée : 3 h 20 entracte compris.

Puis au Théâtre Dijon-Bourgogne du 27 février au 3 mars.

@VincentBouquet


Légende photo :  La mise en scène de Rémy Barché ne se gêne pas pour emprunter tous les codes du cinéma. © Marthe Lemelle

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February 12, 2018 7:49 PM
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Spectacle : les années 1950 à Moscou, vues de Suisse

Spectacle : les années 1950 à Moscou, vues de Suisse | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Pierre Gervasoni dans Le Monde | 12.02.2018


A l’Athénée, à Paris, la compagnie Opéra Louise revisite une comédie musicale de Dimitri Chostakovitch.


Plus encore que les symphonies, les ouvrages lyriques de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) traduisent son écar­tèlement face au pouvoir sovié­tique. Vingt-cinq ans séparent la création de son opéra le plus connu, Lady Macbeth du district de Mtsensk (1934), et celle de son unique comédie musicale, Moscou, quartier des Cerises (1959). Les deux œuvres connaissent un succès populaire, mais la première est mal accueillie en haut lieu, et le compositeur échappe de peu à la déportation.

La seconde, pourtant plus parodique, ne lui vaut aucun problème. Khrouchtchev n’est pas Staline. Les temps ont changé, et cette satire d’apparence anodine en témoigne. Livret signé par des auteurs à la mode (Vladimir Mass, Mikhaïl Chervinsky), sujet d’actualité (la crise du logement) et musique on ne peut plus russe (emprunts au répertoire folklorique et aux hymnes du parti), tels sont les atouts réunis à l’époque.

Une production rose bonbon
Créée en France, en 2004 (à l’Opéra de Lyon, par Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps), Moscou, quartier des Cerises est à l’affiche, jusqu’au 16 février, du Théâtre de l’Athénée, à Paris, dans une adaptation à la fois resserrée (trois actes réduits à une heure quarante-cinq, orchestre remplacé par deux pianistes et deux percussionnistes) et élargie (lecture de l’œuvre à plusieurs niveaux). Nouvelle approche, donc, proposée par Opéra Louise, compagnie lyrique de Fribourg (Suisse) et nouveau titre, Moscou Paradis, qui annonce la saveur concentrée d’une production rose bonbon (costumes pastel et musique acidulée).

Tout commence néanmoins dans la pénombre et dans le silence. Un homme âgé, vêtu d’un bonnet de laine et d’un bleu de travail, entre dans la salle, hébété, avant de la traverser à pas lents et difficiles. Un ouvrier fatigué par le système ? Réponse à la fin du spectacle. En attendant, le rideau métallique se lève bruyamment. Eclairage aveuglant, câbles qui pendouillent, le plateau ressemble à une friche industrielle. Le vieil homme réapparaît et, toujours au ralenti, circule entre neuf personnages immobiles qui, avec leurs perruques et leurs vêtements voyants, évoquent les mannequins en résine des grands magasins. Le piano lance une note grave, répétée et amplifiée comme une détonation. Place à la vie artificielle de la société moscovite des années 1950.

Clins d’œil à Broadway
A gauche, un salon avec un téléphone ; à droite, une cuisine aux murs carrelés. Au centre, l’espace des individus promis au bonheur dans la cité moderne du « quartier des Cerises ». On y croise un jeune couple qui, après six mois de mariage, fait encore « immeuble à part », faute d’appartement. Un père, attaché à sa ruelle, et sa fille (Lidotchka) à peine sortie de l’enfance. Le directeur du nouvel ensemble immobilier (Drebedniov) et sa quatrième épouse, surtout intéressée par sa position sociale. Deux hommes qui tardent à trouver l’âme sœur… et d’autres archétypes, ridicules ou attachants.

Parlé en français et chanté en russe, Moscou Paradis enchaîne les valses et les romances avec quelques clins d’œil à Broadway (music-hall) et à Vienne (opérette). Servie par des interprètes polyvalents qui brûlent les planches, la mise en scène de Julien Chavaz est réglée comme une horloge (suisse, bien sûr) capable de s’affoler en mesure. Et tellement accordée à la musique qu’on jurerait que la partition a été écrite pour coller au travail de la compagnie et non l’inverse ! Bien dans le ton paradoxal de Chostakovitch, parodique et pourtant vrai, la distribution est dominée par l’apparatchik (Drebedniov) d’Alexandre Diakoff, qui s’agite comme un coucou, et par la Lidotchka haute en couleur de Sheva Tehoval, capables, comme l’impose l’idéal de la compagnie Opéra Louise, de basculer subitement d’un climat à l’autre, du rêve à la réalité, du spectacle de divertissement au théâtre de fond.


Moscou Paradis, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris 9e, jusqu’au 16 février. athenee-theatre.com

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February 12, 2018 7:12 PM
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Arrestation de sans-papiers chez Globe Aroma: «Un acte terroriste pour les secteurs culturels et associatifs», selon Fabrice Murgia

Arrestation de sans-papiers chez Globe Aroma: «Un acte terroriste pour les secteurs culturels et associatifs», selon Fabrice Murgia | Revue de presse théâtre | Scoop.it



Par Fabrice Murgia, artiste et directeur général du Théâtre Wallonie-Bruxelles / Publié par Le Soir.be le 12/02/2018


Sept personnes ont été arrêtées ce vendredi lors d’une opération de police fédérale visant l’ASBL Globe Aroma à Bruxelles. L’une d’entre elles a retrouvé la liberté, deux ont été expédiées en centre fermé, les quatre autres ont reçu un ordre de quitter le territoire. Depuis, le monde culturel belge se mobilise.

Ce vendredi, au Globe Aroma, des musiciens sans-papiers témoignaient, par le langage universel de la musique et de la peinture, d’un moment d’humanité, un instant de création, de partage. Des policiers sont entrés en scène. Au sens littéral du terme. Ils ont interrompu cette parole et ont procédé à plusieurs arrestations.

Une autre époque, pas si éloignée de la nôtre (où, comme aujourd’hui, des citoyens en accueillaient secrètement d’autres pour les protéger des rafles) n’a pas pu empêcher des spectacles et des concerts de se jouer. Depuis la nuit des temps, depuis que l’Homme enterre ses morts, l’art et les récits jouent un rôle régulateur et fondamental dans le fonctionnement sociétal. Des trêves ont eu lieu, dans les tranchées de Ypres ou les immeubles de Beyrouth pour que des histoires se racontent à des individus d’opinion, d’origine, ou de philosophie différentes. Les camps de concentration sont couverts de poèmes gravés avec les ongles dans la pierre, et la poésie aide des êtres humains à surmonter de grandes difficultés et permet la résilience.

Au-delà de la fonction cathartique de la poésie, les mondes associatif et culturel sont des opposants par nature aux idées dangereuses. Ils sont indispensables à une démocratie en perpétuelle construction, avec parfois des avancées, et malheureusement fréquemment, d’effrayants reculs. Ils jettent des questions sur la place publique dont les politiciens, s’ils sont bons, peuvent s’emparer.

Le Globe Aroma se définit comme : un refuge artistique où les demandeurs d’asile et les Bruxellois, où le secteur de la migration et le domaine des arts, se rencontrent.

Doit-on demain avoir peur de poser ces questions ? Depuis vendredi, le Théâtre National devrait-il se sentir empêché de créer un spectacle avec des sans-papiers en scène, comme il l’a fait il y a trois ans avec "Ceux que je n’ai jamais rencontrés ne m’ont peut-être pas vu", du Nimis Group ? Doit-on craindre que des participants sans-papiers ne se présentent plus à ces ateliers ?

Certainement, car aujourd’hui, nous avons la malchance passagère (car en politique, les mauvais ne sont que de passage) d’avoir une série d’élus déconnectés de la réalité humaine, responsables du déni de la condition humaine de certains, voire de la torture de ceux-ci. Et c’est la conséquence directe d’un choix électoral populiste. Ceux qui votent avec des idées à court-terme se retrouvent avec des dirigeants qui pensent à court-terme au point d’être justement comparés à des Trump flamand. Ils en viennent à se contredire au point d’en oublier totalement qu’en politique, il est utile de trouver un lien entre ce qu’on dit, ce qu’on fait et ce qu’on pense (cf. Interview de Louis Michel : https://www.youtube.com/watch?v=wL39HqIlIWM ).

De l’inexpérience naissent les bavures. Et de bavures en bavures, le peuple se tait et compense. A l’heure où notre Premier se targue d’empêcher un « Calais » belge, il est à mille lieux de reconnaître que ce « Calais » n’existe pas grâce à la mobilisation citoyenne, salutaire désobéissance civile. Des centaines de personnes accueillent des êtres déracinés chez eux, des instituteurs oeuvrent pour le droit universel à l’éducation. Le monde associatif crée ce qu’il a toujours créé : du ciment social pour rendre une dignité à chacun.

Et depuis vendredi, notre objet social se retrouve fragilisé car on tente de nous faire peur, d’installer la terreur. Le fait qu’une rafle ait lieu en scène est perçu comme un acte terroriste pour les secteurs culturels et associatifs.

Après les rafles à domicile, notre gouvernement est allé trop loin en entrant dans nos salles de spectacles. Demain, ils entreront dans les hôpitaux.


C’est à en oublier que la politique est une chose noble. Car nos Ministres de la Culture nous assurent être scandalisés. Et au niveau local, les conseillers communaux, proches des citoyens, doivent faire bloc face au gouvernement fédéral. Il faut exiger des élus locaux que la police locale mette une limite raisonnable à sa collaboration avec la police fédérale. Nous n’avons pas besoin d’une rafle à l’efficacité relative dans un lieu aussi symbolique que le Globe Aroma… Ce dont nous avons besoin, c’est d’un deuxième, puis un troisième Globe Aroma. Pour qu’encore une fois, le monde culturel et associatif compense le manque de vision politique, celle qui chercherait à intégrer ces personnes et d’informer sur qui elles sont vraiment : des êtres déracinés, comme l’ont été nos parents.

Que ceux-là ne posent plus un pied sur nos plateaux, car au-delà du fait d’anéantir ces individus, ils bafouent l’objet social qu’ils subventionnent avec un certain cynisme, notre raison d’être et de raconter, notre fonction dans la société. Ils auto-détruisent le système qu’ils tentent de mettre en place, se rendent impopulaires, et n’ont aucune considération pour les citoyens qui participent à la construction de notre société.

Lundi 12 février 2018.

Fabrice Murgia,

artiste et Directeur Général du Théâtre National Wallonie-Bruxelles


© Michel Tonneau - Le Soir

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February 11, 2018 7:46 PM
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Marc Lainé La Fusillade sur une plage d'Allemagne Simon Diard

Marc Lainé La Fusillade sur une plage d'Allemagne Simon Diard | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thomas Flagel pour Poly.frvle 10 Fév 2018



De Sang Froid, La Fusillade de Simon Diard


Étrange pièce de Simon Diard, La Fusillade sur une plage d’Allemagne montée par Marc Lainé nous entraîne dans l’intimité de la violence, entre cauchemar éveillé et trouble de la réalité, fantasme et difficulté du passage à l’acte.

Le texte mêle une situation très concrète – cinq personnages au bord d’une fosse en pleine forêt – et évocation de personnes fictives : une famille en vacances sur une plage (moment parfait menacé par la disparition d’un enfant ou encore un rêve de parricide du père) mais aussi récit d’un jeune ado projetant un meurtre de masse au 9 mm. Assez complexe à suivre…
En tant que lecteur, c’est fascinant car à la fois d’une grande évidence avec une belle fluidité des récits que vous évoquez dans la première partie, avant de revenir à la situation initiale dans la seconde. La mise en tension est étonnante. Les fictions sont comme une série de postulats inquiétants qui ont réveillé en moi un imaginaire cinématographique et qui fait écho aux tragiques faits divers de l’actualité. Il m’importait qu’on n’oublie pas la forêt et cette fosse, sans empêcher le spectateur d’y superposer les paysages évoqués.

Il y a très peu de dialogues dans ce texte, les personnages ne parlent pas d’eux-mêmes mais d’autres. Ce sont leurs projections mentales ?


Tout doit rester très concret. Simon Diard propose des théâtralités très diverses : les évocations imaginaires sont une manière pour ces personnages de dialoguer, des échanges entre personnes ayant décidé d’arrêter un jeune homme qu’ils suspectent de vouloir commettre un meurtre de masse. Il est au fond d’une fosse et eux autour, mais tout cela est livré avec beaucoup de poésie et de détours.

Vous êtes scénographe et metteur en scène, avez-vous été tentés par le recours à l’image, photo ou vidéo, pour figurer ces ailleurs dont ils parlent ?


D’habitude je monte mes propres textes, j’ai donc cherché à respecter les propositions de l’auteur. Il est question en permanence d’écrans, de surfaces de projection comme le gouffre de la fosse par exemple. Mais avec ces nombreux personnages fictifs à imaginer, je ne voulais pas nuire à l’écoute et me substituer aux représentations mentales du spectateur. La première partie se livre en adresse directe et frontale favorisant l’écoute et l’inquiétude. La seconde fait la part belle à la vidéo avec un caméraman filmant les personnages depuis la fosse, comme du point de vue subjectif du jeune homme qu’ils y ont plongé. On suit au plus près la description de ce qu’ils voient et imaginent de lui. Cela fait vibrer les potentialités de la fiction imaginée par Simon Diard.

Vous êtes touché par le trouble entre réalité et fiction ? La culpabilité à venir ou la difficulté à se décider – tuer ou pas le jeune homme – marqué par l’étirement des paroles dans la deuxième partie ?


Les secondes s’étirent en effet, entretenant une confusion entre réalité et fiction : chez Werner, le père de famille qui rêve tous les soirs d’une guérilla urbaine l’obligeant à tuer sa femme et ses enfants, comme pour le jeune homme dont on ne saura jamais si la tuerie a eu lieu ou si c’est un fantasme. Je suis très sensible à cette question des ados tueurs, comme ceux de Columbine : leur pulsion de mise à mort devient la possibilité d’un accomplissement. Ils attendent une révélation par le passage à l’acte, ce à quoi Simon Diard oppose une réponse claire : au bout de la bobine, il n’y a rien, le désert. Les personnages de la pièce se racontent des fictions pour nourrir leur décision, même si c’est fantasmatique, cela révèle quelque chose de contemporain. Nous sommes coincés dans des fictions paranoïaques naissant de la multiplicité des représentations de la violence comme des récents passages à l’acte terroristes.

S’exprime aussi un fantasme de puissance et de contrôle…


Exactement, comme les deux gamins de Columbine dans leurs journaux intimes qui mélangeaient des concepts philosophiques qui les dépassaient pour nourrir leurs justifications. La force de ce texte est que tout passe par les mots.

Sont aussi évoquées les terreurs intimes : Eckbert, cet enfant de 7 ans n’arrivant pas à venir au secours de son frère aîné ayant disparu en mer, qui, terrifié, se noie intérieurement…
Simon Diard met en place des récits parallèles qui se répondent en écho. La noyade est aussi une analogie de ce que doit ressentir le jeune homme dans la tombe qu’ils ont creusé pour lui. Mais on peut aussi avoir ce sentiment en tant que spectateur. Ce texte est très court et complexe avec des résonances d’une richesse inouïe.

Que vous raconte la pirouette finale avec la reprise d’un extrait de morceau des Beatles issu de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ?



C’est presque ironique, d’ailleurs j’utilise dès le début la ritournelle « A splendid Time is guaranteed for all » qui revient dans la pièce et qui est dans la chanson comme une moquerie cruelle du groupe. Les Beatles étaient en pleine période psychédélique et j’y vois une idée de la drogue, comme si ces personnages qui ont à peu près l’âge de leur victime, se faisaient un trip, possédés par ce qu’ils racontent. Ils ont besoin d’un rituel pour trouver la force de passer à l’acte.


 Au Théâtre national de Strasbourg, du 14 au 23 février
tns.fr
> Rencontre avec l’équipe du Théâtre Ouvert, notamment ses fondateurs Lucien et Micheline Attoun, samedi 17 février à 17h et lundi 19 février à 19h au TNS (Salle de Peinture)


Photo de Christophe Raynaud de Lage 

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February 11, 2018 5:45 PM
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Appel d'air pour le jeune public

Appel d'air pour le jeune public | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Elisabeth Franck-Dumas dans Libération
— 12 février 2018


Considéré naguère comme un sous-genre, le spectacle pour enfants attire désormais des artistes venus d’horizons divers pour des créations plus innovantes. A l’instar de celles des chorégraphes Gaëlle Bourges et Christian Rizzo ou de la Compagnie du Zerep.

Cela fait longtemps, disons quelques années, que l’on est sorti de la légère infamie rattachée à la mention «spectacle jeune public». Merci à Joël Pommerat, merci aussi à tous ces programmateurs, festivals, institutions, ayant eu l’idée de passer commande à des profils qui n’ont rien d’évident dans le secteur jeunesse et d’ouvrir grand les circuits de diffusion à des propositions innovantes - l’on pense pêle-mêle au Gymnase de Roubaix et à la Chapelle des Pénitents blancs du Festival d’Avignon, au Théâtre de Chaillot et au CDN de Sartrouville, au Théâtre de la Ville et surtout à l’opération «Belle Saison», organisée par le ministère de la Culture en 2014-2015, qui visait à promouvoir le genre sur tout le territoire. Grâce à eux, les spectateurs savent désormais que l’expérience de l’accompagnant adulte ne se résume pas à décoller du chewing-gum de son manteau, crier «chut» et regarder fréquemment sa montre, et surtout que celle du «jeune» ne le dégoûtera pas à vie de remettre les pieds dans une salle.

Une génération d’artistes confirmés dans un travail «d’adulte», et soutenue par des scènes labellisées, s’y est mise, et l’on a ainsi pu voir, ces derniers temps, les tentatives réussies de Joris Lacoste (blablabla) et Vincent Dupont (Stéréoscopia) ou de Tiago Rodrigues et Thomas Quillardet (Tristesse et joie dans la vie des girafes). «Il y a désormais une dynamique qui s’est installée, qui a autorisé ces artistes à s’emparer du genre. Ils savent que ce n’est pas un "sous-genre", qu’ils peuvent faire des propositions exigeantes», juge Céline Bréant qui, avec Célia Bernard, a initié au Gymnase à Roubaix (59) un programme de commandes à des duos de chorégraphes pointus (Anne Nguyen et Michel Schweizer, Ambra Senatore et Loïc Touzet, Robyn Orlin et Emmanuel Eggermont) pour des petites formes à l’adresse du jeune public. Qu’on ajoute à cela la promesse, pour beaucoup de ces spectacles, de tourner davantage que sur le seul circuit de diffusion «tout public», augmentant ainsi leur rentabilité, et s’engage alors une mécanique vertueuse.

Mais voilà : le processus de décloisonnement est arrivé à un stade de maturation si avancé que l’on en touche désormais du doigt l’étape ultime, celle où des artistes se préoccupant de création jeunesse viennent d’esthétiques a priori si éloignées de ça que l’adulte accompagnant se demande s’il est bien sérieux d’y emmener des enfants. Cette saison, des propositions émanant de créateurs aux univers très distincts, du plus austère au plus foutraque, mais qui partagent la particularité de s’y coller pour la première fois, ont éveillé notre attention, notamment dans leur manière de remettre en jeu l’étiquette même de «jeune public».

Potentiel anxiogène
La Compagnie du Zerep, par exemple. Leur puérilité assumée (coussin péteur, créatures dégueu et visqueuses…) pourrait en faire le compagnon idéal des petits. N’était leur tendance à se retrouver à poil, mimer des partouzes et proférer tout un tas de «putain merde». N’était cette autre tendance à pratiquer un millième degré tordant mais hors d’atteinte aux plus jeunes. Tourne néanmoins depuis le printemps dernier Babarman, mon cirque pour un royaume, leur hilarant «spectacle jeune public sous le regard du vieux public», qui annonce la couleur dès les premières minutes avec les paroles suivantes (tirées d’un texte de la dramaturge britannique Sarah Kane) : «J’ai gazé des Juifs j’ai tué des Kurdes j’ai bombardé des Arabes j’ai baisé des petits enfants qui demandaient grâce.»

Qu’on se rassure, les plus jeunes ne sont alors pas dans la salle, seulement les adultes (qui mettent un instant angoissant à s’en rendre compte). Car le spectacle fonctionne sur cet ingénieux dispositif : les enfants sont assis dans un petit chapiteau sur scène, où ils assistent à Babarman, l’histoire d’un éléphant roi amnésique, alors que les adultes, dans la salle, ont droit à la coulisse et son cortège de performeurs désabusés, vaguement pédophiles, qui cachetonnent en faisant «les petits cancéreux». Chacun se reconnaîtra dans ce condensé de préjugés collant à l’étiquette «jeune public», que Sophie Perez, fondatrice de la compagnie, résume ainsi : «C’est un truc court, qu’on peut jouer simple car avec les gosses, une grosse tête étonnée, ça marche. Et puis pas cher, avec de la diffusion et des dates derrière.» Par-delà son potentiel anxiogène pour les parents (mais qu’arrive-t-il à mes enfants là-bas ?) comme pour les enfants (mais où sont mes parents ?), la séparation géographique figurée dans Babarman est une manière habile et physique de poser la question centrale de ce genre de proposition. A savoir : qu’est-ce qu’on montre aux «grands», qu’est-ce qui est «pour les petits» ? La réponse est bien plus floue, et les limites plus poreuses qu’on pourrait le croire, ce que soulignent les allers-retours des comédiens entre les deux espaces. «Il y a une perméabilité des matières esthétiques, que les parents devinent, souligne Sophie Perez. C’est ce qui rend ce genre d’exercice passionnant.»

Pouvoir démiurgique
Autre univers, radicalement différent mais a priori pas vraiment caractérisé par son approche kid friendly, celui du chorégraphe mélancolique Christian Rizzo, directeur du Centre chorégraphique national (CCN) de Montpellier (Hérault), qui présente depuis octobre d’à côté, conte chorégraphique pour trois danseurs dont il résume ainsi l’ambition : «Montrer à des enfants de la danse abstraite.» Leur montrer certes, mais pas dans un geste gratuit, plutôt dans celui de dégoupiller leur imaginaire, les éveiller à ce que peut être un langage corporel qui n’en passe pas par la narration.

Dès les premiers instants, il semble qu’il ait réussi, ce que confirme une séance de questions avec des enfants très nourrie après la représentation (1). Car l’incipit met en scène une série d’actions (type lever un bras, etc.), prises dans un flot rythmé de pulsations lumineuses et musicales, qui provoquent le mouvement d’un néon, ou une pluie d’étoiles sur l’écran en fond de scène. Cela suscite un émerveillement enfantin, et donne à ressentir, très simplement, ce que peut être la magie d’une scène. Est aussi renvoyé en miroir aux spectateurs ce pouvoir démiurgique que s’accordent généralement les enfants dans leurs jeux (et là on dirait que les lampes s’allumeraient…)

Les mouvements fluides s’enchaînent, construisant et déconstruisant le décor de grandes parois de tissus, l’attention à chaque fois relancée par les variations d’electro et de clignotements, puis l’apparition, sous les fumigènes, d’étranges créatures couvertes de lichen ou affublées de longues pattes noires… La sensation très vive de la liberté de ce que ce serait, de pouvoir bouger ainsi, se frôler, onduler et réagir au corps de l’autre, est d’autant plus manifeste qu’elle n’est pas démonstrative mais prise dans un mouvement plus large. «Je voulais que les jeunes arrivent à regarder de la danse qui ne serait pas en train de raconter quelque chose, détaille le chorégraphe. Donc il fallait imaginer des subterfuges autour.» Le résultat, pourtant, est ostensiblement une pièce de Christian Rizzo, où l’on reconnaît son vocabulaire de mouvements, son souci des relais entre sons, lumières et gestes. Lui-même l’admet, ce qui l’a conduit à se demander pourquoi diable il ne remonterait pas ses créations précédentes à destination des jeunes : «Est-ce qu’elles ne passeraient pas, sans rien changer ? Bien sûr qu’il y a des modalités d’adresse, de rythme bien particulières à respecter avec des plus jeunes, mais je pense qu’ils arriveraient à tenir. Plutôt que de faire des pièces pour jeune public, il me semble désormais plus intéressant de travailler avec eux pour trouver l’adresse la plus large possible.»

Jolie babiole


Une semblable liberté traverse le Bain, commande réalisée pour le CCN de Tours (Indre-et-Loire) par Gaëlle Bourges, dont le travail souvent très littéraire, inspiré d’œuvres picturales et habité par des corps nus, n’était a priori pas destiné à des enfants. Et bim, c’est justement de nudité qu’elle a choisi de parler, travaillant à partir de deux tableaux, Diane au bain d’après François Clouet, et Suzanne au bain, du Tintoret, eux-mêmes tirés de deux mythes bien connus : la métamorphose d’Actéon en cerf, après qu’il a par mégarde aperçu Diane nue, racontée par Ovide dans les Métamorphoses, et le procès de deux vieillards condamnés à mort pour avoir espionné Suzanne alors qu’elle se baignait (puis tenté de remettre la faute sur elle), tiré du livre de Daniel dans l’Ancien Testament. «Je me suis dit que c’était drôle d’être là où on m’attend, la nudité, mais de trouver le moyen de le faire avec des enfants, s’amuse la chorégraphe. Donc la solution a été de faire ça avec des poupées ! Même s’il y a quelques programmateurs que cela inquiète que des poupées soient nues…»

Trois poupées et trois performeuses rejouent donc ces récits de justice et de punition, qui prennent, au vu de l’actualité, une résonance particulière. Le Bain brasse ainsi, l’air de ne pas y toucher, une quantité de thématiques (esthétiques, éthiques, politiques) qui enrichissent les niveaux de lecture de n’importe quel spectateur. Que le Bain ait une forme de narration à plat, sans affect, sans excès de causalité, rend certains passages, notamment la mort d’Actéon, d’autant plus poignants. Le plateau est constellé de tout ce petit bric-à-brac - arrosoir, peluches, plumes - auquel on est en droit de s’attendre chez Gaëlle Bourges, un plaisir de la jolie babiole et de l’instrument très enfantin. Les connaisseurs de son travail reconnaîtront aussi son procédé de bande sonore de mots choisis, avec sa musicalité particulière qui fait toujours décoller. «Les enfants sont sensibles à la qualité de la langue, Andersen et Perrault sont d’ailleurs très littéraires, justifie-t-elle. Si la langue est trop pauvre, l’imagination est moins mise en branle.» S’adresser au «jeune public» a-t-il donc changé sa manière de travailler ? «Pas vraiment, reconnaît-elle. Il y a un endroit de moi qui sait qu’il y aura des petits, et qui insiste particulièrement sur les animaux, sur ce qui intéresse sûrement les enfants et que les adultes ne voient pas. Mais je ne me dis pas que j’écris pour les enfants.» L’étiquette «jeune public», peut-être faut-il en passer par là pour mieux s’en affranchir.

(1) Le spectacle était donné la semaine dernière au Théâtre de Chaillot, 75016.

Elisabeth Franck-Dumas
Babarman, mon cirque pour un royaume Compagnie du Zerep Les 25, 26 et 27 mai au centre Pompidou, 75004. Rens. : www.centrepompidou.fr

d’à côté de Christian Rizzo Tournée dans toute la France, dont les 12 et 13 février au théâtre d’Arles (13), du 27 au 31 mars au TNB, Rennes (35). Rens. : ici-ccn.com

Le Bain de Gaëlle Bourges Tournée dans toute la France, dont les 13 et 14 mars au Vivat, Armentières (59), les 15 et 16 au Louvre-Lens (62), les 29, 30 et 31 à l’Atelier de Paris-Centre de développement chorégraphique national (CDCN), 75012. Rens. : www.gaellebourges.com


Légende photo :  «Le Bain», de Gaëlle Bourges. Photo Danielle Voirin

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February 11, 2018 3:11 PM
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Un «Menteur» qui ne manque pas d’air 

Un «Menteur» qui ne manque pas d’air  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan


Julia Vidit, avec la complicité de Guillaume Cayet, adapte « Le Menteur », une comédie de Corneille, et, entourée d’acteurs faisant troupe, elle met vivement en scène cette pièce rarement jouée. On s’emmerde. Non, je mens, on s’amuse.

Le mensonge est une gymnastique très partagée. Des fake news de base au sommet de l’Etat (humanité du discours sur les émigrés, répressions policières sur le terrain), des prêches de curés (dénoncés comme pédophiles) aux sermons de Tariq Ramadan (mis en examen pour viol), des plagiaires aux faussaires, la liste est longue. Qui n’a pas pratiqué le faux pour savoir le vrai ? Qui n’a pas menti pour la bonne cause ou son confort personnel ? Qui n’a pas trompé son monde par calcul, par peur, par faiblesse, par inadvertance ou par accident ?
Une juste adaptation

Il y a longtemps, Corneille a écrit sur ce sujet Le Menteur, une comédie... criante de vérité. Ce n’est pas mentir que de dire qu’elle est rarement jouée (dernière occurrence à la Comédie Française en 1986 par Alain Françon) et qu’elle semble à la lecture un peu emberlificotée.

Est-ce le mensonge qui effraie ? Rien de plus mensonger. Sous le titre Cher menteur, la correspondance entre George Bernard Shaw et l’actrice Béatrice Stella Campbell, adaptée en français par Jean Cocteau, avait fait un tabac lors de sa création par Pierre Brasseur et Maria Casarès. Depuis, cette pièce a été souvent reprise.

Il faut donc se réjouir de voir une jeune compagnie (conventionnée) nommée Java vérité (si si, je ne baratine pas), celle de Julia Vidit, entrer de plain pied dans Le Menteur de Corneille et signer un spectacle dont la qualité de bout en bout ne se dément pas, promis, juré.

Avant de se mettre au travail avec les acteurs, Julia Vidit a demandé à son ami Guillaume Cayet, un auteur qu’elle connaît bien pour avoir monté deux de ses pièces, de signer avec elle l’adaptation. Leur travail a pour vertu de couper quelques répliques, d’en réécrire quelques-unes devenues obscures, de supprimer un ou deux personnages subalternes, de biffer un personnage de servante pour fourguer ses répliques à l’un des personnages, renforçant ainsi le jeu du vrai et du faux à l’œuvre dans la pièce. Et puis de pimenter le tout de quelques ajouts féministes comme on met du poivre dans une soupe pour en affirmer le goût.

Des affabulations en série

Le menteur, c’est Dorante (Barthélémy Méridjen, très alerte). Il ment tout le temps. Il adore ça. Il le fait par intérêt autant que par plaisir et quand il est parti dans un mensonge, c’est une vanne ouverte qu’il a bien du mal à refermer. « La scène est à Paris », nous dit Corneille. Au début de la pièce, arrivé la veille de Poitiers, Dorante retrouve son valet Cliton, plus au fait des us et coutumes de la capitale. Dorante est un jeune homme pressé et prêt à tout pour arriver, non au sommet de l’Etat, mais au mariage, après avoir rencontré l’amour. Lequel est à la merci de la première venue. Elle sont deux. Clarice (Karine Pédurand), celle qui cause, et Lucrèce (Aurore Déon), celle qui ne cause pas mais n’en pense pas moins.

Et c’est parti pour la première d’une série d’affabulations. Dorante dit qu’il revient des guerres d’Allemagne où il a passé plusieurs années. Il pourrait en rester là, mais l’affabulation est exponentielle : le voici sur le champ de bataille trucidant à tour de bras. Un mensonge en entraînant un autre, le voici maintenant parlant de fêtes somptueuses organisées la veille par ses soins, allant jusqu’à préciser le nombre de plats servis. Il charme, il embobine et comme il est beau parleur et bien foutu de sa personne, il se croit irrésistible. A ses côtés son serviteur, comme nous, apprécie le spectacle qu’il sait imaginaire (« votre ordinaire est-il de rêver en parlant ? » lui lance-t-il). Les femmes auxquelles ces baratins s’adressent sont plus ou moins méfiantes.

Corneille s’amuse à pousser le bouchon : Isabelle (Nathalie Kousnetzoff) propose à Clarice et Lucrèce d’échanger leurs identités. Cayet et Vidit le poussent plus loin encore : Lucrèce « grimée » en sa propre servante apparaîtra lorsque la pièce a besoin d’elle pour se jouer de Dorante. Je ne vous dis pas le micmac.

Cela ira très loin puisque, suite à ce qu’il nomme un combat, Dorante raconte avoir laissé pour mort le jeune Alcippe (Adil Laboudi), fiancé de Clarice que Dorante croit aimer. Mensonge rapidement éventé. Mais, tous les menteurs le savent bien : on finit par croire à ses mensonges. A Cliton qui doute des faits puisqu’il vient de croiser Alcippe, et lui en fait part, Dorante réplique : « Quoi ? Mon combat te semble imaginaire ? » S’enfonçant dans son mensonge (on s’y enfonce toujours), Dorante en invente alors un autre, encore plus gros : une « poudre de sympathie »  miraculeuse aurait ramené illico presto Alcippe à la vie.
Une robe trop serrée

L’autre versant de la pièce, ce sont les rapports entre Dorante et son père Géronte (impressionnant Jacques Pieiller). Ce dernier veut le bonheur de son fils, il est prêt à beaucoup d’accommodements, mais l’honneur reste sa valeur suprême, comme dans les tragédies de Corneille. Alors quand il découvre que son fils ment tant et plus et ment en particulier à lui, son père, c’en est trop. J’ai honte, dit en substance Géronte. Mais il le dit en langue de tragédie : « Ô vieillesse facile ! Ô jeunesse impudente / Ô de mes cheveux gris honte trop évidente / Est-il dessous le Ciel père plus malheureux ? » Alors c’est comme tout naturellement que des alexandrins de Don Diègue, le père du Cid, fleurissent aux lèvres du père bafoué : « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie... »

La mise en scène est pleine de ces petits bonheurs comme ceux que procure la scénographie (Thibaut Fack) faite de grands pans de miroirs pouvant se déployer ou se rassembler rapidement. Tout va vite, et les acteurs s’épaulent. Dans l’excellente distribution, distinguons la prestation très inventive de Lisa Pajon dans le rôle de Cliton. Une femme dans un rôle d’homme.

Autres clins d’œil au féminisme, quelques ajouts glissés à la fin du quatrième acte : « Je ne veux être ni la fille d’un père, ni la composition florale d’un mari. Nous sommes les arguments d’un drame masculin depuis trop longtemps. Je veux être moi-même, pour moi-même, en moi-même, avec quelqu’un. Et je ne m’offrirai pas dans cette robe trop serrée », dit Clarice n’en pouvant plus du corset des vers. A quoi sa copine (et rivale) Lucrèce répond : « Tu transgresses ? Dis donc ! Il faut parler en vers. » Vidit et Cayet remettent le couvert dans un court épilogue à la pièce qui parle de notre aujourd’hui : « Nous sommes dans une époque où tout le monde joue, où tout le monde se met en scène... » C’est pas le menteur Macron qui dira le contraire.

Théâtre de la Tempête, du mar au sam 20h, dim 16h, jusqu’au 18 fév. Puis Théâtre Jacques Prévert à Aulnay-sous-Bois le 14 mars ; Le Trident à Cherbourg les 22 et 23 mars ; CDN de Normandie au Petit-Quevilly du 28 au 30 mars. Reprise la saison prochaine.


Légende photo :Scène du spectacle "Le menteur" © Anne Gayan

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February 11, 2018 8:40 AM
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Lettre à Madame la ministre de la Culture

Publié dans Théâtre du blog Posté le7 février 2018 



Lettre à Madame la ministre de la Culture



Nous avons reçu cette lettre que Robin Renucci et d’autres directeurs de Centres Dramatiques Nationaux vont adresser à Françoise Nyssen, Ministre de la Culture et que, bien entendu, nous publions.
Vous pouvez la transmettre aux amis, à votre réseau et d’abord envoyer avant ce mercredi soir votre signature à Frédéric Perouchine: perouchinef@gmail.com, secrétaire général de l’Association des Centres chorégraphiques nationaux, de l’Association des Centres dramatiques nationaux et de l’Association des Centres de développement chorégraphique nationaux, 12-14 rue Léchevin 75011 Paris. T: +33 (0)6 63 17 49 51.

Philippe du Vignal

 

Madame la Ministre de la Culture,

Vous avez convié certain.e.s d’entre nous à la fin de l’automne à un dîner pour parler de nos différentes actions auprès des exilé.e.s qui cherchent actuellement refuge en France. Nous vous avons proposé alors d’organiser une commission dont nous étions prêt.e.s à prendre la charge, afin d’établir un dialogue avec le ministère de l’Intérieur. Nous avons insisté sur la nécessité et l’urgence d’ouvrir ce dialogue entre les artistes, les acteur.trice.s culturel.le.s et le ministère de l’Intérieur, dialogue sans lequel tous nos efforts, tout notre travail en direction des milliers d’exilé.e.s restent une goutte d’eau dans l’océan des violences qu’ils et elles subissent aujourd’hui sur notre territoire, dans cette France qui pour elles et eux représentait pourtant la patrie des droits de l’homme, une terre d’asile et de refuge, et qui n’est plus aujourd’hui, pour ces femmes, ces enfants et ces hommes, qu’un endroit de violence et de rejet.


Notre demande est restée lettre morte.

Vous avez lancé récemment un appel au milieu culturel et artistique à faciliter aux éxilé.e.s l’accès à la culture, à développer des ateliers artistiques avec elles et eux, pour les aider à patienter le long des files d’attentes administratives.


Madame la Ministre, sachez que voici des mois, des années, que nous menons ces actions, que nous faisons, nous, artistes, acteurs et actrices culturelles, tout ce qui est en notre pouvoir pour soulager la misère, l’impact des violences subies, à tous les endroits où nous pouvons agir, que ce soit en tant que directeur.trice.s de structures culturelles, de lieux de création, que ce soit en tant qu’artistes. Quels que soient nos moyens, nous sommes des milliers en France à tenter d’agir avec d’autres citoyen.e.s et des associations qui luttent quotidiennement, pour aider, soutenir, accompagner ces vies blessées, ces parcours meurtris, ces frères et sœurs humaines qui ont tout perdu, tout laissé derrière eux, non pas pour « profiter » des « pavés dorés » de notre République, mais par nécessité vitale. On ne quitte pas son pays, ceux qu’on aime, son histoire et sa vie, par envie de confort, mais parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Nous ne menons pas ces actions parce que nous sommes artistes et gens de culture, nous le faisons, Madame la ministre, parce que nous sommes avant tout des citoyen.ne.s, qui, comme des milliers d’autres citoyen.ne.s, de tous bords, de tous milieux, voient en ces exilé.e.s des frères et sœurs humains en souffrance. Nous le faisons en ayant chaque jour un peu plus honte de notre pays, de la façon dont ce pays que nous aimons et dont nous défendons avec fierté et force l’expression culturelle, trahit ses engagements, sa devise et son histoire, ampute son avenir. Nous le faisons en ressentant de la honte devant l’étonnement et le désespoir de ces femmes et hommes qui ne parviennent pas à comprendre que ce soit ça, la France, un pays où on fait la chasse aux éxilé.e.s, aux réfugié.e.s, où on brutalise des enfants, où on use de la matraque contre eux, où on détruit les pauvres tentes dans lesquelles se réfugient des familles, ces tentes posées au milieu de l’hiver glacé sur l’asphalte de nos grandes villes, au milieu de nos illuminations de Noël.

On ne mène pas un atelier de théâtre, de danse, d’art plastique, d’écriture, de vidéo, avec des enfants en exil pour ensuite les remettre dehors dans le froid, sans se soucier de ce qu’ils mangeront le soir, et s’ils dormiront dans la rue. On n’accueille pas des femmes et des hommes à un spectacle ou à un film pour ensuite les mettre à la porte sans se soucier de la faim et de la peur qui les tenaillent. On ne monte pas une chorale avec des femmes et des enfants pendant des mois, pour ensuite leur tourner le dos quand ils reçoivent contre toute attente une injonction de reconduite à la frontière, vers la prison, la faim, les tortures, le viol ou une mort certaine. (…)

Un frère ou une sœur, et encore d’avantage un enfant, on ne le laisse pas à la rue une fois la rencontre faite. On ne le laisse pas se débrouiller seul.e devant des policiers qui chargent, qui gazent, devant des circulaires qui font la chasse à l’homme. Non ! On l’aide comme on peut, on l’accompagne, on l’héberge, on lui ouvre nos théâtres, nos salles de répétition, nos maisons, pour le ou la protéger de la rue et de ses violences, on évite les contrôles de police avec lui ou elle, on le fait ou la fait changer de domicile en pleine nuit, quand on sait qu’il va y avoir une descente de police, on monte des dossiers, des recours, on le ou la cache, on l’aide à circuler, à trouver de quoi manger. On noue des solidarités, avec tel.le policier.e qui vous prévient anonymement qu’un tel va être arrêté, avec tel.le enseignant.e qui fait l’impossible pour empêcher qu’un enfant soit retiré de son école, qui passe son temps libre à donner bénévolement des cours de français, avec telle famille qui va accueillir chez elle un mineur isolé sans papier et tenter de l’accompagner dans la jungle administrative actuelle, avec tel médecin, qui va soigner sans rien demander en retour, et surtout pas les «papiers».

Aujourd’hui il ne s’agit pas de faire des ateliers de théâtre ou de dessin. Aujourd’hui, Madame la Ministre, nous luttons contre les pouvoirs publics, contre les injonctions et les blocages kafkaïens des administrations, contre les contrôles, contre les refus de protection des mineur.e.s, contre les violences policières. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans l’obligation morale de désobéir, pour compenser l’indignité d’une politique migratoire parmi les plus inhumaines de notre histoire contemporaine.
Aujourd’hui, nous sommes, nous, artistes, acteurs et actrices du monde de la culture, en lutte et en résistance contre l’Etat français, par solidarité humaine, par fierté d’être de ce pays, non pas de la France qui rejette et pourchasse, violente et opprime les plus démuni.e.s, les plus pauvres, celles et ceux qui demandent aide et assistance, mais la France terre d’asile, la France pays des droits humains, la France telle que l’ont imaginée ces milliers d’éxilé.e.s, ces milliers de personnes fuyant la violence sous toutes ses formes et qui trouvent ici une violence qu’ils ne comprennent pas et qui les terrorise. Nous le faisons aussi, parce que l’histoire nous jugera et que le jugement de nos enfants et de nos petits-enfants sera terrible, si nous ne faisons rien.


Aujourd’hui nous sommes devenus, par la force des choses, coupables de délit de solidarité, nous sommes passibles de sanctions pour aider, soutenir, de toutes les manières possibles, des gens en souffrance qui sont pourchassés de manière inique par l’État français. Aujourd’hui, donc, Madame la ministre, nous nous dénonçons.

Votre appel au milieu de la culture et de l’art nous permet de nous avancer à la lumière et d’affirmer haut et clair ce que nous faisons aujourd’hui. Nous sommes fier.e.s et heureux.ses de vous compter parmi nous, comme résistante à la violence actuelle instaurée par l’Etat, car nous comptons sur vous pour aller au bout de la logique de votre appel. Ainsi nous vous invitons à nous prêter main forte en exigeant l’ouverture d’un réel dialogue avec le Ministère de l’intérieur, d’exiger que ses circulaires ne viennent pas détruire tout ce que nous tentons de mener jour après jour, d’exiger au contraire que tous les moyens soient mis en place pour soutenir l’effort des citoyens et citoyennes qui chaque jour partout dans ce pays œuvrent pour tenter de suppléer avec leurs faibles moyens aux manquements criminels de l’État.

Nous demandons à l’état d’ouvrir un véritable dialogue avec la société civile, avec toutes celles et tous ceux qui œuvrent auprès des réfugié.e.s dans notre pays, pour réfléchir et mettre en œuvre concrètement des solutions d’accueil.

Nous en appelons à un réveil de la conscience de celles et ceux qui ont été élu.e.s par le peuple face à ce drame humain et sociétal que l’Etat orchestre à l’intérieur de ses frontières. Nous vous appelons à soutenir nos actions en permettant qu’elles ne soient pas annihilées par des contre-mesures de répression d’État, et à peser de tout votre poids pour cela.


Si notre appel n’est pas entendu, Madame la ministre, sachez que nous poursuivrons notre action et que nous déclarons à présent, nous rendre coupables de délit de solidarité.

perouchinef@gmail.com,

Premièr.e.s signataires :

David Bobée, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen.


Irina Brook, metteuse en scène et directrice du Théâtre National de Nice.


Elisabeth Chailloux, comédienne et metteuse en scène, directrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry/ Centre Dramatique National du Val-de-Marne.


Célie Pauthe, metteuse en scène et directrice du Centre dramatique national Besançon-Franche-Comté.


Carole Thibaut, autrice et metteuse en scène, directrice du Centre Dramatique National de Montluçon, Région Rhône-Alpes-Auvergne.


Robin Renucci, comédien et metteur en scène, directeur des Tréteaux de France-Centre Dramatique National.

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February 10, 2018 11:33 AM
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Leyla-Claire Rabih met en scène Chronique d'une révolution orpheline d'après des textes de Mohammad Al Attar

Leyla-Claire Rabih met en scène Chronique d'une révolution orpheline d'après des textes de Mohammad Al Attar | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Vincent Bouquet dans Sceneweb

Photo Grenier Neuf

Venue de la scène berlinoise où elle a ses bases arrières, Leyla-Claire Rabih explore les origines de la révolution syrienne à la MC93. « Chroniques d’une révolution orpheline » surprend par sa mise en scène iconoclaste et audacieuse.

Qui se souvient des débuts de la révolution syrienne ? De cette jeunesse qui, dans la foulée du printemps tunisien, s’ébranlait chaque vendredi pour battre le pavé des plus grandes villes du pays avec pour principales armes des slogans démocratiques ? Depuis ces mois de mars et avril 2011, les images des manifestants sont passées à la trappe, remplacées par celles d’enfants gazés, de bombardements destructeurs, de champs de ruines désolés d’Alep à Palmyre. La « révolution » syrienne est devenue une « crise ». Les espoirs démocratiques d’une partie du peuple se sont envolés, tués dans l’œuf par le régime de Bachar el-Assad.

Alors, Leyla-Claire Rabih a entrepris d’en revenir aux sources, de remonter les racines de cette « révolution orpheline ». Pour cela, elle s’est appuyée sur trois textes de l’écrivain syrien Mohammad Al Attar. A priori, les histoires de « Online », « Tu peux regarder la caméra » et « Youssef est passé par ici », écrites à chaud entre 2011 et 2013, n’ont pas grand-chose à voir. Et pourtant, le triptyque de la metteuse en scène franco-syrienne révèle un même substrat, fait de terreur face à la mort qui rôde, de doutes sur les combats à mener et de personnages simples, jeunes gens de tous horizons, entraînés dans un conflit qui les dépasse et dont ils sont à la fois acteurs et spectateurs.

A la lisière du théâtre documentaire, sa mise en scène polymorphe colle au rythme textuel. Au patchwork de témoignages et de modes d’écriture, elle adjoint un patchwork théâtral iconoclaste où les prises de risques se succèdent. Pour raconter l’échange de mails de « Online », elle opte pour un dialogue en syrien qu’elle traduit en simultané ; pour suivre le périple de Farès, parti à la recherche de son ami dans « Youssef est passé par ici », elle a embarqué ses comédiens au Liban afin de tourner des images qui leur servent de support de travail. Toujours, le jeu le dispute au récit, les vidéos aux photos, la lecture à l’improvisation. Avec, à chaque fois, la même simplicité et le même recul. Les mots y sont aussi durs que le ton est doux, le propos aussi âpre que la façon de faire est délicate.

Liée intimement à la kyrielle de personnages qu’elle scrute, la metteuse en scène franco-syrienne qui a appris auprès des plus grands – Thomas Ostermeier, Manfred Karge, Robert Cantarella – imprime sa marque et interroge sa propre mémoire. Le « que dire ? » et le « comment raconter ? » sont la source de ce travail mémoriel qui vise, avec partialité mais sans fausse pudeur, à éviter que ces événements ne sombrent à tout jamais dans l’oubli. Particulièrement convaincant dans ses deux premières parties, portées notamment par la belle performance d’Eurydice El-Etr, le spectacle s’étiole légèrement dans la troisième. Moins construite, plus fouillis, elle regorge d’idées qui se superposent et s’entrechoquent, jusqu’à donner l’impression qu’elles manquent d’une colonne vertébrale, comme si la troupe n’avait jamais vraiment dépassé le stade de la table de travail. Et pourtant, on ressort de ces « Chroniques d’une révolution orpheline » plus intelligent, éveillé, ravi aussi d’avoir découvert une metteuse en scène audacieuse qu’on espère, à l’avenir, voir plus régulièrement de ce côté-ci du Rhin.

Chroniques d’une révolution orpheline
D’après les textes Online, Tu peux regarder la caméra ?,Youssef est passé par ici de Mohammad Al Attar
Traduction Jumana Al-Yasiri et Leyla-Claire Rabih
Mise en scène Leyla-Claire Rabih
Avec Soleïma Arabi, Wissam Arbache, Eurydice El-Etr, Leyla-Claire Rabih, Grégoire Tachnakian, et Elie Youssef
Scénographie et vidéos Jean-Christophe Lanquetin
Collaboration artistique Catherine Boskowitz
Conseil artistique Jumana Al-Yasiri
Assistanat à la mise en scène Philippe Journo
Création sonore Anouschka Trocker
Assistanat à la scénographie Maxime Chudeau
Régie générale Anthony Dascola et Christophe Pierron
Production Grenier Neuf
Coproduction Théâtre Dijon Bourgogne — CDN ; MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis — Bobigny ; Théâtre Paul Éluard, Scène conventionnée pour la diversité linguistique — Choisy-le-Roi
Avec le soutien de Ville de Dijon ; Région Bourgogne-Franche-Comté ; DRAC Bourgogne-Franche-Comté ; Institut français ; Spedidam ; Les Rencontres à l’Echelle — Cie Les Bancs Publics ; Cie ABC ; Institut Français du Liban ; Collectif Zoukak — Beyrouth (Liban) ; Maison Antoine Vitez ; Centre Français de Berlin (Allemagne) ; Moussem, Centre nomade des arts (Belgique) ; La Lucarne — Arradon, EPCC Scènes du Golfe ; La Filature, Scène nationale — Mulhouse.
Durée 2h15

Du 25 au 27 mai 2017 > Festival Théâtre en mai — Théâtre Dijon Bourgogne, CDN


Du 2 au 10 février 2018 > MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis — Bobigny

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February 10, 2018 10:49 AM
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J’ai rêvé la révolution  de Catherine Anne au Théâtre des Quartiers d'Ivry

J’ai rêvé la révolution  de Catherine Anne au Théâtre des Quartiers d'Ivry | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Manuel Piolat Soleymat dans La Terrasse -  Publié le 24 janvier 2018 - N° 262

L’auteure, comédienne et metteure en scène Catherine Anne s’inspire de la vie et des écrits d’Olympe de Gouges pour parler d’enfermement, de justice, de liberté, d’universalisme… Une parole forte et belle qui s’incarne au Théâtre des Quartiers d’Ivry.

L’écriture est aiguë. Syncopée. Tranchante et anguleuse. Elle donne à la fois le sentiment de la maigreur et de la consistance, puise autant dans les choses du quotidien que dans une forme de poésie concrète et précise, très exigeante. Rien ne paraît jamais superflu dans cette pièce composée de vers libres (publiée chez Actes Sud – Papiers) qui réinvente les derniers jours d’Olympe de Gouges. Guillotinée en 1793 pour avoir dénoncé l’instauration d’une dictature révolutionnaire, cette figure du féminisme et de l’abolitionnisme – auteure d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne – passa les derniers mois de son existence en captivité. Mais ne nous trompons pas, J’ai rêvé la révolution n’est pas un spectacle historique. Le texte écrit, mis en scène (en collaboration avec Françoise Fouquet) et interprété par Catherine Anne (aux côtés de Luce Mouchel, Morgane Real et Pol Tronco) ne nomme pas ses personnages, ne les restreint pas aux limites d’une époque ou d’une autre. La Prisonnière qui nous est présentée est une femme d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Une façon d’aller toujours à l’essentiel

Son destin se joue devant nos yeux. En quelques jours et nuits. Le temps de dénoncer les égarements d’une société sexiste. De replacer l’écriture et la pensée au centre de l’idéal démocratique. De réinterroger les fondements humanistes du soulèvement révolutionnaire. D’éclairer les notions d’égalité, de liberté, de justice, d’enfermement… Tout se dit et s’incarne dans l’exiguïté dépouillée d’espaces intimistes. Une cellule de prison. Une cuisine. Un endroit retiré, au coin d’une rue. Des espaces au sein desquels les esprits et les idées se confrontent, se heurtent, s’exposent. Sans jamais tomber dans l’explicatif ou le bavardage. Ce qui frappe d’emblée, ici, c’est une façon d’aller toujours à l’essentiel. De s’en tenir à l’exigence de la matière humaine et philosophique que l’on explore. Dans le rôle de La Prisonnière, face à une Luce Mouchel tout en sensibilité, Catherine Anne est étonnante de droiture et de netteté. Elle sculpte sa propre langue de manière radicale. C’est au Théâtre des Quartiers d’Ivry qu’il faut aller voir et entendre cette création. Dans le théâtre codirigé, jusqu’à sa disparition en août dernier, par Adel Hakim. Le texte de J’ai rêvé la révolution lui est dédié.

Manuel Piolat Soleymat


J’ai rêvé la révolution
du Lundi 5 février 2018 au Vendredi 16 février 2018
Théâtre des Quartiers d'Ivry - Centre Dramatique national du Val-de-Marne - Manufacture des Œillets
1 place Pierre-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine
Le Lanterneau. Le lundi, mardi et vendredi à 20h ; le jeudi à 19h ; le samedi à 18h ; le dimanche à 16h. Durée de la représentation : 1h40. 


Spectacle vu lors de sa création à Château Rouge – Scène conventionnée d’Annemasse, le 17 janvier 2018. Tél. : 01 43 90 11 11. www.theatre-quartiers-ivry.com


Egalement du 25 janvier au 2 février 2018 à la MC2 à Grenoble, les 8 et 9 mars au Théâtre du Sillon - Scène conventionnée de Clermont, les 15 et 16 mars à la Scène conventionnée de Privas, les 3 et 4 mai au Théâtre des Halles à Avignon.

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February 10, 2018 9:46 AM
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Peer Gynt de Ibsen dans une adaptation d'Irina Brook aux Bouffes du Nord. 

Peer Gynt de Ibsen dans une adaptation d'Irina Brook aux Bouffes du Nord.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par David Rofé-Sarfati dans Toutelaculture.com  9 février 2018

Irina Brook créé un spectacle « all inclusive » autour du Peer Gynt de Ibsen, aidée par une troupe éblouissante. Le poème époustouflant raconte l’épopée d’un jeune homme ambitieux et égoïste qui se perd lui même mais que la pure et fidèle Solveig promet d’attendre.

★★★★★

Une épopée merveilleuse.

Peer Gynt est une épopée, celle d’un anti héros et de ses rencontres avec des personnages fabuleux dans des contrées fantastiques. Irina Brook attrape l’oeuvre difficile d’Ibsen et adapte sans ne rien en trahir. La réussite du mauvais garçon devient la succes-story d’une rock star plutôt que celle d’un marchand d’esclaves. Les scènes se succèdent sur un plateau où le decor se construit au fil de l’eau de l’intrigue par des motifs escamotables ou recouverts d’une bâche en plastique. Le merveilleux est préservé par la mise en scène. Il suffit que quelques flocons tombent des cintres; il suffit de quelques accessoires et des costumes de Magali Castellan pour entretenir la magie, une magie soutenue par la musique; les comédiens sont aussi musiciens et font résonner une bande son  belle et envoutante, avec des chansons d’Iggy Pop. L’ode de Irina Brook au débauché Peer Gynt termine son édifice par des comédiens impressionnants; autour de l’incroyable Ingvar Sigurdsson (Peer Gynt), de la sublime Shantala Shivalingappa (Solveig) et de l’émouvante Mireille Maalouf (Aase, la mère) la troupe brillante est investie.

Her majesty the baby. 

Peer Gynt, enfant désobeissant déshonore une jeune mariée le jour de ses noces, s’enfuit avec elle pour ensuite l’abandonner; il s’amusera ensuite au milieu des Trolls dont il rend enceinte la princesse. Peer Gynt est un baratineur, un menteur. La pièce est une histoire d’amour cachée sous une autre histoire celle que le héros nous raconte, se raconte. Le geste de Irina Brook restitue ce palimpseste magique.

La pièce s’édifie comme le songe qu’elle doit être et où chaque motif s’enfonce dans nos imaginaires. L’univers est proche de celui de Tim Burton, d’Ariane Mnouchkine et des Footsbarn. Comme dans un rêve, penser c’est faire; la reine des trolls tombe enceinte par une simple pensée. Puisque c’est un rêve, nous nous identifions à chaque personnage et cheminons le long de cette chronique  épique d’un fils adulé et maltraité par sa mère. Peer Gynt, le menteur, la majesté de sa maman, vient à nous au milieu de ce jubilatoire spectacle épique entre théâtre et music hall avec la question fondamentale de celui qui ne pourra jamais s’arracher à sa mère: Qui suis je lorsque je cesse de me raconter (des histoires)?  

Nous nous serons émerveillés durant deux heures, nous aurons pleuré la mort de Aase, nous aurons ri et battu le tempo des chansons. A l’époque des selfies et des réseaux sociaux nous quitterons la représentation  avec cette question du qui suis-je si prégnante et si actuelle.


D’après Henrik Ibsen
Adaptation et mise en scène Irina Brook
Poèmes Sam Shepard
Chansons Iggy Pop
Chorégraphie Pascale Chevroton
Scénographie Noëlle Ginefri
Costumes Magali Castellan assistée d’Irène Bernaud
Masques Cécile Kretschmar assistée de Sarah Dureuil
Lumière Alexandre Toscani
Assistant à la mise en scène Angelo Nonelli
Avec Helene Arntzen, Frøydis Arntzen Dale, Diego Asensio, Jerry Di Giacomo, Maija Heiskanen, Scott Koehler, Mireille Maalouf, Roméo Monteiro, Damien Petit, Margherita Pupulin, Pascal Reva, Augustin Ruhabura, Gen Shimaoka, Shantala Shivalingappa et Ingvar Sigurdsson

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February 10, 2018 8:58 AM
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Le Traitement de Martin Crimp, mise en scène Rémy Barché.

Le Traitement de Martin Crimp, mise en scène Rémy Barché. | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Le Traitement de Martin Crimp, traduit de l’anglais Elisabeth Angel-Perez, (L’Arche Editeur), précédé de Messager de l’amour de Martin Crimp, traduit de l’anglais Christophe et Michelle Pellet, (texte inédit), mise en scène Rémy Barché

Traitement de sens divers : le traitement de soins médicaux, les bons ou les mauvais traitements de tel sur une telle, le traitement de texte, le traitement – terme technique d’un récit découpé en scènes -, soit l’étape précise d’un scénario de cinéma.

La dernière signification concerne particulièrement Le Traitement (1993) de Martin Crimp, l’histoire de Jennifer et Andrew, couple de producteurs de films en quête de fiction. Leur rencontre avec Anne, jeune femme abusée moralement par son mari, et qui écrit, fera de son récit à elle le leur, un succès où Anne est réduite à une ombre.

Amoureux et pervers, Andrew dit à Anne : « … les mots ne peuvent pas nous lâcher, Anne, il n’y a que nous qui pouvons lâcher », l’art étant forcément plus fort que la vie.

Si le texte de l’énigmatique Anne intéresse par son « mal-traitement » d’épouse de Simon, les producteurs cyniques suivent leurs intérêts financiers et lui ajoutent un attrait purement accrocheur et vendeur. S’emmêlent des récits-gigognes : des images voyeuristes du texte de Clifford, écrivain plus âgé qui vend à la brocante sa vaisselle dépareillée, sont glissées dans celui d’Anne, lequel est encore remanié par John, l’acteur et responsable artistique et financier qui privilégie l’enjeu commercial.

En tant que réflexion sur l’art, la pièce s’apparente à une construction de théâtre dans le théâtre, une mise en abyme sans fin, car l’histoire qu’on tient n’est pas celle que l’on croit, d’autant que la vidéo est présente sur le plateau, et que les images ciné de la ville de New-York défilent – réalité urbaine multiple avec ses avenues, ses séquences lumineuses de voitures, ses buildings, son havre de paix de Central Park.

Images de la ville – vision majestueuse et dominante au-dessus de l’enceinte rectangulaire de Central Park, Anne y vient prendre la mesure d’une nature vivifiante.

Au loin, les érections violentes et viriles des buildings et des tours d’immeubles.

L’errance existentielle d’Anne va çà et là, suivant une exaltation esthétique et passionnelle pour la ville qu’elle arpente. Grâce au cinéma, les images fascinantes de New-York pénètrent le théâtre sur la scène et jusqu’au scénario final du film,

Conscience est prise d’un monde actif et dense, protecteur et menaçant, amical et hostile pour une humanité post-moderne désespérément encline à la solitude et l’isolement. Le chauffeur de taxi est un repère humain ultime pour les esseulés.

Amour et haine de la ville, la grande métropole provoque hommages et invectives, une impression d’engloutissement en même temps que d’intérêt pour une terre démesurée – sensations enivrantes de force, d’espace et de distances immenses.

Sur le plateau de théâtre, les scènes se succèdent – restaurant japonais et déco vidéo de fleurs de lotus, bureau design des producteurs, appartement luxueux, cuisine modeste, habitacle du taxi new-yorkais conduit par un afro-américain aveugle – : les mini –plateaux de ces situations diverses glissent silencieusement sur la scène, tel un ballet feutré que manipulent avec tact les techniciens dans le noir.

Pour Martin Crimp, le dysfonctionnement social transforme l’individu en objet de consommation. L’univers sordide des producteurs de films new-yorkais conduit Anne, venue vendre son histoire, à se faire déposséder de sa vie, vie qu’Andrew convoite.

Libre, elle revendique, face à celui-ci qui la harcèle, le retour chez son mari : « Avant je mourais d’envie de sortir. Mon rêve, c’était de passer cette porte. Mais maintenant je vois comme j’avais tort et comme il avait raison de me garder dedans.»

Comment comprendre les contradictions du monde post-industriel – un matérialisme sans retenue qui appauvrit la conscience -, et lutter contre ces maux du temps – recul du spirituel, retour de la religion, terrorisme de la technique, faillite de la mythologie progressiste des Lumières, et assister encore à l’érosion des liens sociaux, des sentiments de partage et d’échange, jugés archaïques et rétrogrades ?

En introduction au spectacle du Traitement, Suzanne Aubert déclame le monologue de la femme du Messager de l’amour de Martin Crimp, dont la situation est similaire à celle de la Anne du Traitement – la femme seule et enfermée chez elle, raconte son attente de l’homme aimé qui surgit, différent, selon les bons ou les mauvais jours : une actrice de cinéma encore qui répète face à un directeur autoritaire.

La jeune femme est pourtant en position de déesse installée au-dessus de la scène et dominant le public dans le noir, tandis qu’elle est juchée – le visage et le corps assis dans une aura de lumière sur un siège étrangement élevé dans les hauteurs.

La jeune femme assume pleinement cette solitude et cette exclusion, soumise volontairement au bon-vouloir de l’autre. Scène étrange de « mal-traitement » répété.

Les acteurs sont là – ici et maintenant – engagés scéniquement au plus fort de leur présence et de leur souffle vif, Emil Abossolo – Mbo, Baptiste Amann, Suzanne Aubert, Pierre Baux, Thierry Bosc, Victoire Du Bois et Catherine Mouchet.

Un spectacle expressif de Rémy Barché, tant par son esthétique – écriture, théâtre et cinéma, le passage d’un art à l’autre – que par son éthique éloquente sur la perte existentielle.

Véronique Hotte

Théâtre de la Ville – Les Abbesses 31 rue des Abbesses 75018, du 8 au 23 février 2018. Tél : 01 42 74 22 77


Crédit photo : Marthe Lemelle

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