Revue de presse théâtre
2.5M views | +228 today
Follow
Revue de presse théâtre
LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
Your new post is loading...
Your new post is loading...

Quelques mots-clés

Scooped by Le spectateur de Belleville
December 26, 2018 4:03 PM
Scoop.it!

Guy Rétoré, fondateur du Théâtre de l’Est parisien, est mort

Guy Rétoré, fondateur du Théâtre de l’Est parisien, est mort | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde / Publié le 24 décembre 2018

 

L’artiste, qui mena un travail de pionnier dans la lignée de Jean Vilar, s’est éteint à l’âge de 94 ans.

C’était au temps où Ménilmontant ressemblait aux photos de Robert Doisneau. Un Paris populaire, avec des enfants qui jouaient dans les rues, en culottes courtes. Guy Rétoré, qui est mort le 15 décembre, en Sologne, à 94 ans, fut l’un de ces enfants du 20e arrondissement, où il est né, le 7 avril 1924, et où il a mené pendant cinquante ans une histoire de théâtre qui restera dans les annales : celle de la fondation du Théâtre de l’Est parisien, sans qui l’actuel Théâtre national de la Colline n’aurait jamais existé.

La mère de Guy Rétoré travaillait dans les hôpitaux, son père était employé à la SNCF, où il a fait entrer son fils, pendant la seconde guerre mondiale, pour qu’il échappe au Service du travail obligatoire. C’est là que le jeune homme découvre le théâtre, grâce à L’Equipe, la troupe de la SNCF, qui accomplit un beau travail. Ensuite, Guy Rétoré se forme en suivant des cours, et il crée sa compagnie, La Guilde, en 1951.

Dans cet après-guerre où la France est à reconstruire, il mène un travail de pionnier, dans la lignée de Jean Vilar. Mais il choisit de le faire à l’échelle d’un quartier, son quartier, où il travaille d’abord dans des salles de patronage. En 1957, il est lauréat du Concours des jeunes compagnies pour sa mise en scène des Grenadiers de la reine, de Jean Cosmos. En 1963, l’Etat lui attribue un ancien cinéma, rue Malte-Brun, à deux places de la rue Gambetta. Comme il le souhaitait, Guy Rétoré reste sur ses terres, et baptise la salle du nom de Théâtre de l’Est parisien (TEP). Aujourd’hui, cela semble aller de soi. Mais il ne faut pas oublier le contexte : le 20e arrondissement est alors un quartier excentré.

« Une maison ouverte »
C’est donc à une décentralisation à l’intérieur même de Paris que Guy Rétoré se consacre, et cela a un sens indéniable, dans une époque où sont menées les premières grandes expériences de décentralisation en province. Les spectateurs qui viennent au TEP se retrouvent dans « une maison ouverte », selon le vœu du directeur-metteur en scène. Il ne s’agit pas seulement de voir des spectacles : à l’issue des représentations, on casse la croûte, discute et débat dans le hall. Au programme, il y a Shakespeare, Molière, Brecht, Marivaux, Gatti, Jarry… et des concerts, du cinéma, de la danse et de la poésie. Soit une ouverture à la culture sous toutes ses formes, qui servira ensuite de modèle à de nombreuses scènes.

Dans son travail de metteur en scène, Guy Rétoré pratique ce que l’on appelle « la régie », soit une lecture souvent linéaire d’une pièce, qui met en avant la clarté du propos. Ses choix le portent vers les grands textes du répertoire, ou des auteurs contemporains comme Peter Hacks et John Arden. En 1978, Pierre Dux, l’administrateur de la Comédie-Française, invite Guy Rétoré à présenter Maître Puntila et son valet Matti, de Brecht. Ce sera une des rares incursions du directeur du TEP hors de son théâtre, où il invitera en particulier le grand Dario Fo avec son Histoire du tigre et autres histoires, en 1980.

Remplacé par le Théâtre national de la Colline
Trois ans plus tard, Jack Lang, ministre de la culture, décide de doter la capitale d’une nouvelle salle. Il choisit de la situer à l’emplacement du Théâtre de l’Est parisien, qui est démoli. Guy Rétoré se pense candidat légitime à diriger le Théâtre national de la Colline, qui remplace le TEP. Mais le ministère choisit de le confier à Jorge Lavelli, et d’aménager en théâtre les locaux de répétition du TEP, au 159, avenue Gambetta. Guy Rétoré tient vaille que vaille dans les années 1990, avec des subventions amoindries. Mais les temps ont changé, les esthétiques ont évolué, et le Paris de Doisneau s’affiche dans les musées.

Quand l’Etat décide de ne pas renouveler son contrat, en 2000, et de confier la direction du TEP à Catherine Anne, il refuse de quitter les lieux, au motif que c’est « son » théâtre, et qu’il n’est pas associé à la nomination de son successeur, comme le ministère s’y était engagé. Guy Rétoré finira par céder. Triste bras de fer et triste conclusion d’une histoire dont on retiendra qu’elle fut exemplaire à bien des égards, et que Guy Rétoré eut une vertu majeure : il a formé des générations de spectateurs, dont, pour beaucoup d’entre eux, la découverte du théâtre représentait aussi le dépassement d’un tabou social.

Guy Rétoré en quelques dates

 

7 avril 1924 Naissance à Paris

1951 Crée sa compagnie, La Guilde

1961 Fonde le Théâtre de l’Est parisien, rue Malte-Brun

1983 Le TEP déménage avenue Gambetta

15 décembre 2018 Mort en Sologne

Brigitte Salino

 

Légende photo : 
Guy Rétoré en 1966. JACQUES WINDENBERGER / SAIF IMAGES

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 25, 2018 4:01 PM
Scoop.it!

The Scarlet Letter d'Angélica Liddell

The Scarlet Letter d'Angélica Liddell | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Christophe Candoni dans Sceneweb - 10 décembre 2018

Avec la liberté de ton et la folle provocation dont elle est coutumière, Angélica Liddell impose dans The scarlet letter un propos qui prend à rebrousse-poil le combat féministe qui agite notre époque post-Weinstein dont elle conteste fermement le néopuritanisme. La pièce a été donnée en première française au CDN d’Orléans avant sa reprise à La Colline en janvier.

The scarlet letter est d’abord un livre dont s’inspire librement la performeuse espagnole. Publié en 1850, le texte est considéré comme le premier grand roman de la littérature américaine. La lettre écarlate qui lui donne son titre est un stigmatisant “A” majuscule inscrit au fer rouge sur la poitrine de son héroïne, Hester, une femme condamnée pour adultère. En hommage à son auteur, le romancier Nathaniel Hawthorne dont une stèle grise portant le nom est visitée par Adam et Eve en début de spectacle, Angélica Liddell signe le texte, la mise en scène, la scénographie, les costumes d’une création où la chair exulte, insolente, impudique. Elle se présente en duègne austère semblant tout droit sortie d’un tableau de Velázquez, son dos nu et boursouflé exhibe les plaies purulentes d’une pécheresse flagellée.

Tout est à vif, rouge sang et saignant sur le plateau baigné d’une lumière écarlate. Les mots et les images-chocs témoignent de l’anticonformisme de la performeuse qui s’adonne à une violente diatribe contre « ce monde où les femmes haïssent les hommes ». Elle attaque, vilipende, les frustrées hypocrites, dénuées de charmes, obligées de compenser leur désir insatisfait par une hardie méchanceté. Elle s’embrase pour la masculinité sublimée de beaux bruns ténébreux et vigoureux qui paradent fièrement dans une nudité totale. Elle va jusqu’à s’offrir, mains, bouche et sexe grand ouverts à leurs attributs virils.

Comme un pendant à la transe bachique que déployait une myriade de jeunes filles boticelliennes dans Qué haré yo con esta espada ? présenté au Festival d’Avignon, ici, la gente masculine d’un type plus caravagien se livre à une spectaculaire démonstration de force en exhibant des corps tantôt épiques tantôt tragiques. Le rituel est moins frénétiquement orgiaque mais puissamment extatique, renforcé par sa dimension picturale et cérémoniée.

Angélica Liddell qui s’exténue à éructer sa haine de la société bien-pensante se présente comme une dépravée assumée et fait de la scène théâtrale un parfait exutoire. En convoquant Socrate, Euripide, Dante, Pasolini, Fassbinder, Artaud, Barthes…, elle renverse, piétine, profane l’ordre social et moral, fait l’apologie du péché, revendique la culpabilité, l’humiliation, l’impureté, pour mieux voir apparaître la beauté. Elle révèle l’impuissance des êtres face au manque d’amour et la détresse que provoque la castration de la passion.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

The Scarlet Letter
d’Angélica Liddell
Avec Tiago Costa, Eduardo Molina, Nuno Nolasco, Tiago Mansilha, Vinicius Massucato, Joele Anastasi, Antonio L. Pedraza, Daniel Matos, Borja Lopez, Antonio Pauletta, Louis Arcageli, Angélica Liddell, Sindo Puche.
Texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell
Production Gumersindo Puche
Assistant de production Borja Lopez

Coproduction Teatros del Canal (Madrid); La Colline – Théâtre National ; CDN Orléans / Centre-Val de Loire ; laquinandi, S. L.
Avec la collaboration du Teatro Nacional D. Maria II (Lisbonne) ; BoCA – BIennal of Contemporary Arts (Lisbonne/Porto)
Durée 1h40

CDN Orléans
JEUDI 6 DÉCEMBRE 2018 20H30
VENDREDI 7 DÉCEMBRE 19H30

La Colline
du 10 au 26 Janvier 2019
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 25, 2018 3:35 AM
Scoop.it!

Hervé Van der Meulen reprend à Asnières le « Rabelais » de Jean-Louis Barrault

Hervé Van der Meulen reprend à Asnières le « Rabelais » de Jean-Louis Barrault | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Didier Méreuze dans La Croix , le 19/12/2018 à 18h07


Un demi-siècle après sa création par Jean-Louis Barrault, Hervé Van der Meulen reprend son « Rabelais ». Une ode à la Dive bouteille.


1968. Le joli mois de mai arrive. La contestation bat son plein. Les ouvriers occupent les usines. Les étudiants, par qui tout a commencé, investissent l’Odéon-Théâtre de France. Débordé, Jean-Louis Barrault, le directeur des lieux, est impuissant. André Malraux, son ministre de tutelle qui l’avait nommé 9 ans auparavant, le « démissionne » sans un mot, sans une explication.

Prendre Rabelais dans sa totalité
Ce qui ne l’empêche pas de peaufiner une création qui lui tient depuis longtemps à cœur : l’adaptation de l’intégrale (ou presque) de l’œuvre de Rabelais. « Pour lui rester fidèle et en donner un portrait qui ait des chances de lui ressembler », expliquera-t-il, « il fallait que l’entreprise fût folle. Il fallait le prendre dans sa totalité. Il fallait extraire un spectacle de ses cinq livres, de ses lettres, de ses « pronostications »… de son œuvre en entier. ». Un projet fou, une aventure insensée ! Le titre est déjà tout un programme : « Jeu dramatique en deux parties, tiré des cinq livres de François Rabelais »

À l’origine, il devait être présenté à l’Odéon. Il n’en est évidemment plus question. À sa place, Barrault trouve un ancien caf’conc’, devenu haut lieu de la boxe, du catch et du strip-tease, dans le XVIIIe arrondissement – l’Elysée-Montmartre. Il y demeurera treize mois, du 13 décembre 1968 au 17 janvier 1970. Treize mois d’un théâtre de foire et de tréteaux, baroque, allègre, insolent, exubérant, tout en verve sous l’effet d’un verbe et d’une langue libres, soutenus par la partition de Michel Polnareff, qui signe la musique pour piano, guitare, trompette…

L’humanisme des grandes promesses
Près de trois heures durant, le plateau du vieil Odéon va vibrer au rythme des rêves, des espoirs, des illusions qui secouent la France d’alors, avec le sentiment d’aborder – enfin ! – les terres de grandes promesses aux lendemains qui toujours chantent : amour, liberté, égalité, fraternité…

À l’heure ou certains dénoncent la chienlit, Barrault, lui, répond par humanisme… Il a raison. Rarement, la scène aura été à une telle fête. Rarement s’y seront exprimés, avec une telle force, une telle obstination frondeuse, la générosité et le bonheur vital d’être. Rarement, au fil d’une langue superbement magnifiée, elle n’aura été, par de-là les mots et le verbe, le haut lieu des délices et des délires, ramenant aux origines et à l’enfance, dans le brassage de toutes les connaissances, toutes les disciplines « rabelaisiennes » – grammaire, médecine, poésie, philosophie, astronomie…

Une reprise bienvenue
Bizarrement, pour avoir connu un immense succès, ce « Rabelais » ne sera jamais repris. C’est tout l’honneur et l’intelligence d’Hervé Van der Meulen de le sortir de l’oubli, non pas sous la forme d’un rappel nostalgique de ce qui a été et ne sera plus, mais avec le même désir de remise en cause des valeurs et vérités admises, hier comme aujourd’hui.

Réunissant une vingtaine d’acteurs, pour la plupart issus de ses cours (6 femmes et 13 hommes), sa mise en scène s’appuie sur leur complicité, tous âges, toutes générations confondues – vieux briscards ou nouveaux venus. Rompus à tous les styles, ils sont magnifiques, comédiens, chanteurs, danseurs, musiciens en solo ou en chœur. Virant même vers la comédie musicale – la partition originale est de Marc-Olivier Dupin. L’ensemble est construit en deux parties – de la naissance de Gargantua à celle de Pantagruel, des malheurs de Panurge au miracle de la « Dive bouteille ».

Comment, très vite, ne pas se laisser prendre par cette humeur à la fois studieuse et ludique, ces jeux gaillards et portés par un vent permanent d’énergie contagieuse ? Dans une atmosphère d’agitation fantasque, c’est l’esprit nouveau de la Renaissance qui souffle, emportant, dans un même tourbillon, conte et fabliau. Le mouvement est sans repos, au point que l’on s’y perd parfois, mais sans jamais s’en plaindre, tant se font jour, par à-coups, l’appel à un monde nouveau qui ne serait que d’entraide.

Sans compter que, ponctué de conseils pour bien, dans les « règles de l’art », « se torcher le cul », les images se font particulièrement poétiques et belles. Ici une course en hommes bateaux ; là des oiseaux chatoyants et somptueux, plumes et becs chamarrés, habitants de l’Île Sonnante. « Buvons la vie, est-il dit. À la Dive Bouteille !

Didier Méreuze

Légende photo : De gauche à droite :
Mathias Maréchal, Clémentine Billy, Délia Espinat-Dief, Constance Guiouillier, Valentin Fruitier, Agathe Vandame, Aksel Carrez, Loïc Carcassès, Inès Do Nascimento, Nicolas Le Bricquir, Etienne Bianco.
  / Miliana Bidault

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 23, 2018 4:32 PM
Scoop.it!

« Décris-ravage » : après le formidable spectacle, une superbe bande dessinée 

« Décris-ravage » : après le formidable spectacle, une superbe bande dessinée  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan 23.12.2018

 

Dans « Décris-ravage », au fil d’une conférence-spectacle de trois bonnes heures en six épisodes, Adeline Rosenstein abordait la question palestinienne par tous les bouts du passé. Alex Baladi refait le parcours, érudit et ludique, avec les armes de la bande dessinée qu’il préfère: le crayon de papier, le noir et le blanc, des bulles de mots et une noria de cases où le lecteur doit faire sa part.

Décris Ravage, la conférence-spectacle d’Adeline Rosenstein s’est constituée en plusieurs étapes et épisodes avant d’être présenté dans son intégralité. Un travail qui aura duré sept ans. J’avais rendu compte des quatre premiers épisodes il y a plusieurs années (lire ici), depuis deux autres ont bouclé le périple. Il en va de même pour la bande dessinée en cours d’Alex Baladi qui reprend le cheminement de ce spectacle qui s’apparente à une « conférence documentaire ». Le troisième volume vient de paraître, trois autres suivront. Fidèle et infidèle, la bande dessinée raconte à sa manière Décris-ravage.

De la page à la case

Ces albums sont le fruit d’une complicité caustique de tous les instants entre Adeline et Alex, mais aussi une gageure fruit d’une gageure. Le spectacle se présente en effet sous la forme de conférence qui prend appui sur des documents et des images...que l’on ne voit pas. Ou plutôt que l’on les imagine quand, faisant référence à l’un de ces éléments et se tournant vers un tableau blanc, Adeline Rosenstein y lance une boulette de papier maculée de la sueur du labeur, ou quand les actrices qui l’entourent, vêtues de noir tout comme elle, se livrent à quelques circonvolutions sur la plateau.

Comment traduire cela sur le papier ? D’abord en s’en tenant à l’essentiel ; la page faite de cases et bulles de tailles variables, un crayon (personnage récurrent au demeurant) et des mots en écho. C’est tout . Pas de couleurs (sauf sur la couverture) hormis celles qui dominent la conférence-spectacle : le noir et le blanc. Pas de scènes détaillées mais des amorces de détails, pas de vues d’ensemble mais des gros plans. Adeline Rosenstein définit Décris-Ravage comme l’ « action d’endommager considérablement une chose en la décrivant » .

Le premier volume, reprenant le déroulé de la conférence théâtrale a pour titre  « Décrire l’Egypte, ravager la Palestine » Tout commence donc par « les campagnes d’Egypte et de Syrie de Napoléon Bonaparte » comme l’indique le texte qui accompagne la première case : vide. La seconde précise « Un gros gâchis sur trois ans », cette fois la case émet un trait de crayon qui amorce ce qui peut sembler un nuage ou un tour de chauffe du crayon. Puis vient la troisième case avec ce texte : « Il semblerait qu’une perte de 10 000 hommes sur trois ans ne soit pas « énorme » en comparaison avec les guerres qui suivront ». Cette fois le nuage se déploie en trois amorces au dessus d’une ligne sous laquelle, dans l’angle en bas à gauche de la case, se presse des petits traits. Traces de pas laissées par une armée en déroute ? De paysans fuyant devant des hordes de hussards ? Il en va des cases de la bande dessinée comme du tableau de la conférence où se crashent les images : elles prêtent à l’imagination.

Les pages suivantes sont inspirées par l’ouvrage de l’historien Henry Laurens (auteur de L’expédition d’Egypte 1798-1801, Seuil, 1987), historien que Adeline Rosenstein est souvent allée écouter et avec lequel elle a plusieurs fois conversé.

Ce premier volume s’achève par un bijou qui est une mise en cases d’un « exercice de traduction ». Cela sera également le cas à la fin du second volume qui a pour sujet la suite la conférence : « décrire l’empire ottoman aux alentours de 1830 ». Ce second volume est préfacé par Julia Strutz (historienne de la ville d’Istanbul et chercheuse) qui a participé aux représentations de Décris ravage lors des premiers épisodes. Elle écrit : « ce livre est aussi un livre sur des temps troublés, écrit en des temps troublés. (…).Tandis qu’on joue, écrit, dessine, des bombes tombent sur..., les combats de rues continuent à…, les ...fuient leur génocide et leur réduction en esclavage, les ….sont brûlés vifs dans les caves, et tous les jours, dans les prisons...des détenus ….sont torturés ».

"Il y avait trois villages"

Le troisième volume qui vient de sortir en librairie sous le titre « Décrire et inventer la Terre sainte » est préfacé par Olivier Neveux qui insiste justement sur la notion de cadre, commune à la conférence et au livre, notion qui englobe « la gravité » et « la drôlerie » des deux.

Pour preuve une des premières séquences du livre intitulé « Des cabanes » où Baladi, après Rosenstein, reprend un entretien filmé par le réalisateur Ron Cahlili pour son film Du côté gauche. Le cinéaste filme plusieurs fondateurs du Kibboutz Megiddo, au pied du mont Armageddon.  Cela donne des cases faites de bulles à mots essentiellement où apparaît parfois l’amorce d’une main. Le dialogue rappelle celui qui traverse le spectacle En avant Kaddish de David Geselson. « On a pris un endroit vide » dit l’un, « il y avait trois villages » rétorque un autre. Mais ce n’était que des « cabanes » renchérit un troisième . « Il n’y avait pas que des cabanes, il y avait des magasins ici, avec des marchandises. Je sais, je suis rentré dedans » argue un quatrième. Des bulldozers sont arrivés et « on a aplati le village ». Se pose alors, encore une fois un problème de traduction. « Aplati » est-ce le bon mot ? Une interrogation récurrente dans le spectacle d’Adeline Rosenstein et dans la bande dessinée de Baladi. Les deux véhiculent et procurent la même chose : une fête de l’intelligence.

Décris-ravage par Adeline Rosenstein & Baladi, premier épisode (72p, 15€), deuxième épisode (96p, 17€), troisième épisode (80p, 16€) , éditions Atrabile.

 

 

 

 

 

 

 

Le Club est l'espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n'engagent pas la rédaction.

L'AUTEUR
JEAN-PIERRE THIBAUDAT
journaliste, écrivain, conseiller ar

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 22, 2018 9:14 AM
Scoop.it!

Lazare, écrire comme on respire

Lazare, écrire comme on respire | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot sur la page de son émission
UNE SAISON AU THÉÂTRE  le 23/12/2018
LE DIMANCHE DE 15H30 À 16H00
Réécouter Lazare, écrire comme on respire
29 MIN  Ecouter l'émission 


Ecrire comme on respire, écrire pour respirer : Certains textes de théâtre naissent de cette nécessité. Elle est vitale. C’est à niveau là, d’absolu, d’intensité et d’urgence que s’ancre notre conversation avec l'auteur contemporain Lazare.


Lazare :  un auteur dramatique qui conjure ses démons intimes sur la scène trouve sans doute sur le plateau des raisons d’être heureux. Il transforme la représentation en un espace temps organique où le rythme des mots ressemble furieusement à la pulsation, sous nos peaux, de notre sang, de nos viscères et de notre cœur.

Avec Sombre Rivière, présenté au Théâtre du Rond Point à Paris, Lazare fait du théâtre un art total où les chants, la musique, la voix, les corps s’enchevêtrent dans un fracas jubilatoire. Un grand fracas salvateur. Cette fiction carnavalesque s’est imposée à lui après les attentats de novembre 2015 à Paris. Après la sidération et les larmes, est venu le temps de l’écriture. 

En fin d'émission, coup de fil à Francesca Poloniato, directrice de la Scène Nationale du Merlan, à Marseille.

INTERVENANTS
Lazare
auteur, metteur en scène, acteur

 

Légende photo : Lazare• Crédits : ©Giovanni Cittadini Cesi

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 22, 2018 4:35 AM
Scoop.it!

Les règles de fer de la Comédie-Française

Les règles de fer de la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it



Par Armelle Héliot dans Le Figaro  le 20/12/2018 

CHRONIQUE - Alors que paraît un ouvrage passionnant sur la maison fondée en 1680, le comité de fin d'année a livré hier ses résultats. Certains pensionnaires accèdent au sociétariat, mais d'autres sont exclus brutalement.

Louis XIV, le Roi-Soleil, a créé la Comédie-Française en 1680. Molière était mort depuis sept ans et c'est pourtant souvent en disant «la maison de Molière» que l'on désigne cette institution exceptionnelle et unique au monde. Unique parce qu'y bat, comme un cœur, la troupe. Unique parce que cette troupe, placée sous l'autorité d'un administrateur général nommé en Conseil des ministres, par le président de la République sur proposition du ministre de la Culture, est toute-puissante au sein de l'institution. On dit «sur proposition», mais c'est d'abord par l'Élysée que tout passe et les candidats doivent y être connus, appréciés. Sinon y faire leur cour.

Manipulés, quelques centaines de migrants ont voulu envahir le bâtiment du Palais-Royal dimanche dernier, 16 décembre. On y donnait, en soirée, Lucrèce Borgia de Victor Hugo, dans une mise en scène de Denis Podalydès. Elsa Lepoivre a succédé à Guillaume Gallienne dans le rôle-titre et la partition de Don Alphonse d'Este est toujours tenue par Éric Ruf, administrateur général et auteur de la scénographie. Les personnels qui surveillent les accès du bâtiment, place Colette, en cette période de plan Vigipirate, ont pu fermer les portes à temps et rien n'a dégénéré. Mais les communiqués sont éloquents qui attribuent au «Français» et à ses membres un pouvoir extraordinaire.

Les auteurs de l'ouvrage richement illustré qui vient de paraître, Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste, directrice de la bibliothèque-musée, et Martial Poirson, professeur d'histoire culturelle et d'études théâtrales à Paris-VIII, éclairent parfaitement les liens inextricables de la maison avec le pouvoir politique. Ils analysent avec précision les fils politique, administratif, juridique, social, économique et, évidemment, technique et artistique, qui composent la tresse irisée d'une grande histoire.

Les chapitres intelligemment découpés, l'iconographie qui les éclaire, avec de nombreux et très divers documents, dont certains sont inédits, rendent la lecture très aisée, même pour ceux qui ne seraient pas des spécialistes ou des amoureux fervents de la Comédie-Française, avec son image tôt formée: un emblème, la ruche, une devise, Simul et singulis (Être ensemble et rester soi-même).

Férocité archaïque
La ruche, oui, pas de doute. On y travaille tout le temps, des sous-sols au grenier, de la salle Richelieu au Vieux-Colombier en passant par le Studio. Et sans compter les tournées, à l'étranger ou en France. La Comédie-Française compte actuellement 450 «employés», représentant 70 professions. Ce n'est pas peu… Mais la devise, aussi belle soit-elle, cache mal ce qui est l'une des spécificités les plus cruelles de la troupe. On s'y jauge et l'on s'y juge, comme le montrent le fonctionnement du comité d'administration et les décisions de fin d'année.

Certains pensionnaires passent sociétaires. C'est le cas, cette année, de Benjamin Lavernhe, le délicieux Scapin qui revient de tournée et que l'on retrouve salle Richelieu, et de Sébastien Pouderoux, fascinant Bob Dylan de Like a Rolling Stone, spectacle qu'il avait monté avec Marie Rémond. Évidemment, Lavernhe comme Pouderoux, entrés en 2012, ont joué bien d'autres rôles et on ne saurait discuter ces choix. Ils seront les 534e et 535e sociétaires à compter du 1er janvier 2019.


Mais d'autres mouvements ont été actés il y a quelques jours en comité d'administration et entérinés hier matin en assemblée générale. Michel Favory, entré en 1988, a souhaité faire valoir ses droits à la retraite. Il est nommé sociétaire honoraire. Lui a décidé de partir. Il n'en est pas de même pour trois autres artistes de la troupe pour qui on emploie l'hypocrite formule «sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite». Il arrive, en effet, vous l'aviez peut-être oublié, que des comédiens se voient invités à quitter les lieux sans l'avoir souhaité. C'est d'une grande violence, quoi qu'en disent ceux qui prennent ces décisions. Il y a là un fonctionnement d'une férocité archaïque.

Visée cette année, Martine Chevallier. Entrée en 1986, comédienne très aimée du public, elle n'est pas exclue de la troupe puisqu'elle est nommée sociétaire honoraire et donc, en principe, peut être rappelée par tel ou tel metteur en scène, qui ne voudrait pas se passer de sa personnalité et de sa puissance tragique.

En revanche Cécile Brune, entrée en 1993, à la demande de Jacques Lassalle, est virée, complètement virée. Sa voix rauque et sa présence ont toujours fait merveille et Robert Wilson rêvait de la diriger dans Phèdre. Viré lui aussi Laurent Natrella, entré en 1998, tellement formidable lorsqu'il s'est agi de jouer Les Enfants du silence et que l'on n'a jamais vu démériter. La troupe est également appelée la famille des Atrides. Et parfois le mérite.

Comédie-Française, une histoire de théâtre, par Agathe Sanjuan et Martial Poirson, Seuil/Comédie-Française Éditeurs, 304 pages très illustrées, 39€.


Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 21/12/2018. 

 

Légende photo : La salle Richelieu de la Comédie-Française, à Paris. - Crédits photo : comédie-Française / Cosimo Mirco Magliocca

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 21, 2018 7:29 PM
Scoop.it!

A Love Supreme de Xavier Durringer, mise en scène de Dominique Pitoiset

A Love Supreme de Xavier Durringer, mise en scène de Dominique Pitoiset | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 21.12.2018

 


A Love Supreme de Xavier Durringer, mise en scène de Dominique Pitoiset

 L’écrivain et réalisateur de cinéma revient à ses premières amours, le théâtre, avec un solo pour femme, écrit sur un tempo digne de John Coltrane. Dominique Pitoiset lui en a passé commande pour le premier acte d’un cycle qu’il entame «sur l’homme blanc et la femme blanche de plus de cinquante ans». «Bianca  est sous le choc. Virée sec: «Ils veulent que j’arrête. Ils veulent que j’arrête. C’est venu comme ça sans prévenir, sans le moindre signe (…) C’est dingue. J’ai rien vu venir même pas une réflexion avant, pour que je me prépare à ça. Rien d’avant-coureur, rien d’apparent que j’aurais pu voir venir ou sentir… Rien senti. Rien compris. Ils n’ont rien changé dans leur comportement. Rien. Que de la routine. (…) Et une balle dans la tête. C’est comme si on m’avait craché en plein visage, et que personne ne bouge, personne ne fasse attention. Je suis comme un mollard qui flotte et qui se disloque au fil de l’eau. J’ai honte. Ils veulent que j’arrête.»

 Tout de go, elle déballe son histoire devant les machines d’une laverie automatique. Jeune provinciale désargentée, apprentie comédienne vers 1980, elle travaille dans un peep-show A Love Suprême… et y restera trente-deux ans. Elle raconte la Pigalle mythique qui n’est plus,  «Pigalle la Blanche », celle de Claude Nougaro,  les folles nuits du Palace et des Bains-Douches où elle se produisait nue, en pleine gloire et beauté. La vie d’artiste. Elle évoque les filles du strip-club, les amours transitoires… Mais le temps a passé, son corps s’est flétri. Internet a dévoré le marché du sexe et les danseuses du nu sont prêtes à tout pour se faire une place à la barre de pole-dance.

Seule en scène, portée par l’écriture rythmée et imagée de Xavier Durringer, Nadia Fabrizio nous entraîne avec brio dans le passé de cette femme, sous les feux des projecteurs, ou dans l’intimité des cabines d’un peep-show. Du sordide sublimé par l’éclat des tubes fluo. Du clinquant qui claque et qui nous touche aussi. L’écriture ciselée et staccato de Xavier Durringer porte le jeu de la comédienne et inspire au metteur en scène des flashs d’images et de sons. Les hublots de la laverie se font médaillons où apparaissent les séquences de films de l’époque : Les Valseuses à Paris-Texas, ou Opening Night, sur fond de tubes de Bob Dylan, ou  Should I stay or Should I go  de Joe Strummer, des Clash, et bien sûr, A Love Supreme de John Coltrane.

Il faut souhaiter longue vie à ce joli spectacle, émouvant et sobre. Et quand Bianca dit : «Je suis bonne pour la casse ! », au-delà de son propre destin, elle évoque celui des femmes de plus de cinquante ans, notamment les actrices qui, au sein de  l’A.A.F.A. (Actrices Acteurs de France Associés) se sont mobilisées sur la question du “tunnel de la comédienne de cinquante ans“.(Voir Le Théâtre du Blog)

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 17 décembre, à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy. T. : 04 50 33 44 11.

 Du 20 mars au 5 avril, Théâtre Marigny, Paris.

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 21, 2018 8:40 AM
Scoop.it!

Jean-Marc Diébold, un vent nouveau au Centre culturel suisse de Paris

Jean-Marc Diébold, un vent nouveau au Centre culturel suisse de Paris | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Anaïs Héluin dans La Terrasse 19.12.2018

 

En janvier 2019, Jean-Marc Diébold prend la tête du Centre culturel suisse de Paris (CCS). En accentuant le volet spectacle vivant du lieu et en ouvrant sa programmation à des formes telles que le cirque et la marionnette, il entend poursuivre le travail réalisé par ses prédécesseurs.

Avant de prendre la direction du Centre culturel suisse de Paris, vous étiez à la tête du bureau Théâtre et Danse de l’Institut français d’Allemagne à Berlin. Quel est votre lien avec la scène artistique suisse ?

Jean-Marc Diébold : Il est très ancien, car j’ai grandi et étudié à l’Université de Genève puis de Lausanne, où j’ai démarré ma carrière professionnelle en tant que co-directeur du Théâtre La Grange de Dorigny. Pendant quatre ans, j’y ai soutenu la création romande, avec une priorité accordée à l’émergence. Je suis ensuite allé étudier la gestion d’entreprise culturelle en France, avant de m’engager dans la direction de compagnies de danse et de théâtre françaises et suisses. Après quoi j’ai intégré la scène nationale Le Merlan à Marseille, où j’ai chaque année fait produire et coproduire des artistes suisses. Martin Zimmermann et Dimitri de Perrot par exemple, ou encore Massimo Furlan et Delgado Fuchs.

Des artistes que l’on retrouve en grande partie dans le programme de votre première saison à la tête du CCS…

J-M. D. : Il était en effet important pour moi de démarrer cette nouvelle aventure avec des artistes que je soutiens de longue date. J’ai ainsi confié les deux jours de lancement, les 17 et 18 janvier 2019, au duo Nicole Fuchs et Marco Delgado, qui avec différents invités proposera un parcours dans l’ensemble du CCS. Je souhaite que le niveau des arts vivants au CCS atteigne celui des arts visuels, domaine dans lequel il est très réputé. Il doit devenir un repère en la matière pour les professionnels et pour le public.

« L’écriture dramatique suisse est d’une grande vitalité. »

Vous introduisez aussi des disciplines et des formes jusque-là absentes du lieu. Pourquoi ?

J-M. D. : Je veux placer le CSS sous le signe de l’ouverture. Grâce à des partenariats avec de nombreux lieux, tels que Le 104, Théâtre Ouvert, La Comédie-Française, le Théâtre Mouffetard, la Biennale des Arts de la Marionnette ou encore la Gaîté Lyrique, je l’ouvre à de nouvelles formes telles que le cirque et la marionnette. Et en musique, au jazz. Les artistes suisses qui pratiquent ces disciplines sont méconnus en France. Du 5 au 15 février 2019, j’organise donc un focus nouveau cirque où l’on pourra voir des créations de Stefan Hort, Melissa von Vépy et Julian Vogel & Josef Stiller. En marionnette, on découvrira au Carreau du Temple le travail de la compagnie Trickster-p (du 3 au 5 mai) et celui de Tête dans le sac (22-25 mai). Comme le champ des arts visuels, que j’ai confié à la jeune curatrice Claire Hoffman, la programmation arts vivants mettra en avant des questions de société.

Cela notamment lors d’un focus consacré aux auteurs dramatiques suisses (9 avril – juillet 2019), une autre nouveauté.

J-M. D. : L’écriture dramatique suisse est d’une grande vitalité, dont je veux rendre compte à Paris. Les écritures féminines, surtout, sont très intéressantes et développées. Elles questionnent souvent la place de la femme dans la société. C’est le cas de Julie Gilbert, invitée à trois occasions, d’Antoinette Rychner ou encore de Latifa Djerbi. Toujours dans cette envie de faire du CCS un lieu d’art et de pensée ancré dans le présent, le film documentaire y aura aussi une place importante.

Propos recueillis par Anaïs Heluin

Centre culturel suisse de Paris
38 rue des Francs Bourgeois, 75003 Paris

Tel : 01 42 71 44 50. www.ccsparis.com

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 21, 2018 5:57 AM
Scoop.it!

«Kanata» : un projet desservi par son écriture

«Kanata» : un projet desservi par son écriture | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Ève Beauvallet dans Libération — 20 décembre 2018

 


Si «Kanata» a le mérite de prendre à bras le corps la polémique qui l’entoure, la pièce souffre d’une réalisation peu inspirée.

Est-il réellement problématique que la condition actuelle des autochtones au Canada soit racontée «encore une fois à travers le regard d’une petite Blanche», comme le déplore cette jeune indianiste courroucée au sortir de la pièce ? Kanata, en effet, évoque notamment la violence assimilationniste des pensionnats autochtones, où, de la fin du XIXe siècle à 1996, 150 000 enfants furent placés après avoir été arrachés à leurs parents, et le traumatisme laissé par cette politique sur les générations futures. Mais Kanata est aussi l’histoire d’une jeune peintre, Miranda, en quête de réalisation personnelle et artistique, qui trouvera finalement à s’épanouir à Vancouver au contact de la communauté autochtone. Docudrame autant que récit initiatique, la pièce fait cheminer cette Candide boboïsante dans les rues dévastées par la drogue et la prostitution du quartier de Downtown Eastside. Elle traite donc autant d’une communauté blessée et largement invisibilisée que des délicates conditions de rencontre avec celle-ci lorsqu’on est une étrangère fraîchement débarquée. Miranda est donc sur scène la déléguée du spectateur occidental, mais aussi le porte-voix des créateurs du spectacle - au moins à ce titre sont-ils prémunis contre les accusations d’appropriation : ils parlent principalement ici depuis leur point de vue, et non «à la place des autres».

Ce n’est donc pas le parti pris narratif qui est problématique. Ce qui l’est, c’est la qualité de la narration qui le sert. Qualité qui n’est malheureusement pas celle du théâtre contemporain quand il est à son meilleur, mais celle du téléfilm américain quand il est à peine passable. Car, force est de l’admettre et à regret, ce Kanata de Robert Lepage n’a pas l’ampleur dramatique suffisante pour rivaliser avec les grandes fresques historico-politiques déployées par Ariane Mnouchkine dans ces mêmes murs du Théâtre du Soleil. Et entre le sound design mélo pas toujours finaud, le survol de thématiques pourtant passionnantes, l’acharnement à rivaliser avec le réalisme télévisuel plutôt qu’à chercher des formes théâtrales un peu inventives, on accueille presque comme un trait de génie cette jolie scène de trip sous opium mêlant passé et présent, qui sublime la fin. Pas de quoi cependant faire de Kanata autre chose qu’un feuilleton socio-historique pour dimanche pluvieux.


Ève Beauvallet

Kanata - Episode 1 : la controverse mise en scène Robert Lepage avec les comédiens du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Jusqu’au 17 février à la Cartoucherie de Vincennes dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

 

 

Lire aussi : criitique oarue dans La Presse.ca (Montréal) : https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/201812/19/01-5208625-des-autochtones-decus-du-kanata-de-robert-lepage.php

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 20, 2018 6:55 PM
Scoop.it!

Le cirque Trottola fait sonner «Campana» au CentQuatre - 

Le cirque Trottola fait sonner «Campana» au CentQuatre -  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gilles Renault dans Libération  — 20 décembre 2018 


Quatrième spectacle de la petite troupe, tout en doigté artisanal et fragilité assumée.


Une bonne douzaine de chapiteaux quadrillent Paris en cette fin d’année. C’est beaucoup (trop ?) et, du reste, on raconte que, touché par une fréquentation globalement en baisse, le cirque dit «traditionnel» n’a pas un moral du tonnerre. Sur ces entrefaites, nous reviennent les Trottola dont la cote, elle, demeure au beau fixe. Née au début du XXIe siècle, la compagnie n’a jamais prétendu chambouler les codes en vigueur, tout en parvenant à faire son trou en insufflant une chaleureuse dose de baroquerie, au mitan de la poésie et d’une facétie aux inflexions parfois quasi beckettiennes.

A raison d’une création tous les cinq ans, la fluette Titoune (trapéziste et voltigeuse) et l’ogresque Bonaventure Gacon (acrobate, clown) réfutent toute surrenchère testoté(r)ronée pour, au contraire, choyer un savoir-faire compatible avec leur vocation d’artisans assumant encore crânement l’âge de leurs artères. Partisan d’une «prouesse physique» juxtaposée à l’«éloge de la maladresse», la quarantaine bien entamée, le tandem amoureux du «cercle» dans un monde qui ne tourne pas très rond sait ménager des plages de récupération, pour mieux entraîner le public, invariablement cordial, dans les airs… comme dans les entrailles d’une piste d’ordinaire moins encline à exhiber ses failles. «Campana» et sa grosse cloche érigée chaque soir est la quatrième émanation de Trottola, qui continue de questionner la destinée («On est où ? Y’s’passe quoi ?») en se gardant bien d’apporter la moindre réponse argumentée.

Gilles Renault
Campana par le cirque Trottola CentQuatre, 75019 Jusqu’au 22 décembre.

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 17, 2018 11:58 AM
Scoop.it!

Le milliardaire Sir David Barclay veut interdire une pièce de théâtre racontant son histoire

Le milliardaire Sir David Barclay veut interdire une pièce de théâtre racontant son histoire | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mathilde Damgé  dans Le Monde 17.12.2018

Le milliardaire Sir David Barclay veut interdire une pièce de théâtre racontant son histoire

Une pièce de théâtre revient sur l’épopée des jumeaux propriétaires de l’île anglo-normande de Brecqhou. Le procès aura lieu à Caen, en mai 2019.


Ils n’ont aucun lien avec la banque du même nom, mais ils n’en sont pas moins proches de la City. Les frères Barclay sont une légende à eux seuls : propriétaires du Ritz de Londres et du quotidien britannique Daily Telegraph, annoblis par la reine en 2000, les Ecossais sont partis de rien pour construire un empire et faire tomber l’un des derniers systèmes féodaux d’Europe, celui de l’île anglo-normande de Sercq, en achetant l’îlot voisin de Brecqhou.

C’est cette épopée, et en particulier l’affrontement avec l’ancien droit normand, que raconte la pièce Les Deux Frères et les lions... mais pour combien de temps encore ? Car elle pourrait être interdite : Sir David Barclay a déposé plainte en juin pour atteinte au respect de la vie privée et diffamation. Révélée par le quotidien régional Ouest France, l’affaire devrait connaître son dénouement l’année prochaine ; le procès aura lieu le 13 mai à Caen.


Cette « fable sur le capitalisme », créée en 2012 suite à une commande de la Scène nationale de Cherbourg, a valu à son auteur, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, succès et récompenses (prix Jean-Jacques Gautier, Coup de cœur du club de la presse au Festival d’Avignon)... mais aussi beaucoup d’ennuis. « L’attaque a été particulièrement violente, raconte Hédi Tillette : interdiction de la pièce, fin de la commercialisation du texte, dommages et intérêts à hauteur de 100 000 euros... »

La pièce a été jouée 250 fois et doit être reprise à partir du 8 janvier au Théâtre de Poche-Montparnasse, dont le directeur, le journaliste Philippe Tesson, est également visé par la plainte de Sir David Barclay, selon Ouest France. Pour leur avocat, Olivier Morice, il s’agit d’une « volonté délibérée de bâillonner la liberté de création ». « Nous démontrerons que la pièce est une fable satirique sur le capitalisme. Rien ne peut justifier les accusations d’atteinte au respect de la vie privée et de diffamation. »

 

Lire aussi Brecqhou, l’île noire des mystérieux frères Barclay

 


Une réputation sulfureuse

Ce n’est pas la première fois que les Barclay défraient la chronique : lorsqu’ils acquièrent en 1993 le vaste château, copie d’un manoir de style Tudor du XVIe siècle, sur l’îlot et – paradis fiscal – de Brecqhou, ils s’opposent, « au nom de la démocratie », à l’un des plus vieux systèmes féodaux du monde (les premières élections, en 2008, ne leur profiteront pas) et vont jusqu’à mettre en place un blocus contre les habitants de Sercq.

Hommes d’affaires redoutables, ils s’emparent en 2004 du groupe Daily Telegraph et de son quotidien-phare, le plus fort tirage de la presse britannique de qualité. Son principal éditorialiste politique en démissionnera onze ans plus tard, accusant la banque HSBC, l’un des plus gros annonceurs du titre, de faire pression sur la rédaction pour taire le scandale des « Swiss Leaks ».
Brecquou fait partie de l’archipel anglo-normand et dépend de la seigneurie de Sercq, elle-même rattachée au bailliage de Guernesey. Sur ce caillou long de moins d’un kilomètre, protégé par de hautes falaises, les hommes d’affaires Frederick et David Barclay ont niché leur fief.

 


Brecquou fait partie de l’archipel anglo-normand et dépend de la seigneurie de Sercq, elle-même rattachée au bailliage de Guernesey. Sur ce caillou long de moins d’un kilomètre, protégé par de hautes falaises, les hommes d’affaires Frederick et David Barclay ont niché leur fief.

N’hésitant pas à porter plainte en France, où la violation de la vie privée des personnalités est plus durement sanctionnée qu’en Grande-Bretagne, les deux frères prennent argument de la vente des journaux britanniques dans l’Hexagone pour contrer les journalistes britanniques. En 2008, ils ont ainsi saisi un tribunal de Saint-Malo afin de neutraliser un journaliste d’investigation, John Sweeney, qui enquêtait sur eux.

« De ces deux frères méprisés par l’establishment britannique puis anoblis par la reine, j’ai fait des personnages de fiction, justifie Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. En devenant une des plus grosses fortunes d’Angleterre, ils ont un poids sur l’intérêt général. Le théâtre peut s’emparer de ces débats. » Qui, des tréteaux ou des lingots, l’emportera ? Dans le vieux patois normand encore parlé à Sercq, la falaise se dit... la banque.

Contacté, l’avocat de David Barclay, Me Christophe Bigot, a répondu ne pas être mandaté pour parler à la presse.

Mathilde Damgé

 

Légende photo : Tout juste anoblis par la reine, les frères jumeaux Barclay montrent avec fierté leur insigne de chevalier, dans la cour du palais de Buckingham. Cette photo, qui date de 2000, est l’une des rares que l’on possède de Sir David et Sir Frederick. MICHAEL STEPHENS / AFP 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 17, 2018 5:42 AM
Scoop.it!

La première de Kanata fait salle comble à Paris

La première de Kanata fait salle comble à Paris | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE Publié le 16 décembre 2018 dans La Presse.ca (Montréal)



(PARIS) Une ruelle trash de Vancouver. Un loft d'artistes. Une travailleuse sociale. Des junkies autochtones. Un tueur en série. Un drame réaliste avec des pointes d'onirisme. Ainsi va Kanata, dont la première avait lieu samedi, à la Cartoucherie de Paris.

La salle de 540 places est archicomble pour cette représentation. Personne ne veut manquer l'événement. Certains parce qu'il s'agit d'une nouvelle proposition du Théâtre du Soleil, véritable institution française. D'autres à cause de la polémique sur l'appropriation culturelle qui a fait rage l'été dernier au Québec et n'a sûrement pas fini de faire des vagues.

« Je ne serais pas venu dès la première s'il n'y avait pas eu cette histoire », admet Wes Williams, professeur de littérature française à Oxford, parti d'Angleterre le matin même.

Fait inusité : tous les spectateurs qui ont acheté leur billet sont remboursés. La patronne de la troupe, Arianne Mnouchkine, estime que le spectacle n'est pas encore au point et nous demande de le prendre comme une répétition générale.

Fidèle à la tradition, Mme Mnouchkine se tient à la porte pour déchirer les billets et accueillir les visiteurs. On lui demande si elle appréhende la critique des quelques autochtones qui sont venus du Québec pour juger de la pièce.

« Je n'appréhende qu'une chose, c'est que le résultat ne soit pas à la hauteur », dit-elle, avant d'envoyer gentiment paître le journaliste.

Présences québécoises et autochtones dans la salle

Dans la salle, on aperçoit Sophie Faucher. La comédienne québécoise est ici pour soutenir son ami Robert Lepage, qui signe la mise en scène de la pièce à titre d'artiste invité, un précédent dans le cas du Théâtre du Soleil.

Mme Faucher est de ceux qui croient à la liberté de création. La controverse Kanata l'a « rendue malade » l'été dernier, d'autant que « personne n'avait vu la pièce ».

Elle ne nie pas la souffrance des Premières Nations, mais croit qu'on a « tiré sur le messager » en attaquant Lepage et Mnouchkine.

Un peu plus loin, Guy Sioui Durand nuance un peu. Cet artiste wendat (huron) dit préférer le scandale à la censure. Il trouve cependant que Lepage et Mnouchkine sont « braves » d'être allés au bout de ce projet explosif.

« À mon avis, c'est une erreur stratégique de ne pas avoir eu au moins un cometteur en scène autochtone, dit-il. Cela dit, il faut mettre les choses en perspective. C'est du théâtre, ce n'est pas la guerre. On est loin d'un attentat à Strasbourg. »

Un spectacle qui suggère moins qu'il n'impose

Sur scène, une peinture de Cornelius Krieghoff représentant un Huron-Wendat. C'est la première image de Kanata, qui n'en manque d'ailleurs pas : pendant deux heures et demie, sans entracte, les tableaux se succèdent et se multiplient, comme les épisodes d'une télésérie.

À Vancouver, des junkies se piquent. Des prostituées amérindiennes disparaissent. La police se tourne les pouces. Dans le quartier de la rue Hastings, réputée pour ses marginaux, un couple d'artistes français cherche le bonheur dans son loft.

Ferdinand veut faire du cinéma, Miranda veut peindre. Il repart pour la France. Elle se lie d'amitié avec Tanya, jeune autochtone à la dérive.

Lorsque cette dernière est retrouvée assassinée, Miranda trouve enfin l'inspiration : par solidarité, elle peindra les 49 femmes autochtones qui ont été tuées par un éleveur de cochons, référence sans équivoque à Robert Pickton, tueur en série qui avait fait les manchettes au tournant des années 2000.

Mais Miranda a-t-elle le droit de s'approprier des larmes qui ne sont pas les siennes ? That is the question...

On ne rouvrira pas ici le dossier de l'appropriation culturelle. Mais visiblement, Lepage et Mnouchkine n'ont pu s'empêcher de revenir sur ce débat houleux, parfois même lourdement, comme poussés par le désir de se justifier ou d'avoir le fin mot de toute cette histoire.

Dans un style direct, Kanata suggère moins qu'il n'impose. La facture est réaliste, proche du docudrame. Cela n'empêche pas toutefois quelques moments de grâce, dont deux sublimes scènes de rêve en canot, qui transcendent littéralement une pièce par ailleurs plutôt sage côté mise en scène.

Des avis partagés

À la sortie, commentaires mitigés.

Assise derrière nous, Lily, la soixantaine, déplore « l'accumulation de clichés » et le pathos d'un récit qui « veut se donner bonne conscience ».

« On devrait pleurer, mais ça ne m'a pas touchée du tout », tranche cette habituée de la Cartoucherie, qui semble en avoir gros sur le coeur.

Trois rangées plus haut, Angélique, jeune comédienne, n'est pas du même avis. Elle a aimé le « visuel cinématographique » et trouve le sujet pertinent, voire éclairant. « La marginalité de ces gens : ça nous raconte un truc qu'en France on ne sait pas trop... ou qu'on ne sait pas assez », dit-elle.

Idem pour Jeannine, inconditionnelle d'Arianne Mnouchkine depuis les années 70. « Cette pièce me donne envie de vivre », dit-elle, en prenant des photos du décor.

Chez les autochtones, en revanche, la déception se mêle à l'optimisme.

Abordée à l'extérieur de la salle, Maya Cousineau Mollen hésite d'abord à donner son avis, avant de s'ouvrir un peu.

Si elle dit « comprendre » la démarche d'Arianne Mnouchkine, elle croit encore qu'il est trop tôt pour que d'autres s'expriment sur le drame vécu par les Premières Nations.

« Si on nous avait mieux consultés, ça aurait sans doute mieux passé », lance l'écrivaine innue, invitée à Paris par une association antiraciste (Décoloniser les arts).

Mme Cousineau Mollen croit néanmoins que la polémique Kanata a fait avancer les choses. « Il faut apprendre de ça pour ce qui s'en vient », dit-elle, à la fois résignée et philosophe.

Y aura-t-il donc un avant- et un après-Kanata ? Guy Sioui Durand en est convaincu. Le débat s'est fait dans la douleur, dit-il. Mais au moins, il y a eu prise de conscience.

« Maintenant, on ne pourra plus parler de nous sans nous. »

Kanata est présentée au théâtre de la Cartoucherie jusqu'au 17 février 2019

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 16, 2018 4:55 PM
Scoop.it!

Kanata - Épisode I - La Controverse de Robert Lepage avec la troupe du Théâtre du Soleil


Par Vincent Bouquet dans Sceneweb - 16 décembre 2018

Photo Michèle Laurent

Pour la première fois depuis sa création, la troupe du Théâtre du Soleil se voit confier à un autre metteur en scène qu’Ariane Mnouchkine. La rencontre alchimique entre ses comédiens cosmopolites et le maître québécois façonne le joyau théâtral de cette fin d’année.

Kanata revient de loin. Annoncée comme l’un des événements du Festival d’automne à Paris, la rencontre entre Robert Lepage et la troupe du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, a bien failli ne pas avoir lieu. En cause, une polémique, née cet été au Canada, autour du sujet que le maître québécois entendait aborder, celui du « génocide culturel » des Premières Nations. Après la controverse provoquée par son spectacle SLĀV, il s’est cette fois vu accuser « d’appropriation culturelle » par des personnalités autochtones, inquiètes de voir leur histoire caricaturée dans un spectacle « stéréotypé » et indignées par l’absence d’acteur indigène dans la distribution. Annulé l’espace de quelques semaines, ce travail long de plusieurs années a finalement pu poursuivre sa route et permet à Robert Lepage de répondre à ses détracteurs de la plus belle des manières, par un théâtre de la réconciliation.

Conscient de l’aspect épineux de la thématique, le metteur en scène a préféré ne pas l’aborder de front. Sous-titré Episode I – La Controverse, Kanata utilise le chemin de la fiction pour arriver à ses fins et s’interroger, en toile de fond, sur la place laissée aux descendants des Premières Nations dans le Canada contemporain. Bien avant d’être un spectacle politique, il édifie une magnifique Tour de Babel où les langues – français, anglais, persan, autochtones – et les cultures – des comédiens comme des personnages – se mêlent pour ne faire plus qu’un. A la manière du Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, Robert Lepage, épaulé par le dramaturge Michel Nadeau, construit un enchevêtrement de destins autour de Hastings Street, cette artère de Vancouver où la misère et la drogue sont reines.

Alors que Leyla Farrozhad, restauratrice au musée des Beaux-Arts du Canada, et Jacques Pelletier, commissaire d’exposition, nouent une histoire d’amour devant des tableaux de Joseph Légaré, Ferdinand et Miranda, comédien et artiste peintre français, s’installent à Vancouver pour s’offrir une nouvelle chance professionnelle. Sous l’œil de Tobie, un descendant de Hurons qui réalise un documentaire sur Hastings Street et plus généralement sur les populations autochtones, la jeune femme fait la rencontre de Tanya, une prostituée qui erre dans le quartier à la recherche d’argent pour payer sa drogue. Protégée par Rosa, une travailleuse sociale du centre d’injections tout proche, elle vit sous la menace d’un tueur en série qui a déjà fait disparaître plusieurs dizaines de ses semblables, sans que la police, désintéressée du sort de ces laissées pour compte, ne fasse rien.

Carrefour des âmes errantes, Kanata est aussi le point de rencontres des identités dans un Canada qui a longtemps mis sa diversité sous le boisseau. Du comédien français qui cherche à perdre son accent, voire sa culture hexagonale, pour essayer de réussir à cette artiste peintre qui se voit reprocher sa soudaine inspiration provoquée par le malheur de ces femmes autochtones, Robert Lepage donne le change à ses contempteurs et questionne les ravages de l’acculturation. En filigrane, il dénonce cette politique de l’Etat canadien qui, pendant plusieurs dizaines d’années, a forcé les enfants des descendants des Premières Nations à être scolarisés dans des pensionnats, ou à être placés dans des familles d’accueil, quitte à consumer leurs racines, détruire leur identité et compromettre leur avenir.

Tout en subtilité, construite tel un patchwork qui ne trouve sa cohérence qu’à mesure qu’il se construit, sa proposition est propulsée par le cosmopolitisme de la troupe du Théâtre du Soleil. Venus des quatre coins du monde, les comédiens empoignent le texte originel à la lumière de leur propre vécu, personnel ou scénique, et haussent leur niveau de jeu. Apparemment aux antipodes, les galaxies théâtrales de Lepage, féru de magie technique, et de Mnouchkine, adepte du théâtre artisanal, s’enchevêtrent jusqu’à l’alchimie la plus totale. Avec plus de moyens qu’à l’accoutumée, accompagnée par un dispositif vidéo qui magnifie les passages de lieu en lieu, la troupe est prise dans un mouvement perpétuel, provoqué par des changements de décor incessants, qui donne au spectacle un rythme naturel. Émerge, alors, ce lien qui unit les univers de ces deux maîtres théâtraux, celui qui place, toujours, l’humain au centre de tout. Avec une simplicité rare et une force tranquille, Kanata étreint et bouleverse jusque dans ses ultimes instants. Pour cette dernière « répétition », comme est traditionnellement appelée la première représentation d’un spectacle du Théâtre du Soleil, l’accueil fut triomphal.

 

 

 


Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr

Kanata – Épisode I – La Controverse
Mise en scène, Robert Lepage
Avec les comédiens du Théâtre du Soleil, c’est-à-dire, par ordre d’entrée en scène : Shaghayegh Beheshti, Vincent Mangado, Martial Jacques, Man Waï Fok, Dominique Jambert, Sébastien Brottet-Michel, Eve Doe Bruce, Frédérique Voruz, Sylvain Jailloux, Astrid Grant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Owid Rawendah, Taher Baig, Aref Bahunar, Jean-Sébastien Merle, Shafiq Kohi, Saboor Dilawar, Maurice Durozier, Sayed Ahmad Hashimi, Seear Kohi, Miguel Nogueira, Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Arman Saribekyan, Nirupama Nityanandan, Andrea Marchant, Agustin Letelier, Camille Grandville, Ana Dosse, Aline Borsari, Wazhma Tota Khil, Aref Bahunar, Samir Abdul Jabbar Saed
Dramaturgie, Michel Nadeau
Direction artistique, Steve Blanchet
Scénographie et accessoires, Ariane Sauvé avec Benjamin Bottinelli, David Buizard, Pascal Gallepe, Kaveh Kishipour, Etienne Lemasson, Martin Claude et l’aide de Judit Jancsó, Thomas Verhaag, Clément Vernerey, Roland Zimmermann
Peintures et patines, Elena Antsiferova, Xevi Ribas, avec l’aide de Sylvie Le Vessier, Lola Seiler, Mylène Meignier
Lumières, Lucie Bazzo, avec Geoffroy Adragna, Lila Meynard
Musique, Ludovic Bonnier
Son, Yann Lemêtre, Thérèse Spirli, Marie-Jasmine Cocito
Images et projection, Pedro Pires, avec Etienne Frayssinet, Antoine J. Chami, Vincent Sanjivy, Thomas Lampis, Gilles Quatreboeuf
Surtitrage, Suzana Thomaz
Costumes, Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran
Coiffures et perruques, Jean-Sébastien Merle
Souffleuse et professeure de diction, Françoise Berge
Assistante à la mise en scène, Lucile Cocito

Production Théâtre du Soleil (Paris), avec le Festival d’Automne à Paris
Coproduction Printemps des Comédiens (Montpellier) ; Napoli Teatro Festival Italia
Coréalisation Théâtre du Soleil ; Festival d’automne à Paris

Le développement du projet a bénéficié de l’apport d’Ex Machina ; à ce titre, ont aussi participé à la création : David Leclerc (vidéo), Olivier Bourque et Mateo Thébaudeau (direction technique), Benoît Brunet-Poirier (régie vidéo), Gabrielle Doucet (réalisation du tableau), Virginie Leclerc (accessoires), Viviane Paradis (production).
Avec le soutien des programmes de résidence du Centre des Arts de Banff, Alberta (Canada) et de l’action culturelle de l’Université Simon Fraser Woodward, Vancouver (Canada).

Remerciements aux élèves de 4e et 5e année de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs et à leurs professeures Elise Capdenat et Annabel Vergne, aux élèves du diplôme de technicien des métiers du spectacle du Lycée Léonard de Vinci (Paris) et à leurs professeurs Anne Bottard et Franck Vallet, ainsi qu’à Mordjane Djaouchi (conseil en acrobatie).

Durée : 2h30

Théâtre du Soleil, dans le cadre du Festival d’automne à Paris
du 15 décembre 2018 au 17 février 2019

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 25, 2018 4:22 PM
Scoop.it!

La toute première fois de Jean-Luc Lagarce, c’était au Petit-Odéon, en février 1982

La toute première fois de Jean-Luc Lagarce, c’était au Petit-Odéon, en février 1982 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le blog de l'Odéon-Théâtre de l'Europe : PLACE DE L'ODEON

 

C’est Théâtre Ouvert¹ qui lança Jean-Luc Lagarce, en publiant en 1979 dans la collection Tapuscrit (n°9-10) Voyage de Madame Knipper vers la Prusse Orientale conjointement avec Carthage encore. Dès l’année suivante Lucien Attoun programme le jeune auteur dans le cadre du Nouveau répertoire Dramatique sur France Culture. Toujours dans le cadre de Théâtre Ouvert, mais au Festival d’Avignon 1981, il est « mis en voix » en public, avec Les Serviteurs, sous la direction de Bérangère Bonvoisin.
Dès lors, presque chaque année Théâtre Ouvert retrouvera Jean-Luc Lagarce, « les Attoun lâchant rarement la proie qu’ils ont ferrés »². Ce sont eux qui annonceront en 1981 la création prochaine de Voyage de Madame Knipper vers la Prusse Orientale « dans un théâtre légendaire de la capitale », création à laquelle ils auront largement œuvré.
La pièce sera présentée sur scène pour la première fois en février 1982, dans une mise en scène de Jean Claude Fall, au Petit-Odéon, la petite salle créée au Théâtre de l’Odéon par Jean-Louis Barrault en 1967 (aujourd’hui transformée en Salon Roger Blin).
L’Odéon est à l’époque sous la tutelle de la Comédie-Française, dont l’administrateur, Jacques Toja, est le directeur de l’Odéon³. Poursuivant le dessein de Jean-Louis Barrault, le Français programmait au Petit-Odéon des auteurs contemporains à découvrir. Après avoir persuadé Jacques Toja de faire jouer le texte, Lucien Attoun se chargea de trouver un metteur en scène et convainquit Jean-Claude Fall, encore dans les travaux du Théâtre de la Bastille dont il venait de prendre la direction.
C’est alors la toute première mise en scène d’un texte de Jean-Luc Lagarce4.

Voyage de Madame Knipper vers la Prusse Orientale s’inspire du périple d’Olga Knipper, comédienne du Théâtre d’Art de Moscou et épouse d’Anton Tchekhov, qui partit chercher avec d’autres comédiens de la troupe le corps de son mari décédé en 1904 à Badenweiler. Cinq personnages en exil profitent d’une halte pour raconter et jouer l’histoire de ce voyage. Leur discours restitue le chaos de la guerre qui précéda la Révolution russe de 1905 et sa sanglante répression.
Deux acteurs de la Comédie-Française sont de l’aventure : Louis Arbessier et Joël Demarty, ainsi que Suzel Goffre, Raymond Jourdan, Rébecca Pauly.

 


Dans le programme, Jean-Claude Fall écrit :

Qu’en advient-il de ces personnages (réels ou de fiction) lorsque tout est fini et qu’ils se retrouvent « dehors », exclus de l’Histoire, la grande, celle des livres, qui continuera sûrement de s’écrire sans eux ? […] Cette pièce opère, en fait, comme une mise en garde à ceux qui refusent d’observer et de participer au mouvement de l’histoire, qui s’efforcent de croire que ce qui est, l’est depuis toujours et pour toujours. […] Cet aveuglement n’est-il pas déjà le lot de la civilisation occidentale ? Ne croit-elle pas qu’elle seule, et de toute éternité, écrit l’histoire de ce monde ?

Une certaine critique, de droite en particulier, voit dans la pièce « la justification de tous les holocaustes » (Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro), quand Michel Cournot, critique du Monde, voit les débuts d’un auteur :

Jean-Luc Lagarce est jeune, vingt-quatre ans, il a laissé dans son texte quelques facilités, quelques effets d’écriture. Ce n’est rien… [Il] a évité les commentaires inutiles sur les retournements de l’histoire : il a été plus subtil, il est allé mettre le nez dans les intermittences que l’histoire foule à peine. […] C’est très beau, d’une grande richesse de notations fugitives.

Jean-Luc Lagarce ne cessera plus d’écrire, et à plein temps : du théâtre avant tout, un roman qu’il commence en 1982, son Journal, une volumineuse correspondance…

--------------------------------------------------------------


¹ Théâtre Ouvert : structure créée par par Lucien et Micheline Attoun en 1971, dans le but de promouvoir et diffuser des textes contemporains d’auteurs vivants francophones. Devenu en 2011 Centre National des Dramaturgies Contemporaines, il est dirigé depuis 2014 par Caroline Marcilhac, qui succède aux fondateurs, Micheline et Lucien Attoun.

² l’expression est du journaliste Jean-Pierre Thibaudat. À lire : sa biographie Le roman de Jean-Luc Lagarce (paru aux Solitaires Intempestifs)

³ décret du 31 janvier 1978 : Le Théâtre National de l’Odéon est administré par un directeur. Ce directeur est l’Administrateur de la Comédie-Française.

4  en dehors du cadre de jeu de la troupe de La Roulotte, créée en 1977 avec les camarades rencontrés au Conservatoire de Besançon.

 

Article publié dans Place de l'Odéon, le blog de L'Odéon-Théâtre de l'Europe

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 25, 2018 2:26 PM
Scoop.it!

Adieu Guy Rétoré

Adieu Guy Rétoré | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe du Vignal dans Théâtre du blog  - 25.12.2018

 

Il avait quatre-vingt quatorze ans, et fut un des pionniers de la décentralisation, non pas en province mais… dans un arrondissement sans théâtre de la Capitale, le XX ème, où il réussit à créer le T.E.P. (Théâtre de l’Est Parisien). Employé à la SNCF, il avait fondé  à Ménilmontant où il avait toujours vécu, la Guilde, une compagnie d’amateurs. Et il monte en 1956 (il avait trente-deux ans), La Vie et la mort du Roi Jean d’après Le Roi Jean, une pièce peu connue de Shakespeare qui y peint un monde politique marqué par l’ambiguïté et le compromis.

Guy Rétoré remporte un an plus tard avec ce spectacle le Prix du concours des jeunes compagnies institué par le Ministère de la Culture. Ce qui avait valeur d’adoubement dans la profession, avec à la clé, une enveloppe. Il put ainsi aménager rue du Retrait à Ménilmontant un petit théâtre qu’il voulait populaire dans une salle de paroisse. L’Histoire connaît parfois de curieux dérapages : au moment où Guy Rétoré nous quitte, l’église catholique, propriétaire de cette salle, la fait fermer pour des raisons financières…

Dans la ligne éthique et esthétique du T.N.P. de Jean Vilar, Guy Rétoré, discret et infatigable, ne fit aucune concession  et accomplit un véritable travail de terrain en montant les pièces de grand auteurs. Et en 1963, il réussit à emmener sa troupe dans un ancien cinéma, rue Malte Brun. Où il créa ce T.E.P. /Maison de la Culture qu’inaugura par André Malraux, alors ministre de la Culture sous le règne de de Gaulle. Et  en 1972,  le T.E.P.  était promu Centre dramatique national puis reçut le label suprême de Théâtre national. Guy Rétoré qui réalisa, accompagné d’acteurs comme, entre autres Jacques Alric, Gérard Desarthe, Arlette Téphany décédée en août dernier, de nombreuses mises en scène avec des auteurs comme Brecht avec L’Opéra de quat ’sous  (1969) qui fut un grand succès populaire, Sainte Jeanne des abattoirs (1972), Maître Puntila et son valet Matti, La Résistible ascension d’Arturo Ui (1988).  Mais aussi Poussière pourpre du grand écrivain irlandais alors peu connu chez nous, Sean O’ Casey et des pièces d’écrivains contemporains comme,  en 1968, Les 13 soleils de la rue Saint Blaise d’Armand Gatti, puis Le Chantier de Charles Tordjman, Clair d’usine de Daniel Besnehard, Entre Passion et Prairie de Denise Bonal, Dissident il va sans dire de Michel Vinaver. En 1974, il transforme une laverie automatique en seconde salle, le petit T.E.P. où Jacques Lassalle crée Travail à domicile de F.-X. Kroetz, et où fut joué Fin de partie de Samuel Beckett en 1980.

Puis quand le Ministère décida de construire le Théâtre de la Colline à la place du T.E.P., Guy Rétoré alors proche de la retraite, préféra alors sagement en quitter la Direction et s’installa pas très loin dans une ancienne salle de répétition, avenue Gambetta. Mais le Ministère le poussa vers la sortie en 2002 mais pas de façon très élégante, comme souvent. Dans la droite ligne de Jean Vilar, avec discrétion mais pugnacité, il aura été un des bons artisans de la décentralisation, dans un quartier loin des théâtres bourgeois où, lui aussi, conquit un public populaire. Il était le père de Catherine Rétoré, et le grand-père d’Odja et Sara Llorca, toutes trois comédiennes.

Philippe du Vignal

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 25, 2018 3:24 AM
Scoop.it!

Kanata- Episode 1 - La Controverse, mise en scène de Robert Lepage

Kanata- Episode 1 - La Controverse, mise en scène de Robert Lepage | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 24.12.2018

 

Kanata- Episode 1-La Controverse,mise en scène de Robert Lepage

 «Il y a tellement de vents contraires», dit Miranda. La jeune artiste française, installée à Vancouver prépare une exposition:  des portraits de femmes autochtones assassinées par un tueur en série canadien. Son projet aura-t-il lieu ?  Prise en étau entre son désir de témoigner au nom de ces victimes, et l’opposition d’associations autochtones, une non native peut-elle légitimement s’exprimer en nom et place des Premières Nations ?

 Ces vents contraires, Robert Lepage, les a subis, quand, à l’invitation d’Ariane Mnouchkine, il a voulu créer Kanata (ce nom en huron-iroquois signifie village et serait à l’origine du nom Canada). Le metteur en scène québécois  se proposait d’explorer l’histoire des premières nations de son pays avec les comédiens du Théâtre du Soleil. Sa pièce fut interdite au Canada, les associations d’artistes et intellectuels autochtones dénonçant une appropriation culturelle et l’absence sur scène de d’acteurs de leurs communautés. Contre vents et marées, Ariane Mnouchkine et  Robert Lepage ont maintenu leur projet, quitte à perdre des financements et une tournée outre-Atlantique. Et  le metteur en scène, pour lever toute ambigüité, a eu l’intelligence d’intégrer cette polémique à son spectacle.

La pièce s’est construite avec les comédiens du Théâtre du Soleil. « Ils sont venus au Québec. » (…)  « Nous avons passé du temps dans l’Ouest canadien, pas uniquement sur les territoires des tribus, mais aussi dans les centres urbains, pour essayer de comprendre cette problématique en milieu citadin.  A l’issue de ces explorations et d’improvisations, aidé par l’éditorialiste Michel Nadeau, Robert Lepage a tissé les fils d’une saga de deux heures trente, faite de nombreux tableaux. D’Ottawa à la Colombie britannique, des quartiers populaires de Vancouver à une porcherie sordide, des personnages se croisent, des itinéraires s’imbriquent : histoires d’amour, d’amitiés, crimes, vies gâchées et retrouvailles funèbres…

Sur le plateau, Leyla, conservatrice du musée d’Ottawa, commente pour  son homologue du musée du Quai Branly à Paris, le portrait d’un mystérieuse Indienne, Josephte Ourné, peinte par Joseph Légaré (1795 -1855) peintre québécois… D’origine indienne, elle a été adoptée par une couple iranien. On assiste ensuite au massacre à la tronçonneuse d’une belle forêt, pour se retrouver plus tard dans les bas-quartiers de Vancouver, empire de la drogue, voué à la gentrification par des promoteurs, issus de l’immigration chinoise… Un couple français, Miranda et son compagnon, apprenti-comédien, s’installent  là où  dealers et prostituées, font leurs petits trafics pour survivre. Des femmes disparaissent. Toutes autochtones dont Tanya, une jeune héroïnomane qui s’est liée d’amitié avec Miranda…

 Les décors défilent, vite installés, vite escamotés. Un peu trop nombreux, parfois inutiles, et d’une esthétique peu recherchée. Les séquences sont jouées par une trentaine de comédiens dynamiques et inventifs de toutes les nationalités, avec des dialogues, parfois un peu bavards et relâchés, et des personnages touchants auxquels on ne peut rester indifférent. Leur destin tragique évoque le sort de ces peuples démembrés, et victimes de l’ethnocide des blancs : colons, soldats et prêtres qui ont volés leur terres, les ont  parqués dans des réserves inhospitalières,  les ont abandonnés à l’alcool et au chômage, et ont enlevés leurs fillettes pour les élever dans des orphelinats. Ils ont aussi éradiqué les langues et coutumes des Premières Nations. Constat terrible qu’il était urgent d’établir.

Merci à Ariane Mnouchkine d’avoir tenu bon face à «une intimidation inimaginable dans un pays démocratique », exercée en grande partie sur les réseaux sociaux. Bravo à Robert Lepage d’avoir donné un réponse artistique à ces  tentatives de censure. On peut comprendre la colère de ces peuples, et leurs revendications mais ce spectacle ne trahit en aucun cas leur cause et ouvre un important débat. Et Ariane Mnouchkine a mis sur pied des rencontres et envisage un festival de théâtre autochtone à la Cartoucherie. Il faut aller voir ce spectacle. On peut aussi se restaurer sur place, les mets sont bon marché, délicieux, l’ambiance toujours aussi chaleureuse, et les livres en vente à la librairie,  susceptibles de combler nos lacunes sur les questions indigènes.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 17 février, Théâtre du  Soleil, route du Champ de manœuvre, Paris 12  T. :01 43 74 88 50

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 22, 2018 11:28 AM
Scoop.it!

"Hamlet" d'Ambroise Thomas, un accomplissement 

"Hamlet" d'Ambroise Thomas, un accomplissement  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog "le Grand Théâtre du monde" 21.12.2018

 

Il est rare, au théâtre d’avoir le sentiment d’un parfait accomplissement. Avec Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra-Comique, on est certain d’avoir assisté à une manière d’événement lyrique et théâtral d’une force et d’une qualité artistique époustouflante.

Lorsque l’on est critique dramatique, on assiste chaque année à plusieurs nouvelles mises en scène de l’Hamlet de Shakespeare, et l’on ne saurait s’en plaindre car la pièce est inépuisable. Mais, étrangement, on n’avait jamais été saisi par la certitude du : « C’est cela, oui, c’est exactement cela, Hamlet… ».

L’ouvrage d’Ambroise Thomas n’est pas souvent représenté et le 17 décembre dernier, salle Favart, c’est le sentiment d’une découverte immense qui a submergé chacun.

La mise en scène s’impose immédiatement, mais sans jamais amoindrir la beauté du chant, l’exceptionnelle interprétation des artistes réunis sur le plateau, la direction subtile de Louis Langrée, l’Orchestre des Champs-Elysées, le Chœur les Eléments. Tout ici enchante et bouleverse et si l’on sait combien Thomas a pu être moqué, on est frappé par les richesses moirées de son style, des styles ici mis en jeu, jusqu’à cette présence du trombone et du saxophone -on est en 1868.

Immenses interprètes, voix rares. Ajoutons, diction idéale qui permet aux francophones de tout suivre, sans lire le surtitrage, beauté de ce chant romantique français qui comble parfois.

Sabine Devieilhe, Ophélie, frêle et délicate, et la voix unique de la soprano qui nuance d’une manière sidérante. Stéphane Degout, Hamlet idéal, dans la présence et la lumineuse intelligence du baryton. Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude, annoncée souffrante ce soir-là, mais franchement magnifique, mezzo troublante. Et Laurent Alvaro, Claudius, Jérôme Varnier, le spectre du père, Julien Behr, Laërte, Nicolas Legoux, Polonius, Kevin Amiel , Marcellus et le deuxième fossoyeur, Yoann Dubruque, Horatio et le premier fossoyeur.

Vue d'ensemble qui montre plateau, images, scènes de groupe, etc...Tout ce que maîtrise parfaitement les artistes sous la direction de Cyril Teste.

Parlons du théâtre, parlons de la mise en scène

On connaît depuis longtemps et on apprécie beaucoup le travail de Cyril Teste, au théâtre, à l'opéra.

Il est l'un des rares metteurs en scène français à maîtriser de manière très rigoureuse et fine les subtilités de la technique et en particulier de la vidéo, de l'usage d'images déjà filmées avec des images tournées en direct.

Il est un maître de l'espace, également.

Mais bien en deça de la technique, c'est du côté de sa capacité de lecteur qu'est le trait le plus impressionnant.

Le sentiment d'évidence que l'on a devant plusieurs de ses décisions, tient à cela. Le livret de Michel Carré et Jules Barbier, qui s'appuient sur l'adaptation de Dumas, l'autorise non pas à simplifier, mais à imposer des gestes; des images fortes.

Il utilise beaucoup la salle, pour l'arrivée de Claudius et sa cour, pour la présence, et c'est extraordinaire et cela semble "vrai", du spectre.

Il multiplie des panneaux-écrans, mais tout sonne juste. Les projections, selon les moments, les déploiements sur plusieurs plans, ne gênent jamais ni la musique, ni le chant, ni la progression dramatique.

Les cadreurs ou les techniciens qui accompagnent à vue la représentation, comme des amis des interprètes, des personnages protecteurs. Ils sont complètement intégrés.

La fluidité de la représentation est remarquable.

Mais le plus beau, l'encore plus beau, c'est la direction de jeu. Cyril Teste a la chance d'avoir une distribution plus que magnifique. Mais la manière dont les chanteurs sont dirigés, ou disons finement accompagnés, est époustouflante. Tous ici sont des chanteurs magistraux et de grandes natures dans le jeu. Mais il y a encore plus, encore mieux. Quelque chose de fin, de délicat, de profondément moderne.

Le Hamlet de Stéphane Degout a quelque chose d'un personnage de Koltès. Ophélie est elle aussi d'aujourd'hui. On ne se pose pas de question de distance. Ils sont de plain-pied avec nous (d'autant plus que scène, salle, écrans, paysages du dedans ou du dehors s'harmonisent). Ils sont nos frères. On est pour longtemps boulesersé et éperdu d'admiration.

Opéra-Comique, les 21, 23 en matinée, 27 et 29 décembre. Durée : 3h20 entracte compris.

www.opera-comique.com

 


PHOTO VINCENT PONTET/OPERA COMIQUE

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 22, 2018 7:45 AM
Scoop.it!

Coup de jeunesse sur le Théâtre 14 : Mathieu Touzé et Édouard Chapot sont nommés à la direction

Coup de jeunesse sur le Théâtre 14 : Mathieu Touzé et Édouard Chapot sont nommés à la direction | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Stéphane Capron dans Sceneweb - 21.12.2018


C’est la dernière nomination avant la fin de l’année. La ville de Paris a choisi le jeune comédien et metteur en scène Mathieu Touzé pour diriger le Théâtre 14. Il assurera la direction en tandem avec Édouard Chapot, actuellement administrateur du CDN – La Comédie de Béthune. Un sacré coup de jeune pour le Théâtre 14 qui en avait bien besoin.

Christophe Girard, adjoint de la Maire de Paris pour la Culture, a annoncé aujourd’hui la nomination de Mathieu Touzé et d’Édouard Chapot pour reprendre la direction du Théâtre 14. Le choix du jury, composé de Carine Petit, Maire du 14ème arrondissement, de représentants de l’association et de la Ville de Paris et présidé par Bruno Racine, s’est porté sur le projet solide proposé par ce duo. Il prendra la direction de l’établissement à l’automne prochain à la suite d’Emmanuel Dechartre qui a dirigé le théâtre pendant près de 30 ans. Le Théâtre 14 rouvrira ses portes en novembre 2019 à l’issue de travaux.

La jeunesse est au cœur de leur projet. Ils souhaitent faire émerger la nouvelle génération d’actrices et d’acteurs et rajeunir les publics à travers des actions de transmission à différents niveaux : une université populaire, une radio, des performances hors les murs, etc…

« Je me réjouis de cette nomination. Mathieu Touzé et Edouard Chapot ont la créativité et l’audace qu’il faut pour le Théâtre 14, reconnu pour la modernité de sa programmation pluridisciplinaire. Leur projet s’inscrit à la fois dans l’héritage de la direction actuelle assurée par Emmanuel Dechartre tout en étant porteur d’une ambition singulière et forte au service d’une création curieuse et des publics variés, à l’image de la politique culturelle que nous impulsons à Paris » salue Christophe Girard, adjoint de la Maire de Paris pour la Culture.

Mathieu Touzé dirige le Collectif Rêve Concret. Théâtralement, il se forme au Conservatoire Régional de Poitiers puis à l’Ecole Départementale de Théâtre d’Essonne (il y rencontre notamment Yuming Hey et Séphora Pondi qui seront artistes associés au 14, tout comme les comédiennes Estelle N’tsendé et Océane Caïraty). Il suit en parallèle des études de Droit et devient avocat en propriété intellectuelle, droit à l’image et contrefaçon. En 2018, sa mise en scène du roman Un Garçon d’Italie est un véritable succès au Festival d’Avignon OFF. Elle avait reçu le Prix de Meilleure Adaptation à Théâtre Ouvert en 2016. Il prépare une mise en scène de LAC, pièce de Pascal Rambert pour l’année 2019 dans le cadre du Festival Etrange Cargo à la Ménagerie de Verre, les 26 ,27 et 28 mars.

Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 21, 2018 8:26 PM
Scoop.it!

Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Bertrand Marcos – avec Fanny Ardant

Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Bertrand Marcos – avec Fanny Ardant | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 21.12.2018

 

 

Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Bertrand Marcos – avec Fanny Ardant

 Au printemps 1958, la société Argos sollicite Marguerite Duras : cette maison de production qui avait produit Nuit et brouillard d’Alain Resnais, avait passé commande au cinéaste d’un long métrage sur Hiroshima et les effets de la bombe atomique.

Le cinéaste veut insuffler à son film un éclairage féminin, et, après avoir pensé à Françoise Sagan et à Simone de Beauvoir, Marguerite Duras est finalement choisie.

L’année de la parution de son roman Moderato Cantabile (Minuit), elle écrit le synopsis de Hiroshima mon amour, collaborant avec Alain Resnais et Gérard Jarlot.

La sortie du film, tourné en août et en septembre au Japon par Resnais, puis en décembre à Nevers, avait été prévue pour le Festival de Cannes de 1959. Non retenu par la commission de sélection, le filmest projeté hors festival : un succès.

La version de Hiroshima mon amour, scénario et dialogues, est publiée par Marguerite Duras aux éditions Gallimard, dans la collection Blanche, en 1960.

La grande réussite du scénario tient à ce que Marguerite Duras a compris que, face à un tel sujet, elle était confrontée à l’indicible : « Dans Hiroshima mon amour j’ai voulu imposer l’impossibilité d’accrocher, d’amarrer l’événement d’Hiroshima à la catastrophe fantastique que représente Hiroshima, une affabulation quelconque. » 

 Quand elle fait dire au début : « Tu n’as rien vu à Hiroshima », cela signifiait pour elle, « tu ne verras jamais rien, tu n’écriras rien, tu ne pourras jamais rien dire sur cet événement». A partir de l’impuissance de parler de l’inouï, elle dit avoir fait le film.

Comme le note Bernard Pingaud (Inventaire), le film « n’est pas l’histoire d’un amour ou de deux amours, ni celle d’un bombardement », mais l’histoire d’un oubli.

 Ainsi, se souvenir de l’être aimé comme de l’oubli de l’amour même, ou penser à cette histoire comme à l’horreur de l’oubli : « On croit savoir et puis, non jamais. »

Le nombre de personnes tuées par l’explosion, la chaleur et la tempête de feu consécutive, n’est pas déterminé, mais des estimations sont disponibles. Le Département de l’Énergie des États-Unis (DOE) évalue 70 000 personnes pour Hiroshima, le 6 août 1945,et 40 000 personnes pour Nagasaki, le 9 août 1945.

Face au chiffre des morts d’Hiroshima, l’histoire de la mort d’un seul amour est racontée par Elle qui n’en finit pas de souffrir « qu’avec le temps va tout s’en va. »

Elle – Fanny Ardant sur le plateau de scène, belle silhouette élancée à la robe noire et épaules nues ; et Lui – une voix off, grave et masculine, mate, calme et imposante.

« Quatre fois au musée de Hiroshima. J’ai regardé les gens. J’ai regardé moi-même pensivement, le fer. Le fer brûlé, Le fer brisé, le fer devenu vulnérable comme la chair. J’ai vu… Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la fraîcheur de leurs souffrances. Des pierres. Des pierres brûlées. Des pierres éclatées… »

Elle dit n’avoir rien inventé, il rétorque qu’elle a tout inventé, elle nie encore, Rien.

Comme dans l’amour, existe cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même la femme a eu l’illusion devant Hiroshima de n’oublier jamais – amour et mort liés.

A la fois majestueuse et fragile, Fanny Ardant honore la scène et son public, dépliant quelques pas menus et patients,  perchée sur ses talons de ville, puis s’arrêtant pour une pause furtive, assise sur une chaise, et se relevant encore pour s’accroupir plus tard avant de s’allonger, étendue de tout son long et comme gisante, repliée encore par la douleur, abandonnant un corps déjà tonique à une passion dévorante ultime.

L’homme, amant d’Hiroshima, la questionne. Elle est originaire de Nevers, petite ville qu’elle a quittée pour Paris, alors que toute jeune fille elle est tombée amoureuse d’un soldat allemand – un premier amour -, lors de la Seconde Guerre mondiale.

On lui rase les cheveux en guise d’humiliation, puis elle est cachée par sa mère dans une cave d’où elle entend les cris de joie et de fête de la Libération. Objet de honte, elle est dite « morte » par sa famille méprisante, ne sortant que la nuit dans le jardin.

Elle quitte Nevers à jamais pour la grande ville de Paris d’où elle ira à Hiroshima. Le cœur gros de peine amère, elle associe inextricablement, face à son nouvel amant, les deux figures d’un désastre existentiel : la bombe d’Hiroshima qui a tué les vivants sans compter et la mise à mort de l’amant, ennemi du pays, tué d’un jardin à Nevers.

L’amour et la mort tombent dans un oubli irréversible, se ce n’est la douleur qui reste.

Une performance d’actrice dont la puissance est au service de la musique de Duras.

Véronique Hotte

Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles-Dullin 75018 Paris, 10 représentations exceptionnelles à partir du 18 décembre au 31 décembre 2018, du vendredi au dimanche 19h, sauf le dimanche 23 à 15h,.lundi 31 à 19h. Tél : 01 46 06 49 24

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 21, 2018 7:21 PM
Scoop.it!

L’animateur théâtral de l’est parisien Guy Rétoré s’est éteint à 94 ans 

L’animateur théâtral de l’est parisien Guy Rétoré s’est éteint à 94 ans  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan -  21.12.2018

 


Le théâtre dans l’est parisien ne serait pas ce qu’il est sans Guy Rétoré. Décentralisant l’art dramatique dans ces quartiers populaires de Paris où il n’y avait rien, Rétoré et ses compagnons de route sont à l’origine de la création du TEP (Théâtre de l’Est Parisien) y drainant un public de fidèles, là même où aujourd’hui s’élève le Théâtre de la Colline. Mort d’un pionnier.

La prochaine fois que j’entrerai au Théâtre de la colline, en poussant la porte de verre, je saluerai la mémoire de Guy Rétoré qui vient de s’éteindre à 94 ans. Sans lui, sans cet animateur théâtral de l’est parisien, ce théâtre national n’existerait probablement pas. En tout cas, pas là.

Fils d’une famille paysanne solognote venue à Paris chercher du travail du côté de Charonne, ayant été à l’école rue des Pyrénées, bientôt épris de théâtre via le théâtre amateur de la SNCF (il s’y était fait engager pour échapper au STO), c’est vers un désert que Guy Rétoré dirigea son regard et son âme de pionnier: l’est de Paris.

De la Guilde au Théâtre de Ménilmontant

Passé les grands boulevards avec le triangle d’or que formaient les théâtres de la porte Saint Martin, de la Renaissance et le si beau théâtre de l’Ambigu (que Malraux laissa détruire), passé les petits théâtres du Xe comme le théâtre de Lancry où fut créé Les chaises de Ionesco, en montant vers Belleville on trouvait quelques cafés concerts ou de l’opérette, mais plus haut, du côté de Ménilmontant ou du père Lachaise, il n’y avait rien ou presque. C’est là que le jeune Rétoré s’installa, dans ce quartier populaire, fondant sa compagnie, La Guilde en 1950 sur le socle d’un passé de théâtre amateur, entraînant avec lui une vingtaine d’acteurs qui firent les beaux soirs d’une salle de patronage.

L’aventure ne tarda pas à être remarquée. Vainqueur du Concours des jeunes compagnies en 1957, l’argent du prix permet à Rétoré d’aménager une salle paroissiale rue du Retrait qui devient le Théâtre de Ménilmontant

Pour Rétoré, le théâtre avait d’abord une fonction sociale, il devait s’inscrire dans le paysage et dans la durée, prônant un théâtre de « service public » dans le sillage de Jean Vilar. A ses yeux, les œuvres étaient d’abord des moments de partage, de rencontres, de discussions. L’esthétique venait après. « L’important dans le Guernica de Picasso, disait-il, ce n’est pas la peinture, c’est la dénonciation du crime, de la dictature, de la cruauté. Ce n’est pas qu’une œuvre d’art, une réjouissance de l’esprit. Elle exprime une foi, une révolte, elle devient ma vie ».

Même si, une année , il reçut le prix du concours des jeunes compagnies, Rétoré ne marqua pas fortement l’histoire de la mise en scène. Mais, écrivant une belle page page de la décentralisation dramatique au sein même de la capitale, il forma un public, contribua à faire découvrir des auteurs comme John Arden ou Peter Hacks, Denise Bonal ou Daniel Besnehard, tout en montant Shakespeare ou Brecht, ou en signant en 1968, la mise en scène de cette très belle pièce d’Armand Gatti qu’est Les Treize soleils de la rue Sainte Blaise.

Du TEP au Théâtre de la Colline

En 1963, la Guilde avait fait place au TEP, le Théâtre de l’Est Parisien, installé dans un ancien cinéma de la rue Malte brun. Le TEP devient Centre Dramatique National trois ans plus tard puis, en 1972, reçoit le statut de Théâtre National. Rétoré et son équipe multiplient les actions dans les écoles, les entreprises, travaillent avec de nombreuses associations. Tout en ouvrant le théâtre à bien des artistes tel l’auteur et metteur en scène turc Mehmet Ulussoy qui y créa son chef d’œuvre Le Nuage amoureux. En 1974, une seconde salle, le petit TEP (aménagée dans une ancienne laverie automatique), ouvre la voie à bien des expériences. C’est sur cette scène que Jacques Lassalle crée Travail à domicile de F.X. Kroetz, spectacle déterminant pour la suite de son itinéraire.

Vissé à son quartier comme à un rocher, Guy Rétoré laisse une trace durable dans l’est parisien d’où venaient la plupart de ses spectateurs. Son meilleur spectacle, ce fut son public. Fidèle, fier. Quand le Ministère de la culture décida de construire Le théâtre de la Colline en lieu et places du grand et du petit TEP, Rétoré déplaça le TEP un peu plus haut, rue Gambetta. Quand le même ministère mit fin à ses fonctions en 2002 pour y nommer une artiste d’une plus jeune génération, soutenu par « son » public il batailla un peu puis s’en alla prendre sa retraite en Sologne, berceau de sa famille.

Curieuse coïncidence, deux jours après la mort de Guy Rétoré, l’église, propriétaire des murs, décidait de fermer le lieu de ses débuts, le théâtre de Ménilmontant...

 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 21, 2018 8:29 AM
Scoop.it!

Retour à Reims mis en scène par Thomas Ostermeier - Théâtre de la Ville - Espace Pierre Cardin

Retour à Reims mis en scène par Thomas Ostermeier - Théâtre de la Ville - Espace Pierre Cardin | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat dans La Terrasse Publié le 19 décembre 2018 - N° 272 


Au sein d’un studio technique, une comédienne – interprétée par Irène Jacob – enregistre la voix off d’un documentaire cinématographique réalisé à partir d’un essai de sociologie… C’est Retour à Reims, adaptation théâtrale d’un ouvrage* de Didier Eribon créée par le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier.



Retour à Reims explore différentes réflexions liées à la sociologie, à la politique, à l’orientation sexuelle… Quelle dimension de cet essai souhaitez-vous particulièrement éclairer à travers votre adaptation théâtrale ?

Thomas Ostermeier : Je crois que l’objet principal de Retour à Reims est d’analyser la relation qui peut être établie entre l’échec de la gauche à incarner un espoir pour les classes populaires et la montée des mouvements politiques d’extrême droite. C’est cet axe principal que j’ai suivi dans mon travail. Au sein de son essai, Didier Eribon procède à une analyse très personnelle, puisqu’il revient sur sa propre histoire en mettant en perspective l’engagement de son défunt père pour le Parti Communiste et le fait qu’une grande partie de sa famille vote aujourd’hui pour le Rassemblement National.

Quel prisme théâtral avez-vous imaginé pour donner corps à cette analyse ?

T.O. : Il m’a semblé important de rendre compte, concrètement, de la dimension autobiographique du livre de Didier Eribon. Pour cela, mon équipe et moi avons réalisé un film documentaire. Nous sommes allés à Reims avec lui, chez sa mère, dans sa cuisine, mais aussi dans certaines rues de Paris. Ensuite, mon idée a été d’imaginer une représentation théâtrale qui ouvre sur le travail d’une comédienne enregistrant le commentaire en voix off de ce film documentaire, sous la direction du réalisateur de ce film. La dimension cinématographique du spectacle prend en charge les différentes composantes de Retour à Reims: bien sûr les réflexions et les analyses de Didier Eribon, mais aussi son amour pour l’art, pour l’opéra, des choses de sa vie intime comme la découverte de son homosexualité à l’adolescence… Tout cela est traité non seulement par les images du film, mais aussi par le texte enregistré par la comédienne, qui est le texte original du livre.
« L’objet principal de Retour à Reims est d’analyser la relation qui peut être établie entre l’échec de la gauche à incarner un espoir pour les classes populaires et la montée des mouvements politiques d’extrême droite. »

Vous avez conféré à la présence de cette comédienne une double fonction

T.O. : Oui, car parallèlement au texte qu’elle est chargée de dire, elle met en question les choix opérés par le réalisateur du film : pourquoi il a choisi de couper à tel endroit, pourquoi il a choisi de montrer telle chose plutôt qu’une autre… Ce qui finalement donne naissance à une discussion sur l’engagement en art, que ce soit au cinéma ou au théâtre, une discussion sur les possibilités d’intervention et d’action des artistes dans le monde contemporain. Deux points de vue différents en ressortent : celui du réalisateur et celui de la comédienne.

Comme Didier Eribon, vous êtes issu d’un milieu populaire. Avez-vous l’impression, à travers la dimension biographique de Retour à Reims, de mettre une part de votre intimité et de votre propre histoire personnelle dans ce spectacle

T.O. : Oui, tout à fait. Mais finalement, même si c’était sans doute moins visible, cette part de mon histoire personnelle, cette ouverture sur mes origines était également présente dans mes premiers spectacles. Par exemple, dans Shopping and Fucking, dans Disco Pigs, dans Catégorie 3.1… Mais on pourrait aussi dire, plus récemment, dans mes différentes mises en scène des pièces d’Ibsen, qui parlent toutes d’une certaine façon de l’angoisse de déclassement que peut ressentir la bourgeoisie, de sa peur de descendre l’échelle sociale et de se retrouver dans une situation de précarité. Cette peur n’a cessé de s’accroitre durant les dernières décennies, ce qui n’est pas sans lien, je crois, avec l’instauration du système néolibéral, du capitalisme sauvage dans lequel nous vivons.

Quelle analyse faites-vous, vous-même, de la montée des populismes et de l’extrême-droite en Europe

T.O. : Comme Didier Eribon, je pense que la gauche sociale-démocrate a oublié sa mission historique, qui était de s’occuper des gens qui vivent dans la précarité, pour mettre en place des lois néolibérales. Ce faisant, elle a perdu la confiance d’une grande partie du peuple, ce qui a je crois fortement contribué à l’émergence de la situation politique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

* Publié en 2009, aux Editions Fayard.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat




à 20h, le dimanche à 16h. Relâche les lundis ainsi que les 30 et 31 janvier. Durée de la représentation : 2h15. Tél. : 01 42 74 22 77. www.theatredelaville-paris.com



Egalement les 21 et 22 février 2019 à la Scène nationale d’Albi, les 28 février et 1er mars à la Maison de la Culture d’Amiens, du 6 au 8 mars à la Comédie de Reims, les 14 et 15 mars à la Scène nationale de Poitiers, du 21 au 23 mars à La Coursive - Scène nationale de La Rochelle, les 28 et 29 mars aux Scènes nationales de Belfort et de Montbéliard, du 5 au 7 avril dans le cadre de Programme Commun et du 28 mai au 15 juin au Théâtre Vidy-Lausanne, les 24 et 25 avril au TANDEM - Scène nationale de Douai, du 2 au 4 mai à Bonlieu - Scène nationale d’Annecy, du 14 au 16 mai à La Comédie de Clermont-Ferrand, les 22 et 23 mai à l’Apostrophe - Scène nationale de Cergy-pontoise et du Val d’Oise.

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 20, 2018 6:59 PM
Scoop.it!

«Kanata», ou le dialogue de sourds des cultures 

«Kanata», ou le dialogue de sourds des cultures  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 20.12.2018

 

Cristallisant le débat sur l’appropriation culturelle, la pièce de Robert Lepage avec les comédiens d’Ariane Mnouchkine a finalement éclos à la Cartoucherie de Vincennes, sans éteindre la controverse.

L’actrice iranienne Shaghayegh Beheshti. Photo Michèle Laurent
«Il faut une autorisation, maintenant, pour exprimer sa solidarité et sa compassion ? Il faut être juif pour peindre un Juif, un Noir pour peindre un Noir ?» Sur le plateau du Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, le personnage de Miranda, peintre française installée à Vancouver, est atterré. Elle voulait monter une exposition de portraits de femmes autochtones, faire circuler les visages de ces nombreuses disparues, au centre d’un fait divers réel. Mais la jeune artiste aurait certainement dû préalablement demander l’accord des familles, puisque la voici désormais accusée de récupérer la souffrance indigène pour son propre prestige. Elle entendait «parler pour», et non «à la place de». Elle offrait un hommage, on lui renvoie son «pillage». «On nous a volé nos terres, nos enfants, on ne va pas nous voler nos larmes», rétorque sur scène une femme autochtone, introduisant ainsi, aux trois quarts de Kanata, la mise en abyme d’une polémique transatlantique dont la pièce est l’objet depuis juillet dernier.

Polarisation
En effet, ce soupçon de «soft-colonialisme», cet anathème jeté sur Miranda dans la fiction, est aussi celui qui frappe les créateurs de Kanata. Envisagé comme une fresque retraçant l’histoire récente des Premières Nations, le spectacle n’intègre aucun membre des communautés autochtones dont il conte l’histoire, ni au scénario, ni dans la distribution. Si bien qu’on pouvait lire dans une lettre ouverte publiée en juillet dernier dans le quotidien canadien le Devoir : «L’un des grands problèmes que nous avons au Canada, c’est d’arriver à nous faire respecter au quotidien par la majorité. […] Notre invisibilité dans l’espace public, sur la scène, ne nous aide pas. Peut-être sommes-nous saturés d’entendre les autres raconter notre histoire. Nous ne sommes pas invisibles et nous ne nous tairons pas», dénonçait un collectif d’une vingtaine de personnalités issues des minorités autochtones, déclenchant une tempête médiatique dont le retentissement a convaincu un financeur nord-américain de retirer son soutien à la pièce, provoquant son annulation au Canada. Que le metteur en scène québécois Robert Lepage soit un des rares artistes à défendre le sort des autochtones n’y a rien fait. Pas plus que la mission clairement justicière et émancipatrice de son projet. Il en faut plus, désormais, selon les détracteurs, pour se prémunir de toute «appropriation culturelle» - outil conceptuel autant qu’arme militante né dans le sillage des post-colonial studies dans les années 80 et qui désigne la récupération par une culture dite «dominante» d’éléments appartenant à une culture minoritaire.

Cette polarisation entre oppresseurs et oppressés a pu faire pouffer de consternation qui connaît un peu la nature du casting de Kanata, puisque Robert Lepage n’a pas sciemment invisibilisé les acteurs autochtones au profit de comédiens descendants ostensiblement d’ancêtres «colonisateurs» (qui, selon une fâcheuse idéologie, seraient donc illégitimes à jouer), mais a travaillé avec la troupe du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, connue pour son idéal humaniste, réunissant des artistes de vingt-six pays, des Afghans, des Iraniens, des Irakiens, des Syriens - quelques-uns réfugiés, d’autres ayant choisi l’exil -, une équipe connue pour voyager de par le monde en collaborant souvent avec les artistes rencontrés sur place. Pas la cible idéale, donc.

A LIRE AUSSI
«Kanata» : un projet desservi par son écriture

L’argument du cosmopolitisme de la troupe de Mnouchkine a en tout cas donné de la voix aux gardiens de l’universalisme, outrés de voir ainsi peser sur la distribution d’une pièce des injonctions identitaires, déplorant, selon les termes de Mathieu Bock-Côté, sociologue québécois invité cet été de France Culture, le «recloisonnement culturel» et «l’exportation de l’idéologie racialiste d’extrême gauche très présent dans les universités américaines». Aujourd’hui que la pièce a pu finalement voir le jour en France, ovationnée dans le cadre du Festival d’Automne à Paris en dépit de quelques huées le premier soir, l’actrice iranienne Shaghayegh Beheshti, qui joue un des rôles d’autochtones, commente : «A aucun moment les revendications de ces minorités ne m’ont déplacée : c’est le principe même de l’acteur que de "parler à la place des autres" ! Ce qui est déplacé, c’est de faire un tel scandale sans même connaître la troupe ni le projet. En même temps, ça témoigne d’une grande souffrance…» Comme l’ensemble de la troupe du Soleil, elle dit néanmoins avoir lu avec attention une autre lettre ouverte du même collectif, publiée samedi dernier à nouveau dans le Devoir, à l’adresse des comédiens de Kanata : «Nous savons tout l’investissement humain que vous avez mis pour raconter nos histoires. Nous sommes honorés par cette intention et saluons votre travail. Nous aurions tant aimé faire ce chemin en votre compagnie, pour pouvoir enrichir nos processus créatifs respectifs de manière à créer une réelle collaboration artistique et humaine.»

Réciproque
Deux des signataires de cette lettre, Maya Cousineau-Mollen et Kim O’Bomsawin, étaient accueillies en France pour assister à la première de Kanata, à l’invitation du collectif Décoloniser les Arts qui organisait ce lundi une rencontre avec elles (à laquelle n’était pas conviée l’équipe du spectacle). Déçues par une pièce dont elles condamnent «les clichés», les deux artistes autochtones se désolaient également que le Théâtre du Soleil ait plaidé par communiqué son droit à la créer. «Ce n’est pas une question de justice, c’est une question de morale !» A l’issue de la soirée, la politologue Françoise Vergès, membre du collectif, tenait à repréciser : «Nous n’avons jamais demandé l’annulation ou la censure, que ce soit clair.» Plutôt un débat éthique élargi sur la quasi-absence des minorités visibles dans le milieu des arts. On rêverait bien sûr que, s’agissant du théâtre, soit défendu l’idéal du «tout le monde peut jouer tout le monde» plutôt que celui de Bernard-Marie Koltès, lequel - en opposition à Patrice Chéreau - exigeait que seuls des Noirs et des Arabes puissent jouer des Noirs et des Arabes. Seulement la réciproque - seuls des Blancs dans les rôles de Blancs - est tout aussi inquiétante et plus répandue, a fortiori en France où la couleur de peau est dramaturgiquement neutre (colorblind, disent les Anglo-saxons) de préférence lorsqu’on est Blanc (sinon pourquoi a t-on accueilli, cette année encore, comme un incroyable événement le fait que l’acteur noir Adama Diop joue Macbeth dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig ?) Tant que ce déséquilibre flagrant ne gênera pas davantage les milieux artistiques, l’idéal universaliste de «circulation culturelle» sonnera comme une hypocrisie, laquelle n’est pas sans lien avec le genre d’attaques désordonnées et dommageables dont Kanata fut la victime.

Ève Beauvallet

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 20, 2018 5:55 PM
Scoop.it!

Nantes. Un danseur à la tête de la salle Vasse : Yvann Alexandre

Nantes. Un danseur à la tête de la salle Vasse : Yvann Alexandre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Magali Grandet dans Ouest-France 28.11.2018

 


En septembre 2019, le chorégraphe Yvann Alexandre va prendre la direction de cette salle municipale nantaise.

À Nantes, entre le boulevard Guist’hau et la place Canclaux, la salle Vasse ouvre ses portes au théâtre sous toutes ses formes, qu’il soit professionnel ou amateur. Des soirées cabarets, lectures et débats trouvent également leur place dans la programmation assurée, depuis 2008, par la compagnie Science 89 de Michel Valmer et Françoise Thyrion, mandatée par la Ville de Nantes. Le couple recevait à cette fin une somme de 75 000 à 80 000 €.

À partir de septembre 2019, ils devront laisser la place au chorégraphe Yvann Alexandre, que la ville de Nantes a choisi pour assurer la direction artistique de cette salle de 350 places. La transition se fera en douceur, certifie-t-on du côté de la Ville.

Yvann Alexandre est né à La Roche-sur-Yon, en Vendée, en 1976, il a créé sa propre compagnie en 1993.

Avec son arrivée, le calendrier de la salle Vasse s’enrichira « à hauteur de 20 à 30 % » de propositions dansées. Sur sa feuille de route, une priorité : entraîner un maximum d’amateurs dans sa ronde, notamment à travers des projets participatifs. Sa compagnie a l’habitude de travailler avec des scolaires. Cette année, elle s’associe à trois établissements du Maine-et-Loire. Yvann Alexandre intervient au Pont supérieur, pôle d’enseignement du spectacle vivant à Nantes. En janvier 2019, il partira en tournée au Canada avec sa création  Bleu .

En attendant, les réunions s’enchaînent pour peaufiner le nouveau projet de cette salle culturelle du centre-ville de Nantes.

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 17, 2018 6:50 AM
Scoop.it!

Robert Lepage : « Artistes, qu’avons-nous le droit de faire ? »

Robert Lepage : « Artistes, qu’avons-nous le droit de faire ? » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Brigitte Salino  dans le Monde 17/12/2018

 

Le Québécois, qui monte « Kanata » au Théâtre du Soleil, a été accusé d’« appropriation culturelle ». Il s’explique.


Répétitions de « Kanata », de Robert Lepage au Théâtre du Soleil, en novembre 2018, avec Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Martial Jacques et Saboor Sahak.


A l’invitation d’Ariane Mnouchkine, qui, pour la première fois dans l’histoire de son Théâtre du Soleil, à Paris, confie sa troupe à un autre metteur en scène qu’elle, le Québécois Robert Lepage s’est lancé, il y a deux ans, dans la préparation d’un spectacle sur l’histoire du Canada – sous le titre de Kanata, soit « village », le nom ancien du pays. En juillet, une tribune dans le quotidien de ­Montréal Le Devoir a mis le feu aux poudres en reprochant au metteur en scène l’absence d’acteurs autochtones.


Ariane Mnouchkine s’est rendue avec Robert Lepage à Québec, pour discuter avec des représentants de communautés des premières nations, sans parvenir à éteindre la controverse. Le spectacle, que Robert Lepage a pensé annuler, a finalement lieu, dans le cadre du Festival d’automne, mais seul le premier des trois épisodes prévus est présenté, depuis le 15 décembre, à la Cartoucherie de Vincennes. Avec, en toile de fond, la question de l’appropriation culturelle. Robert Lepage s’en explique.

 


« Kanata » porte en sous-titre : « Episode 1 ­ – La Controverse ». Pourquoi ?

Parce que, dans cet épisode, il y a une controverse qui fait écho à celle qu’Ariane Mnouchkine et moi avons dû affronter cet été. Mais ce n’est pas une réponse : elle était dans le projet du spectacle depuis le début du travail. Son point de départ repose sur une histoire terrible : au tournant des années 2000, dans l’Ouest canadien, un homme a tué quarante-neuf femmes, principalement des autochtones démunies qui vivaient dans la rue, droguées ou prostituées. Une peintre de Vancouver, qui n’est pas autochtone, a décidé de faire le portrait de ces femmes. Cela a suscité une énorme controverse, parce que des membres des communautés autochtones ont dit : « Nous n’avons pas eu le temps de faire notre deuil, l’enquête n’est pas terminée, et vous utilisez nos filles, nos femmes, nos mères pour acquérir un capital de sympathie. »


Ce n’était pas du tout dans l’intention de la peintre, qui de plus voulait vendre les portraits pour récolter de l’argent pour les centres de femmes à la rue. Son geste a été mal interprété, et depuis, le débat ne s’est pas éteint. Il pose une question qui m’intéresse depuis longtemps : en tant qu’artistes, qu’avons-nous le droit de dire ? De faire ? Peut-on parler, et comment parler d’une chose qui nous touche ? A partir de quel moment la question de l’appropriation culturelle devient-elle la continuation de la colonisation, ou au contraire, une façon d’universaliser une histoire ? Dès nos premiers échanges avec la troupe du Soleil, nous nous sommes dit qu’il fallait parler de ces questions, dont je ne pensais pas qu’elles allaient nous mettre au milieu d’une telle tempête.
Lire la tribune d’Eric Fassin : « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination »


Pourquoi cette tempête a-t-elle été si vive, d’après vous ?

Parce que la question de l’appropriation culturelle, qui est fondamentale aujourd’hui, et concerne tous les domaines artistiques, se pose au théâtre d’une manière particulièrement forte : elle se traduit dans la chair même, puisque les acteurs incarnent. Ceux qui se sont opposés au projet de Kanata ont malheureusement mal compris ce que l’on voulait faire. Ils ont interprété notre approche comme étant celle d’un emprunt à la vie des autochtones, alors que cet épisode 1 de Kanata ne parle pas de la réalité autochtone, ni directement de la femme qui a peint les portraits. Nous reprenons des éléments de l’histoire pour montrer, à travers un jeune couple d’artistes français qui s’installe à Vancouver, comment, à un moment donné, des Européens blancs croisent sur leur chemin la réalité autochtone.


Avez-vous rencontré des autochtones quand vous prépariez « Kanata » ?

Bien sûr. On a emmené la troupe du Soleil au Canada, d’abord au Québec, puis dans l’Ouest canadien, où on a rencontré des gens qui ont été chassés de leurs réserves et se retrouvent à Vancouver, dans la rue. Puis on est allés à Banff, en Alberta, où se trouve un centre consacré à la culture autochtone. On a fait des work­shops, on a recueilli des témoignages, on est aussi allés dans la nature, parce que la terre, pour les premières nations, ce n’est pas seulement celle qu’on leur a volée, c’est une continuité de leur être. On a vu des chamans et des chefs spirituels, et aussi des spécialistes des pensionnats autochtones qui représentent une page horrible de l’histoire canadienne : jusqu’en 1996, on y a mis les autochtones pour les « éduquer », et « tuer l’Indien dans l’Indien ».
 

Après coup, je pense que l’incompréhension vient du fait que des gens pensaient qu’on venait engager des acteurs autochtones. C’est vrai que c’est devenu la coutume au Canada. Et c’est idiot de ne pas le faire, parce qu’il y a plein de bons acteurs autochtones. Je comprends leur point de vue, « Nothing about us without us » (« rien sur nous sans nous »), parce que leur culture a été trop longtemps filtrée par une vision colonisatrice qui ne leur laissait aucune place. Mais pour Kanata, le contexte est différent : on est en France, je travaille avec les acteurs du Théâtre du Soleil, dont je sens que ce qui les intéresse le plus, dans l’histoire du Canada, c’est la question autochtone. Ils s’y identifient, parce que, sur les trente-deux acteurs de la troupe, vingt-quatre ne viennent pas de France, beaucoup ont vécu des histoires de déracinement.
Vous n’avez donc pas pensé que « Kanata » poserait des problèmes ici…

C’est peut-être un peu naïf, mais je me sentais autorisé à faire le spectacle, parce que j’ai souvent travaillé avec les communautés autochtones. J’aurais peut-être dû être plus prévoyant, parce que les communautés autochtones ne sont pas homogènes au Canada. J’admets mon erreur, et, après la polémique, qui nous a fait perdre le coproducteur principal, j’ai envisagé de renoncer. Ariane Mnouchkine a insisté pour que le spectacle se fasse. Et j’ai reçu une très belle lettre du porte-parole de deux grands chefs autochtones qui me disent : nous n’avons pas envie que le spectacle soit annulé, parce que nous pensons que vous êtes un agent du changement. Peu importe ce que vous allez faire. Même si vous ne travaillez pas, comme on aimerait, avec des acteurs autochtones, vous ferez avancer la cause plus que si vous renoncez. Il faut faire le spectacle.

Brigitte Salino

 

 

Liens :

Lire la critique de « Kanata » : A la Cartoucherie, un Canada malade de son passé colonial

 

Lire le récit : Malgré la polémique, Ariane Mnouchkine et Robert Lepage maintiennent leur spectacle « Kanata »

 

 

Lire le factuel : Robert Lepage annule « Kanata »

 

Lire le factuel : A Montréal, une pièce sur l’esclavage divise

 

Lire le portrait : Natasha Kanapé Fontaine, Innue et rien d’autre

 

Lire la tribune d’Eric Fassin : « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination »

 

Légende photo : Répétitions de « Kanata », de Robert Lepage au Théâtre du Soleil, en novembre 2018, avec Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Martial Jacques et Saboor Sahak. MICHÈLE LAURENT 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
December 16, 2018 5:29 PM
Scoop.it!

Natasha Kanapé Fontaine, Innue et rien d’autre

Natasha Kanapé Fontaine, Innue et rien d’autre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marc-Olivier Bherer publié dans Le Monde  16.12.2018

 

 

Membre d’un peuple autochtone  du Québec, la poète et actrice milite pour la reconnaissance culturelle  des Premières Nations canadiennes. Selon elle, les artistes amérindiens doivent être associés aux projets  qui s’inspirent de leur histoire.




« L’été a été très difficile », confesse Natasha Kanapé Fontaine, poète, actrice, peintre, militante – mais surtout et avant tout innue. « Pas inuite », souffle-t-elle, un peu ­lassée que l’on confonde les deux peuples. ­Innue et rien d’autre – pas même québécoise, même si elle habite Montréal et qu’elle est née en 1991 au Québec, dans la petite ville deBaie-Comeau, avant de grandir dans une communauté autochtone, à Pessamit. D’une voix calme et assurée, elle répète une vérité que beaucoup oublient : « Il est important de se dire Innu, parce que c’est une subversion de l’histoire : il y avait un projet qui consistait à nous effacer. »

Si l’été a été difficile, c’est parce qu’en juin et juillet s’est rejoué, sur le plan symbolique, le drame de la colonisation et de la relégation des Premières Nations. Une controverse a en effet mis le Québec en ébullition : Robert ­Lepage, un metteur en scène internationalement connu, a été accusé de se livrer, dans deux productions théâtrales, à une forme de pillage en s’appropriant l’histoire et la culture de peuples opprimés – les descendants d’esclaves et les peuples autochtones.

« Sentiment de déjà-vu »
La première production, la pièce Slav, devait être présentée aux mois de juin et de juillet au Festival international de jazz de Montréal. Cette « odyssée théâtrale à travers les chants traditionnels afro-américains » entendait ­rendre « hommage à la musique comme outil de résilience et d’émancipation ». Mais une ­tribune publiée dans un journal québécois, Le Devoir, a déclenché l’été survolté qu’a connu la province : dans ce texte, le rappeur et historien Webster s’indignait du fait que la distribution ne comptait que deux artistes noires. La pièce a rapidement été annulée – même si elle revient à l’affiche en janvier 2019.

Le 14 juillet, une nouvelle polémique enflammait le Québec : une tribune publiée dans Le Devoir visait cette fois Kanata, un spectacle consacré aux peuples premiers du Canada, créé par Robert Lepage. Dans ce texte, un ­collectif d’artistes autochtones regrettait qu’aucun artiste issu des Premières Nations ne fasse partie du casting. « Mme Mnouchkine ­[dont le Théâtre du Soleil produit le spectacle] a exploré nos territoires, elle n’a plus besoin de nos services. Exit ! Elle aime nos histoires, mais n’aime pas nos voix. Il nous semble que c’est une répétition de l’histoire et de tels agissements nous laissent un certain sentiment de déjà-vu. » Annulée au Québec, ­Kanata sera finalement présenté dans le théâtre d’Ariane Mnouchkine, à la Cartoucherie de Vincennes, du 15 décembre au 17 février.

Oppression historique
A la veille du lever du rideau parisien, Natasha Kanapé Fontaine semble ne pas savoir quelle attitude adopter. Elle ne veut pas relancer la bataille québécoise, mais ce débat la ­déchire. Au Québec, elle est un peu l’exception qui confirme la règle : peu d’artistes autochtones y jouissent d’une telle notoriété. Elle doit cette reconnaissance à sa participation à la très populaire série télé Unité 9, dans laquelle elle incarne une jeune criminelle d’origine autochtone. Ce rôle fut une chance pour cette jeune artiste qui, avant de l’accepter, traversait un moment difficile : usée par son engagement politique au sein du mouvement féministe autochtone Idle no More (« Jamais plus l’inaction »), elle avait basculé dans l’alcoolisme.

Aujourd’hui sobre, Natasha Kanapé Fontaine rappelle que l’addiction est un phénomène bien connu des peuples dépossédés. Et qu’elle n’oublie pas les blessures liées à son enfance et à l’oppression historique vécue par les ­Innus. Ecrit pendant son sevrage, son dernier recueil de poésie s’intitule d’ailleurs Nanimissuat. Ile-tonnerre (Mémoire d’encrier, 124 pages, 12 euros) : dans de nombreux mythes autochtones, ce bruit retentissant est associé à un apaisement. « J’ai voulu écouter mes ­orages intérieurs et j’y ai trouvé une libération », confie-t-elle.

Avant d’en venir à la poésie, cette jeune ­artiste a débuté par le slam et la peinture. Elle a choisi l’écriture pour montrer aux Québécois que, contrairement à un préjugé répandu, les peuples premiers parlent français – certaines des onze nations autochtones du Québec ­parlent l’anglais, ce qui ajoute à l’incompréhension avec la majorité francophone. Aujourd’hui, sa plume est essentiellement guidée par le désir de favoriser les retrouvailles entre les jeunes autochtones et leur culture.

L’attention à la reconstruction des « dominés » doit également prévaloir lorsque l’on aborde la question de la restitution des œuvres et des objets accaparés par les colonisateurs

Les artistes autochtones doivent, selon elle, être associés aux projets qui s’inspirent de leurs cultures, sans quoi ils risquent d’aggraver le traumatisme de ces communautés qui souffrent déjà de la perte de leurs territoires et de l’assimilation forcée. « L’échange et la rencontre entre peuples doivent être à la base du dialogue entre les cultures. Sinon on perpétue le rapport de force. » L’attention à la reconstruction des « dominés » doit également prévaloir lorsque l’on aborde la question de la restitution des œuvres et des objets accaparés par les colonisateurs. Amie de l’écrivain et chercheur sénégalais Felwine Sarr, auteur, avec Bénédicte Savoy, d’un rapport sur le patrimoine africain de l’Hexagone, Natasha Kanapé Fontaine ­estime que les artefacts provenant des peuples autochtones qui sont conservés en France ­depuis la colonisation de l’Amérique, au XVIe siècle, devraient être restitués afin de les aider à se reconstruire.

C’est armée de ce discours sur la guérison qu’elle a participé, à la fin du mois de juillet, à la rencontre entre Robert Lepage, Ariane Mnouchkine et une délégation d’environ 50 artistes et écrivains autochtones. Si les auteurs de la tribune publiée dans Le Devoir ne demandaient pas l’annulation du spectacle Kanata, cette position concernait, selon elle, une faible minorité des membres de la délégation. Natasha Kanapé Fontaine espérait, pour sa part, que les producteurs accepteraient de créer des espaces de discussion en marge de la pièce. « La discussion a duré près de cinq ­heures. Et j’ai été frappée par le manque d’écoute », regrette-t-elle.

Cette amertume s’explique peut-être par l’expérience négative que les autochtones ont des consultations. « Les compagnies minières et forestières, attirées par les ressources qui se trouvent sur notre territoire, font toutes des consultations pour nous convaincre de leur bienveillance, remarque Natasha Kanapé Fontaine – sans toutefois prêter au duo Mnouchkine-Lepage une pareille mauvaise foi. Ça ne débouche généralement sur rien et les projets vont de l’avant sans notre assentiment. » Natasha ­Kanapé Fontaine se réjouit cependant que, ­depuis l’été, de nouvelles collaborations entre artistes autochtones et québécois aient vu le jour et que ses confrères soient davantage présents à la télé, à la radio et sur scène. L’hiver sera peut-être plus doux que l’été.

Marc-Olivier Bherer

 

Illustration : JEAN-MARC PAU

No comment yet.