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Hervé Van der Meulen reprend à Asnières le « Rabelais » de Jean-Louis Barrault

Hervé Van der Meulen reprend à Asnières le « Rabelais » de Jean-Louis Barrault | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Didier Méreuze dans La Croix , le 19/12/2018 à 18h07


Un demi-siècle après sa création par Jean-Louis Barrault, Hervé Van der Meulen reprend son « Rabelais ». Une ode à la Dive bouteille.


1968. Le joli mois de mai arrive. La contestation bat son plein. Les ouvriers occupent les usines. Les étudiants, par qui tout a commencé, investissent l’Odéon-Théâtre de France. Débordé, Jean-Louis Barrault, le directeur des lieux, est impuissant. André Malraux, son ministre de tutelle qui l’avait nommé 9 ans auparavant, le « démissionne » sans un mot, sans une explication.

Prendre Rabelais dans sa totalité
Ce qui ne l’empêche pas de peaufiner une création qui lui tient depuis longtemps à cœur : l’adaptation de l’intégrale (ou presque) de l’œuvre de Rabelais. « Pour lui rester fidèle et en donner un portrait qui ait des chances de lui ressembler », expliquera-t-il, « il fallait que l’entreprise fût folle. Il fallait le prendre dans sa totalité. Il fallait extraire un spectacle de ses cinq livres, de ses lettres, de ses « pronostications »… de son œuvre en entier. ». Un projet fou, une aventure insensée ! Le titre est déjà tout un programme : « Jeu dramatique en deux parties, tiré des cinq livres de François Rabelais »

À l’origine, il devait être présenté à l’Odéon. Il n’en est évidemment plus question. À sa place, Barrault trouve un ancien caf’conc’, devenu haut lieu de la boxe, du catch et du strip-tease, dans le XVIIIe arrondissement – l’Elysée-Montmartre. Il y demeurera treize mois, du 13 décembre 1968 au 17 janvier 1970. Treize mois d’un théâtre de foire et de tréteaux, baroque, allègre, insolent, exubérant, tout en verve sous l’effet d’un verbe et d’une langue libres, soutenus par la partition de Michel Polnareff, qui signe la musique pour piano, guitare, trompette…

L’humanisme des grandes promesses
Près de trois heures durant, le plateau du vieil Odéon va vibrer au rythme des rêves, des espoirs, des illusions qui secouent la France d’alors, avec le sentiment d’aborder – enfin ! – les terres de grandes promesses aux lendemains qui toujours chantent : amour, liberté, égalité, fraternité…

À l’heure ou certains dénoncent la chienlit, Barrault, lui, répond par humanisme… Il a raison. Rarement, la scène aura été à une telle fête. Rarement s’y seront exprimés, avec une telle force, une telle obstination frondeuse, la générosité et le bonheur vital d’être. Rarement, au fil d’une langue superbement magnifiée, elle n’aura été, par de-là les mots et le verbe, le haut lieu des délices et des délires, ramenant aux origines et à l’enfance, dans le brassage de toutes les connaissances, toutes les disciplines « rabelaisiennes » – grammaire, médecine, poésie, philosophie, astronomie…

Une reprise bienvenue
Bizarrement, pour avoir connu un immense succès, ce « Rabelais » ne sera jamais repris. C’est tout l’honneur et l’intelligence d’Hervé Van der Meulen de le sortir de l’oubli, non pas sous la forme d’un rappel nostalgique de ce qui a été et ne sera plus, mais avec le même désir de remise en cause des valeurs et vérités admises, hier comme aujourd’hui.

Réunissant une vingtaine d’acteurs, pour la plupart issus de ses cours (6 femmes et 13 hommes), sa mise en scène s’appuie sur leur complicité, tous âges, toutes générations confondues – vieux briscards ou nouveaux venus. Rompus à tous les styles, ils sont magnifiques, comédiens, chanteurs, danseurs, musiciens en solo ou en chœur. Virant même vers la comédie musicale – la partition originale est de Marc-Olivier Dupin. L’ensemble est construit en deux parties – de la naissance de Gargantua à celle de Pantagruel, des malheurs de Panurge au miracle de la « Dive bouteille ».

Comment, très vite, ne pas se laisser prendre par cette humeur à la fois studieuse et ludique, ces jeux gaillards et portés par un vent permanent d’énergie contagieuse ? Dans une atmosphère d’agitation fantasque, c’est l’esprit nouveau de la Renaissance qui souffle, emportant, dans un même tourbillon, conte et fabliau. Le mouvement est sans repos, au point que l’on s’y perd parfois, mais sans jamais s’en plaindre, tant se font jour, par à-coups, l’appel à un monde nouveau qui ne serait que d’entraide.

Sans compter que, ponctué de conseils pour bien, dans les « règles de l’art », « se torcher le cul », les images se font particulièrement poétiques et belles. Ici une course en hommes bateaux ; là des oiseaux chatoyants et somptueux, plumes et becs chamarrés, habitants de l’Île Sonnante. « Buvons la vie, est-il dit. À la Dive Bouteille !

Didier Méreuze

Légende photo : De gauche à droite :
Mathias Maréchal, Clémentine Billy, Délia Espinat-Dief, Constance Guiouillier, Valentin Fruitier, Agathe Vandame, Aksel Carrez, Loïc Carcassès, Inès Do Nascimento, Nicolas Le Bricquir, Etienne Bianco.
  / Miliana Bidault

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Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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Une famille française, une création de Marine Mane

Une famille française, une création de Marine Mane | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog de Mediapart - 19 mars 2025

 

 

Une famille ordinaire se retrouve du jour au lendemain confrontée à l'histoire géopolitique lorsque la cadette part faire le djihad en Syrie. Entre histoire intime et fait sociétal, Marine Mane conte l'histoire douloureuse de sa propre famille dans une pièce bouleversante qui joue sur les idées reçues, l'identité, le vrai et le faux, la mémoire et le deuil, et autorise un autre regard.

La scène est fermée par un imposant module en bois, façade intérieure ou extérieure, on ne sait pas trop, d’un pavillon familial dont la vie est rythmée par les repas pris dans la cuisine, autour de la table, lieu de la conversation, du rituel. C’est une famille ordinaire traversée par l’histoire ouvrière de l’Est de la France : un couple aux lointaines origines italiennes et ses deux filles. Après le repas, la mère et les filles débarrassent tandis que le père tente de contenir le module qui s‘est mis à avancer, inexorablement, avant de s’arrêter soudain, à temps pour ne pas écraser le père. Ce dernier installe alors la grande table dans ce qu’on imagine le jardin. Tous les quatre montent sur celle-ci, tenue par un seul pied en son centre, si bien qu’elle prend des allures de gigantesque balance d’autrefois. L’équilibre précaire qui les fait tous tenir va être rompu lorsque l’une des filles quitte la table et la scène. Allégorie de ce qui vient, ce déséquilibre parle du manque, que l’un ne va pas sans l’autre, d’une amputation familiale. Elles sont maintenant adultes lorsque Barbara, mariée et maman de quatre enfants, s’installe au Caire avec son mari. Ils se sont convertis ensemble à l’Islam quelques années auparavant. Ses parents et sa sœur communiquent avec elle par visioconférence. Si au début, tout semble très bien se passer, ces échanges vidéo vont, petit à petit, se brouiller, jusqu’à devenir inaudibles, invisibles, métaphore à la fois simple et tragique, pleine de pudeur, du basculement d’une famille française ordinaire dans l’histoire géopolitique du Moyen-Orient lorsqu’elle apprend que sa fille est partie faire le djihad en Syrie.

 

Le temps se distord au fur et à mesure de l’évènement, désormais central au point de cadencer leurs vies. Il y aura des flash-back aussi. Pour aller d’une date à une autre, la famille rejouera, dans une incroyable performance physique à la précision redoutable, les repas en accéléré. Cette course effrénée du temps ne ralentira pour redevenir normale que lorsque l’enquête menée par Marine livrera des informations suffisamment probantes ou risquées pour qu’elle en informe ses parents. Elle a choisi de leur montrer l’horreur dans les courtes vidéos qu’elle détient et qui circulent sur internet, comme pour les prévenir, les prémunir face aux gendarmes, aux voisins, les préparer, les préserver. Cela se passe presque toujours de la même façon, elle prévient par téléphone ses parents de ce qu’elle a trouvé, leur donne rendez-vous chez eux le samedi suivant, leur explique le plus simplement du monde la situation, parfois avec un remontant. Eux regardent les images, encaissent – c’est fou comme ils encaissent –, cherchent leurs mots. Ils apparaissent fragiles, comment ne pas l’être ? De mots, il n’y en a pas. Elle les prépare à leur éventuelle garde à vue, pour financement du terrorisme. Eux avaient juste envoyé quelques euros à leur fille. Elle leur apprend, au détour d’une vidéo montrant les deux ainés de leurs petits-enfants tuants, qu’il n’y aura plus de rapatriement possible, que même les enfants, les enfants de leurs enfants, ne seront pas sauvés. Le père posera plusieurs fois la question, comme s’il ne pouvait se résoudre à l’abandon d’enfants qui n’ont rien demandé, se sont retrouvés de force dans cette histoire qui les dépasse, entrainés par des parents enfermés dans leur croisade. Peut-on condamner les enfants-soldats ?  Sont-ils pleinement coupables des crimes qu’on leur impute ?

 

Larmes douces

 

La pièce « Et après on s’aime » s’ouvre avec la voix off d’un enregistrement téléphonique. Il s’agit du premier échange d’une jeune femme de vingt-et-un ans avec sa tante qu’elle connait à peine. Française, la jeune femme est incarcérée dans une prison en Turquie depuis qu’elle a traversé la frontière depuis la Syrie. Jugée, elle a été condamnée pour appartenance à un groupe terroriste. Cette jeune femme est la nièce de Marine Mane, la fille de sa sœur partie faire le djihad en Syrie. Elles ne se sont pas vues depuis 2013. La pièce qui vient va alors retracer les évènements et les mémoires portés par les protagonistes qui vont conduire à ce coup de fil. Une pièce à rebours en quelque sorte. « Je voulais écrire une pièce drôle sur cette histoire si sérieuse, et donc voilà, ça ne le sera pas tant que ça » explique Marine Mane, dans sa note d’intention. Elle fait le récit de « l’irruption dans ma famille de l’histoire géopolitique entre la France et le Moyen-Orient, mon parcours et celui de ma sœur partie faire le djihad en Syrie, notre correspondance qui s’arrête en 2017 brutalement, l’enquête que je mène pour savoir si elle morte ou vivante, les questions auxquelles nous n’aurons pas de réponses, les deuils que l’on ne peut pas faire sans les corps à enterrer, les informations, les médias, les faux profils et tout ça... ». Mais, la pièce est aussi une histoire fantasmée de l’immigration italienne, de la ZUP et des langues qui s’y côtoient, du chômage, de la violence, du milieu pauvre et ouvrier de l’Est de la France et de la petite bourgeoisie parisienne, du sentiment d’illégitimité qui parcourt les corps, de la classe sociale qu’on ne quitte jamais tout à fait. Finalement, la pièce est la rencontre improbable de ces deux mondes qui a pourtant eu lieu.

 

Le massif module en bois, façade parfois inquiétante de la maison familiale qui sera dévastée à la fin du spectacle mais néanmoins toujours là, debout, s’impose comme un personnage à part entière de la pièce. Il s’anime de l’actualité en faisant de ses parois les réceptacles d’une projection d’images médiatiques et d’images personnelles. Celles-ci se juxtaposent et vont se démultiplier sur différents supports comme l’écran d’un ordinateur ou celui d’un téléphone portable. Mais de ces vidéos-là, celles apportant les preuves aux parents, le public ne verra rien. Loin de tout voyeurisme, la pièce s’attache aux silences. Ils sont parfaitement éloquents ici. Marine Mane déjoue les pièges qui auraient pu l’entrainer du côté de la facilité et du pathos. Elle s’attache à dépeindre des scènes d’une déconcertante banalité, telle qu’elle les a vécues. Face à l’horreur, on imagine les cris, le chaos, les malaises. Il n’y a rien de tout cela ici. Juste une grande dignité, une pudeur qui force le respect. La pièce autorise un autre point de vue, un autre regard, sur ces familles endeuillées, généralement évoquées avec suspicion par les médias et la police, et par une islamophobie d’atmosphère tellement banalisée qu’elle en devient invisible. Elles sont forcément coupables des actes de leur enfant. Pourtant, ici, rien ne destinait cette famille ordinaire à vivre une aventure aussi funeste. Pas d’enfance malheureuse, pas de passé trouble, pas de maltraitance… Simplement de l’amour pour unique lien. Une sœur, une fille, restent une sœur, une fille, malgré tout. Il faudrait vraiment être dépourvu d’humanité pour ne pas comprendre cela.

 

À la tête de la compagnie In Vitro qu’elle l’a créée en 2012, Marine Mane, qui envisage le plateau comme un terrain de jeu, s’intéresse au pouvoir fictionnel du réel. Elle croise ici histoire intime et fait de société, pour mieux questionner, à travers la recomposition de la mémoire, l’identité. Entre réel et fiction, tragique et absurde, théâtre et danse, musique et vidéo, « Et après on s’aime », fait dialoguer les différentes disciplines artistiques avec pour seuls liants une immense poésie et beaucoup d’amour. Marine Mane inscrit ce vrai faux documentaire sur sa famille dans une réflexion sur les notions de « care », d’amour et de réconciliation, si bien que le spectacle aurait pu s’appeler : « De l’amour », tellement celui-ci est omniprésent. La voix off de la nièce au début du spectacle vient rappeler que l’histoire n’est pas encore finie. À l’heure actuelle, près de cent-vingt enfants français et une cinquantaine de mères vivent encore dans les camps du nord-est de la Syrie où sont détenues, sous la garde des forces kurdes, les familles des djihadistes de l’État islamique depuis la chute du « califat ». Avec cette mise à nu bouleversante et nécessaire, Marine Mane offre une autre histoire, courageuse, et fait voler en éclat les idées reçues. Sur l’imposant module qui sert de façade intérieure ou extérieure à la maison familiale, ces mots qui apparaissent soudain viennent rappeler où l’on se trouve : « Ceci n’est pas une fiction ».

 

« ET APRÈS ON S'AIME » - Mise en scène, conception & direction artistique Marine Mane, en collaboration avec les interprètes : Sophie Billon (danseuse), Clémence Dieny (danseuse), Franky Gogo (performer), Nicolas Barry (chorégraphe, danseur et auteur). Assistante à la mise en scène Anaïs Defay Conseil dramaturgique Elise Blaché Création sonore Camille Vitté. Lumières Gaspard Gauthier Scénographie Amélie Kiritze-Topor. Vidéo Clément Dupeux. Régisseur général Renaud Colonimos. Régisseur plateau et polyvalent Ryan Sauteur.  Production - Diffusion - Administration Orane Lindegaard et Philippe Naulot. Coproductions et partenaires Les Scènes du Jura, scène nationale, Le PALC, Pôle national cirque, Châlons-en- Champagne Grand Est ACT - Art en Coopérative Transfrontalière : Usine à Gaz à Nyon, les Scènes nationales de Bourg-en-Bresse et du Jura (Lons-le- Saunier/Dole), le Théâtre Am Stram Gram, centre international de création partenaire de l’enfance et la jeunesse à Genève (Suisse) et Château Rouge, scène conventionnée à Annemasse / Interreg France Suisse, programme cofinancé par l’Union européenne, Bords 2 Scènes, Scène de Musiques Actuelles et arts de la scène - Vitry-le- François, Théâtre Molière Sète - Scène Nationale Archipel de Thau.

 

Guillaume Lasserre / Un certain regard sur la culture

 

 

Du 10 au 11 mars 2025 (création), 

Scènes du Jura - Scène nationale
4, rue Jean Jaurès
39 000 Lons-le-Saunier

Le 3 juin 2025, 

Bords 2 scènes
4, rue Auguste Choisy
51 300 Vitry-le-François

 

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«Valentina» de Caroline Guiela Nguyen, langage d’amour 

«Valentina» de Caroline Guiela Nguyen, langage d’amour  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 4 juin 2025

 

 

Dans une nouvelle pièce poignante, la directrice du TNS tisse un conte autour du lien entre une mère malade et sa fille qui lui sert d’interprète, incarnées par deux formidables actrices amatrices.

 

Un autel transparent qui protège un cœur humain et battant, des néons, des grandes plaques en laitons qui à certains moments palpitent, des fleurs en tissu, du rose et une petite fille d’une dizaine d’années et sa mère (Angelina et Loredana Iancu), fabuleuses actrices amatrices qui n’avaient jamais mis un pied dans un théâtre auparavant, ni dans une salle ni sur scène, mère et fille dans la vie, et là, toute affaire cessante, une incise s’impose : aucun souvenir d’avoir déjà vu sur un plateau une actrice d’une dizaine d’années aussi précise, subtile, criante de vérité, et qui interprète le premier rôle. C’est le premier «miracle» de la pièce et il en dit long sur le travail de Caroline Guiela Nguyen avec ses acteurs et la confiance qu’elle a en eux. Chloé Catrin, qui interprète l’attentive directrice et le médecin qui n’a plus une seconde à elle, et surtout pas celui de se faire comprendre par sa patiente, est également formidable.

Mensonges et vrai «miracle»

Valentina, après l’ample Lacrima, est un petit format qui peut se balader partout, sur toutes les scènes, qui s’adresse à tous à partir de 12 ans. Un petit format, petite merveille, boîte magique à émotions qu’on n’a pas tant l’occasion d’éprouver, ni au théâtre ni ailleurs. C’est facile ? Ça tire vers le mélo ? Il y a de la musique ? C’est surtout fantastiquement intelligent : en choisissant la forme du conte pour narrer une histoire prélevée sur le monde tel qu’il va (mal), Caroline Guiela Nguyen construit un mille-feuille de malentendus, mauvaises interprétations ou traductions, dans lequel se niche une histoire d’amour entre une mère et son enfant qui entraîne un vrai «miracle», de ceux qu’on est toujours prêt à croire. Parlant d’amour, Valentina parle de parcours migratoire, et comment un enfant venu de loin se révèle traducteur, stratège et intercesseur entre plusieurs mondes, plusieurs pays, plusieurs cultures… Parlant de mensonge, la pièce retourne le stigmate, et invente le mensonge de type A, celui qui modifie «pour de vrai» le réel et sauve la vie. Il le fallait. L’illusion théâtrale fonctionne à plein.

 

 

C’est l’histoire banale et extraordinaire d’une petite fille et sa mère roumaines, arrivées en France sans parler un mot de français. La mère (Loredana Iancu) est malade du cœur – la voix off dit «maman», ce qui provoque un sursaut, puis on s’habitue, acceptant que la pièce, en français et roumain, à hauteur d’enfant, réveille celui que chaque spectateur a été. Valentina, à qui l’école apprend qu’elle est une «allophone», se familiarise au français à une vitesse remarquable. Après que sa mère a usé les rares possibilités d’interprètes lors de ses consultations médicales – une amie chère en Roumanie qui ne peut accepter de transmettre les mauvais pronostics du médecin, la traduction automatique délirante de l’application sur son téléphone –, elle se résout à faire appel à son enfant. En l’armant de ce mantra : «Traduis tous les mots, mais ne les imagine jamais.» Ou : répète ce qui est dit sans en comprendre le sens.

 

Nouvelles catastrophiques

Rapidement, l’enfant s’initie à tout un tas de termes compliqués comme «échocardiographie», «comorbidité», «anévrisme», «arythmie», et tant d’autres que la cardiologue énonce sans prendre garde à celle à qui elle parle. Mais un enfant peut-il avoir la responsabilité d’annoncer des nouvelles toujours plus catastrophiques à sa mère ? Et une mère peut-elle accepter de faire dire sa mort prochaine par son enfant ? Jour et nuit, Valentina porte le bip dont la sonnerie annoncera qu’un cœur est disponible. Il ne sonne jamais. Il lui faut inventer des mensonges pour expliquer à l’école pourquoi elle est si souvent absente. Feuilletés de mensonges, donc, dans cette pièce sur les interactions, où le spectateur se surprend à comprendre très bien le roumain.

C’est en creusant le réel, grâce au Centre des récits que Caroline Guiela Nguyen a fondé et où sont recueillies et enregistrées les histoires vraies des habitants, que la metteuse en scène, directrice du TNS, a développé sa fiction. Tout est imaginé sauf l’essentiel qui irrigue la pièce comme ce cœur qui bat dans l’autel : un sentiment brûlant de vérité.

Valentina de Caroline Guiela Nguyen, au théâtre de la Ville, les Abbesses (75018) jusqu’au 15 juin puis en tournée : du 16 septembre au 3 octobre au TNS (Strasbourg), du 8 au 12 octobre au théâtre des Célestins, du 16 au 19 octobre au théâtre de l’Union (Limoges)…

 

Anne Diatkine / Libération

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Vincent Garanger, l’acteur qui aime disparaître derrière les auteurs

Vincent Garanger, l’acteur qui aime disparaître derrière les auteurs | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde  -  2 juin 2025

 

Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, le comédien, qui excelle dans la représentation des grands textes, porte avec toute sa justesse l’adaptation du roman de Tanguy Viel, « Article 353 du code pénal ».

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/06/02/vincent-garanger-l-acteur-qui-aime-disparaitre-derriere-les-auteurs_6610212_3246.html

 

Vincent Garanger, diction au cordeau et physique râblé qu’il qualifie de « passe-partout », n’est pas un comédien ordinaire. Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, où se reprend le spectacle Article 353 du code pénal – d’après le roman de Tanguy Viel (Minuit, 2017), adapté et mis en scène par Emmanuel Noblet –, cet acteur, dont la discrétion est l’élégante armure, se dessaisit de lui-même pour habiter le corps d’un personnage de fiction. Il a 65 ans dans la vie, mais pourrait en avoir vingt de plus (ou de moins) tant il s’oublie pour entrer dans la peau et les mots de Kermeur, précaire parmi les précaires, assassin par désespoir et perdant magnifique d’un drame intime et social sur les gens de peu broyés par le cynisme des puissants.

Sur le plateau, on ne voit que lui. Et pour cause. Il s’y campe dans une solitude tragique, son dos courbé esquivant la bienveillance d’un juge (Emmanuel Noblet) qui recueille son récit sans presque l’interrompre. Une heure et quarante-deux minutes d’une confession où la langue qui se délie subjugue l’écoute. Une heure et quarante-deux minutes d’une bouleversante logorrhée tenue en laisse par l’exactitude de la profération. Si le spectateur a le temps d’observer les fissures qui lézardent le meurtrier au moment des aveux, il vérifie aussi la solidité de l’acteur qui l’incarne. Vincent Garanger est l’exemple même de ce que le théâtre public peut et sait fabriquer lorsqu’il vise et pratique l’excellence.

 
A la sortie d’une représentation, Tanguy Viel l’a félicité d’un compliment d’écrivain : « Moi qui ne visualise jamais mes personnages, maintenant, je sais qui est Kermeur. C’est toi. » Emmanuel Noblet renchérit : « Nous arrivons à la soixante-dixième représentation, et pas une seconde je ne m’ennuie. J’en ai les larmes aux yeux tellement il est à ce qu’il fait. »

Etat de vérité

Etre à ce qu’on fait : la méthode a l’air simple, mais combien y parviennent ? Pour accéder à cet état de vérité, ce fondu enchaîné de l’être et du paraître, ce ni trop ni trop peu qui tient l’équilibre entre l’artifice de la composition et le leurre du naturel, il a fallu des heures, des mois, des décennies de travail. Son parcours est, de ce point de vue, emblématique de la belle histoire d’un spectacle vivant cherchant sa légitimité dans la représentation des grands textes et son assise dans la proximité des publics.

En 1987, coopté par Roger Planchon pour jouer un petit rôle dans Georges Dandin, de Molière, le comédien connaît le Graal en guise de baptême du feu. Une tournée d’un an : « On se déplaçait à 50 ! », se souvient-il. Et des artistes qui, à l’époque, jouissaient du soutien protecteur de leurs tutelles politiques. « Lorsque j’en parle, j’ai l’impression d’évoquer la préhistoire », soupire celui qui sait sa dette pour la décentralisation et l’éducation nationale.

 

On ne dira jamais assez l’importance d’enseignants qui ont su faire surgir dans les écoles de campagne l’existence du théâtre et les promesses dont il regorge. Né en 1960 dans les Pays de la Loire, Vincent Garanger découvre les planches à 12 ans. En classe de 5e. Parce qu’un professeur de français passionné lui confie le rôle d’Argan dans Le Malade imaginaire, de Molière. Rien que de très banal dans cette initiation, que complétait, à sa manière, la diffusion hebdomadaire, le vendredi, de l’émission de télévision « Au théâtre ce soir ».

 

Sauf que Garanger, une fois contaminé par la scène, ne la lâche plus. « Après mon bac, en 1978, mon prof m’a emmené au Festival d’Avignon, où j’ai pu voir les quatre Molière montés par Antoine Vitez, ainsi que Michel Bouquet dans En attendant Godot, de Beckett. » Oubliés, les décors de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell du petit écran : le spectateur en herbe qui ne savait pas qu’on pouvait « faire du théâtre comme ça » vit un « ébahissement ».

Les chocs que provoque l’art sont de taille à changer le cours d’un destin. Pas simple, pour autant, de convaincre des parents inquiets. « Hors de question », lui rétorque son père, pourtant comédien amateur au temps de sa jeunesse. « J’ai fait du droit pour le rassurer, pendant que, clandestinement, je prenais des cours à la maison de la culture voisine. » Appel de la vocation ? Besoin de défier ses limites ? L’envie consciente et la nécessité inconsciente se bousculent chez celui qui, une fois le conservatoire d’Angers achevé, postule aux écoles nationales. « A 18 ans, je suis reçu à la Rue Blanche et pris au premier tour du Conservatoire. Ma vie change. Tout devient possible. »

 

 

Direction Paris. Le jeune homme solitaire et timide qui rasait les murs déploie ses ailes sous la vigilance du pédagogue Michel Bouquet. « Lorsque nous passions une scène, il nous demandait : combien de fois as-tu lu la pièce ? Quarante ? Ça ne suffit pas. Tant que tu ne l’as pas lue 1 500 fois, ce n’est pas la peine de monter sur le plateau. » Bouquet exagère. Mais à bon escient. Son exigence marquera au fer rouge des générations de disciples. « Pas un jour où je ne repense à son enseignement, affirme Garanger. Ce qui me reste de lui, c’est cet amour des auteurs. Nous, les acteurs, nous sommes des laborieux. Je ne me prends pas pour un artiste, mais pour un interprète. »

 

Lire la rencontre (2006) : Article réservé à nos abonnés Michel Bouquet : « C’est tout ce qui échappe à l’acteur qui fait le grand acteur »

Virtuose de la profération

Interprète : cinq définitions dans le Larousse. Du commentateur à l’exégète, en passant par l’intermédiaire, le porte-parole ou le traducteur, toutes coïncident avec la personnalité de ce perfectionniste qui s’enferme dans sa chambre pour apprendre ses pages et ne les lâche pas avant d’avoir compris « organiquement » la façon dont les phrases sont écrites. « Il peut tout faire, il ne triche pas, il est sans complaisance, commente Arthur Nauzyciel, qui, en 2012, le dirige dans La Mouette, de Tchekhov. Il se met au service du projet et du groupe. Mais il est aussi dans une quête intime de sens. C’est un être spirituel. »

Spirituel ? Le qualificatif déconcerte avant de livrer ses lumières. Et si la singularité de l’acteur, cette étonnante présence qui opère la synthèse entre le terrien et l’aérien, relevait d’un secret mysticisme. Et si ce virtuose de la profération, dont le fantasme est de « disparaître au profit des auteurs », devait l’étoffe de son jeu à la dimension sacrée du théâtre, « cette grande prière collective ». Lui qui attend de ce « métier si dérisoire » une sorte de « communion utopique » ne recherche pas la gloire mais la grâce. Plus il la frôle, plus il veut la revivre. Pour y parvenir, pas le choix : « Il faut tout désapprendre tout le temps », dit-il. L’humilité est un impératif. Et l’apanage de ceux, suggère Nauzyciel, qui « en ont sous le pied ».

Parce qu’il sait ce qu’il doit, à qui et à quoi, Vincent Garanger n’hésite pas à dire ses reconnaissances. Gratitude absolue pour la décentralisation et le théâtre public (« J’en suis le pur produit »), souvenirs heureux des dix années passées au Préau, théâtre de Vire (Calvados), un centre dramatique national qu’il codirige avec l’autrice Pauline Sales de 2009 à 2018. Joie d’y avoir invité Jean-Pierre Vincent, qui le met en scène dans le rôle-titre de Georges Dandin en 2018, l’un des derniers grands spectacles de l’artiste mort brutalement en 2020. « J’aimais cet homme », soupire l’interprète dont ce portrait serait incomplet s’il ne convoquait la figure d’Alain Françon, le metteur en scène qui a fait des écritures, classiques ou contemporaines, l’alpha et l’oméga de sa quête.

 
 

C’est en jouant pour lui dans Pièces de guerre, du dramaturge anglais Edward Bond, en 1994, que Garanger affronte les foudres du public mécontent du Festival d’Avignon. La violence dénoncée par l’auteur fait tache sous le soleil de Provence. Sur le trottoir, les gens s’invectivent. « Certains ont refusé d’entendre le message de Bond : inventez la justice et il n’y aura plus la guerre. » Le festivalier échauffé peut se montrer impitoyable. Mais pas au point de le faire douter : « Je vais le dire bêtement : cette rencontre avec l’œuvre de Bond, grâce à Alain Françon, est une charnière dans mon parcours. J’ai compris pourquoi je faisais du théâtre et pourquoi il était nécessaire de défendre les auteurs contemporains. Ce sont eux qui pensent et nomment le monde d’aujourd’hui. »

 

En 2023, lorsqu’il revient dans la cité des Papes, il assume, une fois de plus, de se faire le passeur d’un monde qui va mal, en portant entre les murs de la Cour d’honneur, la parole des déshérités. Welfare est adapté par Julie Deliquet du documentaire de Frederick Wiseman tourné en 1973. Pour cette plongée dans la pauvreté, la misère, la déchéance, la metteuse en scène a choisi son équipe avec soin. Elle salue en Vincent Garanger « un joueur, un bosseur et un endurant ». Et avoue que son « humanité poétique » la fascine.

 

 

 

Article 353 du code pénal, de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet. Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e, du 3 au 14 juin ; dans le « off » du Festival d’Avignon, au Théâtre 11, du 5 au 24 juillet.

 

Joëlle Gayot

---------------------- https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/01/25/avec-article-353-du-code-penal-emmanuel-noblet-met-en-scene-un-perdant-magnifique_6515839_3246.html

Avec « Article 353 du code pénal », Emmanuel Noblet met en scène un perdant magnifique

Au Théâtre du Rond-Point, le metteur en scène adapte le roman de Tanguy Viel, récit universel d’une existence écrite à l’encre de la malchance.

Par Joëlle Gayot

Publié le 25 janvier 2025 

Article réservé aux abonnés

 

Sauvetage in extremis d’un perdant magnifique au Théâtre du Rond-Point, à Paris. Comment le miracle a-t-il lieu ? Inutile d’en dire trop. Ce serait priver le public du trouble qui l’attend à l’issue d’Article 353 du code pénal, roman de Tanguy Viel (Minuit, 2017) qu’adapte et met en scène avec intelligence Emmanuel Noblet. Ce spectacle saisissant convoque, à peine terminé, l’envie de le revoir. Pourquoi ? Parce que si le récit de l’écrivain répare les blessures que la fatalité n’a cessé d’infliger à un homme, cette réparation, aussi jouissive soit-elle, pose problème tant elle repose sur l’arbitraire.

 

L’histoire est d’une simplicité trompeuse : Martial Kermeur a tué Antoine Lazenec. Il s’en explique devant un juge. Long déroulé d’une existence écrite à l’encre d’une malchance obstinée, une déveine si têtue qu’elle en devient ontologique. Père élevant seul son enfant, socialiste et chômeur, locataire d’une bicoque sur une île superbe située en rade de Brest, Martial Kermeur ne fait de mal à personne. Mais le malheur, d’où qu’il vienne, semble avoir décidé de lui coller à la peau. C’est ainsi qu’il oublie de jouer sa grille de loto la semaine où sortent ses numéros. Ainsi que sa femme le quitte. Ainsi qu’il se fie à un promoteur immobilier véreux qui lui extorque ses indemnités de licenciement pour l’achat d’un appartement resté à l’état de mirage. Ainsi que le fils, qui a voulu venger le père, croupit dans une prison.

 
Les fondations du chantier occupent la totalité de la scène. Un trou de terre dans l’herbe verte. Un tombeau en friche, où gisent les espoirs des hommes trop crédules. Ici, c’est un Breton sans malice. Ailleurs, partout dans le monde, ce sont d’autres braves types que l’existence malmène, comme si leur raison d’être était de subir, à l’infini, les coups du destin. Mais le destin n’a pas toujours le dernier mot. La preuve avec la rédemption, par la fiction, d’un héros coupable et victime à la fois.

Bloc d’humanité fissurée

En dressant ce portrait d’un perdant magnifique, Tanguy Viel touche à l’universel et surfe loin des écueils du misérabilisme. Son roman se tient dans un équilibre subtil entre la littérature, le documentaire et l’allégorie. Une prouesse que le comédien Vincent Garanger (auquel fait face Emmanuel Noblet dans le rôle du juge) ne trahit pas. L’acteur, courbé par le poids des épreuves, est impérial dans le rôle du meurtrier. A la lisière du naturalisme, dans un corps à corps d’une extrême loyauté avec le personnage, il prête sa voix aux mots du romancier en se coulant dans les sinuosités de son écriture. Il donne sa charge de vérité à un être de pure fiction. Il est un bloc d’humanité fissurée. Et un comédien net, qui sait tenir à distance le pathos.

 

Surplombant l’espace, trône un immense écran vidéo sur lequel surgissent de rares projections. La rade de Brest, le vent, les phares d’une voiture, la silhouette d’un homme qui titube. Autant de pupilles qui s’entrouvrent sur de brèves visions intérieures. Ces vidéos (pas la meilleure part du spectacle) ne donnent pas d’air. Elles forment le mur contre lequel bute l’imaginaire. Ce n’est pas d’elles que vient la délivrance. Mais du juge. Et d’une loi, qui n’est pas celle des dieux, mais des hommes. Tanguy Viel met les points sur les i : la justice a parlé, c’en est fini de la tragédie.

 

Article 353 du code pénal, d’après Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet. Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e. Jusqu’au 15 février. Theatredurondpoint.fr

Joëlle Gayot

 

Légende photo : Emmanuel Noblet et Vincent Garanger dans « Article 353 du code pénal », d’après le livre de Tanguy Viel, mise en scène d’Emmanuel Noblet, au Théâtre Durance, scène nationale, à Château-Arnoux-Saint-Auban (Alpes-de-Haute-Provence), le 15 octobre 2024. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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May 30, 7:19 AM
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Trust me for a while, conception et mise en scène de Yngvild Aspeli.

Trust me for a while, conception et mise en scène de Yngvild Aspeli. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Webthéâtre - 26 mai 2025

 

Zones d’ombres entre les êtres, tous manipulateurs ou marionnettes.

 

Yngvild Aspeli est actrice, metteuse en scène, plasticienne et marionnettiste, née en Norvège. Formée à l’École Internationale de Théâtre Jacques Lecoq à Paris, elle apprend le masque et le mime, la magie du mouvement et le travail du corps. Elle intègre l’École Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette (ESNAM) à Charleville-Mézières, inventant un récit multi sensoriel : « l’art de la marionnette, un regard, une langue, un état d’esprit ».

La créatrice vit ses spectacles comme une expérience physique, sensible et plastique. Convoquant au plateau masques, objets et marionnettes à taille humaine, elle offre une esthétique foisonnante jouant de la lumière, du son et de la vidéo. Avec Trust me for a while, elle « réduit l’échelle », redevenant d’abord marionnettiste, en testant la force de l’illusion avec des marionnettes ventriloques ou des mannequins dans une scénographie presque nue ».

 

Ses thèmes de prédilection sont l’observation de la « noirceur » de l’âme humaine, le combat contre les démons intérieurs et le basculement dans la folie. Elle se demande, à travers le personnage de la marionnette ventriloque, qui prend le pouvoir sur les acteurs-marionnettistes, qui de nous ou de nos mauvais génies contrôle notre vie ? La marionnette est un « support pour l’innommable », donnant « une forme à l’invisible, une voix à l’indescriptible. »

 

Sur la scène, un jeu facétieux de rideaux défraîchis qui sont des personnages-objets en soi, s’assemblant, puis l’un passant alternativement devant l’autre qui lui laisse l’avantage, surmontés chacun d’une étole dorée, façon cabaret désuet abandonné là depuis des années ou décennies. Et sur le plateau encore, la vieille malle en bois significative, propice aux tours de magie où l’on cache ce qui n’existe plus sur scène, disparu, anéanti, oublié.

Dans cet univers éclectique et pince-sans-rire, tant il a l’allure d’un divertissement suranné mais attachant, qui reste familier et drôle, Trust me for a while installe son évidence cocasse et sa signature scénique espiègle. Le public épouse la situation et écoute la chanson, « croyant » au spectacle.

 

Un duo de cabaret - boîte de nuit ou café-concert - dans lequel un marionnettiste Pedro Hermelin Vélez qui se présente à son public avec humilité tient dans ses bras une marionnette ventriloque, un mannequin auquel il accorde la vie, la parole et le mouvement, expliquant comment fonctionnent le battement des paupières de son effigie, la bouche qui s’ouvre et se ferme, comme décidé à révéler subterfuge et faux-semblant au public.

 

La marionnette est plus âgée - expérience de la vie et épreuves de l’existence - que le marionnettiste ; elle a le menton volontaire, le regard malicieux qui se moque du prétendu maître, et ne lui accorde ni foi ni amour.

 

Un duo digne d’un cabarets anglais, avec un couple qui se dispute puis se ré-accorde ou pas, le marionnettiste étant plus faible que sa créature. Jeu ou amusement, le chat est présent dans tout récit britannique ; ici, la bête malicieuse nargue le public depuis le haut de son rideau en jouant à cache-cache ; et les manipulateurs qu’on ne voit pas ont fort à faire, de l’autre côté.

 

Or, tout est malice, et les probabilités de choix des comportements sont nombreuses : le pantin n’en fait qu’à sa tête, déstabilisant toujours un peu plus son créateur - guide, conseiller ou animateur - qui perd le pouvoir et le contrôle de soi derrière un sourire de façade qui n’est que mensonge. Et le manipulateur portant la marionnette se laisse aller à ses pulsions violentes.

 

Clins d’oeil à la salle subjuguée par tant d’artifices, de machinerie et par l’effroi d’une telle humeur aléatoire qui peut basculer dans l’horreur car les intentions de chacun sont sourdement malveillantes. A la salle de décider de la dangerosité du sang versé ou de la menace sourde et tragique qui dérape.

 

Un spectacle de marionnettes énigmatiques au mystère savoureux - malice et humour noir.

 

Véronique Hotte -Webthéâtre

 

 

Du 23 au 25 mai 2025 à La Minoterie, Festival Théâtre en mai - Dijon. Les 27 et 28 mai 2025 - Le Mouffetard, Paris [dans le cadre de la BIAM]. Du 19 au 21 septembre 2025 - Festival Mondial du Théâtre de Marionnettes 2025 - Charleville-Mézières (Ardennes). Les 18 et 19 novembre 2025 - Le Sablier, Ifs. Le 21 novembre 2025 - Le Passage, Fécamp. Le 23 novembre 2025 - Marionnettissimo, Tournefeuille. Le 14 mars 2026 - Festival Marto, Montrouge. 

Crédit photo : Vincent Arbelet

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May 30, 3:42 AM
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Au théâtre de l’Odéon, une nouvelle saison qui sonne comme un manifeste 

Au théâtre de l’Odéon, une nouvelle saison qui sonne comme un manifeste  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure et Anne Diatkine dans Libération - le 27 mai 2025

 

 

 

Avec ses artistes variés et de tous horizons, l’institution parisienne, qui a présenté lundi 26 mai sa programmation 2025-2026 devant une salle archi comble, se veut cœur battant de la création européenne.

 

Un vent d’enthousiasme a secoué les vieilles colonnes du théâtre de l’Odéon, lundi 26 mai au soir, lors de la présentation de la première saison programmée par le metteur en scène Julien Gosselin devant une salle archi comble. Saison tranchante et aimantante, en rupture non pas avec celle de son prédécesseur, Stéphane Braunschweig, mais avec l’ensemble des anciennes directions. Et pourtant, il s’agit bien du théâtre de l’Europe, comme l’avait rêvé et imaginé le grand metteur en scène Giorgio Strehler en son temps, quand il avait été nommé par Jack Lang en 1983.

Face au public, une douzaine d’artistes assis le long d’une longue table comme une cène, éclairage et mise en scène précis. Ces artistes viennent de partout, sont de tout genre, et parfois l’Odéon est déjà leur maison – on pense à Sylvain Creuzevault qui créera en novembre Pétrole de Pasolini (et sait nous en parler de telle manière qu’on va immédiatement acheter le dernier livre de l’auteur italien) mais aussi à «the Queen» Angélica Liddell qui revient pour le troisième volet de sa trilogie des funérailles, Vudú, à propos cette fois-ci de Blixen. «Ça ne va pas rigoler, ça va durer cinq heures et demie et c’est génial», prévient Gosselin, tout autant en verve pour présenter des artistes beaucoup moins connus tels Samira Elagoz et son Seek Bromance de quatre heures qui a changé, dit Gosselin, «ma manière de faire du théâtre», ou, autre promesse attirante, le suédois Markus Ohrn qui reprend Scenes From A Marriage d’après Ingmar Bergman. «En sortant de ma pièce, a lancé le metteur en scène, je veux que vous ayiez envie de faire l’amour ou de divorcer.»

Un art vivant et politique

Un public emballé donc face au projet de ne pas faire de l’Odéon un sanctuaire de l’excellence théâtrale momifiée ou «figée» (il ne l’était pas sous le magistère de Stéphane Braunschweig qui avait su montrer des metteurs et metteuses en scène d’une génération montante comme Gosselin lui-même ou Caroline Guiela Nguyen), mais le cœur battant de la création européenne «ouverte sur le monde entier» et tous azimuts.

 

Prendre le risque de se planter. Inviter des artistes qu’on connaît encore peu dans nos contrées souvent repérés dans le ô combien défricheur Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles. Refaire de l’Odéon, «celui de Mai 68, un endroit de débat de dissensus et de curiosité». Faire du théâtre surtout un art vivant et politique : les spectacles bien sûr (qui affronteront le viol, avec Cock, Cock… Who’s There ? de Samira Elagoz encore, ou l’inceste, avec Œdipe Roi d’Eddy D’aranjo…), mais aussi occuper les recoins, le moindre espace du théâtre, rouvrir le «petit-Odéon» avec Marie-José Malis (une petite salle longtemps dédiée aux lectures où passèrent Nathalie Sarraute, Koltès, Lagarce ou Heiner Müller), inventer un «Parlement des colères», imaginer des musées comme le «musée Duras» par exemple, où le public sera tout autant debout, assis, allongé.

Lieu de fête et de dissensus

Parmi les autres pièces programmées pour cette saison 2025-2026 qui suscitent l’intérêt : Honda Romance de Vimala Pons, la Luz de un lago d’El Conde de TorrefielThe Work de l’allemande Susanne Kennedy, un Hamlet d‘Ivo Van Hove, avec la troupe de la Comédie-Française, ou les deux pièces intimes d’un tout jeune auteur albanais, Mario Banushi, Goodbye Lindita et Mami, qu’on découvrira également à Avignon cet été. Et deux œuvres du maître des lieux lui-même, Julien Gosselin : le Passé et Musée Duras.

Ce qui frappe dans la présentation de saison concoctée avec la nouvelle programmatrice du théâtre, Eugénie Tesson, c’est non seulement la variété des artistes invités mais encore plus celle des formes, qui transforment le théâtre en manifeste, lieu de fête, lieu de dissensus. Parmi toutes les propositions, on note un cycle de rencontres autour des histoires du théâtre oublié («De quelle putain d’histoire du théâtre parle-t-on ?» – une citation de Liddell), celui du collectif Al Assifa, embarquant avec lui les ouvriers immigrés des années 1970, ou celui des autrices et metteuses en scène à l’époque classique. En préambule, Julien Gosselin nous avait prévenus : «J’espère de tout cœur que vous nous suivrez dans l’inconnu. Le grand théâtre, c’est celui qui modifie nos regards.»

 
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May 29, 3:21 AM
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A Dijon, pour le festival Théâtre en mai, les rideaux se sont levés sur le réel et l’illusion

A Dijon, pour le festival Théâtre en mai, les rideaux se sont levés sur le réel et l’illusion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot (Dijon, envoyée spéciale) dans Le Monde, le 27 mai 2025

 

Parmi les révélations de cette édition, qui se tient jusqu’au 1ᵉʳ juin, le spectacle « Pratique de la ceinture, O ventre », de Vanessa Amaral, récit entre intime et politique autour d’un ventre meurtri.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/27/a-dijon-pour-le-festival-theatre-en-mai-les-rideaux-se-sont-leves-sur-le-reel-et-l-illusion_6608826_3246.html

 

Au festival Théâtre en mai, à Dijon, les représentations se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant, sur les quatre spectacles vus lors du week-end d’ouverture, les 24 et 25 mai, aucun n’a fait l’économie du rideau de théâtre. Une toile mise à toutes les sauces et qui aura servi, selon les circonstances, de drap blanc d’hôpital (Pratique de la ceinture, O ventre, de Vanessa Amaral), de tombé de velours rose (Velvet, de Nathalie Béasse), de paravent monté sur châssis (Trust Me for a While, d’Yngvild Aspeli) ou d’écran pour scènes abstraites ou figuratives (La Nuit pour voir, de Quentin Vigier).

 

Plissé, tendu, élevé, effondré, surexposé ou escamoté, le rideau a donc été l’accessoire phare d’un théâtre qui a joué à cache-cache avec le réel et l’illusion. Un poncif ? Pas tant que ça. Après une journée marathonienne de représentations enchaînées au pas de charge, le public a pu mesurer le chemin abyssal qui sépare des esthétiques, tout en réalisant à quel point ces esthétiques dialoguent les unes avec les autres.

 
Du concret à l’onirique, du prosaïque à l’évocation, les gestes des artistes varient, mais leur désir est le même : entraîner le spectateur dans les filets de la fiction. A quoi s’ajoute ce supplément d’âme propre au rythme festivalier, qui crée des connexions entre des projets a priori étrangers. Théâtre en mai, édition 2025, aura, de ce point de vue, rempli son office. Chaque spectacle a semblé prolonger, à sa manière, ce que disait le précédent, tout en anticipant ce qu’allait raconter le suivant.

Bien sûr, il y a eu des trous d’air dans les intensités. Au-dessus du lot, le magistral Velvet, de Nathalie Béasse, a élevé le niveau à la hauteur des cintres d’où chutaient de longues étoffes. Du soyeux et du rêche, des drapés bucoliques, des dentelles antiques, un enchâssement de tissus à l’intérieur desquels se sont fondus et confondus l’animé et l’inanimé. Quelle différence entre un animal empaillé et un acteur statufié ? Aucune, à en juger par les effets d’hybridation déployés sur le plateau. Et ce de si subtile manière qu’on ne s’étonnait plus de voir une actrice se transformer en vase humain de velours rose. C’est que, au théâtre, les âmes circulent des êtres aux objets, et vice-versa.

 

Lire la critique (2025) | Article réservé à nos abonnés « Velvet », de Nathalie Béasse, une pièce taillée dans l’étoffe du théâtre
 

Premiers pas et valeurs sûres

La Norvégienne Yngvild Aspeli en sait quelque chose, elle qui travaille avec les marionnettes. Artiste associée au Théâtre Dijon Bourgogne, elle a proposé, avec Trust Me for a While, un spectacle qui inverse le cours des destinées. Un ventriloque manipulateur cannibalisé par sa marionnette laisse sa peau dans le combat avec sa créature rebelle. Souligné par les changements de taille et d’échelle des marionnettes, ce renversement des rôles a fait rire un peu. Et grincer des dents également : lorsque les pantins échappent au contrôle de l’humain, ils propagent de l’effroi. Cette représentation horrifique manquait cependant de la fluidité dont est coutumière cette artiste virtuose.

Virtuoses, certains créateurs ne l’étaient pas encore. Mais leurs premiers pas de metteur en scène, aux côtés des valeurs sûres, n’avaient pas de quoi faire rougir. Quentin Vigier, concepteur de La Nuit pour voir, a séduit à demi avec une immersion visuelle et sonore dans les pensées d’Anne Dufourmantelle. Les phrases de la psychanalyste, aussi intuitives soient-elles lorsqu’elles en appellent aux désordres des émotions, se sont perdues dans le déferlement des images. Une chambre de l’imagination peuplée de silhouettes fantomatiques : un DJ, une acrobate en vol dans les airs, une narratrice marchant pieds nus et, sur une toile tendue, la vision intermittente d’un adolescent songeur. Beaucoup de fondus enchaînés dont on ne voyait plus l’issue : vidéaste chevronné et doué (il travaille avec Séverine Chavrier, Julie Duclos ou Bruno Geslin), Quentin Vigier sait propulser ses intériorités dans l’écrin transfiguré de l’espace. Mais il lui manque encore la rigueur d’une écriture dramaturgique qui ne se diluerait pas dans le magma.

 
 

En bout de course, la révélation de Théâtre en mai aura été le spectacle le plus concret, prosaïque et réaliste du week-end d’ouverture. Avec Pratique de la ceinture, A ventre, Vanessa Amaral documente et défend un sujet inédit. L’histoire ne dit pas si cette autrice et metteuse en scène a vécu ce que vit son héroïne Amina (qu’elle incarne), mais elle sait de quoi elle parle lorsqu’elle explique ce qu’est un fibrome utérin. Explicite, parfois crue, ne reculant devant aucun détail (taches de sang, interminable examen gynécologique, éprouvante opération de l’utérus montrée en ombre chinoise), sa représentation se déroule dans la blancheur d’une chambre d’hôpital qui se peuple d’aides-soignants à bout de forces et de malades apeurés. Assumant tous les rôles (infirmiers, médecins, sœur, mère, frère de l’héroïne), des comédiens enfilent et désenfilent leurs costumes pour rejoindre l’artiste au centre du plateau.

 

 

Dans la droite ligne d’un Wajdi Mouawad, Vanessa Amaral élabore un récit qui fuse du présent au passé et de l’ici à l’ailleurs. Une fable étoilée qui se ramasse autour d’un ventre meurtri. Une femme noire sur deux est atteinte de fibrome utérin, rappelle-t-elle. Beaucoup de choses se disent dans ce spectacle, qui se déplie de l’intime au politique (l’état catastrophique des hôpitaux publics est montré du doigt). Beaucoup de vérités qui gagneraient en puissance si les acteurs montaient en gamme dans leur jeu. Cela viendra avec la pratique. Le rideau n’est pas près de se refermer sur le talent de Vanessa Amaral. Pas près de se replier non plus à Dijon, où il se lèvera encore sur d’autres salves de spectacles, le festival Théâtre en mai se poursuivant jusqu’au 1er juin.

 

 

Festival Théâtre en mai. Théâtre Dijon Bourgogne. Jusqu’au 1er juin.

En tournée : La Nuit pour voir, les 10 et 11 juin au Printemps des comédiens, à Montpellier ; Trust Me for a While, les 27 et 28 mai au Mouffetard-Centre national de la marionnette, à Paris 5e, dans le cadre de la Biennale Internationale des arts de la Marionnette ; du 19 au 21 septembre au Festival mondial des théâtres de marionnettes, à Charleville-Mézières.

 

 

Joëlle Gayot (Dijon, envoyée spéciale) / LE MONDE

Légende photo : « Pratique de la ceinture, O ventre », de Vanessa Amaral, à l’Atheneum, centre culturel de l’université Bourgogne Europe, à Dijon, le 23 mai 2025. VINCENT ARBELET

 

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May 22, 10:17 AM
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A Paris, «Wonnangatta» en bush un coin 

A Paris, «Wonnangatta» en bush un coin  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 21 mai 2025

 

 

 

Dans une énigmatique et belle pièce signée Angus Cerini, Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter jouent un fait divers des années 1910 dans le bush australien.

 
 

Mais qu’est-ce qu’il va bien inventer ? Le plateau sera-t-il recouvert d’une matière laquée et chantilly comme dans Quartett d’Heiner Müller crée il y a deux ans ? Sculpté de glaçons fondants tel l’hypnotique Und il y a dix ans, où des blocs cristallins fondaient goutte à goutte ou dégringolaient par bloc sur le corps de l’unique interprète, la cantatrice Natalie Dessay, qui faisait ses débuts de comédienne avec un texte pour le moins difficile ? Qu’est-ce que cet énigmatique Wonnangatta d’Angus Cerini, auteur australien encore peu défriché dans nos contrées ? Jacques Vincey, qui signe ou cosigne signe la plupart de ses scénographies, a le chic pour dénicher des textes encore inexplorés et transformer les différents lieux de représentation en malles à mille ressources, chausse-trape qu’on n’aurait pu imaginer.

 

 

Rien que le titre, donc, quatre syllabes qui désignent une bourgade dans le bush en Australie. En définitive peu importe quoi. Dramaturgie des grands espaces qui aurait pu être adaptée par Cimino ou Terrence Malick, se dit-on face aux deux acteurs, Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter, jambes arquées dans la posture iconique des cow-boys qui s’apprêtent à tirer. D’emblée, ils parlent avec les intonations des voix qui doublent les acteurs des vieux films de John Ford. Surprise : la scène est vide, comme tant d’autres plateaux aujourd’hui. Jacques Vincey, qui a quitté il y a deux ans la direction du théâtre Olympia, le centre dramatique national de Tours après dix ans inventifs et féconds, serait lui aussi obligé pour des raisons budgétaires de sacrifier à cette tendance lourde des plateaux français ? Pas tout à fait, s’apercevra-t-on au fil de la représentation, lorsque la scène si vide se révélera terre forée et bousculée comme les mots de Cerini, qui rocaille de la bouche d’un acteur à l’autre.

Gémellité amicale

Tout part d’un fait divers, qu’on nous promet très connu en Australie, mais qui a pu lui aussi être inventé. En 1917, un fermier est retrouvé mort dans cette région montagneuse et désertique. Les deux amis qui le retrouvent se promettent de résoudre l’énigme de ce décès qu’ils supposent criminel. Mais ils découvrent que l’homme qu’ils soupçonnent a lui aussi été tué. Dès lors, leur gémellité amicale cimentée par le projet commun et salvateur mute en guerre existentielle entre celui qui ne peut supporter la mort sans coupable et celui que l’obsession folle d’un criminel à tout prix étreint d’angoisse. La langue est âpre et répétitive comme une musique ou l’écho. Deux corps, une seule voix en dépit des différences. La pluie, les pas, le bruit des feuilles, et des cailloux : une densité sonore envahit l’espace, qui fait surgir la langue d’Angus Cerini dans sa matérialité. On sort du théâtre comme on émerge d’un long voyage ou d’une grotte.

 
Jusqu’au 24 mai aux Plateaux sauvages. Tournée en cours d’élaboration.

 

Légende photo : Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter sur la scène des Plateaux sauvages. (Christophe Raynaud de Lage)

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May 19, 2:26 PM
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Phinéas Gage, l'insaisissable. Un spectacle de Marie Piemontese et Florent Trochel

Phinéas Gage, l'insaisissable. Un spectacle de Marie Piemontese et Florent Trochel | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 18 mai 2025

 

Au Rond-Point, Marie Piemontese et Florent Trochel ont écrit et mettent en scène un récit-enquête qui, sous le titre de « Les Vies authentiques de Phinéas Gage », nous plongent dans un univers très particulier et séduisant.

 

Phineas Gage n’est pas un personnage de théâtre. Américain, il était né le 9 juillet 1923 et mourut le 21 mai 1860, à trente-six ans à peine. Il est connu aux Etats-Unis et dans le monde de la neurologie, comme un cas. Mais tout demeure peu avéré dans sa courte vie. L’unique fait certain est le terrible accident que ce jeune homme subit. En 1848, contremaitre sur un chantier de construction de chemin de fer, il doit faire sauter des rochers très résistants, sous la contrainte de ses supérieurs. Il était pour contourner cet obstacle, mais les donneurs d’ordre ne veulent que des lignes droites…

 

 

En manipulant de la poudre, en oubliant de prendre les justes précautions, il provoque une explosion. La barre à mine lui transperce le crâne. Il survit, diminué et, selon les observateurs de l’époque, avec un caractère très différent de celui qu’on lui connaissait.

 

On n’a pas envie de déflorer le spectacle. Original, elliptique, énigmatique, même, d’une certaine manière, il tient d’abord au récit d’une jeune femme qui porte le spectacle, libre et fluide.

Les personnages ont des désignations singulières : Shams El Karoui est « celle qui est comme une soeur », Yohanna Fuchs, « la présence surgie de l’accident », Eric Feldman, « lui », Philippe Frécon, « l’autre », et William Stoppa, « la voix du fameux Barnum ».

Sur un plateau qui apparaît difficilement lisible, mais donne de l’air, littéralement, on nous raconte une histoire, l’histoire d’un homme, d’une époque. Un destin. Des savants ont étudié le cas Gage. Son crâne. La trajectoire de la barre à mine. Les dégâts irréversibles. Les mystères : on n’est pas sûr du « barnum » dans lequel il fut engagé…

 

 

Marie Piemontese, que l’on connaît aussi par son parcours avec Joël Pommerait et Florent Trochel, n’en sont pas à leur premier travail. Ils se penchent sur des sujets forts et séduisants. Ils les saisissent d’une manière très particulière. On ne peut s’en détacher et si l’on ne comprend pas tout, ce n’est pas grave : cela n’enlève rien au bonheur théâtral.

 

 

On n’en dira pas plus dans ce cadre, crainte de corroder une proposition cohérente et forte. Et, en même temps, divertissante, émouvante, drôle parfois. On dit « bravo » et cela suffit : découvrir est consubstantiel à l’univers de Piemontese et Trochel; avec ces lumières et cette scénographie de Trochel lui-même, ce son, ce jeu du « live » et de l’enregistrement, des micros, très subtilement utilisés.

 

Armelle Héliot

 

Théâtre du Rond-Point, salle Jean-Tardieu, à 19h30 du mardi au vendredi, 18h30 le samedi, 15h30 le dimanche. Durée : 1h30. Jusqu’au 25 mai. Réservations au 01 44 95 98 21.

 

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May 16, 5:33 PM
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«The Brotherhood» de Carolina Bianchi, l’âme tranchante 

«The Brotherhood» de Carolina Bianchi, l’âme tranchante  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 12 mai 2025

 

Après avoir marqué le Festival d’Avignon en 2023 avec son «Bonne nuit Cendrillon», la performeuse présente à Bruxelles le deuxième volet fracassant de sa trilogie sur les violences sexuelles, s’attaquant cette fois à la dangereuse solidarité des hommes entre eux.

 

Et maintenant, on fait quoi ? On fait quoi de ce corps, malmené, abîmé, trahi, ou violé, mort et pourtant vivant ? On reste toute sa vie avec, on prend des douches de trois heures afin d’extirper ce qui n’est pas extirpable, ou on s’en arrange autrement ? Derrière un titre – The Brotherhood qu’on peut traduire par «la fraternité» – se nichent d’autres questions, comme celle, cruciale, de l’après : l’après pour la femme sédentée et violée dans son sommeil, ce qui complique ensuite pour longtemps ou toujours l’abandon que nécessite l’acte vital de dormir. Mais l’après également des œuvres dites «abîmées» et des artistes incriminés, parfois devant la justice, parfois pas, ce qui supposerait, explique l’artiste performeuse Carolina Bianchi, qu’à leur côté, il y ait donc des œuvres pures, dénuées de tout soupçon maléfique, lavées de toute négativité… Ou encore, «l’après» du théâtre et de son histoire, la manière dont elle a été construite, cette histoire, si longtemps constituée d’œuvres et de metteurs en scène, tous unis sous le bel emblème de «fraternité» et l’occultation des artistes femmes, qui fatalement, lorsqu’il s’agit du théâtre vivant, art éphémère et sans trace par excellence, tombe dans l’oubli, dès lors qu’elles ne sont pas relayées.

Immense sexe fuchsia

Carolina Bianchi avait fait sensation à Avignon en 2023 où le public français avait découvert son Bonne nuit Cendrillon, premier volet de la trilogie Cadela Forca (en français «salope du bourreau»). Durant la représentation, sans qu’elle puisse être réduite à cet unique geste, l’artiste buvait sous les yeux unanimement inquiets des spectateurs la drogue dite du violeur, que des criminels lui avaient fait boire une première fois, des années auparavant, à son insu avant de la violer. La performance, qui rejouait l’agression, avait laissé une forte empreinte dans la mémoire de quiconque y a assisté, médusé, sans trop savoir quoi faire, quoi penser, de ce corps complètement abandonné et rendu vulnérable.

Et maintenant on fait quoi ? On fait quoi de Nina dans la Mouette tuée en plein vol, et du viol de Lavinia dans Lucrèce ? On fait quoi de toutes ces représentations des violences sexuelles qui passaient crème jusqu’à une date récente et s’enorgueillissaient d’exciter le voyeurisme ? On fait quoi de tous ces grands metteurs en scène, soudainement préoccupés et tout à fait à la page, du haut de leur pouvoir, des méfaits de la «domination masculine» ? Qui se masturbe de mots devant quoi ? Quel geste ? Et Carolina Bianchi de brandir un immense sexe fuchsia qu’elle place entre ses jambes et masturbe avec force de cris, lors de la diffusion d’une archive radiophonique d’un grand maître particulièrement confus. Gêne. Gêne non pas de la scène de masturbation mais de sa mise en parallèle avec les propos de Kantor – puisque c’est de lui qu’il s’agit.

 

Monologue dense et protéiforme

Fracas sourd dans la salle archi bondée du KVS bol, à Bruxelles au Kunstenfestivaldesarts où le spectacle est présenté. Scène d’abord vide et décharnée au sens propre, Carolina Bianchi surgit à l’écran, mi Louise Brooks mi Anna Karina, au visage peu à peu déformé par la colère et la rage. Des hommes entreront plus tard sur le plateau, sept boys, qui lors d’une grande «cène» ingurgiteront ses mots, ses 500 pages de thèse déchiquetés devant une immense photo de l’actionnisme autrichien Hermann Nitsch, comble du trash et de la violence, homme aux jambes écartées et aux couilles déchiquetées, prise par celui qui abattait et torturait pour de vrai - des animaux - après-guerre, pour le besoin d’une photo. Le modèle nous regarde. Un modèle historique. Ce qu’il est devenu n’est pas dit. C’est peu dire que The Brotherhood, qu’on pourra voir en France au festival d’automne à la Villette et au Théâtre des Célestins de Lyon exige un temps de latence tout en ouvrant les écoutilles et antennes du public… Le monologue dense et protéiforme de trois heures quarante, produit un effroi. On voudrait revenir en arrière, faire des pauses, s’offrir des respirations, débroussailler, trier, classer, jeter tel passage, protester, réfléchir. Impossible. On avance avec Carolina Bianchi.

Brotherhood de et par Carolina Bianchi, jusqu’au 12 mai au Kunsterfestival à Bruxelles. Puis du 6 au 8 novembre Au Théâtre des Célestins, à Lyon ; au Maillon, Théâtre de Strasbourg du 13 au 15 novembre ; à La Villette, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris du 19 au 30 novembre, à La Comédie de Genève du 22 au 25 avril 2026…
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May 13, 5:27 PM
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Au Festival « off » d’Avignon, toujours plus de spectacles

Au Festival « off » d’Avignon, toujours plus de spectacles | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 12 mai 2025 

 

La manifestation, dont les dates coïncideront cette année avec celle du festival officiel, programme 1 724 spectacles dans 139 lieux.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/12/au-festival-off-d-avignon-toujours-plus-de-spectacles_6605516_3246.html

 

 

Le Festival « off » d’Avignon reste plus que jamais le plus grand marché du spectacle vivant en France. La 59e édition, qui se tiendra du 5 au 26 juillet, affiche des chiffres toujours aussi impressionnants. Avec, à son programme, 1 724 spectacles (contre 1 666 en 2024) donnés dans 139 lieux (qui regroupent 241 salles), ce vaste rendez-vous théâtral confirme, dans un contexte économique morose, qu’il reste un passage incontournable pour les compagnies à la recherche de visibilité et de dates de tournée. Au total, sur toute la durée du festival, 2,6 millions de billets seront mis en vente pour plus de 27 400 levers de rideau.

 

Cette année, pas de Jeux olympiques ni de dissolution de l’Assemblée nationale (sauf surprise de dernière minute) pour perturber le calendrier et la fréquentation de ce rendez-vous. Une fois n’est pas coutume, les dates du « off » et du festival officiel (longtemps appelé « in ») coïncident cet été, ce qui n’était pas arrivé depuis vingt-cinq ans. « Cet alignement, voulu par les collectivités locales, la préfecture, Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon, et par nous-mêmes, a vocation à être pérenne », souligne Harold David, coprésident de l’Avignon Festival et Compagnies (AF & C), association coordinatrice du « off ».

 

Sur les 1 724 spectacles d’ores et déjà inscrits, 490 sont des créations (contre 536 en 2024) et 181 des propositions pour le jeune public. Afin de mieux répondre à l’accueil des familles, un nouveau village, en plus du traditionnel village du « off », sera créé dans la cité des Papes. Appelé Tadamm et dédié aux enfants, il proposera, notamment, des ateliers de médiation et de pratique artistique.

Une billetterie « solidaire »

La répartition géographique des 1 170 compagnies françaises inscrites au festival témoigne, comme chaque année, d’une prépondérance de la région parisienne : plus de 38 % sont issues d’Ile-de-France, 19 % de la région Sud et 10 % d’Occitanie. Quant aux 170 compagnies étrangères, 35 % d’entre elles viennent de Belgique et 13 % de Suisse. Après Taïwan en 2024, l’« invité d’honneur » du « off » sera, cette année, le Brésil, avec la présence, notamment, de 11 compagnies venues de ce pays.

 

 

Lire l’enquête (en 2024) : Article réservé à nos abonnés Dans le « off », à Avignon, jouer quitte à perdre de l’argent
 

Autre nouveauté 2025, un point de vente Ticket’off sera installé dans le village du « off ». Proposée par l’AF & C, jusqu’à présent uniquement via une plateforme numérique, cette billetterie « solidaire » abonde, à hauteur de 95 centimes par place vendue, le fonds de professionnalisation créé en 2017 pour soutenir la jeune création. Doté, cette année, de 250 000 euros, il a permis d’aider plus de 200 artistes à participer au festival. Mais, largement concurrencé par l’achat direct auprès des théâtres et par des plateformes de billetterie privées, Ticket’off n’a représenté, en 2024, qu’un peu plus de 10 % de la globalité des ventes. Cette présence « physique » a pour objectif de mieux la faire connaître.

 
 

Enfin, dans cette jungle avignonnaise, un nouveau logo « Label’off » sera posé sur l’entrée de 36 théâtres qui ont obtenu une certification de bonnes pratiques professionnelles (dispositifs techniques et scéniques, conditions d’accueil du public et des compagnies, etc.). « Notre objectif est de certifier plus de 50 % des salles d’ici à la fin de l’année », annonce la direction de l’AF & C.

 

 

Sandrine Blanchard / Le Monde

 

 

Légende illustration :

L’affiche du Festival « off » d’Avignon 2025. FESTIVAL OFF AVIGNON
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May 12, 10:04 AM
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Nuit et sang rythment le « Makbeth » du Munstrum théâtre 

Nuit et sang rythment le « Makbeth » du Munstrum théâtre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 6 mai 2025

 

 

Dans  « Makbeth », le Munstrum théâtre fait un K et un casse de la pièce de Shakespeare « Macbeth en s’en tenant à l’essentiel : les meurtres nocturnes. Un spectacle sombre et saignant.

 

Dans l’indépassable Shakespeare notre contemporain, le Polonais Jan Kott écrit : « Le sang, dans Macbeth, n’est pas seulement une allégorie ; il est matériel, physique, il coule des corps massacrés. Il se dépose sur les visages et les mains, sur le stylets et les épées. Mais ce sang ne saurait être lavé, ni des mains, ni des visages, ni des stylets. Macbeth commence et s’achève par un carnage ». Il en va ainsi de bout en bout dans le Makbeth du Munstrum théâtre, adaptation librement échevelée de la pièce de Shakespeare. Dans son non moins indépassable ouvrage Le proche et le lointain consacré à Shakespeare et au théâtre élisabéthain, Richard Marienstras consacre onze pages à « l’image du sang » dans Macbeth.

 

 

Jan Kott poursuit : « Les scènes, pour la plupart, se déroulent pendant la nuit. A toutes les heures de la nuit : tard dans la soirée, à minuit et à la blême lueur de l’aube. La nuit est constamment présente, sans cesse et obstinément rappelée et appelée dans les métaphores (de la pièce) ». Et il en va ainsi aussi tout au long de Makbeth, masques et gags à l’appui. Entre la nuit et le sang il y a les meurtres, Kott y voit le thème premier de la pièce de Shakespeare, c’est aussi un thème récurrent du spectacle du Munstrum qui le retourne dans tous les sens. « L’histoire y est ramenée à sa forme la plus simple, à une seule image, à un seul partage : entre ceux qui tuent et ceux qui sont tués » poursuit Kott,  le premier de ces meurtres « par lequel commence l’histoire , est l’assassinat du roi. Ensuite, eh bien, il faut tuer ». » Dans Makbeth on tue à tour de bras. Du début à la fin. C’est du brutal et c’est un festival d’inventivités joyeuses.

 

 

Dès lors, les sorcières qui ouvraient le bal sont remisées en coulisses où elles tapent du pied. Dès lors la forêt ne marche plus toute seule puisqu’il n’y a plus d’arbres et que tout est noir, calciné, Lucas Samain signe le texte de de cette traduction-adaptation en collaboration avec Louis Arène qui signe la mise en scène. Arène est l’un deux fondateurs du Munstrum théâtre, l’autre c’est Lionel Lingelser. Les deux sont sur le plateau en compagnie de Sophie Botte Olivia Dalric et François Praud (présent.e. s depuis le début de l’aventure du Munstrum), Delphine Cottu (qui a rejoint la compagnie lors de l’inoubliable Clownstrum), Anthony Martine (nouvelle recrue) et Erwan Tarlet (qui a rejoint la compagnie en 2021). Ça dépote, ça déménage, ça n’arrête pas.

 

 

« Comment ne pas reconnaître dans l’ensauvagement des conflits mondiaux actuel l’escalade meurtrière du héros shakespearien ? » avance Louis Arène. En matière d’escalade meurtrière et sauvage, du premier ministre d’Israël au président de la Russie, on a le choix. Au théâtre, les morts se lèvent pour venir saluer et dans Makbeth ça se bouscule au portillon.

 

Spectatrices, les sorcières de la pièce s’inclinent devant la prestation du Munstrum. Tenues de rester en coulisses, en vieilles spécialistes de l’épouvante nocturne et des nerfs à vif, elles apprécient la performance.

 

Jean-Pierre Thibaudat / Balagan

 

 

Créé à Chateauvallon en février, le spectacle poursuit sa tournée au Théâtre Public de Montreuil jusqu’au 15 mai puis les 22 et 23 mai à La Filature de Mulhouse et du 10 au 13 juin au Théâtre du Nord de Lille. D’autres dates suivront dont à Paris le Théâtre du Rond Point cet automne.

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May 11, 4:38 AM
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Les Lauriers 2025 du Théâtre Indépendant Français

Les Lauriers 2025 du Théâtre Indépendant Français | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Sceneweb à partir du dossier de presse - 11 mai 2025

 

Créés par Laurent Leclerc, organisé par Barouf et décernés par l’Union du Théâtre Indépendant, les Lauriers récompensent les spectacles portés par Les Compagnies françaises indépendantes qui produisent et diffusent un théâtre de création sur tout le territoire français en poursuivant – avec les moyens du bord, c’est-à-dire plus de passion que de moyens – dans la lignée de Charles Dullin, Jean Vilar ou Louis Jouvet le travail de la décentralisation théâtrale impulsé il y a près de 80 ans par Jeanne Laurent puis André Malraux.

 

Les lauréats des Lauriers du Théâtre Indépendant sont désignés par un Jury indépendant composé de professionnel.le.s du monde du spectacle vivant.

 

La cérémonie distingue, au travers de ses 24 prix, les meilleurs projets qui sont portés à sa connaissance et récompense aussi bien les interprètes, les auteurs, les metteurs en scène et les techniciens.

Les Critères d’Éligibilité pour les Candidature aux Lauriers 2025

— Faire un théâtre de création, un théâtre d’art, un théâtre de recherche, inventif, créatif, dans un esprit de troupe

— Ne pas être en contrat pluriannuel avec le ministère de la Culture

— L’aide de l’état n’excédera pas 50% de la production

— Avoir totalisé 10 représentations au moins, hors scènes labellisées et théâtre privé, en coréalisation (pas de contrat de location)

 

— La metteuse en scène ou le metteur en scène est via sa compagnie, le producteur exécutif de son spectacle ou au moins coproducteur de son spectacle à hauteur de 50% au moins

— L’apport en nature de la Cie est important

— Pour cette Ed. 2025, tous les évènements réalisés entre 2023 et 2025 peuvent concourir

— Un même spectacle peut être présenté 2 fois à la sélection si son évolution est remarquable ou en cas de re-création

— Les actions culturelles menées autour du spectacle, les ateliers de théâtre dans les écoles ou le fait d’oeuvrer comme Clown à l’hôpital par exemple doivent être être signalés et comptent dans la décision de sélection.

Les Catégories

Les Lauriers concernent toutes les personnes qui pratiquent un art du spectacle sur le territoire français en professionnel et décerne aussi un prix du spectacle amateur et récompenses les meilleurs productions de spectacle vivant dans les catégories suivantes :

Toutes les discipline sont représentées – Artistiques et Techniques – dont 11 qui n’existent nulle part ailleurs dans les récompenses françaises

Lauriers de la Mise en scène • Lauriers du Texte de Théâtre • Lauriers de l’Adaptation théâtrale • Lauriers d’Interprétation féminine • Lauriers d’Interprétation masculine • Lauriers de la Scénographie • Lauriers de la Création Lumière • Lauriers de la Création des Costumes • Lauriers de la Création sonore et musicale • Lauriers de la Création vidéo • Lauriers de la Régie générale • Lauriers du Seul.e en scène • Lauriers du Spectacle Musical • Lauriers du Spectacle Jeune public • Lauriers de la Performance théâtrale • Lauriers du Spectacle de Rue • Lauriers du Spectacle de Marionnette • Lauriers du Spectacle de Cirque • Lauriers du Spectacle de Magie • Lauriers du Spectacle de Danse • Lauriers du Spectacle Amateur • Lauriers Spécial du Jury • Les Laurier d’Or • Les Lauriers d’Honneur • Grand Prix Barouf-EMS.

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June 4, 9:54 AM
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La guerre, côté femmes   A propos de "La guerre n'a pas un visage de femme" de Svetlana  Alexievitch

La guerre, côté femmes   A propos de "La guerre n'a pas un visage de femme" de Svetlana  Alexievitch | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 31 mai 2025

 

 

En ouverture du Printemps des comédiens, avant le TGP et une longue tournée, Julie Deliquet adapte à la scène « La guerre n'a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch, récit qui tresse des dizaines de témoignages de femmes soviétiques autour de la guerre 39-45. En scène, dix formidables actrices dans un décor d’appartement communautaire. Une traversée intense, subtile et admirable.

 

Quand, au milieu des années 80, parut La guerre n’a pas un visage de femme, Svetlana Alexievitch (née en 1948) , fille d’instituteurs, était une journaliste biélorusse encore peu connue. Le livre met en scène des dizaines de témoignages de femmes de l’Union soviétique pendant « la grande guerre patriotique », ainsi nomme-t-on la seconde guerre mondiale en Russie. Le livre s’est vendu à des millions d’exemplaires mais, bien que soutenu par Gorbatchev, il a été ici et là décrié en Russie: on y salissait l’ image héroïque du pays.

Svetlana Alexievitch allait ensuite publier, au fil des années, des livres saillants comme Les Cercueils de zinc (dans lesquels revenaient les corps des soldats morts lors de la guerre absurde menée par la Russie encore soviétique en Afghanistan) ou La supplication ( sous-titré « Tchernobyl, chronique d’un monde après l’Apocalypse ») et encore Ensorcelés par mort (sur le suicide).

 

Dernier livre en date La fin de l’homme rouge ou le Temps du désenchantement, toujours des témoignages entre illusions et désillusions autour du « Parti » et du communisme. Ce dernier livre, traduit en français (comme tous les autres) a été couronné du prix Médicis essai avant que Svetlana Alexievitch ne soit couronnée du Prix Nobel de littérature en 1995.

 

Aujourd’hui, comme on peut s’en douter, ses livres sont interdits dans la Russie de Poutine, ôté des bibliothèques et ainsi de suite. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Biélorusse Svetlana Alexievitch vit en exil à Berlin et le président autoritaire de son pays, Loukachenko, songe à saisir son appartement à Minsk.

Bien que non théâtrale mais cependant faite d’un tressage de voix, son œuvre a fasciné plus d’un metteur en scène, entre autres français. De Didier-Georges Gabily à Jacques Nichet ou Emmanuel Meirieu, la liste est conséquente et on ne compte plus les versions scéniques de La supplication. Et aujourd’hui, de femme à femme, Julie Deliquet met en scène sa traversée de La guerre n’a pas un visage de femme. C’est à la fois doux et intense, terrible et désarmant, comme si les neuf actrices d’âges divers (lulie André, Astrid Bayiha, Evelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudle, Agnès Ramy, Hélène Viviès), devant Svetlana Alexievitch (Blanche Ripoche) déployaient en paroles parcellaires des identités de femmes aux destins disparates durant la « grande guerre patriotique » (la seconde guerre mondiale) luttant contre l’ennemi fasciste.Elles sont brancardières,pilote, tireuse d'élite, agent de renseignenement...

Longtemps après la fin de la guerre, Alexievitch a rencontré ces femmes, le plus souvent seules, évitant le regard souvent inquisiteur et censeur des maris. Elle les voyait longuement, une fois, dix fois. Parfois l’accueil était un instant hésitant, voire méfiant, cependant, entre femmes, la complicité était vite trouvée, les souvenirs revenaient, affluaient, le plus souvent débarrassés d’autocensure. Des scènes obsédantes ou retrouvées à l’instant, des scènes de la vie quotidienne au front, rien d’exceptionnel ou d’héroïque le plus souvent, des confidences de femme à femme. Valentina (sergent chef d’une pièce de DCA) se souvient de ce printemps où « la glace s’est mise en marche sur la Volga » et qu’elle a «  vu dériver un gros glaçon sur lequel se tient deux ou trois Allemands et un soldat russe… ils étaient morts ainsi cramponnés l’un à l’autre. La glace les avait soudés et le glaçon était encore couvert de sang. Toutla Volga était teintée de sang ».

 

Tout au long du livre ; par intermittence, Svetlana Alexievitch parle en son nom propre. « Ce sont les larmes qui me soutiennent, qui m’aident à ne pas m’effrayer, à ne pas succomber à la tentation de ne pas raconter cette vie en entier, de retrancher ce qui pourrait faire peur ou n’être pas compris. De retoucher ou de réécrire »‘

Comment mettre cela en scène ? Julie Deliquet a une réponse proprement théâtrale : elle choisit neuf de ces femmes aux âges, aux mémoires et aux vécus disparates, toutes unies par la guerre qu’elles ont traversée au front, un faux-vrai chœur à neuf voix faisant face à cette femme venue les écouter dans cet appartement communautaire comme il en existait tant à l’époque  et où vivaient plusieurs familles dans des espaces restreints et surchargés d’objets, de vêtements, de valises, de bibelots. Elle sont là, ensemble, toutes debout, alignées devant le public avant d’occuper l’espace deux heures durant, parlant, s’écoulant les unes les autres, debout, toujours debout, à l’affût, à l’écoute, ne prenant pas le temps de prendre le thé ou de s’asseoir, se parlant autant entre elles que s’adressant à celle qui est venue écouter et recueillir leur parole, une assemblée de femmes entre elles.

Parler pour elles, est aussi un soulagement ; une façon de vider un  sac de remords, de regrets, de non dits. Ainsi Lioudmila : «  Mon mari est revenu de la guerre invalide. Ce n’était plus un jeune homme mais un vieux et c’était un malheur pour moi : mon fils s’était habitué à imaginer son père comme un bel homme à la peau toute blanche , et c’était un vieillard malade qui est arrivé ». Ainsi Antonina : après avoir vu son premier Allemand : «  en l’espace de deux trois jours, je n’étais plus celle que j’étais avant la guerre. J’étais devenue une autre personne. La haine nous submergeait, elle était plus forte que la peur que nous éprouvions pour nos proches, pour ceux que nous aimions, plus forte que la peur de mourir ». Ainsi Tamara, brancardière : « un homme meurt sous tes yeux...Et tu sais,tu vois que tu ne peut pas l’aider, qu’il ne lui reste que quelques instants à vivre. Tu l’embrasses, tu le caresses, tu lui dis des mots doux. Tu lui fais tes adieux. Mais c’est là tout le secours que tu peux lui apporter...Ces visages , je les ai encore tous en mémoire ». Ainsi Zinaïda, brancardière, suite à une explosion d’un obus, elle se se retrouve, couverte de sang, dans un trou, en compagnie de deux blessés : un Allemand et un Russe. L’un à une mitraillette, l’autre un pistolet. Trop affaiblis par leur blessures pour s’entre-tuer. Zinaïda les soigne tous les deux. Et on vient les chercher. « On les a tirés du trou tous les deux...Et embarqués...Tous les deux...Vous comprenez? ». Ou ce jeune soldat sachant qu’il va mourir demandant à une infirmière de dégrafer son corsage : il es si jeune qu’il n’a encore jamais vu les seins d’une jeune femme.

 

 

« J’avais peur de mourir sans avoir eu le temps de donner naissance à un bébé ; de laisser une trace sur terre. J’avais envie d’aimer » dit Olga. L’amour est le dernier thème abordé par Svetlana Alexievitch et c’est aussi le cas du spectacle . Avec tact dans les deux cas. Les épouses provisoires au front, oui, on en parle, mais le viol reste un sujet tabou qu’Alexievitch n’ose aborder sauf une seule fois (me semble-t-il) en deux lignes : « je me souviens d’une Allemande qui avait été violée. Ele gisait par terre, toute nue. Une grenade entre les cuisses... » dit Anastasia Vassilievna.

 

Ce qui prime , c’est la confiance qui s’établit entre ces femmes, osant sans gêne parler entre elles de ces ruisseaux de sang qui leur coulent le long des jambes parce qu’elle n’ont pas de protections périodiques à leurs disposition, parce que, au front, elles vivent dans un monde d’hommes, régit par eux

Avec tact et habileté, à l’image de Svetlana Alexievitch écoutant ces femmes ; Julie Deliquet dirige ses actrices, leur laissant donner une impression (fausse) d’improvisation permanente, tant les complicités entre les actrices et entre elles et Deliquet, sont constantes et merveilleusement ramifiées. A chacun des spectateurs de faire des ponts, de penser à la résistance de pays occupés, de peuples opprimés, l’Ukraine, bien sûr, mais pas seulement.

Création du 30 mai au 1er juin au festival Le Printemps des Comédiens – Cité Européenne du théâtre -Domaine d’O, Montpellier, oui du 24 sept au 17 oct au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis que dirige Julie Deliquet

Puis tournée : les 8 et 9 janv , Théâtre National de Nice ; les14 et 15 janv MC2: Maison de la Culture de Grenoble : du 21 au 31 janv Théâtre des Célestins, Lyon ; les 4 et 5 fév Comédie de Saint-Étienne ; les 10 et 11 fév Théâtre de Lorient ; du18 au 20 fév Comédie de Genève ; les 25 et 26 fév Théâtre Malraux, Chambéry : du 3 au 7 mars Théâtre Dijon Bourgogne ; les 11 et 12 mars
Comédie de Caen ; les 18 et 19 mars Le Grand R, La Roche-sur-Yon ; le 27 mars L’Archipel de Perpignan ; du 31 mars au 3 avril ThéâtredelaCité, de Toulouse ; du 8 au 10 avril
Comédie de Reims ; le 14 avril La Ferme du Buisson, Noisiel ; le 17 avril Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge ; le22 et 23 avril Nouveau Théâtre de Besançon ;les 28 et 29 avril
La Rose des vents, Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, ; le 5 mai, Équinoxe de Châteauroux

 

Le texte figure dans le volume "Oeuvres" réunissant plusieurs livres (mais pas tous) de Svetlana Aleievitch, Actes Sud, 780p; 26€

 

Jean-Pierre Thibaudat dans son blog

 

Présentation vidéo par Julie Deliquet

 
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June 4, 9:08 AM
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“Valentina ou la Vérité”, une émouvante tragi-comédie baroque et intimiste de Caroline Guiela Nguyen

“Valentina ou la Vérité”, une émouvante tragi-comédie baroque et intimiste de Caroline Guiela Nguyen | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 2 juin 2025

 

Une fillette roumaine manque l’école pour soutenir sa mère hospitalisée, qui ne parle pas français. Un conte mâtiné de fantastique, sensible et poignant. À voir jusqu’au 15 juin au Théâtre de la Ville, puis en tournée.

 


TTT

Mettre en scène un miracle. Ou un inexplicable cataclysme (Fraternité, 2021), ou la très surréaliste confection d’une robe de princesse (Lacrima, 2024). Peu nombreux sont les artistes à oser s’attaquer aujourd’hui au merveilleux. Patronne du Théâtre national de Strasbourg (TNS) depuis 2023, Caroline Guiela Nguyen est de ceux-là, comme Joël Pommerat. Sans fin, cette chasseresse d’émotions quête les histoires qui repoussent nos frontières mentales et sentimentales.

 

Dès son arrivée au TNS, elle y a même créé un surprenant « Centre des récits », ou réservoir d’histoires vraies et folles des habitants de la région. Une documentaliste, une ex-journaliste radio et une dramaturge enregistrent et archivent leurs témoignages. Ils ont jusqu’à présent nourri sept spectacles du TNS. Car Caroline Guiela Nguyen a besoin que le vivant vienne conforter ses intuitions de théâtre, sa volonté d’y dire la violence, l’injustice du monde autant que ses désirs de beauté, ses élans de fraternité. Ses miracles donc.

D’origine vietnamienne par sa mère, forcément confrontée aux problèmes de langue — en témoignait le poignant spectacle qui la révéla au grand public Saïgon (2017) —, la metteuse en scène s’est toujours passionnée pour la traduction et le métier d’« interprète ». Même terme pour qualifier comédiens et musiciens. Au fil de ses rencontres, elle découvre que, pour bien des étrangers malades et dont la langue maternelle n’est pas celle du pays où ils vivent, ce sont leurs enfants qui traduisent les propos des médecins à l’hôpital. Naît Valentina.

Le pouvoir des liens filiaux

D’abord, Caroline Guiela Nguyen en fait un admirable conte (lire ci-dessous) à la simplicité, à la clarté bouleversantes. Aussi terrible et merveilleux que La Plus Précieuse des marchandises, de Jean-Claude Grumberg (2019). Elle a fait son chemin d’écriture (que de progrès !) et peut désormais se lancer dans un mélodrame de sa belle façon que ponctuera une féminine voix off. Car notre amoureuse d’authenticité s’est entourée, comme souvent, de comédiens amateurs et roumains pour le spectacle. Seule la petite Valentina, 9 ans, parle le français, et la propre mère de sa jeune interprète joue la maman cardiaque qui quitte, avec elle, Bucarest et son mari violoniste pour se faire soigner en France. Valentina y entre à l’école, où elle réussit à merveille et séduit la directrice. Sa mère, allophone, peine, elle, à l’hôpital, vite contrainte d’y amener sa fille pour traduire les propos du médecin. Du coup, Valentina manque la classe, invente de plus en plus de mensonges pour se justifier. Jusqu’à ce que la directrice les découvre, la poussant à s’enferrer toujours davantage. Jusqu’à en tomber malade. Mais sauver miraculeusement sa mère par l’amour fou qu’elle lui porte.

Pas d’œuvre chorale ici, ni longue, comme souvent chez Caroline Guiela Nguyen. Toujours une musique très présente, et même des battements de cœur, parfois, qui pulsent tels les néons blancs qui entourent la scène. Des ambiances irréelles, aussi, et doucement colorées, roses ou bleues, habituelles à la metteuse en scène. Et de la vidéo : un cameraman filme continuellement les acteurs en lorgnant sur le cinéma muet — problème de langue oblige. La metteuse en scène a voulu une tragi-comédie baroque et intimiste. Six uniques personnages : père, mère, fille, cuisinier de l’école (tous amateurs) et médecin et directrice incarnées par la même formidable actrice, Chloé Catrin. Le sensible et fragile quintette d’acteurs est à la frontière de l’hyperconcret (la parole du médecin) et du fantastique (l’univers du mensonge conté par le cuisinier), voire du miracle (le cœur qui se transplante magiquement). Mais au travers de ce conte à hauteur d’enfant (et avec nounours), Caroline Guiela Nguyen n’oublie ni ses engagements ni sa générosité. Elle dénonce en même temps les fractures de notre système hospitalier, l’impuissance du monde éducatif et la profonde solitude des émigrés.

 

Pourtant, Valentina dégage espoir et consolation. Grâce aux liens filiaux qui y sauvent tout. Peu de fables enchantées célèbrent de manière si christique — mais « féministement » inversée — l’amour entre mère et fille. Au point que grâce à lui, même les mensonges deviennent réalité, et les mots s’incarnent comme par magie. Et si Valentina était aussi une pièce sur la langue justement, les énigmes de la langue ; et une pièce sur le théâtre, les énigmes du théâtre ? Les mots y sont reliés aux battements de cœur de l’héroïne, comme au théâtre la parole des acteurs au cœur des spectateurs. Chaque spectacle de Caroline Guiela Nguyen reste un hommage aux mystères de la représentation.

 

 

1h20. Mise en scène Caroline Guiela Nguyen. Du 2 au 15 juin, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris 18e. Et du 16 sept. au 3 oct.au Théâtre national de Strasbourg, du 8 au 12 oct. aux Célestins de Lyon.
 

 

 

Légende photo : Angelina Iancu dans le rôle de Valentina. La jeune actrice est la seule parmi les interprètes, tous roumains, comme elle, à parler le français.

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June 4, 5:55 AM
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La Guerre n'a pas visage de femme, d'après le livre de Svetlana Alexievitch, par Julie Deliquet.

La Guerre n'a pas visage de femme, d'après le livre de Svetlana Alexievitch, par Julie Deliquet. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Véronique Hotte  dans Webthéâtre - le 31 mai 2025

 

Les femmes telles des armes encore dans toutes les guerres.

 

Svetlana Alexievitch reçoit, première femme de langue russe, le Prix Nobel de littérature en 2015 pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ». Entre témoignages, réflexion politique et existentielle sur les temps passés et présents, l’oeuvre dénonce la violence d’État, s’insurge contre la guerre en Ukraine et la brutalité russe.

 

Née après la Victoire, en 1948, l’auteure biélorusse aux origines ukrainiennes, n’a pas connu la guerre. Son écriture intime ne s’en attache pas moins aux générations qui ont essuyé le conflit In Vivo, marquées par la tragédie - et aux suivantes pour lesquelles ces récits de guerre sont encore leur histoire.

 

 

Courage et actes de bravoure sont méprisés, non reconnus, passés à la trappe : ces femmes sont les grandes oubliées du discours officiel masculin. Elle devaient reprendre une vie civile en donnant naissance à des enfants !Après un mutisme imposé, leur parole brise quarante années de silence collectif. Svetlana Alexievitch revient à ce texte en 2003, censuré en 1985, et rétablit ce qui a été supprimé par les autorités, et aussi par elle-même.

Pour Julie Deliquet, directrice du TGP, CDN de Saint-Denis, conceptrice scénique de La guerre n’a pas un visage de femme et artiste impliquée - recherches, documentation historique et rencontre avec le Prix Nobel -, l’auteure porte un regard autre sur la Seconde Guerre mondiale, via tous les témoignages féminins sur les non-dits de l’Histoire, contre la barbarie nazie.

Loin du mythe et de ses poncifs, les locutrices évoquent la guerre qu’on leur a confisquée - un devoir de mémoire pour la jeunesse actuelle et à venir sur le mal qui sourd dans une résonance réactualisée avec nos temps menacés.

 

Un fourbi d’appartement communautaire où les installations et les ustensiles de cuisine et de sanitaire s’accumulent à vue - valises entassées et placards et dressings de fortune - des appartements privés réquisitionnés ou des appartements d’État réaménagés dans lesquels sont entassés les foyers, selon le nombre de chambres. Les habitants partagent cuisine et sanitaires…
Le monde brut et rustre d’une théorie idéologique de papier tournant dans sa mise en pratique au cauchemar quand les êtres n’existent dans leur intimité.

 

 

Or, du pays entier - Ukraine, Sibérie, Biélorussie, Moscou…- évoquant médailles et uniformes militaires, d’anciennes camarades du front se rassemblent près des éviers, ballons d’eau chaude, cuisinières et linge pendu aux fils. Beaucoup n’assistent plus aux défilés officiels. Au printemps 1975 de la guerre froide, une jeune journaliste motivée vient recueillir leurs dires. Blanche Ripoche dans le rôle a l’élan, la spontanéité et la volonté requise.

L’enfer ne se dit pas, elles seules se comprennent. Dès l’invasion nazie en 1941, des milliers de jeunes filles soviétiques se sont engagées pour lutter contre les armées hitlériennes, lycéennes ou à peine plus âgées ; certaines trop détruites n’entameront plus d’études après la guerre. Or, elles sont infirmières, tankistes, parachutistes, pilotes de chasse, snipers, cuisinières, sapeurs déminant les terrains, médecins, fantassins, agents de transmission.

 

 

Evelyne Didi joue le rôle d’une agente de renseignement d’une brigade de partisans, ne pouvant renier ses engagements soviétiques, fidèle à la révolution, entendant les critiques, se défiant des condamnations unilatérales.

 

Les autres aussi ne se posaient pas tant de questions quand elles se sont engagées, croyant en un monde nouveau contre la menace allemande nazie. Puis, tout s’est troublé, mêlé, confondu, et le Bien et le Mal se sont perdus. N’est restée que la Haine, solide, tangible, contre l’agresseur, et un retour impossible, à la vie normale, quand on a soi-même tué… un proche, un ami.

 

Certaines défendent leur choix de faire la guerre, envers et contre tout, leur enfant en bas-âge confié à une belle-soeur ou une aïeule, oubliant, autant que faire se peut, les tortures subies, les massacres auxquels on a assisté et auxquels on a participé. L’une, médecin, ne peut plus supporter la lumière d’un cliché photographique, le corps marqué à vie par le supplice électrique.

Certaines crient bien fort que c’est à la guerre qu’elles ont trouvé leur mari et père de leurs enfants, quand d’autres découvrent les réflexes machistes masculins qui se saisissent d’elles comme objets d’assouvissement sexuel, les violeurs les désignant, la vie civile revenue, comme « putes à soldats ». Les femmes restent indubitablement de par le monde des armes de guerre.

 

Le public a la gorge serrée à l’écoute des horreurs subies ou commises que les interprètes égrainent avec pudeur, mais aussi avec la nécessité de tout dire, de ne rien taire. Julie André, Astrid Bayiha, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Hélène Viviès, hésitent, bégaient, parlent avec les mains, s’approprient un discours qu’elles font leur, humbles, déterminées et attachantes - attention mutuelle et réciproque. Elles sourient parfois, moqueuses, au souvenir de leur jeunesse enfuie dans la tourmente.

 

Un récit qui chemine dialectiquement, en dépit de tout, entre bonheur de vivre et déception, allégresse juvénile et retour aux réalités quotidiennes, que ces dignes Parleuses dévoilent, solidaires, tentant se comprendre et d’expliquer.

Un puissant chœur de femmes émouvant, articulé et charpenté sur le respect de l’intégrité de la personne, de ses engagements humanistes universels.

 

 

La guerre n’a pas un visage de femme, d’après le livre de Svetlana Alexievitch (édit. J’ai lu), mise en scène de Julie Deliquet, avec Julie André, Astrid Bayiha, Evelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Blanche Ripoche, Hélène Viviès, Traduction Galia Ackerman, Paul Lequesne, version scénique Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos, collaboration artistique Pascale Fournier, Annabelle Simon, scénographie Julie Deliquet, Zoé Pautet, lumière Vyara Stefanova, son Anne Astolfe, costumes Julie Scobeltzine, 
Du 30 mai au 1er juin 2025, Festival Le Printemps des Comédiens, Cité Européenne du théâtre - Domaine d’O, Montpellier.

 

 

Du 24 septembre au 17 octobre 2025, Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis. Les 8 et 9 janvier 2026, Théâtre National de Nice, centre dramatique national Nice Côte d’Azur. Les 14 et 15 janvier, MC2 : Maison de la Culture de Grenoble, scène nationale. Du 21 au 31 janvier, Théâtre des Célestins, Lyon. Les 4 et 5 février, Comédie de Saint-Étienne, centre dramatique national. Les 10 et 11 février, Théâtre de Lorient, centre dramatique national. Du 18 au 20 février, Comédie de Genève. Les 25 et 26 février, Malraux, scène nationale Chambéry Savoie, Chambéry. Du 3 au 7 mars, Théâtre Dijon Bourgogne, centre dramatique national, Dijon. Les 11 et 12 mars, Comédie de Caen, centre dramatique national de Normandie. Les 18 et 19 mars, Le Grand R, scène nationale, La Roche-sur-Yon. Le 27 mars, L’Archipel, scène nationale, Perpignan. Du 31 mars au 3 avril, ThéâtredelaCité, centre dramatique national de Toulouse Occitanie. Du 8 au 10 avril, Comédie de Reims, centre dramatique national. Le 14 avril, La Ferme du Buisson, scène nationale, Noisiel. Le 17 avril, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge. Les 22 et 23 avril, Nouveau Théâtre de Besançon, centre dramatique national. Les 28 et 29 avril, La Rose des vents, scène nationale, Lille Métropole Villeneuve d’Ascq. Le 5 mai, Équinoxe, scène nationale, Châteauroux.

 

Véronique Hotte / Webthéâtre 

 


Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

 
 
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June 2, 3:43 AM
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Théâtre : Julie Deliquet ouvre le Printemps des comédiens par le fracas d’une guerre vécue et racontée par les femmes

Théâtre : Julie Deliquet ouvre le Printemps des comédiens par le fracas d’une guerre vécue et racontée par les femmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 31 mai 2025

 

A Montpellier, la metteuse en scène et directrice du Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis adapte « La guerre n’a pas un visage de femme », de la romancière biélorusse Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature en 2015.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/31/theatre-julie-deliquet-ouvre-le-printemps-des-comediens-par-le-fracas-d-une-guerre-vecue-et-racontee-par-les-femmes_6609503_3246.html

Rafales de mitraillettes, chairs déchiquetées, craquement des os, odeur du sang : lorsque le théâtre adopte le visage de la guerre, il n’a besoin ni d’images ni de sons. Juste des mots. Ils sont assez puissants pour que le cauchemar prenne corps. L’ouverture du Printemps des comédiens, à Montpellier, vendredi 30 mai, s’est accomplie sur un geste artistique radical. Celui de la metteuse en scène Julie Deliquet qui a marqué les esprits avec un spectacle sans complaisance inscrit dans la droite ligne de son lien esthétique et éthique au théâtre. En adaptant et en mettant en scène La guerre n’a pas un visage de femme, de Svetlana Alexievitch (Presses de la Renaissance, 2004), la directrice du Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis livre un de ces uppercuts salutaires dont le public ressort sonné, mais grandi.

Publié en 1985, ce recueil de témoignages est le fruit de sept années d’entretiens menés par la romancière biélorusse. Lauréate du prix Nobel de littérature 2015 pour l’ensemble de son « œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque », elle a, dès 1975, tendu son micro aux femmes russes parties combattre l’ennemi nazi lors de la seconde guerre mondiale.

 
Ecrire (et décrire) la guerre depuis l’expérience féminine, cela ne s’était, dit-elle, jamais fait, jamais lu, jamais vu. Bien avant que cette démarche ne devienne une norme en littérature, au cinéma ou au théâtre, bien avant l’essai d’Iris Brey (Le Regard féminin, une révolution à l’écran, L’Olivier, 2020), qui théorise la nécessité d’énoncer les récits depuis le point de vue des femmes, Svetlana Alexievitch passe à l’acte. Et désincarcère de leur gangue mutique des réalités et des vérités sur lesquelles les hommes ont fait main basse. « Elles se sont tues pendant si longtemps que leur silence lui-même s’est changé en histoire », affirme l’une des protagonistes de la représentation en évoquant ces femmes soldats.

Une partition croisée et alerte

La mise en scène de Julie Deliquet métamorphose ce silence figé dans l’histoire en un présent à l’état pur dont la brutalité n’est jamais esquivée. Deux heures trente de mots qui ne courent pas mais galopent d’une actrice à une autre. Elles sont neuf sur le plateau qui répondent aux questions de la romancière (interprétée par Blanche Ripoche). Toutes sont exceptionnelles. Julie André, Astrid Bayiha, Evelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy et Hélène Viviès ne cessent de « rebondir » les unes sur les autres dans une partition croisée et alerte où l’improvisation est réglée à la virgule près. Ne pas montrer qu’on joue est un exercice de haute voltige. Dire les phrases comme si elles naissaient dans les pensées au moment même de leur profération : la technique seule n’explique pas ce tour de force. Il faut aussi que les curseurs de l’entente et de l’écoute soient à leur maximum. C’est peu dire que l’alchimie sororale fonctionne.

 

 

 

On ne met donc pas longtemps – tout juste quelques secondes – avant d’oublier l’artefact pour s’immerger dans ce réel réactivé en impérieuse immédiateté. En 1941, ces Russes avaient 13, 16 ou 20 ans. Elles étaient tireuses d’élite, brancardières, infirmières ou agentes de renseignements. Elles ont traversé quatre ans d’un carnage pour être, à leur retour, traitées de « putes à soldats ». Pourtant, elles ont assumé plus que leur part dans la défense de leur pays. Les corps amputés, les enfants massacrés, les tortures subies ou infligées, le froid, la faim, la saleté, rien ne leur a été épargné. « Nous portions sur nos dos la masse d’hommes blessés ou morts qui faisaient trois ou quatre fois notre poids », raconte l’une d’elles. « L’idéal était plus fort que l’instinct maternel », témoigne une suivante. « Les fascistes, on les a crevés comme des cochons », se rappelle une dernière.

L’oralité des propos se déplie pour accéder à la théâtralité

Pour parvenir à faire vivre dans l’espace-temps clos du théâtre un tel matériau, Julie Deliquet a réalisé un fabuleux travail de recomposition du texte original. Elle agrège, entrelace, redistribue les multiples récits jusqu’à former une pièce homogène. Si son architecture est un peu trop systématisée – la journaliste ouvre des chapitres successifs en suggérant des pistes de réflexion partagée –, sa restitution est un singulier concentré de vie collective qui pousse à même les souvenirs des charniers. L’oralité des propos se déplie pour accéder à la théâtralité. Ce pari était loin d’être gagné mais le résultat est là : la foule anonyme de ces femmes s’incarne dans des corps, des voix, des coiffures, des costumes, des personnalités et des tempéraments. D’abord assises en rang, face au public, sur des chaises ou des tabourets, les comédiennes se redressent une à une pour finir (quel symbole) debout sur leurs jambes.

 

C’est dans une scénographie de capharnaüm assumé que s’accomplit cette bascule vers la verticalité reconquise : un appartement communautaire russe écartelé et surchargé d’accessoires. Dans les pièces (salle de bains, salon, cuisine, chambre) un fatras d’objets. Ces traces d’un quotidien précaire et familier sont une toile de fond dont jouent à peine les actrices. Seule la lumière qui décroît (scène et salle sont éclairées plein feu au début) signe l’entrée du plateau dans la nuit, le temps qui passe, l’obscurité qui s’étend, le pas à pas des témoignages qui, eux aussi, s’enfoncent vers les ténèbres.

 

A la fin de la représentation, une fois l’héroïsme purgé et le patriotisme soldé, une fois exhalés les cris de haine et clamées les preuves du courage, arrive le plus difficile à nommer car relevant de l’intime absolu : être une femme sur un front de guerre. C’est au moment de parler des cycles menstruels perturbés, de la honte ressentie parce que le corps trahit, enfin et surtout, de la peur d’être violée, que la parole semble frappée de pudeur. Et parce que cette pudeur a survécu aux champs de bataille, on comprend que la guerre n’a vraiment pas un visage de femme.

 

 

La guerre n’a pas un visage de femme, d’après Svetlana Alexievitch. Adaptation et mise en scène : Julie Deliquet. Printemps des comédiens, domaine d’O, Montpellier, les 31 mai et 1er juin. Reprise au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis du 24 septembre au 17 octobre.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : 

Répétition de « La guerre n’a pas un visage de femme », mis en scène par Julie Deliquet, lors du Printemps des comédiens, à Montpellier, le 27 mai 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

 

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Les spectacles à voir en ce moment : «Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues, «Portrait de famille» de Jean-François Sivadier et «Schwanengesang D744» de Romeo Castellucci –

Les spectacles à voir en ce moment : «Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues, «Portrait de famille» de Jean-François Sivadier et «Schwanengesang D744» de Romeo Castellucci – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

«Libé» vous guide dans les pièces ou spectacles de danse à voir, à Paris ou en régions. A voir aussi : «Encore, plus, partout, tout le temps» de l’Avantage du doute et «Makbeth» du Munstrum Théâtre.

 

Pour aider nos lecteurs à s’y retrouver dans une offre culturelle foisonnante, les journalistes du service Culture de Libé déblaient le terrain et vous livrent l’essentiel de ce qui leur a plu (ou pas) dans l’actualité des spectacles de danse, cirque ou théâtre. Et tous les samedis, notre Top 10 de la semaine, toutes disciplines confondues. Retrouvez l’ensemble de nos sélections.

Théâtre

«Portrait de famille, une histoire des Atrides», de Jean-François Sivadier

Voici un spectacle d’une monstrueuse ambition, qui entend tout montrer de cette grande famille des Atrides en faisant feu de tout bois, depuis le théâtre antique jusqu’au feuilleton contemporain, en passant par la fable politique shakespearienne, le vaudeville, la tragédie classique, la comédie horrifique et le cabaret. Une quinzaine de comédiens tous issus d’une même promo du Conservatoire national de Paris alternent avec fougue entre les différents registres de ces Atrides réécrites avec brio. Lire notre critique lors de sa création.

Du 19 au 29 juin, au Théâtre du Rond-Point à Paris. Durée 3 h 50 dont 20 minutes d’entracte.

 

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«Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues

(Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

Entre drame familial et scandale d’Etat, Tiago Rodrigues livre une variation d’Euripide servie par les acteurs virtuoses de la Comédie-Française qui n’échappe pourtant pas à une pédagogie trop appuyée. Retrouver notre critique lors de sa présentation au festival d’Avignon.

Du 28 mai au 21 juillet à la Comédie-Française à Paris.

 

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«Schwanengesang D744» de Romeo Castellucci

Le metteur en scène italien reprend à la MC93 Schwanengesang D744, son adaptation du Chant du cygne de Wagner, avec toujours la soprano Kerstin Avemo, le pianiste Alain Franco et la comédienne Valérie Dréville. Entre chant sublime et insultes dérangeantes. Relire notre critique, lors de sa présentation il y a déjà onze ans…

Du 4 au 8 juin 2025 à la MC93.

 

 

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«Makbeth» du Munstrum Théâtre

(Jean-Louis Fernandez)

La nouvelle création de Louis Arene et Lionel Lingelser s’attaque cette fois à Shakespeare… mais revu à la sauce du Munstrum, ses masques et son univers post-apocalypique. Notre portrait de ses deux fondateurs.

Makbeth, d’après Shakespeare, par le Munstrum Théâtre. Du 10 au 13 juin au Théâtre du Nord à Lille. Puis à partir de d’octobre : Malakoff, Bruxelles, Paris, Théâtre du Rond-Point du 20 novembre au 13 décembre.

 

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«Encore, plus, partout, tout le temps» de l’Avantage du doute

Au départ, il y a donc un homme (formidable Claire Dumas) énergiquement macho, qui alpague le public tandis qu’on s’installe. Sa voix doublée, masculine mais accompagnée d’un écho féminin, son justaucorps qui souligne sa taille mais également son sexe distille un doute sur son genre… Avec «Encore, plus, partout, tout le temps», le collectif parle domination masculine et catastrophe écologique. Mais déçoit par son usage des stéréotypes. Lire notre critique à sa création.

 

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«La Tendresse» de Julie Berès

Des hommes interrogent leur masculinité. Pour qui est déjà éveillé à ces questions, le propos est sans doute mince, pourtant le spectacle interpelle, et – effet passionnant –, cela se joue dans le rapport entre les corps sur scène et les corps dans la salle. C’est que les huit actrices et acteurs sont excellents, et même davantage : ils sont profondément désirables. Notre critique.

Jusqu’au 15 juin aux Bouffes parisiens.

 

 

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«Portrait de Ludmilla en Nina Simone» de David Lescot

 

Une immense star telle Nina Simone est-elle plus subversive en 2025 que dans les années 1960 ? Que se passerait-il si elle revenait aujourd’hui pour arpenter la scène comme elle l’a fait à Harlem (New York) en 1969 lors d’un concert en plein air, en reprenant les mots du poète David Nelson : «Etes-vous prêts, les Noirs ? Vous êtes prêts à faire ce qu’il faut ? Vous êtes prêts à tuer s’il le faut ? Vous êtes prêts à démolir le monde blanc ? A incendier les bâtiments ? Vous êtes prêts à construire un monde noir ?» Huit ans après sa création, ce double portrait d’une icône et de son interprète n’en finit pas de s’enrichir de nouvelles strates, nouvelles résonances. Lire notre reportage lors de sa tournée en Louisiane.

En tournée en France : le 28 juin au festival Confluences à la Garde (Var) , les 16 et 17 octobre à Vélizy (Yvelines), le 21 novembre à Vigny, le 6 décembre à Vétheuil, le 13 ou le 20 février 2026 à Champagne-sur-Oise, le 27 mars à Vauréal, le 28 mars à Ezanville (Val-d’Oise), les 8 et 9 avril à Quimper.

 

 

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«L’Hôtel du libre-échange» de Feydeau et Stanislas Nordey

Le metteur en scène adapte avec malice la pièce antibourgeoise de Feydeau, au langage cru, qui dépeint la nuit rocambolesque de deux amants. Entre technicité affolante et volonté de produire un grand spectacle, Stanislas Nordey a voulu que le vaudeville devienne un manifeste face aux coupes budgétaires qui visent le spectacle vivant. Lire notre critique du spectacle.

L’Hôtel du libre-échange de Georges Feydeau. Mise en scène par Stanislas Nordey. Au Théâtre de l’Odéon à Paris jusqu’au 13 juin et en tournée.

 

 

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«Le Beau Monde» de l’Ecole parallèle imaginaire

Que restera-t-il de notre monde dans celui d’après, quand tout ce qui fait notre civilisation aura disparu ? Dans un futur lointain, des «rituels de mémoire» se tiennent tous les soixante ans pour étudier les fragments du passé et transmettre ainsi les dernières traces d’une société éteinte. Ni critique acerbe ni ode nostalgique à notre temps, la pièce est un regard tendre et vigilant sur ce que nous sommes. Lire notre critique.

Le Beau Monde d’Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet et Blanche Ripoche (l‘Ecole parallèle imaginaire). Du 4 au 7 juin au Quai à Angers, le 28 juin à Rothau (festival les Scènes sauvages).

 

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«Journée de noces chez les Cromagnons» de Wajdi Mouawad

Le metteur en scène présente une de ses toutes premières pièces. Il revisite le jeune homme qu’il était alors et le huis clos d’un foyer sous les bombes au Liban. Lire notre critique.

Jusqu’au 22 juin au théâtre de la Colline.

 

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«Une Mouette» d’après Tchekhov d’Elsa Granat

 
 

A la Comédie-Française jusqu’au 15 juillet, Elsa Granat explose le classique fataliste d’Anton Tchekhov, y injectant justesse et compassion dans une mise en scène puissante.

Une mouette. Mise en scène Elsa Granat d’après Tchekhov. Avec Marina Hands, Loïc Corbery, Julie Sicard, Bakary Sangaré, Adeline d’Hermy, Julien Frison… A la Comédie-Française jusqu’au 15 juillet.

 

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«Sinistre et Festive» de Jonathan Capdevielle et Jean-Luc Verna

Sinistre, créature drama queen interprétée par Jean-Luc Verna et Festive, Jonathan Capdevielle en perruque blonde et robe panthère, entremêlent jeu et chant pour mettre en scène l’élégance du désespoir. Notre critique.

Jusqu’au 8 juin au théâtre de l’Atelier.

 

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«An Irish story» de Kelly Rivière

Sautant d’une langue et d’une époque à l’autre, la comédienne franco-irlandaise manie l’humour et le suspense pour raconter sa quête d’un aïeul évaporé dont l’absence l’obsède depuis l’adolescence. Notre critique de la pièce, lors de son passage dans le Off d’Avignon.

Jusqu’au 23 juin 2025 à la Scala Paris.
 
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May 29, 12:51 PM
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«Le Pas du monde» de la compagnie XY, voltige de l’amour 

«Le Pas du monde» de la compagnie XY, voltige de l’amour  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gilles Renault dans Libération - 28 mai 2025

 

 

 

Spécialistes du porté acrobatique, les circassiens implantés dans les Hauts-de-France présentent pour leurs 20 ans une formidable création accompagnée d’actions dans l’espace public pour aller à la rencontre d’une population éloignée du spectacle vivant.

 

 

Dans l’absolu, 20 ans, ça reste jeune. Mais, lorsqu’il s’agit de l’âge d’une compagnie, a fortiori de cirque, donc axée sur la prouesse athlétique, le compte rond pourrait peser. Que nenni. XY virevolte comme jamais, l’histoire commencée à Lille, précisément au Centre régional des arts du cirque (Crac) de Lomme, continuant de s’écrire depuis ce jour de 2005 où deux enseignants décidèrent d’unir leur destin créatif à des élèves.

 

Mieux même, au sein d’un groupe qui entre-temps n’a cessé de croître, cinq des six membres d’origine sont encore de la partie. Parmi lesquels Airelle Caen, qui plante ainsi le décor de créations qui, justement, ont la singularité de ne pas en avoir (de décor) : «Nous y allions au début à tâtons. Mais, en se retournant aujourd’hui, nous avons le sentiment d’avoir parcouru mine de rien un sacré bout de chemin, notre évolution ressemblant peut-être en définitive à celle d’une cellule vivante : une structure moléculaire donnant un embryon qui va apprendre, tester. Puis, ado, s’exprime de manière sans doute plus fougueuse, avant d’atteindre une forme de maturité que désormais traduiraient une approche parfois moins démonstrative et un désir d’ouverture visant notamment à se confronter à d’autres univers que le nôtre.»

 

 

Joignant le geste à la parole, XY a donné naissance le 14 mai, à Valenciennes (Nord), à son sixième spectacle, appelé à tourner de longs mois, voire années. On avait quitté la troupe sur le magistral Möbius, conçu en collaboration avec le chorégraphe Rachid Ouramdane. Une pièce tutoyant les sommets, à la fois sombre et virtuose, qui, dévoilée en 2019, continue du reste de circuler. Place maintenant au Pas du monde, où deux chanteuses et un chanteur enluminent les figures de cette vingtaine de circassiens ayant pour signe particulier de ne développer qu’une seule discipline, ici poussée dans ses retranchements paroxystiques, le porté acrobatique. Où comment ne jamais cesser d’explorer – et d’exploiter – un potentiel haletant inexorablement reconfiguré.

Pyramides et colonnes humaines

 

Le Pas du monde questionne cette fois la relation de l’humain à la nature – et vice versa – en un continuum de tableaux où, entre hybridations et métamorphoses, transparaîtront, ici les ondulations de vagues, là, l’épanouissement de fleurs. Mais aussi telle cordée défiant la chute au sommet d’une falaise, ou figure de thérianthrope, créature mi-humaine mi-animale, que, sur la bien nommée scène nordiste du Phénix, il serait vain de vouloir à tout prix identifier.

 

Contrairement à Möbius, qui s’accomplissait dans la noirceur, la création anniversaire ne boude pas la couleur (à l’exemple des tee-shirts aux tonalités variées). De même qu’une liturgie poétique entraîne parfois dans les limbes ce phalanstère désormais cosmopolite qui, entre portés, saltos et sprints, ne se satisfait pas de pyramides et de colonnes humaines - toujours à couper le souffle - pour affiner une expertise qui lui a valu à ce jour de tourner dans 28 pays, pour un nombre total de représentations avoisinant les 1 500. «Nous en sommes toujours à chercher une nouvelle acrobatie, sans doute moins académique et performative, en quête d’une liberté qu’on aspire à tordre, ou renouveler. Une fois définis les points de départ et d’arrivée, nos préoccupations artistiques tournent autour de savoir comment poser des images sur une technique qu’on ne souhaite pas particulièrement complexifier, au contraire même», développent d’une même voix la pionnière Airelle Caen et Guillaume Sendron, monté à bord de XY au moment du Grand C, le deuxième chapitre imaginé en 2009 par la compagnie implantée dans les Hauts-de-France.

 

Manières d’être vivant, le livre du philosophe Baptiste Morizot, est passé entre pas mal de mains pendant la gestation du Pas du monde, entamée en octobre 2023, les premières résidences de création ayant, elles, démarré en août 2024. D’autres repères ont balisé le projet, mêlant références picturales (le Radeau de la méduse de Géricault, la Liberté guidant le peuple de Delacroix), littéraires (l’auteur de SF Alain Damasio), scénographiques (l’inspiration polymorphe du Sud-Africain William Kentridge)… et virées pédestres dans les Alpes du Sud. Aujourd’hui à flots, le spectacle capitalise sur le long terme, avec déjà soixante dates calées jusqu’au printemps 2026, dont une longue halte automnale à Paris, à la Villette.

«Une vitalité extraordinaire»

 

Sur ces entrefaites, Möbius jouera sa 300e représentation le 27 juin à Marseille. Car, faisant maintenant partie de la minorité de compagnies ayant pignon sur rue, XY a su développer le don d’ubiquité. Après la bande des six initiale, le collectif mobilise désormais une cinquantaine d’artistes prêts à satisfaire la demande. Inhérent au porté acrobatique, où les vols planés et sauts coordonnés ne tolèrent aucune approximation, le mot «solidarité» reste de mise, dans un équipage qui, s’efforçant de dénier tout lien hiérarchique, préfère encore communiquer sur «l’agrégation d’expériences, la transmission et l’enrichissement»  qu’apportent les recrues. Rien que dans le Pas du monde, où, avec des interprètes allant de 25 à 47 ans, XY n’a jamais affiché une moyenne d’âge aussi élevée, une dizaine de nationalités se côtoient, Français, Brésilien, Chilien, Marocain, Allemand ou Israélien parlant le même langage circassien.

 

 

«Soutenus par des institutions comme Chaillot ou la Villette, mais aussi le ministère de la Culture, ou la Fondation BNP Paribas, nous avons conscience d’avoir un statut bien différent de celui, parfois problématique, de nombreuses jeunes compagnies, admet le directeur de production, Antoine Billaud. Car la situation est assez paradoxale : le cirque a sans doute gagné en reconnaissance, il y a des crédits, des aides à la création et on constate une vitalité extraordinaire. Pour autant, la réalité reste complexe et fragile, avec des troupes qui disparaissent au bout de seulement deux ou trois ans, ou travaillent sur de nouveaux spectacles qui ne parviennent à exister que le temps d’une quinzaine de représentations.»

 

D’où la nécessité d’un questionnement passant aussi par le rapport au public que, depuis 2018, XY développe en parallèle du circuit scénique traditionnel. Baptisées «les Voyages», ou «Nos bords du monde», les expériences visent à aller à la rencontre d’une population qui, souvent, n’a ni les codes, ni les moyens financiers lui permettant de pousser la porte des théâtres. Une trentaine d’expériences ont déjà vu le jour, sur un marché de Vaulx-en-Velin, en marge des Nuits de Fourvière, à Montpellier, dans le quartier de la Mosson, au Portugal… En attendant São Paulo en août, ou Toulon, en septembre.

«Créer la rumeur, perturber le réel»

En novembre, cinq ou six acrobates reviendront dans le Nord pour animer une formation destinée à 80 cadres de santé du Centre hospitalier de Valenciennes. Et avant, en septembre, la commune limitrophe de Saint-Saulve servira également de cadre à un autre «projet de territoire». Une intervention étalée sur six jours, qui nécessite des appuis locaux, et pas mal de repérages, qu’une petite délégation effectue en ce jour ensoleillé de mai à la Pépinière, un quartier dit «prioritaire», à quelques heures de la création du Pas du monde.

 

 

D’une maison de quartier à l’école primaire, il faut trouver le lieu idoine qui pourra héberger l’expo photo complétant les déambulations, détailler les bâtiments, évaluer les jauges, estimer les distances et temps de trajet. Rassurer aussi les équipes techniques de la ville, qui, bien que coopératives, ne s’inquiètent pas moins d’un usage «dévoyé» du mobilier urbain et souhaitent se prémunir contre tout pépin éventuel. «Nous avons les assurances requises et s’il se passait quoi que ce soit, votre responsabilité ne serait pas engagée», précise Julien Amiot, un des acrobates, détaché pour l’occasion, qui précise : «Il y a tout à construire. Créer la rumeur, perturber le réel, ça prend du temps.»

«Une façon aussi, complète son compère Guillaume Sendron, de ne pas se complaire dans une bulle artistique, en vérifiant que, dans ces quartiers réputés difficiles, la pauvreté économique est souvent inversement proportionnelle à la richesse d’un tissu associatif qui veut croire au dynamisme du vivre ensemble.»

Le Pas du monde de la compagnie XY, à Amiens le 27 mai puis en tournée 2025-2026 (avec un passage à Paris du 31 octobre au 23 novembre à la Villette). Möbius en tournée. «Les Voyages» cet automne à Toulon, Saint-Saulve, Bordeaux…
Légende photo : «Le Pas du monde» questionne la relation de l’humain à la nature en un continuum de tableaux où transparaîtront ici les ondulations de vagues, là l’épanouissement de fleurs. (Mélissa Waucquier /Collectif XY)
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May 24, 5:37 PM
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Virginie Despentes : « Sur le plateau, je suis la cheffe, c’est clair dans ma tête »

Virginie Despentes : « Sur le plateau, je suis la cheffe, c’est clair dans ma tête » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Joëlle Gayot dans Le Monde - 24 mai 2025

 

 

La romancière, qui présente à La Colline, à Paris, « Romancero queer », explique dans un entretien au « Monde », comment elle s’est réinventée en dramaturge et metteuse en scène.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/24/virginie-despentes-sur-le-plateau-je-suis-la-cheffe-c-est-clair-dans-ma-tete_6608214_3246.html

Virginie Despentes lors du filage de « Romancero queer », au Théâtre de la Colline, à Paris, le 16 mai 2025. TERESA SUAREZ

En 2024, Virginie Despentes mettait en scène Woke, au Théâtre du Nord, à Lille. Un an plus tard, elle récidive au Théâtre de la Colline, à Paris, avec la mise en scène de Romancero queer, deuxième volet d’un triptyque qu’elle projette d’écrire pour la scène.

Quel lien nouez-vous avec le théâtre ?

Lorsque j’ai mis en scène Woke, texte coécrit à quatre, j’ai revécu une sensation que je n’avais plus connue depuis la publication de mon premier roman, Baise-moi [Florent Massot, 2004] : l’évidence que je devais poursuivre, que je le pouvais et, sans doute, saurais le faire. Sans parler de la joie éprouvée à mettre en scène et à se dire qu’une forme s’apprêtait à naître.

Lire la critique (2024) | Article réservé à nos abonnés « Woke », la sauvage liberté du théâtre selon Virginie Despentes
Lire plus tard

Le théâtre, comme la littérature, est un peu anachronique. Ce qui lui permet de passer sous une série de radars et lui conserve une forme de liberté. Dans les lieux où nous jouons, dans la rencontre avec le public, il y a quelque chose qui me convient. C’est pour ça que, créant à Lille, en 2024, j’ai tout de suite pensé à inscrire Woke dans une trilogie. J’aime l’idée de mener trois projets avec la même troupe d’acteurs.

En littérature, un long laps de temps sépare l’écriture d’un livre de sa publication. Au théâtre, la création s’éprouve en temps réel, au jour J de la mise en scène. Comment vivez-vous cette immédiateté ?

C’est un stimulant que je dois apprendre à gérer. J’ai écrit le texte en janvier, nous le créons en mai, c’est très rapide. Cette rapidité me plaît. Comme me plaît, aussi, le fait de pouvoir écrire au fur et à mesure des répétitions. Ce que je fais beaucoup, et même trop au goût des interprètes ! Mais c’est magique. Cela fait trente ans que j’écris des romans, c’est exigeant d’être seule et de se situer dans ce temps long. Le théâtre est angoissant, car il faut respecter les délais, mais ça en fait un art très vivant.

En deux spectacles, vous avez développé des fictions qui s’installent dans les coulisses. Pourquoi entrer dans le théâtre par son hors-champ ?

J’aime observer comment se fabriquent les choses. Que se passe-t-il dans le making of ? Si je tourne de la sorte autour du théâtre, c’est parce que j’ai l’impression que j’y vais pour de bon. Et que, du coup, j’ai le temps d’y arriver en me demandant comment ça s’écrit, ça se finance, qui sont les directeurs, ou ce qu’est un metteur en scène par rapport à ses acteurs.

 
 
 

On reproche beaucoup aux réalisateurs ou aux metteurs en scène des abus de pouvoir, mais réfléchit-on assez à la réalité de ce pouvoir qu’on nous donne, qu’on prend et qu’on exerce ? Du désir à la tyrannie du désir, que se passe-t-il ?

Le texte vous échappe-t-il quand l’acteur se l’approprie ?

Non, parce que je suis décisionnaire. Même si je ne suis pas fétichiste de mes phrases, même si j’aime ce que chacun apporte sur le plateau, c’est moi qui décide. Sur le plateau, je suis la cheffe. C’est clair dans ma tête.

Vous venez à La Colline avec la famille d’interprètes qui était déjà là pour « Woke ». Pourquoi ?

J’ai toujours abordé les choses de façon directe, avec ce que je suis en totalité. Je fais la même chose au théâtre. Sans aucune déclaration d’hostilité, je sais que nous, les queers, nous n’y sommes pas surreprésentés.Or, il est important de nous représenter. Mais nous sommes bien reçus. Le théâtre est souple et tolérant avec les caractères atypiques. La Colline n’est pas mon théâtre, mais c’est chez moi. Chez nous.

Le Théâtre de la Colline est-il un lieu d’hospitalité ?

N’importe qui peut venir voir la pièce et se sentir accueilli. Il n’y a pas de surplomb. Pas d’obligation d’une formation préalable pour comprendre le propos. Je tiens à ce que l’accès ne soit pas difficile, à ce que n’importe qui puisse s’emparer de ce que je crée. Je n’ai pas le sentiment que nous sommes juste entre quadra ou quinqua blancs, dans un entre-soi. Des artistes comme Rébecca Chaillon aident à ouvrir les portes.

 

 

Lire le portrait (en 2023) : Article réservé à nos abonnés Rébecca Chaillon, figure d’un renouveau théâtral queer et afroféministe
 

J’espère participer à quelque chose qui est en route. Et puis le contrat que passe le spectateur avec le théâtre est génial. C’est très enfantin de s’asseoir et d’accepter de rester dans le silence pendant qu’on vous raconte une histoire.

Ce théâtre pourrait-il être votre refuge ?

Il ne tiendrait pas face à des bascules telles que celles qui ont lieu, par exemple, aux Etats-Unis. Mais il est l’endroit où on peut se ressourcer et se réparer. L’endroit de la revitalisation, du soin et de la résistance.

 

 

Lire « Je ne serais pas arrivée là si » (2017) | Article réservé à nos abonnés Virginie Despentes : « Cette histoire de féminité, c’est de l’arnaque »
 

« Romancero queer », texte et mise en scène de Virginie Despentes. Théâtre de la Colline, Paris 20e. Jusqu’au 29 juin.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

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Le « Romancero queer » fougueux et inquiet de Virginie Despentes au Théâtre de la Colline, à Paris

L’écrivaine livre un spectacle attachant, entre comédie et politique, qui met en scène une troupe frondeuse.

Par Joëlle Gayot / Le Monde 

Publié le 24 mai 2025  Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/24/le-romancero-queer-fougueux-et-inquiet-de-virginie-despentes-au-theatre-de-la-colline-a-paris_6608209_3246.html

Elle gravite autour de la scène, à moins que ce ne se soit la scène qui lui fasse de l’œil. De son essai King Kong Théorie (Grasset, 2006, adapté à de multiples reprises par des comédiennes) au premier tome de Vernon Subutex (mis en scène en 2022 par Thomas Ostermeier) en passant par la coécriture de la pièce Woke (2024), Virginie Despentes a, de toute évidence, une carte à jouer sur les planches.

Dernier épisode de ce pas de deux insistant : Romancero queer, premier texte de théâtre signé de sa seule main et qu’elle met en scène au Théâtre de la Colline, à Paris. Un spectacle fougueux et attachant, qui propulse sur le plateau des interprètes comme on en croise peu au sein de l’institution. Mais des êtres vivants, ô combien !

 

Ils sont huit à investir un espace stylisé formé de blocs gris, qui évolueront du podium aux décombres, avant d’être recouverts par une sublime couverture d’or. En fond de salle, de hauts rubans opaques dissimulent le hors-champ, d’où jaillissent, en voix off, les ordres de Michel, metteur en scène vieillissant et odieux d’une pièce du poète espagnol Federico Garcia Lorca, La Maison de Bernarda Alba. Ce huis clos matriarcal de l’auteur (torturé et assassiné à cause de son homosexualité, rappelle l’un des protagonistes) restera invisible, l’action de Romancero queer se situant du côté des coulisses.

Ouverture réjouissante

Virginie Despentes installe une farce mi-drôle mi-inquiète dans l’envers du décor, là où les acteurs viennent se reposer, se raconter et commenter la tournure d’une répétition dont ils devinent qu’elle les mène droit à la catastrophe. Michel veut adapter en version queer le drame 100 % féminin de Lorca. L’opportunisme ne rimant pas avec le talent, la contestation gronde au cœur d’une troupe qui va, petit à petit, dépasser narcissismes et rivalités pour se constituer en un bloc militant et, en bout de course, unanimement gréviste.

 

Cette trajectoire constructive, qui part d’individualités hétéroclites pour aboutir à un collectif soudé, s’incarne dans les strates dramaturgiques que franchit la représentation. Une première veine exploite avec verve l’esprit de la comédie. Ce n’est pas du théâtre d’art, mais un divertissement percutant et intelligent. Une seconde approche, plus conceptuelle et tourmentée, ouvre la porte à des discours politisés, où surgissent sur un mode disruptif des thèmes d’actualité : le capitalisme, le sort de Gaza, le wokisme, #MeToo, le féminisme ou bien encore le lesbianisme. Le théâtre qui, de ce fait, s’apparente à une tribune publique et/ou une confession intime, y gagne en gravité ce qu’il perd en efficace séduction. Mais Virginie Despentes n’a pas signé, avec le rire, un contrat d’exclusivité. « J’ai envie de parler de choses sérieuses, écrit-elle. L’époque ne s’y prête pas, elle l’impose. » Raison pour laquelle elle met la vivacité de sa plume au service de causes et de luttes relayées par des acteurs qui semblent alors cesser de jouer pour parler en leur (et son) nom.

 

 

Le théâtre à géométrie variable forme une totalité cohérente, dont on garde en mémoire l’ouverture réjouissante, avec ses rafales de répliques qui fustigent (entre autres défaites morales) l’abandon des artistes par leurs tutelles financières. Ce qui n’empêche pas les punchlines de mettre en boîte, chemin faisant, un monde du spectacle patriarcal et souffreteux (ce n’est pas un hasard si le metteur en scène est perclus de douleurs lombaires). « On sera médiocre, mais dans la moyenne », affirme ainsi Nina (formidable Mascare), qui vient de se faire larguer par sa copine, mais dont la rupture laisse ses compagnons de marbre. La fine équipe de personnages plantés par Despentes a de l’humour et du tempérament. Dealeur, ex-taularde, drag queen ou star lesbienne de série télé, les parcours de vie déployés dans la fiction sont assumés par des interprètes forts en gueule.

 

Sasha Andres, Amir Baylly, Casey (en alternance avec Naelle Dariya), Mata Gabin, Soraya Garlenq, Mascare, Soa de Muse, Clara Ponsot arrivent du théâtre, du cabaret, de la musique, du cinéma, de la danse, de la performance. C’est dire si le plateau de La Colline se peuple de figures hors norme qui affolent le thermomètre d’un jeu à la papa. Présences frontales, proférations musclées, ces pros font un show de footballeurs talentueux. D’ailleurs, ils le disent : la parole n’est rien d’autre qu’un ballon qu’ils se renvoient. Taillé sur mesure pour leurs personnalités décapantes, le texte, dans sa première partie, est un concentré d’ironie et un précipité d’humanité. Il ne laisse personne sur le carreau. Ni les héros, qui accèdent à de pleines et solides existences, ni les acteurs en pleine lumière, ni les spectateurs, qui passent des éclats de rire à l’écoute tendue des violences sociétales dénoncées. Si ces dernières font l’effet d’une douche froide, c’est que la légèreté, suggère le spectacle, n’est plus de mise. Et que le théâtre des vivants pourrait bien devenir, à terme, un gisant embaumé sous une sublime, mais mortifère, couverture d’or.

 

Romancero queer, texte et mise en scène de Virginie Despentes. Théâtre de la Colline, Paris 20e. Jusqu’au 29 juin.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 
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May 22, 10:10 AM
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A la Comédie-Française, une saison 2025-2026 largement hors les murs

A la Comédie-Française, une saison 2025-2026 largement hors les murs | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 22 mai 2025

 

En raison de travaux salle Richelieu, la nouvelle programmation, dévoilée mercredi 21 mai, se déploiera en partie, à partir de janvier 2026, dans différents théâtres de Paris et de sa périphérie.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/22/a-la-comedie-francaise-une-saison-2025-2026-largement-hors-les-murs_6607756_3246.html

A la Comédie-Française, la saison 2025-2026, dont la programmation a été annoncée mercredi 21 mai au soir, sera particulière. D’abord parce qu’elle sera la dernière imaginée par Eric Ruf, qui quittera son poste d’administrateur général le 4 août. Ensuite parce que la moitié de cette saison se déploiera en partie hors les murs, dans divers théâtres de Paris et de sa périphérie, en raison de travaux qui auront lieu dans la salle Richelieu de janvier à septembre 2026.

La première partie de la saison se déroulera de manière classique, avec une seule création prévue à Richelieu : celle de L’Ecole de danse, de Goldoni, dans une mise en scène de Clément Hervieu-Léger, le successeur d’Eric Ruf à la tête de la maison, qui prendra ses fonctions en août. Elle sera accompagnée par les reprises d’Une mouette, d’après Tchekhov, dans la lecture d’Elsa Granat ; des Fourberies de Scapin et du Misanthrope, de Molière, mis en scène respectivement par Denis Podalydès et par Clément Hervieu-Léger. Le Théâtre du Vieux-Colombier accueillera la reprise du Mariage forcé, de Molière, dans la vision explosive signée par Louis Arene, et la création de Casse-Noisette ou le Royaume de la nuit, d’après Hoffmann, par Johanna Boyé.

 
A partir du 14 janvier 2026, la Comédie-Française s’éclatera dans neuf lieux. Le Théâtre de la porte Saint-Martin tiendra le rôle de camp de base, avec ses deux salles, tandis que plus ponctuellement le Théâtre du Rond-Point, l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Nanterre-Amandiers (Hauts-de-Seine), le 13e art, la Grande Halle de La Villette, le Théâtre du Châtelet et le Théâtre Montparnasse accueilleront des spectacles. Le Vieux-Colombier et le Studio-Théâtre verront, eux, leur saison se poursuivre de manière habituelle.
 

Emma Dante, Ivo van Hove, Valérie Lesort…

Parmi les créations très attendues, on comptera Les Femmes savantes, de Molière, par la Sicilienne Emma Dante ; Hamlet, de Shakespeare, par le Flamand Ivo van Hove, avec Christophe Montenez dans le rôle-titre ; Le Cid, de Corneille, par Denis Podalydès, avec Benjamin Lavernhe ; ou La Vie parisienne, d’Offenbach, par Valérie Lesort. Ainsi que, au Vieux-Colombier, L’Ordre du jour, d’Eric Vuillard, adapté par Jean Bellorini, ou Penthésilée, de Kleist, par le metteur en scène allemand Michael Thalheimer.

 

Un certain nombre de reprises sont également au programme, dont celles de Contre, d’après Cassavetes, par Constance Meyer et Sébastien Pouderoux ; du Bourgeois gentilhomme, de Molière, par Valérie Lesort et Christian Hecq ; d’Hécube, pas Hécube, de Tiago Rodrigues, ou encore (la liste n’est pas exhaustive) de l’exquise Puce à l’oreille, de Feydeau, orchestrée par Lilo Baur. Comme toujours, Eric Ruf donne aussi leur chance à de jeunes artistes, à l’image d’Edith Proust, de Séphora Pondi ou d’Anna Cervinka, comédiennes dans la troupe, qui signeront toutes trois des créations.

 

Quant aux travaux sur le site de Richelieu, ils concernent à la fois la rénovation de la scène et la mise aux normes du bâtiment, dans un édifice qui accueille le public plus de trois cents jours par an. Le plateau de la scène, qui n’a pas été refait depuis vingt ans, s’affaisse vers la face : un plateau dont la pente est, en temps normal, de 4 %, et dont la déclivité s’est accentuée en raison de la forte activité et du poids des décors montés et démontés en alternance, menaçant de faire glisser aussi bien les acteurs que les éléments de décor. Les travaux prévoient donc une réfection complète de ce plateau et de ses dessous, concernant la structure, le plancher et la machinerie scénique. Ils s’accompagnent, par ailleurs, dans les autres espaces de la maison, d’un chantier de rénovation énergétique et de modification des circulations internes visant à favoriser la vie collective.

 

 

Particulière, cette dernière saison d’Eric Ruf à la tête de la Comédie-Française s’annonce également riche et passionnante.

Fabienne Darge / LE MONDE

Légende photo : Façade de la Comédie-Française, salle Richelieu, à Paris, le 11 octobre 2023. MIGUEL MEDINA / AFP
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May 19, 2:13 PM
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Histoire d'un Cid, variation autour du Cid de Pierre Corneille, par Jean Bellorini.

Histoire d'un Cid, variation autour du Cid de Pierre Corneille, par Jean Bellorini. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Webthéâtre - 12 mai 2025

 

 

Un Cid revisité et réactivé avec facétie et bonheur théâtral.

 

Naïveté, jeu et enfance, tel est le regard pétillant que le metteur en scène, adaptateur et directeur du Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Jean Bellorini, porte sur la tragi-comédie baroque du Cid (1637) cornélien, rapprochant l’oeuvre qui peut paraître guindée pour les générations de notre temps, non dupes pourtant, et qui ne s’en réjouissent pas moins encore et toujours.

Une affaire de règles, conventions, dignité, sens du devoir et courage - cas d’honneur qui donne droit de vie ou de mort dans une société féodale hiérarchisée. Quand, après le choix du Roi de Castille de prendre Don Diègue, père de Rodrigue, pour le poste de gouverneur du Prince, le Comte, père de Chimène, valeureux mais arrogant, éprouve l’humiliation : il soufflète le rival, guerrier vaillant vieillissant.

 

 

Ni une ni deux, il revient à Rodrigue, fils de la victime du Comte, de porter l’épée paternelle glorieuse, bien embarrassante à vrai dire pour qui aime la fille du frondeur, prenant en charge en dépit de lui l’héritage familial et traditionnel d’honneur et de destin collectif. Ainsi est conté à l’adresse du public le « dilemme cornélien » par Rodrigue - François Deblock - personnage et commentateur. D’un côté, servir père et renommée en perdant l’amour de Chimène ; ou de l’autre, préserver l’amante et renier toutes les obligations filiales, héritières d’une lignée.
Le destin en décidera autrement, assurant sa foi en la jeunesse et les sentiments.

 

 

Ils sont quatre sur le plateau, Cindy Almeida de Brito pour Chimène, François Deblock pour Rodrigue, Karyll Elgrichi pour l’Infante qui, elle aussi, sacrifie son penchant pour Rodrigue non de son rang, un deuil consenti à Chimène ; et Federico Vanni en alternance avec Luca Iervolino, pour Don Diègue et Léonor, la suivante de l’Infante - il suffit de revêtir une étole rouge. Tous incarnent, observent et racontent..

 

Les interprètes sont des acteurs lumineux irradiant la scène, prenant plaisir à faire le récit des enjeux de l’intrigue, malicieux et amusés, émus ou plus distants, ils se concentrent sur la passion et le désir de vivre dans l’hommage rendu aux anciens, sous-entendant que les compromis ont droit de cité existentiel dans toute vie.

 

Foulant ou bien contournant un immense drap blanc recouvrant la scène, l’espace entre la mer et le ciel ou entre le rivage et les terres intérieures. C’est une caravelle, un navire à voiles et à hauts bords, un jouet miniaturisé - rappel claudélien - qui jette ses ombres sur les remparts blancs d’un château de plage gonflable - reprise lointaine et ludique de la résidence royale de l’Alcazar sévillan.

Percussions et claviers, jeux d’ombres et de lumières, E la nave va, la magie scénique oeuvre, libérant l’émerveillement et l’imaginaire, tandis que les acteurs sautent sur la structure gonflable comme sur un trampoline, ou bien la quittent quand elle se rétracte. Reste le cheval de bois verni enfantin de Rodrigue, un lustre de lumière oblong qui habille le décor, la sculpture religieuse colorée d’une Vierge à l’Enfant, et les grilles ouvragées de style mudéjar à peine esquissées sur le lointain.

Le couple de jeunes amants tient sa ligne : Cindy Almeida de Brito est juste et pertinente pour la sobriété de Chimène, et François Deblock joue fort sur l’émotion du public ; il chante SOS d’un terrien en détresse de Michel Berger et Luc Plamondon (1978) de l’opéra rock Starmania, chanson composée sur deux octaves et demie pour la rare tessiture de Daniel Balavoine, endossée aisément à son tour par notre Rodrigue d’aujourd’hui. Et le Blues de Don Diègue - Federico Vanni- vaut son pesant théâtral, entre sagesse et révolte, bonhomie et art de vivre, acculé à sublimer le verdict désuet : « L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir ».

Reste l’humanité de la royale Infante qui souffre d’aimer, versant des pleurs sincères. La subtile Karyll Elgrichi exprime ses états d’âme, écrivant une lettre à Rodrigue jamais envoyée : « …Je voulais te dire ce que je crois, c’est qu’il fallait toujours garder par devers-soi, voici, je retrouve le mot, un endroit, une sorte d’endroit personnel, c’est ça, pour y être seul et pour aimer… Pour garder en soi la place d’une attente, on ne sait jamais, de l’attente d’un amour, d’un amour sans encore personne peut-être, mais de cela et de seulement cela, de l’amour… »

Un digne et beau spectacle populaire de rare intensité et de fraîcheur ludique acidulée et colorée, « réveillant » une œuvre littéraire-culte, conciliant la jeunesse et l’âge avancé, au-delà des paradoxes entre passion et raison, rêve et réalité.

 

 

Véronique Hotte / Webthéâtre

 

Histoire d’un Cid, variation autour du Cid de Pierre Corneille, adaptation collective du texte, mise en scène de Jean Bellorini. Avec Cindy Almeida de Brito, François Deblock, Karyll Elgrichi, Clément Griffault (claviers), Benoit Prisset (percussions), Federico Vanni en alternance avec Luca Iervolino, collaboration artistique Mélodie-Amy Wallet, scénographie Véronique Chazal, lumière Jean Bellorini assisté de Mathilde Foltier-Gueydan, son Léo Rossi-Roth, composition musicale Clément Griffault et Benoit Prisset costumes Macha Makeïeff assistée de Laura Garnier, vidéo Marie Anglade. Du 15 mai au 15 juin 2025, mer, jeu, ven à 20H / sam à 18H / dim à 15H au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 Avenue Pablo Picasso, Nanterre.  

 



Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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May 16, 5:26 PM
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«L’Hôtel du libre-échange» de Feydeau, faste farce à l’Odéon

«L’Hôtel du libre-échange» de Feydeau, faste farce à l’Odéon | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 

Le metteur en scène Stanislas Nordey adapte avec malice la pièce antibourgeoise de Feydeau, au langage cru, qui dépeint la nuit rocambolesque de deux amants.

 

 
 

A ceux qui veulent cantonner Feydeau au boulevard, prétextant que cette vulgarité-là – censément poussiéreuse – ne convient pas aux grandes maisons, Stanislas Nordey répond avec une acuité littéraire particulièrement malicieuse. Sur une scène qu’encadrent d’abord des murs couverts de mots, ceux de la didascalie initiale, le metteur en scène élabore un édifice plus complexe que les fameuses portes qui claquent, servantes qui gouaillent, et autres «ciel mon mari», et rend ainsi cet auteur snobé des intellos à sa vérité, celle d’un théâtre cruel, étrange et antibourgeois.

 

 

L’Hôtel du libre-échange, écrit en 1894, met en place comme il se doit un double ménage de notables apparemment comme il faut. Seulement M. Pinglet se trouve peu satisfait de sa femme, et a des vues sur Mme Paillardin, dont le mari est lui-même peu porté sur la chose. Ni une ni deux, Pinglet et Paillardin se donnent rendez-vous à l’hôtel du libre-échange le soir-même, profitant de l’absence de leurs époux : l’un, ingénieur de son état, doit inspecter un hôtel parisien soi-disant hanté par des esprits, l’autre va chez sa sœur à Ville-d’Avray. Débarque alors un ami de province avec ses quatre filles, que les Pinglet refusent de loger – trop nombreux – et qui vont se retrouver – on vous le donne en mille – à l’hôtel. S’ensuit une nuit rocambolesque où tout le monde se croise et se recroise, dans une combinatoire compliquée qui s’emballe jusqu’à épuisement.

Malaise de classe

Car c’est bien d’épuisement qu’il s’agit. Epuiser les possibilités, le langage, vider ces personnages désagréables, vaniteux et ridicules d’une substance entièrement faite de manières ineptes et de conventions aberrantes. Les acteurs – mention particulière au très inquiétant Cyril Bothorel – débitent le texte comme des mélodies fausses, arythmées, à la limite du cri parfois : c’est que la langue comme les codes craquent, et laissent entrevoir en dessous le désir et la merde. A l’hôtel du libre-échange, où rien ne se consomme parce que les personnages de Feydeau ne peuvent pas jouir, le trou des serrures est aussi un trou du cul, et il n’y a que ces imbéciles de bourgeois pour ne pas le voir. Sur le plateau presque nu, dont les papiers peints garnis sentent la cocotte des faubourgs, les portes ouvrent sur des espaces déjà ouverts. Les personnages y entrent vêtus d’absurdes abat-jour en plumes, jambes nues et talons blancs, y donnant un ballet d’autruches de plus en plus grotesque, jusqu’à un final particulièrement cruel. Le mur du fond a avancé, la didascalie enserre des personnages dont la farce sexuelle a raté mais néanmoins menacé tout le monde ; quant au deus ex machina qui sauve notre Don Pinglet, c’est tout simplement son privilège de genre et de classe.

 

Le rire fuse dans la salle, mais diversement : parfois franc(houillard), parfois plus gêné. On pense à ce mot anglais si difficile à traduire, le cringe, cette honte diffuse que l’on ressent devant un spectacle dont le comique grince, un malaise de classe que travaille si bien la fiction contemporaine. Et Feydeau sort de la gangue tenace de sa réputation boulevardière et de ce malentendu qui l’assimile à du théâtre bourgeois : la trivialité n’y est certainement pas une forme rigolote, elle est un dépouillage féroce de réflexes qui n’ont pas vieilli.

«L’Hôtel du libre-échange» de Georges Feydeau. Mise en scène par Stanislas Nordey. Au Théâtre de l’Odéon à Paris jusqu’au 13 juin et en tournée

 

Lucile Commeaux / Libération

 

 

Légende photo : «L’Hôtel du libre-échange» a été écrit en 1894 par Georges Feydeau. (photo © Jean-Louis Fernandez)
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May 13, 1:10 PM
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Père du Trident, ex-directeur de l’Orchestre de Normandie, Pierre-François Roussillon est décédé

Père du Trident, ex-directeur de l’Orchestre de Normandie, Pierre-François Roussillon est décédé | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Noémie BAUDOUIN et Raphaël FRESNAIS - Publié le 13/05/2025 

 

De Cherbourg (Manche) à Mondeville (Calvados), la Normandie vient de perdre une des figures artistiques de ce dernier quart de siècle avec la disparition, samedi 10 mai 2025, de Pierre-François Roussillon. Fils du comédien Jean-Pierre, ce clarinettiste de talent avait choisi la voie de la musique avant de diriger trois scènes nationales à Cherbourg, Bourges et Malakoff. Dernier directeur du feu Orchestre régional de Normandie, il venait de reprendre le chemin des concerts avec sa clarinette.

 

 

Pierre-François Roussillon est né en 1962 pour être artiste. Fils du grand comédien Jean-Paul Roussillon, metteur en scène et sociétaire de la Comédie française, sa destinée s’impose à lui comme une évidence. « J’ai grandi dans les couloirs de la Comédie française, je les connais comme ma poche » confiait, dans un habituel sourire affable, celui qui a rendu son dernier souffle, samedi 10 mai 2025, du côté de Cherbourg, où ses obsèques devraient être célébrées prochainement.

 

La musique puis le théâtre

Plutôt que le théâtre ou le cinéma, Pierre-François Roussillon choisit d’abord la musique : la clarinette et le saxophone. Il crée des ensembles, joue sur de grandes scènes, mais lui vient l’envie « de s’engager en devenant directeur de théâtre » , se souvient son amie Isabelle Charpentier.

 

C’est ainsi que ce Parisien débarque dans le Cotentin en 2001 pour prendre, d’abord, la direction du théâtre de la Butte à Octeville, puis celle du théâtre national de Cherbourg-Octeville, après la fusion des communes et des deux établissements culturels. « Il a procédé à cette fusion avec beaucoup d’intelligence, d’humanité et de délicatesse, rappelle son amie. C’était un véritable tour de force. »

 

Il avait baptisé le Trident

C’est lui qui nomme le théâtre Le Trident et développe, autour de ce lieu culturel, tout un univers marin, symbole de Cherbourg. « C’était un paradis professionnel. Il nous faisait confiance, on s’est beaucoup amusés et on a été très créatifs. Il a fait venir de grandes pointures comme l’Ensemble intercontemporain. Pour Cherbourg, c’était une grande ouverture culturelle. »

Bourges, Malakoff, puis l’Orchestre régional

En 2006, il quitte la région pour diriger la Maison de la Culture de Bourges (Cher), puis le théâtre 71 de Malakoff (Île-de-France) en 2010. Retour aux sources en 2019, à la tête de l’Orchestre régional de Normandie (ORN) à Mondeville, près de Caen (Calvados).

 

 

Un orchestre de dix-huit musiciens qu’il rêvait de « faire rayonner au niveau national » nous confiait-il à son arrivée. On connaît la suite : à la rentrée 2024, l’ORN a fusionné avec l’Opéra de Rouen et Pierre-François Roussillon s’en est allé.

 

Cette fois, c’est pour de bon. Mais ce grand amateur de jazz laissera le souvenir d’un faiseur de liens, de dresseur de ponts entre les disciplines qu’il aimait tant « croiser ». Des ponts qu’il aurait mérité de dresser un peu plus longtemps. « Il venait de relancer sa carrière de musicien, regrette son ami Patrick Foll, directeur du théâtre de Caen, où il a livré un de ses derniers concerts fin avril. C’était un brillant clarinettiste, quelqu’un de rare. »

 

 

 

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May 12, 9:59 AM
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Au Théâtre de l’Atelier, Hortense Belhôte amuse en prof d’histoire pointue autant que décalée

Au Théâtre de l’Atelier, Hortense Belhôte amuse en prof d’histoire pointue autant que décalée | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama le 12 mai 2025

 

Dans “1664”, sa nouvelle “conférence extraordinaire”, la performeuse et historienne de l’art convoque Colbert comme... Cyndi Lauper. Un cours d’histoire de France original, à voir jusqu’au 17 juin.

 

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Au Théâtre de l’Atelier, où elle présente deux de ses spectacles, l’étonnante Hortense Belhôte amuse autant qu’elle instruit. Dans 1664, la performeuse, historienne de l’art de formation, nous raconte cette année charnière pour la France, particulièrement marquée par l’absolutisme de Louis XIV. Et par l’apparition, à Strasbourg, de la bière qui porte le même nom. Vêtue d’un survêt aux singuliers motifs – baroques et dorés –, l’artiste nous conduit au château de Vaux-le-Vicomte, qu’elle connaît bien – elle lui a consacré son mémoire de recherche et y a tourné un film, à une époque où elle se cherchait et se consumait à grandes flammes.

 

D’anecdote en anecdote, elle retrace avec malice, vidéoprojecteur en main, l’histoire de France et l’histoire de l’art au XVIIe siècle qu’elle aime tant, mêlant à cette « conférence spectaculaire », autobiographique et enjouée, des éléments de son propre parcours. On y croise pêle-mêle ses amis, Colbert, Fouquet… et la chanteuse Cyndi Lauper. Et l’on redécouvre une forme à la croisée des genres, légère, profonde et habitée.

 

Kilian Orain / Télérama

 
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May 11, 2:03 AM
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Le stand-up s’invite au Théâtre national de Strasbourg : « Pourquoi n’avons-nous pas considéré qu’il pouvait être un élément important de la culture commune ? »

Le stand-up s’invite au Théâtre national de Strasbourg : « Pourquoi n’avons-nous pas considéré qu’il pouvait être un élément important de la culture commune ? » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 9 mai 2025

 

 

Pour la première fois, un théâtre public, le TNS, met le genre à l’honneur pendant une semaine, du 10 au 15 mai. Rencontre avec la directrice du lieu, Caroline Guiela Nguyen, et Merwane Benlazar, l’un des humoristes invités de l’événement.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/09/le-stand-up-s-invite-au-theatre-national-de-strasbourg-pourquoi-n-avons-nous-pas-considere-qu-il-pouvait-etre-un-element-important-de-la-culture-commune_6604449_3246.html

Du 10 au 15 mai, le Théâtre national de Strasbourg (TNS) ouvre ses portes au stand-up, avec le TNS Comedy Club. Cette initiative inédite, voulue par la directrice de cette institution théâtrale, Caroline Guiela Nguyen, marque une étape importante dans la reconnaissance de cet art de la parole et de la vanne, souvent considéré comme un sous-genre par les théâtreux.

 

Le programme, composé en collaboration avec l’équipe de Madame Sarfati, le comedy club parisien créé par l’humoriste Fary, offre un échantillon éclectique de la scène actuelle du stand-up. Laura Domenge, Panayotis Pascot et Merwane Benlazar y présenteront leur spectacle. Le Plato, comedy club strasbourgeois, organisera une soirée mêlant artistes émergents et confirmés. Enfin, des élèves de l’école du TNS qui ont suivi un module consacré à l’écriture du stand-up roderont leurs blagues devant le public.

C’est la première fois que des stand-upeurs vont se produire sur une scène de théâtre public. Que représente cette expérience inédite pour chacun d’entre vous ?

Caroline Guiela Nguyen : J’ai toujours travaillé avec la volonté de battre en brèche l’idée qu’il existerait une hiérarchie, une classification des cultures. C’est profondément ce qui crée du mépris social et, surtout, ce qui nous empêche d’accéder à des formes d’art puissantes, parce que l’on estime que telle création relève du théâtre public et telle autre du théâtre privé, sous prétexte que cette dernière serait commerciale et pour le peuple.

 

En tant qu’artiste, directrice d’institution et d’école, mon travail est de totalement rebattre les cartes. Il était temps qu’on franchisse cette nouvelle étape parce que, en vérité, l’institution est en retard. Il s’agit d’être dans une égalité d’estime.

Dans notre programmation, nous avons des artistes comme Eric Feldman, qui a écrit On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie [en 2024], ou Laurène Marx, avec Pour un temps sois peu [2021] : ce sont des formes solos qui s’adressent directement au public.

 

Pourquoi ces spectacles-là ont-ils leur place dans des théâtres nationaux et pas le stand-up ? Parce que le stand-up c’est de l’humour ? Parce qu’il aborde des sujets très contemporains ? Parce qu’il est grand public ? La question qu’on devrait poser est : pourquoi, pendant très longtemps, n’avons-nous pas considéré que ce genre pouvait être dans des théâtres publics et un élément important de la culture commune ?

 

Merwane Benlazar : Jouer dans des comedy clubs, devant un public d’habitués, c’est une chose. Aller sur la scène du TNS, prêcher « au-delà de ma paroisse », devant un public qui n’a pas l’habitude de cette forme d’art, me donne le sentiment de faire pleinement mon travail.

Pourquoi y a-t-il cette hiérarchisation de la culture, pourquoi l’humour a-t-il longtemps été considéré comme quelque chose de moins noble ?

C. G. N. : Intuitivement, je dirais que c’est lié à la question de l’émotion. Je fais beaucoup de spectacles où les gens pleurent et, ça aussi, c’est considéré comme moins noble. Comme si l’émotion ne pouvait pas laisser la place au sérieux du politique, à la distance brechtienne qui permet de comprendre, d’analyser ; elle ferait bifurquer la pensée. Peut-être faudrait-il aussi regarder comment est né le stand-up et comment ceux qui le pratiquaient étaient alors considérés.

M. B. : Lenny Bruce [1925-1966], l’un des premiers stand-upeurs américains, a fait plusieurs séjours en prison parce qu’il évoquait des sujets très tabous pour l’époque. Officiellement, on lui reprochait sa vulgarité, et la police venait l’arrêter lors de ses shows. C’est ça, la base du stand-up : le principe même était de déranger. Il n’y avait pas encore de comedy clubs, le public le découvrait dans des clubs de jazz. On n’avait pas l’habitude, peut-être, de rire fort, de faire du bruit, d’être choqué, d’avoir toutes ces émotions.

En tant que stand-upeur, quel est votre rapport au théâtre ?

M. B. : Je suis né et j’ai grandi en Seine-Saint-Denis, où, grâce à l’école, j’ai pu découvrir des pièces au théâtre public Gérard-Philipe de Saint-Denis. Quand j’étais jeune, je trouvais le théâtre rigide, la lecture n’étant pas mon fort. Alors, quand je devais lire des pièces dans un français ancien, cela me demandait beaucoup d’efforts. Lorsque j’allais au théâtre avec le collège, cela m’intéressait, mais je n’avais pas la capacité de me concentrer sur les dialogues qui étaient datés, tout simplement parce que je n’avais pas le bagage culturel.

A 12-13 ans, j’ai découvert le stand-up grâce au « Jamel Comedy Club » à la télévision : dans sa façon de parler et de faire des blagues, cette troupe me ressemblait, je m’identifiais plus facilement. Le stand-up est davantage venu à moi que la dramaturgie classique.

 

Donc le théâtre est devenu, pour moi, l’endroit où j’allais voir du stand-up, et c’était dans des théâtres privés ou des salles municipales. J’ai suivi des cours d’improvisation au Studio Théâtre de Stains [en Seine-Saint-Denis], avec, comme premier professeur, le stand-upeur Kheiron et, à 16 ans, j’ai fait ma première scène de stand-up. Avec Caroline, nous faisons la même chose : le stand-up, c’est beaucoup de texte, d’écriture.

Et vous, Caroline Guiela Nguyen, quel est votre rapport au stand-up, comment l’avez-vous découvert ?

C. G. N. : C’est présent dans ma vie depuis longtemps. Je viens d’une famille où l’humour est très important. Je regardais à la télé le Jamel Comedy Club, mais aussi Gad Elmaleh, Elie Semoun, etc. Et j’ai continué. Par exemple, avec mon frère, des cousins ou des amis férus de ce genre, on s’envoie quotidiennement une dizaine de vidéos d’extraits d’humoristes trouvés sur Instagram. Puis on se rappelle, on se redit les punchlines et on mesure à quel point le choix des mots a un sens qui fait que soit ça passe, soit ça ne passe pas. C’est ténu.

 

Le stand-up, c’est vraiment de l’écriture. C’est ça que j’adore. En tant qu’autrice, quand j’écoute du stand-up, je suis dans un rapport très simple d’humour, mais aussi parfois dans la pensée politique. Réussir à écrire sur des sujets très actuels, en trouvant l’endroit où ça peut nous faire rire sans que ça flingue toutes les personnes autour, je trouve que c’est une prise de risque assez dingue.

Le stand-up a amené dans les salles de spectacle un public jeune et très diversifié…

C. G. N. : La question des publics, c’est mon obsession. J’ai toujours fait du théâtre en me disant : je veux que ce soit un lieu hospitalier, dans lequel ma mère se sente totalement à sa place. Je ne veux pas qu’elle entre dans la salle avec la peur au ventre, en ayant l’impression que ce n’est pas pour elle. Il ne s’agit pas uniquement d’accueillir du stand-up pour qu’il y ait des jeunes, des publics divers, mais de dire à ces publics-là : ce que vous aimez a de la valeur. Pour moi, il n’y a rien de plus violent, dans la vie, que d’attaquer les gens sur leurs goûts, de leur dire que ce qu’ils aiment n’est pas culturellement admissible.

 

Je suis très heureuse que le public qui ne va pas voir habituellement du stand-up, qui n’en connaît pas les codes, puisse y participer, mais aussi côtoyer un autre public, qui, lui, est très habitué à cette discipline. Il s’agit, finalement, de créer une nouvelle communauté dans la salle.

 

M. B. : S’agit-il aussi pour vous de questionner votre public d’habitués sur ce qu’ils pensent ne pas aimer ? Le type de stand-up que vous avez choisi pour ce TNS Comedy Club ne repose pas sur l’improvisation, mais sur l’écriture. Peut-être faudrait-il l’appeler « monologue comique », pour qu’il soit considéré différemment.

Cette initiative du TNS Comedy Club va-t-elle inspirer d’autres théâtres publics ou craignez-vous qu’elle soit critiquée parce que relevant, selon certains, du divertissement et du commercial ?

C. G. N. : Je n’ai pas peur de la critique, je fais les choses telles qu’elles me paraissent justes. Qu’est-ce qui fait que ça ne serait pas acceptable ? Qu’est-ce qu’un acte de théâtre ? Qu’est-ce qu’il doit y avoir, ou ne pas y avoir, dans un théâtre national ?

Si ma démarche soulève des questions, ce que je peux comprendre, c’est très bien. Allons-y, discutons, ça nous fait avancer. Pour être tout à fait sincère, je n’ai pas non plus envie que ça passe crème, comme si c’était normal. Je ne dis pas que j’ai envie que ça soit la révolte et que tout d’un coup on m’enlève mes subventions, je dis juste : réfléchissons tous ensemble.

 

Il y a quand même des choses qui avancent. Regardez Par les villages, mis en scène par Sébastien Kheroufi [en 2024], avec la rappeuse Casey dans la distribution. Il y a quinze ans, on se serait étonné de voir une femme qui fait du rap sur la scène de théâtre public. En fait, ça y est, tout est en train de se brouiller un peu. Les choses sont déjà en marche et nous, en tant qu’institution, il faut juste qu’on puisse être dans le même tempo.

En choisissant de faire du stand-up, quel est votre objectif premier sur scène ?

M. B. : Sans prendre le rôle de quelqu’un d’autre ou de m’adapter au public, j’essaie de changer le regard par le rire. Quand les gens rient avec moi, j’ai l’impression d’avoir servi à quelque chose, d’avoir mis une petite graine.

Mon spectacle s’est politisé sans le vouloir, notamment lorsque j’ai évoqué mon expérience de tournée en France, lorsque je faisais les premières parties de Panayotis Pascot ou de Roman Frayssinet. Les gens avaient un peu peur de voir arriver un barbu avec une capuche ! Finalement, après mon passage, pendant lequel ils avaient ri parce que je faisais des blagues sur le regard que je suscitais, peut-être se disaient-ils : « Ce n’est pas lui qui fait peur, c’est moi qui suis ridicule. » Si j’arrive à ça, c’est que j’ai fait mon travail.

Sur les préjugés et l’apparence physique, il y a eu la polémique suscitée par votre passage, le 31 janvier, dans l’émission « C à vous », sur France 5. Vous avez été accusé d’être un salafiste à cause de votre tenue et d’échanges de tweets. Que vous inspire cet épisode ?

M. B. : C’était un épisode malheureux, mais, finalement, quelle occasion formidable de faire mon travail ! Je suis évidemment meurtri par cette histoire, parce que j’aime mon pays, mais je suis content d’avoir pu montrer, à travers un sketch, toute l’absurdité de cette polémique. Et, finalement, les salles se remplissent très vite. Peut-être que, pour une fois, en me virant de la télévision, le ministère de la culture a bien fait son boulot. Ils ont mis la lumière sur un très bel artiste ! [rires]

 

C. G. N. : Franchement, cette polémique était surréaliste. C’est sidérant qu’on n’ait pas compris immédiatement que la seule chose dont il s’agissait, c’était de faire tomber un artiste parce qu’il est arabe et qu’il porte une barbe.

M. B. : Je pense que, à ce moment-là, les gens se moquaient de la vérité.

C. G. N. : Exactement. C’est devenu une attaque en règle sur ce que tu représentes. Evidemment, je suis allée vérifier dans les échanges de tweets si tu avais tenu des propos misogynes. Il n’y a pas de sujet. Tu l’expliques très bien dans le sketch que tu as fait pour répondre à la polémique, tu es sorti de cette histoire de façon digne. Ton sketch a plié le game !

L’arrivée du stand-up dans la programmation a-t-elle un impact sur la formation au sein de l’école du TNS ?

C. G. N. : Pour la section jeu du concours du TNS, on a changé les intitulés pour le premier tour de sélection. Les élèves peuvent présenter des textes classiques, mais aussi du stand-up.

 

 

TNS Comedy Club, du 10 au 15 mai, au Théâtre national de Strasbourg.

 

 

Sandrine Blanchard / LE MONDE

 

Légende photo : Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre national de Strasbourg, à Strasbourg, le 25 janvier 2025. SMITH/MODDS

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