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Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre
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Le spectateur de Belleville
March 13, 1:42 PM
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Par Cristina Marino dans Le Monde - 13 mars 2025 Nicole Ayach et Sarah Melloul se sont inspirées d’archives historiques et de récits familiaux pour imaginer une fiction sur l’exil forcé de cette communauté, en 1962.
Lire l'article sur le site du "Monde' : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/13/dans-min-el-djazair-la-compagnie-hekau-et-son-theatre-d-ombres-eclairent-le-passe-des-juifs-d-algerie_6580354_3246.html
Dès son titre, Min el Djazaïr (2023), aux sonorités venues d’ailleurs – littéralement « de l’Algérie » –, et les premières notes de la musique judéo-arabe jouée en direct sur le plateau par la musicienne et compositrice Jina di Najma, la création de la Compagnie Hékau plonge le public dans un dépaysement sonore. Tandis que la voix de la narratrice, Jina di Najma, égrène les noms de différents lieux emblématiques de la ville d’Alger dans les années 1950 – le port, la casbah, la rue de la Lyre et son marché, la Grande Synagogue… – des silhouettes de bâtiments en papier découpé sont projetées sur des draps blancs, donnant peu à peu naissance à toute une architecture en théâtre d’ombres. Pour évoquer un épisode souvent oublié de la guerre d’Algérie, le départ forcé, en 1962, au moment de l’indépendance, de plus de 100 000 juifs qui vivaient dans ce pays depuis l’Antiquité, Nicole Ayach, comédienne et cofondatrice de la Compagnie Hékau, en 2017, s’est associée à Sarah Melloul, autrice-dramaturge et chercheuse spécialiste de l’Afrique du Nord. A partir d’archives historiques, visuelles et sonores, et de souvenirs familiaux, elles ont imaginé une fiction mettant en scène deux sœurs, Babeth et Simone, vivant à Alger au début des années 1950. Elles sont filles d’un marchand de tissus installé dans le quartier juif de la ville depuis cinq générations, et leur destin, sur une décennie, est emblématique de celui de ces habitants « trop juifs pour être pieds-noirs et trop français pour être algériens », comme le dit la narratrice au cours de la représentation. Emouvante nostalgie Une émouvante nostalgie se dégage de ce théâtre d’ombres délicatement colorées qui jaillit, au fil du spectacle, des mains expertes de deux marionnettistes, Nicole Ayach et Pascale Goubert. A la douceur de vivre dans l’Alger insouciante du début des années 1950 au rythme des concerts, au café de la casbah, de la chanteuse Reinette l’Oranaise (1915-1998) succède la violence des combats entre le Front de libération nationale (FLN) et l’armée française sur fond d’attentats de l’Organisation armée secrète. Chacune des deux sœurs va prendre une voie différente dans ce conflit : Simone va choisir la lutte armée dans les rangs du FLN, tandis que Babeth va se marier et avoir une fille – devenue la narratrice de cette histoire – en essayant de continuer à faire vivre le magasin de tissus de leur père. Toutes deux finiront par devoir quitter le pays de leur enfance pour s’installer en France, l’une à Marseille dès 1957, pour échapper à la prison en raison de son engagement militant, et l’autre en 1962, après les accords d’Evian. Des images d’archives projetées en arrière-plan des silhouettes des personnages témoignent de la vie quotidienne à Alger dans les années 1950-1960 et permettent de rattacher le récit intime de Babeth et Simone à la grande histoire collective des juifs d’Algérie sur fond de guerre d’indépendance. Une façon délicate et onirique d’évoquer l’exil douloureux d’une communauté déracinée malgré elle. Voir le teaser vidéo Min el Djazaïr, par la Compagnie Hékau. Direction artistique, interprétation, construction de marionnettes : Nicole Ayach. Ecriture et dramaturgie : Sarah Melloul. Interprétation : Pascale Goubert. Musique et création sonore : Jina di Najma. Le Mouffetard. Centre national de la marionnette, 73, rue Mouffetard, Paris 5e. Jusqu’au 22 mars. Reprise, le 16 mai, à Houdremont. Centre culturel de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et, le 21 mai, au Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) dans le cadre de la 12e Biennale internationale des arts de la marionnette (BIAM). Cristina Marino / LE MONDE Légende photo : Le théâtre d’ombres colorées de la Compagnie Hékau dans « Min el Djazaïr » (2023). Photo © JULIE BOILLOT-SAVARIN
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Le spectateur de Belleville
March 13, 1:03 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog, 11 mars 2025 Au Châtelet, Olivier Py met en scène le chef-d’œuvre d’Henrik Ibsen avec la partition composée spécialement par Edvard Grieg. Cela donne un spectacle magistral, une représentation époustouflante, menée par le formidable Bertrand de Roffignac.
Au fond du plateau, au milieu, juste au milieu, comme un point de fuite, une femme mince se tient debout, de dos : c’est la cheffe estonienne Anu Tali. Sa large et longue queue de cheval lisse et blonde, ruban de lumière sur fond de dessins sombres et mouvants, dit d’entrée que la musique, ici, est essentielle. Comme le sont les personnages de femmes. L’orchestre de chambre de Paris, une cinquantaine d’instrumentistes, se déploie sur le plateau immense du Châtelet. Avant le tout début, on devine des images mouvantes, dans des ondoiements sombres. Le surnaturel est ainsi d’emblée inscrit. Olivier Py, qui dirige le Théâtre musical de Paris depuis 2023, frappe un grand coup avec cette production ambitieuse et totalement réussie. Il avait annoncé qu’il irait au bout d’un projet auquel il pensait depuis longtemps : mettre en scène Peer Gynt, tel qu’Ibsen l’avait rêvé. C’est le dramaturge qui avait demandé à Edvard Grieg de composer, pour sa longue pièce, un poème dramatique ample et audacieux, datant de 1867, une partition. L’écrivain avait d’abord réservé son oeuvre à la lecture. Puis, il s’était préoccupé d’une musique : représentée, la pièce pouvait durer sept heures. Grieg composa plus d’une vingtaine de morceaux dont certains sont demeurés dans les oreilles de chacun…Et pourtant, malgré le triomphe de 1876, à Oslo, on a rarement eu accès à l’ouvrage dans sa pleine ampleur. Reprenons : Olivier Py avait dit qu’il irait au bout de son projet, s’il pouvait travailler avec un artiste susceptible d’être Peer. Bertrand de Roffignac est d’évidence cet artiste. On le connaît depuis une dizaine d’années. De ses débuts au conservatoire, jusqu’aux spectacles d’Olivier Py, en passant par des mises en scène de Xavier Gallais et ses propres travaux d’écriture, de mise en scène, de jeu, il est un comédien en qui se nouent un lyrisme puissant et une fantaisie d’Arlequin, une grande sensibilité et une féroce ironie, une force d’athlète et une grâce de voltigeur. D’ailleurs, ici, il joue, il vole, il virevolte, il chante, il danse, il saute, il court…et parfois Peer s’effondre. Olivier Py signe une adaptation belle, claire, fluide, du texte, tandis que la partition ajoute aux beautés, aux émotions de l’histoire de Peer, ce menteur de Peer, ce fuyard de Peer, mais ce grand cœur malmené, aussi… Un roman d’aventures et une question : qu’est-ce qu’être soi ? L‘être est comme un oignon. Les peaux, les pelures se superposent, sont collées les unes aux autres, et bien malin qui saurait tout dépiauter sans rien déchirer… On ne saurait tout détailler. Les décors de Pierre-André Weitz, éléments mobiles pour les maisons de bois, signes malicieux (un palmier suffit au désert), utilisation maximale des ressorts du Châtelet (plateau mobile découvrant l’asile psychiatrique, trappes, irruptions magiques), tout ici enchante. A l’avant-scène, un carrousel miniature portant des silhouettes découpées (il rappelle les éléments décoratifs des maisons du nord de l’Europe) projette les ombres et en même temps, donne une allure de conte pour enfant à ce Peer Gynt. On fait le tour du monde; avec lui, et on coule de jeunesse à vieillesse. Pierre-André Weitz signe également les costumes. Robes sobres des femmes, costumes stricts des hommes et explosion des verts pour les Trolls et leurs drôles de trognes, harmonies vives de l’Orient, tout est idéal. On est sans cesse étonné et sous le charme. Lumières de Bertrand Killy, son de Stéphane Ozkeritzian (y’a pas que la musique !), chorégraphie d’Ivo Bauchiero, l’harmonie joyeuse –malgré les épisodes graves- qui fait palpiter le plateau, touche chacun au plus profond. La distribution réunie par Olivier Py est superbe. Céline Chéenne, comédienne consubstantielle aux écrits et créations de l’artiste, est Aase, la mère de l’insaisissable Peer, tandis que son éternelle fiancée, Solveig, est incarnée par l’ultrasensible Raquel Camarinha. D’autres femmes croisent la route du voyageur : Ingrid, Lucie Peyramaure, Helga, Justine Lebas, Anitra, Clémentine Bourgoin. Tout le monde est embarqué pour plusieurs rôles. On reconnaît. Ou on ne reconnaît pas…A commencer par Olivier Py lui-même, d’un genre à l’autre : maman de Solveig, ou Troll, entre autres. Si l’on était équitable, il faudrait analyser les parcours de chacun et louer les métamorphoses. Pierre Lebon en huit apparitions, Sévag Tachdjian, six rôles, Hugo Théry, cinq rôles, Marc Labonnette, six figures, Emilien Diard-Detoeuf, cinq stations de Mads au terrible Fondeur. Et encore, Pierre-Antoine Brunet, le forgeron et six autres, Damien Bigourdan, le Roi des Trolls et le Courbe, notamment. Quatorze interprètes, cinquante-cinq musiciens –cheffe comprise ! Tout bouleverse, on admire, on est surpris, étonné. Fasciné devant tant de beauté rigoureuse, d’émotion, d’esprit. Bertrand de Roffignac déploie ses ailes et donne le sentiment d’une liberté sans entrave aucune, d’une improvisation heureuse. Sauf qu’il y a là une sévère discipline et une intelligence de tous les instants. Rien qui puisse empêcher ce garçon hyper doué, de gambader, de faire des pirouettes, des acrobaties vocales et corporelles époustouflantes, de ne jamais s’arrêter…Devenu vieux, tout blanchi et grisé, il devient un Bertrand de Roffignac de tragédie déchirante. Solveig est là. On peut se taire. Et pleurer. Armelle Héliot Au Châtelet, jusqu’au 16 mars. Durée : 3h40 dont un entracte de 25 minutes. Tél : 01 40 28 28 40
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Le spectateur de Belleville
March 12, 8:53 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 12 mars 2025 Nommé à la tête du théâtre national en 2016, le metteur en scène libano-québécois a annoncé ce mercredi 12 mars qu’il mettrait fin à ses fonctions en mars 2026, soit un an avant la date prévue. Son bilan est marqué par des prises de position politiques fortes et un rajeunissement considérable du public du théâtre de l’Est parisien. «Ecrire, c’est échapper à la dictature du sens. Expliciter, c’est égorger l’intuition. L’aventure de l’écriture ne consiste pas à maîtriser une idée, mais à découvrir ce qu’on ignore de soi. On est des immeubles habités par des locataires dont on ignore tout. Ecrire, c’est faire en sorte que ces locataires choisissent ce qu’il advient des personnages.» On sort du Collège de France où Wajdi Mouawad, le directeur du théâtre de la Colline, vient de donner une enthousiasmante leçon intitulée «Puzzle sans image du verbe choisir», dans son séminaire sur les verbes de l’écriture ; et le lendemain, on apprend qu’il quitte le théâtre national dont il avait été nommé à la tête, il y a presque dix ans, le 6 avril 2016. Son départ sera effectif en mars 2026, un an avant la fin de son mandat. On poursuit le séminaire qui porte justement sur la difficulté à un humain de changer par lui-même sans qu’une force extérieure, une catastrophe, ne l’y oblige. Nous frappe qu’il s’astreint au mouvement, malgré, vient-il d’expliquer dans son séminaire, «l’impossibilité de se voir dans la partie creuse de la cuillère et de retourner cette cuillère». Wajdi Mouawad donne un exemple qui parle à tous : «Pourquoi est-il si difficile de se résoudre à changer de métier alors qu’il est si simple pour notre patron de nous mettre à la porte ? “Moscou, Moscou un jour j’irai”, répète Irina dans les Trois Sœurs de Tchekhov alors qu’il y a une gare.» C’est donc lui, Wajdi Mouawad qui prend le train pour une destination dont il ignore tout. Tout juste peut-on dire, selon les formules usuelles, qu’il se consacrera à d’autres projets artistiques, l’écriture d’un roman, son travail de metteur en scène, mais aussi, c’est un scoop, l’écriture et la conception d’un premier long métrage. Autre annonce : Wajdi Mouawad présentera pour les 70 ans du festival d’Athènes-Epidaure, une création, le Serment d’Europe, les 1er et 2 août. Avec entre autres Juliette Binoche ! Prises de position fortes L’attention aux auteurs qu’il recherchait et invitait avant même de savoir celles et ceux qui mettraient en scène leur texte marque son mandat dans ce théâtre de l’Est parisien dédié, il faut le rappeler, aux écritures contemporaines. On songe à l’autrice et metteuse en scène actrice Isabelle Lafon, dont on a beaucoup aimé Cavalières, les Imprudents et Je pars sans moi, à Léonora Miano – autrice beaucoup lue, mais qu’on ne voyait pas beaucoup sur un plateau – mais aussi à sa fidélité à Valère Novarina, quatre-vingt-trois ans, dont le directeur de la Colline a à chaque fois présenté des créations, des œuvres inédites. Durant sa décennie, le public s’est considérablement rajeuni. Il suffit de regarder autour de soi dans la grande salle de 650 places pour s’en convaincre, et on est à chaque fois surprise et étonnée de son étonnement. Cette jeunesse raffole particulièrement des propres spectacles du directeur, auteur, metteur en scène, et bientôt cinéaste, puisque pour Racine carrée du verbe être, durant les 47 représentations de cet automne, ils formaient 45 % des 24 000 spectateurs. C’est beaucoup. Wajdi Mouawad, c’est aussi du silence et des prises de paroles publiques, politiques, des positions fortes et évidentes. Mais aujourd’hui, même les évidences sont courageuses. Mardi 11 mars, au Collège de France, invités à discuter sur la réconciliation, sont assis côte à côte l’ex-Premier ministre israélien Ehud Olmert, l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Autorité Palestinienne Nasser Al-Qidwa, et Anne-Claire Legendre, conseillère Afrique du Nord et Moyen-Orient auprès de l’Elysée. Et bien sûr lui-même, libanais de naissance, exilé d’abord au Canada, puis en France. Rappelons qu’Ehud Olmert est le Premier ministre qui opérait pendant la guerre qui opposait Israël au Liban en 2006 – la pire année pour les Libanais. Wajdi Mouawad : «Mon pays m’interdit d’être en lien avec les Israéliens. Ce n’est pas chose facile. Tellement de morts, tellement de territoires envahis, tellement de violence, qu’être assis ensemble autour d’une table, c’est déjà un choix.» Ses prises de parole politiques ne sont pas des palabres. Il en a payé le prix récemment quand sa pièce Journée de noces chez les Cromagnons, qu’il tenait à créer au Liban avec une troupe libanaise, a été annulée en avril en raison des pressions causées par ses amitiés israéliennes. Amos Gitaï, pour prendre un seul exemple. Mais lui a surtout été reproché que dans Tous des oiseaux, cette pièce où les acteurs parlaient en hébreu, en arabe, en allemand, et en anglais, certains étaient Israéliens. Car oui, ne pas oublier les langues, dans ses pièces, multilingues aussi souvent que possible. Ne pas oublier l’enfance non plus, tant son œuvre dramatique ressuscite la sienne, d’enfance, en particulier dans Mère, créé en 2021 avec Christine Ockrent excellente dans son propre rôle. Et évidemment, on aimerait l’oublier mais il y eut la controverse Cantat à qui Mouawad avait confié la musique de cette pièce. L’effet fut paradoxal : il fallait l’entendre dans une salle pour saisir combien c’était insupportable. Sur le parvis du théâtre, le soir de la première, il y eut des manifestations, mais aucune annulation. Ne pas oublier la guerre au Liban, tout ce que Wajdi Mouawad aurait pu être s’il n’avait pas dû quitter son pays natal, question qui l’obsède notamment dans son dernier «blockbuster», Racine carrée du verbe être. La nouvelle directrice ou le nouveau venu arrivera un an avant les élections présidentielles de 2027. Il est possible que Wajdi Mouawad y ait pensé en écourtant son mandat d’un an, donnant ainsi le temps aux autorités de mettre en place une direction, et éviter de laisser la place vide deux mois avant des échéances électorales cruciales.
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Le spectateur de Belleville
March 11, 8:13 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 10 mars 2025 « On purge bébé » de Feydeau en version on casse tout Karelle Prugnaud a eu la révélation tardive de la folie Feydeau. Elle met en scène l’une de ses dernières pièces, coupe la chique à deux personnages et infléchit, petit à petit, « On purge bébé » vers un burlesque joliment destructeur. On purge Bébé est l’une des toutes dernières pièces de Feydeau, créée en 1910 sur la scène du Théâtre des Nouveautés. Elle figure dans le volume (non exhaustif) de son Théâtre, publié plus d’un siècle plus tard dans la Pléiade (lire ici). Léon Blum, présent lors de la création, jugeait la force de la pièce « effroyablement comique ». On ne saurait mieux dire. Nous sommes dans le cabinet de travail de Monsieur Follavoine, un fabricant de pots de chambres en porcelaine. Il s’apprête à recevoir Monsieur Chouilloux, un haut-fonctionnaire du ministère des armées pour le convaincre d’acheter ses pots et par la même honorer les fesses de l’armée française. Mais tout semble se liguer contre lui : le ventre de son fils, le pot ce chambre de son épouse et ses propres pots de porcelaine lesquels , comme on le constatera après l’entrée en scène de Chouilloux,- n’ont pas la solidité requise. Plus tard entreront en scène madame Chouilloux et son amant Horace Truchet. Pour l’heure, c’est la première scène, dans son bureau Follavoine, après avoir en vain de tenter de ranger son bureau bancal avec la bonne Rose , cherche auprès de cette dernier comment on écrit «îles Hébrides ». Son fils Toto, sept ans, doit l‘écrire dans un devoir. Rose l’ignore. Dans un dictionnaire, Follavoine cherche à la lettre Z et ne trouve rien. Etc. Premier d’une longue série de tracas. En arrive vite un second : sa femme est angoissée :Toto n’a pas « fait». Il faudrait lui administrer une purge ce que l’enfant refusera. N’en disons pas plus. Jean Renoir adapta On purge bébé au cinéma avec Michel Simon dans le rôle de Fouilloux, la pièce entre au répertoire de la Comédie-Français en1941, la compagnie Renaud-Barrault la monte à son tour, au début des année soixante, Jacqueline Maillan, Jean Poiret et Michel Serrault l’interprètent pour la télévision, Jean-Luc Lagarce la met en scène avec sa compagnie au début des années 90, Jean-Michel Rabeux, Didier Bezace, Georges Lavaudant l’incluent tout à tour dans un ensemble Feydeau, Alain Françon met en scène On purge bébé au TNS avec Dominique Valadié, Gilles Privat, Eric Elmosnino. Etc. Du beau monde pour cet auteur hors du commun. On est donc étonné, et pour le moins abasourdi, en ouvrant le programme accompagnant le spectacle de Karelle Prugnaud qui, à son tour, monte On purge bébé de lire sous sa plume , des phrases comme « on associe souvent Feydeau au boulevard, au vaudeville, à cette liberté qui fait peur parce qu’elle ne semble jamais avoir une profondeur dramaturgique digne de ce nom ». Et, pour ce qui la concerne, elle dit avoir « fait partie de ces gens qui ont mis de côté Feydeau par « à priori » ou par « snobisme culturel , sans savoir réellement de quoi je parlais ». Effectivement. Au demeurant, sa mise en scène vaut mieux que ces absurdités. Prenant quelque liberté avec la pièce (don la suppression de Madame Chouilloux et de son amant) elle fait de Toto, non un enfant de sept an mais un jeune adulte au corps bondissant (en alternance Dali Debabeche et Martin Hesse), un acrobate qui va donner le tournis aux autres personnages (le couple Follavoine -Patrice Thibaud et Anne Girouard ; Chouilloux-Nikolaus Holz, et la servante Rose-Cécile Chatignoux) et, par paliers, l’acrobate va entraîner ses partenaires et la salle dans sa jubilation à exploser le décor (portes, fenêtres, murs, canapé, etc) jusqu’à sa démolition quasi complète. Beau travail du scénographe Pierre-André Weitz. Et une pensée compatissante pour ceux qui, chaque jour, doivent remettre sur pied le décor. Dans ce jeu de massacre, la pièce y perd quelques plumes mais la destruction du décor, aussi anarchiste que méthodique, par le clown acrobate imité bientôt par tous les personnages,entraîne pour finir tous les spectateurs dans son tournis. Qui n’a pas un jour rêvé de tout casser ? Jean-Pierre Thibaudat Créé à l Azimut, théâtre Firmin Gémier d’Antony les 6 et 7 mars, le spectacle « On purge bébé » sera à Bayonne les 18 et 19 mars, aux scènes du Jura à Lons le Saunier le 25 et 26 mars, au théâtre du Bois de l’Aune d’Aix en Provence les 28 et 29 mars, le 17 avril à l’Arc du Creusot,le 25 avril à la maison des arts de Thonon, du 14 au 16 mai à Châteauvallon, enfin du 20 au 22 mai au TAP de Poitiers. - Légende photo : On purge bébé scène un © Vahid Amantour
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Le spectateur de Belleville
March 10, 5:52 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde, publié le 08 mars 2025 Présentée à Paris, la pièce de théâtre conçue par Khalil Cherti raconte le quotidien d’un couple d’amoureux dévasté par un conflit armé. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/08/sur-la-scene-de-la-colline-t-embrasser-sur-le-miel-evoque-des-petits-riens-effaces-par-la-guerre_6577363_3246.html Des maladresses mais beaucoup de justesse : T’embrasser sur le miel, pièce conçue par le Franco-Marocain Khalil Cherti, ne témoigne pas de l’avènement impérieux d’un metteur en scène dont nul ne saurait contester l’envergure. Mais ce spectacle a pour lui une sorte de sincérité ou encore d’innocence qui touche au but, en dépit des faiblesses de la proposition. Sensibiliser ou émouvoir le public, cela suffit-il à faire théâtre ? Non, au regard d’attentes esthétiques qui espèrent toujours le surgissement d’un choc formel. Oui, lorsque la fiction travaille avec finesse un réel qu’elle parvient à rapatrier sans le trahir mais en le métamorphosant sur la scène. Au Théâtre de la Colline, à Paris, cette scène est divisée en deux. D’un côté l’appartement de Siwam (incarnée par la comédienne Reem Ali), de l’autre, celui de son partenaire Emad (joué par l’acteur Omar Aljbaai). Ils ne sont pas voisins, mais ils sont amoureux et communiquent entre eux par vidéos interposées. Selon la place de son siège dans la salle, le spectateur entre chez la femme ou chez l’homme. Ce qu’il saura de l’absent ou de l’absente lui parviendra par l’entremise d’un écran disposé au-dessus du plateau. La mesure de la perte Chez Siwam, il y a une baignoire, chez Emad, une moto. Elle est légère et chaleureuse. Il est ardent et impatient. Ce qui se raconte de leur quotidien ou de leurs rêves n’est pas, en soi, fondamental. Pourtant, lorsque le mur qui sépare leurs maisons s’effondre – parce que la guerre, parce que les bombes, parce que le treillis militaire revêtu par le jeune homme –, on prend la mesure de la perte. Elle est colossale : ce quotidien anecdotique, ces rêves inessentiels, tous ces petits riens qui viennent de disparaître sous un amas de parois en morceaux creusent soudain un manque où éclate la violence du conflit. La guerre n’a pas pour vocation de rester tapie derrière les portes. Pas une intimité n’échappe à sa dévastation. Khalil Cherti, scénariste et réalisateur qui signe sa première représentation théâtrale, n’est sans doute pas (encore) un metteur en scène de premier plan. Il pourrait le devenir. T’embrasser sur le miel, texte et mise en scène de Khalil Cherti (en arabe levantin surtitré en français). Avec Reem Ali et Omar Aljbaai. Théâtre de la Colline, Paris 20e. Jusqu’au 5 avril. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : Reem Ali dans « T’embrasser sur le miel », mis en scène par Khalil Cherti, au Théâtre de la Colline, à Paris, en mars 2025. TUONG VI NGUYEN
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March 6, 12:38 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 6 mars 2025 Le plasticien et performeur, qui s’est fait connaître sur la plateforme vidéo, a vu sa chaîne annulée pour « nudité et contenus à caractère sexuel », puis rétablie sans explication.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/06/les-mesaventures-d-olivier-de-sagazan-efface-de-youtube_6576768_3246.html
Mauvaise nouvelle et bonne nouvelle. Le 8 février, la chaîne YouTube du plasticien et performeur Olivier de Sagazan, qui a commencé à poster en 2009 une vidéo de son époustouflante performance de chair et de boue intitulée Transfiguration s’évanouissait sans prévenir. Lundi 3 mars, elle a été rétablie de la même mystérieuse façon. « Suite sans doute aux interventions de mes followers sur Instagram où j’ai évoqué ce qui m’arrivait, et sûrement à l’influence de ma fille », glisse l’artiste, qui est le père de la musicienne Zaho de Sagazan. Si tout est bien qui finit bien, cette disparition étrange rappelle combien les images circulant sur Internet possèdent une existence fragile. C’est en voulant inclure un nouveau film sur YouTube qu’Olivier de Sagazan découvre que sa chaîne n’existe plus. « Soudain, à la place du visuel habituel, est apparu ce message, relate-t-il. “Votre chaîne Olivier de Sagazan ne respecte pas notre règlement (nudité et contenus à caractère sexuel). Nous l’avons supprimée pour protéger notre communauté.” » Pour Olivier de Sagazan, la plateforme YouTube avait eu un rôle majeur pour faire connaître son travail et tourner dans le monde entier – près de 7 millions de vues pour Transfiguration. Effondré, il clique sur une icône située en dessous de l’annonce et ouvre une page sur laquelle on lui demande de justifier sa demande. « J’y ai évidemment expliqué que les 80 vidéos mises en ligne rendent compte d’un travail artistique mené depuis quarante ans et n’ont aucun rapport avec la pornographie, nudité ou je ne sais quoi de choquant… » « YouTube est une forteresse » Dix minutes après, il reçoit un message précisant qu’« après un examen approfondi, il est confirmé que la chaîne enfreint le règlement relatif à la nudité… ». Le verdict tombe : elle ne sera pas rétablie. « Je doute qu’il y ait en dix minutes un opérateur en chair et en os qui ait pris cette décision plutôt reliée sans doute à un simple algorithme froid analysant je ne sais quels arguments », commente-t-il. Au-delà de Transfiguration, sidérante métamorphose d’un homme mutant sous des couches d’argile, Olivier de Sagazan suspecte avoir été dénoncé par des utilisateurs en raison d’un contenu récent. « Une de mes vidéos met en scène un certain président des Etats-Unis sous forme de cochon, qui annonce la transformation de Gaza en riviera… », explique-t-il. Ni une ni deux, Olivier de Sagazan remue ciel et terre et poste sur son compte Instagram une photo assortie d’un texte expliquant la situation. « YouTube est une forteresse et on ne peut pas contacter qui que ce soit comme être vivant, rappelle-t-il. Une fois ma chaîne retirée avec ses 80 vidéos, j’ai eu cette sensation douloureuse qu’on peut rayer en quelques secondes toute une histoire s’échelonnant sur quarante ans. Bref, on vous supprime et on ne peut rien y faire. » Depuis, Olivier de Sagazan a retrouvé sa communauté. « Il n’empêche que cette situation est très inquiétante, confie-t-il. Soit les algorithmes sont plus restrictifs qu’auparavant, soit, dans une ambiance générale tendue, on entre dans un jeu de dénonciation permanent. » Rosita Boisseau Voir la vidéo
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Le spectateur de Belleville
March 4, 10:37 AM
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Par Corinne Denailles dans Webthéâtre - le 26 février 2025 Tiago Rodrigues a écrit cette pièce "d’après Shakespeare", mais pas seulement. Il construit le portrait de ce couple mythique non seulement à partir de la pièce de Shakespeare, mais aussi en puisant aux sources de son inspiration, dans les Vies parallèles de Plutarque et le film de Mankiewicz (1963) par exemple. Tiago Rodrigues a composé un long poème en neuf chants inspiré des poèmes épiques antiques qui racontent les aventures de personnages mythiques tels les chants de l’Enéide de Virgile. Dans un bel espace abstrait qui entend figurer le cosmos, deux comédiens composent un duo à peine dansé mais très chorégraphié d’une élégance et d’une délicatesse fascinantes, jouant sur la convention de gestes dont le spectateur enregistre le sens sans même y penser. Sur un ton neutre, ils profèrent les mots du texte comme une lancinante mélopée dont le rythme finit par s’emparer de notre imaginaire pour l’entraîner dans l’histoire de ces deux figures mythiques, l’histoire de leur amour mais aussi histoire politique et guerrière, toujours ancrée dans l’ici et maintenant du récit scandé par les répétitions des noms, par des pans de phrase repris en entier ou partiellement et dont l’enchaînement devient musical : "António, Cleópatra, António, Cleópatra ; António dit ; Antonio dit ; Cleópatra dit, etc." Le spectacle est une épure d’une grande beauté qui ne demande au spectateur que de se laisser porter par la sensualité de la langue portugaise, la voix et la grâce des deux magnifiques interprètes, Sofia Diaz et Vitor Roriz, qui nous offrent un moment d’exception d’un grand raffinement. Corinne Denailles / Webthéâtre Antoine et Cléopâtre de Tiago Rodrigues. Texte et mise en scène Tiago Rodrigues, avec des citations d’Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare. Avec Sofia Dias et Vítor Roriz. Scénographie, Ângela Rocha. Costumes, Ângela Rocha et Magda Bizarro. Création lumière, Nuno Meira. Musique, extraits de la bande originale du film Cléopâtre (1963) composée par Alex North. Au théâtre de la Bastille du 27 février au 14 mars 2025 www.theatre-bastille.com photo Magda Bizarro
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Le spectateur de Belleville
March 3, 4:44 PM
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Par Fatma Alilate dans Educavox, publié le 3 mars 2025 Tempest project est une adaptation de La Tempête de William Shakespeare (1564-1616), conte fantastique et fable politique. La pièce revisitée par Peter Brook (1925-2022) et Marie-Hélène Estienne est issue d’une recherche collective avec un groupe de comédiens. Cette création sera à l’affiche des Bouffes du Nord, Théâtre ressuscité par Micheline Rozan et Peter Brook en 1974.
Le décor est épuré dans l’écrin des Bouffes du Nord dont le rouge pompéien des murs rappelle un Théâtre antique. La pièce Tempest project met l’accent sur la musicalité de la langue autour du thème de la liberté. Promesse de liberté Prospero (Ery Nzaramba) a déclenché une tempête pour faire échouer dans l’île où il est exilé son frère qui lui a volé son royaume et le roi de Naples, l’allié du complot. Rongé par un désir de vengeance et prisonnier de son passé, Prospero est tout occupé par son « art » : la magie qui l’avait éloigné du pouvoir politique. Il capte l’attention des spectateurs à qui il s’adresse dès le début de la pièce. Il fait rire avec malice malgré certains moments tendus. Il est soutenu par Ariel, un esprit des airs bienfaiteur et coquin, interprété par Marilú Marini à la forte présence scénique et dont la gestuelle est constamment en mouvement. Ariel est un serviteur fidèle et loyal, touchant par sa sensibilité. Avec courage, il rappelle à Prospero, sa promesse de liberté. Caliban - Sylvain Levitte qui joue également le prince de Naples -, est l’esclave, sa colère gronde. « Cette île est à moi, par Sycorax ma mère, et tu me l’as prise », reproche-t-il à Prospero. Tous deux ne partagent pas le même niveau de langue et ne sont jamais en phase. Le dialogue écrit vers 1611 est étonnant de modernité. Il a été repris pour traiter des ambiguïtés de la colonisation notamment par Aimé Césaire (1913-2008). Caliban voudrait être libre mais très vite pour nuire à Prospero, il se soumet à de nouveaux maîtres, les pétillants Fabio et Luca Maniglio qui incarnent des ivrognes bêtes et avides. Sylvain Levitte est épatant dans deux rôles que tout oppose : Caliban, l’opprimé qui crie sa hargne, et Ferdinand, le fils du roi de Naples aux belles aspirations. Un effet miroir Prospero assiste à la rencontre amoureuse entre sa fille Miranda - la magnétique Paula Luna - et Ferdinand. Mais les épreuves s’abattent sur le jeune prince. Il parvient à résister : « La bassesse peut être vécue avec noblesse et une situation très dure peut contenir un riche espoir. » La scénographie dépouillée permet d’être au plus près du verbe. Pour Peter Brook, le comédien doit faire confiance à la résonance des mots et à la qualité du silence pour faire éclore l’imaginaire. La lumière crée un enchantement notamment pendant le moment de la « cérémonie de mariage », passant du rouge flamboyant à des jeux d’ombres, devenant bleutée. Le surnaturel est surtout représenté par le jeu d’Ariel, accompagné par la voix profonde d’Harué Momoyama. La pièce Tempest project regroupe les principaux thèmes de l’œuvre prolifique de Shakespeare : les jeux du pouvoir et des passions, la nature humaine… Le sujet de la fragilité du théâtre ou des illusions de la vie est évoqué de façon magistrale par Prospero, duc déchu qui pardonne à ses ennemis : « Ces acteurs n’étaient que des esprits qui se sont dissous dans l’air (…), tout va se dissoudre comme ce spectacle éphémère, ne laissant aucune trace. » A l’épilogue, Prospero évoque le sortilège du spectacle et son souhait de s’en défaire. Ce sont les dernières phrases de Shakespeare dans son ultime pièce. Les liens établis par Brook avec Shakespeare créent un effet miroir troublant. Dès le début de son parcours, le dramaturge fasciné par Shakespeare inscrit son travail dans la recherche, il n’a jamais trouvé de réponse définitive : « Tous les sujets qui concernent l’être humain sont contenus dans ses pièces et dans chacune, il existe un sens mystérieux. » Les chants de la bande sonore ont été enregistrés il y a plus de vingt ans, la nuit, aux Bouffes du Nord. Ce Théâtre, ancienne ruine sortie de l’oubli par Peter Brook, à deux pas du Métro de La Chapelle, est une des plus belles scènes parisiennes. L’atmosphère y est à la fois intimiste et puissante. Fatma Alilate / Educavox Tempest project – Peter Brook et Marie-Hélène Estienne Théâtre des Bouffes du Nord, Paris Du 14 mars au 29 mars 2025 Avec : Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini et Ery Nzaramba Adaptation et mise en scène : Peter Brook et Marie-Hélène Estienne Lumières : Philippe Vialatte Chants : Harué Momoyama Tempest project, adaptation de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne d’après la version française de Jean-Claude Carrière de La Tempête de William Shakespeare, publié chez Actes Sud-Papiers
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Le spectateur de Belleville
March 2, 12:57 PM
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Par Annick Cojean dans Le Monde, dans la série "Je ne serais pas arrivée là si.... - Publié le 2 mars 2025 RENCONTRE« Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. La cantatrice raconte comment, après son envie d’être danseuse et actrice, le chant s’est invité dans sa vie. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/02/natalie-dessay-j-ai-une-voix-d-ange-mais-je-suis-une-sorciere_6572815_3246.html
Artiste la plus récompensée de l’histoire des Victoires de la musique classique, la comédienne et chanteuse Natalie Dessay, 59 ans, se verra remettre, mercredi 5 mars, une Victoire d’honneur classique pour l’ensemble de sa carrière. Celle que Le Monde présentait, en 2013, comme « l’une des plus belles révélations de ces vingt dernières années, une colorature aux aigus infaillibles, la pureté du laser, la sensualité du fruit », alors qu’elle quittait l’opéra, se produira en avril à la Philharmonie de Paris, dans la comédie musicale Gypsy. Je ne serais pas arrivée là si… … Si ma prof de piano, aussi nulle que moi en piano, mais ancienne choriste au Grand Théâtre de Bordeaux reconvertie en bouchère-charcutière par la grâce du mariage, ne m’avait pas dit un jour : « Tu ne veux pas qu’on fasse plutôt du chant ? » Je n’ai plus le souvenir précis de ce moment charnière, mais j’ai dû répondre quelque chose comme : « D’accord. Ce sera toujours moins barbant que ce cours de piano ! » Et ce fut, non pas une révélation, mais la découverte d’une voix souple, qui montait facilement dans les aigus, et d’une activité disons… agréable. Pas plus ? Non. Ni coup de foudre ni illumination. J’avais 17 ans, je rêvais d’être actrice. Le chant classique m’est simplement apparu comme un truc sympa, pas du tout à la mode, mais qui me permettait de me distinguer de mes camarades de lycée et de me faire un peu mousser, avant d’intégrer le conservatoire de Bordeaux dans la section théâtre. Vous rêviez donc d’être sur scène ? Oui. Mais, dans ma prime jeunesse, je rêvais d’y… danser. Je prenais assidûment des cours, ma mère m’emmenait au ballet, je voulais être Maïa Plissetskaïa [1925-2015], l’étoile du Bolchoï, sinon rien. Et puis, à 13 ans, j’ai compris que je ne serais jamais Plissetskaïa, ni [la danseuse] Noëlla Pontois ni aucune star de cette classe internationale. Car c’était déjà trop tard. J’étais gracieuse, appliquée, mais ça ne suffisait pas. Je n’avais pas assez de cou-de-pied, pas assez d’en-dehors [mouvement de danse classique], et puis on m’avait mal appris. Bref, grosse déception et grande déprime. Heureusement, j’étais bonne élève, et j’avais une passion pour la langue allemande, apprise dès la classe de 6e, grâce à un prof génial : Jean-Claude Wagner, ça ne s’invente pas ! Après le bac, je vais donc m’inscrire en fac d’allemand. Pas pour longtemps, car je ne songe qu’au théâtre. Je rate le concours du Théâtre national de Strasbourg, ce qui me désespère, mais j’entre au conservatoire de Bordeaux. Et vous oubliez le chant ? J’ai arrêté parce que je trouve alors insupportable qu’après une interruption des cours pendant les deux mois d’été, l’essentiel des progrès que je croyais acquis se soit envolé. Si c’est ça le chant, non merci. Mais voilà qu’avec des élèves du conservatoire, nous entreprenons une adaptation des Egarements du cœur et de l’esprit, de [l’écrivain] Crébillon fils [1707-1777]. Et l’on me confie le rôle d’une marquise un peu fofolle qui entre dans le salon en chantant un air d’opéra. Je retourne illico voir ma prof de chant et je répète l’air de Pamina dans La Flûte enchantée, de Mozart [1756-1791]. C’est un air que j’adore et que j’ai découvert en écoutant les disques de mes parents. Comme je parle allemand, c’est épatant. Et là, lorsque je sors de scène, tout le monde me regarde avec des yeux stupéfaits : « Mais dis donc, tu as une jolie voix, toi. Tu devrais chanter ! » Une petite lueur est alors apparue ? Sans doute, car, parallèlement au théâtre, j’entre en classe de chant au conservatoire. Directement en dernière année. Au bout d’un an, j’obtiens la médaille d’or. Je me dis : puisque je veux incarner des personnages, eh bien je le ferai en chantant. La musique devient donc un moyen… La musique n’a toujours été qu’un moyen, pas une fin. Sauf que j’ai tout à apprendre. Et c’est dur. C’est long. C’est douloureux. « Il faut que tu t’aguerrisses et passes des auditions », me dit rapidement ma prof. Elle me projette déjà dans une carrière de chanteuse. Je réalise que j’ai effectivement un don. Et qu’il me donne une responsabilité. Je passe une première audition pour le Théâtre du Capitole de Toulouse, qui cherche des sopranes. Je réussis. Mais je m’interroge : qu’est-ce que je fais ? J’ai 20 ans, et je vois que mes parents s’inquiètent. Je leur ai successivement parlé de la danse, de l’allemand, du théâtre, et maintenant du chant. Ils me voient finir sous les ponts. Alors j’accepte le Capitole, ne serait-ce que pour leur prouver que je peux gagner ma vie. Après tout, c’est peut-être ça mon chemin… Mais Toulouse n’est qu’une étape… J’y passe un an, je reviens à Bordeaux, où j’intègre la troupe, mais c’est en soliste que je veux m’exprimer. En 1988, je suis distinguée par le concours Voix nouvelles, et l’Opéra de Paris m’invite à intégrer son école d’art lyrique. Génial. Depuis l’âge de 11 ans, je rêve d’habiter Paris. Privilèges abonné Je deviens Olympia dans Les Contes d’Hoffmann, d’Offenbach [1819-1880], mis en scène par [le réalisateur] Roman Polanski. Puis je remporte le Concours [international de musique] Mozart et l’Opéra de Vienne me propose d’intégrer sa troupe. Je n’avais pas prévu de m’expatrier. Mais bon, je m’adapte, j’apprends des rôles, je me retrouve sur scène aux côtés [du chanteur] Placido Domingo, et tout s’enchaîne. Vienne, New York, Londres, Paris, Salzbourg, Genève, Milan… Que ressent la jeune chanteuse pour qui la musique n’était pas une fin mais que réclament soudain les plus grandes scènes du monde ? Vertige et euphorie ? Il y a de la joie, bien sûr. De l’excitation. De la peur aussi, un trac monstrueux, toujours. Mais j’ai surtout l’impression d’entrer au carmel. Un carmel tout relatif, puisque je prends le temps de me marier. Mais j’entre vraiment dans les ordres. Car ce métier relève du sacerdoce tant il exige de sacrifices. Cette notion, chez moi, est très prégnante, l’idée qu’on n’a rien sans rien, et que le plaisir de la scène aura un coût immense. J’ai la chance d’avoir une voix, certes. Mais il faut la travailler beaucoup, parce qu’elle est petite ; il faut l’étoffer, l’arrondir, l’agrandir pour pouvoir passer l’orchestre sur des scènes immenses comme le Metropolitan Opera de New York. Il me faut l’internationaliser. Comment considérez-vous votre voix ? Est-ce votre amie, votre partenaire, votre instrument ? C’est quelqu’un que j’essaie d’apprivoiser et qui ne me ressemble pas. C’est bien ça mon problème. J’ai une voix très aiguë, cristalline, argentée, éthérée. Or je suis exactement l’inverse : passionnée, enflammée, profondément terrienne. J’ai une voix d’ange, mais je suis une sorcière. En quoi est-ce un problème ? Eh bien, cela introduit inévitablement un hiatus entre les rôles qui m’attirent et ceux auxquels ma voix me condamne. Quels rôles attendent un soprano léger comme moi ? Des rôles de jeunes premières, donc, passé un certain âge, c’est parfaitement ridicule ; des rôles de soubrettes, qui exigent également la jeunesse ; et le rôle d’une méchante, La Reine de la nuit [personnage de La Flûte enchantée], qui n’a que deux airs. Convenez que c’est limité ! Ah, si ! J’ai quand même chanté La Traviata [de Verdi]. J’en avais tellement envie ! On me l’a donnée parce que j’étais une star, mais je n’ai pas la voix idéale. Le premier acte m’est relativement facile. Mais dès le deuxième, où le ton est plus dramatique – « Ahhhh, mon Alfredo… » –, c’est la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf. Je donne le change, je suis une artiste, mais c’est frustrant. Le reste de Verdi m’est interdit. Tosca [de Puccini], impossible, comme tant de rôles tragiques qui seraient si passionnants à jouer. J’envie Anna Netrebko, à mes yeux la plus grande chanteuse de sa génération, qui, partant d’une voix légère, a pu balayer l’ensemble du répertoire. Mais, au moins, avez-vous pu assouvir vos talents de comédienne et donner à vos personnages une épaisseur dramatique qui manque à tant de chanteuses ? Non. Contrairement à ce que je croyais, l’opéra n’est pas le théâtre. C’est extrêmement codifié, la marge de manœuvre très réduite, la musique décide de tout. Impossible de sortir du cadre parce que le geste opératique est trop athlétique, et conditionne votre corps. On ne peut pas se tourner, par exemple, ou chanter de dos. Rien à voir avec le théâtre, où les acteurs jouissent d’une liberté totale et sont les seuls maîtres du temps. C’est d’ailleurs très désorientant lorsqu’on quitte l’opéra et qu’on se retrouve sur scène, armé uniquement d’un texte. Il n’y a plus de geste technique, il faut tout inventer et trouver sa propre musique. Il n’en reste pas moins de grands moments de bonheur… Quand vous êtes en parfaite santé, que vous êtes bien reposé, que vous aimez le rôle que vous chantez, dans une belle production et avec des partenaires géniaux, c’est merveilleux. Mais il suffit qu’un seul de ces éléments manque et tout est gâché. C’est un métier d’anxiété. Un métier de jeune en fait, qui vous bouffe, vous absorbe, vous empêche de vivre. Avec toujours la hantise de la fatigue, du rhume, de la fièvre, d’un accident de cordes vocales… Comment avez-vous vécu les deux opérations subies à l’orée des années 2000 après avoir déclenché coup sur coup un pseudo-kyste et un polype sur vos cordes vocales ? C’est terrible pour une chanteuse, c’est affreux. Et ça l’est d’autant plus que, contrairement au sportif de haut niveau dont la blessure paraît normale et suscite encouragement et admiration, l’accident vocal d’un artiste lyrique suscite opprobre et honte. C’est incroyable quand même ! Nous sommes des athlètes de haut niveau qui avons aussi le droit d’être blessés. C’est d’ailleurs pour ça que j’en ai parlé, alors que tant de confrères continuent de se taire. Vous êtes-vous dit : c’est la fin, je ne chanterai plus jamais ? C’est forcément un vacillement. Et un immense questionnement sur l’avenir, puisque tant que l’opération n’a pas eu lieu, on ne peut rien prévoir. Mais, ce qui est drôle, c’est que j’étais sur le point de tomber en déliquescence en sortant de chez le médecin qui venait de poser son diagnostic quand j’ai appris l’attentat du World Trade Center [2001]. Là, je me suis dit : « Ma fille, tu vas te calmer tout de suite, ce qui t’arrive n’est rien par rapport à ce qui vient de se passer à New York ! » Mais ça a été dur, bien sûr. Très très dur. Peut-on imaginer des raisons psychologiques à ces problèmes vocaux ? J’en suis sûre. Il fallait que je trouve un moyen de m’extraire de cette pression infernale et de rentrer chez moi. Là, l’excuse était toute trouvée : je ne peux plus chanter, désolée. Je crois que je n’en pouvais plus de cette vie de voyages, de sacrifices, et de culpabilité à l’égard de ma famille. Quel sens ? Vous avez pourtant recommencé… Oui, mais je n’ai jamais retrouvé la confiance d’antan. J’ai chanté jusqu’en 2013… mais comme à distance. Quelque chose s’était définitivement rompu. Et je n’ai pas eu le courage de tout mettre en œuvre pour m’accrocher à l’opéra. J’ai préféré la fuite et l’appel d’autres aventures : le récital, puisque j’ai rencontré le pianiste Philippe Cassard ; la comédie musicale, qui offre des rôles de femmes de mon âge autrement passionnants ; le théâtre, mon premier amour. Mais c’est étrange. Quand vous dites que vous arrêtez l’opéra, les gens traduisent : elle arrête tout, en fait elle est morte. Non, il n’y a pas que l’opéra dans la vie. J’aime les textes, j’aime les mots, j’ai joué Howard Baker [1925-2014], Stefan Zweig [1881-1942], Marie NDiaye, Carlo Goldoni [1707-1793]. J’ai plein d’envies et notamment celle de jouer Samuel Beckett [1906-1989] dans Oh les beaux jours. Vous avez épousé, très jeune, le baryton Laurent Naouri, et vous êtes convertie pour lui au judaïsme. C’est un geste fort… Je ne crois pas en Dieu, mais c’est la religion de la question, pas de la réponse, et j’aime ça. Alors oui, j’ai étudié la Torah, la cacherout, les principales prières, un peu d’hébreu, et intégré une communauté libérale très ouverte. Au moins c’est clair pour nos enfants : ils sont juifs. Que ressentez-vous devant la recrudescence des actes antisémites que l’on observe depuis le 7-Octobre ? Je suis catastrophée. Mais pas seulement par ça. Je suis catastrophée par le monde vers lequel nous allons : la trumpisation des esprits ou leur « elonmuskisation », leur extrême droitisation ou leur extrême gauchisation. Les extrêmes me terrifient et je suis très pessimiste sur l’avenir du monde. Quand mes enfants de 26 et 29 ans me disent : « on ne veut pas d’enfants », je suis triste, mais je comprends. Que dites-vous alors aux jeunes gens ? Une seule solution : le travail. C’est l’unique façon d’oublier que je vais mourir et que le monde va dans le mur. L’unique raison qui me permet de tenir debout sans partir à la dérive. Si je ne travaillais pas, je serais dans la plus noire déprime. Mon tempérament enflammé cache une angoisse existentielle insondable. Alors je continue d’apprendre, d’explorer, de découvrir encore les mystères de ma voix grâce à un nouveau professeur. Je vais avoir 60 ans le 19 avril. Et j’ai bien l’intention que la salle de la Philharmonie, où je jouerai avec ma fille [Neima Naouri] la comédie musicale Gypsy, me souhaite un super joyeux anniversaire. Récital d’adieu avec le pianiste Philippe Cassard. Le 30 mars. A l’Opéra Garnier. « Gypsy », comédie musicale de Stephen Sondheim, d’après les mémoires de Gypsy Rose Lee, à la Philharmonie de Paris. Du 16 au 19 avril. Retrouvez tous les entretiens de la série « Je ne serais pas arrivé là si… » ici. Annick Cojean / LE MONDE
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February 26, 4:16 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 16 février 2025 Après la promenade pédestre à Valence de "Sous nos yeux", puis "En travers de la gorge", un spectacle entre le Vercors et New York, dans "Entre vos mains", entouré de sept artistes ami.e.s, Lainé confie à chacun.e une œuvre inachevée d’un.e artiste mort.e Marc Lainé n’aime rien tant que les identités flottantes. Oscillant entre le passé et le présent, le tangible et le virtuel, la disparition et la réapparition. Souvent, ses personnages ont certes une vie, mais aussi une autre cachée ou oubliée, voir une troisième imaginée, recomposée, réinventée. Ces obsessions irriguent les trois épisodes de sa « Trilogie fantastique » laquelle se clôt aujourd’hui avec Entre vos mains, ode au médiumnique. Dans Sous nos yeux , créé en 2021, on recherche Lucas Malaurie, un chanteur en mal de talent ou de reconnaissance. Il a disparu. Dix personnes l’on croisé le jour de sa disparition. Autant de scènes dessinées par Stephan Zimmerli. Ces œuvres picturales ainsi que des indices écrits sont disposés ça et là dans Châteauvert, un quartier de Valence fait de chemins étroits et des canaux. Après une heure trente de marche, le spectateur, seul ou pas, en vient à douter de tout et se demande si ce Lucas a bien existé, si son identité n’en cache pas une autre. (lire ici) Dans En travers de la gorge, le second volet en 2022 (lire ici), Marc Lainé signe tout : texte, scénographie, mise en scène. Marianne est un cinéaste qui a connu des succès mais est en panne d’inspiration. Son mari Lucas (tiens, tiens) , avec lequel elle ne vit plus (mais plusieurs scène en flash-back nous plongent dans ce passé), a disparu. Assassinat ? Suicide ? Mais où est le corps ? Ou bien s’est-il volatilisé, a-t-il changé d’identité ? Dans la distribution, on retrouve des noms familiers aux spectacles de Marc Lainé comme Marie-Sophie Ferdane, Adeline Guillot et Bertrand Belin . Bientôt apparaît un certain Mehdi (Yanis Skouta), un artiste (expo en vue à New York) dans lequel Marianne croit retrouver une sorte d’ombre portée de Lucas dont, entre temps, le corps a été retrouvé. Un « artiste médiumnique » dira plus tard Marianne, se persuadant que les morts peuvent entrer en contact avec lui. Interrogé par une critique d’art, Mehdi dira : « Je ne suis qu’une sorte d’artisan, de passeur, qui se met au service d’un artiste disparu avant d’avoir pu achever une œuvre… Je donne forme et corps à des œuvres qui étaient restées jusque-là comme dans les limbes de la création. » . C’est là le cœur du troisième et dernier volet de la trilogie Entre vos mains qui vient d’être créé à Valence. Cette fois, Marc Lainé signe la conception et la scénographie (avec Stephan Zimmerli), mais il a demandé le texte ou plutôt les textes, selon un certain protocole à différents membres de son ensemble artistique permanent constitué il y a cinq ans à son arrivé au poste de directeur du CDN de Valence: Bertrand Belin, Penda Diouf, Mickaël Phelippeau, Alice Zeniter et Stephan Zimmerli..Eric Minh Cuong Casting et No Anger interviennent par la suite. Ni promenade, ni spectacle, mais la visite de six pavillons où un artiste vivant achève l’œuvre d’un artiste mort. Tour à tour, par petits groupes, es spectateurs entrent dans dans chacun des pavillons, munis d‘un casque relatant l’histoire de chaque artiste . En préambule, dans un texte, Mehdi Lamrani (le Mehdi de l’épisode précédent ? Sans doute, mais on peut voir chaque épisode de la trilogie indépendamment des deux autres) nous prévient qu’il a donné forme aux œuvres dont il n’est pas, pour autant, l’auteur. En effet, explique-t-il, elles sont l’œuvre « d’artistes disparus pour le plupart il y a des décennies », mais en mourant, ils ont laissé une œuvre ultime inachevée et c’est à lui que ces « esprits » ont demandé de l’achever. Mehdi parle d’ « art médiumnique », comme le Mehdi new-yorkais du précédent épisode. Lui-même ? Son frère? Son double ? Sa réincarnation ? C’est en tous cas le même acteur : Yanis Skouta. Les pavillons sont disposés autour d’un cercle et, on entre tout à tour dans chacun d’eux. Voici Zack Soriano revenu amputé de sa main droite de la la guerre au Vietnam. Rapatrié aux USA, avec sa pension d’invalidité, il s’achète une maison et commence à peindre de la main gauche. Mort d’une overdose, il laisse en plan sa dernière fresque montrant des soldats américains avançant dans un champ vers ceux qui vont leur tirer dessus. Autre pavillon, celui de la pianiste Jacqueline Falhère morte à Chatou en 1877 et qui avait inventé une technique de notation tout à fait particulière. Autre pavillon encore, celui du journaliste sénégalais Abdoulaye Saar. Il écrit un texte en hommage à son ami Aminata Zaaria rencontré à Paris en 2005. Dix ans plus tard, avant de partir vivre au Sénégal, Aminata confie à son ami le manuscrit d’un roman. Abdoulaye Saar va essayer en vain de le faire paraître. Aminata meurt au Sénégal, son ami est dévoré par la culpabilité. Il se noie dans le canal de l’Ourcq. « Quelques jours après sa mort, l’esprit d’Abdoulaye Saar s’est emparé de moi pour me faire écrire ce texte » nous dit Mehdi. Et il en va ainsi pour le chorégraphe Philippe Lameauckë né en 1807 à Nantes qui explore de nouveaux champs chorégraphiques .Il se noie accidentellement et c’est à sa demande que le medium Mehdi prend possession de son corps pour exécuter la chorégraphie laissée inachevée . Et ainsi de suite. Dans une seconde partie, on se retrouve ensemble devant le fantôme de Mehdi. « Mon seul talent était de savoir m’effacer, de disparaître derrière les œuvres que je réalise pour ces artistes. C’est mon seul talent mais aussi mon unique vocation » nous dit-il. A la fin, Mehdi fait le choix de disparaître, bientôt il sera « volatilisé définitivement ». Ce mot « volatilisé » a ramené étrangement dans ma mémoire un souvenir d’enfant à propos d’un volatile. Une histoire que racontait un chansonnier. Dans une famille, à la campagne, on se prépare pour le repas du dimanche, au menu : un volatile et précisément un canard. On attrape le volatile dans le basse cour, il s’échappe, on le reprend, on commence à la plumer, il s’ échappe encore, etc. Et le chansonnier n’en finissait pas de seriner ce refrain resté dans ma mémoire : « Et le canard était toujours vivant ». Vérification faite, à la sortie de Entre vos mains , Marc Lainé était toujours vivant. Et le spectateur que je fus ne s’est pas encore volatilisé. La preuve. Entre vos mains, Comédie de Valence jusqu ‘au 21 février. Dim 16 de 10 à 12h puis de 15h à 17h, , mar 18, merc18 et jeu 20 de 18h30 à 21h10, départ toutes les 40 mn . Durée une heure par groupe de 30 personnes. Puis en tournée au T2G du 6 au 9 mars. Légende photo : Dans l'un des pavillons de "Entre vos mains" © Christophe Raynaud de Lage
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Le spectateur de Belleville
February 26, 4:30 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 25 février 2025 Récompensé par trois Césars, l’acteur, révélé en 2017 dans « Petit paysan », d’Hubert Charuel, exprime son talent sur les planches dans «Trahisons », d’Harold Pinter.
Lire l'article sur le site du "Monde" https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/02/25/swann-arlaud-un-comedien-qui-s-impose-sans-tapage_6563760_3246.html
A 43 ans, Swann Arlaud surfe sur une maturité moissonnée avec la patience des laborieux. Dans son rétroviseur, une quarantaine de films et cinq spectacles sur scène dont le dernier, Trahisons, d’Harold Pinter, se donne actuellement au Théâtre de l’Œuvre à Paris. Né le 25 mars 1981, Swann Arlaud grandit dans une famille où le quotidien rime avec l’artistique. Petit-fils d’un scénariste et d’un comédien, fils d’un décorateur, il est, sur scène, presque exclusivement dirigé par sa mère, Tatiana Vialle. « On a l’habitude de travailler ensemble, ça nous permet de gagner du temps », explique-t-il. Le temps, cet acteur aux allures d’éternel adolescent veut en avoir la pleine maîtrise. « Je ne suis pas adapté aux courses effrénées, j’ai la chance de pouvoir ralentir. » Il choisit donc, avec soin, les films qu’il doit tourner. Deux par an, pas davantage. Le reste ne concerne que lui, l’évocation de sa vie privée se heurtant à un mutisme poli. A peine apprend-on qu’il va au cinéma le matin, parce qu’il y a moins de monde en salle et que, très jeune, il écrivait du rap, des poèmes et des nouvelles. Le grand public n’a pas vu venir cet interprète à l’androgyne douceur. Il se faufilait de tournage en tournage, sans tapage, mais avec constance. Une façon d’avancer en sourdine et puis, soudain, de sortir du bois en imposant l’intensité de sa présence. Le résultat ? Trois Césars du meilleur acteur dans des premiers ou des seconds rôles. Une multiplicité d’identités Eleveur de vaches meurtri dans Petit paysan (Hubert Charuel, 2017), intellectuel ouvrier dans L’Etabli (Mathias Gokalp, 2023), avocat attentif dans Anatomie d’une chute (Justine Triet, 2023), sherpa stratégique pour la série Dans l’ombre (Pierre Schoeller, 2024), il sait adopter, tout en restant lui-même, une multiplicité d’identités. Il y a pourtant un personnage avec lequel il n’aimerait pas cohabiter. « Un pédophile, je ne peux pas », explique celui qui a obtenu le César du meilleur acteur dans un second rôle, en 2020, pour son personnage de victime abusée par un prêtre dans Grâce à Dieu (2019), de François Ozon. Cette ligne rouge une fois tracée, il ne s’interdit rien. Et surtout pas ces joies du théâtre dont il savoure les étendues. « Je n’avais pas compris à quel point j’aimais être sur des planches », avoue-t-il, saisi par cette révélation : « Un déclic a eu lieu, je ne sais pas quand et comment mais, depuis peu, je m’amuse. » Sa dernière expérience n’a pas été du même acabit. En 2020, alors qu’il doit dire un monologue d’Adel Hakim (Exécuteur 14), il contracte le Covid-19. « J’ai perdu 8 kilos, je dormais vingt heures d’affilée, je venais jouer et puis je repartais dormir. » Précis, économe de ses gestes, rétif aux excès de pathos, il a une manière singulière d’évoluer dans l’infime plutôt que dans la surenchère. Son aisance à serrer et à sérier les tensions va de pair avec une silhouette anguleuse : « Je n’avais pas les pectoraux en magasin. Enfant, ça n’était pas évident de l’assumer, mais, plus tard, j’ai su que c’était un atout. » Baptisé d’un prénom romanesque (« L’obstétricien qui m’a mis au monde s’appelait le docteur Proust, ça ne s’invente pas ! »), il arrive dans le métier par des chemins de traverse. Diplômé de l’Ecole des arts décoratifs de Strasbourg, il en retient une leçon. Elle vaut pour la peinture et aussi pour le jeu : « Ne pas gommer les traits ratés des dessins ni ceux qui permettent de relier les points dans l’espace. Ce sont eux qui, même invisibles, donnent son âme à l’image. » Une méthode dupliquée sous l’objectif des caméras : « Tout ce qu’on dépose dans le silence reste là comme une sous-couche. » Il ne compose pas, ou à peine. Ses émotions et ses sentiments sont les couleurs dans lesquelles il puise l’essence de ses incarnations. D’où ce naturel qui lui colle à la peau : il n’a pas besoin de se grimer, il est crédible, quoi qu’il joue. Citoyen engagé Pendant longtemps, il a cru que le cinéma ne pouvait rien changer au cours des choses. Et puis, face aux « mensonges déployés par les ingénieurs du chaos qui, de Trump à Elon Musk, racontent tout et n’importe quoi au détriment de la vérité », il a compris la force adverse de la fiction. « Nous qui croyons à la solidarité, au partage, à une société pétrie de diversité, nous devons continuer à alimenter le monde avec nos propres récits. » Citoyen engagé, il ne fait pas mystère de ses convictions politiques. « Je suis clairement de gauche, mais il faut sortir des pensées manichéennes. Ça ne me gêne pas d’incarner un connard. » S’il évite les prises de parole publiques sur les sujets de société, il manifeste et signe des pétitions : pour un Etat de Palestine, pour les « gilets jaunes », contre la réforme des retraites, aux côtés des femmes victimes d’agression sexuelle. « Comment élève-t-on nos fils et nos filles ? Quelles valeurs leur transmet-on ? Nous sommes à un moment charnière de bouleversements où les mentalités changent. » Lui aussi a changé malgré ses airs de Peter Pan. « Je me questionne sur des comportements que je croyais normaux et qui ne l’étaient pas. » Chaque film nourrit son introspection. Trois sortiront en 2025 : La Condition, de Jérôme Bonnell ; Sukkwan Island, de Vladimir de Fontenay ; L’Inconnu de la Grande Arche, de Stéphane Demoustier. Dans le premier, il sera « un salaud qui considère que le corps des femmes lui appartient » ; pour le deuxième, il se replie sur une île déserte en Alaska ; le troisième le propulsera dans la peau de Paul Andreu (1938-2018), l’un des maîtres d’œuvre de la Grande Arche de la Défense. D’ici là, il poursuit sa romance avec le théâtre. En famille et en sourdine. C’est sa marque de fabrique. Trahisons, d’Harold Pinter. Mise en scène : Tatiana Vialle. Théâtre de l’Œuvre, Paris 9e. Jusqu’au 30 mars. Petit paysan, d’Hubert Charuel. Diffusion vendredi 28 février, sur Arte, à 13 h 35. Disponible sur Arte.tv jusqu’au 20 mars. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : Swann Arlaud dans la pièce d’Harold Pinter, « Trahisons », mise en scène par Tatiana Vialle, au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, le 22 janvier 2025. CAROLINE BOTTARO
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Le spectateur de Belleville
February 22, 11:29 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 21 février 2024 Le comédien porte une parole très intéressante dans une adaptation originale du grand texte qu’est De la servitude volontaire. LM Formentin nous conduit jusqu’à notre temps, dans un esprit ironique. Jacques Connort signe une mise en scène sobre, laissant sa forte personnalité à l’interprète.
Jean-Paul Farré est un artiste au spectre très large. Musicien qui aime dialoguer avec des pianos, comédien de troupe, discipliné et profond, dans des registres graves ou dans des fantaisies amusantes -car en plus, il est drôle- se glissant dans des univers très différents, de Shakespeare à Ionesco, il est ici seul en scène et porte avec vigueur, sensibilité, conviction, une parole forte. Celle du très jeune Etienne de La Boétie, et de son texte au titre légendaire : De la servitude volontaire. On connaît sans connaître. Tout est dans ce titre, formidable formule. Il n’a pas vingt ans lorsqu’il commence à composer, ce texte tout en exemples savants puisés dans l’Antiquité. En France, on nous le cite très tôt, dès la 4ème…On a entre 12 et 14 ans Et ce discours adressé à chacun, nous poursuit durant toutes nos études, même si l’on connaît mieux Etienne de La Boétie, par le « parce que c’était lui, parce que c’était moi » de Michel de Montaigne. On a déjà entendu ce texte au théâtre. Ici, les références qui ne parleraient peut-être pas aux spectateurs, ont été métamorphosées. Le spectacle s’inspire, sans état d’âme, du monde d’aujourd’hui. On va ici jusqu’à une manière de chansonniers. Très bien dirigé par Jacques Connort, dans une production soignée (décor, costumes, lumières), Jean-Paul Farré sublime toutes les allusions, jusqu’aux plus prosaïques ou indiscrètes. Le grand acteur nous prend à témoins. Habit rouge ou veste noire, il glisse d’une temporalité à une autre, regard ferme, parfois inquiet, parfois inquiétant, voix bien placée, véhément, il veut nous apporter un peu de lucidité Du théâtre aussi aérien apparemment, que profond dans son propos; Un moment précieux. De la belle ouvrage théâtrale. Avec Jean-Paul Farré, intense et sincère. Saisissant. Armelle Héliot Théâtre Essaion, mercredi, jeudi, à 19h, vendredi, samedi, à 21h, dimanche à 18h. Durée : 1h10. Tél : 01 42 78 46 42. https://www.essaion-theatre.com/spectacle/1102_de-la-servitude-volontaire.html
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March 14, 11:54 AM
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Par Mathilde Roche dans Libération - 14 mars 2025 La députée écologiste, présidente de la commission d’enquête sur les violences commises dans le milieu culturel, s’exprime sur les dernières auditions dont celle, mouvementée, du producteur Dominique Besnehard, jeudi 13 mars, et de célèbres acteurs. Depuis octobre, la commission d’enquête parlementaire sur les violences commises dans le cinéma français mène sa mission d’investigation. Un travail marqué jeudi 13 mars par un coup d’éclat médiatique : l’audition assez mouvementée du directeur de casting et producteur Dominique Besnehard, figure incontournable dans le métier depuis cinquante ans, par ailleurs accusé d’agression sexuelle dans plusieurs témoignages révélés par l’Obs en février 2024. Au lendemain de cette confrontation, qui ne doit pas masquer un travail plus vaste effectué à l’abri des caméras, Sandrine Rousseau, députée Les Ecologistes et présidente de la commission, répond à Libération sur les échanges récemment menés entre députés et grosses têtes du grand écran. Les propos tenus par Dominique Besnehard, qui se revendique «de l’ancien monde», ont interpellé dans les médias et sur les réseaux. L’échange passionne d’autant plus que c’était une des rares auditions publiques. Est-ce que cette retranscription vidéo facilite, ou au contraire biaise votre travail d’enquête ? Dominique Besnehard avait demandé à être entendu en huis clos, mais je ne le lui ai pas accordé. Il a eu tellement de propos en interview contre les femmes qui ont pris la parole, contre les actrices qui ont témoigné, qu’il me semblait important de l’entendre publiquement. Je l’ai accordé aux acteurs [Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve et Pio Marmaï, qui ont été entendus lundi 10 mars, ndlr], même si je regrette qu’ils en aient fait la demande. Pour moi, le plus important c’était qu’ils viennent. J’avais peur que, sinon, ils trouvent plein d’arguments calendaires pour ne pas venir. Pourquoi ces acteurs ont demandé à être entendus en huis clos selon vous ? Le compte rendu public des entretiens menés à l’Assemblée nationale n’est-il de toute façon pas obligatoire ? Ils savent qu’une retranscription publique révélera en détail ce qu’il s’est passé durant l’audition. Elles leur ont été envoyées pour relecture et seront publiées prochainement. Ils ne peuvent pas changer radicalement leurs propos, mais ils ont un droit de regard. Je note quand même qu’à la fin des entretiens, quand je leur ai demandé s’il y avait des passages qu’ils ne souhaitaient pas voir dans le compte rendu, aucun n’a répondu par l’affirmative. Je pense qu’ils avaient seulement peur qu’une phrase soit sortie de son contexte, coupée à la vidéo, montée et mise sur les réseaux sociaux. Evidemment, il y a des enjeux très forts pour eux, sur leur carrière et leur notoriété. Ils voulaient sécuriser les échanges. Et je l’entends. La priorité c’était qu’on discute, qu’on échange, et ce qu’on a fait. Dans le cas de personnalités comme Dominique Besnehard, qu’on sait réfractaire à l’objet même de votre Commission parlementaire, qu’attendez-vous des échanges ? Des aveux, des excuses ? Mon objectif dans cette commission d’enquête est d’avoir un résultat, de vraiment faire bouger les choses. Ce n’est pas de faire du spectacle, pas de faire des clashs, mais de travailler sur les blocages, sur les manques législatifs, pour permettre à tout le monde d’avancer. Parce que c’est un enjeu de santé publique majeur. Dominique Besnehard est un acteur important, au sens de rouage, du monde du cinéma. Et il fait partie, à mon sens, de ceux qui, par leurs propos, par leur résistance active au mouvement MeToo, bloquent l’avancée du monde du cinéma. Donc le but c’était de comprendre, de savoir comment il argumente, pourquoi il fait ça. On voit qu’il refuse un peu de prendre ce virage, mais moi, je ne l’ai pas senti aussi fermé que ce qu’on pouvait présumer de ses postures médiatiques. Est-ce que vous aviez des attentes différentes avec les acteurs reçus ? Bien qu’ils ne soient pas tout à fait sur la même ligne que Besnehard, ce ne sont pas les plus moteurs aujourd’hui de la lutte contre les violences dans le cinéma non plus. Donc ce sont des auditions intéressantes, parce que le fait d’être convoqués, de devoir conscientiser et assumer leur position sur MeToo, de devoir expliquer pourquoi ils ont telle ou telle attitude, pourquoi ils disent telle ou telle chose, cela les oblige à se positionner plus explicitement. Parce que la réaction la plus facile aujourd’hui c’est “ras-le-bol de MeToo”, c’est une phrase qui balaye la question, ça n’a pas besoin de discussions. Mais en fait on les interroge sur le pourquoi de ce ras-le-bol, qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que, du coup, vous validez les violences ? C’est quoi le sujet ? Derrière, ça les oblige un peu à bouger, à s’expliquer et pourquoi pas à avoir une mini prise de conscience. Et vous avez l’impression d’avoir vu naître cette prise de conscience chez certains ? Je pense que c’est un peu trop tôt pour le dire. C’est comme des graines qu’on plante, on verra ce que ça donne après. Mais par exemple, la première question qu’on leur a posée, c’est “est-ce que vous avez déjà été témoin de scènes qui s’apparentent à des violences ?” Ils ont commencé par dire “non, rien du tout, vraiment, je ne sais pas de quoi on parle”. Puis au fil de l’audition, ils ont révélé des choses. Et à la fin, on leur a fait la réflexion : “vous voyez bien qu’en fait, vous avez vu et entendu des gestes ou des propos problématiques”. Leur réponse c’était “ah ben oui, c’est vrai, on s’est peut-être pas rendu compte”. Donc j’attends de lire ou d’entendre, dans les semaines et mois qui viennent, ce que des gens comme Dominique Besnehard, mais aussi Dujardin, Lellouche, Rouve ou Marmaï vont répondre s’ils sont interrogés sur la question. Cela m’intéresse de voir si ça les a fait évoluer, si ça les a fait réfléchir. Je ne m’attends pas non plus à des révolutions, mais je ne serais pas surprise que certains évoluent vraiment sur leur position. Mathilde Roche / Libération Légende photo : Sandrine Rousseau lors de la présentation du plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la culture pour 2025-2027, le 7 mars 2025. (Quentin de Groeve/Hans Lucas.AFP)
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March 13, 1:13 PM
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Stanislas Nordey met en scène «l’Hôtel du Libre-Echange» à la MC2 de Grenoble, avant une longue tournée. Entre technicité affolante et volonté de produire un grand spectacle, le vaudeville devient un manifeste face aux coupes budgétaires qui visent le spectacle vivant. «Je le savais bien pourtant. Répéter du Feydeau vous met constamment en situation d’échec. On rame, on n’y arrive pas. Rejouer cent fois les mêmes répliques, les mêmes entrées et sorties, cent fois claquer la porte et la rouvrir. Sans compter qu’il n’y a rien de pire qu’un truc drôle qui ne fait pas rire en répétition. Et soudain, à force d’essayer, on sent l’eau frémir. La mécanique fonctionne. Le rire s’enclenche, et là c’est un grand bonheur.» Stanislas Nordey avait déjà éprouvé ce travail ingrat et chronophage de la mise en place d’un texte de Feydeau. C’était il y a vingt ans, il montait la Puce à l’oreille. Il y retourne aujourd’hui avec l’Hôtel du Libre-Echange, une pièce plus rarement jouée, dont la première sera présentée ce mardi 11 mars à la MC2 Grenoble. Quatorze comédiens sur scène, des décors et des costumes sur mesure et 100 dates de tournée déjà bouclées, dont l’Odéon, à Paris, en mai. Le travail a commencé depuis plusieurs semaines sur le grand plateau de la scène nationale grenobloise. Le vaste décor est debout pour la première fois, les comédiens l’arpentent, en mesurent l’ampleur, comptent les pas du fauteuil à la porte et de la porte au fauteuil. Marcelle Paillardin (Marie Cariès), dans la chambre n° 10 de l’hôtel défraîchi, à gauche, délimitée par une esquisse de mur. M. Mathieu (Laurent Ziserman) dans la chambre n° 11, à droite. Entre les deux, le petit couloir où ils vont se découvrir, se cogner, s’affoler. Un vaudeville pur et dur, créé en 1894, qu’on découvre remarquablement bien ficelé et franchement drôle à la lecture de la pièce, passé les scènes d’exposition. Flanqué d’une femme acariâtre, le corps de M. Pinglet n’exulte pas assez. La femme de son voisin, Mme Paillardin, elle aussi, se morfond face à un mari bien mou. Pour toutes sortes de raisons, tous les protagonistes de l’histoire se retrouvent une nuit dans un hôtel de passe au personnel désinvolte. Sans savoir, bien sûr, que les autres y sont aussi – domestiques et jeunes filles sorties du couvent compris. Le fond de sauce est vieillot, la mécanique pas du tout, asymétrie bien ordonnée entre ces deux couples aux désirs mal appareillés. «Musicalité» On aurait cru Stanislas Nordey aux antipodes de Georges Feydeau. «Pour un mec comme moi, le “théâtre de situations”, c’est un gros mot. Et là il n’y a que ça, des situations, s’amuse le metteur en scène qui a monté Falk Richter ou Peter Handke. Feydeau a longtemps été méprisé. Aux dialogues vifs et constants, on préfère aujourd’hui les écritures monologuées. Il n’est plus enseigné dans les écoles d’art dramatique et je ne l’avais moi-même jamais lu avant de monter la Puce à l’oreille. J’y ai découvert son amour du théâtre, des acteurs et du public. C’est écrit, vraiment écrit, et moi je suis dingue des écritures en général…» Aux gestes hiératiques et narrations épiques, voilà Nordey qui passe aux va-et-vient névrotiques de couples petits-bourgeois. «Au début, je me suis demandé comment on allait bien pouvoir travailler un tel texte : on posait n’importe quel objet sur scène et je trouvais ça ringard, reconnaît Claire Ingrid Cottanceau, sa collaboratrice artistique, qui chemine avec lui depuis deux décennies. On a fini par trouver la porte par laquelle entrer : ne pas faire les malins, plonger dans la mécanique Feydeau sans se faire avoir par le “ton Feydeau” – cette musicalité qu’on lui prête souvent et qu’on peut si facilement jouer en surface. Je crois que la mise en tension des corps chère à Stanislas trouve parfaitement sa place dans l’écriture de Feydeau.» Mais comment trouver sa marge d’interprétation quand les instructions de l’auteur sont si précises, la mécanique si serrée ? Dans l’Hôtel du Libre-Echange, la description des décors faite par Feydeau s’étend sur deux ou trois pages à chaque début d’acte, et les didascalies sont parfois aussi longues que les dialogues. Comment être fidèle aux instructions du maître du vaudeville sans se faire dévorer par sa maîtrise ? En épinglant les mots de Feydeau au mur. En faisant courir descriptions et didascalies sur le fond du décor, qui entourent et embrassent ainsi les acteurs. Stanislas Nordey et son (fidèle) scénographe, Emmanuel Clolus, ont repris, pour les premières scènes de l’Hôtel du Libre-Echange, l’idée qui marquait le final de la Puce à l’oreille il y a vingt ans : ces murs comme des pages de livres, accueillant ce que d’habitude on ne dit ni ne lit sur scène, ce qui n’appartient qu’au temps des répétitions. Des dizaines et des dizaines de lignes d’une précision de chirurgien : «Un cabinet d’entrepreneur. Au fond, large baie vitrée, percée dans son milieu d’une fenêtre avec barre d’appui à l’extérieur. […] Sur une table, des papiers, des lavis, une règle et une équerre double en forme de T, des plumes, des crayons, tout ce qu’il faut enfin pour dresser des plans, et un bottin.» Sur scène en revanche, il n’y aura ni lavis ni équerre en forme de T, pas question de recréer le salon bourgeois début de siècle non plus. Tout écrire noir sur blanc, pour mieux s’en libérer au fil du spectacle : les mots s’effaceront pour faire apparaître le papier peint violine. «On a tenté de faire un pas de côté, tout en gardant la disposition scénique de Feydeau, commente Emmanuel Clolus. Nous n’avions de toute façon pas le choix : dans la géographie de l’espace aussi, tout est très écrit, très contraint. Il dessinait ses scènes tout en les écrivant. Quand on tente de changer quelque chose, on se fait avoir. On a tout de même abattu beaucoup de murs et ce sont les jeux de lumière qui découperont l’espace.» Justement, sur le plateau de la MC2, on cherche une solution. Une scène résiste, on bute sur le ballet des va-et-vient des Paillardin, Pinglet et consorts qui ne s’imbriquent pas comme il faudrait. Quelqu’un a eu la patience de compter : «Il y a 197 entrées et sorties rien qu’au deuxième acte !» assure Nordey. Cyril Bothorel joue Pinglet, le bon vivant qui veut absolument tromper sa femme (mais l’appelle comme il appellerait sa mère au moindre malaise vagal) : «Je le jouais d’abord très matamore. Puis Stanislas m’a rappelé qu’avant tout, c’était un petit monsieur. Bête, égoïste mais aussi fragile, plongé comme les autres personnages dans le ridicule des codes qu’il a donnés à sa vie. La pièce est d’une technicité affolante : la moindre inattention de notre part va créer un faux rythme.» Les répétitions ont commencé en janvier, à l’Odéon, où les acteurs ont dit le texte à quatre, puis à six, puis à huit… «Feydeau, c’est diabolique, dit Nordey à un comédien. Si ton intonation n’est pas juste, celle de ton copain ne le sera pas non plus. D’ailleurs à l’époque de Feydeau, il y avait des acteurs spécialisés dans le vaudeville, qui ne jouaient que ça et en connaissaient tous les rouages.» Nordey reprend chaque répartie, la précise, la resserre, la dramatise. «Là, Marie, tu comprends que M. Mathieu est ton voisin de chambre, ton honneur est perdu. C’est cauchemardesque, c’est une tragédie.» Robes à frou-frous Pris dans le casse-tête des déplacements, on a failli oublier de noter que tous les acteurs ressemblaient à des autruches. Leurs petites cannes à l’air sous un gros pompon de plumes qui leur tient lieu de tutu (en réalité, des franges de polyester pailletées). Une tenue mi-cabaret mi-parc naturel de Camargue, que les personnages arborent au deuxième acte, dans le monde parallèle de l’hôtel libre-échangiste, volatiles sortis de leur milieu naturel. «Stanislas voulait qu’on sorte le répertoire de Feydeau de son image un peu poussiéreuse, que le public puisse entendre le texte à nouveau, explique Raoul Fernandez, qui signe les costumes (en plus de jouer un garçon d’hôtel). D’où ces costumes de plumes chimériques au cœur de la pièce, et pour les actes I et III, pas de robes à frou-frous mais des costumes bruns et noirs plus intemporels à la Paul Poiret.» La plupart d’entre eux ont été créés, et pour certains cousus main, par les couturières de l’atelier de costumes du théâtre de Liège, en Belgique, l’un des rares à abriter son propre atelier, quand, de plus en plus, les costumes au théâtre sont achetés dans le commerce ou récupérés dans les friperies. Faire appel à des savoir-faire aujourd’hui devenus presque luxueux, monter un spectacle de grand plateau, comme on en fait de moins en moins vu les coupes drastiques des budgets dans le spectacle vivant, et le brandir comme un manifeste. Première pièce du metteur en scène depuis qu’il a quitté la direction du théâtre national de Strasbourg et son école, l’Hôtel du Libre-Echange a été produit par la MC2 de Grenoble et la compagnie de Nordey, et coproduit par six théâtres publics. Le montage a été long malgré les noms de Nordey et de Feydeau. «Aura-t-on encore longtemps la possibilité de financer de tels spectacles ?» s’inquiète Arnaud Meunier, le directeur de la MC2. Celui-là au moins est d’ores et déjà assuré de tourner jusqu’en janvier 2026. «Je ne suis évidemment pas le plus menacé par les restrictions budgétaires qui touchent le spectacle vivant, assume Nordey. On parviendra toujours, sur le nom de quelques metteurs en scène, à monter de grosses machines. Il y aura toujours de tout petits spectacles, avec peu d’acteurs et de la vidéo pour remplacer les décors devenus trop chers. Mais les “spectacles du milieu”, qui sont l’essence du théâtre d’art, les territoires ruraux et les artistes et techniciens les plus précaires, eux, sont déjà dans une situation très difficile. Le mauvais tournant se date facilement : ce sont les déclarations et les coupes de Laurent Wauquiez sur la culture en 2022. C’était un ballon d’essai, et malheureusement nous n’avons pas su crever le ballon. Nous devons nous mobiliser. Le Québec ou l’Italie avaient il y a encore quelques années un maillage de scènes aussi riche que le nôtre ; il n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui. Ça peut aller très vite.» «Créer de la lumière» Il y a vingt ans Stanislas Nordey parlait de la Puce à l’oreille comme d’une «fantaisie inquiétante», d’un «cauchemar éveillé». Aujourd’hui, pour dire l’Hôtel du Libre-Echange, il parle plutôt de «joie». «Après avoir mis en scène des textes plus sombres de Pasolini ou d’Angot [le très beau Voyage dans l’Est, ndlr], j’avais besoin d’une échappée, créer de la lumière pour moi comme pour le spectateur… Ce qui ne fait pas disparaître ce soupçon d’angoisse qu’on sent chez Feydeau. La recherche effrénée de réjouissance par ses personnages est au fond un peu inquiétante – comme ce drôle de M. Mathieu qui se met à bégayer quand vient l’orage. Feydeau pose avant tout la question du vertige. Il disait que le cauchemar pour lui, c’était de finir le troisième acte, car il était obligé de revenir à la raison et ça l’emmerdait. On présente souvent ses pièces comme une critique de la petite bourgeoisie de l’époque. Pour moi ce n’est pas ça le cœur de l’œuvre, mais plutôt cet abîme vertigineux où il mène les acteurs, les personnages et le public. Un art quasi cinétique devant lequel la tête finit par tourner.» L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau, mise en scène de Stanislas Nordey, du mardi 11 au vendredi 14 mars à Grenoble, puis en tournée dans toute la France. Sonya Faure / Libération Légende photo : Les descriptions et didascalies du texte de Feydeau courent sur le fond du décor. (Jean-Louis Fernandez)
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March 12, 10:44 AM
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Par Fabienne Pascaud dans Télérama - Publié le 12 mars 2025 Le metteur en scène quittera la direction du théâtre national en 2026, soit un an avant la fin de son mandat. Après ceux de Stéphane Braunschweig à l’Odéon et de Jean Bellorini à Villeurbanne, ce départ alerte sur la situation de nos institutions théâtrales. Pourquoi donc Wajdi Mouawad, patron estimé d’un de nos cinq théâtres nationaux, écourte-t-il d’un an son mandat à la direction de la Colline dans le 20ᵉ arrondissement de Paris ? L’incurie du ministère de la Culture ne semble pas être pour rien dans le départ de l’auteur-metteur en scène. Nommé par décret en avril 2016 pour cinq ans – les directeurs de théâtres nationaux ont droit ensuite à deux mandats de trois ans, soit onze ans de direction au total –, Wajdi Mouawad a vu son mandat repoussé jusqu’à 2023 à la suite d’un vice de procédure du décret. Mais en mai 2023, il n’était pas officiellement reconduit, et dut attendre, sans certitude, mars 2024 pour confirmation, assurant son propre intérim durant neuf mois ! Pendant lesquels ses subventions étaient en plus amputées de 500 000 euros par le ministère – comme plusieurs grands établissements nationaux en avril 2024 –, histoire de participer aux économies exigées par Bercy. En oubliant que la Colline est le moins doté des théâtres nationaux… 2025 verra ainsi une drastique réduction de la marge artistique, limitant les créations du théâtre de la rue Malte-Brun. Qui, après de grands travaux de rénovation durant l’automne 2025, fêtera ses 40 ans l’année suivante. Sans Wajdi Mouawad. En mars 2024, un décret avait enfin renouvelé son mandat, prolongé jusqu’en 2027. Le poète libano-canadien, actuellement invité au Collège de France pour un cycle de conférences, préfère s’en tenir à la première date prévue : 2026. Sans doute la carrière de directeur de théâtre ne le passionne pas non plus. Il avoue désirer se consacrer à l’écriture – sa prochaine pièce, Le Serment d’Europa, sera jouée en août prochain au Festival d’Athènes-Épidaure avec Juliette Binoche – ou au cinéma. Quelque chose de pourri Le bilan est bon en ce qui concerne le rajeunissement du public souhaité par le patron – 35 % des spectateurs ont désormais moins de 30 ans ! – et sa riche programmation d’écritures contemporaines féminines et masculines, selon le cahier des charges propre à la Colline. Et si on lui a parfois reproché de trop monter ses textes – qui font salles pleines… –, c’était aussi pour obéir aux injonctions de remplissage et de recettes du ministère. Résultat : cent mille spectateurs annuels ! Mais cette charge mentale budgétaire, salariale, politique (les négociations avec l’État, les collectivités locales) imposée aux artistes dirigeant les grandes maisons de théâtre leur convient-elle ? Le dogme d’artistes à la tête d’institutions ultra bureaucratisées n’est-il pas dépassé ? Ils créent souvent moins, et avec le cerveau encombré de problèmes qu’ils ne sont pas formés à résoudre. À lire aussi : Stéphane Braunschweig renonce à être reconduit à l’Odéon : le théâtre public est-il malade ? Le départ avancé de Wajdi Mouawad, comme les récents désirs de non-renouvellement de mandat de Stéphane Braunschweig à l’Odéon-Théâtre de l’Europe et de Jean Bellorini au TNP de Villeurbanne témoignent du malaise. Il y a quelque chose de pourri au royaume de nos institutions théâtrales, hier les plus vivantes du monde et que les meilleurs fuient aujourd’hui. Manque d’élan, de confiance, et de considération donnés par le ministère ? Peut-être les artistes craignent-ils aussi que dans le malaise sociétal, politique, international actuel, l’élection présidentielle de 2027 ne rende plus difficile encore leur action. Sauve qui peut. Fabienne Pascaud / Télérama Légende photo : Wajdi Mouawad dirigeait la Colline, à Paris, depuis 2016. Photo Audoin Desforges pour Télérama
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March 11, 8:19 AM
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Par Laurent Goumarre dans Libération- 10 mars 2025 Convoquant la créature légendaire protectrice du peuple juif, le cinéaste signe une superproduction théâtrale portée par une composition musicale live très réussie, malgré quelques accès de grandiloquence. Le plateau est immense, noir, au centre une harpe, derrière un piano, à jardin un santour – sorte de cithare iranienne –, et à cour on entendra un violon. C’est le premier décor de Golem, la nouvelle superproduction théâtrale du cinéaste Amos Gitaï : un salon de musique pour une pièce impressionnante aux allures de récital live, tour du monde de chants populaires, airs d’opéra de Monteverdi à Luciano Berio. Et quand les sept acteurs prennent la parole en yiddish, français, anglais, ladino, arabe, russe, hébreu, la musique ne cède pas sa place, continue sa partition (il faut citer la superbe composition des trois musiciens Alexey Kochetkov, Kioomars Musayyebi et Florian Pichlbauer), colonne vertébrale d’un spectacle cousu-décousu… en ruines, nous disent les fragments de façades de maisons abandonnées suspendues dans les cintres. «Golem, ça veut dire quoi ?» pose Irène Jacob, narratrice face public. Le Golem, disent le conte et les textes kabbalistiques, c’est cette créature d’argile créée pour protéger les Juifs des persécutions. La pièce est à son image : un spectacle monstre sculpté par un Gitaï Frankenstein qui coupe, monte, coud une théorie de citations du Golem d’Isaac Bashevis Singer ou de Joseph Roth, en passant par Lamed Shapiro ; qui rhabille son plateau d’une avalanche de vêtements en une installation post-Christian Boltanski. Et qui, au passage, ne s’oublie pas en projetant dans les premières minutes un trop long extrait de son film Tsili (2014) – quand Tsili, jeune fille juive dont la famille a été déportée, rejoint un groupe de survivants à la recherche d’un bateau pour accéder à un nouveau monde. La Shoah hantera la pièce, les récits de pogroms réactiveront l’horreur des massacres du 7 Octobre. Et cette question, nouvelle déclinaison, cette fois sur scène, d’un sujet déjà travaillé par l’artiste dans sa trilogie cinématographique des années 1990 : quel Golem faut-il créer aujourd’hui «dans l’espoir fou que le temps des accusations injustes et des décrets iniques viendra un jour à sa fin» ?, écrivait Bashevis Singer, qui dédiait son histoire «aux persécutés, aux opprimés partout dans le monde, jeunes et vieux, Juifs et gentils.» Mais comme toute créature, le Golem, s’il n’est pas maîtrisé, peut se retourner contre son créateur, se mettre à «tout détruire, mettre le feu à la communauté, se déchaîner», avait averti Irène Jacob. Cette malédiction frappe la pièce dans ses tout derniers mots, quand Amos Gitaï – qui doit se rêver en double prix Nobel de littérature et de la paix –, plus faiseur que créateur, délivre un ultime message d’une grandiose condescendance pour qui n’aurait rien compris de la fable qu’il avait su si bien mettre en jeu : «Pour nous comme pour Darwich, Mandelstam ou Szymborska, pour Jorge Semprún, pour Albert Camus, la littérature, le théâtre ou l’art, c’est un lieu de résistance.» Amos Golem a encore frappé. Laurent Goumarre / Libération Golem, texte et mise en scène d’Amos Gitaï, au théâtre de la Colline, à Paris jusqu’au 3 avril. Légende photo : Avec son avalanche de vêtements, le plateau a des airs d’installation post-Boltanski. (Simon Gosselin)
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March 10, 5:55 AM
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Par Eric Dahan dans Libération, le 10 mars 2025 Le metteur en scène signe une magistrale production de la pièce d’Ibsen avec la musique originale de Grieg, portée par la performance époustouflante de Bertrand de Roffignac. On a déjà vu la pièce d’Ibsen sans musique, ou avec des extraits de celle de Grieg sur bande magnétique, voire avec un accompagnement composé pour l’occasion. Des maisons d’opéra ont présenté des productions scéniques à partir des mots d’Ibsen et de la partition de Grieg. Mais l’on n’avait encore jamais assisté à une représentation de Peer Gynt tel qu’il fut créé le 24 février 1876 à Oslo, avec ses 23 numéros musicaux dont certains popularisés depuis par le cinéma, de M le maudit de Fritz Lang à The Social Network de David Fincher, sans oublier nombre de dessins animés des studios Disney. Il faut donc rendre grâce à Olivier Py, actuel directeur du théâtre du Châtelet, d’avoir ressuscité l’ouvrage original, ou presque, puisqu’il fut amputé de son quatrième acte à sa création et que, fidèle à son habitude, le dramaturge a retraduit et adapté la pièce avant de la mettre en scène. Orphelin ontologique Conte initiatique, épopée métaphysique, féerie fantastique, Peer Gynt est toujours un défi. Pas pour Py, qui tire un judicieux parti de la machinerie du Châtelet et entraîne le spectateur à train d’enfer, pendant quatre heures, d’un mariage folklorique à une échappée au royaume des trolls, et d’une Egypte en technicolor à une mer déchaînée et un asile de fous. S’il n’a pas le plus beau son de cordes de la planète, l’Orchestre de chambre de Paris, placé en fond de scène, s’impose dès l’ouverture grâce à la cheffe estonienne Anu Tali, qui rend justice aux envoûtantes pages symphoniques et accompagne les chants et les danses avec une verve communicative. La distribution est percutante, du truculent Damien Bigourdan, en Roi des trolls et en Grand Courbe, à la belle Solveig de Raquel Camarinha, en passant par Céline Chéene qui incarne Aase, veuve déclassée et mère de l’antihéros, avec un mélange de gouaille incisive et de gravité intériorisée qui laisse pantois. Les familiers du théâtre d’Olivier Py ayant applaudi Bertrand de Roffignac au festival d’Avignon dans Hamlet à l’impératif puis Ma jeunesse exaltée, qui durait plus de dix heures, savent à quel point le comédien, auteur et metteur en scène est autant un sprinteur fou qu’un marathonien de haut niveau : deux qualités indispensables pour incarner le rôle-titre. Profond dans la bagarre et la débauche, mercuriel dans le tragique – la mort de la mère et les retrouvailles avec Solveig au terme de son odyssée – le Parisien fait du héros d’Ibsen un orphelin ontologique. Un artiste sans œuvre qui traverse sa vie comme un rêve et habite des identités successives – marchand d’esclaves, mythomane, poète, voyou, schizophrène – pour masquer une lucidité à fleur de peau que cristallise la fameuse scène durant laquelle il épluche un oignon pour s’apercevoir qu’en son cœur il n’y a rien ! Quarante-quatre ans après la performance de Gérard Desarthe au théâtre de la Ville, dans la mise en scène de Chéreau, ce phénomène des planches, qui vient tout juste d’avoir trente ans, réinvente Peer Gynt en éternel adolescent, émotif, insaisissable, diablement contemporain. Ne le manquez pas. «Peer Gynt» d’Henrik Ibsen. Musique d’Edvard Grieg. Mise en scène d’Olivier Py. Direction musicale d’Anu Tali. Jusqu’au 16 mars au Théâtre du Châtelet (75001)
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March 9, 6:48 PM
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Publié par franceinfo Culture avec AFP le 9 mars 2025 Auteur de plus de 30 pièces, Athol Fugard a reçu de nombreux prix parmi lesquels en 2011 un Tony Award pour l'ensemble de sa carrière. Le dramaturge sud-africain Athol Fugard, dont l'essentiel de l'oeuvre a été écrite sous l'apartheid et qui avait défié les tabous racistes de ce régime, en faisant jouer Blancs et Noirs ensemble sur scène dès les années 1960, est décédé, samedi 8 mars, à l'âge de 92 ans, a annoncé dimanche la ville du Cap. La mairie a présenté dans un communiqué ses condoléances à "tous ceux qui ont été touchés par son art", après le décès de ce géant du théâtre sud-africain "réputé pour son opposition inébranlable à l'apartheid". Auteur de plus de 30 pièces, il a aussi été comédien et metteur en scène. Le comédien noir John Kani, voix rocailleuse familière des dernières superproductions Marvel ou Disney, s'est dit sur X "profondément attristé" par le décès de son ami Athol Fugard, auquel il s'était associé jeune. Ensemble, ils ont choisi de ne tenir aucun compte des lois ségrégationnistes, se rencontrant en secret et organisant des répétitions dans des salles de classe ou des garages, pour éviter le harcèlement de la police. "Son travail a permis de montrer l'inhumanité, l'injustice et la bêtise aveugle du système aux yeux du monde entier" écrivait en 2012 le quotidien britannique The Guardian à propos de cet "Afrikaner courageux, inflexible et obstiné". Le dramaturge à la barbe blanche et aux sourcils broussailleux avait connu un regain de notoriété en 2006 quand le film Mon nom est Tsotsi (de Gavin Hood), inspiré d'une de ses nouvelles écrite en 1961, a remporté l'Oscar du meilleur film étranger, une première pour une production sud-africaine. Militant anti-apartheid Né le 11 juin 1932 dans la petite ville de Middelburg (sud-est), il grandit pendant que s'institutionnalise la ségrégation raciale qui prive les Sud-Africains noirs de nombreux droits. Sa première pièce majeure, The Blood Knot (Le lien du sang), est présentée pour la première fois en 1961. Elle raconte l'histoire de deux demi-frères, l'un joué par un Blanc -Fugard lui-même-, l'autre par un Noir, ensemble sur scène face à un public multiracial. C'est une première sous l'apartheid. La loi interdira ensuite les troupes et publics mixtes dans les théâtres sud-africains. Résistant aux injonctions officielles, Fugard travaille avec le groupe d'acteurs noirs Serpent Players, dont John Kani, pour mettre en scène la réalité sud-africaine. Présentée en 1969, Boesman and Lena figure parmi ses pièces les plus connues et raconte la vie difficile d'un couple noir. Elle sera adaptée au cinéma en 2000 par John Berry avec Danny Glover et Angela Bassett. Résistance Semi-autobiographique, "Master Harold ... and the Boys", qui se déroule en 1950, traite des préjugés à travers une rencontre entre un adolescent blanc et deux hommes noirs travaillant pour sa famille. Le thème de la résistance est récurrent dans ses pièces les plus célèbres, notamment Sizwe Banzi is dead et The island, co-écrites avec John Kani et le dramaturge sud-africain Winston Ntshona. "L'apartheid m'a défini, c'est vrai... Mais je suis fier du travail qui en est ressorti, qui porte mon nom", déclarait Athol Fugard en 1995, un an après les premières élections multiraciales en Afrique du Sud. Depuis, il n'a cessé de travailler sur l'héritage de l'apartheid dans la nouvelle Afrique du Sud. Athol Fugard, qui a été marié deux fois, a reçu de nombreux prix parmi lesquels en 2011 un Tony Award pour l'ensemble de sa carrière. Légende photo : Athol Fugard à Tokyo, le 14 octobre 2014. (YOSHIKAZU TSUNO / AFP)
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March 5, 9:49 AM
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Par Marie Plantin dans Sceneweb - 5 mars 2025 D’une grande subtilité d’écriture, cette partition en trio signée Jan Peters, Marie Dompnier et Benoît Delbecq explore nos généalogies trouées d’ombre et de mystère avec un sens comique délectable et une profondeur jamais pesante. Mémoire courte est un bijou inouï plein d’humilité, de sincérité, de poésie, où théâtre et musique s’accordent pour mieux exprimer ce qui dissone. À jardin, un piano à queue le ventre à l’air, farci d’instruments et de machines non identifiées aux oreilles des novices ; à cour, un fauteuil face public, des cartons, des plantes vertes, posés là comme après ou en prévision d’un déménagement. C’est un morceau d’appartement qui est scénographié ici, installé là, comme découpé dans la cage de scène qui s’étend, plus large, autour. Un décor qui s’assume comme tel, ne cherche pas le réalisme ni l’illusion théâtrale, mais s’offre dans son artifice avec ses à-côtés, son hors-champ, ses coulisses. La fiction qui s’y inscrit sera à son image. Musicale, d’abord. Son déploiement part d’une dissonance, d’un non-dit qui fait dérailler la mélodie du bonheur familial factice. En transit, aussi. Toujours sur le seuil du départ et de l’arrivée, elle navigue à vue d’une époque à l’autre selon les générations convoquées. Intersectionnelle, enfin. Au carrefour du souvenir et du fantasme, de la vérité et du mensonge, du rêve et du concret, de l’humour et de la souffrance intime. Des états rythmiques et mouvants qui ne font que s’amplifier durant toute la représentation pour nous laisser, conquis et ravis, au bout de la traversée. Car rien dans ce spectacle n’est jamais installé, rien n’est lourd ni figé. La forme même ondoie, la musicalité à l’œuvre dans la partition semble imprégner toute la dynamique narrative. Et les motifs qui le préoccupent et l’habitent – la transmission transgénérationnelle, l’héritage souterrain, les tabous familiaux, la condition des femmes et son évolution – ne pèsent aucunement sur ce qui se joue. Il y a une légèreté dans l’air, une respiration qui n’empêche pourtant jamais d’aller creuser ce qui entrave. Mémoire courte s’est créé en trio, au gré d’allers-retours entre écriture à la table, au plateau et au piano, et le résultat a la grâce de cette rencontre dans l’interstice du théâtre et de la musique. Marie Dompnier, Jan Peters et le musicien Benoît Delbecq s’accordent dans leurs différences mêmes, ils ont trouvé une combinatoire de présence scénique qui s’harmonise au fur et à mesure. Le récit est diffracté, on entre dans l’histoire par une scène des plus cocasses, en apparence anecdotique, qui est le socle temporel de la fiction, le lieu où l’on revient à la fin. Dans l’intervalle, on aura voyagé sans s’en rendre compte, et sans bouger, dans d’autres lieux et d’autres temps. Marie Dompnier, pilier de l’ensemble, interprète Mathilde, une jeune femme d’aujourd’hui travaillée par un secret de famille : l’internement de sa grand-mère et son invisibilisation. Elle confronte son frère, pianiste dans sa bulle, aux ravages de ce non-dit. Mais un glissement s’opère et, tout à coup, dans ce fauteuil qui nous fait face, s’adressant directement au public, elle devient sa propre mère, celle qui n’a rien dit et a préféré mettre le grain de sable sous le tapis plutôt que d’affronter la blessure. Pour aller de l’avant, coûte que coûte ! Mais, parfois, retourner en arrière est le plus sûr chemin pour avancer. Et nous voici dans les années 1950, changement d’ambiance musicale, changement de costumes, changement de ton, en compagnie de Marie Dompnier, notre fil rouge toujours, dans la peau de la grand-mère Rose, ressuscitée dans l’éclat espiègle de sa jeunesse, mais corsetée par une société peu encline à l’indépendance des femmes. Dans une partition à trois têtes, Marie Dompnier excelle. Son éventail de jeu fait des gammes d’un bout à l’autre du clavier émotionnel sur plusieurs octaves. Elle nous balade avec une insouciante virtuosité. Mais le plus impressionnant, c’est cette façon de nous garder sur le fil, entre le rire et les larmes, suspendus à la réplique suivante, souvent déroutante. Tout est rythmé avec un sens du tempo délicieux, sur la corde entre mélodie cabossée et dissonances assumées, pour raconter cette histoire aux accents d’universel, qui vient faire écho à tous les secrets empoisonnés. Contre toute attente, c’est drôle à souhait, jamais convenu, toujours sensible et équilibré. Jan Peters est hilarant en cerise sur le gâteau finale. Benoît Delbecq s’exprime à cheval sur les mots et son piano, qu’il triture et augmente de sons ajoutés dans un maelstrom entre classique et contemporain fascinant. Le duo frère-sœur qu’il forme avec Marie Dompnier est un numéro d’équilibristes charmant, qui offre un délicat hommage à toutes nos grands-mères sacrifiées sur l’autel d’un patriarcat ravageur. Toutes ces femmes empêchées, sous cloche (de détresse) ou sous cage. En cela, le spectacle a le don de ne rien enfermer. Il ouvre de l’espace, du souffle, de la métaphore, de l’imaginaire, de la joie, et toutes ses strates s’interpénètrent sans barrière. La présence musicale n’est jamais illustrative, elle dialogue au même niveau avec la dimension théâtrale. Les époques glissent les unes sur les autres, les personnages se cachent, au sens propre ou figuré, pour mieux rendre les larmes, et l’arrivée inopinée du voisin vient créer un appel d’air réjouissant qui permet à la dernière scène d’advenir dans tout ce qu’elle résout et libère à la fois. Marie Plantin – www.sceneweb.fr Mémoire courte Texte Marie Dompnier, Jan Peters Mise en scène Jan Peters Avec Marie Dompnier, Benoît Delbecq, Jan Peters Musique Benoît Delbecq Création lumière Fabrice Ollivier Scénographie François Gauthier-Lafaye Costumes Brigitte Faur-Perdigou Production Cie Buissonnière Coproduction Bureau de son Coréalisation Les Plateaux Sauvages Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages Avec le soutien du Théâtre des Îlets – Centre Dramatique National de Montluçon Avec le soutien en résidence de création de La Vie Brève – Théâtre de l’Aquarium et du CENTQUATRE-PARIS Durée : 1h10 Les Plateaux Sauvages, Paris du 3 au 13 mars 2025
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March 4, 3:56 AM
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Par Anne Diatkine, envoyée spéciale à Prague, publié par Libération le 4 mars 2025 Le spectacle de Petr Forman, adaptation d’un poème persan du XIIe siècle, est une fable charmante et intemporelle sur la manière d’échapper à la tyrannie, qui résonne particulièrement avec notre actualité affolante. Il est rarissime que l’invention d’un spectacle se confonde avec celle du lieu qui l’accueille. Les frères Forman ont cette particularité peu partagée de concevoir des nouveaux abris à chaque nouvelle création. Lesquels – contenant et contenu mêlés – quittent Prague où résident les jumeaux pour voyager avec les équipes techniques et artistiques, lors des tournées. Ces temps-ci, leur Conférence des oiseaux, d’après le grand poème persan de Farid al-Din Attar écrit en 1177, atterrit au théâtre Sénart, à Lieusaint (Seine-et-Marne). Cette scène nationale qui coproduit le spectacle est elle-même exceptionnelle en ce qu’elle est la seule des 77 qui forment le réseau à être au cœur d’une zone sans aucune habitation avec uniquement des bureaux, des services, des écoles, des centres médicaux, des supermarchés. On gare sa voiture, on fait ses courses, et on tombe sur… une structure en toile, immense polygone échoué rayé blanc et noir qui semble respirer. Une baleine définitivement sans boussole ? Un éléphant affublé d’un groin à la place de la trompe et qui aurait muté avec le réchauffement climatique. De près, il est ardu d’en distinguer la forme. On peut aussi penser à une fantaisie de Buren spontanément et mollement érigée. Vu du ciel, tout s’éclaire : ça va de soi, le monticule de 32 mètres de long et 10 mètres de hauteur et largeur est une huppe géante ! L’oiseau barré de noir et de blanc et avec un col orange s’est délicatement posé au cœur de l’agglomération du Grand Paris Sud. Séance hallucinatoire Entrons dans les entrailles de l’animal. Choisissons un masque au long bec qu’on nous tend à l’entrée – plusieurs types d’oiseaux sont disponibles. Marchons dans le corridor que forme son cou. Se découvrent alors une scène et des gradins de 350 places. D’autres spectateurs portent déjà leur masque. Entre volatiles, on se salue, les oiseaux pépient déjà. La séance hallucinatoire ne fait que commencer. Car Petr Forman – cette fois-ci, le metteur en scène-concepteur-scénographe a travaillé sans son frère Matej – cumule un art artisanal, ancien et forain très old school avec une pratique du mapping dernier cri, c’est-à-dire des projections vidéo sur des volumes eux aussi mouvants qui rendent incertains l’espace et les contours des corps. Noirs profonds, croassements. Un corbeau s’est-il posé sur notre épaule ? On retient un cri, tandis qu’au loin, une clairière pointe. Non seulement on survole à grande vitesse l’Amazonie avec les oiseaux-acteurs-danseurs, mais les projections sur des lamelles très fines procurent l’impression qu’on traverse les paysages à la même vitesse qu’eux. Nous voici dans une rivière où l’on nage à contre-courant, on est aussi amphibie. Pour peu qu’il soit au centre, le regard du spectateur est celui de l’oiseau. Vieille de dix siècles, la fable iranienne sur la tyrannie et la manière d’y échapper ou de prendre conscience de sa servitude dans un voyage en dix étapes, et classique d’avoir été montée par Peter Brook, n’avait pas tout à fait la même affolante actualité en novembre, lorsqu’on l’a découvert à sa création à Prague, qu’un mois après l’investiture de Donald Trump. Certes, les tyrans fous n’ont jamais manqué, mais à l’automne, la fable était empreinte d’une certaine désuétude charmante et le conte métaphorique intemporel prenait le dessus. Aujourd’hui, le roi qui fait décapiter son esclave adoré faute d’avoir réussi à viser la pomme placée sur sa tête au tir à l’arc se leste d’une vraisemblance qu’on n’aurait pas crue si proche. Peu de paroles dans ce spectacle présenté en français en France (et tout à fait pour enfant). Atelier-caverne d’Ali Baba Petr et Matej Forman, les deux fils du cinéaste Milos Forman (Hair, Amadeus, Man on the Moon…) sont des genres de stars à Prague, où les habitants les arrêtent dans la rue. Stars et directeurs d’un théâtre, mais très accessibles, qui conduisent inopinément un visiteur à l’aéroport alors qu’ils ont la deuxième de leur spectacle dans deux heures – un degré de coolitude et de gentillesse inédit. Cette même matinée, Petr prend le temps de montrer leur atelier-caverne d’Ali Baba. Tiens, un skate, modèle 1976. «C’est un souvenir d’enfance.» La famille était en France accueillie par Jean-Claude Carrière avec lequel Milos Forman travaille, quand leur mère, qui a le mal du pays et se sent isolée, décide de rentrer quelque temps à Prague avec ses deux fils en 1968. Le printemps de Prague est écrasé par l’URSS. Impossible ensuite pour Milos Forman de faire sortir sa famille. «Quand Matej et moi avons eu enfin le droit de lui rendre visite pendant seulement dix jours. A 12 ans, on avait passé toute notre enfance sans lui et sans poser de questions. Lui vivait à New York et c’était l’année où il était nommé aux oscars pour Vol au-dessus d’un nid de coucou [le film reçoit finalement cinq statuettes, ndlr]. A Los Angeles, avant la cérémonie, il nous a acheté ces deux skates. On sentait que rien n’était normal à la fois dans cette absence de huit ans, et l’atmosphère électrique. Mais on avait appris à ne pas en parler, les murs ont des oreilles.» La structure de l’oiseau-chapiteau fut en partie construite à Nîmes. Le jour où elle fut montée pour la première fois, Petr, qui dormait dans son camion comme il en a coutume à l’étranger, découvrit au petit matin une huppe fasciée, qui s’était posée dans un arbre à côté des rayures gigantesques et dont il nous montre la vidéo sur son téléphone portable. Il y a vu un signe. La conférence des oiseaux de Petr Forman d’après le poème de Fardi al-Din Attar au théâtre Sénart du 4 au 12 mars, puis du 22 au 27 mars aux Gémeaux à Sceaux, du 8 au 16 avril à Caen, du 26 avril au 4 mai à Bourges, 15 au 21 mai à Alès. Anne Diatkine, envoyée spéciale à Prague / Libération Légende photo : On survole à grande vitesse l’Amazonie avec les oiseaux-acteurs-danseurs. (Irena Voda´kova´)
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March 3, 4:31 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 25 février 2025 André Markowicz publie un passionnant «Dictionnaire amoureux de Pouchkine ». Il lit l'écrivain russe depuis l’enfance, il n’en finira jamais de le traduire.
« J’ai commencé à traduire en traduisant Pouchkine » note Markowicz. Son enfance a été bercé par l’écrivain. Sa grand-mère (russe) qui le gardait souvent lui lisait du Pouchkine. « Je n’ai aucun souvenir d’une vie d’avant Pouchkine, comme si toute ma petite enfance en Russie ( jusqu’à l’âge de quatre ans) était indissociable de la langue, de la beauté de ses rythmes, de ses images ». Mais c’est avec sa mère, Daredjan Markowicz, « passionnée elle-même de Pouchkine » qu’il a établi toutes les entrées de ce dictionnaire amoureux. D’Anna Akhmatova à Marina Tsvetaïeva, les noms d'écrivain.es russes abondent, toutes et tous ont dialogué avec Pouchkine. Akhmatova est la seconde occurrence de ce dictionnaire. Dans Un mot sur Pouchkine, elle cite l’une de ses dernières phrases prononcée , en français, sur son lit de mort (après le fameux duel avec D’Anthès) : « il faut que j’arrange ma maison ». Cette maison, pour telle, c’est toute la Russie. Et la poétesse de Saint Pétersbourg fait parler Pouchkine : « Je ne vous demande pas de comptes : / Dormez-bien -la force , c’est la loi./ Mais viendra le temps de notre honte:/ vous enfants vous maudiront pour moi » Comme ces vers sonnent fort aujourd’hui dans la Russie de Poutine comme ils sonnaient fort au temps, stalinien, d’Akhmatova. Le père de Marina Tsvetaïeva fut le fondateur de ce qui est aujourd’hui le musée Pouchkine à Moscou. Moscou traverse toute l’œuvre de Tsvetaïeva, Markowicz s’en tient au cycle de poèmes titré A Pouchkine en 1931. « ils sont extraordinaires, ces poèmes, mais comment les traduire, comment les partager ? » s’interroge Markowicz qui préfère s’attarder sur un autre texte, Mon Pouchkine, qu’il a traduit, où Tsvetaïeva évoque la négritude de Pouchkine et sa statue au centre de Moscou, toute en noir. « De la statue de Pouchkine me vient cet amour insensé pour les Noirs, un amour de toute la vie, une fierté de tout mon être » clame Marina Tsvetaïeva qui a aussi traduit des poèmes de Pouchkine en français. C‘est sur la critique, amicale, de ces traductions que s’achève ce Dictionnaire amoureux de Pouchkine au terme d’un ouvrage dépassant les 570 pages. Il y a des entrées comme brouillons, censure, dieu, duel, ennui, folie, hache, jeu , liberté, sourire, des noms de personnages , des titres d’œuvres, des noms de villes comme Odessa ou Saint- Pétersbourg, des figures historiques comme Pierre le Grand, Napoléon ou Pougatchov, etc. Rares sont les noms de pays mais Markowicz ne peut éviter la Pologne. « Voilà une entrée que j’aurais voulu ne pas avoir à faire » note -t-il pour commencer. « La Pologne en 1830-1831, s’est dressée contre l’oppresseur russe et sa révolte a été réprimée par un guerre impitoyable ». Des milliers de morts, des déportations en Sibérie, des exils en pagaille. Pouchkine a écrit trois poèmes sur cette guerre, « des poèmes à la gloire de la répression. Des poèmes dont je pense, plus je les relis, qu’ils sont honteux (sans parler du fait qu’ils sont étrangement mauvais) » insiste Markowicz. Il ne s’attarde pas et préfère, dans la même entrée parler de la présence du poète polonais Adam Mickiewicz dans divers écrits du poète russe. Plus surprenant au premier abord, figure une entrée Daniil Harms, grand écrivain du XXe siècle, longtemps méconnu en France avant d’être remarquablement traduit, entre autres par Ivan Mignot (chez Verdier)., Markowicz voit en lui « le plus grand Pouchkiniste de sa génération ». Et de citer, paradoxalement, ce texte, si je puis dire, harmsissime du 15 décembre 1936 : « Pouchkine est un grand poète, Napoléon est moins grand que Pouchkine ». Et il en va de même , poursuit-il, pour Bismarck, Alexandre Ier, IIe, IIIe, « c’est juste des bulles de savon, comparés à Pouchkine. C’est tous les gens, d’ailleurs, qui sont des bulles de savon, comparés à Pouchkine. Sauf que, comparé à Gogol, Pouchkine lui-même, c’est une bulle de savon. Et c’est pourquoi, au lieu d’écrire quelque chose sur Pouchkine, je vais plutôt vous faire quelque chose sur Gogol. Encore que, Gogol, il est si grand que même c’est impossible d’écrire sur lui quoi que ce soit.Mais après Gogol, écrier quelque chose sur Pouchkine, je ne sais, ça fait pingre. Non, écrire sur Gogol, pas possible. Donc, le mieux, c’est que je ne vais vous écrire rien du tout sur personne ». Parmi les entrées, figure le nom d’un village dans la région de Nijni-Novgorofd, Boldino, Un village qui appartenait à la famille de Pouchkine depuis le XVIe siècle mais qui avait perdu de sa superbe. A la veille de son mariage, le poète y alla, il pensait y rester quelques jours mais, bloqué par une épidémie de choléra, il y resta six mois et y écrivit nombre d’œuvres maîtresses. Une trentaine de poèmes dont les Démons , c’est là qu’il achève Eugène Onéguine (une première version qu’il détruira par la suite), mais aussi des nouvelles , mais encore ses « petites tragédies » sans oublier plusieurs contes. « A Boldino, j’ai écrit comme ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps » écrit il à son ami et éditeur Pletniov. A cet « Automne de Boldino » suivra un autre, trois ans plus tard ; en 1833. solitaire lui aussi et tout aussi productif: Le cavalier de Bronze, La dame de pique, plusieurs contes et son œuvre historique L’histoire de Pougatchov. Etonnant personnage qui organisa une révolte des paysans, se prétendit Tsar et finit par être décapité à Moscou en place publique. Pour ce livre, Pouchkine demande et obtient du tsar l’autorisation de travailler sur les archives. Des milliers de pages Mais il fait plus, il se rend sur place , interroge les paysans, lit des témoignages. Il en résulte deux volumes . Nous ne connaissons que le premier. A la fin des années 80, travaillant à Saint Pétersbourg, André Markowicz découvre ce second volume dont il ignorait l’existence. « Lire ce volume pour le traducteur que je suis est à la fois passionnant, bien sûr, et douloureux, Parce qu’il est intraduisible. Comment, en effet, « traduire en français le russe administratif, mâtiné de slavonismes et d’allemand des proclamations officielles? Comment rendre compte de la langue populaire de certains témoins ? Comment faire comprendre que ce que le lecteur a sous les yeux, dans ces pages, c’est bien plus qu’un livre d’histoire ? C’est un concert de de voix inconciliables, comme l’étaient les différents Etats qui composaient la Russie de l’époque -la composaient encore à l’époque de Pouchkine, et, d’une façon ou d’une autre, la composent encore aujourd’hui. Pas un mot de Pouchkine, et tout est de Pouchkine ». Dictionnaire amoureux de Pouchkine par André Markowicz, Plon, 550 p, 28€ Jean-Pierre Thibaudat
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February 27, 5:37 PM
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Par Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale) dans Le Monde - 27 février 2025 Le Palestinien présente au Théâtre national de Strasbourg son seul-en-scène, « And Here I Am », qui retrace avec un humour ravageur son douloureux parcours d’artiste né dans un camp de réfugiés.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/02/27/ahmed-tobasi-la-double-peine-du-directeur-du-freedom-theatre-de-jenine_6567924_3246.html
Ahmed Tobasi ne sait pas où il habitera dans deux semaines. Ce qu’il sait, c’est qu’il joue au Théâtre national de Strasbourg, jusqu’au 7 mars, son spectacle And Here I Am, qui a mis toute la salle debout à l’issue de la première représentation, mardi 25 février. Parce qu’il y raconte la Palestine sous occupation israélienne à hauteur d’homme, en faisant vivre sa propre histoire d’enfant du camp de Jénine, en Cisjordanie, avec un humour ravageur qui coupe court à toute polémique. Le spectacle, créé en 2017 et qui tourne en France et dans le monde, en particulier depuis octobre 2023, a pris une portée nouvelle ces derniers jours. Depuis plus d’un mois, l’armée israélienne mène dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie une opération « antiterroriste », qui a conduit à l’expulsion de plus de 40 000 personnes. Mardi 25 février, elle a déployé dans la région de Jénine une division de chars, une première en Cisjordanie depuis la seconde Intifada, en 2002. Début janvier, Ahmed Tobasi est parti à Santiago du Chili pour jouer And Here I Am au festival de théâtre Santiago a Mil. Depuis, le directeur artistique du Freedom Theatre de Jénine, fragile rempart culturel contre la folie généralisée dans cette région, n’a jamais pu rentrer chez lui. Détenteur d’un passeport norvégien, il a été accueilli quelque temps à Amman, en Jordanie, avant d’arriver en France. « Je suis doublement réfugié désormais, raconte-t-il au lendemain de sa première strasbourgeoise. Je n’ai plus de maison à Jénine, les Israéliens ont évacué le camp. Comme les autres habitants, ma famille a été déplacée. Le théâtre est toujours debout, et j’aimerais pouvoir rentrer pour poursuivre le travail que nous menons auprès de jeunes, mais je ne sais pas si ce sera possible. Je suis très pessimiste quant à l’avenir de la Cisjordanie : depuis le 7 octobre [2023], l’occupation israélienne, c’est une dépossession, un effacement de notre identité. » Chronique de la vie ordinaire Dans un tel contexte, And Here I Am prend une force nouvelle et claque comme peut claquer le réel quand il est regardé avec précision et humanité – et, ici, un sens de l’absurde et du burlesque décapant. Dans ce seul-en-scène écrit avec l’auteur irakien Hassan Abdulrazzak et mis en scène par la Britannique Zoe Lafferty, il ne s’agissait surtout pas de dire qui avait raison ou tort sur le conflit israélo-palestinien. L’histoire d’Ahmed Tobasi parle d’elle-même, qui prend la dimension d’une chronique de la vie ordinaire des adolescents en territoire occupé. Parce que, à Jénine, les jeunes « n’ont pas d’autre choix que de finir martyr, prisonnier ou handicapé », Ahmed Tobasi, un gamin qui rêvait de devenir « le Leonardo DiCaprio du Moyen-Orient », s’est retrouvé avec une mitraillette entre les mains un jour de ses 17 ans, lors de la seconde Intifada. C’était en 2002, il avait été enrôlé par des copains, comme ils auraient pu lui proposer d’aller à la plage. Arrêté par l’armée israélienne après avoir tenté de faire exploser un char, en pied nickelé de l’Intifada – il a lancé le briquet au lieu de la bombe, comme il le raconte dans l’une des scènes les plus tragiquement drôles du spectacle –, il est incarcéré de 17 à 21 ans au milieu du désert du Néguev, dans le sud d’Israël. Il a failli sombrer, se noyer dans le trou noir d’une grave dépression. Mais le théâtre l’a « sauvé », comme il le dit simplement. A sa sortie du Néguev, il a recroisé la route d’un homme qu’il avait rencontré enfant et qui, déjà, l’avait prévenu : « Tu ne pourras pas libérer la Palestine uniquement avec des armes. Le théâtre est une arme tout aussi puissante et efficace. » L’homme s’appelait Juliano Mer-Khamis. Acteur et metteur en scène arabe-israélien, militant pour les droits des Palestiniens, il venait de cofonder (en 2006), à Jénine, le Freedom Theatre, entendu comme une intifada culturelle. « Un pacte avec le diable » Ahmed Tobasi l’a alors rejoint, avant de partir mener sa vie théâtrale ailleurs, à Bruxelles, puis à Oslo, où il obtient l’asile politique et la nationalité norvégienne. En 2011, Juliano Mer-Khamis est assassiné devant son théâtre, dans des circonstances non élucidées à ce jour. Ahmed Tobasi est rentré à Jénine et a repris le flambeau, en devenant directeur artistique du Freedom Theatre. Avec toutes les difficultés que cela suppose. « Le Freedom Theatre gêne tout le monde, constate-t-il. Les Israéliens, bien sûr, qui cherchent à éliminer toute prise de parole palestinienne. En décembre 2023, j’ai été arrêté, détenu pendant quatre jours, avant d’être libéré grâce à la mobilisation internationale. Les Israéliens ne voulaient tout simplement pas croire que nous étions un lieu d’art et de culture : ils nous considèrent comme des sauvages, incapables d’une telle démarche. Mais le pire, c’est que le Freedom Theatre gêne aussi nombre de Palestiniens. Jénine est un bastion conservateur. Pour la plupart des habitants, le théâtre est une idée occidentale, un pacte avec le diable : faire jouer ensemble des hommes et des femmes, permettre une expression personnelle, l’accès à des contenus culturels venus de l’Ouest… Tout cela est très mal vu. J’ai souvent le sentiment, malheureux, que si je retourne à Jénine, je vais moi aussi être tué, mais pas par un Israélien : par un Palestinien stupide, qui se dirait que je suis dangereux pour la religion et la culture. » Retourner à Jénine ? Ahmed Tobasi veut encore y croire, malgré tout. « Je suis convaincu que le travail que nous avons fait là-bas, de redonner aux enfants d’autres rêves que ceux des armes, est indispensable. Faire entendre que le théâtre est une part de nos vies, qu’il n’est pas une honte, qu’il peut aider à surmonter une telle situation, éveiller les esprits, c’est faire vivre l’héritage de Juliano Mer-Khamis. Hélas les autorités palestiniennes n’en ont plus rien à faire, de cet héritage. » Tout cela, Ahmed Tobasi le raconte non seulement sans aigreur, mais avec une vitalité, une fraîcheur, un humour intacts, qui éclatent avec évidence dans And Here I Am. Le Freedom Theatre de Jénine, désormais en exil, s’est, en attendant, redéployé sur une plateforme numérique, Artists on the Frontline, pour continuer à aider des artistes palestiniens de plus en plus condamnés au silence. And Here I Am, de Hassan Abdulrazzak, mise en scène de Zoe Lafferty. Avec Ahmed Tobasi. Théâtre national de Strasbourg, jusqu’au 7 mars. Théâtre des Carmes, Avignon, le 12 mars. Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale) / LE MONDE Légende photo : Ahmed Tobasi au théâtre Les Subs, à Lyon, le 18 octobre 2023. JEFF PACHOUD/AFP
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Le spectateur de Belleville
February 26, 11:44 AM
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Par Kilian Orain dans Télérama - publié le 26 février 2025 Le metteur en scène prendra le 1er janvier 2027 la direction du Théâtre de Carouge, en Suisse. Un départ qui interroge, alors que les directeurs et directrices de théâtres français voient leur travail glisser vers un rôle de gestion. Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/theatre-pourquoi-le-metteur-en-scene-jean-bellorini-va-t-il-bientot-quitter-le-tnp-de-villeurbanne-7024521.php Le départ vers la Suisse du metteur en scène et directeur de théâtre Jean Bellorini est-il un symptôme de ce qui se joue plus profondément dans le paysage culturel français ? Arrivé à la tête du Théâtre national populaire de Villeurbanne (69) en 2020, Jean Bellorini avait annoncé au début de cette année ne pas vouloir renouveler son mandat. Avant de faire part, ce mardi 25 février, de son départ vers la Suisse où il prendra, le 1ᵉʳ janvier 2027, la direction du Théâtre de Carouge, situé non loin de Genève. Une nomination de plus dans le paysage théâtral ? Pas vraiment. Depuis plusieurs années, Jean Bellorini alerte sur le manque de moyens que subissent les directeurs de CDN, et par ricochet les compagnies qui y sont programmées. En 2023, la Région Auvergne-Rhône-Alpes avait réduit la subvention du TNP de 500 000 à 350 000 euros, sur un budget total de 11,5 millions d’euros. « Même si on a encore des moyens, on voit le budget fondre comme neige au soleil », confirme le metteur en scène. "La période que nous traversons m’oblige à être dans la même énergie de survie que celle dans laquelle sont plongés les compagnies et les artistes." Jean Bellorini, directeur de théâtre Le non-renouvellement par choix de son mandat au sein de l’institution villeurbannaise n’est pas corrélé à ce manque de moyens, affirme-t-il pourtant. Malgré tout, un pareil départ interroge. D’autant plus lorsqu’on sait que la Suisse offre de plus larges moyens à ses théâtres. Celui de Carouge dispose d’un budget moins élevé qu’au TNP, la capacité d’accueil y est deux fois plus petite. Mais son personnel restreint offre aussi plus d’agilité, là où le TNP, avec ses 86 salariés permanents et ses 220 intermittents embauchés chaque année, ressemble à un paquebot à piloter. En se projetant à l’horizon 2027, Jean Bellorini acte d’ores et déjà le fait de ne pas créer de nouveau spectacle au TNP. Ainsi, les moyens qui lui auraient été directement attribués seront redistribués aux artistes programmés l’an prochain, parmi lesquels Clara Hédouin, Jean-François Sivadier ou Joël Pommerat. Lors d’un débat organisé par les Molière le lundi 24 février, le metteur en scène avait exprimé une lassitude face aux nombreuses injonctions auxquelles les théâtres doivent répondre. Au lendemain de cette prise de parole, il nuance : « Je vais très bien, et je ne me plains pas. Simplement, la période que nous traversons m’oblige à être dans la même énergie de survie que celle dans laquelle sont plongés les compagnies et les artistes. Et elle suppose de partir pour ne pas m’essouffler. » “Pris en étau” Bellorini, Suisse par son père, connaît bien le Théâtre de Carouge. Il y a créé presque tous ses spectacles depuis 2011. Avant de prendre la direction du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis de 2013 à 2019 et de rejoindre le TNP, donc. « L’année prochaine, ça fera 14 ans que je dirige un théâtre, j’ai envie de me poser moins de questions, de retrouver l’insouciance que j’avais à mes débuts. » Insouciance ? « Quand je me retrouve face à un président de collectivité qui a un choix à faire entre le chauffage des bâtiments publics ou le financement d’un lieu de culture, je ne peux rien dire. Quand je prends une décision, je pense immédiatement à son coût et à toutes les contraintes qu’elle va engendrer. Avant, on avait davantage confiance, on prenait plus de risques. Aujourd’hui, on est pris en étau entre les mesures sécuritaires (contrôle des sacs, sécurité incendie, gardiens…) et les difficultés économiques. Il faut faire le grand écart entre création et éducation artistique avec un budget de plus en plus réduit. » En l’espace d’une décennie, le TNP a vu sa marge artistique, celle qui permet à son directeur de créer des spectacles, passer de 2,2 millions d’euros en 2011 à à peine 1 million l’an dernier. « Il nous faut retrouver plus d’autonomie, plus de folie », avance Bellorini. « Pourrait-on imaginer confier les clés d’un théâtre à une compagnie, comme l’avait fait Ariane Mnouchkine avec la mienne, pour qu’elle puisse y répéter toute la nuit si elle l’entend ? C’est malheureusement devenu impossible. Le théâtre est pourtant une aventure ! Au TNP, Roger Planchon qui l’a longtemps dirigé, était un aventurier. J’ai l’impression d’être trop souvent un chef d’entreprise. » Difficile d’imaginer que ces difficultés ne soient le ressenti que d’un seul homme. Si la France demeure le pays qui subventionne le plus la culture, les coupes budgétaires qui se multiplient et le poids toujours plus important de l’administration tendent à faire glisser peu à peu les directeurs de lieux vers la simple gestion au détriment de l’art qu’ils sont censés faire naître. Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur le nombre de directeurs et directrices qui envisagent de quitter l’institution pour ces raisons. Kilian Orain / Télérama Légende photo : Jean Bellorini, ici en août 2021 : « Il nous faut retrouver plus d’autonomie, plus de folie. » Photo Léa Crespi pour Télérama
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Le spectateur de Belleville
February 24, 8:45 AM
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Par Gilles Renault dans Libération - 24 février 2025 Dans une mise en scène de Tatiana Vialle, avec Swann Arlaud, la pièce rejoue le micmac d’un triangle amoureux en commençant par la fin. Si le titre est au pluriel, cela veut bien dire qu’en embrassant l’oxymore d’une quelconque réalité fictionnelle, celle-ci ne saurait être autre que multiple, voire duplice. En 1978, le Britannique Harold Pinter publie Trahisons. Quatre ans plus tard, la pièce est créée en France, où, depuis, elle revient régulièrement à l’affiche. Comme, en ce début d’année, dans une mise en scène de Tatiana Vialle, qui, au théâtre de l’Œuvre, dirige son fils, Swann Arlaud, entouré de Marie Kauffmann et de Marc Arnaud. Un brelan d’acteurs, ici configuré en triangle amoureux, à la base d’une singulière équation sentimentale – chacun s’employant à y trouver son compte, en composant au fil du temps une partition appelée à devenir le cœur même du propos. Jerry est agent littéraire, Emma, galeriste, et Robert, éditeur. Les deux premiers ont eu une liaison, sept années «d’après-midi» durant, à une époque où la seconde était l’épouse du troisième, lui-même meilleur ami du premier. Entrelacs de considérations Un micmac propice à la gaudriole, dont la langue de Pinter n’a pourtant que faire. Les phrases sont courtes, souvent entrecoupées de silence. L’esclandre n’est pas de mise. Pas plus que la jérémiade, ou l’effusion. L’heure est plutôt aux explications, entre aveux et omissions, épanchements et non dits, façon petits arrangements entre amants. Sans, pour autant, que le cocu – qu’on découvre d’abord en spectateur passif de la fourberie, assis en fond de scène, côté cour – soit le dindon d’une farce qui jamais n’advient. Un jeu de dupes en somme, faisceau diffracté où, selon les intérêts des uns et des autres, un entrelacs de considérations, amoureuses bien sûr, mais aussi professionnelles, familiales, sociales, relationnelles et culturelles, module les stratégies. De l’évocation des parties de squash où, troisièmes mi-temps comprises, les femmes ne sont pas les bienvenues, à un dîner arrosé dans une trattoria, le microcosme lévite ainsi, du Londres chic de l’intelligentsia à la lagune vénète, sans faire de vague, ni hausser le ton. La singularité de Trahisons reposant sur une construction antéchronologique où chaque scène remonte le temps, d’année en année, jusqu’au soir où Jerry, éméché, et Emma, encore maîtresse uniquement de maison, scellent leur attirance. Une antidate imprègne aussi le texte (tout le public connaît-il l’usage qu’on faisait autrefois des traveller cheques ?), tel un écho à la mise en scène de Tatiana Vialle, qui délimite la géométrie variable des échanges par de longs tubes au néon, dont la blanche verticalité quadrille l’espace sans cesse recomposé. Tandis qu’une entêtante boucle trip-hop, courant musical lui-même tari depuis un bail, se met au diapason d’un cynisme ayant la clairvoyance dramaturgique de rester suffisamment feutré pour se soustraire au jugement moral. Gilles Renault / Libération «Trahisons» de Harold Pinter, m.s. Tatiana Vialle, Théâtre de l’Œuvre, 75009. Jusqu’au 30 mars. https://www.theatredeloeuvre.com/spectacle/trahisons/ Légende photo : Swann Arlaud, Marie Kauffmann et Marc Arnaud. (Photo © Caroline Bottaro)
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Le spectateur de Belleville
February 21, 1:06 PM
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Tribune publiée par L'Humanité le 21 février 2025 « Pour être vivant à jamais, soyons d’éternels mourants. »
Nous sommes au soir du 14 juillet, dans la cour du Musée Calvet, à Avignon. Et ces mots que l’on entend sont ceux du poète Federico Garcia Lorca, les derniers qu’il prononça peut-être, avant d’être fusillé par la milice franquiste, sur un bord de route près de Grenade, le 19 août 1936. Et ce soir du 14 juillet 2024, ils résonnent pour nous entre les murs de pierre de cette cour dont France Culture a fait sa maison de festival, son théâtre de plein air.
Depuis 28 ans maintenant, la Radio Publique y donne à entendre et y enregistre en public les chants, les mots, les fables des écrivain.es mort.es et vivant.es ; c’est ici que poésie, théâtre et littérature sont mis en ondes pour être portés à des milliers d’auditeurs, au-delà du Festival et des murailles d’Avignon. « Toute l’année on y pense, on y travaille, on en rêve, on imagine pour la cour du musée Calvet des lectures et des spectacles en plein air, et puis on y arrive enfin, dans les premiers jours de juillet, et on se bat alors avec ou contre le vent, le froid parfois, jamais la pluie par chance, et les cigales toujours », raconte Blandine Masson, qui en écrit la partition comme on écrit une symphonie, mêlant les voix, et les genres : roman et pièce de théâtre, journal intime ou dialogue philosophique, fragments du réel, correspondance amoureuse et essai théorique. Puis elle ajoute, reprenant amoureusement les mots d’Alain Trutat auquel elle a succédé au poste de Directrice des Fictions à France Culture : « Avignon, il faut y aller pour y planter, y montrer des fleurs. France Culture en Avignon, c’est comme une radio qui naît dans un jardin. »
C’est à Avignon déjà que l’histoire de la radio s’est mêlée à la sienne, une nuit de juillet 1993, sur le Pont Saint-Bénézet : la nuit de sa première rencontre avec la fiction sonore. Alain Trutat avait imaginé pour le Festival « Les nuits des ondes » : nuits d’écoute, nuits blanches peuplées de voix, celles des acteurs, actrices et écrivain.es, nuits de musiques, et de poèmes.
Blandine Masson était présente à la toute première nuit et s’en souvient encore : « Allongée comme beaucoup d’autres auditeurs dans un des transats blancs sur le pont qui enjambe le fleuve, équipée d’un minuscule casque infrarouge, j’écoutais. Ceux qui embarquaient pour ce voyage sonore semblaient se préparer à une très longue traversée. Yeux fermés, corps enveloppés dans nos couvertures, nous les auditeurs-écouteurs-voyageurs plongions dans un grand ruban sonore. »
C’est cette nuit-là, à l’écoute de l’adaptation radiophonique du film d’Orson Welles « La dame de Shanghai », qu’elle se promet d’en faire sa vie, « de chercher sans cesse à recréer ce pouvoir des mots et de la musique, ce miracle de l’émotion né de l’alliance d’un texte et d’une voix ». En 1995, elle devient réalisatrice de fictions à France Culture, et c’est elle qui, plus tard confectionnera la « Nuit Maria Casarès », la « Nuit Alain Cuny », la « Nuit du théâtre citoyen »…
C’est cette nuit de 93 qu’elle découvre le pouvoir magique des mots, et de la voix humaine, et qu’au matin, encore ivre de sons, se révèle sa vocation : mettre en onde comme on met en scène, des bruits, des mots, des notes et des silences, dont elle fera récit et poésie. « La scène de la fiction radiophonique est une onde, immatérielle, invisible, magnétique, acoustique, c’est aussi une sensation qui se propage et j’aime cette idée douce d’un mouvement aussi léger qu’une vague, entêtant, intime, venant déranger, bousculer, distraire « l’autre », en l’arrachant à sa solitude intérieure ».
Comme Svetlana Alexievitch aime à le dire d’elle-même, Blandine Masson devient « une femme oreille ».
Ce sont les actrices et les acteurs qu’elle enregistre qui lui apprendront, dit-elle, le théâtre et la radio. « Dans les voix des autres, et particulièrement des artistes, j’ai longtemps cherché la mienne ». Ces autres, Blandine Masson aime les nommer en reconnaissance, en gratitude, sachant ce qu’ils lui ont confié : la part peut-être la plus intime d’eux-même, leur voix déposée sur son micro. Car elle sait mieux que quiconque la vérité de ces mots de Jacques Copeau : « le micro, c’est le gros plan de l’âme ».
Elles sont si nombreuses ces voix, on ne peut toutes les citer. Blandine Masson, dont la mère fût, peu après sa naissance, une actrice privée de rôles, de scène, de mots, une artiste sans public, « une exilée de l’intérieur » a donné à écouter la voix de tant d’acteurs, d’actrices et de poètes.ses : Celle de Pierre Clémenti qu’elle a enregistré dans le studio 110 de la Maison de la Radio, lisant « Qui je suis » de Pier Paolo Pasolini, celle d’Édith Scob disant « Le journal de Virginia Woolf », de Maurice Garrel interprétant « Le Réformateur », la voix d’André Wilms pulsant sur « La Mort de Virgile », celles de Denis Lavant et Anouk Grinberg lisant « La Fille aux talons d’argile ». De Maria Casares enregistrée dans son appartement du 14e arrondissement de Paris, et dont elle revoit encore le sourire. Et la voix pleine de gravité, d’enluminures et de rocailles de Serge Merlin « artiste de l’exagération », et dont elle entend toujours le rire, les embardées et les chuchotements. La voix de Jérôme Kircher disant les mots de David Grossman face à lui cour du musée Calvet. Celles de Sami Frey, Jeanne Moreau, Evelyne Didi, Irène Jacob, Wajdi Mouawad, Serge Rezvani, Laurent Gaudé, et tant d’autres encore.
« Les voix s’évanouissent, nous en perdons douloureusement la mémoire » mais celles-ci sont gravées en elle, déchirantes, envoûtantes. « La voix a tout pouvoir sur les êtres que nous sommes : la voix hurlante comme la voix douce, la voix insupportable ou la voix enveloppante, la voix que l’on voudrait toujours entendre et réentendre comme une drogue douce, les voix reconnaissables entre toutes de certains acteurs ou actrices, et celles des êtres aimés ».
Ce métier de réalisatrice radiophonique, Blandine Masson l’a pratiqué intensément, au côté des preneurs de son, monteurs, mixeurs de Radio France, des bruiteurs, « ces merveilleux bricoleurs du son, magiciens de l’image sonore, qui ont bâti pour moi, pour nous, tant de décors immatériels pour tant de textes, poèmes, scénarios, pièces de théâtre. »
En 2004 Laure Adler la nomme responsable du service des fictions à France Culture. D’artiste, elle devient productrice. Succédant à Alain Trutat 10 ans après son départ, elle s’y est toujours sentie « de passage, avec le sentiment qu’il fallait aller vite, ne pas perdre de temps, ne pas ménager sa peine, ne pas s’installer, rester sur le qui-vive. » Comme Trutat, et plus encore, elle y défend l’étendue de la liberté d’imaginer, l’absence de limites, « l’insolence de l’invention et du collage ». Elle y affirme la place de la fantaisie, de l’irréel ou du surréel dans le paysage radiophonique. « La nuit, je n’aime pas sommeiller avec des voix trop réelles, trop actuelles, je préfère les voix intemporelles des comédiens, des poètes, celles qui déchaînent l’imaginaire. »
Depuis exactement 20 ans, avec les réalisateur-ices et son équipe éditoriale, elle travaille à faire de la radio ce lieu de création.
La fiction radiophonique est définitivement pour elle le huitième art, un art qui livre « cette perpétuelle bataille contre la solitude et le silence ». Comme l’écrivait Jean-Loup Rivière, homme de lettres et de radio : « On est seul, on est dans le noir, des voix parviennent et vont peut-être vous faire du bien. »
Blandine Masson va, avec l’appui de Radio France, recruter et former une nouvelle génération de réalisateur.ices, elle éduquera leur oreille et fera d’eux des audiophiles comme d’autres deviennent cinéphiles : elle cultive en eux, en elles, l’art qui est le sien : l’art d’écouter. Ils, elles, viennent du cinéma ou du théâtre, de la radio, ou la musique ; elle en fait des « homo-radiophonicus », comme les a rêvés en 1952 Pierre Schaeffer, pionnier de la réalisation radiophonique, « des gens qui savent à la fois avoir les connaissances techniques et en même temps une profondeur de poésie, personnelle. » Responsable des fictions, elle travaille inlassablement à combler l’absence de reconnaissance des réalisateurs sonores en France, quand tant d’autres pays et depuis longtemps les ont accueillis pleinement dans le monde des Arts. « La réalisation radiophonique ne bénéficie encore aujourd’hui d’aucune formation initiale, d’aucune académie. Pourquoi une telle absence ? Pas d’audiothèque comme il existe des cinémathèques, pas d’audio-club comme il y avait les ciné-clubs. » Elle se bat.
En 2010, c’est l’irruption du podcast. Elle planifiera au sein de France Culture, et avec le service des fictions, la révolution numérique, rendant les œuvres plus visibles, plus audibles que jamais. En Covid, elle tend ses micros aux écrivain.es, à leurs mots et aux voix des artistes qui les portent. Dans cette période de confinement, et plus que jamais peut-être, elle livre avec son équipe, et de toute la force de son art, « cette perpétuelle bataille contre la solitude et le silence ».
Dans son livre « Mettre en onde », paru en 2021 chez Actes Sud, elle ravive la mémoire de son métier, en dit les origines. Mieux que quiconque, Blandine Masson en connaît l’histoire et nous la rappelle : cette Grande Histoire qui a rejoint la sienne, intime, professionnelle, une nuit de juillet 93 en Avignon, a peut-être, elle aussi, commencé vraiment là, dans ce Festival qui a vu converger, comme deux fleuves puissants, la radio et le théâtre publics. Car la radio était là dès le premier soir, la première représentation, en 1947, pour poser ses micros sur ses tréteaux et ne les a plus quittés jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à la cour du musée Calvet, jusqu’à ce qu’y résonnent les mots de Garcia Lorca : « Pour être vivant à jamais, soyons d’éternels mourants ».
Radio Publique, Théâtre Public, ces deux fleuves ont convergé pour n’en former plus qu’un : un grand service public des Arts, des Cultures et de l’Éducation Populaire, commencé ici par les artistes technicien.nes, intellectuel.les et poètes.ses de l’après-guerre, avec l’espoir fou d’un monde meilleur et, plus encore, d’un être humain meilleur, et qui croyaient avec Alain Trutat « qu’à côté des nourritures terrestres, il faut bien des nourritures imaginaires, c’est ce que nous essayons de fournir. » Cette histoire, Blandine Masson s’en sait l’héritière, et en combat l’oubli. Cette histoire, elle l’a écrite chaque jour à la Maison de la Radio, servant la Radio Publique comme on sert un idéal, comme on sert les grandes causes.
Aujourd’hui nous parvient l’annonce de ce départ. Alan Lomax, « l’homme qui a enregistré le monde », écrivait déjà en 1999 : « La variété artistique est menacée d’extinction. Un phénomène de grisaille est en cours qui, s’il n’est pas maîtrisé, remplira le ciel de l’humanité d’un brouillard factice et coupera les familles des hommes de la vision de leurs propres constellations culturelles et de ses voix les plus singulières. Un système de communication électronique mal géré et trop centralisé impose partout quelques cultures standardisées, produites en masse et bon marché. »
C’est un perpétuel combat. C’est celui de Blandine Masson. Et c’est le nôtre. Au moment de son départ nous reviennent ces mots de Sydney Pollack, ces mots qui pourraient être les siens tant ils lui ressemblent et nous parlent d’elle, et de son œuvre qui continue :
« Au milieu des coups de feu, il n’est pas toujours facile de l’entendre. Mais la voix humaine est différente des autres sons. Elle peut être entendue par-dessus les sons qui couvrent normalement tous les autres. Même sans crier. Même lorsqu’elle n’est que murmure.
Même le plus léger des chuchotements l’emporte sur le fracas des canons, lorsqu’il dit la vérité. »
Les signataires :
Didier Abadie, directeur ERACM, Association des 38 Centres Dramatiques Nationaux, Laure Adler, journaliste, essayiste et productrice de radio, Carole Albanese, directrice de la scène nationale de l’Ariège, Ariane Ascaride, comédienne, Gwenaëlle Aubry, écrivaine, Anne Azoulay, comédienne, Alexandra Badea, écrivaine et metteuse en scène, Sylvie Ballul, conseillère littéraire, Camille Barnaud, directrice Scène nationale du Havre, Razerka Ben Sadia-Lavant directrice du Petit Festival de la Côte Vermeille, Sophie Berger, réalisatrice son et autrice, Charles Berling , acteur, François Berreur, éditeur, Cécile Bertin directrice L’arc scène nationale Le Creusot, Marie-Louise Bischofberger, metteuse en scène, Dominique Blanc, comédienne, David Bobée, metteur en scène, directeur du Théâtre du Nord Centre Dramatique National, Sandrine Bonnaire , actrice, Audrey Bonnet, comédienne, Nicolas Bouchaud, comédien, Sophie Calle, artiste, Amira Casar, comédienne, Astrid Cathala artiste, Olivier Chaudenson directeur de la Maison de la Poésie, Enzo Cormann écrivain, Romaric Daurier, directeur le Phénix scène nationale Valenciennes, Claire David éditions Actes Sud, Gwénola David, Simon Delétang, metteur en scène et directeur du Théâtre de Lorient-CDN, Maryline Desbiolles écrivaine, Michel Deutsch écrivain et metteur en scène, Marcial Di Fonzo Bo acteur metteur en scène et directeur du Quai Angers Centre Dramatique National, Évelyne Didi, actrice, Géraud Didier, directeur de scène nationale; Dimitris Dimitriadis auteur, Nasser Djemaï, auteur et metteur en scène, Dominique Dominique comédienne, Eva Doumbia, autrice, metteuse en scène, Mohamed El Khatib auteur et metteur en scène, Mathias Enard, écrivain, Vincent Farasse, auteur, Michele Foucher comédienne, Alain Françon, metteur en scène, Claudine Galea, écrivaine, Xavier Gallais, comédien, Samuel Gallet, écrivain et metteur en scène, Jacques Gamblin, comédien et auteur, Julie Gayet, actrice productrice et réalisatrice, Amos Gitai, architecte and film builder, Damien Godet, directeur de la scène nationale du Sud-Aquitain et administrateur du Festival d’Avignon de 2014 à 2018, Julien Gosselin, metteur en scène et directeur du Théâtre National de l’Odéon, Dominic Gould, acteur, Sylvie Gouttebaron, directrice maison des écrivains et de la littérature, Didier Grimel, accompagnateur d’équipes artistiques et de lieux du spectacle vivant public, Anouk Grinberg, comédienne et peintre, Marie Rose Guarnieri, libraire, Katell Guillou, scénariste, Clément Hervieu-Léger comédien et metteur en scène, Irène Jacob, comédienne, Marc Jacquin, directeur de phonurgia nova, Pierre Jourde, écrivain, Jérôme Kircher, acteur, Fanny Lannoy, responsable pédagogique, Laurent Le Gall, Micha Lescot comédien, Isabelle Lusignan, comédienne, Macha Makeieff, metteuse en scène, Christine Malard, directrice du Théâtre Jean Lurçat scène nationale d’Aubusson, Caroline Marcilhac, directrice de Théâtre Ouvert, André Marcon, comédien, Yannick Marzin, directeur MA scène nationale Pays de Montbéliard, Muriel Mayette, comédienne metteuse en scène et directrice du Théâtre de Nice Centre Dramatique National, Jacques Mazeran, comédien, Emmanuel Meirieu, auteur et metteur en scène, Philippe Meirieu pédagogue, Olivier Mellano, compositeur et musicien, Fabrice Melquiot, écrivain, Stéphane Michaka, romancier et dramaturge, Christophe Miossec, auteur compositeur et interprète, Alexandra Moreira Da Silva, enseignante chercheur et traductrice et dramaturge, Anna Mouglalis, actrice, Pascale Nandillon, metteuse en scène, Marie Ndiaye, autrice, Alain Neddam Johanna Nizard, actrice, Stanislas Nordey, acteur et metteur en scène, Marc Paquien, metteur en scène, Nicolas Philibert, cinéaste, Eric Pierrot, comédien et metteur en scène, Laurent Poitrenaux, comédien, Guillaume Poix, écrivain, Pascal Rambert, auteur et metteur en scène, Patrick Ranchain, directeur Théâtre du Bois de l’Aune / Aix-en-Provence, Christophe Rauck, metteur en scène et directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers, Pascal Rénéric, comédien, Robin Renucci, comédien metteur en scène et directeur du Théâtre National de Marseille LA CRIÉE, Serge Rezvani, peintre et écrivain, Jean-Michel Ribes, auteur dramatique, Vincent Roche Lecca directeur d’un théâtre public, Alexandre Rochon artiste et musicien, Tiago Rodrigues, auteur metteur en scène acteur et directeur du Festival d’Avignon, Olivier Rolin, écrivain, Stanislas Roquette, comédien et auteur, Nathalie Roussel comédienne, Olivier Saksik, attaché de presse, Christian Schiaretti, metteur en scène, Jean-Pierre Simeon poète, Michel Simonot, écrivain, SivadierJean-François metteur en scène, Samuel Strouk, compositeur, Jean-Philippe Toussaint, écrivain, Erik Truffaz, musicien, Serge Valletti, auteur, Frédéric Vossier, auteur dramatique, Emmanuel Wallon, professeur émérite à l’université Paris Nanterre
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