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La chorégraphe Lia Rodrigues : “Avec Bolsonaro, il n’y aura aucun projet pour la culture au Brésil”

La chorégraphe Lia Rodrigues : “Avec Bolsonaro, il n’y aura aucun projet pour la culture au Brésil” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama le 29/11/2018.


A l’occasion de son dernier spectacle actuellement à l’affiche à Paris, rencontre avec une artiste qui a placé l’humain au centre de son projet, et qui ne mâche pas ses mots sur l’état actuel de son pays.

Elle parle à cœur ouvert dans un français parfait, en mêlant souvent la vie et l’art. A 62 ans, et plus de quarante ans de carrière, la danseuse et chorégraphe Lia Rodrigues, aime les gens et s’intéresse à leurs destins. A Rio, où elle vit depuis vingt-sept ans, elle a fait le choix depuis 2004 de faire travailler sa compagnie à Maré, l’une des plus grosses favelas de la ville. Et d’y créer aussi un centre d’art et deux écoles de danse. Arrivée à Paris,avec ses neuf danseurs à la mi-novembre, elle a peaufiné au Théâtre national de Chaillot sa dernière création, qui sera aussi présentée au Centquatre, dans le cadre du Festival d’automne. La France, elle la connaît bien, pour y avoir vécu et travaillé (chez Maguy Marin, dans les années 1980). 

Etre artiste au Brésil ? Pas une sinécure nous confie Lia Rodrigues. Malgré les apparences – son profil menu, son sourire doux et ce rire qui lui vient souvent aux lèvres –, elle semble pouvoir résister à tout. Comme sa danse, brute et solide, qui met avec radicalité les corps en majesté.

En tant qu’artiste, comment vivait-on sous la dictature, entre 1964 et 1985 ?
Certains artistes ont réussi alors un travail exceptionnel dans le théâtre, et surtout dans la musique, grâce à Chico Buarque, Caetano Veloso ou Gilberto Gil. Dans le domaine de la danse aussi : le Ballet Stagium, par exemple, créé en 1970, m’a servi de repère quand j’étais jeune danseuse. Cette compagnie a refusé l’esprit colonial de la dictature et quitté la métropole de Sao Paulo pour le Brésil profond. En 1977, ils ont créé Kuarup ou la Question indienne, sur les problèmes des communautés autochtones. Ce fut notre «Sacre du printemps», une référence. Cette pièce très engagée a quand même pu tourner dans tout le pays. Il y a donc eu une résistance artistique. Plein de petites compagnies indépendantes fleurissaient à Sao Paulo où j’étais moi-même inscrite à l’université d’histoire.

“On fuyait devant la police”
J’ai créé ma première troupe de danse en 1977, avec des femmes. Les censeurs existaient pour la danse comme pour les livres, mais ils n’y comprenaient rien : ils ne pensaient pas qu’elle puisse s’insurger contre le régime. Nous autres étudiants contestions, manifestions dans les rues. On fuyait devant la police, mais certains disparaissaient brutalement. Car c’est à cette époque – les années 1970 –, que la dictature a été la plus dure. A partir de 1980, la transition vers la démocratie a commencé. Mais hélas, au Brésil, aujourd’hui, ce terrible passé n’est toujours pas soldé : il n’y a eu ni travail de la justice, ni travail de réconciliation.

C’est à la fin de cette période, en 1979, que vous choisissez de venir en France pour  intégrer la compagnie de Maguy Marin. Quel souvenir en avez-vous ?
C’est en voulant rejoindre Pina Bausch, en Allemagne, que je me suis arrêtée à Paris et retrouvée chez Maguy Marin ! Grâce à une amie commune : ma professeur de danse, que Maguy avait rencontrée à Bruxelles, à l’école de Maurice Béjart. Maguy m’a accueillie chaleureusement et embarquée dans sa troupe au bout de dix jours, alors que je n’avais été qu’une simple invitée des répétitions. J’ai appris, chez elle, à savoir tout faire dans le métier (on lavait les costumes, on réglait les lumières…).


Son éthique dans le travail, sa façon d’être avec les interprètes m’ont marquée à jamais. Par exemple, pendant la création de May B (dont on ne savait évidemment pas, alors, quelle pièce emblématique elle deviendrait, et que Maguy a eu la générosité de transmettre aux élèves de l’école de Maré), je me suis sentie d’emblée chez moi. Car on faisait tout ensemble, on expérimentait en tout sens avant d’aboutir à la version finale. 

Comment avez-vous rebondi au Brésil, trois ans plus tard ?
J’y ai suivi mon amoureux et me suis installée à Rio en 1982 où je ne connaissais personne dans le milieu artistique. J’ai eu deux enfants et me suis arrêtée de danser car je ne trouvais rien de comparable avec l’expérience vécue chez Maguy Marin : je lui écrivais que tout cela me manquait, mais elle répondait que j’avais fait un choix de vie… 

“ Militer avec les femmes, et allaiter ”


J’ai alors milité pour l’allaitement maternel avec un groupe de femmes. On visitait les favelas et les hôpitaux. Bref, ma vie, à l’époque, c’était avoir des enfants, faire un peu de figuration pour la télé, militer avec les femmes, et allaiter moi-même. Et puis j’ai divorcé, rencontré quelqu’un à nouveau… refait un enfant et refondé en même temps une troupe avec un ami. Comme j’étais enceinte de huit mois, il m’a plutôt encouragée à chorégraphier ! Deux ans plus tard, en 1990, je créais enfin ma propre compagnie, dont la première pièce a été Ma : un travail inspiré par... l’accouchement. J’en avais déjà fait une baptisée Gyneceo…

Pourquoi la question féminine était-elle si importante pour vous ?
Parce ce que c’est LA cause à défendre au Brésil ! Le pays le plus violent pour les femmes… noires en particulier. J’ai toujours été frappée par le degré énorme d’inégalité dans cette société immense et multiple. Et depuis ma place de privilégiée née dans une famille aisée et blanche, j’ai toujours essayé de faire ce que tout le monde devrait faire : partager ce que le hasard de la naissance m’a donné.

Comment avez-vous fait le chemin jusqu’à la favela de Maré ?
En créant le festival Panorama en 1992, à Rio, je voulais défendre l’existence d’une communauté d’artistes parce que rien ne vaut le dialogue entre les styles et les pensées. Je n’y présentais même pas mes pièces, préférant ouvrir les portes aux autres compagnies brésiliennes, ou internationales (Maguy Marin, Boris Charmatz, Jérôme Bel y sont venus). Des workshops et des résidences ont commencé. Cela a créé un réel appel d’air pour les artistes, mais j’ai compris que le public, lui, circulait dans un cercle assez fermé. Le même monde voyait les mêmes spectacles, lisait les mêmes livres, rencontrait les mêmes gens. Alors qu’à Rio, avec sept cents bidonvilles à la périphérie ou au cœur même de la ville, la vie palpitait vraiment autrement… La question fut donc brutale : pour qui est-ce que je danse ? La danse contemporaine peut-elle dialoguer avec ceux qui ne vont jamais au théâtre ? 

“ Le bidonville de Maré est l’un des plus violents ”


Ma dramaturge et amie, Silvia Soter m’a alors parlé de l’association Redes, fondée par des habitants de Maré en faveur de l’éducation. On a réfléchi avec elle à ce que l’on pourrait faire dans ce bidonville qui compte aujourd’hui 140 000 habitants, implanté en plein Rio, où vivent des familles et de nombreux jeunes. Maré est l’un des plus violents. Quatre groupes de trafiquants sont en guerre entre eux comme avec la police. J’ai commencé à travailler avec dix jeunes dans un hangar à bateaux aménagé près de la baie. J’y ai présenté les pièces de ma compagnie (Les Fables de La Fontaine et Incarnat), et c’est devenu notre lieu de répétition, comme notre lieu de cours avec les jeunes. Il n’a pas toujours été facile de venir travailler à la favela, mais le jour où l’un des élèves a intégré ma compagnie et pu en même temps obtenir une bourse à l’université, j’ai eu un déclic. Il fallait aller plus loin.

Comment avez-vous développé le projet ?
En 2007, Redes a déménagé et j’ai trouvé à proximité d’eux un autre hangar de 1 200 mètres carrés. Avec l’argent cumulé de l’association et de mes tournées, on a ouvert un centre d’art en 2009. Avec des expositions, des spectacles de musique, des séminaires autour du cinéma, des rencontres entre habitants, des fêtes… Toute mon équipe est aux côtés des militants de l’association (surtout des femmes) dans le projet. Nous y donnons des cours gratuits avec l’idée que les élèves, leurs amis et leurs familles aient l’envie de venir eux aussi au centre. 

Dans notre nouvelle Ecole de danse libre de Maré, il y a aujourd’hui trois cent cinquante élèves répartis en deux « noyaux ». Nucleo 1, où les amateurs de 8 à 80 ans prennent des cours gratuits de ballet classique (la liste d’attente est longue), de hip-hop, de danse contemporaine ou de salon. Et Nucleo 2, où l’on dispense une formation professionnelle pour les jeunes. Vingt élèves boursiers y sont nourris le midi, et reçoivent quatre heures de cours par jour, cinq jours sur sept. Je suis si fière d’avoir créé cette filière. La Fondation d’entreprise Hermès est notre soutien sans faille depuis le début, en 2011. Et pas seulement d’un point de vue financier : leur aide est constante, ils nous épaulent.

Tous nos élèves sont inscrits en parallèle au cycle danse de l’université : exceptionnel pour des enfants de Maré où l’école publique est mauvaise. Ils deviendront danseurs diplômés ou profs de danse. Deux d’entre eux ont été reçus à l’école PARTS d’Anne Teresa de Keersmaeker à Bruxelles, et quatre autres sont entrés dans ma compagnie. Tous ont rêvé d’être artistes et ont pu le devenir malgré leur milieu d’origine, pauvre et noir, dans leur pays tellement raciste… 

Mais pendant son mandat, Lula ne s’était-il pas battu contre les discriminations ?
Si, bien sûr, il a sorti le pays de la misère. Il a créé des quotas à l’université en faveur des Noirs et des Indiens. Pour mesurer l’importance de son action, il faut savoir que le Brésil est le dernier pays à être sorti de l’esclavage, sans que le gouvernement ne définisse ensuite un projet d’avenir pour tous ceux-là qui avaient donné leur vie au pays. Il a laissé ces groupes dans la pauvreté absolue. Lula s’est attaqué à ça. C’était déjà énorme. Pour la culture, ça a été plus difficile. Dans un pays immense (plusieurs fois la France !) et si divers, il est complexe de définir une politique culturelle globale. Et puis au Brésil, il n’y a jamais eu la tradition d’un développement public de l’art comme en France… 

Vous avez été déçue par la politique de son ministre de la culture, Gilberto Gil ?
Non pas vraiment déçue, même si j’attendais peut-être davantage pour la danse… toujours la dernière servie de toute façon, dans tous les pays. Je regarde ça avec distance désormais : il ne pouvait pas soutenir tout le monde, il lui aurait fallu plus de temps. Pour recevoir des subventions, il y a trois instances possibles : la Ville, l’Etat-Région, et le niveau fédéral. En presque trente ans de compagnie, j’ai travaillé de plusieurs façons avec ces interlocuteurs. J’ai reçu un prix, obtenu des subventions de la Ville au coup par coup. Le gouvernement Lula avait lancé des appels à projet, et j’ai eu deux aides en 2009-2010 et en 2013-2014. Aujourd’hui, Rio a un très mauvais maire – un évêque ! – qui a coupé toutes les subventions. La Région est en faillite. Et depuis que Dilma Rousseff a été destituée, il n’y a plus rien non plus à attendre de l’Etat. Sans la France (la Fondation Hermès, Le Théâtre national de Chaillot et le Centquatre à Paris, où je suis artiste associée), et sans le Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, les théâtres de Francfort ou Fribourg en Allemagne, ou celui de Porto au Portugal, je ne pourrais plus travailler.

Comment voyez-vous l’avenir des artistes sous un gouvernement dirigé par Jair Bolsonaro à partir de janvier prochain ?
C’est déjà un désastre actuellement, avec le terrible Michel Temer. Avec Bolsonaro, il n’y aura aucun projet pour la culture, car cela ne compte pas du tout pour lui. Mais ce n’est pas le plus grave. Son discours actuel, affolant, menace la société entière : il est violent, ignorant, raciste et misogyne. Il a même avoué son admiration pour Ustra, le plus grand tortionnaire de la dictature. Il annonce qu’on doit «tuer» encore plus, alors que notre pays remporte la palme des morts par assassinat : 60 000 homicides par an. 

“Nous vivons un génocide”


Et sur 100 personnes tuées, 71 sont noires. Chaque année, plus de 23 000 jeunes Noirs, âgés de 15 à 29 ans, meurent. Toutes les vingt-trois minutes, un jeune homme noir est assassiné au Brésil. Nous vivons un génocide, voilà la terrible réalité de notre pays. Marielle Franco, élue politique noire (qui a aidé notre association), née à Maré, a été assassinée. Neuf mois plus tard, l’enquête n’avance pas.

Cette situation générale me préoccupe davantage que celle des artistes… Même si je crains le retour de la censure car une fausse morale se diffuse partout pour discréditer l’art. L’un de mes amis, par exemple, a reçu des menaces de mort après une performance au musée des Beaux-Arts de Rio : on l’a traité de pédophile. Le retour de cet extrémisme ultraconservateur est visible également aux Etats-Unis, en Turquie, en Hongrie, peut-être en Italie… Dans chacun de ces pays, on voit ce que « l’outre-capitalisme » fait à la démocratie.

De quoi parlez-vous dans votre nouvelle pièce, Fúria, présentée à Paris ?
Chacun d’entre nous s’est posé une question : comment est-ce que je vois ma place dans la société ? Chaque danseur a trouvé sur Internet des images pour y répondre. A partir de cette énorme collection de situations vécues, qu’elles soient belles, tristes ou tragiques, on a improvisé. Toute la pièce est organisée à partir de ce que nous, êtres humains, avons ressenti de la favela ou du Brésil en général. On s’est aussi servi des récits de la romancière Conceição Evaristo décrivant la vie des femmes noires.

On a aussi utilisé tous les déchets que l’on trouvait autour de nous. Tout ce qui traînait dans un coin, au centre d’art, a été récupéré pour le décor ou les costumes. D’un point de vue philosophique et écologique, on a voulu comprendre si l’on pouvait créer de la beauté avec tout ce qu’on jette. On a eu le plaisir de voir un pauvre sac se transformer en couronne de roi. Alors que le capitalisme extrême nous force à acheter sans cesse, à consommer, à gaspiller, on a réfléchi à ce que nous faisions nous de notre propre pensée ? Et à ce que deviennent les êtres humains dont on fait si peu de cas aujourd’hui…

À VOIR
Fúria, chorégraphie Lia Rodrigues et la Lia Rodrigues Companhia de Danças, à Paris : les 30 novembre, 1er, 4, 5, 6 et 7 décembre, Chaillot-Théâtre national de la Danse, et les 12, 13, 14 et 15 décembre, Centquatre.

Et en tournée : le 18 décembre, Hippodrome, Douai (59) ; les 15 et 16 janvier, MC2, Grenoble (38) ; le 19 janvier, Théâtre Granit, Belfort (90) ; le 29 janvier, Le Parvis, Tarbes (65) ; les 31 janvier et 1er février, Garonne/CDC, Toulouse (31) ; le 5 février, Théâtre des Salins, Martigues (13) ; les 11 et 12 février, festival Antigel, Lignon (Genève) ; le 15 février, Les Hivernales, Avignon (84).

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Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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Christine Angot : «Mes déceptions au théâtre, c’est quand j’ai l’impression qu’il n’arrive rien, qu’il ne m’arrive rien» 

Christine Angot : «Mes déceptions au théâtre, c’est quand j’ai l’impression qu’il n’arrive rien, qu’il ne m’arrive rien»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Anne Diatkine / Libération du 24 juillet 2025

 

L’écrivaine, que l’on a déjà vue sur scène et rencontrée au Festival d’Avignon, décrit ce qui l’anime dans les interactions entre acteurs et spectateurs et les apports du théâtre comparé à l’écriture.

 

 

La romancière était à Avignon, notamment pour un débat sur la représentation des violences familiales organisé par Libération. Elle a plusieurs fois fait des lectures de ses textes sur scène et son livre Voyage dans l’Est a été adapté au théâtre par Stanislas Nordey.

 

Votre premier Avignon ?

Inoubliable. On est en 1990, je vis à Nice, Vu du ciel, mon premier roman, vient de paraître. J’ai écrit une pièce, Corps plongé dans un liquide, je ne connais personne dans le monde du théâtre, pas le moindre acteur, assistant, qui pourrait m’orienter. Passe sur Arte une captation de Hamlet mis en scène par Patrice Chéreau avec Gérard Desarthe. Je suis folle devant ma télé. Folle devant cet acteur. Je me dis : cet acteur sait tout. Tout de l’humain, de l’amour, de la haine, du père, de la mère, de la société. Sa manière d’être Hamlet montre qu’il sait tout ce qu’il y a à savoir mais aussi tout ce qui échappe au savoir. Je ne connais pas Gérard Desarthe qui est alors une star du théâtre public. Je ne l’ai jamais vu. Mais je me dis «il faut qu’il lise ma pièce». Je trouve son adresse sur le Minitel. Je la lui envoie. Je ne m’attends à aucune réponse. Envoyer des manuscrits comme des bouteilles à la mer, à l’époque, je ne fais que ça. Et quelques jours plus tard, c’est lui au téléphone, sa voix est forte. Il a lu : «T’es qui ? Comment tu t’appelles ? Qu’est-ce que tu fais ? Tu seras à Avignon cet été ?» Comme si c’était normal, évident d’aller à Avignon. Je réponds : «Oui je peux y aller.» Et lui : «Je serai à l’hôtel d’Europe.» On se donne rendez-vous. J’arrive à l’hôtel d’Europe, je le vois descendre l’escalier, j’ai le cœur qui bat. On s’assoit à une table. Et la première chose qu’il me dit, c’est : «Avant tout, il faut que tu m’excuses parce que, moi, je ne suis pas écrivain, je n’ai pas été à l’école très longtemps, il m’arrive de faire des fautes de français.» Et on part dans je ne sais pas combien d’heures de conversations sur Corneille, le Cid, qu’il monte à ce moment-là, et il me dit une phrase que je ne relève pas mais attrape au vol : «Ce sont les pères qui tuent les enfants.»

 

 

Vous êtes parfois sur scène pour des lectures impressionnantes. Des performances ?

 

Je n’appellerais pas ça «performance». Même si je fais un montage précis du texte, une dramaturgie, que je répète, et que la lecture dépend des lieux. Ça ne peut pas être le même montage et les mêmes déplacements à la Bourse de commerce, à la Maison de la poésie ou la Villa Médicis. Dans tous les cas, quel que soit le lieu, il y a un impératif : je ne veux pas que la lumière soit éteinte, que le public soit dans le noir. J’ai besoin d’être au présent, de m’adresser à, et de voir. Quand on parle à quelqu’un, c’est mieux de le voir, de saisir cette relation. Ce n’est pas une représentation. Je ne suis pas une actrice.

 

 

Aller au théâtre : avec quel espoir ?

 

La lecture seul chez soi est un art. Peut l’être. Doit l’être. Le lecteur est l’interprète de la partition écrite.

On va au théâtre pour voir quelque chose arriver. Un livre, un film n’ont pas le même rapport au présent. Mes déceptions au théâtre, c’est quand j’ai l’impression qu’il ne se passe rien. Le spectacle peut être intéressant, il se déroule, mais il n’arrive rien, et il ne m’arrive rien. C’est la question de la «présence». Quand elle est là, à l’inverse, c’est extraordinaire. Ça peut être avec un classique, les Fausses confidences montées par Alain Françon que j’ai vu à Nanterre, et au Théâtre de la Porte Saint-Martin, et les deux fois la révélation de ce qu’on sait déjà se répète, se remanifeste. A savoir : il est possible que tout soit dit. Le langage sait faire ça. Mais pour qu’on entende tout ce qu’il y a à dire à propos de l’amour, de l’humain, des classes sociales, des stratégies du langage, dix mille détails sont à l’œuvre : une pause à tel instant, une hésitation, le retrait d’un mot ou au contraire sa mise en évidence, tel objet, tel geste. Ce sont des irisations de lumière créées par le texte, et saisies en totalité par Françon. Il faut bien qu’il devienne auteur du texte de Marivaux, pour que les mots soient là, pleinement vivants, devant nous en 2025. Et la révélation produite par le spectacle, par les acteurs, c’est celle que la langue peut tout faire. C’est une joie incommensurable. Marivaux écrit la pièce à partir de son extrême intelligence de la langue, mais de la société, mais des rapports de force mais des classes sociales. Françon, lui, fait briller le soleil.

 

Parfois, vous êtes l’auteur du texte sur scène…

 

Et dans ce cas, on peut avoir la crainte qu’il y ait des petits cailloux, des moments de gêne plus ou moins légère qui enrayent le texte tel que je l’ai écrit et que la partition se retrouve faussée au plateau. Et se dire alors : «Ce n’est pas ce que j’ai écrit ?» Après la première par Stanislas Nordey du Voyage dans l’Est, pour lui dire ma gratitude immense, je ne lui ai dit qu’une chose : «Rien ne m’a gênée.»

Peut-on avoir la mémoire de spectacles que l’on n’a pas vus ?

 

Il y a une ancienne journaliste de Libération, Mathilde la Bardonnie, qui dans sa délicatesse, dans sa très grande sensibilité, dans son écriture, me donnait l’impression de tout voir des spectacles que je n’avais pas vus. Les critiques jouent un rôle particulier au théâtre, ils écrivent ce qui ne reste pas.

 

 

Vous pourriez dormir au théâtre ?

 

Je ne sais pas m’absenter. Donc quand je n’aime pas ou suis imperméable à ce que je vois, je ressens un ennui que je ne supporte pas. Je ne peux pas attendre que ça se passe les bras croisés. Mais c’est hautement social le théâtre. Dans son fauteuil, on est coincé. Si on bouge, si l’ennui se voit, si on part, c’est à la vue. Et on interfère dans le spectacle.

 

 

La langue invitée est l’arabe. Mais la langue qui s’invite en vous, c’est laquelle ?

 

Le silence.

 

Propos recueillis par Anne Diatkine / Libération 

 

Légende photo : La romancière Christine Angot, le 11 mars 2025 à Paris. (Lucile Boiron/Libération)

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July 23, 5:30 PM
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Au Festival « off » d’Avignon, les artistes taïwanais font entendre leur île

Au Festival « off » d’Avignon, les artistes taïwanais font entendre leur île | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Diana Liu (Taipei) pour Le Monde - 23 juillet 2025

 

Plusieurs spectacles de danse ou de cirque font écho à la situation géopolitique instable du pays.

Lire l'article sur le site du "Monde" :

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/23/au-festival-off-d-avignon-les-artistes-taiwanais-font-entendre-leur-ile_6623218_3246.html

« Push and Pull », de Lai Hung-chung, de la compagnie de danse contemporaine Hung Dance. FRANCO WANG

Le départ pour l’Europe approchait à grands pas, et l’enthousiasme des artistes était palpable. Au Centre du théâtre traditionnel de Taïwan, à Taipei, des représentants de la culture et plusieurs diplomates européens s’étaient réunis, vendredi 20 juin, pour adresser des adieux chaleureux à la dizaine d’artistes du spectacle vivant taïwanais qui s’apprêtaient à aller représenter l’île lors de deux prestigieux festivals, le Festival Fringe d’Edimbourg, au Royaume-Uni, qui a lieu du 1er au 25 août, et le Festival « off » d’Avignon, qui se tient jusqu’au 26 juillet. Et pour voir en avant-première leurs spectacles. Dans les trois œuvres présentées en France, danseurs et clowns s’inspirent de formes traditionnelles, de phénomènes naturels, d’observations quotidiennes et de rapports interpersonnels pour mettre en scène la complexité et l’instabilité des relations – humaines ou géopolitiques – qu’ils vivent.

 

La première représentation, Push and Pull (« pousser et tirer »), est un pas de deux signé par le chorégraphe Lai Hung-chung, fondateur de la compagnie de danse contemporaine Hung Dance. Dans une chorégraphie mêlant les mouvements du tai-chi – art martial traditionnel chinois – à un ballet contemporain naturaliste, deux danseurs, une femme et un homme, vêtus de tenues simples aux tons terreux, s’affrontent dans une série de prises opposant douceur et dureté, lenteur et rapidité, explosivité et force minimale. Une philosophie de mouvement inspirée du taoïsme, religion largement pratiquée à Taïwan. En fond sonore, un vrombissement continu se mêle à une boucle de piano au tempo changeant, tandis qu’un micro capte et restitue en direct les sons produits par les corps des danseurs.

 

Derrière le bras de fer entre l’homme et la femme, c’est aussi la situation géopolitique fragile dans laquelle Taïwan se trouve qui est évoquée, explique Lai Hung-chung. Menacé par la Chine, le pays est tiraillé entre les intérêts divergents des grandes puissances. « Tout au long de cette œuvre, les deux interprètes utilisent un minimum de force pour obtenir un maximum d’effets. Je pense que cela reflète la situation de Taïwan sur la scène internationale, dit le chorégraphe. A la fin, le côté le plus faible trouve toujours différents moyens, grâce à la philosophie du tai-chi, pour danser avec le côté le plus fort », glisse-t-il, avec un sourire en coin.

Raconter ses propres histoires

L’œuvre qui suit, Palingénésie, suscite un trouble étrange en imaginant le corps humain en créature plus primitive. Chorégraphiés par Chuang Po-hsiang, directeur artistique de la compagnie de danse D-Antidote et élève de Lin Hwai-min, le fondateur de Cloud Gate, la plus célèbre compagnie de danse contemporaine taïwanaise, un trio de danseurs masculins, vêtus de sous-vêtements couleur chair, têtes recouvertes de masques aux allures d’extraterrestres, sont liés les uns aux autres, leurs membres enchevêtrés formant une masse pulsatile. Sur une trame musicale grave et solennelle, ils bougent lentement, de manière collective. Leurs corps semblent former une nouvelle entité étrange. Celle-ci est inspirée, dit Chuang Po-hsiang, par un phénomène rare qui se produit quand les rats hibernent : « Ils se rassemblent et leurs queues s’emmêlent. Ils vivent ainsi pour le reste de leur vie. » Métaphore qu’il utilise pour amplifier les liens entre les individus dans la société. « L’œuvre parle essentiellement du cycle de la vie et de la mort, de racines et de réincarnation. »

La dernière œuvre présentée à Avignon change radicalement de ton, suscitant sourires et éclats de rire. Amour utopique, un spectacle de clown ludique et féerique de Mimofatguy, raconte une romance entre un clown désinvolte mais sincère et l’amour dont il rêve. La représentation est parsemée de numéros de cirque classiques sur un fond musical de jazz des années 1960, où résonne notamment le célèbre Take Five (1959), du Dave Brubeck Quartet. L’œuvre est « une lente confession sur l’amour et le temps, l’échec et la croyance, confie Mimofatguy. Ce n’est pas un conte de fées sur le grand amour qui frappe à la porte, mais une histoire d’obstination. Même si personne ne vient, je suis toujours prêt à attendre. »

 

Pour Taïwan, qui peine à trouver sa place sur la scène internationale, ces échanges artistiques représentent une opportunité précieuse de se présenter au public international, et notamment européen, et de raconter ses propres histoires. Depuis plusieurs années, l’île tisse avec l’Europe des liens culturels de plus en plus étroits, malgré l’absence de reconnaissance diplomatique officielle sur le continent – à l’exception du Vatican. Taïwan célèbre actuellement l’Année de la culture taïwanaise en Europe, une initiative réunissant une dizaine de pays dont la France, et qui se traduit par des collaborations muséales et des projets dans le domaine des arts du spectacle. « C’est aujourd’hui le moment pour Taïwan de trouver sa propre voie, d’avancer et d’entrer en dialogue avec le monde », proclame Chuang Po-Hsiang.

 

 

Push and Pull. Festival « off » d’Avignon, Condition des soies. Jusqu’au 26 juillet, tous les jours à 11 h 45, sauf le mercredi 23 juillet.

 

Palingénésie. Festival « off » d’Avignon, Condition des soies. Jusqu’au 26 juillet, tous les jours à 16 h 15, sauf le mercredi 23 juillet.

 

Amour utopique. Festival « off » d’Avignon, Rouge Gorge. Jusqu’au 26 juillet, tous les jours à 11 h 55.

 

Diana Liu (Taipei) / LE MONDE

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Comment Milo Rau a marqué le festival d'Avignon en honorant Gisèle Pelicot

Comment Milo Rau a marqué le festival d'Avignon en honorant Gisèle Pelicot | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Jean-Marie Durand dans Les Inrocks - 21 juillet 2025

 

Avec la transposition du procès de Mazan, restituée en une suite de fragments édifiants le temps d’une longue soirée aux Carmes, Milo Rau aura marqué l’édition 2025 du festival d’Avignon.

 

Comment comprendre – et se remettre – de ce qui s’est dit et joué dans le procès des viols de Mazan, où Dominique Pelicot et 51 autres hommes ont été condamnés pour viols aggravés sur Gisèle Pelicot ? Que faire de ce champ de ruines qu’est la sexualité masculine, se demandait la philosophe Manon Garcia dans son essai paru en mars dernier, Vivre avec les hommes Réflexions sur le procès Pelicot (Climats). Un “champ de ruines”, c’est précisément l’expression que Gisèle employa elle-même dans son ultime prise de parole au procès pour définir son état réel invisibilisé par la surface de son visage affable.

L’écart, ou plutôt la torsion, entre la surface et la profondeur, entre le social et l’intime, entre l’humain et le barbare, voire entre les hommes et les femmes : ces mystères traversent, à la mesure du procès, le spectacle extraordinaire de Milo Rau, joué aux Carmes lors d’une soirée unique au festival d’Avignon, après avoir été créé à Vienne le 18 juin dernier, au Wiener Festwochen. Comprendre, examiner, ce qui se passe à l’intérieur de chacun·e d’entre nous, pour y entrevoir possiblement le pire : ce fut l’enjeu en creux du procès de Mazan, tel que le suggèrent Milo Rau et Servane Dècle (à l’écriture) en préambule de la restitution. Quatre heures centrées sur les débats, les plaidoiries, les témoignages, les interventions extérieures, les tribunes de presse… qui dans une savante composition et un art du montage accompli mettent en lumière la violence insondable des hommes ayant abusé de Gisèle Pelicot.

 
Tout commence par un chant déchirant de Haendel ; le même que celui choisi par Maurice Pialat sur le générique de son film À Nos amours. “À Nos amours”, en effet, on y est, on s’y perd. À peine le chant sublime terminé, Marie-Christine Barrault pose de sa voix habitée le cadre de ce qui attend les spectateur·ices plongé·es dans la dramaturgie du procès : assumer une forme de responsabilité éthique pour comprendre ce qui se joue en nous, déplacer son regard vers les vies intérieures, en cessant de se détourner de soi, en ne se contentant plus d’observer les paysages, fussent-ils magnifiques, tels le Mont Ventoux, au pied duquel se trouve le village de Mazan.
 

En observant 14e siècle ce Mont Ventoux, dont une peinture rappelle la présence au cœur du tribunal d’Avignon, l’inventeur de l’humanisme occidental, Pétrarque, s’est dit que sa beauté ne pouvait en aucun cas nous faire oublier de penser d’abord à nous-mêmes.

Un “système” de domination patriarcale et sexiste

C’est par une lecture du texte magistral de Pétrarque par la comédienne, suivi par la parole de Gisèle Pelicot lue avec une grande dignité par Arianne Ascaride, que démarre ainsi un spectacle hors-norme, à la mesure du procès, durant lequel plus de 50 comédiens (Clara Hédoin, Adama Diop, Philippe Torreton, Robin Renucci, Simon Roth, Samuel Achache, Sara Louis…) et non-comédiens (l’activiste Camille Étienne, le directeur du théâtre de Lausanne Vincent Baudriller, une éditrice, Françoise Nyssen, des journalistes, des chercheur·ses, des psys…) viennent tour à tour au-devant de la scène pour lire – et jouer, sans chercher à appuyer l’effet théâtral – tous les mots qui ont circulé durant le procès, au cœur du tribunal, et à sa périphérie.

 

Milo Rau a choisi une structure fragmentaire pour saisir la totalité d’un moment décisif dans l’histoire sociale. Les fragments qu’il a prélevés dans la masse des mots et des peines dessinent ici un “système” de domination patriarcale et sexiste, qui même s’il est aujourd’hui largement analysé, sidère par la difficulté d’en sortir.

Un drame du monde

Sur le plateau nu du cloître des Carmes, au milieu duquel deux narratrices se tiennent assises, pour distribuer la parole, prise par tous les “acteur·ices” de ce procès, un drame du monde se tient, au point que la salle semble comme écrasée par la violence qu’elle affronte, souvent insupportable (la liste des sévices, qui fit pleurer au cœur du spectacle la comédienne Alison Deschamps). D’une densité impressionnante, grâce à un travail de documentation précis, mais surtout d’une grande tenue à la fois morale et théâtrale, le spectacle de Milo Rau honore la puissance de la parole (des victimes, des observateur·ices, des criminels eux-mêmes), dont l’écho pourra, peut-être un jour, conjurer la réalité d’un monde de pervers, où Gisèle Pelicot pensait avoir trouvé une place, quand elle y était perdue.

 

 

Le Procès Pelicot – Hommage à Gisèle Pelicot de Milou Rau – Narratrices : Séphora Haymann, Hinda Abdelaoui...

 

Jean-Marie Durand / Les Inrocks

 

Légende photo : Le Procès Pelicot, Milo Rau et Servane Dècle, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

 

 
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Hervé Vilard au Festival d’Avignon : «Vous saviez qu’on m’avait proposé de jouer Marguerite Duras au théâtre ?» 

Hervé Vilard au Festival d’Avignon : «Vous saviez qu’on m’avait proposé de jouer Marguerite Duras au théâtre ?»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 22 juillet 2025

 

 

A l’affiche de la pièce «Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre», mise en scène par Suzanne de Baecque, le chanteur revient sur son expérience de spectateur de théâtre et ses coups de foudre artistique.

 

 

Le 24 juillet, Hervé Vilard fêtera ses 79 ans, sur scène, dans  Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre, de Suzanne de Baecque. Un retour à Avignon pour celui qui participait en 2008 au délire du performeur suisse Massimo Furlan sur sa prétendue filiation avec Jean Vilar dans Chanteur plutôt qu’acteur. Quelques minutes avant de partir en répétition, Hervé est prêt pour l’exercice d’un questions-réponses. On le félicite sur son foulard : «Hermès, je les achète dans les aéroports, c’est moins cher, j’en ai plus de 400. Ma folie.»

 

 

En retard sur scène, c’est possible ?

Certainement pas, parce que je fais le tour du pâté de maisons avant. Je tourne autour des salles. Là je vous attends depuis une demi-heure, j’étais dehors, je ne peux pas être en retard.

 

Aller au théâtre, mais pourquoi ? Dans quel espoir ?

 

Pour entendre quelque chose d’improbable ; Shakespeare c’est improbable aussi. Et dans l’espoir – un mot que j’aime beaucoup – de ne pas avoir trop chaud. L’espoir de découvrir les acteurs, de les redécouvrir, Didier Sandre par exemple qui est actuellement sur scène dans Soulier de satin. J’aime la Comédie-Française, j’y vais souvent. Mais pas forcément pour voir une pièce. Juste aller à la Comédie-Française. Ça vient de l’orphelinat, on nous y emmenait ; je continue.

 

La dernière fois où vous vous êtes endormi dans une salle ?

Mais ça m’arrive souvent, dans les dix premières minutes, la musique des mots me berce. Et puis je me réveille, mon dieu j’ai raté le début. Mais ce n’est pas bien grave les débuts, le principal c’est bien la fin.

 

Un geste de la vie quotidienne que vous ne savez pas faire quand vous êtes à Avignon ?

 

Courir. On ne court pas dans Avignon, on lève les yeux, le palais des Papes, les églises. C’est une ville de rues étroites, alors je vous demande : qu’est-ce que vous faites dans une rue étroite ? Eh bien vous ne pouvez pas baisser les yeux. C’est là-haut que ça se passe.

 

Le plus grand risque comme spectateur ?

 

C’est de se tromper de pièce ou de chanteur. Ca m’est arrivé, et il doit y avoir des gens qui sont venus me voir et qui se sont trompés, j’imagine. Parfois, je ne m’y retrouve pas. J’ai vu récemment une pièce dont je n’aimais pas les silences, on les sentait arriver. Rien à voir avec les silences de Duras, vous saviez qu’on m’avait proposé de la jouer au théâtre du Rond-Point ? De faire Marguerite Duras. Mais faut pas déconner ; c’est du travail (rires).

L’erreur fatale sur scène

 

Ne pas être en mesure, être à côté. Quand on arrive le matin et qu’on chante a Manille [Philippines], que l’avion a eu du retard, on peut manquer de concentration, penser à autre chose : où sont mes valises ? Tiens, j’aurais bien mangé ça. Alors on chante, mais on n’y est pas.

 

Qui pour mettre en scène votre vie ?

 

Il est mort. Jorge Lavelli. Le franco-argentin. J’adorais cet homme que j’ai bien connu. Nous étions tous deux fans absolus de [Jorge Luis] Borges. Borges, à qui j’ai lu Jean de La Fontaine, pendant un mois, en Argentine (rêveur).

 

 

Le coup de foudre artistique ça existe ?

 

Ouiii. j’en ai eu plein. Le dernier c’est Diana Ross en concert en juillet dernier à Paris. Magnifique, j’ai vu une fée, qui arrive endimanchée, c’était «dalidesque», merveilleux. Je garde le souvenir de Freddie Mercury que j’étais allé voir à Hambourg, de Tina Turner à Rio. Gilbert Bécaud, qui était un magicien en scène. Et Maria Casarès dans Mère courage et ses enfants, qui se traînait par terre ; je découvrais le théâtre, au TNP [Théâtre national populaire, ndlr].

 

La langue invitée du festival c’est l’arabe, mais la langue qui s’invite en vous ?

 

La langue des livres. Je peux épouser la langue de Céline, celle de Duras. Mais ma langue, celle que je possède et que je chante le mieux, c’est l’espagnol. Parce que j’ai beaucoup chanté en Amérique latine, où j’étais, je peux le dire, une idole, un chanteur national au Mexique, en Argentine. Et puis lire Gabriel García Márquez, Jorge Luis Borges en espagnol ce n’est pas désagréable non ? C’est un luxe de savoir lire dans sa langue étrangère.

 

Vous pourriez nous dire en deux mots ce que vous faites à Avignon ?

 

Je suis un élève. Qui apprend, qui travaille avec une comédienne qui n’a pas trente ans, Suzanne de Baecque, et qui me ménage. Travailler avec une jeune troupe, c’est très intéressant, ils ont une autre manière de s’exprimer. On a beaucoup été dans l’improvisation, j’adore ça.

 

Et Vilar ?

 

Jean ? Ici comme les gens ne savent pas quoi me dire, ils me demandent : «Alors, IL était de votre famille ?» Les gens sont bien mal renseignés (rires). Parce que je n’ai pas eu de famille.

 

 

Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre, de Suzanne de Baecque, du 23 au 26 juillet, au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph, au Festival d’Avignon.

 

Propos recueillis par Laurent Goumarre / Libération

 

 

Légende photo :  Le chanteur Hervé Vilard aux Francofolies de La Rochelle, le 12 juillet 2023. (Romain Perrocheau/AFP)

 

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July 21, 5:07 PM
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A Avignon, « Gahugu Gato (Petit pays) », le récit diffracté et délicat du drame rwandais

A Avignon, « Gahugu Gato (Petit pays) », le récit diffracté et délicat du drame rwandais | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot, envoye spéciale à Avignon, publié par Le Monde le 18 juillet 2025

 

 

Adapté du livre de Gaël Faye sur le génocide au Rwanda, le spectacle de Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire au Cloître des Célestins joue sur une narration chorale pour aborder la tragédie.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/18/a-avignon-gahugu-gato-petit-pays-le-recit-diffracte-et-delicat-du-drame-rwandais_6622087_3246.html

 

« On ne doit pas douter de la beauté des choses même sous un ciel tortionnaire », écrit Gaël Faye dans son roman autobiographique Petit pays (Grasset, 2016). Lorsque la phrase résonne dans l’enceinte du Cloître des Célestins, elle a la force de l’évidence et l’autorité d’une note d’intention. Simple et limpide, paisible, alors même que sa toile de fond est le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, la mise en scène de Gahugu Gato (Petit pays) par Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire se dépose avec une folle délicatesse dans la nuit avignonnaise.

 

Adapté du texte de Gaël Faye, joué en langue kinyarwanda (surtitrée) par une magnifique équipe de 11 interprètes rwandais et burundais, ce spectacle cristallin d’une douceur ineffable se refuse à la spectacularisation. Vingt-six ans le séparent de Rwanda 94, l’uppercut théâtral et documentaire asséné par Jacques Delcuvellerie dans ce même Festival d’Avignon. Le temps écoulé n’a pas atténué l’horreur du drame génocidaire. Mais ce qui, hier, nécessitait d’en passer par un électrochoc esthétique et politique pour alerter les consciences, a désormais la possibilité de s’énoncer avec sérénité, dans le calme d’une représentation qui est d’autant plus persuasive qu’elle ne s’exhibe pas, ne gesticule pas, ne crie pas.

Fracture familiale et guerre civile

En lieu et place, c’est le vibrato d’un récit diffracté et tressé entre chant et parole qui s’élève, se déplie, se répand, flotte au-dessus d’un plateau nu, juste habité de quelques chaises de bois. Ce récit circule de corps en corps. Acteurs, musiciens, danseurs, la narration ne s’interrompt jamais. Elle n’appartient pas à un seul locuteur mais elle est la propriété de tous les interprètes en scène. Ils sont – femmes et hommes, jeunes et vieux – les dépositaires (et passeurs) de l’histoire de Gaby, ce garçon en exil, séparé de sa mère, et qui aimerait tellement revenir au Rwanda. Non, lui martèle Ana (sa sœur), « tu n’y trouveras rien à part des ruines et des cadavres ». Il y retourne, pourtant, avec et grâce aux mots, la littérature qui n’a pas de frontières peut faire des miracles.

 

Réactivation d’une enfance dont l’insouciance s’achève lorsque, en 1993, les parents de Gaby se séparent. La mère regagne son Rwanda natal, le père, expatrié français (et qu’incarne, en langue française, sur un mode volontairement surjoué, décalé et intrusif le metteur en scène Frédéric Fisbach), reste avec les enfants vivre au Burundi.

 

Imbriquée à cette fracture familiale en profitant de la brèche intime pour avancer ses propres pions, la guerre civile frappe aux portes des maisons. D’abord, il y a la rumeur d’un chaos encore trop éloigné pour éteindre les rires de la jeunesse (le récit d’une circoncision racontée par quatre grands gaillards est tordant). Puis, par touches successives sorties du tissage de dialogues animés (l’entrée en résistance d’un oncle appelé « Pacifique ») ou d’incisifs rappels mémoriels (l’appel à la traque du « gibier » tutsi diffusé par la Radio des Milles Collines), la tragédie se dresse de toute sa hauteur. Elle se campe au sommet des gradins vers où se tournent les regards des acteurs qui scrutent une invisible « maman » dont ils appellent la présence à maintes et maintes reprises. Cette tragédie porte donc le nom de la mère de Gaby, précipitée dans la dépression après avoir vu les cadavres torturés de ses proches.

 

Créé à Kigali, joué sur les lieux mêmes du drame, ce spectacle en dentelle fine engage, en sourdine, un combat essentiel entre la brutalité et le tact, la haine et l’amour, la guerre et la paix. Parce que la parole, loin d’être offensive, est une main qui cherche le lien, parce que les acteurs fraternisent, en temps réel, en s’échangeant les rôles, parce que l’harmonie est ici assumée, voire revendiquée, ce sont le tact, l’amour et la paix qui gagnent la lutte. Ce n’est pas une approche naïve ou décorrélée du réel. Mais le supplément d’âme d’une représentation suspendue avec grâce dans la pénombre du Cloître des Célestins. Vingt-six ans après le salutaire Rwanda 94, elle tourne la page de la fatalité et écrit le chapitre d’après : la beauté n’a pas succombé sous les ciels tortionnaires.

 

 

Gahugu Gato (Petit pays). Adapté du récit de Gaël Faye. Mise en scène : Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire. Cloître des Célestins, Avignon, jusqu’au 22 juillet.

 

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale du Monde)

Légende photo : « Gahugu Gato », d’après le roman « Petit pays », de Gaël Faye, mis en scène par Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, au Festival d’Avignon, le 16 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

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July 21, 4:37 PM
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Du «Petit Pays» de Gaël Faye au «Radio Live» d’Aurélie Charon, la guerre s’impose au Festival d’Avignon 

Du «Petit Pays» de Gaël Faye au «Radio Live» d’Aurélie Charon, la guerre s’impose au Festival d’Avignon  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération - 21 juillet 2025

 

Programmés au In, l’adaptation du roman de l’écrivain rwandais par Frédéric Fisbach et le projet de récit de la productrice de France Culture Aurélie Charon mettent en lumière les conflits présents et passés, de Gaza à la Bosnie en passant par l’Ukraine.

 
 

Dans une façade d’immeuble constellée de trous, en Bosnie. Dans les textos d’Amir depuis Gaza bombardée : «Moi je fais mon devoir d’adulte : ne pas tomber dans la haine.» Dans les 56 petits éclats d’obus fichés dans le corps d’Inès depuis son enfance, qui a l’élégance de rire en répétant les paroles de son médecin : «A la radiographie, votre corps ressemble à un fromage suisse !» Dans l’angoisse qui fige les yeux de Hala, fille de militant communiste torturé à mort par la police d’Assad, quand elle raconte le moment de passer la frontière syrienne vers une vie d’exil en France : «La sensation qu’une balle allait traverser ma tête m’accompagnait partout en Syrie, dans la rue, dans les fêtes. Je ne m’en suis rendu compte qu’au moment de quitter le pays, quand elle s’est envolée.»

La guerre est au cœur des trois épisodes de Radio Live (Vivantes, Nos vies à venir et Réuni.es), le remarquable spectacle d’Aurélie Charon, productrice à France Culture, porté sur scène pendant une semaine à Avignon et qui s’apprête à commencer une longue tournée. Mais la douceur aussi, la colère et encore l’humour, pointillé constant qui reliera tous les témoignages, comme la politesse de ceux qui ne veulent pas nous accabler, qui prennent encore soin de nous, le public, après tout ce qu’ils ont vécu ou vivent encore.

Spectacle vraiment vivant

Depuis dix ans, le projet «Radio Live» donne la parole à des jeunes du monde entier. La session montrée à Avignon met en scène des vies traversées par les conflits, en Ukraine, en Palestine ou au Rwanda : ils sont devant nous, Aurélie Charon leur pose des questions doucement et ils racontent, chaque soir un peu différemment. Une carte du Proche-Orient est posée au sol où chacun trouve son village. Des portraits d’eux, enfants, sont accrochés au bord de la scène. Deux écrans diffusent les extraits de reportages tournés dans leur pays ou les messages qu’ils s’envoient à distance. La musicienne Emma Prat accompagne en live les récits.

 

Aurélie Charon connaît certains de ses protagonistes depuis des années. Des amitiés sont nées, avec elle et entre eux. «Sur les spectacles, il y a cette épaisseur de toutes ces années passées ensemble, partagées qu’on met en commun sur la scène, expliquait-elle à Libé juste avant le festival. Si bien qu’à la question de savoir combien de temps on répète, je peux répondre aussi bien un jour et demi que dix ans.» Dans les trois spectacles présentés à Avignon, ils se déplacent en bande (pour ceux qui obtiennent leur visa) d’un pays de l’un à celui de l’autre, dans le salon de la mère de l’une à la rencontre de l’oncle d’un autre. Et quand la guerre qui sévit encore l’empêche, c’est par des conversations de smartphone à smartphone que les personnages de cette pièce journalistique, de ce spectacle vraiment vivant, se rencontrent.

De la radio il reste les micros, le montage de haute précision, le mode de l’interview – le conducteur, comme on dit à la radio, est très écrit, mais les questions, et plus encore les réponses varient. Oksana, ancienne professeure de russe devenue fixeuse pour les journalistes français en Ukraine, recueille, anxieuse les désillusions de l’oncle bosniaque d’Inès sur l’après-guerre. A des milliers de kilomètres de distance, deux mères se découvrent le même terrible manque : l’heure du café, au petit matin, avec leurs époux disparus. Face à la caméra, pour nous, elles ont un sourire permanent. Et le regard dissonant d’un infini chagrin.

Récit choral

Radio Live et Gahugu Gato (Petit Pays), l’adaptation du premier roman de Gaël Faye paru en 2016, ont en commun l’humour et la volonté de tresser un récit choral des guerres. Le spectacle mis en scène par la Rwandaise Dida Nibagwire et le Français Frédéric Fisbach, en kinyarwanda traduit en français, a été créé à Kigali l’an passé, en 2024, année de la trentième commémoration du génocide. La pièce a été pensée pour être jouée en extérieur : Fisbach a parcouru les collines du pays où débutèrent les massacres. A Avignon, entre les deux gros platanes du cloître des Célestins, les acteurs et musiciens luttent joyeusement contre le grondement du mistral. Ils sont douze en tout, rwandais et burundais (à l’exception de Frédéric Fisbach lui-même qui joue le père français). La joie de cette troupe, précisément, est communicative. Belle idée aussi de verser à plusieurs reprises dans la farce pour mettre en scène la vie de Gaby, l’enfant par lequel on découvre la vie d’avant le génocide qui progressivement se désintègre.

 
 

Mais le cauchemar des massacres ne nous parvient qu’en échos et l’émotion de cette fiction reste souvent à la surface, certaines scènes comiques se révélant interminables (le récit par les gamins d’une circoncision surprise) comme s’il s’agissait sans cesse de désamorcer la tension qui n’a finalement que rarement l’occasion de se déployer. Peut-être parce que, comme l’écrit Frédéric Fisbach dans le livret de salle, les scènes de comédie sont une porte d’entrée vers ce qui est encore insupportable à entendre pour beaucoup de Rwandais aujourd’hui, trente ans après le génocide, comme «le chant et la danse viennent prendre en charge ce qui ne peut être dit, ce qui cause trop de souffrances».

Loin de la fiction, la narration parfaitement construite par Charon fonctionne à l’inverse. On ne s’explique pas tout d’abord pourquoi soudain l’émotion déborde autant, devant le sourire constant de la mère d’Inès aux cheveux blancs impeccablement blancs, au rouge à lèvres impeccablement rouge, dont le mari musulman a disparu dans un camp de concentration en Bosnie. Pourquoi ce sanglot dans le ventre quand une professeure de français palestinienne réfugiée à Amman explique qu’elle ne pense qu’à revenir à Gaza, c’est-à-dire revenir à elle. Plus on avance et plus il est clair que la guerre ne finit pas une fois que sa fin est déclarée, comme le dit Inès. Mais il est clair aussi que la vie est immense, que la vie est battante auprès de tous les protagonistes du Radio Live.

«Radio Live», épisode Réuni.es ce mardi 21 juillet à 17 h 00 salle Benoît XII à Avignon. Puis la trilogie part en tournée : en octobre au Méta à Poitiers et à la Cité internationale à Paris, en novembre aux Amandiers de Nanterre et au CDN de Sartrouville, en décembre au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon et à la MC93 de Saint-Denis etc. Gahugu Gato (Petit pays), jusqu’au mercredi 22 juillet à 22 h 00 au Cloître des Célestins d’Avignon (1 h 45). Puis du 18 au 20 mai 2026 à Mixt, à Nantes.

 

Sonya Faure / Libération

Légende photo : Trois épisodes du projet Radio Live d'Aurélie Charon ont lieu au Festival d'Avignon 2025 : «Vivantes», «Nos vies à venir» et «Réuni.es». (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)
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July 20, 6:57 AM
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« Journal d’un écrivain 2019-2020 » : Lars Noren, en paix fragile avec lui-même

« Journal d’un écrivain 2019-2020 » : Lars Noren, en paix fragile avec lui-même | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde - Publié le 20 juillet 2025

 

Le dernier tome du journal du grand dramaturge suédois, mort du Covid-19 en 2021, révèle un créateur âgé qui, tant bien que mal, a appris à se supporter.

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/livres/article/2025/07/20/journal-d-un-ecrivain-2019-2020-lars-noren-en-paix-fragile-avec-lui-meme_6622374_3260.html

« Journal d’un écrivain 2019-2020 » (En dramatikers dagbok 2019-2020), de Lars Noren, traduit du suédois par Johan Härnsten et Amélie Wendling, La Place, 250 p., 23 €.

 

Lars Noren tenait son journal depuis 1977. Il lui était aussi indispensable que de respirer. Le Covid-19 y a mis fin : Lars Noren en est mort, le 26 janvier 2021. Il était l’auteur dramatique suédois le plus important depuis August Strindberg (1849-1912), et son nom avait circulé parmi les possibles lauréats du prix Nobel de littérature, en 2019.

 

Le cinquième et dernier tome de ce passionnant journal, qui paraît en français, s’ouvre à l’automne de cette année-là. Il fait état de la polémique qui entoure le choix d’attribuer le prix à Peter Handke, à cause de son soutien au président serbe Slobodan Milosevic (1941-2006), inculpé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Lars Noren juge ces prises de position « affreuses », mais il s’interroge sur la « limite entre l’aveuglement moral et la responsabilité personnelle de l’horreur. C’est cette limite qui doit être examinée », écrit-il, le 12 octobre.

 

Le 12 décembre, il se sent « glacé » par la « haine crue contre Peter Handke ». « Bien sûr, Handke est coupable d’une ambivalence dévastatrice dans ses déclarations, et peut-être devrait-il s’en excuser. Mais comment adresser à une personne haineuse des mots d’excuse. » Sans point d’interrogation. Il n’y en a aucun dans ce journal où les phrases s’enchâssent les unes dans les autres, comme des instantanés.

 

Pour Lars Noren, écrire chaque jour ou presque revient à « se souvenir des photos prises dans une vie (…), comme une croix rouge sur les endroits où nous avons été assis, où nous serons assis ». Dans son intégralité, son journal compte plus de 6 000 pages, réparties en cinq tomes. Deux seulement sont traduits en français. Publié à L’Arche en 2009, le premier couvrait la période du 1er août 2003 au 31 juillet 2004. Le second, aux éditions La Place, s’ouvre le 3 octobre 2019 et se referme le 20 décembre 2020.

La vieillesse à l’œuvre

En 2003-2004, Lars Noren était en pleine guerre. Contre lui-même, son égoïsme, ses tentations morbides et le désir d’enfant de sa nouvelle amoureuse. Quinze ans plus tard, s’il n’en a pas fini avec les démons qui l’ont mené, dans sa jeunesse, à l’asile psychiatrique, il semble mieux se supporter. La vieillesse est à l’œuvre. « L’enfant, le petit garçon que j’étais, me rend de plus en plus souvent visite. Il m’est impossible de voir l’expression de son visage, de voir si c’est de la joie ou de l’étonnement. Il est sur la défensive, peut-être », écrit-il, le 16 octobre 2019. Il a 75 ans, deux filles adultes et une de 10 ans, S. Avec l’écriture, elles sont sa raison de vivre et le deviennent plus encore quand le Covid-19 frappe l’Europe, fin février 2020.

 

Le journal entre alors dans un autre temps, celui de la paix fragile. Lars Noren note que sa capacité pulmonaire est réduite. Ses pas sont plus lents, mais il voyage loin, dans son fauteuil. Il vit seul, se garde de tomber amoureux, mais éprouve un étrange amour pour F., une comédienne de la Comédie-Française, où sa pièce Poussière a été créée, en 2018.

 

 

« Ce journal sera le plus paisible et le dernier », note-t-il, d’une manière mystérieuse et prémonitoire, le 31 décembre 2019. Ce jour-là, Lars Noren écrit à Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, qui lui a commandé une nouvelle pièce. Il veut la consacrer à Simone Weil, une écrivaine qu’il porte au sommet, avec Nathalie Sarraute. Il ne laissera que des bribes de cette pièce, mais, en quinze mois, il en aura écrit huit autres.

 

Lars Noren aura aussi déménagé dans un grand appartement, pour que S. y ait sa chambre, quand elle pourra enfin vivre avec lui. Cela ne sera pas. Le 20 décembre 2020, il signale qu’il lui « tarde de lire le nouveau Peter Handke », il parle du vaccin contre le coronavirus, qu’il attend impatiemment, et il s’arrête pour toujours d’écrire après cette phrase : « Il y a une lumière pâle sur l’eau et sur les façades de la rive opposée. » On le quitte avec émoi, restent ses pièces et leur humanité impitoyable, qui n’a pas fini de nous bouleverser.

 

 

Extrait : 

 

« 9 octobre 2020 : Je pense à l’essence de la joie dans les trois figures tragiques chez Hölderlin et à “l’infinité divine”. C’est une belle pensée de Hölderlin, que l’être humain moderne ne se rende pas compte que ce que nous ressentons de l’Antiquité et de la philosophie grecque, c’est la fin de l’incertitude, le fragile, le fracturé – et non pas l’énorme commandement qui existait à son origine, ce pathos qui a provoqué le séisme qui se répercute jusqu’à notre époque. »

 

Journal d’un écrivain 2019-2020, p. 198

 

 

Brigitte Salino / LE MONDE

Légende photo  : Lars Noren (à gauche) lors d’une répétition de « Poussière », à la Comédie-Française, en janvier 2018. BRIGITTE ENGUERAND/DIVERGENCE

 

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Au Festival d’Avignon, l’édition théâtrale se met en scène

Au Festival d’Avignon, l’édition théâtrale se met en scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nicole Vulser (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 18 juillet 2025

 

Les éditeurs de théâtre représentent un micromarché qui édite plus d’un millier de nouveaux textes par an. La diffusion en librairie reste souvent anecdotique et militante.

Lire l'article sur le site du "Monde": 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/18/au-festival-d-avignon-l-edition-theatrale-se-met-en-scene_6622090_3246.html

« Je suis un vieux crocodile du théâtre mais un jeune éditeur », affirme le comédien et metteur en scène Stanislas Nordey. A 58 ans, l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS) vient tout juste de reprendre, début juillet, la direction des Editions Espaces 34, une petite maison indépendante spécialisée dans le théâtre, portée depuis 1992 par sa fondatrice, Sabine Chevallier, qui lui a transmis le flambeau. « La maison risquait de disparaître. Tous mes amis m’ont dit : “C’est la dernière chose à faire”… », raconte le metteur en scène. Il se lance quand même, en sachant qu’« on ne gagnera pas d’argent, mais l’enjeu, c’est de ne pas en perdre ». Il sera bénévole tout comme le directeur financier, et a embauché un correcteur également chargé de la fabrication.

 
 

Stanislas Nordey se plonge dans la lecture du fonds, « bluffé de ne trouver aucune faute de goût parmi les 230 titres du catalogue ». Il compte lancer deux nouvelles collections : « Les introuvables » – qu’il inaugurera en janvier 2026 avec le projet d’adaptation de l’Orestie, d’Eschyle, par Pier Paolo Pasolini (1922-1975) et un texte de Didier-Georges Gabily (1955-1996) – ainsi qu’une autre collection autour du théâtre, étrennée avec les carnets de création de Jean-Pierre Vincent (1942-2020).

 

A l’honneur pendant le Festival d’Avignon, l’édition théâtrale en France reste un micromarché, évalué par l’institut NielsenIQ GFK à 1,35 million d’euros en 2024, en léger déclin par rapport à 2023. Le nombre de nouveautés s’est établi à 1 149 titres en 2024 et le « top trois » des meilleures ventes a été attribué, toujours selon cet institut, à Antigone (1942), de Jean Anouilh, suivi par le deuxième tome du Sang des promesses, Incendies (2012), de Wajdi Mouawad, puis par les tragédies d’Eschyle.

Importance des ventes du fonds

Avec un catalogue de 1 300 ouvrages et une vingtaine de nouveautés chaque année, dont 12 à 15 pièces de théâtre, Actes Sud Papiers reste, de loin, le plus important acteur de ce secteur. Claire David, directrice d’Actes Sud Papiers et du pôle des arts de la scène, sort les textes des pièces jouées à Avignon comme L’Enfant de verre, de Léonore Confino et Géraldine Martineau, ou La Faille, de Serge Kribus. Elle ressort aussi Le Canard sauvage, d’Henrik Ibsen (1828-1906), mis en scène par Thomas Ostermeier. « Dans le théâtre, les ventes sont très lentes à décoller, mais peuvent parfois se métamorphoser en véritables triomphes sur la durée, comme Incendies, de Wajdi Mouawad, écoulé à plus de 350 000 exemplaires », explique-t-elle.

 
 

Les ouvrages d’autres auteurs maison comme Jean-Claude Grumberg, avec L’Atelier, et Joël Pommerat dépassent les 25 000 exemplaires. Ce mini-marché, tout comme celui de la poésie, se caractérise par l’importance des ventes du fonds (60 à 70 %), bien supérieures à celles générées par les nouveautés. Soit l’exact inverse du roman.

 

Autre éditeur de poids, Les Solitaires intempestifs – qui publie une vingtaine de nouveautés par an – profite aussi d’Avignon pour mettre en avant ses auteurs à l’affiche, comme Clotilde Mollet, Tiago Rodrigues, Tamara Al Saadi ou Ronan Chéneau. « Le tirage des nouveautés excède rarement 3 000 exemplaires. Arriver à 10 000 exemplaires de ventes est exceptionnel », reconnaît François Berreur, son directeur.

 

 

Dans l’édition théâtrale, le Graal consiste à intégrer les programmes scolaires. Un sort enviable partagé par Illusions comiques, d’Olivier Py (Actes Sud, 2006) ou encore Clôture de l’amour, de Pascal Rambert (Les Solitaires intempestifs, 2011), mais surtout Juste la fin du monde (1990), de Jean-Luc Lagarce, vendu selon son éditeur, Les Solitaires intempestifs, à plus de 100 000 exemplaires.

Rayons spécialisés minuscules

Le Festival d’Avignon a conclu, depuis 2018, un partenariat avec la librairie Lettres vives de Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui prend ses quartiers d’été dans la Maison Jean-Vilar – où est proposée une offre foisonnante de près de 5 000 références en théâtre, danse et spectacle vivant. Soit le lieu le mieux approvisionné de l’Hexagone. La librairie éphémère se déploie aussi dans la cour du cloître Saint-Louis et a ouvert une ribambelle de petits comptoirs de vente directement dans les lieux de spectacles, à la Carrière Boulbon, au Musée Calvet, à Vedène (Vaucluse), au Gymnase Mistral… Dans le quartier général du « off », la librairie avignonnaise La Comédie humaine a aussi ouvert une seconde boutique temporaire, qui regorge d’œuvres de dramaturges.

 

La question de la diffusion et de la place accordées au théâtre dans les librairies reste cruciale. Les rayons spécialisés s’avèrent souvent minuscules. La directrice de la maison d’édition L’Arche, Claire Stavaux, souligne les difficultés liées à l’arrêt de certaines librairies spécialisées. A Paris, par exemple, Palimpseste, installée dans le 5e arrondissement, a fermé, tandis que Le Coupe-Papier, à deux pas du Théâtre de l’Odéon, dans le 6e arrondissement, a été repris par une librairie de manuscrits et de beaux livres. EXC a également baissé le rideau, dans le 3ᵉ arrondissement, mais renaîtra début septembre sous le nom de Librairie centrale, en étant hébergée par la Maison de la poésie.

 

Même constat dans les théâtres. La librairie du TNS a disparu. Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, la librairie, gérée par EXC, a baissé le rideau en octobre 2024, mais la Réunion des musées nationaux doit reprendre les rênes du lieu, le 9 septembre. Préserver un comptoir de vente de livres dans les théâtres est souvent « un acte militant », souligne Claire David. Déjà en 1987, le dramaturge Michel Vinaver (1927-2022) avait analysé les « mille maux dont souffre l’édition théâtrale » et suggéré d’améliorer sa diffusion parmi les « trente-sept remèdes pour l’en soulager ».

Droits de représentation théâtrale

Tous les éditeurs sont concernés par cette difficulté. Même les éditions Théâtrales, qui appartiennent au Théâtre ouvert, un centre national des dramaturgies contemporaines subventionné par des aides publiques. A côté des résidences, des spectacles ou de l’accompagnement dramaturgique, ce pôle d’édition se démarque par son statut de coopérative, dont certains auteurs sont sociétaires.

 

Sa directrice, Caroline Marcilhac, confie recevoir près de 600  manuscrits par an et publier « quatre nouveaux auteurs par an, jamais édités précédemment ». Quitte à poursuivre avec eux un compagnonnage sur plusieurs années, avant qu’ils ne quittent le Théâtre ouvert pour rejoindre un autre éditeur, comme Baptiste Amann ou Nicolas Doutey, passés chez Actes Sud.

 

 

Autre singularité dans ce secteur, L’Arche est à la fois un éditeur – avec une quinzaine d’ouvrages présentés dans le « off » à Avignon, signés Lukas Barfüss, Alexandra Badea, Lee Hall, Dennis Kelly… – et une agence théâtrale depuis trente ans. Seul modèle alternatif à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), L’Arche gère les droits de représentation théâtrale de près de 500 auteurs français et internationaux. Et finalement jouer la pièce d’un auteur peut lui rapporter bien davantage que la vente de ses ouvrages. En 2024 – une très bonne année pour la perception des droits dans le spectacle –, la SACD, qui encaisse en moyenne 10 % de la recette de billetterie des théâtres pour reverser des droits aux auteurs, a rétrocédé à plus de 7 700 d’entre eux une somme totale de 20 millions d’euros. Sans dévoiler qui a touché le jackpot.

 

Nicole Vulser (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE

 

Légende photo : A la Maison Jean-Vilar, à Avignon, en 2019. FESTIVAL D’AVIGNON

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July 18, 7:56 AM
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Au Festival « off » d’Avignon, « Une chose vraie », avec Ysanis Padonou, laisse le public pétrifié d’émotion

Au Festival « off » d’Avignon, « Une chose vraie », avec Ysanis Padonou, laisse le public pétrifié d’émotion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 17 juillet 2025

 

Au Théâtre du Train bleu, la comédienne de 27 ans, atteinte de la maladie de Huntington, livre un monologue sobre et bouleversant.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/17/au-festival-off-d-avignon-une-chose-vraie-avec-ysanis-padonou-laisse-le-public-petrifie-d-emotion_6621737_3246.html

 

 

Tout arrêter et prendre le temps de repenser à ce qui a eu lieu. Respirer un bon coup, laisser filer les secondes avant de regagner la rue en titubant sous le soleil. Pas parce qu’il saoule les corps de sa chaleur. Mais parce qu’un choc vient de se produire dans la fraîcheur d’une salle de théâtre. C’est aussi ça, le Festival d’Avignon. Une suite de spectacles qui s’enchaînent bon an mal an, et puis, soudain, un artiste surgit qui emporte tout sur son passage. Quelque chose, « une chose vraie », a fait rupture avec l’ordinaire.

 

 

Voici le tableau : un public pétrifié d’émotion. Une actrice prostrée, buste enroulé en mode fœtal après une heure vingt d’une représentation sidérante, essentielle (c’est certain) et inoubliable (c’est probable). La communion, ce graal maintes fois invoqué au théâtre mais qui s’y manifeste si peu, ce point de ralliement fantasmé est la note finale, définitive et bouleversante du monologue proposé au Train bleu : Une chose vraie.

 

Le titre est à prendre au pied de la lettre. Sobre, apoétique, d’une froide neutralité, il est factuel. A l’exact opposé des perceptions tempétueuses que provoque le récit (mis en scène par Romain Gneouchev) porté au plateau par la comédienne Ysanis Padonou. Ses mots et sa façon de les dire, son histoire et sa manière de la jouer : rien, chez cette interprète fabuleuse, ne cède au pathos.

Cette actrice-là n’a plus de temps à perdre en vague à l’âme ou en flou artistique. Elle est atteinte de la maladie de Huntington, une affection génétique et neurodégénérative qui la condamne à l’effritement de ses facultés cognitives et motrices. La dégradation (qui s’apparente à un Alzheimer précoce) s’amorcera entre ses 35 et ses 50 ans. Elle a 27 ans, aujourd’hui. Elle est au stade 3 d’une atteinte qui, pour l’instant, reste discrète, mais dont elle connaît les symptômes à venir : son grand-père en est mort, sa mère en est atteinte. Huntington est héréditaire. Elle l’a appris, en 2014, de la bouche du neurologue qui les a informées, elle et sa mère, en quatorze minutes chrono d’une consultation brutale ne laissant aucune place à la dernière respiration qui précède la noyade.

Elégance sidérante

L’aveu des faits ne se fait pas attendre. Un préambule sans embarras ni fioriture. Avec Ysanis Padonou, le théâtre ne triche pas. Ou très peu. La comédienne porte une oreillette (elle l’enlève, la montre, la remet) dans laquelle lui parvient son texte enregistré. Si elle se sépare de l’appareil, elle ne se donne pas plus de quelques minutes pour se mettre à bafouiller. Le pire cauchemar pour une actrice professionnelle dont la bête noire est le trou de mémoire. Elle ne se plaint et ne se plaindra pas. Jamais. Elle constate. Elle égrène avec précision (et le sourire) les origines, les causes, les circonstances, les conséquences. Son élégance est sidérante, sa pudeur exemplaire. Tête haute, sculpturale dans son tee-shirt échancré, elle est d’une classe folle.

 
 

Elle opère un retour sur le passé qui démarre au Théâtre national de Strasbourg, où, élève recrutée en 2011 à l’école, elle entend un metteur en scène dire d’elle : « Elle est bien la petite Négresse. » Ysanis Padonou est noire. Le racisme décomplexé, elle le traverse et le surmonte avant de s’enfouir dans la solitude. Six ans à détaler loin de sa mère malade pour se construire en dépit de Huntington. Elle travaille, elle tourne, elle enchaîne les pièces sous la direction (notamment) de Stanislas Nordey. Elle est – elle se croit – heureuse, cette jeune femme fuyant l’annonce. Et que la « chose vraie » rattrape. C’était fatal.

 

Les épaules trempées de sueur, elle livre les détails. La densité d’un présent dupant le futur improbable, tout tient d’un bloc dans un décor plastique d’une blancheur aveuglante. Toile tendue sous ses pieds, dans son dos. Un plateau de photographe où les projecteurs saturent l’espace de couleurs pop. Elle est épinglée dans le lieu par son metteur en scène, Romain Gneouchev. Un dispositif épuré où les babioles disposées au sol (une statuette, un coffret de porcelaine ou le courrier du laboratoire de recherche) sont des cailloux de Petit Poucet semés là, au cas où. Et puis elle enlève l’oreillette. Requiert la présence d’un souffleur. Répète les vers d’une tragédie qu’une spectatrice lui murmure. Se prostre à terre. Elle n’est pas une victime. Elle est actrice. Et pas qu’un peu. Pas du genre qu’on oublie.

 

Une chose vraie, conception, écriture et mise en scène : Romain Gneouchev. Jeu et collaboration à l’écriture : Ysanis Padonou. Festival « off » d’Avignon, Théâtre du Train bleu. Jusqu’au 23 juillet.

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale du Monde )

Légende photo : Ysanis Padonou dans « Une chose vraie », à la Comédie de Colmar-Centre dramatique national Grand-Est - Alsace, en novembre 2024. OLIVIER DUVERGER-HOUPERT
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July 18, 7:25 AM
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Ibsen à Avignon: Le jeu (dangereux) de la vérité

Ibsen à Avignon: Le jeu (dangereux) de la vérité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet  dans Wanderer — 15 juillet 2025

 


Le Canard sauvage (Vildanden), d'Henrik Ibsen, par la Schaubühne de Berlin, Festival d'Avignon 2025 
Ibsen à Avignon : Le jeu (dangereux) de la vérité

 

Avignon, Festival d'Avignon 2025, Opéra Grand Avignon, jeudi 10 juillet 2025, 17h
 

Premiers pas dans la 79ème édition du Festival d’Avignon qui nous conduisent l’Opéra Grand Avignon vers l’entrée duquel les spectateurs  convergent. C’est que l’élan du public est à la hauteur de l’événement avec le retour de Thomas Ostermeier, dix ans après son éblouissante mise en scène de Richard III, douze après Un Ennemi du peuple. C’était Ibsen déjà et sa peinture d’une bourgeoisie  en proie à ses bassesses, à ses ombres. Ce retour attendu divise autant qu’il passionne. Les déçus perçoivent ici une forme de tassement qui tend à durer depuis les derniers spectacles du patron de la Schaubühne. On peut cependant s’accorder sur l’intérêt que son théâtre recouvre encore aujourd’hui et, même si les avis sont plus mesurés qu’il y a une dizaine d’années, ce Canard sauvage parvient à captiver. D’abord, par l’avancée du metteur en scène allemand dans l’œuvre d’Ibsen et les sujets qu’il aborde traduisant le relativisme du dramaturge – auquel notre rapport complexe à la réalité comme aux Fake news entre en résonance aujourd’hui ; ensuite, par la virtuosité des comédiens – et on retrouve Thomas Bading déjà en tête de la distribution d’Un Ennemi du peuple ; par une scénographie certes familière mais au raffinement esthétique indiscutable ; par le fait enfin, que les créations les plus fécondes du metteur en scène allemand ont par le passé, brillamment illustré et défendu un propos singulier qu’on retrouve explicitement ici. C’est pourquoi j’ai voulu me faire son opinion et même si certains signes d’essoufflement peuvent apparaître, la mise en scène de ce drame familial en forme de tragédie traduit bien sa maîtrise si reconnaissable d’Ibsen.

 

En cette fin d’après-midi, l’Opéra Grand Avignon accueille un large public venu assister à la représentation du Canard sauvage. Ce n’est pas seulement Ibsen mais le travail de Thomas Ostermeier sur un de ses plus célèbres textes qui exerce pareille attraction sur la place de l’Horloge. Le personnel du Festival accueille, conseille, oriente chacun et chacune vers sa place dans l’effervescence des grands soirs. Le rideau est baissé : rien ne transparaît et on perçoit autour de soi l’attention de tous en direction de la scène encore dissimulée aux regards. Comme un secret bien gardé – sans doute en faut-il et, en ce sens, cela croise presque la pièce d’Ibsen.

Le lever de rideau ne déçoit aucunement, laissant découvrir sans attendre le remarquable travail de Magda Willi sur la scénographie. L’utilisation d’un plateau tournant – certes déjà vu entre autres dans Vernon Subutex 1 récemment – dévoile un premier plateau figurant un intérieur raffiné bien qu’exigu, une entrée ou bien un vestibule. Une tapisserie à motifs géométriques très – peut-être volontairement trop – réguliers au mur. Des appliques à pampilles de verres, aux reflets irisés. Deux fauteuils en cuir noir signés Le Corbusier, séparés par une table à la structure chromée. On entend des voix derrière la porte qui s’ouvre et laisse entrer tour à tour plusieurs personnages qui se croisent et se font ainsi connaître du public. Une fête de famille a lieu en hors scène, on entend même des voix entonner un morceau a cappella. « Every day is so wonderful / Then suddenly it’s hard to breathe… » Une manière de se convaincre que tout va bien ? « No matter what they say » pour reprendre le refrain de Christina Aguilera.

 

 

L’un des convives est Gregers Werle – prodigieux Marcel Kohler aussi émouvant que redoutable sous ses faux airs de prédicateur moderne. Il est le fils de Werle, le patriarche. Thomas Bading est toujours aussi épatant à travers cette figure dominatrice et insensible de chef de famille plus soucieux de faire prospérer ses affaires et de collectionner les maîtresses que de s’occuper de sa femme souffrante et de son fils. Cette dernière est décédée et Gregers veut en découdre avec son père qu’il rend responsable alors que Werle lui propose d’être son associé, alors qu’il est sur le point d’épouser sa dernière conquête. Cette dernière – élégante Stéphanie Eidt – leur demande de parler moins fort car on entend leur dispute – Faut-il donc sauver les apparences pour les invités ? Pour le public aussi peut-être ? Gregers explose néanmoins : « Ta vie n’est qu’un champ de bataille ». Et le père de lui répondre : « Il n’y a personne au monde que tu détestes autant que moi ». Peut-être ne fallait-il pas l’inviter alors, comme Gregers en proie à une grande agitation le lui rappelle pour éviter le drame. En effet, les secrets de famille affleurent avec l’arrogante désinvolture du père, les blessures béantes du fils. Tout rappelle l’examen cher à Ibsen des sordides turpitudes de cette bourgeoisie qui ne sont pas sans rappeler le tout aussi nordique Festen de Thomas Vintenberg, adapté sur scène par Cyril Teste en 2017. Werle reproche à Gregers de « regarder la vie à travers une vitre », d’avoir une vue déformée du monde qui l’environne. C’est que le jeune homme s’est fixé pour objectif de faire émerger la vérité coûte que coûte, de repousser le mensonge source de malheurs. Grand, droit, d’une rectitude maladive, il a toute l’allure d’un apôtre de l’honnêteté poussée à son paroxysme, indifférent à toute alternative.

 

Redoutable même sans le savoir, même sans le vouloir. Sectaire.

Il avait rencontré avant son père, Ekdal, qui passait discrètement afin de pouvoir poursuivre un travail pour Werle. Le vieil homme alcoolique et gâteux – joué avec beaucoup de brio par Falk Rockstroh – a tout perdu à cause du riche homme d’affaires. Stefan Stern est absolument remarquable dans le rôle de son fils, Hjalmar aux cheveux longs et filasses, toujours au bord de la folie. Gregers est troublé par sa présence à la soirée de Werle : avec son sens très aigu des bienfaits à dispenser, il décide donc de lui apporter son aide en réparation des actes odieux de son père qui a manipulé le sien pour échapper à ses ennuis et lui en faire endosser la responsabilité.

Grâce à la tournette qui pivote lentement – autant sur la musique de Kate Bush que sur celle de Led Zeppelin à la fin – on change de décor, d’endroit pour arriver chez les Ekdal. Dans un intérieur plus vaste, on découvre une espèce de bric-à-brac associant pièce de vie plutôt modeste et mal rangée avec un lieu de travail comportant un comptoir et un photoautomat, du mobilier des années 70–80 et du matériel informatique d’aujourd’hui. En dédommagement du sacrifice d’Ekdal, Werle a permis à la famille de rebondir en tenant un commerce de photographie – art possible de l’illusion. Comme une aumône ayant permis à Hjalmar de cultiver sa supposée fibre artistique qui peine tant à s’affirmer dans cet environnement en apparence bancal, à l’apparence incertaine mais toujours ouvert avec des fenêtres, des portes, un hors-scène à cour qui laisse aller et venir les comédiens. Un autre espace hors-scène au fond à jardin attire l’attention : l’enclos du père Ekdal, ce lieu où il se voit chasseur de poules, pigeons et lapins, véritable utopie au sens étymologique, transposition d’un espace mental fantasque qu’on atteint péniblement par le regard hormis lors des rares mouvements de la tournette. C’est aussi l’enclos où le canard sauvage du titre a trouvé refuge, sans qu’on ne le voie jamais, comme dans le texte original où il est censé être abrité dans le grenier. D’emblée, le lieu est dissonant, entre réalité modeste, espoirs insatisfaits et vaines échappatoires dans le rêve. Gina – très belle prestation de Marie Burchard, toute en tension – était la domestique de Werle et elle a finalement épousé Hjalmar.

Ils ont eu une fille : Hedvig, plus âgée ici que dans le texte original. Son rôle est d’ailleurs considérablement densifié et c’est l’extraordinaire Magdalena Lermer qui l’incarne avec concision et justesse. Comme son père qui se rêve en rock star – on retient sa piètre prestation de Mettalica à la guitare électrique plongeant sa famille dans une certaine perplexité, Hedvig veut devenir journaliste, voulant s’extraire de sa classe sociale, reprenant la figure de la transfuge de classe que le metteur en scène a déjà développée en adaptant le Retour à Reims de Didier Eribon.

Pourtant, les événements en décident autrement. Pour chacun des personnages, la vérité est trop difficile à affronter. Même pour Gregers qui considère Hjalmar comme son meilleur ami et qui veut lui venir en aide quoi qu’il en coûte. C’est la raison pour laquelle il assène ses principes de défense d’une vérité absolue comme source de bonheur. « Le mensonge est la ruine » alors il ne peut y avoir d’autres alternatives. Quoi qu’il en coûte, sous la lumière crue des projecteurs. Même Relling que campe David Rulland ne peut rien empêcher. Et Gregers lui aussi devra affronter ce qu’il n’aurait jamais envisagé car, non, toutes les vérités ne sont certainement pas bonnes à dire. Briser le sceau du secret sur la naissance d’Hedvig, sur les raisons du mariage de Gina et de Hjalmar, lancer cette cascade de révélations et ce qu’elle engendre, tout cela rapproche le drame de l’inéluctable mécanique tragique « qui se démocratise et qui frappe la famille bourgeoise », comme le mentionne le philosophe Michel Meyer à propos du théâtre d’Ibsen. Tout cela jusqu’à la catastrophe finale, implacable et prévisible dans le mouvement circulaire de plus en plus rapide du plateau, sur les paroles de Robert Plant dans Kashmir diffusé à plein volume avant le noir final.

Même s’il l’a considérablement modifiée dans son adaptation, Thomas Ostermeier parvient à restituer toute la richesse de la pièce d’Ibsen et son attachement revendiqué à l’œuvre du dramaturge norvégien n’est plus à démontrer. Ces études de mœurs à l’atmosphère nordique sont ici transposées dans une plus grande indéfinition temporelle qui, comme le cycle infernal de la tournette, nous ramène plus au présent, laissant poindre la dénonciation du profit comme vertu cardinale dans les sociétés capitalistes contemporaines, affaiblissant la capacité à être en relation avec autrui, promouvant davantage la croyance au détriment de la réflexion et du sens, rendant la vérité labile et souvent insaisissable. Loin d’un théâtre didactique trop asséchant pour le démontrer, Thomas Ostermeier s’appuie plutôt sur un texte modernisé et charpenté ainsi que sur la prodigieuse authenticité de ses comédiens malgré une première partie au rythme quelque peu distendu et quelques facilités comme l’échange de Gregers-Marcel Kohler avec le public autour du mensonge dans le couple et la famille qui s’étire et laisse Magdalena Lermer en attente en fond de scène.

 

Ainsi, les retrouvailles entre le directeur de Schaubühne et le public avignonnais ont bien eu lieu même si elles n’ont pas tout à fait la flamboyance d’il y a dix ans. Il reste que Thomas Ostermeier est un fabuleux metteur en scène d’Ibsen et que si, comme le dit Relling dans la pièce, « à peu près tout le monde est malade », sa dramaturgie demeure un moyen privilégié de l’entendre.

 

 

Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage
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July 18, 7:04 AM
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Avignon OFF 2025 : Pères, impasses et manques

Avignon OFF 2025 : Pères, impasses et manques | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer Publié le 10 juillet 2025

 


Les Paillettes de leur vie ou la Paix déménage, de et avec Mickaël Délis, Théâtre Avignon – Reine Blanche, Avignon OFF 2025 

 

 

Avignon, Théâtre Avignon – Reine Blanche, dimanche 6 juillet 2025 à 21h30.
 

Clap de fin pour la Trilogie du Troisième Type de Mickaël Délis avec son dernier opus que nous nous sommes empressés d’aller voir dès les premiers jours du Festival, toujours au Théâtre Avignon – Reine Blanche. Après Le Premier Sexe dans lequel il s’attache au genre masculin puis La Fête du Slip qui aborde le sexe des hommes  et le « pipo de la puissance » qui y est associé, le formidable  comédien, aux textes toujours ciselés, s’intéresse enfin à la filiation et à la paternité pour achever son cycle. C’est donc un dernier spectacle un peu plus émouvant, un peu plus grave, qui révèle encore l’incroyable artiste qu’il est et qui semble avoir mûri jusqu’à ce dernier seul en scène. On retrouve son sens de la formule qui fait mouche, les personnages qui sont désormais familiers pour le public, sa fantaisie naturelle mais ici, la matière autofictionnelle se nourrit davantage du réel et de ses ombres qui traversent tout un chacun. Les Paillettes nous font tourner avec lui vers ce qui nous survit, vers les inquiétudes, les doutes que cela engendre. De surcroît, être père ne semble pas vraiment aller de soi pour un homosexuel qui en éprouve le désir. La route est souvent longue et pleine d’obstacles aux effets dissuasifs, surtout lorsqu’on passe la quarantaine. Ces zones d’ombre peuvent pousser au renoncement, a fortiori quand elles ont également trait à sa propre histoire familiale. Bien sûr, nous avons été emportés une fois de plus par l’acteur virevoltant. Mais nous avons été émus aussi par une sensibilité nouvelle qui affleure tout au long de ce dernier spectacle. 

 

Après avoir patienté dans le hall, le public attentif au signal du personnel, avance vers la salle, billet en main. Une fois le QR code reconnu, on peut alors entrer. Certains spectateurs sont déjà en salle puisqu’ils ont assisté à l’une, si ce n’est aux deux précédentes représentations qui ont permis de voir le début de la Trilogie du Troisième Type dans l’ordre. En ce premier week-end de festival, tous sont là pour voir Mickaël Délis dont ils connaissent le travail, comme les bribes de conversations entendues çà et là le confirment. Ce troisième volet à valeur conclusive pour le cycle commencé il y a deux ans, suscite un grand intérêt et à très juste titre. Il reste que l’acteur n’est pas encore arrivé : on remarque seulement de gros confettis rectangulaires blancs disposés en tas au centre de la scène.

 

 

C’est alors qu’il entre, tout de noir vêtu, portant une espèce de surchemise blanche attachée dans le dos. Il s’installe parmi les spectateurs, sur un tabouret haut, face à la scène. « Ouh là, y’a vachement de monde dans cet hôpital ! » La phrase amuse autant qu’elle désarçonne. Où nous trouvons-nous ? Les réponses ne tardent pas à arriver. La scène prend place dans un service hospitalier réservé au don de sperme. Il va bien être question de la semence masculine et de sa conservation par cryogénie – les fameuses « paillettes ».

 

Mickaël Délis fait décidément le tour de son sujet ouvert deux ans plus tôt avec Le Premier Sexe. Il endosse encore tous les rôles – y compris le sien – avec une lisibilité parfaite qu’on lui connaît parfaitement. Les personnages qu’on croise dans son parcours sont suffisamment typés pour être identifiés et véhiculent la force comique du spectacle, révélant l’absurdité des entraves du quotidien, les travers des proches égratignés affectueusement, les propres impasses et tourments que le comédien affronte ainsi sans doute – le théâtre, cet « espace où il est encore possible de réfléchir devant et avec les autres », comme le dit Georges Lavaudant.

 

S'exposer sous les projecteurs

 

C’est pourquoi on rencontre l’infirmière brute de décoffrage qui fait exploser un canon à confettis au moment de son souhait de faire un don de sperme ; on croise les couples de proches – mélanges subtils et fantaisistes de vécu et de fiction – avec les mamans un peu égarées (« PMA dans l’Ohio. GPA ? GPRD »), les papas un peu dépassés (« Ça se joue ailleurs pour le père ils disent en consult’, mais moi, j’ai pas encore trouvé où c’était, l’ailleurs… ») ; on croise le médecin du CECOS – Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain, pareil acronyme ne s’invente pas – qui « est APMS. Assez particulière mais sympa » ; on retrouve le docteur Jean-Daniel Deeck (à prononcer à l’anglaise évidemment) dans une nouvelle drôlissime démonstration au tableau – schéma des testicules à l’appui – convoquant en vrac données scientifiques et analogies entre la biologie, le MEDEF, Aristote, l’histoire, la pornographie, tout cela afin de rendre le propos des plus explicites, avec la même redoutable efficacité que dans les deux précédents spectacles.

 

Le professeur Jean-Daniel Deek et son balai-néon

 

Enfin, on reconnaît bien sûr les proches : sa mère aux inflexions de voix et à la gestuelle si reconnaissable dans son raffinement et son incorrigible tabagisme ; son frère jumeau, David « Dadou » qui ne l’épargne pas (Allez… Psychologie Magazine nous prépare un nouvel édito… ») comme un autre double de soi-même dont le théâtre permet de faire entendre les rudoiements à voix haute ; Lorenzo, l’ancien amant italien, d’abord acteur de film X puis pâtissier, qui le réconforte en lui préparant un tiramisu (« Remonte-moi ») et lui parle de sa propre future paternité en faisant  la bibliographie de [ses] spectacles. « Si c’est pas marrant la vità des fois ».

 

Des fois, oui. Mais des fois non car la Paix déménage justement. Il y a aussi le père et le séisme de l’abandon ressenti par toutes et tous dans la famille. La solitude qui s’installe et ne dit pas son nom. La violence de l’événement par-delà les années qui laisse sédimenter les doutes sur soi, sur sa capacité à être père soi-même, à procréer, même pour autrui. Dans Les Paillettes de leur vie, la tonalité se voile par moments d’une certaine mélancolie qui ne semble jamais trop quitter le joyeux comédien. Les fêlures persistent et on entend en creux le besoin de la scène pour les travestir suffisamment dans le champ autofictionnel afin de les supporter. Alors, le sourire s’efface y compris chez le spectateur. Des fois, è così, pourrait dire Lorenzo.

 

 

« Y’a rien de plus galère qu’être papa quand t’es pédé. » Cette phrase prononcée au début du spectacle porte en substance le propos des Paillettes. Être père, être père homosexuel, être père dans l’ombre plus ou moins massive, plus ou moins transparente de son propre père, voilà ce que ce dernier opus aborde frontalement. Et ce sont autant de tempêtes sous un crâne que nous partageons avec Mickaël Délis, au fil du spectacle qui se déploie d’une séquence à l’autre, toujours sur le fil de l’émotion, jamais trop loin quand même d’une drôlerie qui désamorce même partiellement l’angoisse – celle de l’acteur autant que la nôtre très certainement.

 

 

Puis, il y a l’absence définitive que la mort impose inéluctablement. C’est une chose de voir partir son père pour une autre vie, avec une autre femme, loin de soi, de sa mère dévastée. Autant d’impacts qui laissent assurément des blessures longues à se refermer. C’en est une autre de vivre le deuil avec ces béances et son autre lot d’incertitudes sur soi. Bien sûr, le comédien convoque ses personnages qui nous sont devenus familiers, des éléments scéniques tout aussi reconnaissables (le tissu blanc modulable, le néon lumineux qui fait office de manche à balai…) mais, avec lui, à l’occasion de cette conclusion au rythme toujours aussi enlevé, nous franchissons un autre seuil, peut-être plus intime, plus émouvant, ouvrant sur les peurs qui nous habitent tous. Toujours aussi montaignien – son inspiration dans l’ancrage bordelais ? – Mickaël Délis fait de lui « la matière » de son spectacle, plus que jamais. Et on l’y voit « tout entier et tout nu » finalement. Cette démarche artistique est tout à fait remarquable tant l’acteur ouvrant sa propre boîte de Pandore, nous invite dans un reflet spéculaire à faire de même, avec une subtilité propre à lui.

Le spectacle est ici encore très écrit, charpenté avec rigueur et sa composition épouse avec justesse la courbe descendante de l’existence. Cela n’empêche évidemment pas le comique mais la gravité qu’il recèle toujours, scintille ici sous les paillettes. À l’aide des paillettes. Le corps du danseur qui n’est jamais loin, engagé dans une partition véritablement chorégraphique, exprime également tout cela avec beaucoup de grâce. On garde, par exemple, l’image – sublime – de Mickaël Délis exécutant des mouvements circulaires et emportant en l’air les paillettes au sol qui se soulèvent et volettent autour de lui, sous la lumière douce des projecteurs, comme un probable écho à ce besoin d’envoyer valser les inquiétudes.

 

Coup de balai en public

 

Ce dernier voler aurait dû s’achever sur un premier noir au plateau mais la vie en décide quelquefois autrement. Dans un épilogue tout en pudeur, l’acteur évoque la disparition brutale de la figure tutélaire qui a dominé sa trilogie. L’absence soudaine de cette mère si présente conduit à regarder lucidement ce qu’elle lui laisse dans un dialogue imaginaire plein d’une tendresse qui fait briller les yeux : « un courage épatant, une liberté insolente et un amour qui déborde pour le monde entier ». L’hommage n’exclut pas la pudeur mais on sent vibrer le cœur de l’artiste pour celle qui est, sera « toujours là » et qui « danse ». Il était une fois, l’homo… Il était une fois, l’homme… Mickaël Délis nous a raconté un peu de notre histoire.

 

 

Crédits photo : © Pascal Gély/Hans Lucas
 
 
 

 

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July 18, 4:38 AM
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Festival d’Avignon : Mario Banushi, un metteur en scène ivre d’images 

Festival d’Avignon : Mario Banushi, un metteur en scène ivre d’images  | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 
 
A 26 ans, le metteur en scène de «Mami», pièce traversée par son histoire personnelle, nourrit son théâtre de dessin et de cinéma

 

 

Toute une édition sans révélation, ce ne serait pas tenable, et heureusement, cette année, au neuvième jour du Festival, Mario Banushi, 26 ans, Albanais d’Athènes, dont le In vient de montrer la troisième création et dont le travail n’avait jamais été encore présenté en France, illumine la programmation. Mami, c’est donc le spectacle du Festival, qui ne ressemble à rien de connu. Qui plus est, un spectacle sans paroles – mais avec une giboulée d’images aussi profondes que marquantes, comme sorties du tréfonds de la vie intime de son auteur. Des images oniriques ? Mario Banushi récuse ce terme quand on le rencontre à côté d’une citronnade bienvenue. «Je comprends qu’on puisse dire que mes images sont oniriques, mais pour moi, elles sont surtout extrêmement familières, elles font partie de moi. En concevoir la ligne, les dessiner, c’est un peu comme d’improviser au piano.» Il ajoute cette phrase définitive : «L’imagination est ma solution.»

Théâtre nourri de dessin et de cinéma

Mario Banushi est né à Athènes, mais à 8 mois, il est envoyé chez sa grand-mère dans un village en Albanie tandis que ses parents tentent de s’en sortir dans la capitale grecque. Lorsqu’il a 6 ans, sa mère le reprend avec elle. L’enfant doit accepter la séparation d’avec sa «Mami», trop vieille, trop pauvre, apprendre une nouvelle langue, s’adapter à la grande ville qu’est la capitale hellénique. «Alors vous comprenez pourquoi l’imagination est mon arme ? Elle était ma manière de voyager, d’aller voir ma famille disparue de mon monde, mon passé éclipsé.» Ses parents, qui se sont séparés peu de temps avant sa naissance, sont des rescapés. Ils survécurent au naufrage du bateau de marchandise   Viora qui transportait 20 000 migrants le 7 août 1991. Le cargo parvint tout de même à accoster le 8 août. Mario nous montre sur son téléphone les images d’archives impressionnantes de la marée humaine qui tente alors de quitter le bateau et l’enfer. «Dans cette foule, il y a mes parents. Vous les voyez ?» Beaucoup sont morts durant la traversée. Partis sans leur passeport, ses parents avaient le projet de s’installer en Italie, mais finalement gagnent à pied la frontière grecque. Sage-femme en Albanie, sa mère devient femme de ménage et nettoie, du matin très tôt au soir très tard, divers intérieurs athéniens avec l’aide de son petit garçon. Le spectacle Mami, qui rend donc hommage à toutes les femmes qui ont élevé Mario Banushi n’oublie pas ce métier de sage-femme, que sa mère n’a jamais pu exercer en Grèce.

 

Elle est aujourd’hui propriétaire d’une petite boulangerie tandis que son père a acquis une taverne. Mais le théâtre, qui durant son adolescence lui paraît un art poussiéreux : comment est-il arrivé jusqu’à Mario Banushi ? Eh bien, il aurait pu ne jamais se trouver sur son chemin même si à 13 ans, il découvre qu’il prend plaisir à concevoir des costumes et des décors à l’école. L’adolescent dessine constamment. Tourne un court métrage à 19 ans avant d’entrer, pour suivre une amie, au conservatoire d’Athènes. Encore aujourd’hui, il pense que son théâtre est nourri du dessin et du cinéma, bien plus que de l’histoire théâtrale, par nature peu revisitable – «Par exemple je storyboarde complètement mes pièces, ce qu’on fait peu au théâtre. Et des amis m’ont dit que ma manière de recruter les acteurs ressemblait beaucoup plus à la manière de faire des directeurs de casting au cinéma qu’au théâtre».

 

Sans fil narratif autre que celui qu’imposent les images

Sa première pièce, Ragada, a vu le jour pendant le Covid et a été créée dans une maison. Il avait 22 ans et a appelé tous les directeurs de lieux pour qu’ils se déplacent voir le spectacle qu’ils avaient refusé de produire. Sa deuxième pièce, Goodbye Lindita, aurait dû être jouée quinze jours au théâtre national d’Athènes, elle a tourné pendant quatre saisons sur toutes les scènes du théâtre national. Sa troisième, Taverna Miresia, a été produite par le prestigieux festival d’Epidaure et a été programmé durant deux saisons à ce même festival. Même succès international.

 

La plus grande des reconnaissances provient des spectateurs qui lui envoient des photos de paysages ou de lieux avec ces mots : «C’est très Banushi !» On le compare souvent (déjà !) à David Lynch, mais une actrice du Sacrifice de Tarkovski lui disant que cela faisait des années qu’elle recherchait des œuvres qui puissent lui rappeler le grand cinéaste russe mort en 1986 a visé juste. Sinon Mario Banushi préfère ne pas être comparé. Il dégage un drôle de mélange de confiance en lui, simplicité et irréductibilité. Il prévoit de faire un long métrage. A condition que ce soit à sa manière, sans fil narratif autre que celui qu’imposent les images. Il préférera ne pas le tourner plutôt que de céder à des normes commerciales. Son théâtre a voyagé jusqu’en Australie mais n’a jamais été montré dans le pays où il a grandi. Et pourtant : «Toutes mes références sont albanaises.»

 

 

Anne Diatkine / Libération

 

Légende photo :  Le metteur en scène Mario Banushi. (Andreas Simopoulos)

 
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En déplacement à Avignon, Rachida Dati snobe le Festival et joue sa propre pièce –

En déplacement à Avignon, Rachida Dati snobe le Festival et joue sa propre pièce – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Elisabeth Franck-Dumas dans Libération - 24 juillet 2025

 

La ministre de la Culture s’est rendue en périphérie de la cité des Papes, jeudi 24 juillet, évitant tout contact avec les festivaliers mobilisés contre sa venue.

 

 

Le grand remake d’En attendant Godot par la ministre de la Culture nous aura tenu en haleine jusqu’à la dernière minute. A deux jours de la fin du Festival d’Avignon, et au surlendemain de l’annonce de son renvoi en correctionnelle pour «recel de bien obtenu avec l’aide d’un abus de confiance», «trafic d’influence passif» et «corruption passive», Rachida Dati a finalement pointé le bout de son nez au pays des cigales. Non, pas dans la cité des Papes stricto sensu, où la CGT avait menacé de ne pas jouer si elle devait s’y rendre, pour protester contre «des coupes budgétaires aux effets catastrophiques», mais juste en dehors, au cœur de deux projets à part, ceux-là tout à fait digne de l’intérêt de l’Etat : l’espace social et culturel la Croix des oiseaux, et l’Ehpad la Maison paisible, où la Collection Lambert et le metteur en scène Mohamed El Khatib ont créé un centre d’art assez ébouriffant. L’occasion pour la ministre de sermonner les journalistes s’enquérant effrontément, il faut le dire, de son éventuel passage à un spectacle du Festival : «Le Festival d’Avignon, c’est aussi là.»

 

 

Là, où ? A La Maison paisible, Ehpad de 150 lits, qui n’avait évidemment rien de paisible ce matin, et où un centre d’art, fruit d’un travail de trois ans déjà, a été inauguré au début du Festival. Un petit troupeau de journalistes et divers officiels accompagnent la ministre, avec en tête le directeur de la Collection Lambert, François Quintin, Mohamed El Khatib, qui a initié le projet après avoir déjà inauguré un centre d’art dans un Ehpad de Chambéry en 2022 («J’ai de grands projets pour lui !» annonce la ministre), ou encore la présidente de l’association de gestion du Festival d’Avignon, Françoise Nyssen. Les murs sont égayés par des interventions d’artistes contemporains (Mimosa EchardThéo Mercier ou encore Bertille Bak) et par des œuvres de résidents, par exemple ces touchants petits ex-votos dorés réalisés sous l’impulsion des artistes Louise Sari et Marine Brosse. Partout, des bibliothèques d’ouvrages divers (Adel Abdessemed y croise Henri Troyat) se posent près de canapés, et dans la tisanerie, on trouve un loto des odeurs, «traduction olfactive des récits des résidents par le parfumeur Daniel Pescio et l’artiste Juliette George».

Grand bain d’amour

Pour ceux qui ont déjà trainé leurs basques dans de tels établissements animés surtout par des cris rebondissant sur le lino collant, il y a avait de quoi être épaté, mais là n’était pas le seul l’objet de la visite. Non, le saut de puce, dès la première minute, fut aussi comme un grand bain d’amour pour la ministre, qui rappela dès l’entrée qu’elle aussi avait été «six ans aide-soignante à plein temps», cumulant même deux pleins-temps en travaillant de nuit ! «J’ai un respect immense pour votre travail», offrit-elle à l’assemblée d’aides-soignantes souriantes réunies dans le hall. Applaudissements. Rapide coup d’œil sur la page Wikipédia de Rachida Dati : la ministre aurait accompli des tâches d’aide-soignante sans en avoir la formation ni le titre et a raté deux fois sa première année de médecine. Bref.

 

La ministre a la voix qui porte, ça tombe bien. «Alors, vous êtes une artiste !» lance-t-elle à Mireille, fauteuil roulant, 86 ans, chic dans sa robe orange et ses lunettes en corne. Oui, elle peint et dessine. «Alors vous allez nous emmener !» Et de lui emboiter le pas pour aller contempler ses œuvres dans sa chambre. «Ces dessins sont de vous ?» Sur les murs, des marines, un portrait de Moustaki, un bouquet de fleurs. Une foule s’agglutine au dehors de la chambre 25.

 

«Compliqué… lâche François Quintin à un membre du cabinet.

—Ce n’est pas ce qui était prévu ?

—Non pas du tout !

 

—Il faut reprendre la main.

—Bon, on va reprendre le cours normal de la visite.»

A-t-elle peur de se faire chahuter ?

La ministre repart. Elle croise Jacqueline et son déambulateur. «Vous voulez aller à l’opéra ? J’ai un directeur des affaires culturelles ici. On va le faire !» La troupe monte au premier étage. Dans les escaliers, des peintures colorées égaient l’espace. Au premier, la terrasse dévoile la vue sur une roseraie, où un atelier d’artistes va bientôt être construit pour accueillir les élèves des Beaux-Arts. La troupe croise un résident assis devant l’immense télé qui diffuse Intervilles : les deux camps s’ignorent poliment. Retour au rez-de-chaussée, où une vingtaine de pensionnaires attendent la ministre dans la salle polyvalente. «Eh bien, elle n’est pas venue seule», s’amuse Marie-Thérèrese, 92 ans. Annie, l’aide-soignante qui lui tient la main, estime que les travaux des artistes et résidents apportent «de la lumière, de la couleur» et que depuis qu’il y a ces couleurs, elle voit les résidents se déplacer pour aller y voir de plus près. «C’est cet éveil qu’on constate.»

 

 

 

C’est déjà l’heure du départ, après une longue séance de selfies. Un journaliste ose : la ministre se rendra-t-elle à un spectacle, ou a-t-elle peur de se faire chahuter ? «Bien sûr que je peux aller au théâtre ! Mais monsieur, vous croyez quoi ? Je peux aller dans la cour du palais des Papes ! J’y vais, vous me suivez là-bas : est-ce que c’est nouveau ? Est-ce que ça donne un autre regard ? Au moins, je vous ai forcés à venir dans un endroit où on ne va pas forcément dans le cadre du Festival.» Fin des questions. Il n’y a pas de troisième séquence surprise ? De réunion avec les syndicats ? Non. La troupe se disperse, c’est l’heure du deuxième service du déjeuner. Un article de nos confrères de Sceneweb nous apprend qu’elle aura ensuite rencontré «des professionnels», sans que cela ne débouche sur une annonce. Comme dirait Beckett, tout ça pour ça.

 
 
 
 
Légende photo : Rachida Dati lors de sa visite à l'Ehpad «La Maison Paisible» à Avignon, jeudi 24 juillet. (Clément Mahoudeau/AFP)
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Peter Handke : « Mourir au milieu de l’écriture d’un livre, ce serait magnifique ! »

Peter Handke : « Mourir au milieu de l’écriture d’un livre, ce serait magnifique ! » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Amaury da Cunha, Le Monde du 24 juillet 2025

 

 

 

« Ecrire, quand ça commence, quand ça finit » (2/5). L’écrivain autrichien, Prix Nobel de littérature 2019, revient pas à pas sur près de soixante ans de carrière. Et sur les tours et détours du désir d’écrire, qui l’anime encore aujourd’hui.

Lire l'entretien sur le site du "Monde" 

https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2025/07/24/peter-handke-mourir-au-milieu-de-l-ecriture-d-un-livre-ce-serait-magnifique_6623483_3451060.html?search-type=classic&ise_click_rank=1

Peter Handke n’aime pas parler de son travail d’écrivain. Il n’apprécie d’ailleurs guère le mot « travail », au sens besogneux du terme. Il préfère celui de « profession », qu’il trouve très beau, sans doute pour son rapport direct à l’expressivité – « Je professe ! », dit-il en riant.

 

Entrer dans l’œuvre de cet immense écrivain autrichien, né en 1942, Prix Nobel de littérature 2019, c’est s’aventurer dans une expérience littéraire pleine de secousses et d’éblouissements, qui comprend de grands récits épiques (Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, 2000), des pièces de théâtre (Par les villages, Gallimard, 1983), ou encore de nombreux carnets (Hier en chemin, Verdier, 2011), dans lesquels Handke explore scrupuleusement le quotidien, source d’innombrables découvertes intérieures.

 

C’est dans sa maison de Chaville (Hauts-de-Seine), où il vit depuis 1991, qu’il a accepté de recevoir Le Monde. Condition de l’entretien : « Pas d’actualité », prévient-il d’emblée. Peut-être pour éviter de revenir sur le soutien qu’il a apporté, pendant les guerres de Yougoslavie (1991-2001), au dirigeant serbe Slobodan Milosevic, pourtant mis en examen pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

Grave, drôle, provocateur, parfois brutal, Peter Handke ne cesse de dévier quand il répond à nos questions sur l’origine de son écriture, et sur la manière dont il envisage la fin de cette aventure. Il semble toujours se tenir à la périphérie du langage, jamais loin du silence, comme les narrateurs de ses plus grands récits.

Vous avez parfois évoqué les histoires que votre mère vous racontait dans votre enfance. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces premiers récits ?

Je devais avoir 10 ou 12 ans. Dans la voix de ma mère, il y avait un rythme particulier qui faisait naître des images dans un horizon très lointain. C’était des détails que je voyais comme des fleurs. Des fleurs tristes. Ma mère me parlait sans plan, avec une certaine grandeur – il ne faut jamais avoir peur des mots épiques. Elle racontait, comme si c’était une histoire dans l’histoire, la disparition de ses frères morts au champ d’honneur, comment elle était venue à Berlin après la guerre, comment elle avait vécu… Ce n’étaient pas des histoires de « bonne nuit », mais plutôt des histoires de « bonne lumière », « belle lumière », « triste lumière »…

Vers l’âge de 15 ans, encouragé par un journaliste culturel, vous commencez à écrire vos propres histoires. Vous avez parlé de « prose lyrique ». Que racontaient ces textes ?

Cet homme écrivait dans un quotidien conservateur catholique à Klagenfurt. Il m’a encouragé, mais je n’avais pas besoin de lui. J’avais déjà écrit des fictions. Notamment une nouvelle où un jeune garçon réparait un vélo dans une cour pendant qu’un autre garçon, à l’intérieur d’une maison, était en train de mourir. C’était une sorte de tragédie grecque. Je suis triste d’avoir perdu ce texte.

Pourquoi vouliez-vous déjà écrire ?

A l’époque, je vivais avec ma mère et son mari, qui n’était pas mon père. Nous n’étions pas une famille aisée. J’avais envie de les sauver. Et pour moi, le modèle de l’écrivain, c’était Françoise Sagan [1935-2004], qui avait écrit Bonjour tristesse [Julliard, 1954] à 16 ou 17 ans… Elle avait eu beaucoup de succès, et je me suis dit que je pourrais faire comme elle, que je pourrais aider ma famille en leur achetant une voiture, une télévision, une maison…

Pourtant, vous n’aviez pas grand-chose de commun avec Françoise Sagan dans votre rapport à la littérature. Vous l’avez même éreintée publiquement, en 1991, sur un plateau de télévision…

Je regrette un peu cet emportement, mais j’étais innocent : je n’avais pas pensé qu’on ne pouvait pas critiquer des livres à la télévision. Oui, je n’étais pas du tout comme elle. J’étais plus grave, épique. Je me souviens d’un autre fragment d’un roman que j’ai également perdu. J’y ai repensé récemment, en regardant un film de Julien Duvivier [Poil de carotte, 1932], qui raconte à peu près la même histoire que la mienne : celle d’un enfant de 8 ou 9 ans qui veut se suicider, sauvé in extremis par son père. C’était le début de ce voyage vers le grand succès. J’avais 16 ou 17 ans.

Vous souvenez-vous du jeune homme que vous étiez dans ces années d’apprentissage ?

Je n’ai pas besoin de me souvenir de moi. J’étais déjà là, je savais ce que je devais faire. C’était mon chemin, mais je trichais un peu, notamment au petit séminaire. Tout le monde était obligé de dire qu’il voulait devenir prêtre. A l’époque, je découvrais les livres de Georges Bernanos [1888-1948] ou de Graham Greene [1904-1991], des auteurs catholiques, pourtant considérés comme scandaleux dans cet établissement.

Un jour, je me souviens qu’on m’avait dénoncé devant une centaine d’élèves, en disant : « Ce garçon lit ça ! » On ne m’a pas chassé, mais c’était comme une espèce de menace. En allant voir le directeur du petit séminaire pour lui dire que je quittais l’établissement, ma mère m’a sauvé. Elle m’a fait entrer dans une école publique, où j’ai pu apprendre le grec ancien, le latin.

Lorsque vous commencez vos études de droit, vous découvrez le Nouveau Roman. Vous avez dit que ces livres vous ont aidé à sortir de vous-même. De quelle manière ?

Le Nouveau Roman a été pour moi une sorte d’école d’écriture. Je m’intéressais surtout à Alain Robbe-Grillet [1922-2008], qui regardait les choses depuis l’extérieur. Mon problème, c’était que j’étais beaucoup trop à l’intérieur de moi. Je voulais raconter des choses mythiques, mais je ne connaissais aucune histoire mythique, sinon celles que m’avait racontées ma mère. J’étais un peu mégalomane, même si, à l’époque, je ne connaissais même pas le sens de ce mot. D’ailleurs, je ne l’aime pas beaucoup, sauf quand il est accompagné par une timidité essentielle. Auquel cas, il passe très bien.

En 1966, vous publiez « Les Frelons » (Gallimard, 1983), votre premier roman. Dans quelles circonstances ?

Je venais d’abandonner mes études de droit. Mon éditeur en Allemagne, chez Suhrkamp, a d’abord hésité à publier ce roman. C’est un jeune lecteur de la maison, séduit par l’aspect avant-gardiste du texte, qui a permis sa publication.

 

Mon éditeur, un monsieur imposant, m’a suggéré d’écrire aussi pour le théâtre. J’ai alors écrit Outrage au public [L’Arche, 1968]. C’est une joie d’avoir pu traverser ce seuil dans ma vie. Sinon, je serais devenu avocat, et j’aurais défendu des assassins. Aujourd’hui, je suis reconnaissant envers le destin. Mais rien n’arrive jamais tout seul.

Après la publication de vos premiers livres, vous avez vite connu le succès, vous avez même dit que vous étiez devenu une « star »…

Je ne me suis jamais vu comme un auteur – je n’aime pas ce substantif –, mais plutôt comme quelqu’un en route vers l’écriture, qui pour moi est la grande aventure de la vie. C’est mon plus grand plaisir, mon olympiade à moi. Je m’en fous, des autres. Sauf de la littérature russe, comme celle de Tolstoï ou de Dostoïevski, Tchekhov, et d’Homère, aussi. Ils m’ont guidé, ils me guident toujours. Je ne veux surtout pas imiter la littérature du XIXe siècle, comme beaucoup d’écrivains le font encore aujourd’hui. Ces pseudo-livres sont vraiment criminels.

En 1971, après le suicide de votre mère, vous écrivez un livre très personnel, « Le Malheur indifférent » (Gallimard, 1975), qui occupe une place à part dans votre œuvre…

Uwe Johnson [1934-1984], qui est un écrivain que j’ai beaucoup estimé, a dit qu’il ne fallait pas écrire sur la famille, notamment sur le suicide. Mais pour moi, c’était un tremblement. Et c’était évident qu’il fallait le faire. En écrivant sur ma mère, je n’ai pas voulu être abstrait, mais je suis resté sur la voie de l’abstraction. C’est grâce à elle que les petits détails ont pu commencer à fleurir dans le récit.

Le mot « recommencement » revient très souvent dans vos livres. Est-ce un mot magique pour provoquer l’écriture ?

En allemand, le mot « recommencement » (Wiederholung) signifie à la fois « répétition » et « récupération », comme quand on sauve quelque chose en train de disparaître. Ce sont des nuances difficiles à traduire en français. La langue allemande est magnifique avec les mots. « Recommencement », en français, je trouve que c’est un mot un peu trop mystique. Heureusement qu’il y a cette vision de la forme. Mais elle n’est jamais donnée. Il faut aller la chercher, la créer.

C’est souvent une première phrase très énigmatique qui ouvre une brèche dans vos récits. Comme celle qui se trouve au début de votre roman « Le Chinois de la douleur » (Gallimard, 1986) : « Ferme les yeux et le noir des caractères va faire apparaître les lumières de la ville. » Comment vous est-elle venue ?

A l’époque, j’écrivais encore à la machine. Pendant une heure, je me suis demandé comment j’allais bien pouvoir commencer ce livre. Tout à coup, en fermant les yeux, j’ai eu la vision des lettres de la machine, qui étaient devenues blanches. Comme quand on revoit, derrière les paupières, la dernière chose que l’on a regardée, devenue une image transformée.

 

 

Lire aussi (2024) | Article réservé à nos abonnés « Ma journée dans l’autre pays » : le vertige Peter Handke
 

La première phrase d’un livre est comme un nouvel oiseau qui arrive. Mais je ne veux surtout pas chercher une théorie sur l’écriture. Chacun fait comme il peut, ou comme il ne peut pas. Il y a trop de gens qui peuvent. Trop de gens qui savent ! Et moi, je ne peux pas !

Dans « Mon année dans la baie de Personne » (Gallimard, 1997), vous faisiez dire à votre personnage, Georg Keuschnig : « A bientôt 56 ans, je ne me connais pas… Il était si rare que je me sente appartenir au monde… » Aujourd’hui, où en êtes-vous avec ce sentiment d’étrangeté ?

Je ne sais pas du tout. Il existe peut-être un rapport de l’Etat, de la police ou d’un inspecteur des finances qui pourrait vous renseigner ? Votre question me fait penser à une autre question que l’on me pose parfois dans des cafés. « Est-ce que vous écrivez encore un peu ? » Là, j’ai envie de gifler mon interlocuteur. Qu’est-ce que ça veut dire, « un peu » ? J’écris ! Johnny Hallyday [1943-2017] aurait d’ailleurs pu écrire une chanson là-dessus. [Il chantonne] : « Est-ce que tu écris encore un peu ? Est-ce que tu cries encore un peu ? »

Vous avez écrit des livres très différents, de grands récits, des contes, du théâtre… Est-ce qu’il y a plusieurs Peter Handke ?

Tous ces livres sont pareils : ils suivent le même mouvement. Tout à l’heure, nous parlions des premières phrases. Les miennes ont toujours le même rythme. Mais en fait, cette histoire de première phrase, c’est une tricherie totale. Ce qui compte, en réalité, c’est la deuxième phrase, puis la troisième, la quatrième… Un écrivain qui vous dit : « Ça y est, j’ai trouvé ma première phrase ! », vous pouvez être sûr que c’est un crétin. Une bonne première phrase me remplit toujours de soupçon.

La traduction du français vers l’allemand occupe aussi une place importante dans votre parcours : vous avez traduit Julien Green, Emmanuel Bove, Patrick Modiano, Francis Ponge, René Char… Qu’avez-vous appris sur votre propre langue à travers ce travail de passeur ?

C’étaient des expériences magnifiques. A mon retour de voyage en Amérique du Nord, ​après avoir échoué d’une manière héroïque dans l’écriture d’un roman, la traduction est arrivée comme un coup de grâce. Elle m’a sauvé. Je me suis dit qu’il fallait maintenant arrêter de voyager, arrêter ce romantisme. J’étais puni, d’une bonne manière, je l’avais bien mérité, et je suis revenu vivre en Autriche. Et ce qui m’a donné vraiment un sol sous les pieds, à Salzbourg, c’était la traduction.

Vous n’avez jamais traduit les romans de Georges Simenon (1903-1989), mais vous avez exprimé à plusieurs reprises votre admiration pour lui. Vous avez même dit qu’il vous faisait pleurer. Pourquoi ?

Ce n’est pas simple ! Ce que je reproche à Simenon, quand il me fait pleurer, c’est qu’il me laisse tout seul. Ses livres sont trop courts. Après les avoir lus, on est foutu. Je suis très ému quand je le lis, mais que fait-il avec mon émotion ? Normalement, on doit faire fructifier une émotion, mais lui n’en fait rien dans ses livres. Cependant, dès qu’il commence à raconter une histoire, j’ai toujours confiance en lui.

En 2012, pour la première fois, vous avez écrit un dialogue amoureux directement en français, « Les Beaux Jours d’Aranjuez » (Le Bruit du temps). Pourquoi le choix de cette langue ? Et comment s’est passée la collaboration avec Wim Wenders, qui a adapté le texte au cinéma ?

Je l’ai écrit d’abord en français, puis je l’ai traduit moi-même en allemand. C’était une exception. Je ne sais pas pourquoi. Comme ce sont des phrases parlées, je me suis senti plus à l’aise en français. Ecrire de la prose épique dans cette langue me paraît impossible. Je n’ai pas participé à l’adaptation cinématographique de Wenders. J’y apparais seulement en tant que figurant, filmé sur une échelle, en train de cueillir une pomme.

 

 

Lire aussi (2023) | Article réservé à nos abonnés « Bienvenue au conseil de surveillance » : Peter Handke en sale gosse
 

Il y a plusieurs années, vous avez dit que le prix Nobel de littérature était une « fausse canonisation » qui « n’apporte rien au lecteur ». Ce prix a-t-il changé votre regard sur votre œuvre et sur la réception de vos livres ?

Il y a trente ans, j’ai entendu Antoine Gallimard dire que le Nobel, en France, ne faisait plus vendre de livres. Pour moi, ce fut l’inverse. C’était magnifique. Ce prix Nobel a été un moment de paix que je n’ai pas vécu comme un triomphe.

Vous vous définissez comme un « penseur de l’instantané », à la recherche de ces « petits riens qui enserrent le monde ». Les journaux que vous publiez sont-ils aussi des matériaux pour nourrir vos récits ?

Ces carnets sont faits de fragments, écrits en allemand, en grec, parfois en arabe. Ce matin, par exemple, j’ai écrit cette phrase : « Une journée perdue, ça veut dire que le voyage de la vie peut continuer. Louée soit la journée perdue ! » Ces temps-ci, j’écris aussi beaucoup à propos des merles. J’essaie de déchiffrer leurs chants, que je traduis en allemand, ou en slovène. J’ai presque envie de publier un livre uniquement sur eux.

Les polémiques provoquées par vos prises de position pro-Serbes, pendant les guerres dans l’ex-Yougoslavie, ont-elles eu une incidence sur votre écriture ?

Ce n’est pas à moi de dire ce que cela a changé. J’ai continué à travailler, peut-être en écrivant des fictions et des contes un peu plus étranges. C’est ma force, je crois. Il y a toujours cette ouverture possible, cette largeur. Il n’y a pas d’idéologie dans mes livres, il leur faut une structure, mais pas d’idées politiques.

 

Je n’ai d’ailleurs pas d’idées politiques. Je déteste ceux qui en ont. Même Albert Camus [1913-1960] n’en avait pas. Mais il avait quand même des opinions, moi je n’en ai même pas. Parfois, je me reproche de ne pas avoir réagi plus vite à cette époque pour me défendre. Mais il y a quelque chose en moi qui peut tout déchirer. Je me sens toujours en danger.

Comment envisagez-vous la postérité de votre œuvre ?

Je ne peux pas imaginer que mes livres ne puissent pas continuer à exister.

Gardez-vous une trace de l’écriture de vos textes ? Archivez-vous vos manuscrits ?

Je ne veux pas faire l’important. Je me débarrasse de tout cela. Je ne corrige d’ailleurs presque plus rien. Je ne veux pas me torturer. Je me dis qu’il y a forcément une raison d’avoir écrit une phrase, puisqu’elle est toujours innocente. J’ai fait venir la grande aventure, avec la sonorité des mots, qui disent aussi le silence. Mourir au milieu de l’écriture d’un livre, cela serait magnifique !

Pensez-vous parfois au dernier livre que vous pourriez écrire ?

Je vois un vieil enfant avec sa mère et son père, devant une balançoire. L’enfant dit à sa mère : « Maman, une dernière fois, s’il te plaît, encore un tour ! » Puis il se tourne vers son père : « Papa, s’il te plaît, encore un tour, une dernière fois ! » J’ai l’écho de la voix de cet enfant dans la poitrine.

Aujourd’hui, quel désir d’écriture vous anime ?

Je voudrais encore faire un grand voyage vers l’épique. Raconter quelque chose que je ne connais pas, et qui contiendrait tout.

 

 

Propos recueillis par Amaury da Cunha / Le Monde 

 

 

Repères
 

1942 Peter Handke naît à Griffen, en Carinthie (Autriche), d’une mère d’origine slovène et d’un père allemand qu’il ne connaîtra qu’à l’âge adulte.

 

1966 Parution de son premier roman, Les Frelons (Gallimard, 1983).

 

1967 Parution d’un recueil de nouvelles, Bienvenue au conseil d’administration (éd. Christian Bourgois, 1980), retraduit en 2023 sous le titre Bienvenue au conseil de surveillance.

 

 

1972 Publication d’un récit autobiographique, Le Malheur indifférent, inspiré par le suicide de sa mère (Gallimard, 1975).

 

 

1973 Peter Handke reçoit le prix Georg-Büchner, la plus prestigieuse distinction littéraire allemande.

 

 

1987 Il collabore au scénario du film de Wim Wenders Les Ailes du désir.

 

1991 Il s’installe en France, à Chaville (Hauts-de-Seine).

 

1996 Dans son récit Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina (Gallimard), Handke prend la défense des Serbes, qu’il présente comme des victimes de la guerre civile en Yougoslavie.

 

2008 La Nuit morave, roman (Gallimard, 2011).

 

2019 Prix Nobel de littérature. L’Académie suédoise salue une « œuvre influente qui a exploré avec ingéniosité linguistique la périphérie et la spécificité de l’expérience humaine ».

 

2021 Ma journée dans l’autre pays, roman (Gallimard, 2024).

 

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July 22, 4:06 PM
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Avignon off : lumière de Linda Chaïb

Avignon off : lumière de Linda Chaïb | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par  Armelle Héliot dans son blog - 13 juillet 2025

 

Elle a écrit et interprète ce texte très personnel, Mon père, cet arabe. Monologue moiré d’émotions et d’humour, dans une mise en scène de Kheireddine Lardjam.

 

Sanglée dans un imperméable, petit sac à main, cheveux relevés en chignon chic, elle est à cour. Au milieu du petit plateau d’Artéphile, très bonne adresse, se dresse un mannequin grand qui porte une robe belle et inspirée beaux vêtements d’Afrique du Nord. Parfois, la narratrice se perchera derrière, offrant son visage à la haute silhouette.

 

Cette narratrice est une jeune femme de notre temps que l’on connaît car elle est une artiste reconnue pour son art, sa sensibilité, sa personnalité forte.

 

Linda Chaïb est là, si douce et si forte en même temps. Elle possède un très joli timbre, musical et nuancé. Elle nous regarde droit dans les yeux, si l’on peut dire. Elle s’adresse à nous, spectateurs attentifs, Son regard est ferme, sans faiblesse, mais on y devine une pudeur extrême que, parfois, elle doit oublier.

Car elle parle d’elle, de son père. On l’a vue au cinéma, au théâtre,, mais c’est la première fois qu’elle écrit. Parlant de son père, elle parle de sa vie. Elle témoigne. Avec ses soeurs, elles ont été des adolescentes rêvant de sortir le soir, malgré les interdictions paternelles. Au coeur de ce monologue dans lequel elle se livre, précautionneuse, car il s’agit de ne blesser personne, il y a des scènes cocasses que l’on « voit » littéralement.

 

Elle a beaucoup d’esprit, Linda Chaïb. Une tenue. Une grâce. On pense parfois à Ariane Ascaride. Deux femmes libres, deux femmes de Méditerranée.

 

Sous son imper, la belle narratrice porte une robe noire qui lui va très bien. Qu’en aurait dit son père ? Un homme sobre, bon, franc, mais avec ses règles, ses raideurs, ses rugosités. Ses erreurs, sans doute. Mais il y a de l’aristocratie en cet homme. C’est ce que révèle Linda Chaïb dans ce texte irrigué de sa vie, de son passé et de ses espérance. Un des très beaux moments du off, cet été.

 

 

Théâtre Artéphile, 7 rue du Bourg-Neuf, à 17h05. Durée 1h15. Relâche les dimanches, 13 (aujourd’hui) et 20 juillet.

 

Armelle Héliot 

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July 22, 3:46 PM
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Festival Off d’Avignon 2025 : «Une chose vraie», à en perdre les mots –

Festival Off d’Avignon 2025 : «Une chose vraie», à en perdre les mots – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine / Libération du 22 juillet 2025

 

Au Train bleu, Ysanis Padonou saisit le spectateur en évoquant seule sur scène la maladie qui la touche, lui faisant perdre précocement ses fonctions motrices et cognitives.

 

Ysanis Padonou a 27 ans, elle se tient droite, corps sculptural, et d’une voix si articulée qu’elle en devient trouble, elle relate son histoire. Comme tout le monde dans cette édition riche en récit de soi sur tous les plateaux ? Pas tout fait. Ysanis Padonou, ancienne élève au Théâtre national de Strasbourg qu’on a vue récemment  dans l’Hôtel du libre-échange de Nordey, a peu de temps à perdre pour, dans le désordre, vivre, travailler, délivrer son art, aimer et être aimée. Faire des enfants ? Sans doute que non. Elle est atteinte, comme sa mère et son grand-père qui en est mort, de la maladie de Huntington, sorte d’Alzheimer précoce qui s’attaquera dès la trentaine à ses fonctions motrices et cognitives.

 

 

Elle montre son oreillette. Elle parle distinctement. Mais si personne ne lui souffle son texte, elle sait que très vite, elle se mettra à dire un mot pour un autre, bouton à la place de bonbon, à bafouiller. Et en tout cas, elle redoute ce que tous les acteurs craignent : le trou de mémoire, total, celui qui noie sans aucun rebord pour remonter à la surface.

Faire entendre ce qu’elle a à dire

Le spectacle d’Ysanis Padonou et mis en scène par Romain Gneouchev, accueilli dans une salle archicomble du Train bleu où le moindre strapontin est pris d’office, ne met pourtant pas le spectateur dans une position de voyeur. Comment fait-elle ? Ce qu’on regarde, c’est avant tout une actrice, qui sait occuper l’espace, faire entendre ce qu’elle a à dire. Mais aussi donc narrer sa traversée en 27 ans du racisme décomplexé – «elle est bien, hein, la petite négresse» lance un metteur en scène lors d’un stage à l’école, en 2011. Depuis toujours, avec sa mère, elles épinglent les propos les plus racistes entendus dans la semaine. La découverte que sa mère est malade, puis les tests et le diagnostic apposé sur elle aussi, lors d’une consultation de quatorze minutes, «pluie d’informations froides». La psychiatre qui la reçoit lui conseille de ne jamais en parler, le regard des autres sur elle changerait sinon. Enfermement dans le secret. Mais nul pathos.

 

Au fond du plateau, comme dans un studio de photographe, un aplat blanc qui se charge de couleur fuchsia, bleu. Quelques objets supposés condensent l’enfance. Ysanis Padonou se recroqueville, se déplie, marche sur l’extrême pointe des pieds. Sa présence forte au plateau dégage un calme étonnant. Le récit construit par strates, retour en arrière, et à l’affût des coïncidences, s’arrime à l’épaisseur d’une vie et déjoue toute linéarité, toute victimisation. Devant nous, une spectatrice cependant pleure à gros sanglots. Cette Chose vraie, qui s’acharne à saisir ce qui est avant la disparition de tout, révèle une actrice. Ce n’est pas si fréquent.

Une chose vraie, conception, écriture et mise en scène de Romain Gneouchev. Jeu et collaboration à l’écriture : Ysanis Padonou. Au Train bleu jusqu’au mercredi 23 juillet.
 

Anne Diatkine / Libération

 

Légende photo : Ysanis Padonou, «Une chose vraie», au Train bleu à Avignon jusqu'au 23 juillet. (Olivier Duverger Houpert)

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July 22, 6:19 AM
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Rima Abdul Malak sur le festival d’Avignon : «Mettre à l’honneur la langue arabe est un choix extrêmement courageux» 

Rima Abdul Malak sur le festival d’Avignon : «Mettre à l’honneur la langue arabe est un choix extrêmement courageux»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Anne Diatkine   dans Libération - 21 juillet 2025

 

 

Rima Abdul Malak a contribué en 2025 à l’organisation de la soirée poésie des mondes arabes intitulée Nour. Fidèle d’Avignon, l’ancienne ministre de la Culture (au moins, il y en avait une au Festival) revient sur ce qu’a représenté le théâtre dans sa vie.

 

La première pièce vue ?

J’étais en quatrième à Lyon et c’était au Théâtre national populaire de Villeurbanne, en 1993 : Un chapeau de paille d’Italie mis en scène par Georges Lavaudant. Je n’imaginais pas que ce puisse être aussi joyeux et virevoltant.

 

 

Vous êtes précise…

Ça ne s’oublie pas ! Ma découverte du théâtre vient d’un prof de français, cette année-là, qui, en classe, poussait les tables pour nous mettre entre les mains des pièces de Molière, Shakespeare et d’autres plus contemporaines qu’on lisait à voix haute ou en jouant plus ou moins bien dans la classe.

 

Ça a changé votre vie ?

Absolument. Ça ne faisait que deux ans que j’étais en France, mon français n’était pas très bon à l’oral, je n’étais pas à l’aise et c’est par la pratique du théâtre que j’ai commencé à aimer jouer avec la langue, à désacraliser le français. En passant par des personnages dont je lisais les mots, j’ai enfin pu entrer plus librement dans la langue.

 

 

Quelle est votre langue maternelle ?

L’arabe. J’ai grandi au Liban, j’ai passé les dix premières années de ma vie à Beyrouth en pleine guerre civile. Je suis arrivée en France avec une valise pleine de traumatisme, l’année de la sixième.

 

A chaque fois que j’ai un mot en arabe sur le bout de la langue, j’ai la sensation d’avoir perdu quelque chose. Je l’ai dans ma mémoire, ce mot, mais je ne le trouve plus. Où est-il ? C’est une perte sur laquelle j’essaie d’agir pour qu’elle ne soit pas définitive, ça me demande du travail, des efforts, de la lecture, de l’entraînement, mais il faut le faire sinon un jour on s’aperçoit qu’on a perdu sa langue.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné lors de votre première fois au théâtre ?

Ces quelques minutes, pendant les saluts, quand on ne sait plus si l’on voit l’acteur ou son personnage, au moment de cette émotion collective et de gratitude réciproque.

 

 

Vous découvrez ce spectacle à Villeurbanne, sur une scène subventionnée et emblématique de la décentralisation, une vision de la culture très attaquée aujourd’hui ?

La France a quand même un régime de l’intermittence et des subventions publiques que beaucoup de pays nous envient. S’il y a des craintes à avoir, elles viennent d’abord du retrait financier des collectivités. Mais aussi, de manière diffuse, du développement d’un nouveau populisme qu’on observe dans tous les bords politiques. Qu’on soit de gauche ou de droite, on vivait sur le consensus qu’il était important de soutenir les artistes, que la culture est un service public. Aujourd’hui ce consensus est fracturé. Il ne s’agit pas que d’argent. Cela m’inquiète beaucoup.

 

 

Vous faites des conférences aux Etats-Unis. Qu’est-ce qui vous y inquiète le plus ?

On l’a dit, mais il faut le répéter : il y a une guerre menée contre les universités, leur liberté académique, leur budget, leur possibilité même d’accueillir des étudiants étrangers. Les visas sont restreints. Les chercheurs, les enseignants sont humiliés, censurés, contrôlés. C’est maintenant qu’il faut tenter de limiter les dégâts, faire entendre des projets, des récits, des visions du monde autres, pour préparer une alternance. Il ne faut pas se méprendre : ce qui traverse les Etats-Unis avec le trumpisme est déjà en Europe. Ça ne va pas arriver. C’est là. En Italie et ailleurs.

 

En France également ?

Bien sûr, ce mouvement est à l’œuvre depuis longtemps avec des forces réactionnaires plus ou moins visibles constituées d’associations, de groupuscules, de militants dans la sphère des extrêmes droites, des financements très importants, des influenceurs sur les réseaux… Toutes sortes d’individus qui agglomérés lancent une nouvelle guerre culturelle, mobilisent des troupes et une partie de la jeunesse.

 

Dans ce contexte, un festival comme celui d’Avignon constitue-t-il une forme de résistance ?

Oui. Avignon fait résonner la pluralité des voix et des récits. Dans ce contexte, mettre à l’honneur la langue arabe est un choix extrêmement courageux parce qu’elle charrie évidemment tout un tas de préjugés et d’amalgames. Lui redonner sa richesse, montrer sa profondeur historique, permet de faire entendre à tous qu’elle est une langue de culture, de poésie, d’ouverture, de sciences depuis des siècles et des siècles.

 

Votre première fois à Avignon ?

J’étais étudiante et je dormais au camping de la Barthelasse. Je découvrais Avignon comme la capitale du théâtre où tout était théâtre, chaque rue était théâtre, chaque restaurant était théâtre, le camping était théâtre. Et depuis, je suis revenue quasiment chaque été au festival. Même quand je vivais à New York.

 

Etre en retard, c’est possible au théâtre ?

Non, je ne suis jamais en retard au théâtre. Quand j’étais ministre, c’était la course tout le temps mais pour autant, je n’ai jamais raté le début d’une pièce.

 

Le rôle de votre vie ?

Je ne l’ai peut-être pas encore joué. J’espère qu’il y a des «vies à venir» pour prendre le titre d’un chapitre du très beau Radio Live d’Aurélie Charon. Le rôle de ministre a été un peu trop court pour que je puisse dire que c’est le rôle de ma vie.

 

Vous aimeriez revenir en politique ?

A priori non, mais il ne faut jamais dire jamais…

 
 
Légende photo : Rima Abdul Malak à Avignon en juillet 2023. (Angelique Surel/Le Dauphine. MAXPPP)
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July 21, 4:47 PM
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Godot attendait Osinski | La critique de Jean-Pierre Thibaudat 

Godot attendait Osinski | La critique de Jean-Pierre Thibaudat  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié le 15 juillet 2025 par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog

 

 

Il y a trente ans, Jacques Osinski créait son premier spectacle d’après La faim de Knut Hamsun avec un certain Denis Lavant. Au fil des années, ils devaient se retrouver plusieurs fois autour des textes de Beckett. C’était encore le cas la saison dernière avec Fin de partie (lire ici). Et donc, cette année, avec En attendant Godot. Denis Lavant dans le rôle de Vladimir dit Didi et Jacques Bonnaffé dans celui d’Estragon dit Gogo, deux vagabonds qui n’en finissent pas de ne pas se séparer et qui attendent un certain Godot qu’ils attendront encore à la fin de la pièce.

La pièce En attendant Godot a été publiée en 1952 aux Entions de Minuit ( comme tous les textes de Beckett) et,depuis, souvent rééditée avec en couverture une image reprise de la mise en scène de Roger Blin qui créa la pièce dans un petit théâtre parisien aujourd’hui disparu. La pièce, traduite dans bien des langues, a été jouée, et reste toujours jouée, de par le monde, sur une multitude de scènes. En France, Jean-Pierre Vincent puis , plus récemment Alain Françon l’ont servie avec force.

Comme Françon, Osinski part non de la version publiée en France mais d’une version dite de Saint Quentin dans une mise en scène de Walter Asmus, version reprenant la mise en scène signée par Beckett lui-même en 1975 au Schiller théâtre de Berlin et où Asmus était son assistant. Beckett assista aux répétitions de son ancien assistant, modifia quelque peu le texte ( ajoutant « de la chair aux os » aux dires des acteurs) et plusieurs didascalies. Ainsi, au tout début de la pièce, Beckett note : «  Estragon est sur le sol. Il appartient à la pierre. Vladimir est lumière. Il est orienté vers le ciel. Il appartient à l’arbre ».

Estragon (Denis Lavant) est donc assis sur une pierre, il essaie d’ôter son soulier. Plus loin, se tient Vladimir (Jacques Bonnaffé), non loin de l’ arbre aux branches nues. Au deuxième acte, l’arbre sera pourvu de « quelques feuilles » . « J’aime cette attention que Beckett porte aux éléments : minéral (pierre), végétal (arbre), animal (homme). Il y a quelque chose de très concret, très terrien qui m’intéresse, j’ai envie de partir de ça pour mettre en scène Godot » note Osinski.

Je ne sais pas si Lavant et Bonnaffé ont déjà joué ensemble, l’un terrien, l’autre plus aérien, ils font merveilleusement la paire. Plus tard, apparaîtront Pozzo (Aurélien Recoing qui fut proche de Vitez ) tenant au bout d’une corde son serviteur, esclave soumis, Lucky (Jean François Lapalus qui appartenait à la troupe du TNS dans les années Vincent). Le dernier et éphémère personnage, un enfant, apparaît en impression virtuelle, informant Estragon et Vladimir que « monsieur Godot » ne viendra pas le soir. Personnages moins éphémères, Pozzo et Lucky, gardent un part de leur mystère quant à leur identité et à leur relation, l’un tenant l’autre par une corde. Ils quitteront la scène laissant seuls Estragon et Vladimir lesquels  pour finir, disent vouloir partir et ne bougent pas. La force d’Osinski est là : loin d’expliquer ces quatre personnages, il .en accentue progressivement l’ insaisissable mystère. 

 

 

Jean-Pierre Thibaudat 

 


Avignon off, au Théâtre des Halles, 21h jusqu’au 26 juillet. Puis tournée : le 27 juil au festival de Figeac, le 29 juil  au festival Beckett à Roussillon et la saison prochaine du 25 mars au 3 mai au Théâtre de l’Atelier à Paris. .

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July 21, 6:09 AM
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A Avignon, les voyages dans un réel en crise de Caroline Gillet et Aurélie Charon

A Avignon, les voyages dans un réel en crise de Caroline Gillet et Aurélie Charon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 21 juillet 2025

 

Avec « One’s Own Room Inside Kabul » et « Radio Live », les deux productrices de radio parviennent à trouver une alchimie singulière pour donner une dimension sensible à l’actualité.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/21/a-avignon-les-voyages-dans-un-reel-en-crise-de-caroline-gillet-et-aurelie-charon_6622681_3246.html

 

Il y a bien mille et une façons de faire percevoir le réel, sur scène comme ailleurs. Dans ce Festival d’Avignon 2025 qui s’achemine doucement vers sa fin (samedi 26 juillet), les propositions auront été nombreuses, de spectacles tentant de convoquer ce réel sur les plateaux. Avec plus ou moins de réussite : moins, quand la forme documentaire apparaît comme une facilité dispensant de toute vraie écriture. Plus, quand celle-ci s’enrichit d’une dimension sensible et trouve une alchimie singulière, comme c’est le cas avec Caroline Gillet et Aurélie Charon, deux femmes de radio suffisamment rompues à l’exercice journalistique pour mieux le déplacer et le dépasser.

 

La première, qui a longtemps travaillé avec la seconde, invite à une expérience particulière, en compagnie de la plasticienne et performeuse Kubra Khademi, qui a fui l’Afghanistan en 2015, et vit désormais en France. A savoir, entrer dans l’intérieur des femmes afghanes, cet intérieur qui est devenu sous le régime des talibans leur seul horizon.

Monde du dehors et du dedans

Dans une petite salle du cloître Saint-Louis, le public est invité à se déchausser, et à s’asseoir sur deux banquettes de velours rouge qui se font face. Au milieu, de la vaisselle a été disposée comme pour un repas, avec des pièces de céramique réalisées par Kubra Khademi, où l’on reconnaît ses images de femmes libres et nues, notamment ses amazones armées d’un arc, chevauchant d’étranges montures.

 

La porte de la pièce se referme, comme elle s’est refermée sur les Afghanes. C’est d’abord par le son que l’on perçoit le quotidien de la jeune femme qui va s’exprimer ici, un quotidien réduit aux tâches domestiques. Depuis août 2021, date de la prise du pouvoir par les talibans, les femmes ont été privées de tous droits, réduites à des ombres : interdiction de discuter entre elles, de chanter, de s’éduquer, de circuler, sauf sous conditions strictes.

Tout se joue ici dans le dialogue entre le son et l’image, dans le contraste entre inside et outside, entre le monde du dehors, tel qu’il apparaît sur les images projetées sur des écrans, et celui du dedans, où le bruit des casseroles et de l’aspirateur prédominent. Le monde du dehors : des rues remplies d’hommes, où apparaît parfois, fugacement, une petite fille.

 

Par son dispositif même, One’s Own Room Inside Kabul fait éprouver la dimension étouffante de ces vies, et ressentir directement l’absence de présence réelle, qui prend ici tout son sens : les femmes afghanes sont devenues des fantômes. On sort avec une tristesse infinie de cette chambre-prison, à l’issue d’une séance où personne, dans le public, n’a eu l’idée d’applaudir.

Marathon

Le Radio Live d’Aurélie Charon, lui, se déploie au fil de trois épisodes de près de trois heures, qui forment une traversée de neuf heures si on les voit en intégrale. C’est le marathon de ce festival, qui pour une fois se trouve être une épopée du réel. Depuis dix ans, Aurélie Charon, productrice à France Culture, est partie à la rencontre de jeunes gens issus de zones de conflit, de Gaza à la Bosnie, de l’Ukraine à la Syrie, du Rwanda au Liban. Et peu à peu, elle a inventé une forme documentaire qui porte bien son nom, puisqu’elle inscrit l’exercice de l’interview dans le présent partagé du théâtre et dans la présence réelle, tout en faisant du plateau un espace à même de mêler le réel à l’imaginaire.

Un espace accueillant, aussi, autant pour les personnes invitées que pour les différentes formes qui vont dialoguer entre elles, qu’il s’agisse de l’image vidéo, de la musique, du dessin ou des documents d’archives. Au fil de ces trois épisodes, on a ainsi pu rencontrer Hala, qui a fui la Syrie en 2015, après que son père, communiste, opposant au régime des Al-Assad, a été arrêté et torturé à mort.

 

Ou Oksana qui, avant la guerre, était enseignante, comédienne et animatrice d’un club techno organisant des soirées queer à Kiev, et qui, depuis l’invasion russe en Ukraine, travaille comme fixeuse, sur la ligne de front, avec des journalistes internationaux. Mais aussi Amir et Yannick, le premier venant de Gaza, où il a grandi dans le camp de réfugiés d’Al-Chati, le second du Rwanda, où sa grand-mère a été tuée lors du génocide contre les Tutsi. La liste n’est pas exhaustive.

 

 

Processus de reconstruction

Radio Live ne se contente pas d’aligner les témoignages, aussi forts soient-ils. C’est bien à un voyage qu’emmènent Aurélie Charon et son équipe, qui mêle les entretiens menés en direct – aucun texte n’est écrit au préalable – à un vaste travail sensible et mémoriel, par multiples petites touches significatives. Les photos extraites des archives familiales, le travail musical et vocal mené, en live sur le plateau, par Emma Prat sur tout un répertoire appartenant à ces différents univers, la création visuelle, en live elle aussi, de Gala Vanson, dont les dessins apportent poésie et humour… Tout concourt à la réussite de l’ensemble, qui permet de rentrer dans l’épaisseur des vies, avec une humanité et une douceur constantes.

 

Laisser parler les images, comme lors de ce long voyage en train vers Mostar (Bosnie-Herzégovine) qui provoque une émotion indicible, ou une chanson de Fayrouz, ou des extraits d’une série télévisée arabe digne des Feux de l’amour… Tout autant que laisser la parole, sans la couper systématiquement, à des témoins capitaux, comme cette femme qui, à Kigali, explique le processus de justice et de réconciliation original mis en place au Rwanda après le génocide. Voilà ce qui fait le prix de Radio Live, grâce à un art consommé du montage, qui à ce niveau-là est bien une forme d’écriture.

 

Les processus de reconstruction sont au cœur de cette traversée qui a reçu un formidable accueil à Avignon, chaque représentation se terminant par une salle debout, saluant ainsi, outre les talents à l’œuvre, l’esprit de fraternité, d’écoute, de courage et de combat qui se dégage de cette odyssée. Il semblerait bien que le réel au théâtre n’ait pas dit son dernier mot.

 

 

One’s Own Room Inside Kabul, par Caroline Gillet et Kubra Khademi. Cloître Saint-Louis, salle des colloques, jusqu’au 24 juillet. Radio Live, par Aurélie Charon. Théâtre Benoît-XII, jusqu’au 21 juillet. Puis tournée jusqu’en juin 2026.

 

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE

Légende photo : « One’s Own Room Inside Kabul », mis en scène par Caroline Gillet et Kubra Khademi, au Festival d’Avignon, le 15 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

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July 20, 6:46 AM
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Au Festival d’Avignon, le théâtre du réel au plus haut avec « Le Procès Pelicot » par Milo Rau

Au Festival d’Avignon, le théâtre du réel au plus haut avec « Le Procès Pelicot » par Milo Rau | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du Monde), publié le 19 juillet 2025

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Dans une soirée qui fera date, le metteur en scène suisse a transposé sur scène, vendredi 18 juillet, les quatre mois d’un procès hors norme, avec une rigueur sans faille et en évitant tout sensationnalisme.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/19/au-festival-d-avignon-le-theatre-du-reel-au-plus-haut-avec-le-proces-pelicot-par-milo-rau_6622196_3246.html

 

En apnée pendant quatre heures. Rarement on aura vu au théâtre une telle concentration, un tel unisson entre les acteurs et le public, un tel sentiment de l’essentiel. Transposer sur scène le procès Pelicot exigeait d’être à la hauteur d’un moment judiciaire historique. C’est peu de dire que ce fut le cas, vendredi 18 juillet, à Avignon, lors de cette soirée unique proposée par le metteur en scène suisse Milo Rau : historique, ce Procès Pelicot le sera aussi pour l’art théâtral, et restera dans les annales comme exemplaire de ce que peut être un théâtre du réel.

 

 

Comment faire entrer en quatre heures de représentation un processus judiciaire qui s’est déroulé pendant près de quatre mois, du 2 septembre au 19 décembre 2024, et a profondément ébranlé la société française, et bien au-delà ? Comment éviter toute spectacularisation, tout sensationnalisme ? Milo Rau et sa dramaturge, Servane Dècle, répondent par une rigueur sans faille, et une confiance absolue dans les pouvoirs du théâtre, lequel a partie liée avec la justice depuis ses origines grecques.

 

A quelques encablures à peine du tribunal d’Avignon, où s’est tenu le procès, le Cloître des Carmes, haut lieu du festival, s’est offert comme un écrin parfait pour rejouer les grands moments du procès, et toute la pensée suscitée par cet insondable que sont les événements advenus dans un village tranquille du sud de la France pendant dix ans. Nul besoin de décor ici, tout va se jouer dans la parole. Sur le plateau nu, deux rangées de bancs en bois à cour et à jardin, comme dans une salle d’audience, sur lesquels sont assis les comédiens, vêtus de couleurs sombres. Au milieu, une petite table derrière laquelle se tiennent deux autres actrices, faisant office aussi bien de narratrices que de présidente et vice-présidente du tribunal.

Dissonance insupportable

Marie-Christine Barrault s’avance vers le micro posé à l’avant-scène pour évoquer d’abord le cadre de l’histoire, ce village de Mazan (Vaucluse) planté au pied du mont Ventoux chanté par Pétrarque, qui abrita aussi, chose moins connue, l’un des châteaux du marquis de Sade, cruelle ironie. Puis la focale se resserre sur la maison des sévices, cette maison en laquelle Gisèle Pelicot croyait avoir trouvé le havre protégeant son bonheur conjugal, jusqu’à ce jour de novembre 2020, où sa vie a basculé dans l’inimaginable. Une maison dont Caroline Darian, la fille du couple, dit, par la voix de l’actrice Julie Moulier, l’horreur qu’elle lui inspire dorénavant, la dissonance insupportable entre le souvenir des moments joyeux et les actes commis par son père.

 

A partir de là se met en place le puzzle savamment composé par Milo Rau et Servane Dècle, qui va mêler des moments saillants du procès avec des prises de parole extérieures qui l’ont accompagné tout du long, pour penser aussi bien la culture du viol et le patriarcat que la figure du monstre, la banalité du mal ou la question du punitivisme. Pour réunir toute cette matière, le metteur en scène et la dramaturge ont travaillé directement avec des journalistes, qui ont livré leurs notes, avec certains des avocats, des chercheurs, des membres d’associations féministes ou des habitants d’Avignon ayant assisté au procès.

Ce travail documentaire, d’un sérieux irréprochable, a permis de reconstituer aussi bien les interrogatoires de Dominique Pelicot et de ses coaccusés que les deux grands discours de Gisèle Pelicot, au début et à la fin du procès, les plaidoiries des avocats, les expertises des psychiatres. Sans compter la description des vidéos des séances de viol tournées et archivées par Dominique Pelicot et qui, diffusées lors des audiences à la demande de Gisèle Pelicot elle-même, ont été au cœur du procès.

Saisissant tableau

La représentation s’offre donc comme un processus qui se calque sur celui de la justice, dans la tentative de comprendre ce qui s’est passé dans cette chambre, et ce que cela raconte de notre civilisation et de ses soubassements. Ce processus est tenu de bout en bout grâce aux acteurs et au travail mené sur le jeu : il ne s’agit pas de simples lectures, mais bien d’incarner avec force une parole ou une pensée, plus que des personnages. Plusieurs sommets sont atteints, avec Ariane Ascaride, portant le premier discours de Gisèle Pelicot. Avec Elios Noël, en expert analysant avec complexité le rôle de la pornographie. Avec Philippe Torreton, qui humanise de manière troublante Dominique Pelicot. Avec Clara Hédouin, défendant avec flamme les théories antipunitivisme du philosophe Geoffroy de Lagasnerie. Ou avec Camille Etienne, dans la plaidoirie magnifique d’Antoine Camus, l’un des deux avocats de Gisèle Pelicot.

 

L’ensemble tel qu’il se présente ainsi, concentré, ramassé sur une seule soirée, brosse un saisissant tableau de cette culture du viol, avec cette interrogation en ligne de fuite : qu’est-ce qui a mené certains hommes dans la chambre de Mazan, tandis que d’autres, sollicités par le « metteur en scène » Dominique Pelicot, s’y sont refusés ? « Le pourquoi n’est pas à chercher dans un dénominateur commun », analyse Antoine Camus. On ne sort pas forcément du Procès Pelicot avec des réponses. Mais avec une méthode et une énergie de pensée et d’action, ô combien.

 

 

 

 

Fabienne Darge  / Le Monde

 

Légende photo : « Le Procès Pelicot », mis en scène par Milo Rau, au Festival d’Avignon, le 18 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

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July 18, 5:03 PM
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Festival d’Avignon, jour 14 : un événement à plus d’un titre 

Festival d’Avignon, jour 14 : un événement à plus d’un titre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Chronique du Festival d'Avignon par Libération - Le 18 juillet 2025

 

Les excès ont été cadrés (pour des raisons de respect du voisinage comme dans un souci écologique) mais l’affiche reste un élément central du Festival d’Avignon. Placards d’affiches, amoncellement d’affiches, déversement torrentiel d’affiches, sur les murs ou le long des poteaux, pour vanter les spectacles du Off, les fauchés accrochant leur flyer format carte postale à l’agrafeuse sur les pancartes des plus fortunés. En pressant le pas d’un théâtre à l’autre, un titre de spectacle nous accroche, deux autres lus trop vite n’en font plus qu’un (le Horla d’Annie Ernaux ?), on imagine aussi le brainstorming pour se démarquer dans une concurrence acérée (1 724 spectacles cette année dans le Off, tout de même). Il y a les intrigants (la Sœur de Jésus-Christ, Au-delà de la pénétration) et ceux qui ne mettent pas toutes les chances de leur côté, c’est courageux : Pôvre Vieille Démocrasseuse, Pourquoi je ne suis pas en haut de l’affiche, Rossignol à la langue pourrie, Je me petit-suicide au chocolat ou encore Noir, Juif et Borgne (non là on triche, c’est un spectacle sur Sammy Davis Jr). Il y a les multiples spectacles à prénom (Annette, Alexeï et Yulia, Frantz…) et ceux qui nous rappelle qu’on a oublié notre rendez-vous chez le dermato (la Peau des autres, Dans le silence des paumes, Une peau plus loin). Et nos préférés, les petits malins qui tentent de piquer des lecteurs à Katherine Pancol : la Lente et Difficile Agonie du crapaud buffle sur le socle patriarcal ou le Chemin du wombat au nez poilu.

 

Les spectacles du jour

On adore

Le Soulier de satin, par la Comédie-Française, mise en scène d’Eric Ruf. Découverte cet hiver lors de sa création à la Comédie-Française, la mise en scène magnifie l’œuvre de Paul Claudel grâce à de grandes toiles peintes esquissant paysages marins et ciels picturaux, et aux costumes démesurés signés Christian Lacroix. Un voyage de huit heures dans la nuit de la Cour d’honneur. Retrouver notre critique.

Du 19 au 25 juillet à 22h00 à la Cour d’honneur du palais des Papes (8 heures avec entractes).

 

 

Rinse d’Amrita Hepi et Mish Grigor. La danseuse d’origine australienne, aux racines autochtones néo-zélandaises, revient aux gestes d’avant son apprentissage de la danse. Notre critique.

On aime

Quelle Aurore, de Soa Ratsifandrihana. Dans une performance sur tapis de course, la chorégraphe accompagnée de la chanteuse Bonnie Banane fait monter le cardio en s’inspirant du défilement des contenus des réseaux sociaux. Lire notre critique.
Quelle Aurore de Soa Ratsifandrihana, avec Bonnie Banane. Dans le cadre de «Vive le Sujet» (série 2). Jusqu’au 19 juillet à 10h30 et 18h00 au JArdin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph.

L’interview fournaise

Christian Lacroix. Le couturier habille les personnages du Soulier de satin de Paul Claudel, mis en scène par Eric Ruf. Ses costumes-monde déambuleront, de nuit, huit heures durant, dans la Cour d’honneur du palais des Papes, pour les six représentations de la pièce. «Il n’y a rien de plus triste qu’un costume “qui ne joue pas”»

Les coulisses

 

Ce samedi, le jeune chorégraphe Némo Flouret dont on avait beaucoup aimé le dernier spectacle présentera sa nouvelle création pour Avignon Derniers Feux. Lundi, Taire, de Tamara Al Saadi, Antigone au pays de l’aide sociale à l’enfance, fera sa première à Avignon.

Légende photo : «Rinse» d'Amrita Hepi et «le Soulier de satin» d'Eric Ruf. (Christophe Raynaud de Lage ; Jean-Louis Fernandez)
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July 18, 7:32 AM
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Avignon OFF 2025 (1): À quelques centimètres de la vérité…

Avignon OFF 2025 (1): À quelques centimètres de la vérité… | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - 9 juillet 2025

 


L'enfant de verre, de Léonore Confino et Géraldine Martineau, Présence Pasteur, Avignon OFF 2025 


Avignon OFF 2025 : À quelques centimètres de la vérité…

 

Avignon, Festival OFF, Présence Pasteur, Salle Pasteur, dimanche 6 juillet, 14h20
 
 

Alors que le Festival d’Avignon s’ouvre en ce premier week-end de juillet, Wanderer reprend ses déambulations allant d’une salle à l’autre, commençant cette année par des spectacles dans le Off qui ont retenu l’attention. C’est à Présence Pasteur que nous nous arrêtons donc pour voir L’Enfant de verre de Léonore Confino et Géraldine Martineau, dans une mise en scène d’Alain Batis avec la compagnie La Mandarine Blanche. On connaît bien les textes de Léonore Confino depuis l’écriture de Building et de Ring en 2011 où, se fondant sur ses observations et sur son vécu personnel, elle traçait déjà finement les contours d’une réalité absurde autant dans le monde de l’entreprise qu’au sein du couple. « Main dans la main » avec Alain Batis, ils abordent ici les non-dits familiaux, les secrets enfouis, défendus au fil des générations, ces fardeaux souvent si lourds à porter dans un silence assourdissant, douloureux, et qui rend chacun, chacune, complice par héritage en quelque sorte. Dans ce projet, ils ont ensuite été rejoints par Géraldine Martineau et sept formidables artistes au plateau déroulant une fable délicate – comme le verre – montrant les corps en mouvement, en jeu, portés par la musique et un texte aux accents poétiques et écrit au cordeau. C’est qu’il y a de l’enchantement dans certaines épiphanies, même parmi les plus douloureuses. Nous en rendons compte ici. 

Un après-midi sous les nuages et quelques gouttes de pluie est un moment rare pour un premier dimanche de Festival. Il règne dans la cour de Présence Pasteur une effervescence, un enthousiasme contagieux. Les équipes comme les premiers festivaliers sont réjouis. Et le sourire de Léonore Confino qui nous accueille ne dément pas cette joie. Nous pénétrons donc dans la salle et nous installons dans les gradins presque pleins, avec curiosité et entrain pour ce tout premier spectacle auquel nous assistons.

 

 

Le plateau est recouvert d’une toile blanche plissée – une évocation de l’écume, ou encore du sable, celui qui est constitutif du verre peut-être. Un peu derrière, au lointain, on perçoit de fins panneaux inspirés des travaux de Dan Graham, à l’aspect d’abord réfléchissant qui renvoient une image déformée du public – comme une invitation discrète déjà à regarder notre propre histoire, qui sait ? Tout commence « quelque part dans les mers du Nord », un soir de tempête où le vent mugit et où les vagues s’écrasent avec fracas contre les falaises. Des visages apparaissent derrière les panneaux devenus translucides, faiblement éclairés par une lumière bleutée et tremblante, laissant voir une famille à la recherche de la fille cadette qui a disparu. L’écho des voix porte en résonance quelque chose de cauchemardesque. « Il faut retrouver Liv ». La phrase, simple en apparence, exprime d’emblée une urgence, une nécessité absolue pour la disparue comme pour les siens. La retrouver, le verbaliser apparaît comme l’enjeu d’un retour impérieux à la lumière à travers les panneaux. En chacun, en chacune. « La résilience, j’en ai rien à foutre » dit l’une d’entre eux – perdre Liv n’est par conséquent absolument pas envisageable. La musique pulsatile accompagne cette recherche immobile et paradoxalement si affolée, si haletante. De celles qu’accompagne l’emballement du muscle cardiaque pour une question de survie.

Soudain, lumières sur le plateau surplombé d’un lustre en cristal – emblème discret de cette translucidité finement ciselée, dure et pourtant si cassable, suspendue depuis les cintres. Les parents, Frederik et Esther, accueillent des invités pour le mariage de leur fille aînée, face aux spectateurs – certainement promus convives de la noce. Hella se marie avec Nino qui semble avoir tout du gendre parfait. On distribue des sourires, on formule des phrases convenues. Esther – formidable Delphine Cogniard – lâche : « J’ignore pourquoi, j’ai l’impression de ne pas être moi-même ». Cette ouverture en trompe‑l’œil ne trompe presque pas en définitive. Les meubles sont transparents hormis la structure qui les tient debout. La pièce montée, elle-même, n’est pas sans rappeler quelque bronze rapporté d’un Huis-clos sartrien déclassé. Tout paraît faux, y compris pour les personnages eux-mêmes conduits rapidement à une étrange introspection. Les habiles découpes et les superbes rasants conçus par Nicolas Gros dessinent cet espace frappé d’« inquiétante étrangeté », manifestation palpable d’une angoisse sous-jacente au cœur de cet univers familial commun, trop insécurisant néanmoins. La danse endiablée dans laquelle toute la famille se jette à corps perdu, est une autre manifestation de cette dissonance. Jouée avec grande subtilité par Sylvia Amato, Anja, la grand-mère qui perd la tête, se déhanche furieusement, toute de rouge vêtue. Mais Esther vacille sous les yeux du public qui la voit peu à peu plonger dans une crise paralysante, interrompant subitement la fête. Les invités sont renvoyés. La mère est étourdie, tendue, incapable de dire pourquoi : sa maladie nerveuse l’éreinte, éreinte tout le monde – comme le montrent les scènes de flash-back où Frederik amène les filles à la plage pour la laisser se reposer, celle où il va jusqu’à s’emporter contre elle, impuissant devant ce mouvement dévastateur qui emporte la famille au cœur d’un tourbillon invisible et redoutable. C’est aussi au cours d’une de ces scènes que l’on découvre comment Nino – Mathieu Saccucci au jeu mesuré et troublant – est entré dans la famille en livrant les médicaments à Esther. De même, on comprend comment il rencontre Hella qui a simplement le même âge que lui – le coup de foudre ne semble pas instantanément avoir eu lieu…

Un lien solide unit les femmes de la famille qui se le passent les unes aux autres : c’est une mésange en verre que la mère d’Anja lui a laissée avant de partir sans jamais plus revenir. Et cet objet dont on devine immédiatement la forte charge symbolique se transmet de mère en fille, se transmet entre sœurs. Il n’est pas garant d’un savoir-faire traditionnel, pas davantage porteur de puissance. Il est transparent, dur, cassant, fait de ce sable balayé par le vent sur les plages des mers du Nord et que Pio transforme en verre, comme son grand-père avant lui. Il est conservé au cœur de la nuit et on le perçoit derrière le panneau central rendu à peine translucide : Liv –  Yasmine Haller, merveilleuse dans ce rôle – le soulève alors qu’elle au lit. Il est la beauté mais surtout le mystère, qui tient à distance des mots aux vertus libératrices rendus atones. Il est le gage de l’enfermement dans le silence, du maintien dans l’ombre. Surgie du texte de Léonore Confino et Géraldine Martineau, cette image d’une grande force évocatrice est brillante et donne au spectacle une dimension allégorique aussi gracieuse que signifiante.

 

 

Le lendemain des noces cependant, Liv qui est manifestement très troublée, fait comprendre – sans le dire distinctement, les mots sont encore empêchés – qu’elle a cassé la mésange de verre au cours de la nuit. Que s’est-il passé ? On le découvrira de manière feutrée, derrière les panneaux translucides, dans une lumière faible et blafarde. Liv a désormais un secret elle aussi – un nouveau secret dans la famille où ce silence reste une valeur cardinale très résistante. Cependant, avec le soutien de Pio, le seul à voir les morceaux de verre dans la plaie qui « s’infecte », elle va réussir à parler. Un peu d’abord mais on ne la comprend pas. Pio sent pourtant qu’elle « [tait] quelque chose de grave ».

Et c’est alors que le Vieux Souffleur – formidable marionnette sur un fauteuil roulant, manipulée par Anthony Davy qui interprète justement Pio, son petit-fils – révèle le secret de la mésange lié à la disparition de la mère d’Anja. Ainsi, on mesure le poids de cette terrible disparition dans l’histoire familiale au cours de cette scène formidablement jouée. Et comme la parole a jailli, rien ne semble désormais pouvoir l’arrêter. Liv a disparu mais tous la recherchent. L’habile composition dramaturgique de la pièce permet de revenir à ce qui a ouvert le spectacle : l’énigme se résout progressivement – les phrases qui étaient tues sont désormais audibles. L’écheveau se sera dénoué au fil des ruptures narratives, des retours en arrière, des discrets effets d’annonce – Anja quittant sa perruque après le mariage, visible derrière un panneau, ne laisse-t-elle pas entendre d’une certaine façon que la vérité ne sera pas toujours cachée ? Au fil des ellipses aussi car le creux est un endroit essentiel à la fable ici. L’angle (presque) mort recèle la vérité qu’on ne cesse de frôler. Jusqu’à la révélation finale. Jusqu’à la parole de Liv et jusqu’à la fuite coupable de Nino dans la forêt – lieu sombre et menaçant des contes – comme dans une damnation infinie. L’enfant de verre n’est plus, l’urgence de dire non plus, les secrets se sont évanouis. Reste Liv, une autre mésange de chair et d’os, porteuse d’une parole, d’un bonheur que tous entourent étroitement.

On sort ébloui de ce spectacle d’un grand raffinement dans sa dimension plastique, porté par des comédiens à couper le souffle – avec une mention spéciale pour Yasmine Haller, époustouflante. La mise en scène d’Alain Batis transpose avec beaucoup de rigueur et de justesse le texte, comme un exemple tout à fait probant d’un compagnonnage réussi entre les artistes qui ont vraiment « pris le risque de la beauté ». Pour faire entendre l’impossibilité de la parole. Pour dire qu’en brisant le silence de verre, la vérité aussi insupportable soit-elle, n’est jamais loin. Qu’il faut parfois l’affronter sans attendre davantage et que les mots dessus permettent sans doute d’y parvenir un peu plus.

 

 
Légende photo : La mésange de verre entre les mains de Pio (Anthony Davy)
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July 18, 7:17 AM
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Avignon OFF 2025 : Anatomie d'un amour au présent

Avignon OFF 2025 : Anatomie d'un amour au présent | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - 11 juillet 2025


"Ancora tu", de Salvatore Calcagno et Dany Boudreault, Théâtre du Train Bleu, Festival OFF Avignon, 2025 

 

Avignon, Théâtre du Train Bleu, dimanche 6 juillet 2025, 17h25

Poursuivant nos flâneries festivalières, nous arrivons au Train Bleu où, là encore, la programmation a retenu notre attention. Fondé en 2018 par Aurélien Rondeau, Charles Petit et Quentin Paulhiac, le Ttb accueille chaque année des compagnies pour une programmation exigeante « pluridisciplinaire, ouverte à la diversité et ancrée dans son temps ». On se souvient notamment de Hen, grand succès de l’édition du Off 2019 mais aussi de Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la Journaliste de Jeanne Lazar la même année ou encore Seuil mis en scène par Pierre Cuq en 2022. C’est un nouveau spectacle hors norme qui nous a cette fois encore conduit jusqu’à la rue Paul Saïn : Ancora tu – titre de ce morceau de pop italienne des années 70, inspirée de la disco, entraînante et répétitive – est une performance, un acte artistique singulier, la reconstitution d’une archive rendue vivante à l’image du spectacle, celle de la relation amoureuse entre deux hommes – le metteur en scène et l’acteur – qui vient de se terminer. Loin d’être réduit à son simple regard, le public est donc sollicité « pour faire revivre [la] personne aimée et disparue » désormais. A l’initiative de l’auteur et metteur en scène Salvatore Calcagno, associé à Dany Boudreault, lui-même auteur et acteur, le portrait de l’absent apparaît par l’intermédiaire du captivant Nuno Nolasco, comédien portugais qui entraîne la salle jusqu’à Lisbonne, sur les lieux supposés de l’amour passé, dans les bras de l’amant dont la voix ne cesse de se faire entendre. Et nous avons été résolument conquis.

Les spectateurs se précipitent en salle dès l’appel du personnel signalant que le spectacle va bientôt commencer. L’accueil est toujours chaleureux mais l’attention est vite détournée. En entrant, on remarque tout de suite la présence d’un homme, assis à une table. Portant jeans et chemise blanche ouverte à l’encolure, il regarde le public s’installer. La chevelure légèrement poivre et sel, le regard sombre, il est séduisant. Il se lève, reprend sa place, dans une délicate forme d’impatience. On remarque ce qui l’environne dans l’espace de jeu réduit de la salle : au lointain d’abord, une photo au format poster fixée par des morceaux de ruban adhésif blanc. L’image est une vue de Lisbonne. À cour ensuite, un vidéoprojecteur est installé au sol, incliné pour permettre une diffusion au niveau de la photo fixée au mur. Sur la table enfin, des livres empilés, une grande tasse, un paquet de cigarettes et face au comédien, un ordinateur portable ouvert, prêt à l’utilisation. La scénographie donne l’apparence d’une conférence sur le point de commencer et dont le sujet n’est pas net encore. Un autre détail attire l’œil : sur un tableau vertical étroit et haut, à jardin, une liste de mots écrits en blanc et ordonnés en deux colonnes. Parfois, on en dénombre plusieurs sur la même ligne. La liste s’achève par « Les adieux », formule autour de laquelle le comédien vient dessiner de petits cœurs, suivie par la date du jour. Le public est d’emblée placé en tension vers cet espace porteur de questionnements multiples, incluant selon toute évidence une incomplétude que le début du spectacle devrait permettre de réduire.

 

 

Sans signal particulier, le comédien commence. Il s’appelle Nuno et il est portugais. Il vient de se séparer de l’homme avec lequel il avait conçu le spectacle dans lequel il jouait en tant qu’acteur. Cet homme se nomme Salvatore. Il a « de grandes dents » et « rit toujours pour rien ». Cette première phrase lâchée dans un immense sourire trahit la force du sentiment qui les a unis. Sans attendre, il justifie la présence de la photo au lointain : c’est le lieu de leur rencontre, à Lisbonne. Il poursuit en précisant que Salvatore l’a quitté et qu’il est désormais seul devant le public. Nuno doit d’ailleurs rentrer à Lisbonne à la fin du Festival. Le champ fictionnel se déploie. Il indique alors que chaque jour, il trie les souvenirs de leur histoire d’amour terminée, souvenirs qui sont formulés par entrées dans la liste à jardin qu’on avait repérée à notre arrivée. L’acteur ajoute enfin qu’il va solliciter plusieurs spectateurs pour l’aider dans ce tri : il emportera avec lui, à Lisbonne, ce qui aura été choisi dans la liste tandis que le reste sera « brûlé ».

 

Le projet artistique prend forme sous nos yeux. Lorsque Salvatore Calcagno et Dany Boudreault se sont rencontrés, ils ont conçu une première performance en imaginant ce qu’il se serait passé s’ils étaient tombés amoureux. Ils ont ensuite fait évoluer cette première version vers quelque chose de plus théâtral en implantant  la possibilité de leur histoire dans le corps d’un autre acteur. Ainsi, c’est au terme de leur cheminement expérimental que nous nous trouvons face à Nuno Nolasco. Les deux auteurs cherchent en effet à rendre « une intimité performée », celle d’un couple d’hommes qui se sont aimés et qui se sont finalement quittés. Le théâtre devient un catalyseur pour mener une recherche qui positionne sous le regard presque clinique du spectateur, le vécu de la solitude contrainte, celle que l’autre impose quand il s’en va, quand il laisse seulement la sensation d’abandon. Le comédien seul en scène transfigure le projet des deux auteurs en y incluant sa propre sensibilité, sa propre histoire et redimensionne le propos à travers lui.

 

 

Même si « c’est cruel », il lance sans attendre la sélection avec le choix d’un premier spectateur qui se porte sur « Le sable », éliminant de la liste « L’amour le martin » et « L’épreuve ». Il diffuse alors l’enregistrement de leurs voix, un dialogue qui semble avoir été pris sur le vif, à Lisbonne. « Ça t’a plu de faire l’amour avec moi aujourd’hui ? » entend-on. L’acteur regarde le public, amusé et attendri. La salle est propulsée dans l’intériorité de leur couple, sans que cela soit une confidence pour autant. Sans tentation de voyeurisme non plus, on devient témoin de ce qui s’est joué entre les deux hommes dans leur relation amoureuse et on lui confère de cette manière une nouvelle densité. On lui offre une réalité à proprement parler par l’intermédiaire de la performance artistique. L’archive vit et fait en quelque sorte revivre l’amour qui les a uni. Nuno Nolasco est radieux, il sourit. La mémoire réactivée dans l’acte artistique est une forme de magie qui permet le temps retrouvé proustien, on le sait bien. « Je ne pensais pas qu’on pouvait avoir cette ouverture-là, cet abandon-là » ajoute-t-il. Le temps retrouvé fait donc ouvrir les yeux.

 

 

Les enregistrements s’enchaînent au fil des choix du public – parfois guidés par l’acteur qui considère que les souvenirs restent trop courts et qu’on peut les rassembler ou bien, à l’inverse, qu’il faut les couper parce que trop longs. Les voix résonnent. Celle de l’acteur se superpose à celles enregistrées, en français, en anglais, en portugais. La mémoire en action se réactualise en permanence au fil des étapes de la liste. Rien n’est écarté au nom de la bienséance. On entend : « Mon cul te réclame ». Le pornographique   perd ainsi toute sa subversivité pour que ne demeure que l’intime dans la salle de théâtre silencieuse, transformée en lieu du témoignage et de l’existence de ce qui a été et qui, l’espace d’une heure, redevient au présent.

 

Dans le désordre, l’appartement où ils ont vécu à Lisbonne ; la musique de Robyn, le tableau représentant Clytemnestre juste avant d’être assassinée par Oreste – « on a baisé sous le tableau de notre tragédie annoncée » ; la chemise retirée ; le « soleil noir » de la mélancolie qui les assombrit tous deux et en fait des « jumeaux cosmiques » ; les lamentations de Didon dans l’opéra de Purcell ; le costume pour la fête de quartier ; la poésie – celle de Genet, d’Aragon ou encore le bouleversant poème de Sophia de Mello Breyner Andersen intitulé « Quando » que Nuno lit lors des obsèques de sa mère ; les images projetées – celle sur laquelle est censé figurer « le bronzé », cet homme âgé dansant sur Rihanna et espérant un regard « qui remplit et qui vide » faisant prendre conscience du temps qui passe – cette tragédie ; la cigarette fumée dans le vestibule de la salle éclairé par un néon vertical : tout fait sens et matière afin de faire revivre ce qui a disparu, celui qui n’est plus là. Comme dans une forme de deuil sublimé dans la forme artistique choisie ici, la mémoire est partagée avec les spectateurs qui peuvent y inclure la leur – cette histoire appartient à tous et peut probablement croiser celle de chacun, de chacune.

Dany Boudreault affirme que « toutes les histoires d’amour sont des fictions » et que cet « amour opère tant et aussi longtemps que deux personnes consentent à la même fiction ». C’est pour cette raison que le théâtre devient le lieu où l’expérimentation menée ici peut s’installer, où elle peut pleinement s’incarner et réaliser l’archive de ce qui a disparu, la faire vivre dans le présent de la performance. On sort convaincu et troublé par ce voyage esthétique dans l’intimité fictive de Nuno et Salvatore, dans l’intimité universelle de l’amour passé, dans l’épreuve du manque comme de la solitude qui concernent tous les êtres à un moment de leur existence. Et, à travers le souvenir persistant des lumières de la boule à facettes, on entend encore au loin les paroles de la chanson de Lucio Battisti. Ancora tu. Non mi sorprende lo sai. Ancora tu. Ma non dovevamo vederci più ?

 

Crédits photo : "© Antoine Neufmars
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July 18, 5:21 AM
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AvignonOFF2025 (4): Il aimait les œufs brouillés… à la truffe

AvignonOFF2025 (4): Il aimait les œufs brouillés… à la truffe | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderersite - 17 juillet 2025

 


Le Dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing, de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, Théâtre du Train Bleu, Festival OFF Avignon 2025 

Avignon, Théâtre du Train Bleu, jeudi 10 juillet 2025, 21H25.
 
 

De retour dans le Off, on quitte la salle 2 de la rue Paul Sain où on a vu Ancora tu il y a quelques jours, pour gagner un lieu délocalisé du Ttb à l’autre bout de la ville car c’est dans les jardins de l’ancien carmel, rue de l’Observance que nous allons voir le troisième volet de Huit Rois (nos présidents) par la Compagnie des Animaux en Paradis. Après La Vie et la mort de Jacques Chirac qui retrace le parcours du président en interlocution notamment avec son chauffeur, après Génération Mitterrand qui fait apparaître les espoirs et désillusions d’un électorat ayant évolué depuis les deux mandats du président socialiste, voici Le Dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing écrit par Julien Campani et toujours Léo Cohen-Paperman, également à la mise en scène. La « série théâtrale » commencée il y a trois ans se poursuit donc et c’est une fois encore une grande réussite. Au fil des spectacles, les portraits s’enchaînent sans complaisance et, pour autant, sans charge démesurée contre eux. Chaque fois, on y présente ces personnalités connues dans un régime entre la monarchie et la république avec la chronique d’une famille « sur quatre générations » et la marche de « la société française de 1958 à 2027 ». Quelque part entre « Les Rois maudits », le documentaire sociologique et « Au théâtre ce soir ». Après avoir assisté à ce dernier volet enlevé et remarquablement  interprété, nous en rendons compte ici.

 

 

Toujours accueilli avec la sympathie des équipes du Ttb, on serpente à travers les allées du jardin situé dans la rue de l’Observance, suivant un itinéraire balisé et avec le renfort utile du personnel. On est tout près des remparts et l’atmosphère de l’endroit dans la pénombre du crépuscule, sous le chant persistant des cigales, invite à la surprise. Et c’est bien une surprise de découvrir en avançant sur ce chemin de terre, un gradin à la cime duquel se trouve une régie avec un plateau frontal en contrebas. De nombreux spectateurs ont déjà pris place et on perçoit beaucoup d’enthousiasme dans les rangs, ce qui laisse penser que le spectacle est attendu.

Une fois installé, on observe par le détail le plateau à vue, finement élaboré par la scénographe Anne-Sophie Grac dans un souci manifeste de réalisme. L’espace restitue l’intérieur de ce qui pourrait être une maison normande à colombages. Le panneau du fond de scène est percé de trois portes de jardin à cour : une qui mène à la cuisine ; une autre vers les toilettes – Anne-Aymone s’y rendra très souvent – une dernière enfin vers ce qui est supposé être l’extérieur de la maison, dans un hors-scène où est garée la SIMCA de Michel qui « fume blanc » et qui « tète à 13 au 100 ». Sur ce panneau figurant le mur de la maison, sont accrochés différents objets dans un évident souci de précision, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les décors particulièrement léchés de Roger Harth pour la très emblématique émission de télévision des années Giscard, « Au théâtre ce soir ». À cour, on remarque une tête de sanglier empaillée, entre deux patères et près des fusibles apparents – qui vont sauter dans une scène endiablée de queue leu-leu à la bougie, montrant le temps des restrictions imposées par le giscardisme ; au centre du panneau, un crucifix entre la porte vers l’extérieur et les toilettes, figuration allégorique de la religiosité dans la France de l’époque ; plus à jardin, un fusil de chasse et des assiettes décoratives comme autant d’objets aujourd’hui désuets mais reflétant la ruralité des années 70. Devant ce panneau, une table imposante est dressée avec nappe et vaisselle immaculées – six couverts sont disposés de sorte que les personnages seront placés face au public. Tout indique qu’on se trouve dans un lieu de fête d’où hôtes et convives sont pour le moment absents, comme une sorte de diorama digne d’un musée de l’habitat local. Pour finir, on remarque à l’avant-scène la présence d’un parc pour enfant en bas âge à cour, et celle d’un poste de télévision à jardin. Il apparaît clairement que ces nombreux éléments plastiques et visuels sont placés sous le regard du public afin de les lui faire vivement remarquer : porteur de sens, le décor occupe par conséquent une place notable dans le spectacle, préparant l’arrivée des comédiens.

 

 

Un homme en pyjama enfantin entre alors et salue le public pour le prologue – la composition dramaturgique de la pièce est régulière et va suivre le mandat de Valéry Giscard d’Estaing fractionnant une singulière temporalité qui va superposer les années du septennat et les plats du réveillon de la famille Deschamps-Corrini en présence du couple présidentiel. L’homme a pour nom José Corrini et il est né en 1973. Il a donc un an moment où la pièce commence. C’est Julien Campani, co-auteur du texte et formidable comédien, qui joue ce rôle ambigu, positionné à l’avant-scène sous le faisceau d’une poursuite, quelque part entre une enfance dans les années 70 et le moment présent de la représentation, entre le passé et son avenir en définitive. Cette originalité du spectacle retient particulièrement l’attention, soulignant le rigoureux travail d’écriture du texte : il va s’agir pour ce bébé devenu un homme adulte dans le XXIème siècle de la représentation, de relater les événements d’autrefois, de vulgariser avec grande efficacité leur densité politique, économique, sociologique et historique. Une sorte de jeune Alain Decaux d’aujourd’hui, dynamique et truculent, entre jeu et narration, brisant toute possibilité de quatrième mur, annulant toute illusion théâtrale afin que le public reste bien en prise avec cette chronique commentée.

 

 

La famille va alors apparaître sur scène : d’abord, les parents, Marcel (Joseph Fourez) et Germaine (Morgane Nairaud), couple d’agriculteurs du Calvados ; puis, les enfants, avec la fille des Deschamps, Marie-France Corrini (Pauline Bolcatto), secrétaire chez Alsthom, et son mari, Michel Corrini (Clovis Fouin), ouvrier chez Alsthom lui aussi ; enfin, leur fils, José, que joue Julien Campani. Ce dernier apporte les informations nécessaires au public : les enfants arrivent pour le réveillon 1974 chez les parents, à Cricqueville-en-Bessin dans le Calvados. « Et cette maison, c’est la France. » La phrase clarifie ainsi la démarche adoptée grâce au choix de cette représentation symbolique. Valéry Giscard d’Estaing est joué par Philippe Canales, plus dans l’évocation que dans l’imitation, comme c’était déjà le cas de Julien Campani dans La Vie et la mort de Jacques Chirac. Suivant une approche similaire du personnage, le comédien ici ne cherche pas à reproduire le successeur de Georges Pompidou. Il reprend habilement son phrasé, certains de ses tics de langage aux accents aristocratiques si reconnaissables, pour en faire surgir une plus juste évocation. Le costume et la perruque facilitent la reconnaissance mais là non plus, il ne s’agit pas d’imiter, afin de stimuler la réflexion du public sur le théâtre qui se joue sous ses yeux.

 

Et c’est Gaïa Singer qui interprète avec brio Anne-Aymone Giscard d’Estaing, lui donnant une épaisseur psychologique que le rôle « d’épouse de… » n’avait peut-être pas laissé voir dans les reportages télévisés qui ont pu lui être consacrés. La comédienne la dote tantôt d’une incroyable drôlerie tantôt la place sur le fil de l’émotion, l’humanisant pour mieux révéler à la fois sa condition d’épouse d’un des « Rois » de la Vème, et de femme avec ses forces et ses failles.

 

Marie-France et Michel vont donc rapidement découvrir qui sont les deux mystérieux invités du réveillon. Comme le précise José dans le prologue, le président est « conservateur et progressiste » et son souhait est de regarder « la France au fond des yeux ». C’est pourquoi il va s’inviter « à dîner chez les Français ». L’extraordinaire idée des deux auteurs consiste à ce que le repas dans son déroulé soit l’occasion de reconstituer son parcours. Chaque étape du réveillon renvoie à une prise de parole de José ou à une archive sonore qu’il lance à l’aide d’une télécommande faisant entendre des extraits des traditionnels vœux présidentiels pour toutes les années du septennat. De « Monsieur le Président » à « Giscard ».

 

Bien sûr, Michel le syndicaliste, Marie-France la féministe aux idées socialistes montantes, ne font pas partie de l’électorat de Giscard d’Estaing, contrairement aux Deschamps qui l’accueillent tel un authentique monarque, lui rendant hommage avec force courbettes. Seulement, de la soupe de cresson « façon…mousse » à la galette finale, les déconvenues se multiplient plus que les voix des électeurs et entraînent sa progressive disgrâce. Le réveillon laisse un goût amer dans les bouches autant que dans les cœurs. Les coiffures tombent, les vêtements se froissent, les couverts se désordonnent et le ton monte. Une scène marquante : tous sont assis dans la pénombre, face au public, le couple présidentiel au centre.

 

Les Deschamps comme les Corrini vont tour à tour se lever, se détourner sans un regard pour eux, de la dureté dans la voix pour appuyer leur éloignement. Voilà les effets de l’amertume d’un peuple semble-t-on dire alors. Les chansons populaires de l’époque que chaque comédien entonne scandent cette lente désillusion : depuis « La Ballade des gens heureux » par Giscard lui-même jusqu’à « Attention, Mesdames et Messieurs » que chante José, en passant par l’iconoclaste « Ça plane pour moi » qu’interprète avec une délicieuse fureur Pauline Bolcatto, les événements s’enchaînent poussés par « ce grand vent de nouveauté radicale ». De la crise pétrolière que le président ne jugule pas avec une montée fulgurante du chômage, à la tentative de relance – la drôlissime démonstration de « l’usine à totottes » est exceptionnelle ! – pour glisser vers l’impitoyable rigueur qui fait que « tout le monde a une bonne raison de le détester », le président finit « coincé au centre ». Et tout s’achève après le très connu « au revoir » adressé au public dans l’embrasure de la porte que José claque ensuite violemment sur le président désormais sorti.

 

À travers un savant équilibre entre réflexion et légèreté, les auteurs réussissent pleinement leur pari une fois de plus, sans jamais tomber dans un didactisme trop aride, sans reprendre non plus ce qui a déjà été créé avec les premiers spectacles. Porté par une extraordinaire troupe de comédiennes et de comédiens terriblement engagés, provenant pour plusieurs du Nouveau Théâtre Populaire, Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing offre un de ces moments de théâtre précieux qu’on emporte dans ses souvenirs de festivalier. Un des Rois a vécu puis est en quelque sorte mort sur scène ce soir. Alors vivement le prochain !

 

 

 

Légende photo : La tablée de réveillon avec de gauche à droite Marcel Deschamps (Joseph Fourez), Germaine Deschamps (Morgane Nairaud), Anne-Aymone Giscard d'Estaing (Gaia Singer), Valéry Giscard d'Estaing (Philippe Canales), Marie-France Corrini (Pauline Bolcatto) et Michel Corrini (Clovis Fouin)

 

Crédit photo : © Valentine Chauvin

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July 17, 10:41 AM
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Festival Off Avignon 2025 : notre nouvelle sélection de spectacles à ne pas manquer 

Festival Off Avignon 2025 : notre nouvelle sélection de spectacles à ne pas manquer  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par le service Culture de Libération - 17 juillet 2025

 

L’équipe théâtre de «Libé» vous aide à vous y retrouver parmi les 1 724 spectacles du off. Du dancefloor aux lycées en passant par l’industrie musicale, sélection de 10 spectacles.

 

Du 5 au 26 juillet, 1 724 représentations proposées par 1 347 compagnies sont jouées dans quelque 139 théâtres (éphémères ou permanents) du off du Festival d’Avignon. Des chiffres qui font tourner la tête. Comment faire son choix dans cette offre pléthorique ? Il y a les affiches collées sur les grilles et poteaux de la ville, les discussions directes avec les artistes qui sillonnent les rues pour convaincre que leurs spectacles valent le coup d’œil, mais aussi la nouvelle sélection de l’équipe théâtre de Libé que voici.

 

 

«L’ouvrir», le génie lesbien de Morgan·e Janoir

 
 

Le metteur en scène raconte avec finesse, par la voix et le chant de Pauline Legoëdec, les hésitations qui précèdent le plongeon avant un coming out. Au fil de la pièce, les corps changent, se mettent à danser, à s’habiller autrement, à raconter de nouveaux modes de vie. Il est difficile de décrire en si peu de temps (une heure !) la joie immense que représente cette liberté que le personnage d’Alex s’accorde.

 

Jusqu’au 24 juillet à 11h45, Théâtre 11 Avignon, 11, boulevard Raspail (84 000). Une heure.

 

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«Album» de Lola Molina et Lélio Plotton

 

Le sol c’est de la terre, ou du gravier, sur lequel il s’avance pieds nus, en costume et chemise noire, le micro à la main. Laurent Sauvage est le centre d’Album,texte-poème écrit sur mesure par Lola Molina et Lélio Plotton à la mise en scène, qui l’imaginent en rocker, punk si on veut révolté par l’industrie musicale.

 

Album de Lola Molina, mise en scène Lélio Plotton, à La Manufacture, Festival off Avignon, jusqu’au 22 juillet. Texte édité aux éditions Théâtrales

 

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«Fast», d’Olivier Lenel et Didier Poiteaux

 

C’est quand même la grande question : comment proposer du théâtre documentaire sans que le sujet l’emporte sur l’émotion ? Comment soutenir un propos politique sans faire passer une œuvre artistique pour une conférence TED ? Au Théâtre des Doms, vitrine de la scène belge francophone, le duo formé par Olivier Lenel et Didier Poiteaux met les pieds dans le plat de la fast fashion avec une autodérision bienvenue.

 

Fast- Festival OFF d’Avignon, Théâtre des Doms, 1 bis rue des Escaliers Sainte-Anne (84000). A 10h30 jusqu’au 26 juillet, relâche les mercredis 16 et 23 juillet.

 

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«L’Evénement» de Joëlle Fontannaz

Après tout, pourquoi faudrait-il qu’une pièce de théâtre soit composée de répliques qui se suivent ? Dans l’Evénementles trois comédiens s’expriment tous en même temps, par écho et par vagues, et c’est très drôle. Où il est question de l’incendie du four à pain d’une communauté new age, adepte du yoga et de la pleine conscience.

 

Jusqu’au 20 juillet à la Manufacture à 18h15 (durée 1h15). Dans la sélection suisse.

 

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«Azira’i», de Zahy Tentehar

 
 

Il y a au moins une actrice fantastique et inconnue dans nos contrées que le Off permet de découvrir. C’est Zahy Tentehar, jeune actrice autochtone, originaire du village de Cana Brava dans le nord-est du Brésil. Chanteuse, danseuse, Zahy Tentehar, qui est la première actrice autochtone à avoir remporté le prix Shell, le prix de théâtre le plus prestigieux au Brésil- raconte son enfance auprès d’une mère chamane, qui ne s’habitue pas à sa migration en ville. Un seul en scène où l’on apprend à parler de Ee’enge eté et où l’on s’aperçoit que qui que l’on soit, d’où qu’on vienne, sa mère reste pour chacun le plus grand des mystères. Fascinant et bouleversant.

 

Azira’i, mis en scène par Zahy Tentehar avec l’aide de Duda Rios jusqu’au 13 juillet à la Manufacture à 17 h 25 (relâche le 10 juillet).

 

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«Annette», de Clémentine Colpin

 
 

Elle, c’est Annette Baussart, 75 ans, au centre de la pièce que lui consacre Clémentine Colpin.Une vie de femme qui se raconte. Programmée pour être épouse, mère, et prolo, Annette aura tout fait dévier, avec une conscience qui force le respect. « Annette », c’est la joie de vivre d’un corps en révolution.

 

Annette de Clémentine Colpin au Théâtre des Doms, festival Off jusqu’au 26 juillet.

 

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«Décoloniser le dancefloor», de Habibitch

 
 

Avec sa conférence dansée «Décoloniser le dancefloor», Habibitch propose de mettre en PLS n’importe quel élu de notre actuel gouvernement en revenant sur les concepts les plus explosifs des dernières décennies : intersectionnalité, appropriation culturelle, décolonisation, féminisme matérialiste… Les termes sont savamment décrits «car oui j’aime les grands A, petits B, petits C, après tout j’ai fait Sciences-Po», lâche-t-elle sur scène.

Décoloniser le dancefloor, Habibitch, jusqu’au 22 juillet au Château de Saint-Chamand, navette 19h15, spectacle 19h40. Relâche le 17 juillet. Retour à Avignon 21h35 en navette.

 

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«Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer» d’après Virginie Despentes

C’est un texte fait de petits déplacements, légers, un peu comme des pas de boxe. Il dit par exemple que ce qui est inéluctable ce n’est pas l’ordre du monde tel qu’il est, non, ce qui est inéluctable, c’est le changement. Le spectacle musical mis en scène par Anne Conti donneune nouvelle forme au texte puissant de l’autrice sur nos petites soumissions et surtout sur la possibilité de s’en affranchir.

Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer  de Virginie Despentes, mis en scène par Anne Conti, jusqu’au 26 juillet à 18 heures (durée : 1 heure), à la Scierie (relâche les 8, 15 et 22 juillet).

 

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«La neige est blanche» de Marine Mane

La neige est blanche est une pièce légère«Pièce pour une interprète en établissement scolaire» elle doit pouvoir s’implanter dans n’importe quelle salle de lycée. Elle a été pensée pour ça, pour rencontrer un public de l’âge de l’héroïne. Elle est systématiquement suivie d’un moment d’échange après la représentation : et vous, vous feriez quoi ? «Dans les lycées de sport études où nous sommes passées, les jeunes nous ont souvent répondu qu’ils ne préféraient pas y penser, rapporte Galla Naccache-Gauthier. Ils se dirigent souvent vers une carrière de sportifs de haut niveau pour faire plaisir à leurs parents, eux-mêmes anciens champions. Dans les formations de sports de glisse, ils portent aussi toute la pression de leurs profs qui doivent justifier leur existence alors que la neige fond et que comme elle, ils sont voués à disparaître…»

 

 

La neige est blanche jusqu’au 26 juillet à 11 h 00 à Présence Pasteur. Relâche les 8, 15, 22 juillet (50 minutes).

 

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«Le journal de Maïa» de Cédric Orain

 
 

Sur scène, les deux jeunes filles pourraient sortir des pages d’une BD, sautillantes avec leur sac sur le dos (Louise Bénichou et Marion Brest), et tentent de trouver leur voie de collégiennes : faut-il vraiment croire la redoutée prof de français quand elle affirme qu’on peut aimer lire (et du Chateaubriand en plus) ? On a aimé chez Orain cette manière de prendre au sérieux les vagues d’anxiété des ados (un sur deux y serait confronté selon un sondage Ipsos de 2022) sans en faire un drame - seulement une pièce de théâtre. «En quatrième, j’aurais bien aimé moi aussi qu’un spectacle me dise : ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave», répond-il.

 

 

Le journal de Maïa, jusqu’au 24 juillet à 9 h 45 au Théâtre du Train bleu. Relâche les 11 et 18 juillet (50 minutes).

 

 

 

 
Légende photo :  Le journal de Maïa de Cédric Orain  (Photo : Clément Foucard)
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