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Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre
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Le spectateur de Belleville
July 20, 6:46 AM
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Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du Monde), publié le 19 juillet 2025 `` Dans une soirée qui fera date, le metteur en scène suisse a transposé sur scène, vendredi 18 juillet, les quatre mois d’un procès hors norme, avec une rigueur sans faille et en évitant tout sensationnalisme.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/19/au-festival-d-avignon-le-theatre-du-reel-au-plus-haut-avec-le-proces-pelicot-par-milo-rau_6622196_3246.html
En apnée pendant quatre heures. Rarement on aura vu au théâtre une telle concentration, un tel unisson entre les acteurs et le public, un tel sentiment de l’essentiel. Transposer sur scène le procès Pelicot exigeait d’être à la hauteur d’un moment judiciaire historique. C’est peu de dire que ce fut le cas, vendredi 18 juillet, à Avignon, lors de cette soirée unique proposée par le metteur en scène suisse Milo Rau : historique, ce Procès Pelicot le sera aussi pour l’art théâtral, et restera dans les annales comme exemplaire de ce que peut être un théâtre du réel. Comment faire entrer en quatre heures de représentation un processus judiciaire qui s’est déroulé pendant près de quatre mois, du 2 septembre au 19 décembre 2024, et a profondément ébranlé la société française, et bien au-delà ? Comment éviter toute spectacularisation, tout sensationnalisme ? Milo Rau et sa dramaturge, Servane Dècle, répondent par une rigueur sans faille, et une confiance absolue dans les pouvoirs du théâtre, lequel a partie liée avec la justice depuis ses origines grecques. A quelques encablures à peine du tribunal d’Avignon, où s’est tenu le procès, le Cloître des Carmes, haut lieu du festival, s’est offert comme un écrin parfait pour rejouer les grands moments du procès, et toute la pensée suscitée par cet insondable que sont les événements advenus dans un village tranquille du sud de la France pendant dix ans. Nul besoin de décor ici, tout va se jouer dans la parole. Sur le plateau nu, deux rangées de bancs en bois à cour et à jardin, comme dans une salle d’audience, sur lesquels sont assis les comédiens, vêtus de couleurs sombres. Au milieu, une petite table derrière laquelle se tiennent deux autres actrices, faisant office aussi bien de narratrices que de présidente et vice-présidente du tribunal. Dissonance insupportable Marie-Christine Barrault s’avance vers le micro posé à l’avant-scène pour évoquer d’abord le cadre de l’histoire, ce village de Mazan (Vaucluse) planté au pied du mont Ventoux chanté par Pétrarque, qui abrita aussi, chose moins connue, l’un des châteaux du marquis de Sade, cruelle ironie. Puis la focale se resserre sur la maison des sévices, cette maison en laquelle Gisèle Pelicot croyait avoir trouvé le havre protégeant son bonheur conjugal, jusqu’à ce jour de novembre 2020, où sa vie a basculé dans l’inimaginable. Une maison dont Caroline Darian, la fille du couple, dit, par la voix de l’actrice Julie Moulier, l’horreur qu’elle lui inspire dorénavant, la dissonance insupportable entre le souvenir des moments joyeux et les actes commis par son père. A partir de là se met en place le puzzle savamment composé par Milo Rau et Servane Dècle, qui va mêler des moments saillants du procès avec des prises de parole extérieures qui l’ont accompagné tout du long, pour penser aussi bien la culture du viol et le patriarcat que la figure du monstre, la banalité du mal ou la question du punitivisme. Pour réunir toute cette matière, le metteur en scène et la dramaturge ont travaillé directement avec des journalistes, qui ont livré leurs notes, avec certains des avocats, des chercheurs, des membres d’associations féministes ou des habitants d’Avignon ayant assisté au procès. Ce travail documentaire, d’un sérieux irréprochable, a permis de reconstituer aussi bien les interrogatoires de Dominique Pelicot et de ses coaccusés que les deux grands discours de Gisèle Pelicot, au début et à la fin du procès, les plaidoiries des avocats, les expertises des psychiatres. Sans compter la description des vidéos des séances de viol tournées et archivées par Dominique Pelicot et qui, diffusées lors des audiences à la demande de Gisèle Pelicot elle-même, ont été au cœur du procès. Saisissant tableau La représentation s’offre donc comme un processus qui se calque sur celui de la justice, dans la tentative de comprendre ce qui s’est passé dans cette chambre, et ce que cela raconte de notre civilisation et de ses soubassements. Ce processus est tenu de bout en bout grâce aux acteurs et au travail mené sur le jeu : il ne s’agit pas de simples lectures, mais bien d’incarner avec force une parole ou une pensée, plus que des personnages. Plusieurs sommets sont atteints, avec Ariane Ascaride, portant le premier discours de Gisèle Pelicot. Avec Elios Noël, en expert analysant avec complexité le rôle de la pornographie. Avec Philippe Torreton, qui humanise de manière troublante Dominique Pelicot. Avec Clara Hédouin, défendant avec flamme les théories antipunitivisme du philosophe Geoffroy de Lagasnerie. Ou avec Camille Etienne, dans la plaidoirie magnifique d’Antoine Camus, l’un des deux avocats de Gisèle Pelicot. L’ensemble tel qu’il se présente ainsi, concentré, ramassé sur une seule soirée, brosse un saisissant tableau de cette culture du viol, avec cette interrogation en ligne de fuite : qu’est-ce qui a mené certains hommes dans la chambre de Mazan, tandis que d’autres, sollicités par le « metteur en scène » Dominique Pelicot, s’y sont refusés ? « Le pourquoi n’est pas à chercher dans un dénominateur commun », analyse Antoine Camus. On ne sort pas forcément du Procès Pelicot avec des réponses. Mais avec une méthode et une énergie de pensée et d’action, ô combien. Fabienne Darge / Le Monde Légende photo : « Le Procès Pelicot », mis en scène par Milo Rau, au Festival d’Avignon, le 18 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON
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Le spectateur de Belleville
July 18, 5:03 PM
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Chronique du Festival d'Avignon par Libération - Le 18 juillet 2025 Les excès ont été cadrés (pour des raisons de respect du voisinage comme dans un souci écologique) mais l’affiche reste un élément central du Festival d’Avignon. Placards d’affiches, amoncellement d’affiches, déversement torrentiel d’affiches, sur les murs ou le long des poteaux, pour vanter les spectacles du Off, les fauchés accrochant leur flyer format carte postale à l’agrafeuse sur les pancartes des plus fortunés. En pressant le pas d’un théâtre à l’autre, un titre de spectacle nous accroche, deux autres lus trop vite n’en font plus qu’un (le Horla d’Annie Ernaux ?), on imagine aussi le brainstorming pour se démarquer dans une concurrence acérée (1 724 spectacles cette année dans le Off, tout de même). Il y a les intrigants (la Sœur de Jésus-Christ, Au-delà de la pénétration) et ceux qui ne mettent pas toutes les chances de leur côté, c’est courageux : Pôvre Vieille Démocrasseuse, Pourquoi je ne suis pas en haut de l’affiche, Rossignol à la langue pourrie, Je me petit-suicide au chocolat ou encore Noir, Juif et Borgne (non là on triche, c’est un spectacle sur Sammy Davis Jr). Il y a les multiples spectacles à prénom (Annette, Alexeï et Yulia, Frantz…) et ceux qui nous rappelle qu’on a oublié notre rendez-vous chez le dermato (la Peau des autres, Dans le silence des paumes, Une peau plus loin). Et nos préférés, les petits malins qui tentent de piquer des lecteurs à Katherine Pancol : la Lente et Difficile Agonie du crapaud buffle sur le socle patriarcal ou le Chemin du wombat au nez poilu. Les spectacles du jour On adore Le Soulier de satin, par la Comédie-Française, mise en scène d’Eric Ruf. Découverte cet hiver lors de sa création à la Comédie-Française, la mise en scène magnifie l’œuvre de Paul Claudel grâce à de grandes toiles peintes esquissant paysages marins et ciels picturaux, et aux costumes démesurés signés Christian Lacroix. Un voyage de huit heures dans la nuit de la Cour d’honneur. Retrouver notre critique. Du 19 au 25 juillet à 22h00 à la Cour d’honneur du palais des Papes (8 heures avec entractes). Rinse d’Amrita Hepi et Mish Grigor. La danseuse d’origine australienne, aux racines autochtones néo-zélandaises, revient aux gestes d’avant son apprentissage de la danse. Notre critique. On aime Quelle Aurore, de Soa Ratsifandrihana. Dans une performance sur tapis de course, la chorégraphe accompagnée de la chanteuse Bonnie Banane fait monter le cardio en s’inspirant du défilement des contenus des réseaux sociaux. Lire notre critique. Quelle Aurore de Soa Ratsifandrihana, avec Bonnie Banane. Dans le cadre de «Vive le Sujet» (série 2). Jusqu’au 19 juillet à 10h30 et 18h00 au JArdin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph. L’interview fournaise Christian Lacroix. Le couturier habille les personnages du Soulier de satin de Paul Claudel, mis en scène par Eric Ruf. Ses costumes-monde déambuleront, de nuit, huit heures durant, dans la Cour d’honneur du palais des Papes, pour les six représentations de la pièce. «Il n’y a rien de plus triste qu’un costume “qui ne joue pas”» Les coulisses Légende photo : «Rinse» d'Amrita Hepi et «le Soulier de satin» d'Eric Ruf. (Christophe Raynaud de Lage ; Jean-Louis Fernandez)
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Le spectateur de Belleville
July 18, 7:32 AM
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Par Thierry Jallet dans Wanderer - 9 juillet 2025 L'enfant de verre, de Léonore Confino et Géraldine Martineau, Présence Pasteur, Avignon OFF 2025 Avignon OFF 2025 : À quelques centimètres de la vérité… Avignon, Festival OFF, Présence Pasteur, Salle Pasteur, dimanche 6 juillet, 14h20 Alors que le Festival d’Avignon s’ouvre en ce premier week-end de juillet, Wanderer reprend ses déambulations allant d’une salle à l’autre, commençant cette année par des spectacles dans le Off qui ont retenu l’attention. C’est à Présence Pasteur que nous nous arrêtons donc pour voir L’Enfant de verre de Léonore Confino et Géraldine Martineau, dans une mise en scène d’Alain Batis avec la compagnie La Mandarine Blanche. On connaît bien les textes de Léonore Confino depuis l’écriture de Building et de Ring en 2011 où, se fondant sur ses observations et sur son vécu personnel, elle traçait déjà finement les contours d’une réalité absurde autant dans le monde de l’entreprise qu’au sein du couple. « Main dans la main » avec Alain Batis, ils abordent ici les non-dits familiaux, les secrets enfouis, défendus au fil des générations, ces fardeaux souvent si lourds à porter dans un silence assourdissant, douloureux, et qui rend chacun, chacune, complice par héritage en quelque sorte. Dans ce projet, ils ont ensuite été rejoints par Géraldine Martineau et sept formidables artistes au plateau déroulant une fable délicate – comme le verre – montrant les corps en mouvement, en jeu, portés par la musique et un texte aux accents poétiques et écrit au cordeau. C’est qu’il y a de l’enchantement dans certaines épiphanies, même parmi les plus douloureuses. Nous en rendons compte ici. Un après-midi sous les nuages et quelques gouttes de pluie est un moment rare pour un premier dimanche de Festival. Il règne dans la cour de Présence Pasteur une effervescence, un enthousiasme contagieux. Les équipes comme les premiers festivaliers sont réjouis. Et le sourire de Léonore Confino qui nous accueille ne dément pas cette joie. Nous pénétrons donc dans la salle et nous installons dans les gradins presque pleins, avec curiosité et entrain pour ce tout premier spectacle auquel nous assistons. Le plateau est recouvert d’une toile blanche plissée – une évocation de l’écume, ou encore du sable, celui qui est constitutif du verre peut-être. Un peu derrière, au lointain, on perçoit de fins panneaux inspirés des travaux de Dan Graham, à l’aspect d’abord réfléchissant qui renvoient une image déformée du public – comme une invitation discrète déjà à regarder notre propre histoire, qui sait ? Tout commence « quelque part dans les mers du Nord », un soir de tempête où le vent mugit et où les vagues s’écrasent avec fracas contre les falaises. Des visages apparaissent derrière les panneaux devenus translucides, faiblement éclairés par une lumière bleutée et tremblante, laissant voir une famille à la recherche de la fille cadette qui a disparu. L’écho des voix porte en résonance quelque chose de cauchemardesque. « Il faut retrouver Liv ». La phrase, simple en apparence, exprime d’emblée une urgence, une nécessité absolue pour la disparue comme pour les siens. La retrouver, le verbaliser apparaît comme l’enjeu d’un retour impérieux à la lumière à travers les panneaux. En chacun, en chacune. « La résilience, j’en ai rien à foutre » dit l’une d’entre eux – perdre Liv n’est par conséquent absolument pas envisageable. La musique pulsatile accompagne cette recherche immobile et paradoxalement si affolée, si haletante. De celles qu’accompagne l’emballement du muscle cardiaque pour une question de survie. Soudain, lumières sur le plateau surplombé d’un lustre en cristal – emblème discret de cette translucidité finement ciselée, dure et pourtant si cassable, suspendue depuis les cintres. Les parents, Frederik et Esther, accueillent des invités pour le mariage de leur fille aînée, face aux spectateurs – certainement promus convives de la noce. Hella se marie avec Nino qui semble avoir tout du gendre parfait. On distribue des sourires, on formule des phrases convenues. Esther – formidable Delphine Cogniard – lâche : « J’ignore pourquoi, j’ai l’impression de ne pas être moi-même ». Cette ouverture en trompe‑l’œil ne trompe presque pas en définitive. Les meubles sont transparents hormis la structure qui les tient debout. La pièce montée, elle-même, n’est pas sans rappeler quelque bronze rapporté d’un Huis-clos sartrien déclassé. Tout paraît faux, y compris pour les personnages eux-mêmes conduits rapidement à une étrange introspection. Les habiles découpes et les superbes rasants conçus par Nicolas Gros dessinent cet espace frappé d’« inquiétante étrangeté », manifestation palpable d’une angoisse sous-jacente au cœur de cet univers familial commun, trop insécurisant néanmoins. La danse endiablée dans laquelle toute la famille se jette à corps perdu, est une autre manifestation de cette dissonance. Jouée avec grande subtilité par Sylvia Amato, Anja, la grand-mère qui perd la tête, se déhanche furieusement, toute de rouge vêtue. Mais Esther vacille sous les yeux du public qui la voit peu à peu plonger dans une crise paralysante, interrompant subitement la fête. Les invités sont renvoyés. La mère est étourdie, tendue, incapable de dire pourquoi : sa maladie nerveuse l’éreinte, éreinte tout le monde – comme le montrent les scènes de flash-back où Frederik amène les filles à la plage pour la laisser se reposer, celle où il va jusqu’à s’emporter contre elle, impuissant devant ce mouvement dévastateur qui emporte la famille au cœur d’un tourbillon invisible et redoutable. C’est aussi au cours d’une de ces scènes que l’on découvre comment Nino – Mathieu Saccucci au jeu mesuré et troublant – est entré dans la famille en livrant les médicaments à Esther. De même, on comprend comment il rencontre Hella qui a simplement le même âge que lui – le coup de foudre ne semble pas instantanément avoir eu lieu… Un lien solide unit les femmes de la famille qui se le passent les unes aux autres : c’est une mésange en verre que la mère d’Anja lui a laissée avant de partir sans jamais plus revenir. Et cet objet dont on devine immédiatement la forte charge symbolique se transmet de mère en fille, se transmet entre sœurs. Il n’est pas garant d’un savoir-faire traditionnel, pas davantage porteur de puissance. Il est transparent, dur, cassant, fait de ce sable balayé par le vent sur les plages des mers du Nord et que Pio transforme en verre, comme son grand-père avant lui. Il est conservé au cœur de la nuit et on le perçoit derrière le panneau central rendu à peine translucide : Liv – Yasmine Haller, merveilleuse dans ce rôle – le soulève alors qu’elle au lit. Il est la beauté mais surtout le mystère, qui tient à distance des mots aux vertus libératrices rendus atones. Il est le gage de l’enfermement dans le silence, du maintien dans l’ombre. Surgie du texte de Léonore Confino et Géraldine Martineau, cette image d’une grande force évocatrice est brillante et donne au spectacle une dimension allégorique aussi gracieuse que signifiante. Le lendemain des noces cependant, Liv qui est manifestement très troublée, fait comprendre – sans le dire distinctement, les mots sont encore empêchés – qu’elle a cassé la mésange de verre au cours de la nuit. Que s’est-il passé ? On le découvrira de manière feutrée, derrière les panneaux translucides, dans une lumière faible et blafarde. Liv a désormais un secret elle aussi – un nouveau secret dans la famille où ce silence reste une valeur cardinale très résistante. Cependant, avec le soutien de Pio, le seul à voir les morceaux de verre dans la plaie qui « s’infecte », elle va réussir à parler. Un peu d’abord mais on ne la comprend pas. Pio sent pourtant qu’elle « [tait] quelque chose de grave ». Et c’est alors que le Vieux Souffleur – formidable marionnette sur un fauteuil roulant, manipulée par Anthony Davy qui interprète justement Pio, son petit-fils – révèle le secret de la mésange lié à la disparition de la mère d’Anja. Ainsi, on mesure le poids de cette terrible disparition dans l’histoire familiale au cours de cette scène formidablement jouée. Et comme la parole a jailli, rien ne semble désormais pouvoir l’arrêter. Liv a disparu mais tous la recherchent. L’habile composition dramaturgique de la pièce permet de revenir à ce qui a ouvert le spectacle : l’énigme se résout progressivement – les phrases qui étaient tues sont désormais audibles. L’écheveau se sera dénoué au fil des ruptures narratives, des retours en arrière, des discrets effets d’annonce – Anja quittant sa perruque après le mariage, visible derrière un panneau, ne laisse-t-elle pas entendre d’une certaine façon que la vérité ne sera pas toujours cachée ? Au fil des ellipses aussi car le creux est un endroit essentiel à la fable ici. L’angle (presque) mort recèle la vérité qu’on ne cesse de frôler. Jusqu’à la révélation finale. Jusqu’à la parole de Liv et jusqu’à la fuite coupable de Nino dans la forêt – lieu sombre et menaçant des contes – comme dans une damnation infinie. L’enfant de verre n’est plus, l’urgence de dire non plus, les secrets se sont évanouis. Reste Liv, une autre mésange de chair et d’os, porteuse d’une parole, d’un bonheur que tous entourent étroitement. On sort ébloui de ce spectacle d’un grand raffinement dans sa dimension plastique, porté par des comédiens à couper le souffle – avec une mention spéciale pour Yasmine Haller, époustouflante. La mise en scène d’Alain Batis transpose avec beaucoup de rigueur et de justesse le texte, comme un exemple tout à fait probant d’un compagnonnage réussi entre les artistes qui ont vraiment « pris le risque de la beauté ». Pour faire entendre l’impossibilité de la parole. Pour dire qu’en brisant le silence de verre, la vérité aussi insupportable soit-elle, n’est jamais loin. Qu’il faut parfois l’affronter sans attendre davantage et que les mots dessus permettent sans doute d’y parvenir un peu plus. Légende photo : La mésange de verre entre les mains de Pio (Anthony Davy)
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Le spectateur de Belleville
July 18, 7:17 AM
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Par Thierry Jallet dans Wanderer - 11 juillet 2025 "Ancora tu", de Salvatore Calcagno et Dany Boudreault, Théâtre du Train Bleu, Festival OFF Avignon, 2025
Avignon, Théâtre du Train Bleu, dimanche 6 juillet 2025, 17h25 Poursuivant nos flâneries festivalières, nous arrivons au Train Bleu où, là encore, la programmation a retenu notre attention. Fondé en 2018 par Aurélien Rondeau, Charles Petit et Quentin Paulhiac, le Ttb accueille chaque année des compagnies pour une programmation exigeante « pluridisciplinaire, ouverte à la diversité et ancrée dans son temps ». On se souvient notamment de Hen, grand succès de l’édition du Off 2019 mais aussi de Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la Journaliste de Jeanne Lazar la même année ou encore Seuil mis en scène par Pierre Cuq en 2022. C’est un nouveau spectacle hors norme qui nous a cette fois encore conduit jusqu’à la rue Paul Saïn : Ancora tu – titre de ce morceau de pop italienne des années 70, inspirée de la disco, entraînante et répétitive – est une performance, un acte artistique singulier, la reconstitution d’une archive rendue vivante à l’image du spectacle, celle de la relation amoureuse entre deux hommes – le metteur en scène et l’acteur – qui vient de se terminer. Loin d’être réduit à son simple regard, le public est donc sollicité « pour faire revivre [la] personne aimée et disparue » désormais. A l’initiative de l’auteur et metteur en scène Salvatore Calcagno, associé à Dany Boudreault, lui-même auteur et acteur, le portrait de l’absent apparaît par l’intermédiaire du captivant Nuno Nolasco, comédien portugais qui entraîne la salle jusqu’à Lisbonne, sur les lieux supposés de l’amour passé, dans les bras de l’amant dont la voix ne cesse de se faire entendre. Et nous avons été résolument conquis. Les spectateurs se précipitent en salle dès l’appel du personnel signalant que le spectacle va bientôt commencer. L’accueil est toujours chaleureux mais l’attention est vite détournée. En entrant, on remarque tout de suite la présence d’un homme, assis à une table. Portant jeans et chemise blanche ouverte à l’encolure, il regarde le public s’installer. La chevelure légèrement poivre et sel, le regard sombre, il est séduisant. Il se lève, reprend sa place, dans une délicate forme d’impatience. On remarque ce qui l’environne dans l’espace de jeu réduit de la salle : au lointain d’abord, une photo au format poster fixée par des morceaux de ruban adhésif blanc. L’image est une vue de Lisbonne. À cour ensuite, un vidéoprojecteur est installé au sol, incliné pour permettre une diffusion au niveau de la photo fixée au mur. Sur la table enfin, des livres empilés, une grande tasse, un paquet de cigarettes et face au comédien, un ordinateur portable ouvert, prêt à l’utilisation. La scénographie donne l’apparence d’une conférence sur le point de commencer et dont le sujet n’est pas net encore. Un autre détail attire l’œil : sur un tableau vertical étroit et haut, à jardin, une liste de mots écrits en blanc et ordonnés en deux colonnes. Parfois, on en dénombre plusieurs sur la même ligne. La liste s’achève par « Les adieux », formule autour de laquelle le comédien vient dessiner de petits cœurs, suivie par la date du jour. Le public est d’emblée placé en tension vers cet espace porteur de questionnements multiples, incluant selon toute évidence une incomplétude que le début du spectacle devrait permettre de réduire. Sans signal particulier, le comédien commence. Il s’appelle Nuno et il est portugais. Il vient de se séparer de l’homme avec lequel il avait conçu le spectacle dans lequel il jouait en tant qu’acteur. Cet homme se nomme Salvatore. Il a « de grandes dents » et « rit toujours pour rien ». Cette première phrase lâchée dans un immense sourire trahit la force du sentiment qui les a unis. Sans attendre, il justifie la présence de la photo au lointain : c’est le lieu de leur rencontre, à Lisbonne. Il poursuit en précisant que Salvatore l’a quitté et qu’il est désormais seul devant le public. Nuno doit d’ailleurs rentrer à Lisbonne à la fin du Festival. Le champ fictionnel se déploie. Il indique alors que chaque jour, il trie les souvenirs de leur histoire d’amour terminée, souvenirs qui sont formulés par entrées dans la liste à jardin qu’on avait repérée à notre arrivée. L’acteur ajoute enfin qu’il va solliciter plusieurs spectateurs pour l’aider dans ce tri : il emportera avec lui, à Lisbonne, ce qui aura été choisi dans la liste tandis que le reste sera « brûlé ». Le projet artistique prend forme sous nos yeux. Lorsque Salvatore Calcagno et Dany Boudreault se sont rencontrés, ils ont conçu une première performance en imaginant ce qu’il se serait passé s’ils étaient tombés amoureux. Ils ont ensuite fait évoluer cette première version vers quelque chose de plus théâtral en implantant la possibilité de leur histoire dans le corps d’un autre acteur. Ainsi, c’est au terme de leur cheminement expérimental que nous nous trouvons face à Nuno Nolasco. Les deux auteurs cherchent en effet à rendre « une intimité performée », celle d’un couple d’hommes qui se sont aimés et qui se sont finalement quittés. Le théâtre devient un catalyseur pour mener une recherche qui positionne sous le regard presque clinique du spectateur, le vécu de la solitude contrainte, celle que l’autre impose quand il s’en va, quand il laisse seulement la sensation d’abandon. Le comédien seul en scène transfigure le projet des deux auteurs en y incluant sa propre sensibilité, sa propre histoire et redimensionne le propos à travers lui. Même si « c’est cruel », il lance sans attendre la sélection avec le choix d’un premier spectateur qui se porte sur « Le sable », éliminant de la liste « L’amour le martin » et « L’épreuve ». Il diffuse alors l’enregistrement de leurs voix, un dialogue qui semble avoir été pris sur le vif, à Lisbonne. « Ça t’a plu de faire l’amour avec moi aujourd’hui ? » entend-on. L’acteur regarde le public, amusé et attendri. La salle est propulsée dans l’intériorité de leur couple, sans que cela soit une confidence pour autant. Sans tentation de voyeurisme non plus, on devient témoin de ce qui s’est joué entre les deux hommes dans leur relation amoureuse et on lui confère de cette manière une nouvelle densité. On lui offre une réalité à proprement parler par l’intermédiaire de la performance artistique. L’archive vit et fait en quelque sorte revivre l’amour qui les a uni. Nuno Nolasco est radieux, il sourit. La mémoire réactivée dans l’acte artistique est une forme de magie qui permet le temps retrouvé proustien, on le sait bien. « Je ne pensais pas qu’on pouvait avoir cette ouverture-là, cet abandon-là » ajoute-t-il. Le temps retrouvé fait donc ouvrir les yeux. Les enregistrements s’enchaînent au fil des choix du public – parfois guidés par l’acteur qui considère que les souvenirs restent trop courts et qu’on peut les rassembler ou bien, à l’inverse, qu’il faut les couper parce que trop longs. Les voix résonnent. Celle de l’acteur se superpose à celles enregistrées, en français, en anglais, en portugais. La mémoire en action se réactualise en permanence au fil des étapes de la liste. Rien n’est écarté au nom de la bienséance. On entend : « Mon cul te réclame ». Le pornographique perd ainsi toute sa subversivité pour que ne demeure que l’intime dans la salle de théâtre silencieuse, transformée en lieu du témoignage et de l’existence de ce qui a été et qui, l’espace d’une heure, redevient au présent. Dans le désordre, l’appartement où ils ont vécu à Lisbonne ; la musique de Robyn, le tableau représentant Clytemnestre juste avant d’être assassinée par Oreste – « on a baisé sous le tableau de notre tragédie annoncée » ; la chemise retirée ; le « soleil noir » de la mélancolie qui les assombrit tous deux et en fait des « jumeaux cosmiques » ; les lamentations de Didon dans l’opéra de Purcell ; le costume pour la fête de quartier ; la poésie – celle de Genet, d’Aragon ou encore le bouleversant poème de Sophia de Mello Breyner Andersen intitulé « Quando » que Nuno lit lors des obsèques de sa mère ; les images projetées – celle sur laquelle est censé figurer « le bronzé », cet homme âgé dansant sur Rihanna et espérant un regard « qui remplit et qui vide » faisant prendre conscience du temps qui passe – cette tragédie ; la cigarette fumée dans le vestibule de la salle éclairé par un néon vertical : tout fait sens et matière afin de faire revivre ce qui a disparu, celui qui n’est plus là. Comme dans une forme de deuil sublimé dans la forme artistique choisie ici, la mémoire est partagée avec les spectateurs qui peuvent y inclure la leur – cette histoire appartient à tous et peut probablement croiser celle de chacun, de chacune. Dany Boudreault affirme que « toutes les histoires d’amour sont des fictions » et que cet « amour opère tant et aussi longtemps que deux personnes consentent à la même fiction ». C’est pour cette raison que le théâtre devient le lieu où l’expérimentation menée ici peut s’installer, où elle peut pleinement s’incarner et réaliser l’archive de ce qui a disparu, la faire vivre dans le présent de la performance. On sort convaincu et troublé par ce voyage esthétique dans l’intimité fictive de Nuno et Salvatore, dans l’intimité universelle de l’amour passé, dans l’épreuve du manque comme de la solitude qui concernent tous les êtres à un moment de leur existence. Et, à travers le souvenir persistant des lumières de la boule à facettes, on entend encore au loin les paroles de la chanson de Lucio Battisti. Ancora tu. Non mi sorprende lo sai. Ancora tu. Ma non dovevamo vederci più ? Crédits photo : "© Antoine Neufmars
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Le spectateur de Belleville
July 18, 5:21 AM
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Par Thierry Jallet dans Wanderersite - 17 juillet 2025 Le Dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing, de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, Théâtre du Train Bleu, Festival OFF Avignon 2025
Avignon, Théâtre du Train Bleu, jeudi 10 juillet 2025, 21H25. De retour dans le Off, on quitte la salle 2 de la rue Paul Sain où on a vu Ancora tu il y a quelques jours, pour gagner un lieu délocalisé du Ttb à l’autre bout de la ville car c’est dans les jardins de l’ancien carmel, rue de l’Observance que nous allons voir le troisième volet de Huit Rois (nos présidents) par la Compagnie des Animaux en Paradis. Après La Vie et la mort de Jacques Chirac qui retrace le parcours du président en interlocution notamment avec son chauffeur, après Génération Mitterrand qui fait apparaître les espoirs et désillusions d’un électorat ayant évolué depuis les deux mandats du président socialiste, voici Le Dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing écrit par Julien Campani et toujours Léo Cohen-Paperman, également à la mise en scène. La « série théâtrale » commencée il y a trois ans se poursuit donc et c’est une fois encore une grande réussite. Au fil des spectacles, les portraits s’enchaînent sans complaisance et, pour autant, sans charge démesurée contre eux. Chaque fois, on y présente ces personnalités connues dans un régime entre la monarchie et la république avec la chronique d’une famille « sur quatre générations » et la marche de « la société française de 1958 à 2027 ». Quelque part entre « Les Rois maudits », le documentaire sociologique et « Au théâtre ce soir ». Après avoir assisté à ce dernier volet enlevé et remarquablement interprété, nous en rendons compte ici. Toujours accueilli avec la sympathie des équipes du Ttb, on serpente à travers les allées du jardin situé dans la rue de l’Observance, suivant un itinéraire balisé et avec le renfort utile du personnel. On est tout près des remparts et l’atmosphère de l’endroit dans la pénombre du crépuscule, sous le chant persistant des cigales, invite à la surprise. Et c’est bien une surprise de découvrir en avançant sur ce chemin de terre, un gradin à la cime duquel se trouve une régie avec un plateau frontal en contrebas. De nombreux spectateurs ont déjà pris place et on perçoit beaucoup d’enthousiasme dans les rangs, ce qui laisse penser que le spectacle est attendu. Une fois installé, on observe par le détail le plateau à vue, finement élaboré par la scénographe Anne-Sophie Grac dans un souci manifeste de réalisme. L’espace restitue l’intérieur de ce qui pourrait être une maison normande à colombages. Le panneau du fond de scène est percé de trois portes de jardin à cour : une qui mène à la cuisine ; une autre vers les toilettes – Anne-Aymone s’y rendra très souvent – une dernière enfin vers ce qui est supposé être l’extérieur de la maison, dans un hors-scène où est garée la SIMCA de Michel qui « fume blanc » et qui « tète à 13 au 100 ». Sur ce panneau figurant le mur de la maison, sont accrochés différents objets dans un évident souci de précision, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les décors particulièrement léchés de Roger Harth pour la très emblématique émission de télévision des années Giscard, « Au théâtre ce soir ». À cour, on remarque une tête de sanglier empaillée, entre deux patères et près des fusibles apparents – qui vont sauter dans une scène endiablée de queue leu-leu à la bougie, montrant le temps des restrictions imposées par le giscardisme ; au centre du panneau, un crucifix entre la porte vers l’extérieur et les toilettes, figuration allégorique de la religiosité dans la France de l’époque ; plus à jardin, un fusil de chasse et des assiettes décoratives comme autant d’objets aujourd’hui désuets mais reflétant la ruralité des années 70. Devant ce panneau, une table imposante est dressée avec nappe et vaisselle immaculées – six couverts sont disposés de sorte que les personnages seront placés face au public. Tout indique qu’on se trouve dans un lieu de fête d’où hôtes et convives sont pour le moment absents, comme une sorte de diorama digne d’un musée de l’habitat local. Pour finir, on remarque à l’avant-scène la présence d’un parc pour enfant en bas âge à cour, et celle d’un poste de télévision à jardin. Il apparaît clairement que ces nombreux éléments plastiques et visuels sont placés sous le regard du public afin de les lui faire vivement remarquer : porteur de sens, le décor occupe par conséquent une place notable dans le spectacle, préparant l’arrivée des comédiens. Un homme en pyjama enfantin entre alors et salue le public pour le prologue – la composition dramaturgique de la pièce est régulière et va suivre le mandat de Valéry Giscard d’Estaing fractionnant une singulière temporalité qui va superposer les années du septennat et les plats du réveillon de la famille Deschamps-Corrini en présence du couple présidentiel. L’homme a pour nom José Corrini et il est né en 1973. Il a donc un an moment où la pièce commence. C’est Julien Campani, co-auteur du texte et formidable comédien, qui joue ce rôle ambigu, positionné à l’avant-scène sous le faisceau d’une poursuite, quelque part entre une enfance dans les années 70 et le moment présent de la représentation, entre le passé et son avenir en définitive. Cette originalité du spectacle retient particulièrement l’attention, soulignant le rigoureux travail d’écriture du texte : il va s’agir pour ce bébé devenu un homme adulte dans le XXIème siècle de la représentation, de relater les événements d’autrefois, de vulgariser avec grande efficacité leur densité politique, économique, sociologique et historique. Une sorte de jeune Alain Decaux d’aujourd’hui, dynamique et truculent, entre jeu et narration, brisant toute possibilité de quatrième mur, annulant toute illusion théâtrale afin que le public reste bien en prise avec cette chronique commentée. La famille va alors apparaître sur scène : d’abord, les parents, Marcel (Joseph Fourez) et Germaine (Morgane Nairaud), couple d’agriculteurs du Calvados ; puis, les enfants, avec la fille des Deschamps, Marie-France Corrini (Pauline Bolcatto), secrétaire chez Alsthom, et son mari, Michel Corrini (Clovis Fouin), ouvrier chez Alsthom lui aussi ; enfin, leur fils, José, que joue Julien Campani. Ce dernier apporte les informations nécessaires au public : les enfants arrivent pour le réveillon 1974 chez les parents, à Cricqueville-en-Bessin dans le Calvados. « Et cette maison, c’est la France. » La phrase clarifie ainsi la démarche adoptée grâce au choix de cette représentation symbolique. Valéry Giscard d’Estaing est joué par Philippe Canales, plus dans l’évocation que dans l’imitation, comme c’était déjà le cas de Julien Campani dans La Vie et la mort de Jacques Chirac. Suivant une approche similaire du personnage, le comédien ici ne cherche pas à reproduire le successeur de Georges Pompidou. Il reprend habilement son phrasé, certains de ses tics de langage aux accents aristocratiques si reconnaissables, pour en faire surgir une plus juste évocation. Le costume et la perruque facilitent la reconnaissance mais là non plus, il ne s’agit pas d’imiter, afin de stimuler la réflexion du public sur le théâtre qui se joue sous ses yeux. Et c’est Gaïa Singer qui interprète avec brio Anne-Aymone Giscard d’Estaing, lui donnant une épaisseur psychologique que le rôle « d’épouse de… » n’avait peut-être pas laissé voir dans les reportages télévisés qui ont pu lui être consacrés. La comédienne la dote tantôt d’une incroyable drôlerie tantôt la place sur le fil de l’émotion, l’humanisant pour mieux révéler à la fois sa condition d’épouse d’un des « Rois » de la Vème, et de femme avec ses forces et ses failles. Marie-France et Michel vont donc rapidement découvrir qui sont les deux mystérieux invités du réveillon. Comme le précise José dans le prologue, le président est « conservateur et progressiste » et son souhait est de regarder « la France au fond des yeux ». C’est pourquoi il va s’inviter « à dîner chez les Français ». L’extraordinaire idée des deux auteurs consiste à ce que le repas dans son déroulé soit l’occasion de reconstituer son parcours. Chaque étape du réveillon renvoie à une prise de parole de José ou à une archive sonore qu’il lance à l’aide d’une télécommande faisant entendre des extraits des traditionnels vœux présidentiels pour toutes les années du septennat. De « Monsieur le Président » à « Giscard ». Bien sûr, Michel le syndicaliste, Marie-France la féministe aux idées socialistes montantes, ne font pas partie de l’électorat de Giscard d’Estaing, contrairement aux Deschamps qui l’accueillent tel un authentique monarque, lui rendant hommage avec force courbettes. Seulement, de la soupe de cresson « façon…mousse » à la galette finale, les déconvenues se multiplient plus que les voix des électeurs et entraînent sa progressive disgrâce. Le réveillon laisse un goût amer dans les bouches autant que dans les cœurs. Les coiffures tombent, les vêtements se froissent, les couverts se désordonnent et le ton monte. Une scène marquante : tous sont assis dans la pénombre, face au public, le couple présidentiel au centre. Les Deschamps comme les Corrini vont tour à tour se lever, se détourner sans un regard pour eux, de la dureté dans la voix pour appuyer leur éloignement. Voilà les effets de l’amertume d’un peuple semble-t-on dire alors. Les chansons populaires de l’époque que chaque comédien entonne scandent cette lente désillusion : depuis « La Ballade des gens heureux » par Giscard lui-même jusqu’à « Attention, Mesdames et Messieurs » que chante José, en passant par l’iconoclaste « Ça plane pour moi » qu’interprète avec une délicieuse fureur Pauline Bolcatto, les événements s’enchaînent poussés par « ce grand vent de nouveauté radicale ». De la crise pétrolière que le président ne jugule pas avec une montée fulgurante du chômage, à la tentative de relance – la drôlissime démonstration de « l’usine à totottes » est exceptionnelle ! – pour glisser vers l’impitoyable rigueur qui fait que « tout le monde a une bonne raison de le détester », le président finit « coincé au centre ». Et tout s’achève après le très connu « au revoir » adressé au public dans l’embrasure de la porte que José claque ensuite violemment sur le président désormais sorti. À travers un savant équilibre entre réflexion et légèreté, les auteurs réussissent pleinement leur pari une fois de plus, sans jamais tomber dans un didactisme trop aride, sans reprendre non plus ce qui a déjà été créé avec les premiers spectacles. Porté par une extraordinaire troupe de comédiennes et de comédiens terriblement engagés, provenant pour plusieurs du Nouveau Théâtre Populaire, Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing offre un de ces moments de théâtre précieux qu’on emporte dans ses souvenirs de festivalier. Un des Rois a vécu puis est en quelque sorte mort sur scène ce soir. Alors vivement le prochain ! Légende photo : La tablée de réveillon avec de gauche à droite Marcel Deschamps (Joseph Fourez), Germaine Deschamps (Morgane Nairaud), Anne-Aymone Giscard d'Estaing (Gaia Singer), Valéry Giscard d'Estaing (Philippe Canales), Marie-France Corrini (Pauline Bolcatto) et Michel Corrini (Clovis Fouin) Crédit photo : © Valentine Chauvin
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Le spectateur de Belleville
July 17, 10:41 AM
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Par le service Culture de Libération - 17 juillet 2025 L’équipe théâtre de «Libé» vous aide à vous y retrouver parmi les 1 724 spectacles du off. Du dancefloor aux lycées en passant par l’industrie musicale, sélection de 10 spectacles. Du 5 au 26 juillet, 1 724 représentations proposées par 1 347 compagnies sont jouées dans quelque 139 théâtres (éphémères ou permanents) du off du Festival d’Avignon. Des chiffres qui font tourner la tête. Comment faire son choix dans cette offre pléthorique ? Il y a les affiches collées sur les grilles et poteaux de la ville, les discussions directes avec les artistes qui sillonnent les rues pour convaincre que leurs spectacles valent le coup d’œil, mais aussi la nouvelle sélection de l’équipe théâtre de Libé que voici. Le metteur en scène raconte avec finesse, par la voix et le chant de Pauline Legoëdec, les hésitations qui précèdent le plongeon avant un coming out. Au fil de la pièce, les corps changent, se mettent à danser, à s’habiller autrement, à raconter de nouveaux modes de vie. Il est difficile de décrire en si peu de temps (une heure !) la joie immense que représente cette liberté que le personnage d’Alex s’accorde. Jusqu’au 24 juillet à 11h45, Théâtre 11 Avignon, 11, boulevard Raspail (84 000). Une heure. ____________________________________________________________ Album de Lola Molina, mise en scène Lélio Plotton, à La Manufacture, Festival off Avignon, jusqu’au 22 juillet. Texte édité aux éditions Théâtrales ____________________________________________________________ C’est quand même la grande question : comment proposer du théâtre documentaire sans que le sujet l’emporte sur l’émotion ? Comment soutenir un propos politique sans faire passer une œuvre artistique pour une conférence TED ? Au Théâtre des Doms, vitrine de la scène belge francophone, le duo formé par Olivier Lenel et Didier Poiteaux met les pieds dans le plat de la fast fashion avec une autodérision bienvenue. Fast- Festival OFF d’Avignon, Théâtre des Doms, 1 bis rue des Escaliers Sainte-Anne (84000). A 10h30 jusqu’au 26 juillet, relâche les mercredis 16 et 23 juillet. ____________________________________________________________ Jusqu’au 20 juillet à la Manufacture à 18h15 (durée 1h15). Dans la sélection suisse. ____________________________________________________________ Il y a au moins une actrice fantastique et inconnue dans nos contrées que le Off permet de découvrir. C’est Zahy Tentehar, jeune actrice autochtone, originaire du village de Cana Brava dans le nord-est du Brésil. Chanteuse, danseuse, Zahy Tentehar, qui est la première actrice autochtone à avoir remporté le prix Shell, le prix de théâtre le plus prestigieux au Brésil- raconte son enfance auprès d’une mère chamane, qui ne s’habitue pas à sa migration en ville. Un seul en scène où l’on apprend à parler de Ee’enge eté et où l’on s’aperçoit que qui que l’on soit, d’où qu’on vienne, sa mère reste pour chacun le plus grand des mystères. Fascinant et bouleversant. Azira’i, mis en scène par Zahy Tentehar avec l’aide de Duda Rios jusqu’au 13 juillet à la Manufacture à 17 h 25 (relâche le 10 juillet). ____________________________________________________________ Elle, c’est Annette Baussart, 75 ans, au centre de la pièce que lui consacre Clémentine Colpin.Une vie de femme qui se raconte. Programmée pour être épouse, mère, et prolo, Annette aura tout fait dévier, avec une conscience qui force le respect. « Annette », c’est la joie de vivre d’un corps en révolution. Annette de Clémentine Colpin au Théâtre des Doms, festival Off jusqu’au 26 juillet. ____________________________________________________________ Avec sa conférence dansée «Décoloniser le dancefloor», Habibitch propose de mettre en PLS n’importe quel élu de notre actuel gouvernement en revenant sur les concepts les plus explosifs des dernières décennies : intersectionnalité, appropriation culturelle, décolonisation, féminisme matérialiste… Les termes sont savamment décrits «car oui j’aime les grands A, petits B, petits C, après tout j’ai fait Sciences-Po», lâche-t-elle sur scène. Décoloniser le dancefloor, Habibitch, jusqu’au 22 juillet au Château de Saint-Chamand, navette 19h15, spectacle 19h40. Relâche le 17 juillet. Retour à Avignon 21h35 en navette. ____________________________________________________________ C’est un texte fait de petits déplacements, légers, un peu comme des pas de boxe. Il dit par exemple que ce qui est inéluctable ce n’est pas l’ordre du monde tel qu’il est, non, ce qui est inéluctable, c’est le changement. Le spectacle musical mis en scène par Anne Conti donneune nouvelle forme au texte puissant de l’autrice sur nos petites soumissions et surtout sur la possibilité de s’en affranchir. Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer de Virginie Despentes, mis en scène par Anne Conti, jusqu’au 26 juillet à 18 heures (durée : 1 heure), à la Scierie (relâche les 8, 15 et 22 juillet). ____________________________________________________________ La neige est blanche est une pièce légère. «Pièce pour une interprète en établissement scolaire» elle doit pouvoir s’implanter dans n’importe quelle salle de lycée. Elle a été pensée pour ça, pour rencontrer un public de l’âge de l’héroïne. Elle est systématiquement suivie d’un moment d’échange après la représentation : et vous, vous feriez quoi ? «Dans les lycées de sport études où nous sommes passées, les jeunes nous ont souvent répondu qu’ils ne préféraient pas y penser, rapporte Galla Naccache-Gauthier. Ils se dirigent souvent vers une carrière de sportifs de haut niveau pour faire plaisir à leurs parents, eux-mêmes anciens champions. Dans les formations de sports de glisse, ils portent aussi toute la pression de leurs profs qui doivent justifier leur existence alors que la neige fond et que comme elle, ils sont voués à disparaître…» La neige est blanche jusqu’au 26 juillet à 11 h 00 à Présence Pasteur. Relâche les 8, 15, 22 juillet (50 minutes). ____________________________________________________________ Sur scène, les deux jeunes filles pourraient sortir des pages d’une BD, sautillantes avec leur sac sur le dos (Louise Bénichou et Marion Brest), et tentent de trouver leur voie de collégiennes : faut-il vraiment croire la redoutée prof de français quand elle affirme qu’on peut aimer lire (et du Chateaubriand en plus) ? On a aimé chez Orain cette manière de prendre au sérieux les vagues d’anxiété des ados (un sur deux y serait confronté selon un sondage Ipsos de 2022) sans en faire un drame - seulement une pièce de théâtre. «En quatrième, j’aurais bien aimé moi aussi qu’un spectacle me dise : ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave», répond-il. Le journal de Maïa, jusqu’au 24 juillet à 9 h 45 au Théâtre du Train bleu. Relâche les 11 et 18 juillet (50 minutes). Légende photo : Le journal de Maïa de Cédric Orain (Photo : Clément Foucard)
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Le spectateur de Belleville
July 17, 3:25 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 16 juillet 2025 Proposé dans le « off » du festival, le spectacle, créé en mars 2024 à Villeneuve-d’Ascq pour deux acteurs, connaît un tel succès que trois duos se succèdent désormais à la distribution. https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/16/a-avignon-l-abolition-des-privileges-poursuit-son-exceptionnel-parcours_6621650_3246.html
Histoire paradoxale d’un succès qui fait du bien, mais ne protège de rien : l’épopée de L’Abolition des privilèges (adapté et mis en scène par Hugues Duchêne à partir d’un roman de Bertrand Guillot) est l’exemple même d’un projet modeste qui a su rencontrer un large public. La raison de cet engouement ? Sa forme souple et son contenu percutant qui, sous prétexte de retracer une séquence historique, tape au cœur de préoccupations contemporaines. La fiction ressuscite la nuit du 4 août 1789, au cours de laquelle représentants du tiers état, du clergé et de la noblesse en finissent avec les privilèges et instaurent l’universalité de l’impôt. Une heure quinze de débats jubilatoires que perturbe l’insertion hilarante de thèmes sociétaux tels que le féminisme, le patriarcat ou encore le « wokisme ». « Le roman décrit un bouleversement politique qui renverse un ordre établi depuis quatre cents ans et prouve qu’il est possible de faire advenir du nouveau. Or, de quelle nuit du 4 août rêvons-nous aujourd’hui ? », s’interroge le metteur en scène qui reprend, à sa manière, le flambeau d’illustres prédécesseurs. Ariane Mnouchkine, Sylvain Creuzevault ou Joël Pommerat ont, avant lui, redonné des couleurs à la Révolution française. Proposé au Train bleu, dans le « off » d’Avignon, dans un dispositif quadrifrontal, avec deux acteurs au plateau, L’Abolition des privilèges nécessite désormais une triple distribution, les comédiens étant dans l’impossibilité d’assurer les représentations prévues dans les mois à venir. Un premier duo a ouvert le festival, le second l’a relayé du 7 au 17 juillet, le troisième fermera le ban jusqu’à la clôture de la manifestation. Ces trois équipes seront sur le pied de guerre pendant la saison 2025-2026, et c’est là l’heureux karma d’une aventure née il y a un peu plus d’un an. Quelque chose d’inédit En mars 2024, lorsque Hugues Duchêne, directeur de la compagnie Le Royal Velours, donne le coup d’envoi de L’Abolition des privilèges au Théâtre de La Rose des vents, à Villeneuve-d’Ascq (Nord), il est loin de se douter de ce qui l’attend. Quelques jours plus tard, à Paris, où le spectacle se reprend dix fois au Théâtre 13, c’est le jackpot : record d’affluence dans la salle. Trois mois plus tard, l’artiste casse la tirelire familiale pour s’offrir un créneau d’exposition dans le « off » du Festival d’Avignon. Le marché est concurrentiel, mais la rumeur, excellente, sait trier le bon grain de l’ivraie. Trois cents professionnels se bousculent à la porte : « Certains n’ont pas pu entrer, ce qui a aiguisé leurs convoitises, dit en souriant le metteur en scène, pas dupe. C’est un spectacle léger et qui ne coûte pas cher : 3 500 euros la session. » En octobre 2024, Léa Serror, la directrice de production, l’avertit : il se passe quelque chose d’inédit : les demandes d’accueil affluent de toutes parts, pas question de décliner les sollicitations. Revers de la médaille : Maxime Pambet, le créateur du rôle principal, ne pourra pas être de toutes les soirées. Duchêne monte donc une équipe B, puis, en janvier, une équipe C. Il anticipe à juste titre : entre mars 2024 et juin 2026, L’Abolition des privilèges devrait cumuler 290 dates de représentation. Un nombre « inespéré et fou » dans un laps de temps aussi resserré. A la croisée des chemins Cette performance, qui rassure l’intermittent en quête de cachets, ne fait pourtant pas de Hugues Duchêne un homme riche. « Je gagnais mal ma vie, je la gagne un peu mieux, mais sans plus. » D’un point de vue économique, l’opération n’est pas une martingale. Venir à Avignon coûte cher. Location de la salle, logements, repas, voyages, communication : la note grimpe à 54 000 euros (assumée par Le Royal Velours et trois autres partenaires). Pour récupérer l’argent investi, il faut vendre 25 dates du spectacle : « Nous y parviendrons. Mais, une fois amorti le coût avignonnais, ce qui restera dans nos caisses ne suffira pas à financer ma prochaine création. » Pour son futur projet, il a besoin de 140 000 euros. Des coproducteurs ont répondu présent, mais ne peuvent, pour l’heure, préciser le montant de leurs apports. La subvention récemment attribuée par la direction régionale des affaires culturelles des Hauts-de-France (25 000 euros annuels pendant deux ans) et l’aide de la région Hauts-de-France ne suffiront pas à boucler le budget : « Je fais avec les moyens de production du théâtre public, et ils ne sont plus ce qu’ils étaient. » S’il admet malgré tout faire « partie des privilégiés du système », Hugues Duchêne est à la croisée des chemins. Réclamé par les directeurs de théâtre, plébiscité par le public, le succès de L’Abolition des privilèges n’a en rien aboli l’incertitude des lendemains qui tremblent. L’Abolition des privilèges. D’après Bertrand Guillot. Adaptation et mise en scène : Hugues Duchêne. Train bleu. Avignon Jusqu’au 24 juillet. Distribution : Maxime Pambet en alternance avec Maxime Taffanel et Oscar Montaz ; et Hugues Duchêne en alternance avec Baptiste Dezerces et Matéo Cichacki. Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE
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Le spectateur de Belleville
July 15, 5:31 PM
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Par Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 15 juillet 2025 L’ancien président de la République, qui avait l’étoffe d’un personnage de théâtre, est évoqué dans deux spectacles à l’affiche du Festival, « Lettres à Anne » et « Génération Mitterrand ».
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/15/le-retour-de-francois-mitterrand-devenu-personnage-du-off-d-avignon_6621383_3246.html
La légende raconte que François Mitterrand (1916-1996), président de la République en exercice, avait l’habitude, au mois de juillet, d’échapper à la vigilance de ses gardes du corps pour débarquer, sans crier gare, au Festival d’Avignon, où le directeur, averti d’un coup de téléphone, lui réservait une place discrète dans les salles obscures. Le spectateur clandestin d’autrefois est aujourd’hui l’un des héros du Festival « off ». Il fait son entrée à pas de loup sur les scènes de deux théâtres. Il s’immisce à la Scala Provence, où Alice Faure dirige Samuel Churin et Céline Roux dans une adaptation des Lettres à Anne (magnifique et impressionnant recueil des courriers de Mitterrand, publié chez Gallimard par Anne Pingeot vingt ans après la mort de son compagnon). Il se glisse aussi au Train bleu, où Léo Cohen-Paperman, son coauteur Emilien Diard-Detœuf et trois comédiens revisitent avec impertinence et lucidité les années fastes, puis crépusculaires qui ont suivi le 10 mai 1981. Deux faces d’un même homme surgissent. L’une intime et privée, l’autre publique et populaire, les deux formant l’envers et l’endroit d’un Mitterrand qui a l’étoffe d’un personnage de théâtre. Sa personnalité, sa vie, ses secrets, ses manœuvres, ses stratégies, son ambition : qu’on l’aborde de l’intérieur ou qu’on le contemple de l’extérieur, il a toute sa place sur les scènes. Du flux ardent des lettres envoyées à Anne Pingeot émerge la figure d’un amant déterminé, dévorateur, et dont le désir relève d’une forme de prédation. Emprise intellectuelle autant qu’amoureuse et sans doute sexuelle : la jeune fille de 18 ans qu’entreprend de séduire Mitterrand n’avait aucun moyen de lui échapper. Samuel Churin n’enlace d’ailleurs pas Céline Roux, qu’il domine de toute sa hauteur. Il la sculpte, la modèle, la soumet à la caresse autoritaire de sa main. Superbe duo qui trouve son point d’équilibre lorsque l’actrice, relevant la tête, abandonne le sourire pour la rage, le hurlement et la révolte. « Laisse-moi partir », lui écrit-elle à 28 ans dans une lettre furieuse (mais qu’elle n’enverra pas). A partir de là, la balance penche vers plus d’égalité. La transposition théâtrale de ce brasier épistolaire souligne la force d’âme identique de deux partenaires qui s’enrichissent mutuellement. Elle s’émancipe peu à peu, il s’enfonce dans la vieillesse. Il a plus besoin d’elle qu’elle de lui. Leur relation et ce qu’en restitue le spectacle, tout, dans ce qui se joue à la Scala, est d’une grande intelligence. Illusions et désillusions Ce même amant consumé par la passion est élu en 1981 président de la République. La fiction mise en scène par Léo Cohen-Paperman a pour point de départ le 10 mai 1981. Jour de liesse pour les trois protagonistes qui se partagent la narration des illusions et des désillusions : un professeur à Vénissieux (Rhône), une journaliste parisienne, un ouvrier à Belfort. Quatre décennies plus tard, en 2022, le temps a fait son œuvre : l’enseignant vote pour Jean-Luc Mélenchon, la journaliste pour Emmanuel Macron, l’ouvrier pour Marine Le Pen. Ce condensé de trajectoires ne travaille pas par hasard sur les clichés. Ces clichés sont la matière première d’une représentation où chaque mot prononcé est familier aux oreilles d’un public quinquagénaire (et plus). Mais, qu’ils aient voté ou non en 1981 (beaucoup de jeunes assistent à la pièce), les spectateurs, de près ou de loin, connaissent les épisodes mis en jeu : la maladie de Mitterrand, sa détestation de Rocard, le tournant de la rigueur, l’entrée du Front national à l’Assemblée nationale, la réélection de 1988, l’Europe enfin. Ces événements, petits et grands, sont entrés dans l’histoire de la France. Ils appartiennent au peuple, sont commentés par la vox populi, qui peut en chanter par cœur les refrains. Assumant plusieurs rôles (leurs personnages, ceux des politiques), les acteurs se mettent au diapason d’une comédie endiablée piquée de politique vivante, à vous redonner le goût du militantisme. Avec son lot de volte-face, de reniements, de ruses, son précipité de cocasseries, cette farce a le rythme d’un vaudeville à la Feydeau. Et le tragique d’un drame shakespearien sur lequel plane, dès les premières lignes, dès 1981, l’ombre d’une mort à l’œuvre. « Lettres à Anne », mis en scène par Alice Faure. Avec Samuel Churin et Céline Roux. La Scala Provence, Avignon, jusqu’au 27 juillet. « Génération Mitterrand », mis en scène par Léo Cohen-Paperman. Avec Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Metral, Hélène Rencurel. Théâtre du Train bleu, Avignon, jusqu’au 23 juillet. Festivaloffavignon.com Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale)
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Le spectateur de Belleville
July 14, 4:38 PM
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Par Rosita Boisseau et Fabienne Darge (Avignon, envoyées spéciales) publié dans Le Monde du 12 juillet 2025 Le danseur et chorégraphe flamenco Israel Galvan et l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib sont réunis dans un joli spectacle dans lequel ils auscultent le rapport aux pères.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/12/a-avignon-israel-mohamed-un-facetieux-duo-d-iconoclastes_6620876_3246.html L’occasion était trop belle. Réunir le danseur et chorégraphe flamenco Israel Galvan et l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib, c’était la promesse d’un titre choc, symbole de vivre-ensemble – et titre un peu trompeur, puisque Israel Galvan n’est pas juif, mais issu d’une famille andalouse appartenant aux Témoins de Jéhovah. Comment les deux compères allaient-ils se dépatouiller avec ça et faire la paire ? On pouvait craindre le pire, un spectacle de circonstance, mais après quelques minutes d’échauffement de ceux qui rêvaient de devenir footballeurs, la question a trouvé sa réponse positive. Israel et Mohamed sont bien assortis et ont offert une jolie surprise, lors de la première au cloître des Carmes, le 10 juillet. A gauche, donc, Mohamed, tee-shirt jaune flashy imprimé « Morocco ». A droite, Israel, en djellaba bleu ciel, gentiment prêtée par le père de Mohamed. Chacun a installé son petit univers, ramassé en quelques objets sur une table en bois surmonté d’un portrait de son papa, en une sorte d’autel. Car ce duo, léger et grave à la fois, ausculte le rapport aux pères, deux pères ogres aussi écrasants que touchants. Présents en vidéo sur le plateau, ils racontent sans fard leur relation complexe avec leurs fils, qui ont taillé leur chemin d’émancipation sans pour autant renier leurs origines. La parole revient au premier, c’est son rayon, il est rompu au théâtre documentaire, qu’il pratique depuis des années. C’est lui qui raconte leurs deux histoires, les liens qui se tissent entre elles, et qu’Israel, taiseux parce que bègue, va incarner par sa danse follement crépitante. Pour Galvan, né dans une famille flamenca traditionnelle, à la tête d’une école à Séville, devenir cet artiste iconoclaste, pourfendeur tranquille des clichés, n’a pas été sans mal. Pour El Khatib, une famille ouvrière de la région d’Orléans, musulmane pratiquante, et un père archi-strict, qui n’hésitait pas à cogner, et n’envisageait pour son fils que la place de premier de la classe. Un père pour qui le théâtre n’était pas une option. Veine expérimentale et burlesque La lutte pour le choix d’être soi explose dans le zapateado (frappes de pieds) de Galvan. Plus que jamais intrépide, en bottines, chaussures à crampons et babouches – encore un cadeau El Khatib ! –, Galvan pique et repique à la veine expérimentale et burlesque qui est la sienne depuis plusieurs années. S’écraser un œuf sur la tête ne lui fait pas peur tant son art puise au plus profond, au plus tragique de son être. Alors qu’il se met autour du cou les dizaines de médailles en or récoltées dans les concours et festivals de danse, au risque de s’en étrangler, il souligne aussi combien ces prix n’ont pas compensé pour son père, gardien de l’orthodoxie flamenca, sa sidérante liberté. Chez Mohamed El Khatib, l’adresse au géniteur est moins rageuse, tout en étant sans concession, au fil d’une longue (trop, peut-être) lettre au père inspirée de celle, célèbre, de Kafka. Le filtre de la distance et de l’humour n’entrave pas l’analyse au rasoir d’une vision patriarcale du monde : « Avec tes amis, tu disais : “Les enfants, il faut les dresser” », constate, désolé, le fils. Ce qui n’empêche pas une certaine tendresse d’affleurer dans ce duo « sol y sombra », où la lumière et l’ombre se distribuent de l’un à l’autre des protagonistes en permanence. Avec l’humour en trait d’union, cet Israel & Mohamed s’offre une merveilleuse apparition, celle de la coupole d’une mosquée posée sur les pierres du cloître. Un pied de nez facétieux parmi d’autres à toutes les orthodoxies. Israel & Mohamed, par Israel Galvan et Mohamed El Khatib. Cloître des Carmes, jusqu’au 23 juillet. Rosita Boisseau et Fabienne Darge (Avignon, envoyées spéciales du Monde) Photo extraite du spectacle « Israel & Mohamed », avec Israel Galvan et Mohamed El Khatib. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON
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Le spectateur de Belleville
July 14, 4:20 PM
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Par Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 14 juillet 2025 Le comédien belge donne toute l’intensité de son jeu dans une pièce aux allures de western contemporain.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/14/au-festival-off-d-avignon-felix-vannoorenberghe-enthousiasme-dans-la-s-ur-de-jesus-christ_6621173_3246.html
Dès que Félix Vannoorenberghe revêt, en arrivant sur scène, une robe rouge écarlate en hommage à l’héroïne de La Sœur de Jésus-Christ, le public est saisi par l’intensité de sa présente et la puissance de sa narration. Impossible de décrocher de ce récit qui nous plonge dans un village du sud de l’Italie où Maria, la sœur de Simenone (surnommé « Jésus-Christ »), va s’emparer d’un pistolet rangé dans un tiroir de la cuisine familiale, sortir de la maison et se rendre, sans un mot, chez Angelo, l’homme qui l’a violentée la veille. La prestation de ce jeune comédien belge est si étincelante qu’on a la sensation tenace de découvrir un futur grand nom du théâtre. Accompagné de la musicienne Florence Sauveur, Félix Vannoorenberghe nous entraîne, comme dans un long travelling, dans un récit captivant aux allures de western contemporain. A l’image de cette foule de villageois (les gars du chantier, les chasseurs, les bikers, les femmes jalouses de sa beauté, les enfants, etc.) qui va suivre ou invectiver Maria, jeune femme à la détermination imperturbable, le spectateur est pris dans un suspense, dans le besoin de comprendre pourquoi elle a décidé de prendre une arme, comment cette violence a pu se développer dans un silence collectif coupable. Félix Vannoorenberghe est à la fois le narrateur et le reflet de la communauté villageoise à laquelle il donne vie à travers une multitude de costumes qu’il endosse puis suspend au fur et à mesure de l’histoire à l’arrière-scène pour figurer le cortège des habitants. « Je suis comme un observateur qui a assisté à une histoire tellement dingue qu’il a besoin de la raconter en faisant vivre tous ses protagonistes », résume, hors scène, Félix Vannoorenberghe. « Plonger dans la parole » A 30 ans, ce comédien au visage juvénile, au corps longiligne et à la voix profonde et douce – croisé notamment dans quelques séries télévisées (Hippocrate, Salade grecque) – a suivi à la lettre les conseils du metteur en scène Georges Lini (1966-2025) : « Plonger dans la parole », travailler le texte comme une « partition de musique » et l’accompagner d’un « investissement physique ». Le résultat est tellement saisissant que La Sœur de Jésus-Christ a déclenché un bouche-à-oreille immédiat. Le spectacle fait salle comble. Mais cet Avignon qui pourrait être « de rêve » a une dimension « absurde », lâche le comédien. Parce que Georges Lini, l’artisan de ce succès, « n’est plus là ». Privilèges abonné Emporté par un cancer à l’âge de 58 ans, ce metteur en scène, personnalité réputée de la scène belge, est mort le 27 juin. « C’était mon mentor, on travaillait ensemble depuis huit ans, il m’a vraiment appris mon métier. » Félix Vannoorenberghe n’oubliera jamais cet e-mail reçu un soir de 2017, « à 0 h 11 », précise-t-il, dans lequel Georges Lini lui proposait de jouer dans La Profondeur des forêts, de Stanislas Cotton (pour lequel il recevra, en 2018, le prix Maeterlinck de la critique, catégorie meilleur espoir).iuge Alors étudiant en dernière année de l’Institut des arts de diffusion (IAD) à Louvain-la-Neuve (Belgique), Félix Vannoorenberghe avait passé le matin même un examen. Georges Lini était membre du jury et l’a tout de suite repéré. Leur collaboration, au sein de la compagnie belge Belle de nuit, n’a jamais cessé. Désormais, il s’agit, insiste le comédien, de « faire honneur à son travail ». Ce que son élève réussit pleinement. « Avignon, le lieu saint du théâtre » La Sœur de Jésus-Christ fait partie de la « trilogie des Antigone » imaginée par Georges Lini. Le premier chapitre, Iphigénie à Splott, avait déjà été l’un des succès du « off » d’Avignon en 2023 et avait révélé le talent de Gwendoline Gauthier. « Il était toujours à la recherche de la beauté dans ce monde dégueulasse, se souvient Félix Vannoorenberghe, et avait engagé plusieurs jeunes comédiens et comédiennes ces dernières années. » Après soixante dates de tournée en Belgique, La Sœur de Jésus-Christ enthousiasme désormais le public avignonnais, qui se presse au Théâtre des Doms, vitrine de la création belge francophone. « Avignon, c’est un peu le lieu saint du théâtre, la porte d’entrée française pour les compagnies belges. C’est la première fois que je viens à ce festival en tant que comédien. Je l’avais découvert, en tant que spectateur, à l’âge de 18 ans, grâce à un cadeau de ma mère. » Institutrice, c’est elle qui, en inscrivant son fils très jeune dans une école municipale de musique et de théâtre, a semé chez lui la « première graine » du virus du théâtre. Une « seconde graine » est venue s’ajouter à l’adolescence, grâce à la découverte des spectacles d’Hamadi El Boubsi. « Des claques théâtrales qui m’ont tour à tour ému, émerveillé, secoué, changé », se souvient le comédien. Cette fois, grâce à son talent, à la délicatesse de l’accompagnement musical imaginé par Florence Sauveur et à la force du texte de l’Italien Oscar De Summa, qui n’est pas moralisateur, mais pose des questions sur les racines et les ressorts de la violence, la « claque théâtrale », c’est lui. Voir le teaser vidéo La Sœur de Jésus-Christ, d’Oscar De Summa, texte français : Federica Martucci, mise en scène : Georges Lini. Avec Félix Vannoorenberghe et la musicienne et compositrice Florence Sauveur. Festival « off » d’Avignon, Théâtre des Doms. Jusqu’au 26 juillet. Tarifs : de 14 € à 21 €. En tournée en Belgique et en France à partir de 2026. Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE
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Le spectateur de Belleville
July 14, 5:29 AM
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Enquête de Joëlle Gayot / Le Monde du 13 - 14 et 15 juillet 2025 Malgré les difficultés financières, nombre de collectivités, de bords politiques divers, maintiennent, voire amplifient, leur appui au secteur artistique. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/14/ces-elus-locaux-qui-soutiennent-la-culture-envers-et-contre-tout_6621056_3246.html
Soutenir ou ne pas soutenir la culture ? Et, si oui, comment et pourquoi le faire dans un contexte économique si tendu que chaque euro sorti des caisses des collectivités territoriales est pesé, soupesé et scruté à la loupe ? Alors que des élus locaux de tout bord, contraints par leurs budgets en berne, diminuent leurs aides aux structures culturelles, d’autres responsables politiques, venus du centre, de la droite ou de la gauche, jouent une autre partition. Ils se battent pour maintenir les crédits alloués à la culture. Ne sacrifier, donc, ni la création, ni l’émergence, ni, en bout de chaîne, le public en quête d’un art qui le bouscule et l’émancipe. Cette décision transpartisane, qui se traduit par une sanctuarisation, voire – plus rare – par une augmentation des subsides accordés, découle d’un vrai choix politique. Le mot n’est pas galvaudé, avec comme moteurs puissants à cette mobilisation pour les artistes et la liberté d’expression, la lutte contre le complotisme, les fake news, la censure ou l’essor de l’extrême droite. Maintenir le niveau des subventions culturelles, quand il serait facile d’arguer de priorités supérieures, telles que la sauvegarde de l’hôpital, de l’école ou des transports, et alors que le gouvernement cherche encore 40 milliards d’euros d’économie sur le budget 2026, témoigne d’un engagement qui va au-delà de la posture. « Si, dans les Hauts-de-France, nous y parvenons, alors tout le monde peut le faire », estime Xavier Bertrand (Les Républicains, LR), qui plaide pour une refonte du socle éducatif : « Il faut que, en son cœur, soit placée l’éducation culturelle et artistique. C’est un chantier présidentiel en soi », insiste-t-il. A la tête du conseil régional des Hauts-de-France, il a, depuis son élection en 2016, porté son budget de la culture de 76 millions d’euros à 115 millions d’euros. « Nous ne partions pas d’une page blanche, mais nous l’avons augmentée de deux tiers, ce n’est sûrement pas pour faire aujourd’hui marche arrière », assure celui qui ferraille depuis près de dix ans avec l’opposition du Rassemblement national (RN) : « Le nombre de fois où ils ont affirmé qu’il ne fallait pas voter des aides à des festivals, car on y déclamait des vers trop crus d’Apollinaire ! Culture ne rime pas avec censure, sauf pour le RN. » Elle ne rime pas davantage, à l’en croire, avec le refrain dévastateur du « non-essentiel » seriné pendant le Covid-19, et qui a relégué les rencontres entre l’art et le public à l’arrière-plan des préoccupations gouvernementales. Un Etat aux abonnés absents « La crise sanitaire a été un déclic, renchérit Cécile Helle, la maire (Parti socialiste, PS) d’Avignon. Nous avions accès aux lieux de consommation, mais pas à ceux de culture. Cette privation m’a interpellée sur l’image de société qui était alors renvoyée. » Deuxième confinement oblige, à l’automne 2020, l’édile a vu se profiler le spectre d’une France sans théâtres, sans musées ou sans cinémas. « Ce n’est pas cela que l’on veut pour notre pays et notre République », proteste-t-elle. Alors que la 79e édition du Festival d’Avignon a démarré, samedi 5 juillet, Cécile Helle rappelle que, derrière la « carte postale » d’un Palais des papes chauffé par le soleil, 30 % de ménages vivent au-dessous du seuil de pauvreté dans sa ville. C’est à cette population-là, plus qu’aux spectateurs qui battent le pavé du « in » et du « off », qu’elle veut prouver à quel point la culture est vitale. Elle y consacre 18 millions d’euros par an ; soit 10 % de son budget de fonctionnement. Elle inaugure des bibliothèques de proximité dans les quartiers populaires, a fait ouvrir, en juin, un sixième musée municipal. L’accès à ces établissements est libre. Si la gratuité n’est pas la recette miracle, « c’est une manière d’affirmer que la culture est généreuse », précise-t-elle. Et désireuse, qui plus est, de se délocaliser au-delà des remparts d’Avignon. Des mairies aux communautés de communes, des départements aux régions, la décentralisation se met en ordre de marche pour prendre le relais d’un Etat parfois aux abonnés absents. Quand elle ne se substitue pas à lui, en jouant les pompiers de service. « On sent monter des crispations, des tensions, des appels au secours », note Loïg Chesnais-Girard, président (divers gauche) du conseil régional de Bretagne. Si cette région n’est pas une « arche de Noé » pratiquant « l’open bar », cet élu social-démocrate a posé la culture comme « non négociable dans les arbitrages budgétaires de sa collectivité ». L’enveloppe de 28 millions d’euros n’a pas faibli depuis 2017. C’est peu au regard du budget total de la collectivité (2 milliards d’euros), mais essentiel sur le plan symbolique. « Le message que nous adressons au monde culturel breton est celui d’une volonté politique intangible. » La sienne se heurte tout de même à un Etat qui concentre à Paris, regrette-t-il, la majorité des ressources. « On nous dit : “Assumez, gérez, menez de grandes politiques publiques”, alors que l’on ne dispose que d’une pince à épiler, soupire M. Chesnais-Girard. Il faut redonner des capacités et des moyens financiers aux élus locaux. Les décisions doivent se prendre dans les territoires. » Une décentralisation qui se réinvente depuis sa base ? L’hypothèse pourrait faire son chemin. Les élus locaux, ajoute le président breton, « savent travailler avec des contraintes, n’ont pas droit aux déficits et peuvent mener des politiques de temps long ». Mutualiser les moyens Alors que les ministres de la culture se succèdent – cinq sous la présidence d’Emmanuel Macron –, les maires ou les présidents de région s’installent, eux, dans la durée. Cette stabilité peut-elle être un atout ? « Avoir une politique nationale est important, mais c’est aussi aux collectivités, quel que soit leur périmètre, de faire des efforts », poursuit Carl Segaud, président (LR) de l’intercommunalité Vallée Sud Grand Paris. Onze communes maillent le territoire dont il a la gestion depuis janvier. Soit onze maires aux couleurs politiques diverses, mais qui savent taire leurs divergences pour se souder autour d’une « offre culturelle qualitative ». L’intercommunalité investit 12 millions d’euros pour ses huit théâtres, plus de 20 millions pour ses huit conservatoires, 5 millions pour les quatre médiathèques. « Ce pourcentage important de notre budget n’est pas remis en cause », se félicite M. Segaud, qui étudie, avec ses partenaires, la meilleure façon de mutualiser les moyens et d’optimiser les coûts. Au nord-ouest de Paris, Patrice Leclerc, maire (Parti communiste) de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), associe le pragmatisme aux idéaux. « Il faut démontrer que l’être humain a besoin de pain et d’imaginaire, mais il faut aussi créer de la compensation culturelle pour les milieux populaires », prévient-il en revendiquant la nature « utilitariste » de son apport. Il n’a pas ôté 1 euro au budget de la culture. Où est-il allé chercher des ressources ? Il a augmenté la taxe foncière, sollicité des entreprises de Gennevilliers pour financer des opérations culturelles, limité à trois le nombre des agents de la police municipale. Ces solutions ne sont pas du goût de tous les électeurs ? Peu importe. Elles s’élaborent au cas par cas. Un exercice de fine couture, que supervise un maire convaincu que « la liberté de création » est à défendre pied à pied. Et d’autant plus qu’approchent des échéances municipales, en mars 2026. « Du jour au lendemain, tout peut être cassé. Couper les vivres est rapide, reconstruire une action culturelle beaucoup plus difficile, s’inquiète M. Leclerc. Or, le populisme et le poujadisme de la pensée qui se développent dans ce pays constituent un risque sérieux. » Quarante millions d’euros : c’est le montant stable dont dispose, à Dijon, Christine Martin, adjointe d’une mairie socialiste, chargée de la culture. « Ce n’est pas mal », admet celle dont la mission est de maintenir à flot une barque qui prend l’eau dès que les partenaires (région ou département) se désengagent. « Je ne tire sur aucune ambulance, mais, pour certains de ses équipements, la ville est assez seule. » Mme Martin active la sonnette d’alarme. Dans sa ligne de mire, une dérive insidieuse qui voit des collectivités se retrancher derrière leurs déficits pour évacuer des projets culturels dont elles ne cautionnent pas les contenus. « Ce manque financier leur autorise des choix qui, en réalité, peuvent être plus idéologiques qu’économiques. » Le risque ? « Une pensée dégradée », « une censure financière », l’essor d’un divertissement sans aspérités et des portes qui se referment devant l’émergence ou la création. Or, note l’élue, « si vous ne donnez pas les moyens aux gens de s’exprimer, ne s’exprimeront que ceux qui en auront les moyens ». Certains élus s’indignent aussi de voir la culture sacrifiée au motif qu’elle ne figure pas parmi les compétences obligatoires des collectivités. « Mes collègues se posent-ils la question de compétences qui ne sont en rien obligatoires et pour lesquelles ils consacrent parfois beaucoup d’argent ? », s’agace Stéphane Troussel, président (PS) du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Entre 2021 et 2025, il a hissé son budget de la culture de 18,8 millions d’euros à 20 millions d’euros. « J’assume cette priorité dans un contexte où l’extrême droite approche des portes du pouvoir. » Ce n’est pas que la Seine-Saint-Denis soit riche. Mais M. Troussel refuse de plier face à des chiffres dont il connaît la teneur par cœur : « La sous-compensation par l’Etat de mes dépenses sociales ne date pas d’hier. » Son projet est d’une franche netteté : faire de la culture un levier pour les politiques qu’il développe en matière d’éducation, de solidarité, de transformation de l’espace public. La replacer au centre de l’arène, parce qu’elle « n’est pas un supplément d’âme, mais un service public à part entière ». C’est dire si l’art, en Seine-Saint-Denis, n’est pas satellisé vers les confins d’un superflu que l’on raie d’un trait désinvolte. L’élu n’en démord pas : la gauche doit se réemparer de la bataille culturelle. « Si les réactionnaires en sont là aujourd’hui, c’est parce qu’ils n’ont jamais cessé de la mener », déplore-t-il. Cette bataille fut, autrefois, au centre du projet présidentiel de François Mitterrand, lorsque, candidat à l’Elysée, il proposait aux Français, en 1981, d’être, avec lui, « les inventeurs d’une culture, d’un art de vivre, bref d’un modèle de civilisation ». Lointaine époque, il est vrai, mais qui s’envisageait alors de belle et enthousiasmante manière. Joëlle Gayot / LE MONDE Illustration : Yasmine Gateau
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Le spectateur de Belleville
July 2, 7:58 AM
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Charlie Barreira dans L'Humanité - Publié le 24 juin 2025 Valérie Donzelli filme la mise en scène de la dernière pièce de théâtre d’une promotion du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris dont la volonté est de briller sur les planches. Un régal.
La réalisatrice, comédienne et scénariste Valérie Donzelli a tenté, en 1996, le concours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Elle l’a raté. En 2023, elle y est revenue, après une carrière déjà bien remplie, pour y donner une masterclass. Elle y rencontre Clémence, une des élèves. Un an plus tard, la jeune femme contacte la réalisatrice. Un sentiment d’urgence la traverse alors qu’elle s’apprête à monter sa dernière pièce dans le cadre de sa formation. Elle demande à Valérie Donzelli de filmer l’ensemble de cette mise en scène. Le documentaire transporte le spectateur dans les coulisses avec un groupe d’élèves de dernière année du conservatoire, de la première lecture du texte jusqu’à la dernière représentation. En parallèle, on découvre un à un les comédiens. Ils racontent leurs parcours singuliers, tous liés par le désir ardent de devenir acteurs. Pendant toute la durée du film, on traverse avec eux tous ces mois de préparation, ponctués de doutes, d’inquiétudes, et surtout d’une rage inépuisable d’exister. Une création à deux voix Valérie Donzelli et Clémence narrent et commentent les différentes étapes de la création, chacune avec son propre regard. Clémence vit la fin d’une étape, un grand tournant dans sa vie de jeune femme. Valérie, de son côté, revit une jeunesse qu’elle a quittée, avant de traverser sa vie d’adulte, avec ses promesses et ses difficultés. Toutes deux se rejoignent dans une forme de peur, celle de disparaître. C’est pour cette raison que le film existe, pour la postérité de ces deux femmes dont les chemins se sont séparés aux portes du conservatoire. À ses acteurs, Clémence, avant la dernière représentation, ne donne qu’un mot d’ordre : « Faites les sentir vivants. » C’est un documentaire qui transporte et qui transmet cette envie de monter sur les planches. Rue du conservatoire, Canal Plus, mercredi 25 juin, 22 h 35.
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Le spectateur de Belleville
July 20, 6:57 AM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde - Publié le 20 juillet 2025 Le dernier tome du journal du grand dramaturge suédois, mort du Covid-19 en 2021, révèle un créateur âgé qui, tant bien que mal, a appris à se supporter.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/livres/article/2025/07/20/journal-d-un-ecrivain-2019-2020-lars-noren-en-paix-fragile-avec-lui-meme_6622374_3260.html
« Journal d’un écrivain 2019-2020 » (En dramatikers dagbok 2019-2020), de Lars Noren, traduit du suédois par Johan Härnsten et Amélie Wendling, La Place, 250 p., 23 €. Lars Noren tenait son journal depuis 1977. Il lui était aussi indispensable que de respirer. Le Covid-19 y a mis fin : Lars Noren en est mort, le 26 janvier 2021. Il était l’auteur dramatique suédois le plus important depuis August Strindberg (1849-1912), et son nom avait circulé parmi les possibles lauréats du prix Nobel de littérature, en 2019. Le cinquième et dernier tome de ce passionnant journal, qui paraît en français, s’ouvre à l’automne de cette année-là. Il fait état de la polémique qui entoure le choix d’attribuer le prix à Peter Handke, à cause de son soutien au président serbe Slobodan Milosevic (1941-2006), inculpé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Lars Noren juge ces prises de position « affreuses », mais il s’interroge sur la « limite entre l’aveuglement moral et la responsabilité personnelle de l’horreur. C’est cette limite qui doit être examinée », écrit-il, le 12 octobre. Le 12 décembre, il se sent « glacé » par la « haine crue contre Peter Handke ». « Bien sûr, Handke est coupable d’une ambivalence dévastatrice dans ses déclarations, et peut-être devrait-il s’en excuser. Mais comment adresser à une personne haineuse des mots d’excuse. » Sans point d’interrogation. Il n’y en a aucun dans ce journal où les phrases s’enchâssent les unes dans les autres, comme des instantanés. Pour Lars Noren, écrire chaque jour ou presque revient à « se souvenir des photos prises dans une vie (…), comme une croix rouge sur les endroits où nous avons été assis, où nous serons assis ». Dans son intégralité, son journal compte plus de 6 000 pages, réparties en cinq tomes. Deux seulement sont traduits en français. Publié à L’Arche en 2009, le premier couvrait la période du 1er août 2003 au 31 juillet 2004. Le second, aux éditions La Place, s’ouvre le 3 octobre 2019 et se referme le 20 décembre 2020. La vieillesse à l’œuvre En 2003-2004, Lars Noren était en pleine guerre. Contre lui-même, son égoïsme, ses tentations morbides et le désir d’enfant de sa nouvelle amoureuse. Quinze ans plus tard, s’il n’en a pas fini avec les démons qui l’ont mené, dans sa jeunesse, à l’asile psychiatrique, il semble mieux se supporter. La vieillesse est à l’œuvre. « L’enfant, le petit garçon que j’étais, me rend de plus en plus souvent visite. Il m’est impossible de voir l’expression de son visage, de voir si c’est de la joie ou de l’étonnement. Il est sur la défensive, peut-être », écrit-il, le 16 octobre 2019. Il a 75 ans, deux filles adultes et une de 10 ans, S. Avec l’écriture, elles sont sa raison de vivre et le deviennent plus encore quand le Covid-19 frappe l’Europe, fin février 2020. Le journal entre alors dans un autre temps, celui de la paix fragile. Lars Noren note que sa capacité pulmonaire est réduite. Ses pas sont plus lents, mais il voyage loin, dans son fauteuil. Il vit seul, se garde de tomber amoureux, mais éprouve un étrange amour pour F., une comédienne de la Comédie-Française, où sa pièce Poussière a été créée, en 2018. « Ce journal sera le plus paisible et le dernier », note-t-il, d’une manière mystérieuse et prémonitoire, le 31 décembre 2019. Ce jour-là, Lars Noren écrit à Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, qui lui a commandé une nouvelle pièce. Il veut la consacrer à Simone Weil, une écrivaine qu’il porte au sommet, avec Nathalie Sarraute. Il ne laissera que des bribes de cette pièce, mais, en quinze mois, il en aura écrit huit autres. Lars Noren aura aussi déménagé dans un grand appartement, pour que S. y ait sa chambre, quand elle pourra enfin vivre avec lui. Cela ne sera pas. Le 20 décembre 2020, il signale qu’il lui « tarde de lire le nouveau Peter Handke », il parle du vaccin contre le coronavirus, qu’il attend impatiemment, et il s’arrête pour toujours d’écrire après cette phrase : « Il y a une lumière pâle sur l’eau et sur les façades de la rive opposée. » On le quitte avec émoi, restent ses pièces et leur humanité impitoyable, qui n’a pas fini de nous bouleverser. Extrait : « 9 octobre 2020 : Je pense à l’essence de la joie dans les trois figures tragiques chez Hölderlin et à “l’infinité divine”. C’est une belle pensée de Hölderlin, que l’être humain moderne ne se rende pas compte que ce que nous ressentons de l’Antiquité et de la philosophie grecque, c’est la fin de l’incertitude, le fragile, le fracturé – et non pas l’énorme commandement qui existait à son origine, ce pathos qui a provoqué le séisme qui se répercute jusqu’à notre époque. » Journal d’un écrivain 2019-2020, p. 198 Brigitte Salino / LE MONDE Légende photo : Lars Noren (à gauche) lors d’une répétition de « Poussière », à la Comédie-Française, en janvier 2018. BRIGITTE ENGUERAND/DIVERGENCE
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Le spectateur de Belleville
July 18, 5:09 PM
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Par Nicole Vulser (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 18 juillet 2025 Les éditeurs de théâtre représentent un micromarché qui édite plus d’un millier de nouveaux textes par an. La diffusion en librairie reste souvent anecdotique et militante.
Lire l'article sur le site du "Monde": https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/18/au-festival-d-avignon-l-edition-theatrale-se-met-en-scene_6622090_3246.html
« Je suis un vieux crocodile du théâtre mais un jeune éditeur », affirme le comédien et metteur en scène Stanislas Nordey. A 58 ans, l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS) vient tout juste de reprendre, début juillet, la direction des Editions Espaces 34, une petite maison indépendante spécialisée dans le théâtre, portée depuis 1992 par sa fondatrice, Sabine Chevallier, qui lui a transmis le flambeau. « La maison risquait de disparaître. Tous mes amis m’ont dit : “C’est la dernière chose à faire”… », raconte le metteur en scène. Il se lance quand même, en sachant qu’« on ne gagnera pas d’argent, mais l’enjeu, c’est de ne pas en perdre ». Il sera bénévole tout comme le directeur financier, et a embauché un correcteur également chargé de la fabrication. Stanislas Nordey se plonge dans la lecture du fonds, « bluffé de ne trouver aucune faute de goût parmi les 230 titres du catalogue ». Il compte lancer deux nouvelles collections : « Les introuvables » – qu’il inaugurera en janvier 2026 avec le projet d’adaptation de l’Orestie, d’Eschyle, par Pier Paolo Pasolini (1922-1975) et un texte de Didier-Georges Gabily (1955-1996) – ainsi qu’une autre collection autour du théâtre, étrennée avec les carnets de création de Jean-Pierre Vincent (1942-2020). A l’honneur pendant le Festival d’Avignon, l’édition théâtrale en France reste un micromarché, évalué par l’institut NielsenIQ GFK à 1,35 million d’euros en 2024, en léger déclin par rapport à 2023. Le nombre de nouveautés s’est établi à 1 149 titres en 2024 et le « top trois » des meilleures ventes a été attribué, toujours selon cet institut, à Antigone (1942), de Jean Anouilh, suivi par le deuxième tome du Sang des promesses, Incendies (2012), de Wajdi Mouawad, puis par les tragédies d’Eschyle. Importance des ventes du fonds Avec un catalogue de 1 300 ouvrages et une vingtaine de nouveautés chaque année, dont 12 à 15 pièces de théâtre, Actes Sud Papiers reste, de loin, le plus important acteur de ce secteur. Claire David, directrice d’Actes Sud Papiers et du pôle des arts de la scène, sort les textes des pièces jouées à Avignon comme L’Enfant de verre, de Léonore Confino et Géraldine Martineau, ou La Faille, de Serge Kribus. Elle ressort aussi Le Canard sauvage, d’Henrik Ibsen (1828-1906), mis en scène par Thomas Ostermeier. « Dans le théâtre, les ventes sont très lentes à décoller, mais peuvent parfois se métamorphoser en véritables triomphes sur la durée, comme Incendies, de Wajdi Mouawad, écoulé à plus de 350 000 exemplaires », explique-t-elle. Les ouvrages d’autres auteurs maison comme Jean-Claude Grumberg, avec L’Atelier, et Joël Pommerat dépassent les 25 000 exemplaires. Ce mini-marché, tout comme celui de la poésie, se caractérise par l’importance des ventes du fonds (60 à 70 %), bien supérieures à celles générées par les nouveautés. Soit l’exact inverse du roman. Autre éditeur de poids, Les Solitaires intempestifs – qui publie une vingtaine de nouveautés par an – profite aussi d’Avignon pour mettre en avant ses auteurs à l’affiche, comme Clotilde Mollet, Tiago Rodrigues, Tamara Al Saadi ou Ronan Chéneau. « Le tirage des nouveautés excède rarement 3 000 exemplaires. Arriver à 10 000 exemplaires de ventes est exceptionnel », reconnaît François Berreur, son directeur. Dans l’édition théâtrale, le Graal consiste à intégrer les programmes scolaires. Un sort enviable partagé par Illusions comiques, d’Olivier Py (Actes Sud, 2006) ou encore Clôture de l’amour, de Pascal Rambert (Les Solitaires intempestifs, 2011), mais surtout Juste la fin du monde (1990), de Jean-Luc Lagarce, vendu selon son éditeur, Les Solitaires intempestifs, à plus de 100 000 exemplaires. Rayons spécialisés minuscules Le Festival d’Avignon a conclu, depuis 2018, un partenariat avec la librairie Lettres vives de Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui prend ses quartiers d’été dans la Maison Jean-Vilar – où est proposée une offre foisonnante de près de 5 000 références en théâtre, danse et spectacle vivant. Soit le lieu le mieux approvisionné de l’Hexagone. La librairie éphémère se déploie aussi dans la cour du cloître Saint-Louis et a ouvert une ribambelle de petits comptoirs de vente directement dans les lieux de spectacles, à la Carrière Boulbon, au Musée Calvet, à Vedène (Vaucluse), au Gymnase Mistral… Dans le quartier général du « off », la librairie avignonnaise La Comédie humaine a aussi ouvert une seconde boutique temporaire, qui regorge d’œuvres de dramaturges. La question de la diffusion et de la place accordées au théâtre dans les librairies reste cruciale. Les rayons spécialisés s’avèrent souvent minuscules. La directrice de la maison d’édition L’Arche, Claire Stavaux, souligne les difficultés liées à l’arrêt de certaines librairies spécialisées. A Paris, par exemple, Palimpseste, installée dans le 5e arrondissement, a fermé, tandis que Le Coupe-Papier, à deux pas du Théâtre de l’Odéon, dans le 6e arrondissement, a été repris par une librairie de manuscrits et de beaux livres. EXC a également baissé le rideau, dans le 3ᵉ arrondissement, mais renaîtra début septembre sous le nom de Librairie centrale, en étant hébergée par la Maison de la poésie. Même constat dans les théâtres. La librairie du TNS a disparu. Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, la librairie, gérée par EXC, a baissé le rideau en octobre 2024, mais la Réunion des musées nationaux doit reprendre les rênes du lieu, le 9 septembre. Préserver un comptoir de vente de livres dans les théâtres est souvent « un acte militant », souligne Claire David. Déjà en 1987, le dramaturge Michel Vinaver (1927-2022) avait analysé les « mille maux dont souffre l’édition théâtrale » et suggéré d’améliorer sa diffusion parmi les « trente-sept remèdes pour l’en soulager ». Droits de représentation théâtrale Tous les éditeurs sont concernés par cette difficulté. Même les éditions Théâtrales, qui appartiennent au Théâtre ouvert, un centre national des dramaturgies contemporaines subventionné par des aides publiques. A côté des résidences, des spectacles ou de l’accompagnement dramaturgique, ce pôle d’édition se démarque par son statut de coopérative, dont certains auteurs sont sociétaires. Sa directrice, Caroline Marcilhac, confie recevoir près de 600 manuscrits par an et publier « quatre nouveaux auteurs par an, jamais édités précédemment ». Quitte à poursuivre avec eux un compagnonnage sur plusieurs années, avant qu’ils ne quittent le Théâtre ouvert pour rejoindre un autre éditeur, comme Baptiste Amann ou Nicolas Doutey, passés chez Actes Sud. Autre singularité dans ce secteur, L’Arche est à la fois un éditeur – avec une quinzaine d’ouvrages présentés dans le « off » à Avignon, signés Lukas Barfüss, Alexandra Badea, Lee Hall, Dennis Kelly… – et une agence théâtrale depuis trente ans. Seul modèle alternatif à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), L’Arche gère les droits de représentation théâtrale de près de 500 auteurs français et internationaux. Et finalement jouer la pièce d’un auteur peut lui rapporter bien davantage que la vente de ses ouvrages. En 2024 – une très bonne année pour la perception des droits dans le spectacle –, la SACD, qui encaisse en moyenne 10 % de la recette de billetterie des théâtres pour reverser des droits aux auteurs, a rétrocédé à plus de 7 700 d’entre eux une somme totale de 20 millions d’euros. Sans dévoiler qui a touché le jackpot. Nicole Vulser (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE Légende photo : A la Maison Jean-Vilar, à Avignon, en 2019. FESTIVAL D’AVIGNON
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Le spectateur de Belleville
July 18, 7:56 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 17 juillet 2025 Au Théâtre du Train bleu, la comédienne de 27 ans, atteinte de la maladie de Huntington, livre un monologue sobre et bouleversant.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/17/au-festival-off-d-avignon-une-chose-vraie-avec-ysanis-padonou-laisse-le-public-petrifie-d-emotion_6621737_3246.html Tout arrêter et prendre le temps de repenser à ce qui a eu lieu. Respirer un bon coup, laisser filer les secondes avant de regagner la rue en titubant sous le soleil. Pas parce qu’il saoule les corps de sa chaleur. Mais parce qu’un choc vient de se produire dans la fraîcheur d’une salle de théâtre. C’est aussi ça, le Festival d’Avignon. Une suite de spectacles qui s’enchaînent bon an mal an, et puis, soudain, un artiste surgit qui emporte tout sur son passage. Quelque chose, « une chose vraie », a fait rupture avec l’ordinaire. Voici le tableau : un public pétrifié d’émotion. Une actrice prostrée, buste enroulé en mode fœtal après une heure vingt d’une représentation sidérante, essentielle (c’est certain) et inoubliable (c’est probable). La communion, ce graal maintes fois invoqué au théâtre mais qui s’y manifeste si peu, ce point de ralliement fantasmé est la note finale, définitive et bouleversante du monologue proposé au Train bleu : Une chose vraie. Le titre est à prendre au pied de la lettre. Sobre, apoétique, d’une froide neutralité, il est factuel. A l’exact opposé des perceptions tempétueuses que provoque le récit (mis en scène par Romain Gneouchev) porté au plateau par la comédienne Ysanis Padonou. Ses mots et sa façon de les dire, son histoire et sa manière de la jouer : rien, chez cette interprète fabuleuse, ne cède au pathos. Cette actrice-là n’a plus de temps à perdre en vague à l’âme ou en flou artistique. Elle est atteinte de la maladie de Huntington, une affection génétique et neurodégénérative qui la condamne à l’effritement de ses facultés cognitives et motrices. La dégradation (qui s’apparente à un Alzheimer précoce) s’amorcera entre ses 35 et ses 50 ans. Elle a 27 ans, aujourd’hui. Elle est au stade 3 d’une atteinte qui, pour l’instant, reste discrète, mais dont elle connaît les symptômes à venir : son grand-père en est mort, sa mère en est atteinte. Huntington est héréditaire. Elle l’a appris, en 2014, de la bouche du neurologue qui les a informées, elle et sa mère, en quatorze minutes chrono d’une consultation brutale ne laissant aucune place à la dernière respiration qui précède la noyade. Elégance sidérante L’aveu des faits ne se fait pas attendre. Un préambule sans embarras ni fioriture. Avec Ysanis Padonou, le théâtre ne triche pas. Ou très peu. La comédienne porte une oreillette (elle l’enlève, la montre, la remet) dans laquelle lui parvient son texte enregistré. Si elle se sépare de l’appareil, elle ne se donne pas plus de quelques minutes pour se mettre à bafouiller. Le pire cauchemar pour une actrice professionnelle dont la bête noire est le trou de mémoire. Elle ne se plaint et ne se plaindra pas. Jamais. Elle constate. Elle égrène avec précision (et le sourire) les origines, les causes, les circonstances, les conséquences. Son élégance est sidérante, sa pudeur exemplaire. Tête haute, sculpturale dans son tee-shirt échancré, elle est d’une classe folle. Elle opère un retour sur le passé qui démarre au Théâtre national de Strasbourg, où, élève recrutée en 2011 à l’école, elle entend un metteur en scène dire d’elle : « Elle est bien la petite Négresse. » Ysanis Padonou est noire. Le racisme décomplexé, elle le traverse et le surmonte avant de s’enfouir dans la solitude. Six ans à détaler loin de sa mère malade pour se construire en dépit de Huntington. Elle travaille, elle tourne, elle enchaîne les pièces sous la direction (notamment) de Stanislas Nordey. Elle est – elle se croit – heureuse, cette jeune femme fuyant l’annonce. Et que la « chose vraie » rattrape. C’était fatal. Les épaules trempées de sueur, elle livre les détails. La densité d’un présent dupant le futur improbable, tout tient d’un bloc dans un décor plastique d’une blancheur aveuglante. Toile tendue sous ses pieds, dans son dos. Un plateau de photographe où les projecteurs saturent l’espace de couleurs pop. Elle est épinglée dans le lieu par son metteur en scène, Romain Gneouchev. Un dispositif épuré où les babioles disposées au sol (une statuette, un coffret de porcelaine ou le courrier du laboratoire de recherche) sont des cailloux de Petit Poucet semés là, au cas où. Et puis elle enlève l’oreillette. Requiert la présence d’un souffleur. Répète les vers d’une tragédie qu’une spectatrice lui murmure. Se prostre à terre. Elle n’est pas une victime. Elle est actrice. Et pas qu’un peu. Pas du genre qu’on oublie. Une chose vraie, conception, écriture et mise en scène : Romain Gneouchev. Jeu et collaboration à l’écriture : Ysanis Padonou. Festival « off » d’Avignon, Théâtre du Train bleu. Jusqu’au 23 juillet. Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale du Monde ) Légende photo : Ysanis Padonou dans « Une chose vraie », à la Comédie de Colmar-Centre dramatique national Grand-Est - Alsace, en novembre 2024. OLIVIER DUVERGER-HOUPERT
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Le spectateur de Belleville
July 18, 7:25 AM
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Par Thierry Jallet dans Wanderer — 15 juillet 2025 Le Canard sauvage (Vildanden), d'Henrik Ibsen, par la Schaubühne de Berlin, Festival d'Avignon 2025 Ibsen à Avignon : Le jeu (dangereux) de la vérité
Avignon, Festival d'Avignon 2025, Opéra Grand Avignon, jeudi 10 juillet 2025, 17h Premiers pas dans la 79ème édition du Festival d’Avignon qui nous conduisent l’Opéra Grand Avignon vers l’entrée duquel les spectateurs convergent. C’est que l’élan du public est à la hauteur de l’événement avec le retour de Thomas Ostermeier, dix ans après son éblouissante mise en scène de Richard III, douze après Un Ennemi du peuple. C’était Ibsen déjà et sa peinture d’une bourgeoisie en proie à ses bassesses, à ses ombres. Ce retour attendu divise autant qu’il passionne. Les déçus perçoivent ici une forme de tassement qui tend à durer depuis les derniers spectacles du patron de la Schaubühne. On peut cependant s’accorder sur l’intérêt que son théâtre recouvre encore aujourd’hui et, même si les avis sont plus mesurés qu’il y a une dizaine d’années, ce Canard sauvage parvient à captiver. D’abord, par l’avancée du metteur en scène allemand dans l’œuvre d’Ibsen et les sujets qu’il aborde traduisant le relativisme du dramaturge – auquel notre rapport complexe à la réalité comme aux Fake news entre en résonance aujourd’hui ; ensuite, par la virtuosité des comédiens – et on retrouve Thomas Bading déjà en tête de la distribution d’Un Ennemi du peuple ; par une scénographie certes familière mais au raffinement esthétique indiscutable ; par le fait enfin, que les créations les plus fécondes du metteur en scène allemand ont par le passé, brillamment illustré et défendu un propos singulier qu’on retrouve explicitement ici. C’est pourquoi j’ai voulu me faire son opinion et même si certains signes d’essoufflement peuvent apparaître, la mise en scène de ce drame familial en forme de tragédie traduit bien sa maîtrise si reconnaissable d’Ibsen. En cette fin d’après-midi, l’Opéra Grand Avignon accueille un large public venu assister à la représentation du Canard sauvage. Ce n’est pas seulement Ibsen mais le travail de Thomas Ostermeier sur un de ses plus célèbres textes qui exerce pareille attraction sur la place de l’Horloge. Le personnel du Festival accueille, conseille, oriente chacun et chacune vers sa place dans l’effervescence des grands soirs. Le rideau est baissé : rien ne transparaît et on perçoit autour de soi l’attention de tous en direction de la scène encore dissimulée aux regards. Comme un secret bien gardé – sans doute en faut-il et, en ce sens, cela croise presque la pièce d’Ibsen. Le lever de rideau ne déçoit aucunement, laissant découvrir sans attendre le remarquable travail de Magda Willi sur la scénographie. L’utilisation d’un plateau tournant – certes déjà vu entre autres dans Vernon Subutex 1 récemment – dévoile un premier plateau figurant un intérieur raffiné bien qu’exigu, une entrée ou bien un vestibule. Une tapisserie à motifs géométriques très – peut-être volontairement trop – réguliers au mur. Des appliques à pampilles de verres, aux reflets irisés. Deux fauteuils en cuir noir signés Le Corbusier, séparés par une table à la structure chromée. On entend des voix derrière la porte qui s’ouvre et laisse entrer tour à tour plusieurs personnages qui se croisent et se font ainsi connaître du public. Une fête de famille a lieu en hors scène, on entend même des voix entonner un morceau a cappella. « Every day is so wonderful / Then suddenly it’s hard to breathe… » Une manière de se convaincre que tout va bien ? « No matter what they say » pour reprendre le refrain de Christina Aguilera. L’un des convives est Gregers Werle – prodigieux Marcel Kohler aussi émouvant que redoutable sous ses faux airs de prédicateur moderne. Il est le fils de Werle, le patriarche. Thomas Bading est toujours aussi épatant à travers cette figure dominatrice et insensible de chef de famille plus soucieux de faire prospérer ses affaires et de collectionner les maîtresses que de s’occuper de sa femme souffrante et de son fils. Cette dernière est décédée et Gregers veut en découdre avec son père qu’il rend responsable alors que Werle lui propose d’être son associé, alors qu’il est sur le point d’épouser sa dernière conquête. Cette dernière – élégante Stéphanie Eidt – leur demande de parler moins fort car on entend leur dispute – Faut-il donc sauver les apparences pour les invités ? Pour le public aussi peut-être ? Gregers explose néanmoins : « Ta vie n’est qu’un champ de bataille ». Et le père de lui répondre : « Il n’y a personne au monde que tu détestes autant que moi ». Peut-être ne fallait-il pas l’inviter alors, comme Gregers en proie à une grande agitation le lui rappelle pour éviter le drame. En effet, les secrets de famille affleurent avec l’arrogante désinvolture du père, les blessures béantes du fils. Tout rappelle l’examen cher à Ibsen des sordides turpitudes de cette bourgeoisie qui ne sont pas sans rappeler le tout aussi nordique Festen de Thomas Vintenberg, adapté sur scène par Cyril Teste en 2017. Werle reproche à Gregers de « regarder la vie à travers une vitre », d’avoir une vue déformée du monde qui l’environne. C’est que le jeune homme s’est fixé pour objectif de faire émerger la vérité coûte que coûte, de repousser le mensonge source de malheurs. Grand, droit, d’une rectitude maladive, il a toute l’allure d’un apôtre de l’honnêteté poussée à son paroxysme, indifférent à toute alternative. Redoutable même sans le savoir, même sans le vouloir. Sectaire. Il avait rencontré avant son père, Ekdal, qui passait discrètement afin de pouvoir poursuivre un travail pour Werle. Le vieil homme alcoolique et gâteux – joué avec beaucoup de brio par Falk Rockstroh – a tout perdu à cause du riche homme d’affaires. Stefan Stern est absolument remarquable dans le rôle de son fils, Hjalmar aux cheveux longs et filasses, toujours au bord de la folie. Gregers est troublé par sa présence à la soirée de Werle : avec son sens très aigu des bienfaits à dispenser, il décide donc de lui apporter son aide en réparation des actes odieux de son père qui a manipulé le sien pour échapper à ses ennuis et lui en faire endosser la responsabilité. Grâce à la tournette qui pivote lentement – autant sur la musique de Kate Bush que sur celle de Led Zeppelin à la fin – on change de décor, d’endroit pour arriver chez les Ekdal. Dans un intérieur plus vaste, on découvre une espèce de bric-à-brac associant pièce de vie plutôt modeste et mal rangée avec un lieu de travail comportant un comptoir et un photoautomat, du mobilier des années 70–80 et du matériel informatique d’aujourd’hui. En dédommagement du sacrifice d’Ekdal, Werle a permis à la famille de rebondir en tenant un commerce de photographie – art possible de l’illusion. Comme une aumône ayant permis à Hjalmar de cultiver sa supposée fibre artistique qui peine tant à s’affirmer dans cet environnement en apparence bancal, à l’apparence incertaine mais toujours ouvert avec des fenêtres, des portes, un hors-scène à cour qui laisse aller et venir les comédiens. Un autre espace hors-scène au fond à jardin attire l’attention : l’enclos du père Ekdal, ce lieu où il se voit chasseur de poules, pigeons et lapins, véritable utopie au sens étymologique, transposition d’un espace mental fantasque qu’on atteint péniblement par le regard hormis lors des rares mouvements de la tournette. C’est aussi l’enclos où le canard sauvage du titre a trouvé refuge, sans qu’on ne le voie jamais, comme dans le texte original où il est censé être abrité dans le grenier. D’emblée, le lieu est dissonant, entre réalité modeste, espoirs insatisfaits et vaines échappatoires dans le rêve. Gina – très belle prestation de Marie Burchard, toute en tension – était la domestique de Werle et elle a finalement épousé Hjalmar. Ils ont eu une fille : Hedvig, plus âgée ici que dans le texte original. Son rôle est d’ailleurs considérablement densifié et c’est l’extraordinaire Magdalena Lermer qui l’incarne avec concision et justesse. Comme son père qui se rêve en rock star – on retient sa piètre prestation de Mettalica à la guitare électrique plongeant sa famille dans une certaine perplexité, Hedvig veut devenir journaliste, voulant s’extraire de sa classe sociale, reprenant la figure de la transfuge de classe que le metteur en scène a déjà développée en adaptant le Retour à Reims de Didier Eribon. Pourtant, les événements en décident autrement. Pour chacun des personnages, la vérité est trop difficile à affronter. Même pour Gregers qui considère Hjalmar comme son meilleur ami et qui veut lui venir en aide quoi qu’il en coûte. C’est la raison pour laquelle il assène ses principes de défense d’une vérité absolue comme source de bonheur. « Le mensonge est la ruine » alors il ne peut y avoir d’autres alternatives. Quoi qu’il en coûte, sous la lumière crue des projecteurs. Même Relling que campe David Rulland ne peut rien empêcher. Et Gregers lui aussi devra affronter ce qu’il n’aurait jamais envisagé car, non, toutes les vérités ne sont certainement pas bonnes à dire. Briser le sceau du secret sur la naissance d’Hedvig, sur les raisons du mariage de Gina et de Hjalmar, lancer cette cascade de révélations et ce qu’elle engendre, tout cela rapproche le drame de l’inéluctable mécanique tragique « qui se démocratise et qui frappe la famille bourgeoise », comme le mentionne le philosophe Michel Meyer à propos du théâtre d’Ibsen. Tout cela jusqu’à la catastrophe finale, implacable et prévisible dans le mouvement circulaire de plus en plus rapide du plateau, sur les paroles de Robert Plant dans Kashmir diffusé à plein volume avant le noir final. Même s’il l’a considérablement modifiée dans son adaptation, Thomas Ostermeier parvient à restituer toute la richesse de la pièce d’Ibsen et son attachement revendiqué à l’œuvre du dramaturge norvégien n’est plus à démontrer. Ces études de mœurs à l’atmosphère nordique sont ici transposées dans une plus grande indéfinition temporelle qui, comme le cycle infernal de la tournette, nous ramène plus au présent, laissant poindre la dénonciation du profit comme vertu cardinale dans les sociétés capitalistes contemporaines, affaiblissant la capacité à être en relation avec autrui, promouvant davantage la croyance au détriment de la réflexion et du sens, rendant la vérité labile et souvent insaisissable. Loin d’un théâtre didactique trop asséchant pour le démontrer, Thomas Ostermeier s’appuie plutôt sur un texte modernisé et charpenté ainsi que sur la prodigieuse authenticité de ses comédiens malgré une première partie au rythme quelque peu distendu et quelques facilités comme l’échange de Gregers-Marcel Kohler avec le public autour du mensonge dans le couple et la famille qui s’étire et laisse Magdalena Lermer en attente en fond de scène. Ainsi, les retrouvailles entre le directeur de Schaubühne et le public avignonnais ont bien eu lieu même si elles n’ont pas tout à fait la flamboyance d’il y a dix ans. Il reste que Thomas Ostermeier est un fabuleux metteur en scène d’Ibsen et que si, comme le dit Relling dans la pièce, « à peu près tout le monde est malade », sa dramaturgie demeure un moyen privilégié de l’entendre. Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage
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July 18, 7:04 AM
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Par Thierry Jallet dans Wanderer Publié le 10 juillet 2025 Les Paillettes de leur vie ou la Paix déménage, de et avec Mickaël Délis, Théâtre Avignon – Reine Blanche, Avignon OFF 2025
Avignon, Théâtre Avignon – Reine Blanche, dimanche 6 juillet 2025 à 21h30. Clap de fin pour la Trilogie du Troisième Type de Mickaël Délis avec son dernier opus que nous nous sommes empressés d’aller voir dès les premiers jours du Festival, toujours au Théâtre Avignon – Reine Blanche. Après Le Premier Sexe dans lequel il s’attache au genre masculin puis La Fête du Slip qui aborde le sexe des hommes et le « pipo de la puissance » qui y est associé, le formidable comédien, aux textes toujours ciselés, s’intéresse enfin à la filiation et à la paternité pour achever son cycle. C’est donc un dernier spectacle un peu plus émouvant, un peu plus grave, qui révèle encore l’incroyable artiste qu’il est et qui semble avoir mûri jusqu’à ce dernier seul en scène. On retrouve son sens de la formule qui fait mouche, les personnages qui sont désormais familiers pour le public, sa fantaisie naturelle mais ici, la matière autofictionnelle se nourrit davantage du réel et de ses ombres qui traversent tout un chacun. Les Paillettes nous font tourner avec lui vers ce qui nous survit, vers les inquiétudes, les doutes que cela engendre. De surcroît, être père ne semble pas vraiment aller de soi pour un homosexuel qui en éprouve le désir. La route est souvent longue et pleine d’obstacles aux effets dissuasifs, surtout lorsqu’on passe la quarantaine. Ces zones d’ombre peuvent pousser au renoncement, a fortiori quand elles ont également trait à sa propre histoire familiale. Bien sûr, nous avons été emportés une fois de plus par l’acteur virevoltant. Mais nous avons été émus aussi par une sensibilité nouvelle qui affleure tout au long de ce dernier spectacle. Après avoir patienté dans le hall, le public attentif au signal du personnel, avance vers la salle, billet en main. Une fois le QR code reconnu, on peut alors entrer. Certains spectateurs sont déjà en salle puisqu’ils ont assisté à l’une, si ce n’est aux deux précédentes représentations qui ont permis de voir le début de la Trilogie du Troisième Type dans l’ordre. En ce premier week-end de festival, tous sont là pour voir Mickaël Délis dont ils connaissent le travail, comme les bribes de conversations entendues çà et là le confirment. Ce troisième volet à valeur conclusive pour le cycle commencé il y a deux ans, suscite un grand intérêt et à très juste titre. Il reste que l’acteur n’est pas encore arrivé : on remarque seulement de gros confettis rectangulaires blancs disposés en tas au centre de la scène. C’est alors qu’il entre, tout de noir vêtu, portant une espèce de surchemise blanche attachée dans le dos. Il s’installe parmi les spectateurs, sur un tabouret haut, face à la scène. « Ouh là, y’a vachement de monde dans cet hôpital ! » La phrase amuse autant qu’elle désarçonne. Où nous trouvons-nous ? Les réponses ne tardent pas à arriver. La scène prend place dans un service hospitalier réservé au don de sperme. Il va bien être question de la semence masculine et de sa conservation par cryogénie – les fameuses « paillettes ». Mickaël Délis fait décidément le tour de son sujet ouvert deux ans plus tôt avec Le Premier Sexe. Il endosse encore tous les rôles – y compris le sien – avec une lisibilité parfaite qu’on lui connaît parfaitement. Les personnages qu’on croise dans son parcours sont suffisamment typés pour être identifiés et véhiculent la force comique du spectacle, révélant l’absurdité des entraves du quotidien, les travers des proches égratignés affectueusement, les propres impasses et tourments que le comédien affronte ainsi sans doute – le théâtre, cet « espace où il est encore possible de réfléchir devant et avec les autres », comme le dit Georges Lavaudant. S'exposer sous les projecteurs C’est pourquoi on rencontre l’infirmière brute de décoffrage qui fait exploser un canon à confettis au moment de son souhait de faire un don de sperme ; on croise les couples de proches – mélanges subtils et fantaisistes de vécu et de fiction – avec les mamans un peu égarées (« PMA dans l’Ohio. GPA ? GPRD »), les papas un peu dépassés (« Ça se joue ailleurs pour le père ils disent en consult’, mais moi, j’ai pas encore trouvé où c’était, l’ailleurs… ») ; on croise le médecin du CECOS – Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain, pareil acronyme ne s’invente pas – qui « est APMS. Assez particulière mais sympa » ; on retrouve le docteur Jean-Daniel Deeck (à prononcer à l’anglaise évidemment) dans une nouvelle drôlissime démonstration au tableau – schéma des testicules à l’appui – convoquant en vrac données scientifiques et analogies entre la biologie, le MEDEF, Aristote, l’histoire, la pornographie, tout cela afin de rendre le propos des plus explicites, avec la même redoutable efficacité que dans les deux précédents spectacles. Le professeur Jean-Daniel Deek et son balai-néon Enfin, on reconnaît bien sûr les proches : sa mère aux inflexions de voix et à la gestuelle si reconnaissable dans son raffinement et son incorrigible tabagisme ; son frère jumeau, David « Dadou » qui ne l’épargne pas (Allez… Psychologie Magazine nous prépare un nouvel édito… ») comme un autre double de soi-même dont le théâtre permet de faire entendre les rudoiements à voix haute ; Lorenzo, l’ancien amant italien, d’abord acteur de film X puis pâtissier, qui le réconforte en lui préparant un tiramisu (« Remonte-moi ») et lui parle de sa propre future paternité en faisant la bibliographie de [ses] spectacles. « Si c’est pas marrant la vità des fois ». Des fois, oui. Mais des fois non car la Paix déménage justement. Il y a aussi le père et le séisme de l’abandon ressenti par toutes et tous dans la famille. La solitude qui s’installe et ne dit pas son nom. La violence de l’événement par-delà les années qui laisse sédimenter les doutes sur soi, sur sa capacité à être père soi-même, à procréer, même pour autrui. Dans Les Paillettes de leur vie, la tonalité se voile par moments d’une certaine mélancolie qui ne semble jamais trop quitter le joyeux comédien. Les fêlures persistent et on entend en creux le besoin de la scène pour les travestir suffisamment dans le champ autofictionnel afin de les supporter. Alors, le sourire s’efface y compris chez le spectateur. Des fois, è così, pourrait dire Lorenzo. « Y’a rien de plus galère qu’être papa quand t’es pédé. » Cette phrase prononcée au début du spectacle porte en substance le propos des Paillettes. Être père, être père homosexuel, être père dans l’ombre plus ou moins massive, plus ou moins transparente de son propre père, voilà ce que ce dernier opus aborde frontalement. Et ce sont autant de tempêtes sous un crâne que nous partageons avec Mickaël Délis, au fil du spectacle qui se déploie d’une séquence à l’autre, toujours sur le fil de l’émotion, jamais trop loin quand même d’une drôlerie qui désamorce même partiellement l’angoisse – celle de l’acteur autant que la nôtre très certainement. Puis, il y a l’absence définitive que la mort impose inéluctablement. C’est une chose de voir partir son père pour une autre vie, avec une autre femme, loin de soi, de sa mère dévastée. Autant d’impacts qui laissent assurément des blessures longues à se refermer. C’en est une autre de vivre le deuil avec ces béances et son autre lot d’incertitudes sur soi. Bien sûr, le comédien convoque ses personnages qui nous sont devenus familiers, des éléments scéniques tout aussi reconnaissables (le tissu blanc modulable, le néon lumineux qui fait office de manche à balai…) mais, avec lui, à l’occasion de cette conclusion au rythme toujours aussi enlevé, nous franchissons un autre seuil, peut-être plus intime, plus émouvant, ouvrant sur les peurs qui nous habitent tous. Toujours aussi montaignien – son inspiration dans l’ancrage bordelais ? – Mickaël Délis fait de lui « la matière » de son spectacle, plus que jamais. Et on l’y voit « tout entier et tout nu » finalement. Cette démarche artistique est tout à fait remarquable tant l’acteur ouvrant sa propre boîte de Pandore, nous invite dans un reflet spéculaire à faire de même, avec une subtilité propre à lui. Le spectacle est ici encore très écrit, charpenté avec rigueur et sa composition épouse avec justesse la courbe descendante de l’existence. Cela n’empêche évidemment pas le comique mais la gravité qu’il recèle toujours, scintille ici sous les paillettes. À l’aide des paillettes. Le corps du danseur qui n’est jamais loin, engagé dans une partition véritablement chorégraphique, exprime également tout cela avec beaucoup de grâce. On garde, par exemple, l’image – sublime – de Mickaël Délis exécutant des mouvements circulaires et emportant en l’air les paillettes au sol qui se soulèvent et volettent autour de lui, sous la lumière douce des projecteurs, comme un probable écho à ce besoin d’envoyer valser les inquiétudes. Coup de balai en public Ce dernier voler aurait dû s’achever sur un premier noir au plateau mais la vie en décide quelquefois autrement. Dans un épilogue tout en pudeur, l’acteur évoque la disparition brutale de la figure tutélaire qui a dominé sa trilogie. L’absence soudaine de cette mère si présente conduit à regarder lucidement ce qu’elle lui laisse dans un dialogue imaginaire plein d’une tendresse qui fait briller les yeux : « un courage épatant, une liberté insolente et un amour qui déborde pour le monde entier ». L’hommage n’exclut pas la pudeur mais on sent vibrer le cœur de l’artiste pour celle qui est, sera « toujours là » et qui « danse ». Il était une fois, l’homo… Il était une fois, l’homme… Mickaël Délis nous a raconté un peu de notre histoire. Crédits photo : © Pascal Gély/Hans Lucas
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Le spectateur de Belleville
July 18, 4:38 AM
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A 26 ans, le metteur en scène de «Mami», pièce traversée par son histoire personnelle, nourrit son théâtre de dessin et de cinéma Toute une édition sans révélation, ce ne serait pas tenable, et heureusement, cette année, au neuvième jour du Festival, Mario Banushi, 26 ans, Albanais d’Athènes, dont le In vient de montrer la troisième création et dont le travail n’avait jamais été encore présenté en France, illumine la programmation. Mami, c’est donc le spectacle du Festival, qui ne ressemble à rien de connu. Qui plus est, un spectacle sans paroles – mais avec une giboulée d’images aussi profondes que marquantes, comme sorties du tréfonds de la vie intime de son auteur. Des images oniriques ? Mario Banushi récuse ce terme quand on le rencontre à côté d’une citronnade bienvenue. «Je comprends qu’on puisse dire que mes images sont oniriques, mais pour moi, elles sont surtout extrêmement familières, elles font partie de moi. En concevoir la ligne, les dessiner, c’est un peu comme d’improviser au piano.» Il ajoute cette phrase définitive : «L’imagination est ma solution.» Théâtre nourri de dessin et de cinéma Mario Banushi est né à Athènes, mais à 8 mois, il est envoyé chez sa grand-mère dans un village en Albanie tandis que ses parents tentent de s’en sortir dans la capitale grecque. Lorsqu’il a 6 ans, sa mère le reprend avec elle. L’enfant doit accepter la séparation d’avec sa «Mami», trop vieille, trop pauvre, apprendre une nouvelle langue, s’adapter à la grande ville qu’est la capitale hellénique. «Alors vous comprenez pourquoi l’imagination est mon arme ? Elle était ma manière de voyager, d’aller voir ma famille disparue de mon monde, mon passé éclipsé.» Ses parents, qui se sont séparés peu de temps avant sa naissance, sont des rescapés. Ils survécurent au naufrage du bateau de marchandise Viora qui transportait 20 000 migrants le 7 août 1991. Le cargo parvint tout de même à accoster le 8 août. Mario nous montre sur son téléphone les images d’archives impressionnantes de la marée humaine qui tente alors de quitter le bateau et l’enfer. «Dans cette foule, il y a mes parents. Vous les voyez ?» Beaucoup sont morts durant la traversée. Partis sans leur passeport, ses parents avaient le projet de s’installer en Italie, mais finalement gagnent à pied la frontière grecque. Sage-femme en Albanie, sa mère devient femme de ménage et nettoie, du matin très tôt au soir très tard, divers intérieurs athéniens avec l’aide de son petit garçon. Le spectacle Mami, qui rend donc hommage à toutes les femmes qui ont élevé Mario Banushi n’oublie pas ce métier de sage-femme, que sa mère n’a jamais pu exercer en Grèce. Elle est aujourd’hui propriétaire d’une petite boulangerie tandis que son père a acquis une taverne. Mais le théâtre, qui durant son adolescence lui paraît un art poussiéreux : comment est-il arrivé jusqu’à Mario Banushi ? Eh bien, il aurait pu ne jamais se trouver sur son chemin même si à 13 ans, il découvre qu’il prend plaisir à concevoir des costumes et des décors à l’école. L’adolescent dessine constamment. Tourne un court métrage à 19 ans avant d’entrer, pour suivre une amie, au conservatoire d’Athènes. Encore aujourd’hui, il pense que son théâtre est nourri du dessin et du cinéma, bien plus que de l’histoire théâtrale, par nature peu revisitable – «Par exemple je storyboarde complètement mes pièces, ce qu’on fait peu au théâtre. Et des amis m’ont dit que ma manière de recruter les acteurs ressemblait beaucoup plus à la manière de faire des directeurs de casting au cinéma qu’au théâtre». Sans fil narratif autre que celui qu’imposent les images Sa première pièce, Ragada, a vu le jour pendant le Covid et a été créée dans une maison. Il avait 22 ans et a appelé tous les directeurs de lieux pour qu’ils se déplacent voir le spectacle qu’ils avaient refusé de produire. Sa deuxième pièce, Goodbye Lindita, aurait dû être jouée quinze jours au théâtre national d’Athènes, elle a tourné pendant quatre saisons sur toutes les scènes du théâtre national. Sa troisième, Taverna Miresia, a été produite par le prestigieux festival d’Epidaure et a été programmé durant deux saisons à ce même festival. Même succès international. La plus grande des reconnaissances provient des spectateurs qui lui envoient des photos de paysages ou de lieux avec ces mots : «C’est très Banushi !» On le compare souvent (déjà !) à David Lynch, mais une actrice du Sacrifice de Tarkovski lui disant que cela faisait des années qu’elle recherchait des œuvres qui puissent lui rappeler le grand cinéaste russe mort en 1986 a visé juste. Sinon Mario Banushi préfère ne pas être comparé. Il dégage un drôle de mélange de confiance en lui, simplicité et irréductibilité. Il prévoit de faire un long métrage. A condition que ce soit à sa manière, sans fil narratif autre que celui qu’imposent les images. Il préférera ne pas le tourner plutôt que de céder à des normes commerciales. Son théâtre a voyagé jusqu’en Australie mais n’a jamais été montré dans le pays où il a grandi. Et pourtant : «Toutes mes références sont albanaises.» Anne Diatkine / Libération Légende photo : Le metteur en scène Mario Banushi. (Andreas Simopoulos)
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Le spectateur de Belleville
July 17, 3:52 AM
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Par Sonya Faure dans Libération, 17 juillet 2025 «La Neige est blanche», «le Journal de Maïa» et «la Peau des autres» : pensés pour être joués dans les établissements scolaires et destinés aux adolescents, ces trois spectacles sondent leurs tourments. Chacun son festival d’Avignon. Nous voilà dans une salle de cours, à attendre devant le tableau Velleda que la pièce commence. Les spectateurs sont moins nombreux que les élèves des classes surchargées de l’Education nationale, mais les néons accrochés aux faux plafonds sont bien là. Soudain notre voisine se lève d’un bond : «Toi et moi, on a une décision à prendre. Continuer ou arrêter ?» Il faut bien répondre, alors la plupart d’entre nous n’hésitons pas : continuer. La fille en tenue de sport s’avance devant le tableau et se présente, elle est en section sport-études de ski alpin, son père, qui vient d’un pays où on ne fait pas de sports de neige, est si fier d’elle qu’elle continue même si elle voudrait surtout avoir la vie d’une fille de son âge. En finir avec la compétition, utiliser son corps autrement, sortir des traces et bifurquer vers la poudreuse. Continuer ? Arrêter ? Il n’est pas évident, à la fin de la performance, qu’on soit nombreux à être si sûrs de nous. Précise, jamais maniérée comme beaucoup d’adultes qui campent des ados, la comédienne Galla Naccache-Gauthier joue d’un rien, de ce qu’il y a dans la salle de classe, du petit rideau pelé qu’elle ouvre et ferme, de la lueur des néons. Et pour toute ingénierie son et lumière, elle a une petite enceinte et une boule qui scintille et transforme le tableau Velleda en nuit étoilée. «Ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave» La neige est blanche, monté par Marine Mane, est un seul en scène léger. «Pièce pour une interprète en établissement scolaire», elle doit pouvoir s’implanter dans n’importe quelle salle de lycée. Elle a été pensée pour ça, pour rencontrer un public de l’âge de l’héroïne. Elle est systématiquement suivie d’un moment d’échange après la représentation : et vous, vous feriez quoi ? «Dans les lycées de sport-études où nous sommes passées, les jeunes nous ont souvent répondu qu’ils ne préféraient pas y penser, rapporte Galla Naccache-Gauthier. Ils se dirigent souvent vers une carrière de sportifs de haut niveau pour faire plaisir à leurs parents, eux-mêmes anciens champions. Dans les formations de sports de glisse, ils portent aussi toute la pression de leurs profs qui doivent justifier leur existence alors que la neige fond et que, comme elle, ils sont voués à disparaître…» L’anxiété est le sujet central et diffus d’une autre pièce présentée dans le off d’Avignon, Le Journal de Maïa, du metteur en scène Cédric Orain. Sur scène cette fois, les deux jeunes filles pourraient sortir des pages d’une BD, sautillantes avec leur sac sur le dos (Louise Bénichou et Marion Brest), et tentent de trouver leur voie de collégiennes : faut-il vraiment croire la redoutée prof de français quand elle affirme qu’on peut aimer lire (et du Chateaubriand en plus) ? On a aimé chez Orain cette manière de prendre au sérieux les vagues d’anxiété des ados (un sur deux y serait confronté selon un sondage Ipsos de 2022) sans en faire un drame – seulement une pièce de théâtre. «En quatrième, j’aurais bien aimé moi aussi qu’un spectacle me dise : ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave», répond-il. S’offrir aux adolescents Dans les collèges, il arrive sans rien. «Il nous faut juste un peu d’espace, une salle de permanence ou une grande salle de classe. On prend les chaises du lieu et si les peintures sont moches et les carrelages affreux, c’est bien aussi ! On arrive tous les trois, sans préparation technique. On est un peu nus, on n’a pas grand-chose pour se sauver : pas de lumière, pas de fond sonore. C’est intéressant et troublant.» Ce qu’il faut construire en revanche, c’est l’espace symbolique, «implanter un cadre de théâtre». Dans le dossier de sa pièce, il est écrit que le temps de montage en établissement scolaire est estimé à une heure : «Aucune installation technique n’est nécessaire, mais un temps de concentration et de prise de l’espace est précieux pour les actrices avant la représentation.» Cédric Orain explique : «On doit parfois insister, ça n’a pas l’air évident pour tous dans les collèges : pas de passage au milieu de la salle de représentation, pas d’interruption pendant le spectacle, pas de surveillant qui vienne chercher un élève.» De plus en plus de pièces s’offrent aux adolescents – les établissements s’appuient notamment sur la partie collective du pass culture pour financer leur venue. Un dernier exemple, présenté lui aussi à Avignon, La Peau des autres de Lauriane Goyet. Deux jeunes actrices (Lucie Giuntini et Colomba Giovanni) et une danseuse (Marie Orticoni), toutes excellentes, un seul banc noir comme un bloc de béton, donnent un spectacle beaucoup plus sombre et tendu, sur les violences familiales, l’amitié et les désirs adolescents. La neige est blanche, jusqu’au 26 juillet à 11 heures à Présence Pasteur. Relâche les 8, 15, 22 juillet (cinquante minutes). Le Journal de Maïa, jusqu’au 24 juillet à 9 h 45 au théâtre du Train bleu. Relâche les 11 et 18 juillet (cinquante minutes). La Peau des autres, jusqu’au 23 juillet, à 13 h 15 les jours impairs au théâtre du Train bleu (une heure et vingt minutes).
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Le spectateur de Belleville
July 16, 5:36 AM
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Analyse par Fabienne Darge / Le Monde du 16 juillet 2025 A mi-parcours de la manifestation, le réel a fait une incursion dans la 79ᵉ édition, les artistes cherchant comment le dire, avec plus ou moins de naïveté ou de bonheur. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/16/au-festival-d-avignon-le-theatre-bouscule-par-l-actualite-immediate-livre-toujours-ses-lecons_6621572_3246.html
Que Gaza ou l’Ukraine ont semblé loin d’Avignon, en cette première partie de la manifestation créée par Jean Vilar, en 1947, dans l’esprit issu de la Résistance… Le Festival a donné, jusque-là, le sentiment d’être une bulle. Certes, de nombreux artistes, dans cette 79e édition, qui met la langue arabe à l’honneur, sont apparus, à l’heure des saluts, avec un keffieh palestinien sur les épaules. Certes, un rassemblement a eu lieu et une « nouvelle déclaration d’Avignon » prononcée, le samedi 12 juillet, sur le parvis du Palais des papes, pour dénoncer « les massacres orchestrés par l’Etat israélien à Gaza et dans les territoires occupés » – une déclaration lue par des artistes comme Anne Teresa De Keersmaeker ou Milo Rau, en présence du directeur du Festival, Tiago Rodrigues. Mais, annoncée tardivement et mal diffusée, cette initiative n’a pas attiré les foules : moins de 1 000 personnes devant le Palais des papes. La profession théâtrale, traditionnellement très politique, semble, en cette année 2025, tétanisée par les problèmes budgétaires qui la touchent et qui ravagent un écosystème déjà fragile. On attendait la soirée Nour (« lumière », en arabe) du mardi 15 juillet pour voir si Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, à Paris, allait prendre la parole, mais, finalement, c’est Radhouane El Meddeb, directeur artistique de l’événement, qui s’est exprimé en son nom propre avec autant de gravité que de sobriété : « Nour dénonce l’anéantissement programmé de la Palestine et le silence complice de ceux qui ne dénoncent pas cette barbarie. » Cette soirée poétique et musicale, magnifique, a sans doute plus fait pour la Palestine que bien des discours, dans le partage du sensible mis en œuvre ici, qui n’attaquait pas frontalement le sujet, mais l’a distillé de manière subtile. « La poésie est aussi une méthode qui nous permet de résister à une vie inhumaine », disait le grand poète palestinien Mahmoud Darwich, disparu en 2008. Le réel est donc là et bien là, dans cette édition, et l’on voit bien que les artistes cherchent comment le dire, quitte à vouloir le faire entrer le plus directement possible dans la représentation, avec plus ou moins de naïveté ou de bonheur. Les curseurs entre réel et imaginaire ne sont pas toujours évidents à ajuster, le théâtre documentaire, souvent réduit à un théâtre de témoignages, n’étant pas toujours le mieux à même de permettre à l’art de jouer le rôle qui est le sien, et qui n’est pas celui du journalisme ou de la politique. Aussi émouvante que réjouissante Ces questions, largement brassées ces temps-ci, ont donné lieu à l’une des créations les plus formidables de cette édition. Il se trouve qu’elle est aussi celle qui sera vue par le public le plus varié et le plus éclectique, puisqu’il s’agit du traditionnel spectacle itinérant du Festival, joué, jusqu’au 26 juillet, dans des villages de la région, de Vacqueyras (Vaucluse) à Vallabrègues (Gard). Il a été confié au metteur en scène suisse Milo Rau, actuel directeur du Festival de Vienne, en Autriche, découvert ici, à Avignon, en 2013, avec une extraordinaire pièce documentée sur le génocide rwandais, Hate Radio. Milo Rau a, depuis, développé un théâtre du réel, notamment sous la forme de représentations de procès. C’est donc lui qui sera aux commandes, également, de la soirée d’hommage à Gisèle Pelicot, programmée vendredi 18 juillet au Cloître des Carmes. Un théâtre du réel qui n’a pas toujours évité certains écueils, celui de la communion entre personnes bien-pensantes, entre autres, avec Antigone in the Amazon, présenté au Festival en 2023. Avec La Lettre, il est contraint à une forme modeste, qui s’avère ici une vraie petite leçon de théâtre aussi émouvante que réjouissante, et entrelace le réel et l’imaginaire avec autant de simplicité que de maestria. Le réel étant d’abord, dans l’art vivant du théâtre, celui de l’existence en chair, en os, en âme et en esprit des êtres humains présents de part et d’autre du quatrième mur (lequel n’existe plus beaucoup, de nos jours), le metteur en scène est parti de l’histoire personnelle de ses deux jeunes acteurs. Elle, Olga Mouak, est d’origine camerounaise et réunionnaise. Elle a grandi à Orléans, s’est passionnée très tôt pour la figure de Jeanne d’Arc, et a toujours rêvé de jouer Nina, dans La Mouette, d’Anton Tchekhov. Ce qui, jusque-là, n’a pas été possible, parce qu’elle est noire, qu’elle a un corps de femme terrienne et bonne vivante, et que cela ne correspond pas aux clichés éthérés attachés à ce rôle. Lui, Arne De Tremerie, est le petit-fils d’une femme, Nina De Tremerie, présentatrice star d’une émission culturelle de la radio flamande, qui aurait rêvé d’être actrice et de jouer Nina ou Arkadina dans La Mouette. C’est d’elle que tout part, et de cette fameuse lettre qui donne son titre au spectacle. Une lettre que Nina De Tremerie a trouvée sur une table de sa maison, quand elle avait 9 ans, et où sa propre mère, l’arrière-grand-mère d’Arne, donc, lui disait qu’elle partait, et qu’elle ne savait pas quand elle reviendrait. C’était en 1949, la mère de Nina n’est jamais revenue. Depuis qu’il est devenu acteur, Arne a un rêve : mettre en scène La Mouette de Tchekhov. La lettre est-elle vraie ou inventée ? Milo Rau entretient le flou à dessein – il semblerait qu’il y ait bien eu lettre, mais qu’elle ait été réécrite pour les besoins du spectacle. Elle est en tout cas le point de départ d’une mise en acte aussi vertigineuse que ludique sur la manière dont nos vies sont tissées d’imaginaire et de fiction, qui repose sur le talent éblouissant de ses jeunes interprètes. Lesquels joueront bien Constantin et Nina, les deux jeunes héros de La Mouette, mais aussi une foule d’autres choses, dans ce spectacle qui orchestre de troublantes correspondances biographiques. Tous deux ont un charme fou, lui, Arne, avec son côté showman, sa manière de décaler par l’agilité burlesque son air de petit prince blond aux yeux bleus. Elle, Olga (prénom tchékhovien lui aussi), avec une transparence de jeu renversante, une forme de naturel pour autant jamais banale ni ennuyeuse. Théâtre et réel, la question n’est pas épuisée, jamais épuisable, toujours à remouliner dans les coordonnées spécifiques d’une époque. La Lettre, par Milo Rau. En itinérance dans la région d’Avignon, jusqu’au 26 juillet. Puis tournée jusqu’en mai 2026, notamment au Théâtre Silvia Monfort, à Paris, du 28 décembre au 31 janvier 2026, et au Théâtre public de Montreuil (Seine-Saint-Denis), du 20 au 30 mai 2026. Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE Légende photo Arne De Tremerie et Olga Mouak dans « La Lettre », mis en scène par Milo Rau, au Festival d’Avignon, en juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON
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Le spectateur de Belleville
July 15, 9:34 AM
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Par Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 15 juillet 2025 Pour la première fois, la troupe de la Maison de Molière se produit dans les deux Festivals, dans la Cour d’honneur avec « Le Soulier de satin » et à la Scala Provence avec « Les Serge (Gainsbourg point barre) ».
Lire l'article sur le site du "Monde": https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/15/a-avignon-la-comedie-francaise-a-l-affiche-du-in-et-du-off_6621368_3246.html Pour la première fois, cette année, la Comédie-Française est à l’affiche des deux Festivals d’Avignon. Dans le « in » avec Le Soulier de satin au sein de la Cour d’honneur du Palais des papes, du 19 au 25 juillet, et dans le « off » avec Les Serge (Gainsbourg point barre) au théâtre La Scala Provence, du 15 au 26 juillet. Pas moins de 28 comédiens et comédiennes de la vénérable institution se répartiront sur ces deux scènes. Pour le public avignonnais, qui navigue entre le « in » et le « off » sans se soucier de savoir s’il assiste à un spectacle issu du secteur subventionné ou privé, cette double présence peut paraître anecdotique. Mais pour le milieu théâtral, elle a une portée symbolique forte. Avec un tempérament toujours prompt à s’emballer, Frédéric Biessy, directeur de La Scala Provence, parle d’un « moment de bascule. Ce qui paraissait improbable devient soudain naturel ». Pour l’occasion, l’entrepreneur a organisé, lundi 14 juillet, une conférence de presse, avec à ses côtés Françoise Nyssen, présidente de l’association de gestion du Festival (« in ») d’Avignon et ancienne ministre de la culture, et Harold David, coprésident de l’association Avignon Festival & Compagnies (AF&C), qui coordonne le « off ». Soit un trio très rarement réuni autour d’une même table. « Après avoir été face à face, le “in” et le “off” sont côte à côte », se réjouit Frédéric Biessy, persuadé que « les lignes bougent » et que cette initiative « aurait fait sourire Jean Vilar [créateur du Festival d’Avignon en 1947] ». Décloisonnement public-privé inédit Autour d’eux, les comédiens et comédiennes du Français qui joueront Les Serge écoutent, presque surpris, ces prises de parole enthousiastes sur ce décloisonnement public-privé inédit. « Je n’ai pas le sentiment d’appartenir à une caste ou à un milieu social du théâtre, résume Noam Morgensztern. Quand on nous a annoncé que la tournée des Serge irait à La Scala, on s’est dit “chouette !, on va à Avignon”, sans penser à ces histoires de “in” et de “off”. » Benjamin Lavernhe, sociétaire de la Maison, se souvient : « En 2006, je jouais aux Ateliers d’Amphoux dans le “off” et rêvais de la Comédie-Française. » « En 2009, je jouais à La Manufacture dans le “off” et dans un spectacle de Christophe Honoré dans le “in” », rappelle Sébastien Pouderoux, pensionnaire. Cette double venue de la Comédie-Française correspond aussi à une édition avignonnaise qui, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, affiche des dates communes pour les deux Festivals. Une concordance dont se félicitent aussi bien Harold David que Françoise Nyssen. « Il faut coopérer, sortir des silos ; “in” et “off”, c’est absurde, il y a d’abord un public et du théâtre », insiste l’ancienne ministre. Mais un tel rapprochement nécessite d’« inventer un autre modèle économique », précise le coprésident d’AF&C. Car si la Comédie-Française peut venir dans le « off », c’est parce que La Scala dispose d’une salle de 600 places (la plus importante de ce festival) et a les reins financiers suffisamment solides pour acheter un spectacle du Français et équilibrer, grâce aux recettes de billetterie, avec un tarif des places (48 euros à l’orchestre, 37 euros au balcon) bien plus élevé que ce qui se pratique habituellement dans le « off ». Le Soulier de satin, mis en scène par Eric Ruf. Cour d’honneur du Palais des papes, Avignon, du 19 au 25 juillet. Les Serge (Gainsbourg point barre), mis en scène par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux. La Scala Provence, Avignon, du 15 au 26 juillet. Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale)
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Le spectateur de Belleville
July 14, 4:30 PM
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Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 13 juillet 2025 Avec sa nouvelle pièce, qui réunit six personnages dans un chalet bavarois, le metteur en scène suisse offre un spectacle jubilatoire, à la fois politique et poétique.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/13/au-festival-d-avignon-folie-douce-au-sommet-avec-christoph-marthaler_6621016_3246.html
C’est comme une drogue. Un shoot de folie douce dans la dureté des temps, qui vous enivre et vous fait entrer en lévitation. Une ivresse indéfinissable, comme si l’air des montagnes s’était engouffré dans la fournaise avignonnaise. Avec Le Sommet, le maître suisse Christoph Marthaler, 73 ans, a offert au Festival, où il n’était pas revenu depuis 2013, une merveille de spectacle, où son sens de l’absurde aérien le dispute à l’acuité politique sur les temps de désagrégation que nous vivons. Un cadeau. Lire l’entretien avec Charlotte Clamens, comédienne : Article réservé à nos abonnés « Le théâtre de Christoph Marthaler, c’est la performance de l’antiperformance » Alors, d’abord le décor. Un chalet en bois qui semble construit directement sur la roche de la montagne, puisque celle-ci affleure à même le plancher. L’endroit est tellement perché que l’on n’y accède que par un monte-charge, qui recrache en premier lieu une copie de La Joconde ainsi que divers objets tout aussi inattendus, déclenchant l’hilarité générale. Avant de laisser la place à un petit groupe d’humains, arrivant un par un, trois femmes, trois hommes. Chapeaux à plumes, gilets en laine jacquard, culottes de peau tyroliennes et chaussures de randonnée, il semblerait bien que l’on soit dans les Alpes bavaroises – peut-être suivez-vous notre regard, déjà. Que viennent-ils faire là, ces humains qui parlent en français, en italien, en anglais (d’Ecosse), en allemand et même dans un dialecte autrichien aux accents archaïques ? S’agit-il là d’un de ces sommets entre grands de ce monde, réunis discrètement en lieu sûr (en apparence, du moins, comme on le verra plus tard) ? Absurdité des temps Après avoir chanté mezza voce à l’unisson, histoire de mieux établir leur communauté, les voilà qui ouvrent de grands classeurs pour se livrer à une irrésistible séance de traduction simultanée, d’autant plus drôle qu’elle ne porte que sur des mots aussi simples que « one », « yes », « no », et surtout « but » – le « mais » étant visiblement l’alpha et l’oméga de ces négociations entre dirigeants réduites jusqu’à l’os. Comme pour mettre à nu une structure révélant l’inanité de ces prétendus échanges. Le sens de la poésie sonore de Christoph Marthaler et de son dramaturge, Malte Ubenauf, atteint ici des sommets, avec ce concert itératif suivi d’une séance de sauna, laquelle fera dangereusement grimper la température alors que dehors il neige, en plein été. Il faut bien se détendre, après un tel effort, une telle accumulation de « mais ». Et avant la cérémonie officielle qui va suivre, réduite elle aussi, mais cette fois par l’expression des corps, à la vanité de sa représentation. Peu à peu, pourtant, l’inquiétude gagne. Un hélicoptère passe très près du chalet, et le bruit d’une forte explosion se fait entendre. Un autre appareil survole les lieux, et largue un gros paquet, qui s’avère rempli… d’extincteurs gonflables – un objet qui, oui, existe bien dans notre monde réel, destiné notamment à tous ceux qui voudraient se déguiser en pompiers. Artefact en lequel Christoph Marthaler semble avoir trouvé le symbole parfait de l’absurdité des temps. Dans la montagne, une voix résonne, annonçant que les routes sont coupées, que la zone est condamnée, pour une durée « de quinze à dix-huit ans ». Puzzle délicat La dramaturgie en apesanteur, d’essence profondément musicale, de Christoph Marthaler tisse sa toile de manière impalpable, laissant le spectateur faire les liens lui-même. Des textes du poète – trop méconnu – Christophe Tarkos, de Pasolini, d’Olivier Cadiot ou de Dylan Thomas se mêlent à des morceaux de Schubert, de Mozart ou d’Adriano Celentano, dans ce puzzle délicat qui sans cesse se redistribue entre cacophonie et harmonie, loin des formes documentaires parfois paresseuses et souvent lourdement démonstratives qui se multiplient sur les plateaux. La jubilation provoquée par ce Sommet marthalérien vient aussi, bien entendu, de la vision de ces pompiers pyromanes que sont les grands de notre monde pris à leur propre piège – celui qu’ils ont fabriqué pour les autres, d’une société invivable. Le rire est doublé d’une note de fond d’une gravité sans appel, dans ce spectacle fourmillant de détails dadaïstes, qui peu à peu, sans que ce soit jamais explicite, convoque les réminiscences d’un autre chalet : le Berghof, à Berchtesgaden, dans les Alpes bavaroises. Adolf Hitler passa la moitié de sa vie, avant et pendant la guerre, dans ce refuge où, en tant que chef d’Etat et de gouvernement allemand, il reçut nombre de personnalités en visite officielle, des Britanniques David Lloyd George et Neville Chamberlain à l’amiral français François Darlan en passant par le duc et la duchesse de Windsor et une noria de diplomates. Pour un homme de la génération de Marthaler, l’histoire du nazisme n’est pas une abstraction. Ne reste alors, sur scène comme dans la salle, qu’à fredonner « Now it’s time to say good night », variation tout en douceur sur Good Night, des Beatles. En attendant la fin du monde. Le Sommet, par Christoph Marthaler. Festival d’Avignon, La FabricA. Jusqu’au 17 juillet. Puis tournée française et européenne jusqu’en avril 2026, notamment à la MC93 de Bobigny, dans le cadre du Festival d’automne, du 3 au 9 octobre. Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE Légende photo : « Le Sommet », de Christoph Marthaler, au Festival d’Avignon, le 12 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON
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Le spectateur de Belleville
July 14, 7:05 AM
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Propos recueillis par Laurent Goumarre / Libération du 13 juillet 2025 De passage dans la cité des Papes pour trois jours, la metteuse en scène raconte son Festival, où «tout va plus vite qu’ailleurs». Etre en retard, c’est possible quand on monte sur scène ? Non, jamais. L’acteur doit être, avant, bien avant que le public rentre. Parce que je crois et je sais qu’il existe quelque chose avant l’entrée des spectateurs. Le théâtre a déjà commencé. L’acteur n’est jamais en retard, il est en avance. Aller au théâtre, mais pourquoi ? Dans quel espoir ? Aller au théâtre, ce n’est pas rien. Ce chemin est déjà une histoire qui peut faire peur. Il faut aider les gens à ouvrir et passer cette porte-là. Pour espérer d’être ensemble. L’espoir s’il y en a un, c’est celui-là : trouver les autres. Quand je suis spectatrice, je garde la même place que j’ai quand je travaille : au milieu. Je ne sais pas s’il faut espérer quelque chose d’autre. La dernière fois où vous vous êtes endormie dans une salle ? Je ne dors jamais ; je peux être dans un état de rêve éveillé, je décroche, et ce n’est pas négatif. C’est comme si parfois les spectacles me permettaient d’avoir un temps à moi, de suspension, de contemplation. Je quitte le sens, je regarde une couleur, un objet, un costume, d’autres chemins pour m’échapper. Je suis dans un autre regard, donc je ne peux pas m’endormir. Jamais. Un geste de la vie quotidienne que vous ne savez pas faire quand vous êtes à Avignon ? Prendre le temps, c’est impossible, on passe d’un spectacle, à un autre avec des tas de rendez-vous. Tout va plus vite qu’ailleurs. Le plus grand risque comme spectateur ? Rester enfermé dans une idée des choses, de ce qu’un spectacle doit être. Il y a un risque à ne pas ouvrir toutes les portes, c’est l’étouffement. Le coup foudre artistique ça existe ? Oh oui. Au pluriel. C’est Raimund Hoghe au Cloître des carmes, c’est une installation de Romeo Castellucci : des petits pieds d’enfants en argile, avec un moteur dessus, qui bougeaient doucement. C’est cette étudiante de Marina Abramovic, à l’école d’art d’Avignon, de dos, qui regardait un coucher de soleil, sans bouger, pendant très longtemps. A pleurer. Qui pour mettre en scène votre vie ? Moi. tout le monde me dit ça : «Arrête de mettre en scène ta vie !» La langue invitée du festival est l’arabe, mais la langue qui s’invite en vous ? Celle du corps. Dans chacun de mes spectacles, c’est sujet-verbe-complément : un acteur à côté d’une table, et une musique, et un ventilateur, et une langue. Ce sont les seules phrases que je comprenne. Des phrases de couleur, de matière. Vous pourriez nous dire en deux mots ce que vous faites à Avignon ? Je sors d’une lecture cabine à Artcena pour présenter une commande Jeune public du CDN de la Commune en 2026 : monster parade. Je lisais des textes dans une cabine, le public ne m’entendait pas, les acteurs avaient une oreillette et disaient le texte qu’ils entendaient. Et là je pars en rendez-vous, en trois jours j’aurai vu tous ceux que j’aurais pu rencontrer en un an. Ses rendez-vous de rentrée : Velvet, 25-27 septembre au CDN de Tours, 6 novembre Scène nationale Saint-Nazaire, 13 novembre Espace Pluriel à Pau, puis une énorme tournée en 2026 Propos recueillis par Laurent Goumarre / Libération Légende photo : La metteuse en scène nathalie béasse à Paris le 4 janvier. (Lisa Miquet/Libération)
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Le spectateur de Belleville
July 12, 2:58 PM
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Par Fabienne Darge, envoyée spéciale du Monde à Athènes - 12 juillet 2025 Le metteur en scène né en Albanie et installé en Grèce présente à Avignon sa nouvelle création, «Mami », dans laquelle il explore les figures maternelles. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/12/festival-d-avignon-les-voyages-balkaniques-de-mario-banushi_6620889_3246.html
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Athènes ne ressemble pas à un cliché pour touristes, en ce jour de mai. Un vent venu d’Afrique a recouvert la ville d’une fine couche de poussières sahariennes, comme un voile de cendres. On suit Mario Banushi dans un quartier modeste et tranquille aux immeubles assoupis, et l’on se croirait dans une petite ville des Balkans, loin, bien loin de la grandeur athénienne. Le jeune metteur en scène, qui est l’artiste à découvrir dans ce Festival d’Avignon 2025, où il présente sa création intitulée Mami, a grandi entre ce quartier d’Ilioupoli et la périphérie campagnarde de Tirana, en Albanie. Il emmène sur les lieux de son enfance comme autant de stations sur un parcours qui l’a vu, en quelques années et trois spectacles, devenir à 26 ans la coqueluche des programmateurs de théâtre du monde entier, d’Avignon à Taipei en passant par Montréal ou Sydney. Un « conte de fées » dont il ne revient pas lui-même. D’emblée, dès sa première création, Ragada (2022), il a imposé son univers, totalement singulier : un théâtre sans paroles, marqué du sceau du rituel et gorgé d’images à la beauté irradiante, qui fait irrésistiblement penser dans son étrangeté poétique au monde du grand cinéaste géorgien Sergueï Paradjanov. « Comme j’ai grandi dans un milieu totalement éloigné de l’art, et dans l’idée que personne n’allait m’aider, j’ai vraiment dû partir de moi-même, de mes émotions, de mes sensations, pour créer », dit-il en montrant le petit terre-plein, dans le parc jouxtant l’immeuble de son enfance, où il venait seul, en son adolescence, déclamer des monologues. Mario Banushi a très vite su que sa vie se construirait entre les arts plastiques, la musique et le théâtre, sans avoir la moindre idée de ce qui avait pu le conduire vers ce désir. Pour lui permettre de mener ses études au Conservatoire d’Athènes et économiser le loyer de leur appartement, sa mère est allée vivre avec lui dans le minuscule local qui surplombe la boulangerie qu’elle tient aujourd’hui encore à Ilioupoli. « Ma mère est vraiment mon héroïne, et plus généralement les femmes de ma famille, qui traversent tous mes spectacles, affirme Mario Banushi. C’était extraordinaire pour moi d’intégrer le conservatoire, mais, pour autant, je ne me suis pas du tout reconnu dans l’enseignement, qui était globalement très classique, stanislavskien [du nom du comédien, metteur en scène et professeur d’art dramatique russe Constantin Stanislavski]. J’ai vite compris que le théâtre de texte n’était pas mon truc et que ce que je voulais, c’était chercher dans le corps, dans l’énergie, pour pouvoir exprimer des motifs très personnels. » Intimité dans l’étrangeté C’est au conservatoire, pourtant, qu’il découvre le travail de Pina Bausch ou de Christoph Marthaler, dont il se sent beaucoup plus proche, et qui s’est combiné chez lui avec son « amour » pour la musicienne-performeuse Laurie Anderson et pour le cinéaste Andreï Tarkovski. Ces découvertes ont ouvert des portes, même si son univers n’a rien à voir avec celui de ces illustres prédécesseurs, de même qu’avec celui de Romeo Castellucci, avec lequel on le compare pourtant souvent. « J’ai vu mon premier spectacle de Castellucci il y a deux ans, alors que j’avais déjà créé mes trois premières pièces », dit-il en s’amusant. « Je n’ai pas créé mon propre univers parce que je me suis dit que je voulais le faire, insiste Mario Banushi. C’est vraiment venu de mon esprit, de mon âme, et de ceux de mes performeurs, et surtout performeuses, que je choisis d’abord pour les personnes qu’elles sont, ce qui émane d’elles. Mon premier spectacle, Ragada, qui a été imaginé dans une maison d’Ilioupoli, en dehors de toute institution, a été déterminant pour la suite, dans la manière de créer un sentiment d’intimité, de familiarité avec les spectateurs, au sein d’une forme d’étrangeté. » « Cette pièce, avec son parfum balkanique, a d’emblée séduit le public grec, qui se sent très coupé de cette culture, en raison de l’européanisation et de l’américanisation générales », explique Konstantinos Tzathas, le programmateur des spectacles vivants du Centre Onassis d’Athènes, qui a produit Mami. « Mes pièces sont très balkaniques dans leurs inspirations, confirme Mario Banushi. Et cela ne pose aucun problème : que l’on joue à Londres ou à Taipei, les spectateurs se reconnaissent quand même, parce que je parle à leur âme, depuis la mienne. » Le metteur en scène reste marqué par l’Albanie de son enfance, où il a vécu jusqu’à l’âge de 6 ans, chez sa grand-mère, à qui sa mère, qui élevait seule ses enfants, l’avait confié. « L’Albanie est un pays où les traditions ont été beaucoup plus sauvegardées qu’ailleurs en Europe. Les rituels y sont encore très présents dans la vie quotidienne, avec leurs costumes, leurs chants polyphoniques. Toutes ces sensations, ces couleurs, ces odeurs, ces sons sont encore très présents en moi. Et le fait d’avoir été élevé entre deux langues a certainement produit chez moi un rapport particulier au langage. » De ses spectacles sans paroles Mario Banushi dit qu’ils sont « des livres immatériels », qui doivent conduire chacun à la rencontre avec soi-même. Il les travaille en peintre, plus qu’en metteur en scène au sens classique du terme, en réinventant des formes de rituel de deuil et de renaissance : ses deux précédentes créations, Goodbye, Lindita (2023) et Taverna Miresia. Mario, Bella, Anastasia (2023), sont parties de la mort de sa grand-mère, puis de celles de sa belle-mère et de son père, qui tenaient un restaurant à Tirana. Substrat pictural Toute création commence donc par un intense travail pictural, reposant sur le dessin et la photographie. Puis vient l’étape de la composition, directement sur le plateau. « Je travaille beaucoup avec les couleurs, les corps, la lumière. Je choisis moi-même le moindre élément scénique, costumes ou objets : je veux que tout soit exactement comme le sentiment que j’ai. C’est un travail très particulier pour les performeurs : il faut essayer, essayer encore, et petit à petit on choisit, on enlève, pour que finalement il y ait une histoire, et pas seulement des images. C’est le montage entre les images qui fait histoire, il ne s’agit pas de faire de l’image pour faire de l’image. » Même si le substrat pictural est fondamental chez ce grand amoureux de Jérôme Bosch ou de Fra Angelico, de Sophie Calle ou de Nan Goldin, Mario Banushi fuit comme la peste le côté « vitrine » que pourraient avoir ses spectacles. « Même si la beauté compte beaucoup pour moi, on ne doit pas en rester à ce niveau-là, ce que l’on cherche avant tout, ce sont les formes du réel, l’expérience profondément vécue. Idéalement, ce que je veux, c’est faire pleurer les spectateurs… » Avec Mami, il revient vers la figure de la mère, qui était déjà au cœur de son premier spectacle, Ragada (mot qui, en grec, signifie « vergetures », celles que laisse la grossesse sur le corps des femmes). Mais une mère multiple, diffractée. « Cela peut paraître étrange, mais le mot “mère” a toujours désigné pour moi plusieurs personnes. J’ai été élevé par toute une série de figures maternelles, grand-mère, sœurs aînées, femmes travaillant à la boulangerie… » En Albanie, avant de venir vivre en Grèce, la mère de Mario Banushi était sage-femme. Le jeune homme a grandi entouré d’histoires d’accouchements. Après les pièces précédentes, baignées par la douleur et le deuil, Mami se tourne donc vers la naissance et la vie. « Depuis longtemps, je me demande qui protège qui, dans une famille. Est-ce toujours le plus grand qui veille sur le plus petit ? Rien n’est moins sûr. Je suis un grand amoureux d’Alice au pays des merveilles, et j’avais envie de jouer sur les rapports entre des corps très grands et très petits. J’aime travailler cette dimension onirique, de conte de fées. » En regardant le théâtre du parc d’Ilioupoli, où il a vu ses premiers spectacles, des tragédies venues du théâtre antique d’Epidaure, Mario Banushi sourit : « Mon théâtre est aux antipodes de la tragédie classique, tellement remplie de mots… Mais, finalement, nous parlons de la même chose, de ce foyer fondamental qu’est la famille. » Sauf que Mario Banushi a injecté dans le bruit et la fureur de la grande forme grecque une mélancolie et une douceur toutes balkaniques. Sa Grèce à lui n’est pas celle, calcinée par le soleil et les passions, de la tragédie canonique. Elle s’offre dans l’ombre cendreuse de sentiments plus ordinaires mais intensément éprouvés, passés au tamis des souvenirs qui forment l’étoffe de nos vies. Mami. Création et mise en scène de Mario Banushi. Avec Vasiliki Driva, Dimitris Lagos, Eftychia Stefanou, Angeliki Stellatou, Fotis Stratigos, Panagiota Υiagli, Ilia Koukouzeli. Gymnase du lycée Aubanel, les 13, 14, 16, 17 et 18 juillet à 18 h 30. Durée : 1 h 10. Fabienne Darge (Athènes) Légende photo : Ilia Koukouzeli et Fotis Stratigos dans « Mami », de Mario Banushi, lors d’une répétition à Athènes, le 4 février. ANDREAS SIMOPOULOS
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Le spectateur de Belleville
July 2, 7:42 AM
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L'hommage de Philippe Lançon dans Libération - 2 juillet 2025 Jeanne d’Arc devant la caméra de Robert Bresson, l’écrivaine et académicienne s’est éteinte mardi 1er juillet à 84 ans. Florence Delay est morte juste après l’aube, mardi 1er juillet, à 84 ans. Depuis quelque temps, le souffle lui manquait. Depuis deux jours, elle rêvait. Dans Mon Espagne : or et ciel (Hermann, 2008), elle rappelait que le lexique espagnol n’a qu’un seul mot pour désigner rêve, songe et sommeil : sueño. Cette polysémie allait comme un gant – de soie et d’acier, tenant la cape et l’épée – à la romancière, la traductrice, l’actrice qui fut à 20 ans la Jeanne d’Arc de Robert Bresson, l’amoureuse du Siècle d’or espagnol, l’enseignante universitaire, l’amie et, par-dessus tout, la femme qu’elle était. Polysémie qui conduisait, par éducation et comme par miracle, à une admirable clarté d’expression. La légèreté signait la précision, le jeu enveloppait l’érudition. Ce qui émane de cet estuaire intime entre dormir, songer, rêver, c’est en effet ce qu’elle incarnait avec un naturel souverain et discrètement scandaleux pour nous autres, pauvres bipèdes : la grâce ; autrement dit, une classe presque absolue, intérieure et extérieure. Sa voix grave, sa diction parfaite, son sourire affectueux mais inquiétant, son regard transparent, distingué mais sauvage, ce qu’on sentait parfois de rudesse retenue, rien ne semblait tout à fait soumis en elle aux lois ordinaires de la pesanteur. «Je dois une chandelle à ce tricot» Elle a raconté, entre autres dans la Vie comme au théâtre (Gallimard, 2015), sa passion d’enfance pour cet art, pour la dynamique de la troupe, qui ne l’a pas plus quittée que son amour parallèle de l’Espagne. Elle allait avoir 20 ans quand Lydia Michel, la mère de son amie la future militante maoïste et écrivaine Natacha Michel, lui dit en roulant les r, un soir d’hiver à la sortie du Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne : «Notre ami Robert Bresson cherche une jeune fille pour jouer Jeanne d’Arc dans son prochain film. Je me demande si tu ne ferais pas l’affaire. Je vais dire à Natacha (elle accentuait le nom sur la deuxième syllabe), de te conduire à lui […]. J’ai oublié la pièce qu’on jouait au TNP, pas le tricot bleu marine à col roulé que je portais ce soir-là. Je dois une chandelle à ce tricot, et à Natacha qui me conduisit quai de Bourbon, île Saint-Louis, où habitait Bresson. Je conduirais là, trois ou quatre ans après, Anne Wiazemsky pour Au hasard Balthazar. Telle était, secrète et originale, la chaîne qui se créait entre les “modèles” de Robert Bresson.» Après quelques essais, elle ne fut pas retenue, jusqu’au jour, à la veille de l’été, où elle trouva sous sa porte «un petit bleu qui disait de ne pas partir en vacances, d’appeler tout de suite, que j’étais “Jeanne”. Plus rien n’existe de tout ça, ni les êtres aimés, ni les petits bleus». Cependant, «le tournage du Procès de Jeanne d’Arc à l’orangerie de l’observatoire de Meudon, l’été de mes 20 ans, est un moment important de ma vie par sa densité, sa grâce, son enseignement, ses retombées immédiates et futures». De ce tournage, quelque chose d’essentiel a survécu : «Bresson m’a appris comment dire à haute voix. Comment faire entendre une parole, un texte, sans les intonations qui fourvoient, et ce dont je lui suis peut-être le plus reconnaissante, comment dire la poésie.» «Obstination splendide» Son enfance apparaît, sous forme romanesque, dans un de ses derniers livres, Un été à Miradour (Gallimard, 2021). Madelou est un surnom de sa mère, écrit sur le porte-cigarettes de celle-ci. Son grand-père, chirurgien, a été maire de Bayonne. Son père, le psychiatre et écrivain Jean Delay, est l’auteur de livres qu’on a peut-être tort de ne plus lire, par exemple la Jeunesse d’André Gide (Gallimard, 1957). Dans la Vie comme au théâtre, elle décrit en détail ce qu’elle appelle «le coucher du père», qui est un lève-tôt. Il se déshabille avec soin, met une chemise de nuit : «Je suis contente que mon père porte des chemises de nuit et pas ces banals pyjamas à rayures qui transforment le sommeil en bagne. Je m’en souviendrai.» Il a sorti la monnaie de ses poches : «Je m’approche ensuite de la cheminée et demande si je ne pourrais pas le débarrasser de quelques centimes encombrants. Il acquiesce. Je fais un tas de centimes. Il l’augmente avec libéralité de quelques francs, puis s’assure que j’ai appris mes leçons. J’hésite un peu et c’est le terrible moment du congé.» En 1986, père et fille sont invités sur le plateau d’Apostrophes. L’émission, assez perverse, s’intitule ce jour-là : «Un stylo dans le patrimoine génétique». Emmanuel Carrère, également présent avec sa mère, raconte drôlement l’épreuve œdipienne dans son prochain livre, Kolkhoze (P.O.L, parution début septembre). Soudain, au milieu d’une phrase, «Jean Delay a écarquillé encore plus grand les yeux et il est d’un seul coup tombé en avant, le front butant sur la table basse couverte de livres, tout son grand corps distingué, sanglé dans un costume bleu nuit, glissant hors du fauteuil. A suivi un moment d’une extrême confusion, tout le monde croyant qu’il était en train de mourir en direct – un grand moment de télévision, comme on dit, dont Pivot se serait bien passé. Florence Delay s’est précipitée sur son père, lui a relevé la tête, il avait le regard vitreux, des techniciens sont arrivés pour le transporter en coulisse». Pivot enchaîne, avec embarras et souplesse, l’émission continue et Jean Delay revient sur le plateau, s’excuse. Carrère note que, dans son souvenir, tout cela dura quatre ou cinq minutes, autrement dit une éternité, mais que ces minutes, si elles ont existé, ne sont plus visibles sur le site de l’INA : «Je pourrais interroger Florence Delay, entre-temps devenue académicienne et qui m’a affectueusement serré dans ses bras à l’enterrement de ma mère.» Il ne pourra plus le faire. Jean Delay, mort l’année suivante, avait été académicien avant sa fille. Elle entre dans l’institution en 2000, au fauteuil numéro 10, qui fut celui d’Alfred de Musset, de François Coppée et de Jean Guitton auquel elle rend hommage. Elle est sans doute portée par le souvenir de son père, mais aussi animée par le souci de faire venir des écrivains qu’elle aime. Elle échouera. L’échec est une forme d’éclair qu’elle a su évoquer aussi bien que la fête. L’un de ses romans, l’Insuccès de la fête, conte comment un grand poète méconnu, Etienne Jodelle, fut chargé, sous Henri II, de composer et de mettre en scène une tragédie pour recevoir le duc de Guise, qui venait de reprendre Calais aux Anglais. Il avait quatre jours. Il échoua. Elle conclut : «L’échec retentissant que connut sa fête eut sur Etienne Jodelle des conséquences graves dont je suis, pour ma part, les traces jusqu’à sa mort et où je vois l’origine de sa double vie exemplaire, l’une, de la sinistre mobilité du jeu social, l’autre, de l’obstination splendide du secret poétique.» Florence a participé à «la sinistre mobilité du jeu social», mais «l’obstination splendide du secret poétique» a toujours prévalu en elle. «Impeccable» Elle a été chrétienne, puis cessé de l’être, avant de l’être de nouveau ; mais elle le fut à sa façon, selon ses propres rites et inspirations, à sa fantaisie. Elle a été la filleule de lettres et d’esprit de l’écrivain espagnol José Bergamín. Elle a connu le curé qui donna l’extrême-onction à Bernanos. «Affection» était un mot qu’elle aimait et employait volontiers. Elle aimait le champagne, le mystère, les chevaliers, le Pays basque (et même, à un moment, l’ETA), Biarritz où elle avait une maison. Elle aimait aussi les récits médiévaux et les chants indiens, réécrivant les uns pour la scène (ou pas) et traduisant les autres avec son ami le poète Jacques Roubaud. Ce qu’elle écrivait de Gérard de Nerval dans Dit Nerval, l ’un de ses meilleurs livres, largement consacré à son père, on pourrait le dire d’elle : «Fatalité ou providence, les chemins aussi s’écrivent, il s’empresse de les suivre.» Dans le même livre, elle se demande aussi : «Le roman rendra-t-il jamais l’effet des combinaisons bizarres de la vie ?» Dormir, rêver peut-être… «Dormir est, depuis l’enfance, a-t-elle écrit, ce que je fais le mieux et le plus volontiers, même si je fais volontiers d’autres choses. Disons : ce que je fais de plus impeccable.» Et, sensible à l’étymologie du langage comme à des racines qui vous emportent vers un terrier magique en libérant les attaches, suspendue à cet adjectif, «impeccable», que tout autre qu’elle risque toujours d’utiliser comme un juge ou un tailleur, elle ajoutait : «Ciel ! Il vient droit du “péché”. Impeccabilis, en latin ecclésiastique, signifie “incapable de pécher”. Par extension, “qui ne peut faillir”.» Pour le corriger aussitôt afin de lui redonner un sens plus ancien et, du même coup, sa «vivacité» : «Quitter la bonne route, le droit chemin, dévier, se perdre, s’égarer.» Son dernier livre, publié en 2023, s’intitule Zigzag. Elle y célèbre la forme brève, la vitesse de la pensée, de l’écrit et, en creux, son orgueil brandi et dérouté : «S’ils ne sont pas sortis de la cuisse de Jupiter, les orgueilleux auteurs de formes brèves se croient sortis de sa main et tiennent, comme eux, leur attribut à la main : le zigzag.» Légende photo : Florence Delay en juin 2021. (Vincent Muller/opale.photo)
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