Revue de presse théâtre
2.5M views | +11 today
Follow
 
Scooped by Le spectateur de Belleville
onto Revue de presse théâtre
April 22, 2018 5:21 AM
Scoop.it!

Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès

Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Blandine Masson sur la page des Fictions, site de France Culture


Né en avril 1948, et mort à Paris le 15 avril 1989, Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique français aurait eu ce mois ci 70 ans.


Au moment de sa disparition, son œuvre dramatique comptait déjà six pièces publiées aux éditions de Minuit et beaucoup d’autres inédites, que l’on découvrit peu à peu ces dernières années. Le monde du théâtre le reconnut avec sa pièce La nuit juste avant les forêts écrite pour le comédien Yves Ferry et créée ici même à Avignon en 1977. Une reconnaissance qui arrivait bien tard, au bout de dix longues années d’écriture et qui se confirma avec les mises en scène de Quai Ouest, Combat de nègre et de chiens, Dans la solitude des champs de coton, par Patrice Chéreau.      


Bien avant d'être publiées, bien avant d'être mises en scène, les premières œuvres de B.M. Koltès, L'Héritage et Des voix sourdes ont été diffusées sur Radio France Alsace et sur France Culture dès 1972. Et jusqu'en 1989, la radio lui est restée fidèle, enregistrant toutes ses pièces dans le « Nouveau Répertoire Dramatique » de Lucien Attoun, mais aussi de longs entretiens.

Blandine Masson

Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès

Publié aux Editions de Minuit

Lecture-spectacle dirigée et mise en ondes par Georges Lavaudant, avec la complicité de Blandine Masson pour la réalisation radiophonique

Enregistrée en public dans la grande salle du Théâtre de la Ville le vendredi 30 octobre 2009.

Co-production France culture et Théâtre de la ville

Avec notamment : 

Eric Elmosnino (Roberto Zucco), Marilu Marini, Sarah Forestier, Astrid Bas, Pascal Reneric,  Alain Rimoux,  André Marcon, Irina Dalle, Babacar M’Baye Fall, André Wilms, Frederic Borie, .Manuel Lelièvre...

Roberto Zucco, pièce en 15 tableaux de Bernard-Marie Koltès, fut achevée en 1989, peu avant la mort de l’écrivain. Ecrite à partir d’un fait divers contemporain, elle a été fréquemment mise en scène, par Peter Stein pour la première fois, en 1990, puis, par Bruno Boëglin, Denis Marleau, LluisPpasqual, Jean-Louis Martinelli.

Roberto Zucco, assassin de son père, s'échappe de la prison, retourne chez sa mère et la tue. Il dépucelle la « gamine » qui l'héberge un soir sous la table de la cuisine ; elle tombe amoureuse de cet aventurier qui la sort de son univers familial sordide. À la recherche de son amant en cavale, la gamine quitte la maison malgré sa sœur qui veut la protéger, et fréquente les quartiers louches du Petit Chicago. Sans le vouloir, elle finit par dénoncer Zucco à la police. Ayant tué un enfant dans un parc public, devant la foule ébahie, Zucco s'enfuit avec la mère. Il finit par être arrêté. Il met fin à ses jours en se jetant du haut du toit de la prison. 

BIBLIOGRAPHIE

Roberto Zucco
Bernard-Marie Koltès
Minuit, 2011

 

Légende photo : Bernard-Marie Koltès, Octobre 1985• Crédits : Ulf Andersen / Aurimages - AFP

No comment yet.
Revue de presse théâtre
LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
Your new post is loading...
Your new post is loading...

Quelques mots-clés

Rescooped by Le spectateur de Belleville from Revue de presse théâtre
September 2, 2018 4:11 AM
Scoop.it!

Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre

Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Quelques astuces pour tirer profit de tous les services de  la Revue de presse théâtre

 

 

Les publications les plus récentes se trouvent sur la première page, mais en pages suivantes vous retrouverez d’autres posts qui correspondent aussi à l’actualité artistique ou à vos centres d’intérêt. (Navigation vers les pages suivantes au bas de la page)

 

 

 Les auteurs des articles et les publications  avec la date de parution sont systématiquement indiqués. 

 

Les articles sont le plus souvent repris intégralement.

 

Chaque « post » est un lien vers le site d’où il est extrait. D’où la possibilité de cliquer sur le titre ou la photo pour lire l’article entier dans son site d’origine .  Vous retrouverez la présentation originale de l'article : les titres, les photographies et les vidéos voulues par le site du journal ou l’auteur du blog d’où l’article est cité.

 

 

Pour suivre régulièrement l’activité de la Revue de presse : vous pouvez vous abonner (bouton bleu turquoise INSCRIPTION GRATUITE ) et, en inscrivant votre adresse e-mail ou votre profil Facebook,  recevoir des nouvelles par mail des publications les plus récentes de la Revue de presse

 

 

Vous pouvez aussi, si vous êtes inscrits sur Facebook, aller sur la page de la revue de presse théâtre à cette adresse :  https://www.facebook.com/revuedepressetheatre

et  vous abonner à cette page pour être tenu à jour des nouvelles publications. 

sur  X (anciennement Twitter), il y a un compte "Revue de presse théâtre" qui propose un lien avec tous ces posts, plus d'autres articles, brèves et nouvelles glanés sur ce réseau social : @PresseTheatre

https://x.com/PresseTheatre

 

 

 

Vous pouvez faire une recherche par mot sur 12 ans de publications de presse et de blogs théâtre, soit en utilisant la liste affichée ci-dessus des mots-clés les plus récurrents , soit en cliquant sur le signe en forme d’étiquette à droite de la barre d’outils - qui est le moteur de recherche de ce blog ("Search in topic") . Cliquer sur le dessin de l'entonnoir (Filtres) et ensuite taper un mot lié à votre recherche. Exemples : « intermittents » (plus d’une centaine d’articles de presse comportant ce mot) « Olivier Py» ( plus de cinquante articles ), Jean-Pierre Thibaudat (plus de cent articles),  Comédie-Française (plus de cent articles), Nicolas Bouchaud (plus de cinquante articles), etc.

 

Nous ne lisons pas les "Suggestions" (qui sont le plus souvent jusqu'à présent des invitations, des communiqués de presse ou des blogs auto-promotionnels), donc inutile d'en envoyer, merci !

 

Bonne navigation sur la Revue de presse théâtre !

 

Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

Peut être utile au lycée

Scooped by Le spectateur de Belleville
July 21, 4:47 PM
Scoop.it!

Godot attendait Osinski | La critique de Jean-Pierre Thibaudat 

Godot attendait Osinski | La critique de Jean-Pierre Thibaudat  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié le 15 juillet 2025 par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog

 

 

Il y a trente ans, Jacques Osinski créait son premier spectacle d’après La faim de Knut Hamsun avec un certain Denis Lavant. Au fil des années, ils devaient se retrouver plusieurs fois autour des textes de Beckett. C’était encore le cas la saison dernière avec Fin de partie (lire ici). Et donc, cette année, avec En attendant Godot. Denis Lavant dans le rôle de Vladimir dit Didi et Jacques Bonnaffé dans celui d’Estragon dit Gogo, deux vagabonds qui n’en finissent pas de ne pas se séparer et qui attendent un certain Godot qu’ils attendront encore à la fin de la pièce.

La pièce En attendant Godot a été publiée en 1952 aux Entions de Minuit ( comme tous les textes de Beckett) et,depuis, souvent rééditée avec en couverture une image reprise de la mise en scène de Roger Blin qui créa la pièce dans un petit théâtre parisien aujourd’hui disparu. La pièce, traduite dans bien des langues, a été jouée, et reste toujours jouée, de par le monde, sur une multitude de scènes. En France, Jean-Pierre Vincent puis , plus récemment Alain Françon l’ont servie avec force.

Comme Françon, Osinski part non de la version publiée en France mais d’une version dite de Saint Quentin dans une mise en scène de Walter Asmus, version reprenant la mise en scène signée par Beckett lui-même en 1975 au Schiller théâtre de Berlin et où Asmus était son assistant. Beckett assista aux répétitions de son ancien assistant, modifia quelque peu le texte ( ajoutant « de la chair aux os » aux dires des acteurs) et plusieurs didascalies. Ainsi, au tout début de la pièce, Beckett note : «  Estragon est sur le sol. Il appartient à la pierre. Vladimir est lumière. Il est orienté vers le ciel. Il appartient à l’arbre ».

Estragon (Denis Lavant) est donc assis sur une pierre, il essaie d’ôter son soulier. Plus loin, se tient Vladimir (Jacques Bonnaffé), non loin de l’ arbre aux branches nues. Au deuxième acte, l’arbre sera pourvu de « quelques feuilles » . « J’aime cette attention que Beckett porte aux éléments : minéral (pierre), végétal (arbre), animal (homme). Il y a quelque chose de très concret, très terrien qui m’intéresse, j’ai envie de partir de ça pour mettre en scène Godot » note Osinski.

Je ne sais pas si Lavant et Bonnaffé ont déjà joué ensemble, l’un terrien, l’autre plus aérien, ils font merveilleusement la paire. Plus tard, apparaîtront Pozzo (Aurélien Recoing qui fut proche de Vitez ) tenant au bout d’une corde son serviteur, esclave soumis, Lucky (Jean François Lapalus qui appartenait à la troupe du TNS dans les années Vincent). Le dernier et éphémère personnage, un enfant, apparaît en impression virtuelle, informant Estragon et Vladimir que « monsieur Godot » ne viendra pas le soir. Personnages moins éphémères, Pozzo et Lucky, gardent un part de leur mystère quant à leur identité et à leur relation, l’un tenant l’autre par une corde. Ils quitteront la scène laissant seuls Estragon et Vladimir lesquels  pour finir, disent vouloir partir et ne bougent pas. La force d’Osinski est là : loin d’expliquer ces quatre personnages, il .en accentue progressivement l’ insaisissable mystère. 

 

 

Jean-Pierre Thibaudat 

 


Avignon off, au Théâtre des Halles, 21h jusqu’au 26 juillet. Puis tournée : le 27 juil au festival de Figeac, le 29 juil  au festival Beckett à Roussillon et la saison prochaine du 25 mars au 3 mai au Théâtre de l’Atelier à Paris. .

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 21, 6:09 AM
Scoop.it!

A Avignon, les voyages dans un réel en crise de Caroline Gillet et Aurélie Charon

A Avignon, les voyages dans un réel en crise de Caroline Gillet et Aurélie Charon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 21 juillet 2025

 

Avec « One’s Own Room Inside Kabul » et « Radio Live », les deux productrices de radio parviennent à trouver une alchimie singulière pour donner une dimension sensible à l’actualité.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/21/a-avignon-les-voyages-dans-un-reel-en-crise-de-caroline-gillet-et-aurelie-charon_6622681_3246.html

 

Il y a bien mille et une façons de faire percevoir le réel, sur scène comme ailleurs. Dans ce Festival d’Avignon 2025 qui s’achemine doucement vers sa fin (samedi 26 juillet), les propositions auront été nombreuses, de spectacles tentant de convoquer ce réel sur les plateaux. Avec plus ou moins de réussite : moins, quand la forme documentaire apparaît comme une facilité dispensant de toute vraie écriture. Plus, quand celle-ci s’enrichit d’une dimension sensible et trouve une alchimie singulière, comme c’est le cas avec Caroline Gillet et Aurélie Charon, deux femmes de radio suffisamment rompues à l’exercice journalistique pour mieux le déplacer et le dépasser.

 

La première, qui a longtemps travaillé avec la seconde, invite à une expérience particulière, en compagnie de la plasticienne et performeuse Kubra Khademi, qui a fui l’Afghanistan en 2015, et vit désormais en France. A savoir, entrer dans l’intérieur des femmes afghanes, cet intérieur qui est devenu sous le régime des talibans leur seul horizon.

Monde du dehors et du dedans

Dans une petite salle du cloître Saint-Louis, le public est invité à se déchausser, et à s’asseoir sur deux banquettes de velours rouge qui se font face. Au milieu, de la vaisselle a été disposée comme pour un repas, avec des pièces de céramique réalisées par Kubra Khademi, où l’on reconnaît ses images de femmes libres et nues, notamment ses amazones armées d’un arc, chevauchant d’étranges montures.

 

La porte de la pièce se referme, comme elle s’est refermée sur les Afghanes. C’est d’abord par le son que l’on perçoit le quotidien de la jeune femme qui va s’exprimer ici, un quotidien réduit aux tâches domestiques. Depuis août 2021, date de la prise du pouvoir par les talibans, les femmes ont été privées de tous droits, réduites à des ombres : interdiction de discuter entre elles, de chanter, de s’éduquer, de circuler, sauf sous conditions strictes.

Tout se joue ici dans le dialogue entre le son et l’image, dans le contraste entre inside et outside, entre le monde du dehors, tel qu’il apparaît sur les images projetées sur des écrans, et celui du dedans, où le bruit des casseroles et de l’aspirateur prédominent. Le monde du dehors : des rues remplies d’hommes, où apparaît parfois, fugacement, une petite fille.

 

Par son dispositif même, One’s Own Room Inside Kabul fait éprouver la dimension étouffante de ces vies, et ressentir directement l’absence de présence réelle, qui prend ici tout son sens : les femmes afghanes sont devenues des fantômes. On sort avec une tristesse infinie de cette chambre-prison, à l’issue d’une séance où personne, dans le public, n’a eu l’idée d’applaudir.

Marathon

Le Radio Live d’Aurélie Charon, lui, se déploie au fil de trois épisodes de près de trois heures, qui forment une traversée de neuf heures si on les voit en intégrale. C’est le marathon de ce festival, qui pour une fois se trouve être une épopée du réel. Depuis dix ans, Aurélie Charon, productrice à France Culture, est partie à la rencontre de jeunes gens issus de zones de conflit, de Gaza à la Bosnie, de l’Ukraine à la Syrie, du Rwanda au Liban. Et peu à peu, elle a inventé une forme documentaire qui porte bien son nom, puisqu’elle inscrit l’exercice de l’interview dans le présent partagé du théâtre et dans la présence réelle, tout en faisant du plateau un espace à même de mêler le réel à l’imaginaire.

Un espace accueillant, aussi, autant pour les personnes invitées que pour les différentes formes qui vont dialoguer entre elles, qu’il s’agisse de l’image vidéo, de la musique, du dessin ou des documents d’archives. Au fil de ces trois épisodes, on a ainsi pu rencontrer Hala, qui a fui la Syrie en 2015, après que son père, communiste, opposant au régime des Al-Assad, a été arrêté et torturé à mort.

 

Ou Oksana qui, avant la guerre, était enseignante, comédienne et animatrice d’un club techno organisant des soirées queer à Kiev, et qui, depuis l’invasion russe en Ukraine, travaille comme fixeuse, sur la ligne de front, avec des journalistes internationaux. Mais aussi Amir et Yannick, le premier venant de Gaza, où il a grandi dans le camp de réfugiés d’Al-Chati, le second du Rwanda, où sa grand-mère a été tuée lors du génocide contre les Tutsi. La liste n’est pas exhaustive.

 

 

Processus de reconstruction

Radio Live ne se contente pas d’aligner les témoignages, aussi forts soient-ils. C’est bien à un voyage qu’emmènent Aurélie Charon et son équipe, qui mêle les entretiens menés en direct – aucun texte n’est écrit au préalable – à un vaste travail sensible et mémoriel, par multiples petites touches significatives. Les photos extraites des archives familiales, le travail musical et vocal mené, en live sur le plateau, par Emma Prat sur tout un répertoire appartenant à ces différents univers, la création visuelle, en live elle aussi, de Gala Vanson, dont les dessins apportent poésie et humour… Tout concourt à la réussite de l’ensemble, qui permet de rentrer dans l’épaisseur des vies, avec une humanité et une douceur constantes.

 

Laisser parler les images, comme lors de ce long voyage en train vers Mostar (Bosnie-Herzégovine) qui provoque une émotion indicible, ou une chanson de Fayrouz, ou des extraits d’une série télévisée arabe digne des Feux de l’amour… Tout autant que laisser la parole, sans la couper systématiquement, à des témoins capitaux, comme cette femme qui, à Kigali, explique le processus de justice et de réconciliation original mis en place au Rwanda après le génocide. Voilà ce qui fait le prix de Radio Live, grâce à un art consommé du montage, qui à ce niveau-là est bien une forme d’écriture.

 

Les processus de reconstruction sont au cœur de cette traversée qui a reçu un formidable accueil à Avignon, chaque représentation se terminant par une salle debout, saluant ainsi, outre les talents à l’œuvre, l’esprit de fraternité, d’écoute, de courage et de combat qui se dégage de cette odyssée. Il semblerait bien que le réel au théâtre n’ait pas dit son dernier mot.

 

 

One’s Own Room Inside Kabul, par Caroline Gillet et Kubra Khademi. Cloître Saint-Louis, salle des colloques, jusqu’au 24 juillet. Radio Live, par Aurélie Charon. Théâtre Benoît-XII, jusqu’au 21 juillet. Puis tournée jusqu’en juin 2026.

 

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE

Légende photo : « One’s Own Room Inside Kabul », mis en scène par Caroline Gillet et Kubra Khademi, au Festival d’Avignon, le 15 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 20, 6:46 AM
Scoop.it!

Au Festival d’Avignon, le théâtre du réel au plus haut avec « Le Procès Pelicot » par Milo Rau

Au Festival d’Avignon, le théâtre du réel au plus haut avec « Le Procès Pelicot » par Milo Rau | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du Monde), publié le 19 juillet 2025

``

Dans une soirée qui fera date, le metteur en scène suisse a transposé sur scène, vendredi 18 juillet, les quatre mois d’un procès hors norme, avec une rigueur sans faille et en évitant tout sensationnalisme.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/19/au-festival-d-avignon-le-theatre-du-reel-au-plus-haut-avec-le-proces-pelicot-par-milo-rau_6622196_3246.html

 

En apnée pendant quatre heures. Rarement on aura vu au théâtre une telle concentration, un tel unisson entre les acteurs et le public, un tel sentiment de l’essentiel. Transposer sur scène le procès Pelicot exigeait d’être à la hauteur d’un moment judiciaire historique. C’est peu de dire que ce fut le cas, vendredi 18 juillet, à Avignon, lors de cette soirée unique proposée par le metteur en scène suisse Milo Rau : historique, ce Procès Pelicot le sera aussi pour l’art théâtral, et restera dans les annales comme exemplaire de ce que peut être un théâtre du réel.

 

 

Comment faire entrer en quatre heures de représentation un processus judiciaire qui s’est déroulé pendant près de quatre mois, du 2 septembre au 19 décembre 2024, et a profondément ébranlé la société française, et bien au-delà ? Comment éviter toute spectacularisation, tout sensationnalisme ? Milo Rau et sa dramaturge, Servane Dècle, répondent par une rigueur sans faille, et une confiance absolue dans les pouvoirs du théâtre, lequel a partie liée avec la justice depuis ses origines grecques.

 

A quelques encablures à peine du tribunal d’Avignon, où s’est tenu le procès, le Cloître des Carmes, haut lieu du festival, s’est offert comme un écrin parfait pour rejouer les grands moments du procès, et toute la pensée suscitée par cet insondable que sont les événements advenus dans un village tranquille du sud de la France pendant dix ans. Nul besoin de décor ici, tout va se jouer dans la parole. Sur le plateau nu, deux rangées de bancs en bois à cour et à jardin, comme dans une salle d’audience, sur lesquels sont assis les comédiens, vêtus de couleurs sombres. Au milieu, une petite table derrière laquelle se tiennent deux autres actrices, faisant office aussi bien de narratrices que de présidente et vice-présidente du tribunal.

Dissonance insupportable

Marie-Christine Barrault s’avance vers le micro posé à l’avant-scène pour évoquer d’abord le cadre de l’histoire, ce village de Mazan (Vaucluse) planté au pied du mont Ventoux chanté par Pétrarque, qui abrita aussi, chose moins connue, l’un des châteaux du marquis de Sade, cruelle ironie. Puis la focale se resserre sur la maison des sévices, cette maison en laquelle Gisèle Pelicot croyait avoir trouvé le havre protégeant son bonheur conjugal, jusqu’à ce jour de novembre 2020, où sa vie a basculé dans l’inimaginable. Une maison dont Caroline Darian, la fille du couple, dit, par la voix de l’actrice Julie Moulier, l’horreur qu’elle lui inspire dorénavant, la dissonance insupportable entre le souvenir des moments joyeux et les actes commis par son père.

 

A partir de là se met en place le puzzle savamment composé par Milo Rau et Servane Dècle, qui va mêler des moments saillants du procès avec des prises de parole extérieures qui l’ont accompagné tout du long, pour penser aussi bien la culture du viol et le patriarcat que la figure du monstre, la banalité du mal ou la question du punitivisme. Pour réunir toute cette matière, le metteur en scène et la dramaturge ont travaillé directement avec des journalistes, qui ont livré leurs notes, avec certains des avocats, des chercheurs, des membres d’associations féministes ou des habitants d’Avignon ayant assisté au procès.

Ce travail documentaire, d’un sérieux irréprochable, a permis de reconstituer aussi bien les interrogatoires de Dominique Pelicot et de ses coaccusés que les deux grands discours de Gisèle Pelicot, au début et à la fin du procès, les plaidoiries des avocats, les expertises des psychiatres. Sans compter la description des vidéos des séances de viol tournées et archivées par Dominique Pelicot et qui, diffusées lors des audiences à la demande de Gisèle Pelicot elle-même, ont été au cœur du procès.

Saisissant tableau

La représentation s’offre donc comme un processus qui se calque sur celui de la justice, dans la tentative de comprendre ce qui s’est passé dans cette chambre, et ce que cela raconte de notre civilisation et de ses soubassements. Ce processus est tenu de bout en bout grâce aux acteurs et au travail mené sur le jeu : il ne s’agit pas de simples lectures, mais bien d’incarner avec force une parole ou une pensée, plus que des personnages. Plusieurs sommets sont atteints, avec Ariane Ascaride, portant le premier discours de Gisèle Pelicot. Avec Elios Noël, en expert analysant avec complexité le rôle de la pornographie. Avec Philippe Torreton, qui humanise de manière troublante Dominique Pelicot. Avec Clara Hédouin, défendant avec flamme les théories antipunitivisme du philosophe Geoffroy de Lagasnerie. Ou avec Camille Etienne, dans la plaidoirie magnifique d’Antoine Camus, l’un des deux avocats de Gisèle Pelicot.

 

L’ensemble tel qu’il se présente ainsi, concentré, ramassé sur une seule soirée, brosse un saisissant tableau de cette culture du viol, avec cette interrogation en ligne de fuite : qu’est-ce qui a mené certains hommes dans la chambre de Mazan, tandis que d’autres, sollicités par le « metteur en scène » Dominique Pelicot, s’y sont refusés ? « Le pourquoi n’est pas à chercher dans un dénominateur commun », analyse Antoine Camus. On ne sort pas forcément du Procès Pelicot avec des réponses. Mais avec une méthode et une énergie de pensée et d’action, ô combien.

 

 

 

 

Fabienne Darge  / Le Monde

 

Légende photo : « Le Procès Pelicot », mis en scène par Milo Rau, au Festival d’Avignon, le 18 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 5:03 PM
Scoop.it!

Festival d’Avignon, jour 14 : un événement à plus d’un titre 

Festival d’Avignon, jour 14 : un événement à plus d’un titre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Chronique du Festival d'Avignon par Libération - Le 18 juillet 2025

 

Les excès ont été cadrés (pour des raisons de respect du voisinage comme dans un souci écologique) mais l’affiche reste un élément central du Festival d’Avignon. Placards d’affiches, amoncellement d’affiches, déversement torrentiel d’affiches, sur les murs ou le long des poteaux, pour vanter les spectacles du Off, les fauchés accrochant leur flyer format carte postale à l’agrafeuse sur les pancartes des plus fortunés. En pressant le pas d’un théâtre à l’autre, un titre de spectacle nous accroche, deux autres lus trop vite n’en font plus qu’un (le Horla d’Annie Ernaux ?), on imagine aussi le brainstorming pour se démarquer dans une concurrence acérée (1 724 spectacles cette année dans le Off, tout de même). Il y a les intrigants (la Sœur de Jésus-Christ, Au-delà de la pénétration) et ceux qui ne mettent pas toutes les chances de leur côté, c’est courageux : Pôvre Vieille Démocrasseuse, Pourquoi je ne suis pas en haut de l’affiche, Rossignol à la langue pourrie, Je me petit-suicide au chocolat ou encore Noir, Juif et Borgne (non là on triche, c’est un spectacle sur Sammy Davis Jr). Il y a les multiples spectacles à prénom (Annette, Alexeï et Yulia, Frantz…) et ceux qui nous rappelle qu’on a oublié notre rendez-vous chez le dermato (la Peau des autres, Dans le silence des paumes, Une peau plus loin). Et nos préférés, les petits malins qui tentent de piquer des lecteurs à Katherine Pancol : la Lente et Difficile Agonie du crapaud buffle sur le socle patriarcal ou le Chemin du wombat au nez poilu.

 

Les spectacles du jour

On adore

Le Soulier de satin, par la Comédie-Française, mise en scène d’Eric Ruf. Découverte cet hiver lors de sa création à la Comédie-Française, la mise en scène magnifie l’œuvre de Paul Claudel grâce à de grandes toiles peintes esquissant paysages marins et ciels picturaux, et aux costumes démesurés signés Christian Lacroix. Un voyage de huit heures dans la nuit de la Cour d’honneur. Retrouver notre critique.

Du 19 au 25 juillet à 22h00 à la Cour d’honneur du palais des Papes (8 heures avec entractes).

 

 

Rinse d’Amrita Hepi et Mish Grigor. La danseuse d’origine australienne, aux racines autochtones néo-zélandaises, revient aux gestes d’avant son apprentissage de la danse. Notre critique.

On aime

Quelle Aurore, de Soa Ratsifandrihana. Dans une performance sur tapis de course, la chorégraphe accompagnée de la chanteuse Bonnie Banane fait monter le cardio en s’inspirant du défilement des contenus des réseaux sociaux. Lire notre critique.
Quelle Aurore de Soa Ratsifandrihana, avec Bonnie Banane. Dans le cadre de «Vive le Sujet» (série 2). Jusqu’au 19 juillet à 10h30 et 18h00 au JArdin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph.

L’interview fournaise

Christian Lacroix. Le couturier habille les personnages du Soulier de satin de Paul Claudel, mis en scène par Eric Ruf. Ses costumes-monde déambuleront, de nuit, huit heures durant, dans la Cour d’honneur du palais des Papes, pour les six représentations de la pièce. «Il n’y a rien de plus triste qu’un costume “qui ne joue pas”»

Les coulisses

 

Ce samedi, le jeune chorégraphe Némo Flouret dont on avait beaucoup aimé le dernier spectacle présentera sa nouvelle création pour Avignon Derniers Feux. Lundi, Taire, de Tamara Al Saadi, Antigone au pays de l’aide sociale à l’enfance, fera sa première à Avignon.

Légende photo : «Rinse» d'Amrita Hepi et «le Soulier de satin» d'Eric Ruf. (Christophe Raynaud de Lage ; Jean-Louis Fernandez)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 7:32 AM
Scoop.it!

Avignon OFF 2025 (1): À quelques centimètres de la vérité…

Avignon OFF 2025 (1): À quelques centimètres de la vérité… | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - 9 juillet 2025

 


L'enfant de verre, de Léonore Confino et Géraldine Martineau, Présence Pasteur, Avignon OFF 2025 


Avignon OFF 2025 : À quelques centimètres de la vérité…

 

Avignon, Festival OFF, Présence Pasteur, Salle Pasteur, dimanche 6 juillet, 14h20
 
 

Alors que le Festival d’Avignon s’ouvre en ce premier week-end de juillet, Wanderer reprend ses déambulations allant d’une salle à l’autre, commençant cette année par des spectacles dans le Off qui ont retenu l’attention. C’est à Présence Pasteur que nous nous arrêtons donc pour voir L’Enfant de verre de Léonore Confino et Géraldine Martineau, dans une mise en scène d’Alain Batis avec la compagnie La Mandarine Blanche. On connaît bien les textes de Léonore Confino depuis l’écriture de Building et de Ring en 2011 où, se fondant sur ses observations et sur son vécu personnel, elle traçait déjà finement les contours d’une réalité absurde autant dans le monde de l’entreprise qu’au sein du couple. « Main dans la main » avec Alain Batis, ils abordent ici les non-dits familiaux, les secrets enfouis, défendus au fil des générations, ces fardeaux souvent si lourds à porter dans un silence assourdissant, douloureux, et qui rend chacun, chacune, complice par héritage en quelque sorte. Dans ce projet, ils ont ensuite été rejoints par Géraldine Martineau et sept formidables artistes au plateau déroulant une fable délicate – comme le verre – montrant les corps en mouvement, en jeu, portés par la musique et un texte aux accents poétiques et écrit au cordeau. C’est qu’il y a de l’enchantement dans certaines épiphanies, même parmi les plus douloureuses. Nous en rendons compte ici. 

Un après-midi sous les nuages et quelques gouttes de pluie est un moment rare pour un premier dimanche de Festival. Il règne dans la cour de Présence Pasteur une effervescence, un enthousiasme contagieux. Les équipes comme les premiers festivaliers sont réjouis. Et le sourire de Léonore Confino qui nous accueille ne dément pas cette joie. Nous pénétrons donc dans la salle et nous installons dans les gradins presque pleins, avec curiosité et entrain pour ce tout premier spectacle auquel nous assistons.

 

 

Le plateau est recouvert d’une toile blanche plissée – une évocation de l’écume, ou encore du sable, celui qui est constitutif du verre peut-être. Un peu derrière, au lointain, on perçoit de fins panneaux inspirés des travaux de Dan Graham, à l’aspect d’abord réfléchissant qui renvoient une image déformée du public – comme une invitation discrète déjà à regarder notre propre histoire, qui sait ? Tout commence « quelque part dans les mers du Nord », un soir de tempête où le vent mugit et où les vagues s’écrasent avec fracas contre les falaises. Des visages apparaissent derrière les panneaux devenus translucides, faiblement éclairés par une lumière bleutée et tremblante, laissant voir une famille à la recherche de la fille cadette qui a disparu. L’écho des voix porte en résonance quelque chose de cauchemardesque. « Il faut retrouver Liv ». La phrase, simple en apparence, exprime d’emblée une urgence, une nécessité absolue pour la disparue comme pour les siens. La retrouver, le verbaliser apparaît comme l’enjeu d’un retour impérieux à la lumière à travers les panneaux. En chacun, en chacune. « La résilience, j’en ai rien à foutre » dit l’une d’entre eux – perdre Liv n’est par conséquent absolument pas envisageable. La musique pulsatile accompagne cette recherche immobile et paradoxalement si affolée, si haletante. De celles qu’accompagne l’emballement du muscle cardiaque pour une question de survie.

Soudain, lumières sur le plateau surplombé d’un lustre en cristal – emblème discret de cette translucidité finement ciselée, dure et pourtant si cassable, suspendue depuis les cintres. Les parents, Frederik et Esther, accueillent des invités pour le mariage de leur fille aînée, face aux spectateurs – certainement promus convives de la noce. Hella se marie avec Nino qui semble avoir tout du gendre parfait. On distribue des sourires, on formule des phrases convenues. Esther – formidable Delphine Cogniard – lâche : « J’ignore pourquoi, j’ai l’impression de ne pas être moi-même ». Cette ouverture en trompe‑l’œil ne trompe presque pas en définitive. Les meubles sont transparents hormis la structure qui les tient debout. La pièce montée, elle-même, n’est pas sans rappeler quelque bronze rapporté d’un Huis-clos sartrien déclassé. Tout paraît faux, y compris pour les personnages eux-mêmes conduits rapidement à une étrange introspection. Les habiles découpes et les superbes rasants conçus par Nicolas Gros dessinent cet espace frappé d’« inquiétante étrangeté », manifestation palpable d’une angoisse sous-jacente au cœur de cet univers familial commun, trop insécurisant néanmoins. La danse endiablée dans laquelle toute la famille se jette à corps perdu, est une autre manifestation de cette dissonance. Jouée avec grande subtilité par Sylvia Amato, Anja, la grand-mère qui perd la tête, se déhanche furieusement, toute de rouge vêtue. Mais Esther vacille sous les yeux du public qui la voit peu à peu plonger dans une crise paralysante, interrompant subitement la fête. Les invités sont renvoyés. La mère est étourdie, tendue, incapable de dire pourquoi : sa maladie nerveuse l’éreinte, éreinte tout le monde – comme le montrent les scènes de flash-back où Frederik amène les filles à la plage pour la laisser se reposer, celle où il va jusqu’à s’emporter contre elle, impuissant devant ce mouvement dévastateur qui emporte la famille au cœur d’un tourbillon invisible et redoutable. C’est aussi au cours d’une de ces scènes que l’on découvre comment Nino – Mathieu Saccucci au jeu mesuré et troublant – est entré dans la famille en livrant les médicaments à Esther. De même, on comprend comment il rencontre Hella qui a simplement le même âge que lui – le coup de foudre ne semble pas instantanément avoir eu lieu…

Un lien solide unit les femmes de la famille qui se le passent les unes aux autres : c’est une mésange en verre que la mère d’Anja lui a laissée avant de partir sans jamais plus revenir. Et cet objet dont on devine immédiatement la forte charge symbolique se transmet de mère en fille, se transmet entre sœurs. Il n’est pas garant d’un savoir-faire traditionnel, pas davantage porteur de puissance. Il est transparent, dur, cassant, fait de ce sable balayé par le vent sur les plages des mers du Nord et que Pio transforme en verre, comme son grand-père avant lui. Il est conservé au cœur de la nuit et on le perçoit derrière le panneau central rendu à peine translucide : Liv –  Yasmine Haller, merveilleuse dans ce rôle – le soulève alors qu’elle au lit. Il est la beauté mais surtout le mystère, qui tient à distance des mots aux vertus libératrices rendus atones. Il est le gage de l’enfermement dans le silence, du maintien dans l’ombre. Surgie du texte de Léonore Confino et Géraldine Martineau, cette image d’une grande force évocatrice est brillante et donne au spectacle une dimension allégorique aussi gracieuse que signifiante.

 

 

Le lendemain des noces cependant, Liv qui est manifestement très troublée, fait comprendre – sans le dire distinctement, les mots sont encore empêchés – qu’elle a cassé la mésange de verre au cours de la nuit. Que s’est-il passé ? On le découvrira de manière feutrée, derrière les panneaux translucides, dans une lumière faible et blafarde. Liv a désormais un secret elle aussi – un nouveau secret dans la famille où ce silence reste une valeur cardinale très résistante. Cependant, avec le soutien de Pio, le seul à voir les morceaux de verre dans la plaie qui « s’infecte », elle va réussir à parler. Un peu d’abord mais on ne la comprend pas. Pio sent pourtant qu’elle « [tait] quelque chose de grave ».

Et c’est alors que le Vieux Souffleur – formidable marionnette sur un fauteuil roulant, manipulée par Anthony Davy qui interprète justement Pio, son petit-fils – révèle le secret de la mésange lié à la disparition de la mère d’Anja. Ainsi, on mesure le poids de cette terrible disparition dans l’histoire familiale au cours de cette scène formidablement jouée. Et comme la parole a jailli, rien ne semble désormais pouvoir l’arrêter. Liv a disparu mais tous la recherchent. L’habile composition dramaturgique de la pièce permet de revenir à ce qui a ouvert le spectacle : l’énigme se résout progressivement – les phrases qui étaient tues sont désormais audibles. L’écheveau se sera dénoué au fil des ruptures narratives, des retours en arrière, des discrets effets d’annonce – Anja quittant sa perruque après le mariage, visible derrière un panneau, ne laisse-t-elle pas entendre d’une certaine façon que la vérité ne sera pas toujours cachée ? Au fil des ellipses aussi car le creux est un endroit essentiel à la fable ici. L’angle (presque) mort recèle la vérité qu’on ne cesse de frôler. Jusqu’à la révélation finale. Jusqu’à la parole de Liv et jusqu’à la fuite coupable de Nino dans la forêt – lieu sombre et menaçant des contes – comme dans une damnation infinie. L’enfant de verre n’est plus, l’urgence de dire non plus, les secrets se sont évanouis. Reste Liv, une autre mésange de chair et d’os, porteuse d’une parole, d’un bonheur que tous entourent étroitement.

On sort ébloui de ce spectacle d’un grand raffinement dans sa dimension plastique, porté par des comédiens à couper le souffle – avec une mention spéciale pour Yasmine Haller, époustouflante. La mise en scène d’Alain Batis transpose avec beaucoup de rigueur et de justesse le texte, comme un exemple tout à fait probant d’un compagnonnage réussi entre les artistes qui ont vraiment « pris le risque de la beauté ». Pour faire entendre l’impossibilité de la parole. Pour dire qu’en brisant le silence de verre, la vérité aussi insupportable soit-elle, n’est jamais loin. Qu’il faut parfois l’affronter sans attendre davantage et que les mots dessus permettent sans doute d’y parvenir un peu plus.

 

 
Légende photo : La mésange de verre entre les mains de Pio (Anthony Davy)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 7:17 AM
Scoop.it!

Avignon OFF 2025 : Anatomie d'un amour au présent

Avignon OFF 2025 : Anatomie d'un amour au présent | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - 11 juillet 2025


"Ancora tu", de Salvatore Calcagno et Dany Boudreault, Théâtre du Train Bleu, Festival OFF Avignon, 2025 

 

Avignon, Théâtre du Train Bleu, dimanche 6 juillet 2025, 17h25

Poursuivant nos flâneries festivalières, nous arrivons au Train Bleu où, là encore, la programmation a retenu notre attention. Fondé en 2018 par Aurélien Rondeau, Charles Petit et Quentin Paulhiac, le Ttb accueille chaque année des compagnies pour une programmation exigeante « pluridisciplinaire, ouverte à la diversité et ancrée dans son temps ». On se souvient notamment de Hen, grand succès de l’édition du Off 2019 mais aussi de Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la Journaliste de Jeanne Lazar la même année ou encore Seuil mis en scène par Pierre Cuq en 2022. C’est un nouveau spectacle hors norme qui nous a cette fois encore conduit jusqu’à la rue Paul Saïn : Ancora tu – titre de ce morceau de pop italienne des années 70, inspirée de la disco, entraînante et répétitive – est une performance, un acte artistique singulier, la reconstitution d’une archive rendue vivante à l’image du spectacle, celle de la relation amoureuse entre deux hommes – le metteur en scène et l’acteur – qui vient de se terminer. Loin d’être réduit à son simple regard, le public est donc sollicité « pour faire revivre [la] personne aimée et disparue » désormais. A l’initiative de l’auteur et metteur en scène Salvatore Calcagno, associé à Dany Boudreault, lui-même auteur et acteur, le portrait de l’absent apparaît par l’intermédiaire du captivant Nuno Nolasco, comédien portugais qui entraîne la salle jusqu’à Lisbonne, sur les lieux supposés de l’amour passé, dans les bras de l’amant dont la voix ne cesse de se faire entendre. Et nous avons été résolument conquis.

Les spectateurs se précipitent en salle dès l’appel du personnel signalant que le spectacle va bientôt commencer. L’accueil est toujours chaleureux mais l’attention est vite détournée. En entrant, on remarque tout de suite la présence d’un homme, assis à une table. Portant jeans et chemise blanche ouverte à l’encolure, il regarde le public s’installer. La chevelure légèrement poivre et sel, le regard sombre, il est séduisant. Il se lève, reprend sa place, dans une délicate forme d’impatience. On remarque ce qui l’environne dans l’espace de jeu réduit de la salle : au lointain d’abord, une photo au format poster fixée par des morceaux de ruban adhésif blanc. L’image est une vue de Lisbonne. À cour ensuite, un vidéoprojecteur est installé au sol, incliné pour permettre une diffusion au niveau de la photo fixée au mur. Sur la table enfin, des livres empilés, une grande tasse, un paquet de cigarettes et face au comédien, un ordinateur portable ouvert, prêt à l’utilisation. La scénographie donne l’apparence d’une conférence sur le point de commencer et dont le sujet n’est pas net encore. Un autre détail attire l’œil : sur un tableau vertical étroit et haut, à jardin, une liste de mots écrits en blanc et ordonnés en deux colonnes. Parfois, on en dénombre plusieurs sur la même ligne. La liste s’achève par « Les adieux », formule autour de laquelle le comédien vient dessiner de petits cœurs, suivie par la date du jour. Le public est d’emblée placé en tension vers cet espace porteur de questionnements multiples, incluant selon toute évidence une incomplétude que le début du spectacle devrait permettre de réduire.

 

 

Sans signal particulier, le comédien commence. Il s’appelle Nuno et il est portugais. Il vient de se séparer de l’homme avec lequel il avait conçu le spectacle dans lequel il jouait en tant qu’acteur. Cet homme se nomme Salvatore. Il a « de grandes dents » et « rit toujours pour rien ». Cette première phrase lâchée dans un immense sourire trahit la force du sentiment qui les a unis. Sans attendre, il justifie la présence de la photo au lointain : c’est le lieu de leur rencontre, à Lisbonne. Il poursuit en précisant que Salvatore l’a quitté et qu’il est désormais seul devant le public. Nuno doit d’ailleurs rentrer à Lisbonne à la fin du Festival. Le champ fictionnel se déploie. Il indique alors que chaque jour, il trie les souvenirs de leur histoire d’amour terminée, souvenirs qui sont formulés par entrées dans la liste à jardin qu’on avait repérée à notre arrivée. L’acteur ajoute enfin qu’il va solliciter plusieurs spectateurs pour l’aider dans ce tri : il emportera avec lui, à Lisbonne, ce qui aura été choisi dans la liste tandis que le reste sera « brûlé ».

 

Le projet artistique prend forme sous nos yeux. Lorsque Salvatore Calcagno et Dany Boudreault se sont rencontrés, ils ont conçu une première performance en imaginant ce qu’il se serait passé s’ils étaient tombés amoureux. Ils ont ensuite fait évoluer cette première version vers quelque chose de plus théâtral en implantant  la possibilité de leur histoire dans le corps d’un autre acteur. Ainsi, c’est au terme de leur cheminement expérimental que nous nous trouvons face à Nuno Nolasco. Les deux auteurs cherchent en effet à rendre « une intimité performée », celle d’un couple d’hommes qui se sont aimés et qui se sont finalement quittés. Le théâtre devient un catalyseur pour mener une recherche qui positionne sous le regard presque clinique du spectateur, le vécu de la solitude contrainte, celle que l’autre impose quand il s’en va, quand il laisse seulement la sensation d’abandon. Le comédien seul en scène transfigure le projet des deux auteurs en y incluant sa propre sensibilité, sa propre histoire et redimensionne le propos à travers lui.

 

 

Même si « c’est cruel », il lance sans attendre la sélection avec le choix d’un premier spectateur qui se porte sur « Le sable », éliminant de la liste « L’amour le martin » et « L’épreuve ». Il diffuse alors l’enregistrement de leurs voix, un dialogue qui semble avoir été pris sur le vif, à Lisbonne. « Ça t’a plu de faire l’amour avec moi aujourd’hui ? » entend-on. L’acteur regarde le public, amusé et attendri. La salle est propulsée dans l’intériorité de leur couple, sans que cela soit une confidence pour autant. Sans tentation de voyeurisme non plus, on devient témoin de ce qui s’est joué entre les deux hommes dans leur relation amoureuse et on lui confère de cette manière une nouvelle densité. On lui offre une réalité à proprement parler par l’intermédiaire de la performance artistique. L’archive vit et fait en quelque sorte revivre l’amour qui les a uni. Nuno Nolasco est radieux, il sourit. La mémoire réactivée dans l’acte artistique est une forme de magie qui permet le temps retrouvé proustien, on le sait bien. « Je ne pensais pas qu’on pouvait avoir cette ouverture-là, cet abandon-là » ajoute-t-il. Le temps retrouvé fait donc ouvrir les yeux.

 

 

Les enregistrements s’enchaînent au fil des choix du public – parfois guidés par l’acteur qui considère que les souvenirs restent trop courts et qu’on peut les rassembler ou bien, à l’inverse, qu’il faut les couper parce que trop longs. Les voix résonnent. Celle de l’acteur se superpose à celles enregistrées, en français, en anglais, en portugais. La mémoire en action se réactualise en permanence au fil des étapes de la liste. Rien n’est écarté au nom de la bienséance. On entend : « Mon cul te réclame ». Le pornographique   perd ainsi toute sa subversivité pour que ne demeure que l’intime dans la salle de théâtre silencieuse, transformée en lieu du témoignage et de l’existence de ce qui a été et qui, l’espace d’une heure, redevient au présent.

 

Dans le désordre, l’appartement où ils ont vécu à Lisbonne ; la musique de Robyn, le tableau représentant Clytemnestre juste avant d’être assassinée par Oreste – « on a baisé sous le tableau de notre tragédie annoncée » ; la chemise retirée ; le « soleil noir » de la mélancolie qui les assombrit tous deux et en fait des « jumeaux cosmiques » ; les lamentations de Didon dans l’opéra de Purcell ; le costume pour la fête de quartier ; la poésie – celle de Genet, d’Aragon ou encore le bouleversant poème de Sophia de Mello Breyner Andersen intitulé « Quando » que Nuno lit lors des obsèques de sa mère ; les images projetées – celle sur laquelle est censé figurer « le bronzé », cet homme âgé dansant sur Rihanna et espérant un regard « qui remplit et qui vide » faisant prendre conscience du temps qui passe – cette tragédie ; la cigarette fumée dans le vestibule de la salle éclairé par un néon vertical : tout fait sens et matière afin de faire revivre ce qui a disparu, celui qui n’est plus là. Comme dans une forme de deuil sublimé dans la forme artistique choisie ici, la mémoire est partagée avec les spectateurs qui peuvent y inclure la leur – cette histoire appartient à tous et peut probablement croiser celle de chacun, de chacune.

Dany Boudreault affirme que « toutes les histoires d’amour sont des fictions » et que cet « amour opère tant et aussi longtemps que deux personnes consentent à la même fiction ». C’est pour cette raison que le théâtre devient le lieu où l’expérimentation menée ici peut s’installer, où elle peut pleinement s’incarner et réaliser l’archive de ce qui a disparu, la faire vivre dans le présent de la performance. On sort convaincu et troublé par ce voyage esthétique dans l’intimité fictive de Nuno et Salvatore, dans l’intimité universelle de l’amour passé, dans l’épreuve du manque comme de la solitude qui concernent tous les êtres à un moment de leur existence. Et, à travers le souvenir persistant des lumières de la boule à facettes, on entend encore au loin les paroles de la chanson de Lucio Battisti. Ancora tu. Non mi sorprende lo sai. Ancora tu. Ma non dovevamo vederci più ?

 

Crédits photo : "© Antoine Neufmars
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 5:21 AM
Scoop.it!

AvignonOFF2025 (4): Il aimait les œufs brouillés… à la truffe

AvignonOFF2025 (4): Il aimait les œufs brouillés… à la truffe | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderersite - 17 juillet 2025

 


Le Dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing, de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, Théâtre du Train Bleu, Festival OFF Avignon 2025 

Avignon, Théâtre du Train Bleu, jeudi 10 juillet 2025, 21H25.
 
 

De retour dans le Off, on quitte la salle 2 de la rue Paul Sain où on a vu Ancora tu il y a quelques jours, pour gagner un lieu délocalisé du Ttb à l’autre bout de la ville car c’est dans les jardins de l’ancien carmel, rue de l’Observance que nous allons voir le troisième volet de Huit Rois (nos présidents) par la Compagnie des Animaux en Paradis. Après La Vie et la mort de Jacques Chirac qui retrace le parcours du président en interlocution notamment avec son chauffeur, après Génération Mitterrand qui fait apparaître les espoirs et désillusions d’un électorat ayant évolué depuis les deux mandats du président socialiste, voici Le Dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing écrit par Julien Campani et toujours Léo Cohen-Paperman, également à la mise en scène. La « série théâtrale » commencée il y a trois ans se poursuit donc et c’est une fois encore une grande réussite. Au fil des spectacles, les portraits s’enchaînent sans complaisance et, pour autant, sans charge démesurée contre eux. Chaque fois, on y présente ces personnalités connues dans un régime entre la monarchie et la république avec la chronique d’une famille « sur quatre générations » et la marche de « la société française de 1958 à 2027 ». Quelque part entre « Les Rois maudits », le documentaire sociologique et « Au théâtre ce soir ». Après avoir assisté à ce dernier volet enlevé et remarquablement  interprété, nous en rendons compte ici.

 

 

Toujours accueilli avec la sympathie des équipes du Ttb, on serpente à travers les allées du jardin situé dans la rue de l’Observance, suivant un itinéraire balisé et avec le renfort utile du personnel. On est tout près des remparts et l’atmosphère de l’endroit dans la pénombre du crépuscule, sous le chant persistant des cigales, invite à la surprise. Et c’est bien une surprise de découvrir en avançant sur ce chemin de terre, un gradin à la cime duquel se trouve une régie avec un plateau frontal en contrebas. De nombreux spectateurs ont déjà pris place et on perçoit beaucoup d’enthousiasme dans les rangs, ce qui laisse penser que le spectacle est attendu.

Une fois installé, on observe par le détail le plateau à vue, finement élaboré par la scénographe Anne-Sophie Grac dans un souci manifeste de réalisme. L’espace restitue l’intérieur de ce qui pourrait être une maison normande à colombages. Le panneau du fond de scène est percé de trois portes de jardin à cour : une qui mène à la cuisine ; une autre vers les toilettes – Anne-Aymone s’y rendra très souvent – une dernière enfin vers ce qui est supposé être l’extérieur de la maison, dans un hors-scène où est garée la SIMCA de Michel qui « fume blanc » et qui « tète à 13 au 100 ». Sur ce panneau figurant le mur de la maison, sont accrochés différents objets dans un évident souci de précision, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les décors particulièrement léchés de Roger Harth pour la très emblématique émission de télévision des années Giscard, « Au théâtre ce soir ». À cour, on remarque une tête de sanglier empaillée, entre deux patères et près des fusibles apparents – qui vont sauter dans une scène endiablée de queue leu-leu à la bougie, montrant le temps des restrictions imposées par le giscardisme ; au centre du panneau, un crucifix entre la porte vers l’extérieur et les toilettes, figuration allégorique de la religiosité dans la France de l’époque ; plus à jardin, un fusil de chasse et des assiettes décoratives comme autant d’objets aujourd’hui désuets mais reflétant la ruralité des années 70. Devant ce panneau, une table imposante est dressée avec nappe et vaisselle immaculées – six couverts sont disposés de sorte que les personnages seront placés face au public. Tout indique qu’on se trouve dans un lieu de fête d’où hôtes et convives sont pour le moment absents, comme une sorte de diorama digne d’un musée de l’habitat local. Pour finir, on remarque à l’avant-scène la présence d’un parc pour enfant en bas âge à cour, et celle d’un poste de télévision à jardin. Il apparaît clairement que ces nombreux éléments plastiques et visuels sont placés sous le regard du public afin de les lui faire vivement remarquer : porteur de sens, le décor occupe par conséquent une place notable dans le spectacle, préparant l’arrivée des comédiens.

 

 

Un homme en pyjama enfantin entre alors et salue le public pour le prologue – la composition dramaturgique de la pièce est régulière et va suivre le mandat de Valéry Giscard d’Estaing fractionnant une singulière temporalité qui va superposer les années du septennat et les plats du réveillon de la famille Deschamps-Corrini en présence du couple présidentiel. L’homme a pour nom José Corrini et il est né en 1973. Il a donc un an moment où la pièce commence. C’est Julien Campani, co-auteur du texte et formidable comédien, qui joue ce rôle ambigu, positionné à l’avant-scène sous le faisceau d’une poursuite, quelque part entre une enfance dans les années 70 et le moment présent de la représentation, entre le passé et son avenir en définitive. Cette originalité du spectacle retient particulièrement l’attention, soulignant le rigoureux travail d’écriture du texte : il va s’agir pour ce bébé devenu un homme adulte dans le XXIème siècle de la représentation, de relater les événements d’autrefois, de vulgariser avec grande efficacité leur densité politique, économique, sociologique et historique. Une sorte de jeune Alain Decaux d’aujourd’hui, dynamique et truculent, entre jeu et narration, brisant toute possibilité de quatrième mur, annulant toute illusion théâtrale afin que le public reste bien en prise avec cette chronique commentée.

 

 

La famille va alors apparaître sur scène : d’abord, les parents, Marcel (Joseph Fourez) et Germaine (Morgane Nairaud), couple d’agriculteurs du Calvados ; puis, les enfants, avec la fille des Deschamps, Marie-France Corrini (Pauline Bolcatto), secrétaire chez Alsthom, et son mari, Michel Corrini (Clovis Fouin), ouvrier chez Alsthom lui aussi ; enfin, leur fils, José, que joue Julien Campani. Ce dernier apporte les informations nécessaires au public : les enfants arrivent pour le réveillon 1974 chez les parents, à Cricqueville-en-Bessin dans le Calvados. « Et cette maison, c’est la France. » La phrase clarifie ainsi la démarche adoptée grâce au choix de cette représentation symbolique. Valéry Giscard d’Estaing est joué par Philippe Canales, plus dans l’évocation que dans l’imitation, comme c’était déjà le cas de Julien Campani dans La Vie et la mort de Jacques Chirac. Suivant une approche similaire du personnage, le comédien ici ne cherche pas à reproduire le successeur de Georges Pompidou. Il reprend habilement son phrasé, certains de ses tics de langage aux accents aristocratiques si reconnaissables, pour en faire surgir une plus juste évocation. Le costume et la perruque facilitent la reconnaissance mais là non plus, il ne s’agit pas d’imiter, afin de stimuler la réflexion du public sur le théâtre qui se joue sous ses yeux.

 

Et c’est Gaïa Singer qui interprète avec brio Anne-Aymone Giscard d’Estaing, lui donnant une épaisseur psychologique que le rôle « d’épouse de… » n’avait peut-être pas laissé voir dans les reportages télévisés qui ont pu lui être consacrés. La comédienne la dote tantôt d’une incroyable drôlerie tantôt la place sur le fil de l’émotion, l’humanisant pour mieux révéler à la fois sa condition d’épouse d’un des « Rois » de la Vème, et de femme avec ses forces et ses failles.

 

Marie-France et Michel vont donc rapidement découvrir qui sont les deux mystérieux invités du réveillon. Comme le précise José dans le prologue, le président est « conservateur et progressiste » et son souhait est de regarder « la France au fond des yeux ». C’est pourquoi il va s’inviter « à dîner chez les Français ». L’extraordinaire idée des deux auteurs consiste à ce que le repas dans son déroulé soit l’occasion de reconstituer son parcours. Chaque étape du réveillon renvoie à une prise de parole de José ou à une archive sonore qu’il lance à l’aide d’une télécommande faisant entendre des extraits des traditionnels vœux présidentiels pour toutes les années du septennat. De « Monsieur le Président » à « Giscard ».

 

Bien sûr, Michel le syndicaliste, Marie-France la féministe aux idées socialistes montantes, ne font pas partie de l’électorat de Giscard d’Estaing, contrairement aux Deschamps qui l’accueillent tel un authentique monarque, lui rendant hommage avec force courbettes. Seulement, de la soupe de cresson « façon…mousse » à la galette finale, les déconvenues se multiplient plus que les voix des électeurs et entraînent sa progressive disgrâce. Le réveillon laisse un goût amer dans les bouches autant que dans les cœurs. Les coiffures tombent, les vêtements se froissent, les couverts se désordonnent et le ton monte. Une scène marquante : tous sont assis dans la pénombre, face au public, le couple présidentiel au centre.

 

Les Deschamps comme les Corrini vont tour à tour se lever, se détourner sans un regard pour eux, de la dureté dans la voix pour appuyer leur éloignement. Voilà les effets de l’amertume d’un peuple semble-t-on dire alors. Les chansons populaires de l’époque que chaque comédien entonne scandent cette lente désillusion : depuis « La Ballade des gens heureux » par Giscard lui-même jusqu’à « Attention, Mesdames et Messieurs » que chante José, en passant par l’iconoclaste « Ça plane pour moi » qu’interprète avec une délicieuse fureur Pauline Bolcatto, les événements s’enchaînent poussés par « ce grand vent de nouveauté radicale ». De la crise pétrolière que le président ne jugule pas avec une montée fulgurante du chômage, à la tentative de relance – la drôlissime démonstration de « l’usine à totottes » est exceptionnelle ! – pour glisser vers l’impitoyable rigueur qui fait que « tout le monde a une bonne raison de le détester », le président finit « coincé au centre ». Et tout s’achève après le très connu « au revoir » adressé au public dans l’embrasure de la porte que José claque ensuite violemment sur le président désormais sorti.

 

À travers un savant équilibre entre réflexion et légèreté, les auteurs réussissent pleinement leur pari une fois de plus, sans jamais tomber dans un didactisme trop aride, sans reprendre non plus ce qui a déjà été créé avec les premiers spectacles. Porté par une extraordinaire troupe de comédiennes et de comédiens terriblement engagés, provenant pour plusieurs du Nouveau Théâtre Populaire, Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing offre un de ces moments de théâtre précieux qu’on emporte dans ses souvenirs de festivalier. Un des Rois a vécu puis est en quelque sorte mort sur scène ce soir. Alors vivement le prochain !

 

 

 

Légende photo : La tablée de réveillon avec de gauche à droite Marcel Deschamps (Joseph Fourez), Germaine Deschamps (Morgane Nairaud), Anne-Aymone Giscard d'Estaing (Gaia Singer), Valéry Giscard d'Estaing (Philippe Canales), Marie-France Corrini (Pauline Bolcatto) et Michel Corrini (Clovis Fouin)

 

Crédit photo : © Valentine Chauvin

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 17, 10:41 AM
Scoop.it!

Festival Off Avignon 2025 : notre nouvelle sélection de spectacles à ne pas manquer 

Festival Off Avignon 2025 : notre nouvelle sélection de spectacles à ne pas manquer  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par le service Culture de Libération - 17 juillet 2025

 

L’équipe théâtre de «Libé» vous aide à vous y retrouver parmi les 1 724 spectacles du off. Du dancefloor aux lycées en passant par l’industrie musicale, sélection de 10 spectacles.

 

Du 5 au 26 juillet, 1 724 représentations proposées par 1 347 compagnies sont jouées dans quelque 139 théâtres (éphémères ou permanents) du off du Festival d’Avignon. Des chiffres qui font tourner la tête. Comment faire son choix dans cette offre pléthorique ? Il y a les affiches collées sur les grilles et poteaux de la ville, les discussions directes avec les artistes qui sillonnent les rues pour convaincre que leurs spectacles valent le coup d’œil, mais aussi la nouvelle sélection de l’équipe théâtre de Libé que voici.

 

 

«L’ouvrir», le génie lesbien de Morgan·e Janoir

 
 

Le metteur en scène raconte avec finesse, par la voix et le chant de Pauline Legoëdec, les hésitations qui précèdent le plongeon avant un coming out. Au fil de la pièce, les corps changent, se mettent à danser, à s’habiller autrement, à raconter de nouveaux modes de vie. Il est difficile de décrire en si peu de temps (une heure !) la joie immense que représente cette liberté que le personnage d’Alex s’accorde.

 

Jusqu’au 24 juillet à 11h45, Théâtre 11 Avignon, 11, boulevard Raspail (84 000). Une heure.

 

____________________________________________________________

«Album» de Lola Molina et Lélio Plotton

 

Le sol c’est de la terre, ou du gravier, sur lequel il s’avance pieds nus, en costume et chemise noire, le micro à la main. Laurent Sauvage est le centre d’Album,texte-poème écrit sur mesure par Lola Molina et Lélio Plotton à la mise en scène, qui l’imaginent en rocker, punk si on veut révolté par l’industrie musicale.

 

Album de Lola Molina, mise en scène Lélio Plotton, à La Manufacture, Festival off Avignon, jusqu’au 22 juillet. Texte édité aux éditions Théâtrales

 

____________________________________________________________

«Fast», d’Olivier Lenel et Didier Poiteaux

 

C’est quand même la grande question : comment proposer du théâtre documentaire sans que le sujet l’emporte sur l’émotion ? Comment soutenir un propos politique sans faire passer une œuvre artistique pour une conférence TED ? Au Théâtre des Doms, vitrine de la scène belge francophone, le duo formé par Olivier Lenel et Didier Poiteaux met les pieds dans le plat de la fast fashion avec une autodérision bienvenue.

 

Fast- Festival OFF d’Avignon, Théâtre des Doms, 1 bis rue des Escaliers Sainte-Anne (84000). A 10h30 jusqu’au 26 juillet, relâche les mercredis 16 et 23 juillet.

 

____________________________________________________________

«L’Evénement» de Joëlle Fontannaz

Après tout, pourquoi faudrait-il qu’une pièce de théâtre soit composée de répliques qui se suivent ? Dans l’Evénementles trois comédiens s’expriment tous en même temps, par écho et par vagues, et c’est très drôle. Où il est question de l’incendie du four à pain d’une communauté new age, adepte du yoga et de la pleine conscience.

 

Jusqu’au 20 juillet à la Manufacture à 18h15 (durée 1h15). Dans la sélection suisse.

 

____________________________________________________________

«Azira’i», de Zahy Tentehar

 
 

Il y a au moins une actrice fantastique et inconnue dans nos contrées que le Off permet de découvrir. C’est Zahy Tentehar, jeune actrice autochtone, originaire du village de Cana Brava dans le nord-est du Brésil. Chanteuse, danseuse, Zahy Tentehar, qui est la première actrice autochtone à avoir remporté le prix Shell, le prix de théâtre le plus prestigieux au Brésil- raconte son enfance auprès d’une mère chamane, qui ne s’habitue pas à sa migration en ville. Un seul en scène où l’on apprend à parler de Ee’enge eté et où l’on s’aperçoit que qui que l’on soit, d’où qu’on vienne, sa mère reste pour chacun le plus grand des mystères. Fascinant et bouleversant.

 

Azira’i, mis en scène par Zahy Tentehar avec l’aide de Duda Rios jusqu’au 13 juillet à la Manufacture à 17 h 25 (relâche le 10 juillet).

 

____________________________________________________________

«Annette», de Clémentine Colpin

 
 

Elle, c’est Annette Baussart, 75 ans, au centre de la pièce que lui consacre Clémentine Colpin.Une vie de femme qui se raconte. Programmée pour être épouse, mère, et prolo, Annette aura tout fait dévier, avec une conscience qui force le respect. « Annette », c’est la joie de vivre d’un corps en révolution.

 

Annette de Clémentine Colpin au Théâtre des Doms, festival Off jusqu’au 26 juillet.

 

____________________________________________________________

«Décoloniser le dancefloor», de Habibitch

 
 

Avec sa conférence dansée «Décoloniser le dancefloor», Habibitch propose de mettre en PLS n’importe quel élu de notre actuel gouvernement en revenant sur les concepts les plus explosifs des dernières décennies : intersectionnalité, appropriation culturelle, décolonisation, féminisme matérialiste… Les termes sont savamment décrits «car oui j’aime les grands A, petits B, petits C, après tout j’ai fait Sciences-Po», lâche-t-elle sur scène.

Décoloniser le dancefloor, Habibitch, jusqu’au 22 juillet au Château de Saint-Chamand, navette 19h15, spectacle 19h40. Relâche le 17 juillet. Retour à Avignon 21h35 en navette.

 

____________________________________________________________

«Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer» d’après Virginie Despentes

C’est un texte fait de petits déplacements, légers, un peu comme des pas de boxe. Il dit par exemple que ce qui est inéluctable ce n’est pas l’ordre du monde tel qu’il est, non, ce qui est inéluctable, c’est le changement. Le spectacle musical mis en scène par Anne Conti donneune nouvelle forme au texte puissant de l’autrice sur nos petites soumissions et surtout sur la possibilité de s’en affranchir.

Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer  de Virginie Despentes, mis en scène par Anne Conti, jusqu’au 26 juillet à 18 heures (durée : 1 heure), à la Scierie (relâche les 8, 15 et 22 juillet).

 

____________________________________________________________

«La neige est blanche» de Marine Mane

La neige est blanche est une pièce légère«Pièce pour une interprète en établissement scolaire» elle doit pouvoir s’implanter dans n’importe quelle salle de lycée. Elle a été pensée pour ça, pour rencontrer un public de l’âge de l’héroïne. Elle est systématiquement suivie d’un moment d’échange après la représentation : et vous, vous feriez quoi ? «Dans les lycées de sport études où nous sommes passées, les jeunes nous ont souvent répondu qu’ils ne préféraient pas y penser, rapporte Galla Naccache-Gauthier. Ils se dirigent souvent vers une carrière de sportifs de haut niveau pour faire plaisir à leurs parents, eux-mêmes anciens champions. Dans les formations de sports de glisse, ils portent aussi toute la pression de leurs profs qui doivent justifier leur existence alors que la neige fond et que comme elle, ils sont voués à disparaître…»

 

 

La neige est blanche jusqu’au 26 juillet à 11 h 00 à Présence Pasteur. Relâche les 8, 15, 22 juillet (50 minutes).

 

____________________________________________________________

«Le journal de Maïa» de Cédric Orain

 
 

Sur scène, les deux jeunes filles pourraient sortir des pages d’une BD, sautillantes avec leur sac sur le dos (Louise Bénichou et Marion Brest), et tentent de trouver leur voie de collégiennes : faut-il vraiment croire la redoutée prof de français quand elle affirme qu’on peut aimer lire (et du Chateaubriand en plus) ? On a aimé chez Orain cette manière de prendre au sérieux les vagues d’anxiété des ados (un sur deux y serait confronté selon un sondage Ipsos de 2022) sans en faire un drame - seulement une pièce de théâtre. «En quatrième, j’aurais bien aimé moi aussi qu’un spectacle me dise : ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave», répond-il.

 

 

Le journal de Maïa, jusqu’au 24 juillet à 9 h 45 au Théâtre du Train bleu. Relâche les 11 et 18 juillet (50 minutes).

 

 

 

 
Légende photo :  Le journal de Maïa de Cédric Orain  (Photo : Clément Foucard)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 17, 3:25 AM
Scoop.it!

A Avignon, « L’Abolition des privilèges » poursuit son exceptionnel parcours

A Avignon, « L’Abolition des privilèges » poursuit son exceptionnel parcours | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 16 juillet 2025

 

Proposé dans le « off » du festival, le spectacle, créé en mars 2024 à Villeneuve-d’Ascq pour deux acteurs, connaît un tel succès que trois duos se succèdent désormais à la distribution.

 


https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/16/a-avignon-l-abolition-des-privileges-poursuit-son-exceptionnel-parcours_6621650_3246.html

Histoire paradoxale d’un succès qui fait du bien, mais ne protège de rien : l’épopée de L’Abolition des privilèges (adapté et mis en scène par Hugues Duchêne à partir d’un roman de Bertrand Guillot) est l’exemple même d’un projet modeste qui a su rencontrer un large public. La raison de cet engouement ? Sa forme souple et son contenu percutant qui, sous prétexte de retracer une séquence historique, tape au cœur de préoccupations contemporaines.

 

 

 

La fiction ressuscite la nuit du 4 août 1789, au cours de laquelle représentants du tiers état, du clergé et de la noblesse en finissent avec les privilèges et instaurent l’universalité de l’impôt. Une heure quinze de débats jubilatoires que perturbe l’insertion hilarante de thèmes sociétaux tels que le féminisme, le patriarcat ou encore le « wokisme ». « Le roman décrit un bouleversement politique qui renverse un ordre établi depuis quatre cents ans et prouve qu’il est possible de faire advenir du nouveau. Or, de quelle nuit du 4 août rêvons-nous aujourd’hui ? », s’interroge le metteur en scène qui reprend, à sa manière, le flambeau d’illustres prédécesseurs. Ariane Mnouchkine, Sylvain Creuzevault ou Joël Pommerat ont, avant lui, redonné des couleurs à la Révolution française.

 

 

Proposé au Train bleu, dans le « off » d’Avignon, dans un dispositif quadrifrontal, avec deux acteurs au plateau, L’Abolition des privilèges nécessite désormais une triple distribution, les comédiens étant dans l’impossibilité d’assurer les représentations prévues dans les mois à venir. Un premier duo a ouvert le festival, le second l’a relayé du 7 au 17 juillet, le troisième fermera le ban jusqu’à la clôture de la manifestation. Ces trois équipes seront sur le pied de guerre pendant la saison 2025-2026, et c’est là l’heureux karma d’une aventure née il y a un peu plus d’un an.

Quelque chose d’inédit

En mars 2024, lorsque Hugues Duchêne, directeur de la compagnie Le Royal Velours, donne le coup d’envoi de L’Abolition des privilèges au Théâtre de La Rose des vents, à Villeneuve-d’Ascq (Nord), il est loin de se douter de ce qui l’attend. Quelques jours plus tard, à Paris, où le spectacle se reprend dix fois au Théâtre 13, c’est le jackpot : record d’affluence dans la salle. Trois mois plus tard, l’artiste casse la tirelire familiale pour s’offrir un créneau d’exposition dans le « off » du Festival d’Avignon. Le marché est concurrentiel, mais la rumeur, excellente, sait trier le bon grain de l’ivraie. Trois cents professionnels se bousculent à la porte : « Certains n’ont pas pu entrer, ce qui a aiguisé leurs convoitises, dit en souriant le metteur en scène, pas dupe. C’est un spectacle léger et qui ne coûte pas cher : 3 500 euros la session. »

 

 

En octobre 2024, Léa Serror, la directrice de production, l’avertit : il se passe quelque chose d’inédit : les demandes d’accueil affluent de toutes parts, pas question de décliner les sollicitations. Revers de la médaille : Maxime Pambet, le créateur du rôle principal, ne pourra pas être de toutes les soirées. Duchêne monte donc une équipe B, puis, en janvier, une équipe C. Il anticipe à juste titre : entre mars 2024 et juin 2026, L’Abolition des privilèges devrait cumuler 290 dates de représentation. Un nombre « inespéré et fou » dans un laps de temps aussi resserré.

A la croisée des chemins

Cette performance, qui rassure l’intermittent en quête de cachets, ne fait pourtant pas de Hugues Duchêne un homme riche. « Je gagnais mal ma vie, je la gagne un peu mieux, mais sans plus. » D’un point de vue économique, l’opération n’est pas une martingale. Venir à Avignon coûte cher. Location de la salle, logements, repas, voyages, communication : la note grimpe à 54 000 euros (assumée par Le Royal Velours et trois autres partenaires). Pour récupérer l’argent investi, il faut vendre 25 dates du spectacle : « Nous y parviendrons. Mais, une fois amorti le coût avignonnais, ce qui restera dans nos caisses ne suffira pas à financer ma prochaine création. »

 

Pour son futur projet, il a besoin de 140 000 euros. Des coproducteurs ont répondu présent, mais ne peuvent, pour l’heure, préciser le montant de leurs apports. La subvention récemment attribuée par la direction régionale des affaires culturelles des Hauts-de-France (25 000 euros annuels pendant deux ans) et l’aide de la région Hauts-de-France ne suffiront pas à boucler le budget : « Je fais avec les moyens de production du théâtre public, et ils ne sont plus ce qu’ils étaient. » S’il admet malgré tout faire « partie des privilégiés du système », Hugues Duchêne est à la croisée des chemins. Réclamé par les directeurs de théâtre, plébiscité par le public, le succès de L’Abolition des privilèges n’a en rien aboli l’incertitude des lendemains qui tremblent.

 

 

 

L’Abolition des privilèges. D’après Bertrand Guillot. Adaptation et mise en scène : Hugues Duchêne. Train bleu. Avignon Jusqu’au 24 juillet. Distribution : Maxime Pambet en alternance avec Maxime Taffanel et Oscar Montaz ; et Hugues Duchêne en alternance avec Baptiste Dezerces et Matéo Cichacki.

 

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 15, 5:31 PM
Scoop.it!

Le retour de François Mitterrand, devenu personnage du « off » d’Avignon

Le retour de François Mitterrand, devenu personnage du « off » d’Avignon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 15 juillet 2025

 

L’ancien président de la République, qui avait l’étoffe d’un personnage de théâtre, est évoqué dans deux spectacles à l’affiche du Festival, « Lettres à Anne » et « Génération Mitterrand ».


 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/15/le-retour-de-francois-mitterrand-devenu-personnage-du-off-d-avignon_6621383_3246.html

La légende raconte que François Mitterrand (1916-1996), président de la République en exercice, avait l’habitude, au mois de juillet, d’échapper à la vigilance de ses gardes du corps pour débarquer, sans crier gare, au Festival d’Avignon, où le directeur, averti d’un coup de téléphone, lui réservait une place discrète dans les salles obscures.

 

Le spectateur clandestin d’autrefois est aujourd’hui l’un des héros du Festival « off ». Il fait son entrée à pas de loup sur les scènes de deux théâtres. Il s’immisce à la Scala Provence, où Alice Faure dirige Samuel Churin et Céline Roux dans une adaptation des Lettres à Anne (magnifique et impressionnant recueil des courriers de Mitterrand, publié chez Gallimard par Anne Pingeot vingt ans après la mort de son compagnon). Il se glisse aussi au Train bleu, où Léo Cohen-Paperman, son coauteur Emilien Diard-Detœuf et trois comédiens revisitent avec impertinence et lucidité les années fastes, puis crépusculaires qui ont suivi le 10 mai 1981.

 

Deux faces d’un même homme surgissent. L’une intime et privée, l’autre publique et populaire, les deux formant l’envers et l’endroit d’un Mitterrand qui a l’étoffe d’un personnage de théâtre. Sa personnalité, sa vie, ses secrets, ses manœuvres, ses stratégies, son ambition : qu’on l’aborde de l’intérieur ou qu’on le contemple de l’extérieur, il a toute sa place sur les scènes.

 

Du flux ardent des lettres envoyées à Anne Pingeot émerge la figure d’un amant déterminé, dévorateur, et dont le désir relève d’une forme de prédation. Emprise intellectuelle autant qu’amoureuse et sans doute sexuelle : la jeune fille de 18 ans qu’entreprend de séduire Mitterrand n’avait aucun moyen de lui échapper. Samuel Churin n’enlace d’ailleurs pas Céline Roux, qu’il domine de toute sa hauteur. Il la sculpte, la modèle, la soumet à la caresse autoritaire de sa main. Superbe duo qui trouve son point d’équilibre lorsque l’actrice, relevant la tête, abandonne le sourire pour la rage, le hurlement et la révolte. « Laisse-moi partir », lui écrit-elle à 28 ans dans une lettre furieuse (mais qu’elle n’enverra pas).

 

A partir de là, la balance penche vers plus d’égalité. La transposition théâtrale de ce brasier épistolaire souligne la force d’âme identique de deux partenaires qui s’enrichissent mutuellement. Elle s’émancipe peu à peu, il s’enfonce dans la vieillesse. Il a plus besoin d’elle qu’elle de lui. Leur relation et ce qu’en restitue le spectacle, tout, dans ce qui se joue à la Scala, est d’une grande intelligence.

Illusions et désillusions

Ce même amant consumé par la passion est élu en 1981 président de la République. La fiction mise en scène par Léo Cohen-Paperman a pour point de départ le 10 mai 1981. Jour de liesse pour les trois protagonistes qui se partagent la narration des illusions et des désillusions : un professeur à Vénissieux (Rhône), une journaliste parisienne, un ouvrier à Belfort. Quatre décennies plus tard, en 2022, le temps a fait son œuvre : l’enseignant vote pour Jean-Luc Mélenchon, la journaliste pour Emmanuel Macron, l’ouvrier pour Marine Le Pen.

 

Ce condensé de trajectoires ne travaille pas par hasard sur les clichés. Ces clichés sont la matière première d’une représentation où chaque mot prononcé est familier aux oreilles d’un public quinquagénaire (et plus). Mais, qu’ils aient voté ou non en 1981 (beaucoup de jeunes assistent à la pièce), les spectateurs, de près ou de loin, connaissent les épisodes mis en jeu : la maladie de Mitterrand, sa détestation de Rocard, le tournant de la rigueur, l’entrée du Front national à l’Assemblée nationale, la réélection de 1988, l’Europe enfin.

 

Ces événements, petits et grands, sont entrés dans l’histoire de la France. Ils appartiennent au peuple, sont commentés par la vox populi, qui peut en chanter par cœur les refrains. Assumant plusieurs rôles (leurs personnages, ceux des politiques), les acteurs se mettent au diapason d’une comédie endiablée piquée de politique vivante, à vous redonner le goût du militantisme. Avec son lot de volte-face, de reniements, de ruses, son précipité de cocasseries, cette farce a le rythme d’un vaudeville à la Feydeau. Et le tragique d’un drame shakespearien sur lequel plane, dès les premières lignes, dès 1981, l’ombre d’une mort à l’œuvre.

 

 

« Lettres à Anne », mis en scène par Alice Faure. Avec Samuel Churin et Céline Roux. La Scala Provence, Avignon, jusqu’au 27 juillet.

 

« Génération Mitterrand », mis en scène par Léo Cohen-Paperman. Avec Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Metral, Hélène Rencurel. Théâtre du Train bleu, Avignon, jusqu’au 23 juillet. Festivaloffavignon.com

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale)

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 14, 4:38 PM
Scoop.it!

A Avignon, « Israel & Mohamed », un facétieux duo d’iconoclastes

A Avignon, « Israel & Mohamed », un facétieux duo d’iconoclastes | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Rosita Boisseau et Fabienne Darge (Avignon, envoyées spéciales) publié dans Le Monde du 12 juillet 2025

 

 

Le danseur et chorégraphe flamenco Israel Galvan et l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib sont réunis dans un joli spectacle dans lequel ils auscultent le rapport aux pères.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/12/a-avignon-israel-mohamed-un-facetieux-duo-d-iconoclastes_6620876_3246.html

 

L’occasion était trop belle. Réunir le danseur et chorégraphe flamenco Israel Galvan et l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib, c’était la promesse d’un titre choc, symbole de vivre-ensemble – et titre un peu trompeur, puisque Israel Galvan n’est pas juif, mais issu d’une famille andalouse appartenant aux Témoins de Jéhovah. Comment les deux compères allaient-ils se dépatouiller avec ça et faire la paire ? On pouvait craindre le pire, un spectacle de circonstance, mais après quelques minutes d’échauffement de ceux qui rêvaient de devenir footballeurs, la question a trouvé sa réponse positive. Israel et Mohamed sont bien assortis et ont offert une jolie surprise, lors de la première au cloître des Carmes, le 10 juillet.

 

 

A gauche, donc, Mohamed, tee-shirt jaune flashy imprimé « Morocco ». A droite, Israel, en djellaba bleu ciel, gentiment prêtée par le père de Mohamed. Chacun a installé son petit univers, ramassé en quelques objets sur une table en bois surmonté d’un portrait de son papa, en une sorte d’autel. Car ce duo, léger et grave à la fois, ausculte le rapport aux pères, deux pères ogres aussi écrasants que touchants. Présents en vidéo sur le plateau, ils racontent sans fard leur relation complexe avec leurs fils, qui ont taillé leur chemin d’émancipation sans pour autant renier leurs origines.

 

La parole revient au premier, c’est son rayon, il est rompu au théâtre documentaire, qu’il pratique depuis des années. C’est lui qui raconte leurs deux histoires, les liens qui se tissent entre elles, et qu’Israel, taiseux parce que bègue, va incarner par sa danse follement crépitante. Pour Galvan, né dans une famille flamenca traditionnelle, à la tête d’une école à Séville, devenir cet artiste iconoclaste, pourfendeur tranquille des clichés, n’a pas été sans mal. Pour El Khatib, une famille ouvrière de la région d’Orléans, musulmane pratiquante, et un père archi-strict, qui n’hésitait pas à cogner, et n’envisageait pour son fils que la place de premier de la classe. Un père pour qui le théâtre n’était pas une option.

Veine expérimentale et burlesque

La lutte pour le choix d’être soi explose dans le zapateado (frappes de pieds) de Galvan. Plus que jamais intrépide, en bottines, chaussures à crampons et babouches – encore un cadeau El Khatib ! –, Galvan pique et repique à la veine expérimentale et burlesque qui est la sienne depuis plusieurs années. S’écraser un œuf sur la tête ne lui fait pas peur tant son art puise au plus profond, au plus tragique de son être. Alors qu’il se met autour du cou les dizaines de médailles en or récoltées dans les concours et festivals de danse, au risque de s’en étrangler, il souligne aussi combien ces prix n’ont pas compensé pour son père, gardien de l’orthodoxie flamenca, sa sidérante liberté.

 

 

Chez Mohamed El Khatib, l’adresse au géniteur est moins rageuse, tout en étant sans concession, au fil d’une longue (trop, peut-être) lettre au père inspirée de celle, célèbre, de Kafka. Le filtre de la distance et de l’humour n’entrave pas l’analyse au rasoir d’une vision patriarcale du monde : « Avec tes amis, tu disais : “Les enfants, il faut les dresser” », constate, désolé, le fils. Ce qui n’empêche pas une certaine tendresse d’affleurer dans ce duo « sol y sombra », où la lumière et l’ombre se distribuent de l’un à l’autre des protagonistes en permanence. Avec l’humour en trait d’union, cet Israel & Mohamed s’offre une merveilleuse apparition, celle de la coupole d’une mosquée posée sur les pierres du cloître. Un pied de nez facétieux parmi d’autres à toutes les orthodoxies.

 

 

Israel & Mohamed, par Israel Galvan et Mohamed El Khatib. Cloître des Carmes, jusqu’au 23 juillet.

 

 

Rosita Boisseau et Fabienne Darge (Avignon, envoyées spéciales du Monde) 

Photo extraite du spectacle « Israel & Mohamed », avec Israel Galvan et Mohamed El Khatib. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 14, 4:20 PM
Scoop.it!

Au Festival « off » d’Avignon, Félix Vannoorenberghe enthousiasme dans « La Sœur de Jésus-Christ »

Au Festival « off » d’Avignon, Félix Vannoorenberghe enthousiasme dans « La Sœur de Jésus-Christ » | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 14 juillet 2025

 

Le comédien belge donne toute l’intensité de son jeu dans une pièce aux allures de western contemporain.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/14/au-festival-off-d-avignon-felix-vannoorenberghe-enthousiasme-dans-la-s-ur-de-jesus-christ_6621173_3246.html

 

Dès que Félix Vannoorenberghe revêt, en arrivant sur scène, une robe rouge écarlate en hommage à l’héroïne de La Sœur de Jésus-Christ, le public est saisi par l’intensité de sa présente et la puissance de sa narration. Impossible de décrocher de ce récit qui nous plonge dans un village du sud de l’Italie où Maria, la sœur de Simenone (surnommé « Jésus-Christ »), va s’emparer d’un pistolet rangé dans un tiroir de la cuisine familiale, sortir de la maison et se rendre, sans un mot, chez Angelo, l’homme qui l’a violentée la veille.

 

La prestation de ce jeune comédien belge est si étincelante qu’on a la sensation tenace de découvrir un futur grand nom du théâtre. Accompagné de la musicienne Florence Sauveur, Félix Vannoorenberghe nous entraîne, comme dans un long travelling, dans un récit captivant aux allures de western contemporain. A l’image de cette foule de villageois (les gars du chantier, les chasseurs, les bikers, les femmes jalouses de sa beauté, les enfants, etc.) qui va suivre ou invectiver Maria, jeune femme à la détermination imperturbable, le spectateur est pris dans un suspense, dans le besoin de comprendre pourquoi elle a décidé de prendre une arme, comment cette violence a pu se développer dans un silence collectif coupable.

 

Félix Vannoorenberghe est à la fois le narrateur et le reflet de la communauté villageoise à laquelle il donne vie à travers une multitude de costumes qu’il endosse puis suspend au fur et à mesure de l’histoire à l’arrière-scène pour figurer le cortège des habitants. « Je suis comme un observateur qui a assisté à une histoire tellement dingue qu’il a besoin de la raconter en faisant vivre tous ses protagonistes », résume, hors scène, Félix Vannoorenberghe.

« Plonger dans la parole »

A 30 ans, ce comédien au visage juvénile, au corps longiligne et à la voix profonde et douce – croisé notamment dans quelques séries télévisées (Hippocrate, Salade grecque) – a suivi à la lettre les conseils du metteur en scène Georges Lini (1966-2025) : « Plonger dans la parole », travailler le texte comme une « partition de musique » et l’accompagner d’un « investissement physique ».

Le résultat est tellement saisissant que La Sœur de Jésus-Christ a déclenché un bouche-à-oreille immédiat. Le spectacle fait salle comble. Mais cet Avignon qui pourrait être « de rêve » a une dimension « absurde », lâche le comédien. Parce que Georges Lini, l’artisan de ce succès, « n’est plus là ».

Privilèges abonné
 

Emporté par un cancer à l’âge de 58 ans, ce metteur en scène, personnalité réputée de la scène belge, est mort le 27 juin. « C’était mon mentor, on travaillait ensemble depuis huit ans, il m’a vraiment appris mon métier. » Félix Vannoorenberghe n’oubliera jamais cet e-mail reçu un soir de 2017, « à 0 h 11 », précise-t-il, dans lequel Georges Lini lui proposait de jouer dans La Profondeur des forêts, de Stanislas Cotton (pour lequel il recevra, en 2018, le prix Maeterlinck de la critique, catégorie meilleur espoir).iuge

Alors étudiant en dernière année de l’Institut des arts de diffusion (IAD) à Louvain-la-Neuve (Belgique), Félix Vannoorenberghe avait passé le matin même un examen. Georges Lini était membre du jury et l’a tout de suite repéré. Leur collaboration, au sein de la compagnie belge Belle de nuit, n’a jamais cessé. Désormais, il s’agit, insiste le comédien, de « faire honneur à son travail ». Ce que son élève réussit pleinement.

« Avignon, le lieu saint du théâtre »

La Sœur de Jésus-Christ fait partie de la « trilogie des Antigone » imaginée par Georges Lini. Le premier chapitre, Iphigénie à Splott, avait déjà été l’un des succès du « off » d’Avignon en 2023 et avait révélé le talent de Gwendoline Gauthier. « Il était toujours à la recherche de la beauté dans ce monde dégueulasse, se souvient Félix Vannoorenberghe, et avait engagé plusieurs jeunes comédiens et comédiennes ces dernières années. »

 

Après soixante dates de tournée en Belgique, La Sœur de Jésus-Christ enthousiasme désormais le public avignonnais, qui se presse au Théâtre des Doms, vitrine de la création belge francophone. « Avignon, c’est un peu le lieu saint du théâtre, la porte d’entrée française pour les compagnies belges. C’est la première fois que je viens à ce festival en tant que comédien. Je l’avais découvert, en tant que spectateur, à l’âge de 18 ans, grâce à un cadeau de ma mère. »

Institutrice, c’est elle qui, en inscrivant son fils très jeune dans une école municipale de musique et de théâtre, a semé chez lui la « première graine » du virus du théâtre. Une « seconde graine » est venue s’ajouter à l’adolescence, grâce à la découverte des spectacles d’Hamadi El Boubsi. « Des claques théâtrales qui m’ont tour à tour ému, émerveillé, secoué, changé », se souvient le comédien.

 

 

Cette fois, grâce à son talent, à la délicatesse de l’accompagnement musical imaginé par Florence Sauveur et à la force du texte de l’Italien Oscar De Summa, qui n’est pas moralisateur, mais pose des questions sur les racines et les ressorts de la violence, la « claque théâtrale », c’est lui.

 

 

Voir le teaser vidéo 

 

La Sœur de Jésus-Christ, d’Oscar De Summa, texte français : Federica Martucci, mise en scène : Georges Lini. Avec Félix Vannoorenberghe et la musicienne et compositrice Florence Sauveur. Festival « off » d’Avignon, Théâtre des Doms. Jusqu’au 26 juillet. Tarifs : de 14 € à 21 €. En tournée en Belgique et en France à partir de 2026.

 

 

Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 21, 5:07 PM
Scoop.it!

A Avignon, « Gahugu Gato (Petit pays) », le récit diffracté et délicat du drame rwandais

A Avignon, « Gahugu Gato (Petit pays) », le récit diffracté et délicat du drame rwandais | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot, envoye spéciale à Avignon, publié par Le Monde le 18 juillet 2025

 

 

Adapté du livre de Gaël Faye sur le génocide au Rwanda, le spectacle de Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire au Cloître des Célestins joue sur une narration chorale pour aborder la tragédie.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/18/a-avignon-gahugu-gato-petit-pays-le-recit-diffracte-et-delicat-du-drame-rwandais_6622087_3246.html

 

« On ne doit pas douter de la beauté des choses même sous un ciel tortionnaire », écrit Gaël Faye dans son roman autobiographique Petit pays (Grasset, 2016). Lorsque la phrase résonne dans l’enceinte du Cloître des Célestins, elle a la force de l’évidence et l’autorité d’une note d’intention. Simple et limpide, paisible, alors même que sa toile de fond est le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, la mise en scène de Gahugu Gato (Petit pays) par Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire se dépose avec une folle délicatesse dans la nuit avignonnaise.

 

Adapté du texte de Gaël Faye, joué en langue kinyarwanda (surtitrée) par une magnifique équipe de 11 interprètes rwandais et burundais, ce spectacle cristallin d’une douceur ineffable se refuse à la spectacularisation. Vingt-six ans le séparent de Rwanda 94, l’uppercut théâtral et documentaire asséné par Jacques Delcuvellerie dans ce même Festival d’Avignon. Le temps écoulé n’a pas atténué l’horreur du drame génocidaire. Mais ce qui, hier, nécessitait d’en passer par un électrochoc esthétique et politique pour alerter les consciences, a désormais la possibilité de s’énoncer avec sérénité, dans le calme d’une représentation qui est d’autant plus persuasive qu’elle ne s’exhibe pas, ne gesticule pas, ne crie pas.

Fracture familiale et guerre civile

En lieu et place, c’est le vibrato d’un récit diffracté et tressé entre chant et parole qui s’élève, se déplie, se répand, flotte au-dessus d’un plateau nu, juste habité de quelques chaises de bois. Ce récit circule de corps en corps. Acteurs, musiciens, danseurs, la narration ne s’interrompt jamais. Elle n’appartient pas à un seul locuteur mais elle est la propriété de tous les interprètes en scène. Ils sont – femmes et hommes, jeunes et vieux – les dépositaires (et passeurs) de l’histoire de Gaby, ce garçon en exil, séparé de sa mère, et qui aimerait tellement revenir au Rwanda. Non, lui martèle Ana (sa sœur), « tu n’y trouveras rien à part des ruines et des cadavres ». Il y retourne, pourtant, avec et grâce aux mots, la littérature qui n’a pas de frontières peut faire des miracles.

 

Réactivation d’une enfance dont l’insouciance s’achève lorsque, en 1993, les parents de Gaby se séparent. La mère regagne son Rwanda natal, le père, expatrié français (et qu’incarne, en langue française, sur un mode volontairement surjoué, décalé et intrusif le metteur en scène Frédéric Fisbach), reste avec les enfants vivre au Burundi.

 

Imbriquée à cette fracture familiale en profitant de la brèche intime pour avancer ses propres pions, la guerre civile frappe aux portes des maisons. D’abord, il y a la rumeur d’un chaos encore trop éloigné pour éteindre les rires de la jeunesse (le récit d’une circoncision racontée par quatre grands gaillards est tordant). Puis, par touches successives sorties du tissage de dialogues animés (l’entrée en résistance d’un oncle appelé « Pacifique ») ou d’incisifs rappels mémoriels (l’appel à la traque du « gibier » tutsi diffusé par la Radio des Milles Collines), la tragédie se dresse de toute sa hauteur. Elle se campe au sommet des gradins vers où se tournent les regards des acteurs qui scrutent une invisible « maman » dont ils appellent la présence à maintes et maintes reprises. Cette tragédie porte donc le nom de la mère de Gaby, précipitée dans la dépression après avoir vu les cadavres torturés de ses proches.

 

Créé à Kigali, joué sur les lieux mêmes du drame, ce spectacle en dentelle fine engage, en sourdine, un combat essentiel entre la brutalité et le tact, la haine et l’amour, la guerre et la paix. Parce que la parole, loin d’être offensive, est une main qui cherche le lien, parce que les acteurs fraternisent, en temps réel, en s’échangeant les rôles, parce que l’harmonie est ici assumée, voire revendiquée, ce sont le tact, l’amour et la paix qui gagnent la lutte. Ce n’est pas une approche naïve ou décorrélée du réel. Mais le supplément d’âme d’une représentation suspendue avec grâce dans la pénombre du Cloître des Célestins. Vingt-six ans après le salutaire Rwanda 94, elle tourne la page de la fatalité et écrit le chapitre d’après : la beauté n’a pas succombé sous les ciels tortionnaires.

 

 

Gahugu Gato (Petit pays). Adapté du récit de Gaël Faye. Mise en scène : Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire. Cloître des Célestins, Avignon, jusqu’au 22 juillet.

 

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale du Monde)

Légende photo : « Gahugu Gato », d’après le roman « Petit pays », de Gaël Faye, mis en scène par Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, au Festival d’Avignon, le 16 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 21, 4:37 PM
Scoop.it!

Du «Petit Pays» de Gaël Faye au «Radio Live» d’Aurélie Charon, la guerre s’impose au Festival d’Avignon 

Du «Petit Pays» de Gaël Faye au «Radio Live» d’Aurélie Charon, la guerre s’impose au Festival d’Avignon  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération - 21 juillet 2025

 

Programmés au In, l’adaptation du roman de l’écrivain rwandais par Frédéric Fisbach et le projet de récit de la productrice de France Culture Aurélie Charon mettent en lumière les conflits présents et passés, de Gaza à la Bosnie en passant par l’Ukraine.

 
 

Dans une façade d’immeuble constellée de trous, en Bosnie. Dans les textos d’Amir depuis Gaza bombardée : «Moi je fais mon devoir d’adulte : ne pas tomber dans la haine.» Dans les 56 petits éclats d’obus fichés dans le corps d’Inès depuis son enfance, qui a l’élégance de rire en répétant les paroles de son médecin : «A la radiographie, votre corps ressemble à un fromage suisse !» Dans l’angoisse qui fige les yeux de Hala, fille de militant communiste torturé à mort par la police d’Assad, quand elle raconte le moment de passer la frontière syrienne vers une vie d’exil en France : «La sensation qu’une balle allait traverser ma tête m’accompagnait partout en Syrie, dans la rue, dans les fêtes. Je ne m’en suis rendu compte qu’au moment de quitter le pays, quand elle s’est envolée.»

La guerre est au cœur des trois épisodes de Radio Live (Vivantes, Nos vies à venir et Réuni.es), le remarquable spectacle d’Aurélie Charon, productrice à France Culture, porté sur scène pendant une semaine à Avignon et qui s’apprête à commencer une longue tournée. Mais la douceur aussi, la colère et encore l’humour, pointillé constant qui reliera tous les témoignages, comme la politesse de ceux qui ne veulent pas nous accabler, qui prennent encore soin de nous, le public, après tout ce qu’ils ont vécu ou vivent encore.

Spectacle vraiment vivant

Depuis dix ans, le projet «Radio Live» donne la parole à des jeunes du monde entier. La session montrée à Avignon met en scène des vies traversées par les conflits, en Ukraine, en Palestine ou au Rwanda : ils sont devant nous, Aurélie Charon leur pose des questions doucement et ils racontent, chaque soir un peu différemment. Une carte du Proche-Orient est posée au sol où chacun trouve son village. Des portraits d’eux, enfants, sont accrochés au bord de la scène. Deux écrans diffusent les extraits de reportages tournés dans leur pays ou les messages qu’ils s’envoient à distance. La musicienne Emma Prat accompagne en live les récits.

 

Aurélie Charon connaît certains de ses protagonistes depuis des années. Des amitiés sont nées, avec elle et entre eux. «Sur les spectacles, il y a cette épaisseur de toutes ces années passées ensemble, partagées qu’on met en commun sur la scène, expliquait-elle à Libé juste avant le festival. Si bien qu’à la question de savoir combien de temps on répète, je peux répondre aussi bien un jour et demi que dix ans.» Dans les trois spectacles présentés à Avignon, ils se déplacent en bande (pour ceux qui obtiennent leur visa) d’un pays de l’un à celui de l’autre, dans le salon de la mère de l’une à la rencontre de l’oncle d’un autre. Et quand la guerre qui sévit encore l’empêche, c’est par des conversations de smartphone à smartphone que les personnages de cette pièce journalistique, de ce spectacle vraiment vivant, se rencontrent.

De la radio il reste les micros, le montage de haute précision, le mode de l’interview – le conducteur, comme on dit à la radio, est très écrit, mais les questions, et plus encore les réponses varient. Oksana, ancienne professeure de russe devenue fixeuse pour les journalistes français en Ukraine, recueille, anxieuse les désillusions de l’oncle bosniaque d’Inès sur l’après-guerre. A des milliers de kilomètres de distance, deux mères se découvrent le même terrible manque : l’heure du café, au petit matin, avec leurs époux disparus. Face à la caméra, pour nous, elles ont un sourire permanent. Et le regard dissonant d’un infini chagrin.

Récit choral

Radio Live et Gahugu Gato (Petit Pays), l’adaptation du premier roman de Gaël Faye paru en 2016, ont en commun l’humour et la volonté de tresser un récit choral des guerres. Le spectacle mis en scène par la Rwandaise Dida Nibagwire et le Français Frédéric Fisbach, en kinyarwanda traduit en français, a été créé à Kigali l’an passé, en 2024, année de la trentième commémoration du génocide. La pièce a été pensée pour être jouée en extérieur : Fisbach a parcouru les collines du pays où débutèrent les massacres. A Avignon, entre les deux gros platanes du cloître des Célestins, les acteurs et musiciens luttent joyeusement contre le grondement du mistral. Ils sont douze en tout, rwandais et burundais (à l’exception de Frédéric Fisbach lui-même qui joue le père français). La joie de cette troupe, précisément, est communicative. Belle idée aussi de verser à plusieurs reprises dans la farce pour mettre en scène la vie de Gaby, l’enfant par lequel on découvre la vie d’avant le génocide qui progressivement se désintègre.

 
 

Mais le cauchemar des massacres ne nous parvient qu’en échos et l’émotion de cette fiction reste souvent à la surface, certaines scènes comiques se révélant interminables (le récit par les gamins d’une circoncision surprise) comme s’il s’agissait sans cesse de désamorcer la tension qui n’a finalement que rarement l’occasion de se déployer. Peut-être parce que, comme l’écrit Frédéric Fisbach dans le livret de salle, les scènes de comédie sont une porte d’entrée vers ce qui est encore insupportable à entendre pour beaucoup de Rwandais aujourd’hui, trente ans après le génocide, comme «le chant et la danse viennent prendre en charge ce qui ne peut être dit, ce qui cause trop de souffrances».

Loin de la fiction, la narration parfaitement construite par Charon fonctionne à l’inverse. On ne s’explique pas tout d’abord pourquoi soudain l’émotion déborde autant, devant le sourire constant de la mère d’Inès aux cheveux blancs impeccablement blancs, au rouge à lèvres impeccablement rouge, dont le mari musulman a disparu dans un camp de concentration en Bosnie. Pourquoi ce sanglot dans le ventre quand une professeure de français palestinienne réfugiée à Amman explique qu’elle ne pense qu’à revenir à Gaza, c’est-à-dire revenir à elle. Plus on avance et plus il est clair que la guerre ne finit pas une fois que sa fin est déclarée, comme le dit Inès. Mais il est clair aussi que la vie est immense, que la vie est battante auprès de tous les protagonistes du Radio Live.

«Radio Live», épisode Réuni.es ce mardi 21 juillet à 17 h 00 salle Benoît XII à Avignon. Puis la trilogie part en tournée : en octobre au Méta à Poitiers et à la Cité internationale à Paris, en novembre aux Amandiers de Nanterre et au CDN de Sartrouville, en décembre au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon et à la MC93 de Saint-Denis etc. Gahugu Gato (Petit pays), jusqu’au mercredi 22 juillet à 22 h 00 au Cloître des Célestins d’Avignon (1 h 45). Puis du 18 au 20 mai 2026 à Mixt, à Nantes.

 

Sonya Faure / Libération

Légende photo : Trois épisodes du projet Radio Live d'Aurélie Charon ont lieu au Festival d'Avignon 2025 : «Vivantes», «Nos vies à venir» et «Réuni.es». (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 20, 6:57 AM
Scoop.it!

« Journal d’un écrivain 2019-2020 » : Lars Noren, en paix fragile avec lui-même

« Journal d’un écrivain 2019-2020 » : Lars Noren, en paix fragile avec lui-même | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde - Publié le 20 juillet 2025

 

Le dernier tome du journal du grand dramaturge suédois, mort du Covid-19 en 2021, révèle un créateur âgé qui, tant bien que mal, a appris à se supporter.

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/livres/article/2025/07/20/journal-d-un-ecrivain-2019-2020-lars-noren-en-paix-fragile-avec-lui-meme_6622374_3260.html

« Journal d’un écrivain 2019-2020 » (En dramatikers dagbok 2019-2020), de Lars Noren, traduit du suédois par Johan Härnsten et Amélie Wendling, La Place, 250 p., 23 €.

 

Lars Noren tenait son journal depuis 1977. Il lui était aussi indispensable que de respirer. Le Covid-19 y a mis fin : Lars Noren en est mort, le 26 janvier 2021. Il était l’auteur dramatique suédois le plus important depuis August Strindberg (1849-1912), et son nom avait circulé parmi les possibles lauréats du prix Nobel de littérature, en 2019.

 

Le cinquième et dernier tome de ce passionnant journal, qui paraît en français, s’ouvre à l’automne de cette année-là. Il fait état de la polémique qui entoure le choix d’attribuer le prix à Peter Handke, à cause de son soutien au président serbe Slobodan Milosevic (1941-2006), inculpé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Lars Noren juge ces prises de position « affreuses », mais il s’interroge sur la « limite entre l’aveuglement moral et la responsabilité personnelle de l’horreur. C’est cette limite qui doit être examinée », écrit-il, le 12 octobre.

 

Le 12 décembre, il se sent « glacé » par la « haine crue contre Peter Handke ». « Bien sûr, Handke est coupable d’une ambivalence dévastatrice dans ses déclarations, et peut-être devrait-il s’en excuser. Mais comment adresser à une personne haineuse des mots d’excuse. » Sans point d’interrogation. Il n’y en a aucun dans ce journal où les phrases s’enchâssent les unes dans les autres, comme des instantanés.

 

Pour Lars Noren, écrire chaque jour ou presque revient à « se souvenir des photos prises dans une vie (…), comme une croix rouge sur les endroits où nous avons été assis, où nous serons assis ». Dans son intégralité, son journal compte plus de 6 000 pages, réparties en cinq tomes. Deux seulement sont traduits en français. Publié à L’Arche en 2009, le premier couvrait la période du 1er août 2003 au 31 juillet 2004. Le second, aux éditions La Place, s’ouvre le 3 octobre 2019 et se referme le 20 décembre 2020.

La vieillesse à l’œuvre

En 2003-2004, Lars Noren était en pleine guerre. Contre lui-même, son égoïsme, ses tentations morbides et le désir d’enfant de sa nouvelle amoureuse. Quinze ans plus tard, s’il n’en a pas fini avec les démons qui l’ont mené, dans sa jeunesse, à l’asile psychiatrique, il semble mieux se supporter. La vieillesse est à l’œuvre. « L’enfant, le petit garçon que j’étais, me rend de plus en plus souvent visite. Il m’est impossible de voir l’expression de son visage, de voir si c’est de la joie ou de l’étonnement. Il est sur la défensive, peut-être », écrit-il, le 16 octobre 2019. Il a 75 ans, deux filles adultes et une de 10 ans, S. Avec l’écriture, elles sont sa raison de vivre et le deviennent plus encore quand le Covid-19 frappe l’Europe, fin février 2020.

 

Le journal entre alors dans un autre temps, celui de la paix fragile. Lars Noren note que sa capacité pulmonaire est réduite. Ses pas sont plus lents, mais il voyage loin, dans son fauteuil. Il vit seul, se garde de tomber amoureux, mais éprouve un étrange amour pour F., une comédienne de la Comédie-Française, où sa pièce Poussière a été créée, en 2018.

 

 

« Ce journal sera le plus paisible et le dernier », note-t-il, d’une manière mystérieuse et prémonitoire, le 31 décembre 2019. Ce jour-là, Lars Noren écrit à Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, qui lui a commandé une nouvelle pièce. Il veut la consacrer à Simone Weil, une écrivaine qu’il porte au sommet, avec Nathalie Sarraute. Il ne laissera que des bribes de cette pièce, mais, en quinze mois, il en aura écrit huit autres.

 

Lars Noren aura aussi déménagé dans un grand appartement, pour que S. y ait sa chambre, quand elle pourra enfin vivre avec lui. Cela ne sera pas. Le 20 décembre 2020, il signale qu’il lui « tarde de lire le nouveau Peter Handke », il parle du vaccin contre le coronavirus, qu’il attend impatiemment, et il s’arrête pour toujours d’écrire après cette phrase : « Il y a une lumière pâle sur l’eau et sur les façades de la rive opposée. » On le quitte avec émoi, restent ses pièces et leur humanité impitoyable, qui n’a pas fini de nous bouleverser.

 

 

Extrait : 

 

« 9 octobre 2020 : Je pense à l’essence de la joie dans les trois figures tragiques chez Hölderlin et à “l’infinité divine”. C’est une belle pensée de Hölderlin, que l’être humain moderne ne se rende pas compte que ce que nous ressentons de l’Antiquité et de la philosophie grecque, c’est la fin de l’incertitude, le fragile, le fracturé – et non pas l’énorme commandement qui existait à son origine, ce pathos qui a provoqué le séisme qui se répercute jusqu’à notre époque. »

 

Journal d’un écrivain 2019-2020, p. 198

 

 

Brigitte Salino / LE MONDE

Légende photo  : Lars Noren (à gauche) lors d’une répétition de « Poussière », à la Comédie-Française, en janvier 2018. BRIGITTE ENGUERAND/DIVERGENCE

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 5:09 PM
Scoop.it!

Au Festival d’Avignon, l’édition théâtrale se met en scène

Au Festival d’Avignon, l’édition théâtrale se met en scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nicole Vulser (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 18 juillet 2025

 

Les éditeurs de théâtre représentent un micromarché qui édite plus d’un millier de nouveaux textes par an. La diffusion en librairie reste souvent anecdotique et militante.

Lire l'article sur le site du "Monde": 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/18/au-festival-d-avignon-l-edition-theatrale-se-met-en-scene_6622090_3246.html

« Je suis un vieux crocodile du théâtre mais un jeune éditeur », affirme le comédien et metteur en scène Stanislas Nordey. A 58 ans, l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS) vient tout juste de reprendre, début juillet, la direction des Editions Espaces 34, une petite maison indépendante spécialisée dans le théâtre, portée depuis 1992 par sa fondatrice, Sabine Chevallier, qui lui a transmis le flambeau. « La maison risquait de disparaître. Tous mes amis m’ont dit : “C’est la dernière chose à faire”… », raconte le metteur en scène. Il se lance quand même, en sachant qu’« on ne gagnera pas d’argent, mais l’enjeu, c’est de ne pas en perdre ». Il sera bénévole tout comme le directeur financier, et a embauché un correcteur également chargé de la fabrication.

 
 

Stanislas Nordey se plonge dans la lecture du fonds, « bluffé de ne trouver aucune faute de goût parmi les 230 titres du catalogue ». Il compte lancer deux nouvelles collections : « Les introuvables » – qu’il inaugurera en janvier 2026 avec le projet d’adaptation de l’Orestie, d’Eschyle, par Pier Paolo Pasolini (1922-1975) et un texte de Didier-Georges Gabily (1955-1996) – ainsi qu’une autre collection autour du théâtre, étrennée avec les carnets de création de Jean-Pierre Vincent (1942-2020).

 

A l’honneur pendant le Festival d’Avignon, l’édition théâtrale en France reste un micromarché, évalué par l’institut NielsenIQ GFK à 1,35 million d’euros en 2024, en léger déclin par rapport à 2023. Le nombre de nouveautés s’est établi à 1 149 titres en 2024 et le « top trois » des meilleures ventes a été attribué, toujours selon cet institut, à Antigone (1942), de Jean Anouilh, suivi par le deuxième tome du Sang des promesses, Incendies (2012), de Wajdi Mouawad, puis par les tragédies d’Eschyle.

Importance des ventes du fonds

Avec un catalogue de 1 300 ouvrages et une vingtaine de nouveautés chaque année, dont 12 à 15 pièces de théâtre, Actes Sud Papiers reste, de loin, le plus important acteur de ce secteur. Claire David, directrice d’Actes Sud Papiers et du pôle des arts de la scène, sort les textes des pièces jouées à Avignon comme L’Enfant de verre, de Léonore Confino et Géraldine Martineau, ou La Faille, de Serge Kribus. Elle ressort aussi Le Canard sauvage, d’Henrik Ibsen (1828-1906), mis en scène par Thomas Ostermeier. « Dans le théâtre, les ventes sont très lentes à décoller, mais peuvent parfois se métamorphoser en véritables triomphes sur la durée, comme Incendies, de Wajdi Mouawad, écoulé à plus de 350 000 exemplaires », explique-t-elle.

 
 

Les ouvrages d’autres auteurs maison comme Jean-Claude Grumberg, avec L’Atelier, et Joël Pommerat dépassent les 25 000 exemplaires. Ce mini-marché, tout comme celui de la poésie, se caractérise par l’importance des ventes du fonds (60 à 70 %), bien supérieures à celles générées par les nouveautés. Soit l’exact inverse du roman.

 

Autre éditeur de poids, Les Solitaires intempestifs – qui publie une vingtaine de nouveautés par an – profite aussi d’Avignon pour mettre en avant ses auteurs à l’affiche, comme Clotilde Mollet, Tiago Rodrigues, Tamara Al Saadi ou Ronan Chéneau. « Le tirage des nouveautés excède rarement 3 000 exemplaires. Arriver à 10 000 exemplaires de ventes est exceptionnel », reconnaît François Berreur, son directeur.

 

 

Dans l’édition théâtrale, le Graal consiste à intégrer les programmes scolaires. Un sort enviable partagé par Illusions comiques, d’Olivier Py (Actes Sud, 2006) ou encore Clôture de l’amour, de Pascal Rambert (Les Solitaires intempestifs, 2011), mais surtout Juste la fin du monde (1990), de Jean-Luc Lagarce, vendu selon son éditeur, Les Solitaires intempestifs, à plus de 100 000 exemplaires.

Rayons spécialisés minuscules

Le Festival d’Avignon a conclu, depuis 2018, un partenariat avec la librairie Lettres vives de Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui prend ses quartiers d’été dans la Maison Jean-Vilar – où est proposée une offre foisonnante de près de 5 000 références en théâtre, danse et spectacle vivant. Soit le lieu le mieux approvisionné de l’Hexagone. La librairie éphémère se déploie aussi dans la cour du cloître Saint-Louis et a ouvert une ribambelle de petits comptoirs de vente directement dans les lieux de spectacles, à la Carrière Boulbon, au Musée Calvet, à Vedène (Vaucluse), au Gymnase Mistral… Dans le quartier général du « off », la librairie avignonnaise La Comédie humaine a aussi ouvert une seconde boutique temporaire, qui regorge d’œuvres de dramaturges.

 

La question de la diffusion et de la place accordées au théâtre dans les librairies reste cruciale. Les rayons spécialisés s’avèrent souvent minuscules. La directrice de la maison d’édition L’Arche, Claire Stavaux, souligne les difficultés liées à l’arrêt de certaines librairies spécialisées. A Paris, par exemple, Palimpseste, installée dans le 5e arrondissement, a fermé, tandis que Le Coupe-Papier, à deux pas du Théâtre de l’Odéon, dans le 6e arrondissement, a été repris par une librairie de manuscrits et de beaux livres. EXC a également baissé le rideau, dans le 3ᵉ arrondissement, mais renaîtra début septembre sous le nom de Librairie centrale, en étant hébergée par la Maison de la poésie.

 

Même constat dans les théâtres. La librairie du TNS a disparu. Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, la librairie, gérée par EXC, a baissé le rideau en octobre 2024, mais la Réunion des musées nationaux doit reprendre les rênes du lieu, le 9 septembre. Préserver un comptoir de vente de livres dans les théâtres est souvent « un acte militant », souligne Claire David. Déjà en 1987, le dramaturge Michel Vinaver (1927-2022) avait analysé les « mille maux dont souffre l’édition théâtrale » et suggéré d’améliorer sa diffusion parmi les « trente-sept remèdes pour l’en soulager ».

Droits de représentation théâtrale

Tous les éditeurs sont concernés par cette difficulté. Même les éditions Théâtrales, qui appartiennent au Théâtre ouvert, un centre national des dramaturgies contemporaines subventionné par des aides publiques. A côté des résidences, des spectacles ou de l’accompagnement dramaturgique, ce pôle d’édition se démarque par son statut de coopérative, dont certains auteurs sont sociétaires.

 

Sa directrice, Caroline Marcilhac, confie recevoir près de 600  manuscrits par an et publier « quatre nouveaux auteurs par an, jamais édités précédemment ». Quitte à poursuivre avec eux un compagnonnage sur plusieurs années, avant qu’ils ne quittent le Théâtre ouvert pour rejoindre un autre éditeur, comme Baptiste Amann ou Nicolas Doutey, passés chez Actes Sud.

 

 

Autre singularité dans ce secteur, L’Arche est à la fois un éditeur – avec une quinzaine d’ouvrages présentés dans le « off » à Avignon, signés Lukas Barfüss, Alexandra Badea, Lee Hall, Dennis Kelly… – et une agence théâtrale depuis trente ans. Seul modèle alternatif à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), L’Arche gère les droits de représentation théâtrale de près de 500 auteurs français et internationaux. Et finalement jouer la pièce d’un auteur peut lui rapporter bien davantage que la vente de ses ouvrages. En 2024 – une très bonne année pour la perception des droits dans le spectacle –, la SACD, qui encaisse en moyenne 10 % de la recette de billetterie des théâtres pour reverser des droits aux auteurs, a rétrocédé à plus de 7 700 d’entre eux une somme totale de 20 millions d’euros. Sans dévoiler qui a touché le jackpot.

 

Nicole Vulser (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE

 

Légende photo : A la Maison Jean-Vilar, à Avignon, en 2019. FESTIVAL D’AVIGNON

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 7:56 AM
Scoop.it!

Au Festival « off » d’Avignon, « Une chose vraie », avec Ysanis Padonou, laisse le public pétrifié d’émotion

Au Festival « off » d’Avignon, « Une chose vraie », avec Ysanis Padonou, laisse le public pétrifié d’émotion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 17 juillet 2025

 

Au Théâtre du Train bleu, la comédienne de 27 ans, atteinte de la maladie de Huntington, livre un monologue sobre et bouleversant.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/17/au-festival-off-d-avignon-une-chose-vraie-avec-ysanis-padonou-laisse-le-public-petrifie-d-emotion_6621737_3246.html

 

 

Tout arrêter et prendre le temps de repenser à ce qui a eu lieu. Respirer un bon coup, laisser filer les secondes avant de regagner la rue en titubant sous le soleil. Pas parce qu’il saoule les corps de sa chaleur. Mais parce qu’un choc vient de se produire dans la fraîcheur d’une salle de théâtre. C’est aussi ça, le Festival d’Avignon. Une suite de spectacles qui s’enchaînent bon an mal an, et puis, soudain, un artiste surgit qui emporte tout sur son passage. Quelque chose, « une chose vraie », a fait rupture avec l’ordinaire.

 

 

Voici le tableau : un public pétrifié d’émotion. Une actrice prostrée, buste enroulé en mode fœtal après une heure vingt d’une représentation sidérante, essentielle (c’est certain) et inoubliable (c’est probable). La communion, ce graal maintes fois invoqué au théâtre mais qui s’y manifeste si peu, ce point de ralliement fantasmé est la note finale, définitive et bouleversante du monologue proposé au Train bleu : Une chose vraie.

 

Le titre est à prendre au pied de la lettre. Sobre, apoétique, d’une froide neutralité, il est factuel. A l’exact opposé des perceptions tempétueuses que provoque le récit (mis en scène par Romain Gneouchev) porté au plateau par la comédienne Ysanis Padonou. Ses mots et sa façon de les dire, son histoire et sa manière de la jouer : rien, chez cette interprète fabuleuse, ne cède au pathos.

Cette actrice-là n’a plus de temps à perdre en vague à l’âme ou en flou artistique. Elle est atteinte de la maladie de Huntington, une affection génétique et neurodégénérative qui la condamne à l’effritement de ses facultés cognitives et motrices. La dégradation (qui s’apparente à un Alzheimer précoce) s’amorcera entre ses 35 et ses 50 ans. Elle a 27 ans, aujourd’hui. Elle est au stade 3 d’une atteinte qui, pour l’instant, reste discrète, mais dont elle connaît les symptômes à venir : son grand-père en est mort, sa mère en est atteinte. Huntington est héréditaire. Elle l’a appris, en 2014, de la bouche du neurologue qui les a informées, elle et sa mère, en quatorze minutes chrono d’une consultation brutale ne laissant aucune place à la dernière respiration qui précède la noyade.

Elégance sidérante

L’aveu des faits ne se fait pas attendre. Un préambule sans embarras ni fioriture. Avec Ysanis Padonou, le théâtre ne triche pas. Ou très peu. La comédienne porte une oreillette (elle l’enlève, la montre, la remet) dans laquelle lui parvient son texte enregistré. Si elle se sépare de l’appareil, elle ne se donne pas plus de quelques minutes pour se mettre à bafouiller. Le pire cauchemar pour une actrice professionnelle dont la bête noire est le trou de mémoire. Elle ne se plaint et ne se plaindra pas. Jamais. Elle constate. Elle égrène avec précision (et le sourire) les origines, les causes, les circonstances, les conséquences. Son élégance est sidérante, sa pudeur exemplaire. Tête haute, sculpturale dans son tee-shirt échancré, elle est d’une classe folle.

 
 

Elle opère un retour sur le passé qui démarre au Théâtre national de Strasbourg, où, élève recrutée en 2011 à l’école, elle entend un metteur en scène dire d’elle : « Elle est bien la petite Négresse. » Ysanis Padonou est noire. Le racisme décomplexé, elle le traverse et le surmonte avant de s’enfouir dans la solitude. Six ans à détaler loin de sa mère malade pour se construire en dépit de Huntington. Elle travaille, elle tourne, elle enchaîne les pièces sous la direction (notamment) de Stanislas Nordey. Elle est – elle se croit – heureuse, cette jeune femme fuyant l’annonce. Et que la « chose vraie » rattrape. C’était fatal.

 

Les épaules trempées de sueur, elle livre les détails. La densité d’un présent dupant le futur improbable, tout tient d’un bloc dans un décor plastique d’une blancheur aveuglante. Toile tendue sous ses pieds, dans son dos. Un plateau de photographe où les projecteurs saturent l’espace de couleurs pop. Elle est épinglée dans le lieu par son metteur en scène, Romain Gneouchev. Un dispositif épuré où les babioles disposées au sol (une statuette, un coffret de porcelaine ou le courrier du laboratoire de recherche) sont des cailloux de Petit Poucet semés là, au cas où. Et puis elle enlève l’oreillette. Requiert la présence d’un souffleur. Répète les vers d’une tragédie qu’une spectatrice lui murmure. Se prostre à terre. Elle n’est pas une victime. Elle est actrice. Et pas qu’un peu. Pas du genre qu’on oublie.

 

Une chose vraie, conception, écriture et mise en scène : Romain Gneouchev. Jeu et collaboration à l’écriture : Ysanis Padonou. Festival « off » d’Avignon, Théâtre du Train bleu. Jusqu’au 23 juillet.

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale du Monde )

Légende photo : Ysanis Padonou dans « Une chose vraie », à la Comédie de Colmar-Centre dramatique national Grand-Est - Alsace, en novembre 2024. OLIVIER DUVERGER-HOUPERT
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 7:25 AM
Scoop.it!

Ibsen à Avignon: Le jeu (dangereux) de la vérité

Ibsen à Avignon: Le jeu (dangereux) de la vérité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet  dans Wanderer — 15 juillet 2025

 


Le Canard sauvage (Vildanden), d'Henrik Ibsen, par la Schaubühne de Berlin, Festival d'Avignon 2025 
Ibsen à Avignon : Le jeu (dangereux) de la vérité

 

Avignon, Festival d'Avignon 2025, Opéra Grand Avignon, jeudi 10 juillet 2025, 17h
 

Premiers pas dans la 79ème édition du Festival d’Avignon qui nous conduisent l’Opéra Grand Avignon vers l’entrée duquel les spectateurs  convergent. C’est que l’élan du public est à la hauteur de l’événement avec le retour de Thomas Ostermeier, dix ans après son éblouissante mise en scène de Richard III, douze après Un Ennemi du peuple. C’était Ibsen déjà et sa peinture d’une bourgeoisie  en proie à ses bassesses, à ses ombres. Ce retour attendu divise autant qu’il passionne. Les déçus perçoivent ici une forme de tassement qui tend à durer depuis les derniers spectacles du patron de la Schaubühne. On peut cependant s’accorder sur l’intérêt que son théâtre recouvre encore aujourd’hui et, même si les avis sont plus mesurés qu’il y a une dizaine d’années, ce Canard sauvage parvient à captiver. D’abord, par l’avancée du metteur en scène allemand dans l’œuvre d’Ibsen et les sujets qu’il aborde traduisant le relativisme du dramaturge – auquel notre rapport complexe à la réalité comme aux Fake news entre en résonance aujourd’hui ; ensuite, par la virtuosité des comédiens – et on retrouve Thomas Bading déjà en tête de la distribution d’Un Ennemi du peuple ; par une scénographie certes familière mais au raffinement esthétique indiscutable ; par le fait enfin, que les créations les plus fécondes du metteur en scène allemand ont par le passé, brillamment illustré et défendu un propos singulier qu’on retrouve explicitement ici. C’est pourquoi j’ai voulu me faire son opinion et même si certains signes d’essoufflement peuvent apparaître, la mise en scène de ce drame familial en forme de tragédie traduit bien sa maîtrise si reconnaissable d’Ibsen.

 

En cette fin d’après-midi, l’Opéra Grand Avignon accueille un large public venu assister à la représentation du Canard sauvage. Ce n’est pas seulement Ibsen mais le travail de Thomas Ostermeier sur un de ses plus célèbres textes qui exerce pareille attraction sur la place de l’Horloge. Le personnel du Festival accueille, conseille, oriente chacun et chacune vers sa place dans l’effervescence des grands soirs. Le rideau est baissé : rien ne transparaît et on perçoit autour de soi l’attention de tous en direction de la scène encore dissimulée aux regards. Comme un secret bien gardé – sans doute en faut-il et, en ce sens, cela croise presque la pièce d’Ibsen.

Le lever de rideau ne déçoit aucunement, laissant découvrir sans attendre le remarquable travail de Magda Willi sur la scénographie. L’utilisation d’un plateau tournant – certes déjà vu entre autres dans Vernon Subutex 1 récemment – dévoile un premier plateau figurant un intérieur raffiné bien qu’exigu, une entrée ou bien un vestibule. Une tapisserie à motifs géométriques très – peut-être volontairement trop – réguliers au mur. Des appliques à pampilles de verres, aux reflets irisés. Deux fauteuils en cuir noir signés Le Corbusier, séparés par une table à la structure chromée. On entend des voix derrière la porte qui s’ouvre et laisse entrer tour à tour plusieurs personnages qui se croisent et se font ainsi connaître du public. Une fête de famille a lieu en hors scène, on entend même des voix entonner un morceau a cappella. « Every day is so wonderful / Then suddenly it’s hard to breathe… » Une manière de se convaincre que tout va bien ? « No matter what they say » pour reprendre le refrain de Christina Aguilera.

 

 

L’un des convives est Gregers Werle – prodigieux Marcel Kohler aussi émouvant que redoutable sous ses faux airs de prédicateur moderne. Il est le fils de Werle, le patriarche. Thomas Bading est toujours aussi épatant à travers cette figure dominatrice et insensible de chef de famille plus soucieux de faire prospérer ses affaires et de collectionner les maîtresses que de s’occuper de sa femme souffrante et de son fils. Cette dernière est décédée et Gregers veut en découdre avec son père qu’il rend responsable alors que Werle lui propose d’être son associé, alors qu’il est sur le point d’épouser sa dernière conquête. Cette dernière – élégante Stéphanie Eidt – leur demande de parler moins fort car on entend leur dispute – Faut-il donc sauver les apparences pour les invités ? Pour le public aussi peut-être ? Gregers explose néanmoins : « Ta vie n’est qu’un champ de bataille ». Et le père de lui répondre : « Il n’y a personne au monde que tu détestes autant que moi ». Peut-être ne fallait-il pas l’inviter alors, comme Gregers en proie à une grande agitation le lui rappelle pour éviter le drame. En effet, les secrets de famille affleurent avec l’arrogante désinvolture du père, les blessures béantes du fils. Tout rappelle l’examen cher à Ibsen des sordides turpitudes de cette bourgeoisie qui ne sont pas sans rappeler le tout aussi nordique Festen de Thomas Vintenberg, adapté sur scène par Cyril Teste en 2017. Werle reproche à Gregers de « regarder la vie à travers une vitre », d’avoir une vue déformée du monde qui l’environne. C’est que le jeune homme s’est fixé pour objectif de faire émerger la vérité coûte que coûte, de repousser le mensonge source de malheurs. Grand, droit, d’une rectitude maladive, il a toute l’allure d’un apôtre de l’honnêteté poussée à son paroxysme, indifférent à toute alternative.

 

Redoutable même sans le savoir, même sans le vouloir. Sectaire.

Il avait rencontré avant son père, Ekdal, qui passait discrètement afin de pouvoir poursuivre un travail pour Werle. Le vieil homme alcoolique et gâteux – joué avec beaucoup de brio par Falk Rockstroh – a tout perdu à cause du riche homme d’affaires. Stefan Stern est absolument remarquable dans le rôle de son fils, Hjalmar aux cheveux longs et filasses, toujours au bord de la folie. Gregers est troublé par sa présence à la soirée de Werle : avec son sens très aigu des bienfaits à dispenser, il décide donc de lui apporter son aide en réparation des actes odieux de son père qui a manipulé le sien pour échapper à ses ennuis et lui en faire endosser la responsabilité.

Grâce à la tournette qui pivote lentement – autant sur la musique de Kate Bush que sur celle de Led Zeppelin à la fin – on change de décor, d’endroit pour arriver chez les Ekdal. Dans un intérieur plus vaste, on découvre une espèce de bric-à-brac associant pièce de vie plutôt modeste et mal rangée avec un lieu de travail comportant un comptoir et un photoautomat, du mobilier des années 70–80 et du matériel informatique d’aujourd’hui. En dédommagement du sacrifice d’Ekdal, Werle a permis à la famille de rebondir en tenant un commerce de photographie – art possible de l’illusion. Comme une aumône ayant permis à Hjalmar de cultiver sa supposée fibre artistique qui peine tant à s’affirmer dans cet environnement en apparence bancal, à l’apparence incertaine mais toujours ouvert avec des fenêtres, des portes, un hors-scène à cour qui laisse aller et venir les comédiens. Un autre espace hors-scène au fond à jardin attire l’attention : l’enclos du père Ekdal, ce lieu où il se voit chasseur de poules, pigeons et lapins, véritable utopie au sens étymologique, transposition d’un espace mental fantasque qu’on atteint péniblement par le regard hormis lors des rares mouvements de la tournette. C’est aussi l’enclos où le canard sauvage du titre a trouvé refuge, sans qu’on ne le voie jamais, comme dans le texte original où il est censé être abrité dans le grenier. D’emblée, le lieu est dissonant, entre réalité modeste, espoirs insatisfaits et vaines échappatoires dans le rêve. Gina – très belle prestation de Marie Burchard, toute en tension – était la domestique de Werle et elle a finalement épousé Hjalmar.

Ils ont eu une fille : Hedvig, plus âgée ici que dans le texte original. Son rôle est d’ailleurs considérablement densifié et c’est l’extraordinaire Magdalena Lermer qui l’incarne avec concision et justesse. Comme son père qui se rêve en rock star – on retient sa piètre prestation de Mettalica à la guitare électrique plongeant sa famille dans une certaine perplexité, Hedvig veut devenir journaliste, voulant s’extraire de sa classe sociale, reprenant la figure de la transfuge de classe que le metteur en scène a déjà développée en adaptant le Retour à Reims de Didier Eribon.

Pourtant, les événements en décident autrement. Pour chacun des personnages, la vérité est trop difficile à affronter. Même pour Gregers qui considère Hjalmar comme son meilleur ami et qui veut lui venir en aide quoi qu’il en coûte. C’est la raison pour laquelle il assène ses principes de défense d’une vérité absolue comme source de bonheur. « Le mensonge est la ruine » alors il ne peut y avoir d’autres alternatives. Quoi qu’il en coûte, sous la lumière crue des projecteurs. Même Relling que campe David Rulland ne peut rien empêcher. Et Gregers lui aussi devra affronter ce qu’il n’aurait jamais envisagé car, non, toutes les vérités ne sont certainement pas bonnes à dire. Briser le sceau du secret sur la naissance d’Hedvig, sur les raisons du mariage de Gina et de Hjalmar, lancer cette cascade de révélations et ce qu’elle engendre, tout cela rapproche le drame de l’inéluctable mécanique tragique « qui se démocratise et qui frappe la famille bourgeoise », comme le mentionne le philosophe Michel Meyer à propos du théâtre d’Ibsen. Tout cela jusqu’à la catastrophe finale, implacable et prévisible dans le mouvement circulaire de plus en plus rapide du plateau, sur les paroles de Robert Plant dans Kashmir diffusé à plein volume avant le noir final.

Même s’il l’a considérablement modifiée dans son adaptation, Thomas Ostermeier parvient à restituer toute la richesse de la pièce d’Ibsen et son attachement revendiqué à l’œuvre du dramaturge norvégien n’est plus à démontrer. Ces études de mœurs à l’atmosphère nordique sont ici transposées dans une plus grande indéfinition temporelle qui, comme le cycle infernal de la tournette, nous ramène plus au présent, laissant poindre la dénonciation du profit comme vertu cardinale dans les sociétés capitalistes contemporaines, affaiblissant la capacité à être en relation avec autrui, promouvant davantage la croyance au détriment de la réflexion et du sens, rendant la vérité labile et souvent insaisissable. Loin d’un théâtre didactique trop asséchant pour le démontrer, Thomas Ostermeier s’appuie plutôt sur un texte modernisé et charpenté ainsi que sur la prodigieuse authenticité de ses comédiens malgré une première partie au rythme quelque peu distendu et quelques facilités comme l’échange de Gregers-Marcel Kohler avec le public autour du mensonge dans le couple et la famille qui s’étire et laisse Magdalena Lermer en attente en fond de scène.

 

Ainsi, les retrouvailles entre le directeur de Schaubühne et le public avignonnais ont bien eu lieu même si elles n’ont pas tout à fait la flamboyance d’il y a dix ans. Il reste que Thomas Ostermeier est un fabuleux metteur en scène d’Ibsen et que si, comme le dit Relling dans la pièce, « à peu près tout le monde est malade », sa dramaturgie demeure un moyen privilégié de l’entendre.

 

 

Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 7:04 AM
Scoop.it!

Avignon OFF 2025 : Pères, impasses et manques

Avignon OFF 2025 : Pères, impasses et manques | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer Publié le 10 juillet 2025

 


Les Paillettes de leur vie ou la Paix déménage, de et avec Mickaël Délis, Théâtre Avignon – Reine Blanche, Avignon OFF 2025 

 

 

Avignon, Théâtre Avignon – Reine Blanche, dimanche 6 juillet 2025 à 21h30.
 

Clap de fin pour la Trilogie du Troisième Type de Mickaël Délis avec son dernier opus que nous nous sommes empressés d’aller voir dès les premiers jours du Festival, toujours au Théâtre Avignon – Reine Blanche. Après Le Premier Sexe dans lequel il s’attache au genre masculin puis La Fête du Slip qui aborde le sexe des hommes  et le « pipo de la puissance » qui y est associé, le formidable  comédien, aux textes toujours ciselés, s’intéresse enfin à la filiation et à la paternité pour achever son cycle. C’est donc un dernier spectacle un peu plus émouvant, un peu plus grave, qui révèle encore l’incroyable artiste qu’il est et qui semble avoir mûri jusqu’à ce dernier seul en scène. On retrouve son sens de la formule qui fait mouche, les personnages qui sont désormais familiers pour le public, sa fantaisie naturelle mais ici, la matière autofictionnelle se nourrit davantage du réel et de ses ombres qui traversent tout un chacun. Les Paillettes nous font tourner avec lui vers ce qui nous survit, vers les inquiétudes, les doutes que cela engendre. De surcroît, être père ne semble pas vraiment aller de soi pour un homosexuel qui en éprouve le désir. La route est souvent longue et pleine d’obstacles aux effets dissuasifs, surtout lorsqu’on passe la quarantaine. Ces zones d’ombre peuvent pousser au renoncement, a fortiori quand elles ont également trait à sa propre histoire familiale. Bien sûr, nous avons été emportés une fois de plus par l’acteur virevoltant. Mais nous avons été émus aussi par une sensibilité nouvelle qui affleure tout au long de ce dernier spectacle. 

 

Après avoir patienté dans le hall, le public attentif au signal du personnel, avance vers la salle, billet en main. Une fois le QR code reconnu, on peut alors entrer. Certains spectateurs sont déjà en salle puisqu’ils ont assisté à l’une, si ce n’est aux deux précédentes représentations qui ont permis de voir le début de la Trilogie du Troisième Type dans l’ordre. En ce premier week-end de festival, tous sont là pour voir Mickaël Délis dont ils connaissent le travail, comme les bribes de conversations entendues çà et là le confirment. Ce troisième volet à valeur conclusive pour le cycle commencé il y a deux ans, suscite un grand intérêt et à très juste titre. Il reste que l’acteur n’est pas encore arrivé : on remarque seulement de gros confettis rectangulaires blancs disposés en tas au centre de la scène.

 

 

C’est alors qu’il entre, tout de noir vêtu, portant une espèce de surchemise blanche attachée dans le dos. Il s’installe parmi les spectateurs, sur un tabouret haut, face à la scène. « Ouh là, y’a vachement de monde dans cet hôpital ! » La phrase amuse autant qu’elle désarçonne. Où nous trouvons-nous ? Les réponses ne tardent pas à arriver. La scène prend place dans un service hospitalier réservé au don de sperme. Il va bien être question de la semence masculine et de sa conservation par cryogénie – les fameuses « paillettes ».

 

Mickaël Délis fait décidément le tour de son sujet ouvert deux ans plus tôt avec Le Premier Sexe. Il endosse encore tous les rôles – y compris le sien – avec une lisibilité parfaite qu’on lui connaît parfaitement. Les personnages qu’on croise dans son parcours sont suffisamment typés pour être identifiés et véhiculent la force comique du spectacle, révélant l’absurdité des entraves du quotidien, les travers des proches égratignés affectueusement, les propres impasses et tourments que le comédien affronte ainsi sans doute – le théâtre, cet « espace où il est encore possible de réfléchir devant et avec les autres », comme le dit Georges Lavaudant.

 

S'exposer sous les projecteurs

 

C’est pourquoi on rencontre l’infirmière brute de décoffrage qui fait exploser un canon à confettis au moment de son souhait de faire un don de sperme ; on croise les couples de proches – mélanges subtils et fantaisistes de vécu et de fiction – avec les mamans un peu égarées (« PMA dans l’Ohio. GPA ? GPRD »), les papas un peu dépassés (« Ça se joue ailleurs pour le père ils disent en consult’, mais moi, j’ai pas encore trouvé où c’était, l’ailleurs… ») ; on croise le médecin du CECOS – Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain, pareil acronyme ne s’invente pas – qui « est APMS. Assez particulière mais sympa » ; on retrouve le docteur Jean-Daniel Deeck (à prononcer à l’anglaise évidemment) dans une nouvelle drôlissime démonstration au tableau – schéma des testicules à l’appui – convoquant en vrac données scientifiques et analogies entre la biologie, le MEDEF, Aristote, l’histoire, la pornographie, tout cela afin de rendre le propos des plus explicites, avec la même redoutable efficacité que dans les deux précédents spectacles.

 

Le professeur Jean-Daniel Deek et son balai-néon

 

Enfin, on reconnaît bien sûr les proches : sa mère aux inflexions de voix et à la gestuelle si reconnaissable dans son raffinement et son incorrigible tabagisme ; son frère jumeau, David « Dadou » qui ne l’épargne pas (Allez… Psychologie Magazine nous prépare un nouvel édito… ») comme un autre double de soi-même dont le théâtre permet de faire entendre les rudoiements à voix haute ; Lorenzo, l’ancien amant italien, d’abord acteur de film X puis pâtissier, qui le réconforte en lui préparant un tiramisu (« Remonte-moi ») et lui parle de sa propre future paternité en faisant  la bibliographie de [ses] spectacles. « Si c’est pas marrant la vità des fois ».

 

Des fois, oui. Mais des fois non car la Paix déménage justement. Il y a aussi le père et le séisme de l’abandon ressenti par toutes et tous dans la famille. La solitude qui s’installe et ne dit pas son nom. La violence de l’événement par-delà les années qui laisse sédimenter les doutes sur soi, sur sa capacité à être père soi-même, à procréer, même pour autrui. Dans Les Paillettes de leur vie, la tonalité se voile par moments d’une certaine mélancolie qui ne semble jamais trop quitter le joyeux comédien. Les fêlures persistent et on entend en creux le besoin de la scène pour les travestir suffisamment dans le champ autofictionnel afin de les supporter. Alors, le sourire s’efface y compris chez le spectateur. Des fois, è così, pourrait dire Lorenzo.

 

 

« Y’a rien de plus galère qu’être papa quand t’es pédé. » Cette phrase prononcée au début du spectacle porte en substance le propos des Paillettes. Être père, être père homosexuel, être père dans l’ombre plus ou moins massive, plus ou moins transparente de son propre père, voilà ce que ce dernier opus aborde frontalement. Et ce sont autant de tempêtes sous un crâne que nous partageons avec Mickaël Délis, au fil du spectacle qui se déploie d’une séquence à l’autre, toujours sur le fil de l’émotion, jamais trop loin quand même d’une drôlerie qui désamorce même partiellement l’angoisse – celle de l’acteur autant que la nôtre très certainement.

 

 

Puis, il y a l’absence définitive que la mort impose inéluctablement. C’est une chose de voir partir son père pour une autre vie, avec une autre femme, loin de soi, de sa mère dévastée. Autant d’impacts qui laissent assurément des blessures longues à se refermer. C’en est une autre de vivre le deuil avec ces béances et son autre lot d’incertitudes sur soi. Bien sûr, le comédien convoque ses personnages qui nous sont devenus familiers, des éléments scéniques tout aussi reconnaissables (le tissu blanc modulable, le néon lumineux qui fait office de manche à balai…) mais, avec lui, à l’occasion de cette conclusion au rythme toujours aussi enlevé, nous franchissons un autre seuil, peut-être plus intime, plus émouvant, ouvrant sur les peurs qui nous habitent tous. Toujours aussi montaignien – son inspiration dans l’ancrage bordelais ? – Mickaël Délis fait de lui « la matière » de son spectacle, plus que jamais. Et on l’y voit « tout entier et tout nu » finalement. Cette démarche artistique est tout à fait remarquable tant l’acteur ouvrant sa propre boîte de Pandore, nous invite dans un reflet spéculaire à faire de même, avec une subtilité propre à lui.

Le spectacle est ici encore très écrit, charpenté avec rigueur et sa composition épouse avec justesse la courbe descendante de l’existence. Cela n’empêche évidemment pas le comique mais la gravité qu’il recèle toujours, scintille ici sous les paillettes. À l’aide des paillettes. Le corps du danseur qui n’est jamais loin, engagé dans une partition véritablement chorégraphique, exprime également tout cela avec beaucoup de grâce. On garde, par exemple, l’image – sublime – de Mickaël Délis exécutant des mouvements circulaires et emportant en l’air les paillettes au sol qui se soulèvent et volettent autour de lui, sous la lumière douce des projecteurs, comme un probable écho à ce besoin d’envoyer valser les inquiétudes.

 

Coup de balai en public

 

Ce dernier voler aurait dû s’achever sur un premier noir au plateau mais la vie en décide quelquefois autrement. Dans un épilogue tout en pudeur, l’acteur évoque la disparition brutale de la figure tutélaire qui a dominé sa trilogie. L’absence soudaine de cette mère si présente conduit à regarder lucidement ce qu’elle lui laisse dans un dialogue imaginaire plein d’une tendresse qui fait briller les yeux : « un courage épatant, une liberté insolente et un amour qui déborde pour le monde entier ». L’hommage n’exclut pas la pudeur mais on sent vibrer le cœur de l’artiste pour celle qui est, sera « toujours là » et qui « danse ». Il était une fois, l’homo… Il était une fois, l’homme… Mickaël Délis nous a raconté un peu de notre histoire.

 

 

Crédits photo : © Pascal Gély/Hans Lucas
 
 
 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 18, 4:38 AM
Scoop.it!

Festival d’Avignon : Mario Banushi, un metteur en scène ivre d’images 

Festival d’Avignon : Mario Banushi, un metteur en scène ivre d’images  | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 
 
A 26 ans, le metteur en scène de «Mami», pièce traversée par son histoire personnelle, nourrit son théâtre de dessin et de cinéma

 

 

Toute une édition sans révélation, ce ne serait pas tenable, et heureusement, cette année, au neuvième jour du Festival, Mario Banushi, 26 ans, Albanais d’Athènes, dont le In vient de montrer la troisième création et dont le travail n’avait jamais été encore présenté en France, illumine la programmation. Mami, c’est donc le spectacle du Festival, qui ne ressemble à rien de connu. Qui plus est, un spectacle sans paroles – mais avec une giboulée d’images aussi profondes que marquantes, comme sorties du tréfonds de la vie intime de son auteur. Des images oniriques ? Mario Banushi récuse ce terme quand on le rencontre à côté d’une citronnade bienvenue. «Je comprends qu’on puisse dire que mes images sont oniriques, mais pour moi, elles sont surtout extrêmement familières, elles font partie de moi. En concevoir la ligne, les dessiner, c’est un peu comme d’improviser au piano.» Il ajoute cette phrase définitive : «L’imagination est ma solution.»

Théâtre nourri de dessin et de cinéma

Mario Banushi est né à Athènes, mais à 8 mois, il est envoyé chez sa grand-mère dans un village en Albanie tandis que ses parents tentent de s’en sortir dans la capitale grecque. Lorsqu’il a 6 ans, sa mère le reprend avec elle. L’enfant doit accepter la séparation d’avec sa «Mami», trop vieille, trop pauvre, apprendre une nouvelle langue, s’adapter à la grande ville qu’est la capitale hellénique. «Alors vous comprenez pourquoi l’imagination est mon arme ? Elle était ma manière de voyager, d’aller voir ma famille disparue de mon monde, mon passé éclipsé.» Ses parents, qui se sont séparés peu de temps avant sa naissance, sont des rescapés. Ils survécurent au naufrage du bateau de marchandise   Viora qui transportait 20 000 migrants le 7 août 1991. Le cargo parvint tout de même à accoster le 8 août. Mario nous montre sur son téléphone les images d’archives impressionnantes de la marée humaine qui tente alors de quitter le bateau et l’enfer. «Dans cette foule, il y a mes parents. Vous les voyez ?» Beaucoup sont morts durant la traversée. Partis sans leur passeport, ses parents avaient le projet de s’installer en Italie, mais finalement gagnent à pied la frontière grecque. Sage-femme en Albanie, sa mère devient femme de ménage et nettoie, du matin très tôt au soir très tard, divers intérieurs athéniens avec l’aide de son petit garçon. Le spectacle Mami, qui rend donc hommage à toutes les femmes qui ont élevé Mario Banushi n’oublie pas ce métier de sage-femme, que sa mère n’a jamais pu exercer en Grèce.

 

Elle est aujourd’hui propriétaire d’une petite boulangerie tandis que son père a acquis une taverne. Mais le théâtre, qui durant son adolescence lui paraît un art poussiéreux : comment est-il arrivé jusqu’à Mario Banushi ? Eh bien, il aurait pu ne jamais se trouver sur son chemin même si à 13 ans, il découvre qu’il prend plaisir à concevoir des costumes et des décors à l’école. L’adolescent dessine constamment. Tourne un court métrage à 19 ans avant d’entrer, pour suivre une amie, au conservatoire d’Athènes. Encore aujourd’hui, il pense que son théâtre est nourri du dessin et du cinéma, bien plus que de l’histoire théâtrale, par nature peu revisitable – «Par exemple je storyboarde complètement mes pièces, ce qu’on fait peu au théâtre. Et des amis m’ont dit que ma manière de recruter les acteurs ressemblait beaucoup plus à la manière de faire des directeurs de casting au cinéma qu’au théâtre».

 

Sans fil narratif autre que celui qu’imposent les images

Sa première pièce, Ragada, a vu le jour pendant le Covid et a été créée dans une maison. Il avait 22 ans et a appelé tous les directeurs de lieux pour qu’ils se déplacent voir le spectacle qu’ils avaient refusé de produire. Sa deuxième pièce, Goodbye Lindita, aurait dû être jouée quinze jours au théâtre national d’Athènes, elle a tourné pendant quatre saisons sur toutes les scènes du théâtre national. Sa troisième, Taverna Miresia, a été produite par le prestigieux festival d’Epidaure et a été programmé durant deux saisons à ce même festival. Même succès international.

 

La plus grande des reconnaissances provient des spectateurs qui lui envoient des photos de paysages ou de lieux avec ces mots : «C’est très Banushi !» On le compare souvent (déjà !) à David Lynch, mais une actrice du Sacrifice de Tarkovski lui disant que cela faisait des années qu’elle recherchait des œuvres qui puissent lui rappeler le grand cinéaste russe mort en 1986 a visé juste. Sinon Mario Banushi préfère ne pas être comparé. Il dégage un drôle de mélange de confiance en lui, simplicité et irréductibilité. Il prévoit de faire un long métrage. A condition que ce soit à sa manière, sans fil narratif autre que celui qu’imposent les images. Il préférera ne pas le tourner plutôt que de céder à des normes commerciales. Son théâtre a voyagé jusqu’en Australie mais n’a jamais été montré dans le pays où il a grandi. Et pourtant : «Toutes mes références sont albanaises.»

 

 

Anne Diatkine / Libération

 

Légende photo :  Le metteur en scène Mario Banushi. (Andreas Simopoulos)

 
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 17, 3:52 AM
Scoop.it!

Dans le off d’Avignon, le théâtre de salle de classe offre un beau tableau

Dans le off d’Avignon, le théâtre de salle de classe offre un beau tableau | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération, 17 juillet 2025

 

«La Neige est blanche», «le Journal de Maïa» et «la Peau des autres» : pensés pour être joués dans les établissements scolaires et destinés aux adolescents, ces trois spectacles sondent leurs tourments.

 

Chacun son festival d’Avignon. Nous voilà dans une salle de cours, à attendre devant le tableau Velleda que la pièce commence. Les spectateurs sont moins nombreux que les élèves des classes surchargées de l’Education nationale, mais les néons accrochés aux faux plafonds sont bien là. Soudain notre voisine se lève d’un bond : «Toi et moi, on a une décision à prendre. Continuer ou arrêter ?» Il faut bien répondre, alors la plupart d’entre nous n’hésitons pas : continuer.

 

 

La fille en tenue de sport s’avance devant le tableau et se présente, elle est en section sport-études de ski alpin, son père, qui vient d’un pays où on ne fait pas de sports de neige, est si fier d’elle qu’elle continue même si elle voudrait surtout avoir la vie d’une fille de son âge. En finir avec la compétition, utiliser son corps autrement, sortir des traces et bifurquer vers la poudreuse. Continuer ? Arrêter ? Il n’est pas évident, à la fin de la performance, qu’on soit nombreux à être si sûrs de nous.

 

 

Précise, jamais maniérée comme beaucoup d’adultes qui campent des ados, la comédienne Galla Naccache-Gauthier joue d’un rien, de ce qu’il y a dans la salle de classe, du petit rideau pelé qu’elle ouvre et ferme, de la lueur des néons. Et pour toute ingénierie son et lumière, elle a une petite enceinte et une boule qui scintille et transforme le tableau Velleda en nuit étoilée.

«Ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave»

 

La neige est blanche, monté par Marine Mane, est un seul en scène léger. «Pièce pour une interprète en établissement scolaire», elle doit pouvoir s’implanter dans n’importe quelle salle de lycée. Elle a été pensée pour ça, pour rencontrer un public de l’âge de l’héroïne. Elle est systématiquement suivie d’un moment d’échange après la représentation : et vous, vous feriez quoi ?

 

«Dans les lycées de sport-études où nous sommes passées, les jeunes nous ont souvent répondu qu’ils ne préféraient pas y penser,  rapporte Galla Naccache-Gauthier. Ils se dirigent souvent vers une carrière de sportifs de haut niveau pour faire plaisir à leurs parents, eux-mêmes anciens champions. Dans les formations de sports de glisse, ils portent aussi toute la pression de leurs profs qui doivent justifier leur existence alors que la neige fond et que, comme elle, ils sont voués à disparaître…»

 

L’anxiété est le sujet central et diffus d’une autre pièce présentée dans le off d’Avignon, Le Journal de Maïa, du metteur en scène Cédric Orain. Sur scène cette fois, les deux jeunes filles pourraient sortir des pages d’une BD, sautillantes avec leur sac sur le dos (Louise Bénichou et Marion Brest), et tentent de trouver leur voie de collégiennes : faut-il vraiment croire la redoutée prof de français quand elle affirme qu’on peut aimer lire (et du Chateaubriand en plus) ? On a aimé chez Orain cette manière de prendre au sérieux les vagues d’anxiété des ados (un sur deux y serait confronté selon un sondage Ipsos de 2022) sans en faire un drame – seulement une pièce de théâtre. «En quatrième, j’aurais bien aimé moi aussi qu’un spectacle me dise : ce que tu vis, c’est normal et ce n’est pas si grave», répond-il.

 

S’offrir aux adolescents

Dans les collèges, il arrive sans rien. «Il nous faut juste un peu d’espace, une salle de permanence ou une grande salle de classe. On prend les chaises du lieu et si les peintures sont moches et les carrelages affreux, c’est bien aussi ! On arrive tous les trois, sans préparation technique. On est un peu nus, on n’a pas grand-chose pour se sauver : pas de lumière, pas de fond sonore. C’est intéressant et troublant.»

Ce qu’il faut construire en revanche, c’est l’espace symbolique,  «implanter un cadre de théâtre». Dans le dossier de sa pièce, il est écrit que le temps de montage en établissement scolaire est estimé à une heure : «Aucune installation technique n’est nécessaire,  mais un temps de concentration et de prise de l’espace est précieux pour les actrices avant la représentation.» Cédric Orain explique : «On doit parfois insister, ça n’a pas l’air évident pour tous dans les collèges : pas de passage au milieu de la salle de représentation, pas d’interruption pendant le spectacle, pas de surveillant qui vienne chercher un élève.»

 

 

De plus en plus de pièces s’offrent aux adolescents – les établissements s’appuient notamment sur la partie collective du pass culture pour financer leur venue. Un dernier exemple, présenté lui aussi à Avignon, La Peau des autres de Lauriane GoyetDeux jeunes actrices (Lucie Giuntini et Colomba Giovanni) et une danseuse (Marie Orticoni), toutes excellentes, un seul banc noir comme un bloc de béton, donnent un spectacle beaucoup plus sombre et tendu, sur les violences familiales, l’amitié et les désirs adolescents.

 

 

La neige est blanche, jusqu’au 26 juillet à 11 heures à Présence Pasteur. Relâche les 8, 15, 22 juillet (cinquante minutes).

 

Le Journal de Maïa, jusqu’au 24 juillet à 9 h 45 au théâtre du Train bleu. Relâche les 11 et 18 juillet (cinquante minutes).

 

La Peau des autres, jusqu’au 23 juillet, à 13 h 15 les jours impairs au théâtre du Train bleu (une heure et vingt minutes).

 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 16, 5:36 AM
Scoop.it!

Au Festival d’Avignon, le théâtre, bousculé par l’actualité immédiate, livre toujours ses leçons

Au Festival d’Avignon, le théâtre, bousculé par l’actualité immédiate, livre toujours ses leçons | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Analyse par Fabienne Darge / Le Monde du 16 juillet 2025

 

A mi-parcours de la manifestation, le réel a fait une incursion dans la 79ᵉ édition, les artistes cherchant comment le dire, avec plus ou moins de naïveté ou de bonheur.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/16/au-festival-d-avignon-le-theatre-bouscule-par-l-actualite-immediate-livre-toujours-ses-lecons_6621572_3246.html

 

 

Que Gaza ou l’Ukraine ont semblé loin d’Avignon, en cette première partie de la manifestation créée par Jean Vilar, en 1947, dans l’esprit issu de la Résistance… Le Festival a donné, jusque-là, le sentiment d’être une bulle. Certes, de nombreux artistes, dans cette 79e édition, qui met la langue arabe à l’honneur, sont apparus, à l’heure des saluts, avec un keffieh palestinien sur les épaules. Certes, un rassemblement a eu lieu et une « nouvelle déclaration d’Avignon » prononcée, le samedi 12 juillet, sur le parvis du Palais des papes, pour dénoncer « les massacres orchestrés par l’Etat israélien à Gaza et dans les territoires occupés » – une déclaration lue par des artistes comme Anne Teresa De Keersmaeker ou Milo Rau, en présence du directeur du Festival, Tiago Rodrigues. Mais, annoncée tardivement et mal diffusée, cette initiative n’a pas attiré les foules : moins de 1 000 personnes devant le Palais des papes.

La profession théâtrale, traditionnellement très politique, semble, en cette année 2025, tétanisée par les problèmes budgétaires qui la touchent et qui ravagent un écosystème déjà fragile. On attendait la soirée Nour (« lumière », en arabe) du mardi 15 juillet pour voir si Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, à Paris, allait prendre la parole, mais, finalement, c’est Radhouane El Meddeb, directeur artistique de l’événement, qui s’est exprimé en son nom propre avec autant de gravité que de sobriété : « Nour dénonce l’anéantissement programmé de la Palestine et le silence complice de ceux qui ne dénoncent pas cette barbarie. »

 

Cette soirée poétique et musicale, magnifique, a sans doute plus fait pour la Palestine que bien des discours, dans le partage du sensible mis en œuvre ici, qui n’attaquait pas frontalement le sujet, mais l’a distillé de manière subtile. « La poésie est aussi une méthode qui nous permet de résister à une vie inhumaine », disait le grand poète palestinien Mahmoud Darwich, disparu en 2008.

Le réel est donc là et bien là, dans cette édition, et l’on voit bien que les artistes cherchent comment le dire, quitte à vouloir le faire entrer le plus directement possible dans la représentation, avec plus ou moins de naïveté ou de bonheur. Les curseurs entre réel et imaginaire ne sont pas toujours évidents à ajuster, le théâtre documentaire, souvent réduit à un théâtre de témoignages, n’étant pas toujours le mieux à même de permettre à l’art de jouer le rôle qui est le sien, et qui n’est pas celui du journalisme ou de la politique.

Aussi émouvante que réjouissante

Ces questions, largement brassées ces temps-ci, ont donné lieu à l’une des créations les plus formidables de cette édition. Il se trouve qu’elle est aussi celle qui sera vue par le public le plus varié et le plus éclectique, puisqu’il s’agit du traditionnel spectacle itinérant du Festival, joué, jusqu’au 26 juillet, dans des villages de la région, de Vacqueyras (Vaucluse) à Vallabrègues (Gard). Il a été confié au metteur en scène suisse Milo Rau, actuel directeur du Festival de Vienne, en Autriche, découvert ici, à Avignon, en 2013, avec une extraordinaire pièce documentée sur le génocide rwandais, Hate Radio.

 

Milo Rau a, depuis, développé un théâtre du réel, notamment sous la forme de représentations de procès. C’est donc lui qui sera aux commandes, également, de la soirée d’hommage à Gisèle Pelicot, programmée vendredi 18 juillet au Cloître des Carmes. Un théâtre du réel qui n’a pas toujours évité certains écueils, celui de la communion entre personnes bien-pensantes, entre autres, avec Antigone in the Amazon, présenté au Festival en 2023.

 

Avec La Lettre, il est contraint à une forme modeste, qui s’avère ici une vraie petite leçon de théâtre aussi émouvante que réjouissante, et entrelace le réel et l’imaginaire avec autant de simplicité que de maestria. Le réel étant d’abord, dans l’art vivant du théâtre, celui de l’existence en chair, en os, en âme et en esprit des êtres humains présents de part et d’autre du quatrième mur (lequel n’existe plus beaucoup, de nos jours), le metteur en scène est parti de l’histoire personnelle de ses deux jeunes acteurs.

 

Elle, Olga Mouak, est d’origine camerounaise et réunionnaise. Elle a grandi à Orléans, s’est passionnée très tôt pour la figure de Jeanne d’Arc, et a toujours rêvé de jouer Nina, dans La Mouette, d’Anton Tchekhov. Ce qui, jusque-là, n’a pas été possible, parce qu’elle est noire, qu’elle a un corps de femme terrienne et bonne vivante, et que cela ne correspond pas aux clichés éthérés attachés à ce rôle.

Lui, Arne De Tremerie, est le petit-fils d’une femme, Nina De Tremerie, présentatrice star d’une émission culturelle de la radio flamande, qui aurait rêvé d’être actrice et de jouer Nina ou Arkadina dans La Mouette. C’est d’elle que tout part, et de cette fameuse lettre qui donne son titre au spectacle. Une lettre que Nina De Tremerie a trouvée sur une table de sa maison, quand elle avait 9 ans, et où sa propre mère, l’arrière-grand-mère d’Arne, donc, lui disait qu’elle partait, et qu’elle ne savait pas quand elle reviendrait. C’était en 1949, la mère de Nina n’est jamais revenue. Depuis qu’il est devenu acteur, Arne a un rêve : mettre en scène La Mouette de Tchekhov.

 

La lettre est-elle vraie ou inventée ? Milo Rau entretient le flou à dessein – il semblerait qu’il y ait bien eu lettre, mais qu’elle ait été réécrite pour les besoins du spectacle. Elle est en tout cas le point de départ d’une mise en acte aussi vertigineuse que ludique sur la manière dont nos vies sont tissées d’imaginaire et de fiction, qui repose sur le talent éblouissant de ses jeunes interprètes. Lesquels joueront bien Constantin et Nina, les deux jeunes héros de La Mouette, mais aussi une foule d’autres choses, dans ce spectacle qui orchestre de troublantes correspondances biographiques.

 

Tous deux ont un charme fou, lui, Arne, avec son côté showman, sa manière de décaler par l’agilité burlesque son air de petit prince blond aux yeux bleus. Elle, Olga (prénom tchékhovien lui aussi), avec une transparence de jeu renversante, une forme de naturel pour autant jamais banale ni ennuyeuse. Théâtre et réel, la question n’est pas épuisée, jamais épuisable, toujours à remouliner dans les coordonnées spécifiques d’une époque.

 

 

La Lettre, par Milo Rau. En itinérance dans la région d’Avignon, jusqu’au 26 juillet. Puis tournée jusqu’en mai 2026, notamment au Théâtre Silvia Monfort, à Paris, du 28 décembre au 31 janvier 2026, et au Théâtre public de Montreuil (Seine-Saint-Denis), du 20 au 30 mai 2026.

 

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE

Légende photo

Arne De Tremerie et Olga Mouak dans « La Lettre », mis en scène par Milo Rau, au Festival d’Avignon, en juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 15, 9:34 AM
Scoop.it!

A Avignon, la Comédie-Française à l’affiche du « in » et du « off »

A Avignon, la Comédie-Française à l’affiche du « in » et du « off » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 15 juillet 2025

 

 

Pour la première fois, la troupe de la Maison de Molière se produit dans les deux Festivals, dans la Cour d’honneur avec « Le Soulier de satin » et à la Scala Provence avec « Les Serge (Gainsbourg point barre) ».

Lire l'article sur le site du "Monde": 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/15/a-avignon-la-comedie-francaise-a-l-affiche-du-in-et-du-off_6621368_3246.html

 

Pour la première fois, cette année, la Comédie-Française est à l’affiche des deux Festivals d’Avignon. Dans le « in » avec Le Soulier de satin au sein de la Cour d’honneur du Palais des papes, du 19 au 25 juillet, et dans le « off » avec Les Serge (Gainsbourg point barre) au théâtre La Scala Provence, du 15 au 26 juillet. Pas moins de 28 comédiens et comédiennes de la vénérable institution se répartiront sur ces deux scènes. Pour le public avignonnais, qui navigue entre le « in » et le « off » sans se soucier de savoir s’il assiste à un spectacle issu du secteur subventionné ou privé, cette double présence peut paraître anecdotique. Mais pour le milieu théâtral, elle a une portée symbolique forte.

 

 

Avec un tempérament toujours prompt à s’emballer, Frédéric Biessy, directeur de La Scala Provence, parle d’un « moment de bascule. Ce qui paraissait improbable devient soudain naturel ». Pour l’occasion, l’entrepreneur a organisé, lundi 14 juillet, une conférence de presse, avec à ses côtés Françoise Nyssen, présidente de l’association de gestion du Festival (« in ») d’Avignon et ancienne ministre de la culture, et Harold David, coprésident de l’association Avignon Festival & Compagnies (AF&C), qui coordonne le « off ». Soit un trio très rarement réuni autour d’une même table. « Après avoir été face à face, le “in” et le “off” sont côte à côte », se réjouit Frédéric Biessy, persuadé que « les lignes bougent » et que cette initiative « aurait fait sourire Jean Vilar [créateur du Festival d’Avignon en 1947] ».

Décloisonnement public-privé inédit

Autour d’eux, les comédiens et comédiennes du Français qui joueront Les Serge écoutent, presque surpris, ces prises de parole enthousiastes sur ce décloisonnement public-privé inédit. « Je n’ai pas le sentiment d’appartenir à une caste ou à un milieu social du théâtre, résume Noam Morgensztern. Quand on nous a annoncé que la tournée des Serge irait à La Scala, on s’est dit “chouette !, on va à Avignon”, sans penser à ces histoires de “in” et de “off”. » Benjamin Lavernhe, sociétaire de la Maison, se souvient : « En 2006, je jouais aux Ateliers d’Amphoux dans le “off” et rêvais de la Comédie-Française. » « En 2009, je jouais à La Manufacture dans le “off” et dans un spectacle de Christophe Honoré dans le “in” », rappelle Sébastien Pouderoux, pensionnaire.

 

Cette double venue de la Comédie-Française correspond aussi à une édition avignonnaise qui, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, affiche des dates communes pour les deux Festivals. Une concordance dont se félicitent aussi bien Harold David que Françoise Nyssen. « Il faut coopérer, sortir des silos ; “in” et “off”, c’est absurde, il y a d’abord un public et du théâtre », insiste l’ancienne ministre. Mais un tel rapprochement nécessite d’« inventer un autre modèle économique », précise le coprésident d’AF&C. Car si la Comédie-Française peut venir dans le « off », c’est parce que La Scala dispose d’une salle de 600 places (la plus importante de ce festival) et a les reins financiers suffisamment solides pour acheter un spectacle du Français et équilibrer, grâce aux recettes de billetterie, avec un tarif des places (48 euros à l’orchestre, 37 euros au balcon) bien plus élevé que ce qui se pratique habituellement dans le « off ».

 

 

Le Soulier de satin, mis en scène par Eric Ruf. Cour d’honneur du Palais des papes, Avignon, du 19 au 25 juillet.

 

Les Serge (Gainsbourg point barre), mis en scène par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux. La Scala Provence, Avignon, du 15 au 26 juillet.

 

Sandrine Blanchard (Avignon, envoyée spéciale)

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 14, 4:30 PM
Scoop.it!

Au Festival d’Avignon, folie douce au « Sommet » avec Christoph Marthaler

Au Festival d’Avignon, folie douce au « Sommet » avec Christoph Marthaler | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 13 juillet 2025

 

 

Avec sa nouvelle pièce, qui réunit six personnages dans un chalet bavarois, le metteur en scène suisse offre un spectacle jubilatoire, à la fois politique et poétique.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/07/13/au-festival-d-avignon-folie-douce-au-sommet-avec-christoph-marthaler_6621016_3246.html

 

C’est comme une drogue. Un shoot de folie douce dans la dureté des temps, qui vous enivre et vous fait entrer en lévitation. Une ivresse indéfinissable, comme si l’air des montagnes s’était engouffré dans la fournaise avignonnaise. Avec Le Sommet, le maître suisse Christoph Marthaler, 73 ans, a offert au Festival, où il n’était pas revenu depuis 2013, une merveille de spectacle, où son sens de l’absurde aérien le dispute à l’acuité politique sur les temps de désagrégation que nous vivons. Un cadeau.

 

 

Lire l’entretien avec Charlotte Clamens, comédienne : Article réservé à nos abonnés « Le théâtre de Christoph Marthaler, c’est la performance de l’antiperformance »
 

Alors, d’abord le décor. Un chalet en bois qui semble construit directement sur la roche de la montagne, puisque celle-ci affleure à même le plancher. L’endroit est tellement perché que l’on n’y accède que par un monte-charge, qui recrache en premier lieu une copie de La Joconde ainsi que divers objets tout aussi inattendus, déclenchant l’hilarité générale. Avant de laisser la place à un petit groupe d’humains, arrivant un par un, trois femmes, trois hommes.

 

Chapeaux à plumes, gilets en laine jacquard, culottes de peau tyroliennes et chaussures de randonnée, il semblerait bien que l’on soit dans les Alpes bavaroises – peut-être suivez-vous notre regard, déjà. Que viennent-ils faire là, ces humains qui parlent en français, en italien, en anglais (d’Ecosse), en allemand et même dans un dialecte autrichien aux accents archaïques ? S’agit-il là d’un de ces sommets entre grands de ce monde, réunis discrètement en lieu sûr (en apparence, du moins, comme on le verra plus tard) ?

Absurdité des temps

Après avoir chanté mezza voce à l’unisson, histoire de mieux établir leur communauté, les voilà qui ouvrent de grands classeurs pour se livrer à une irrésistible séance de traduction simultanée, d’autant plus drôle qu’elle ne porte que sur des mots aussi simples que « one », « yes », « no », et surtout « but » – le « mais » étant visiblement l’alpha et l’oméga de ces négociations entre dirigeants réduites jusqu’à l’os. Comme pour mettre à nu une structure révélant l’inanité de ces prétendus échanges.

 

Le sens de la poésie sonore de Christoph Marthaler et de son dramaturge, Malte Ubenauf, atteint ici des sommets, avec ce concert itératif suivi d’une séance de sauna, laquelle fera dangereusement grimper la température alors que dehors il neige, en plein été. Il faut bien se détendre, après un tel effort, une telle accumulation de « mais ». Et avant la cérémonie officielle qui va suivre, réduite elle aussi, mais cette fois par l’expression des corps, à la vanité de sa représentation.

 

Peu à peu, pourtant, l’inquiétude gagne. Un hélicoptère passe très près du chalet, et le bruit d’une forte explosion se fait entendre. Un autre appareil survole les lieux, et largue un gros paquet, qui s’avère rempli… d’extincteurs gonflables – un objet qui, oui, existe bien dans notre monde réel, destiné notamment à tous ceux qui voudraient se déguiser en pompiers. Artefact en lequel Christoph Marthaler semble avoir trouvé le symbole parfait de l’absurdité des temps. Dans la montagne, une voix résonne, annonçant que les routes sont coupées, que la zone est condamnée, pour une durée « de quinze à dix-huit ans ».

Puzzle délicat

La dramaturgie en apesanteur, d’essence profondément musicale, de Christoph Marthaler tisse sa toile de manière impalpable, laissant le spectateur faire les liens lui-même. Des textes du poète – trop méconnu – Christophe Tarkos, de Pasolini, d’Olivier Cadiot ou de Dylan Thomas se mêlent à des morceaux de Schubert, de Mozart ou d’Adriano Celentano, dans ce puzzle délicat qui sans cesse se redistribue entre cacophonie et harmonie, loin des formes documentaires parfois paresseuses et souvent lourdement démonstratives qui se multiplient sur les plateaux.

 

 

 
 
 

La jubilation provoquée par ce Sommet marthalérien vient aussi, bien entendu, de la vision de ces pompiers pyromanes que sont les grands de notre monde pris à leur propre piège – celui qu’ils ont fabriqué pour les autres, d’une société invivable. Le rire est doublé d’une note de fond d’une gravité sans appel, dans ce spectacle fourmillant de détails dadaïstes, qui peu à peu, sans que ce soit jamais explicite, convoque les réminiscences d’un autre chalet : le Berghof, à Berchtesgaden, dans les Alpes bavaroises.

Adolf Hitler passa la moitié de sa vie, avant et pendant la guerre, dans ce refuge où, en tant que chef d’Etat et de gouvernement allemand, il reçut nombre de personnalités en visite officielle, des Britanniques David Lloyd George et Neville Chamberlain à l’amiral français François Darlan en passant par le duc et la duchesse de Windsor et une noria de diplomates. Pour un homme de la génération de Marthaler, l’histoire du nazisme n’est pas une abstraction. Ne reste alors, sur scène comme dans la salle, qu’à fredonner « Now it’s time to say good night », variation tout en douceur sur Good Night, des Beatles. En attendant la fin du monde.

 

 

Le Sommet, par Christoph Marthaler. Festival d’Avignon, La FabricA. Jusqu’au 17 juillet. Puis tournée française et européenne jusqu’en avril 2026, notamment à la MC93 de Bobigny, dans le cadre du Festival d’automne, du 3 au 9 octobre.

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE 

 

 

Légende photo : « Le Sommet », de Christoph Marthaler, au Festival d’Avignon, le 12 juillet 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
July 14, 7:05 AM
Scoop.it!

nathalie béasse au Festival d’Avignon : «Les spectacles me permettent d’avoir un temps à moi, de suspension» 

nathalie béasse au Festival d’Avignon : «Les spectacles me permettent d’avoir un temps à moi, de suspension»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Laurent Goumarre / Libération du 13 juillet 2025

 

 

De passage dans la cité des Papes pour trois jours, la metteuse en scène raconte son Festival, où «tout va plus vite qu’ailleurs».

 
 

La metteuse en scène nathalie béasse sort d’une lecture en cabine, court à ses rendez-vous, se souvient qu’elle a vu hier les Perses de Gwenael Morin, Isabelle Huppert au bar du In. Celle qui compose les plus belles couleurs d’un théâtre paysage contemporain est de passage au Festival. Trois jours, un marathon pour une rêveuse totalement éveillée.

 

 

Etre en retard, c’est possible quand on monte sur scène ?

Non, jamais. L’acteur doit être, avant, bien avant que le public rentre. Parce que je crois et je sais qu’il existe quelque chose avant l’entrée des spectateurs. Le théâtre a déjà commencé. L’acteur n’est jamais en retard, il est en avance.

 

 

 

Aller au théâtre, mais pourquoi ? Dans quel espoir ?

Aller au théâtre, ce n’est pas rien. Ce chemin est déjà une histoire qui peut faire peur. Il faut aider les gens à ouvrir et passer cette porte-là. Pour espérer d’être ensemble. L’espoir s’il y en a un, c’est celui-là : trouver les autres. Quand je suis spectatrice, je garde la même place que j’ai quand je travaille : au milieu. Je ne sais pas s’il faut espérer quelque chose d’autre.
 
 

La dernière fois où vous vous êtes endormie dans une salle ?

Je ne dors jamais ; je peux être dans un état de rêve éveillé, je décroche, et ce n’est pas négatif. C’est comme si parfois les spectacles me permettaient d’avoir un temps à moi, de suspension, de contemplation. Je quitte le sens, je regarde une couleur, un objet, un costume, d’autres chemins pour m’échapper. Je suis dans un autre regard, donc je ne peux pas m’endormir. Jamais.

 

 

Un geste de la vie quotidienne que vous ne savez pas faire quand vous êtes à Avignon ?

Prendre le temps, c’est impossible, on passe d’un spectacle, à un autre avec des tas de rendez-vous. Tout va plus vite qu’ailleurs.
 
 

Le plus grand risque comme spectateur ?

Rester enfermé dans une idée des choses, de ce qu’un spectacle doit être. Il y a un risque à ne pas ouvrir toutes les portes, c’est l’étouffement.

 

Le coup foudre artistique ça existe ?

Oh oui. Au pluriel. C’est Raimund Hoghe au Cloître des carmes, c’est une installation de Romeo Castellucci : des petits pieds d’enfants en argile, avec un moteur dessus, qui bougeaient doucement. C’est cette étudiante de Marina Abramovic, à l’école d’art d’Avignon, de dos, qui regardait un coucher de soleil, sans bouger, pendant très longtemps. A pleurer.

 

 

Qui pour mettre en scène votre vie ?

Moi. tout le monde me dit ça : «Arrête de mettre en scène ta vie !»

 

La langue invitée du festival est l’arabe, mais la langue qui s’invite en vous ?

Celle du corps. Dans chacun de mes spectacles, c’est sujet-verbe-complément : un acteur à côté d’une table, et une musique, et un ventilateur, et une langue. Ce sont les seules phrases que je comprenne. Des phrases de couleur, de matière.

 

 

Vous pourriez nous dire en deux mots ce que vous faites à Avignon ?

Je sors d’une lecture cabine à Artcena pour présenter une commande Jeune public du CDN de la Commune en 2026 : monster parade. Je lisais des textes dans une cabine, le public ne m’entendait pas, les acteurs avaient une oreillette et disaient le texte qu’ils entendaient. Et là je pars en rendez-vous, en trois jours j’aurai vu tous ceux que j’aurais pu rencontrer en un an.

Ses rendez-vous de rentrée : Velvet, 25-27 septembre au CDN de Tours, 6 novembre Scène nationale Saint-Nazaire, 13 novembre Espace Pluriel à Pau, puis une énorme tournée en 2026
Propos recueillis par Laurent Goumarre / Libération 
 
Légende photo  : La metteuse en scène nathalie béasse à Paris le 4 janvier. (Lisa Miquet/Libération)
No comment yet.