
Paul Doumer
Pour les articles homonymes, voir Doumer. Joseph Athanase Doumer, dit Paul Doumer, né le à Aurillac ( Cantal) et mort assassiné le à Paris, est un homme d'État français. Il est président de la République du au . Issu d'un milieu modeste, il travaille dès l'âge de douze ans, comme coursier puis ouvrier graveur.
Vous lisez un « article de qualité ». Pour les articles homonymes, voir Doumer. Paul Doumer Paul Doumer en 1931. Fonctions Président de la République française 13 juin 1931 – 7 mai 1932 (10 mois et 24 jours) Élection 13 mai 1931 Président du Conseil Pierre Laval André Tardieu Prédécesseur Gaston Doumergue Successeur Albert Lebrun Président du Sénat 14 janvier 1927 – 9 juin 1931 (4 ans, 4 mois et 26 jours) Réélection 12 janvier 1928 10 janvier 1929 16 janvier 1930 15 janvier 1931 Prédécesseur Justin de Selves Successeur Albert Lebrun Ministre des Finances 16 décembre 1925 – 9 mars 1926 (2 mois et 21 jours) Président Gaston Doumergue Gouvernement Aristide Briand VIII Prédécesseur Louis Loucheur Successeur Raoul Péret 16 janvier 1921 – 15 janvier 1922 (11 mois et 30 jours) Président Alexandre Millerand Gouvernement Aristide Briand VII Prédécesseur Frédéric François-Marsal Successeur Charles de Lasteyrie 1er novembre 1895 – 29 avril 1896 (5 mois et 28 jours) Président Félix Faure Gouvernement Léon Bourgeois Prédécesseur Alexandre Ribot Successeur Georges Cochery Ministre d'État Membre du Comité de guerre 12 septembre 1917 – 16 novembre 1917 (2 mois et 4 jours) Avec Louis Barthou Léon Bourgeois Jean Dupuy Président Raymond Poincaré Gouvernement Paul Painlevé I Président de la Chambre des députés 10 janvier 1905 – 31 mai 1906 (1 an, 4 mois et 21 jours) Réélection 9 janvier 1906 Législature VIIIe Prédécesseur Henri Brisson Successeur Henri Brisson Gouverneur général de l'Indochine française 13 février 1897 – 14 mars 1902 (5 ans, 1 mois et 1 jour) Prédécesseur Armand Rousseau Successeur Paul Beau Biographie Nom de naissance Joseph Athanase Doumer Date de naissance 22 mars 1857 Lieu de naissance Aurillac (France) Date de décès 7 mai 1932 (à 75 ans) Lieu de décès Paris 8e (France) Nature du décès Assassinat Sépulture Cimetière de Vaugirard (Paris 15e) Nationalité Française Parti politique RAD puis proche de l'ARD/PRD/PRDS/AD Conjoint Blanche Richel (1878-1932) Enfants Huit, dont René Doumer Profession Enseignant Journaliste Homme d'affaires Présidents de la République française modifier Joseph Athanase Doumer, dit Paul Doumer, né le 22 mars 1857 à Aurillac (Cantal) et mort assassiné le 7 mai 1932 à Paris, est un homme d'État français. Il est président de la République du 13 juin 1931 au 7 mai 1932. Issu d'un milieu modeste, il travaille dès l'âge de douze ans, comme coursier puis ouvrier graveur. En parallèle de ces emplois, il obtient une licence en mathématiques, puis devient enseignant. Il est également journaliste dans l'Aisne et à Paris. Entré en politique comme radical, il s'éloigne de la gauche à partir de la fin des années 1890. Il est élu plusieurs fois député entre 1888 et 1910, alternativement pour l'Aisne et l'Yonne. Partisan du colonialisme, il occupe de 1897 à 1902 la fonction de gouverneur général de l'Indochine française, dont il assainit les finances publiques et où il lance d'importants travaux, notamment le Transindochinois et le chemin de fer du Yunnan. Entre 1895 et 1926, il est ministre des Finances à trois reprises. À ce titre, il porte en 1896 un projet de loi visant à instaurer l'impôt sur le revenu qui se heurte à l'opposition du Sénat, et cherche invariablement à atteindre l'équilibre budgétaire. Élu président de la Chambre des députés en 1905, il se présente sans succès à l'élection présidentielle de 1906 face à Armand Fallières. Battu aux élections législatives de 1910, il se consacre un temps au monde des affaires. Lors de la Première Guerre mondiale, qui coûte la vie à quatre de ses fils, il dirige le cabinet civil du gouvernement militaire de Paris, puis est nommé ministre d'État et membre du comité de guerre. Ministre des Finances après la victoire alliée, il adopte une attitude intransigeante sur les réparations de guerre dues par l'Allemagne. Sénateur de la Corse à partir de 1912, il devient président du Sénat en 1927. Briguant une nouvelle fois la présidence de la République en 1931, il l'emporte sur le républicain-socialiste Aristide Briand grâce au soutien du centre et de la droite. En tant que chef de l'État, il se montre partisan d'un renforcement de la puissance militaire française, appelle à l'unité nationale, et critique l'attitude des partis politiques. Moins d'un an après le début de son septennat, alors qu'il inaugure un salon d'écrivains anciens combattants, il est assassiné par Paul Gorgulov, un immigré russe aux motivations confuses. Sommaire Biographie[modifier le code] Situation personnelle[modifier le code] Origines modestes et incertaines[modifier le code] Joseph Athanase Doumer naît le 22 mars 1857 à Aurillac, dans le département du Cantala,2. Au début de sa carrière, il optera pour le prénom de son grand-père paternel, Paul, en raison de sa consonance plus républicaine que ses prénoms d’état civil1,5. Baptisé le jour même de sa naissance en l'église catholique Notre-Dame-aux-Neiges d'Aurillac, il a deux sœurs aînées : Renée (née en 1854) et Thérèse (née en 1855)1. Le faible salaire de son père rend difficiles les conditions de vie de la famille, qui vit alors dans une chambre d'un logement ouvrier6. S'il est admis que ses parents sont de condition très modeste, les origines et la destinée familiale du futur président de la République sont incertaines. Son acte de naissance indique qu'il est le fils de Jean Doumer, « employé dans les chemins de fer », et de Victorine David, « sans profession »7. Le couple n'est probablement pas marié, Victorine David ayant épousé en 1835 un homme qui l'a abandonnée4. Dans sa biographie de 2013 consacrée à Paul Doumer, Amaury Lorin rapporte que Jean Doumer, lors de la naissance de son fils, est employé itinérant des chemins de fer d'Orléans : en tant que poseur de rails, il participe à la construction de la ligne Paris-Aurillac8. En novembre 1857, la mission de Jean Doumer étant achevée, la famille aurait quitté Aurillac pour Paris, comme de nombreuses autres familles ouvrières du Cantal9. Elle se serait installée dans la commune de Montmartreb. Amaury Lorin indique que le mois suivant son arrivée en région parisienne, en décembre 1857, Jean Doumer meurt pour une raison restée inconnue1 ; d'autres sources font état d'un accident du travail4. Dès lors, pour assurer la survie de la famille, Victorine Doumer aurait travaillé comme femme de ménage et couturière, et aurait déménagé rue de Belleville11. Dans les années 2010, des recherches menées par Jean-François Miel et la généalogiste Béatrice Rousseau donnent une version différente. Le père de Paul Doumer serait en réalité Jean Doumerg (né en 1821 à Camburat, dans le Lot), agent voyer à Castelnau (Lot) jusqu'à sa démission en 1854, puis associé à des entrepreneurs dans le secteur des travaux de chemins vicinaux, toujours dans le Lot. Contrairement à ce qui est traditionnellement rapporté, le père ne serait pas mort prématurément mais aurait abandonné sa famille, ce qui aurait conduit Victorine David à déménager à Paris avec ses trois jeunes enfants. Jean Doumerg continue de travailler dans les chemins vicinaux jusqu'en 1858, et emménage par la suite à Paris, où il est métreur. Il est condamné par contumace en 1873 pour avoir pris part à la Commune. Revenu dans la capitale après l'amnistie, il meurt dans le 17e arrondissement en 18934. Paul Doumer, qui aurait entrepris en 1877 des recherches sur son ascendance, aurait été convaincu par cette dernière hypothèse. Pendant son parcours politique, il aurait volontairement entretenu le flou sur ses origines en raison de l'engagement communard de son père4. Formation et ascension sociale[modifier le code] Plaque au collège Roland Dorgelès (Paris 18e). Paul Doumer est scolarisé à l'école primaire de garçons de la rue Ramey, située dans l'actuel 18e arrondissement de Paris. Il ne bénéficie pas d'une bourse d'étude, seules quelque 4 000 personnes y ayant alors droit. Étant l'un des meilleurs élèves du quartier de Montmartre, il obtient son certificat d'études primaires (CEP) en 18705,12. À ses douze ans, en raison de la situation financière de sa famille, il doit abandonner ses études pour entrer en apprentissage ; il est alors un des rares adolescents français à bénéficier de ce type de contrat1. Durant six années, il est apprenti en tant que coursier, puis comme ouvrier graveur dans une fabrique parisienne de médailles1. En parallèle, il poursuit des études gratuites en formation continue au Conservatoire national des arts et métiers13. Il s'intéresse notamment aux mathématiques, à la chimie, au latin et au grec14. En 1876, il obtient un baccalauréat ès sciences avec félicitations15. À vingt ans, dispensé de service militaire du fait de son statut d'orphelin, Paul Doumer est nommé professeur de mathématiques au collège de Mende (Lozère)13. En 1878, il obtient une licence ès mathématiques, condition posée par le père de Blanche Richel, Clément Richel, pour qu'il puisse épouser cette dernière11,c À partir de 1879, afin d'avoir une rémunération plus importante, il enseigne au collège de Remiremont, dans les Vosges18,19. Il devient en 1880 secrétaire de la fédération vosgienne de la Ligue de l'enseignement, qui prône le développement de l'instruction pour assurer le renforcement de la Troisième République18 ; à ce titre, il organise des conférences sur l'histoire et les valeurs républicaines14. Il quitte l'enseignement en septembre 1883 en invoquant des problèmes de santé mais étant en réalité vexé par un rapport de l'inspection générale de l'Éducation nationale critique à son égard14. Dès lors, Paul Doumer s'investit pleinement dans le secteur de la presse, écrivant des articles à l'occasion de séjours à Paris. Par l'intermédiaire de son beau-père, il entre en contact avec plusieurs personnalités républicaines, dont les sénateurs et conseillers généraux de l'Aisne Henri Martin et William Waddington. Avec le soutien de ces derniers, il devient en 1883 rédacteur en chef du journal Le Courrier de l'Aisne, à Laon, où il établit son domicile. En parallèle, il travaille comme répétiteur au collège de Laon. À la tête du journal, traditionnellement modéré, il adopte une ligne très radicale et un ton polémique. C'est pourquoi à la mort d'Henri Martin, à la fin de l'année 1883, la direction du journal l'oblige à démissionner20. Après ce départ forcé, il fonde, avec notamment Gabriel Hanotaux, La Tribune de l'Aisne, dont il devient le premier directeur et qu'il oriente résolument à gauche. Dans le premier numéro du journal, il écrit : « La création de La Tribune n'a pas eu et ne doit pas avoir pour effet de provoquer une scission dans le camp républicain du département de l'Aisne. Nous voulons réagir contre la méthode trop préconisée et trop suivie qui consiste à remettre les destinées de la République aux mains de ses amis de dernière heure, à ses amis les plus tièdes, les plus imbus des doctrines monarchiques. […] La grave question des rapports de l'État avec les diverses Églises est depuis longtemps pendante. L'opinion publique est insuffisamment préparée à la seule solution possible : la suppression du budget des cultes. […] » — Paul Doumer, 6 janvier 1885, La Tribune de l'Aisne20 Il travaille également pour les journaux parisiens Le Matin et Le Voltaire21. À l'instar d'autres personnalités, il se sert de ce journal, qui connaît un important succès, comme d'un tremplin électoral20. Sa carrière politique couronnera sa promotion sociale22. Vie privée et familiale[modifier le code] Paul et Blanche Doumer avec leurs filles Hélène et Germaine (1932). Le 13 août 1878, à la mairie du 2e arrondissement de Paris, il épouse Blanche Richel (1859-1933), dans la famille de laquelle il logeait pendant ses études14,23. De leur mariage naissent huit enfants : Fernand Paul (1879-1972)24, officier et industriel, marié à Madeleine Despretd ; Hélène Blanche (1880-1968)25, mariée à Pierre Émery ; Marcel Victor (1886-1918)26, ingénieur, mort pour la France, marié à Jeanne Cattelaine ; René Léon (1887-1917)27, employé en banque, mort pour la France, marié à Marie-Henriette Matray ; André Karl (1889-1914)28, lieutenant d'artillerie, mort pour la France ; Armand Albert (1890-1923)29, docteur en médecine, mort pour la France des suites d'une maladie contractée pendant la Grande Guerref ; Lucile Jane (1893-1917)32, mariée à Georges Creté et morte de chagrin après la disparition de ses frères lors de la Première Guerre mondialeg,33 ; Germaine Louise (1897-1985), résistante ayant abattu un sous-officier allemand pendant la Seconde Guerre mondiale34, mariée à Georges Louis Lemaire. Ses enfants lui inspirent l'ouvrage de morale Livre de mes fils (1906), dans lequel il écrit : « Je souhaite qu'ils se forment une idée élevée de l'homme du vingtième siècle, du bon Français, du citoyen de notre République, et que, les yeux fixés sur ce modèle, ils s'attachent à l'imiter, à réaliser en eux-mêmes les qualités et les vertus qu'ils auront mise en lui. […] Il faut aimer la patrie jusqu'à lui tout sacrifier, ses biens, sa vie, ses enfants, mais aussi jusqu'à puiser dans cet amour d'elle la force et le courage35,36. » L'ouvrage est réédité après la Première Guerre mondiale, qui tue quatre de ses cinq fils (alors qu'il avait la possibilité d'user de ses relations pour écarter ceux-ci des zones de combat)37. Parcours politique[modifier le code] Débuts comme élu municipal à Laon (1887-1888)[modifier le code] Avec l'appui de son journal, Paul Doumer s'implante dans le département de sa belle-famille, l'Aisne, qu'il qualifie de « pays de la loyauté »38. Il fonde et devient secrétaire de l'association républicaine du canton de Laon20. Il se présente aux élections municipales d'octobre 1887 à Laon, où la liste sur laquelle il figure obtient la majorité face à celle soutenue par Le Courrier de l'Aisne, dirigé par William Waddington22. Paul Doumer devient conseiller municipal (républicain radical), étant à trente ans le benjamin du nouveau conseil municipal20. Deux semaines plus tard, à la suite de la démission du maire de la ville, Jean-François Glatigny, il est élu premier adjoint au nouveau maire, Charles Bonnot39. Pendant son mandat, ce dernier cherche à modérer les positions de son premier adjoint, qu'il juge excessives40. Membre de la commission municipale chargée de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, Paul Doumer se montre soucieux de réaliser des investissements tout en s'assurant de l'équilibre du budget municipal. En vertu de la loi Goblet, il exige au plus tôt la laïcisation de l'école communale des garçons. Rapidement, il acquiert une réputation de grand travailleur et de connaisseur des dossiers de la commune, qui compte alors quelque 10 500 habitants41. Sa mesure phare est le lancement de la construction du tramway de Laon, qui permettra de relier la gare à la ville haute : mis en service en 1899, le tramway connaîtra un réel succès et fonctionnera jusqu'en 197138,42. Première élection à la Chambre des députés (1888-1889)[modifier le code] Portrait de Paul Doumer par Disdéri (années 1880). En 1888, Paul Doumer est investi par les radicaux pour l'élection législative partielle faisant suite à la mort du député de l'Aisne Ernest Ringuier43. À la tête du Courrier de l'Aisne, Charles Sébline mène alors une intense campagne contre Doumer, dénonçant son manque d'expérience et son parachutage dans le départementh. Il doit également faire face à la candidature du populaire général Boulanger, qui fait figure de favori sur ces terres plutôt rurales et conservatrices45. Terminant en deuxième position du premier tour, Paul Doumer bénéficie finalement du désistement de Boulanger, arrivé nettement en tête du scrutin grâce au soutien des paysans et des mineurs46. Le 8 avril, dans un contexte de faible participation, il est élu député avec 47 % des suffrages exprimés, contre 37 % au candidat orléaniste René Jacquemart47. Il démissionne alors de ses mandats à Laon et quitte la rédaction de La Tribune de l'Aisne48. À la Chambre des députés, où ont encore lieu de vifs débats entre partisans de la monarchie et de la république, il fait partie des rares élus issus de la classe ouvrière49. Durant ses dix-huit mois de mandat, pendant lesquels il siège au sein du groupe de la Gauche radicale, il se montre très actif, rédigeant plusieurs rapports, notamment sur les finances, l'armée et la marine. Il vote contre le projet de loi Lisbonne visant à réduire la liberté de la presse et en faveur de l'abandon du scrutin de liste au profit du scrutin d'arrondissement. Avec le dirigeant radical Léon Bourgeois, il milite pour le développement des sociétés coopératives ouvrières de production afin de réduire l'influence de ses adversaires socialistes, étant rapporteur de la loi sur le sujet50. Ses relations avec le général Boulanger se dégradent lorsqu'il se prononce contre la proposition de celui-ci de réviser les lois constitutionnelles, puis lorsqu'il vote pour les poursuites contre le général et trois députés issus de la Ligue des patriotes11,50. Candidat à sa réélection lors des élections législatives de 1889 dans la nouvelle seconde circonscription de Laon, il est battu dès le premier tour par le candidat boulangiste André Castelin39. Chef de cabinet de Charles Floquet et député de l'Yonne (1889-1896)[modifier le code] Grâce à son travail législatif et à ses relations au sein de la franc-maçonnerie, Paul Doumer devient chef de cabinet du président de la Chambre des députés, Charles Floquet, en novembre 188950. En 1891, à la suite de la mort du député René Laffon et avec l'aide de Floquet, il se porte candidat à un scrutin législatif partiel dans la première circonscription d'Auxerre, dans l'Yonne51. Malgré la campagne hostile conduite à son égard par L’Estafette de Jules Ferry, il est élu au second tour avec 59 % des voix exprimées52. Il quitte alors la tête du cabinet de Floquet53. Le 10 décembre 1891, dans son premier grand discours à la Chambre, il appelle à une augmentation de l'impôt sur les successions et à l'instauration d'un impôt corrélé aux ressources des citoyens, qui sera par la suite appelé impôt sur le revenu. Faisant de cette dernière idée son combat principal dans un système fiscal qu'il juge très inégalitaire, il s'attire les critiques de la droite et d'une partie de la presse, notamment du Figaro53. En avril 1894, aux côtés de Godefroy Cavaignac, il porte une proposition d'impôt progressif sur le revenu qui fait notamment face à l'opposition de Raymond Poincaré : la Chambre repousse le texte par 267 voix contre 23622,53. Paul Doumer est réélu aux élections législatives de 1893 dès le premier tour de scrutin avec 56 % des suffrages exprimés53. À l'ouverture de la nouvelle législature, il obtient qu'une séance soit consacrée chaque vendredi au travail et à la condition des ouvriers53. En plus de la fiscalité, il travaille essentiellement sur les colonies, quelques années après le « tournant colonial » pris par la Troisième République. En 1893, il est rapporteur d'une proposition de loi de Joseph Reinach visant à instaurer un ministère des Colonies de plein exercice, ce qui est fait l'année suivante54. En tant que rapporteur du budget des Colonies, il intervient en 1895 dans le cadre du projet de loi ayant pour objet le règlement provisoire de la situation financière du protectorat de l'Annam et du Tonkin et des dépenses de l'expédition du Siam ; il est alors pressenti pour remplacer le gouverneur général de l'Indochine française, Armand Rousseau, malade11. Premier passage au ministère des Finances (1895-1896)[modifier le code] Articles connexes : gouvernement Léon Bourgeois et impôt sur le revenu (France). Le 3 novembre 1895, à trente-huit ans, bénéficiant de sa réputation d'expert des questions financières et fiscales, il est nommé ministre des Finances dans le premier gouvernement radical homogène de l'histoire, formé par Léon Bourgeois55. Cherchant à allier équilibre des finances publiques et justice sociale, Paul Doumer conduit une politique de rigueur, procédant à un plan d'économies et à une augmentation de l'impôt sur les successions. À l'instar des projets qu'il a précédemment défendus en tant que député, il prône la mise en place d'un impôt global et progressif sur le revenu. Devant remplacer la contribution personnelle et mobilière et l'impôt sur les portes et fenêtres, ce projet de prélèvement visant à s'appliquer aux revenus supérieurs à 2 400 francs suscite l'opposition de la droite et d'une partie de la majorité, effrayées par la personnalisation de la fiscalité directe, la progressivité et la déclaration de revenus. Le ministre des Finances leur répond que le système fiscal français fait davantage reposer l'impôt « sur le pauvre que sur le riche », et que la mesure, déjà adoptée par la Prusse, permettrait d'accroître les rentrées fiscales dans la perspective d'un nouveau conflit militaire54. Avec le soutien des socialistes, le principe de l'impôt sur le revenu est approuvé par la Chambre des députés, ce qui constitue une première, les projets similaires précédents ayant tous été repoussés par l'assemblée54. Mais Paul Doumer se heurte à l'hostilité du Sénat, plus conservateur que la chambre basse, et doit faire face à des appels de membres de sa majorité à retirer son projet s'il ne veut pas faire chuter le gouvernement. Le ministre des Finances ne renonçant pas, le Sénat contraint le cabinet Bourgeois à la démission, le 23 avril 189656. Paul Doumer se voit alors tenu pour responsable du renversement du ministère. Redevenu simple député, il propose une nouvelle fois l'établissement de l'impôt sur le revenu en juillet 189654. Cet impôt sera finalement instauré en 1914, en raison de la nécessité d'accroître les recettes de l'État à l'aube de la Première Guerre mondiale57,58. Gouverneur général de l'Indochine française (1897-1902)[modifier le code] Paul Doumer aux côtés de Nguyễn Trọng Hợp et Cao Xuân Dục lors d'un concours triennal (Nam-Dinh, 1897, photographie d’André Salles). À la fin de l'année 1896, après la mort d'Armand Rousseau, le président du Conseil, Jules Méline, lui propose de devenir gouverneur général de l'Indochine française15. Paul Doumer répond positivement à l'offre du chef de gouvernement modéré, ce qui est considéré comme une trahison par les radicaux59. Les détracteurs de Doumer l'accusent d'avoir accepté la fonction afin de bénéficier d'une rémunération conséquente alors qu'il est de notoriété publique qu'il est endetté59. Il devient gouverneur général le 13 février 1897, étant remplacé à la Chambre des députés par Jean-Baptiste Bienvenu-Martin13. Doté d'importants pouvoirs, Paul Doumer est chargé de réorganiser l'Indochine française, qui connaît alors une grave crise60. Marquées par l'affaire du Tonkin, l'opinion publique et la classe politique se montrent méfiantes à l'égard du territoire, qui est largement déficitaire et pour lequel d'importantes dépenses sont régulièrement engagées61. Dans ce contexte, pendant les premiers temps de sa fonction, Paul Doumer ne bénéficie pas de nouveaux crédits pour l'Indochine59. Chargé avant tout de redresser cette situation financière, il s'entoure d'un cabinet restreint, composé d'hommes venus avec lui de métropole59. Il réprouve la politique de ses prédécesseurs, qui n'étaient selon lui que de simples « administrateurs », adoptant pour leitmotiv « gouverner partout, n'administrer nulle part »62. À l'inverse des précédents gouverneurs généraux, il se rend régulièrement sur le terrain et bénéficie d'une réputation d'ubiquité59. L'Indochine française — qui comprend la colonie de Cochinchine et les protectorats de l'Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos — doit selon Paul Doumer être gérée par un pouvoir central fort63. Estimant que la conquête coloniale par étapes a conduit à un morcellement et jugeant insuffisante l'Union indochinoise, Paul Doumer entreprend une refonte administrative visant à unifier les différents territoires de l'Indochine. En 1899, sur le modèle de l'Indian Civil Service, il crée un corps unique des services civils dont il confie la surveillance à des inspecteurs chargés de lutter contre la corruption et l'arbitraire64. Appelant à un État doté d'un appareil administratif et budgétaire performant, il met en place des organes centralisateurs. Mais rapidement, l'organisation initiée par Paul Doumer — surnommé le « Colbert de l'Indochine » — compte un très grand nombre de fonctionnaires et présente d'importantes rigidités65. Pour renforcer le gouvernement général, il réduit l'influence de la dynastie Nguyễn, et fait supprimer la fonction de kinh luoc, qui maintenait une forme de liaison entre le Tonkin et la cour impériale de Hué, au profit du résident supérieur français66. Jugeant les Européens plus aptes à décider que les indigènes, il affaiblit ainsi considérablement le gouvernement impérial62. Dans un article publié en 1909, il énumère les caractéristiques des races supérieures : propension au travail, patriotisme, amour de la culture, courage et force morale ; dans cette optique, il estime que les Annamites sont supérieurs aux populations voisines en raison de leur intelligence et de leur discipline67. Afin de renforcer la connaissance des Français pour les particularités de cette région d'Asie, il crée l'École française d'Extrême-Orient, qui attire nombre de savants68. Sa politique mêle ainsi des éléments d'assimilation et d'association69. Sur le plan financier, confronté aux contraintes budgétaires imposées par la métropole, il renforce la lutte contre la fraude, instaure de nouveaux prélèvements obligatoires et augmente ceux déjà existants. L'institution en 1899 d'un budget général se fait au détriment des budgets locaux et notamment de la Cochinchine, principal moteur économique de l'Indochine étant parvenu jusque-là à conserver une forte indépendance. Cette dernière mesure attire à Paul Doumer de vives critiques de la presse et des figures de la Cochinchine, notamment de Paul Blanchy et Charles Le Myre de Vilers, qui affirment qu'il souhaite faire payer la colonie pour les protectorats64. Grâce notamment aux droits de douane et à la mise en place — très contestée par la population — des régies (sur le sel, l'opiumi et l'alcool de riz), le gouvernement général parvient rapidement à dégager des excédents budgétaires64. Le Petit Journal faisant état d'une visite de Paul Doumer au Siam (actuelle Thaïlande) et d'une rencontre avec le roi Rama V, en 1899. Si elles appauvrissent et révoltent les populations indigènes, ces nouvelles recettes permettent à Paul Doumer d'obtenir le soutien de la Banque de l'Indochine et de lancer plusieurs grands projets d'infrastructures (chemins de fer, routes, ponts, ports, etc.) en utilisant les techniques et le savoir-faire européens70. C'est en particulier le cas à Hanoï, où sont notamment construits le Grand Palais et le pont Paul-Doumer, qui s'étend sur une longueur de 1 670 mètres au-dessus du fleuve Rouge71. Paul Doumer organise dans la ville une exposition mondiale, qui se déroule en 1902 et 1903, afin de présenter la modernisation en cours en Indochine ; le coût élevé de cet événement, pénalisé par la démission de Doumer, laisse le budget de la ville en déficit pendant une décennie72,71. Il se fait également construire la Villa Blanche — du nom de sa femme — au cap Saint-Jacques, lieu de villégiature prisé des coloniaux de Cochinchine française73. En matière agricole, il permet la répartition des terres en faveur des colons et grandes entreprises françaises64. Considérant que « la civilisation suit la locomotive », il est un ardent partisan de la construction d'un chemin de fer traversant tout le territoire, le « Transindochinois », dont le plan du réseau avait commencé à être dressé par son prédécesseur, Armand Rousseau15,74. Ce chemin de fer, construit par des « coolies » dans des situations précaires, sera achevé en 193615. Pour la réalisation de la ligne du Yunnan, il obtient un emprunt de 200 millions de francs-or75. Les services de Paul Doumer font également terminer les travaux du port d'Haïphong76. Il transfère le gouvernement à Hanoï, où il fait construire une nouvelle résidence pour les gouverneurs généraux et qu'il désigne comme capitale de l'Indochine en 1902 en remplacement de Saïgon64. En collaboration avec le médecin Alexandre Yersin, il ordonne aussi la construction de la ville de Dalat, afin que les travailleurs européens puissent profiter d'un sanatorium et récupérer ainsi du rude climat de l'Annam77. À la suite de l'agronome Auguste Chevalier et de l'économiste Henri Brenier, Paul Doumer se montre favorable à l'acclimatation de l'hévéa — dont la culture est déjà importante en Malaisie britannique et aux Indes néerlandaises — dans les terres récemment conquises de Sumatra78. Il est également à l'origine de l'université de médecine de Hanoï68. Inquiet de l'avancée en Asie de la Russie et du Royaume-Uni, Paul Doumer semble être favorable à une colonisation de la Chine par la France68. Sans en informer Paris, il fait en sorte de créer une situation de fait devant conduire à l'annexion de la prospère province du Yunnan, dans le sud-est du pays68. À ce titre, il visite en juin 1899 la capitale de la région, Kunming, où il fait face au refus du vice-roi de satisfaire sa demande d'obtention d'un terrain destiné à construire une gare ferroviaire. Cet incident diplomatique conduit à un soulèvement d'habitants du xian de Mengzi redoutant l'achat de leurs mines d'étain par les Français68. Le ministre français des Affaires étrangères, Théophile Delcassé, assure alors à la Chine et au Royaume-Uni qu'il n'entend pas annexer le Yunnan79. Quelques mois plus tard, éclate contre les colons la révolte des Boxers, lors de laquelle Paul Doumer fait envoyer des troupes d'Indochine pour soutenir les légations étrangères69,80. Dans le même temps, ses relations avec l'armée coloniale sont tendues, cette dernière n'acceptant pas l'ingérence du gouvernement général dans ses prérogatives69. Souhaitant revenir en métropole pour briguer un nouveau mandat de député aux élections législatives, Paul Doumer démissionne de sa fonction de gouverneur général en mars 190215. Il est remplacé en octobre suivant par Paul Beau, réputé plus consensuel que lui81,82. Avec ses cinq années passées en Indochine, Paul Doumer est l'un des gouverneurs généraux du territoire à la longévité la plus importante, la plupart de ses prédécesseurs ayant occupé le poste pendant un ou deux ans83,84. Il est également considéré comme ayant été l'un des gouverneurs les plus actifs55. Face aux critiques dont il fait l'objet à son retour en métropole, notamment sur la question indigène, il publie en 1905 un ouvrage de souvenirs d'Indochine, qui servira de référence à plusieurs responsables militaires pendant la
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