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Le spectateur de Belleville
February 19, 2022 9:50 AM
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Par Sandrine Blanchard (Nice, envoyée spéciale) dans Le Monde - 19 février 2022 La destruction imminente du Centre dramatique national, voulue par le maire Christian Estrosi, suscite une polémique.
Légende photo : L’actuel Théâtre national de Nice, dont la démolition a démarré. SINAWI MEDINE POUR « LE MONDE » C’est une histoire de politique culturelle, mêlée de considération urbanistique qui fait penser au film d’Eric Rohmer L’arbre, le maire et la médiathèque (1993). Mais dans une version XXIe siècle. Nous ne sommes plus dans un village où un élu est prêt à sacrifier un arbre centenaire pour construire une médiathèque mais dans une ville où l’édile veut détruire un théâtre pour végétaliser un quartier. Christian Estrosi ne peut plus le voir en peinture, le Théâtre national de Nice (TNN). Et il ne s’en cache pas. En ce lundi 14 février, accompagné de Muriel Mayette-Holtz, directrice du TNN, le maire longe cet édifice contemporain qui abrite depuis 1989 le Centre dramatique national (CDN) Nice-Côte d’Azur. Il commente : « Pot de yaourt moche positionné n’importe comment », « verrue qui tourne le dos à la mer », « symbole d’un urbanisme loupé », ce bâtiment octogonal recouvert de marbre de Carrare, Christian Estrosi n’en veut plus dans sa ville. En lieu et place de ce « machin », il y plantera des arbres pour prolonger la promenade du Paillon – « sa » coulée verte appréciée des Niçois, qui s’étend pour l’heure de la promenade des Anglais au théâtre. Parallèlement, il s’engage à « redéployer l’offre de spectacle vivant ». Nature contre culture ? « Non, nature et culture », rétorque Estrosi, qui veut en finir avec le « béton hideux » des années 1980, époque Jacques Médecin. Et ce ne sont ni les quelques milliers de pétitionnaires, ni les opposants politiques de tous bords choqués de la future disparition de ce lieu de culture, ni la tentative – avortée – d’un recours devant le tribunal administratif qui l’arrêteront. Le calendrier a été conduit « au pas de guerre » et « sans étudier de projet alternatif », considèrent les élus de l’opposition. Le TNN a donné son ultime représentation le 8 janvier, le permis de démolir a été accordé le 19 janvier et, dès le 20 au matin, l’accès au théâtre a été condamné par des palissades en tôle. Désormais barricadé, gardé par des agents de sécurité, vidé de son millier de fauteuils et de son matériel technique et scénographique, il est voué à disparaître. « Victime collatérale » Cette destruction d’un centre dramatique national, la première du genre, a obtenu, le 2 décembre 2021, le feu vert de la ministre de la culture. Tout en reconnaissant que « l’éclatement du CDN constitue une réelle contrainte par rapport aux conditions existantes », Roselyne Bachelot a validé l’argumentaire urbanistique et financier du maire : le bâtiment nécessiterait des travaux de mise aux normes évalués entre 12 et 18 millions d’euros. Estimant que le bâtiment conçu par Yves Bayard « est la victime collatérale d’une époque où les mauvaises questions en matière d’urbanisme étaient nombreuses », l’architecte des bâtiments de France a également donné son accord, le 18 janvier. « Depuis l’élection de Macron à l’Elysée, rien ne nous a été refusé. Rien ! », se vante Christian Estrosi, ex-LR soutenant la réélection du président de la République. Muriel Mayette-Holtz, nommée en novembre 2019 sans avoir connaissance du projet de démolition, vit très bien ce futur déménagement et soutient sans réserve le « projet ambitieux » du maire. Le projet d’extension de la coulée verte aurait déjà, selon elle, un impact sur l’activité immobilière. « Le prix du mètre carré augmente pour les appartements qui longent ce futur corridor écologique », se félicitent le maire et la directrice. Tous deux ont adapté leur vocabulaire pour présenter ce « grand projet urbanistique et culturel », qui comporte aussi la destruction du palais des congrès Nice-Acropolis. Le théâtre n’est pas « démoli » mais « déconstruit », insiste Christian Estrosi. Il ne ferme pas mais « part en voyage sur le territoire », défend la comédienne et metteuse en scène. Christian Estrosi, maire de Nice : « Depuis l’élection de Macron à l’Elysée, rien ne nous a été refusé. Rien ! » Il faut désormais un plan de la ville pour comprendre où se déroulent les spectacles du TNN. La programmation a été répartie sur cinq scènes (Opéra de Nice, Deuxième scène La Diacosmie, Forum Nice Nord, théâtres Francis Gag et Lino Ventura) en attendant la livraison de trois nouveaux équipements. Le 26 avril ouvrira la salle des Franciscains (300 places) dans le Vieux Nice, puis, le 20 mai, celle du théâtre éphémère La Cuisine (600 places), à l’ouest de la ville dans la plaine du Var, et, en janvier 2023, l’espace Iconic (500 places dans un programme immobilier privé financé par la Compagnie de Phalsbourg), à côté de la gare. Enfin, à l’horizon 2026, le TNN devrait disposer d’une grande salle « de prestige » de 800 places dans le futur Palais des arts et de la culture, nouvelle appellation du Palais des expositions lorsqu’il sera requalifié. « Les usagers du TNN et les professionnels du spectacle suivront-ils et le label CDN survivra-t-il ? », s’interroge Hélène Granouillac, élue municipale écologiste. Ne dites pas à Muriel Mayette-Holtz que plus aucun lieu ne portera le nom de TNN. « Ce n’est pas un sujet », balaie-t-elle. Le « siège social » du CDN s’installera dans l’ancien hôtel l’Aigle d’or, contigu à la salle des Franciscains, et comprendra bureaux, salles de répétitions et studios pour des résidences d’artistes. « La réhabilitation du couvent du XIIIe siècle des Franciscains, au cœur de Nice, c’est un cadeau », s’émerveille la directrice. L’ex-administratrice générale de la Comédie-Française n’hésite pas à comparer le choix d’un TNN multisites à cette prestigieuse institution. « Le Français n’a-t-il pas trois lieux à Paris, la salle Richelieu, le Vieux-Colombier, le Studio-théâtre ? » « Gabegie d’argent public » Cet effet domino du paysage théâtral niçois a bien évidemment un coût : de la démolition du théâtre à l’extension sur huit hectares de la coulée verte confiée aux architectes Alexandre Chemetoff et Joao Luis Carrilho da Graça, de la réhabilitation des Franciscains à l’installation de La Cuisine, 90 millions d’euros sont nécessaires (dont 37, 8 millions issus du plan de relance Etat-Région). Il faudra y ajouter le financement de la salle du Palais des arts et de la culture – dont le montant « n’est pas encore établi », indique-t-on à la mairie. Actuellement, le budget annuel du CDN atteint 3,9 millions d’euros (dont plus de 1,5 million financé par l’Etat). Sa répartition dans plusieurs lieux aura automatiquement des répercussions sur les coûts de fonctionnement et de personnel. « C’est une faute budgétaire impardonnable, une gabegie d’argent public », fustige Eric Ciotti, éternel rival du maire. Pour le député LR et vice-président du département des Alpes-Maritimes, ce projet auquel « l’Etat se soumet pour des raisons politiques » est aussi une « faute culturelle » : « On détruit un théâtre récent qui fonctionnait, qui avait une âme et avait déjà été rénové en 2011. » Quant à l’argument de la « forêt urbaine » brandie par le maire, il fait sourire tout autant Eric Ciotti que les élus écologistes. « On démolit le TNN mais pas le parking souterrain. On ne plante pas des arbres sur une dalle de béton, au mieux on végétalise. Avec 4 000 mètres carrés d’emprise au sol, l’espace libéré par le théâtre ne représente que 3 % de la superficie de la coulée verte, sa disparition est disproportionnée », argumentent-ils. « Il n’y a plus que la justice pour arrêter cette course en avant », considère Eric Ciotti, qui a accordé, « de son plein gré », une subvention de 10 000 euros à l’Association de défense de la promenade des Arts, créée par le scénographe Michel Cova et Martine Bayard, la fille et l’ayant droit de l’architecte Yves Bayard, mort en 2008. Eric Ciotti, vice-président des Alpes-Maritimes : « On détruit un théâtre récent qui fonctionnait, qui avait une âme et avait déjà été rénové en 2011 » C’est ce dernier qui imagina cette imposante réalisation du Centre dramatique national Nice-Côte d’Azur et du Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice (Mamac). En reliant les deux bâtiments par une esplanade surélevée, l’architecte entendait « mêler de manière indissociable arts plastiques et arts vivants ». Mais seul le Mamac va survivre au plan « estrosiste ». Martine Bayard a appris par la presse, au printemps 2021, le projet de démolition. Elle tente depuis de défendre l’intégrité de l’œuvre de son père : « Ma cause n’est ni politique ni financière mais patrimoniale. Je ne suis pas contre la verdure mais contre la mise à mal dogmatique d’une unité architecturale. » Christian Estrosi se vante, lui, de « déconstruire le vilain pour faire apparaître le beau » et s’active à défendre la candidature de Nice pour devenir Capitale européenne de la culture en 2028. Celui qui, il y a quelques années, disait « rêver d’être un jour ministre de la culture », entend désormais faire de sa ville « la cité de l’art de vivre » où, à l’image de Prague, Vienne ou Salzbourg (autant d’exemples dont il se réclame) , « la culture est un axe majeur ». « Il mélange culture et événementiel. Les lieux d’implantation deviennent anecdotiques, il fait fi du lieu central emblématique qu’était le TNN », souligne David Nakache, président de l’association Tous citoyens ! et candidat sur la liste Viva ! (divers gauche) lors des dernières municipales. Elargir la saison Si l’opposition politique s’est fait entendre, le milieu culturel est, lui, resté muet. Seul le metteur en scène Daniel Benoin, ancien directeur du TNN (de 2002 à 2013) et désormais à la tête du théâtre Anthéa à Antibes, accepte de parler pour défendre le projet de la mairie. « Je n’ai pas de nostalgie à voir disparaître ce bâtiment. Si tout le monde tient ses promesses, l’expérience de multiplier les lieux peut être intéressante et réinventer le CDN », estime ce proche de Christian Estrosi. Avec à peine six mille abonnés (deux fois moins qu’à Anthéa), le TNN se doit, reconnaît Muriel Mayette-Holtz, « de conquérir de nouveaux publics » et « d’attirer des jeunes » . « Il ne faut plus seulement être tourné sur les abonnés et les locaux », avance Christian Estrosi, qui table sur le tourisme culturel et souhaite aussi élargir la saison au-delà de la période octobre-mai. « Les spectacles proposés le week-end dans le jardin de la promenade du Paillon, c’est ce qui marche le mieux », constate la directrice du TNN. Pour inaugurer les deux nouvelles adresses du TNN, Muriel Mayette-Holtz a choisi de mettre en scène des têtes d’affiche. Isabella Rossellini investira les beaux murs de pierres historiques des Franciscains avec Le Sourire de Darwin et Carole Bouquet s’installera à La Cuisine pour interpréter Bérénice de Racine. Sandrine Blanchard (Nice, envoyée spéciale)
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2022 2:17 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 18 février 2022 Légende photo : Un très beau portrait de Bernard Ballet par Daniel Cande. Festival d’Avignon. DR. Il était aussi sensible que marquant dans ses rôles. Un comédien qui aimait la troupe et aura croisé des univers très différents. Il s’est éteint hier, vaincu par la maladie.
Les amateurs de théâtre connaissaient très bien Bernard Ballet, comédien vif, puissant, ultrasensible. Il s’est éteint hier, vaincu par une longue maladie. De Marcel Maréchal à Irène Bonnaud et Marion Bierry, en passant par Patrice Chéreau, les grands metteurs en scène ont aimé cette personnalité d’Arlequin très cultivé, l’exemple même de « l’athlète affectif » rêvé par Antonin Artaud, mais doublé d’un esprit de connaissance profonde des arts, des textes, d’un goût de la réflexion profonde. Il était né à Lyon dans une famille assez nombreuse. Il venait d’avoir 81 ans, en janvier dernier. Le théâtre ? Le destin l’y avait conduit. Il étudiait aux Beaux-Arts et se rêvait architecte. Toute sa vie durant, d’ailleurs, Bernard Ballet fut un constructeur et, à ses débuts, il signa des décors. Tout au long de son chemin, il fut très attentif aux volumes, aux espaces. Il fut essentiel dans la conception de la Criée, réfléchissant, sans jamais piétiner les plates-bandes de l’architecte… Sur un plateau, il frappait par la densité de sa personne. Délié, rapide, idéal dans le mouvement, cet éternel enfant, savait également s’imposer sur un plateau, comme une plante qui y aurait poussé naturellement. Lorsque l’on pense à lui, on ressent à la fois la gravité et la légèreté. On le revoit, par exemple, dans La Fausse suivante de Marivaux, dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Aux côtés de Trivelin, grand chat de gouttière incarné par Michel Piccoli, il y avait Bernard Ballet, Arlequin, justement. Formidable ! Avec eux, Laurence Bourdil, Jane Birkin, Didier Sandre, entre autres. On l’a dit, le hasard joua beaucoup à ses débuts. Parmi ses grands frères, l’un aimait le théâtre, mais c’est vraiment la main du ciel qui l’a conduit alors au conservatoire. Il aime s’atteler aux copies de chefs-d’œuvre. Et, alors qu’il est en plein travail, quelqu’un l’approche et lui propose de découvrir l’art dramatique… C’était le temps des « emplois » et, avec sa silhouette nerveuse, sa tignasse bouclée, son teint mat, son regard bleu clair, il n’était pas fait pour devenir jeune premier classique. Mais il était fait pour la poésie. Il apportait sa poésie aux personnages et aux œuvres. On ne refera pas ici le long chemin de cet artiste très attachant. Des premiers pas avec notamment tous les spectacles de Marcel Maréchal, très divers et dans lesquels il n’est pas seulement comédien mais aussi adaptateur, assistant, scénographe, etc. jusqu’aux derniers rôles. Bernard Ballet sait tout faire sur un plateau, les lumières, le son et tout le reste ! Il sera un excellent metteur en scène. Du début des années 60 aux années 80, avec Maréchal, il a traversé des univers très différents : Audiberti, Hugo, Vauthier, Guilloux, Shakespeare, Aristophane, Ruzzante, Molière, Brecht, les mondes de Marcel Maréchal. Et puis on est à Lyon. Qui oublierait Guignol ? Une anémone pour Guignol date de 1975. Inoubliable. Et lui, Bernard Ballet signe alors ses premières mises en scène : Jean Vauthier, Valère Novarina. Tout en ne cessant jamais de jouer, Bernard Ballet a entamé un très clair chemin à la télévision et au cinéma. Il est repéré. Seul le travail de plateau l’empêchera de tourner plus. Il a une voix, une présence, de regard unique. Il serait trop long de citer ces dizaines de rôles, très différents. On l’a dit, il n’est pas une beauté classique, mais il imprime la pellicule ! Côté théâtre, c’est la même diversité. Lorca, Bondy, Fall, Françon, Savary, Beaunesne, Bayen, Ronconi, Boeglin, Milianti, Porraz, Hoffmann, Engel, Rambert, Stavisky, Backès, Vincent, il n’a cessé d’être demandé par des metteurs en scène très différents, mais tous sensibles à sa très forte personnalité, à sa présence, répétons-le, à sa poésie. Ces dernières années, il s’était fait plus rare au théâtre, mais il avait plongé dans les univers délicats d’artistes délicates. On les a nommées : Marion Bierry, Irène Bonnaud. On ne peut oublier L’Illusion comique de Corneille comme L’Aiglon, pas plus que l’on n’oublie La Tectonique des nuages. Enfin, aves Les Peintres au charbon de Lee Hall, très belle mise en scène de Marion Bierry en 2009, et avec, quel titre, Soleil couchant, d’après Isaac Babel, une mise en scène d’Irène Bonnaud, on salue à jamais cet être bouleversant, un formidable comédien, un être unique. Armelle Héliot L'hommage de Jean-Pierre Thibaudat dans son blog
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2022 9:07 AM
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Par Marek Ocenas dans son blog - 15 février 2022 Pour faire revenir sur scène l’histoire d’Hamlet, Guy-Pierre Couleau n’opte pas pour la version classique de Shakespeare, mais pour son adaptation réalisée par Peter Brook en 2002 en collaboration avec Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne. Il recrée cette version modernisée connue sous le titre de La tragédie d’Hamlet dans une mise en scène dépouillée présentée en février 2022 au Théâtre 13 – Glacière (>). L’adaptation de Peter Brook resserre l’action de la pièce originelle autour de ses personnages essentiels pour confronter l’individu à son destin avec une plus grande intensité. Et il est vrai que son déroulement, sans division en actes et recentré sur la figure d’Hamlet, gagne autant en efficacité dramatique qu’en amplitude tragique : tous les personnages tournent les yeux vers Hamlet qui ouvre l’action tant pour méditer sur la vanité du monde que pour évoquer la mort douloureuse de son père disparu depuis deux mois et s’indigner du remariage précipité de sa mère avec son oncle. Cet Hamlet, sans longueurs et sans temps morts, va ainsi droit au cœur de la célèbre tragédie de vengeance par une marche inexorable vers l’accomplissement de son destin. Malgré une sensible tension tragique amenée par l’expérience de la folie et de la mort, il n’y a aucune place pour un dieu caché qui poursuive les coupables : si une bande sonore inspirée de musique religieuse retentit au début et à la fin de l’action pour lui conférer une résonance mystique, les hommes seuls semblent être les maîtres de leur destin qui les confronte les uns aux autres à travers des actes horribles. Le seul élément mystique ou mystérieux présent dans l’adaptation de Peter Brook relève de ces apparitions troublantes du spectre du roi assassiné, visible uniquement à son fils Hamlet appelé à sa vengeance. Malgré des discours empreints de poésie baroque, La tragédie d’Hamlet telle que conçue par Peter Brook et reprise par Guy-Pierre Couleau se transforme dès lors en un drame humain dont la violence passionnelle nous touche vivement. La réappropriation de ce drame humain se prête aisément à une actualisation dépouillée qui situe vaguement l’action dans un huis-clos haletant ainsi que dans une époque qui nous rappelle avec prégnance la nôtre. En plus des costumes contemporains et des dimensions quasi intimes de la salle du Théâtre 13 – Glacière, la mise en scène de Guy-Pierre Couleau nous affecte d’autant plus intensément que certains choix brisent le quatrième mur de façon très ambiguë, à commencer par ces sorties des comédiens par l’une des deux ruelles montantes au milieu des spectateurs, ou par ces adresses implicites faites par Hamlet au public, comme par inadvertance, à travers des contacts oculaires, dès lors que le comédien évoque ses états d’âmes aux confins de folie dans des monologues poignants. Dès l’entrée des comédiens, on a l’impression que l’action renfermée sur le plateau déborde celui-ci pour investir peu à peu tout l’espace théâtral. Si les comédiens sont d’abord assis sur des chaises disposées des deux côtés du fond de la scène et qu’ils attendent en quelque sorte leur tour, l’action finit par s’étendre dans l’espace pour se rétracter çà et là sur le plateau selon l’intensité de ses oscillations tragiques. C’est à la fois subtil et étonnant dans la mesure où les accroches entre la situation des spectateurs et l’ambiguïté spatio-temporelle de l’action engendrent une tension dialectique qui renforce fortement le lien entre les comédiens et la salle pour les plonger dans une communion insolite autour de la tragédie d’Hamlet. La mise en scène de Guy-Pierre Couleau se distingue tant par l’économie de ses moyens matériels que par la sobriété du jeu scénique. De simples chaises disposées autour du plateau, redisposées en rangs de spectateurs à l’occasion du spectacle offert par Hamlet au roi et à la reine, et des panneaux noirs avec des images iconiques constituent les seuls éléments de décor. Quelques accessoires, tels que les coupes et les épées amenées à la fin du drame, soulignent symboliquement son aboutissement tragique marqué par la mort forcée de trois protagonistes. Pas de place, dans ce cadre dépouillé, à la déclamation ou à la grandiloquence, ni aux gestes emphatiques, sans que les comédiens ne manquent pour autant de prestance scénique : on sent leurs personnages comme tétanisés par la conduite tant soit peu imprévisible d’Hamlet. Cette modération renferme paradoxalement quelque chose d’énigmatique et inquiétant qui rend leurs attitudes ambiguës : aucun ne semble foncièrement mauvais, même pas le roi et la reine qui paraissent plus en proie à une certaine angoisse existentielle plutôt qu’animés par une volonté de puissance démesurée. Benjamin Jungers crée un Hamlet époustouflant en trouvant un équilibre frappant qui nous plonge dans le doute quant à la prétendue folie de son personnage : s’il fait remarquablement sentir la douleur d’Hamlet bouleversé par l’apparition du spectre et par la découverte de la vérité horrible et ce, à travers des gestes mesurés et une voix doucement vibrant de souffrance, le comédien s’empare de l’interprétation de la folie avec une telle contenance maîtrisée qu’on finit par ne plus savoir si son Hamlet joue toujours pour piéger le roi et la reine ou s’il a sombré dans le délire : on remarque dans sa posture quelque chose de spasmodique ou nerveux qui demeure à fleur de peau sans verser dans l’excès. Cet équilibre saisissant rend son Hamlet particulièrement humain. La prestance élégante de Benjamin Jungers est d’autant plus efficace que ses regards furtifs dirigés vers la salle donnent l’impression que son Hamlet se livre aux spectateurs pour établir une relation de confiance : proférée sans emphase, sa tirade Être ou nous pas être semble leur être destinée tant pour déjouer subtilement la suspicion portée sur le monologue théâtral que pour remuer leur sensibilité. D’autres comédiens qui l’accompagnent dans son aventure tragique se plient à une réserve semblable qui confère à leurs personnages une profondeur tout aussi humaine, ce qui est d’autant plus sensible dans le cas d’Ophélie interprétée avec retenue par Sandra Sadhardheen ou dans celui de la reine incarnée par Anne Le Guernec. L’ensemble est parfaitement cohérent, entraînant et intense. C’est la création d’Hamlet la plus convaincante que j’aie jamais vue : précisément en raison de sa théâtralité contenue, portée aux pieds des spectateurs métamorphosés en témoins privilégiés grâce à des incursions aussi ambiguës que discrètes dans la salle. Les comédiens incarnent les personnages avec sobriété tout en rendant palpitante leur angoisse existentielle. Benjamin Jungers crée pour moi un Hamlet mémorable par sa prestance sublime obtenue grâce à l’équilibre de son jeu aussi nerveux qu’élégant. Vidéo de présentation du spectacle La tragédie d’Hamlet, mise en scène par Guy-Pierre Couleau, Théâtre 13 – Glacière, 2022.
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Le spectateur de Belleville
February 17, 2022 4:56 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 16 février 2022 Son spectacle Bros, présenté à la MC93, est pensé, réglé. Mais trop de violence, jusqu’à une complaisance certaine, anéantit toute réflexion.
Plus le temps passe, plus on a l’impression que les artistes de théâtre pensent que les spectateurs sont sourds et aveugles, décérébrés, et qu’ils n’ont aucune vision du monde comme il va. Seul Milo Rau peut arracher des faits à la réalité et les retranscrire « dramatiquement ». Et encore, pas toujours, quelquefois, justement, il bascule et surligne… Roméo Castelluci est indéniablement un grand artiste, un plasticien nourri de culture chrétienne et de réflexion sur les textes de religion, de sagesse, de philosophie. Lorsque l’on pénètre dans la salle de la MC93, les monstrueuses machines sont en place. Une tourelle énorme posée sur le plateau au côté d’un engin plus petit. L’ouverture est fracassante avec ses tonnerres d’explosions, de rafales, de tirs adressés au public… On se souvient en souriant gentiment du Vieil Hiver de Roger Planchon. Les futs des canons s’adressaient aussi aux spectateurs…Et puis on n’a pas oublié Les Damnés et la scène ultime imaginée par Ivo van Hove. Ici, il n’y a pas que cela. Sur le plateau, des dizaines de policiers, genre flics américains. Un moment, certains vont grimper dans les gradins et fermer les sorties. Ils redescendront tandis qu’un molosse se déchaîne, sur scène, en aboiements agressifs qui rappellent les furieux déchaînement d’un chien tentant de déchirer un homme sur la scène du palais des Papes, tandis que Castellucci –c’était lui, protégé par des combinaisons- en une évocation de Dante. Mais la scène la plus terrible, insoutenable dans sa complaisante longueur, c’est celle du passage à tabac d’un homme frêle, maigre même, sur corps duquel une matraque s’abat sans discontinuer, des minutes et des minutes durant. Quand on voit la troupe des flics (sans doute des figurants réunis par la MC93, et que l’on applaudira chaleureusement, à la fin), on pense évidemment à la mort de George Floyd. Ces figurants, Castellucci les nomme « les hommes de rue », dans la fiche de distribution. On pense à la violence. Peu de textes, ici, quelques « proverbes » ou « devises » dit le concepteur et metteur en scène. Des étendards, des lumières, la musique assourdissante et qui racornit les corps, musique de Scott Gibbons, utilisée comme une arme. Des sons, des liquides. De l’eau, du sang. Des larmes. Des chorégraphies comme des ballets symétriques, des signes qui rappellent ici les nazis, ici des musulmans extrémistes, des textes sacrés, et, pour commencer, Valer Dellakeza, et la langue roumaine pour entendre sans comprendre –ce n’est pas surtitré- Jérémie. Mais une grande feuille noire, que vous lirez après, vous est remise qui reprend ce texte et les devises. On sort de là ni meilleur, ni plus éclairé. De grandes photos, comme autant d’occasions de brouiller les tentatives de compréhension, par la peau, l’émotion. Grand plasticien, certes, maître du plateau. Mais que nous dit-il vraiment, Castellucci ? A quoi veut-il nous sensibiliser, que nous ne sachions déjà ? Armelle Héliot MC93, jusqu’au 19 février ; déconseillé, par les producteurs et le théâtre, aux moins de 16 ans. Durée : 1h15. Tél : 01 40 60 72 72. reservation@mc93 Puis en longue tournée internationale. la critique de Jean-Pierre Léonardini dans L"Humanité Romeo Castellucci présente Bros, dans la salle Oleg-Efremov de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny (1). On le sait homme de visions sans pareilles, inventeur de protocoles oculaires et sonores énigmatiques, en un mot créateur de formes constamment inédites, qui étonnent au sens fort. C’est encore flagrant cette fois. La représentation s’inaugure, dans des lumières d’entre chien et loup, avec une machine rotative sur trépied qui émet un fracas de mitrailleuse. Surgit l’acteur Valer Dellakeza, en saint homme, Jérémie pour ne pas le nommer. De lamentations en imprécations sur la chute de Babylone, il va être soumis à la contrainte par corps, de la part de forces de police. Celles-ci constituent l’ossature de l’œuvre. Leur effectif est d’une trentaine d’« hommes de rue » (dénomination de Castellucci). Ils ont dû signer un pacte, dans lequel ils acceptent d’exécuter aveuglément les ordres donnés. En uniformes de flics américains de cinéma muet, ils vont imposer, tout du long, une sorte de coercition chorégraphiée, jusqu’au moment, à la limite du supportable, où l’un d’entre eux fait mine de battre longuement un homme nu à terre ; figure christique identifiable. Bros, qui veut dire Frères, s’avance délibérément sur un mode lugubre. Aucun répit n’est accordé à la conscience anxieuse du spectateur, dans ce cauchemar d’un État policier irrémédiable, où se repère ici et là, au sein du collectif hermétique, des signes individuels d’allégeance religieuse ou fasciste. Dans ce travail d’un peintre qui sculpte le mouvement avec toutes les ressources techniques du théâtre, Castellucci s’avance sans peur, jusqu’à fomenter l’effroi. À la fin, les policiers infiltrent la salle. On entend des coups de feu et l’aboiement furieux d’un chien. Dans ce discours sans mots, illustrant l’état cruel du monde depuis la Bible, on brandit par à-coups des images (un singe, un chien de race, Samuel Beckett !) et, derrière un rideau noir, l’apparition d’un enfant, de blanc vêtu, suggère un espoir en herbe. Six sentences latines, dûment traduites (par exemple : « On ne peut pas dire au passé ce qu’il doit faire » ou « Il faut négocier avec les morts »…) ponctuent ce tableau noir, parachevé par l’inscription « De puollo et ovo » ( « Du poussin et de l’œuf »). Bros procède manifestement d’une morale de l’ambiguïté (soit à plusieurs angles) qui rend malaisé, sans conteste et de façon délibérée, tout discernement univoque. (1) Jusqu’au 19 février, à la MC93, 9, boulevard Lénine, 93000 Bobigny, tél. rés. : 01 41 60 72 72, reservation@mc93 et sur le site mc93.com. Durée du spectacle : 1 h 15. Lire la critique de Véronique Hotte
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February 16, 2022 7:01 AM
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par Anne Diatkine dans Libération le 13 février 2022 Six ans après le succès de «Grande», le premier spectacle en solo de l’artiste renouvelle avec habileté le paradoxe du menteur. Vimala Pons est seule sur scène, ce qu’on a du mal à croire. (Makoto Chill Ôkubo) C’est une petite silhouette volumineuse avec des jambes très fines et un peu écartées, des lunettes de soleil, un bonnet sur la tête, façon Zouc. Le public ne la perçoit pas immédiatement, quand il s’installe, se salue, analyse l’hétéroclisme des objets sur scène, l’escalier qui ne mène pour l’instant nulle part, la colonne grecque en stuc qui provoque des réminiscences, mais aussi ce qu’on prend à tort pour un genre de théâtre de marionnettes en plastique sans compter une sculpture monumentale, composée de plusieurs gigantesques galets disposés les uns sur les autres, très années 70. L’ensemble pourrait former un paysage de terrain vague : les objets ou monuments sont tous étrangement en suspens, comme dans le vide, pas complètement terminés ou déjà en partie détruits. Jambes frêles Sur un mini-écran à peu près de la taille de ceux qui indiquent la sortie, se déroulent quelques phrases factuelles. «Un homme de 57 ans a été assassiné.» Ou encore : «On a retrouvé des traces de poison dans le sang.» Il y a du jeu de piste dans cette affaire onirique et policière qui ne demande pas à être réglée. La petite silhouette se lève, elle marche difficilement, son visage nous est familier, on ne sait où se dissimule Vimala Pons dans cet être, et on ne reconnaît pas non plus tout de suite celle qui sera nommée par la suite Angela (Merkel), et qui place la sculpture comme si de rien n’était sur sa tête, tandis que sa voix résonne curieusement : «Je porte ma carrière sur la tête. C’est très lourd.» Une peur étreint qui ne tient pas uniquement à l’exploit d’équilibriste, ni à ce que les prises de risques ne sont pas feintes, jambes frêles qui basculent de droite à gauche, sous les pierres (vraies ou fausses) bien plus hautes que sa taille. Il n’y a pas que sa carrière que cette femme porte sur la tête, tandis qu’elle entame l’épluchage des couches et sous-couches, et sous-sous-couches dans un fabuleux strip-tease, mixte entre la matriochka et l’oignon. Des femmes se découvrent. Elles se découvrent à l’identique, formes de plus en plus fines, tandis qu’Angela poursuit son soliloque : «On devrait pouvoir changer de nom après chaque expérience importante.» Cadavres de vêtements Changer de nom, changer de corps, faire varier à l’infini les identités, tout en arrêtant son geste comme dans un kaléidoscope : Vimala Pons est seule sur scène, ce qu’on a du mal à croire, entourée de toutes les ruines des identités qui vacillent et explosent tout le long, cadavres de vêtements qui roulent à terre, à la manière de phrases qui reviennent dans un ressac sonore : «J’adore ma conseillère d’orientation. Elle me désoriente constamment.» Les obstacles se potentialisent à la manière des contes et légendes, Hercule, Ariane et maintenant Vimala qui seraient plongés non dans les écuries d’Augias ou un fameux labyrinthe, mais dans un centre de thalassothérapie où l’on rencontrera notamment un hydrothérapeute pour chien. Le «périmètre de Denver» est cette zone, nous explique le programme de salle, qui se déploie dans le cerveau quand on ment. Mais on n’est pas obligé de croire Vimala Pons, qui renouvelle ainsi le paradoxe du menteur. L’habileté, la technique, la force nécessaires aux exploits physiques sont constamment contrebalancées par une émotion à laquelle il est difficile de résister : «L’amour, c’est faire grandir en soi-même quelque chose qui protège l’autre personne de soi-même», dit l’un des alter ego de Vimala Pons, dans ce premier spectacle en solo, six ans après le succès de Grande en 2016 avec Tsirihaka Harrivel, qui présente de son côté la Dimension d’après, lui aussi au CentQuatre jusqu’au 20 février. Le périmètre de Denver, conçu et joué par Vimala Pons, du 16 au 26 février au CentQuatre à Paris, puis grande tournée.
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Le spectateur de Belleville
February 16, 2022 4:46 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 16 février 2022 REPORTAGE« La France culturelle de l’après-Covid » (3/5). La Comédie cherche de nouveaux modèles de création moins productivistes. Pour un peu, on se croirait dans le monde d’avant – avant le Covid-19, avant les masques, les tests et tutti quanti. A Saint-Etienne, en ce soir de la fin janvier, une foule mélangée et joyeuse se presse sous la haute nef de la superbe cathédrale industrielle qui abrite La Comédie, le centre dramatique national de la ville. La grande salle de près de 700 places est quasiment remplie, et pas seulement par des collégiens chahuteurs mais par un public de tous âges. « Ce n’est pas beau, franchement ? », s’exclame tout sourire Julien Devillers, le responsable du développement des publics de la maison. Il est vrai que La Comédie propose ce soir-là une pièce de la star du moment : Molière, dont on célèbre les 400 ans de la naissance. Benoît Lambert, le patron de la maison, signe une belle mise en scène de L’Avare, qui a bénéficié d’emblée d’un excellent bouche-à-oreille. « Mais on affiche complet également sur des propositions plus inattendues et contemporaines, comme Carte noire nommée désir, de Rébecca Chaillon », tient à préciser le directeur de La Comédie. Le taux de fréquentation du théâtre, depuis sa réouverture en octobre 2021, a tout de même baissé par rapport à ce qu’il était avant le Covid-19 mais pas de manière vertigineuse, puisqu’il est de 70 %, là où il tournait autour de 85 % avant la crise. A Saint-Etienne, le maître mot, c’est « résilience », au bout de deux ans de crise sanitaire qui ont essoré le secteur culturel. Dans cette ville qui a été pionnière en matière de décentralisation théâtrale, avec la création, en 1947, d’un des deux premiers CDN de France (avec celui de Colmar), « le théâtre occupe une place singulière dans l’imaginaire. Il est un motif de fierté, y compris pour ceux qui n’y viennent pas. Il est très soutenu par les politiques, à commencer par le maire de la ville. Et il est fréquenté par un public local, qui lui est extrêmement attaché et fidèle », observe Benoît Lambert. « Marge artistique » affectée La maison a tenu le coup, au fil des confinements, déconfinements, reconfinements et autres couvre-feux. Elle fonctionne avec un budget annuel d’un peu moins de 5 millions d’euros, « dans lesquels la billetterie rentre pour moins de 10 % », le reste étant assuré par les subventions de l’Etat et des collectivités territoriales, informe Johan Delbegue, l’administrateur du théâtre. « On s’en est sortis grâce au chômage partiel et aux exonérations de charges sociales, qui nous ont évité le désastre, mais le manque au niveau de la billetterie est quand même significatif. Il affecte notamment ce que l’on appelle la « marge artistique », celle qu’on peut investir dans la création », précise-t-il. « Le théâtre est fréquenté par un public local, qui lui est extrêmement fidèle », Benoît Lambert, directeur de La Comédie Il n’empêche : qui dit résilience dit bien qu’il y a eu traumatisme. « On ne sort pas indemne de la crise, non plus », alerte Nadia Benkhelfallah, la secrétaire générale. A Saint-Etienne, le théâtre ne fait pas seulement de la production et de la diffusion. Il a choisi d’être aussi une plate-forme d’accompagnement de compagnies locales et abrite en son sein une des écoles d’art dramatique les plus réputées de France. « A ces deux endroits, on observe des situations extrêmement fragiles, note Benoît Lambert. Le sort des compagnies varie du tout au tout : celles qui bénéficient d’une reconnaissance nationale ont bien résisté mais celles qui se situent sous les radars institutionnels connaissent de vraies difficultés. » La compagnie La Seconde Tigre de Pauline Laidet se situait entre ces deux pôles, quand la crise sanitaire est arrivée. On rencontre la jeune metteuse en scène à Saint-Romain-Lachalm, un village de montagne à une trentaine de kilomètres de Saint-Etienne. Installée en résidence avec ses acteurs, elle répète La Nuit labyrinthe, une création proposée par La Comédie en itinérance dans les villages de la région. Angoisse de l’avenir Pauline Laidet fait partie de ceux que le Covid-19 a « frappés de plein fouet ». La saison 2020-2021 devait être pour elle celle de la reconnaissance. Elle y avait cinq créations à l’affiche, dont un opéra au Théâtre de la Renaissance à Oullins. « Et tout s’est arrêté », résume-t-elle sobrement, exprimant sa « tristesse » de voir ces spectacles « sacrifiés » et son inquiétude face à l’avenir. « Si je n’avais pas eu cette commande de La Comédie, j’aurais dû mettre la clé sous la porte. Or, en tant que directrice de compagnie, j’employais moi-même du monde, pendant des années, observe-t-elle. Je crains l’effet boule de neige, les dégâts qui vont se faire sentir à long terme, avec toutes ces compagnies qui, comme la mienne, ne seront plus pourvoyeuses d’emplois. » L’angoisse de l’avenir et les effets retard de la crise hantent aussi les élèves de l’école. Il ne s’agit pas seulement de leur insertion dans une profession où la garantie de l’emploi n’est déjà pas la règle au départ. « On sait que l’on va arriver à un moment d’embouteillage énorme des productions, qui va durer au moins trois ans, acte Lara Raymond, élève en première année. Mais on préfère ne pas trop y penser ». Il s’agit, plus profondément, de la manière de se construire comme artiste de théâtre dans un tel moment. « Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu devenir comédienne, c’est mon amour des visages, ma passion inlassable d’observer les émotions qui s’y expriment. Comment fait-on, quand ces visages ont disparu sous les masques, au sens le plus concret comme le plus symbolique ? », s’interroge Solène Celse, élève en deuxième année. « C’est compliqué de rêver, de prendre le temps de l’imaginaire dans un moment pareil, renchérit Emile Faure, lui aussi en deuxième année. On devrait être dans du temps gratuit mais on n’a jamais autant été englués dans le présent. Et en même temps le milieu du théâtre est dans une anticipation énorme, de plus en plus… Un artiste de théâtre, c’est un miroir, plus ou moins déformant, non seulement de la société et des êtres mais aussi de leurs rêves. Or même les rêves sont rabougris, dans ce temps que nous vivons. » Duniemu Bourobou, la directrice des études de l’école, confirme : « J’ai la sensation qu’il y a quelque chose de bridé au niveau de l’imaginaire », appuie-t-elle. Tout en mettant en avant un constat beaucoup plus concret : pour la première fois dans l’histoire de l’école, certains élèves ont dû recourir aux banques alimentaires pour se nourrir. Fuite en avant d’un système Ces fameux « effets retards » de la crise, c’est aussi ce qui donne des « sueurs froides » à Johan Delbegue. « Je pense que l’impact le plus important se fera sentir en 2023-2024, analyse l’administrateur. On va devoir programmer plus en raison de l’embouteillage et du désir de créations nouvelles. On fera donc face à plus de dépenses mais on ne bénéficiera plus des aides de l’Etat. Le “quoi qu’il en coûte” a été très utile mais que se passe-t-il après ? » « Je veux croire en la vertu des crises, avance pourtant Benoît Lambert. J’y vois un appel généralisé au doute, à la réflexion. Ce qui a été mis à l’arrêt avec cette pandémie, c’est notre modèle productiviste, qui est marchand, en un sens, même si nous sommes un secteur subventionné. » Comme tous les acteurs du secteur, il constate la fuite en avant d’un système qui conduit à produire toujours plus de spectacles et à les diffuser toujours moins longtemps. « Ce qui a été mis à l’arrêt avec cette pandémie, c’est notre modèle productiviste », Johan Delbegue, administrateur du théâtre Pourtant, très actif dans l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN), dont il est le vice-président, le patron de La Comédie ne promeut pas la solution malthusienne qui consisterait à limiter le nombre d’artistes, de compagnies, d’intermittents du spectacle dans le pays. « Je crois plutôt qu’il faudrait réfléchir à une acception beaucoup plus large du travail théâtral, en sortant de cette structure centrale production diffusion, qui conditionne la reconnaissance et les subventions. La totalité des dimensions du travail théâtral devrait être prise en compte autrement, en repensant l’articulation entre produire, transmettre, créer des spectacles avec des amateurs… Après tout, pour des artistes comme Pierre Debauche ou Antoine Vitez, il n’y avait pas de différence entre créer et enseigner. Quant à Brecht, il a bien démontré, avec ses Lehrstücke (pièces didactiques), le lien entre théâtre et apprentissage », conclut Benoît Lambert. Le message, en tout cas, est reçu cinq sur cinq par les jeunes artistes en formation à l’école : « On sera forcément des pionniers quelque part, s’enthousiasme Emile Faure. Nous sommes les héritiers de cette histoire de la décentralisation théâtrale et la crise nous pousse à initier une autre étape. » « On prend une caravane, un tréteau et on part dans les villages », se prennent à rêver ces jeunes gens. Un modèle rodé par un autre pionnier nommé… Molière. Fabienne Darge Saint-Etienne
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February 15, 2022 4:50 PM
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Sur le site de l'émission de Marie Richeux "Par les temps qui courent" sur France Culture le 15 février 2022 Rencontre avec le metteur en scène Roméo Castellucci pour son spectacle "Bros", qui se joue jusqu’au 19 février à la - MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, puis en tournée dans toute l’Europe Ecouter l'entretien radiophonique (43 mn) Légende photo : Roméo Castellucci• Crédits : Francesco Raffaelli Dans Bros, Romeo Castellucci, réunit sur le plateau un groupe d’hommes anonymes pour questionner notre rapport à la Loi et notre responsabilité individuelle et collective face à sa force de domination. Dans sa mise en scène, il utilise les images comme une autre forme de langage, pour s'adresser à ses contemporains et aller au-delà des apparences, du conformisme et du formatage de la pensée. L’expérience de la violence "Pour moi, le théâtre a à voir avec le mal, tout comme la tragédie grecque est toujours en lien avec le mal le plus absolu. Je pense qu’il faut expérimenter le mal pour trouver la joie. De même qu’il faut traverser la violence sur un plan linguistique, pour l’empêcher dans la réalité. D’ailleurs le langage est déjà une sorte de violence, et la puissance de la tragédie, c’est de mettre le feu à la maison commune du langage pour en révéler la structure et s’en libérer". Roméo Castellucci Le corps du spectateur "Le corps le plus intéressant est celui du spectateur. Le plateau définitif est en lui. Le spectacle n’est pas un objet à consommer, c’est une expérience – et d’abord celle du spectateur. C’est une rencontre entre le plateau et la salle, quelque chose qui se passe au milieu. C’est le corps du spectateur qui donne sens au spectacle, et je ne crois pas en la rhétorique de la "vision de l’artiste"." Roméo Castellucci La lumière est un personnage " La lumière n’est pas au service de choses à voir, elle n’est pas un outil, c’est un personnage, et même le personnage principal peut-être. Si on trouve la clé de la lumière, de cet animal, alors on a bien avancé. Très souvent, je commence par-là : le travail sur l’intensité, sur les ombres. La couleur en revanche est très difficile à travailler, je travaille plutôt sur des tons de gris, de blanc. Ce n’est pas un choix, je m’en rends compte a posteriori. Il n’y a jamais de noir ou de blanc sur le plateau, ni sur le plan éthique, moral, ni sur le plan pictural. Je cherche une lumière qui permet de cacher : la peinture, c’est cela, il s’agit de cacher les choses." Roméo Castellucci Archives Raymond Rouleau lit un extrait du Théâtre et son double d’Antonin Artaud dans une émission en son hommage enregistrée au théâtre Sarah Bernhardt, RTF 1946 Bob Wilson, émission Affaires culturelles, Arnaud Laporte, France Culture, 17/09/2021 Scott Gibbons, émission Surpris par la nuit, Joëlle Gayot, France Culture, 12/07/2005 André Wilms, émission Une saison au théâtre, Joëlle Gayot, France Culture, 10/02/2019 Référence musicale Scott Gibbons, BO du spectacle Bros
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February 13, 2022 5:32 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 11 février 2022 Alexander Zeldin présente à l’Odéon, à Paris, « Une mort dans la famille », pièce tragi-comique portée par une troupe magnifique, emmenée par Marie-Christine Barrault. La vieillesse, la mort et ces étranges antichambres de vie à trépas que l’on nomme désormais Ehpad s’invitent dans nombre de créations théâtrales, ces temps-ci. Après A la vie !, d’Elise Chatauret, et King Lear Syndrome ou les Mal élevés, d’Elsa Granat – deux spectacles qui tournent encore ici et là –, c’est au tour de l’Anglais Alexander Zeldin d’entrer en scène. Pour sa première création en français, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, il signe avec Une mort dans la famille, un spectacle fort et émouvant, porté par sa justesse de ton et de jeu, et par une troupe magnifique. Il ne s’agit en rien d’une pièce à thèse, puisque Zeldin part d’un point intime, en l’occurrence son histoire personnelle. Dans une maison plus vraie que vraie de la classe moyenne plutôt désargentée – celle où l’on n’a pas les moyens de refaire le papier peint à fleurs et la cuisine en bois rustique –, une mère et ses deux adolescents préparent la commémoration de la mort du père de famille, disparu un an auparavant. Ils n’en auront pas le temps. La grand-mère des enfants, Marguerite, s’est enfuie de la maison de retraite où elle avait été placée quelques jours auparavant, tant elle a trouvé l’endroit horrible. La mère de famille, Alice, seule à assumer la charge du foyer depuis la mort de son mari, se retrouve à devoir s’occuper de cette mère en partie impotente et incontinente, et de son fils aîné, Alex, qui part en vrille. « J’ai 16 ans, j’en ai marre de la mort, de la merde ! », hurle celui-ci, avant de claquer la porte. Tous les acteurs nous touchent d’autant plus que l’on est avec eux, dans un dispositif qui efface au maximum la séparation entre la scène et la salle De cette situation banale, que nombre d’entre nous vivent aujourd’hui, Alexander Zeldin fait un conflit tragique, comme tel insoluble, mais qui n’empêche pas ces êtres d’avancer, portés par une vitalité et une humanité qui irriguent tout le spectacle. Le choix d’Alice est cornélien, qui tient en trois possibilités : renvoyer sa mère dans cette maison de retraite de toute évidence indigne ; lui trouver une place dans un établissement de meilleure qualité, ce dont elle n’a pas les moyens ; la garder à la maison, ce qui est incompatible avec sa vie de mère de famille qui travaille. Humanité émouvante Une mort dans la famille tisse sa toile par multiples petites touches, au fil du récit qui verra Marguerite accepter, entre rage, désespoir et instinct de survie, le placement dans un nouvel établissement, et s’acheminer vers la mort. Le miracle ici est que rien ne pèse ni ne sombre dans le pathos, grâce au talent pour le tragi-comique qui est celui d’Alexander Zeldin. Les scènes qui se passent à l’Ehpad sont d’ailleurs parmi les plus réussies du spectacle, la dimension beckettienne de ces lieux où l’humanité, débarrassée de ses artéfacts, se met à nu sans filtre n’ayant pas échappé au metteur en scène. Un tel théâtre, très écrit sous ses dehors ultraréalistes, repose entièrement sur les acteurs, et c’est peu de dire qu’ils sont ici formidables. Alexander Zeldin confirme, après Love et Faith, Hope and Charity, que l’on avait déjà pu voir à l’Odéon, son talent pour composer des troupes où se mêlent des professionnels et des amateurs, et des personnalités singulières et fortes. A commencer par Marie-Christine Barrault, qui incarne avec une intelligence et une lucidité magistrales l’effritement de la fin de la vie, sa violence, souvent retournée contre les proches. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Marie-Christine Barrault, « Les morts nous apprennent à vivre » Autour d’elle, tous sont au diapason de ce théâtre de la vie, intense et sans esbroufe. Catherine Vinatier est fabuleuse en mère courage d’aujourd’hui, incarnant à elle seule toute cette génération intermédiaire qui, de nos jours, doit assumer la charge à la fois de ses parents et de ses enfants, et que la société culpabilise et exploite en envoyant ses aînés dans des mouroirs marqués du sceau de l’indignité. Ces grands acteurs que sont Annie Mercier et Thierry Bosc font des étincelles, en résidents d’Ehpad complètement décalés. Nicole Dogué et Karidja Touré, superbe jeune actrice que l’on découvre ici, offrent à leurs personnages d’auxiliaires de vie une humanité d’autant plus émouvante qu’elle ne sombre jamais dans le cliché. Il faudrait parler, encore, des comédiennes amateur qui jouent dans le spectacle, et des jeunes acteurs, criants de vérité, qui incarnent, en alternance, Alex et Olive, les deux adolescents. Tous nous touchent d’autant plus que l’on est avec eux, dans un dispositif qui efface au maximum la séparation entre la scène et la salle. Avec eux, Alexander Zeldin trace son sillon, celui d’une forme néoréaliste pour aujourd’hui, qui s’abreuve à la source documentaire pour mieux la transcender par le théâtre. La bonne vieille catharsis joue pleinement son rôle dans ce spectacle, dont on sort, de manière inattendue, sérieusement revigoré. Une mort dans la famille, de et par Alexander Zeldin. Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, 1, rue André-Suarès, Paris 17e. Jusqu’au 20 février, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures. De 7 € à 36 €. Puis au Grand Théâtre de Luxembourg, en juin. Fabienne Darge
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February 12, 2022 7:06 PM
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Par Agnès Santi dans La Terrasse - 9 février 2022 Le Munstrum Théâtre fait théâtre de ses angoisses sur notre monde en créant un spectacle total d’une grande beauté. Une dystopie animalière entre cruauté et drôlerie qui ravive notre besoin d’inventer le futur.
Singulier, troublant, puissant : le travail du bien-nommé Munstrum Théâtre co-fondé en 2012 par Louis Arene et Lionel Lingelser ne peut laisser indifférent. S’il interpelle aussi profondément, c’est sans doute parce que les formes originales que crée la compagnie bousculent et le cœur et l’esprit, ouvrent des ébauches de sens, font naître des émotions poignantes. En pleine conscience de la violence de notre monde, des menaces qui l’abîment et abîment notre humanité, les créateurs du Munstrum font théâtre de leurs inquiétudes avec une époustouflante maestria et une inventivité… débordante. Artistes à part entière, par chaque pore de leur peau, ils se tiennent à cet endroit paradoxal qui mêle cruauté et grotesque, dévastation et drôlerie, pour dire à la fois la tristesse de notre condition et la jubilation d’un art théâtral totalement débridé. Après notamment la mise en scène du texte Le Chien, la Nuit et le Couteau de Marius von Mayenburg (2016) puis l’adaptation de deux pièces de Copi intitulée 40 ° Sous zéro (2019), le Munstrum passe un cap en proposant un spectacle total dont ils signent aussi la partition textuelle, écrite par Louis Arene et Kevin Keiss, dramaturge des deux dernières créations de la compagnie. Vont-ils alors se laisser dépasser par leur folle extravagance ? Vont-ils au contraire se laisser coincer par une lourdeur démonstrative qui aborderait frontalement les préoccupations du moment ? Ni l’un ni l’autre. Ils maîtrisent. Ils évitent les facilités et les surplombs. Gardons le sourire mes petits écrous ! Si on peut penser que quelques scènes pourraient être resserrées, l’ensemble impressionne. Nous sommes dans un monde où les animaux gouvernent et où les quelques humains survivants sont de fragiles employés, parfois conduits au suicide. L’un d’eux, Zypher, soudain saisi de fulgurantes douleurs à l’épaule, accouche d’un double qui chamboule l’ordre établi, s’attaquant même en pleine période électorale à l’éléphante Églantine qui dirige de main de fer un puissant institut de sondages. Au sein de cette dystopie animalière, les robots et leurs diverses fonctionnalités font aussi partie du décor, et parfois flippent de leur immortalité. « Gardons le sourire mes petits écrous ! » clament-ils pourtant. Une efficace scénographie de Mathieu Lorry Dupuy, de rayonnantes lumières de Jérémie Papin, des masques saisissants créés par Carole Allemand avec Louis Arene et d’étonnants costumes de Colombe Lauriot Prévost contribuent à la réussite d’un spectacle où les corps se transforment et racontent des tourments oniriques qui renvoient au réel. Au fil de scènes d’une beauté frappante, les corps disent les surgissements du désir et de l’inconscient, la persistance du conflit chez l’homme qui dès qu’il a été livré à son libre-arbitre a tué son frère, l’échec d’une humanité engluée dans son impuissance et sa soif de pouvoir. Mais ce n’est pas là tout ce qui est dit, car le Munstrum aime à rapprocher les contraires, à embrasser le multiple, à rire malgré la catastrophe. Comme le symbolisent le sublime rideau de théâtre qui enveloppe l’action, et quelques piquantes citations de Brel à Godard, l’art affirme ici pleinement son vif éclat et sa joyeuse distance. Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque la cage de scène se dénude, et que l’homme l’habite de courses éperdues, tristement solitaires. Que de richesse dans ce foisonnant spectacle ! Saluons les six exceptionnels athlètes de cette fable plastique qui rassemblent des dizaines de protagonistes : Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Alexandre Éthève, Lionel Lingelser et Erwan Tarlet, nouveau venu circassien. Si le nom de Zypher Z évoque un mutant, il pose aussi l’enjeu essentiel : comment s’y faire ? Comment s’adapter aux dangers du monde, en laissant place à l’audace de l’imagination et à la douceur de la cohésion… Agnès Santi
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February 11, 2022 4:19 AM
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Par François Delétraz dans Le Figaro - 11 février 2022 REPORTAGE - Non loin de Dakar prospère l'École des sables, la plus grande école de danse contemporaine d'Afrique, dont les élèves sont âgés de 7 à 77 ans. Un lieu étonnant de paix et de création où viennent enseigner des chorégraphes et des professeurs du monde entier. C'est au bord de l'Atlantique, à 50 kilomètres de la capitale du Sénégal, que se trouve la plus grande école de danse contemporaine d'Afrique: deux salles de répétitions – le sol de l'une est en sable, celui de l'autre, en bois – et un ensemble de petits bungalows. L'ensemble constitue l'École des sables. Un lieu étonnant, tenu à bout de bras par Germaine Acogny. À LIRE AUSSI Germaine Acogny, un modèle noir en liberté Figure incontournable de la danse contemporaine mondiale, la chorégraphe a toujours gardé avec son Sénégal natal des liens forts et féconds. C'est grâce à elle qu'est né en 1977, sous l'impulsion de Maurice Béjart et du président Léopold Sédar Senghor, l'École Mudra Afrique, jumelle de l'école que le célèbre chorégraphe avait créée à Bruxelles. Visionnaire, Béjart rêvait que les nouvelles générations de danseurs suivent une formation non seulement pluridisciplinaire, mais intercontinentale. Germaine Acogny a réalisé ce rêve à sa manière, avec une école panafricaine. Si Mudra Afrique a dû fermer ses portes en 1983 pour des problèmes de financement, l'école aura exercé durant ses cinq années d'activité une influence colossale, à la mesure de l'aura de sa directrice. Et donné à la danse africaine et à ses interprètes un écho mondial. Les apparitions en scène de cette immense artiste à l'inépuisable énergie et au physique impressionnant – grande, cheveux ras – n'ont jamais cessé d'éblouir et sa renommée a imposé l'École Mudra Afrique. L'École des sables qu'elle a créée en 2004 en est le prolongement logique. Deux salles de répétitions Tout a commencé au début des années 1990, quand Germaine et son mari Helmut Vogt décidèrent «pour leur retraite» d'acquérir pour une somme minime un terrain d'un hectare à Toubab Dialaw, un petit village éloigné de tout, pour fonder leur propre école. Puis le couple prend la résolution de s'étendre, conscient que les terrains alentour seraient rapidement accaparés par la bourgeoisie dakaroise désireuse de s'écarter de cette métropole à la croissance fulgurante et aux embouteillages monstrueux. Ce sera d'abord une petite maison avec un bureau et des commodités, puis une salle de répétition ouverte sur la nature – le climat l'autorise… –, puis une deuxième et, au fil du temps, toute une série de bungalows pour les visiteurs. Un endroit idéal pour la création: les étudiants trouvent en ce lieu à la fois la simplicité et la discipline que la danse exige. Bien que destiné aux danseurs de toute l'Afrique, l'endroit ne tarde pas à recevoir des chorégraphes européens ou américains le temps d'une résidence. Ainsi la chorégraphe Josépha Madoki, plus connue sous le nom de «Princess Madoki», que l'on a vue au côté de Sidi Larbi Cherkaoui ou de Beyoncé. L'École des sables propose également un cursus scolaire pour les écoles primaires environnantes et un autre, à partir de mai pour les gens plus âgés, intitulé Formation Afrique Diaspora, avec l'aide financière du Goethe Institut. Comme la technique de Germaine, il mêlera danses contemporaines et rituelles. Un petit village de pêcheurs Cet eldorado semble pourtant bien mal considéré par les autorités sénégalaises. Léopold Sédar Senghor, premier président élu après l'accession à l'indépendance du Sénégal, et chrétien dans un pays à 95% musulman, savait l'importance de la culture pour un État naissant. Ses successeurs n'auront pas eu les mêmes préoccupations. L'école vit désormais, et parfois survit, de subsides internationaux que la pandémie a raréfiés. Mais rien qui puisse décourager Germaine Acogny. À 70 ans passés, elle continue de partager sa vie entre ses tournées et son école. Malgré les gages internationaux de reconnaissance – elle a été consacrée par le magazine Jeune Afrique comme l'une des 50 personnalités les plus influentes du continent et a reçu en 2021 le Lion d'or de la danse à la Biennale de Venise –, elle et son mari peinent à trouver les 200.000 euros dont l'école aurait besoin pour fonctionner à un rythme de croisière. Dans ce petit village de pêcheurs qui est aussi un lieu de bouillonnement culturel grâce à l'École et à un festival, sa popularité est impressionnante. Lors de ses promenades dans le village, on l'appelle «maman». Certains savent aussi que c'est grâce à elle que Youssou N'Dour a rencontré Peter Gabriel dont elle était le coach physique. Un moment décisif dans la carrière du chanteur, qui allait dès lors populariser dans le monde entier la variété sénégalaise, le mbalax. Une école unique en Afrique Dans le bus qui file depuis Dakar vers Toubab Dialaw, nous nous retrouvons avec 40 danseurs qui vont y suivre un cours. Ambiance garantie. À l'arrivée, nous accueillent Gana Thioune et Dieyna Ndoye, deux danseurs de l'École, originaires du village et devenus professeurs. Tous deux maîtrisent aussi bien les styles contemporains que la technique inventée par Germaine Acogny, fondée sur une énergie qui vient du centre du corps et qui allie danse contemporaine et gestuelle ancestrale. Les voir s'entraîner sur la plage du village est un éblouissement. Tous prennent modèle sur leur mentor qui, lors de ses séjours au Sénégal, fait chaque matin ses exercices sur cette même plage, près de l'École, les pieds dans les vagues de la mer, le visage face au ciel. Un rite s'apparentant à une incantation ou à une méditation. Dans le studio principal, en forme d'humble préau, il faut enlever ses chaussures pour en fouler le sable. Des dizaines de bambins sont là, sages comme des images, écoutant religieusement les indications de Dieyna, respectant à la lettre l'emplacement qu'elle leur assigne pour le cours. La leçon se déroule au rythme d'un ensemble de tam-tam. Contrairement à une idée reçue, la danse africaine n'est pas une improvisation erratique. Elle est structurée sur le rythme et la phrase musicale. Les enfants se mettent à compter les mesures avant de commencer tous ensemble leurs variations, s'autorisant parfois des libertés gestuelles presque acrobatiques, mariant leur inlassable énergie à celle de la musique. Le spectacle est touchant. Même la maîtresse des lieux, assise dans un coin de la salle, est amusée et émue par leur étonnante volonté, elle qui a pourtant donné tant de cours dans sa vie. En fin d'après-midi, Gana et Dieyna rejoignent leurs amis qui ont créé leur propre troupe pour une répétition, et s'apprêtent à partir en tournée dans le pays. Pour le Sénégal, comme pour la danse, ils brûlent de la même passion. Germaine Acogny les a bien formés. Légende photo : Germaine Acogny fondatrice de l'Ecole des sables
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February 10, 2022 7:39 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 10 février 2022 Légende photo : André Wilms, le 13 février 2012, au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. DIANE ARQUES POUR « LE MONDE » Rendu célèbre en 1988 par son rôle de père de famille dans « La vie est un long fleuve tranquille », d’Etienne Chatiliez, il était aussi un grand acteur de théâtre et le compagnon de route du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki. Il est mort, le 9 février, à l’âge de 74 ans. La vie n’était pas un long fleuve tranquille, pour André Wilms. Le comédien est mort mercredi 9 février, à Paris, à l’âge de 74 ans. Son rôle du père de la famille de bourgeois cathos, les Le Quesnoy, dans la comédie d’Etienne Chatiliez (1988), l’avait rendu célèbre aux yeux du grand public, mais André Wilms était bien plus que cela : un grand acteur de théâtre, et le compagnon de route du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki, frère de sang en matière de désenchantement burlesque. Il était, d’abord et avant tout, un voyageur intranquille, dans un monde dans lequel il ne se reconnaissait plus, où s’était perdu ce qui était pour lui l’essentiel : l’esprit révolutionnaire des années 1960, et l’art comme « organisateur du scandale », ainsi que le prônaient Bertolt Brecht et Heiner Müller. André Wilms ne cessait de fustiger le tropisme tristement petit bourgeois de notre époque, lui qui était né, le 29 avril 1947, de père inconnu dans une cité de Strasbourg, et dans une famille très éloignée de l’art. Lire aussi : André Wilms n’aime pas les fleuves tranquilles « Il vient de là, de l’Alsace, cet amour du désordre qui est le mien. Tous ces géraniums aux balcons, mon dieu… », disait-il avec cet humour pince-sans-rire qui était le sien. Du jeune homme détenteur d’un CAP de stucateur au dandy punk en blouson de cuir noir que l’on pouvait croiser dans certaines soirées parisiennes, il y a tout un parcours, qui passe par la découverte du théâtre, au début des années 1970. Pudeur et autodérision André Wilms y est d’abord machiniste et figurant, tout en militant aux côtés des maoïstes de la Gauche prolétarienne, avant de croiser la route de l’immense metteur en scène Klaus Michael Grüber, qui travaille en poète, et encourage chez le jeune comédien le sens de la distance, de la pudeur, de l’autodérision et de l’ironie légère. « Grüber nous demandait souvent : pourquoi vous tartinez vos sentiments sur les mots ? », se souvenait l’acteur, des années plus tard. Avec lui, il joue dans une version du Faust de Goethe aujourd’hui entrée dans l’histoire, Faust-Salpêtrière, puis dans La Mort de Danton, de Büchner, où il incarne Robespierre, et dans Le Pôle, de Vladimir Nabokov. Ces années-là (1975-1983) sont aussi celles où Jean-Pierre Vincent prend la direction du Théâtre national de Strasbourg, et en fait la maison de théâtre la plus créative et excitante du moment. André Wilms est de l’aventure, et noue un autre compagnonnage avec le metteur en scène André Engel, avec lequel il joue dans des spectacles inscrits eux aussi dans la légende du théâtre français : Baal, de Brecht ; En attendant Godot, de Beckett ; Hôtel moderne, d’après Kafka ; La Nuit des chasseurs, d’après le Woyzeck de Büchner… Sans compter les créations de Jean-Pierre Vincent lui-même, de Violences à Vichy aux Dernières nouvelles de la peste. André Wilms, comédien : « J’étais plutôt fasciné par Pina Bausch ou par le Frank Castorf de l’époque, qui ouvrait la Volksbühne de Berlin aux SDF. Je trouvais la scène française archi-plan-plan, je me demandais pourquoi il n’y avait pas de punks » Ensuite, au début des années 1990, il a rencontré le musicien et metteur en scène Heiner Goebbels, avec qui il a tracé une route singulière, au fil de trois spectacles qui n’ont cessé de tourner de par le monde : Ou bien le débarquement désastreux (1993), Max Black (1998) et Eraritjaritjaka (2004), mot qui, en dialecte aborigène d’Australie, veut dire « animé du désir d’une chose qui s’est perdue ». « Quand j’ai rencontré Heiner Goebbels, j’en avais assez du théâtre, du théâtre dialogué en tout cas, racontait André Wilms dans un entretien en 2012. C’était la période qui suivait la chute du Mur, je vivais entre Paris et Berlin, et j’étais plutôt fasciné par Pina Bausch ou par le Frank Castorf de l’époque, qui ouvrait la Volksbühne de Berlin aux SDF. Je trouvais la scène française archi-plan-plan, je me demandais pourquoi il n’y avait pas de punks au théâtre. J’ai rencontré Goebbels grâce à Heiner Müller, qui disait que “quand le théâtre perd de son mordant, les dentistes sont dans la salle”. » La nouvelle forme de théâtre musical inventée par le compositeur allemand, venu du rock alternatif et du free-jazz, a particulièrement bien convenu à l’acteur Wilms, qui fuyait « la soupe psychologique » comme la peste. « Ce qui m’a toujours rendu malade au théâtre, c’est l’absence de technique objective pour l’acteur. Quand un musicien joue faux, on l’entend immédiatement. Mais sur le théâtre pèse toujours cette épouvantable tendance à “ouvrir le tiroir à sentiments” dont parlait Grüber. Avec Goebbels, je travaille le texte comme une partition. » Présence minérale Toujours au début des années 1990 a lieu l’autre rencontre majeure, avec Aki Kaurismäki. Lors de leur premier rendez-vous, le cinéaste lui dit : « Vous avez un grand nez, c’est bien pour fumer sous la douche. » Les deux hommes s’adoptent immédiatement, et Wilms sera l’inoubliable interprète de La Vie de bohème (1992), Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse (1994), Juha (1999) et Le Havre (2011). Le cinéma français lui offre également de nombreux rôles, chez Etienne Chatiliez toujours (Tatie Danielle en 1990, Tanguy en 2001, La confiance règne en 2004), Claude Chabrol (L’Enfer, 1994), François Ozon (Ricky, 2009) et récemment chez Phillipe Garrel (Le Sel des larmes, 2020) dans lequel il interprète avec une tendresse bouleversante le père du héros du film. André Wilms, acteur : « L’idéal, c’est l’opacité de Robert Mitchum, ou la simplicité magistrale de Buster Keaton » Au fil de ces personnages portant sur eux, avec une noblesse et une tendresse infinies, le sentiment de la défaite, ou celui de l’abandon d’une certaine culture européenne, André Wilms a encore gagné en densité, en présence minérale. « Cette fameuse présence, cette “aura” dont parlait Walter Benjamin est toujours un mystère, constatait-il. Comment expliquer que, sur un plateau, il y a des gens avec qui il se passe quelque chose, même s’ils sont mauvais, et d’autres avec qui il ne se passe rien ? Un bon exemple, c’est Jean-Pierre Léaud : on ne peut pas jouer plus faux, et plus juste à la fois. Pour moi, travailler cette “présence” consiste surtout à faire la chasse aux clichés. L’idéal, c’est l’opacité de Robert Mitchum, ou la simplicité magistrale de Buster Keaton. » Ce sentiment de la défaite, le comédien le partageait largement, qui affirmait : « Tout ce à quoi a cru ma génération révolutionnaire s’est effondré. Nous avons perdu, sur toute la ligne. » « Je crois que cette perte de l’utopie s’inscrit sur mon visage », ajoutait-il. Il l’aura incarnée sans jamais en rabattre sur l’humour, l’esprit vif et mordant, avec une élégance incomparable. André Wilms en quelques dates 29 avril 1947 Naissance à Strasbourg 1975 « Faust-Salpêtrière », par Klaus Michael Grüber, et « Baal », par André Engel 1988 « La vie est un long fleuve tranquille », d’Etienne Chatiliez 2004 « Eraritjaritjaka », par Heiner Goebbels 2011 « Le Havre », d’Aki Kaurismäki 2020 « Le Sel des larmes », de Philippe Garrel 9 février 2022 Mort à Paris
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February 10, 2022 9:30 AM
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Propos recueillis par Sandra Onana dans Libération - 8 février 2022 Légende photo : L'acteur Swann Arlaud, chez lui à Paris, le 4 février. (Audoin Desforges/Libération) L’acteur, qui incarne le dernier amour de Marguerite Duras dans «Vous ne désirez que moi» de Claire Simon, revient sur ce tournage particulier, à base de très longs plans-séquences et de dessins érotiques. Les durassiens ou bouquineurs avertis savent par cœur que Marguerite Duras a partagé les seize dernières années de sa vie avec un certain Yann Lemée, rebaptisé par elle Yann Andréa, écrivain de trente-huit ans son cadet. Amoureux de l’œuvre, il avait entamé une relation épistolaire avec elle à 22 ans, qui se mua en amour passionnel six ans plus tard malgré son homosexualité. Cette relation extrême qui trouve son origine dans l’idolâtrie, il l’a décrite en 1982 dans une interview en deux parties menée par son amie journaliste Michèle Manceaux, publiée en 2016 sous le titre Je voudrais parler de Duras. Dans l’adaptation qu’en fait Claire Simon, Swann Arlaud fait un Yann Andréa superbe, à faire rêver tout comédien de se voir confier pareil texte un jour. Libération l’a rencontré chez lui, dans le Xe arrondissement de Paris. Après avoir vu le film, on se demande quel effet ça fait, d’avoir vécu une passion avec Duras… Oh, je ne l’ai pas vécu comme ça. J’ai complètement évacué les personnages en fait, sinon ce n’était pas possible… Déjà, je me sentais trop loin de Yann Andréa. Je n’allais pas poursuivre une performance de travestissement qui à mon avis aurait été ridicule. Claire [Simon] m’avait dit : «Ce que je veux, c’est un acteur d’aujourd’hui pour dire ce texte avec sincérité.» Ce n’était pas si compliqué en fait, je ne voyais pas Duras quand je tournais. Je me disais : «Je vais parler d’absolu, de passion, de mort», des choses universelles. Je me voyais tout à fait être en dessous, le soumis. Quand Michèle Manceaux parle de «soumission» à Yann Andréa, il répond d’ailleurs que c’est une «acceptation», je trouve ça très beau. Je me retrouvais d’une certaine manière en lui et en elle. On est tous un peu bourreau, un peu victime. Ça n’engageait pas votre pudeur, d’être dessiné dans des postures sexuelles avec elle ? Personne ne m’en avait vraiment parlé, ou alors j’avais pas compris ! Judith Fraggi a fait les dessins, et je crois que Claire n’était pas satisfaite des premiers. Elle m’appelle un jour en disant : «Est-ce que tu pourrais faire des photos de toi un peu nu, dans des positions ?» J’étais en week-end chez ma mère… Alors j’en ai fait quelques-unes (il montre son buste), elle voulait un peu de musculature mais ça, je ne voyais pas où on allait la trouver. Le fait qu’il s’agisse de dessins, dans le film, fait se sentir complètement protégé, surtout qu’ils sont très beaux et poétiques. Quand on voit un sexe en érection, je ne me dis pas que c’est le mien. Claire Simon voulait qu’il y ait du sexe, quoi, elle disait : «Il faut qu’on voie quelque chose.» Mais les codes de la pornographie, où on a des bouts de chair isolés sans visages, elle ne voulait pas de ça. Et hors de question d’aller vraiment donner chair à ces deux corps parce que là, ça devenait compliqué… Vous vous souveniez d’avoir croisé Marguerite Duras, enfant ? Mon beau-père, qui était chef opérateur, était assez proche d’elle, oui, donc j’ai des souvenirs de cette maison. Elle était plus âgée que dans le film. Je suis né en 1981… C’était une figure qui faisait partie des amis de mes parents, il n’y avait rien de sacré là-dedans pour un enfant. Elle faisait à manger, refusait de faire raccorder son piano parce que ça coûtait trop cher, mais jouait quand même dessus. Il y avait bien quelque chose d’imposant mais c’est plus tard, en la lisant à 20 ans, que j’ai compris que c’était une sorte de monument. Quelle liberté aviez-vous pour vous approprier le texte ? Ni Claire ni moi n’avons voulu écouter les enregistrements. Elle a adapté le bouquin avec quelques coupes, et moi, n’ayant lu que le scénario, j’avais tout pour me l’approprier. Je n’avais pas sa voix à lui, sa musique à lui. Il y a une grande liberté en vérité, même s’il y avait tout un travail à faire sur le phrasé assez littéraire, cette syntaxe un peu complexe. C’est vraiment ce mouvement de la pensée qui cherche à nommer petit à petit, c’est important de savoir où chaque phrase va atterrir. Vous portiez, paraît-il, une oreillette. Je n’avais pas très envie, mais je n’avais pas le choix, il me manquait trop de temps pour apprendre. C’est une autre manière de travailler. Parfois, aux avant-premières, la première question que les gens posent est : «Comment vous apprenez tout ça ?» C’est vraiment pas intéressant, en fait, la question de la mémoire. Savoir son texte c’est la base, on met ses chaussures et ensuite, il faut marcher. Par contre, une fois qu’on n’a plus à s’inquiéter de s’être planté, c’est une liberté extraordinaire. Comme il y a deux entretiens, on a fait des prises avec deux plans-séquence de quarante-cinq minutes. C’est une temporalité qui n’existe pas normalement sur les tournages. Là, on a tout l’arc émotif que Yann Andréa traverse dans une durée réelle. Comment Claire Simon dirigeait-elle ? A l’intérieur des plans séquences, c’est difficile. On a tourné pendant une semaine, elle est partie en montage. Puis elle est revenue et m’a dit : «Ecoute, c’est pas ça en fait ! Il est malade, il a fait une tentative de suicide, il va pas bien du tout.» Il fallait que j’aille chercher dans le ventre, un peu comme si le type avait des mots dedans qu’il devait absolument sortir. Et c’est super en fait, on a rarement l’occasion au cinéma de tout refaire en entier. Vous jouez souvent des gens qu’on a envie de sauver. Peut-être qu’on vient me chercher pour des trucs un peu tragiques… Il y a certainement une rencontre entre des rôles et un physique. Je crois que je suis beaucoup plus léger et moins fragile dans la vie. Je me vis comme un mec hyper fort. Plus fort de rôle en rôle ? Je serais bien mal placé pour le dire. En tout cas, depuis Petit Paysan, j’accède à des rôles qui donnent quelque chose d’hyper intense à jouer. Je ne sais pas si c’est vraiment moi qui prends de l’épaisseur. On grandit tous, mais on peut aussi voler dans le mauvais sens.
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February 9, 2022 12:10 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde 9 février 2022 Les artistes complices présentent en diptyque leurs spectacles « La Dimension d’après » et « Le Périmètre de Denver ». « Le Périmètre de Denver », de et avec Vimala Pons. MAKOTO CHILL ÔKUBO « Voilà. C’est la fin de ce que je peux proposer aujourd’hui », glisse Tsirihaka Harrivel en conclusion de La Dimension d’après, à l’affiche, vendredi 14 janvier, du Théâtre d’Orléans. Comme si, en écho à ce solo magnétique, il n’avait rien offert, ou si peu, et s’excusait presque de nous avoir donné rendez-vous. Et on a le ventre qui se serre devant le constat modeste d’un artiste embarqué dans une entreprise de reconstruction de soi qui n’est pas près de se terminer. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’art de la chute selon l’acrobate Tsirihaka Harrivel La Dimension d’après vient après une chute de huit mètres de haut, survenue le 4 octobre 2017, pendant Grande –, qu’il interprétait avec sa complice Vimala Pons. Son nouveau spectacle élargit la faille spatiotemporelle de cette vingt-huitième minute de l’accident, en rembobinant la machine physique et psychologique du choc, de la perplexité, de la peur, qu’il partage dans un journal intime spectaculaire. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel, un divin duo d’équilibristes Incrusté au sein d’un bloc blanc compact de machines en tous genres, l’homme-orchestre qu’est Harrivel parle au micro, active la musique et la vidéo, balance les accessoires et jaillit régulièrement telle une bille de son trou pour trouver l’issue de secours à son malaise. Il fait corps dans un grand tout vibrant et fébrile, dans une partition entièrement composée par lui, dont la minutie est sans cesse contrebalancée par sa tension profonde. Seize kilos d’habits La Dimension d’après est la face A de la production bicéphale des deux inséparables Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons. La gravité qui nervure ce spectacle auréole aussi celui de sa complice, Le Périmètre de Denver. Une face B dont le titre évoque en psychologie l’espace créé par le mensonge. Vimala Pons s’offre ici un grand plateau et une vitrine hétéroclite pour un solo niché entre une colonne grecque, un escalier sur pilotis, une sculpture de cartons… Et comme perdu au milieu, ce qui ressemble à un énorme paquet de femme est posé sur une chaise. Qui est-elle ? Comment va-t-elle se relever de ce qui ressemble à un affaissement irrémédiable, une prostration sans solution ? Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Vimala Pons, comédienne et artiste de cirque, « Je porte les objets mais ils me portent aussi » Pendant quelques secondes avant le début de la pièce, le regard virevolte. On cherche la brune et brûlante Vimala Pons désespérément, avant de buter sur cette masse blonde abandonnée. Et c’est elle évidemment, méconnaissable, qui va bientôt surgir pour se livrer à ce fabuleux numéro dont elle est devenue la star : un strip-tease de vingt minutes mené tambour battant et en causant fort, avec sept énormes cailloux sur le crâne et seize kilos d’habits. Cette prouesse irrésistible n’est que la première d’une série abattue pendant une heure trente par Vimala Pons. Seule en scène au milieu d’une galerie de personnages dont un hydrothérapeute canin et un agent de sécurité, encerclée de potentiels meurtriers, faux cadavres et autres fantômes, elle mène une enquête policière insoluble. On finira par se perdre dans les indices et reconstitutions, les jeux de rôles endossés par l’artiste, mais peu importe tant l’intense bizarrerie de la pièce nous entraîne dans le tunnel de son délire logique. Kaléidoscope d’identités Ça fait quoi d’habiter le corps des autres ? C’est la question que semble s’être posée Vimala Pons en imaginant Le Périmètre de Denver. Avant d’incarner les nombreux comparses du spectacle, elle décrit une démarche, une corpulence, qu’elle incorpore à grand renfort de couches de vêtements, de cagoules en latex, de faux culs… Homme ou femme, avec l’accent allemand ou italien, elle opère une transformation maximale sur le fil d’une performance théâtrale époustouflante. Jusqu’à sa voix trafiquée en direct qui surfe sur les états d’âme d’une humanité décousue. Une vérité se love sous le mensonge : l’enveloppe vide qu’est le moi La comédienne de cirque, dont on reconnaît le jeu de jambes somptueusement bancal sous les montagnes de fringues, émerge de cette succession de métamorphoses de plus en plus fluette, réduite à un porte-manteau. Elle étend Le Périmètre de Denver à sa propre personne pour devenir un avatar d’elle-même dans ce kaléidoscope d’identités toutes plus étranges les unes que les autres. Volonté de disparition programmée dans cette nuée de travestissements qui la dévore ? Vimala Pons joue sa peau mais choisit de s’évanouir. Une vérité se love sous le mensonge : l’enveloppe vide qu’est le moi. Dans ce contexte, le strip-tease, dont Vimala Pons a depuis longtemps liquidé les clichés en riant dans Grande –, prend une valeur existentielle augmentée. Mise à sac de postiches, de prothèses et membranes, l’effeuillage, parfois plus proche d’un arrachage, rappelle que le corps est aussi un costume et un déguisement et que la nudité n’a rien à voir avec être à poil. Lire aussi Festival Spring 2019 : Vimala Pons ou l’art des situations bancales Plus que jamais, Vimala Pons s’offre une épreuve de force. Ne reste d’elle, et c’est énorme, qu’une ligne de nerfs circulant sur scène, s’amusant à générer des courts-circuits en chantant. Artificière frénétique, elle soutient le monde au gré d’une implacable relation à elle-même, ses limites physiques et mentales, son genre. Si le procédé s’use un peu au long du spectacle, cet éreintement par l’exploit entraîne une observation passionnée, une sidération émue et une seule envie : repartir sur les traces de Vimala Pons. La Dimension d’après, de Tsirihaka Harrivel. Au Centquatre, Paris 19e. Du 11 au 20 février. Le Périmètre de Denver, de Vimala Pons. Au Centre Pompidou, Paris 4e. Du 10 au 12 février. Puis, au Centquatre, Paris 19e, du 16 au 26 février. Rosita Boisseau(Orléans)
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February 18, 2022 2:52 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 18 février 2022 Jean Zay, l’homme complet, d’après « Souvenirs et solitude » de Jean Zay, adaptation, jeu de Xavier Béja, mise en scène de Michel Cochet. Vidéo Dominique Aru, lumières Charlie Thicot, création sonore Alvaro Bello, collaboration artistique Sylvie Gravagna et Philippe Varache. « Au côté d’hommes, comme Pierre Cot ou Pierre Mendès France, Jean Zay (1904-1944) appartient aux rangs de l’aile gauche des Jeunes radicaux qui veulent rénover le programme de leur parti pour l’adapter à la situation nouvelle issue de la Première Guerre. Il participe dès 1931 aux congrès nationaux du Parti radical et y apparaît comme une des étoiles montantes du parti. Nommé par Léon Blum, en juin 1936, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du premier gouvernement de Front populaire, il conserve ce poste sous les divers gouvernements qui se succèdent jusqu’en 1939. Homme de gauche, il réforme le système d’enseignement avec la volonté de corriger les inégalités d’origine sociale et en établissant la sélection par le mérite. Il prolonge la scolarité obligatoire de treize à quatorze ans, limite à trente-cinq le nombre d’élèves par classe, rend l’éducation physique obligatoire, généralise la médecine préventive pour les étudiants et crée un Comité supérieur des œuvres sociales en faveur des étudiants. L’École Nationale d’Administration ne verra le jour qu’après la guerre ; il est aussi l’initiateur du Centre National de la Recherche Scientifique. Ministre des Beaux-Arts, il donne l’impulsion à la création du Musée d’Art moderne et du Musée national des Arts et Traditions populaires, et dépose un projet de statut du cinéma français et prépare pour septembre 1939 le premier festival de Cannes. Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Jean Zay donne sa démission du gouvernement pour remplir ses obligations militaires. Hostile à l’armistice qui se profile, il s’embarque sur le Massilia le 21 juin 1940 avec vingt-six parlementaires pour continuer en Afrique française le combat contre l’Allemagne nazie. Arrêté au Maroc par le résident général Charles Noguès, sur ordre du gouvernement Pétain, il est transféré en France et traduit devant un conseil de guerre qui le condamne à la détention à perpétuité pour « abandon de poste et désertion devant l’ennemi » ! Incarcéré à Clermont-Ferrand, puis à Marseille, avant la prison de Riom, il rédige un journal de captivité Souvenirs et solitude – réflexions et souvenirs sur sa vie politique. C’est à Riom que les miliciens viennent l’enlever le 20 juin 1944 pour l’assassiner dans un bois près de Cusset (Allier). Son corps ne sera retrouvé qu’en septembre 1946. » (Serge Berstein, Encyclopedia Universalis) Jean Zay, l’homme complet, création de la Compagnie Théâtre en Fusion, invite à ce que résonne sur la scène la dimension existentielle de l’homme pris dans la tourmente de l’Histoire, en même temps que celle, visionnaire et pragmatique de la sagesse, de l’humanité et de la clairvoyance d’un être d’exception au destin tragique, et aussi le voyage d’une conscience entre présent et passé. Un mouvement qui se re-crée sur la scène entre le personnage et le public, d’une époque à l’autre. Le protagoniste tente de rester au « complet » – joie, colère et humour. Pour le metteur en scène Michel Cochet, ce récit de captivité témoigne de la conscience exemplaire d’un des bâtisseurs méconnus du Front Populaire, fervent démocrate à qui l’on doit nombre d’institutions, l’éducation populaire, l’éducation physique et la leçon de choses hors les murs scolaires, sur le terrain. Jean Zay incarne ce que Vichy déteste : le Front Populaire, les Juifs, la Franc-maçonnerie, la République radicale, l’enseignement public, la résistance à Hitler. Le spectacle solo de Michel Cochet par Xavier Béja offre le combat d’un homme luttant contre son anéantissement moral. « Souvenirs et solitude » : le journal de captivité En prison, il tient un journal durant le temps de sa captivité. En dépit de la dureté de ses conditions de détention, il consacre l’essentiel de ses forces à cet ouvrage qu’il comptait publier plus tard. Chronique du quotidien d’un captif – regard sur son action passée et sur la France de l’époque. A la fois politique, résistant, écrivain et penseur, le « héros »est incarné par Xavier Béja – réserve et exaltation -, selon une réflexion en mouvement qui transcende le doute ou le désespoir, animée par des convictions humanistes – valeurs citoyennes, intérêt public, courage et compassion. L’acteur figure avec brio cette élégante présence au monde : solitude, optimisme, force de vie. Il se sent vivre dans son manteau qui le protège du désastre du froid et de l’isolement ou bien dans son costume complet, assis à une petite table pour écrire, ou faisant encore les cent pas dans sa cellule et la petite cour attenante qui lui sert de jardin; il s’évertue à y faire pousser plantes et fleurs, en bêchant un petit carré de terre que surplombe la lumière du ciel étoilé ou celle du soleil. Une fois, il a eu l’accès, du regard, à la petite place, face à la Maison d’Arrêt de Riom, il a vu les habitants de la bourgade animée, petite foule colorée et vive qu’il n’avait pu observer depuis un an. Des images s’invitent sur le petit écran de drap blanc et la vidéo de Dominique Aru : archives, relevant d’une part, du contexte historique – cartes postales, affiches de films, Festival de Cannes, Front populaire, sorties scolaires, colonies de vacances et d’autre part, extraits d’actualités du temps, avec accélération ou ralenti au rythme de la composition musicale originale d’Alvaro Bello. L’interprétation éclaire un espace mental poétique, la fenêtre imaginaire d’une prison, échappée par la mémoire – images de campagne ensoleillée, de nature lumineuse et d’oiseaux, d’énergie et de mélancolie, où est pressenti encore un destin funèbre, mer brumeuse et bouillons de vagues. En attendant, Xavier Béja, silhouette longiligne, compose avec sincérité un héros de notre temps. Du 17 au 19 février 2022 à 19h30, Anis Gras – Le lieu de l’Autre, 55, avenue Laplace- 94110 –Arcueil. Du 7 au 30 juillet 2022 à 11h30, Le Théâtre des Vents. (Festival off d’Avignon). Du 30 septembre au 24 octobre 2022, Le Théâtre Le Local – Paris 75020. Du 24 au 26 novembre 2022 (+ représentation scolaire le 25 novembre à 14h30) Anis Gras – Le lieu de l’Autre, 55, avenue Laplace- 94110 – Arcueil.
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February 18, 2022 11:31 AM
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par Gilles Renault dans Libération - 18 février 2022 Légende photo : «Un siècle, vie et mort de Galia Libertad» de Carole Thibaut. (heloise faure/CDN Montluçon) Fruit de quatre années d’enquêtes, la nouvelle création de Carole Thibaut explore l’écho de l’histoire dans la vie des trois générations d’une famille de l’Allier. Directrice depuis 2016 du théâtre des Ilets-centre dramatique national (CDN) de Montluçon (Allier), et figurant parmi les six candidats (avec Stanislas Nordey, Marcial Di Fonzo Bo…) à la succession de Macha Makeïeff à la tête de la Criée, à Marseille, Carole Thibaut n’est pas la moitié d’une quiche. Du reste, on recueille souvent son point de vue, avisé et sans concession, dès l’instant qu’un débat agite le secteur. Mais la fondatrice de la compagnie Sambre, en 1994, n’a pas toujours convaincu en tant qu’autrice et metteuse en scène. Ce qui rend son Un siècle. Vie et mort de Galia Libertad d’autant plus providentiel. On pourrait planter le décor en entonnant l’air de la Mamma («Ils sont venus /Ils sont tous là…»). Au détail essentiel près que l’aïeule autour de laquelle s’affairent enfants, petits-enfants et pièces rapportées a passé toute son existence aux antipodes du pittoresque rital, à Montluçon précisément. Une ville pas tout à fait réputée pour son glamour – comme en conviennent avec une salutaire dose d’autodérision les protagonistes du cru –, puisque à la fois au centre de la France et au milieu de nulle part, et pourtant d’une richesse insoupçonnée, dès l’instant, comme l’a fait Carole Thibaut à travers quatre années d’enquêtes et de rencontres, qu’on prend la peine de sonder son passé, observé sous toutes les facettes, à la fois historique, sociale, économique et politique. Figure élégiaque Aussi, l’affaire prend-elle un tout autre tour, inopinément engageant, qui suit les méandres d’une roture épique, où la profondeur des liens familiaux et amoureux doit fatalement composer, au fil du temps, avec les non-dits, les griefs, ou juste la difficulté du dialogue intergénérationnel. Une fresque intime, mais crépitante, en somme, qui convoque en toile de fond la pionnière du militantisme féminin, Hubertine Auclert, le souvenir mythique des combattants anarchistes de la colonne Durruti, l’évocation de la déportation de juifs étrangers raflés en 1942 en zone libre, ou des images d’archives (qui gagneraient à avoir une meilleure définition) retraçant le passé industriel, prospère puis déchu, d’une «petite ville bourgeoise» qui dut faire appel à plusieurs «vagues d’immigration successives». Le tout entrecoupé d’un vrai-faux entracte, ponctué d’airs de Kraftwerk, Bronski Beat ou Dalida, et d’une dégustation offerte de produits régionaux (Saint-pourçain…). En clair, quand l’Allier débarque, ça déménage. Avec, au beau milieu de ce microcosme provincial, estimable et faillible, réuni sous une grosse branche d’arbre, la figure élégiaque de cette vieille femme (Monique Brun, à l’unisson d’une troupe pleine d’allant) posée sur son fauteuil comme sur un trône, qui, même à l’heure plusieurs fois différée du dernier souffle, semble n’avoir jamais fini d’en découdre («Elle rit fort, tire sur son cigarillo et dis “je vous emmerde”»). «En tant que tel, ça n’est pas le côté documentaire qui m’intéresse et je me fous du “folklore” local, précisera Carole Thibaut, dans un bord de scène éclairant. Car j’ai plutôt souhaité regarder ici comment l’histoire nous traverse tous et influence les destinées. De même qu’il m’a paru intéressant de chercher à savoir jusqu’où le réel pouvait entrer en collision avec la fiction, à partir de personnages inventés, en mêlant étroitement l’un et l’autre. De voir jusqu’où on peut faire récit de ce réel dans un théâtre, au cœur d’une société de l’image qui écrase tout désormais si fort.» Ilets des nôtres. Un siècle. Vie et mort de Galia Libertad de Carole Thibaut, au théâtre de la Cité internationale (75014) jusqu’au 26 février, puis les 27 et 28 avril à Bourges.
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2022 7:28 AM
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Par Thierry Geffrotin dans Concertclassic.com - 15 février 2022 Photo © Vincent Pontet / coll. Comédie-Française « D’où rayonne la nuit » : c’est un oxymore emprunté aux Contemplations de Victor Hugo qui donne son titre au spectacle musical proposé par la Comédie Française dans le cadre du 400e anniversaire de la naissance de Molière. A l’origine, il y a le toujours créatif Eric Ruf, l'administrateur général du Français, qui en a soufflé l’idée à Yoann Gasiorowski, pensionnaire de l’illustre maison depuis 2018. Plutôt que d’évoquer les musiques qui ont influencé Molière dans sa jeunesse ou pendant ses années en province avec L’Illustre Théâtre, le choix a été fait de mettre en lumière les relations artistiques entre Molière et Lully. Une décennie de collaboration prolifique, surprenante et méconnue qui s’est concrétisée par la création de onze spectacles. En une heure, « D’où rayonne la nuit » raconte avec beaucoup d’humour et un brin de pédagogie, ce compagnonnage entre les deux Baptiste qui commence dans la complicité et s’achève dans la rivalité. A l’image de L’impromptu de Versailles, le spectacle nous fait vivre la répétition d’une troupe qui prépare dans l’urgence une comédie-ballet. Du théâtre donc, illustré par beaucoup de musique : Lully évidemment, mais aussi Charpentier et Lambert. « Notre ambition, explique Yoann Gasiorowski (qui a travaillé avec Vincent Leterme pour la partie musicale) dont c’est la première mise en scène, c’est aussi que la Troupe chante des chansons du répertoire baroque. » Six comédiens jouent à la fois leur propre rôle et les membres de la troupe de Molière, passant allègrement du XVIIe siècle à nos jours. Lully est là aussi, ainsi que deux musiciens, un théorbe/guitare et une basse de violon (remarquables !). Les comédiens ne prétendent pas avoir le métier ou la voix des chanteurs professionnels, mais plusieurs moments du spectacle sont particulièrement réussis, notamment l’air extrait de Monsieur de Pourceaugnac interprété avec beaucoup d’émotion par Elsa Lepoivre et le chœur des Trembleurs d’Isis, tableau frigorifié digne de la commedia dell’arte. Le spectacle fourmille d’anachronismes réjouissants et de nombreuses explications sont habilement amenées pour qui n’entend rien à ce drôle d’instrument qu’est le théorbe, sur les Vingt-quatre Violons du Roi, sur l’importance de la danse (irrésistible Serge Bagdassarian – photo à gauche – en Pierre Beauchamp) ou sur l’organisation des spectacles à la cour de Louis XIV. Ajoutez des costumes qui n’en sont pas – les comédiens sont en tenue décontractée du XXIe siècle – un détour par Chambord où fut créé Le Bourgeois Gentilhomme et où s’organise une fête d’un autre style musical trois-cent-cinquante ans plus tard et vous obtenez un spectacle qui aurait réjoui Molière et qui fait tomber la perruque de Lully. Grâce à la troupe de la Comédie Française, le musicien du Grand Siècle par excellence se révèle facétieux, aimant la fête et très humain. Thierry Geffrotin « D’où rayonne la nuit », Molière-Lully, Impromptu musical de Yoann Gasiorowski. Comédie-Française (Studio-Théâtre), 11 février ; jusqu'au 6 mars 2022 // www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/dou-rayonne-la-nuit Photo: Serge Bagdassarian, Birane Ba, Elsa Lepoivre, Claïna Clavaron, Elissa Alloula © Vincent Pontet / coll. Comédie-Française
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February 16, 2022 6:48 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 16 février 2022 Crédit photo : Nicolas Joubard
Fiction Friction, conception, scénographie et mise en scène de Phia Ménard. Avec les acteurs issus de la promotion 10 de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne.
Musique de Valentin Clabault et Maxime Crochard, lumières de Manon Pesquet (TNB), son de Vincent Buret (TNB), costumes de Myriam Rault (TNB). Avec les acteurs Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémi, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Maxime Thébault, Lucas Van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka.
Jongleuse et danseuse contemporaine, performeuse qui force l’admiration tant son accomplissement est patient, Phia Ménard crée avec la promotion sortante de l’Ecole du TNB la performance d’une sculpture vivante d’êtres liés entre eux, au-delà des couleurs de peau, des sexes, des âges, des origines. Elle intervient en artiste associée au TNB et présidente de l’Ecole.
Le titre du spectacle Fiction Friction est un hommage dédié au romancier, photographe et plasticien Edouard Levé, disparu en 2007, pour son ouvrage Fictions (Editions P.O.L.), afin de « faire friction de sa fiction », dit Phia Ménard. De plus, le lieu imparti à une première version du spectacle en 2020 était l’espace exigu de la salle Paradis située au dernier étage du TNB, soit l’occasion de frictions et frottements, ne serait-ce que physiques, pour les vingt interprètes réunis, mais aussi spirituels, dirait-on, si l’on évoque les heurts, désaccords et accrochages possibles.
Or, la promotion 10 de l’Ecole du TNB joue un jeu manifestement émancipé, sans nulle réserve, même si « la génération qui suit, consciente des blessures qui résultent de la violence patriarcale ou politique, se met en position de retrait plutôt que de combat…Cette génération-là n’est pas en forme. Elle va devoir apprendre à se lâcher, à abandonner ses repères, à cesser de penser que le moyen de ne pas blesser les autres, c’est d’être dans le contrôle », confie Phia Ménard.
L’enjeu est de conduire les jeunes gens à s’interroger sur la question de la désillusion ou du mensonge, sachant que ce Paradis ne représente ni la clarté ni l’illumination mais la noirceur.
Un spectacle en forme de manifeste d’une jeunesse pour la ré-appropriation même de l’espace.
Un espace prédisposé à évoquer l’art pariétal – premier art dont nous ayons gardé la trace, les premiers dessins ont été découverts comme autant de témoignages et traces d’une époque révolue. Ces dessins désignent un langage, qui, accomplis sur le plateau par les interprètes, leur permettent d’intervenir sur ceux des autres dans les mouvements, gestes et déplacements.
La figure de l’ensemble et de l’assemblage est à l’honneur- symbole pédagogique de réalité civique et citoyenne – la qualité d’un tout dont les parties seraient harmonieusement unies – un équilibre atteint et une juste proportion des éléments, une belle cohésion dans la composition.
Autre enjeu non négligeable pour la conceptrice : faire en sorte que les jeunes gens se ré-approprient leur corps, afin qu’ils en jouent ou jouent avec lui, et ne s’en défendent plus ni ne s’en méfient en cette pandémie : « être » et retrouver un corps qui soit seul et avec les autres.
Renaître à son existence et se ressaisir, à travers un éveil sensible à son propre corps sensitif et à celui de l’autre, ce qui provoque aussitôt une relation, une émotion – manière de trouver sa place, non plus via la parole proférée mais les contours et les lignes dessinées. Le théâtre n’advient d’abord que quand la partition se joue collectivement depuis les corps en présence, face au public.
L’expérience du groupe convoque l’amitié, l’amour et le conflit, qu’on éprouve tout en sachant garder une distance et un recul pour éviter en échange de se perdre dans un lien trop aliénant.
Étrangement, on se croirait dans les antres sombres de la terre, non loin des égouts peut-être, quand on voit un premier personnage surgir d’une bouche souterraine à la plaque de fonte levée. Portant une couverture de survie – feuille de papier d’aluminium doré collée sur la tête et le haut du corps, ce drôle de « fantôme » s’applique à mettre en valeur les issues de secours lumineuses, à jardin la signalisation « Friction », et à cour « Fiction » ou inversement: préparation psychologique.
Rideau tiré, le noir s’installe, salle et scène, sous les vagues puissantes d’une musique entêtante. Et sous le bruit significatif des feuilles d’aluminium, des mouvements affairés se laissent deviner, qui ménagent en même temps la qualité précautionneuse d’un silence : aussitôt apparaît sur le plateau, aux yeux du public, un groupe anonyme de jeunes gens portant même vêture dorée.
Un groupe sculpté, un ensemble harmonieux et comme encore aggloméré et non séparé : les individus font corps, agglutinés entre eux et ne vivant que les uns en fonction des autres. Puis, ils s’écartent et s’isolent, se dévêtant de leur couverture de survie pour la plier et la rouler sur le sol.
Portant tous un jean et un sweat coloré à capuche, les acteurs sont à découvert, divers et semblables, se mouvant sur un plateau restreint dans une attention mutuelle permanente. Les corps se frôlent, conscients de leur présence collective, s’évitent, se rapprochent, s’éloignent.
Un jeu de gommettes géantes sur le sol donne à lire « Welcome to », lettres désarticulées ensuite par les comédiens qui s’amusent dès lors à recomposer le mot « Paradis » sur le mur de lointain.
Ils s’appuient, debout, sur ce mur- barrière qu’ils semblent vouloir pousser de toute la force des bras et du corps pesant de chacun, frappant et cognant cet obstacle qui les prive de liberté : sous l’agressivité de leurs coups, tombent des filets de poussière blanche – marques d’un temps passé.
Des deux côtés du plateau, une sorte de cheminée noire – tuyaux ordinaires – d’où s’échappent une vapeur blanche, légère fumée qui fait écho aux pluies de poussières déjà entrevues. Or, dans l’épreuve de l’impossibilité à faire se mouvoir l’espace ou bien à l’agrandir en poussant les murs, les interprètes accaparent l’espace par la craie -sur le sol et les murs noirs -, esquissant des vagues enfantines aux yeux bleus, un espace maritime semble-t-il duquel on distingue des corps, des pieds et des mains, fragments de membres humains et autre faune et flore maritime.
Quand le mur et les cheminées sont saturées de contours, les acteurs dessinateurs se replient sur le sol pour continuer leur création graphique, s’allongeant pour que l’autre cerne son ombre sur la scène d’un large trait de craie, circonscrivant rigoureusement une victime abandonnée sur la route.
On ne peut pas ne pas penser aux victimes migrantes parcourant les mers d’aujourd’hui.
Or, on a pu voir les interprètes danser ensemble sur la musique – un groupe festif articulé avec soin -, avant de se scinder pour former des couples qui s’inter-changent bientôt. Si l’un des acteurs se trouve isolé, qu’à cela ne tienne, il formera aussi un duo au tour suivant. Affectivité sentimentale mais aussi sursauts de rejet et de scission, on peut se battre sans vergogne jusqu’à ce qu’un arbitre improvisé, de manière impromptue, impose la paix d’un coup de sifflet intempestif.
Vivre ensemble, se côtoyer, se frôler, s’approcher, se caresser peut-être, prendre du recul, la vie est faite de respirations, de souffles donnés puis repris, d’ombres et de silhouettes qui s’approchent ou s’éloignent. Coeur qui bat, poitrine qui inspire et expire, existence qui se goûte : l’expérience de l’être-là au monde s’éprouve enfin au plus près de soi et avec les autres.
Véronique Hotte
Du 15 au 19 février, mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h30, samedi à 15h, au Théâtre National de Bretagne, 1 rue Saint-Hélier 35000 – Rennes. Tél : 02 99 31 12 31 info@t-n-b.fr
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February 16, 2022 5:38 AM
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Par Lucile Commeaux dans Libération 16 février 2022 Malgré une mise en scène virtuose, la nouvelle et effrénée création de l’Italien peine à surprendre, prisonnière de motifs et de décors toujours dans la même veine. Des policiers de tout âge mais à la moustache identique arpentent l’espace, prennent des poses viriles et burlesques. (Francesco Raffaelli) Entrant dans la salle, on se voit distribuer, outre les bouchons d’oreilles désormais rituels, deux feuilles noires un peu chics. Sur la première sont inscrits des extraits bibliques du Livre de Jérémie ; sur la seconde, un «Index de comportements» déroulant des commandements aux spectateurs dont le premier est : «Je suis prêt à devenir policier dans ce spectacle.» Sur la grande scène noire et embrumée, on reconnaît le décor caractéristique de l’Italien Romeo Castellucci, maître quasi incontesté d’un théâtre plastique, rituel et violent. S’y déroule une heure et demie durant un ballet exécuté par des dizaines d’hommes en uniforme de la police américaine, munis de képis, de matraques et de quelques chiens muselés. Majoritairement muets, mais vrombissant tantôt de drones métalliques, tantôt d’un impressionnant orgue-brumisateur, se succèdent des tableaux ritualisés comme à la messe. Des imprécations bibliques, qu’on devine pleines de fureur et de désolation, résonnent d’abord sur scène dans la langue inconnue d’un vieillard vêtu comme un prophète ancien, vite évacué par les policiers de tout âge mais à la moustache identique qui arpentent l’espace, prennent des poses viriles et burlesques, torturent longuement un corps blanc et maigre, avancent et reculent à l’avant-scène des photographies en noir et blanc représentant tantôt une patte de poule, tantôt une jeune fille, tantôt le visage de Samuel Beckett. La mise en place est virtuose, qui articule déplacements millimétrés et bruitages au cordeau. Mais alors que les signes pullulent à une vitesse effrénée, on se prend à s’agacer devant le choix que le spectacle semble nous imposer : ne pas comprendre et, dans l’ignorance, se garantir le plaisir d’un spectacle obscur et terrifiant, ou chercher le sens et risquer la déception d’une exégèse simplificatrice. Une grammaire sans surprise C’est que ni la grille politique n’est vraiment satisfaisante – le fameux «attention le fascisme est à nos portes» – ni la grille mystique – «de tout temps l’homme fut violent». La linéarité du spectacle frappe soudain, et cette manière de juxtaposer des images et des maximes – fussent-elles en latin – finit par ressembler à un diaporama un peu idiot avertissant sur la banalité du mal. Sans répertoire, sans texte, sans opéra pour lui opposer un autre système de représentations que le sien, Romeo Castellucci dégaine ses propres obsessions comme pour forcer le sens à la matraque. Tête d’agneau, enfant en aube, lait et sang déversés, tous ces motifs archaïques finissent par se révéler, dans leur accumulation et leur grossièreté symbolique, pour ce qu’ils sont : des trucs de théâtre, des accessoires sortis de l’escarcelle d’un grand ordonnateur un peu énervant, qui n’a plus l’autorité du démiurge pour nous en imposer. C’est que la grammaire de Castellucci, tant imitée par ailleurs, est devenue un système, dont l’efficacité à surprendre et à terrifier s’amenuise. Demeure cependant ici et là le mystère d’une image inédite et ahurissante : exemple, ce fétiche de bois monté sur un grand socle et commandant des policiers aux ordres. L’impression est saisissante, techniquement incompréhensible, comme une magie noire débarrassée de ses oripeaux mystiques et qui n’appelle ni question ni réponse. Bros, m.s. Romeo Castellucci, à la MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 19 février.
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February 15, 2022 5:33 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 15 février 2022 C’est sous ce titre que Thomas Richards a récemment publié un long communiqué signifiant l’arrêt d’une aventure. Elle avait commencé en 1986 lorsque Grotowski s’était installé à Pontedera en Italie. À sa mort le 14 janvier 1999, Thomas Richards -avec à ses côtés Mario Biagini-, avait poursuivi l’aventure. Elle s’achève donc ou plutôt elle mute. Ailleurs, autrement et diversement. Sans doute l’heure était venue. La pandémie et son cortège de chamboulements, a accéléré la décision. Le Théâtre National de Toscane, principal financeur du Workcenter a décidé de réduire son soutien financier à l’aventure, souhaitant l’accompagner projet par projet et sans désormais couvrir les frais de l’ installation dans un lieu devenu légendaire. Lieu de recherche et de vie, le Workcenter fut le creuset des dernières recherches de Grotowski qui, pour le dire mal et vite, embrassait un phénoménal travail sur soi-même et l’approche de cultures anciennes et de leurs chants. Tout cela n’était pas destiné à des spectacles et des spectateurs mais Grotowski aimait que viennent, de temps en temps, des témoins, des praticiens, des jeunes troupes comme celle du Ballatum théâtre fondée par Eric Lacascade et Guy Alloucherie. Après la mort de Grotowski, cette première ouverture devait conduire le Workcenter à sortir de Pontedera, à parcourir le monde en organisant des stages, en proposant des performances. Ainsi ces dernières années, au début juillet le Workcenter a-t-il été invité au Théâtre de la ville de Paris à l’initiative de Michelle Kokosowski. Mais revenons au long communiqué. Thomas Richards dit qu’il vient d’avoir 60 ans . « J’entre dans une nouvelle phase de la vie » écrit-il, « Beaucoup de temps a passé depuis le décès de Jerzy Grotowski, mon « teacher » et fondateur du Workcenter et j’ai parfois senti ces dernières années que le moment était peut-être venu de prendre de la distance avec son nom, comme une reconnaissance naturelle du passage du temps. Cependant, cette pensée a toujours généré en moi un conflit car je ressentais et ressens toujours, non seulement une énorme dette envers lui, mais aussi un lien directe entre ce qu’il m’a « transmis » et le travail que je mène jusqu’à ce jour ». Trois équipes cohabitaient au sein du Workcenter, deux dirigées par Thomas Richards et la troisième nommé « Open program » créé en 2007 et dirigée par Mario Biagini. Ce dernier et son groupe ont déjà quitté le Workcenter pour « entamer un processus de travail indépendant de celui-ci. Je soutiens pleinement leur décision » note Thomas Richards qui rappelle que dans un texte récent, Mario Biagini observait que depuis 2007 « une sorte de bifurcation s’était créée entre les deux branches » qui se sont développées « dans des directions divergentes ». Tôt ou tard, après une longue cohabitation, la séparation était inévitable. Le moment historique de la pandémie mondiale a accéléré le reste. « Un cycle de mon travail s’est achevé, conclut Thomas Richards, et c’est empreint de ces réflexions que j’ai pris la décision de fermer le Workcenter of Jerzy Grotowski and Thomas Richards » avant de remercier tous ceux qui, en Italie et ailleurs, ont aidé, porté, observé et suivi cette extraordinaire aventure trente cinq ans durant. Jean-Pierre Thibaudat
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February 14, 2022 10:05 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 14 février 2022 Le comédien franco-sénégalais, qui sait tout faire, illumine «la Cerisaie» de Tchekhov, à l’Odéon. Adama Diop dit qu’il n’est pas «un gros traqueur» et qu’il peut se distraire de la petite boule qui grossit dans son ventre. Il n’a pas besoin d’anticiper ce que sera la représentation. D’ailleurs n’est-il pas là, justement, en train de donner un entretien dans un café relativement éloigné de l’Odéon, sur la place du Marché de Montreuil, comme si de rien n’était ? Adama Diop est beau, élégant, ultra-sympathique, avec un rire chaleureux et dans la Cerisaie, il incarne Lopakhine, qui finira par racheter le domaine «grand comme Paris», où ses parents furent esclaves. Au sujet de la pièce, du travail avec le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, futur directeur du festival d’Avignon, il est intarissable. On ne se lasse pas d’arpenter la propriété avec lui, et c’est tout naturellement qu’il accueille à l’Odéon les spectateurs, se charge des annonces d’usage sur le port du masque, et leur ouvre les portes de la représentation. Adama Diop est attentif, et tout ce qu’il dit fait sens. Son parcours est exemplaire. Mais quelque chose en lui résiste à la tentative de portrait. Sa vie pourrait être contée comme une épopée, mais un petit génie, celui de l’humilité, le pousse à se présenter comme le plus commun des mortels, à ne pas dévoiler ses aspérités, comme si, toutes impressions un peu trop singulières étaient susceptibles de le mettre en danger, ou se confondre avec de la forfanterie. Isabelle Huppert dit autrement son tropisme pour le collectif : «Un très grand acteur qui ne joue jamais seul…» Marcel Bozonnet qui joue Firs, le vieux serviteur nostalgique, confirme sa discrétion : «On peut passer une heure à discuter, c’est très agréable, mais après coup, on s’apercevra qu’on ne sait rien de plus sur lui.» C’est donc de Bozonnet qui, évidemment le tient d’une tierce personne, qu’on apprendra qu’Adama Diop aurait pu être chanteur d’opéra. Bozonnet résume radicalement : «Adama a tout de l’acteur américain dans le sens le plus noble : il danse très bien, il chante très bien, il sait tout faire.» «Obligation de réussite» Cet acteur qui sait tout faire n’a jamais rêvé d’être un jour sur une scène. Une mère pharmacienne, un père comptable, il grandit à Dakar dans une famille où rien n’est acquis. Au Sénégal, en première année de fac, l’étudiant espère devenir journaliste, «ce qui n’est pas sans lien avec le métier d’acteur». On s’étonne, il s’explique. «Dans les deux cas, on est le miroir du monde. Par nos personnages, on réfléchit la société dans les deux sens du verbe.» C’est donc «par hasard» qu’Adama Diop connaît sa première expérience théâtrale grâce au festival interscolaire de Dakar. Les six acteurs amateurs gagnent un concours qui les envoie à Montpellier pendant deux semaines. Premier voyage en avion, premier voyage en France, «c’était la première fois pour beaucoup de choses !» Lors d’une visite du Conservatoire de Montpellier, Adama Diop surprend brièvement l’acteur Babacar M’Baye Fall en train de travailler. «Il a suffi d’un instant. J’ai décidé de revenir en France pour passer le concours d’entrée.» Ses parents s’effraient mais donnent leur accord. «J’ai été élevé dans l’idée que tout métier était noble. En revanche, il y avait une obligation de réussite dès lors qu’on choisissait notre voie.» On relit nos notes : «Une exigence vis-à-vis de soi», «pas le droit à l’échec». Mais aussi, les mots «solitude», «absence totale de famille», «découverte d’une culture inconnue», «incompréhension des gens qu’on côtoie au quotidien». La Ville lumière lui paraît grise et le racisme une expérience quotidienne – qui perdure encore aujourd’hui. Des exemples ? «Dans un supermarché, c’est vous que le vigile choisit de suivre. C’est la nuit, une femme change de trottoir en vous voyant. On n’y fait même plus attention.» Adama Diop raconte le plus sobrement possible la double journée de travail, l’une au BHV à 6 heures du matin où il est manutentionnaire, et l’autre en tant qu’étudiant au Conservatoire, où la rivalité est grande et où il est difficile de mettre des mots sur le monde d’où l’on vient si toutefois ça intéresse quiconque. Le sentiment de ne pas être complètement à sa place, de ne pas savoir tout à fait comment «s’intégrer», le pousse effectivement à l’irréprochabilité. Il est le seul noir de sa promotion, comme il le sera systématiquement jusqu’à la Cerisaie, des distributions. «Si bien que même lorsque je jouais Macbeth, par exemple, on me questionnait toujours beaucoup plus sur des questions raciales qu’artistiques.» Fait d’exception : en vingt ans de carrière, il n’a jamais connu de période d’inactivité. De Stéphane Braunschweig à Bernard Sobel en passant par Arthur Nauzyciel, Julien Gosselin ou même l’Allemand Frank Castorf – dont il joue également en ce moment Bajazet –, les metteurs en scène les plus prestigieux font appel à lui. Percussions Il vit une semaine sur deux avec ses deux enfants de 12 et 9 ans. Ne sait pas encore pour qui il votera à gauche – il a la double nationalité depuis une demi-douzaine d’années. On ne saura rien de plus sur sa vie privée. C’est à travers Lopakhine qu’il aime parler de lui. «Je comprends ce qu’il dit. Je sais ce que c’est que d’être issu de l’esclavage et d’un peuple bloqué physiquement et dans son intellect. Le point de vue de Lopakhine est aussi puissant que celui de Lioubov qui est triste de perdre le domaine dans lequel elle a grandi et où son fils s’est noyé. Oui, la Cerisaie est belle. Mais elle est en friche, et la famille est surendettée.» A propos d’Isabelle Huppert, dont il dit que leurs deux personnages s’aiment profondément, il n’a pas de mot assez fort : «Elle est hypergénéreuse au plateau. Elle capte mon regard, et c’est comme si on dansait ensemble. Elle crée plein de microrévolutions qui modifient légèrement nos émotions, et chaque soir, on retrouve le présent de la vie.» Adama Diop a comme son personnage des idées sur ce qu’il faudrait faire de cette Cerisaie qu’il perçoit aussi comme une métaphore du théâtre : «On pourrait partager ces dix mille hectares en mille lots pour mille familles, et y cultiver des cerises, mais aussi des carottes, des mangues, et la terre serait riche. Le théâtre aussi doit profondément se transformer.» Adama Diop s’apprête à créer à Dakar «l’école internationale des acteur.trice.s», ouverte sur l’ensemble du continent africain et le cinéma. Le terrain a déjà été octroyé par le gouvernement sénégalais, qui financera une partie du bâti. Il a une autre activité, aussi discrète qu’inattendue, depuis son arrivée en France. Partout en Europe, dès qu’il peut, il joue dans des bals en duo avec un accordéoniste. Adama Diop chante et fait des percussions. «Quand je suis arrivé ici, j’avais besoin de comprendre, au-delà du cliché de la baguette et du béret, la culture populaire française. Grâce aux instruments traditionnels, on entre en relation avec des gens d’une France qui sans doute n’iront jamais me voir au théâtre.» 21 septembre 1981 Naissance à Dakar. 2005 Conservatoire d’art dramatique à Paris. 2020 Imagine une nouvelle école de théâtre à Dakar pendant le confinement. Jusqu’au 20 février La Cerisaie mise en scène de Tiago Rodrigues à l’Odéon.
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February 13, 2022 5:19 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 11 février 2022 Après la création de « Ceux-qui-vont-contre-le-vent »au dernier festival d’Avignon sous le ciel étoilé et les arches du Cloître des Carmes, Nathalie Béasse et sa bande sont de retour à leur annuel bercail : le théâtre de la Bastille. Bluffant, surprenant et irracontable, comme d’hab. Avec ou sans toit, tous les spectacles de Nathalie Béasse tombent du ciel. On ne sait trop ce que c’est. Un oiseau échappé de son nid qui pépie? Une brique de chantier qui, au terme de sa chute, échoue miraculeusement dans une flaque d’eau laquelle éclabousse la robe à fleurs d’une passante qui, elle-même, dans un mouvement de recul, décanille le bouquet de bleuets que tient un homme cravaté qui passait par là, les deux finissant six mois plus tard, par vivre un temps ensemble avant de divorcer à l’amiable l’année suivante… des choses comme ça. C’est fou comme les spectacles de Béasse dégoupillent l’imagination du spectateur. On pourrait également se demander si son nouveau spectacle Ceux-qui-vont-contre-le-vent ne serait pas aussi le bouquet des précédents dans un nouveau paysage riche en nouvelles fleurs et tous façonneraient un nouveau pot pour étoiler l’ensemble. Bref, on ne sait trop ce que c’est. Une pluie de vêtements que la bourrasque remporte ? Une comptine que se refilent les nuages ? Une danse des origines ? Un rite initiatique ? Tout cela et bien d’autres choses. Autrement dit un OTNI (Objet Théâtral Non Identifié) si vous avez la manie des catégories et des classements. Mais est-ce bien nécessaire ? Personne n’a jamais fait et ne fera jamais le tour d’un spectacle de Nathalie Béasse. On ne sait par quel bout les prendre ne serait-ce parce qu’ils sont faits, de plus en plus, de petits bouts. Ils sont donc irracontables, d’ailleurs il n’y a pas de narration, pas plus que de personnages, pas de pitch pas plus que de chichis. il y a des corps en mouvement qui parfois ont quelque chose à dire, à fredonner, à tournicoter. Ça bouge tout le temps. C’est d’abord une histoire de personnes qui se retrouvent ensemble le temps d’un pique-nique de gestes, d’actions collectives (le plus souvent), de mots arrachés à quelques livres aimés sur un plateau de théâtre (Gertrud Stein, Duras, les écrits des indiens d’Amérique du nord, etc). Dit autrement, c’est un enchaînement de marabout-bout-de-ficelles (ce que suggèrent les tirets du titre), une sorte de confrérie du gigotis (inventons ce mot) en séance plénière de jour comme de nuit. Les sept (qui ne sont pas des nains pas plus que Béasse n’est une Blanche Neige) de Ceux-qui-luttent-contre-le-vent (j’ai nommé Mounira Barbouch, Estelle Delcambre, Karim Fatihi, Clément Goupille, Stéphane Imbert, Noémie Rimbert, Camille Trophème) sont souvent de fidèles acteurs des spectacles de Nathalie Béasse tout comme la musique de Julien Parsy. Le mot acteur chez elle renvoie à la personne et non à je ne sais quel personnage ou métier. Dit autrement (bis), chez Béasse il n’y a d’autres personnages que les personnes et leur richesse. Mieux vaudrait parler de magicien, de prestidigitateur, d’ouvriers spécialisés. Tous se démènent pour raconter une histoire qui ne raconte rien d’autre que ce qu’il advient d’un groupe de zigotos lâchés sur un plateau en compagnie d’une chamane en goguette venue d’Angers, avec son sourire énigmatique, son sac à visions, deux ou trois livres lus et relus, des musiques amies et dans son poudrier magique (qui est une poudrière) une curiosité insatiable du genre humain et des choses, des bricoles de la vie ordinaire. On peut aussi y voir un baromètre du temps qui passe. Ceux-qui-luttent-contre-le-vent comme le titre l’indique montre que l’homo sapiens doit se coltiner les éléments. Les sept ne tiennent pas debout mais c’est pour mieux se redresser. Ça pleut des seaux, ça glisse, ça fait des rondes, ça enferme, exclut, rassemble. Ça lutte ferme, ça chute, ça se relève. Ça remet ça. Le spectacle a été créé en juillet au Cloître des Carmes dans le cadre du festival d’Avignon. Depuis il tourne. Au Théâtre de la Bastille, 20h jusqu’au 18 fév sf dim ; les 2 et 3 mars au Théâtre de Lorient ; les 17 et 18 mars au Maillon (Strasbourg) ; les 29 et 30 mars à la Rose des vents (Villeneuve d’Ascq). Aucune tournée au Japon n’est annoncée, dommage, car les spectacles de Béasse y feraient un tabac comme ils ont triomphé à la Biennale de Venise il y a quelques années (lire ici) Légende photo : Scène de "Ceux-qui-vont-contre-le-vent" © Jérôme Blin
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Le spectateur de Belleville
February 11, 2022 10:01 AM
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Sur le site du Théâtre National (Bruxelles) Aujourd’hui, le Théâtre National est en deuil. Il vient de perdre l’une des figures marquantes de son histoire. Philippe van Kessel s’en est allé. Nos pensées se dirigent immédiatement vers sa fille à qui nous adressons toute notre affection. Nous saluons chaleureusement la personnalité de cet homme épris de théâtre. Nous lui devons un chapitre important de notre institution et une énergie salvatrice à la maintenir vivante quand l’incertitude planait sur son avenir. Diriger un théâtre, c’est proposer un regard, épouser des courants, lancer des défis, dépister des talents. C’est parfois aussi mener des combats. Le Théâtre National doit beaucoup à Philippe van Kessel qui en fut le directeur de la saison 1990-91 à celle de 2004-2005 qu’il a codirigée avec Jean-Louis Colinet. Lorsqu’il pose sa candidature à la tête du Théâtre National en 1989, Philippe Van Kessel dirige l’Atelier Saint-Anne qu’il a créé en 1973 avec Stanislas Defize. D’abord installé au cœur du Sablon (rue St-Anne), l’Atelier prend ses quartiers rue des Tanneurs. Il en épouse d’ailleurs le nom en 1998 pour devenir l’actuel Théâtre Les Tanneurs. Philippe van Kessel anime un lieu hors normes. L’audace chevillée à l’âme, il aime sortir des sentiers battus. C’est donc à une personnalité peu conventionnelle que le CA de l’époque (présidé par feu Robert Delville) confie les rênes du National. Jean-Claude Drouot le précède dans les fonctions. Nous sommes dans la Tour Rogier, en plein cœur de Bruxelles. Homme d’équipe, Philippe van Kessel convainc quelques complices de l’accompagner dans l’aventure. Alfredo Canavate, Patrick Donnay, Jean-Pierre Baudson et le regretté Eric Firenze acceptent de le suivre pour dessiner les lignes artistiques des prochaines saisons, et offrir ainsi un tournant à l’institution. S’en suivent 10 années de créations, d’accueils et de paris merveilleux. Et puis, l’ombre des ennuis administratifs se déploie au-dessus de la Tour Rogier. Le bâtiment est cédé de promoteur en promoteur. Peu à peu, la Tour se vide et est finalement condamnée à la démolition. Le Théâtre National doit déménager. Il pose ses bagages au Pathé Palace. Des « voix vautours » en profitent pour suggérer la fin du Théâtre National et la répartition de sa dotation à d’autres desseins. Exit une grande scène nationale ? Philippe van Kessel se battra bec et ongles avec à ses côtés l’administrateur-délégué du TN, Myriam Van Roosbroeck, pour déjouer ce funeste destin. Leur détermination donnera naissance au bâtiment du 111 Bd Emile Jacqmain. Philippe Van Kessel l’inaugurera en programmant la première saison du nouveau Théâtre National aux côtés de Jean-Louis Colinet. Comédien, metteur en scène, directeur, nous n’oublierons pas Philippe van Kessel. Nous laissons à trois de ses complices le soin de terminer ce petit hommage. Philippe mon ami, Tu t'en vas comme ça, sans prévenir, toi à qui je dois tout, depuis mon premier engagement chez toi, dans ton Atelier Sainte Anne et ensuite au Théâtre National, où tu nous as entrainés... D'audace en audace, première création : "La Bataille" et "Germania mort à Berlin" d'Heiner Müller que nous jouions respectivement à 18h30 et à 20h... Belle entrée en matière pour le nouveau directeur du T.N. S'en sont suivies d'autres, notamment le "Dommage que ce soit une putain", avec le public sur le plateau et la scène faisant dos à la salle... Dernière réplique de la pièce : " TRISTE ÉPOQUE !!!". Adieu compagnon. — Alfredo Canavate 1986 – Atelier St Anne – Jacques et son maître de Kundera – Je fais mon entrée dans ton théâtre. A la suite de cela tu me demandes de jouer dans « La Tragédie du Vengeur » puis « Les Estivants ». Un soir en 1989 lors d’une dégustation de vins, tu m’annonces que tu as posé ta candidature au Théâtre National et Que tu veux qu’on t’accompagne à quelques-uns dans ce nouveau challenge. C’est le début d’aventures magnifiques, De rencontres avec de grands metteurs en scène, d’incroyables tournées… et puis 30 ans de Théâtre National grâce à toi… Je suis effondré car je te sens en moi, tu as construit l’acteur que je suis devenu. Je pense à nos éclats de rires, à nos virées nocturnes… Je pense à ta dernière soirée du Th National, tu ne voulais pas qu’on se quitte on est resté jusqu’à 5h du matin. Je pense à cette soirée à la maison où on avait visionné un tas de cassettes-vidéos avec interviews et extraits de spectacles RTBF jusqu’à 4h du matin ; Tu étais comme un enfant étonné. On devait se voir bientôt pour manger un bout… Ne jamais remettre à demain… Merci mon Philippe, pour ta confiance, ton amitié, ta fidélité. Tu me manqueras à jamais — Patrick Donnay Van Kess, grand séducteur devant l'éternel, épicurien à ta manière, bagarreur nocturne, grand artiste et pionnier des jeunes compagnies, tu fus mon mentor aux prémices de ma carrière, et je t'en serai éternellement reconnaissant. Merci Philippe, de ta sensibilité, de ton élégance, et de ta grande fraternité. — Jean-Pierre Baudson
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Le spectateur de Belleville
February 10, 2022 7:47 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 10 février 2022 Légende photo : Scène du film d'Aki Kaurismäki, "Le Havre" (2011) Personnalité puissante, artiste profond au spectre large, de Grüber à la troupe du Théâtre national de Strasbourg et aux films d’Aki Kaurismäki, une carrière immense et audacieuse. Il s’est éteint hier, des suites d’une longue maladie. On le reverra dès le 23 février dans le Maigret de Patrice Leconte avec Depardieu.
Un visage très équilibré, un haut front, une silhouette déliée, des cheveux blonds, un regard ferme, un timbre grave aux harmonies reconnaissables immédiatement avec, en arrière-fond, un certain accent, une vapeur d’accent. Venu d’une enfance alsacienne, sans doute. Mais rien de marqué, d’appuyé. Lorsqu’il surgit sur les plateaux des théâtres, André Wilms avait le charme d’un jeune premier. Il conserva sa vie durant cette personnalité solaire et attachante, doublée d’une photogénie idéale. Il était un enfant des planches, un grand des planches, mais il a beaucoup tourné et aurait pu tourner plus encore. Le hasard des programmations veut que le film dans lequel on le voit, barbu, vieilli, visage doux, personnage à part, le Maigret de Patrice Leconte avec Gérard Depardieu, sorte le 23 février prochain.
Il s’est éteint le 9 février. Il se battait depuis longtemps contre la maladie, en tout silence et noblesse, jouant autant qu’il le pouvait. Mais on ignore les raisons de sa mort. Il avait d’autres projets, au cinéma comme au théâtre.
André Wilms, né le 29 avril 1947, père allemand, mère française et époque où il est interdit de parler alsacien… Il avait été porté par les idées de la jeunesse des années 60. Il n’avait pas fait de longues études, avait obtenu un CAP qui le conduisit à trouver du travail, dans un théâtre, à Toulouse, chez Maurice Sarrazin. Il est cintrier, fait des apparitions comme figurant. Il a le sens de l’histoire : ses aînés ont parfois un grand passé… Emporté par les vents contradictoires de l’après-68, il bascule du côté de la Gauche Prolétarienne, les maoïstes… Il abandonne Toulouse, le théâtre. Il savait qu’il s’était un peu fourvoyé, dans ces années- là, mais ne reniait en rien cette jeunesse. D’ailleurs la vigilance politique ne l’abandonna jamais : mais c’était un homme libre, très libre dans ses réflexions et ses espérances. Il n’aimait ni les sots ni les incultes, mais il adorait la dispute intellectuelle et n’avait aucun rejet des pensées qui n’étaient pas complètement pas siennes. Sauf les racistes et les extrémistes, chacun avait droit de discuter avec lui. Notamment après les représentations de Strasbourg, quand le train de minuit huit n’était pas envisageable et que l’on passait la soirée avec la plus brillante troupe de l’époque, dans la lumière de Jean-Pierre Vincent. André Wilms était un esprit des plus cultivés qui soient, curieux de tout, grave et très drôle, passionné. On pense aux siens, à son entourage familial, lié consubstantiellement au théâtre. On pense aux comédiens de sa génération, aux metteurs en scène. On pense à Philippe Clévenot, à André Engel, à Gérard Desarthe. La carrière d’André Wilms est éblouissante et l’on n’a souvenir que d’interprétations magistrales. On en parlera plus longuement demain. Ici, on veut juste saluer celui qui, parce qu’il a besoin de gagner sa vie, passe une audition à la Chapelle de la Salpêtrière devant Klaus Michael Grüber pour ce qui deviendra un spectacle de légende, Faust. Retenu, il est l’homme qui passe et voyage, l’homme aux valises. Il a rencontré celui qui sera son maître. Ensuite, on en dira plus demain, Strasbourg, fertile époque, et ses premières mises en scène, et la musique, ses spectacles musicaux formidables, et le cinéma qui a élargi son cercle : Laurent Heynemann, Etienne Chatiliez, Aki Kaurismäki, son frère, son maître également.
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Le spectateur de Belleville
February 10, 2022 9:36 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 7 février 2022 Bal masqué de Mikhaïl Lermontov, traduction d’André Markowicz (Imprimerie Nationale, 1992), mise en scène de Marie-José Malis.
Lermontov (1814-1841), étoile filante du romantisme russe, tué en duel à l’âge de vingt-sept ans, comme Pouchkine, laisse derrière lui une œuvre poétique considérable – trois pièces de théâtre, dont Bal masqué en 1835, et un grand roman, Un Homme de notre temps. Il écrit sous le règne autocratique de Nicolas Ier, après la mort de Pouchkine et l’échec de la Révolution décembriste. Lermontov est un observateur lucide et cynique de la corruption grossière de son siècle, un poète décisif. Il rassemble dans Le Bal masqué les influences culturelles occidentales – versification à la Molière, dramaturgie à la Othello pour la jalousie shakespearienne, et l’imaginaire romantique. Marie-José Malis, metteuse en scène et directrice du Théâtre La Commune, Centre dramatique national d’Aubervilliers, s’attaque à Bal masqué, bien longtemps après Vsevolod Meyerhold pour les théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, en 1917, et trente ans après Anatoli Vassiliev à la Comédie-Française, en 1991, avec le regretté Jean-Luc Boutté et la juvénile Valérie Dréville. L’écriture concerne « un monde où la jeunesse éduquée sous le soleil de Napoléon et des idéaux hérités de l’épopée révolutionnaire française, n’a d’autre possibilité pour exaucer son sentiment de l’existence, son désir d’exception, que de se perdre dans les armes, les duels et le jeu.» Le XIX è siècle et les temps modernes connaissent un grand développement des jeux en Europe. Les jeux de cartes se sont multipliés à partir de la Renaissance, et les jeux de hasard – jeux d’argent – occupent les salons des libertins qui font la belle société des XVII è et XVIII è siècles. Et l’analyse du jeu dépasse l’approche morale. Pascal perçoit le divertissement par le jeu, telle une manière de se consoler de nos misères, le jeu étant déjà une misère, façon de « se piper soi ». « Les joueurs sont ainsi faits, moralement ce sont des lâches et n’est-ce pas inhibition de leur volonté qu’ils risquent tout sur une seule carte avec une insouciance déconcertante ? Ils subissent l’attrait du malheur et s’y jettent, comme dans le vide, non par défi mais pour jouir jusqu’au vertige du vice auquel ils s’adonnent. C’est une forme du masochisme. Une autre forme en est l’exhibitionnisme. » (Blaise Cendrars, Emmène-moi au bout du monde !) Le Pharaon, jeu de cartes sauvages évoqué dans la pièce, était bien frappé d’interdiction sous peine de mort, comme le duel, car la jeunesse aristocratique y réduisait à néant ses promesses. Sur la scène, pour son ex-ami de jeu Kazarine, le héros Arbénine est un loup, un rapace, voire même le diable. Aussi, ce dernier parle-t-il au jeune prince désespéré qui a tout perdu au jeu : « Je ne connais Que deux moyens : soit renoncer à tout jamais Soit s’y remettre sans attendre. Mais pour gagner ici, ayez le cœur de De tout laisser tomber : parents, amis, honneur…Mettez-vous à l’épreuve, apprenez à comprendre Vos facultés, votre âme sans erreur, Sentez avec une froideur sereine Dans des regards que vous ne connaîtrez qu’à peine Le moindre éclair… » Investi par sa grandeur – courage, ardeur, espérance -, l’être fraie également avec le Mal, la fatalité et le hasard jusqu’aux limites du non-sens, entre démon, fantastique, et pari de la grâce. La pièce Bal masqué ne fut jamais jouée du vivant de Lermontov qui en donna deux versions. L’une s’achève à la mort de Nina, jeune épouse du héros, version censurée – 4h20 dans la mise en scène de Marie-José Malis. L’auteur russe écrit alors une seconde version, augmentée d’un acte s’achevant sur la folie du héros, version censurée – 5h dans la mise en scène de Marie-José Malis. Le week-end, samedi à 18h et dimanche à 16h, sont présentés les quatre actes de la seconde version, et les autres jours, les trois actes de la première version, du mardi au vendredi à 19h30. Le héros de la pièce, Evgueni Arbénine – lumineux Juan-Antonio Crespillo, tant autoritaire et souverain qu’homme torturé et blessé, est un grand aristocrate régnant sur la société mondaine, maître des salons de jeu – adresse et charisme. Quand la pièce commence, Arbénine est retiré du jeu et vit avec sa jeune épouse Nina, un amour dont la beauté l’étonne. Il se croyait maudit par un passé vain et vil, croyant aussi que le beauté ne pouvait exister dans un monde qu’il méprise. Au bal masqué, un mystérieux inconnu masqué – Pascal Batigne – lui annonce qu’il rencontrera le malheur. Sonne ainsi la malédiction, après une magnifique scène entre Nina et Arbénine qui l’attend à son retour du bal – scène d’amour vrai, de confiance et d’abandon serein à l’autre. Or, Nina a égaré un bracelet : tout conspire à l’offenser et à l’humilier; la pureté et l’innocence sont bafouées, malgré la force de conviction de l’accusée. Et les autres personnages sont corrompus. Le Prince désinvolte – Laurent Prache -, sensible et attentif mais aussi joueur et peu scrupuleux, courtise l’épouse de celui qui l’a aidé à « se refaire » au jeu. Et la baronne masquée et équivoque – Virginie Colemyn, émouvante et précautionneuse – préfère perdre son amie plutôt que l’honneur. Ne sont pas là non plus pour éclairer le héros, ni l’usurier Sprich – espiègle Marc Susini – qui souffre de mépris ; ni l’ami Kazarine – Olivier Horeau, sarcastique, clins d’œil en aparté et sourire aux lèvres – qui voudrait voir revenir le mondain au jeu maléfique, sans plus d’amour ni bonheur. Seule reste Nina, sincère, authentique, et malheureuse peu à peu, d’être si incomprise. Sylvia Etcheto dans le rôle fait montre de patience, de douceur et d’invitation à une réflexion paisible. Pourtant le cruel époux n’en finit pas de lui faire la leçon, la persuadant de quitter l’existence : « La vie, nous y tenons tant qu’elle nous semble belle – pas trop longtemps… La vie est comme un bal : On tournoie, tout est gai, tout luit, tout étincelle…Et puis l’on rentre, on ôte son habit froissé Et l’on oublie… On dort…on est juste épuisé… » Sandrine Rommel, impérieuse, est la maîtresse de maison du bal. Saliha Gaci incarne la modestie de la servante Sacha et une invitée du bal. Mahamadou Marega interprète divers serviteurs et un invité du bal, vêtu d’une combinaison éclatante et dorée et d’un masque de soleil d’or. La scénographie de Jessy Ducatillon, Adrien Marès et Marie-José Malis est soignée et inventive : un proscenium de bois s’avance vers la salle, que surmonte encore une petite estrade que manipulent les comédiens quand leur personnage s’adresse librement au public. Et pour accéder à la scène, depuis la salle et la fosse, les interprètes empruntent de petits escaliers de bois installés. De même, pour seuls accessoires emblématiques, des chaises et bancs de bois. Au-dessus de la proue du proscenium, en élévation, se tient une petite verrière décorée, un vitrail de motifs. Et les lumières de Jessy Ducatillon font jouer d’autres verrières, au-dessus de la scène et de la salle ; les spectateurs sont en pleine lumière, comme les comédiens sur la scène – égalité des conditions. La scène de bal est un tourbillon de songes, un rêve mouvementé de personnages oniriques et festifs : « La vie est comme un bal : On tournoie, tout est gai, tout luit, tout étincelle… » L’Opéra de Paris a contribué aux costumes du spectacle, et ils sont magnifiques. Apparaissent en solo des fantômes animés, ou égrainés en une file colorée – galerie spectaculaire de figures aux beaux atours, de délicats portraits en pied qui seraient descendus des tableaux des murs du salon. Sur le plateau nu avec ses grands murs noirs ornés d’accessoires techniques, le contraste avec ces parures est éclatant – parade de masques tournoyants, têtes d’oiseaux furtifs et autres plumes. Plus loin sur la scène, se dessine le couloir des allées et venues des personnages, que délimite un panneau de tissu ouvragé – fleurs, couleurs et rayures plus strictes de deuil -, un lai vertical que les serviteurs de scène installent sur le sol avant de le hisser avec art vers les cintres en bannière. Un Bal masqué significatif de la vision du théâtre de Marie-José Malis : les acteurs vivent leur personnage de l’intérieur, au plus près des mots de Lermontov, et s’adressent aux spectateurs en complices, chuchotant presque à leurs oreilles et livrant avec conscience la vox sublime de l’auteur russe, pessimiste, passionnée et ardente, entre poésie, musique et philosophie d’une existence. Une parole vivante, intime et confidentielle, qui met au jour une noble pensée en mouvement. Le personnage vit face public, médite, évalue, se met en colère, se révolte et crie, sans pudeur, simplement lui-même, cherchant un chemin existentiel dans l’honnêteté d’un vrai retour à soi : le public tremble avec lui, s’inquiète, s’assombrit et se tend ou bien s’émeut, en empathie constante. Une mise en scène somptueuse qui pourrait être lucidement réduite dans le temps : la qualité de la prestation des acteurs est ciselée et la parole de Lermontov envoûtante, ce qui sollicite à chaque instant, une attention particulièrement soutenue, de la part du spectateur ébloui qui ne boude pas son plaisir certes, mais fait aussi peu à peu œuvre de patience, admettant aussi ses torts à vouloir voir l’action en finir plus tôt enfin, en dépit de la beauté et de la gravité magnifiques du spectacle. Véronique Hotte Du 5 au 17 février 2022, mardi, mercredi, jeudi, vendredi 19h30 – 1ère version 4h20, samedi 18h, dimanche 16h – 2 ème version 5h, à La Commune – Centre dramatique national Aubervilliers., 2 rue Edouard Poisson 93300 – Aubervilliers. Tél : 01 48 33 16 16
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February 10, 2022 3:39 AM
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par Guillaume Tion dans Libération publié le 9 février 2022 Sur un plateau nu et bordélique, l'histoire nous est retracée par deux comédiens, Mounir Margoum et Thierry Raynaud. (Philippe Weissbrodt) Malgré ses excellents acteurs et sa fantaisie interprétative, le spectacle de l’Allemand Nicolas Stemann souffre des mêmes maux que le roman de Kamel Daoud dont il est adapté. Soit une relecture plate de «l’Etranger» de Camus. Ensemble, tout devient impossible. Sur la scène du théâtre des Abbesses à Paris, le dialogue s’enlise. On parle de l’Etranger, de Camus, mais surtout de l’étranger. Le metteur en scène allemand Nicolas Stemann (dont Libé s’enthousiasmait pour le Faust, présenté au in d’Avignon en 2013) adapte le roman de Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, dans lequel l’auteur fait parler le frère de l’Arabe assassiné par Meursault, le héros de l’Etranger. Cet Arabe n’a pas de nom, pas de contours, pas de passé, plus de futur. Qui est-il ? Quelle est la vie de celui dont on ne sait rien en lisant le roman de Camus, dont il est pourtant la victime ? Pour Kamel Daoud, il s’appelle Moussa. Il est grand, avec de longues mains protectrices. Sa mère, M’ma, n’est pas morte. Jeu d’interpénétrations textuelles Sur un plateau nu et bordélique, scénographie synthétique d’une Algérie où les parpaings blancs des maisons coloniales le disputent à un cercueil et une table de bistro parisien, son histoire nous est retracée par deux comédiens qui se succèdent puis s’additionnent : Mounir, «l’Arabe de service» né à Clermont-Ferrand, le frère de Moussa, et Thierry, fils de pieds-noirs depuis trois générations, indigné du sort fait à celui qu’il appelle aussi «son frère, notre frère». Ces deux-là sont jumeaux autant qu’ennemis, figures de l’Algérien et du Français, de Daoud et de Camus, du mort et de son meurtrier. Près de quatre-vingts ans après (l’Etranger a paru en 1942, Meursault, contre-enquête en 2013), la parole des victimes anonymes de la colonisation est donc exhumée de l’oubli, exhibée plein phare, brandie sans ombres dans un jeu d’interpénétrations textuelles entre Camus et Daoud qui s’étalent en vidéo à l’arrière-plan. Pourquoi pas. Mais, ce faisant, le spectacle s’attache à lire l’Etranger d’une façon littérale, déconcertante, sans sembler mesurer que l’anonymisation de l’Arabe peut – et doit – se comprendre comme l’universalisation d’une altérité à laquelle Meursault ne peut s’accorder. En suivant le parcours de cet homme étranger à tout, à sa vie comme à celle des autres, Camus le dénonce, lui et l’absurde de notre société. Tandis que le spectacle – fidèle au livre, de ce point de vue – détricote ce coup de force et pointe du doigt le romancier-philosophe en colon bon teint qui présenterait, impavide, le meurtre d’un Arabe (et non plus de l’Arabe) comme s’il l’endossait ou l’excusait. Fantaisie interprétative Contre-enquêtes est toutefois rattrapé par ses creux. Servi par les excellents Mounir Margoum et Thierry Raynaud, il n’est jamais meilleur que quand il dévie de sa ligne et laisse entrer une fantaisie interprétative libératrice dans ce règlement de comptes binaire avec vue sur vengeance. Le spectacle respire alors, dans un entre-deux quasi sacrificiel : le metteur en scène – par ailleurs codirecteur du Schauspielhaus Zürich qui a coproduit cette Contre-enquêtes avec le Théâtre de Viry-Lausanne – aime d’évidence ces jeux foutraques entre les deux comédiens qui lui permettent de passer avec fluidité d’un plan à l’autre, mais s’en défie aussi, ne leur accordant qu’une présence d’appoint. C’est pourtant dans ces instants de pur théâtre que se crée une indéniable unité et qu’ensemble, tout devient possible. Contre-enquêtes ms. Nicolas Stemann avec Mounir Margoum et Thierry Raynaud, au théâtre de la Ville (Abbesses) à Paris jusqu’au 12 février.
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