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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 5:51 PM
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Par Nathalie Simon dans Le Figaro - 18 février 2024 CRITIQUE - La comédienne bouleverse le public du théâtre du Vieux-Colombier avec Le Silence, la pièce singulière de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan. On sort du théâtre troublé et bouleversé.
On n'a jamais vu un spectacle aussi singulier que celui-ci. Un ouvreur demande aux spectateurs des premiers rangs de cacher leurs sacs sous le siège et de ne pas caresser le chien (Miki). Inspirée de l'œuvre et des écrits de Michelangelo Antonioni, la pièce de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, (la cousine de la chanteuse Zaho de Sagazan) ne commence pas comme les autres. La salle du Vieux-Colombier sert d'écrin à un confortable salon salle à manger installé au milieu d'un dispositif bifrontal. Le plateau recouvert d'une épaisse moquette verte est surmonté d'un écran géant qui projette des images de mer agitée, de terres qui s'effondrent et d'immenses étendues désertiques. Le Silence est une pièce qui sort de l'ordinaire, quasiment sans paroles et montée comme un long plan-séquence. On a d'abord la vague impression d'assister à une scène de ménage. Ni la femme (Marina Hands prodigieuse), ni l'homme (parfait Noam Morgensztern) ne parlent. Pieds nus, elle fait mécaniquement rebondir une balle de tennis, essaie, sans insister, d'attirer l'attention du chien, avale des verres d'alcool fort comme David Hemmings dans Blow-Up d'Antonioni (1966). Son mari range les commissions qu'il vient d'acheter, s'assied et regarde fixement devant lui. Abattu, prostré. Les larmes coulent sur leur visage, sans bruits. La sœur de l'homme (Julie Sicard) déplace des cartons de vêtements et de jouets. Des détonations brisent le silence, font sursauter les personnages et la salle. On ose à peine respirer. La mère de l'homme (Nicole Garcia) laisse un message sur la boîte vocale. Elle peut aider, qu'ils n'hésitent pas à la solliciter. Un proche (Stéphane Varupenne) sonne à la porte, murmure un simple «bonjour» avant de retirer sa veste, serre l'homme dans ses bras sans prononcer d'autre mot, puis aspire une bouffée de cigarette électronique. «J'aimerais que les spectateurs ne soient pas attentifs mais disponibles», a déclaré Antonioni. Comme le personnage de Baptiste Chabauty qui fixe le public des deux côtés, ces derniers sont les témoins impuissants d'une douleur qui pousse le couple aux frontières de la folie. On comprend que nous sommes face à un couple en deuil. Elle gémit, se mord les lèvres, plante ses dents dans une balle de tennis. On se souvient de la scène de la partie de tennis imaginaire et mimée de Blow-up. Hagard, la tête dans les mains, son conjoint retient ses cris. Des éclats de vie surgissent trop rarement. À travers le chien qui suit sa maîtresse. Celle-ci va se changer. Son compagnon l'invite à se rapprocher de lui. Ils s'enlacent, mais la souffrance revient, insoutenable. Lourd de non-dits, le silence qu'instaurent Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan tue à petit feu. On sort du théâtre troublé et bouleversé. Le Silence, de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan Par la Comédie-Française Jusqu'au 10 mars, théâtre du Vieux-Colombier Paris 6e. Loc. : 01 44 58 15 15
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 5:22 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 18/02/24 Dans son nouveau spectacle « Live », Stéphanie Aflalo continue d’affoler les règles et les genres. Après la visite étrangement commentée des musées et la fausse-vraie conférence philosophique autour de Wittgenstein, voici que s’arrête à Paris la tournée mondiale de la chanteuse star, Stéphanie Aflaaaaaalooooo !!!
« Bonjour Paris !!! ». Sur la scène de la Coupole (nouvelle et belle salle du Théâtre de la ville), la bande son enregistrée chauffe le public. Cependant, sur la scène devant nous, il n’y pas des tonnes de matos, des lumières chiadées aux tourbillons dévastateurs, il n’y a pas d’orchestre tapi dans l’ombre, non, il n’y a pas d’orchestre du tout, il n’y a rien. Sauf un micro ordinaire posé sur pied au centre de la scène et, plus tard, un modeste piano électrique portatif. On entend off la voix de la star, on l’entend longtemps avant qu’elle n’apparaisse enfin devant les fans que nous sommes, forcément, et qui l’attendons tous, gentiment invités à entrer dans son jeu. Elle se fait désirer comme toutes les stars et quand on est chaud, elle entre enfin. Les codes de la star en tournée internationale sont là mais comme retournés, dépouillés, mis en vrille. Les chansons (originales, c’est le moins qu’on puisse dire) vont se succéder sur le plateau nu, seul accessoire indispensable et discret , la bouteille d’eau. Et entre deux chansons, la star se vautre en confessions pipi-caca-philo. Stéphanie est la star, autant qu’elle joue à l’être, nulle dérision ou moquerie mais un art affectueux du détournement. Philosophes de la déconstruction, vous en avez rêvé, Stéphanie Aflalo l’a fait, elle est votre égérie auto proclamée. Cela passe par un tourniquet de dédoublements dans lesquels l’artiste (chanteuse ? Actrice ? Performeuse ? Doublure?) nous entraîne avec entrain. Les spectacles de Stéphanie Aflalo en cachent toujours un autre, mi virtuel mi secret. C‘était le cas de L’amour de l’Art et de Jusqu’à présent personne n’a ouvert mon crâne pour savoir s’il y avait un cerveau dedans (lire ici), ce dernier étant la première d’une série de « récréations philosophiques » à venir. Avant de créer ses spectacles et sa compagnie ( au nom de Johnny Stecchino) basée à Lille, elle avait servi à merveille des metteurs en scène comme Yuval Rozman, Hugo Mallon et Florian Pautasso. Avec ce dernier elle avait signé, seule en scène, une inoubliable version de Loretta song de Copi . Créé à la POP, ce laboratoire flottant de formes nouvelles, ayant fait escale au Théâtre du Nord, le spectacle Live, on ne peut plus vivant, s’arrime pour quelques jours au Théâtre de la ville dans la nouvelle salle de la Coupole où il peut se déployer et jouer plus avant avec les codes du spectacle-show de la star pop en tournée internationale. De la star qui n’en est pas moins femme ayant soudain en scène envie de faire caca au cours accéléré d’anosognosie, l’arche de la nouée se dénoue devant nous, avec un humour constant, tempo de la soirée. Rien ne manque jusqu’aux larmes finales. On ne va pas se séparer comme ça. Stéphaniiiiiiie revient !!! Jean-Pierre Thibaudat dans son blog de Mediapart Créé à la Pop le spectacle Live conçu, écrit , mis en musique et interprété par Stéphanie Aflalo est au Théâtre de la ville, ce soir et demain à 19h, puis du 21 au 23 à 20h.
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 2:56 PM
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Par Fabienne Darge (Marseille, envoyée spéciale) et Gilles Rof (Marseille, correspondant) dans Le Monde - 19/02/24 Plusieurs figures du spectacle vivant critiquent le manque d’ambition de la municipalité, limitée par les contraintes budgétaires.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/19/le-printemps-marseillais-tarde-a-eclore-sur-le-plan-culturel_6217237_3246.html
La soirée était magnifique. Le 11 juillet 2023, dans l’écrin des façades ocre du Vieux-Port, sur une scène flottante amarrée face à l’hôtel de ville, les danseurs du collectif (La) Horde, la compagnie qui dirige le Ballet national de Marseille depuis 2019, donnent Room With a View, spectacle chorégraphique en prise avec les révoltes actuelles. A leurs pieds, touristes étonnés, familles populaires venues chercher un brin de fraîcheur et amateurs de création contemporaine, ravis de l’occasion, leur font un triomphe. Deux semaines seulement après des émeutes urbaines qui, pour la première fois, ont touché Marseille, personne ne s’attendait à voir 20 000 personnes – selon l’estimation, invérifiable, de la municipalité – se presser là. Surplombant la foule, sur le balcon de la mairie, Benoît Payan exulte. « C’est un défi de proposer de la danse contemporaine à tous les publics et, pourtant, le Vieux-Port est plein », se félicite le maire divers gauche. Room With a View est le clou de l’Eté marseillais, saison culturelle gratuite qu’il a souhaité créer pour animer la période estivale. Et y programmer (La) Horde est un choix personnel que l’élu de 46 ans revendique. Six mois plus tard, c’est encore cette nuit d’été qu’il convoque en exemple pour illustrer la politique culturelle du Printemps marseillais, la coalition de gauche, citoyenne et écologiste, qui dirige la ville depuis juin 2020. Mais derrière la belle image, ce songe d’une nuit d’été, des interrogations, pour ne pas dire des grincements et des grognements, s’expriment désormais dans le milieu culturel, et singulièrement dans celui du spectacle vivant, après bientôt quatre ans de gestion municipale du Printemps marseillais. Un gros couac a cristallisé ces interrogations : l’« accident industriel » subi par Montévidéo, lieu pionnier de la création contemporaine à Marseille, fondé en 2000 par l’auteur et metteur en scène Hubert Colas et par le musicien Jean-Marc Montera. Cette plate-forme s’est imposée au fil des années comme un foyer d’émergence d’artistes importants et a rendu visible à Marseille l’évolution interdisciplinaire des arts de la scène, notamment à travers un festival automnal, Actoral. L’association a été expulsée de son quartier général du 6e arrondissement le 7 février par son propriétaire privé, à la suite d’un feuilleton kafkaïen. L’ensemble des acteurs ayant pris part à cette aventure ne s’est pas privé de faire savoir ce que ce crash révélait, selon eux, des fragilités de l’équipe municipale. A l’image de Jean-Marc Montera, artiste reconnu des musiques contemporaines, jadis partenaire du groupe Sonic Youth : « Il y a une déception du milieu culturel vis-à-vis de la politique de la municipalité, affirme le sexagénaire. Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour cette équipe, on est obligé de constater une inertie qui, à mon sens, vient du plus haut niveau de la pyramide. La municipalité devrait surfer sur le potentiel artistique de cette ville, s’appuyer sur les forces vives qui ont déjà une ouverture sur le national et l’international. Mais on a l’impression d’être face à des acteurs qui n’ont pas fait le point sur l’existant et n’ont pas de vision à long terme. Un manque de vision qui, pour moi, correspond à un manque de désir. » Insatisfaction et impatience D’autres opérateurs culturels expriment leur insatisfaction ou leur « impatience », y compris quand ils ont été adoubés par l’actuelle équipe municipale, à l’image de Robin Renucci. Le directeur du Théâtre national de la Criée, dans son grand bureau donnant sur le Vieux-Port, s’étonne, deux ans après sa nomination, de ne pas avoir de réponses à nombre de ses questions : « J’ai été nommé sur ce désir, exprimé par la municipalité, de déployer “la culture pour toutes et tous” qui correspond à mon propre ADN, explique-t-il. Mais, comme d’autres, je suis dans l’attente d’une plus grande concrétisation de cet énoncé, et dans une forme d’impatience, face au blocage – budgétaire, entre autres – dans lequel je me trouve pour articuler la création et l’action culturelle. » Cette articulation indispensable entre création et ouverture de l’art sur de nouveaux publics, Robin Renucci n’est pas le seul à la souligner comme un des maillons faibles de la municipalité. « Parler d’une humanité, d’une socialité communes, d’une individuation légitime, tout ce travail qui fait que nous sommes dans des lieux comme celui-ci, c’est profondément politique. Et c’est ensemble qu’on construit une politique. Y compris sur l’éducation artistique et la formation des enseignants, l’alambic culturel de la mairie de Marseille n’est pas très clair », conclut-il. En première ligne face à une grogne qu’il perçoit, l’élu communiste Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture depuis juillet 2020, défend son bilan et ses choix, mais reconnaît aussi que les promesses électorales du Printemps marseillais – doubler les subventions aux associations culturelles – étaient « trop ambitieuses ». « C’est ce qu’il faudrait, mais ce ne serait possible que dans un autre contexte », dit-il, en pointant la situation catastrophique dans laquelle la nouvelle majorité a trouvé la ville, et que plusieurs rapports de la chambre régionale des comptes ont minutieusement détaillée. « Il a fallu remettre sur les rails deux services municipaux qui étaient dans un important état de fragilité : les musées, où on avait pris l’habitude de muter les agents des écoles déclarés invalides, et les bibliothèques, où j’ai découvert qu’il n’y avait plus eu de recrutement depuis 2017 », détaille l’adjoint. Gestion de sujets sensibles Gratuité des musées et des abonnements en bibliothèque, réouverture en avril 2023 du Musée d’art contemporain, fermé depuis 2019, nouvelles lignes budgétaires pour financer l’éducation artistique et culturelle des jeunes publics pour un total de 585 000 euros en 2024, remise à plat des subventions pour y intégrer des structures oubliées par la précédente mandature… Jean-Marc Coppola égrène les avancées et met en avant un budget « culture » sanctuarisé à hauteur de 73 millions d’euros, dont l’opéra municipal absorbe, à lui seul, 21 millions. Pour les autres structures culturelles, le montant des subventions atteint, lui, 28,8 millions d’euros en 2024, soit 1,5 million de plus qu’en 2020. La Criée, le Centre national des arts de la rue ou le Pôle national du cirque bénéficient d’une aide municipale augmentée. Cette bonne volonté affichée n’a pas empêché la majorité actuelle d’encaisser des volées de bois vert dans la gestion de sujets sensibles, comme ceux du Théâtre Toursky ou du château de la Buzine. Deux dossiers habilement politisés par l’opposition de droite qui, pourtant, n’était pas étrangère aux dérives de ces deux lieux au moment où elle était aux affaires. Marie Didier, directrice du Festival de Marseille, dévolu à la danse contemporaine, qui se tient tous les ans en juin, tempère les critiques essuyées par l’équipe municipale : « C’est clair que les attentes de la mairie en matière d’éducation artistique et culturelle sont fortes. Mais pour autant je pense que la place de l’art et de la création est quand même importante pour elle, en tout cas en termes symboliques. Après, il y a la question des moyens. Et les enjeux financiers sont compliqués dans cette ville, avec des chantiers colossaux et un sous-équipement structurel. Je ne pense pas qu’il y ait un désamour pour le théâtre à Marseille – pas plus qu’ailleurs, en tout cas. Il y a un contexte global, qui fait que le service public de l’art a compris qu’il n’était pas essentiel – ce qui s’est matérialisé par les décisions prises pendant la crise du Covid-19 –, et des défiances qui se sont cristallisées. » Dans la jeune génération, Lou Colombani, fondatrice en 2007 d’un pôle de production-diffusion et d’un festival « des pratiques artistiques émergentes internationales » intitulé Parallèle, qu’elle s’épuise à faire fonctionner dans des conditions de sous-financement acrobatiques, émet elle aussi un avis nuancé. « Il est clair que la mairie s’inscrit dans un mouvement qui pense sa politique à partir des droits culturels et de l’éducation populaire, pose-t-elle. C’est par ailleurs une ville déficitaire, qui ne va pas trouver beaucoup de moyens supplémentaires pour la culture. Du coup, elle a du mal à assumer de faire des choix, là où on aurait envie d’entendre de vraies orientations. La question de l’émergence a longtemps été un impensé à Marseille, et elle le reste. Les jeunes artistes se construisent dans l’alternative. Comment penser des circulations, des régénérations, pour qu’un espace soit ouvert à ce qui advient ? Ici comme ailleurs, on est dans une logique un peu mortifère, où on sauve les meubles de l’existant, mais sans créer de place pour ce qui émerge. » Manque de moyens A Marseille, on s’interroge aussi sur les véritables pouvoirs de Jean-Marc Coppola, et sur les éventuelles tensions entre le maire et son adjoint. « Je me demande s’il a les coudées franches », glisse Jean-Marc Montera. « La seule personne qui peut bouger, c’est le maire, parce que l’adjoint n’a pas tous les arbitrages », assène Robin Renucci. La cérémonie des vœux au monde culturel, tenue le 24 janvier 2023, n’a pas effacé cette drôle d’impression. Après le discours de son adjoint, puissance invitante, Benoît Payan a pris la parole. « On a eu le sentiment d’un concours d’éloquence où chacun voulait donner sa vision de la culture sans apporter les éléments concrets qu’on attendait tous », note un directeur de structure, qui tient à garder l’anonymat. Début 2024, c’est pourtant bien l’adjoint Coppola qui a lancé les Rencontres culturelles de la ville. Des rendez-vous mensuels sous forme de « petits déjeuners en comité restreint » où certains acteurs sont invités à débattre de plusieurs thèmes listés par la municipalité. Comme la « place de l’éducation populaire dans la création », ou l’« élaboration d’un nouveau schéma des musiques ». Autant de sujets qu’il sera difficile de traiter avant la fin du mandat en 2026. Face à son manque de moyens, le monde de la culture vivante regarde aussi avec incompréhension les choix faits dans le cadre du plan « Marseille en grand ». Avec son budget de 5 milliards d’euros, le plan protéiforme lancé par Emmanuel Macron en septembre 2021 a décidé de privilégier le seul domaine du cinéma. Une exclusivité que la ville n’a eu d’autre choix que d’accepter. « Après vingt-cinq ans de brejnévisme culturel, il était difficile de faire des miracles », ironise Dominique Bluzet, faisant allusion au long mandat de Jean-Claude Gaudin (Les Républicains). Le directeur de la structure Les Théâtres – qui regroupe le Gymnase et les Bernardines à Marseille, et le Jeu de paume et le Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence – est réputé être plus proche de Martine Vassal, la présidente de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence (ex-LR, ralliée à Emmanuel Macron en 2022), que de l’actuelle majorité municipale. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir que la mairie finance les 18 millions d’euros de travaux nécessaires à la rénovation du Théâtre du Gymnase. « L’équipe actuelle n’avait pas prévu de l’emporter, et est arrivée à la mairie sans avoir réalisé d’inventaire culturel, analyse-t-il. Elle a hérité de dossiers compliqués, il fallait sauver le Titanic. Cela dit, nous regrettons tous que Benoît Payan ne s’implique pas plus sur ce terrain. On sait depuis Louis XIV qu’en France, c’est le prince qui porte le discours culturel et le ministre qui le retranscrit. Or le dessein culturel du territoire n’est pas incarné par le maire actuel. » Articulation entre art et social D’autres sont beaucoup plus sévères, à l’image de Fabrice Lextrait, spécialiste des tiers-lieux culturels, et membre fondateur de la Friche, lieu emblématique du quartier de la Belle-de-Mai, au début des années 1990. Lui pointe le « manque d’audace » du Printemps marseillais, et regrette que cette nouvelle équipe municipale au logiciel de gauche ne se soit pas donné les moyens d’« une véritable refondation culturelle », avec une pensée plus poussée sur l’articulation entre l’art et le social. « A la Belle-de-Mai, qui est située dans un des quartiers les plus pauvres d’Europe, cela aurait du sens de créer un véritable “tiers-quartier”, par exemple. L’enjeu pour les années à venir est important, de savoir comment on utilise cette question culturelle comme un vrai territoire d’innovation politique. » Est-ce une question de génération ? Christian Poitevin, ancien adjoint à la culture sous la mandature socialiste de Robert Vigouroux, de 1989 à 1995, et qui fut à l’origine de la création, entre autres, de la Friche la Belle-de-Mai ou du Musée des arts africains, océaniens et amérindiens, porte lui aussi un regard déçu sur l’action culturelle de l’équipe Payan. « J’étais assez optimiste quand le Printemps marseillais est arrivé au pouvoir, se souvient-il. Mais j’ai vite déchanté. Il est tout à fait possible de faire de la culture populaire et de l’élitisme culturel qui devient populaire, mais, pour cela, il faut marquer du désir. Et ce désir que nous avions de porter haut une culture mélangeant les disciplines et les origines, à l’image de ce qu’est Marseille, je ne le retrouve pas. Des erreurs ont été commises, notamment dans la gestion du cas Montévidéo. Où est l’avancée culturelle et artistique de ce début de mandat ? Ce n’est pas pire que sous Gaudin, mais, pour l’instant, ce n’est pas meilleur », conclut-il. De vieux crocodiles issus des années Lang face à une nouvelle génération de politiques incarnant une gauche plurielle tiraillée entre l’éducation populaire et l’événementiel, et plombée par l’état de sa ville après vingt-cinq ans de gaudinisme ? Sur ce terrain comme sur d’autres, Marseille joue le rôle de laboratoire, et de loupe sur les contradictions de la gauche française. A deux ans, seulement, des prochaines municipales. Fabienne Darge (Marseille, envoyée spéciale) et Gilles Rof (Marseille, correspondant) / LE MONDE Légende photo : Le Ballet national de Marseille – (La)Horde lors d’une représentation de « Room With a View », au Vieux-Port de Marseille, le 11 juillet 2023. THIERRY HAUSWALD
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 12:24 PM
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Publié par Sceneweb le 19 février 2024 Pierre Beffeyte est nommé à la direction du Théâtre Edwige Feuillère, Scène conventionnée d’intérêt national – Art en territoire. Il prendra ses fonctions le 15 avril prochain. Il succède à Charlotte Nessi.
Pierre Beffeyte a été producteur de spectacles et président du Festival Off d’Avignon. Auditeur du Cycle des Hautes Etudes de la Culture, il est également impliqué dans les organismes professionnels tels que le Centre National de la Musique ou la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques.
Son parcours professionnel l’a amené à travailler dans les univers de la danse, de l’art lyrique, de la musique, de la marionnette et du théâtre. Très engagé dans le soutien des artistes et de la création, il s’est également beaucoup intéressé aux enjeux de développement des publics et d’éco-responsabilité des structures culturelles.
« Le projet que je souhaite porter avec l’équipe du Théâtre Edwige Feuillère repose avant tout sur des valeurs qui me tiennent à cœur : œuvrer à garantir les droits culturels de tous, défendre une parole artistique engagée dans les grands défis de notre monde et inscrire notre action dans une cohérence écologique et sociale. Projet artistique au service d’un territoire rural, résolument tourné vers l’élargissement des publics, il s’inscrira dans une dynamique joyeuse de création, où se côtoieront des œuvres de référence, des écritures nouvelles, des univers singuliers d’artistes confirmés ou émergents. Grande maison de culture rayonnant dans le paysage départemental, régional et national, le Théâtre Edwige Feuillère sera un lieu phare pour son territoire, un lieu inspirant pour les artistes et un lieu de croisement des cultures et des gens. » Pierre Beffeyte D'après le Dossier de presse
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 8:48 AM
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Publié sur le site de France Culture, dans l'émission d'Aurélie Charon "Tous en scène", le 17 février 2024 Le Festival Longueur d’Ondes fête ses vingt ans. À cette occasion, France Culture, pionnière des enregistrements de fictions en public à Brest, revient au Quartz avec la "Scène imaginaire d’Emmanuel Meirieu". Ecouter le podcast (1h56) Le Festival Longueur d’Ondes fête ses vingt ans. À cette occasion, France Culture, pionnière des enregistrements de fictions en public à Brest, revient au Quartz avec la "Scène imaginaire d’Emmanuel Meirieu". Une scène imaginaire mêle étroitement plusieurs formes radiophoniques en particulier celle de l’entretien, celle de la lecture en public et celle de la carte blanche. C’est une forme hybride, libre, inventive, convoquant plusieurs spécificités radiophoniques et soulignant la richesse de l’alliance entre la fiction et le magazine. Chaque scène imaginaire est une manière d’entrer dans le monde intérieur d’un metteur en scène, en lui confiant le choix des textes, des comédiens, des archives, des musiciens. À chacun des metteurs en scène invités pour cette série des "Scènes imaginaires", nous demandons de choisir et partager avec nous les œuvres qui ont fondé et jalonné sa vie d’artiste. Il s’agit finalement de s’interroger sur un "art d’hériter" et sur la nature d’une forme de transmission livresque pour des metteurs en scène qui ont choisi de mettre le texte au cœur de leur pratique artistique. Publicité Le service des fictions de France Culture accompagne depuis plusieurs années le metteur en scène Emmanuel Meirieu, à travers des captations ou reprises de ses spectacles, ou encore des coproductions. Ainsi Alexandre Plank a réalisé la version radiophonique de La fin de l’homme rouge, Sophie-Aude Picon celle des Naufragés, Louise Loubrieu a co-réalisé la création radiophonique de Dark was the night. Emmanuel Meirieu est le plus "radiophonique" de tous les metteurs en scène en France. Chacun de ses spectacles privilégie la voix, le texte, le son, la musique. Cette scène imaginaire est l’occasion d’explorer les liens entre théâtre et radio, entre le son et le texte, la littérature et la création radiophonique. Emmanuel Meirieu nous dira comment les œuvres qu’il a choisies ont façonné son imaginaire et son esthétique, comment il dialogue secrètement avec elles, quelle connaissance intime il en a aujourd’hui et de quelle manière ces textes ont contribué à constituer son imaginaire et sa pratique de metteur en scène. À écouter : Fictions / Théâtre et Cie 1h 22 Réalisation : Sophie-Aude Picon Entretien avec Emmanuel Meirieu par Arnaud Laporte Textes, extraits sonores, comédiens, choisis par Emmanuel Meirieu Enregistré en public au Festival Longueur d’ondes le 9 février 2024 dans la petite salle du Quartz à Brest Lectures par Irène Jacob et François Cottrelle Collaboratrice artistique : Pauline Thimonnier Equipe technique : Ivan Charbit et Pierre Lemaire Assistante à la réalisation : Claire Chaineaux** Une production des fictions de France Culture. La collection des Scènes imaginaires compte aujourd’hui une vingtaine de titres, disponibles sur le site de France Culture et l'appli Radio France. Toutes les scènes imaginaires ont été enregistrées en public : à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, au Théâtre de la Ville, au Vieux Colombier et ce 9 février 2024, à l’occasion du Festival Longueur d’Ondes, au Quartz de Brest. Emmanuel Meirieu Auteur - Metteur en scène – Adaptateur - Directeur artistique du Bloc Opératoire compagnie de théâtre conventionnée par la DRAC Auvergne Rhône Alpes, la Région Auvergne Rhône Alpes, et soutenue par la Ville de Lyon. Artiste associé à la MC2, Scène Nationale de Grenoble, et au Centre Dramatique National de Lorient. Il mène des études de philosophie et de droit. Qu'il travaille avec des interprètes confirmés ou révèle des talents bruts, sa direction d'acteur est unanimement saluée. Avec notamment De Beaux Lendemains aux Bouffes du Nord en 2011, et Mon traître créé au théâtre Vidy-Lausanne en 2013, Les Naufragés présenté dans le cadre des Nuits de Fourvière en juin 2018, il a démontré son talent pour l'adaptation de romans à la scène. En 2019, aux Gémeaux, Scène National de Sceaux, il crée La Fin de l’Homme Rouge d’après le roman de Svetlana Alexievitch. En 2022, il écrit et met en scène : Dark was the Night. Trois de ses spectacles sont devenus des fictions radiophoniques pour France Culture. "Quand je fais du théâtre, je voudrais que les spectateurs oublient que c’est du théâtre. Je voudrais que, dès les premiers mots prononcés, ils croient que celui qui leur raconte l’histoire est celui qui l’a vraiment vécue. Et qu’ils croient que ses mots là sont prononcés pour la première fois pour eux ce soir. Il n’y a qu’au théâtre que le personnage d’une histoire est physiquement présent devant nous, vivant, dans le même endroit du monde et au même moment, séparé simplement de quelques mètres de nous. J’ai besoin d'un fait réel, toujours, je ne peux pas raconter de pure fiction. Je crois en la puissance, la densité, la complexité du réel, face à la pauvreté de la fiction, la force du concret plus que celle du fantasme. En art mes plus grands bouleversements sensuels et spirituels sont venus de documentaires : Werner Herzog, Patricio Guzmán. Aussi lorsque j’adapte ou que j’écris, je fictionne toujours le moins possible. Je veux être humble face au réel qui m'a inspiré. Pour moi l’écriture, la mise en scène, sont d’abord un travail concret d’immersion, de documentation, d’investigation. Je ne cherche pas pour autant à faire le récit exhaustif et complet du fait réel qui aura inspiré le spectacle, parce que cela doit devenir personnel, je veux vous donner à voir l'événement à travers mes yeux. J‘ai quelque chose de personnel à vous dire à travers l’histoire vraie que j’ai choisi de vous raconter : l’humilité face au vivant, la nécessité du soin perpétuel, la volonté de réparation, l’innocence martyrisée, nos impossibles guérisons. Et je commence toujours par me poser la question, celle qui précède à tout, au théâtre, au cinéma, dans tous nos récits : qui allons-nous célébrer ? De qui ferons-nous nos héros ? A la télévision, au cinéma, au théâtre, comme sur l’espace public, et dans nos livres d’histoires, je crois que nous vivons au milieu de récits, de modèles, de figures et d’icônes toxiques, et qui agissent profondément sur nous, comme un empoissonnement lent de l’âme humaine, une intoxication indolore. Aux tout puissants, aux voraces, super-héros, super-stars, généraux d’empires, aux mégalomaniaques de tous les genres dont on fait nos champions, je préfère toujours les discrets, les patients, ceux qui, secrètement, minutieusement, dans le silence de l’histoire, prennent soin de tout. Et les martyrs, les oubliés, les fracassés, ceux que la Grande Histoire comme l’actualité effacent." Emmanuel Meirieu
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2024 6:24 PM
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Par Laurent Goumarre dans Libération - 18 février 2024 Lorraine de Sagazan, dont c’est la première mise en scène à la Comédie-Française, et Guillaume Poix instaurent un face-à-face avec le public dans une fascinante pièce coupée en deux, remplie d’énigmatiques déflagrations et d’images suspendues. Est-ce qu’ils se taisent ? Est-ce qu’ils n’ont plus rien à se dire ? Ou peut-être que tout a déjà été dit ? Que plus rien ne peut se dire ? Autant de questions qui se posent face à ce qui ressemble encore à un couple. Elle, Marina Hands, semble hébétée dans son salon-salle à manger pas rangé, un cadavre de déjeuner sur la table pas débarrassée. Elle jette une balle devant son chien, sans mot dire, comme par réflexe : on trouve une balle, il y a un chien, on lance la balle. Lui, Noam Morgensztern, rentre des courses, parcourt la pièce comme une traversée en solitaire, droit devant toute, opaque. Ils sont deux sur le même plateau, mais ne le partagent pas, enfermés chacun en eux-mêmes. De notre côté, on tente de les réconcilier, au moins du regard. Impossible : quand on en regarde un, on perd l’autre de vue. La communication est rompue à tous les niveaux dans cette pièce littéralement coupée en deux par le dispositif bi frontal qui fait que personne n’est à la bonne place. Personne ne peut tout voir quand bien même on se tient au plus près des personnages. Visage enfoui dans le sable Un silence bourré à craquer : ils sont quatre maintenant, deux amis sont arrivés, qui tentent d’infiltrer le silence, mais pour ne rien dire. Julie Sicard peine à finir ses phrases, Stéphane Varupenne écourte une conversation au téléphone, «ce n’est pas le moment». Encore faut-il s’entendre sur ce silence rempli d’énigmatiques déflagrations, d’objets sonorisés, de peluche d’enfant – ou de chien ? – qui couine, un silence bourré à craquer, jusqu’à l’explosion de Marina Hands, impressionnante, hors d’elle-même, un silence qui épuise les mots quand ils arrivent. Et que pourraient-ils bien se raconter dans cet appartement plombé, surmonté d’un écran qui diffuse des images suspendues comme autant de sous-textes en noir et blanc – Marina à cheval, Noam immobile de dos dans les rayons d’un supermarché, un visage enfoui dans le sable, un manège d’enfants qui tourne à vide, gros plan sur un jeu d’échecs, focus sur un livre, la Révolution copernicienne édition les Belles Lettres. Hantés par le texte Bien vu, car c’est une fascinante révolution que mène Lorraine de Sagazan dans sa première mise en scène à la Comédie-Française. Alors qu’au théâtre, en principe, on voit ce qui se passe, ici on regarde ce qui a bien pu se passer, de quel drame ce silence étouffe le nom. Un enfant a-t-il disparu ? Chacun travaille sa propre histoire comme les comédiens ont dû le faire, hantés par le texte que leur a écrit Guillaume Poix, tous les quatre porteurs d’un récit qu’ils taisent, mais que la mise en scène donne à voir. La douleur ça doit être ça, regarder des gens en souffrance des mots pour le dire. A cet instant, il faut mentionner une cinquième présence, celle de Baptiste Chabauty, qui tourne intense et silencieux tout autour du plateau dans un jeu de face-à-face au public. Ce jeune pensionnaire vient d’intégrer la Comédie-Française, comme on entre dans les ordres : pour sa première pièce, il a fait vœu de «silence». Laurent Goumarre / Libération Le Silence de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, mise en scène de Lorraine de Sagazan, au théâtre du Vieux-Colombier, Paris, jusqu’au 10 mars. Légende photo : Marina Hands semble hébétée dans son salon-salle à manger pas rangé. (Crédit © Jean-Louis Fernandez)
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2024 1:24 PM
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Propos recueillis par Lenaïg Bredoux dans Mediapart - 18/02/24 Après quarante ans à tourner au cinéma et à la télé, la comédienne raconte sa joie de jouer mais aussi un quotidien émaillé de violences sexistes et sexuelles dans une industrie souvent hostile aux femmes. « Enfin, les choses vont changer », espère-t-elle.
D’emblée, elle dit : « J’ai subi un inceste. » Ça ne fait pas deux minutes qu’elle est assise, à peine cinq qu’elle est arrivée dans les bureaux de Mediapart. Christine Citti pose le cadre. « Avec une amnésie traumatique. » La comédienne, au visage familier de celles et ceux qui ont beaucoup tourné pour la télé, a réfléchi avant de venir. Elle a prévenu ses enfants qui ont déjà trinqué. Ils et elles la soutiennent. « À fond », dit l’actrice. C’était une condition. Si elle dit tout ça, en guise de préambule, c’est qu’elle a compris que son parcours est « relié au fait d’avoir été un enfant incesté ». « Cela fait partie de l’histoire. » Alors disons-le, avec elle, pour commencer. Christine Citti est aussi scénariste, réalisatrice, elle a joué pour le cinéma et le théâtre, elle fut une héroïne du petit écran avec la série policière Éloïse Rome. À 61 ans, elle tourne moins. La faute à cette industrie qui a tendance à broyer les femmes – les jeunes quand elles sont la proie des prédateurs, les anciennes quand elles sont jugées hors d’usage. La comédienne veut parler pour les « plus jeunes ». « Si des femmes comme moi ne parlent pas, qui va le faire ? » Une fois installée dans la petite salle de réunion, Christine Citti est tout de même « un peu stressée ». « Mais je n’ai pas peur », dit-elle. Alors, allons-y. Enfin, une chose encore : avant la publication de cet entretien, l’actrice nous a rappelés, « un peu tremblante ». Elle avait des doutes. Elle se demandait si ses propos n’étaient pas « trop victimaires ». « J’ai été une victime… Mais je ne me vis pas comme ça. » Enfin, pas seulement, et heureusement. Mediapart : Ces derniers jours, de nombreuses actrices, au premier rang desquelles Judith Godrèche, ont pris la parole pour dénoncer des réalisateurs prestigieux – Jacques Doillon, Benoît Jacquot… Que vous inspirent leurs récits ? Christine Citti : D’abord, j’ai envie de pleurer. De les embrasser. De leur dire qu’elles sont fortes et courageuses. Ce qu’elles font est remarquable. #MeToo nous sauve la vie. Toute la lumière est mise sur ces histoires parce que ce sont des actrices célèbres qui parlent de gens célèbres. Mais elles sont peut-être en train de sauver la vie des serveuses qui se font mettre la main au cul toute la journée, et qui se sentent sales quand elles rentrent chez elles. Ou des jeunes filles au pair qu’on emmerde… Ou celles qui ne savent pas encore nommer ce qu’elles ont vécu. Cela m’est arrivé à moi aussi, et cela m’arrive encore, de ne pas mettre les mots. Je me dis que peut-être, enfin, les gens vont comprendre qu’il nous faut du temps pour parvenir à formuler ce qu’on a vécu. Je me dis que peut-être, enfin, les choses vont changer. Dans le cinéma, c’est une certitude. Au-delà aussi, espérons. Depuis deux mois, le #MeToo est vraiment effectif en France. Mais je m’en veux aussi, un peu. Il y a des gens et des événements dont je n’ai pas parlé. De quoi vous sentez-vous coupable ? J’en veux d’abord à moi-même. J’ai passé trop de temps dans ma vie à nier les choses, à être une victime et à obéir comme on me l’avait appris dans l’enfance. Ensuite, je m’en veux parce que j’ai été punie dans mon métier. Je me suis fait du mal à moi-même – et à mes enfants parce que je n’arrivais pas à leur expliquer pourquoi je passais par des phases très autodestructrices. Et quand on m’a fait du mal, je n’ai pas pu le dire. Sur les tournages ou les productions de théâtre, j’ai toujours été capable de l’ouvrir face à des injustices sociales. Mais je ne l’ai jamais ouvert sur les choses faites aux femmes. Pourquoi ? C’était tabou. Par ailleurs, et mon enfance, et la société, et ce métier m’ont appris que c’était de ma faute. Je n’étais ni intellectuellement, ni analytiquement, ni physiquement armée pour penser autrement. D’abord, l’inceste a tout conditionné. Il vous apprend à vous taire. On est sale. On pense que c’est de notre faute, puisque nous provoquons le désir. J’ai appris très tard à dire non. À comprendre ce qu’était le consentement. Dans mon travail et dans la vie de tous les jours. Chez moi, cela a été renforcé par l’amnésie traumatique : des choses ne pouvaient pas être entendues par mon cerveau. Cela m’a conduite à accepter des situations – tout était un grand flou, un grand bordel. Je pourrais compter sur mes mains le nombre de réalisateurs qui se sont intégralement bien comportés avec moi. Dès le premier film auquel j’ai participé, j’ai été confrontée au problème des agressions. C’était un petit rôle, j’avais 18 ans. Au deuxième jour de tournage, le réalisateur force la porte de ma chambre et me viole. J’ai pensé que c’était de ma faute, et je ne l’ai dit à personne. Le lendemain, je suis repartie par le train. Jusqu’à il y a trois jours, je ne l’avais jamais dit. À l’époque, vous êtes très jeune, vous débutez dans ce métier… J’étais un bébé ! Je ne connaissais pas ce métier. Cela a-t-il conditionné vos débuts de comédienne ? J’ai tout fait pour ne surtout pas être jolie, bien habillée… Je pensais que si je prenais 20 kilos de plus, on me foutrait la paix – attention, je ne suis pas grossophobe, mais les mecs si ! À l’école des Amandiers, puis dans les castings, je faisais tout pour ne pas être remarquée. C’est assez antinomique de vouloir disparaître et de vouloir être actrice. Mais c’est l’histoire de ma vie ! [Rires] Travailler a-t-il été d’emblée plus difficile pour vous ? Oui. J’ai commencé dans les années 1980 : comme le dit Isabelle de la Patellière [une agente citée dans Libé – ndlr], tout le monde cherchait alors de la « chair fraîche ». Or je n’étais pas dans la séduction. D’une certaine façon, elle est inhérente au métier d’acteur ou d’actrice. Je ne parle pas de la séduction sexuelle. Mais du fait de se présenter au mieux à des gens. Acteur ou actrice, c’est un métier de représentation. Mais je ne voulais pas. C’était très enfoui en moi. Quand j’avais 24-25 ans, on m’a beaucoup dit : « Si tu maigrissais, tu aurais beaucoup plus de boulot. » On me disait : « Viens à cette soirée, viens à cette projection, tu vas rencontrer des gens. » Je n’y allais pas. Ou alors en jogging, ou en ne parlant à personne. Vous dites que vous avez une « peur des hommes »… Oui, j’ai alors commencé à développer une peur des hommes de pouvoir et d’autorité. Cette peur devait être là depuis que je suis petite, sans que je le sache vraiment. C’est en faisant ce métier qu’elle a pris beaucoup de place. Je n’ai pas forcément eu peur dans ma vie privée, j’ai aussi rencontré des hommes formidables. Ce sont les hommes de pouvoir et d’autorité qui m’ont toujours fait peur. Pourquoi ? Au théâtre, j’ai toujours vécu des choses très belles et très respectueuses. J’ai rencontré un metteur en scène tyrannique. Et qui l’était sans doute davantage avec les femmes qu’avec les hommes ! Ce qui était sexiste en soi. Mais cela n’avait rien de sexuel. Je crois les femmes qui accusent et participent au #MeTooThéâtre. Mais j’y ai vécu plutôt une belle vie. À la télé et au cinéma, sans être une grande star, j’ai beaucoup travaillé. Je pourrais compter sur mes mains le nombre de réalisateurs qui se sont intégralement bien comportés avec moi. J’ai subi cinq agressions. C’est énorme. Les femmes de ma génération, nous ne nous accordions pas le droit de parler. Sinon, nous étions perçues comme des chieuses. Voulez-vous nous dire ce que vous avez vécu ? Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais pas toujours mis les mots – par exemple, je n’ai pas toujours parlé de viol pour qualifier certaines agressions. Ainsi, lors d’un tournage pour un téléfilm à Marseille, j’avais pris des somnifères pour dormir la nuit – je suis insomniaque, je le fais souvent. Un soir, je me suis réveillée : il y avait le réalisateur dans mon lit en train de tenter de me pénétrer. J’étais dans le coaltar, j’ai eu totalement peur. Je l’ai laissé faire. Après, le lendemain, il a fait comme si de rien n’était. Et moi aussi sûrement. Voilà ce que je me suis fait à moi-même. À la fin de la prise, tout le monde a éclaté de rire. Sur la série Éloïse Rome [dont elle était l’héroïne – ndlr], j’avais contribué à choisir le réalisateur pour un des derniers tournages. Un jour, je vais récupérer mes affaires dans une sortie de pièce qui servait de loge. Il arrive derrière moi et, sans préavis, il me saute dessus, me tripote. Je le repousse… Et il ne se passe rien de plus. Dès le lendemain, j’ai subi un harcèlement moral sur le tournage. Il a dit que j’arrivais en retard, que je ne connaissais pas mon texte. C’était faux. Il a dressé toute l’équipe contre moi… Cela a été un cauchemar. Partout, il s’est répandu contre moi en prétendant que j’étais ingérable. C’est pour cela que j’ai arrêté la série. Vous n’avez rien dit de tout cela à la production ? Non. J’ai prétexté vouloir faire autre chose. Mais sans cet événement, j’aurais encore fait une ou deux saisons, et je serais partie de manière beaucoup plus élégante. Y compris vis-à-vis de la production et de France Télé, qui m’en ont beaucoup voulu. Après, j’ai été blacklistée à la télé… Je n’ai pas travaillé pendant deux ans, j’ai fait une grosse dépression. J’ai recommencé à travailler avec le film de Xavier Giannoli Quand j’étais chanteur [sorti en 2006 – ndlr], avec Gérard Depardieu. Sur les plateaux de télé, j’ai continué à entendre des gens dire que j’avais la réputation d’être une chieuse. À l’époque, au début des années 2000, avez-vous pensé à porter plainte ? Cela ne m’est jamais monté au cerveau ! [Rires.] De toute façon, on ne m’aurait pas cru. D’ailleurs là, on ne va pas me croire. On va me dire que je veux relancer ma carrière… Alors que vraiment, je suis loin de tout cela. J’ai toujours envie de faire ce métier. Mais j’ai fini de vivre la peine de moins le faire. J’ai envie de vivre et d’être heureuse. J’ai 61 ans et je suis en pleine capacité désormais d’accueillir toutes les jolies choses de ce métier. Après, vous avez à nouveau tourné pour le cinéma… Cela s’est-il bien passé ? Oui. Enfin, si on peut dire… [Rires.] Sur Quand j’étais chanteur, j’étais très fragile : je n’avais pas tourné depuis deux ans, et j’étais très fière de faire ce film et de tourner avec Gérard Depardieu. Xavier Giannoli a été très dur avec moi. J’étais encore le Petit Chaperon rouge à l’époque. Ma fragilité était visible. Très vite, il m’a trouvée nulle, il me criait dessus. Depardieu a pris ma défense ; il a menacé de quitter le tournage s’il continuait. Lui, je l’appelais « Shrek », l’ogre méchant et gentil à la fois. Car j’ai vu aussi son attitude avec les femmes sur le plateau. Depardieu parlait sans arrêt de « moules », de « chattes ». Il a dit à une assistante opératrice que sa « petite moule devait sentir bon » – ou « mauvais ». Un jour, lors d’une scène avec un contrechamp, la caméra est sur moi. Nous sommes autour d’une table. Je lui parle et sa main fait un geste étrange, il est en train de se masturber. J’ai continué à parler, mais j’étais perturbée…. À la fin de la prise, tout le monde a éclaté de rire – sauf un ingé son. Il n’a jamais recommencé. À LIRE AUSSI #MeToo dans le cinéma : « C’est une révolution, ils ne peuvent plus l’empêcher » 12 février 2024 Le cinéma français au cœur de la bataille #MeToo 8 février 2024 J’ai raconté cette scène après, mais comme un truc dingue, pas un truc dégueulasse. Comment moi, alors que j’avais 45 ans, j’ai pu minimiser à ce point ? Depuis, j’ai découvert les témoignages et les plaintes que le visent – je ne doute pas de leur parole. Vous avez peut-être minimisé parce que les gens riaient sur le plateau… Ce tournage était de toute façon très dur. Sur d’autres plateaux, j’ai pu constater que les plus jeunes – de 30, 40 ans – ne riaient pas. Ce sont souvent les chefs de poste qui rient – le chef op’, le chef son, le réal… Ceux qui sont haut dans la hiérarchie. Attention, il y a aussi des mecs de 50, 60, 70 ans qui ont toujours été féministes et qui se sont toujours bien comportés. De toute façon, le monde va changer. Soit parce que les hommes auront compris, réellement. Soit parce que ceux qui voudraient voir perdurer de tels agissements auront désormais peur. C’est la fameuse phrase selon laquelle la peur change de camp. Comment avez-vous réussi à mettre les mots comme vous le faites aujourd’hui ? J’ai mené un travail sur moi-même. J’ai ressenti beaucoup de colère, je la ressens encore et j’espère que les jeunes générations ne vivront pas ce que nous avons subi. Et puis, je me dis que je ne veux plus raser les murs. Je rase les murs depuis tant d’années, je ne veux plus. Je veux marcher au milieu du trottoir. Et je veux que toutes les femmes puissent marcher au milieu du trottoir. Légende photo : Christine Citti à Paris le 9 février 2024 © Sébastien Calvet / Mediapart
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Le spectateur de Belleville
February 16, 2024 5:26 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 16 février 2024 La caméra de Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat suit la centaine de comédiens venus de toute l’Ukraine pour se frotter à l’art de l’improvisation avec la metteuse en scène et sa troupe.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/16/au-bord-de-la-guerre-ariane-mnouchkine-et-le-theatre-du-soleil-a-kyiv-sur-france-5-la-cartoucherie-de-vincennes-livre-ses-munitions-culturelles_6216980_3246.html
FRANCE 5 – VENDREDI 16 FÉVRIER À 22 H 50 – DOCUMENTAIRE Voir le dossier de presse France.tv C’est un documentaire tourné dans la neige et le froid, avec, pour décor, une ville assiégée, pour horizon, un ciel strié de drones russes, pour bande-son, le rugissement des alarmes. Au bord de la guerre se déroule à Kyiv (Kiev), en Ukraine. Là où Ariane Mnouchkine a décidé de se rendre, dès mars 2023, pour y mener une école nomade avec des membres volontaires de sa troupe. Douze jours de stage intensif regroupant une centaine de comédiens ukrainiens (amateurs, élèves, professionnels) venus de tout le pays pour se frotter à ce qui constitue l’ADN du Théâtre du Soleil : l’improvisation. Sur place, ils ont trouvé une salle de répétition et son rideau jaune en fond de scène, quelques costumes et des accessoires. Il n’en fallait pas plus à la metteuse en scène pour faire naître une « île » (le mot est d’elle) de paix et d’espoir au cœur du marasme. Suivie par la caméra de Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat, cette aventure relève de l’urgence et de la nécessité. « Nous ne partons pas en colonie de vacances », rappelle Ariane Mnouchkine avant de quitter la Cartoucherie de Vincennes. Elle n’a pas l’ombre d’un doute : si les Ukrainiens perdent, répète-t-elle, « nous perdons ». Son périple artistique est un soutien politique. Un concentré de paradoxes Mais à quoi sert l’art en temps de guerre ? Cette question hante un documentaire qui tricote ses fils maille à maille entre séances de répétition et apartés des réalisateurs avec des Ukrainiens dont les propos convoquent le réel sous l’objectif de la caméra : le mari d’une actrice combat sur le front. Un acteur, pasteur protestant, a obtenu une permission pour suivre l’école nomade. Une jeune fille confie : « C’est la première fois qu’on nous parle d’amour depuis l’invasion totale du pays. » Ce film, d’une grande tendresse, est un concentré de paradoxes qui cohabitent dans la joie. D’un côté, la dévastation du pays, de l’autre, les exigences du théâtre. Assise dans les gradins, micro en main, Ariane Mnouchkine sculpte les scènes qui naissent devant le rideau jaune. Le spectacle est sur le plateau. Il est aussi dans les rangs du public. Sur le visage de la metteuse en scène défile une infinité d’émotions. Orageuse, enthousiaste, hilare, concentrée, elle lance les musiques et donne le top départ à de fulgurantes improvisations. Elle observe tout le monde, ne passe rien à personne, elle s’impatiente et s’enthousiasme. Son dynamisme est contagieux, son énergie inouïe. « Est-ce qu’on a vraiment besoin de théâtre ? », s’interroge, douze jours plus tard, au moment des adieux, un participant à l’école nomade. Il laisse passer quelques minutes. Puis ajoute : « Nos soldats défendent l’Ukraine les armes à la main. Nous, on bâtit la nouvelle Ukraine. Et pour cela, nous avons besoin des munitions culturelles que vous nous apportez. » Lorsque la troupe du Soleil repart pour la France, elle laisse derrière elle une arme de théâtre qui est tout aussi utile à la vie : apprendre à redresser la tête pour incarner un personnage, c’est apprendre à ne plus la courber devant l’ennemi. Message reçu cinq sur cinq par des élèves conquis qu’Ariane Mnouchkine quitte sur une dernière et belle injonction : « Vous devez être convaincus que vous avez choisi un art, le théâtre, qui est indestructible. » Au bord de la guerre. Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil à Kyiv, documentaire de Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat (Fr., 2023, 59 min). Diffusé sur France 5 dans le cadre de la collection « Aux arts et cætera ». Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : Ariane Mnouchkine dans le documentaire « Au bord de la guerre. Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil à Kyiv », réalisé par Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat. ZADIG PR Lien vers le documentaire en replay (59 mn) (inscription nécessaire sur france.tv)
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Le spectateur de Belleville
February 15, 2024 5:31 PM
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Article d'Anne Chépeau - Radio France - 15 février 2024 Le comédien de 79 ans revient au théâtre mardi avec des lectures à La Pépinière, à Paris.
Une table sur laquelle sont posés un verre d'eau et une paire de lunettes, une chaise et la servante, cette lumière qui continue de briller dans les théâtres quand le spectacle est terminé. C'est dans ce décor que Pierre Arditi fait son retour sur scène. Un retour sobre et forcément chargé d'émotion, mardi 13 février, après des malaises sur scène ces derniers mois. Le comédien avait été contraint d'annuler des représentations de la pièce Lapin avec Muriel Robin. Cette fois-ci, à 79 ans, Pierre Arditi revient seul sur la scène du théâtre de La Pépinière, à Paris. "Ce qui était agréable, c'était de retrouver le public qui, lui, a été absolument épatant. Je l'ai vécu comme quelqu'un qui revient à la vie, explique le comédien. Je l'ai vécu magnifiquement, avec une toute petite appréhension parce que je me suis dit 'j'espère qu'il n'y aura rien', mais bon, j'ai été très bien soigné et tout ça est un mauvais souvenir qui est derrière moi", ajoute-t-il. Deux auteurs complémentaires Pour ce spectacle, La Pépinière de Pierre Arditi, l'acteur lit des extraits de texte de Jean-Michel Ribes et de Yasmina Reza, deux auteurs dont il incarne les mots avec ce qu'il faut d'humour et de distance. "C'est un bon choix, d'ailleurs, parce que c'est ludique, souligne Pierre Arditi. Les deux textes, chacun à leur manière. Ribes, comme un dadaïste qui prend les aventures, il les tord, il regarde sous ses jupes", poursuit-il. Et le comédien d'ajouter : "Yasmina, elle, dépeint ce que nous sommes ou ce que nous serons et ce que nous avons été avec une causticité tchékhovienne, elle est élégante et ça reste absolument drôle, et par moments d'ailleurs pathétique." Deux auteurs et des textes "qui se complètent parfaitement", d'après lui. "Le meilleur des médicaments du monde" Les rires des spectateurs, à l'écoute notamment des histoires désopilantes que Jean-Michel Ribes a vécues et racontées dans son livre Mille et un morceaux, gagnent parfois Pierre Arditi, qui savoure ces moments de complicité avec le public qui, pour lui, est "un ami depuis très longtemps maintenant, depuis 60 ans". Des spectateurs auxquels le comédien se confie aussi, avant et après les lectures, parce qu'il en avait "besoin". "Avant, j'ai raconté pourquoi, au fond, je choisissais de lire, cette discipline qui est encore une fois l'essence même de mon métier au départ, de raconter des histoires", explique-t-il. "Ensuite, je fais une boutade en ce qui a concerné mon état de santé, mais c'est une boutade quand je dis que je vais mieux et que normalement cette fois-ci devrais arriver au bout, ça les fait rire." Pierre Arditi, comédien à franceinfo À la fin des lectures, "je leur dis à quel point ils sont chers pour moi, à quel point ils sont le meilleur des médicaments du monde et que tant qu'ils seront là, j'existerai", s'émeut Pierre Arditi. Le comédien montera sur la scène du théâtre de la Pépinière tous les mardis et mercredis jusqu'au 24 avril. Ces lectures vont donc l'accompagner quelques mois, mais il a déjà prévu de jouer deux pièces la saison prochaine car, rappelle-t-il "le théâtre, c'est ma vie".
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Le spectateur de Belleville
February 15, 2024 3:29 AM
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Murielle Joudet dans Le Monde - 14 février 2024 Pour son passage derrière la caméra, le metteur en scène confond virtuosité et agitation, flamboyance et académisme. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/14/le-moliere-imaginaire-olivier-py-filme-un-etouffant-huis-clos-eclaire-a-la-bougie_6216475_3246.html
L’AVIS DU « MONDE » – ON PEUT ÉVITER Metteur en scène et ancien directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py passe derrière la caméra, sans trop s’éloigner de son premier amour : Le Molière imaginaire se veut un portrait libre et néanmoins documenté de l’homme de théâtre. S’écartant du biopic en bonne et due forme, Olivier Py préfère se focaliser sur les derniers instants de son héros (incarné par Laurent Lafitte, de la Comédie-Française) : selon la légende, Jean-Baptiste Poquelin serait mort le 17 février 1673 sur la scène du Théâtre du Palais-Royal, en pleine quatrième représentation du Malade imaginaire. Ce soir-là, l’artiste, très affaibli, continue pourtant de jouer, offrant au public le spectacle de sa lente agonie. Entre les coulisses et la scène, ce sont toutes les strates de son existence qui sont mobilisées : sa vie amoureuse ; son rapport au pouvoir et à la religion ; sa liaison supposée avec Michel Baron, grand comédien de l’époque, laquelle permet au metteur en scène d’évoquer un Molière bisexuel – fait accrédité par plusieurs biographes. Un grand tableau numérique On ne pourra pas dire, néanmoins, que le film contribue à revitaliser un monument national, qui n’en avait pas forcément besoin, c’est même plutôt un sentiment fort de claustration qui se dégage de ce huis clos éclairé à la bougie, aux couleurs saturées ocre et rouge, filmé à grand renfort de plans-séquences – le résultat ressemble à un vaste tableau numérique aux couleurs baveuses, particulièrement laid. La caméra gesticule en tous sens, les acteurs déclament et fatiguent. Au lieu de libérer l’émotion et le sens, ces partis pris esthétiques les enferment dans un dispositif qui prend son agitation pour de la virtuosité, son académisme pour de la flamboyance. Ce qui marche peut-être au théâtre épuise rapidement dans une salle obscure. Voir la bande-annonce du film Film français d’Olivier Py. Avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac (1 h 34). Murielle Joudet
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February 13, 2024 8:19 AM
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L' enfance de l’art Les masterclasses de la Comédie, CDN de Reims
Episode 1 avec Laurent Poitrenaux ET les élèves de la Classe de la Comédie
Les élèves de la Classe de la Comédie vous convient à un entretien privilégié avec le comédien Laurent Poitrenaux. Un dialogue entre deux générations explorant les débuts dans le monde du théâtre et le cheminement d’un.e comédien.ne.
AVEC Laurent Poitrenaux, comédien ET Kaito Berhart, Amélie Dupuis et Félix Hugue Ecouter le podcast en ligne
Enregistré en public à la Comédie, CDN de Reims le vendredi 19 janvier 2024. Episode réalisé par la Comédie, CDN de Reims avec Martin Quénéhen, Sur le vif studio, sur une idée d’Anne-Lise Heimburger, artiste associée à la Comédie. Lien vers un article de Joëlle Gayot sur Laurent Poitrenaux, article du Monde : https://sco.lt/8kw8mW
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Le spectateur de Belleville
February 13, 2024 6:20 AM
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Dans un texte rédigé pour sa fille Tess, âgée de 18 ans, Judith Godrèche évoque sa relation avec le réalisateur Benoît Jacquot, qui a commencé alors que l’actrice n’avait que 14 ans, et la nécessité, aujourd’hui, d’en parler. [En parallèle d’une enquête du Monde sur la relation d’emprise exercée par le réalisateur Benoît Jacquot sur Judith Godrèche, alors âgée de 14 ans, pour laquelle elle a porté plainte, mardi 6 février, pour « viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans » commis par personne ayant autorité, l’actrice et réalisatrice écrit une lettre pour sa fille.] Lire l'article sur le site du "Monde" https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/07/lettre-de-judith-godreche-a-sa-fille-je-viens-de-comprendre-ce-truc-le-consentement-je-ne-l-ai-jamais-donne-non-jamais-au-grand-jamais_6215157_3224.html
Ma chérie, Je te regarde vivre, danser, t’exprimer avec fougue et ardeur. Je me souviens de cette même ardeur, cette même fougue, mise à l’épreuve d’une solitude imposée. Une solitude à plusieurs visages. Tu viens d’avoir dix-huit ans. Tu es mon enfant. Même si bien entendu cette désignation te ferait rire, ou sourire, dans sa tendresse. Il n’y a pas si longtemps, tu avais quinze ans. Il n’y a pas si longtemps, je taisais mon histoire. A cet âge-là, je naviguais dans un monde d’adultes. Il n’y avait pas de limites à enfreindre, pas de murs à abattre, juste l’écho d’une solitude, l’absence de structure. L’un d’eux décidait pour moi. Lui, Il, n’était pas mes parents. Depuis toutes ces années, la peur des mots, pas jolis, pas doux, pas métaphoreux, me fait contourner la réalité. Depuis toute petite, le désir d’un ailleurs m’a poussé à lire, écrire, être une autre. Cette autre n’est plus. Elle s’est éteinte en moi. Je ne peux plus incarner sa « couverture », sa carapace ondulante. J’ai longtemps ancré ma souffrance dans l’histoire d’un départ, un abandon, celui de ma mère. Même si cet accident de parcours fut déterminant, j’identifie aujourd’hui la place que cette douleur occupe, comme l’arbre qui cache la forêt. Vois-tu, la forêt, c’est bien d’elle dont il s’agit. Elle qui dictera le silence, les secrets, les trous noirs qui parcourent ma vie. C’est une forêt masculine. De conte de fées aux mains qui gouttent. Une forêt de Maldoror. Quand j’étais petite je répétais, Vivre sa vie ça veut rien dire. Ça parle de quoi. Sa vie. Ça commence quand ? Quelle que soit la cruelle absurdité de ce vécu que je vais exposer au monde, quelles que soient les conséquences, le sordide du réel, la vérité qui éclate au grand jour, comme on dit – quels que soient ces éléments-là et leur retentissement. Ce que je sais – depuis toujours – c’est mon amour pour vous. Noé et toi. Cet amour-là me lance un défi. Et j’ai décidé d’être à la hauteur. Il y a bientôt quatre ans, mon amie Caroline m’a envoyé un livre, à Los Angeles. Tu te souviens de Caroline, mon amie d’enfance. Nous avons passé des vacances avec elle à Porquerolles. Tu vendais des bijoux sur la place du village. Ce livre s’appelle Le Consentement. Son enveloppe est froissée, sa tête à l’envers dans notre boîte aux lettres en fer verte. Le Consentement. C’est drôle. Le Consentement. C’est un mot que je ne connais pas. Ça veut dire quoi ? Je décide de le lire. Page après page. Je me noie. Une armure embrumée m’engloutit tout entière. Je sombre. Le referme. Des mois ont passé. Le Consentement est dorénavant dans la bibliothèque, domestiqué. Sage. Je passe devant, le regarde, c’est assez. C’est curieux, comme un cri peut s’amadouer, le cri de Vanessa, couché sur les pages. Contenu, poli, élégant, coincé entre The Story of the Jews et Regarding the Pain of Others, dans notre maison aux Amériques. Comme une chemise bien repassée, une petite fille qui se tiendrait bien à table. Le Consentement. Depuis quelques années, il m’arrive de vous parler de mon enfance, la plupart du temps en tournant les choses en dérision, comme un clown, une acrobate. Rien n’est grave rien ne marque rien ne bat. On rit ensemble, vous vous moquez. Tout sourit quand on est tous les trois. Tout est plus drôle que la drôlerie, plus léger. Vous êtes la preuve vivante que j’ai survécu, vous êtes la preuve que c’est du passé, que c’est inscrit dans un livre fermé. Il s’intitulerait Ça fait pas mal. A l’époque, je vous raconte à demi-mot l’histoire du Consentement, j’effleure le récit. Le peu que j’en ai lu. Je tais ma tachycardie, mon envie de vomir, la température qui baisse. Après tout, notre caverne n’a pas besoin de ça, masser la vérité, fouiller dans les archives de mon cœur. Notre maison remplie d’animaux adoptés, résonante de vous. Elle s’en fout de mon enfance et de l’homme à la fossette. Rien à foutre. Ça fait pas mal. Tu me demandes souvent pourquoi je refuse de te montrer mes films. Tu as raison. C’est une question qui devrait amener une réponse, une question que j’esquive maladroitement, balaie dans un petit rire. Parce qu’on vit notre vie ? Parce que je suis une autre ? Parce que je suis nue dedans ? Et tes livres, me demande Noé, tu ne lis plus jamais. Dire tout ça à Noé, cette histoire-là. C’est encore plus dur, semble-t-il. Je ne lis plus jamais. Oui. Mais je pense souvent à la possibilité de la violence. Comme une lecture de mes propres pensées. Celles que je tais. A ces gestes souverains. S’il devait t’arriver quelque chose. Tuer un homme qui ferait de toi sa maîtresse, à quatorze ans. Tuer un homme qui abuserait ton frère. Le Consentement. Ce silence sur le passé, ce Minotaure écrasant. Je croyais l’avoir amadoué. Refouler. Refouler, dit-elle. Un été, puis un autre ont passé. Je vous ai vus grandir. J’ai écrit une série pour Arte. Nous voici de retour dans la ville de mon enfance. La ville où vous êtes nés. C’est ici, au moment où cet objet cinématographique qui m’appartient voit le jour, que la vie décide de me jouer un tour. Vois-tu, ici rien n’a changé. Pire encore. Le système qui s’appropria mon enfance se complaît dans son narcissisme pervers. Et, comme si ma fuite me faisait un pied de nez, comme si la série que j’aime tant, Icon of French Cinema, avait pris la forme d’une amie, l’amie de la fille de 14 ans, tout doucement, comme une fée réparatrice, cette amie me prend ma main. Nous avons le droit d’être sentimentales toi et moi, me dit-elle. Pour rattraper le temps perdu. Nous pouvons pleurer autant qu’on veut. Et raconter ce qui ne se dit pas, aussi. Me confie-t-elle. Ouvrir les portes, donner des coups de pied au destin, nous sommes fortes et voulons que les choses changent, non ? Le Consentement. Je la regarde du haut de mes quatorze ans, elle sourit. Et, comme si de rien n’était, je comprends. Je comprends qu’il est temps de raconter mon histoire. Pour vous, pour toutes celles et ceux qui vivent encore dans un silence imposé. Dans la peur. Il est temps. Il faut que vous sachiez. Il faudra se cacher les yeux, par moments. J’espère que vous me pardonnerez. Je sais, il se fait tard, mais je viens de comprendre. Ce truc – le consentement – je ne l’ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais. Alors, il est temps. Le désespoir de ma faiblesse passée, le désespoir de mon enfance volée, a trouvé sa voix, C’est l’histoire d’une fille de quatorze ans à Paris dans les années 90. Judith Le Monde Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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Le spectateur de Belleville
February 13, 2024 5:24 AM
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Par Caroline Besse dans Télérama - 16 janvier 2024 Leur point commun ? Ils sont mis en cause pour violences sexuelles. Plus d’un an après la publication de son livre choc sur Patrick Poivre d’Arvor, la journaliste poursuit son combat en réagissant aux accusations contre Philippe Caubère et Benoît Jacquot. Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/debats-reportages/caubere-depardieu-jacquot-ppda-la-lutte-sans-relache-d-helene-devynck-contre-l-impunite-7018891.php Elle refuse d’être assimilée à une « lanceuse d’alerte » et préfère le terme de « contre-pouvoir ». Pourtant, la journaliste, autrice et scénariste Hélène Devynck relaie sans relâche sur son compte X les réactions, prises de parole, articles d’analyse, entretiens et rebonds liés notamment aux affaires Gérard Depardieu, Patrick Poivre d’Arvor, ou plus récemment Benoît Jacquot. Le 6 janvier, elle diffuse l’extrait d’un documentaire réalisé en 2011 par Gérard Miller dans lequel le psychanalyste recueille avec une complaisance gênante la parole du cinéaste au sujet de sa relation avec la comédienne Judith Godrèche, âgée de 14 ans alors qu’il en avait 40. Cette vidéo fait l’effet d’une bombe. Quelques jours après, Hélène Devynck en publie une nouvelle dans laquelle, cette fois, l’acteur et metteur en scène Philippe Caubère parle de l’accès facile à la pornographie aujourd’hui alors que lui devait se contenter des publicités du Elle ou… des photos d’Auschwitz lorsqu’il était adolescent. Sidération. Nous avons demandé à Hélène Devynck de nous expliquer sa démarche et son combat, un an après la publication de son livre Impunité, où elle dissèque la toute-puissance des auteurs de violences sexistes et sexuelles et du système de protection dont ils bénéficient. À lire aussi : “Impunité”, le livre coup de poing d’Hélène Devynck sur l’affaire Patrick Poivre d’Arvor Pourquoi exhumer et publier ces vidéos aujourd’hui ? Je ne me rends pas bien compte de leur impact. Pour moi, elles sont d’abord adressées aux victimes. C’est quelque chose de l’ordre de la sororité. Je sais par quoi ces femmes passent, j’ai une expérience, je les aide, même si je ne les connais pas. Quand j’ai travaillé sur mon livre, j’ai découvert la vidéo hallucinante de Philippe Caubère. Elle était facile à trouver : je l’avais dénichée sur son site personnel. Solveig Halloin, son accusatrice, a été condamnée pour diffamation. J’ai décidé de republier cette vidéo quand une enquête préliminaire contre le comédien et metteur en scène a été ouverte pour « atteinte sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par personne ayant autorité », début janvier. J’ai moi-même été aidée lorsque j’ai pris la parole. Un cercle de femmes victimes elles aussi de violences sexistes et sexuelles m’a entourée, et cela m’a fait énormément de bien. Lire la critique Gérard Depardieu dans le viseur de “Complément d’enquête” : des images inédites et choquantes Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui de l’impunité dont vous parlez dans votre livre ? Je la connais très bien, pour l’avoir vécue et étudiée. J’ai fini par comprendre comment elle se construit. Je suis dans une sorte de contre-pouvoir. L’impunité des agresseurs fait partie des privilèges des hommes disposant d’un capital social et culturel énorme. Dans le documentaire de Gérard Miller, c’est ce système que Benoît Jacquot décrit. Il explique que « c’est contre la loi mais les hommes [l]’envient de faire ça ». Autant d’éléments dont la justice devrait se saisir et aurait dû se servir en 2011, quand le film a été diffusé. Si un auteur de cambriolage révélait ses méfaits ainsi, il serait immédiatement arrêté ! Quand Macron a défendu Depardieu de façon si excessive, j’ai eu l’impression d’être dans Un jour sans fin, d’être Bill Murray qui revit en permanence « le jour de la marmotte ». Nous [les nombreuses femmes s’étant déclarées publiquement victimes de violences sexuelles et de viols commis par Patrick Poivre d’Arvor, ndlr] avons eu notre lot d’amis puissants du violeur, de vieilles stars, d’ex-compagnes, de plateaux de Cyril Hanouna, pour dire que c’était un homme admirable, charmant, qu’il aimait trop les femmes… Déjà, au moment des révélations sur Nicolas Hulot, Emmanuel Macron avait parlé de risque de « société de l’Inquisition ». Pour mon livre, j’ai enquêté sur les accusations de viol contre des hommes célèbres, et là encore j’ai découvert combien la réaction médiatique et institutionnelle était une éternelle répétition. Quand Marie-Christine Vo a porté plainte contre Johnny Hallyday, au début des années 2000, Bernadette Chirac a déclaré : « Les Français n’aiment pas que l’on touche à Johnny Hallyday, c’est une très mauvaise opération de s’attaquer à lui. » Elle garantissait son impunité. Aujourd’hui, Macron a pris le rôle de Bernadette Chirac. Ces hommes-là ne se cachent pas vraiment… Nous, quand on parle, on devient éternellement victimes. Avez-vous le sentiment qu’une vraie prise de conscience sur les violences sexistes et sexuelles est en train de se produire en France ? C’est compliqué. Est-ce que ça avance ? Est-ce qu’il y a un backlash ? Je pense que ça avance, et que ça recule en même temps. Emmanuel Macron a politisé l’histoire en défendant Depardieu, et en virant sa ministre qui avait pris la position inverse [l’ancienne ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, évincée du gouvernement au profit de Rachida Dati, avait qualifié les propos de Gérard Depardieu dévoilés dans le Complément d’enquête du 6 décembre de « violence terrible, contraire à la dignité même de l’être humain et des femmes, des enfants », ndlr.] Il rejoint la position des partisans de Donald Trump qui croient que les hommes puissants sont attaqués uniquement parce qu’ils sont privilégiés. C’est la thèse de la tribune de soutien à Depardieu [publiée dans Le Figaro le 26 décembre, ndlr]. En le glorifiant de cette façon, et en nous liant, nous toutes qui dénonçons, il parle comme si l’impunité était un privilège accordé aux hommes au sommet de la pyramide sociale, comme dans l’Ancien Régime. Il faut combien de dizaines de femmes pour qu’on nous croie ? Ces hommes-là ne se cachent pas vraiment… Nous, quand on parle, on devient éternellement victimes. Quand on parle de moi dans certains articles, on me cite comme « victime de PPDA », comme si je n’avais pas écrit de livre. Je me retrouve réduite à ce statut de victime, réduite à un viol, comme si je ne pouvais pas penser, ni créer. C’est violent. Judith Godrèche est une artiste avant d’être une victime. Sa série Icon of French Cinema dit non seulement ce qui lui est arrivé mais aussi comment elle a vécu avec ça. Elle ne se plaint pas. C’est gonflé et intelligent. On ne peut pas prouver les viols, mais on peut prouver l’impunité. L’impunité est visible, elle laisse des traces. Croyez-vous à une évolution positive, notamment dans le cinéma français ? Benoît Jacquot n’a jamais changé d’agente. C’est la même que quand Judith Godrèche avait 14 ans. Il vient de tourner un film avec Charlotte Gainsbourg et Guillaume Canet. C’est ça, l’impunité ! De ce que j’ai vu à TF1, rien n’a changé. Depuis l’affaire PPDA, ils n’ont rien fait. Ils ont fait comme si nous n’existions pas. TF1 a une responsabilité comme personne morale dans cette histoire, or il n’y a eu aucune conséquence. La justice doit se saisir mieux de ces affaires. Et le contrôle social doit changer. Aujourd’hui, il ne s’exerce pas contre les prédateurs, mais contre les victimes. Quand on parle, on ne veut pas être cantonnées à ce rôle. On est diminuées, rabougries, mises dans une petite case. Quand, en 2011, Benoît Jacquot dit « je suis un criminel », Gérard Miller ne réagit pas. Dans son documentaire, il mélange pédocriminalité et adultère bourgeois. On est dans quelque chose d’idéologique, et il est très difficile d’attaquer les complicités. Nous [les femmes qui accusons PPDA, ndlr], nous n’avons pas réussi. Peut-on parler de nouvelle ère ? Je l’espère, je le souhaite, mais il faudrait des condamnations. #Metoo, c’est un mille-feuille. Il faut toujours en remettre une couche. On ne peut pas prouver les viols, mais on peut prouver l’impunité. L’impunité est visible, elle laisse des traces. Les agresseurs s’en font des manteaux. Ils paradent. L’impunité s’exhibe comme un signe de virilité. Comme dans la vidéo de Caubère. Cette histoire d’Auschwitz, il la raconte depuis longtemps. Écorner l’impunité de Jacquot, c’est compliqué, car Paris est tout petit. Le milieu de ce cinéma d’auteur est minuscule, très masculin. L’artiste à succès vieillissant au bras d’une femme de l’âge de sa fille est un modèle valorisé. Moi, d’une certaine façon, j’ai déjà payé ma prise de parole. Ça fait longtemps que des gens qui ne sont pas d’accord m’ont tourné le dos. Ça a changé la physionomie de plusieurs de mes relations personnelles. Il y a eu pas mal de casse autour de moi. À lire aussi : “Backlash”, quand le patriarcat contre-attaque Comment imaginez-vous la suite dans l’affaire Depardieu ? Le dossier me semble hyper solide, et je ne vois pas comment la justice peut ne pas organiser un procès. Un procès, ça permet à la présomption d’innocence de s’exprimer, au tribunal de ne pas être médiatique. Dans l’affaire PPDA, une cinquantaine de femmes ont témoigné devant la police. J’ai demandé à un copain astrophysicien d’y réfléchir. Considérons qu’entre 2 et 8 % des femmes qui témoignent mentent, alors que PPDA assure que nous sommes toutes des menteuses : la probabilité pour qu’il soit innocent et que nous mentions toutes équivaut à gagner six fois de suite les bons numéros du loto. Il y a une espèce de mythe social autour des témoignages mensongers. On a l’impression que ça ne suffit jamais. Il n’y a pas encore de procès prévu contre PPDA. Là, il est mis en examen pour viol dans l’affaire Florence Porcel, elle-même est toujours attaquée pour dénonciation calomnieuse, comme seize d’entre nous. Légende photo : La journaliste Hélène Devynck. Photo Sébastien Calvet/Mediapart
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 5:36 PM
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Par Marie-José Sirach dans L'Humanité - 18 février 2024 Lille (Nord), envoyée spéciale. Black Label, la nouvelle création du directeur du Théâtre du Nord, David Bobée, convoque la poésie pour raconter le racisme au fil des siècles. Une tentative sincère mais inaboutie. Black Label est constitué d’un patchwork de textes dont le fil d’Ariane serait la colère racontée au gré de l’histoire, depuis l’esclavage jusqu’au mouvement Black Lives Matter. © Arnaud Bertereau David Bobée emprunte le titre de sa nouvelle pièce, Black Label, au poète guyanais Léon-Gontran Damas. Il fut, aux côtés du Martiniquais Aimé Césaire et du Sénégalais Léopold Sédar Senghor, l’un des chantres de la négritude, ce mouvement poétique et politique brandi comme un « drapeau de combat », selon les mots du poète et indépendantiste malgache Jacques Rabemananjara. Face à l’oppression, au colonialisme, le Black Label de Damas est plus qu’un cri de colère. Il est le cri d’un poète qui redonne aux hommes, qu’ils soient noirs ou blancs, leur dignité de frères humains. « Nous les gueux » revient en boucle, tel un leitmotiv, une adresse à tous ceux qui souffrent, hier comme aujourd’hui. Le spectacle de David Bobée est ainsi constitué d’un patchwork de textes dont le fil d’Ariane serait la colère racontée au gré de l’histoire, depuis l’esclavage jusqu’au mouvement Black Lives Matter. Une colère qui emprunte les mots de Sonny Rupaire, David Diop, Eva Doumbia, James Baldwin, George Jackson, Gérald Bloncourt, Malcolm X, Souleymane Diamanka, Assa Traoré, Lisette Lombé, Lyonel Trouillot ou Aimé Césaire, pour ne citer que ceux-là. Des mots dont la puissance poétique est mille fois plus efficiente que certains discours bien intentionnés. La poésie n’est-elle pas une « arme de construction massive », comme l’écrit Souleymane Diamanka ? Un vaste cimetière à ciel ouvert On sait l’engagement tenace et sincère de David Bobée contre toutes formes de discriminations. Un engagement qui se traduit en actes forts, sur la scène, dans son souci de monter autrices et auteurs à parts égales, de distribuer artistes de tous horizons et origines, comme dans le recrutement des plus ouverts des élèves de l’école du Théâtre du Nord, qu’il dirige aussi. On retrouve dans Black Label cette même volonté de montrer, de raconter, de dénoncer ce système qui, depuis l’esclavage, la colonisation et jusqu’à nos jours, s’est construit sur un racisme endémique. La France a toujours mal à son Histoire, à son passé esclavagiste, colonial. Et si le vent de l’Histoire avait jusqu’à peu encore soufflé dans le sens de l’émancipation humaine, depuis le mouvement de la négritude en passant par les luttes pour les droits civiques aux États-Unis ou la marche pour l’égalité en France, force est de constater que le racisme s’affiche désormais sans complexe, dans toutes les strates de notre société. À l’écoute attentive de la pièce, on finit par se demander si cette colère qui nous parvient par à-coups, portée par deux acteurs (JoeyStarr et Jules Turlet), un danseur (Nicolas Moumbounou) et une musicienne (Sélène Saint-Aimé), si les images projetées en bandeau, sans indication notoire, ne seraient pas, contre toute attente, contre-productives. La liste des victimes tuées au cours de ces dernières années, énoncée nom par nom tandis que leurs silhouettes de carton-pâte sont posées sur le plateau, le transformant en un vaste cimetière à ciel ouvert, est un geste théâtral puissant, aussitôt balayé par une question qui revient en boucle tout au long de cette énumération : « Qui sera le prochain ? » Ce « qui sera le prochain ? » remet le combat antiraciste dans le seul champ victimaire, renvoyant le spectateur à un sentiment d’impuissance insupportable. La colère ne suffit plus La colère s’efface devant un mur de douleur alors qu’on attendait des étincelles de révolte. Car, aujourd’hui comme hier, à l’heure où les idées de l’extrême droite parasitent sans complexe le paysage politique et dynamitent ainsi les fondements fragiles de notre démocratie, c’est la révolte qui est nécessaire. Celle des poètes, celle d’un Manouchian, celle d’une Angela Davis ou d’un Nelson Mandela, d’un Paul Robeson ou d’une Billie Holiday. Ils ont combattu pied à pied le racisme, l’apartheid, le fascisme, créé des liens de solidarité de par le monde et su redonner dignité et courage à leurs frères humains, à « Nous les peu / Nous les rien / Nous les chiens / Nous les maigres / Nous les nègres / Nous les gueux ». La colère ne suffit pas, ne suffit plus. Les électeurs tentés par l’extrême droite ne sont-ils pas, eux aussi, en colère ? Si l’intention est louable et sincère, le résultat ne parvient pas à nous convaincre. Le spectacle souffre d’un jeu encore trop approximatif, de déplacements inutiles. La présence incroyable de Jules Turlet, chansigneur qui traduit en langue des signes chacun des mots prononcés, produit un effet hypnotique tant il semble, de ses mains, faire chanter et danser les mots. JoeyStarr est standing ovationné, même s’il passe trop souvent en force sa partition, alors qu’il n’est jamais meilleur que lorsqu’il joue mezzo voce. « Je suis venu enfreindre le silence (…). Profession poète cracheur de feu / Lointain descendant d’un griot dragon », souffle-t-il au tout début de la pièce. Du haut de ce corps massif, à ce moment-là, les murs du théâtre tremblent… Marie-José Sirach / L'Humanité Le spectacle s’est joué au Théâtre du Nord du 13 au 17 février. Prochaines dates : le 6 avril au festival Mythos, Rennes ; le 31 mai à la Friche de la Belle de Mai, Marseille ; le 2 juin aux Nuits de Fourvière, Lyon. La tournée se poursuit jusqu’en 2025.
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 3:28 PM
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Publié sur le site d'Artcena - 15 février 2024 NOUVEAU LIEU L’Espace Cardin laissera bientôt place à un lieu qui associera étroitement création artistique et débats sur les enjeux politiques et sociétaux.
Le suspense n’aura duré que quelques mois. Après que le Théâtre de la Ville eut définitivement quitté fin septembre 2023 L’Espace Cardin, l’avenir promis à la salle de spectacle de l’Avenue Gabriel (Paris, 8e arrondissement) est désormais connu. Face aux nombreuses sollicitations émanant de producteurs privés, la maire de Paris a décidé de bâtir un nouveau projet, concrétisé par la création du Théâtre de la Concorde géré en régie directe et placé sous l’égide, non pas de la Direction des affaires culturelles, mais de celle de la Démocratie, des citoyen.ne.s et des territoires. « Lieu de débat, de réflexion, de contradictions et de création artistique » pensé sur le modèle des universités populaires, l’établissement se veut également, selon Anne Hidalgo, « un rempart contre l’obscurantisme ». Des termes forts, à la hauteur des enjeux démocratiques qui traversent aujourd’hui la France et l’Europe. « L’art est capable de poser les grandes questions qui agitent notre époque, sans violence, par métaphores et allégories, et en même temps avec la force qui lui est propre. C’est ce supplément d’âme que nous recherchons », souligne la directrice, Elsa Boublil. Pour définir la ligne artistique et culturelle du Théâtre de la Concorde – dont le nom constitue en soi une promesse – l’ancienne conseillère culture et patrimoine au cabinet d’Anne Hidalgo sera secondée par un Comité d’orientation présidé par Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France, et composé de personnalités issues d’horizons très différents, dont le dramaturge et metteur en scène Mohamed El Khatib, la comédienne et animatrice de radio Sophia Aram, la philosophe Corine Pelluchon, le syndicaliste Philippe Martinez, le peintre et sculpteur Gérard Garouste. Pluridisciplinaire, la programmation des spectacles s’inscrira en résonance avec les thématiques – politiques, sociétales, mémorielles, environnementales… – abordées et épousera un rythme mensuel. « Cette souplesse nous permettra d’être en prise directe avec l’actualité, de pouvoir nous y adapter et y répondre », fait valoir Elsa Boublil. Celle-ci souhaite, par ailleurs, collaborer avec des structures qui promeuvent l’accessibilité de tous à la culture. Afin précisément de favoriser son appropriation par un large public, le Théâtre de la Concorde sera ouvert toute la journée. S’y succéderont des ateliers, des conférences et rencontres puis, le soir, des représentations. Des actions culturelles seront également menées, transformant le quartier des Champs-Élysées en un territoire à part entière. « J’ai envie qu’il devienne un lieu, non plus de passage, mais où l’on s’arrête. C’est pourquoi nous travaillerons avec les établissements scolaires, et les habitants des quartiers populaires de la ville, qui doivent s’y sentir à leur place », confie la directrice du théâtre. Un travail qu’entreprend depuis plusieurs années son voisin, le Théâtre du Rond-Point, avec lequel des liens seront tissés. Situés de même à proximité, le Grand Palais et le Petit Palais compteront sans doute, eux aussi, parmi les partenaires du théâtre. Entrée en fonctions le 12 février, Elsa Boublil aura d’abord pour mission d’évaluer les besoins financiers et en ressources humaines, qui détermineront le montant du budget voté cet été par le Conseil de Paris. Parallèlement, elle s’attelle d’ores et déjà à l’élaboration de la saison 2024/2025, dont les premiers contours seront dévoilés début octobre lors de l’inauguration de la salle. Publication sur le site d'Artcena
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Le spectateur de Belleville
February 19, 2024 12:43 PM
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Propos recueillis par Olivier Collet dans 37 degrés - Mag - 19 février 2024 Après dix ans sous la direction de Jacques Vincey, le Théâtre Olympia de Tours a changé de tête en janvier 2024. C’est désormais la metteuse en scène Bérangère Vantusso qui en pilote la programmation et la politique. Déjà venue au T° en tant qu’artiste associée, elle y a également présenté la moitié de ses créations théâtrales. L’artiste connait donc très bien la maison et ne manque pas d’idées pour la développer. Entretien long format. « Je suis tombée dedans quand j’étais enfant » répond Bérangère Vantusso quand on lui demande comment le théâtre est arrivé dans sa vie. Elle développe : « Je viens d’une famille d’artistes : mon père a eu une carrière de musicien de blues puis de peintre. Ma maman faisait du théâtre en amateur. J’ai grandi avec les répétitions pendant les vacances scolaires : d’abord elle m’emmenait aux spectacles puis j’ai intégré la troupe à 14 ans. » Tout cela se passait dans la vallée minière du nord de la Lorraine, du côté de la ville de Longwy. Ensuite, la jeune femme a rejoint Nancy pour ses études, en choisissant assez logiquement le théâtre : « C’est là que je me sens heureuse et libre » résume-t-elle. Au départ, Bérangère Vantusso était actrice. C’est plus tard qu’elle s’est dirigée vers la mise en scène. Plus tard, mais assez rapidement quand même. « Je me suis assez vite rendu compte que ma créativité s’exprimait plus dans mon travail de mise en scène et, progressivement, je n’ai plus joué. Cela ne me manque pas du tout. C’était peut-être une erreur d’aiguillage au départ mais cette formation me sert beaucoup dans la mise en œuvre de mes projets. Cela me permet de mieux communiquer avec les acteurs en ayant moi-même vécu cela de l’intérieur » développe l’artiste. L’encadrement, la mise en forme, sont donc assez naturels chez Bérangère Vantusso. « J’ai un grand plaisir à la synergie, à la convergence des créativités autour d’un projet » glisse-t-elle. Et cela vaut autant pour le montage d’une pièce que pour son rôle au Théâtre Olympia. D’ailleurs, ce poste de directrice n’est pas le premier : avant de rejoindre la Touraine, elle était à la tête du Studio Théâtre de Vitry-sur-Seine en région parisienne. Une aventure qui a duré 7 ans, dans un lieu programmant exclusivement des spectacles jamais montrés ailleurs auparavant. Elle avait également candidaté par deux fois dans d’autres Centres Dramatiques Nationaux avant de voir son dossier retenu à Tours. « Dans ma lettre de motivation il y avait l’idée de déployer un projet artistique en lien avec un public plus large sur le territoire. Il faut avoir cette question en soi : comment est-ce qu’on partage l’art avec le plus grand nombre » nous explique Bérangère Vantusso. « C’est un travail de fourmi. Cela passe par les artistes que l’on choisit d’accueillir, et leur propre envie de partager. Et puis c’est un travail d’équipe au CDN pour soutenir la création artistique contemporaine, être capable de prendre des risques. Pour moi le propre des artistes est d’amener de l’inattendu, de réveiller des sensibilités et de déranger dans le sens de remettre en question, bousculer. » Si elle ne sera pas complètement dans la ligne tracée par Jacques Vincey ces dix dernières années, la nouvelle directrice du Théâtre Olympia de Tours va tout de même s’appuyer sur son travail, notamment le festival WET° qui consacre un week-end aux créations émergentes au début du printemps (l’édition 2024 aura lieu du 22 au 24 mars). Ce sera d’ailleurs l’un des 4 temps forts de l’année dramatique qu’elle envisage d’articuler autour des 4 saisons, avec des week-ends événementiels au moment des équinoxes et des solstices : lancement de saison à l’automne, un week-end de théâtre bien au chaud pour l’hiver, l’éclosion créative du WET° au printemps et du théâtre hors les murs et en itinérance pour l’été. « Je veux une nouvelle manière d’aller vers le public, que l’on puisse profiter de moments de convivialité, manger au restaurant du théâtre, faire une sieste sonore, venir en famille ou pratiquer un atelier » explique Bérangère Vantusso qui travaille également à multiplier les passerelles avec les autres institutions culturelles locales. Ainsi, elle nous dévoilé en exclusivité la construction d’un cycle artistique italien sur plusieurs mois entre l’automne 2024 et le printemps 2025 avec deux pièces au T°, une expo au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré, des soirées jazz italien au Petit Faucheux, un concert italien au Temps Machine à Joué, les films du festival Viva il Cinema, des rencontres et tables ronds avec l’Université, de la danse italienne au CCNT et enfin un événement autour d’un fleuve italien à la guinguette de Tours. « Ce sera le contraire d’un festival » explique Bérangère Vantusso qui veut renouveler l’expérience de manière annuelle en s’ouvrant à chaque fois aux horizons d’un pays européen différent. Si elle commence avec l’Italie c’est en écho à des racines familiales, à l’envie de faire découvrir une autre langue et en lien avec la situation politique italienne depuis que le pays est dirigé par une première ministre d’extrême droite. « Je suis une Européenne convaincue et je suis persuadée que l’Europe politique passe aussi par la culture. Je veux que l’on observe comment la création est traversée par les changements politiques du moment » nous détaille l’artiste. Ces passerelles entre l’Olympia et d’autres lieux culturels tourangeaux se fera également sur d’autres temps forts de l’année. Ainsi, dès l’ouverture de la saison 2024, le musicien Antonin Leymarie qui signe la bande originale du spectacle Rhinocéros de Bérangère Vantusso sera accueilli en parallèle au Petit Faucheux pour un concert de batterie. « Il vient de la scène jazz électro et un solo » nous détaille la directrice dont la ligne éditoriale globale de programmation nous est présentée comme celle « de l’imaginaire, de la poésie et de l’hybridation des formes. Un théâtre à la fois ancré sur le texte, mais qui a une dimension plastique forte. » Il faut donc s’attendre à des propositions très contemporaines, sans pour autant occulter la présentation de textes classiques « car j’ai conscience que le T° doit assumer cette mission et rester relié au répertoire, notamment pour la jeunesse ». Des ambitions que la directrice va devoir mener avec un budget de 3 millions d’€. Une enveloppe stable du point de vue de la somme mais de plus en plus contrainte en raison de la hausse des coûts des spectacles, du transport, des décors… « Tout augmente, sauf les subventions » résumé la directrice qui n’entend pas pour autant réduire la volume annuel de représentations. En revanche, elle compte sur plusieurs leviers pour serrer les budgets comme l’accueil d’artistes pour des cycles de deux représentations, afin de réduire les coûts de déplacements. Mais aussi une meilleure organisation des tournées (qu’un spectacle présenté à Tours poursuive plutôt sa route à Angers qu’à Marseille). Autres projets potentiellement rémunérateurs : faire tourner au maximum les créations de la directrice qui rapportent des revenus au théâtre et développer l’atelier de construction de décors, en le rendant encore plus écoresponsable ou en le dotant d’une ressourcerie culturelle (comment recycler les décors ? Comment les réaliser avec des matériaux écoconçus ?) : « Il y a toute une dynamique, toute une réflexion à avoir dans le secteur culturel et il faut que Tours soit moteur dans ce processus » plaide Bérangère Vantusso qui se fixe une ligne : « On va tout faire pour ne pas augmenter le prix des billets. » Propos recueillis par Olivier Collet pour 37 degrés le magazine
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February 19, 2024 11:35 AM
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Propos recueillis par Gilles Rof (Marseille, correspondant) et Fabienne Darge (Marseille, envoyée spéciale) le 19/02/24 Dans un entretien au « Monde », le maire de Marseille insiste sur sa volonté de favoriser à la fois la création et l’accès de tous à la culture.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/19/benoit-payan-maire-de-marseille-nous-menons-une-bataille-culturelle_6217341_3246.html
Dans son bureau envahi de livres, où une œuvre de Vasarely côtoie un tableau provençal de François Reynaud, Benoît Payan, 46 ans, maire de Marseille, détaille les axes de sa politique culturelle. Beaucoup d’acteurs du terrain expriment un manque de visibilité de la politique culturelle de la ville. Quelle est votre vision ? La culture fait partie de ce que je ressens de manière intime. Je dois avoir un regard qui n’est pas celui d’un prescripteur, mais de quelqu’un qui, avec mon adjoint, fabrique un rapport du politique à la culture. En donnant les moyens aux acteurs de ce que je considère être le principal : la création. Il y a aussi, évidemment, l’aide à la diffusion, aux associations, aux objets culturels comme les musées, les bibliothèques. Ici, on essaie de ne pas réduire les budgets de la culture, contrairement à ce qui se fait presque partout ailleurs. C’est un préalable essentiel, dans une ville qui a tout pour réussir une forme d’exploit culturel, par sa position géographique, son histoire, son corps social, la relation qu’elle entretient avec l’acte de créer. Comment envisagez-vous cette aide à la création ? Tout part de la compréhension de ce qu’est un acte artistique, et du fait que tout commence à l’école. Il s’agit de promouvoir le plus possible l’accès à la culture, de dire à tout le monde que ce n’est pas un acte interdit. Cet été, on a fait le choix de mettre une scène flottante sur le Vieux-Port, et (La)Horde a présenté Room With a View devant vingt mille personnes. Ce soir-là, je vois des gens qui ne connaissent pas le Ballet national, Rone ou la danse contemporaine, et qui sont pris par des émotions. On a eu devant nos yeux la symbiose entre l’acte créatif et celui qui le reçoit. Pour moi, c’est une victoire. On fait sortir la danse contemporaine du cercle des amateurs pour la rendre populaire. Que mettez-vous derrière cet objectif affiché de « la culture pour toutes et tous » ? Envoyer des élèves au musée, constater leur envie de dessiner, de créer, de s’exprimer, c’est fondamental. On doit donner les moyens de créer à ceux qui n’ont pas accès à la culture, à ceux qui n’osent pas. Avoir accès aux théâtres, aux musées, aux livres. Il faut soutenir les associations, mais surtout l’acte de création. Le rapport à la culture est complexe dans l’intime. Au regard de ses fréquentations, des lieux où on a grandi, de savoir si on a une âme créative… Il faut multiplier tous les vecteurs qui permettent la rencontre. Pour l’année prochaine, on a demandé au Musée d’Orsay, à Paris, de nous prêter une quarantaine d’œuvres, et on va mener une opération de médiation pour faire savoir qu’elles sont là. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en arrivant à la mairie ? Il a fallu d’abord s’attaquer au fonctionnement des institutions municipales, qui avaient vieilli et s’étaient sédimentées. On recrute, on rouvre, on fabrique. Je veux remplir, remplir, remplir. Rendre les musées gratuits les a ouverts vers un public qui n’y allait pas. Je ne veux pas trop me mêler de l’opéra, parce que c’est ma passion. Je pousse au niveau national pour qu’on puisse être aidés, et obtenir le label « Opéra national en région ». Aujourd’hui, Marseille est la seule ville en France qui apporte 21 millions d’euros pour son seul opéra. Je veux que l’art lyrique redevienne populaire. Nous menons, au sens gramscien du terme, une « bataille culturelle ». Le budget de l’opéra ne mange-t-il pas une bonne partie des fonds pour la culture ? Peut-être que l’Etat pourrait se porter en soutien de l’Opéra de Marseille comme il le fait avec l’Opéra de Paris. Si j’avais la moitié des aides – pas en chiffre, en pourcentage – de ce que fait l’Etat à Paris, je me porterais très bien. Il serait temps que l’Etat prenne conscience que mettre 60 % du financement de la culture à Paris est un aveuglement, une hémiplégie. J’ai 400 000 euros par an de subventions du ministère pour l’opéra, là où l’Opéra de Montpellier touche 3,3 millions. Le milieu culturel s’étonne du fait que le vrai mouvement ne commence que maintenant… Mieux vaut tard que jamais. J’entends la critique. Personne ici ne nous aide à élaborer une politique culturelle. Il a fallu d’abord nettoyer les écuries d’Augias. On a un passif technique, administratif, juridique et financier qui forme un handicap qu’aucune autre ville ne rencontre. Pourquoi la culture a-t-elle été quasiment exclue (à part le cinéma) du plan gouvernemental Marseille en grand ? J’en suis déçu, mais ce n’est pas de mon fait. Je rêvais d’une salle philharmonique à Marseille, sur l’hippodrome de Borély. (La)Horde n’a pas de scène pour jouer. Le cinéma, c’est formidable, mais on aurait dû aller plus loin. La culture coûte beaucoup mais rapporte plus qu’elle ne coûte. Il y a aujourd’hui un affrontement général dans le corps social, et les reculs sur la culture sont des coups de canif dans ce contrat social. C’est un élément stabilisant, un pilier qui nous permet de fabriquer de l’altérité. Gilles Rof (Marseille, correspondant) et Fabienne Darge (Marseille, envoyée spéciale)
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February 19, 2024 6:21 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 17 février 2024 Metteur en scène, réalisateur, comédien, il s’est éteint le 15 février. Il aura été, depuis les années 70 et jusqu’à l’an 2000, un homme de théâtre exceptionnel, audacieux poète de la scène. On ne l’oubliait pas. On n’oublie pas les artistes qui vous ont étonné, enthousiasmé, les artistes qui vous ont procuré des émotions profondes et qui ont éclairé pour jamais des œuvres. Denis Llorca s’est éteint le 15 février. Il aurait eu 75 ans le 16 juillet prochain. Denis Llorca a été l’un des jeunes metteurs en scène les plus étonnants des années 70. Il n’aimait que la haute poésie, à commencer par Shakespeare et Claudel. Il venait d’une famille de comédiens, Son père, René Llorca, dit Serge Lhorca a été surtout un très prolifique acteur de doublage qui est mort il y a plus de dix ans. Sa mère, elle aussi, était comédienne. Geneviève Rhuis joua sous la direction de son fils dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett et aussi avec la belle compagnie d’Alain Enjary et Arlette Bonnard. Pour ne citer que quelques étapes. Elle dessinait aussi des costumes et fut longtemps, à Besançon, un professeur excellent. Denis Llorca a trois enfants. Juan Lorca, travaille dans la danse, la musique, le doublage. Mais on l’a aussi applaudi dans des spectacles, parfois sous la direction de son père, à Alba-la-Romaine ou aux Arènes de Lutèce. Denis Llorca est aussi le père de deux filles, deux artistes aux grands tempéraments et qui sont, comme leurs parents, libres et audacieuses. Odja Llorca est la fille d’Anne Alvaro qui fut l’une des hautes flammes des premières créations de Denis Llorca. Chanteuse à très belle voix, comédienne, Odja ressemble à sa mère et on a souvent l’occasion de l’applaudir. Sara Llorca, elle, est la fille de Catherine Rétoré. Comédienne, metteuse en scène, fondatrice de compagnies, une très belle artiste, elle aussi. Et entreprenante. On ne veut pas donner une couleur trop mondaine à cet hommage, mais la galaxie Llorca est lumineuse et on l’admire. Et on pense à toute cette famille rare. Le jeune Denis avait réussi le concours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Il appartient à la promotion 1969. Une génération très fertile, très sensible, des personnalités qui sont curieuses de tout et passionnées par la littérature. On ne refera pas ici tout le parcours de Denis Llorca, mais il signe ses premiers spectacles avec une fougue inoubliable. Llorca c’est le cœur, c’est la flamme, c’est l’intelligence d’un homme de troupe. Anne Alvaro est de toutes les aventures shakespeariennes engagées à l’orée des années 70. Dès 1969, il monte et joue Roméo et Juliette. Dès cette époqueil va vers le jeune Claudel de Tête d’Or. Là aussi, il joue et met en scène. Un lyrique, Denis Llorca. Qui dès ses premières mises en scène parvient à donner une idée magnifique des poètes, mais sans décors extravagants. En donnant quelques signes, en s’appuyant sur la langue et les interprètes. Tous ses spectacles seront marqués par cette esthétique et par l’engagement des comédiens. A la toute fin de son chemin de metteur en scène, il signera une autre mise en scène de Roméo et Juliette, en 2007, dans le cadre du théâtre que Jean-Luc Jeener fait vivre avec force et cœur, avec le même amour du théâtre et des grands textes et des comédiens, au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris. On l’avait retrouvé, plusieurs saisons auparavant aux Arènes du Lutèce, au cœur du 5ème arrondissement, déployant dans ce bel espace de grands romans et notamment Les Misérables de Victor Hugo. Ce fut superbe et si l’on se souvient bien il y avait dans la distribution son fils et l’une de ses filles. Après son Tête d’Or qu’il aimait depuis l’adolescence, il monta surtout son très cher Shakespeare, La Nuit des rois, Henri IV, Falstaff, Hamlet, et plus tard Kings qu’il nommait son « adieu à Shakespeare » en 1988/ Mais il mit en scène pourtant encore la version lyrique, par Verdi, de Falstaff, en 1982, à l’Opéra de Lyon. Et monta plus tard d’autres pièces du grand Will. En cette année-là, il est nommé directeur du centre dramatique national de Besançon et de Franche-Comté. En été 1982, il met en scène une adaptation superbe, longue, en deux parties, des Possédés de Dostoïevski. Le décor, une grande et splendide verrière, lui joue un mauvais tour : le mistral, une nuit, abat la haute paroi…Mais l’essentiel est dans nos mémoires : Maria Casarès, qui aimait profondément Denis Llorca et la distribution, avec des comédiennes et comédiens dont certains ne diront rien aujourd’hui aux plus jeunes, même les apprentis comédiens qui ne cultivent pas les mémoires. Lui-même joue Stavroguine), et il y a Michel Vitold, Nada Strancar, Françoise Thuriès, Catherine Rétoré, Jean-Paul Farré, Bernard Ballet. De grandes voix lyriques comme l’était Alain Cuny qui l’aimait aussi beaucoup et travailla avec le jeune voyant que fut Llorca. Dans ce grand parcours des planches, il trouve l’énergie de signer des films. Et il y avait en lui un très grand réalisateur, Un héritier des grands réalisateurs des débuts de cet art. Denis Llorca aimait les épopées. Qui s’étonnera qu’il ait monté une adaptation des Chevaliers de la Table Ronde. Et puis, évidemment, il a abordé, Cyrano de Bergerac comme Les Mille et une nuits, mais aussi Sophocle et Mozart. Bref, un immense homme de culture aux curiosités immenses, pétri de savoir mais aussi sachant briser avec les convenances, un inventeur, un innovateur. Comédien, il a toujours gardé le fluide d’un jeune romanesque, un jeune premier. Et même plus « vieux », mais jamais résigné, il gardait un enthousiasme, un désir de partager. Quelqu’un que les tutelles auraient dû soutenir sa vie durant. Ce fut loin d’être le cas. Sa famille, ses amis, lui diront adieu au crématorium de Vernouillet, mercredi 21 février, à 17h30. Armelle Héliot Lire l'hommage de Gilles Costaz dans Webthéâtre Né en 1949, Denis Llorca est mort ce 15 février. Il était étrangement oublié, comme s’il avait choisi de rester dans l’ombre après une carrière fracassante dans les années 70-90. Pourtant il faisait encore quelques mises en scène, mais en des lieux moins repérés comme le théâtre antique d’Alba-la-Romaine – dont il fut une sorte de directeur artistique - ou le théâtre du Nord-Ouest à Paris. Il tenait aussi beaucoup de rôles à l’écran. Dans cette deuxième partie de sa vie, plus obscure, Daniel Benoin lui fit jouer Arnolphe dans L’Ecole des femmes de Molière à Saint-Etienne en 1996 : sa composition fut remarquable, faite d’énergie, de violence et de douleur. Il fut une grande figure de la mise en scène à partir de son Roméo et Juliette au théâtre de l’Ouest parisien en 1969 et tout au long de son éclatante direction du Centre théâtral de Franche-Comté à Besançon. D’une part, il créa des spectacles mémorables qui vinrent à Paris et dans les festivals, tels ses cycles Kings d’après Shakespeare en 1979 et Quatre saisons pour les chevaliers de la Table ronde en 1986 ou son adaptation des Démons de Dostoïevski, en deux soirs, avec Maria Casarès, en 1982 : ce diptyque fut repris avec succès à Avignon et Paris en 1982. D’autre part, il forma toute une génération d’acteurs : Anne Alvaro, avec qui il vécut, s’imposa d’abord sur la scène de Besançon. II mit aussi en scène, brillamment, des opéras : Falstaff (1982), Cosi fan tutte au festival d’Aix-en-Provence (1988). Il était le fils d’un acteur et il fut le père d’acteurs qui comptent aujourd’hui : Sarah Llorca (sa mère est Catherine Rétoré), Odja Llorca (sa mère est Anne Alvaro) et Juan Llorca. Il aimait les poètes, Claudel, Shakespeare, le lyrisme et la démesure. Rien que la liste complète des œuvres dont il se chargea avec une passion sans prudence constitue la bibliothèque des plus hauts esprits du théâtre mondial. Gilles Costaz / Webthéâtre
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2024 5:00 PM
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Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 17 février 2024 L’unique opéra de Debussy, dans sa version pour piano réalisée par le compositeur, est présenté, jusqu’au 25 février, dans une mise en scène signée Moshe Leiser et Patrice Caurier.
Lire l'article sur le site du "Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/17/a-l-athenee-theatre-louis-jouvet-a-paris-un-pelleas-et-melisande-en-forme-de-fait-divers-intimiste-et-violent_6217105_3246.html
Lancée par la Fondation Royaumont et créée il y a plus d’un an à Toulon, avant Orléans et Clermont-Ferrand, cette production de Pelléas et Mélisande, de Debussy (1862-1918), dans sa version pour piano, est enfin accueillie à Paris, à l’Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au dimanche 25 février. Le compositeur tenait beaucoup à cette transcription pour clavier de son unique opéra, réalisée et amendée de sa main à mesure que les répétitions et représentations lui imposaient réécritures et corrections, dont témoignent les partitions publiées en 1902 chez Fromont, puis chez Durand en 1905 et en 1907. La bibliothèque musicale François-Lang possède d’ailleurs deux exemplaires de la première édition pour piano, ainsi que celui d’une partition d’orchestre (1904) bourrée de notations autographes à l’encre et au crayon. C’est dire si la quête debussyste s’inscrit au cœur de la Fondation Royaumont, qui célèbre son soixantième anniversaire. A jardin, un grand piano à queue, un petit canapé à cour, et en fond de scène, une palissade en bois percée d’une porte : les metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier possèdent parfaitement leur Pelléas, déjà monté dans les grandes largeurs au Grand Théâtre de Genève il y a vingt ans, avec rien de moins dans les rôles-titres que Simon Keenlyside et Alexia Cousin, avec le Golaud de José Van Dam. Ils ont cependant trouvé un intérêt majeur à remettre l’ouvrage sur le métier, comme si leur était offerte, à l’instar de Debussy contenant l’efflorescence orchestrale aux seules touches du piano, l’expérimentation d’une excitante ascèse scénique. Car réduction ne rime pas avec appauvrissement, bien au contraire. Il en va parfois de la musique comme de ces brouets dont les parfums et les saveurs se concentrent au fur et à mesure de l’évaporation. C’est ainsi que, rejoignant une forme de symbolisme propre à la poésie de Maeterlinck (auteur du livret), ils ont réduit l’espace à quelques objets. Ainsi le canapé, sur lequel se love d’abord une Mélisande en fuite et en pleurs, se fait tour à tour fontaine de la rencontre amoureuse avec Pelléas, grotte sombre où s’affrontent les demi-frères rivaux, puis lieu de rendez-vous meurtrier du dernier soir, et enfin lit de mort de Mélisande. Le petit Yniold y pleure aussi sa balle perdue, les moutons qu’on emmène à la mort et le bonheur enfui. Le piano constitue bien sûr un pôle d’attraction. Personnage à part entière qui ordonnance le jeu subtil entre commentaire, ambiance et narration, semblant modeler une parole chantée dont la prosodie jaillit d’une façon fraîche et naturelle. Tout à la fois paysage, décor, dramaturge, il mène le tragique à son terme, construisant également sur le plan visuel une sorte de second plateau. Dès l’entrée, Golaud, visiblement ivre, y prend appui, une bouteille à la main. C’est assise en hauteur sur le large couvercle noir que Mélisande arrange ses cheveux à la fenêtre de la tour, avant de se coucher, demi-nue, pour une érotique scène qui voit Pelléas se fondre dans sa chevelure. Une force d’incarnation La direction d’acteurs, d’une justesse, d’une précision et d’une violence inouïes, tient court la bride du drame. Que ce soit dans le quasi-enlèvement de Mélisande par Golaud, la jalousie qui l’oppose à son jeune demi-frère, Pelléas, tué d’une balle dans la tête, ou les violences conjugales qu’il inflige à sa femme enceinte, d’autant plus saisissantes que Mélisande est battue à moitié cachée derrière le cadre de l’instrument. Le fauteuil roulant du vieil Arkel passera à Golaud, blessé par une chute de cheval, puis à Mélisande mourant dans un dernier soleil couchant avant les grands froids de l’hiver. Loin de l’imagerie symboliste souvent associée au texte de Maeterlinck, Moshe Leiser et Patrice Caurier ont privilégié l’intimité pragmatique de ce qui pourrait être un simple fait divers, poussant même quelques détails à une vraisemblance quasi incongrue. Ainsi le nourrisson noir mis au monde par Mélisande : son mari, Golaud, est effectivement interprété par Halidou Nombre, baryton originaire du Burkina Faso dont l’imposante présence physique, l’engagement scénique et le talent d’acteur impressionnent, même si le soutien de la ligne de chant et de l’intonation restait perfectible en ce soir de première. Ce n’est pas le cas de Marthe Davost, dont la Mélisande de grâce et de chair confère à l’héroïne une force d’incarnation loin des évanescences dont se voit parfois parée la mystérieuse héroïne de Debussy. Non plus que du Pelléas tendre et véhément de Jean-Christophe Lanièce, amoureux tout sauf évanescent, et d’une grande musicalité. Entre innocence et gravité, le petit Yniold torturé de Cécile Madelin est un régal de jouvence, tandis que Marie-Laure Garnier campe une Geneviève voluptueuse, d’une noblesse et d’une clarté prosodique exceptionnelles, le vieil Arkel de Cyril Costanzo se révélant d’autant plus compassionnel et touchant qu’il se voit dépassé par les événements. Il aura ce beau geste final, roulant vers le piano assis dans son fauteuil, de lever les mains en une esquisse de direction d’orchestre, bénédiction apportée bien sûr à la partition mais aussi à son superbe interprète, le pianiste Martin Surot, dont les doigts de magicien semblent réveiller la musique au fur et à mesure qu’elle avance. Pelléas et Mélisande, de Debussy. Avec Jean-Christophe Lanièce, Marthe Davost, Halidou Nombre, Cyril Costanzo, Marie-Laure Garnier, Cécile Madelin, Moshe Leiser et Patrice Caurier (mise en scène), Christophe Forey (lumière), Sandrine Dubois (costumes), Martin Surot (piano, en alternance avec Jean-Paul Pruna). Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, Paris 9e. Jusqu’au 25 février. Marie-Aude Roux / LE MONDE Légende photo : Mélisande (Marthe Davost) et Pelléas (Jean-Christophe Lanièce), dans « Pelléas et Mélisande », à l’Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, à Paris, en février 2024. GUILLAUME CASTELLOT
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February 17, 2024 7:12 AM
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Par Eve Beauvallet dans Libération - 1er janvier 2024 Entre création, tourisme et cohésion sociale, l’association aveyronnaise Derrière le hublot invente un projet culturel en zone rurale des plus inspirants, à l’heure où le secteur cherche à «réenchanter l’institution». Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec Capdenac-Gare, ville de 4500 habitants nichée sur les rives du Lot ? Qu’est-ce qu’ils ont tous, dans le milieu de la culture mais aussi celui de la transition écologique ou du social, à scruter autant les expériences que mènent dans le grand Figeac, sur les chemins de Compostelle, ou dans les petits bars de l’Aveyron, l’association culturelle Derrière le hublot ? Qui ça, «tous» ? Tous ! Des artistes contemporains comme Abraham Poincheval, des architectes comme Manuelle Gautrand ou le collectif Encore heureux, des photographes comme Nelly Monnier et Eric Tabuchi (Atlas des régions naturelles), des directeurs de théâtre ou de musées soucieux de «réinventer les liens aux spectateurs», des metteurs en scène et plasticiens curieux des projets originaux, sans lieu fixe, qui s’y développent : autour de l’imaginaire de l’autoroute l’A75, autour de celui des refuges pour randonneurs, autour des «services d’art à domicile» pour personnes isolées, autour de banquets funéraires alternatifs… Début octobre, 120 professionnels du secteur fédérés par la Direction générale de la création artistique affluaient sur le causse, curieux d’écouter entre autres les projets interlopes qu’un «enfant du pays», Fred Sancère, 45 ans, mène depuis 1996 sur un périmètre rural d’une centaine de kilomètres. Il y a quelques jours encore, le fondateur et directeur artistique de Derrière le hublot était même reçu au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. A croire que sur ce microterritoire se cache une potion précieuse. Peut-être un des remèdes aux maux dont souffrent les institutions culturelles classiques, cherchant toutes la route vers une nouvelle ère de la démocratisation culturelle. Sans doute aussi, le meilleur des contre-exemples à opposer à Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui taclait au printemps cette prétendue gauche de snobs indifférente aux «déserts culturels». «Cette œuvre m’a maintenu en vie» On comprend mieux l’enthousiasme en remontant le cours du Lot pour atterrir, ici, un soir de pluie au bar de l’Hôtel de Paris à Capdenac. Sur la table, un demi d’ambrée et le récit de Jo, 75 ans, ancien cheminot et aujourd’hui «veilleur» à vie. «Veilleur», ça vient du titre donné à un projet artistique hors normes mené l’an passé par Derrière le hublot et qui a impliqué pendant trois cent soixante-cinq jours des habitants du coin, des touristes, des agriculteurs, la pharmacienne, le curé, des élus. Tous les âges, différents milieux socioculturels, quasi aucun profil de spectateur habituel. En haut de la falaise, en surplomb du village, était installé un abri en bois vitré dans lequel une seule personne, chacune son tour, venait «veiller» une heure sur le paysage à chaque lever et à chaque coucher de soleil. Autrement dit : le genre de concept poético-paysager incongru sur lesquels les chiens de garde de la droite dure adorent taper. Délires de bobo, vraiment ? Ce serait un plaisir de laisser Jo leur répondre : amenuisé par un cancer sévère au début du projet, coupé de la vie militante et syndicale qui occupait jusqu’alors sa vie, l’ex-conducteur de train n’ira pas par quatre chemins. «Je dis pas ça pour les flatter, mais cette œuvre, moi, elle m’a maintenu en vie.» Jo habite la maison en surplomb du village, en haut de la falaise, juste à côté de l’abri. Autant dire que ce paysage, il le connaît. «Ça paraît bête, hein, mais je ne l’avais jamais regardé.» En contrebas gît la trace de sa vie professionnelle. Sur la rive gauche du Lot, un entrelacs de rails de trains jouxte des entreprises agroalimentaire et aéronautique. On dit que la petite ville offre une «synthèse exceptionnelle de la révolution des transports». Démarché par l’équipe de Derrière le hublot un jour de marché, Jo a d’abord froncé les sourcils devant le truc de l’abri. Aujourd’hui il sait donner la date de sa première veille – «10 juillet 2022» –, il en fait cinq autres et a accompagné environ 70 autres veilleurs dans l’abri sur toute l’année. «Ici, ce genre d’expériences communes, ça se termine souvent par un apéro ou un resto tous ensemble en bas», se souvient Fred Sancère. Chaque fois, il y avait Jo. Evidemment, admet une autre ancienne veilleuse, certains «se sont emmerdés» dans l’abri : allez, deux d’entre eux ont manqué de chance en se retrouvant face à une vue bouchée par le brouillard matinal. Mais tous les autres, assure-t-elle, ont «adoré». C’est qu’à partir de cette boîte en nid d’aigle est né un curieux réseau de sociabilité, quelque chose qui n’était pas prévu sur le papier. Une petite grappe d’anciens veilleurs continue de se retrouver tous les mois, participe à l’écriture d’un livre sur la petite sentinelle de Capdenac, ont pris contact avec d’autres veilleurs de France. «Faire partie d’une grande chaîne humaine» Le Cycle des veilleurs, initialement conçu par l’artiste Joanne Leighton, a en effet été décliné de Rennes à Montreuil. Toujours en milieu urbain. Capdenac est l’exception, à laquelle la conceptrice elle-même croyait peu au départ. C’est qu’il fallait convaincre 730 riverains de se lever pour certains à 4 heures du matin pour ne rien faire d’autre qu’observer un paysage qu’ils connaissent pour la plupart déjà, d’accepter de se faire prendre en photo à la sortie, d’écrire un petit mot sur le carnet commun. Ça aurait pu être un flop, c’est devenu «leur» abri. «La petite lumière qui s’allumait matin et soir pour indiquer qu’un veilleur entrait me manque, même !» sourit Nadine, attablée à côté de Jo à l’Hôtel de Paris. Comme d’autres habitants, la retraitée avait choisi une date symbolique pour son jour de veille, celle du jour d’anniversaire de la mort de son compagnon. D’autres ont choisi la date d’une rencontre amoureuse, d’une naissance, d’un solstice, d’une pleine lune. Ce qu’Edith, elle, a trouvé émouvant dans l’abri, ce n’était pas uniquement la contemplation, c’était d’«avoir conscience de faire partie d’une grande chaîne humaine, longue d’une année, qui connectait autant de gens. On était à la fois seuls et liés». Fred Sancère a voulu inviter le Cycle des veilleurs chez lui à Capdenac à la sortie du Covid, lorsqu’il cherchait un projet artistique qui puisse parler humblement de solidarité et d’attention collective. L’attachement des riverains à «leur» abri l’a conforté dans le virage qu’il était en train d’entamer : diminuer encore davantage la part de diffusion artistique classique (les spectacles en salle) pour favoriser plutôt les œuvres et aventures fabriquées à partir des données locales (son paysage, ses modes de vies, ses habitants). Elles peuvent prendre la forme de gestes simples, «hors radars», dit Fred Sancère, comme ces balades touristiques alternatives réalisées par des riverains comme Jacques, qui nous raconte le long des étangs l’histoire ouvrière du coin, la mobilisation à laquelle il a pris part contre un projet d’enfouissement des déchets prévu pile sur une incroyable réserve de biodiversité, la tentative de sauvegarde du patrimoine industriel avec les copains. Fred Sancère, lui, balade qui veut dans les arrière-boutiques des boulangeries et charcuterie de son village. Refuge féerique en coquilles Saint-Jacques Une expérience, plus que les autres, a médiatisé la démarche du Hublot : la création depuis 2018 de plusieurs refuges alternatifs sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, menée en complicité avec des architectes, des artistes, les maires des petites communes avoisinantes ou l’énergique présidente du Parc naturel régional des Causses du Quercy, Catherine Marlas, qui vante la façon qu’ont eue tous ces créateurs de «retravailler les savoir-faire locaux, en concertation avec les artisans et les habitants». Dans le refuge féerique tout en coquilles Saint-Jacques où elle nous reçoit dans le froid glaçant de décembre, un livre d’or attend les promeneurs. Dedans, non pas deux ou trois messages, mais plus d’une centaine, souvent émerveillés, sont griffonnés sur les pages. Le dernier date du début du mois. Nicolas, de Bayonne : «Arrivé tard sous une pluie battante, seul, trempé jusqu’au slip, je n’ai pu admirer votre œuvre à la tombée de la nuit. Au lever du soleil, je regarde, je me dis quelle chance d’avoir eu un si bel abri pour dormir.» Le maire de Limogne-en-Quercy nous en lit fièrement une dizaine d’autres en guettant chaque lueur d’admiration sur le visage de la journaliste. Appelons ça «art in situ» si l’on veut, ou «œuvres contextuelles». Elles nécessitent en tout cas de bien connaître le coin. Fred Sancère, lui, ne l’a jamais quitté, à part pour quelques années d’études en anthropologie à Bordeaux. Fils du projectionniste du cinéma local et d’une secrétaire, ce «pur produit de l’éducation populaire» investi depuis enfant dans le milieu associatif, montait dans son bled, à 20 ans à peine, des concerts de punk rock avec ses copains de maternelle. Aujourd’hui, il joue joyeusement son rôle d’anomalie totale dans un secteur culturel où les carrières se font habituellement loin des «trous paumés». Il s’enthousiasme de voir que sa success story du terroir inspire à l’échelle nationale. Il n’aimerait pas le terme «success story» et calmerait sans doute la romantisation. Attention, Derrière le hublot demeure une petite équipe (7 personnes), sans moyens délirants, même si l’obtention en 2020 du label «Scène conventionnée d’intérêt national art en territoire» a donné un coup de pouce. Aussi, «j’aurais beau jeu de dire qu’on est les seuls à expérimenter comme on le fait : Francis Peduzzi au Channel à Calais a ouvert la voie, et aujourd’hui des structures comme Scènes croisées en Lozère ou Pronomades – même s’ils sont uniquement axés sur du spectacle vivant – font aussi un super boulot sur les espaces ruraux». Face à la morosité du secteur culturel (multiplication des conflits sociaux au sein des établissements, flambée du coût de fonctionnement des équipements), lui a l’air de s’éclater au volant de sa vieille Merco propulsée sur les lacets de routes aveyronnaises, occupé à faire ce qu’il préfère : «inventer des manières de faire se rencontrer les gens», développer l’agilité suffisante pour frapper à différents guichets de financements (côté culture, mais aussi côté tourisme, social, territoire). Et transmettre un peu de sa frénésie à inventer son métier sur-mesure. Parce que la mission classique d’un programmateur «c’est un peu chiant, non ?» En tout cas, parfois, «décourageant». Disons que la fameuse «crise des vocations» pour diriger les institutions culturelles, pointée il y a quelques semaines par la ministre de la Culture, tout cela n’a rien d’étonnant. Il l’a d’ailleurs signifié à Rima Abdul-Malak, précise-t-il, en accélérant bien les virages au volant. «C’est bien de former des jeunes gens de la diversité à prendre les rênes des institutions culturelles loin de chez eux. Mais ce serait super de les aider parfois à rester à proximité pour inventer des prototypes.» Légende photo : Un refuge alternatif du collectif Encore heureux, en 2020. (cyrus cornut)
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February 16, 2024 5:46 AM
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Par Clarisse Fabre (Berlin, envoyée spéciale) dans Le Monde - le 16 février 2024 La guerre en Ukraine ou à Gaza, la montée de l’extrême droite en Allemagne ont plané sur le premier jour du festival de cinéma allemand, le 15 février. Lire l'article sur le site du "Monde' : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/16/a-la-berlinale-la-politique-s-invite-a-la-ceremonie-d-ouverture_6216883_3246.html
On n’avait jamais vu ça à la Berlinale. Jeudi 15 février, deux heures avant l’ouverture de la 74e édition, qui se tient jusqu’au dimanche 25 février, une action antifasciste prend place non loin du Berlinale Palast, l’équivalent du Palais des festivals, à Cannes, sur la Gabriele-Tergit Promenade. Une vingtaine d’artistes, alignés, brandissent un panneau en carton portant une seule lettre, écrite en capitale, le tout formant ce slogan : « No Seats for Fascists Anywhere » (« pas de sièges pour les fascistes, nulle part »). Ce mot d’ordre vise l’équipe de la Berlinale, alors que les deux directeurs du festival, Carlo Chatrian et Mariette Rissenbeek, ont « désinvité », sous la pression du personnel, cinq élus de l’extrême droite allemande (AfD) qui avaient prévu d’assister à la cérémonie d’ouverture, à l’instar de représentants d’autres partis. La montée de l’extrême droite dans le pays, conjuguée à la réunion de membres de l’AfD dans un hôtel de Potsdam, le 25 novembre 2023, en vue de discuter d’un projet d’expulsion à grande échelle d’Allemands d’origine étrangère, ont fortement inquiété une partie de la population, laquelle s’est mobilisée lors de manifestations de grande ampleur, ces dernières semaines. « La Berlinale n’a aucune place pour la haine. La haine n’est pas sur notre liste d’invités », a martelé Mariette Rissenbeek, qui partira à la retraite à l’issue de cette édition. Carlo Chatrian quittera lui aussi ses fonctions et le duo sera remplacé par l’Américaine Tricia Tuttle, responsable du département de réalisation de longs-métrages à la National Film and Television School, à Beaconsfield, au nord-ouest de Londres. Le tapis rouge n’aura pas été seulement une scène glamour. Pendant le cocktail de la cérémonie d’ouverture, une beauté rousse en robe bustier portait un sautoir en strass avec le message « Fuck AfD », tandis qu’un jeune homme noir arborait une cape blanche sur laquelle on pouvait lire : « More Empathy » (« plus d’empathie »). La couleur de la peau a son importance, a souligné la présidente du jury berlinois, la Mexicano-Kényane Lupita Nyong’o, une actrice oscarisée en 2014 pour son rôle dans 12 Years a Slave, de Steve McQueen : « Je suis la première femme noire à présider le jury de la Berlinale », a-t-elle déclaré avec fierté. A ses côtés, la poétesse ukrainienne et membre du jury de la compétition Oksana Zaboujko a raconté sur scène le grand écart de sa journée : le matin même, elle était en ligne avec des proches qui lui racontaient les derniers bombardements russes et leurs nouvelles victimes, avant de se retrouver quelques minutes plus tard à prendre la pose devant un photographe de la Berlinale… La guerre ne se laisse pas oublier : le deuxième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie aura lieu pendant le festival, samedi 24 février, tandis que le conflit mené par Israël dans la bande de Gaza fait rage, en réponse au massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023. Un Ours d’or d’honneur pour Scorsese Il restait quand même encore un peu de place pour le cinéma. L’acteur irlandais Cillian Murphy, dans la course aux Oscars pour son rôle dans Oppenheimer, de Christopher Nolan, est venu présenter le film d’ouverture, jeudi soir, Small Things Like These, de Tim Mielants, un drame un brin psychologisant sur l’exploitation de filles mères dans une institution catholique. Quelques stars américaines sont attendues, comme le réalisateur Martin Scorsese, qui recevra un Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, mais aussi l’actrice Kristen Stewart, qui tient le rôle principal dans un thriller musclé, Love Lies Bleeding, de Rose Glass, présenté en séance spéciale. Côté compétition, Olivier Assayas dévoilera, samedi 17 février, Hors du temps, un film à la veine autobiographique, qui évoque le confinement à la campagne de deux frères avec leurs nouvelles compagnes. Parmi les autres longs-métrages concourant à l’Ours d’or, citons Langue étrangère, de Claire Burger ; Dahomey, de la Franco-Sénégalaise Mati Diop ; Black Tea, du Mauritanien Abderrahmane Sissako ; L’Empire, de Bruno Dumont ; ou encore A Traveler’s Needs, du Sud-Coréen Hong Sang-soo, avec Isabelle Huppert, dont la venue à Berlin est annoncée. Inévitablement, les conflits seront au cœur de plusieurs longs-métrages. Abel Ferrara, aperçu jeudi soir en train de signer des autographes, présentera, les 17 et 18 février, Turn in the Wound, en séance spéciale, un documentaire filmé sur le front en Ukraine, tandis qu’Amos Gitai a choisi une forme performative pour dénoncer, dans Shikun, tourné avant le 7 octobre 2023, la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens, à travers la voix, entre autres, de l’actrice Irène Jacob. Clarisse Fabre (Berlin, envoyée spéciale) / LE MONDE Légende photo : Le mannequin sénégalais Papis Loveday tient une pancarte, avec l’inscription « Pas de racisme ! Pas d’AfD ! », sur le tapis rouge devant le Berlinale Palast lors de l’ouverture de la 74e Berlinale, à Berlin, le 15 février 2024. EBRAHIM NOROOZI/AP
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February 15, 2024 10:23 AM
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La compagnie havraise s’installe pour deux mois au théâtre de l’Atelier à Paris avec un spectacle qui mêle danse et théâtre autour de la futilité de certaines conversations. Créé en juin 2021, au Havre, ce spectacle au titre déroutant – Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre (ce qui rend la baignade bien plus agréable) – s’installe jusqu’au 10 mars 2024 sur la scène du théâtre de l’Atelier à Paris. "Une expérience très nouvelle" pour la compagnie havraise PJPP. " Rester deux mois au même endroit, c’est assez rare", souligne le chorégraphe et interprète, Nicolas Chaigneau. L’originalité du spectacle tient d’abord au choix du thème, à savoir la bêtise humaine, à travers ces situations de la vie courante où les échanges se résument à une succession de banalités dont on a parfois du mal à sortir. L’autre particularité, c’est d’aborder chaque scène tant du point de vue théâtral que chorégraphique. Avec, pour seul décor, dix chaises déplacées au gré des scènes, le spectacle laisse aussi une large part à l’improvisation au niveau du texte. Cela donne lieu à des échanges à la fois totalement plats et décalés sur la différence entre une assiette plate et une assiette creuse... La compagnie PJPP s'installe au théâtre de l'Atelier, à Paris, avec un spectacle original autour de la bêtise humaine. - (FRANCE 3 NORMANDIE / I. Ganne / N. Berthier / C. Lefèvre) Les Galets au Tilleul... est la première partie d’un diptyque baptisé Le Vide(dont le deuxième volet est intitulé Dernière). Derrière ce titre un peu surréaliste,il y a une histoire, racontée en juin 2022 par la chorégraphe et interprète Claire Laureau à nos confrères du journal La Terrasse : "Les Tilleuls, c’est un village près d’Étretat. Nous étions en voiture et Nicolas a affirmé que la plage des Tilleuls était vraiment agréable, les galets étant plus petits… et notre régisseur a dit : 'Non, ils ne sont pas plus petits qu’au Havre'. Ça a généré un débat d’un quart d’heure sans aucun intérêt. Moi, j’étais derrière et ça m’a fait sourire." Travail d'improvisation Cet échange anodin a ensuite donné lieu à un travail durant lequel la troupe a répertorié des personnages et des situations caricaturales évoquant chacun à sa manière une certaine forme de bêtise. Chaque jour, les interprètes se sont entraînés à improviser différentes situations, que nous avons tous vécues, comme : "Parler sans interruption en rebondissant sur son propre discours, être retenu par quelqu’un qui ne cesse de parler et ne mesure pas notre désir de partir ou encore tenter de comprendre quelqu’un qui ne parvient pas à s’expliquer". Mais pas question pour Claire Laureau et Nicolas Chaigneau de "fairele procès de la bêtise, bien au contraire. Ce spectacle en serait plutôt une tendre célébration, car la bêtise n’épargne personne. Et finalement, eux, c’est nous !" Si Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre se focalise sur la bêtise, Dernière, le deuxième volet, est davantage centré sur l'échec à travers l'histoire de deux artistes et de leurs tentatives désespérées pour rendre convaincant un spectacle qui ne l'est pas. Dernière est actuellement en tournée. "Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre" jusqu'au 10mars2024 au théâtre de l'Atelier à Paris-vendredi et samedi à19h/dimanche à15h-durée: 1h-Tarif: à partir de 22euros. "Dernière" en tournée : le 14 mars 2024 à Petit-Couronne (76) et les 16 et 17 mai 2024 à Saint-André-lez-Lille (59). Légende photo : Nicolas Chaigneau, Claire Laureau, Julien Athonady et Marie Rual, les quatre danseurs interprètes de "Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre". (FRANCE 3 NORMANDIE)
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February 14, 2024 8:34 AM
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Article publié par Mediapart le 12/02/24 Depardieu, Jacquot, Doillon... Le cinéma français est secoué par les affaires de violences sexuelles. Cette nouvelle onde de choc interroge l’imaginaire d’une industrie tout entière et toute la société. Notre émission en accès libre, avec notamment Judith Godrèche, Anna Mouglalis, Charlotte Arnould et Anouk Grinberg. Judith Godrèche, Adèle Haenel, affaires Depardieu, Polanski, Caubère, Bedos, Brisseau, Doillon, Jacquot, etc. : depuis six ans, l’industrie cinématographique est en première ligne des soubresauts du mouvement #MeToo.
Elle est aussi au centre des résistances et des polémiques. Avec, encore dans de nombreux discours, la figure sacralisée de l’artiste et une culture de l’impunité très française. La dernière séquence, à nouveau portée par le cinéma, marquera-t-elle enfin un tournant ?
Sur Mediapart, Mathieu Magnaudeix et Marine Turchi reçoivent Judith Godrèche, actrice et réalisatrice, les actrices Anna Mouglalis, Charlotte Arnould et Anouk Grinberg, Manda Touré et Marie Lemarchand, actrices et membres de l’Association des acteur.ices (ADA), Noémie Kocher, autrice, actrice et membre de la commission AAFA-Soutiens, et Iris Brey, autrice, réalisatrice et ancienne critique de cinéma. Voir la vidéo (1h52) Pour cette émission, Mediapart a sollicité, par l'intermédiaire de leurs avocat·es, Gérard Depardieu, Benoît Jacquot, Jacques Doillon, Philippe Garrel. « Pas de réaction ni commentaire », nous a répondu l’avocate de Benoît Jacquot, Me Julia Minkowski. Concernant MM. Depardieu, Jacquot, Doillon, des procédures judiciaires sont en cours et ils bénéficient donc de la présomption d’innocence.
Retrouvez toutes nos émissions en accès libre. Boîte noire
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February 13, 2024 6:34 AM
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Par Laurent Goumarre dans Libération - 9 février 2024 Le metteur en scène fait retentir la verve de «l’Arbre à sang» et «Qui a besoin du ciel», portraits crus de femmes insoumises dans des dispositifs minimalistes. Pas de grands gestes de mise en scène, pas de vidéo, pas de micro, Tommy Milliot, nouveau directeur du Centre dramatique national (CDN) Besançon Franche-Comté jette sur le plateau deux textes contemporains, littéralement coup sur coup. En un, l’Arbre à sang, de l’Australien Angus Cerini, en deux Qui a besoin du ciel de l’Américaine Naomi Wallace. Point commun : portrait de femmes au-delà des larmes. Jouir du massacre D’abord l’Arbre à sang, dispositif trifrontal pour trois chaises et trois femmes, une mère et ses filles, dans une ferme perdue quelque part en Australie, qui exposent par le menu l’assassinat de leur salaud de père. C’est leur récit de Théramène à elles : Ida lui pète les genoux, Ada la gueule et M’man l’achève à coup de calibre 12 dans la nuque «avec une balle dans le cou ta tête de crétin a l’air bien mieux qu’avant», avant de découper et filer tout ça à bouffer aux poules, et s’il en reste on en fera une soupe. C’est réglé, le calvaire a pris fin, dernier acte après des années de terreur familiale, quand «tout ce temps vous saviez, vous faites quoi vous et les autres hommes ? Vous laissez faire, vous laissez faire ce qu’il fait». Alors ce sont les femmes qui se cognent le sale boulot, trois femmes entre elles qui se racontent avec le sadisme jubilatoire du conte l’histoire de leur revanche. Comment ? en y allant direct, à cru, l’auteur a supprimé les pronoms ; ces femmes n’ont pas le temps de la grammaire. Ça n’a rien à voir avec leur condition de péquenaudes white trash, mais avec la nécessité sauvage de cracher une langue primitive, où dire «je» n’a plus de sens. Est-ce que les bêtes disent «je» ? «Me demande juste si qu’on va aller en enfer», s’interroge Ida. «Si qu’en enfer on va alors c’est quoi qu’on vivait avant ?» assène la mère. Des phrases courtes, sans sujet, mais avec des verbes – pour passer à l’acte – et pas mal de compléments – pour jouir du massacre –, le tout bourré d’assonances qui créent du sens et du bruit, le texte travaille un rudimentaire poétique, comme la mise en scène qui compte sur ses trois comédiennes Lena Garrel, Dominique Hollier et Aude Rouanet pour faire le boulot. Et elles le font. Jusqu’à nous servir de la soupe en fin de partie. De la soupe populaire ? OUI. Pause et c’est reparti pour une heure vingt avec Qui a besoin du ciel de Naomi Wallace. Cette fois il y a un décor, enfin, limité à deux murs ocre et une chaise sur laquelle est attachée Wilda Spurlock encore pour quelques jours histoire de décrocher. Wilda est complètement addicte aux opiacés que lui refile depuis des années son docteur. Une fois clean, elle ira faire chanter le patron de l’usine Kentucky Aluminium, elle sait des choses qui pourraient lui rapporter pas mal de fric et peser dans sa décision de fermer l’usine – ce qui plongerait la petite ville ouvrière du Kentucky dans une catastrophe sociale. Arrive sa locataire. C’est Annette Patterson, guide – mais pour combien de temps ? – dans les grottes du parc national de Mammoth Cave, une femme possédée par son sujet dont elle connaît l’histoire invisibilisée : «Ils t’ont appris que le vieux Jules [Verne] avait pas assez d’imagination pour inclure les esclaves qui trimaient tout au fond des grottes pour en extraire les salpêtres du sol ? […] que les premiers guides étaient des esclaves ? C’est eux qui ont ouvert l’âge d’or de la spéléologie !» Et de rappeler les noms de «Stephen Bishop, cet esclave métis qui fut l’un des plus grands explorateurs que Mammoth Cave ait jamais connus […] Will Garvin, Ed Hawkins ! Nick, Matt et Henry Brantford.» Faire acte de résistance Qui a besoin du ciel est l’émancipation de ces deux femmes fragilisées mais combattantes des classes populaires qui dévient du «tracé officiel», et embarquent dans leur colère les sept autres personnages tout aussi cassés. Le texte absolument formidable de Noami Wallace travaille à plein régime la métaphore des grottes – ou comment explorer des voies souterraines pour faire acte de résistance – sans jamais céder au kitsch. Mais côté mise en scène, Tommy Milliot pèche par son application, et trouve, une fois encore, sa force dans ses deux actrices impressionnantes Catherine Vinatier et Marie-Sohna Condé, bien au-dessus du reste d’une distribution malheureusement inégale. Laurent Goumarre / Libération L’Arbre à sang d’Angus Cerini. Qui a besoin du ciel de Naomi Wallace. Mises en scène de Tommy Milliot, jusqu’au 10 février au festival Les Singulier-es au Centquatre. Du 3 au 6 avril et du 10 au 12 avril à La Criée Théâtre national de Marseille.
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February 13, 2024 5:58 AM
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Tribune d'Hélène Frappat publiée par Le Monde - 13/02/24 Saluant le témoignage de Judith Godrèche, enfin entendue, l’autrice et critique de cinéma dénonce, dans une tribune au « Monde », « l’arnaque du romantisme » qui a engendré le modèle du créateur transgresseur et de sa « muse ». Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/13/helene-frappat-ecrivaine-toutes-les-femmes-sur-l-ecran-du-cinema-qui-est-la-vraie-vie-agrandie-sont-des-survivantes_6216262_3232.html
Un vent de révolte souffle sur la France. En donnant voix à la petite fille qu’elle a été, Judith Godrèche a brisé le sortilège par lequel chaque femme, qui n’est « rien d’autre qu’une petite fille qui a grandi », écrivait Henry James (1843-1916), doit vivre en composant avec cette créature encombrante, parfois bavarde, souvent muette, ce petit fantôme effrayé contraint, dès la naissance, à s’armer pour survivre. C’est la révolte des petites filles ! Il semble que notre pays culturellement réactionnaire, cette fois-là, ne pourra pas les museler. C’est quoi le problème de la France ?, me demandait récemment un journaliste du New York Times. Il peinait à comprendre pourquoi la nation autoproclamée des droits de l’homme demeurait la dernière à soutenir (financer, louanger, défendre) des cinéastes bannis des Etats-Unis pour des crimes sexuels, tels Woody Allen ou Roman Polanski. J’ai réfléchi. Peu à peu, des armées de jeunes filles mortes me sont revenues en mémoire, des processions de revenantes ont défilé devant mes yeux, me soulevant le cœur. Le problème français, ai-je répondu, c’est l’arnaque du romantisme. Je parle du mouvement artistique produit par notre XIXe siècle ultrabourgeois et réactionnaire. Ce siècle qui a sanctifié la propriété et l’autorité du père de famille sur sa femme, justifié le meurtre de l’épouse infidèle en qualifiant de « crime passionnel » ce que des historiennes nomment désormais « féminicide », a simultanément engendré notre modèle du créateur transgresseur et de sa « muse ». Corps virginal et bouche muette – un silence évoquant les planches anatomiques de la Grèce antique, où les deux bouches de la femme, utérus et bouche parlante, sont muselées par un même verrou –, « éternel féminin », « morte amoureuse » : la muse est un cadavre de femme, un cadavre de petite fille. La violence et la domination des forts Vous voulez savoir pourquoi la condition féminine existe, qu’on le veuille ou non ? Parce qu’en chaque femme, jeune ou vieille, une petite fille subsiste. Tel le Petit Chaperon rouge auquel Judith Godrèche a comparé, sur France Inter, le 8 février, l’enfant qu’elle a été – une enfant qui a commencé à gagner sa vie à 8 ans en tournant dans des publicités, avant d’être choisie à 14 ans par un loup fier de son « syndrome de Barbe-Bleue », le cinéaste Benoît Jacquot – chaque femme apprend, dès la naissance, que sa vie sera, aussi, une survie. « Le chant du loup est le bruit du tourment qu’il vous faudra souffrir ; en lui-même, c’est déjà un meurtre », écrit Angela Carter dans La Compagnie des loups (Points, 1997). L’écrivaine anglaise, disparue prématurément en 1992, avait entrepris de réécrire Barbe-Bleue, La Belle et la Bête, Blanche-Neige… en adoptant le point de vue de l’héroïne, qui, dans la version traditionnelle, est systématiquement mutique, pétrifiée, opprimée, horrifiée, dégoûtée, épousée, massacrée. Et le cinéma dans tout ça ? Est-ce, comme certains se hâtent déjà de le dire, le méchant épouvantail de nos craintes de (bons ou mauvais) parents ? Eh bien non. Bien sûr, « le cinéma » est notre regard agrandi : il est la loupe qui révèle avec une précision clinique, sur les tournages « donc » sur les écrans, la domination des forts, la violence de la lutte des classes ou, comme le cinéaste Jacques Rivette (1928-2016) était le seul à le dire, « la crapulerie » du pouvoir et de l’argent, du pouvoir que donne l’argent. Jacques Rivette, qui respectait les actrices donc les femmes, faisait des films pour sauver les petites filles des mâchoires des loups qui se referment sur elles, y compris dans la maison de leur enfance, car « les loups possèdent des moyens d’arriver jusqu’au cœur de votre foyer » (Angela Carter, La Compagnie des loups). Les mauvais films de Benoît Jacquot ou Jacques Doillon ont été sanctifiés par le bon goût français, c’est-à-dire par le système d’évaluation esthétique de notre bourgeoisie éclairée. Sa vision du monde repose sur l’arnaque romantique. Une arnaque pour les femmes, pas pour les « grands créateurs », qui s’en réclament en expliquant que dans la France de la Nouvelle Vague, un cinéaste « doit » coucher avec sa muse pour trouver son inspiration. (L’inspiration, encore une trouvaille romantique. N’importe quelle femme artiste sait qu’elle n’a matériellement pas le temps d’attendre l’inspiration.) Cette criminelle idiotie, confondant harcèlement et mise en scène, c’est le (grand) cinéaste Philippe Garrel [mis en cause par cinq comédiennes pour des baisers non consentis] qui l’a dite. Le harcèlement est l’une des formes concrètes de notre romantisme. La théorie de l’« évaporation » Avant d’être enfin « entendue », c’est-à-dire que sa parole se change en vérité, Judith Godrèche avait déjà parlé. A certains éminents représentants de notre bourgeoisie cultivée, hommes et femmes de savoir et de pouvoir (confondant savoir et pouvoir), elle avait raconté les violences morales et physiques que Barbe-Bleue lui faisait subir. Tous ont fait « comme si elle n’avait rien dit ». Pschitt ! La parole, c’est-à-dire la personne de Judith Godrèche, a été « évaporée ». « Evaporation » est la traduction que je propose du terme américain gaslighting. Il nous vient du film de George Cukor Gaslight (Hantise, 1944), où ce génie visionnaire met en scène la continuité qui relie la violence de la norme conjugale et le système de destruction et de négation du nazisme. Ce qui se passe dans la maison de Barbe-Bleue ne peut être isolé de la guerre qui fait rage à l’extérieur. Il n’est pas étonnant que nombre de cinéastes et d’acteurs, actuellement accusés de violences sexuelles et d’abus de pouvoir sur des femmes, continuent de se défendre en dissociant leur vie privée de leur art, souvent politique, souvent « de gauche ». Les petites filles, qui n’ont pas le droit de vote, n’ont plus de temps à perdre à subir ce genre de gaslight. Depuis le temps qu’elles écoutent, bien sages, les grands hommes leur expliquer la vie, et l’amour, et le savoir, et la politique, et le sexe, et l’art, elles s’ennuient. Ces discours pompeux, arrogants, stupides leur donnent envie de dormir. Attention ! Il est risqué de fermer les yeux quand on s’appelle Blanche-Neige ou la Belle au bois dormant. Alors les petites filles se passent un film, un vrai film hollywoodien, avec plein de filles sublimes à poil, de minirobes sexy, de talons aiguilles, de faux cils, et aussi des loups terrifiants qui violent en bande, qui mentent, qui massacrent. Ce film, c’est Showgirls, de Paul Verhoeven (1995). Dès la première séquence, l’héroïne qui débarque en stop à Las Vegas (Nevada) est contrainte de sortir un couteau. Le manifeste de Verhoeven appelle une chatte, une chatte : les danseuses de Las Vegas – doubles explicites des actrices d’Hollywood – s’y font maltraiter comme des « putes ». « Toutes » les femmes, sur l’écran du cinéma qui est la vraie vie agrandie, sont des survivantes. Parce que c’est ça qu’on fait : survivre à notre enfance, et à nos loups. « C’est en vivant bien que nous tenons les loups en lisière », écrit Angela Carter. Son Petit Chaperon rouge éclate de rire quand elle comprend qu’elle n’est « la viande de personne ». « Elle ferma la fenêtre sur le chant funèbre des loups et ôta son châle écarlate, de la couleur des coquelicots, de la couleur de ses menstrues et, puisque sa peur ne lui servait à rien, elle cessa d’avoir peur. » Hélène Frappat est écrivaine, critique de cinéma et traductrice. Dernier livre paru « Le Gaslighting ou l’art de faire taire les femmes » (Editions de l’Observatoire, 2023). Hélène Frappat (Ecrivaine) Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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