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Le spectateur de Belleville
November 25, 2018 3:30 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog le Grand Théâtre du monde, le 24 novembre 2018 Au Théâtre de Paris-Villette, dans une nouvelle traduction de Guillaume Corbeil, une mise en scène de Florent Siaud, la comédienne Sophie Cadieux pulvérise tout ce que l'on croyait savoir de ce texte de Sarah Kane. Impressionnant.
Une traduction nouvelle, une manière d'écouter le texte de Sarah Kane, des décisions de mise en scène qui arrachent le texte, la représentation, le jeu, a tout ce qu'ont inscrit les versions précédentes, notamment l'immobilité absolue de l'interprète, le plus souvent reprise.
Or, ici, avec cette production québecoise qui a déjà plusieurs années -Sophie Cadieux, la comédienne a été récompensée en 2016, pour cette interprétation audacieuse et le metteur en scène Florent Siaud, également- on est littéralement face à un texte que, sauf à l'avoir lu en anglais, on n'avait jamais entendu.
Sans doute le fait que ce texte soit le dernier de la jeune écrivain qui se suicida le 20 février 1999, alors qu'elle avait eu 28 ans, quelques jours auparavant, a-t-il influencé les metteurs en scène.
Le temps a peut-être fait son oeuvre. Le temps est la complexe vérité de cette jeune femme énigmatique pour jamais.
Elle disait qu'elle voulait : "créer quelque chose de beau en parlant du désespoir." Elle disait que c'était là "la chose la plus résolument pleine d'espoir que l'on puisse faire pour affirmer son goût de vivre."
Florent Siaud entend cela. Il entend l'humour, le rire dans le texte déchirant de 4.48 Pychose. Il s'inscrit dans les analyses d'Edward Bond qui voyait dans cette pièce "une manière de traité qui nous dit comment vivre de façon consciente."
Le metteur en scène choisit la vitalité et l'intelligence comme le fait le traducteur, Guillaume Corbeil, qui a réussi à mettre en lumière des rythmes, des lignes de force, des ruptures. Un traducteur qui entend tous les échos -Sarah Kane avait beaucoup lu- et ne craint pas plus la férocité que la cocasserie.
Tout un travail précis accompagne la représentation : scénographie et costumes très élaborés par Romain Fabre, des lumières de Nicolas Descôteaux, de la vidéo, discrètement, signée David B.Ricard, du son, très subtilement réparti, par Julien Eclancher. C'est toute une équipe artistique très puissante et originale qui accompagne le metteur en scène assisté de Valéry Drapeau.
L'interprète est essentielle. Sophie Cadieux est une artiste d'une exceptionnelle intelligence. Présence forte, sans aucune agressivité, présence forte et très douce, regard profond, visage pur, elle suit toutes les nervures du texte. Elle éclaire, par sa manière de dire, de regarder le public, de bouger, tout en elle laisse passer, lumineusement ce que veut nous dire, au pur présent de 2018, Sarah Kane.
L'accord du metteur en scène audacieux et ferme dans ses choix, et de cette femme debout, avec sa voix si mélodieuse et changeante, son autorité naturelle, ce qu'elle laisse sourdre de candeur, cette femme sur le plateau du Paris-Villette, où elle n'est pas toujours seule, donne à cette heure de théâtre, de littérature, d'émotion, une puissance toute particulière.
Il ne reste que quelques représentations, il faut voir ce grand moment.
Théâtre Paris-Villette, 20h00 mardi au jeudi, 19h00 vendredi, 20h00 samedi, 15h00 dimanche 2 décembre (dernière). Tel : 01 40 03 72 23.
theatre-paris-villette.fr Photo Nicolas Descôteaux.
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Le spectateur de Belleville
November 24, 2018 4:19 PM
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Par Olivier Lamm dans Libération — 22 novembre 2018 Le metteur en scène Julien Gosselin s’installe à l’Odéon avec trois romans de l’écrivain américain. Un marathon multimédia sur le terrorisme, ambitieux mais saturé d’effets jusqu’à l’emphase.
A mi-chemin du premier des trois spectacles qui forment la version intégrale du nouveau monstre scénique de Julien Gosselin, on reconnaît un livre entre les mains d’un comédien : l’Ange Esmeralda, unique recueil de nouvelles de Don DeLillo, paru en 2011 et traitant de cataclysmes à venir ou revenir, tremblement de terre, guerre mondiale ou crise financière. Une manière sans doute, pour le metteur en scène français, de nous indiquer que le corpus qu’il a élu dans l’œuvre de l’écrivain américain aurait presque pu être un autre, tant DeLillo est un auteur cohérent dans ses thématiques et ses décryptages d’un monde sur le point de s’évanouir. La première vertu de cette adaptation groupée de Joueurs (1977), Mao II (1991) et les Noms (1982) est en tout cas de rendre les trois romans plus ressemblants qu’ils ne le sont réellement. Par la reconfiguration incessante d’un décor pivotant, de greffes inattendues (la nouvelle «le Marteau et la Faucille», extraite de l’Ange Esmeralda, ou une scène de la Chinoise de Godard) et d’un casting tournant - treize actrices et acteurs glissant indifféremment d’un rôle central à de la figuration dans le fond du décor -, Gosselin soude et dissout les trois spectacles en un seul rêve éveillé long de plus de neuf heures dont les parties communiquent entre elles comme autant d’antichambres d’un unique récit labyrinthique, pourquoi pas l’histoire secrète de l’Amérique.
Groupuscule Pourtant, les trois pièces possèdent leur unité, leurs singularités esthétiques et respectent le récit des trois romans adaptés jusque dans les préambules, zones d’ombre et intrigues alternées. Les trois premières heures déroulent au pas de course pop l’intrigue flippée de Joueurs, mauvais rêve conjugal déployé à la fin des 70’s enfumées entre le Financial District et une villa de Nouvelle-Angleterre, la tentation d’un attentat et une immolation par le feu. Les deux heures et demie qui suivent animent Mao II, intrication du faux récit d’initiation d’une photographe et de la chute d’un écrivain en crise qui accepte de se substituer à un autre qui a été fait prisonnier par un groupuscule maoïste. Enfin, la troisième partie s’escrime à raconter, dans le halo d’une lumière méditerranéenne reconstituée, l’inextricable intrigue des Noms, dans laquelle un Américain expert en analyse de risques se retrouve malgré lui sur les traces d’une secte d’assassins obsédés par le langage et l’alphabet.
Si la multiplicité des pistes est assumée et mise en scène dans son impossible variété, le thème commun des trois adaptations est bien sûr le terrorisme, en tant qu’issue armée à la décadence, mais aussi influence onirique sur nos sociétés - avec en fil rouge cette thèse défendue par Bill Gray, l’écrivain torturé de Mao II, selon laquelle l’ère du terrorisme aurait remplacé celle de la littérature. On discerne bien ce que Gosselin, apologiste inquiet d’un théâtre «de combat» qui a déjà adapté les Particules élémentaires de Michel Houellebecq et 2666 de Roberto Bolaño, a pu avoir envie d’agiter à travers ces trois grandes explorations de la violence moderne : le lien entre le théâtre et la société, dans laquelle ce dernier naît mais sur laquelle il peine à agir. D’un point de vue plus formel, on soupçonnerait presque, en relisant le prologue de Joueurs («Le film»), ce que le dramaturge a pu y projeter de son dispositif. Car on ne l’a pas encore dit, mais la quasi-intégralité du spectacle est à regarder sur un écran, filmé depuis un plateau parfois ouvert, souvent enfermé dans une boîte en forme de lanterne magique, par un cadreur caméra au poing, parfois appareillé d’un rail pour les travellings.
Sonorisation Ce n’est pas la première fois que Gosselin nous invite à dédoubler ainsi le regard, mais jamais il n’avait à ce point interrogé l’essence du théâtre. Les comédiennes et comédiens sont bien là sur le plateau, ahurissants de présence et de versatilité, mais on n’a que très rarement l’occasion de les voir en chair et en os, car ils récitent, se meuvent, se frôlent avant tout pour l’œil de la caméra. De même, la mise en scène se concentre moins sur ce qu’on perçoit des mouvements derrière le quatrième mur (existe-t-il encore ?) qu’elle ne fabrique, par le choix de cadres, les jeux de lumières et les effets spéciaux, des images à projeter sur l’écran. Le public, de son côté, n’a d’autre choix que de reconnaître un tour de force - un plan-séquence en temps réel - mais peinera aussi à décider s’il s’agit encore d’une performance à proprement parler, dont la longueur exceptionnelle mettrait à profit un temps qui serait, selon les mots de Gosselin, la «puissance exclusive du théâtre».
D’autant que le spectateur n’est pas seulement captif de la durée mais d’une densité fabuleuse de mots et de signes, et d’un dispositif technique qui «sature» encore un peu plus les informations par la sonorisation des voix, la lumière ou la musique, et ne laisse que très peu d’espace au spectateur pour reprendre son souffle et le fil de ses pensées. C’est la principale critique que l’on émettra sur ce spectacle trop plein, trop emphatique, si intense qu’on décroche souvent de ce qu’il nous dit ou inflige à nos sens, et qui contredirait presque, par moments, la langue et l’œuvre de DeLillo elles-mêmes. On en arrive ainsi à se demander si la petite musique Gosselin, reconnaissable à son emphase en perpétuelle ascension, n’est finalement pas à détacher du sens des textes qu’elle nous chante, ici via les voix étranglées de Noémie Gantier ou Carine Goron. On y reconnaît en tout cas moins le prophétisme et le lyrisme sec de Don DeLillo que l’enthousiasme d’un lecteur fasciné - Gosselin lui-même - qui s’excite un peu plus, à chaque phrase qu’il déchiffre, des beautés qu’il y trouve et du monde qu’il y reconnaît.
Olivier Lamm Joueurs, Mao II, les Noms d’après Don DeLillo m.s. Julien Gosselin. Odéon-Théâtre de l’Europe, 75006, dans le cadre du Festival d'Automne. Jusqu’au 22 décembre. Tournée en 2019. Dans «Joueurs», «Mao II» et «les Noms», les actrices et acteurs jouent principalement pour la caméra. Photo Simon Gosselin
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Le spectateur de Belleville
November 24, 2018 8:19 AM
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Par Thierry Jallet dans Wanderersite 19.11.2018 Le public installé dans la salle de la Comédie est immédiatement saisi par le dispositif qui les place dans une position qui peut paraître quelque peu inhabituelle, même s’il ne reprend pas celui de Londres où les spectateurs se trouvaient au plus près des comédiens. Quelques privilégiés sont encore installés sur des sièges à jardin pourtant l’ensemble des gens présents dans la salle semblent aussi intégrés dans l’espace composé sur le plateau, par une abolition implicite et spontanée des distances, des frontières traditionnelles dans le rituel du spectacle. L’explication repose certainement sur la nature même de ce dispositif scénique peu ordinaire.
Le plateau est massivement rempli par ce qui s’apparente à un lieu de vie en collectivité – les comédiens y évoluent ainsi que dans la salle, sans distinction. D’imposants panneaux figurent les murs salis par le temps, percés de portes numérotées. Un coin cuisine sans raffinement. Au centre, deux tables, des chaises, mal assorties. Un vieux convecteur électrique au sol. Des extincteurs fixés aux murs. Le tout sans âme ou presque, si on considère le tableau de Jack Vettriano The Singing Butler, que l’on distingue à peine. Comme une simple illustration. Comme un prétexte à orner le mur, évoquant ainsi l’absence de charme des salles d’attente. Ipso facto, le lieu est froid et la lumière blanche des néons qui éclairent le plateau comme la salle, accentue significativement ce ressenti.
Une porte s’ouvre et entrent un homme en sous‐vêtements puis une vieille femme. Elle se dirige vers ce qui semble être les toilettes, à cour. Deuxième porte ouverte. C’est alors un autre homme accompagné d’une fillette qui sortent tous deux. Eux aussi se dirigent vers les toilettes. La fillette qui se prénomme Paige s’impatiente. Je veux aller aux toilettes ! La vieille femme s’extirpe enfin du cabinet exigu et les deux autres qui attendaient devant la porte, prennent sa place. Salutations et formules de politesse mal articulées, à peine audibles. La promiscuité, la vie en collectivité subie plus que consentie apparaît, flagrante, sous les yeux des spectateurs qui d’ores et déjà voient ce qu’ils ne devraient pas voir. Le quotidien blafard s’étend et pénètre tous les regards qui cillent à peine quand une autre femme sort par la même porte que Paige et l’homme dont on apprend qu’il s’agit de Dean son père. La femme, elle, a pour prénom Emma. C’est la mère de Paige, la compagne de Dean. On découvre qu’ils ont un fils aîné, Jason. Et elle est presque au terme d’une troisième grossesse. Le petit‐déjeuner se prépare. Arrive Colin, l’homme en sous‐vêtements. Nouvelles salutations polies mais compassées, forcées. Rien ne paraît naturel dans ce lieu dépersonnalisé où des êtres en sédimentation se croisent dans la crudité de leur quotidien. Sur le T‐shirt de Colin on lit : « Erase all ». Comme un vœu pieux ou une espérance chimérique. Derrière chacune des portes, dans ces endroits invisibles pour les spectateurs, dans les plis de l’espace scénique, on comprend alors que s’abritent des êtres en transit durable, cabossés par la marche folle d’un monde qui les a broyés – et certains des comédiens en ont d’ailleurs fait l’authentique expérience. Chaque personnage croit encore que, pour lui et les siens, le sort est différent de celui des autres. Meilleur ? Non. Moins mauvais plutôt. Et il faut s’en contenter. Ne dit‐on pas que l’espoir fait vivre ? Cela semble plus vrai que jamais pour Colin et sa mère incontinente, pour Dean et sa famille mais aussi pour Tharwa, la Soudanaise qui compte sur la venue de sa fille restée dans son pays ou encore pour Adnan, instituteur réfugié syrien qui ne fera que passer dans l’abri d’urgence mis à disposition par les services sociaux. Derrière chaque porte, tous, qu’ils soient seuls ou avec les leurs, se démènent pour tenter d’échapper à leur sort. La mère de Colin le supplie presque : « Plus vite tu nous sors d’ici, mieux ça ira ». Cette volonté pour tenter d’échapper à ce lieu écrasant devient manifeste derrière chaque mot, chaque geste exécuté en retenue – on gardera d’ailleurs l’image terrible de Paige – Emily ou Rosanna Beacock, selon les soirs – levant le regard vers la pâle lueur traversant le puits de lumière au‐dessus d’elle. Ses yeux fixant une échappatoire impossible, avant le noir total qui dévore tout, même l’optimisme d’une fillette. La course du temps, rythmée par ces noirs elliptiques accompagnés de sons sourds, de grincements, se présente comme impossible à stopper, poursuivant sans relâche l’enlisement des personnages – le nôtre aussi, au fond – dans ces « limbes » comme Alexander Zeldin qualifie lui‐même ce lieu.
Love pourrait donc passer pour une énième tragédie du désespoir, un autre spectacle sur les maux de notre monde d’aujourd’hui avec un propos engagé certes respectable mais souvent rebattu dans le théâtre contemporain. Le metteur en scène revendique avoir justement repoussé toute tentation « d’affirmer quelque chose comme une thèse, politique ou autre ». Comme le titre de la pièce le laisse présager, il s’agit plutôt de faire voir « la tendresse d’un parent pour son enfant » – Tharwa qui chante une comptine à sa fille à l’autre bout de la ligne – « le combat d’un individu contre la société » – l’entêtement de Dean pour obtenir un rendez‐vous au job center pour l’amour des siens dont il veut améliorer les conditions de vie. Alexander Zeldin tenait surtout à faire entendre des voix « qui parlaient d’amour ». Et il est vrai que ces personnages aiment pleinement, s’aiment sans restriction, sans que la détresse dans laquelle ils se trouvent n’affecte les sentiments qu’ils éprouvent. Serait‐ce là leur ultime trésor ? – leur humanité préservée de toute catastrophe économique et sociale sans doute. Rappelons à ce propos cette scène toute en délicatesse au cours de laquelle Colin lave les cheveux de sa mère dans l’évier de la cuisine. Les gestes sont doux, les corps détendus, les voix sobrement aimantes. I love you. I love you too, Mum.
Il est donc davantage question de vie que de survie dans ce spectacle. Et toute sa force, tout son caractère exceptionnel reposent sur cette recherche d’une exhibition sans le moindre filtre de ces instants vivants. L’émotion ressentie peut être puissante pour les spectateurs. La scène de la gifle donnée par Emma à Colin en est un exemple notable. L’engagement tout à fait extraordinaire des deux comédiens Janet Ethuk et Nick Holder leur permet de porter ce face‐à‐face critique jusqu’à un point terrible. Dépassant la réaction brute à la situation désespérée montrée sur scène, formulons ici l’hypothèse que si l’émotion submerge c’est parce qu’elle s’origine plutôt dans la proximité même de ce regard impudique que chacun est amené à porter sur ce que ces deux personnages sont en train de vivre. L’accès à leur quotidien, à leur désespoir n’aurait alors plus rien de sordide, plus rien de banalement bouleversant. Love nous permet certainement d’approcher un nouvel hyperréalisme devant lequel, le plus souvent, le public se trouve littéralement plongé en état de sidération. Et c’est en cela que le théâtre d’Alexander Zeldin nous apparaît tout à fait remarquable.
Dans la note d’intention du spectacle, ce dernier affirme sa conviction dans « le processus théâtral » qui « offre des conditions qui nous permettent, à certains égards, d’être plus proches de nous‐mêmes et de porter un regard neuf – le mot est lâché – sur notre réalité sociale, politique, intime, pour que nous puissions aspirer à ressentir la vie avec une intensité qui soit digne de sa véritable nature, tragique et miraculeuse (…) ce travail répond à une invitation toute simple que nous suggère le sens originel du mot "théâtre", theatron : il s’agit de "contempler" la vie avec une intensité nouvelle ». Et il nous semble bien que le pari de cette contemplation est remporté avec l’expérience de Love.
Légende photo :Emma (Janet Ethuk) et Colin (Nick Holder) - Crédits photo : © Sarah Lee Cet article a été écrit par Thierry Jallet Comédie de Valence, 16 novembre 2018 Le parcours du britannique Alexander Zeldin est plutôt atypique : formé au théâtre à la faveur de plusieurs voyages effectués dans des pays comme la Russie, la Corée du Sud ou encore l’Égypte, c’est alors en tant qu’enseignant à Loughton qu’il fait la rencontre des comédiens pour lesquels il va écrire et mettre en scène ses pièces. En 2014, Beyond crying consacrera son succès au Royaume-Uni et sera suivi d’une tournée internationale. Intéressé par l’association au plateau de comédiens d’horizons divers, il recherche chez eux « une certaine fragilité » pour être « dans quelque chose de délicat et d’honnête », comme il le reconnaît lui-même. Artiste en résidence au National Theatre of Great Britain, il y crée Love en 2016, reçu chaleureusement par la critique qui salue unanimement le spectacle. Après un passage remarqué à l’Odéon-Théâtre de l’Europe au début du mois de novembre, Love est représenté sur la scène de la Comédie de Valence pour trois derniers soirs en France. Wanderer était présent.
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Le spectateur de Belleville
November 24, 2018 4:33 AM
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Par Vincent Bouquet dans Sceneweb 23.11.2018
Photo Lorenzo Chiandotto
Après le succès rencontré par son « Phèdre », il y a quelques mois, au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, la jeune metteuse en scène continue de creuser son sillon théâtral singulier avec « Rebbibia », récemment créé au TNP de Villeurbanne. Portrait d’une artiste déterminée qui, à bas bruit, construit sa place dans le paysage scénique français.
« Radicalité ». Le mot est lâché. Lorsqu’on l’interroge sur son leitmotiv théâtral, la voix de Louise Vignaud se fait soudain plus affirmée : « Le langage scénique que je développe repose sur une certaine radicalité, une absence de compromis intellectuel et un refus de toute mollesse mentale. Quand vous montez un spectacle, il ne faut jamais rien lâcher et aller au bout de ce que le texte et le plateau peuvent vous apporter. » Cette détermination, les spectateurs avaient pu l’apercevoir lors du « Phèdre » de Sénèque qu’elle avait donné la saison passée au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Armée d’un parti-pris tranché, la jeune metteuse en scène en avait aiguisé les arêtes les plus coupantes et livré un drame familial à cru.
Adepte du grand écart théâtral qui lui permet « de ne pas se figer dans un répertoire » – elle s’est déjà aventurée du côté de Feydeau (« Tailleur pour dames ») et de Pasolini (« Calderón »), de Molière (« Le Misanthrope ») et de Florence Aubenas (« Le Quai de Ouistreham »), de Koltès (« La Nuit juste avant les forêts ») et bientôt de Duras (« Agatha ») – cette jeune normalienne, de 29 ans à peine, avance au gré de ces coups de cœur qui, à la lecture, lui donnent des envies de plateau. « A posteriori, je me rends compte que tous les textes que j’ai choisis abordent, d’une façon ou d’une autre, la quête de liberté ou la quête de soi dans un monde social qui ne nous convient pas, détaille-t-elle. Dans « Calderón », Pasolini est à la recherche d’un espace de liberté au cœur de l’Espagne franquiste, les personnages de Feydeau veulent échapper à la mort grâce à un divertissement étourdissant, quand, dans « Le Misanthrope », Alceste se révolte contre le monde de la représentation dans lequel il vit. »
Un désir de liberté qu’elle a retrouvé dans « L’Université de Rebibbia », le roman autobiographique de Goliarda Sapienza qu’elle a récemment adapté au TNP de Villeurbanne. Récit des huit jours que l’autrice italienne a passés entre les murs de cette prison romaine à la suite d’un vol de bijoux, il révèle l’espace de liberté qui peut se créer au sein d’une société carcérale où, derrière la dureté du système, se cache une part d’humanité. Incarnée par cinq artistes de talent – Prune Beuchat, Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon, et Charlotte Villalonga – cette galerie de portraits de détenues hautes en couleur démontre, dans le droite lignée de son travail avec les « Stradivarius » de la Comédie-Française, toute la finesse de la direction d’acteurs de Louise Vignaud, capable d’emmener ses comédiens vers un naturalisme confondant de réalisme. « J’aime bien que les acteurs trouvent leur chemin pour parvenir à l’objectif commun que nous nous sommes fixés, explique-t-elle. Plus que des directives, je leur pose souvent beaucoup de questions. A eux, ensuite, d’y répondre avec leur corps et leur vie. Pour avoir des acteurs vivants, il est très important qu’ils puissent répondre par eux-mêmes. »
Cette méthode, qui mêle séances de lecture à la table, de plus en plus courtes, et expérimentations au plateau, de plus en plus longues, la directrice du Théâtre des Clochards Célestes l’a forgée en plusieurs étapes : en tant que spectatrice, d’abord, dans ces théâtres où elle se rendait souvent avec sa grand-mère et où elle a vécu de « grands chocs », comme le « Phèdre » mythique de Patrice Chéreau ou « La Rose et la hache » monté par Georges Lauvaudant au Théâtre de l’Odéon ; au lycée Louis-le-Grand, où, pendant six ans, prépa littéraire comprise, elle a monté une pièce chaque année au sein d’un club théâtre autogéré ; et, surtout, auprès de ces metteurs en scène qui, après ses études à l’ENSATT, ont pu lui transmettre leur savoir-faire au cours de multiples missions d’assistanat. « De Christian Schiaretti, je retiens l’art du travail à la table, de Richard Brunel, les variations de jeu qu’il propose à ses comédiens, de Michel Raskine, cette recherche constante d’efficacité, analyse-t-elle. Chez chacun d’eux, j’ai puisé les armes qui me servent aujourd’hui à développer mon propre langage. » Au vu de ses dernières créations, on peut affirmer, sans trop se risquer, qu’elle est sur la bonne voie.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Rebibbia d’après L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza mise en scène Louise Vignaud adaptation Louise Vignaud et Alison Cosson écriture Alison Cosson
avec Prune Beuchat, Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon, Charlotte Villalonga
scénographie Irène Vignaud vidéo Rohan Thomas son Clément Rousseaux costumes Cindy Lombardi lumières Luc Michel
production Compagnie la Résolue coproduction Théâtre National Populaire Théâtre du Vellein, Villefontaine Le Grand Angle, Voiron
Ce projet bénéficie de l’aide à la création de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes. L’Université de Rebibbia est paru dans la traduction de Nathalie Castagné aux éditions Le Tripode. Rebibbia se veut une adaptation libre de ce récit, elle n’engage que ses auteurs.
Avec le soutien de la SPEDIDAM (La SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées.)
Durée : 1h40 — Résidence de création Petit théâtre, salle Jean-Bouise
TNP Villeurbanne 14 – 30 novembre 2018
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November 23, 2018 8:02 PM
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Ysis Percq, correspondante à Montpellier de La Croix , le 22/11/2018 La Bulle bleue est l’un des six théâtres Esat en France. Il abrite une compagnie de comédiens en situation de handicap. La troupe, mêlée à des acteurs du cours Florent, donne Le Bouc.
« Nous sommes dans un endroit réflexif, où prime la place de l’individu dans le collectif et non la vulnérabilité du handicap. » Delphine Maurel, directrice artistique de La Bulle bleue, compagnie de théâtre constituée de comédiens professionnels en situation de handicap, met un point d’honneur au caractère « contemporain » des pièces jouées dans l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail). Créée il y a six ans, La Bulle bleue est une compagnie singulière.
Le choix de Fassbinder Depuis plus de trois ans, comédiens et comédiennes s’approprient l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder. « Le choix de Fassbinder offre la possibilité, avec sa générosité d’écritures et de formes, d’entrées multiples dans le travail. Cet écrivain s’est posé beaucoup de questions sur l’individu dans le collectif », justifie le metteur en scène associé à La Bulle bleue, Bruno Geslin, citant l’artiste allemand : « Le groupe n’existe pas mais c’est encore la meilleure façon de vivre ensemble. »
Adaptant librement le film et la pièce Le Bouc, Bruno Geslin a choisi l’environnement d’une chaîne de conditionnement de produits pharmaceutiques pour montrer les mécanismes de violence à l’intérieur d’un groupe à l’encontre d’un individu. Évoquant la question de la différence dans une société, de la capacité d’un être à sacrifier une partie de lui-même pour pouvoir intégrer un groupe, la pièce est en « résonance forte » avec ce qu’il se vit dans l’Esat.
Un théâtre politique « Les comédiens se sont appropriés les paroles et la thématique. Dès le début, j’ai répété aux acteurs qu’il n’y avait pas la possibilité de faire autre chose qu’un théâtre politique, engagé. Ils ont une responsabilité car ils portent une parole forte. Ils désamorcent tout ce qui est de l’ordre de la “surbienveillance“ » inhérente aux personnes en situation de handicap.
Après deux pièces jouées en 2017 et 2018, mises en scène par Jacques Allaire et Évelyne Didi, Le Bouc constitue leur troisième immersion dans l’œuvre de Fassbinder dont l’intégralité sera jouée en janvier au Centre national dramatique de Montpellier
Pour ce troisième volet, la troupe de La Bulle bleue partage la scène avec neuf comédiens issus du Cours Florent. Ce travail commun a permis un partage face au jeu d’acteur et à l’œuvre de Fassbinder. « Très vite, il s’est passé une dé-catégorisation du handicap. La différence était présente chez tous les acteurs », constate le metteur en scène.
Ysis Percq, correspondante à Montpellier Légende photo : La troupe de l’Esat artistique La Bulle bleue lors des répétitions du Bouc de Fassbinder. / Crédit : Bruno Geslin
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November 23, 2018 10:24 AM
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Par Nadir Dendoune dans Le Courrier de l'Atlas 15 novembre 2018 Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été » (le titre est tiré du texte d'Albert Camus, "Retour à Tipasa") d'Anaïs Allais, qui se joue actuellement au Théâtre de la Colline à Paris (jusqu’au 1er décembre), est une pièce sensible, forte et efficace. Cette œuvre d’une heure vingt-cinq (on ne voit pas le temps passer) prouve qu’on peut-être hautement intelligible et extrêmement profond à la fois. L’histoire Lilas, la trentaine, se sait très malade. C’est peut-être pour cette raison qu’elle a ce besoin urgent de partir en Algérie, son autre pays qu’elle ne connaît pas, où elle n’a jamais mis les pieds, même si depuis toujours elle porte en elle la nostalgie de cette terre. Elle est née en France; l'Algérie, c’est le pays des siens, même si les siens ne veulent plus en entendre parler. Comme sa mère, dont la mémoire est verrouillée à triple tour à chaque évocation du pays, ou encore son frère Harwan, qui ne comprend pas l’entêtement de sa sœur à vouloir rejoindre à tout prix l’autre rive de la Méditerranée. Il tente de l’empêcher de partir, refusant cette part de leur identité qui « ne les a jamais regardés en face ». Parce qu'elle se met à tout lire sur l'Algérie, Lilas découvre que son défunt grand-père Abdelkader Benbouali était un ancien joueur de football. Pas n'importe lequel : illustre joueur de foot, cet arrière gauche est passé par L’OM, club avec lequel il a gagné la Coupe de France en 1938. Il s’est même retrouvé un jour dans une équipe dont l’Algérois Albert Camus était le gardien de but ! Lilas part en Algérie officiellement à la recherche de son grand-père mais on comprend qu’il s’agit ici d’une quête plus personnelle. Peu de temps après son retour, la jeune femme meurt brusquement. Son frère Harwan occupe l’appartement de sa sœur pour mettre en ordre et déménager ses affaires. Celui qui était pourtant fermé à cet autre pays, décide de créer ce lien manquant avec l’Algérie. Il demande alors à Méziane, un Algérien arrivé depuis peu en France, comme l’avait fait avant sa mort Lilas, de lui apprendre une chanson en arabe. La chanson que Lilas n'avait jamais réussi à réciter tout en entier. Une belle chanson "chaabi" connue de tous en Algérie, (musique du peuple) qu'Harwan finira par chanter à capella avec brio et émotion à sa mère. Un des moments les plus poignants de la pièce. Sa façon à lui de continuer la quête que sa sœur avait entrepris, dans cette éternelle recherche d'identité. Nadir Dendoune Texte et mise en scène Anaïs Allais, avec Anaïs Allais, Méziane Ouyessad et François Praud Du 9 novembre au 1er décembre 2018 Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h.
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November 23, 2018 4:40 AM
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par Anaïs Heluin dans Sceneweb 12 novembre 2018
Dans Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été, Anaïs Allais puise dans son histoire personnelle les bases d’une fiction qui questionne les relations entre France et Algérie. Ses violences qui perdurent et la possibilité d’un pont. Pour Méziane Ouyessad, le jeu est une nouveauté. Le théâtre, il le vit d’habitude en régie. Et s’il monte aussi sur scène, c’est en tant que musicien du trio de chaabi nantais Intik. En lui confiant l’introduction d’Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été, l’auteure, metteure en scène et comédienne Anaïs Allais promet donc la quête d’une fragilité. D’un ancrage fort dans le réel aussi, car près du oud et de la guitare qu’il utilisera plus tard, c’est de lui que parle Méziane. Ou du moins, d’un personnage qui lui ressemble étrangement. « Je suis né, le samedi 4 juillet 1987 à Ighzer Amokrane. En Kabylie. Algérie. Je voudrais vous raconter l’histoire avec mon accent. Il est un peu particulier. Tout comme l’histoire d’ailleurs, qui est un peu particulière », commence-t-il. Avant de résumer en quelques minutes, avec une pédagogie bien personnelle, l’histoire franco-algérienne depuis la conquête de 1827 jusqu’à aujourd’hui, où il décrit sa terre natale comme « un pays tout juste sorti du four et qui nous a tous brûlé la langue ». Au sens propre comme au figuré. Dans Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été, Méziane Ouyessad assume un rôle de passeur et de traducteur dans la double enquête qui se déploie autour de lui. Celle de Lilas (Anaïs Allais) d’abord, qui, atteinte d’un cancer, décide d’aller enquêter sur la partie algérienne de son histoire familiale dont presque rien ne lui a été transmis. Puis celle de son frère Harwan (François Praud) qui, après le décès de sa sœur, tente de reconstituer son voyage en Algérie. Et prend le relai de son apprentissage auprès de Méziane d’une chanson chaabi qui semble avoir bercé son enfance et celle de Lilas. À l’effet documentaire créé par la parole de Méziane, l’histoire de Lilas et Harouane oppose un univers fictif qui finit par prendre le dessus. On pense aux drames historiques de Wajdi Mouawad à qui, à la demande du Grand T dont elle est artiste associée, Anaïs Allais a consacré la pièce W (2017). Pourtant, sur leur plateau nu à l’exception d’un grand bureau qu’il leur suffit de tourner pour indiquer un glissement temporel, les trois comédiens ne versent pas non plus dans l’épique qu’on connaît au directeur du Théâtre de la Colline. Si l’Algérie s’invite, c’est seulement à travers une vidéo et par le récit de voyage de Lilas, où celle-ci évoque son grand-père Abdelkader Benbouali. Soit le second « Algérien-français » à avoir fait carrière dans le football en métropole, qui est aussi le grand-père d’Anaïs Allais dont la découverte tardive, explique-t-elle dans la feuille de salle, est à l’origine de sa pièce. Origine hélas un peu lointaine. La belle interprétation, l’écriture ciselée et la mise en scène soignée ne suffisent pas à remplir un manque que le footballeur aurait peut-être pu atténuer. Faute de choisir entre ses différents fils narratifs, Anaïs Allais peine aussi à donner de la chair à ses protagonistes, qui se définissent essentiellement par leur tentative collective de consolation franco-algérienne. Démarche encore rare sur nos scènes, alors qu’avec des auteures comme Kaouther Adimi ou Alice Zeniter le paysage romanesque francophone témoigne depuis une dizaine d’années d’un vif intérêt pour les relations entre France et Algérie. Si elles ne sont pas toutes tenues, les belles promesses d’Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été créent donc une attente que l’on espère voir bientôt comblée. Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été Texte et mise en scène : Anaïs Allais Avec : Anaïs Allais, Méziane Ouyessad, François Praud Collaboration artistique : Damien Gabriac Dramaturgie : Charlotte Farcet Scénographie : Lise Abbadie Vidéo : Isabelle Mandin Création sonore : Benjamin Thomas et Méziane Ouyessad Création lumières : Sébastien Pirmet Construction décor : Ateliers du Grand T Production : La Grange aux Belles Coproduction Le Grand T, théâtre de Loire Atlantique et La Colline – théâtre national Avec le soutien de La Halle aux Grains — Scène nationale de Blois, de la DRAC des Pays de la Loire, de La Région Pays de la Loire, du Conseil départemental de Loire-Atlantique, de la Ville de Nantes, de la SPEDIDAM La compagnie La Grange aux Belles est soutenue par le Conseil départemental de Loire-Atlantique, Anaïs Allais est artiste associée au Grand T. La pièce est publiée aux éditions Actes Sud-Papiers Durée : 1h30 Théâtre National de la Colline Du 9 novembre au 1er décembre 2018 La Halle aux Grains – Scène nationale de Blois Les 5 et 6 décembre 2018 Crédit photo Simon Gosselin
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Le spectateur de Belleville
November 22, 2018 3:19 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 21.11.2018 4.48 Psychose, texte de Sarah Kane, nouvelle traduction de Guillaume Corbeil, mise en scène Florent Siaud
4.48 Psychose relève, avec Manque, des dernières pièces abstraites et poétiques de Sarah Kane (1971-1999), avant que la dramaturge anglaise ne se donne la mort.
Texte fragmentaire et scintillant à la fois des éclats lumineux d’une prose poétique dansante et de notes sombres d’autodérision et de distance décalée à travers la révolte et l’insoumission aux règles d’un monde excessivement conventionnel, il témoigne d’une aspiration sans réserve à la mort pour preuve d’intégrité avec soi.
Ce qui fait d’abord souffrir l’être en cette vie, c’est la blessure du désir amoureux :
« …Une symphonie en solo … à 4h48 à la bonne heure la lucidité me visitera …chaude obscurité qui me mouille les yeux… je n’ai pas connu le péché …c’est le prix à payer pour aspirer à la grandeur… un besoin vital pour lequel je serais prête à mourir être aimée… »
La traduction du québécois Guillaume Corbeil apporte souffle et rythme vigoureux, correspondant à la relecture à laquelle le metteur en scène Florent Siaud s’est essayé. De nombreuses occurrences de « Fucking… » et autres ponctuations bien trempées heurtent cette parole politique significative, subversive et énigmatique.
« Coupez-moi la langue épilez-moi les cheveux enlevez-moi les reins mais laissez-moi mon amour J’aimerais mieux me faire amputer les jambes me faire arracher les dents crever les yeux que perdre mon amour. »
L’énonciatrice destine sa parole clinique aux spectateurs et d’abord aux psychiatres qui l’entourent et la soignent. Les invectivant, elle se moque d’eux, puis consent, malgré tout, qu’elle en aime bien un, admettant aussi leur relation professionnelle.
Les énumérations médicales – listes des médicaments prescrits, résultats d’auscultation et d’analyse – scandent la verve du discours : « Humeur : fucking colère. Affect : une grande colère…Thorazine, 100 mg. A dormi. Plus calme… »
Puis, la figure à résonance autobiographique – victime identifiée et bourreau pour soi et les autres – revient sur sa famille, un père qu’elle dit haïr et dont elle admet qu’elle lui ressemble, une mère qu’elle rejette pour n’avoir pas désobéi à ce père en ne le quittant pas, un frère malade…
Elle-même n’est qu’un corps qu’elle n’aime pas non plus, le jugeant trop gros, porteur d’une conscience meurtrie à vif qu’elle aimerait rejeter au loin dans l’oubli de la mort. Comment s’accepter telle que l’on est, et, l’âge venant, être sujet attentif aux règles admises d’une société qui donne en sacrifice le désir et la liberté existentielle.
La comédienne Sophie Cadieux fait de cette partition une ode magnifique à la vie, mettant à distance le contexte tragique de l’acte extrême et final de son expérience, jouant avec les mots, les déclamant, les scandant, leur insufflant une force poétique.
Humour et moquerie, la vision de la patiente s’amuse à la fois de l’inconfort des médecins et de celui des spectateurs, tendus et surpris, interpelés et réconfortés.
Vêtue d’une courte robe qu’elle abandonne pour préférer la légèreté d’une culotte, d’un soutien-gorge et d’un t-shirt, elle donne corps au verbe proféré en même temps qu’elle « donne « son corps à la scène dans une façon d’ « être » librement assumée.
Une danse rayonnante, sous les lumières de Nicolas Descôteaux, qui fait de cette figure infernale et énigmatique une présence étrangement radieuse et vivante. Un spectacle intense qui invite à reconsidérer honnêtement ses propres aspirations.
Véronique Hotte
Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris, du 16 novembre au 2 décembre 2018, du mardi au jeudi et samedi à 20h, vendredi à 19h, dimanche à 15h30. Tél : 01 40 03 72 23
Crédit photo : Nicolas Descôteaux
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Le spectateur de Belleville
November 21, 2018 7:16 PM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro Publié le 19/11/2018
Dans End/Igné, Azeddine Benmara incarne la voix d'une génération dont les rêves semblent se perdre. Un texte touchant, signé Mustapha Benfodil, qui donne à réfléchir.
On aime beaucoup se rendre à cette salle de spectacle où l'on ne cesse de découvrir des artistes intéressants, souvent encore peu connus. Ce n'est pas le cas de Mustapha Benfodil, journaliste algérien qui ne quitte son pays que pour des reportages que publie El Watan ou parce que son destin d'écrivain l'appelle ici ou là, de la France à la Grande-Bretagne, notamment. Romancier, il a publié plusieurs livres depuis le début des années 2000 et composé un grand nombre de pièces de théâtre.
» LIRE AUSSI - Solaris, un classique de la science-fiction au théâtre de Belleville
Dans End/Igné, il donne la parole à un personnage hors norme, un imprécateur que rien ne semble pouvoir faire taire. Moussa est l'unique employé de la morgue de Balbala. La familiarité avec les morts lui donne un courage certain, une lucidité sans atermoiement, mais soulevée par une rage certaine. Une colère.
Mis en scène par un autre artiste algérien qui a adapté le texte, Kheireddine Lardjam, Azeddine Benamara est Moussa. De toutes ses fibres, dans une véhémence ondulante, il incarne, par la voix du personnage, celle de toute une jeunesse algérienne qui rêve de travail, d'engagement, de vie. La représentation est touchante, comme l'est le texte. Pas toujours d'égale puissance. Mais la fable de Moussa nous invite à méditer sur la réalité de notre monde.
End /Igné
Théâtre de Belleville 94, rue du Faubourg-du-Temple (Paris XIe) Tél.: 01 48 06 72 34 Horaires: 19h15 lundi et mardi, 15h le dimanche, jusqu'au 27 novembre.
Durée: 1h15. Places: de 11 à 26 € Légende photo : Azeddine Benamara sur scène du Théâtre de Belleville. - Crédits photo : Théâtre de Belleville
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Le spectateur de Belleville
November 21, 2018 6:29 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 21.11.2018 Mariant « Raiponce », un conte pour enfants des frères Grimm, à l’enfance nourrie à la cuillère de son écriture, Pauline Haudepin, formée comme actrice à l’école du TNS a écrit « Les Terrains vagues » pour des amis de l’école, acteurs, scénographes, etc. Une pièce où l’on trouve de tout, des impasses comme du mystère.
Scène de la pièce "Les terrains vagues" © Jean-Louis Fernandez Raiponce est un conte des frères Grimm. Trop beau pour qu’on n’ait pas envie de le raconter. C’est une histoire qui commence de façon très quotidienne par une femme qui, enceinte, a envie de salades et plus précisément de raiponces (sorte de campanules dont on mange les feuilles et les racines) qui poussent dans le jardin d’à côté, derrière de hauts murs. Le mari va en voler une. Sa femme en veut encore. Il y retourne, se fait surprendre par la proprio, une sorcière. Ça se complique. La sorcière lui offre un deal : toutes les raiponces du jardin contre l’enfant. Comme sa femme ne peut plus vivre sans raiponces, le mari accepte. Accusé de réception
La sorcière baptiste Raiponce l’enfant et l’emporte. Quand Raiponce a l’âge de 13 ans, la sorcière la cloître dans le haut d’une tour sans escalier. Chaque jour, elle vient en bas de la tour, appelle, la jeune fille déploie alors ses cheveux par une petite fenêtre et la sorcière lui monte sa pitance en se servant des cheveux comme d’une corde. Pour passer le temps, la jeune fille chante. Un jour, un prince, fils de roi, l’entend. Il la cherche, rôde au bas de la tour sans en trouver l’accès, en devient chèvre.
Un autre jour, il surprend la sorcière au pied de la tour. Faisant comme elle, il appelle Raiponce, elle déploie ses cheveux, il monte. Eblouissement réciproque. La jeune fille est bien trop innocente pour garder le secret. Et la sorcière bien trop sorcière pour ne pas rendre aveugle le prince. Dès lors, le fils de roi erre dans la forêt. Se considérant trahie par Raiponce, la sorcière lui coupe les cheveux et la laisse livrée à elle-même dans la forêt avec les deux Meaux dont elle a accouché. Raiponce et le prince, éclopés de la vie, finiront par se retrouver. Happy end.
Fascinée par ce très beau conte, Pauline Haudepin, alors qu’elle était élève actrice à l’école du TNS, s’en est librement inspiré à la faveur d’une carte blanche pour écrire une pièce, Les Terrains vagues, en mettant dans le coup ses camarades de toutes les sections (jeu, scénographie, costumes, etc.). Pauline Haudepin, aujourd’hui sortie de l’école, le reprend pour quelques jours dans une des salles du TNS avec les acteurs de la création avant de le présenter à Paris.
Changement de registre
Le paysage de sa pièce n’est plus celui du conte : la forêt est devenu un terrain vague, une décharge ; la raiponce, une drogue hallucinogène. On y retrouve une femme enceinte qui donne sa progéniture contre des drogues à un dealer-alchimiste habillé en femme. 13 ans plus tard, elle reviendra, ce qui ne sera pas du goût de l’homme qui comme la sorcière sait rendre quelqu’un aveugle et, dans sa cuisine, sait touiller des drogues dures ou maintenir durement la nuque d’une femme dans un évier. Il sera aussi question d’une tour. Ce sont là les corrélations les plus visibles avec le conte. Il y en a d’autres, plus secrètes ou plus discrètes.
On ne passe pas impunément de la lecture d’un conte à la conception d’un spectacle. On est frappé par l’opposition entre la langue des frères Grimm, simple, linéaire, chronologique, et celle de Pauline Haudepin à la fois plus heurtée et plus apprêtée, plus tortueuse et jouant avec la chronologie comme avec le feu. Pauline Haudepin travaille à l’envi ses choix de mots et la construction de ses phrases. A force de trop les nourrir, elle finit ici et là par les gaver, cela peut s’avérer d’autant plus contre-productif que ses mots et ses phrases nous parviennent portés par les corps et les voix des acteurs. Si on ajoute à cela la façon dont les différents tableaux jouent avec la temporalité en la chavirant, c’est toute la pièce qui foule des terrains vagues. Cela ne va pas sans charme car cela crée des zones d’ambiguïtés entre un onirisme et un réalisme qui jouent des coudes en faisant une partie de billard. Le cocon du conte à l’ancienne désintégré est saccagé par les bourrasques du réel (le prince naguère charmant devient un pyromane). Cependant, la courbe de la pièce s’en ressent : sa structure est friable. Le plaisir qui nous pique en traversant Les Terrains vagues se niche dans des instantanés tels que le jeu d’étreintes, par exemple. On ne boude pas ces plaisirs. On en voudrait encore. Il y a là l’enfance d’une écriture qui cherche à s’affirmer en pistant et en brouillant de facéties le passage de la très jeune fille à celui de la très jeune femme, personnages joliment portés par les deux actrices que sont Marianne Deshayes et Dea Liane.
Les Terrains vagues, texte et mise en scène Pauline Haudepin, ts les jours 20h sf sam 24 à 16h, au TNS salle Hubert Gignoux, jusqu’au 24 nov, puis du 29 nov au 11 déc au Théâtre de la Cité internationale à Paris.
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November 21, 2018 7:38 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde le 21.11.2018
Théâtre : la prison, paradoxale école de vie A Villeurbanne, Louise Vignaud met en scène une adaptation inspirée de « L’Université de Rebibbia », de Goliarda Sapienza.
Une déflagration. Voilà ce que fut, en 2005, la sortie en France de L’Art de la joie (éd. Viviane Hamy), de Goliarda Sapienza. Le livre n’était pas seulement un chef-d’œuvre : il était de ceux qui changent une vie, et faisait connaître une écrivaine totalement inconnue, dont tous les éditeurs italiens avaient d’abord refusé les écrits. Peut-être parce que Goliarda Sapienza – disparue en 1996, à l’âge de 72 ans – était une de ces insoumises irréductibles qui ne se laissent enfermer dans aucun des rôles écrits pour les femmes. Dans la foulée, on a découvert les autres livres de l’auteure sicilienne, tous empreints d’une force, d’une liberté et d’un lyrisme hors du commun. Parmi eux, L’Université de Rebibbia (Attila, 2013), qu’adapte aujourd’hui au théâtre une jeune metteuse en scène qui commence à faire parler d’elle, Louise Vignaud. Artiste associée au Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne, où elle présente cette création, elle dirige aussi, à Lyon, le Théâtre des Clochards célestes, où elle mettra en scène, au printemps, Agatha, de Marguerite Duras. La prison signifie pour Goliarda Sapienza une véritable renaissance spirituelle, au contact de ses codétenues A la fin des années 1970, Goliarda Sapienza, qui fut comédienne avec Luigi Comencini et collaboratrice de Luchino Visconti, traverse une crise. Elle vole, dans l’appartement d’une amie, des bijoux de prix, et se retrouve, pour quelques jours, incarcérée à la prison de Rebibbia, dans la banlieue de Rome. De cette expérience qui aurait pu être aliénante, Goliarda Sapienza tire un livre gorgé d’une énergie de vie exceptionnelle. La prison signifie pour elle une véritable renaissance spirituelle, au contact de ses codétenues, marginales, droguées, filles liées au grand banditisme ou militantes radicales – l’Italie est alors engluée dans les « années de plomb », qui voient s’affronter la violence politique de l’extrême gauche et celle de l’extrême droite. Le titre original du livre, L’Université de Rebibbia, dit bien que pour Goliarda Sapienza la prison fut une école de liberté. C’est cette énergie de vie qui éclate sur le plateau de la petite salle du TNP, grâce aux cinq actrices qui s’emparent de cette histoire : Prune Beuchat (qui donne à Goliarda sa dimension terrienne et charnelle), Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon et Charlotte Villalonga, qui incarnent tous les autres personnages. C’est par la perception que Louise Vignaud fait ressentir l’univers carcéral, et notamment par le travail sur le son (signé par Clément Rousseaux) : son des multiples portails qui se ferment, son des pas qui claquent indéfiniment dans les longs couloirs vides, silencieux comme des tombeaux. Phalanstère féminin La scénographie, simple, efficace, non illustrative, permet à la metteuse en scène de dérouler une galerie de portraits de femmes. Qu’il s’agisse de celles qui sont – fortement – incarnées sur le plateau, ou de celles qui apparaissent en vidéo grâce au beau travail de Rohan Thomas. Celui-ci renforce la dimension intime et sensible de cette plongée dans ce phalanstère féminin où tout semble possible, la chute comme la réinvention de nouveaux modes de vie hors des normes imposées par la société. Il y a quelque chose qui évoque l’univers de l’auteure-metteuse en scène sicilienne Emma Dante dans ce théâtre-là, qui travaille avec des corps non normés, criants de vérité, et une forme d’économie où le moindre signe claque et fait sens. C’est la belle réussite de ce spectacle, qui par ailleurs adapte intelligemment le récit de l’auteure italienne, que de tenir ensemble la dimension concrète et la dimension allégorique du texte. Et de jouer sur une forme de beauté brute, qui va bien à Goliarda Sapienza. Laquelle disait : « Qu’est-ce que la beauté, sinon de la cohérence ? » Rebibbia, d’après L’Université de Rebibbia, de Goliarda Sapienza. Mise en scène : Louise Vignaud. Théâtre national populaire (TNP), 8, place Lazare-Goujon, Villeurbanne (Rhône). Tél. : 04-78-03-30-00. Jusqu’au 30 novembre. Fabienne Darge (Villeurbanne (Rhône), envoyée spéciale) Légende photo : Réjane Bajard qui joue le personnage de Suzie Wong (dans la vidéo de Rohan Thomas) et Prune Beuchat qui joue le rôle de Goliarda Sapienza (sur le plateau). REMI BLASQUEZ
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November 20, 2018 6:58 PM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro Publié le 20/11/2018
MORCEAU CHOISI - Christian Schiaretti met en scène L'Échange, qui réunit un quatuor d'acteurs exceptionnels incarnant la violence du monde moderne.
Un immense plateau nu, zébré de coulées rouges. On n'y verra pas d'autre accessoire qu'un petit tabouret en bois, carré. Au fond, les ténèbres. Même en plein jour, puisque ici l'action se développe de l'aube à la nuit noire, nuit constellée d'étoiles dansantes pour accompagner Marthe, au début de l'acte III, nuit déchirée au loin de flammes que l'on imagine, l'incendie de la maison de Thomas Pollock Nageoire, à la fin… Rien, ce plateau nu et le surgissement d'un cheval fantomatique, ce cheval d'albâtre sorti d'un cauchemar de Füssli, portant la dépouille de Louis Laine, tandis que Lechy Elbernon, écrasée par l'alcool, ronfle dans le sable, cuvant sa méchanceté meurtrière. Mais oui, c'est Claudel cette prosaïque réalité…
Les personnages entrent et sortent depuis ce fond de ténèbre, s'y fondent. On dirait les figures d'un auto sacramental convoquées pour la pesée de leurs âmes. Rien de plus incarné, pourtant, de plus charnel, sexuel que L'Échange, pièce composée en 1893-1894. Le jeune vice-consul d'à peine 25 ans a été transfiguré par la lecture de Rimbaud en 1886, année de sa conversion. De New York à Boston, en même temps qu'il écrit L'Échange (après La Ville, Tête d'or, La Jeune Fille Violaine), il traduit l'Agamemnon d'Eschyle. Christian Schiaretti met en scène cette première version. Sa violence reste impressionnante. On a beau souvent la revoir, on n'en revient pas.
Argent, pouvoir, sexe De quel «échange» s'agit-il? On est sur la côte Est des États-Unis. D'une part, deux adultes américains, une actrice de théâtre, Lechy Elbernon (Francine Bergé), un homme d'affaires très riche, Thomas Pollock Nageoire (Robin Renucci). Près de chez eux, deux jeunes pauvres engagés comme gardiens, Louis Laine (Marc Zinga), métis indien, et Marthe (Louise Chevillotte), qui a quitté sa campagne française pour suivre le jeune exalté… Lechy s'est jetée sur Louis, Thomas Pollock est tenté par la pureté de Marthe. On parle d'argent, de pouvoir, de concupiscence, de jouissance. On pourrait être aujourd'hui. La langue de Claudel est impétueuse, ici servie par une direction d'acteurs rigoureuse, dans la musicalité même de ce «concert», comme il disait.
Et quels comédiens! Ils subjuguent. Francine Bergé, aiguë, aigre Lechy, mauvaise, est en tout point magistrale. Robin Renucci est magnifique dans l'ambivalence d'un joueur qui aime perdre autant que gagner, homme d'affaires non dénué de conscience mais qui s'en défend. Louis est interprété par l'immense Marc Zinga qui semble tout frêle, tiraillé, déchiré. Dans sa robe bleue, visage lavé de tout calcul, Louise Chevillotte, révélation bouleversante, est admirable. Miracle de présence, d'intelligence, de sensibilité.
L'Échange, Les Gémeaux, Sceaux (92), jusqu'au 1er décembre. Tél.: 01 46 61 36 67. Puis au TNP Villeurbanne du 6 au 23 décembre. Tél.: 04 78 03 30 00.
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Le spectateur de Belleville
November 20, 2018 6:12 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan Samedi dernier, la MC2 fêtait ses 50 ans (1968-2018) mais son histoire commence bien avant, dans les maquis du Vercors. Au terme d’un marathon mémoriel, Georges Lavaudant – dont la grande salle porte désormais le nom – a rempli une dernière fois les verres de « La Rose et la Hache » avec l’emblématique Ariel Garcia-Valdès.
La tour des chiens près de Grenoble © dr Si vous voulez connaître un pan de l’histoire du théâtre français, disons depuis la Libération jusqu’à l’an 2000, tapez www.michelbataillon.com. Non, ne tapez rien, ce site n’existe pas et ce n’est pas Michel Bataillon, peu au fait des dernières circonvolutions électroniques, qui le créera. En revanche, lisez ses (rares) articles et livres, à commencer par le magistral Un défi en province (cinq volumes aux éditions Marval) qui raconte l’aventure de Roger Planchon à Lyon, depuis la rue des Marronniers jusqu’au TNP à Villeurbanne avec Patrice Chéreau puis Georges Lavaudant. Mieux encore, mais plus rare : allez l’écouter. Bataillon au front
Michel Bataillon est le meilleur, le plus charmeur et le plus savant raconteur d’histoires de théâtre que je connaisse. Une raison de plus pour prendre le train jusqu’à Grenoble samedi dernier pour y fêter les 50 ans (1968-2018) de la Maison de la Culture de Grenoble devenue la MC2. Cette journée rétrospective et quelque peu prospective, présidée par Catherine Tasca (ex-ministre, ex-directrice de la Maison de la Culture de Grenoble) commença par le récit de la préhistoire de cette histoire. Son pan le plus méconnu, en somme. Mais ô combien passionnant.
Dans le grand auditorium, Michel Bataillon, corps et tronche massifs de montagnard alpin, est assis au centre de la scène sous un écran. De chaque côté de lui, un acolyte (jouant involontairement le rôle de faire-valoir). A sa droite, l’universitaire grenobloise Alice Polco qui, par ailleurs, a piloté un passionnant livre sur le sujet (Revue d’histoire du théâtre n°279 Maison de la Culture de Grenoble.1968 : un édifice, des utopies, édité par la Société d’histoire du théâtre). A sa gauche, l’universitaire Marco Consolini, professeur à la Sorbonne nouvelle, spécialiste de Jacques Copeau, de Jean Dasté et de bien d’autres, il est l’une des têtes pensantes des rencontres Copeau à Pernand-Vergelesses.
Le Lyonnais Michel Bataillon n’est pas un universitaire, même s’il est un germaniste émérite. Il accompagne Gabriel Garran lors des années pionnières du Théâtre de la commune à Aubervilliers. On le retrouve ensuite auprès de Roger Planchon au TNP, établissement où il restera jusqu’à sa retraite on ne peut plus active. Difficile de définir l’étendue des fonctions, passées et présentes, de cet homme curieux de tout : il est à la fois traducteur, dramaturge, conseiller littéraire, dénicheur de spectacles et d’archives, rat musqué de bibliothèque, rédacteur d’articles et de livres, intervieweur, as du sous-titrage. Un défi en province rassemble la plupart de ces talents. Cependant, rien ne vaut son babil, sa parole douce et un peu traînante. Une oralité, tout aussi précise que ses écrits aux informations dûment vérifiées. Plus sinueuse que sa plume, sa parole s’autorise de succulentes incises, des pas de côté et des échappées belles. C’est réjouissant. C’est éblouissant.
Sept fortes têtes
Ecoutons-le, épaulé par ses deux acolytes, nous raconter cette préhistoire qui devait conduire au 3 février 1968 : deux jours avant les JO d’hiver, André Malraux inaugure la Maison de la Culture de Grenoble avec des phrases vibrantes, d’autant plus vibrantes que c’est l’aboutissement d’une longue histoire née, en grande partie, de la Résistance. Très vite, Michel Bataillon rappellera cette phrase-talisman qu’aimait glisser Gabriel Monnet : « quand ceux du maquis sont descendus en ville... ».
C’est dans le massif du Vercors qu’est née l’association Peuple et Culture, émanation d’anciens cadres de l’école d’Uriage passés à la Résistance. C’est de là et alentour que viennent les « sept fortes têtes » (Bataillon) qui vont jouer des rôles clefs. A commencer par Georges Blanchon dont Michel Bataillon se délecte à raconter la biographie introuvable sur Wikipédia. Activiste de Peuple et Culture, Blanchon va présider la première Maison de la Culture de Grenoble fondée en 1945. Une adresse fixe, une volonté farouche mais aucun lieu, aucun sou. Le 22 août 1945, pour fêter le premier anniversaire de la libération de la ville, le spectacle Un peuple se retrouve est écrit et mis en en scène par Luigi Ciccione (pour lequel Bataillon a beaucoup d’affection), animateur-moniteur venu de Peuple et Culture. Il y retrouve ses cadets Gabriel Cousin (futur auteur de L’Opéra noir) et Jacques Lecoq (qui fondera plus tard son école), sortis du même moule. Le spectacle réunit plusieurs mouvements de jeunesse et aussi des militaires, des chorales : 400 personnes ! Il y a bien des vers d’Aragon et d’Edith Thomas mais le texte n’est pas premier. « Plus qu’explicatif, il doit être suggestif. Le dialogue doit être banni. L’individu fait place au chœur » juge Ciccione, futuriste sans le savoir. Gros succès.
La Compagnie des Comédiens de Grenoble
Blanchon qui se dit « technicien d’organisation » monte à Paris rencontrer Jean Dasté, un ancien des Copiaus de Copeau en Bourgogne, alors au théâtre de l’Atelier, le théâtre de Charles Dullin. Il le persuade sans mal de venir diriger la Compagnie des Comédiens de Grenoble. On y retrouvera les sus-nommés mais aussi Hubert Deschamps (l’oncle de Jérôme) et bien d’autres. Michel Bataillon sort de sa manche une lettre « tardive » de Dasté adressée à Blanchon : « Je pense souvent à toi. Et je pense que sans toi, qui est venu me chercher à l’Atelier, je n’aurais pas été le pionnier de la décentralisation que j’ai été. » Bel hommage.
Sur l’écran, au-dessus des trois conférenciers, parmi de nombreuses photographies exhumées des archives et de collections privées, apparaît celle d’une tour moyenâgeuse noyée dans les arbres. C’est « la Tour des chiens ». On y vit. Le jeune Jacques Lecoq prend en main le matin l’entraînement physique des comédiens, René Lafforgue les fait chanter (lui-même se fera connaître un peu plus tard comme chanteur sous le nom de René-Louis Lafforgue). Gabriel Cousin se souviendra de la « Tour des chiens » comme d’une « expérience de vie communautaire et naturiste, à la fois hédoniste, athlétique et culturelle ». Ce n’est pas là le mode de vie préféré de Bataillon mais il jubile en détaillant cette histoire comme il l’a fait en nous racontant le montagnard que fut aussi Blanchon, à l’origine de l’Ecole française de ski alpin avec Emile Allais et quelques autres.
Deux ans durant, la troupe des Comédiens de Grenoble (dans laquelle s’est fondue la Compagnie de la Saint-Jean animée par Ciccione et Jean-Marie Conty) va sillonner les villes et les villages des départements savoyards. Photo : on voit la troupe à Combloux au chalet des étudiants venus se faire soigner. Photo : on les voit au centre des Marquisats d’Annecy.
Noé d’André Obey mis en scène par Dasté est présenté le 24 décembre 1945 au théâtre municipal de Grenoble. Pour la seconde création de Dasté, Sept couleurs, Jeanne Laurent chargée du dossier « culture et décentralisation » au gouvernement, affrète un wagon où prennent place une vingtaine de Parisiens (fonctionnaires, artistes, journalistes) pour descendre voir le spectacle. Jeanne Laurent compte ainsi faire pression sur le maire de Grenoble pour qu’il accepte la création d’un Centre dramatique national dirigé par Dasté dont le financement doit être assuré moitié par l’Etat, moitié par la ville.
Comment Grenoble rata la marche de l’Histoire
Léon Martin, le maire de Grenoble, SFIO, est un ancien résistant, il fut l’un des rares députés à avoir refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, raconte Bataillon. Il prend très mal ce voyage de Parisiens. Et puis, pour lui, la culture c’est d’abord l’opérette, les tournées Herbert (où cohabitent pièces de boulevard avec vedettes comme Pierre Dux dans Patate de Marchel Achard, et des pièces plus « sérieuses » comme Les Possédés de Dostoïevski écrit et mis en scène par Albert Camus). Enfin, il ne comprend pas bien la démarche artistique et civique de Dasté et des autres (travail du masques, travail du corps) et se méfie d’un Blanchon proche du Parti communiste, nous disent encore Bataillon et ses deux acolytes. Léon Martin dit non à la création du CDN et son conseil municipal refuse de verser une subvention à la Compagnie des Comédiens de Grenoble. Dasté s’en va à Saint-Etienne, on connaît la suite. Le premier CDN de France ne verra pas le jour en Savoie mais en Alsace. « Grenoble rate la marche de l’Histoire ».
Les années passent. En 1962, le Ve plan prévoit la création de vingt Maisons de la Culture dans vingt villes dont Grenoble. La ville ne répond pas. A la fois impatient et interloqué, Emile Biasini, collaborateur du ministre Malraux, descend à Grenoble en novembre 64, rencontre les uns et les autres. Sa venue favorise la création, le mois suivant, d’une Association pour la Maison de la Culture à Grenoble dirigée par un prof de philo, Michel Philibert. Le socialiste Henri Dubedout, candidat aux élections municipales de mars 65, soutient l’association. Il est élu. Trois ans plus tard, André Malraux inaugure la MC de Grenoble conçue par André Wogenscky, un élève de Le Corbusier. Un édifice imposant et audacieux bientôt surnommé « le cargo ». La MC deviendra MC2 beaucoup plus tard après la transformation partielle du lieu et le bouleversement de son organisation.
Après la préhistoire racontée le matin de cette journée marathon, l’après-midi se concentre sur l’histoire des cinquante premières années, à travers la présence ou l’évocation des directeurs et directrices qui vont se succéder, de Didier Béraud à Jean-Paul Angot. A l’exception du bref (moins d’un an) épisode de la direction de Chantal Morel (après le départ de Georges Lavaudant pour la codirection du TNP) et de son fameux « rapport de mission » où elle explique pourquoi elle part. Un texte qui pointe déjà les difficultés que traversent aujourd’hui certains établissements entre une équipe technique et administrative permanente et une direction qui se renouvelle à l’issue d’un, deux ou trois mandats de trois ans.
« Torpeur de pourpre et de mots »
La fin de la journée est consacrée au présent et au futur. La jeune metteuse en scène Elise Chatauret dit son émerveillement à travailler pour la première fois de sa vie dans une institution comme la MC2. Mais aussi, elle ne voit pas, avec le théâtre de l’intime et de la proximité qu’elle pratique et les moyens qui sont les siens, comment elle pourrait présenter un jour un spectacle sur la grande scène de la MC2 portant désormais le nom de Georges Lavaudant.
Ce n’est pas sur ce grand plateau mais dans une salle plus petite, que la journée se termine en revival, avec la toute dernière représentation grenobloise de La Rose et la Hache d’après Richard III de Shakespeare revu et corrigé par Carmelo Bene, le tout rebricolé par Lavaudant. La création en juin 1980 de ce spectacle qui allait devenir emblématique, réunissait Lavaudant dans le rôle de la reine Marguerite, Dany Kogan dans ceux de Lady Anne et Elisabeth, Diden Berramdane dans ceux du roi Edouard, de Buckingham, etc. Enfin et d’abord, Ariel Garcia-Valdès tenait le rôle omniprésent de Richard. Le spectacle ne se donnait pas à la Maison de la Culture mais à l’Eldorado, une petite salle d’Echirolles.
Quand il sera repris en 2004, seuls subsisteront de la distribution initiale Lavaudant et Garcia-Valdès ainsi que la chorégraphie intempestive de Jean-Claude Gallotta. La voici reprise, cette reprise, pour les 50 ans de la maison. C’est pour Ariel Garcia-Valdès, son acteur fétiche, que Lavaudant avait voulu monter La Rose et la Hache (avant plus tard de le diriger dans Richard III, dans son entièreté) et dire son admiration pour Carmelo Bene. Etonnant de voir aujourd’hui Ariel, l’ange Ariel, près de quarante ans après, retrouver ses rictus, ses mouvements de mains et d’épaules, ses rires effrayants. Comme au premier jour. « Torpeur de pourpre et de mots. Les robes ensanglantées des reines-mères ont enfanté des cadavres. Le crâne poli par Hamlet ricane au fond de la salle. Sur scène, un pied bot scande la danse. En coulisse, Edgar (cette vieille) Poe remonte les horloges. En ce temps-là tout était noir : le murs, les tables, les bas, les nuits, les rois. Tous givrés. Richard III : une cocotte capricieuse. La duchesse d’York : un travelo. Que dit la reine au meurtrier de ses beau-père et époux ? “Ecris-moi.” » Ainsi commençait l’article que j’écrivis alors (Libération, le 30 juin 1980). Rien à redire. Les éclairages de Lavaudant sont toujours cinglants et le spectacle a su préserver ses fulgurances. Cependant, le temps a refermé dans sa coquille ce spectacle qui s’était fait dans l’urgence d’un croquis. Il l’a foutu au congélo. Pour ceux qui l’ont vu à la création, il revient quelque peu assourdi dans un présent nimbé de son souvenir, comme ces photos qui palissent un peu au fil des ans. Ô satanée mélancolie ! Prends-moi dans tes bras, Ariel. Juste un instant.
La Rose et la Hache, les 20 et 21 novembre à la Scène nationale d’Annecy-Bonlieu ; les 22 et 23 janvier 2019 à L’Archipel de Perpignan ; et du 16 au 20 mai 2019, au TGP de Saint-Denis.
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Le spectateur de Belleville
November 25, 2018 2:54 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 24.11.2018 Naissance de la tragédie, conçu et mis en scène par Maxime Kurvers – Festival d’Automne à Paris
Victor Hugo écrit dans son William Shakespeare (Edition de Michel Crouzet, Folio Classique, Gallimard, 2018) que l’immensité du drame commence, il y a deux mille cinq cents ans dans Eschyle. Et Shakespeare se serait inspiré de cette immensité.
Les personnages d’Eschyle sont les volcans (L’Etna), les montagnes du Caucase (Prométhée), l’Océan, le vaste Orient (Les Perses) et les ténèbres (Les Euménides).
Soit une volonté et un tempérament versés dans l’immensité, « Eschyle invente le cothurne, qui grandit l’homme, et le masque qui grossit la voix. »
Artiste associé à La Commune – Centre dramatique national d’Aubervilliers-, le metteur en scène Maxime Kurvers offre au spectateur l’occasion inouïe et inédite d’assister non pas à une « simple » représentation des Perses d’Eschyle mais plutôt à sa première représentation, comme si la salle entière du public remontait le temps.
Une longue remontée, nous voilà en 472 avant notre ère, là où fut donnée la plus ancienne des pièces connues produites en Occident, au théâtre de Dionysos à Athènes.
En face du public, l’acteur Julien Geffroy grimé arpente lentement et avec précaution la scène, vêtu de couvertures et autres rubans colorés – accumulation de tissus bariolés, une maison sur le dos –, et chaussé de cothurnes modernisées – comique de chaussures de sports sur des cubes de bois enlacés de rubans de caoutchouc.
Ces chaussures montantes des anciens Grecs, des brodequins de cuir à semelle de bois épaisse sont utilisées par les acteurs tragiques pour paraître élevés. Et voilà que l’interprète – le récitant – pose le décor à ciel ouvert et sous la lumière du jour.
Une longue plate-forme de pierre percée de portes et d’escaliers et adossée à une muraille sur laquelle les acteurs vont et viennent et jouent la pièce ; en face, raconte Hugo encore, un vaste hémicycle de gradins de pierre, avec cinq ou six mille hommes assis là pêle-mêle, la multitude du Pirée et d’Athènes, dont les femmes, les enfants et les esclaves, après qu’ils aient circulé devant les échoppes et boutiques.
Des quatre pièces jouées, du lever au coucher du jour, seule est conservée Les Perses, seule tragédie encore dont l’inspiration est historique et non mythologique.
Et Le comédien de 2018 raconte la défaite des Perses face aux Grecs, une armée immense de soldats perses conduite par le grand Xerxès (519-465 avant J.-C.).
Auparavant, pour les libations à venir que la Reine accomplit sur le sol pour régénérer la vie à venir, laver la terre des souillures du présent, l’acteur se dirige avec calme vers une petite table à cour d’où il renverse lait et miel qui coulent au sol.
Quand il reprend le discours du messager qui vient conter la défaite à la cour du royaume des Perses, Julien Geffroy, dirigé par Maxime Kurvers, émeut le public attentif en évoquant les moments de défaite dans les larmes : « Ses effets tragiques ressemblent à des voies de fait sur les spectateurs. » (Victor Hugo, Shakespeare)
Emu, l’interprète émeut la salle à son tour qui parfois ne peut s’empêcher de rire face à telle sincérité jouée. L’artiste raconte en victime le drame essuyé par les Perses.
Devant la salle vide du théâtre, la cage de scène noire est mise à nu, si ce n’est que le public, en quête de repos et de tension trash à relâcher, fait voyager l’imaginaire dans les cintres où sont suspendues autant de toiles colorées et hétéroclites.
Métaphore des temps et des espaces – racontés et accumulés- en une suspension de voilages qui racontent l’étagement spatio-temporel onirique, en même temps que l’universalité de la crainte et de la terreur, de la pérennité des haines et des guerres – ici, une conquête velléitaire de ce qui était la fameuse Europe aux temps passés.
Un conte extraordinaire en forme de voyage vers les origines du théâtre et du tragique de l’existence, à l’opposé des spectacles friands de nouvelles technologies.
Véronique Hotte
La Commune – Centre dramatique national d’Aubervilliers – Festival d’Automne, 2, rue Edouard Poisson 93300 Aubervilliers, du 23 novembre au 5 décembre 2018, mardi, mercredi, jeudi à 19h30, vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 16h. Tél : 01 48 33 16 16
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November 24, 2018 3:42 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 23.11.2018 La première version scénique du film musical réalisé par Jacques Demy est présentée à Paris.
Ah ! le cake d’amour de Peau d’âne dans sa jatte bien plate avec sa farine qui rime avec terrine, tandis que le levain fait gonfler le beurre fin. Ah ! l’amououour, l’amououour ! On se lèche déjà musicalement les babines en arrivant au Théâtre Marigny, à Paris, pour voir Peau d’âne, première version scénique de la comédie musicale réalisée en 1970 pour le grand écran par le cinéaste Jacques Demy et le compositeur Michel Legrand. Les recettes sentimentales de la routine quotidienne chantonnées comme à la maison (ou presque) nous emportent déjà dans leur manège de saveurs.
Le Théâtre Marigny rayonne de mille éclats, comme autant d’appels au public à retrouver dare-dare son chemin. Fermé pour travaux pendant cinq ans, le lieu inauguré en 1855 comporte une salle de 1 000 places classée monument historique en 1990 et un studio de 300 spectateurs. Le bâtiment a été rhabillé chic, sobre et luxe par l’architecte et scénographe Clé Millet en complicité avec Wilmotte & Associés. Le hall parie sur l’alliance sans nuage du bleu nuit et du rouge. La grande salle s’éclaircit en blanc et or. Nouveautés, deux extensions symétriques de chaque côté du théâtre ont dégagé une belle amplitude au foyer tandis qu’un restaurant accueille désormais 120 couverts. L’addition du chantier tourne autour de 20 millions d’euros.
Pour l’occasion, Michel Legrand a revu la construction de la partition et créé au total une dizaine de minutes de musique nouvelle
Cette réouverture recompose un triangle attractif sur les Champs-Elysées : le Marigny est situé non loin de l’Espace Cardin et quasiment en face du Théâtre du Rond-Point. Pour marquer le coup, le directeur Jean-Luc Choplin, à la tête du Châtelet de 2004 à 2016, a parié sur Peau d’âne. Etrange idée que de choisir ce conte sur l’inceste écrit en 1694 par Charles Perrault (1628-1703). L’impact du film de Demy avec Catherine Deneuve, Jean Marais, Jacques Perrin, Delphine Seyrig et Micheline Presle, son aura de mythe quasi intouchable ont sans doute impulsé ce désir chez celui qui a fait grimper la comédie musicale au septième ciel parisien en l’espace d’une dizaine d’années.
C’est au compositeur Michel Legrand que Choplin confie son rêve de présenter Peau d’âne. Ils foncent et relèvent un double défi : c’est la première fois qu’une mise en scène théâtrale en est tirée, le film se dressant comme un phare insubmersible. Pour l’occasion, Legrand a revu la construction de la partition, a coupé par-ci, ajouté quelques interludes par-là, et créé au total une dizaine de minutes de musique nouvelle.
Une équipe qui tient la route Parallèlement, Choplin monte la production à hauteur de 2,5 millions d’euros. Bref rappel de l’histoire : un roi veuf veut se remarier avec une femme plus belle que son épouse. Et c’est sa fille qu’il élit. Marie Oppert, déjà présente dans Les Parapluies de Cherbourg, endosse ici le rôle de Peau d’âne, Emma Kate Nelson celui de la fée des Lilas. Le danseur Michaël Denard joue le père, l’étoile de l’Opéra national de Paris Marie-Agnès Gillot se jette impeccablement dans celui de la mère du prince, interprété par Mathieu Spinosi… La journaliste Claire Chazal devient la narratrice. L’équipe, un brin surprenante à première vue, tient la route.
Derrière son rideau de perles dorées qui permet de flouter la vision de certains tableaux, cette jolie version du conte, très décorative dans tous les sens du terme, va son rythme. Un peu mou au démarrage – mais la musique de Legrand n’a rien d’électrique –, l’affaire devrait se fouetter le sang au fur et à mesure des représentations. Le plaisir de retrouver les quelques tubes de Peau d’âne fait à la fois mesurer le peu de chansons présentes dans l’œuvre et leur délicieuse efficacité.
Il faut trouver au théâtre des stratagèmes pour opérer sans lourdeur les changements de lieux. La mise en scène, par Emilio Sagi, des nombreux déménagements et aménagements successifs des décors montés sur roulettes est parfois poussive. Même plus ou moins revue comme un ballet d’accessoires activé par les comédiens et chanteurs, elle aurait gagné en force avec un traitement chorégraphique plus audacieux. Emportée dans le même élan, la promenade obligée du mobilier se conjugue néanmoins avec la féerie des mouvements ascensionnels des boules suspendues qui auréolent de magie ce spectacle étrange où tout est bien qui finit bien.
Peau d’âne, mis en scène par Emilio Sagi. Théâtre Marigny, Carré Marigny, Paris 8e. 20 heures. De 36 € à 85 €. Jusqu’au 17 février 2019. Légende photo : « Peau d’âne », mis en scène par Emilio Sagi au Théâtre Marigny à Paris. Photo (c) JULIEN BENHAMOU
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November 24, 2018 7:17 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 24.11.2018 Basés dans le Nord, à Loos-en-Gohelle, Guy Alloucherie et sa compagnie HVDZ ont passé commande d’une pièce à Nadège Prugnard, une habituée du festival d’Aurillac, ville où elle habite. Sujet : les migrants de la jungle de Calais. Deux ans durant, elle y a fait plusieurs séjours. Au bout : « No border », un chant de mots et de morts. Mis en scène par Alloucherie avec des circassiens. Secouant.
Nadège Prugnard et Guy Alloucherie travaillent le plus souvent en marge des autoroutes et des grands axes du paysage théâtral.
Une commande d'écriture faite par une compagnie
On a vu souvent des pièces de Nadège Prugnard au Festival de rue d’Aurillac, ville qu’elle a fini par habiter. Quand il lui arrive de se produire à Paris c’est plutôt dans des lieux périphériques comme l’Echangeur de Bagnolet ou le défunt Confluences. Quand elle vient au Théâtre de la Bastille avec Sexamor (lire ici) c’est sous l’aile de Pierre Meunier. Quand elle est associée à un théâtre c'est parce qu'une femme le dirige comme le théâtre des Ilets à Montluçon où, sous la direction de Carole Thibaut sera créé prochainement (le 4 décembre) Les bouillonnantes écrit en, collaboration avec Koffi Kwahulé à partit de témoignages de femmes.
Guy Alloucherie a longtemps fait tandem avec Eric Lacascade quand ils animaient ensemble le théâtre Ballatum basé à Liévin où ils ont créé ensemble des merveilles de jeunesse comme Si tu me quittes est-ce que je peux venir aussi ? ou On s’aimait trop pour se voir tous les jours. Ils se sont séparés. Eric est parti à Caen, à Rennes, ces jours-ci à Moscou avec Les bas-fonds. Guy est resté dans le nord, sa région, sa source de vie et d’inspiration comme en témoigne son monologue La brique (lire ici) qui est comme une carte de visite. Sa compagnie HVDZ (Hendrick Van Der Zee), entre théâtre et cirque, est basée à Culture commune, scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, installée sur l’ancien site minier du 11/19.
C’est en lisant un article sur MAMAE (Meurtre Artistique Munitions Action Explosion), une pièce de Nadège Prugnard, interprétée par six comédiennes, au festival d’Aurillac (lire ici) qu’il a eu l’intuition qu’elle était l’auteur qu’il cherchait pour parler de la jungle des migrants à Calais. Il lui a passé commande d’un texte. Elle y est allé plusieurs fois pour des séjours plus ou moins longs. Elle a rencontré des migrants, des bénévoles, des calaisiens, des policiers aimables et d’autres sans états d’âme. Elle a vu la jungle devenir une enclave de vie en sursis avec ses boutiques, son restaurant, son église, sa mosquée, ses braseros, ses trafics, des zones d’ombre.
Une litanie de noms
Elle a ri, pleuré, elle a eu peur, elle a eu chaud et froid. Elle n’a pas pris de notes sur le vif, elle a emmagasiné des sensations, des conversations, des visages, des bribes de vie. Elle a relu Heiner Müller, Rainer Maria Rilke. Elle a bu, elle a fumé, elle a tout partagé, les rires comme les larmes Elle les a tous aimés. Morts, vivants, survivants, ceux qui sont passés de l’autre côté, ceux qui sont revenus, ceux qui ont disparu dans la nuit, ceux qui ont été emmenés dans des bus, ceux dont le téléphone portable ne répond plus. Et puis elle a écrit No border, un titre en anglais car dans la jungle le « I speak english just a little » était comme un début d’espéranto. Un tombereau de mots qui, aujourd’hui que la jungle a été démantelée, rasée, effacée comme un mauvais rêve, est devenu un tombeau. Pavane pour une jungle défunte.
Une litanie de noms s’affiche sur l’écran au fond du plateau quand n’y coule pas une mer noircie par le deuil, quand des chemins d’exil n’y serpentent pas à travers des montagnes ocres ou des déserts aveuglés de lumière. Rythmant la parole de Nadège Prugnard, l’encadrant, la prolongeant, Bianca Franco et Sébastien Davis Vangelder se dressent l’un sur l’autre pour tutoyer les étoiles, Hervé Hassida se roule par terre de solitude, Mourad Bouhlali, as de la percussion corporelle, entraîne tout le monde tandis que Forban N’Zakimuena improvise en direct. Cirque, danse, musique, mots proférés, frontières abolies, avancent de front.
"Je suis Zahar je viens du Darfour"
« J’archive l’hémorragie de la Calaisie » écrit Prugnard. Son long poème qu’elle déverse comme un tombereau est comme un journal de bord intime d’une écrivaine publique, d’une femme qui offre des des jonquilles, des roses et des « gros tournesols comme des médailles utopiques » à tous ceux qu’elle rencontre les pieds dans la boue.
« Je m'appelle Houmed je viens d’Afghanistan je n’ai pas de nouvelles de ma femme depuis huit mois mais maintenant je sais qu’elle pense à moi SHE LOVES ME SHE LOVES ME ta fleur l’a dit … ». « Je m’appelle Youssef merci pour la fleur j’aime la nature avant j’étais gardien de chèvres au Kurdistan. Youssef me montre comment faire pousser de la menthe sur un sac de petites pierres et de la coriandre sur une patate.. ». « Je suis Zahar je viens du Darfour est-ce qu’elle se mange la fleur ?/ Je suis Nazari je viens de Téhéran j’ai mis un an et un mois pour arriver. The beauty is dead La beauté est morte ils ferment la réalité où aller ? /Je m’appelle Antoine je vais exploser ce putain de mur NO BORDER go ! / Je suis perdue/ entre une route et une autoroute/ Entre les grillages et les grilles/ Entre mes ranjos et mes jonquilles. ». Porteuse de voix comme d’autres, dans des pays lointains d’où certains viennent, sont porteuses d’eau.
Ou encore : « Ta gueule je suis Farzaneh nous sommes en route pour le peloton d’exécution alors ta gueule alors fous nous la paix ta gueule avec tes fleurs ta gueule ici à Savine. En Iran ils nous pendent aux arbres ces fleurs sous les arbres ont poussé avec notre sang regarde La beauté est morte Donne-nous des ailes donne-nous des ailes ». Elle et eux. Perdus, paumés. « Je cherche un paradis dans le cratère humain je cherche là perdue à Calais dans mon combat je ne sais pas je ne sais plus à l’envers à l’endroit et même quand je tombe je cherche des morceaux de moi pour faire un feu. ». Elle la femme, la blonde, eux les hommes, les ombres. « Qu'est-ce que tu es belle, tu as les yeux de ma mère » lui dit Farid. « Tu n’as rien à faire là regarde moi je tue des yeux la femme doit se couvrir et se soumettre » lui dit Samam.
On la soulève « comme une rock star », on l’insulte, « ceux d’ici » lui disent qu’elle est « un cul à migrants » tout « comme on insultait ma grand-mère qui travaillait dans les mines du nord de la France et qu ‘on traitait de cul à gaillette ». Alors elle enlève sa culotte et se met à « hurler tout un tas de trucs que je savais pas d’où ça me venait ». Elle aussi a perdu Venus « la première étoile qui éclaire la nuit ».
La voix de Nadège Prugnard nous parvient via une petite boule disposée près de sa bouche : un micro hf. Cette voix ainsi filtrée perd ses nuances, s’atrophie dans le neutre. C’est d’autant plus dommage que la voix naturelle de l’actrice porte loin. La voix sans artifice serait plus en accord avec l’écriture cash et justifierait d’autant mieux les moments où elle parle dans un micro sur pied. On peut également regretter que l’actrice ne rejoigne pas, ne serait-ce qu’un instant , la furieuse danse des bottes finale du spectacle No Border après l’évocation du départ de 170 cars qui vont conduire les migrants vers les 387 CAQ, prélude à la destruction du camp, mettant fin à ce qui « était en train de s’inventer dans ce bidonville, cette ville-monde au bord de tout ».
No Border a été créé du 19 au 23 nov à Culture Commune, scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais, Loos-en-Gohelle. Tournée : le 24 janv à L’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne ; le12 fév au Pôle national des arts du cirque, Auch ; le 14 fév au Centre Culturel Agora PNC Boulazac Aquitaine ; le 27 fév au Vivat, scène conventionnée d’Armentières ; les 12 & 13 mars au Bateau Feu ,scène nationale de Dunkerque ; les 22 & 23 mai à La Comédie de Clermont-Ferrand.
Le texte de No Border n’est pas encore édité mais on peut se procurer MAMAE et autres textes chez Al Dante, 260p, 20€ . Légende photo : Scène de "No Border" © Antoine Repessé
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November 23, 2018 8:28 PM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro Publié le 22/11/2018
LA CHRONIQUE D'ARMELLE HÉLIOT - Au Théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis, Jean Bellorini met en scène Un instant, d'après À la recherche du temps perdu. Très insolite.
Marcel Proust passionne les metteurs en scène de théâtre et les réalisateurs, et il n'est pas de saison sans une adaptation nouvelle d'une partie de son œuvre. De Daniel Benoin à Krzysztof Warlikowski, les artistes vont du plus intime au plus spectaculaire, du plus secret au plus mondain, sans jamais épuiser les sensations que procure la lecture des livres qui composent À la recherche du temps perdu, ou des livres, lettres, analyses, que l'on trouve en marge de ce fleuve impétueux. On comprend la fascination qu'inspire cette œuvre dans laquelle on ne s'enfonce pas toujours facilement et sur laquelle tant a été dit. Sinon tout.
On imagine bien que Jean Bellorini et Camille de La Guillonnière ont dû se demander ce qu'ils allaient retenir de leur cher Marcel Proust. Ces deux hommes de théâtre assez jeunes sont liés par des plongées dans les univers immenses de Victor Hugo (Tempête sous un crâne) ou de Rabelais (Paroles gelées ), plongées magistrales, originales et fructueuses qui ont donné lieu à des spectacles exceptionnels, intelligents, sensibles et accessibles. On ne peut s'interdire de penser, en découvrant le merveilleux voyage auquel ils invitent le public en compagnie de la comédienne (ici également adaptatrice) Hélène Patarot, qu'ils ont dû paniquer, parfois, en se demandant ce que les spectateurs allaient comprendre de leur démarche. Ils n'oublient pas qu'ils travaillent dans un centre dramatique du «9.3». Ils ont su l'ouvrir largement. Ils savent qu'on ne leur pardonnerait pas d'être abscons.
Lorsque l'on pénètre dans la grande salle aux sièges de bois blond et velours rouge, on est face au plateau large, la cage de scène très haute, du théâtre. Parce que l'on y distingue d'abord un amoncellement de chaises et que la lumière diffuse et mate laisse dans la pénombre l'ensemble, on pense qu'il s'agit d'une église.
La chambre de liège Mais c'est aussi bien un espace plus neutre avec, comme accrochée en hauteur, au-dessus du vide, une cellule. Une petite boîte ouverte qui est à la fois la chambre de l'enfance et la chambre de liège où s'enfermera l'écrivain.
En allant au plus intime, au plus précis, ils vont à l'universel
Au fond, on pourrait reprendre le titre de «Tempête sous un crâne», tant on a le sentiment que ce qu'ils ont cherché, en s'entourant de grands talents, c'est à comprendre le mécanisme même de la pensée de l'écrivain. Non pas seulement pour nous faire le coup de la petite madeleine et de l'irruption d'un passé enfoui au cœur du présent. Mais on a parfois l'impression de toucher au plus secret des chemins de la pensée, de la sensibilité. En allant au plus intime, au plus précis, ils vont à l'universel. En allant au plus inattendu, ils nous font traverser Proust et conduisent chacun à ses propres expériences. Très étrange «instant»…
Une cascade de prélèvements, dans l'ensemble de l'œuvre, tressée avec les souvenirs d'exil de la jeune Vietnamienne Hélène, quittant l'Indochine de 1954 pour la France. Qui parle? Par ses souvenirs, elle rejoint la grand-mère du narrateur. Sur la scène, le musicien Jérémy Perret joue en direct. Il y a aussi de la musique enregistrée, des sons, des échos. Hélène Patarot est une petite fille, une prêtresse avec sa voix sourde aux fonds acidulés. À ses côtés, Camille de La Guillonnière, le narrateur. Aigu, voix précise, d'une douce sonorité, il pense à haute voix, se souvient. On vit des émotions rares. On sort de là comme d'un songe qui ne vous quitte plus.
«Un instant», au Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis (93), jusqu'au 9 décembre. À 20 heures du lundi au samedi, à 15 h 30 le dimanche. Durée: 1 h 45. Tél.: 01 48 13 70 00. Légende photo : Hélène Patarot et Camille de La Guillonnière sur la scène du Théâtre Gérard-Philipe dans «Un instant». - Crédits photo : Pascal Victor/ArtComPress
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November 23, 2018 12:01 PM
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Communiqué de presse du Ministère de la Culture - Publié le 23.11.2018 Signature d'un protocole d'accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au ministère de la Culture
Égalité entre femmes et hommes Franck Riester, ministre de la Culture, a signé avec l’ensemble des organisations syndicales du ministère de la Culture (CGT-Culture, CFDT-Culture, SUD-Culture Solidaires, UNSA-CFTC, FSU), le premier protocole d'accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes propre au ministère de la Culture. Ce protocole marque l’aboutissement d’une concertation étroite menée avec les représentants du personnel du ministère. Il traduit la politique volontariste menée par le ministère, première administration de l’État à avoir obtenu à l'automne 2017 les deux labels « Diversité » et « Égalité » attribués par l’AFNOR, contre toutes les formes de discriminations et les inégalités professionnelles. À l'occasion de cette signature, Franck Riester a déclaré : "Je suis fier que le ministère de la Culture aille au-delà des obligations réglementaires en proposant de réelles avancées pour promouvoir en son sein l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui le composent. On sait que l'égalité de droit, théoriquement garantie par les textes, est encore loin de se traduire dans la réalité des parcours et de l'environnement professionnels : je tiens à l'exemplarité du ministère, pour son personnel et, plus largement, dans l'ensemble des politiques culturelles. Ce protocole traduit également la qualité du dialogue social qui s'est instauré sur ce projet, qui répond à une aspiration si légitime de justice et d'égalité". Le protocole d'accord réaffirme les engagements du ministère de la Culture et comporte des avancées significatives en matière de formation des personnels, d'accès des femmes aux postes à responsabilités, avec notamment l'objectif que 50% des établissements publics sous tutelle du ministère soient dirigés par des femmes d'ici à 2022, de prévention du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles, de meilleure conciliation des temps personnel et professionnel, de résorption des inégalités salariales constatées au détriment des femmes (500 000 euros seront consacrés au comblement des écarts d'ici à 2022). Le protocole du 22 novembre 2018 s'applique à l'ensemble des structures du ministère de la Culture, à ses services d’administration centrale et déconcentrés mais aussi à ses établissements publics et services à compétence nationale.
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November 23, 2018 5:53 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération — 22 novembre 2018 Sophie Cadieux irradie dans l’intense monologue écrit par la Britannique avant son suicide en 1999. Et rend la dépression si proche.
Elle baigne dans une lumière rouge qui pourrait être celle d’une boîte de nuit désertée, ou d’une scène de strip-tease dont les voyeurs se dissimuleraient, se contentant d’applaudir ou de s’ébaudir parfois, sans jamais se montrer, comme dans un cauchemar. Elle est sur scène, bien sûr, puisqu’on est au théâtre, mais quelque chose nous laisse penser qu’elle s’expose doublement : le plateau est aussi celui de son espace mental. Elle porte une minirobe en maille blanche, c’est une jeune femme, et elle se tait assez longtemps avant de nous adresser cette remarque de bon sens : «Mais vous avez des amis. Plein d’amis. Qu’est-ce que vous leur apportez pour qu’ils vous offrent leur soutien ?» Elle répète les trois phrases avec des silences entre chacune et un étonnement suffisamment persuasif pour qu’on se surprenne à s’interroger. Oui, après tout. On a des amis. Plein d’amis. Qu’est-ce qu’on leur apporte ? Que se passerait-il s’ils disparaissaient en cas de détresse, comme les siens semblent manquer ? Elle nous regarde. Elle continue de s’adresser aux spectateurs calmement, et le rayonnement de l’actrice détonne des manières dont la parole de Sarah Kane est habituellement transmise. La mise en scène du Québécois Florent Siaud, dont c’est la première venue en France, et la somptueuse interprétation de Sophie Cadieux, elle aussi québécoise, insistent sur la proximité plutôt que sur l’isolement féroce et infranchissable produit par la dépression. Sur la communauté des états psychiques plutôt que sur la différence absolue qu’infligerait la maladie. Il s’agit bien du texte de Sarah Kane, la dramaturge britannique, suicidée le 20 février 1999, à 27 ans, à la gloire sombre et essentiellement posthume. Pourtant, durant une heure, de la joie et une euphorie fugace traversent le plateau. Rien n’est encore figé ni fixé et l’actrice joue tout autant la volonté de vivre et l’espoir d’une issue que l’embourbement inéluctable dans la mort. La nouvelle traduction de Guillaume Corbeil - établie à l’occasion de cette mise en scène et qui ne sera jamais publiée en Europe, faute de droits - impulse une accessibilité mêlée d’humour qu’occultent en général les lectures de Sarah Kane, sans pour autant gommer les hiatus tragiques de ce monologue fragmentaire et lucide. Lors de la première, des ados d’une classe du lycée Charles-de-Foucauld (Paris XVIIIe) étaient présents, et leur concentration était impressionnante. Durant toute la représentation, la comédienne modifie elle-même l’espace en bougeant des parois qui prennent diverses formes, selon le rythme de sa météo mentale, comme si elle avait le pouvoir d’en moduler les intensités. Un rideau de fils. Des silhouettes dans l’arrière-fond du plateau qui disparaissent à la manière des songes ou s’invitent sans autorisation. Qui parle ici ? Sarah Kane elle-même ? Un double ? Une voix fictive ? Le texte, qu’on présente parfois comme écrit d’un seul jet sur une nappe en papier, est à l’inverse celui que la dramaturge anglaise a le plus construit, déconstruit, retravaillé. Il est difficile d’en isoler des passages, tant c’est le collage entre propos triviaux et complexes, références plus ou moins cachées et surgissements multiples, qui en fait la force. «Ils m’aimeront pour ce qui me détruit. L’épée dans mes rêves, la poussière de mes pensées, la maladie qui se propage dans les replis de mes pensées.» On connaît la dernière phrase prêtée à Van Gogh avant de mourir : «La tristesse durera toujours.» Quelques mois avant son suicide, Sarah Kane lui répond en écho, avec la même simplicité grammaticale : «Rien ne pourra éteindre ma colère.» Rien, sauf la mort. Anne Diatkine 4.48 Psychose de Sarah Kane m.s. Florent Siaud. Théâtre Paris-Villette, 75019. Jusqu’au 2 décembre. Légende photo : Sophie Cadieux est québécoise, tout comme Florent Siaud, le metteur en scène. Photo N. Descoteaux
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November 22, 2018 6:04 AM
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Par Gallia VALETTE-PILENKO pour Le-Tout-Lyon.fr le 21 novembre 2018 Rebibbia, mise en scène de Louise Vignaud La directrice du théâtre des Clochards Célestes s'empare d'un récit de l'écrivain Goliarda Sapienza. Après une Phèdre remarquée à la Comédie-Française, Louise Vignaud se coltine un texte résolument contemporain, dans la petite salle du TNP. Il faut une bonne dose de courage pour adapter L'université de Rebibbia, un roman de 240 pages, au théâtre. La langue de Goliarda Sapienza ne se laisse pas si facilement apprivoiser, il faut donc souligner la formidable adaptation qu'en ont fait Alison Cosson et Louise Vignaud, Rebibbia, un texte qui semble écrit pour le théâtre. Il s'agit donc d'un texte de l'écrivaine italienne Goliarda Sapienza, ignorée de son vivant et sacrée grand écrivain après sa mort et la publication, en allemand puis en français de son roman fleuve L'Art de la joie », qui raconte le bref passage qu'elle effectue dans la plus grande prison pour femmes de Rome, Rebibbia ou plutôt Rebibbia beach comme la surnomme l'un des personnages de la pièce. Louise Vignaud prend le texte à bras le corps et brosse ainsi une truculente galerie de personnages féminins qui peuplent cette prison. Des putes, des droguées, des voleuses (dont Goliarda), des terroristes et des Rouges, composent ce monde interlope qui finalement accueille plus facilement l'intellectuelle féministe que son milieu d'origine. Dans un décor d'échafaudages et de lavabos collectifs à l'ancienne, de tissus coulissant permettant les apparitions et disparitions des protagonistes les cinq comédiennes, incarnent chacune trois personnages, à l'exception de Prune Beuchat, qui tient le rôle de Goliarda, faisant vivre ce monde en vase clos, modèle réduit de celui du dehors. Claquements métalliques, bruits de clés et de portes qui se ferment, flashes des projecteurs qui assaillent les détenues et lumières rasantes et blanches sont autant d'allusions au milieu carcéral, oppressantes mais soulignant par contraste l'humanité de ces femmes, vivantes en diable. En effet, il faut souligner le talent des comédiennes à faire vivre toutes ces femmes, les unes après les autres, toutes différentes mais aussi semblables par leurs fragilité et leurs forces. Une création (presque) audacieuse et (vraiment) engagée ! TNP, jusqu'au 30 novembre, www.tnp-villeurbanne.com Présentation vidéo du spectacle par Louise Vignaud : https://www.youtube.com/watch?v=UiV9gsIDlQ8 Légende photo : Rebibbia, photo de Michel Cavalca
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November 21, 2018 7:22 PM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama Sortir - Publié le 21/11/2018.
Ateliers de danse, court-métrage, lectures, expositions, concerts : ce week-end, une vingtaine d’artistes participent ce dimanche à la fête de l’Enfant, accessible dès 5 ans. C’est gratuit, mais il faut réserver dès maintenant !
Une fête qui démarre à 10 h pour s’achever à 19 h par une boum électro ? C’est normal. Le 25 novembre, ce sont les enfants qui sortent leurs parents, la séquence a donc lieu en horaires de jour. Le Théâtre de la Ville ouvre ses portes aux jeunes générations. Dès l’âge de cinq ans, chaque petit visiteur est invité à se rendre d’ateliers de danse en spectacles de théâtre, de lectures en expositions, de concerts en en mini-conférence.
Une vingtaine d’artistes ont répondu à l’appel d’Emmanuel Demarcy-Mota. En 2016 déjà, le directeur du Théâtre de la Ville affirmait : «Tous les enfants d’une nation doivent avoir accès à l’œuvre artistique. Il faut, une fois par an, faire une fête du théâtre, de la danse, la musique, une fête de tous les arts avec gratuité des billets pour ce jeune public. Nous devons lui montrer que nous avons envie qu’il vienne. »
Le théâtre envahi pour la bonne cause Promesse tenue deux ans plus tard. Cette première édition (organisée en partenariat avec Télérama) prend d’assaut la totalité du théâtre : grande et petite salle, hall et bureau, tente plantée dans le jardin adjacent et studio de répétition. C’est dans ce studio notamment que David Lescot et Fabrice Melquiot, qui écrivent depuis longtemps pour le jeune public, opèreront. Ni l’un ni l’autre ne prend le rendez-vous à la légère.
Pour Fabrice Melquiot, « les jeunes ne sont pas, comme on le dit trop souvent, les spectateurs de demain. Ils sont ceux d’aujourd’hui et attendent beaucoup de l’art théâtral. Leur regard dit leur appétit. Nous devons nous donner les moyens de répondre à cet appétit. » Quant à David Lescot il se fait, de son juvénile public, une très haute idée : « Le théâtre qui s’adresse aux enfants construit des citoyens qui apprennent à s’intéresser à autre chose qu’eux mêmes. Il leur enseigne l’altérité et le symbole. C’est fertile et fondamental. »
Les deux auteurs s’engagent sans réserve dans la manifestation. David Lescot met en scène son texte, J’ai trop d’amis, suite de J’ai trop peur, dans lequel un élève de CM2 s’inquiétait à l’idée de rentrer au collège. Trois actrices sur un plateau de bois franchiront cette fois les portes de la Sixième.
Valoriser le théâtre pour enfants Fabrice Melquiot, pour sa part, a fait le choix de l’interactivité. A 14h, il propose une lecture musicale interactive (Ils lisaient), à 15h, il change de salle pour démarrer un atelier d’improvisation (Jeu d’histoires libres). Le dramaturge, par ailleurs directeur du Théâtre AmStramGram à Genève, a-t-il trouvé en s’adressant à des enfants un surcroit de créativité ? « Depuis quarante ans », souligne-t-il, « s’est constitué un répertoire de pièces de théâtre accessibles aux jeunes lecteurs et spectateurs. Le théâtre pour enfant est un champ artistique à part entière qui pâtit de beaucoup de malentendus et de préjugés. Certains pensent que nous sommes dans un exercice pédagogique. C’est l’inverse. Pour les auteurs, travailler en direction des enfants est gage de liberté. »
Le théâtre pour enfants est encore trop souvent victime de la condescendance des programmateurs. On le cantonne aux représentations scolaires (« cet abattage » regrette David Lescot) qui remplit les salles l’après-midi de centaines d’élèves. On lui octroie peu de moyens financiers et scéniques, les ambitieux Cendrillon et Pinocchio de Joël Pommerat, le spectaculaire Alice mis en scène par Emmanuel Demarcy Mota font figure d’exception. Pourtant, constate David Lescot, ces spectacles prouvaient que « le théâtre pour n’est pas condamné aux objets légers, portatifs et peu chers. » Le théâtre pour enfant mérite d’être valorisé.
Au Théâtre de la Ville, la cause est entendue, cette Fête de l’Enfant en témoigne. Rien d’étonnant, du coup, à ce qu’au cœur d’une manifestation joyeuse et pétillante surgisse un projet d’une tonalité différente. Avec La Dispute, l’auteur metteur en scène Mohamed El Khatib risque de surprendre. Son court métrage d’une quinzaine de minutes, diffusé en boucle dès 12h30, est un recueil de témoignages d’enfants dont les parents sont séparés. « J’ai interviewé une soixantaine de fillettes et de garçons, tous âgés de 8 ans, dans différentes écoles de Paris et province. Ils viennent de milieux sociaux différents. Très vite j’ai compris que ce qui les préoccupait était le divorce de leurs parents et ses conséquences sur leur quotidien. » Le résultat est bouleversant. Le documentaire passe des uns aux autres sans jamais sombrer dans le pathos mais sans faire non plus l’impasse sur la dureté des situations. Ce qui, bien sûr, alerte. « L’équipe organisatrice s’interroge : à partir de quel âge les participants de la Fête de l’Enfant peuvent-ils voir le film ? » Lorsque nous l’avons questionné, Mohamed El Khatib n’avait pas encore la réponse. Mais on ne doute pas qu’au Théâtre de la Ville, parce que la Fête de l’Enfant est une affaire sérieuse, on fera les choses bien.
La Fête de l’Enfant. Le 25 novembre. De 10 h à 19 h. Entrée libre sur réservation. Tél : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville.com Théâtre de la Ville. Espace Cardin.
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November 21, 2018 6:44 PM
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Par Christian Jade sur le site de la RTBF La confidence émouvante et distanciée de Myriam Saduis s’inscrit dans un paysage à trois "mouvements d’identité". Isabelle Pousseur, directrice du Théâtre Océan Nord offre une libre parole à une métisse franco-tunisienne et deux Africaines qui s’interrogent sur leurs contradictions. Un festival de destins de femmes, du 16 novembre au 9 décembre, trois semaines d’émotion et de réflexion.
"Faire de ma rage personnelle un cri universel" s’exclame la burkinabé Edoxi Gnoula.
"Toute identité se construit en permanence" confie la Nigériane Aminata Abdoulaye Hama.
"Comment se construire avec un père musulman nié par une mère catholique, dans un contexte colonial ? " s’interroge Myriam Saduis dans "Final Cut", qui ouvre la série.
On connaît Myriam Saduis comme metteure en scène de puzzles raffinés appuyés tantôt sur Ingmar Bergman ("Une histoire d’âme"), Tchékhov ( "La Nostalgie de l’Avenir" d’après "La Mouette") ou Hannah Arendt ("Amor Mundi").
Cette fois, elle monte au front de la confidence intime, prend le risque de s’exposer, y compris comme actrice, et nous confie son équation compliquée entre un père musulman tunisien et une mère catholique italo-française. Mais c’est toute une époque, une tranche d’histoire (la fin des années 50, le début des années 60) qu’elle fait revivre avec finesse, sensibilité et rigueur. Elle a vécu de l’intérieur ce contexte raciste qui refait surface aujourd’hui dans notre monde de manière inquiétante. Et les yeux dans les yeux, avec une passion froide et déterminée, non dénuée d’un humour parfois caustique, elle nous met en garde contre ce retour du racisme : elle sait de quoi elle parle.
Au centre une mère italo-française, un vrai personnage de roman. Adolescente, elle tombe follement amoureuse d’un Tunisien, en Tunisie, sous protectorat colonial français. L’indépendance du pays la fait fuir avec ses parents en France mais dès sa majorité la jeune femme retourne en Tunisie et épouse son amoureux malgré sa famille. Une guerre franco-tunisienne à propos de Bizerte, un port stratégique, fait retourner le jeune couple en France avec, en 1961, Bébé Myriam qui naît dans l’hostilité de la famille franco-italienne. Pour des raisons toujours inexpliquées, au bout de trois ans la mère largue son époux mais surtout nie son existence aux yeux de sa fille.
Une douleur existentielle maîtrisée par l’intelligence et la présence scénique. Myriam Saduis et Pierre Verplancken dans "Final Cut" - © Marie-Françoise Plissart Nous voilà, au cœur du récit de Myriam Saduis : un père (re)nié, jusqu’à son nom, et une mère qui sombrera dans la folie. Beaucoup de souffrance donc pour l’enfant et l’adulte mais ici pas de règlement de comptes mais une série de constats assez terrifiants sur une mère manifestement toxique. Mais qui lui laissera tardivement, au moment de sa propre mort, une piste pour retrouver son père… mort. Myriam Saduis raconte donc simplement, cliniquement, avec une émotion contenue et pas mal d’humour le chemin d’une adolescente puis une adulte qui cherche sa vérité dans le brouillamini d’une famille traumatisée par la fin de la colonisation française en Afrique du Nord.
Le défi était multiple : rester claire en racontant l’histoire d’un couple mixte qui foire et l’histoire de l’époque qui explique cet échec, et le chemin de la guérison d’une adolescente traumatisée par cet échec. Guérison par la fuite d’abord, puis par la culture et le théâtre, enfin par une lente reconstruction par la psychanalyse. Que de pistes subtilement explorées !
En soi cette histoire est passionnante mais comment la rendre claire théâtralement ? L’écriture personnelle était déjà présente dans les trois spectacles précédents et Myriam Saduis a bénéficié ici de l’assistance à la mise en scène d’Isabelle Pousseur et de Magali Pinglaut ( et de toute une équipe) et de la présence sur scène d’un de ses acteurs "fétiches", Pierre Verplancken.
La structure est simple, un récit d’allure chronologique mais élargi à de nombreux flash-back qui peuvent prendre une forme verbale, visuelle (petits films d’actualité historique, photos de famille) ou musicale (une série de tubes d’époque de Barbara aux "Parapluies de Cherbourg").Importante la musique chantonnée, seul espace de dialogue vrai puisque la mère y dévoile la nostalgie du père nié et la fille l’intuition de ses origines. Avec un très beau "final cut", un zoom avant dont je vous laisse la surprise.
Le récit s’enrichit aussi de l’intervention de la littérature (théâtrale) : retour à Tchékhov avec un acteur - Pierre Verplancken jouant, entre autres, la mère de Myriam sous les traits d’Arkadina dans "La Mouette " !.Marguerite Duras s’insinue aussi via "Le ravissement de Lol V.Stein", un roman dont la structure (un narrateur essayant de reconstituer la vie de la femme qu’il aime à partir de fragments incomplets) inspire manifestement celle de "Final cut".
Surprise aussi : on avait oublié que Myriam Saduis était actrice, sortie de l’Insas, alors que depuis 10 ans c’est la metteuse en scène qui nous a séduit. Elle occupe l’espace avec une autorité tranquille.
Au total une confession lucide, sans exhibitionnisme, sur une douleur lentement maîtrisée, une réflexion toujours actuelle sur le racisme ordinaire et un art, impressionnant, du récit et de la présence scénique. Chapeau !
" Final cut " de et par Myriam Saduis.
Au Théâtre Océan Nord jusqu’au 23/11 puis du 7 au 9 décembre. Légende photo : Myriam Saduis dans "Final cut" - © Marie-Françoise Plissart Autre critique parue dans Le Soir.be Critique parue dans La Libre.be : "Final Cut", de rage et de tendresse CRITIQUE : MARIE BAUDET Publié le mardi 20 novembre 2018 Myriam Saduis ouvre le festival Mouvements d’identité, à l’Océan Nord. "Je suis née en France, en 1961. Et je n’ai découvert qu’à 40 ans dans quelles circonstances ma naissance a eu lieu." Myriam Saduis ouvre avec sa propre histoire - et la complicité d’Isabelle Pousseur à la mise en scène, et celle de Pierre Verplancken sur le plateau - le festival Mouvements d’identité qui court, en trois parties et au féminin, jusqu’au 9 décembre au Théâtre Océan Nord. Final Cut est l’histoire d’une enquête menée dès qu’elle apprend à lire par une fillette à qui très tôt fut affirmé qu’elle n’avait pas de père. Par une femme qui s’est construite malgré et avec cette absence. L’histoire d’une vie intimement liée à l’Histoire. Une mère française, un père tunisien, l’amour fou en dépit des convenances et au milieu des événements qui secouent la Tunisie et l’Algérie voisine en marche vers l’indépendance. Et puis la rupture brutale, la déchirure. Porter la voix, trouver sa place Son travail théâtral passait jusque-là à travers des auteurs (Bergman pour Affaire d’âme , Tchekhov avec La Nostalgie de l’avenir , très belle relecture de La Mouette , ou encore Hannah Arendt dans Amor Mundi ), voix et verbe toujours retravaillés avec un mélange de finesse et d’ampleur. C’est ici sa propre voix, son propre récit que porte Myriam Saduis. Entre autobiographie et psychanalyse (dont elle a une connaissance de praticienne), Final Cut se présente à la fois comme une réflexion englobant les remous du XXe siècle, les questions de la construction identitaire, du métissage et de la décolonisation, et comme un thriller plein de rebondissements. Où l’on croise la folie, la fragilité, la quête de soi, l’adolescence rebelle, les Parapluies de Cherbourg et Barbara, Racine et Marguerite Duras. Et La Mouette, dans un salut aussi brillant que subtil au théâtre, lieu des énigmes et des résolutions, de la révolte et de la tendresse. Une table à tiroirs contient le peu d’accessoires dont s’entoure Myriam Saduis - presque cabotine par moments, terriblement touchante cependant, sous les éclairages ciselés de Nicolas Marty. - Bruxelles, Océan Nord, jusqu’au 23 novembre et du 7 au 9 décembre. Dans le cadre du festival Mouvements d’identité. Infos & rés. : 02.216.75.55, www.oceannord.org
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November 21, 2018 6:15 PM
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Propos recueillis par Eric Demey dans Sceneweb 21 novembre 2018/
Elle n’ira pas au bout de son deuxième mandat de directrice du Théâtre National de Nice, comme nous vous l’annoncions en octobre. Elle quittera son poste de directrice en juin 2019. Esquissant une contradiction entre le travail artistique et celui de direction, Irina Brook explique les raisons très personnelles de ce départ anticipé.
L’annonce de votre départ, un an après votre renouvellement à la tête du TNN a surpris, comment l’expliquez-vous ? Les durées officielles ne sont pas les durées organiques. A la fin de mon premier mandat, je me sentais déjà prête à partir. J’ai essayé mais je n’ai pas réussi. Après cinq ans d’une extrême dévotion à ma tâche, j’étais affectée physiquement et mentalement. En quelque sorte, je pars pour sauver ma peau.
Diriger un CDN est donc si éprouvant ? En souhaitant prendre la direction d’un CDN, je me plaçais vraiment dans la lignée de Vilar, d’un théâtre populaire qu’on cherche à ouvrir à tous. Et pour mener cette mission, il faut la foi et une énergie débordante. Aujourd’hui, je suis à bout de souffle, j’ai besoin de me renouveler, de me ressourcer. De me consacrer à la dimension sociale de la mission m’a enlevé ma créativité. A me passionner pour la raison d’être de ces bâtiments, j’en ai oublié l’artiste en moi.
« Arrêter le théâtre complètement ?» Diriger un CDN est pourtant censé aider les artistes dans leur travail de création ? Je le sais. Pendant ces années, on m’a répété que le CDN devait être un outil pour moi. D’autres y trouvent leur compte et je ne veux pas entrer dans les polémiques autour de cette question. Il s’agit d’une expérience personnelle et subjective. Mais, pour moi, j’insiste bien, être directrice, ça ne se marie pas avec artiste. D’aller tous les jours au même endroit par exemple, moi qui ne suis jamais restée deux ans dans un même lieu. Et d’avoir un travail qui me place au-dessus des autres, alors que comme artiste, j’ai besoin de me fondre avec les autres dans une relation d’égalité. C’est sûr que je ne serai plus jamais directrice de quoi que ce soit.
Quels sont vos projets ? On m’en a prêté beaucoup, des rumeurs et des erreurs. En prenant cette décision, je n’avais aucun plan B. En réalité, aujourd’hui, une partie de moi voudrait arrêter le théâtre complètement.Parce que dans le théâtre, ce qui me passionne le plus c’est de le prendre comme un outil de transformation sociale. Si bien que j’ai l’impression que ce que je fais n’est pas assez artistique. Je veux chercher d’autres formes – la littérature, l’art conceptuel, le cinéma par exemple. A Carros, près de Nice, je vais fonder une résidence d’artistes que je partagerai avec d’autres artistes. Je n’y serai pas conseillère culturelle comme on a pu l’écrire. Et je vais réfléchir aussi, partir au Japon, regarder la mer et écrire. C’est une incroyable chose d’avoir eu cette expérience au TNN. Elle m’a aussi poussé face au vide. Et ça m’excite beaucoup.
Propos recueillis par Eric Demey – www.sceneweb.fr Crédit photo: Martin Bouffard
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November 20, 2018 8:02 PM
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ƒƒƒ article de Nicolas Brizault dans le blog Un fauteuil pour l'Orchestre 16.11.2018 4.48, Psychose, de Sarah Kane, mise en scène par Florent Siaud, Théâtre Paris-Villette, Paris
Oh… Découvrir cette Britannique Sarah Kane, et l’un de ses quatre écrits, le dernier ici, 4.48 Psychose. On pourrait jouer un peu et commencer par « critique de la beauté pure. » Restons sérieux en sortant de ce « spectacle », mot étrange qui ne va pas très bien avec l’extase bonne et mauvaise, chaude et froide, vivante et morte que l’on ressent, tremblant. Sarah Kane décrit ici tout ce que l’on ne peut ressortir de nous, la hauteur, la différence, la simplicité et la joie, le goût et l’importance si évidente du sexe et de l’humour, la recherche de la lumière, de l’époque juste, de l’accord, de cette foutue ténacité qui nous retient et qui semble ne pas rebondir autour de nous. Sarah Kane a jeté tout ça en l’air, a aussi confiné tout ça, vive les mélanges, elle a hurlé sur papier avant de se suicider à 28 ans, en 1999.
Sophie Cadieux refond ce texte devant nous, ces mots, ces gestes. La raison et l’étrange font l’amour, plongés dans une simplicité honnête, douloureuse, où les jeux épousent un écorchement tout sauf naïf. La mise en scène de Florent Siaud nous laisse sans voix, comment parler de cette heure splendide qui nous est offerte, une heure d’où l’on pourrait souhaiter s’évader, face à une folle qui parle de son suicide, de cette « putain » de beauté de l’amour si peu comprise par les hommes, une évanescence si époustouflante, beauté qui ne reste pour eux que le mélange boueux de deux sexes superposés. Ce personnage est loin de la surface du sol. Cette femme est là, sans doute à la mauvaise époque, comme elle le dit, elle a tout comprit, elle sait tout mais s’est gourée de porte, est sortie là où il ne fallait pas. Elle va tout faire pour fuir, rejoindre l’essence du monde, pour être heureuse ailleurs, là où il faut, avec qui il faut. Rions, nous les vivants.
Elle connaît tout, oui. Elle déverse toutes les clés de cette joie évidente, les fout en l’air, oui, oui, elle sait tout, elle est encore plus fatiguée de ces échanges avec ses médecins, à côté de la plaque, eux, rois des molécules salvatrices qui, assomment, déchirent, en font naître d’autres perfides dans une gratuité jalouse, rien que pour creuser plus vite cette tombe pas prête encore. Ou bien un médecin sur le fil lui aussi, prêt à tomber lui-aussi s’il s’autorisait à s’écouter mieux, à se laisser mettre les pieds dans la vérité. Des échos, des visions nous tombent dessus. Sophie Cadieux porte, tient, lâche, reprend tout. S’efface et fini par être. Grâce aussi à une nouvelle traduction de Guillaume Corbeil, sans doute moins sage que la précédente, plus impulsive et moins molle.
Un personnage fasciné par ce 4h48 attendu, ce 4h48 qui éteindra tristesse, chagrin, fera oublier que l’on trottine bêtement à côté de là où l’on devrait être, que l’on trottine bêtement à côté des autres, là où les passages se sont effacés, là ou un vent ivre prend un plaisir fou à nous voir tomber. 4h48 notre grand amour. Derrière cette porte. 4h48 médocs, veines ouvertes, pendaisons, le tout à la fois ? 4.48 Psychose, un moment proche de l’intensité, titre unissant encore la « malade » et le mauvais monde, jusqu’à 4h47 et 59 secondes.
Photo © Nicolas Descôteaux
4.48 Psychose de Sarah Kane, France/Québec
Nouvelle traduction Guillaume Corbeil
Mise en scène Florent Siaud, France/Québec
Avec Sophie Cadieux, Québec
Scénographie et Costumes Romain Fabre, France/Québec
Eclairages Nicolas Descôteaux, Québec
Conception sonore Julien Éclancher, France/Québec
Vidéo David B. Ricard, Québec
Mouvement des figurants Jean Hostache, France
Assistance à la mise en scène Valéry Drapeau, Québec
Figuration jeunes amateurs + Collectif La Ville en feu Production : Les songes turbulents
Créé en résidence au Théâtre La Chapelle (Montréal) en 2016.
Ce spectacle a été lauréat dans la catégorie « meilleure interprétation de l’année à Montréal » (Sophie Cadieux) et finaliste dans la catégorie « meilleure mise en scène de l’année à Montréal » (Florent Siaud) aux prix de l’Association Québécoise des Critiques de Théâtre (AQCT)
Sarah Kane est représentée par l’Arche, agence théâtrale. La pièce 4.48 Psychose est publiée dans la traduction d’Évelyne Pieiller par l’Arche Éditeur.
Du 16 novembre au 2 décembre 2018
Du mardi au jeudi à 20h, vendredi à 19h, samedi à20h et dimanche à 15h30
Relâche les lundis Durée 1h
Réservation T+ 01 40 03 72 23 tesa@theatre-paris-villette.fr
Théâtre Paris-Villette 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris www.theatre-paris-villette.fr
Accès : Métro ligne 5 : Porte de Pantin Tramway 3B : Porte de Pantin – Parc de la Villette Station Vélib à proximité avenue Jean Jaurès
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November 20, 2018 6:27 PM
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Par Christine Friedel dans Théâtre du blog 20.11.2018 Les Mystiques, ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers, texte et mise en scène d’Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre
Qui se lance dans l’écriture d’un essai, d’un roman, d’une pièce ou d’un scénario, sait qu’il met les pieds dans une sorte d’enfer. Celui des bonnes intentions. “Lui“ entreprend d’écrire sur Les Mystiques. Aussitôt, amis, rencontres, demi-sœur découverte à cette occasion, et même le fantôme de leur père, le noient sous les conseils et les livres du genre : «Juste pour toi, mais je ne l’ai pas lu». Vertige : d’un côté, la cohue des documents accumulés, et de l’autre, une suite de collaborateurs artistiques, conseillers, attachés de presse, éditeurs, bureaux de production qui vibrionnent autour de “Lui“. Et l’on dit que l’écriture est un travail solitaire… Une seule solution, la fuite.
Pas étonnant : cela commence par le cauchemar de tout travailleur intellectuel : perdre son ordinateur dans un train, voir anéanti tout ce qui était capitalisé en vue du «projet». Peut-être est-ce du vécu, ou non. Avec beaucoup d’humour Hédi Tillette de Clermont- Tonnerre met en scène son expérience des «projets», un terme qui désigne toute œuvre d’art naissante et les bonnes fées qui se penchent sur son berceau, pour le meilleur dans le cas présent : résidences d’écriture et de création (au Moulin du Roc à Niort), coproductions, soutiens institutionnels divers. Et pour le pire, parfois. En tout cas pour l’artiste, tiraillé par les doute, ballotté, dépossédé de lui-même. Il ne lui restera qu’à entreprendre sa propre expérience mystique pour être délivré et entrer enfin dans la joie de la vie, on ose le dire.
On l’aura compris : il s’agit d’une comédie, pointue et juste mais aussi d’une vraie pensée de ce que sont le théâtre et la création artistique, carte (maîtresse) du territoire qu’est la vie. Il faut bien trouver son chemin… Comédie donc, jouée par six virtuoses venus de tous les coins du théâtre et aussitôt constitué en troupe : Mathieu Genet, Bruno Gouery, Mireille Herbstmeyer, Flore Lefèbvre des Noëttes (en Frégoli), Lisa Pajon, Makita Samba. Dans des rôles à transformation ou non, ils partagent exactement le même rythme changeant, le même humour qui tend à ramener au sol quelques envolées aventurées…
Dans sa boîte blanche, et mobile mais en douceur et capable de s’approfondir, la pièce tient du film avec ses intermèdes musicaux, chargés sans complexe de souligner les émotions, de la bande dessinée avec son trait légèrement appuyé et sa fantaisie. Mais on est quand même au théâtre et le spectacle ne se prive pas de moments de respiration, de suspenses. Et l’humour devient sérieux : où vais-je, où cours-je, surtout avec un clavier auquel manque la lettre ù (cas angoissant du héros). Ce sont des jeux de mots, mais aussi de vraies questions, l’objet d’une quête que le metteur en scène nous fait gentiment partager. La leçon : il faut savoir perdre, vous verrez quelle liberté vous y gagnez, et comme l’horizon s’élargit… On veut bien ! Voilà mieux qu’un bon moment à partager avec rires garantis et philosophie pudique.
Christine Friedel
Les Plateaux Sauvages, 5 rue des Plâtrières, Paris XX ème, jusqu’au 23 novembre, puis du 26 au 30 novembre. T. :01 40 31 26 35
Le 6 décembre ACB Scène Nationale de Bar-Le-Duc (Meuse); les 11 et 12 décembre, Théâtre Montansier à Versailles (Yvelines), le 20 décembre,Scènes de Territoire, Bressuire (Deux-Sèvres). Le 29 janvier, Le Gallia, Théâtre-Cinéma de Saintes (Charente Maritime) et le 31 janvier, 3T Scène conventionnée de Châtellerault (Vienne).
Et du même auteur-metteur en scène : Les Deux frères et les lions, ou ailleurs c’est bien aussi, du 8 janvier au 17 mars, au Théâtre de Poche-Montparnasse, boulevard du Montparnasse Paris (VI ème)
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