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Le spectateur de Belleville
June 1, 2021 10:08 AM
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Par Véronique Cauhapé dans Le Monde 1er juin 2021 Légende photo : Stéphane Varupenne et Joséphine Sanz, dans « Petite Maman », de Céline Sciamma. PYRAMIDE FILMS Le comédien et musicien interprète le rôle du père de la jeune héroïne du film « Petite maman » de Céline Sciamma. Depuis son entrée, en 2007, comme pensionnaire à la Comédie-Française, avant d’en devenir sociétaire huit ans plus tard, Stéphane Varupenne n’a pas connu l’inaction. Au théâtre, il a multiplié les rôles, joué dans plus d’une quarantaine de pièces d’auteurs français et étrangers. Les planches l’ont absorbé, laissant peu de place au cinéma. C’est pourtant à l’occasion de la sortie d’un long-métrage que nous l’avons rencontré : Petite maman, de Céline Sciamma, dans lequel il interprète le père de la petite héroïne du film, Nelly (Joséphine Sanz), 8 ans. Stéphane Varupenne apporte à la présence discrète de son personnage une délicatesse rare, donnant ainsi raison à la directrice de casting Christel Baras, qui a contacté le comédien après l’avoir repéré dans La Nuit des rois, de Shakespeare, mis en scène par Thomas Ostermeier. « Elle m’a téléphoné et m’a dit que nous étions deux pour ce rôle. J’ai rencontré Céline Sciamma, on a parlé du scénario, et le soir même, j’ai appris que j’étais pris. » Un accord rapide, une histoire simple. A l’image du tournage, qui eut lieu en novembre 2020. « Il y avait une grande écoute. Céline est quelqu’un de très pudique, et elle dirige par un regard, un sourire, une phrase, comme si elle ne voulait pas gêner, et aussi, sur ce film, préserver les adultes de la même façon que si nous étions des enfants, au même titre que les petites filles avec qui nous jouions. » « Du paysan au seigneur » Etrange d’ailleurs comme tout paraît aller de soi dans la vie et la carrière de ce comédien de 39 ans, fils de cheminot et de musiciens amateurs qui, très jeune, avec ses parents et ses deux frères, fréquente assidûment l’école harmonique du village, apprend la guitare et le trombone. Mais aussi participe à des spectacles dès l’école primaire, s’inscrit à des ateliers théâtre durant ses années de collège et de lycée. Après le bac et une année de droit, entre comédie et musique, Stéphane Varupenne ne choisit pas. Il passe en même temps le concours d’entrée au Conservatoire supérieur de musique de Lille et celui du Conservatoire d’art dramatique à Paris. Il réussit les deux, opte pour le second. Au Conservatoire d’art dramatique, le comédien compte parmi ses professeurs Murielle Mayette-Holtz, qui l’engage à la Comédie-Française. « Je joue alors à l’Odéon avec Daniel Auteuil, dans L’Ecole des femmes, mis en scène par Jacques Lassalle. Je suis tout de suite entré dans le bain. Et durant les quinze années qui suivent, je joue tous les rôles, du paysan au seigneur. Cela crée assez vite de l’expérience et du recul par rapport au métier », se souvient Stéphane Varupenne. Le mot « recul », chez lui, signifie « apaisement », l’assurance enfin que la place qui vous est octroyée n’a, au fond, rien d’illégitime. « Quand j’ai passé mon premier cours d’art dramatique, on m’a demandé ce que je voulais travailler. J’avais 21 ans, et j’ai entendu mes camarades balancer des noms d’auteurs que je ne connaissais pas. Moi, j’avais en tête Tchekhov, Molière et Marivaux, c’est tout. J’ai flippé et me suis dit “qu’est-ce que je fais là, je ne connais rien, j’aurais dû choisir la musique”. Venant d’un milieu prolétaire, j’avais un complexe par rapport à ce déficit culturel et littéraire. Quand je suis arrivé au Conservatoire, je suis allé à la bibliothèque et j’ai dévoré les livres pour rattraper mon retard. » Il travaille sur les plus grands textes, sous la direction de Denis Podalydès, Alain Françon, Catherine Hiegel, Jean-Pierre Vincent… et, en octobre 2020, Christophe Honoré, qui lui confie le rôle du narrateur, Marcel Proust, dans l’adaptation pour la scène du Côté de Guermantes. Quelques mois plus tard, Stéphane Varupenne et quelques-uns des acteurs du « Français » (Sébastien Pouderoux, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Rebecca Marder et Yoann Gasiorowski) invitaient les spectateurs à un délicieux concert théâtralisé, Les Serge, conçu autour de l’œuvre de Serge Gainsbourg (disponible sur YouTube). « Dans la vie, je suis pudique, réservé, une bonne pâte. Mon métier me permet de pouvoir transgresser en toute sécurité » Petite ironie du sort, c’est le cinéma qui a conduit Stéphane Varupenne au théâtre. « Mes parents m’ayant interdit très longtemps de regarder les films à la télévision, je me suis mis à fréquenter les cinémas de façon boulimique, vers l’âge de 14 ans », dit-il. C’est alors la voix des acteurs qui l’accrochent le plus. Celles de Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Gérard Depardieu, Robert de Niro, Al Pacino, entre autres. « Cette sensibilité me vient sans doute de la musique. Et dans mon métier, je me réfère à la voix, beaucoup plus qu’au corps. Au cinéma, on ne la place pas au même endroit. C’est pourquoi, aussi, je continue à prendre des cours de chant pour pouvoir la moduler comme je veux. » Aujourd’hui, le comédien se sent plus armé pour affronter le lâcher-prise qu’exige le cinéma. « Au théâtre, on maîtrise plus son instrument. Et puis, il y a cette vie de troupe qui fait nous sentir moins seul, qui enracine », souligne le comédien, qui avoue ne guère apprécier les vacances. Et pour cause : « Dans la vie, je suis quelqu’un de pudique, de réservé, un garçon poli, une bonne pâte. La scène et mon métier me permettent d’être l’inverse, de pouvoir transgresser en toute sécurité. Et de pouvoir aussi me cultiver. » Quant aux dangers du métier, il n’y a, semble-t-il, guère de crainte à avoir, Stéphane Varupenne demeure les pieds bien ancrés au sol. « Je ne me sens pas capable d’être sur le fil, j’ai le vertige », rassure-t-il. Véronique Cauhapé
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Le spectateur de Belleville
May 31, 2021 5:32 AM
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Par Rosita Boisseau et Fabienne Darge dans Le Monde - 31 mai 2021 Les éditions de Lyon et Montpellier se sont adaptées en cette année particulière. Face à l’absence d’artistes internationaux, certaines font la part belle aux français. « On s’est préparé pendant toute l’année et on est prêt. On a fait notre boulot, qui est d’organiser ce festival en le calibrant au plus juste par rapport au contexte sanitaire. Qu’il dure trois jours ou plus longtemps, quoi qu’il se passe, il fallait et il faut tenir le poste. » Ton joyeusement guerrier, Dominique Delorme, directeur des Nuits de Fourvière, manifestation pluridisciplinaire historique créée en 1946, à Lyon, aborde la soixante-quinzième édition, à l’affiche du 1er juin au 30 juillet, dans la bonne humeur. « C’est une année particulière, insiste-t-il. On est passé d’une moyenne de 140 représentations d’une soixantaine de productions dans douze lieux partenaires à soixante-six représentations de trente-cinq pièces dans quatre lieux, dont nos deux théâtres gallo-romains, cœur de la manifestation. Mais le spectacle doit continuer à vivre, et il était hors de question d’enchaîner deux ans sans festival. » « Curieusement, il y a aussi des vertus dans cette histoire difficile que nous traversons : celle de travailler autrement », confie Dominique Delorme, directeur des Nuits de Fourvière Théâtre, musique, danse, cirque, opéra, les Nuits de Fourvière mettent envers et contre tout le paquet. Des noms qu’on ne présente plus, comme celui du metteur en scène belge Guy Cassiers ou de la troupe également belge Tg Stan, mais aussi les stars Woodkid, Alain Souchon et Louis Chedid, se croisent dans ce méli-mélo multicolore qu’est l’affiche des Nuits. Des compagnies internationales sont également présentes, dont les Australiens de Circa. « Evidemment, certains artistes ont jeté l’éponge, comme le trompettiste italien Enrico Rava, qui a 81 ans et ne souhaite pas se déplacer, précise Dominique Delorme. Evidemment, on a sans cesse, depuis le 18 février et le cadre fixé par la ministre de la culture Roselyne Bachelot, modifié le programme et les jauges, mais on a réussi. Curieusement, il y a aussi des vertus dans cette histoire difficile que nous traversons : celle de travailler autrement. » Désir de positiver Emblématique, l’ouverture des Nuits, le 1er juin, se joue main dans la main avec la Biennale de la danse de Lyon, dirigée par Dominique Hervieu. Cette première conjointe exceptionnelle du spectacle Alarm Clocks, de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin et la chanteuse Camille, donne la température lyonnaise. « Lorsque Dominique Hervieu est venue me voir en mai 2020 pour me dire qu’elle allait reporter la Biennale, prévue en septembre 2020, en juin 2021, et qu’on allait se trouver en concurrence, je lui ai immédiatement proposé qu’on fasse des opérations communes, raconte Dominique Delorme. En cinq minutes, nous sommes tombés d’accord. » Parallèlement à Alarm Clocks, les quatre productions chorégraphiques à l’affiche de Fourvière sont présentées en complicité avec la Biennale. « Nous partageons même les panneaux d’affichage en ville, ajoute Dominique Hervieu. C’est très important, dans cette période de crise, que la concurrence soit remplacée par la coopération. » Ce désir de positiver irrigue la construction des Nuits de Fourvière comme celle de la Biennale de la danse de Lyon. « Ce qui m’a guidée, c’est que, contrairement à 2020, où les créations n’étaient pas terminées en mai – ce qui m’avait poussée à annuler –, là, tous les spectacles sont finis et n’attendent plus que d’être présentés au public, commente Dominique Hervieu. Il était hors de question que ces œuvres partent à la poubelle. J’ai donc tenté de présenter la plupart des productions prévues il y a un an. » Après auscultation au cas par cas des spectacles annulés en 2020, Dominique Hervieu affiche vingt-deux créations sur une période resserrée du 1er au 16 juin. « Je me suis demandé quelles étaient les pièces qui n’avaient pas eu leur chance, et j’ai tenté d’en sauver le maximum », poursuit-elle. Le spectacle Transverse Orientation, du Grec Dimitris Papaioannou, qui devait faire l’ouverture du Festival d’Avignon en 2020, est au menu, ainsi qu’Embriaguez Divina, de la Portugaise Marlene Monteiro Freitas. « En revanche, j’ai dû annuler Gold Shower, avec François Chaignaud et Akaji Maro, souligne-t-elle. Akaji a 78 ans et n’a pas souhaité venir en France à cause de la quarantaine à Lyon et des jours d’hôtel à l’isolement en rentrant au Japon. » La programmation de la Biennale de la danse de Lyon ne « sacrifie » pas les artistes internationaux, selon la formule de Dominique Hervieu. « Il y aura 495 danseurs présents de vingt et un pays, détaille-t-elle. Les Israéliens risquent finalement de pouvoir venir, et les interprètes africains du spectacle Omma, de Josef Nadj, vont bientôt arriver. » Pour se réfugier pendant sept jours dans un hôtel lyonnais, où réside déjà, depuis le 17 mai, la compagnie de Qudus Onikeku, venue de Lagos (Nigeria). La question du passe sanitaire Ces paramètres, différents selon les pays et l’évolution de la crise sanitaire, bousculent un planning déjà mouvant. Au festival Montpellier Danse, qui se déroule du 23 juin au 16 juillet, la Batsheva, troupe israélienne, a annulé sa venue. « Rien que dématérialiser la billetterie et changer les horaires des spectacles à cause du couvre-feu nous a pris un temps fou », explique Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse En revanche, les visas de travail de la Canadienne Daina Ashbee, qui vit au Mexique depuis un an, et de sa troupe d’artistes sud-américains viennent d’être débloqués. « Il y aura tout de même une “septaine”, mais heureusement sans frais d’hôtel, car nous avons des hébergements à disposition pour les compagnies, indique Jean-Paul Montanari, directeur de la manifestation. Ce qui est étrange, c’est que les réflexes liés à nos façons de travailler habituelles se révèlent sans arrêt bousculés par des événements inédits. Rien que dématérialiser la billetterie pour éviter les files d’attente, changer les horaires des spectacles en plein air à cause du couvre-feu, et tracer les déplacements du public dans les salles nous a pris un temps fou. » L’adaptation permanente est une obligation. Les jauges des salles vont évoluer au fil des mois. Avec un taux à 35 % jusqu’au 9 juin, à 65 % jusqu’au 1er juillet, puis à 100 %. Et tout bouge à la dernière minute. A Montpellier Danse, l’annulation, le 12 mai, du sommet Afrique-France, prévu du 8 au 10 juillet, avec la présence d’Emmanuel Macron et celle d’un millier d’invités de tous les pays d’Afrique, a encore secoué le planning. « J’avais prévu trois représentations, au lieu de deux, de la comédie musicale D’un rêve, de Salia Sanou, sur la musique de Lokua Kanza, soupire Jean-Paul Montanari. Il me reste 1 000 tickets sur les bras… » Lire aussi Passe sanitaire : les lieux dans lesquels il sera nécessaire Quant à la question du passe sanitaire, à partir du 9 juin, elle entraîne différentes réponses. Si les Nuits de Fourvière et la Biennale de la danse, à Lyon, l’exigent pour les salles de plus de mille spectateurs, Montpellier Danse et le Printemps des comédiens ont décidé d’arrêter la jauge à 999 tickets. Réduire la voilure « On est heureux, certes, mais comment voulez-vous être euphorique ? », constate Jean Varela, directeur du Printemps des comédiens de Montpellier, dont la 35e édition se déroulera du 10 au 26 juin, avec, à l’affiche, vingt-neuf spectacles. Lui aussi a dû réduire la voilure, en faisant le choix de repousser l’ouverture du festival, qui devait avoir lieu le 31 mai, au 10 juin, et de proposer un festival plus court et plus restreint : 15 000 places à la vente, contre 45 000 en 2019. « Avec une jauge à 35 % et le couvre-feu à 21 heures, c’était intenable, pour nous, de démarrer avant la deuxième phase de déconfinement. Notre économie repose en bonne partie sur nos recettes propres : nos équilibres financiers sont très problématiques, même avec une jauge à 65 %, et on va devoir faire appel au fonds de garantie. » Le programme de cette édition 2021 fait la part belle aux artistes français, avec des créations de Cyril Teste, qui ouvrira le festival avec sa vision de La Mouette, de Tchekhov, de François Gremaud ou d’Isabelle Lafon, ou la reprise du formidable Un ennemi du peuple, d’Ibsen, mis en scène par Jean-François Sivadier. « C’est d’abord un choix, assure Jean Varela : celui d’accompagner des compagnies françaises qui ont été très fragilisées par la crise. Mais on a aussi dû renoncer à faire venir de grands artistes internationaux, comme Krystian Lupa, Krzysztof Warlikowski ou Romeo Castellucci, pour des raisons financières ou de disponibilité des spectacles. La création de Castellucci, elle, est une performance dans l’espace public, qui demande la présence de quarante amateurs. On a jugé qu’il était impossible de prendre le risque de les réunir. » Le Printemps des comédiens accueillera pourtant des artistes étrangers, comme le Sud-Coréen Jaha Koo, avec son Hamartia Trilogy, ou le Chilien Cristian Flores, qui présente El Pais sin duelo. Jaha Koo vit en Belgique, ce qui a rendu sa venue plus simple, et les Chiliens ont accepté d’en passer par la quatorzaine. Mais ce qui inquiète le plus le directeur du Printemps, c’est d’arriver à préserver, dans un tel contexte, la dimension festive inhérente à tout festival. « Un vrai casse-tête. Quand on en parle, avec Dominique Delorme, on se dit que ces contraintes sanitaires sont un véritable tue-l’amour, s’amuse-t-il. On travaille à ce qu’il y ait malgré tout un espace de restauration et de retrouvailles pour le public. Et ce qui me réjouit, c’est la joie et la reconnaissance qu’expriment les spectateurs. C’est une nouvelle preuve que nos festivals et nos maisons sont essentiels à la vie de nos cités. » Rosita Boisseau et Fabienne Darge Légende photo : « Poquelin II », de Tg Stan, programmé aux Nuits de Fourvière, à Lyon. KURT VAN DER ELST/KVDE.BE
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Le spectateur de Belleville
May 30, 2021 6:10 PM
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Par Guillaume Lasserre dans son blog "Un certain regard sur la culture" le 18 janvier 2021 Le Collectif Marthe devait retrouver le Théâtre de la Cité internationale trois ans après le formidable « monde renversé » qui déconstruisait le mythe des sorcières inventé pour mieux contrôler le corps des femmes. « Tiens ta garde » poursuit la même veine émancipatrice en explorant une généalogie de l’autodéfense politique à partir de l’essai d’Elsa Dorlin. « Puisque les corps rendus minoritaires sont une menace, puisqu’ils sont la source d’un danger, agents de toute violences possibles, la violence qui s’exerce en continu sur eux, à commencer par celle de la police et de l’Etat, ne peut jamais être vue comme la violence crasse qu’elle est : elle est seconde, protectrice, défensive, une réaction, une réponse toujours déjà légitimée ». Elsa Dorlin, « Se défendre. Une philosophie de la violence »
Eclairées d’une lanterne, deux jeunes femmes tentent de se frayer un chemin le long d’une coursive les menant en haut de la salle de spectacle plongée dans le noir, puis s’arrêtent longuement à mi-hauteur pour contempler, fascinées, leur découverte : un ensemble de peintures rupestres remarquable s’étalant sur la paroi d’une grotte imaginaire prenant la place des rangées de fauteuils destinés à un public désormais absent par prévention sanitaire. La découverte d’une grotte abritant les chefs-d’œuvre d’un art pariétal remontant à la préhistoire, est ici affaire de femmes. Ce qu’elles contemplent sur cette paroi, dont la privation de lumière et de visiteur depuis des milliers d’années a permis sa parfaite conservation, est la naissance d’une expression artistique, comprise comme telle par ses auteurs, ou plutôt autrices. Car si Georges Bataille faisait de Lascaux le symbole du passage de l’animal à l’homme, « le lieu de notre naissance[1] » – personne n’imaginerait cet acte comme non essentiel –, le Collectif Marthe réajuste une histoire de l’art préhistorique dans laquelle les représentations humaines peintes sur les parois des grottes sont aussi féminines. Au temps des déesses mères ancestrales, les femmes du paléolithique ne se cantonnent pas à la cueillette et à la reproduction, elles taillent des silex, peignent les parois des grottes, vont à la guerre, comme le démontre la préhistorienne Mylène Patou-Mathis dans un récent ouvrage[2], précisant que « les premiers préhistoriens européens étaient des hommes, tous. Abbés, médecins ou instituteurs, ils ont calqué leur système de pensée sur leurs découvertes ». Ici, les découvreurs sont des découvreuses. Ce prologue de « Tiens ta garde », second spectacle du collectif composé d’Itto Mehdaoui, Aurélia Lüscher, Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, rejointes ici par Maybie Vareilles, entend poursuivre sur scène la relecture d’une histoire officielle excluant trop souvent les femmes en les inscrivant directement et de façon active et égalitaire, dans la naissance de l’humanité. Il y a trois ans, le Collectif Marthe fut l’un des deux lauréats du tout nouveau dispositif « Cluster[3] » – amère ironie du sort que ce nom – qui les accompagne sur ce nouveau spectacle. Les comédiennes autrices reprennent la démarche qui a fait le succès du « Monde renversé[4] » en puisant dans des faits sociologiques et politiques, matières premières que chacune va distordre jusqu’à en trouver le principe théâtral[5]. Ce préambule apparaît nécessaire parce qu’en réhabilitant la place des femmes préhistoriques au sein de sociétés beaucoup plus équilibrées qu’elles ne le sont dans l’imaginaire collectif, il déconstruit le mythe d’une domination masculine naturelle et autorise la suite, à savoir la pièce. « Désapprendre à ne pas se battre » Celle-ci a pour décor le charme désuet d’une salle d’armes, quintessence de l’espace réservé aux hommes. « La guerre n’est pas une danse de salon » entend-on soudain affirmé. Trop souvent, on a expliqué aux femmes que l’art de la guerre ne s’accorde pas avec celui des fleurs. La salle accueille un stage d’auto-défense réservé aux femmes. Masque – qui se présente elle-même ainsi en raison du masque de catcheuse qu’elle porte en permanence –, est déjà là à l’arrivée de Maryline, arborant un délicieux accent du sud-ouest et une subordination latente à son patron. Les deux jeunes femmes font timidement connaissance lorsque Solange, l’initiatrice et animatrice du stage, arrive enfin. Au moment de débuter le cours, elles sont rejointes par une étudiante en sociologie préparant une thèse sur le mouvement des suffragettes britanniques. Présente en observatrice, elle distille durant le spectacle des épisodes qui racontent la pugnacité de leur rébellion. En entrant dans leur intimité, on devine peu à peu les raisons qui les ont conduites ici : le harcèlement téléphonique du patron de Maryline, l’anonymat et l’obsession des toilettes de Masque, les démons nocturnes de Solange. « Le monde renversé » avait pour point de départ « Caliban et la sorcière[6] », essai de la féministe américaine d’origine italienne Silvia Federici qui, avant Mona Chollet, invitait à réfléchir aux rapports de domination au moment de la transition entre féodalisme et capitalisme dont les fondations reposent sur les millions de corps de l’esclavage mais aussi sur l’asservissement automatique des femmes à travers l’invention des procès en sorcellerie, l’effacement social par le bucher. « Tiens ta garde » trouve son origine dans l’ouvrage de la philosophe Elsa Dorlin, « Se défendre, Une philosophie de la violence[7] », qui dresse une généalogie de l’auto défense en s’appuyant de façon diachronique sur divers mouvements politiques, différents groupes d’individus, des suffragettes pratiquant le jujitsu aux Black Panthers Party for Self-Defense. En tissant un lien entre ces résistances minoritaires distinctes, elle compose un récit à la fois spécifique et universel qui va être, pour le Collectif Marthe, la porte d’entrée du présent dans l’Histoire. « Pour créer nos spectacles, nous aimons nous appuyer sur des livres qui nous content une autre narration que celle apprise à l’école : une histoire plus secrète, une sorte de contre narration des grands récits historiques. Aujourd’hui, il y a une forme d’hégémonie culturelle et structurelle, combattue par différents courants de pensée qui nous animent dans notre désir de créer des pièces[8] » précisent-elles. Le collectif interroge ici le droit à l’autodéfense par le prisme du féminisme. Qui en dispose ? Contre qui ? A qui l’a-t-on retiré ? Qui subit systématiquement la violence ? Car évidemment, ceux à qui il est octroyé sont ceux qui sont déjà en situation de privilège. Pour Elsa Dorlin, il ne s’agit pas tant d’apprendre à se battre que de désapprendre à ne pas se battre. Le songe de Solange ou comment chasser les démons de l’Histoire ? L’essence du collectif Marthe tient dans la tentative pour chaque membre de se réapproprier son histoire par le plateau, de déconstruire ce qui la conditionne. Adeptes de la farce, du burlesque – deux formes séculaires du théâtre –, elles prennent soin de doter chacun de leurs spectacles de beaucoup d’humour. « Ce n’est pas toujours volontaire, tant il s’agit parfois de hasards et d’une manière que nous avons d’être ensemble, de nous amuser en jouant. Cela vient beaucoup de là, du plaisir que nous avons à nous faire rire, à nous entrainer là-dedans. C’est ce qui nous a poussées à travailler ensemble[9] » indiquent-elles collégialement. Un décor, deux temporalités. La salle des armes au présent est celle de quatre jeunes femmes venues se réapproprier une force en effectuant un stage d’autodéfense enseigné dans une atmosphère de sororité. Elle est remplie de vestiges patriarcaux : fleurets, cuirasses mais aussi peintures misogynes, racontent une histoire légale de la violence et interroge de fait leur rapport intime à la violence. Cette trame est entrecoupée par des scènes historiques recouvrant différentes époques, de la Révolution française au Londres du début du XXème siècle, jusqu’aux Etats-Unis. À ces personnages qui ont fait l’histoire et qui n’ont, de prime abord, que peu de choses en commun avec les premières, s’entremêlent des fantômes qui hantent la salle d’armes. Personnages célèbres – John Locke, Thomas Hobbes… – ou figures collectives – suffragettes, Black Panthers, Klu Klux Klan –, ils se rencontrent la nuit, dans les rêves de Solange devenus cauchemars, lorsque le spectre de son père vient la chercher pour la ramener dans son enfance de garçon manqué. Le songe devient alors le champ de bataille d’une Histoire d’hommes qui, s’ils se poursuivent sans cesse dans leur désir d’hégémonie, s’accordent pour soumettre d’abord les femmes et leur dicter leur rôle à tenir dans la société. « La littérature théâtrale est pleine de femmes coupables, tentatrices, pècheresses, sorcières, de femmes de second plan ou de soubrettes guillerettes. Nous pensons qu’il est nécessaire d‘y voir désormais des femmes qui s’organisent, sans hommes, traversées d’intensités, de puissance d’agir voire de violence, tout comme il est vital de montrer et d’éprouver de la sororité au plateau[10] ». Le Collectif Marthe construit chacun de ses spectacles comme une possible réponse à l’éternelle oppression des femmes. Face à la violence légitime, Itto Mehdaoui, Aurélia Lüscher, Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux et Maybie Vareilles cherchent à reprendre les armes, à se réapproprier une force confisquée. Si la pièce est éminemment féministe – il ne saurait en être autrement de la part d’un collectif de comédiennes qui, comme toutes les femmes, savent ce que la domination masculine veut dire – elle ouvre sur d’autres minorités qui ont elles aussi éprouvé la nécessité de se défendre. En faisant se rencontrer leur intimité et la grande Histoire, les quatre jeunes femmes trouvent une puissance d’agir par le collectif et rendent parfaitement compte de la contribution de l’autodéfense à la transformation des corps politiques. « Tiens ta garde » est une joyeuse invitation à réclamer notre droit à la légitime défense. [1] Michel Lorblanchet, « L'origine de l'art », Diogène, 2006/2 (n° 214), p. 116-131. https://www.cairn.info/revue-diogene-2006-2-page-116.htmConsulté le 21 janvier 2021. [2] Marylène Patou-Mathis, L'homme préhistorique est aussi une femme, Allary Éditions, 2020, 352 pp. [3] Dispositif réservé aux artistes sortis depuis moins de quatre ans d'une école supérieure d'art dramatique, permettant à deux jeunes équipes artistiques de bénéficier d'une résidence de création et d'action artistique pour trois saisons au Théâtre de la Cité internationale, période pendant laquelle elles sont accompagnées dans leur développement artistique, la structuration de leur compagnie, la diffusion et en production déléguée par Prémisses – Office de production artistique et solidaire pour la jeune création. https://www.theatredelacite.com/le-theatre/premisses_2 Consulté le 22 janvier 2021. [4] Guillaume Lasserre, « Et Marthe renversa le monde : les sorcières au Théâtre de la Cité internationale », le club de Mediapart / Un certain regard sur la culture, 25 janvier 2018, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/220118/et-marthe-renversa-le-monde-les-sorcieres-au-theatre-de-la-cite-internationale [5] « Notre démarche », Collectif Marthe, Tiens ta garde, dossier de création, 2019. [6] Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Co-édition Entremonde / Editions Senonevero, 2017, 404 pp. [7] Elsa Dorlin, Se défendre, Une philosophie de la violence, Editions La Découverte, Collection Zone, 2017, 200 pp. Ouvrage lauréat du Prix Frantz Fanon 2018 (Caribbean Philosophical Association) et du Prix de l'Ecrit Social 2019 [8] Aurélien Perroumal, « Entretien avec le Collectif Marthe », octobre 2020, Dossier de presse, Tiens ta garde, Théâtre international de la Cité, Paris [9] Ibid. [10] Ibid. TIENS TA GARDE - Mise en scène : Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Itto Mehdaoui et Maybie Vareilles. Ecriture : le Collectif Marthe et Guillaume Cayet. Dramaturgie : Guillaume Cayet. Collaboration artistique : Maurin Ollès. Avec Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Maybie Vareilles. Spectacle créé le 10 mars 2020 à la Comédie de Saint-Etienne. La pièce devait se jouer du 15 au 19 décembre 2020 au Théâtre de la Cité internationale à Paris. Les représentations ont été annulées à la suite des annonces du gouvernement du 11 décembre 2020 de la fermeture de tous les lieux culturels. Les dates ci-dessous sont mentionnées sous réserve: Du 30 mars au 2 avril au Théâtre Dijon-Bourgogne - Centre Dramatique National Du 10 au 11 mai à La Comédie de Valence - Centre Dramatique National Du 17 au 24 juin au Théâtre de la Cité internationale, Paris Du 4 au 7 novembre au Théâtre du Point du jour, Lyon Légende photo : "Tiens ta garde" MISE EN SCÈNE Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Itto Mehdaoui et Maybie Vareilles ÉCRITURE le Collectif Marthe et Guillaume Cayet © Jean-Louis Fernandez
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Le spectateur de Belleville
May 28, 2021 7:00 PM
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Dispo sur Arte.tv dès le 28 mai, le nouveau film de Guillaume Brac est à la fois une variation rohmerienne sur les amours d’été, un conte doté d’un sous-texte politique sur la jeunesse contemporaine et une comédie de moeurs à la fois légère et profonde. Voir le film A l'abordage (1h30) Dix ans après Un Monde Sans Femmes, Guillaume Brac réalise un nouveau volet de ces histoires d’amour de vacances. A l’Abordage, comme d’autres films du cinéaste est aussi un film d’été, un film au bord de l’eau. L’élément renvoie bien sûr à une certaine idée de l’enfance, aux chaudes après-midi, mais il est aussi un subtil outil narratif qui pousse les personnages, pas toujours à l’aise avec leurs corps, à se dévêtir et donc à se mettre à nu. Le cinéma de Guillaume Brac est indissociable des lieux qu’il habite, des couleurs des saisons dont il s’imprègne, qui composent des mondes à la recherche d’harmonie, d’équilibre : ici un espace-temps ensoleillé et aquatique. Dans A l’Abordage, le tempétueux Eric et le doux Shérif quittent Paris à grande vitesse pour retrouver la toute nouvelle amoureuse du premier, à peine rencontrée au hasard d’un soir sur les quais de Seine que déjà envolée pour des vacances dans la Drôme. L’entreprise est risquée puisqu’Eric n’a rien divulgué de ses projets à la jeune fille et semble encore croire fermement à la bravoure des princes. “Est-ce que vous pensez que le risque est à prendre ? – Il y a toujours un risque à prendre, sinon on fait rien”, répond la vieille dame chez qui Eric travaille comme aide-soignant. Récit d’amour et d’amitié Dans ce nouveau récit d’amour et d’amitié, catapulté ici dans un camping filmé comme un théâtre ouvert aux badinages amoureux, avec sa scène (la rivière où batifolent Eric et sa dulcinée avant de se fâcher), ses coulisses (la piscine depuis laquelle “les galériens” Shérif et Edouard, troisième moussaillon chétif, entraîné malgré lui dans cette aventure, observent la scène), Guillaume Brac place de manière souterraine, et pourtant bien au cœur de son film, la question de l’origine sociale de son duo que l’on sait modeste, sans qu’elle n’en occupe pour autant le premier plan. C’est avec cette même subtilité d’écriture, cette façon de faire exister très fortement ce qui pourtant se trouve à l’arrière, que le film finira par faire éclore la véritable histoire d’amour du film. Dans A l’Abordage, les appartenances sociales des personnages tendent à s’estomper au contact de l’eau et du soleil sans tout à fait jamais disparaître, condamnées à ressurgir subrepticement comme quand un garçon demande à Eric s’il vend du shit, mais suffisamment effacées pour permettre les rencontres entre des personnes-personnages, qui d’ordinaire, ne se croisent pas ou peu. Un film plein de vie et d’une extrême drôlerie A l’Abordage, comme souvent chez Guillaume Brac, est nourri d’une matière documentaire (les campeurs, le garagiste, la vérité d’un lieu qui existe) mais aussi d’une vérité provenant de la vie de ces jeunes acteur·rices, comédien·nes du Conservatoire national, école à l’origine de la commande du film, que Brac a rencontré·es, choisi et qui ont nourri l’écriture d’un scénario poreux. Des points de convergence entre les différents protagonistes, Brac tire des situations de comédie d’une extrême drôlerie jouant malicieusement des stéréotypes (le gringalet, le beau gosse, le geek…) et des codes du genre, celui hérité des comédies américaines que Brac cite allègrement comme source d’inspiration (Judd Apatow, Greg Mottola ou Paul Feig) à côté de son trio de chevet Rozier-Rohmer-Pialat. A l’Abordage aurait pu s’appeler Un Monde Sans Femmes ou L’Île au Trésor. C’est aussi un film de fuite et d’aventure, un film à l’abri du monde mais jamais privé d’air, de ce “petit vent qui fait plaisir”, s’enthousiasme à plusieurs reprises Eric, comme un touriste en pleine nature. Ce petit vent c’est aussi celui qui s’infiltre dans chaque scène, chaque plan et qui donne au film cette sensation merveilleuse de vie qui palpite, comme si elle était là, évidente, circulant d’un regard à l’autre, d’un sourire gêné à une étreinte. A l’abordage, de Guillaume Brac, disponible sur Arte.tv jusqu’au 26 juin
Avec “A l’Abordage”, Guillaume Brac réalise une merveilleuse comédie tendre et éminemment politique. Le film est visible sur Arte et sortira en salle, le 21 juillet. A l’occasion de la diffusion sur Arte.tv de son très beau nouveau film, A l’Abordage, nous avons discuté avec Guillaume Brac. Un entretien fleuve dans lequel il parle de son dernier film, de son œuvre et de sa vision du cinéma. Rencontre avec un cinéaste qui préfère se dire réalisateur, doute encore de sa capacité à savoir faire des films et les réalise pour se plonger dans la vie. A l’Abordage était-il, dès le départ, prévu pour la télévision ?
Guillaume Brac – Oui, le film a été financé comme ça. Quand la directrice du Conservatoire m’a proposé de faire ce film avec une promotion d’étudiants, j’ai compris que ça allait être compliqué de le financer de manière classique. La bonne idée était d’aller voir du côté d’Arte. Evidemment je n’imaginais pas ce que le film allait devenir, ça pouvait être un objet fragile. Concernant Arte, je me suis dit : si le film est réussi, ça lui offrira une visibilité plus grande que celle qu’il aurait eu en salle. A l’inverse, si le film est bancal, ils le passeront à “je ne sais pas quelle heure”, et personne ne le verra (rires) ! Et puis ça me rappelait tous les téléfilms des années 1990 et 2000, la collection Tous les garçons et les filles, le film de Pascale Ferran, L’Age des possibles. C’était la seule manière de le produire, sachant qu’avec ma scénariste Catherine Paillé, on avait décidé que nous n’allions pas écrire un scénario totalement dialogué, classique, mais que le film allait s’écrire jusqu’au dernier moment avec des périodes de répétitions et d’improvisations avec les acteurs. Sans scénario classique, il était difficile d’aller chercher des financements. Arte a accepté le principe du film bien avant qu’il y ait quoi que ce soit qui ressemble à un scénario. Cependant, j’ai toujours pensé que si le film était réussi je ferai tout pour qu’il sorte en salle, parce que celle-ci reste mon horizon.
Le film fonctionne finalement selon la même méthode que Contes de Juillet, que vous avez tourné aussi avec des comédiens du Conservatoire national. A une échelle beaucoup plus grande. En ce qui concerne Contes de Juillet, on m’a appelé pour remplacer quelqu’un qui devait animer un atelier pédagogique. A cette époque, j’avais très envie de tourner quelque chose. J’ai donc proposé aux élèves et à mon producteur que l’on essaye de fabriquer un film ensemble. Pour A l’abordage, la directrice du Conservatoire m’a appelé en me disant, “Guillaume, qu’est-ce que tu dirais qu’on fasse un vrai long métrage ensemble, que tu prennes le temps d’écrire, de chercher des financements ?”J’avais aussi posé des conditions. Pour Contes de Juillet, j’avais seulement quinze étudiants.
Il y a donc eu un casting pour A l’abordage ?
Pas au sens propre du terme. Ni elle, ni moi ne voulions entrer dans ce processus, ça aurait été assez violent dans l’école. Par contre, j’avais le droit de choisir celles et ceux avec qui, j’avais envie de travailler. J’allais les voir en cours, je les observais. C’était surtout les cours de clown qui étaient intéressants pour moi. C’était beau, il y avait à la fois de la sincérité et de la comédie, ça raisonnait avec ce que je voulais faire. Ils étaient trente dans la promotion. J’ai pris trente cafés d’une heure ou deux avec chacun. C’est à l’issue de ces rendez-vous que j’ai choisi ceux qui m’intéressaient le plus, ceux dont la vie me touchait. A ce moment- là, je n’avais pas le projet d’écrire un film sur la jeunesse, je n’avais à priori rien à raconter de précis sur elle. Je savais que j’allais devoir me nourrir d’eux, que c’était eux qui allaient m’apporter la matière pour le film. Comment s’est déroulé l’écriture ? Avant de les rencontrer, aviez-vous déjà en tête une trame, des personnages ? Non, j’ai vraiment écrit le film pour eux. Par contre, j’avais une donnée en tête : depuis cinq ou six ans la directrice du Conservatoire travaille vraiment à démocratiser le concours d’entrée. Salif (Cissé) et Eric (Nantchouang) sont des comédiens fantastiques mais probablement qu’il y a cinq ou dix ans, ils n’auraient jamais osé passer ce concours. Ça ne m’intéressait pas d’avoir des jeunes premiers se destinant à la Comédie française, même si elle commence elle aussi à se diversifier. Je voulais des jeunes gens avec des parcours divers, qui auraient vécu pas mal de choses, qui avaient déjà fait d’autres boulots. Quitte à faire un film sur la jeunesse, autant que ce soit la jeunesse dans son ensemble. Je voulais raconter comment se produit la rencontre entre des jeunes très différents. Dans A l’Abordage, comme dans d’autres de vos films, il est question de quitter Paris pour prendre des vacances. C’est une ville qui ne vous inspire pas ?
Ce que j’adore filmer c’est l’échappée, la parenthèse. A Paris, c’est moins évident. La ville est prise dans un filet de codes sociaux. Chaque quartier, chaque café, chaque appartement… Tout raconte quelque chose de tellement fort socialement que je trouve que ça enferme beaucoup le récit. Ce qui me plaît c’est d’avoir des marqueurs sociaux au début du film qui se gomment au fur et à mesure, on les oublie, même s’ils peuvent rester présents en filigrane. Je pense que l’origine de mon désir de cinéma vient du désir de m’échapper d’un milieu, d’un lieu. C’est comme si je refaisais à chaque fois le même geste : me libérer de quelque chose en faisant des films.
C’est pour cette raison que le film commence sur les quais de Seine ? Oui, il y a un brassage, les codes sont brouillés. Je savais que j’allais me prendre la tête à l’infini pour savoir où ces personnages pourraient se croiser. D’ailleurs, est-ce que ces personnages pourraient vraiment se croiser dans un lieu autre que celui-là ? Est-ce que socialement, il n’y aurait pas une barrière qui les empêcherait de se rencontrer dans un café ou dans une boîte de nuit ? C’est la première fois que vous abordez aussi frontalement ces questions-là, celles de la possibilité d’une rencontre entre des personnes appartenant à des milieux et des classes différentes. Le fait que les deux comédiens soient noirs, que leurs personnages viennent d’un milieu modeste n’a rien d’anecdotique même si le film n’en fait pas son sujet. Dans ma vie, je ne me serai jamais autorisé, jamais senti légitime avec le fait d’écrire un film pour deux personnages noirs, si ça ne m’avait pas été donné par la commande. J’aurais eu peur de nombreux écueils. A partir du moment où j’ai rencontré ces deux comédiens, là d’un seul coup ça a été possible. Mais évidemment, je savais que ce n’était absolument pas anodin, surtout dans cette famille-là, celle d’un certain cinéma d’auteur qui n’est pas un cinéma, en tout cas ouvertement, social ou politique, qui n’est pas non plus du cinéma de genre. C’est vrai que c’est relativement rare d’avoir des personnages noirs dans un film qui n’en fait pas son sujet. Après, il y a certains films comme ceux de Claire Denis, par exemple.
Je trouve votre film bien plus politique que nombreux films français qui s’affichent ouvertement comme tels.
C’est une chose que j’avais dite dans le dossier de presse : je ne suis pas loin de penser que mon film est d’autant plus politique qu’il ne s’affiche pas comme tel. Probablement que la meilleure façon de traiter cette question était de la traiter de manière souterraine. On a beaucoup parlé de ça avec Salif et Eric qui étaient très à fleur de peau sur la question de la place des comédiens noirs dans le cinéma. Ils avaient au début une sorte de méfiance, de réticence avec le fait d’incarner des personnages qui pouvaient être trop proches d’eux, ils voyaient ça encore comme une forme d’assignation. Puis, je leur ai expliqué qu’on allait partir de quelque chose d’assez proche d’eux pour s’en éloigner et qu’ils allaient pouvoir complètement se libérer de ces codes-là et être plongés dans des situations de fiction. Ils allaient pouvoir jouer. Ce que je trouvais génial avec eux c’est qu’on pouvait jouer sur deux tableaux. Ils avaient à la fois leur manière à eux, leurs intonations, leur vocabulaire, qu’ils allaient pouvoir offrir au film. Ce sont des comédiens qui ont une aisance, un rapport musical à la parole, au mot.
Votre désir d’écriture part-il des lieux ? Tant que je n’ai pas décidé du lieu, je n’arrive pas à écrire le film, je ne peux pas écrire de manière abstraite, j’ai besoin de visualiser les scènes. Pour le camping d’A l’Abordage, il se trouve que c’est un lieu que je connaissais depuis deux, trois ans, et c’est le lieu où j’ai su que j’allais être père et j’ai appris la naissance à venir de ma fille.
Qui joue d’ailleurs dans le film… Qui joue dans le film oui, exactement, tout se relie. Je trouvais ça très très beau que pour le premier été de notre fille, je tourne ce film et qu’elle soit dedans. Pour moi le fait de faire des films est beaucoup lié à la question de garder une trace des gens que je rencontre, que j’aime, des lieux. Donc évidemment garder cette trace-là, du premier été de ma fille dans le film, c’était génial. J’ai lu que vous disiez aimer les “accidents” sur les tournages, que vous vous laissiez parfois aller à réenvisager le plan de tournage la vieille pour le lendemain… Je me suis souvent lancé dans des projets un peu risqués. J’ai un rapport assez difficile à la question du choix, ce qui fait que j’ai tendance à décider le plus tard possible. C’est vraiment au moment du tournage que je finis par me résoudre. J’ai besoin de laisser ouvertes certaines choses le plus longtemps possible. C’est angoissant, mais il y a aussi durant le tournage des moments de joie très intenses, quand justement on réussit à capter un moment, qu’il y a une forme de grâce, tout s’harmonise miraculeusement. Ce sont des moments extrêmement satisfaisants, mais c’est aussi très stressant pour les acteurs, pour l’équipe, même si la plupart des gens me connaissent. Par exemple, la deuxième et le premier assistant savent que ce n’est qu’au dernier moment qu’on choisira les gens qui jouent dans la scène et qu’on n’aura pas répété à l’avance, comme avec le garagiste, par exemple. Donc forcément, on va tâtonner. Il y a des scènes qui foirent totalement parce qu’elles n’ont pas été forcément préparées mais ce n’est pas une question de paresse, il y a beaucoup de travail en amont, de repérage, de découpage, de répétitions avec les acteurs. Mais j’essaye de garder une petite part d’imprévisible au tournage. Est-ce qu’A l’abordage aurait pu s’appeler Un Monde Sans Femmes ? Les deux personnages principaux se ressemblent beaucoup, la structure du film aussi, cette façon que vous avez de placer au premier plan une histoire pour finalement se rendre compte que celle qui se joue réellement est en arrière-plan… Ce qui est amusant, c’est qu’en faisant Tonnerre, c’est comme si j’avais eu besoin de me défaire de ce que j’avais construit avec Un Monde Sans femmes, comme si j’avais tout fait contre. J’avais très peur de me répéter, de me conformer à des attentes, de me complaire. C’est comme si j’avais mis dix ans à revenir à Un monde sans femmes. Probablement que ce sont les deux films qui me ressemblent le plus. C’est vrai qu’avec Catherine Paillé on y a pensé en écrivant le film. D’une certaine façon, le personnage de Félix, c’est un peu Laure Calamy dans Un Monde Sans femmes, c’est un personnage qui a une très grande énergie et qui, à un moment, à force d’agitation, s’épuise. Ce sont alors les personnages plus effacés qui progressivement se révèlent à eux-mêmes. J’aimais bien l’idée du geek side comme disent les Américains. Salif, il avait vachement ça. Je pense que dans beaucoup de films, il serait resté le buddy. J’aimais vraiment l’idée qu’on se dise à un moment donné : c’est lui dont on est en train de raconter l’histoire, sans qu’on le sente venir. Comme vous le disiez, votre film est une parenthèse. Est-elle une utopie ?
Oui, il y a une forme d’utopie. Quand on fait un film, on pourrait croire qu’on raconte le monde tel qu’il est, mais on raconte plutôt le monde tel qu’on le regarde. Et puis aussi peut-être tel qu’on aimerait qu’il soit. Raconter un monde où ces jeunes-là peuvent se rencontrer, devenir copains, évidemment ça peut arriver mais peut-être pas si souvent que ça. A l’origine, il y avait une dernière scène où Chérif et le personnage de la maman, qui s’appelle Elena, étaient revenus à leur place, à leur assignation sociale. Même s’ils étaient très heureux de se recroiser, on comprenait que chacun avait repris le cours de sa vie et qu’ils n’étaient pas forcément au même endroit du monde, de la société. Cette scène-là, je n’avais plus du tout envie de la tourner et je ne l’ai jamais tournée. Avec ma monteuse, on trouvait que c’était beaucoup plus fort de terminer comme on l’a fait. Je pense que le spectateur n’est pas naïf, il peut très bien se raconter, selon qu’il est optimiste ou non, que chacun va reprendre sa vie ou que peut-être les personnages vont vraiment échapper à une forme de conditionnement. Moi-même, je ne sais pas, si j’ai tendance à penser que ce qu’ils ont vécu est de toute façon très beau et que de toute façon, ça aura modifié quelque chose dans leur existence à tous les deux, même si ça n’a duré que quelques jours… Vos personnages masculins répondent souvent à deux visions. D’un côté les garçons relous qui draguent lourdement les filles. De l’autre, les garçons timides, discrets.
Oui, d’une certaine façon, il y a les hommes qui osent trop et les hommes qui n’osent pas assez. C’est vrai que mes films oscillent entre ces deux pôles-là. Il y a les hommes qui voient les femmes un peu comme des proies, et les hommes qui voient les femmes comme des divinités. Finalement, la vérité est au milieu. Ceux qui voyaient les femmes comme des proies se prennent généralement un mur et puis ceux qui les voyaient comme des êtres inaccessibles apprennent à entrer en dialogue. Je pense que c’est lié au fait qu’en quatrième et troisième, je me suis retrouvé dans une école privée pendant deux ans où il n’y avait que des garçons, à un âge où généralement on apprend un peu à se connaître. Ça a été pour moi une rupture extrêmement brutale d’autant qu’en sixième et cinquième les garçons et les filles commencent à se rapprocher. D’un seul coup, c’est comme si j’en étais brutalement privé. Je pense que ça a marqué assez durablement mon rapport au féminin. A l’époque, je voyais les filles de loin, je les connaissais mal. J’imaginais des tas de choses. Rencontrer une fille devenait une démarche immense. Avant de devenir réalisateur, vous avez fait HEC puis la Fémis… C’est aussi parce que vous veniez de ce milieu-là que vous ne vous sentiez pas légitime à filmer une certaine jeunesse à laquelle j’imagine vous n’avez pas eu tout de suite accès ?
Oui, à laquelle je n’ai pas eu accès pendant longtemps, bien sûr que ça joue aussi, le fait d’être blanc de venir d’un milieu plutôt aisé. Il y a des années de ma vie où je n’avais ni accès aux femmes, ni à des milieux sociaux plus modestes, plus populaires. Le choix du cinéma est venu aussi du désir d’élargir un horizon, de rencontrer beaucoup des gens différents, de ne pas rester enfermé dans un microcosme. J’ai fait la Fémis en production et pas en réalisation. Il y a eu plein d’étapes avant de m’accepter. Ça me semblait trop loin de moi. Et puis c’est vrai que je ne peux pas m’empêcher à chaque fois que je redémarre un projet d’être toujours dans un questionnement. Il y a toujours un moment, quand je fais un film, où je me dis : est-ce que je sais faire un film ? J’ai toujours l’impression de ne pas savoir. Il y a toujours des moments où je me sens un peu dépassé, où j’ai l’impression de ne pas pouvoir m’appuyer sur des acquis, ou des techniques précises, il y a toujours une forme de tâtonnement. C’est comme si à chaque film, j’avais besoin de réapprendre comment on fait un film. Dans une interview pour Télérama datant de 2014, vous disiez : “j’espère que dans dix ans, je serai toujours un jeune réalisateur”. Je ne suis pas très inquiet là-dessus. J’ai l’impression que même si je me retrouvais à faire un film avec un budget plus conséquent, avec des acteurs plus connus, d’une façon ou d’une autre, j’aurais toujours besoin de casser un peu le cadre, de faire entrer de l’air, de l’imprévu. Je pense que je ne tournerai jamais un film avec deux acteurs dans un huis-clos. Je ne tournerai jamais un film avec des figurants qu’on envoie aux talkies-walkies. Je fais des films pour me plonger dans la vie, pas pour m’en retirer, ce n’est pas très intéressant. Vous diriez que le cinéma est plus harmonieux que la vie ? Oui, parce que mes films recréent une harmonie. Mais les deux sont complètement imbriqués. D’ailleurs l’expérience de vie d’un tournage est essentielle, et ce n’est pas parce que je peux être très angoissé que ce ne sont pas aussi des moments de bonheur, entouré de gens que j’aime. Parce qu’il y a quand même essentiellement des gens que j’aime autour de moi quand je fais un film. Je sais que c’est toujours pour les gens qui font un film avec moi, un moment de vie important, il se passe des choses. Mais c’est vrai que la vie sans le cinéma… Peut-être que je ne sais pas assez bien vivre pour pouvoir vivre sans le cinéma. Je ne suis peut-être pas assez fort pour ça (rires). C’est comme si ça me permettait d’échapper à la vie aussi, c’est ce double mouvement : à la fois vivre plus intensément, capter la vie, et puis aussi parfois m’échapper, comme mes personnages, être dans des parenthèses euphorisantes. Après ce sont comme des souvenirs de vacances, on est nourri par ça pendant longtemps et puis le moment où le souvenir s’estompe trop, il faut refaire un film (rires). Vous vous intéressez à des jeunes cinéastes, vous êtes proches de certains d’entre eux ?
Le fait de travailler avec ces jeunes comédiens me maintient en lien avec des projets de jeunes cinéastes. Il m’arrive assez régulièrement de faire des interventions dans des écoles de cinéma, d’animer des ateliers. Je rencontre pas mal de jeunes réalisateurs qui ensuite font leurs films. Je siège à la contribution financière du CNC, donc je lis beaucoup de projets de courts métrages. J’ai des copains plus jeunes qui font leur premier film. C’est assez important pour moi de rester en contact avec ça, à travers certains techniciens de mes films aussi : il y a quelques compagnons du début qui sont toujours là, qui ont à peu près mon âge et il y a toujours des plus jeunes que j’intègre et qui deviennent souvent des amis. Vous travaillez sur un nouveau film ? Par superstition je préfère ne pas trop en parler. On est encore au début de l’écriture. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a aura toujours ce rapport à la fois fort à un lieu et à toute sa dimension documentaire et à la fois des lignes de fiction et de comédie assez marquées. D’une certaine façon, c’est dans la continuité d’A l’abordage, mais peut être avec une ambition plus grande en termes d’écriture et de production. Sinon, dans huit ou dix jours, je vais tourner un petit documentaire avec des jeunes de 15 et 16 ans, un petit moyen métrage.
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Le spectateur de Belleville
May 26, 2021 3:26 PM
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Par Camille Bordenet dans Le Monde - 26 mai 2021 Anna Halprin dans « Anna Halprin : le souffle de la danse », en 2009. ZAS FILM/ THE KOBAL COLLECTION/AURIMAGES Pionnière de la danse contemporaine, affranchie de tout carcan gestuel, cette danseuse née en 1920 a passé sa vie à réinventer sa pratique et a développé la danse-thérapie pour accompagner les malades. Elle s’en est allée, à l’âge de 100 ans.
Elle avait 100 ans. Encore peu connue en France jusqu’au début des années 2000, Anna Halprin, pionnière américaine de la danse contemporaine et figure de la danse post-moderne, est morte, ainsi que l’a annoncé sa fille, Daria Halprin, dans un post Facebook publié mardi 25 mai et relayé par le site Toute la culture. Née dans l’Illinois le 13 juillet 1920, issue d’une famille juive ayant fui les pogroms en Russie, Anna Halprin fait ses premiers pas de danse moderne au moment où la discipline connaît ses plus grandes heures. Elle se forme notamment aux techniques d’Isadora Duncan. Avec sa compagnie, le Dancer’s Workshop, elle participe à inventer une danse novatrice très libre, affranchie des carcans gestuels traditionnels, et qui se concentre sur l’essence même de la danse : le mouvement. Sa pratique et sa pensée ont ainsi influencé de nombreux artistes. Le grand public associe son nom à la Planetary Dance, un « rituel de paix et de renouveau » selon la définition qu’en donnait sa créatrice. Sensible au mouvement hippie, Anna Halprin décide d’utiliser le public de façon active et participative, contredisant la notion même de performance, selon différents biographes qui se sont penchés sur son travail. Ainsi, la Planetary Dance, rituel collectif sans performeurs ni spectateurs, invite chacun à participer, amateurs et professionnels. Il est organisé chaque année dans différents pays du monde et a eu lieu pour la première fois en France en juin 2013, dans neuf villes. Réfutant le rôle dominant traditionnellement attribué à tout chorégraphe qui dirige sa compagnie, cette affranchie mettra en place un atelier de danse démocratique, la Dance Cooperative. Son travail est en outre indissociable du plateau de danse en bois au milieu des arbres que lui a conçu son mari, l’architecte paysagiste Lawrence Halprin, dans leur jardin californien, et qui lui inspirera une recherche en lien avec la nature et l’improvisation. La danse comme catharsis Après avoir surmonté deux cancers grâce à la danse, elle participe à développer la danse-thérapie, largement déployée depuis. « Je dis souvent qu’avant mon cancer je consacrais ma vie à l’art, et qu’après mon cancer j’ai consacré mon art à la vie », confie-t-elle dans une biographie qui lui est consacrée (Anna Halprin: Experience as Dance, de Janice Ross, 2009). Elle travaille alors aux côtés des malades en fin de vie, atteints du cancer ou du sida, mais aussi auprès de personnes âgées. Parmi ses créations, on peut citer la pièce Intensive Care, Reflections on Death and Dying (2000) ou encore Parades & Changes (1965). Le Tamalpa Institute, fondé avec sa fille Daria, propose des formations en danse-thérapie. Parmi ses collaborateurs historiques : John Graham, AA Leath ou encore Merce Cunningham. Peu connue en France jusqu’à récemment, Anna Halprin a vu le musée d’art contemporain de Lyon lui consacrer une rétrospective en 2006. Lire aussi Découvrir Anna Halprin, 86 ans, figure de la danse postmoderne américaine A partir de témoignages et d’images d’archives, le documentaire Anna Halprin : le souffle de la danse retrace le parcours de cette affranchie, en quête de liberté et d’harmonie plus que de notoriété. Voir la vidéo
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Le spectateur de Belleville
May 26, 2021 9:49 AM
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Par Fabienne Darge (Dijon, envoyée spéciale) dans Le Monde le 25 mai 2021 « Laboratoire Poison 3 », d’Adeline Rosenstein. VINCENT ARBELET Première manifestation du genre à rouvrir après une année de pandémie, le festival fait la part belle aux formes documentaires sur l’état du monde.
Un pangolin court dans les rues de Dijon : le petit animal écailleux, qui nous a tant occupé l’esprit depuis plus d’un an, figure sur les affiches du festival Théâtre enfin !, ouvert le 21 mai, et qui se poursuivra jusqu’au 2 juillet. Un festival de théâtre qui en remplace un autre, le traditionnel Théâtre en mai, qui faisait les belles heures de la jeune création depuis trente ans. Théâtre enfin ! est la première manifestation théâtrale à rouvrir en France, après une année de pandémie qui a entraîné la fermeture des lieux culturels. Benoît Lambert, le directeur du Théâtre Dijon-Bourgogne, avait décidé de la lancer dans tous les cas, même si elle n’avait pu être suivie que par les professionnels, pour qui Dijon est toujours une plate-forme de découvertes. Tout était prêt donc, quand est tombée la bonne nouvelle que les théâtres pouvaient rouvrir au public dès le 19 mai. Routes de l’exil Malgré la présence graphique du pangolin, le Covid-19 ne s’est pas invité dans la programmation, qui reste néanmoins sérieusement branchée sur l’état du monde, un monde qui ne se résume pas à l’épidémie. Ce sont donc les formes documentaires, de plus en plus présentes dans le théâtre contemporain, qui ont donné le « la » de ce festival. La création d’ouverture, Traverses, est signée par une metteuse en scène, Leyla-Claire Rabih, qui travaille sur la Syrie depuis plusieurs années. Elle a, notamment, monté Chroniques d’une révolution orpheline, une trilogie basée sur des textes du jeune auteur de Damas, Mohammad Al Attar. Avec Traverses, elle s’intéresse à ce qu’elle appelle le 5e acte de la tragédie syrienne : le sort des réfugiés, la manière dont ils se reconstruisent après les traumatismes de la guerre et de l’exil, et la question de l’identité. Son dispositif formel est simple, mais la qualité du spectacle réside dans sa constante justesse de ton, dans son absence de pathos et dans l’intimité créée avec les spectateurs. Quelques chaises et tables posées au milieu du public, réparti en rond autour de l’espace de jeu, et c’est parti pour remonter les routes de l’exil : celles des réfugiés syriens rencontrés par Leyla-Claire Rabih en France, en Grèce ou au Liban, mais aussi celles, plus anciennes, de sa propre famille, d’origine syrienne, et des familles de ses deux acteurs, Philippe Journo et Elie Youssef. Des réfugiés rencontrés par la metteuse en scène, on ne verra jamais le visage, sur les écrans qui surplombent le plateau : seulement leurs mains, et des détails de leur habillement. Mais on entend leurs voix. Leyla-Claire Rabih, en jouant ainsi avec sensibilité entre la présence et l’absence, ne saurait mieux dire combien ces exilés sont devenus les fantômes qui hantent notre présent. Nettoyer notre regard Ce décalage opéré par rapport à notre monde d’images, où souvent celles-ci ne racontent, ne provoquent plus rien, est plus encore au cœur de la deuxième création d’ouverture du festival, Laboratoire Poison 3, d’Adeline Rosenstein. Cette femme de nationalité allemande, vivant à Bruxelles, à la fois comédienne, autrice et metteuse en scène, avait fait forte impression au Festival « off » d’Avignon en 2016, avec son spectacle-fleuve sur l’histoire de la Palestine, Décris-ravage. Avec Laboratoire Poison 3, elle poursuit son exploration d’un théâtre documentaire singulier dans le paysage actuel, qui retient les leçons du brechtisme et des avant-gardes russes du début du XXe siècle. Pour cette nouvelle création, elle s’est d’abord intéressée à la question de la trahison politique, pour remonter, parfois de manière un peu touffue, accumulative, le fil de certains épisodes méconnus de la guerre d’Algérie et de l’histoire de l’élimination du leader indépendantiste congolais Patrice Lumumba. Pour autant, Laboratoire Poison 3 ne se veut surtout pas un spectacle sur la colonisation, même s’il est documenté de manière rigoureuse. Ce qui est si singulier, ici, c’est le travail sur l’image, mais sur l’image sans images, ou du moins sans images enregistrées. Adeline Rosenstein veut nettoyer notre regard, déconstruire les clichés qui font souvent la matière même de l’histoire. Pour cela, elle fait composer par ses comédiens des tableaux vivants, qui viennent « illustrer » avec ironie les histoires qu’elle raconte elle-même sur le plateau. C’est une forme de théâtre documentaire conceptuel et très chorégraphié, qui n’est pas exempt d’une dimension ludique, avec clins d’œil à la Tintin. Et c’est souvent brillant, passionnant sur le papier, mais parfois aride et difficile à suivre sur le plateau. Peut-être parce que le spectacle, comme nombre d’autres qui peuvent enfin jouer après ces mois d’arrêt, a manqué de ce contact avec le public vital pour le théâtre. Car à ce jeu très particulier qu’Adeline Rosenstein demande à ses acteurs, où ils ne jouent pas des personnages, mais les figurent, à rebours des conventions naturalistes, ces comédiens sont remarquables de précision et de présence : ce sont eux qui, au fil du temps, peuvent donner à ce laboratoire toute sa dimension théâtrale. En attendant, Théâtre enfin ! se poursuit avec, au programme, des créations en souffrance depuis des mois : L’Absence de père, d’après Platonov, de Tchekhov, par Lorraine de Sagazan ; Susan, sur la figure de Susan Sontag, par Alix Riemer ; ou Toute la vérité, par Adrien Béal et son Théâtre déplié. Déplier le théâtre après des mois de repli, c’est tout ce que les spectateurs demandent. Théâtre enfin !, festival du Théâtre Dijon-Bourgogne (Côte-d’Or), jusqu’au 2 juillet. De 5,50 € à 12 € par spectacle. Tdb-cdn.com Fabienne Darge(Dijon, envoyée spéciale)
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May 24, 2021 6:20 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 24 mai 2021 Légende photo Scène de "Gilles ; qu'est ce qu'un samouraï" © Loic Nys En signant « Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? », Margaux Eskenazi raconte comment, après l’avoir perdue pour cause de pandémie, elle a retrouvé foi dans le théâtre grace à une conférence de Gilles Deleuze sur l’acte de création et à l’une de ses références : « Les sept samouraïs », le grand film d’Akira Kurosawa. Excitant. Alors que continuaient à tourner les deux spectacles de son diptyque « Écrire en pays dominé », Nous sommes de ceux qui se disent à l’ombre (lire ici) , Et le cœur fume encore (lire ici), alors qu’elle poursuivait son partenariat avec le Collectif 12 à Mantes la Jolie, nouait de nouvelle relations avec Julie Déliquet au TGP de Saint Denis et Jean Bellorini au TNP de Villeurbanne, Margaux Eskenazi, à la tête de la compagnie Nova, a connu comme un arrêt cardiaque de son élan créatif avec la crise de du Covid et les confinements qui s’en suivirent. Tournées interrompues bien sûr mais surtout pannes sèche. Comment rebondir ? Où aller ? Que faire ? Que dire ? « Je me suis rendu compte que je n’y croyais plus » » dit-elle au début du spectacle qui allait s’en suivre. Elle a appelé cette dépression créative, non sans humour, « une crise de foi ». Sa foi dans le théâtre qu’elle croyait être le pivot de sa vie d’artiste. Alors, miraculeusement, elle s’est souvenue d’une conférence de Gilles Deleuze donnée à la Femis le 17 mai 1987, soit « 33 ans jour pour jour avant le début du premier confinement », précise-telle. Comme un signe du destin ? Cette conférence (on peut la visionner sur Internet https://www.youtube.com/watch?v=2OyuMJMrCRw ou la lire dans Deux régimes de fous et autres textes, éditions de minuit), elle n’allait pas tarder à la surnommer « la sauveuse de foi ». Et pour cause : elle est la base (ou la bouée) de ce qui allait devenir Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? Un spectacle sur le pouce, urgent, un pas de côté salutaire, un ressaisissement personnel, scénique et ludique, un acte de foi dans le théâtre par des chemins détournés. Sur la vidéo, on voit Gilles Deleuze assis à une petite table ou trônent une bouteille d’eau et son inséparable verre, il n’ y touchera pas. Sous ses coudes, une feuille de papier, il ne la regardera pas. Deleuze parle, pense à voix haute. On ne voit rien de cela dans le spectacle constamment debout. Margaux Eskenazi a tout retranscrit avec les silences, les reprises, les mots en partie mangés. Et c’est là la belle étrangeté du spectacle : c’est en écoutant « Gilles » parler du travail, de la démarche de cinéastes, que Margaux va retrouver le chemin du théâtre qu’elle croyait, en elle, perdu. Car c’est d’abord de l’acte de création dont parle Deleuze. Écoutant, réécoutant sa conférence, c’est à elle que « Gilles » semble s’adresser en disant : « Il faut qu’il y ait une nécessité sinon il n’y a rien du tout. Un créateur c’est pas un être qui travaille pour le plaisir. Un créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin ». Margaux Eskenazi avait besoin de faire ce spectacle pour y voir clair, recharger ses batteries, retrouver le plaisir du jeu, avancer. Le philosophe, l’ami de Serge Daney, l’auteur, entre autres, de L’image-mouvement et L’image-temps ou de La logique du sens (éditions de minuit), évoque des cinéastes aimés. A propos d’Akira Kurosawa, il parle de son « espèce de familiarité avec Shakespeare et avec Dostoïevski » et s’attarde sur Les sept Samouraïs. Là, Margaux Eskenazi a l’intuition de tenir quelque chose. Ce qui est aussi beau et fort dans ce spectacle, c’est qu’il donne à voir son processus de production, que ce dernier en fait partie. On y perçoit « les petits morceaux dont la connexion n’est pas prédéterminée » dont parle Deleuze à propos de Bresson. « Gilles » parle aussi de la « rencontre » , de « l’affaire commune » entre Kurosawa et Dostoïevski. Le spectacle, lui, parle de la rencontre, de l’affaire commune entre Margaux et Gilles sous le regard des Sept samouraïs, film fleuve du japonais. Elle partage le plateau avec deux artistes de bonne compagnie : un musicien, le guitariste Jonathan Martin et un acteur, partenaire complice, Lazare Herson-Macarel. Entre l’actrice et l’acteur circule la parole de Gilles Deleuze et ils se refilent ses lunettes. Certaines scènes du film de Kurosawa sont projetées sur un rideau de bambous et l’espace (Julie Boillot-Savarin) est constitué de petits morceaux empruntés au film tels cet étendard qui en est un leitmotiv, les fleurs de cerisier, une corde, le sabre et la tenue du samouraï. Deleuze dit que tous les films de Kurosawa mettent en scène des personnages « dans des situations impossibles ». Les samouraïs du film sont des êtres en quête d’identité et Margaux Eskenazi avait perdu la sienne. « Nous autres samouraïs, qu’est ce que nous sommes ? » demande leur chef à la fin du film, une fois le village débarrassé des bandits qui l’assaillaient et tuaient à tour de bras comme le Covid. « Je crois que c’est cette question qui m’a interpellée. Je me sentais comme un samouraï qui se demande à quoi il sert en temps de crise » dit Margaux Eskenazi Laquelle, par ailleurs, n’élude pas ce moment de cette conférence à entrées multiples où Gilles Deleuze évoque « les sociétés de contrôle » dans lesquelles on entrait il y a trente trois ans et dans lesquelles nous sommes désormais, ou quand « Gilles » parle de « l’affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance ». Margaux enfonce le clou en citant Villon (La ballade des pendus). Quel dialogue ! Tendu et coupant comme la lame du sabre d’un samouraï sortant lentement de son fourreau. Ce spectacle a été créé brièvement (quatre représentations) ces jours-ci à Lilas en scène, structure qui a, de bout en bout, accompagné la naissance de Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? Spectacle né à chaud, sans plan d’avenir, ni tournée à la clef, comme une nécessité. Il serait urgent et opportun de le programmer en marge et en contrepoint des programmations déjà établies, allant de report en report et mainte fois remaniées.
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May 24, 2021 8:54 AM
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Par Caroline Broué dans le site de son émission "Les bonnes choses" sur France Culture 23 mai 2021 A l’occasion de la tournée de « La Cuisine des auteurs », un seul en scène en caravane et en plein air, avec lectures de textes gastronomes de grands auteurs français, de Dumas à Molière, de Théophile Gautier à Colette, et préparation de repas à partager, nous recevons le comédien Jérôme Pouly.
Ecouter l'entretien avec Jérôme Pouly (30 mn) Comédien, sociétaire de la Comédie-Française, Jérôme Pouly sillonne la France pour présenter son spectacle gastronomico-littéraire "La cuisine des auteurs", qui allie amour des mots et amour de la table. En cette semaine de réouverture des lieux culturels et des terrasses des restaurants, il vient nous proposer une mise en bouche de ce seul-en-scène gourmand. Manger est un rituel sublime qui développe l'esprit, l'art de la parole. À table, on parle, on discute, on débat, et le goût des mets s'allie au goût des mots. Faut-il s’indigner ? Faut-il prendre des airs scandalisés et vitupérer contre cet appétit formidable de nos ancêtres ? Je n'aurais garde d'aller jusqu'à soutenir que le plaisir de la table est le plaisir des dieux (on dit cela de tous les plaisirs), mais avouons que c'est un plaisir tout de même. Il nous paraît médiocre, parce que nous ne savons plus manger ; il était précieux à nos pères dont l'estomac était complaisant. Et si leurs excès sont pour quelque chose dans la tendance déplorable qu'ont nos artères à se durcir plus vite que de raison, pardonnons-leur car de la table, où ils aimaient faire de longues séances, est né cet art charmant, cet art exquis de la conversation, qui se perd, hélas de plus en plus !Alors : «Pardonnons à nos ancêtres d'avoir beaucoup mangé... parce qu'ils ont beaucoup causé ! » (GRIMOD DE LA REYNIÈRE). Vous voulez savoir pourquoi je fais la cuisine ? Parce que j’aime beaucoup ça. Je n’ai pas du tout la prétention de faire une cuisine extrêmement raffinée…je fais une très bonne cuisine mais c’est tout…Ça s’arrête là…(MARGUERITE DURAS) Et ça je ne le fais que pour les plus chères de mes amis et jamais seule…Jamais en aucun cas on ne doit faire la cuisine pour soit seule parce que je pense que c’est le chemin qui mène vers l’installation définitive du désespoir. (COLETTE). Plus que l’art d’être gourmand, c’est l’art de manger ensemble qui m’intéresse, parce qu’il participe de l’utopie républicaine et sociale. (SAND). Ce personnage rabelaisien que j'incarne me correspond complètement. J'ai deux passions : le théâtre et la cuisine. Et j'ai une autre passion, qui relie les deux : le partage. Je me suis donc demandé comment réunir ces deux choses et je suis retombé sur le dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas. C'est incroyable de voir comme le XIXe siècle regorge d'hommes pantagruéliques comme Dumas, Hugo, Balzac, Zola, Théophile Gautier... J'ai donc découvert toute une richesse littéraire autour de la gastronomie et au fil de mes lectures, j'ai créé ce spectacle. Je fais partie d'une famille de gourmands. Les plaisirs de la table sont les plaisirs des dieux. C'est un plaisir qui nous parait médiocre aujourd'hui, car nous ne savons plus manger. Mais autrefois, les assiettes de nos ancêtres nous montraient de drôles de choses, étonnantes, amusantes, et nous en apprenaient de belles sur les maniaques de la fourchette. Aujourd'hui, malheureusement, nous nous reposons sur la nourriture surgelée des hypermarchés, même si les choses commencent à changer doucement. Jérôme Pouly La cuisine des auteurs" est joué en plein air. "Crédits : Julien Simon Pour aller plus loin : Les dates de tournée confirmées (liste non-exhaustive) : PEZENAS (34) - samedi 5 et dimanche 6 juin / PEYMEINADE (06) - vendredi 11 et samedi 12 juin / CHÂTEAUNEUF-DU-PAPE (84) - mardi 15 juin / ARGENCES-EN-AUBRAC (12) - samedi 19 juin / NABIRAT (24) - samedi 26 juin / CHAMPCEVINEL (24) - mercredi 30 juin / Communauté de Communes de l'Estuaire (33) - samedi 3 juillet / CASSENEUIL (47) - vendredi 9 et samedi 10 juillet / TREILLES (11) - vendredi 23 juillet / FIGEAC (46) - samedi 31 juillet et lundi 2 août / AX-LES-THERMES (09) - vendredi 3 septembre
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May 24, 2021 3:56 AM
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Par Marie-José Sirach dasn L'Humanité - 22 mai 2021 Les intermittents ont quitté le théâtre de l'Odéon après deux mois d'occupation. Depuis le 4 mars, un mouvement d’occupation des théâtres, inédit par sa durée et son ampleur, a alerté sur les menaces qui pèsent sur ces travailleurs du spectacle et l’emploi. Mercredi 19 mai, théâtres et salles de concerts ont rouvert leurs portes pour accueillir à nouveau du public. Le secrétaire de la CGT spectacle explique les conditions de la reprise. ENTRETIEN. Les ministres de la Culture et du Travail se réjouissent des mesures annoncées pour les intermittents : prolongation de l’année blanche jusqu’à décembre assortie de filets de sécurité ; mesures pour les jeunes entrants… Pour vous, le compte n’y est toujours pas ? DENIS GRAVOUIL Une partie des annonces montre que la lutte est utile mais le compte n’y est pas pour tout le monde : celles et ceux qui ont le plus perdu sont les moins bien traités. Nous demandions un plan de reprise de l’emploi pour ceux qui ont le moins travaillé mais les 30 millions d’euros annoncés – et que nous demandions – correspondent à 2 ou 3 cachets en moyenne par personne. Quant aux aides accordées pour les plus jeunes, sur les 40 millions annoncés, 18 millions seront affectés à l’assurance-chômage et pas à l’emploi. Le reste, c’est de la com sur des emplois aidés inadaptés à nos secteurs. Pour ce qui est de l’accès aux congés maladie et maternité, le gouvernement annonce un décret pour cet été, c’est gagné pour toutes les professions. Mais ce décret est rétroactif uniquement pour les intermittents, pas pour les intérimaires ou saisonniers… Quelle mesquinerie ! Estimez-vous que ces mesures sont moindres que les préconisations contenues dans le rapport Gauron, remis au gouvernement le 21 avril ? DENIS GRAVOUIL L’option retenue permet de maintenir des droits jusqu’au 31 décembre 2021, puis de rattraper sur douze mois. C’est un acquis, mais encore une fois celles et ceux qui ont été plus empêchés de travailler connaîtront une baisse de droits. Et Gauron lui-même dit qu’il faut un vigoureux plan de reprise pour contrer cet effet (retrouvez ici le rapport Gauron). Le gouvernement a eu peur du mouvement d’occupation mais la ministre du Travail justifie de ne pas en faire plus, par « équité » avec la réforme de l’assurance-chômage qui va saccager les droits au régime général. Lors de vos échanges avec les deux ministres, que vous êtes-vous dit sur le dossier de la réforme d’assurance-chômage ? DENIS GRAVOUIL La ministre du Travail s’est livrée à une véritable provocation sur sa réforme, dont nous demandons l’annulation. Les intermittents du spectacle peuvent avoir le sentiment d’être de nouveau en sursis d’ici à 2022, jusqu’à la prochaine négociation. La ministre du Travail affirme que les intermittents sont sauvés, qu’on ne peut pas faire plus, que c’est une question d’équité avec les autres chômeurs. Mme Borne adopte la rhétorique du Medef, considérant que les annexes 8 et 10 dont nous dépendons sont des « subventions culturelles ». Depuis le 4 mars, une centaine de théâtres dans toute la France ont été occupés. Le 19 mai, les théâtres vont rouvrir. Que va-t-il se passer ? DENIS GRAVOUIL La tactique du gouvernement consiste à diviser, à nous diviser entre spectacle et autres métiers unis dans la lutte. C’est la politique de la carotte et du bâton, avec quelques mesures annoncées et le maintien de la réforme d’assurance-chômage. Le gouvernement ne veut pas d’occupations mais nous sommes décidés à poursuivre la lutte. Nous ne voulons pas empêcher les spectacles de jouer ni le public d’y assister. Mais nous voulons rencontrer le public. Que ce soit à l’Odéon ou ailleurs. Des directeurs ont signé l’appel à soutien lancé par Robin Renucci, mais tous n’ont pas le même point de vue sur l’engagement. Peut-on faire un théâtre déconnecté des réalités sociales ?
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May 23, 2021 1:11 PM
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par Charles Delouche-Bertolasi et photos Stéphane Lagoutte. Myop - Publié dans Libération le 23 mai 2021 Après avoir quitté l’Odéon qu’ils occupaient depuis plus de deux mois, les intermittents du spectacle ont établi leur nouveau camp au CentQuatre, dans le XIXe arrondissement de Paris. Un nouveau lieu pour continuer à protester. Les anciens occupants du théâtre de l'Odéon ont quitté le VIe arrondissement pour s'installer au CentQuatre. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération) Les grilles n’auront pas résisté longtemps. Face à la détermination des intermittents réunis dimanche après-midi face au CentQuatre, la poignée d’agents de sécurité a vite été dépassée, laissant une quarantaine de personnes investir le lieu. Ce centre culturel emblématique du XIXe arrondissement a été choisi par le collectif d’intermittents qui occupaient jusqu’à cette nuit l’Odéon, situé à quelques kilomètres plus au sud dans le VIe arrondissement. Après plus de quatre-vingts jours dans ce théâtre national, ils se sont mis en route vers le nord-est de Paris. Ils ont quitté le théâtre de l'Odéon à l'aube et se sont installés dans les locaux du 104 avec toutes leurs affaires. Banderoles, affiches, peintures sont entassés dans un coin, sous la grande verrière qui surplombe une des gigantesques halles du CentQuatre. Accrochés aux monumentales poutres, un drap rouge marqué des lettres capitales blanches «OQP». Il masque les dizaines de cabas entassés dans lesquels ont été fourrées à la hâte les affaires accumulées depuis des jours au théâtre de l’Odéon. Au milieu des oreillers et des caisses de vivres, on distingue une batterie démontée. C’est celle de Rafaël, 40 ans, un musicien qui fait partie du groupe ayant investi le CentQuatre. «Si tous ceux qui sont venus nous soutenir au cours des dernières semaines à l’Odéon venaient ici aujourd’hui, on serait facilement 500», jure l’homme emmitouflé dans son manteau bleu, masque en tissu sur la bouche, bardé d’une inscription «Culture en danger». «Le déménagement a été monstrueux, raconte-t-il. On s’est tous réveillés à trois heures du matin et on a rangé, fait les poussières etc. On a rendu le lieu plus propre qu’avant.» Pour lui, s’installer au CentQuatre permet de continuer à «se faire entendre et à avoir de la visibilité» : «Lorsqu’on est arrivé le 4 mars à l’Odéon, jamais nous n’avions imaginé y rester deux mois et demi. Si ça se trouve aujourd’hui, c’est le début de quelque chose d’autre.» «La porte était ouverte, alors on s’est infiltrés, raconte de son côté Léna, 24 ans et coordinatrice de production dans l’audiovisuel. Au début les agents de la Brigade anticriminalité qui étaient présents devant les grilles ont été un peu violents mais très vite, la direction du CentQuatre les a fait partir. C’est un lieu qui est implanté dans le XIXe, un quartier familial avec toutes les classes sociales.» Pour elle comme pour beaucoup d’autres, la pandémie a considérablement ralenti son activité professionnelle. «Je ne vis qu’avec mon chômage, le strict minimum. M’impliquer dans ce projet est la meilleure chose que je peux faire de mon temps. Ici, nous n’avons aucunement l’intention de bloquer les expositions, rappelle-t-elle. L’intérêt est d’avoir pour nous un espace pour communiquer avec le public et sensibiliser les gens autour de nos revendications.» La banderole «Odéon Occupé» trône désormais dans une petite cour du bâtiment, où se tient la première assemblée générale des intermittents alors qu’artistes et autres riverains profitent des espaces d’exposition et de répétition toujours accessibles. Les agents de sécurité sont calmes et certains profitent des rares rayons de soleil qui percent à travers les vitres. Alors que les intermittents échangent, dans une seconde halle du complexe, un vaccinodrome accueille les candidats à la piqûre anti-Covid. «La lutte continue» Flô, 39 ans, a passé onze nuits à l’Odéon et profite d’un café chaud face aux banderoles alignées. «On s’adresse aux gens précaires en luttant contre la réforme de l’assurance chômage. Les gens qui fréquentent ce lieu sont les premiers concernés, explique cette comédienne et musicienne, membre de la compagnie Jolie Môme basée au théâtre la Belle Etoile à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Nous avons la chance de pouvoir continuer à répéter. Nous ne sommes pas comme toutes les petites compagnies ou les extras de l’hôtellerie qui n’ont pas pu travailler depuis des mois. On parle de réouverture, mais ce n’est pas pour autant la reprise du travail pour tout le monde.» Fatigués par plus de deux mois d'occupation à l'Odéon, les intermittents sont à la recherche de moyens pour faire durer leur lutte sans nuire aux représentations, qui sont de nouveau autorisées depuis mercredi. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération) En plus du retrait de la réforme de l’assurance chômage, le collectif demande un plan de reprise pour l’aide à l’emploi. Ils demandent une prolongation d’un an de l’année blanche après une reprise totale d’activité. «La prolongation de quatre mois décidée par le gouvernement ne résoudra rien», assure Flô. Au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme qui devrait entrer partiellement en vigueur en juin prochain, tous refusent d’abandonner la lutte. Pour Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT spectacles et membre de la direction confédérale de la CGT en charge du dossier de l’assurance chômage, quitter l’Odéon et occuper le CentQuatre doit permettre «de continuer sur la durée pour trouver une solution à la situation des intermittents». «Des actions s’organisent et des rassemblements auront lieu vendredi», assure celui qui est également chef opérateur prise de vues. «La direction de l’Odéon ne voulait ni nous expulser ni accepter une forme d’occupation plus légère. Jamais nous n’avons empêché la tenue des spectacles, cela a été leur choix d’annuler la reprise, assure Denis Gravouil. En partant, on leur permet de reprendre leur activité mais il faut que la lutte continue.»
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May 22, 2021 2:38 PM
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Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 22 mai 2021 « Le Viol de Lucrèce », de Benjamin Britten, mis en scène par Jeanne Candel aux Bouffes du Nord, à Paris. STUDIO J’ADORE CE QUE VOUS FAITES !/ONP Les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris ont marqué la fin du confinement avec une nouvelle production de l’opéra de chambre de Britten, mise en scène par Jeanne Candel. Le Théâtre des Bouffes du Nord recevait enfin, mercredi 19 mai, avec le déconfinement, sa quote-part de public. Mais la tension était plutôt sur le plateau, qui accueillait une nouvelle production du Viol de Lucrèce, de Benjamin Britten, opéra de chambre pour huit chanteurs et treize instrumentistes, mis en scène par Jeanne Candel pour les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris. Une première publique pour la maison d’opéra parisienne depuis octobre 2020. La trame du livret a été filée par Ronald Duncan – l’élément textile en est consubstantiel, qui fournit métaphores et éléments pragmatiques. Elle repose sur une pièce d’André Obey (1892-1975) d’après le drame de Shakespeare, lui-même tiré de l’histoire antique de Rome (509 avant J.-C.) : la chute de la chaste Lucrèce, épouse fidèle de Collatinus, déshonorée par Tarquinius, le fils du roi Tarquin, entraînera celle de la monarchie étrusque et l’instauration de la République romaine. Lire aussi : « Le Viol de Lucrèce », de Britten, à l’Opéra-Comique Créée en 1946 au Festival de Glyndebourne au lendemain du second conflit mondial, avec la jeune Kathleen Ferrier dans le rôle de Lucretia, l’œuvre embrasse les thèmes chers à Britten le pacifiste. La dénonciation des violences liées à la guerre, certes, mais aussi la corruption de l’innocence et le rejet de l’étranger. Le compositeur a également tenu à replacer la tragédie dans une acception christique faite d’espoir et de salvation. En sacrifiant sa vie à la vertu, la douce Lucrèce rachète, tel le Christ, outrages et péchés des hommes. Symboles simples et bienvenus Jeanne Candel a dressé l’écran d’un immense châle bleu entre le proscenium et les musiciens en fond de scène, à jardin – seul le piano est à cour. Entre ses rets, quelques fils d’or noués, des rapiècements de cordes de pêche, et de prémonitoires déchirures annonciatrices de tragédie, tandis que Lucrèce et ses servantes filent et tissent, évoquant des figures telles Ariane et Pénélope. Quelques lampes, du vin en jerrican et des accessoires usuels ont marqué le retour des soldats en treillis au campement. Enivrés de combat, de sang et de haine contre les femmes inconstantes. Une seule n’a pas failli : Lucrèce. Le bonheur de son mari attise la jalousie des deux autres, la rancœur de Junius le cocu, le désir de Tarquinius, que n’excitent plus les putains. Entre élégie et poème épique – une langue magnifique –, musique épurée et suggestive, le drame file son train tandis que le violeur fend la nuit tel un ouragan. Sur le plateau, le voile bleu s’est affalé, dévoilant un immense métier à tisser – c’est derrière ce paravent de fils épars que se déroulera le viol. Une direction d’acteurs précise et sensible, quelques symboles simples mais bienvenus, comme cette longue robe virginale tachée de sang ou cette sombre tenue de pleureuse que porte la femme qui représente le Chœur féminin, voile noir et robe de deuil. Jeunes, audacieux, impatients, les chanteurs ont visiblement (et audiblement) envie d’en découdre Jeunes, audacieux, impatients, les chanteurs ont visiblement (et audiblement) envie d’en découdre. A commencer par les trois hommes de guerre. Si le Collatinus de Niall Anderson semble vouloir garder une certaine équanimité dans le malheur, le Junius impulsif et rageur de Danylo Matviienko et plus encore le fiévreux et sauvage Tarquinius de Timothée Varon oublient parfois que l’exiguïté acoustique des lieux entraîne la saturation. Rien de tel avec la digne Lucretia de Ramya Roy, beau timbre sombre d’une grande densité dans le grave, la Bianca de Cornelia Oncioiu, mezzo de caractère au timbre chaud et expressif ou la Lucia fraîche et enjouée de Kseniia Proshina déploie son soprano lumineux en volutes d’aigus, comme inconsciente du malheur qui guette. Ce sont cependant les deux voix solistes que Britten a confiées au Chœur masculin et au Chœur féminin qui impressionnent. Très investi, le ténor ductile, à la fois rêveur et fougueux, de Kiup Lee se plie aux multiples exigences de la partition, tandis que le soprano ferme et rond d’Alexandra Flood déploie une ligne de chant impeccable avec des accents particulièrement touchants dans les parties « religieuses ». Sous la direction concentrée de Léo Warynski, les musiciens ont servi avec talent (la harpe d’Odile Foulliaron, le cor anglais d’Ariane Baquet) cette partition singulière et attachante, empreinte de beauté. Le Viol de Lucrèce, de Benjamin Britten. Avec Kiup Lee, Alexandra Flood, Ramya Roy, Timothée Varon, Niall Anderson, Danylo Matviienko, Cornelia Oncioiu, Kseniia Proshina, Jeanne Candel (mise en scène), musiciens de l’Ensemble Multilatérale, de l’Académie de l’Opéra de Paris, de l’orchestre Ostinato, Léo Warynski (direction). Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e. Jusqu’au 29 mai. Tél. : 01-46-07-34-50. Retransmission en accès gratuit sur la plate-forme L’opéra chez soi à partir du 10 septembre. Marie-Aude Roux
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May 21, 2021 2:01 PM
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Par Baudouin Eschapasse dans Le Point 21 mai 2021 L'absence de public pendant le confinement a permis de filmer autrement le théâtre en plaçant les caméras directement sur la scène.© DR Dans un film-documentaire décoiffant, Denis Podalydès et Jacques Weber font souffler un vent de folie sur les répétitions du « Misanthrope ». Le théâtre de l'Atelier fait le show à la télé. Sans attendre sa réouverture, le 10 juin, avec un classique d'Alexandre Dumas (adapté par Jean-Paul Sartre), Kean, mis en scène par Alain Sachs, cette salle est le cadre, ce soir, d'un drôle de spectacle*, diffusé sur France 5. Dans un film-documentaire original, Denis Podalydès et Jacques Weber y proposent une master class décoiffante. À la faveur de trois journées de répétitions fantaisistes de l'introduction du Misanthrope, les deux comédiens échangent sur leur métier et se lancent des défis de mise en scène. Interprétant à tour de rôle les personnages d'Alceste et de Philinte, ils poussent loin la réflexion sur l'incarnation théâtrale. La première scène de l'acte I de cette pièce de Molière dure traditionnellement entre 6 et 8 minutes. En la revisitant à de multiples reprises, s'interrogeant sur les enjeux que pose chaque réplique, les deux acteurs l'étirent jusqu'à former un long-métrage d'un peu moins d'une heure trente. Ce faisant, ces bêtes de scène montrent au public le nombre infini de variations possibles autour du texte. « L'acte I, scène 1 du Misanthrope est une pièce en soi, un sommet de profondeur. Quand Philinte lance sa première réplique, “Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ?”, c'est tout un monde qui se déploie devant nous. Nous ne faisons rien d'autre que de montrer ce qu'est l'antichambre de la création théâtrale : un lieu traversé par le vide, le secret, la sourdine, le danger », explique Jacques Weber à l'origine du projet. Jouer à tout prix L'idée de ce film lui est venue au moment du premier confinement. En mars 2020, il s'apprête à jouer Crises de nerfs, trois farces de Tchekhov mises en scène par Peter Stein, au théâtre de l'Atelier à Paris quand l'annulation des représentations le laisse désemparé. « Je n'aime pas rester désœuvré. En voyant la salle vide et le plateau nu, je me suis demandé ce que je pourrais faire pour continuer à jouer. Et je me suis souvenu de Vanya, 42e Rue, le dernier film de Louis Malle où, dans un théâtre abandonné, des comédiens répètent Oncle Vania. J'ai aussi repensé au Don Juan filmé par Marcel Bluwal, avec Michel Piccoli, qui était dans le même esprit. » Jacques Weber se tourne vers France Télévisions pour proposer à l'une des chaînes publiques une déclinaison de ces œuvres. Il a alors en tête de mettre en avant des auteurs « grand public » : Labiche, Courteline, Feydeau… « J'ai été surpris de voir Michel Field (directeur du pôle culture de France Télévisions, NDLR) me suggérer de monter plutôt des pièces du répertoire plus exigeantes », confie le comédien. « Je lui ai surtout dit de ne pas se soucier de l'audience. De temps en temps, il est bon que le service public s'affranchisse de cette obsession du petit écran pour les chiffres », complète l'homme de télévision. Un projet ambitieux… En filmant des répétitions, sans décor, avec une simple table et deux chaises, le projet de Jacques Weber est, dit-il, « de renouer avec l'audace des réalisateurs de la grande époque des studios des Buttes-Chaumont où, entre deux cours au conservatoire, une petite troupe s'amusait à concevoir, avec des bouts de ficelle, de grandes fresques historiques et populaires de la télévision d'alors ». Lorsqu'il propose à Denis Podalydès de travailler avec lui sur ce projet, le sociétaire de la Comédie-Française saute à pieds joints. « Comment aurais-je pu dire non à Jacques ? Il y avait dans son idée une ambition qui me plaisait », émet l'acteur. Cette ambition mène loin les deux compères lorsqu'ils se plongent dans l'œuvre de Molière. S'amusant à donner des versions hardies du texte du Misanthrope, les deux acteurs n'hésitent pas à expérimenter des choses, a priori, incongrues. Comme pris d'un grain de folie, ils imaginent ainsi ce qu'aurait donné le spectacle à l'époque préhistorique. Vêtus de peaux de bêtes, ils tentent alors une version « guerre du feu » de la scène, remplaçant les dialogues par des grognements et démontrant ainsi l'intemporalité de la situation décrite. « Il ne faut pas avoir peur du ridicule quand on fait notre métier. Il faut aussi que le spectateur sente que nous prenons plaisir à jouer, au sens enfantin du terme, pour que la magie du théâtre opère », avance Denis Podalydès, tandis que Jacques Weber ne cesse de rire dans son dos en préparant la scène suivante. Fous rires Les deux comédiens semblent prendre un plaisir non feint à pasticher une version beckettienne, puis chaplinesque de la même scène, donnant à percevoir deux facettes opposées du texte. Les dialogues s'emplissent d'une tonalité absurde dans le premier cas et les pantomimes confèrent une forme burlesque dans le second. La veille, ils l'interprétaient de manière plus classique, en costume, avec Stéphane Caillard. « Où aurait-on pu jouer ailleurs, cette forme d'atelier créatif qu'au théâtre de l'Atelier ? » glisse Marc Lesage, directeur du théâtre fondé par Charles Dullin qui, lui aussi, voulait « faire entendre de mille et une manières les textes classiques ». Insolite, le film qui en résulte est aussi une prouesse technique puisqu'il a été tourné en trois jours seulement, entre les 19 et 21 avril derniers. Cet objet télévisuel inclassable s'inscrit comme la suite de l'Atelier Vania que France Télévisions avait programmé le mois dernier. Et où neuf comédiens parmi lesquels François Morel, François Marthouret, Audrey Bonnet et Catherine Ferran (entre autres) jouaient Oncle Vania de Tchekhov. Loin d'être une simple captation d'une répétition, ce long-métrage coréalisé par Jacques Weber et Serge Khalfon renouvelle en profondeur la manière de filmer le théâtre. « Si nous devons tirer une chose positive de cette pandémie, ce sera celle-là : le confinement nous aura donné la possibilité d'envisager de manière radicalement nouvelle la relation entre la scène et le petit écran. Sans public, nous avons pu mettre des caméras au plus près des comédiens. La miniaturisation des appareils nous a aussi donné une souplesse que nous n'avions pas il y a encore cinq ans », poursuit Michel Field. Lequel envisage de diffuser l'intégralité des répétitions filmées dans une version longue sur Culture Box. « Nous pourrions envisager une nuit entière, car chaque moment filmé a eu un intérêt. Il n'y a rien à jeter quand deux monstres sacrés comme Denis Podalydès et Jacques Weber parlent de leur passion pour le théâtre », conclut-il. *Atelier Misanthrope, d'après Molière (Magneto production) sera diffusé sur France 5, le 21 mai, à 20 h 55. Puis sur le site de France Télévisions et sur Culture Box en replay. Un atelier Cyrano, d'après Edmond Rostand sera diffusé à l'automne prochain sur la même chaîne.
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Le spectateur de Belleville
May 20, 2021 3:54 AM
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Par Laurent Carpentier dans Le Monde - 20 mai 2021 Stéphane Braunschweig a décidé de ne pas ouvrir au public tant que le lieu reste occupé la nuit par les militants qui, au-delà des revendications pour les intermittents, s’opposent à la réforme de l’assurance-chômage.
Occupation de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, 27 mars 2021. STEPHANE DE SAKUTIN/AFP Stéphane Braunschweig, le directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, nous reçoit sous les cintres, derrière la scène et le décor sur lesquels le rideau ne se lèvera finalement pas. La Ménagerie de verre, de Tennessee Williams, mise en scène par Ivo van Hove, avec Isabelle Huppert, dont la reprise post-pandémie avait pourtant été annoncée dès le mercredi 19 mai, a été annulée jusqu’à nouvel ordre. La faute aux intermittents et aux militants de la CGT qui occupent le théâtre et refusent de quitter les lieux, plaide le directeur. « Ne nous faites pas porter le chapeau ! », s’étranglent ceux-ci. Ils ont promis de laisser les spectacles avoir lieu, moyennant trois points non négociables : la continuation de l’occupation jour et nuit, garder leur visibilité sur la façade, et une intervention sur scène en préambule des spectacles. Entre la direction et ses occupants, après quinze jours de discussions, mardi 18, la négociation a été rompue. Assis sur une chaise pliante, épaules tombantes, Stéphane Braunschweig n’en peut visiblement plus : « Je comprends leurs revendications. Je leur ai proposé une occupation diurne, de garder les banderoles sur la façade, de leur céder un lieu qui leur permette d’exister. Lundi, on n’était pas loin de trouver un accord. Mais je ne peux les laisser occuper le théâtre la nuit. C’est aussi simple que ça. Je suis responsable d’un bâtiment public. Il est temps de revenir dans la légalité. » Deux mois et demi de lutte Discours inverse sous les arcades du théâtre, où Denis Gravouil, le secrétaire général de la CGT-Spectacle, tient une conférence de presse : « Nous avons fait énormément de concessions pour garantir que le spectacle puisse se tenir sans difficultés. Ce n’est pas nous qui interdisons la représentation. Mais nous savons que si on ne dort pas là, ils enlèveront les banderoles, ils ne nous laisseront pas continuer les forums [que les occupants mènent depuis le balcon avec les sympathisants sur la place du théâtre], nous n’avons plus confiance. » Dialogue de sourds. Denis Gravouil, de la CGT-Spectacle : « 11 milliards d’euros pour la culture, 140 millions encore hier, oui, mais aucune de ces aides n’est fléchée vers l’emploi… » En remontant la rue de l’Odéon, le théâtre offre, depuis le 4 mars, un visage aux relents de révolte utopiste avec ses grandes banderoles dégoulinant de la terrasse. Les « Culture sacrifiée », « Réouverture : la grande comédie », et autres « Soutien au peuple palestinien » y ont remplacé les traditionnels programmes de la saison. Deux mois et demi de lutte. « On a voulu nous réduire à une demande de réouverture », mais ce n’était là qu’une partie des revendications, explique Denis Gravouil à la petite assemblée – « 11 milliards d’euros pour la culture, 140 millions encore hier, oui, mais aucune de ces aides n’est fléchée vers l’emploi… » –, admettant des victoires en demi-teinte (« Droits des intermittents prolongés, oui, mais que jusqu’en décembre ») pour mieux justifier la nécessité de poursuivre le combat, avec appel à la grève le 22 mai et manifestation qui partira à 13 heures de… l’Odéon pour rejoindre le Louvre. « Nous voulons des droits sociaux pour tous et toutes », martèle celui qui est aussi négociateur assurance-chômage pour la centrale syndicale. Car c’est la nouvelle loi dont l’application est attendue au 1er juillet qui est au cœur désormais du conflit. Lire aussi Covid-19 : prolongation des aides pour les intermittents du spectacle « Précarité accrue » Marc Slyper a 73 ans. Casquette vissée sur la tête et foulard rouge, il participe aux négociations avec la direction. « Au moment de la réouverture, faire comme s’il ne s’était rien passé, ce n’est pas possible. La précarité accrue de toute une partie de la population. Les jeunes, les petits lieux, les petites équipes… Ce sont eux qui ne vont pas résister. » Tromboniste klezmer, ex-responsable du syndicat des musiciens, aujourd’hui en « retraite active », Il était déjà là, lycéen, en 1968, et encore là, en 1992, à occuper. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au théâtre, des retrouvailles retardées à travers la France Stéphane Braunschweig, directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe : « Le vrai bras de fer, aujourd’hui, il est avec le gouvernement, pas avec nous » Au début de l’année, c’est lui qui a rappelé à ses camarades la force symbolique de l’Odéon. A juste titre : plus de cent théâtres ont été occupés à sa suite. Et s’ils reconnaissent qu’ils sont moins nombreux et moins suivis qu’au début, les occupants de l’Odéon savent qu’en rendre les clefs serait prendre le risque de voir le château de cartes militant s’effondrer. Déjà, la police est intervenue à Toulouse et à Rennes, les grévistes ont levé le camp ici et là… « Pris en otage, je ne sais pas, mais pris en étau, oui, soupire, amer, Stéphane Braunschweig. Le vrai bras de fer, aujourd’hui, il est avec le gouvernement, pas avec nous. Je ne cherche pas à faire la police. Je n’ai pas envie d’appeler la police. Je suis un artiste. » On sent l’émotion qui perce : « Comment peut-on penser que, moi, j’ai pu vouloir bloquer l’ouverture et la représentation ? Je suis le premier à vouloir jouer. C’est le sens même de mon existence. Je la subis, cette occupation », souligne le directeur qui, dans un texte commun avec Serge Dorny, à l’Opéra de Lyon, Macha Makeïeff, à Marseille, et Muriel Mayette-Holtz, à Nice, a appelé, le 13 mai, à la levée des occupations. « Je ne suis pas là pour faire le service après-vente du gouvernement. Beaucoup de choses ont été données. J’entends que cela puisse paraître insuffisant. Mais ce n’est pas mon sujet. Moi, je veux ouvrir mon théâtre. » Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au théâtre de La Criée, à Marseille, une occupation très politique Laurent Carpentier
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June 1, 2021 5:53 AM
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Par le Monde avec AFP 1er juin 2021 Romain Bouteille, cofondateur du célèbre Café de la Gare à Paris, notamment avec Coluche, est mort lundi 31 mai à l’âge de 84 ans, a annoncé son épouse mardi. Romain Bouteille, cofondateur du célèbre Café de la Gare à Paris, notamment avec Coluche, est mort lundi 31 mai à l’âge de 84 ans, a annoncé son épouse mardi. « Romain s’est éteint hier dans la soirée à l’hôpital de Corbeil-Essonnes. Depuis quelque temps, il avait une insuffisance rénale. C’est une insuffisance respiratoire qui l’a emporté, » a déclaré Saïda Churchill, elle-même comédienne et programmatrice culturelle de la ville d’Etampes (Essonne). Né en 1937, Romain Bouteille fut une figure des débuts du café-théâtre en France. « Ma vocation artistique s’est dessinée vers 1955 sous l’angle : trouver un job qui permette de se lever à n’importe quelle heure et ne suppose ni diplôme, ni réel travail, ni obéissance, » racontait-il en 2005. Le Café de la Gare, « premier et dernier théâtre en anarchie réelle », selon Romain Bouteille, ouvre en juin 1969 dans les locaux d’une ancienne fabrique sise impasse d’Odessa, près de la gare Montparnasse. L’équipe rassemble autour de Romain Bouteille et du jeune Michel Colucci, connu sous le nom de Coluche, une bande d’aspirants comédiens, dont bon nombre connaîtront le succès, à l’image de Miou-Miou ou Patrick Dewaere. Dans les archives du « Monde » : Quand anarchie et dérision avaient un toit, le Café de la Gare Devenu trop petit, le théâtre déménage en 1972 dans un local plus vaste, rue du Temple, dans le quartier du Marais, tout en conservant le nom. Coluche quitte alors le « Café » et dira de Romain Bouteille : « Ce qu’il ne m’a pas appris, je le lui ai piqué. » Le Café de la Gare accueillera aussi les premiers pas sur les planches d’autres figures du spectacle : Gérard Lanvin, Renaud, Anémone, Josiane Balasko ou encore Michel Blanc. Romain Bouteille s’éloigne à son tour au début des années 1990 du Café, et s’installera dans l’Essonne, où il créera, avec son épouse, un théâtre à Etampes : Les Grands Solistes. Vidéo : Les 30 ans du Café de la Gare Le Monde avec AFP Légende photo : Romain Bouteille, le 28 juin 2007. PHOTOPQR/SUD OUEST
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May 31, 2021 4:30 AM
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Par Gérald Rossi dans L'Humanité - Lundi 31 Mai 2021 Avec Je suis encore en vie, Jacques Allaire met en scène un spectacle sans paroles, cruel et envoûtant, sur la douleur universelle des femmes battues à mort.
Les projecteurs se sont rallumés enfin. Les yeux des premiers spectateurs ont brillé à la fois d’impatience et d’émotion. Dans la petite salle perchée sur les hauteurs de la Manufacture des œillets, Je suis encore en vie, spectacle conçu et mis en scène par Jacques Allaire, signe la reprise des activités du centre dramatique national à Ivry-sur-Seine. Hasard des calendriers de déconfinement, la pièce était de longue date programmée en cette fin mai (1). Un peu plus loin, dans le vaste hall d’accueil à l’allure industrielle de l’ancienne fabrique, des cartons peints témoignent de l’occupation des lieux de culture et de préoccupations toujours vives. Ils proclament « Vive la commune », ou encore « Nous sommes la jeunesse en feu ». Le TQI-Manufacture des œillets, animé depuis le début de l’année par Nasser Djemaï, reprend son souffle créateur, se voulant, comme dit d’ailleurs son nouveau directeur, « une fabrique d’engagements, de beauté et de poésie, avec pour mission première la création. Une maison au service des auteurs vivants avec une attention particulière donnée aux auteurs-metteurs en scène ». Comme l’on dit parfois, Jacques Allaire cochait toutes les cases. Et l’on pourrait en ajouter quelques-unes, comme l’ambition de l’intelligence. En résumé, Je suis encore en vie est un spectacle « très librement inspiré de la vie de la poétesse afghane Nadia Anjuman, battue à mort par son mari. Elle avait 24 ans ». Le roman Syngué sabour, d’Atik Rahimi, prix Goncourt en 2008, considéré comme « hymne à la liberté », a aussi servi de trame, sans qu’il ne s’agisse d’une lecture précise de cette œuvre. Pour dénoncer la situation de la femme, soumise à une oppression domestique, religieuse, enfermée dans des schémas de domination machiste, Jacques Allaire, qui joue aussi, avec Anissa Daoud, a choisi, pour crier sa dénonciation sans excuse, sans partage, de créer une pièce vibrante, tapageuse mais muette. Autrement dit sans un mot prononcé sur le plateau, hors quelques chuchotements. Quelques paroles s’échappent des enceintes, chansons, musiques, parfois puissantes, rugissantes, comme le sont les explosions qui déchirent l’air de plus en plus électrique. Bombardements, tirs au sol, on ne sait trop, mais la violence, la barbarie ne font aucun doute. Un combat à l’issue inéluctable Le décor est sommaire, il ne saurait l’être plus. De grands plastiques translucides créent une cloison en fond de scène. Un adhésif blanc délimite l’espace de jeu, comme un marquage au sol dans un gymnase. Une bassine aura, elle, une destination funeste. Pendant une bonne part des 57 minutes du spectacle, l’homme est allongé sur une table basse, avec sur le nez un masque de respirateur artificiel relié à une bouteille d’oxygène. Sa respiration est sonore. Sous le drap blanc qui le recouvre se dessinent les mouvements de sa cage thoracique. Un peu plus tard, toujours sans une parole proférée, l’homme et la femme, presque à égalité de force, vont glisser sur le sol, de tout leur poids, non dans une étreinte charnelle, même si les deux corps, à demi dévêtus, s’entremêlent, mais dans un combat sans merci, dont l’issue semble incertaine, puis inéluctable. L’aboutissement est saisissant, poignant, implacable. Le message ne fait aucun doute. (1) Suite de la tournée en cours d’élaboration.
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May 30, 2021 4:17 PM
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Par Guillaume Lasserre dans son blog Un certain regard sur la culture - 30 mai 2021 A l'occasion du festival « A VIF » initié par le Préau CDN de Normandie–Vire, une demi-douzaine de spectacles se déroulent en milieu scolaire, parmi lesquels « Brulé.e.s » de Tamara Al Saadi qui met en scène l’adolescence, période fondatrice de notre regard sur le monde. La pièce sera jouée deux fois, redistribuant les rôles pour mieux éclairer les ressorts de la stigmatisation sociale. Après une saison pratiquement avortée, le Préau Centre dramatique national de Normandie–Vire a très tôt décidé de sauver le festival « A VIF » en composant l’actuelle édition presque exclusivement en milieu scolaire. C’est ainsi que six des dix spectacles initiaux ont pu être proposés à soixante-cinq classes provenant de quatorze établissements scolaires, répartis sur trois départements normands, la première et unique rencontre avec le théâtre pour ces collégiens cette année. Du nouveau format induisant un nouvel intitulé à chaque édition, l’ex festival Ado (2010 – 2020) souhaitait s’axer sur l’échange et les retrouvailles après l’annulation de l’édition de l’an passé. Le coronavirus n’a rien facilité, bien au contraire. Parmi la programmation maintenue, « Brulé.e.s ». Créé en huis clos au 104 à Paris en février dernier, le nouvel opus de l’autrice et metteuse en scène franco-irakienne Tamara Al Saadi, dont le travail s’articule entre la recherche en sciences sociales et la création théâtrale, fait l’effet d’une bombe dont la déflagration n’en finit pas de se propager tout au long de la pièce. Après avoir bénéficié d’une résidence au collège Victor Hugo à Sourdeval (Manche) en octobre et novembre 2020, la pièce était présentée au collège Val de Vire. « Brulé.e.s » fait le récit de cinq adolescents de quatrième qui, après les cours, se retrouvent enfermés dans leur collège, situé en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Ils y passeront une bonne partie de la nuit. Quatre font partis de la même bande de petits dealers, dominée par Ilham, qui fait régner sa loi, la cinquième, Minah, bouc émissaire de l’école enfermée un peu plus tôt dans les toilettes par d’autres élèves, est inspirée des propres souvenirs et expériences de Tamara Al Saadi. La particularité du dispositif qu’elle met en place oblige les cinq jeunes comédiens à connaitre tous les rôles. Les prénoms des protagonistes sont volontairement neutres afin que chacun puisse les incarner. Au début de la pièce, face au public, ils tirent au sort les personnages qu’ils devront interpréter. Alors qu’ils s’absentent un court instant pour aller se changer, une tragique symphonie des flashs d’infos se met en branle, évoquant des noms surgis du passé, ceux de Zyed et Bouna, respectivement 17 et 15 ans lors de leur mort le 27 octobre 2005[1] à Clichy-sous-Bois, électrocutés alors qu’ils s’étaient réfugiés dans un transformateur électrique pour échapper à la police. Ce drame, suivi trois jours plus tard, par l’envoi d’une grenade lacrymogène dans l’entrée d’une mosquée, marque le début des émeutes de 2005 en France. La situation ne reviendra au calme que le 17 novembre 2005. Elles restent encore aujourd’hui les plus importantes connues dans le pays depuis mai 1968. La relecture de ces évènements dix ans plus tard dans un numéro spécial de la revue Mouvements[2] va être pour l’autrice l’élément déclencheur de la pièce. Scolarisée dans un collège classé en ZEP, elle a partagé le quotidien de ces jeunes des classes populaires, français majoritairement issus de l’immigration. « Place[3] », son précédent spectacle, dans lequel elle raconte la difficulté de se construire en exil, abordait déjà la question de l’assimilation et du racisme ordinaire. Alors que les espoirs d’une prise de conscience et d’une réaction politiques s’évanouissaient peu à peu – qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? –, Tamara Al Saadi a eu envie de traduire cette réalité dans un texte et un dispositif particuliers. « Brulé.e.s » s’est construit à partir d’un travail de recherche mené par l’autrice, combinant des entretiens avec des professeurs, des éducateurs et des classes de quatrième de Seine-Saint-Denis entre autres, et des lectures diverses. Ilham, Malak, Sarab, Raja et Minah évoluent au centre d’une petite salle polyvalente qui, pour quelques jours, devient leur terrain de jeu, leur scène de théâtre. Tout autour, élèves et professeurs forment un public inaccoutumé et attentif. Ils ont pris soin de préparer en amont la pièce et les thèmes qui la traversent. Pour les comédiens, l’espace de jeu est resserré, contraint. Ils sont littéralement enfermés à l’intérieur du rectangle formé par la disposition quadripartite des spectateurs qui se retrouvent ainsi au plus près de l’action. La situation n’en est que plus anxiogène, suffocante parfois. Ils tournent en rond comme des lions en cage. Réunis malgré eux, forcés à cohabiter par enfermement, ils vont modifier leur façon d’appréhender l’autre. Des échanges nouveaux vont se nouer, des alliances se faire puis se défaire, le pouvoir sera remis en cause, les rapports de force inversés, les stéréotypes dénoncés de la misogynie à l’homophobie, au racisme ordinaire, conduisent au refus de subordination. De la chute d’Ilham à la rage destructrice de Minah, aucun ne restera à la place qui lui été assigné initialement. La pièce est composée de trois parties. La première est celle de l’action, depuis le constat d’enfermement dans le collège jusqu’au début d’incendie de celui-ci. La deuxième rejoue la première, à ceci près que les rôles ont été échangés. Dans cette nouvelle distribution choisie par les élèves, la victime devient le bourreau et vice versa. L’idée ici est de questionner les assignations de rôle à l’orée d’une fiction sociale. Le dispositif dédouane les corps en démontrant implacablement qu’il s’agit d’une construction de société. D’autres stéréotypes apparaissent alors dans ce renversement. Tamara Al Saadi construit la dramaturgie du spectacle sur la métaphore d’un régime politique. « Chaque personnage serait l’incarnation d’un rouage de ce système (Ilham - le gouvernement, Sarab - les forces de l’ordre, les guetteurs - la classe populaire et Minah - la classe économique aisée)[4] »précise-t-elle avant d poursuivre : « Ce procédé a pour ambition de décrire les rapports hiérarchiques dans un système politique oppressif, la question des répartitions des ressources, et les mouvements contestataires via les mécanismes de fonctionnement et d’organisation d’un groupe d’adolescents ». L’autrice fait aussi le choix de l’argot qu’elle élève au rang de langue à part entière. Dans « Brulé.e.s », il y a donc un inconnu de taille : le tirage au sort. Les acteurs ne savent jamais à l’avance quel rôle ils vont jouer et sont donc confrontés à une expérience à chaque fois renouvelée. Il existe des dizaines de versions possibles de la pièce. En permutant les genres et les origines, l’histoire rejouée à l’identique ne sera pourtant pas la même. C’est précisément pour cela que Ilham et Sarab sont pris de panique à la fin de la pièce, lorsqu’ils entendent les sirènes des voitures de police se rapprocher. Ils savent qu’ils seront les premiers suspects de l’incendie alors même qu’ils n’y sont pour rien. Le bord plateau avec les élèves est un moment précieux qui continue d’alimenter la pièce. Le choix d’une mise en scène qui s’articule entièrement sur la rencontre du jeu des comédiens et sur l’espace qui l’accueille, autorise la pièce à se jouer partout, du plateau de théâtre à la salle de classe, de l’appartement au local associatif. Une « opération théâtrale commando » pour reprendre les mots de Tamara Al Saadi, à la fois légère et rapide, comme pour répondre à une urgence, celle de dire les violences, ce que les préjugés font au corps. Un petit banc s’avère être le seul accessoire du spectacle. Contrairement aux deux premières, la troisième partie, plus intime, s’appuie sur l’expérience et l’écriture des cinq acteurs. « Je n'avais pas besoin d'être sauvée[5] » affirme-t-elle lorsqu’elle évoque le peu d’intérêt que le prince charmant suscitait chez l’enfant qu’elle était, puis de préciser : « C'est que plus tard que j'ai commencé à l’imaginer. Vers 13 ans. Il était devenu essentiel que je devienne une femme, une vraie ». Les histoires se croisent, se télescopent avec une infinie violence : « Quand j'avais six ans,
mon père a trouvé sur son pare-brise un petit papier plié
, « casse-toi sale bougnoule t'es pas chez toi ici »,
c'est comme ça que j'ai appris ce que c'était
, ce que j'étais
, bougnoule,
et pas chez moi,
ici
». C’est dans l’intime qu’apparait le politique : « Le procureur me rappelle pourquoi je suis là en lisant le procès-verbal effectué huit mois plus tôt. Je découvre à ce moment-là que les flics avaient remixé mon procès-verbal, les phrases écrites à la première personne étaient tournées de telle manière à me présenter comme un petit délinquant ». La morale, s’il devait y en avoir une, semble déjà avoir été écrite il y a plus de trois cents ans par Jean De La Fontaine : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir[6] ». Désenchantée, cette troisième partie est celle des rêves perdus dans l’assignation des rôles faite aux corps : « Mon corps parle pour moi avant moi. Mon apparence, la couleur de ma peau crie toutes les histoires qu'on ne veut pas entendre ». Le théâtre devait être le lieu idéal pour raconter d’autres récits mais sur scène, les corps sont aussi stéréotypés qu’ailleurs. La déclamation des premiers vers de la longue tirade de Rodrigue[7], extraite du « Cid » de Corneille, offrent cet espoir, celui d’un corps perçu au-delà de son épiderme. Un souffle nouveau s’élève alors, la scène se fait épique, héroïque pour la première fois. Peu après le début de la pièce, Ilham avait interpellé Minah : « Je crois qu’il y a un truc que tu captes pas : Pour nous les frontières de la cité, c’est les frontières du monde. Au-delà, c’est pas pour nous. Quand on sort de la cité, c’est nous les Minah du collège… Toi, demain, tu vas bouger d’école et on sera plus qu’un mauvais souvenir, alors que nous, on va crever dans le mauvais souvenir… » 1] Voir le dossier en ligne, constitué par Mediapart, https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/dossier-clichy-sous-bois-morts-sans-justice Consulté le 29 mai 2021. [2] « Ma cité va craquer. Dix ans après les révoltes urbaines de 2005 », Mouvements, vol. 83, 2015/3, La Découverte, 176 pp. [3] Guillaume Lasserre, « Place, les exilé.es à la lisière du monde », Le club de Mediapart / Un certain regard sur la culture, 28 octobre 2019, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/221019/place-les-exilees-la-lisiere-du-monde [4] Tamara Al Saadi, « Note d’écriture », dossier du spectacle Brulé.e.s, mai 2021. [5] Cette citation et celles qui suivent sont extraites de la pièce « Brûlé.e.s » de Tamara Al Saadi, publiée aux éditions Koiné en juin 2020. [6] Jean De La Fontaine, « Les animaux malades de la peste », première fable du livre sept parue dans le deuxième recueil des Fables de La Fontaine, Paris, Claude Barbin, 1678. [7] Pierre Corneille, Le Cid, acte 4, scène 3. Tragi-comédie en cinq actes en vers rimés deux et deux et en alexandrins, créée au Théâtre du Marais à Paris le 5 janvier 1637. BRULE.E.S - Texte : Tamara Al Saadi avec la participation de Hicham Boutahar, Saffiya Laabab, Elise Martin, Alexandre Prince, Frederico Semedo. Mise en scène : Tamara Al Saadi. Assistante à la mise en scène : Kristina Chaumont. Comédien.ne.s : Hicham Boutahar, Saffiya Laabab, Elise Martin, Alexandre Prince, Frederico Semedo. Création sonore : Fabio Meschini / Paroles : Hadrien Leclercq. Costumes : Pétronille Salomé. Lumières & Conception technique : Jennifer Montesantos. Production : Cie La Base. Coproduction : La Comédie Centre Dramatique National de Reims, Le Préau Centre Dramatique National de Normandie-Vire, LE CENTQUATRE-Paris. Soutien : Région Ile-de-France, SPEDIDAM, Ecole de la Comédie de Saint-Etienne / DIESE # Auvergne -Rhône-Alpes, Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, D.R.A.C. et Région SUD Le Préau - Centre dramatique national de Normandie - Vire Place Castel BP 90 104 14503 Vire cedex Du 25 au 28 mai au collège Val de Vire dans le cadre du festival « A VIF ». Légende photo : Brûlé.e.s Texte et Mise en scène Tamara Al Saadi © Christophe Raynaud De Lage
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May 27, 2021 5:52 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 27 mai 2021 Mahmoud & Nini, texte de Henri Jules Julien, à partir d’improvisations de Virginie Gabriel et de Mahmoud El Haddad, mise sur scène de l’auteur. Spectacle en français et en arabe.
Sur un plateau nu, devant un mur blanc, sont assis Mahmoud & Nini, deux personnages de théâtre et deux acteurs issus de cultures différentes. Le premier est un jeune et long Egyptien noir qui porte beau, à l’aise dans ses baskets, de confession musulmane; la seconde est une Française cinquantenaire aux cheveux courts, plutôt discrète mais décidée et attentive aux autres, athée.
Tout les sépare : d’un côté, la vie, la manière d’être au monde, soit la réserve pour Mahmoud et le quant-à-soi assuré pour Nini; et de l’autre, la langue, traduite et projetée en simultané sur le mur du fond, la langue arabe énigmatique étant inscrite sur l’écran, telle une évidence à laquelle échapperait le lecteur, si ce n’est qu’il en entend la traduction en français, et vice-versa dans les échanges où Mahmoud s’exprime en arabe, quand les mots français surgissent sur l’écran.
La traduction est éprouvée à la fois comme une séparation et un mode de liaison, le langage véhiculant les stéréotypes actifs, les idéologies et les représentations sur l’Orient et l’Occident.
Les questions intrusives de Nini qui pourtant croit ménager son interlocuteur dans une écoute réceptive finissent par irriter le personnage, si ce n’est le comédien, interprète de Mahmoud.
Aux idées préconçues sur la sexualité et la religion dans le monde arabo-islamique, il oppose d’autres clichés sur l’identité « occidentale » de son interlocutrice. La rencontre, malgré la bonne volonté et la sensibilité de chacun, s’avère beaucoup moins facile qu’on aurait pu le penser, entre personnes plutôt réfléchies et ouvertes aux différences quelles qu’elles soient, acceptant l’Autre.
Mahmoud révèle rapidement qu’il est gay, une réalité vécue comme une fatalité en Egypte et dans la capitale du Caire qu’il s’est empressé de quitter pour la France, malgré l’attachement porté à sa mère, laissant au pays ses soeurs et ses frères. Nini lui rétorque pourtant qu’il n’est pas tant à plaindre puisqu’il est comédien et a pu accomplir un chemin dans le domaine privilégié de l’Art.
Or, rien n’est simple ou plutôt, tout est « complexe », caractéristique qui revient régulièrement dans les paroles de l’Egyptien, né à Gizeh, ville populaire au bord du Nil, près des Pyramides – ce qui fait rêver Nini avant que son interlocuteur ne précise encore que la vie là-bas est compliquée.
Comment Mahmoud – que Nini appelle Mohamed -, un jeune homme de son temps et ouvert à la modernité et à la contemporanéité, peut-il laisser une de ses soeurs porter le niqab, alors qu’en échange elle vit sans doute en reine chez elle, maîtresse de maison respectée ? Travaille-t-elle ?
Mahmoud se moque un peu de la prétendue liberté des femmes occidentales à laquelle se réfère Nini, actrice aux cheveux courts, ce qui le fait rire, puisque celle-ci serait rangée en Egypte, pays où les actrices portent toutes les cheveux longs, dans la catégorie des lesbiennes : ce n’est qu’une plaisanterie pour Nini qui rejette l’assignation sous-entendue. Par contre, continue-t-elle, que font les hommes à la sortie de leur travail en Egypte ? Vont-ils au café, laissant l’épouse isolée ?
Certes, répond son interlocuteur, les hommes vont fumer le narguilé.
Nini ne peut guère en supporter davantage pour ce qui est de la liberté bafouée de la femme en Orient, sa soumission à un patriarcat désuet et réactionnaire. Mahmoud s’amuse : un mari et une femme ne trouvent-ils pas plaisir à se séparer régulièrement pour pouvoir mieux se retrouver ?
Le spectacle d’Henri Jules Julien se propose une traversée des lieux communs – le port du voile, les différences sexuelles bafouées et à l’opposé, la prétendue liberté de la femme occidentale… Malentendus, quiproquos, incompréhension mutuelle et réciproque, une tension palpable monte.
Qui sont les interlocuteurs ? Eux-mêmes ? Un réfugié et une femme du pays d’accueil qui ne demande qu’à aider, à comprendre et à aimer l’infortuné, ou bien des personnages de théâtre ?
Les raccourcis mènent la vie dure aux échanges des deux belles personnes de bonne volonté sur la scène, d’un coté l’ombre du Musulman terroriste, de l’autre, celle de la Blanche colonialiste…
En fait, l’un semble toujours parler à la place de l’autre, ce que remarque à bon escient Mahmoud qui voudrait pouvoir dire qui on est, qui il est, au lieu de s’adonner à ce petit jeu de questions et réponses : « Au théâtre, c’est l’auteur et le metteur en scène qui parlent. Pas moi. Pas toi. Nous on ne pense pas. On est des interprètes. Et puis l’Européen parle toujours à la place des autres. A la place de l’Arabe bien sûr ! On annonce que l’Arabe parle, mais c’est l’Européen qui fait parler. Ce n’est jamais moi ! Il parle même à ta place tu sais : un homme fait parler une femme. Tu devrais le dénoncer ! »
A travers cette rencontre « interculturelle », Henri Jules Julien expose frontalement ce déséquilibre de curiosité de la part de l’Occidentale qui s’autorise à poser des questions déplacées à l’Oriental musulman. Les préjugés s’installent durablement à travers des questions apparemment anodines.
Or, les identités ne sont pas figées, elle vivent selon l’histoire personnelle et en mouvement constant de l’être, qui, loin de nier racines et cultures, les réintègre dans une dynamique nouvelle de la vie qui va et des jours qui passent avec la découverte d’un présent mobile en devenir actif .
Le spectacle retient l’attention du spectateur en ce que rire et sourire sont au rendez-vous : Mahmoud se moque avec gentillesse de tous les attendus de Nini, tandis que celle-ci entretient sa part d’humour provocateur, jouant à plaisir les « idiotes », tout en défendant son point de vue sur le monde et les êtres, ne demandant qu’à partager des instants lumineux avec cet autre elle-même.
Véronique Hotte
Du 26 au 30 mai, mercredi et vendredi à 19h, jeudi à 14h30, samedi à 18h, dimanche à 16h, à La Commune – Centre Dramatique national Aubervilliers, 2 rue Edouard Poisson 93300 – Aubervilliers. Tél : 01 48 33 16 16.
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May 26, 2021 11:53 AM
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Par Muriel Mingaud dans le Populaire - 24 mai 2021 Les élèves comédiens et comédiennes de l’Académie de l'Union rouvrent au public le Théâtre de l’Union-centre dramatique national du Limousin, en jouant Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller, dès le 25 mai (horaires adaptés au couvre-feu). Le public n’a pas encore eu de réelle occasion de faire connaissance avec les 15 élèves acteurs et actrices de la Séquence 10 de l’Académie de l’Union, école nationale supérieure de théâtre rattachée au CDN. D’habitude, les spectateurs découvrent ces étudiants au cours de leur cursus, lors d’impromptus et de participations à des projets scéniques. Depuis mars 2020, la crise sanitaire a empêché ces opportunités. Entre faits historiques et actualité Pourtant, depuis leur école sise à Saint-Priest-Taurion, ils ont continué à se former à un rythme soutenu, en distanciel d’abord puis, quand ce fut possible, en présentiel. Aujourd’hui, ils présentent leur spectacle de fin de deuxième année, les Sorcières de Salem d’Arthur Miller. Ils sont mis en scène par leur directeur pédagogique, Paul Golub. Cette pièce chorale qui réunit une importante distribution a été inspirée à Arthur Miller par une chasse aux sorcières qui a réellement eu lieu en 1692 dans le Massachusetts, aux États-Unis. Dans le village de Salem, un procès en sorcellerie entraîna l’arrestation d’une centaine de personnes et l’exécution de vingt hommes et femmes. Une dénonciation indirecte Dans la pièce, un adultère, une servante chassée qui se livre à un rituel de sorcellerie et la machine infernale des procès s’enclenche... Arthur Miller écrit cette pièce en 1953, en pleine Guerre froide, face à la « deuxième peur rouge ». Elle est pour lui une façon de dénoncer indirectement le maccarthysme et ses chasses aux sorcières. Au-delà du contexte historique, cette œuvre est frappante d’actualité. Elle décortique le puritanisme, les mécanismes qui font que l’humain devient un bourreau pour d’autres humains, le pouvoir d’un collectif qui contraint à la déraison. Où, quand ?
Limoges, CDN-théâtre de l’Union, mardi 25, jeudi 27 vendredi 27 mai à 17 h, mercredi 26 mai à 15 h - durée 2 h 45.
Rés. 05.55.79.90.00 (jauge limitée) Par Muriel Mingau
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Le spectateur de Belleville
May 26, 2021 4:37 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 22 mai 2021 Solaris d’après Solaris (1961) de Stanislas Lem, mise en scène de Pascal Kirsch.
L’oeuvre de Stanislas Lem (1921-2006), écrivain polonais fascinant par son érudition et l’étendue de ses centres d’intérêt, considéré comme l’un des grands visionnaires de la littérature de science-fiction, traite de la rencontre avec l’Autre. Lem est passé maître dans la construction d’une altérité vraisemblable, et l’Autre – un océan plasmatique dans Solaris – ne ressemble en rien à l’homme.
Son roman le plus connu Solaris est considéré comme l’un des textes fondateurs de la science-fiction moderne et a été porté à l’écran par Andrei Tarkovski en 1972 et par Steven Soderbergh en 2002. Ont été créés par ailleurs des opéras, des pièces musicales, des œuvres plastiques… La planète Solaris, objet de convoitise puis de terreur pour l’expédition scientifique concernée, révèle à l’humanité une réalité insupportable, sa capacité à détruire et à se détruire elle-même. Certes, pour le metteur en scène Pascal Kirsch, le risque de l’extinction de l’humanité est moins aujourd’hui celui de l’arme nucléaire que celui de la catastrophe écologique à laquelle conduit notre mode de vie. Le concepteur scénique saisit cette fable universelle pour la porter au théâtre avec une équipe de chercheurs en astronomie et un créateur sonore – un dispositif immersif et sensoriel nous transportant loin dans l’espace et nous plongeant profond en nous-mêmes. La musique prégnante – insolite et envoûtante – revient à Richard Comte et le son à Lucie Laricq. Grâce à ce système sonore enveloppant, les spectateurs vivent la même expérience que les chercheurs de la station en orbite au-dessus de la planète Solaris : un récit où l’homme est aux prises avec sa peur la plus absolue, celle de l’inconnu – de l’Autre et de lui-même encore. Solaris est un océan-planète qui tourne entre deux soleils – l’un rouge, l’autre bleu -, une forme de vie intelligente avec laquelle les chercheurs depuis cent ans n’ont établi nul contact ; et de quatre-vingt-trois, le nombre de scientifiques est passé à trois dans l’énorme station d’observation. L’étude scientifique spatiale traverse une crise qui peut conduire à la fermeture de la station. La scénographie somptueuse de Sallahdyn Khatir installe le public à l’intérieur de la station orbitale inventée, entre appréhension et doute, un espace et un volume vastes que surplombe une vasque blanche plutôt plate, image horizontale de la planète-océan Solaris que deux immenses disques blancs verticaux de voile translucide encerclent à cour et à jardin, tels deux grands soleils. Au centre du mur de lointain, l’oeil sombre de l’engin- lentille énorme de verre – qui fixe la salle. Sur le plateau, des parpaings de béton réordonnés dont les rangées séparées par un mince vide, se déconstruisent, dès qu’on marche sans considération sur cette surface approximative, en perdant l’équilibre entre les travées hasardeuses, le pied s’engouffrant dans le creux périlleux de ces trottoirs simulés : on ne peut marcher sur Solaris comme on marche normalement sur la Terre. Les lumières de Nicolas Ameil jouent de l’obscurité et des jets de fumigènes ici et là – nuit du cosmos où tout devient imperceptible – et de la lumière aléatoire qui laisse surgir au loin les laboratoires des scientifiques; un fauteuil à l’avant-scène, lieu de réflexion, trône solitairement. Dans cette installation, univers recréé au second degré, l’information issue de la parole est reine. Tous les renseignements affleurent en un prologue dont l’enregistrement sonore est adressé au spectateur, avant qu’il ne soit relayé directement par le locuteur-protagoniste, messager antique lumineux, le personnage de Gibarian interprété avec conviction par Elios Noël – bel engagement verbal du chercheur, volonté d’expliquer, d’expliciter et d’élucider face à un public non averti et pouvoir d’une langue rationnelle tendue vers un savoir toujours en quête de connaissances. Face à l’étrangeté des constats de Gibarian, les autorités diligentent dans la station spatiale, Kris Kelvin, psychologue confirmé par ses recherches sur Solaris, et ancien élève de Gibarian. Tourmenté, Kris Kelvin se remet mal du suicide de son épouse dont il se sent un peu responsable. Dans la station orbitale – désordre et chaos énigmatique – , Kris découvre le suicide de Gibarian et la folie – sorte de délire paranoïaque – des deux autres cosmonautes, Snaut et Sartorius, travaillant respectivement dans leur laboratoire et se protégeant de la présence d’intrus, des créatures générées par l’océan de Solaris – familières à l’intimité des scientifiques qui voudraient les cacher. Sartorius, plus rarement visible, se montre agressif et semble ne s’adresser qu’à lui-même, longue silhouette intempestive de François Tizon, autoritaire, altier mais replié sur ses propres tensions. Quant à Snaut, davantage communicatif et plus ouvert face à Kris, il joue une distance et une maîtrise simulées, privilégiant l’humour et l’ironie dans sa vision fébrile du drame : Yann Boudaud s’amuse, bonhomie, ton populaire et position extravertie et assagie de celui qui est revenu de tout. Et Kris – Vincent Guédon -, à la bonne volonté enthousiaste qui tente de raisonner objectivement, il fait l’expérience de la ré-apparition de son épouse suicidée, un double dont il se débarrasse une première fois, mais qui revient, réelle et vivante, comme d’autres présences surgissantes, un jeune homme – Charles-Henri Wolff -, auprès de Sartorius. Soit les effets d’une radiation intense opérée par Guibarian sur l’océan de Solaris pour que celui-ci livre ses secrets : la conservation d’empreintes de la mémoire, celle des chercheurs précisément et leur représentation effective. Kris est finalement prêt à quitter les lieux pour revivre l’aventure amoureuse avec sa feue dulcinée. L’épouse de Kris, interprétée par le tact de Marina Keltchewski – attention bienveillante et écoute -, incarne une jeune femme radieuse et amoureuse, à la robe d’été couleur safran. Or, l’entente avec l’époux qu’elle redécouvre n’est qu’illusion, suggère le perfide Snaut, comme il l’a déjà insinué à Kris. Elle renouvelle son geste suicidaire pour ne pas se fourvoyer dans cette relation faussée. Solaris se manifeste par la création de ces Visiteurs, copies parfaites d’êtres vivants ayant occupé la vie psychique, affective, imaginaire ou inconsciente des membres de l’équipage. Ces apparitions « réelles » leur renvoient d’eux-mêmes une part d’ombre impossible à supporter. De la volonté d’entrer en contact avec Solaris, les personnages – déconvenue inavouée – passent à celle d’interrompre la communication, de se débarrasser physiquement des intrus, des êtres qui les hantent, eux, aux pulsions refoulées : l’aimé existe toujours en pensée, menacé par l’oubli. Un huis-clos spatial troublant et fascinant qui interroge la science et la conscience, plus largement l’expansionnisme cosmique militaro-politique, et la condamnation de toute réalité « différente » qui échapperait à la connaissance scientifique. L’Autre n’est que soi-même qu’on apprend à connaître. Un spectacle exigeant et sophistiqué, élaboré à la manière d’un cauchemar à l’angoisse superbe. Véronique Hotte Les 4 et 5 juin à 17h, le 6 juin à 16h, les 10 et 11 juin à 19h, le 12 juin à 18h au Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne, Manufacture des Œillets 1, place Gosnat 94200 – Ivry-sur-Seine. Du 1er au 3 juillet à la MC2 : Grenoble.
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May 24, 2021 2:25 PM
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Article de Marie Baudet publié dans La Libre, Bruxelles - 24 mai 2021 Le CA a tranché: Pierre Thys prendra les rênes de l'institution en juillet, à la suite de Fabrice Murgia. Ayant entendu le dernier carré de candidates et candidats lundi, le conseil d'administration a désigné Pierre Thys comme successeur à Fabrice Murgia pour gouverner le National.
Chargé de programmation du Théâtre de Liège depuis 2012, il en est depuis 2018 le directeur adjoint. Connaisseur du monde de la danse (il a longtemps travaillé aux côtés de Frédéric Flamand, à Charleroi danse d'abord, au Ballet de Marseille ensuite), Pierre Thys a présenté au TN un projet insistant sur un théâtre en mutation, indique le conseil d'administration dans son communiqué, "épousant avec intelligence les mouvements de société que nous connaissons. Sans rupture mais avec attention et créativité".
La démarche du futur directeur du National s'appuie sur les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, englobe la sensibilisation de nouveaux publics en incluant leur diversité. Sa vision se complète d'un lien fort avec la jeunesse et du rayonnement local, national et international.
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May 24, 2021 5:27 AM
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Une troupe de 9 comédiens investit le Théâtre de l’Atelier désert pour jouer Oncle Vania de Tchekhov. D’un espace à l’autre, d’un acte à l’autre, la pièce se construit tel un work-inprogress malicieux et poétique. Le théâtre naît de ces rencontres, de ces entrelacs, entre fiction et réalité, entre making-of et mise en scène. Le texte de Tchekhov tonne et sonne avec force, et redonne toute son actualité à la dramaturgie de ce chef d’œuvre, plus contemporain que jamais. Voir Atelier Vania (107 mn) Article publié dans La Croix : « Atelier Vania », le nouveau défi de Jacques Weber sur France 5 Critique par Nathanaël Bentura dans La Croix le 21/05/2021 Lorsque les salles de théâtres ont fermé, Jacques Weber a été inspiré par le vide et la nudité qu’elles abritaient. Il s’est emparé du Théâtre de l’Atelier le temps de trois captations qui empruntent les codes du cinéma. La première, Atelier Vania, est diffusée ce 21 mai sur France 5, à 20 h 55. Les théâtres sont restés fermés presque un an. Durant cette période, comment leurs occupants les ont-ils fait vivre ? Ou plutôt, comment ont-ils fait subsister le mythe de la salle, ses sièges rouges, ses décors, ses coulisses remplies à craquer d’accessoires et surtout, ses troupes d’acteurs désormais orphelines ? En entrant au Théâtre de l’Atelier, vide, et en voyant sa scène, nue, Jacques Weber s’était senti dépossédé. « J’ai senti la nécessité impérieuse d’y réinsuffler la vie, retrouver la sueur des représentations », explique-t-il. Pour rassasier ce besoin, il a imaginé un moyen de produire, sans public, une œuvre hybride entre le théâtre et le cinéma, à travers trois captations où la caméra virevolte, s’approche au plus près des comédiens, varie les valeurs de plans, comme un véritable film de cinéma. Weber fait ainsi du théâtre filmé qui n’en comporte aucune caractéristique, car la caméra est un marqueur à part entière de la mise en scène. Marc Lesage, le directeur du Théâtre de l’Atelier, à Paris, a donné un nom à cette forme composite, un « film de Théâtre ». De cette dynamique ingénieuse, Jacques Weber accouche trois films, Atelier Vania, Atelier Cyrano et Atelier Misanthrope Acte 1, Scène 1, tous trois adaptés des célèbres pièces éponymes. La première sera diffusée ce 21 mai à 20 h 55, sur France 5. « Oncle Vania », de Tchekhov à Julianne Moore Lorsque le projet de réaliser un « film de Théâtre » a été évoqué, le premier nom à émerger fut celui d’Anton Tchekhov, dramaturge russe né en 1860, et de sa pièce la plus connue, Oncle Vania, publiée en 1897. Elle suit une multitude de personnages : Sérébriakov et sa jeune épouse Elena sont arrivés depuis un mois dans leur domaine campagnard, où vivent Vania et Sonia, le frère et la fille de Sérébriakov. De nombreux autres membres de cette famille vivent dans ce domaine où règne une atmosphère d’oisiveté et de mélancolie. Des amours, longtemps gardées secrètes, se révèlent et déçoivent, car non partagées. Leur déclaration fait souffrir et provoque le tumulte parmi cette famille où les rancœurs sont multiples. Le choix de cette pièce, témoigne Marc Lesage, a beaucoup joué dans la forme qu’a finalement prise « Atelier Vania ». « J’avais exhumé d’un placard une vieille affiche du dernier film de Louis Malle, Vanya 42e rue, annonce-t-il. Nous étions comme hypnotisés par le mystérieux et énigmatique visage de Julianne Moore qui illuminait l’affiche. Nous nous sommes remémoré ce film incroyablement fort et poétique, celui d’une dernière répétition d’un spectacle Oncle Vania dans un théâtre abandonné, sans public. » Cette vision, très féconde pour le directeur du théâtre et son metteur en scène, les inspire. Pour pallier la fermeture du théâtre, la pièce sera jouée sans décor, sans costume, sans public, sans scène. « Le véritable décor, c’est le Théâtre lui-même et le premier rôle lui revient », ajoute Marc Lesage. Boire et se disputer pour cacher leur malheur Cette volonté transparaît dans la mise en scène. Dépossédé de son public et de tous ses artifices, le théâtre devient le domaine imaginé par Tchekhov et ses moindres recoins deviennent la scène, telle une immense cour de récréation. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les personnages se déplacer dans le hall du bâtiment, les coulisses ou sur les fauteuils d’orchestre. Avec cette idée, Weber brise littéralement le 4e mur et propose une vision assez moderne de la pièce qui résonne de manière inattendue avec les différents confinements. Les personnages s’ennuient et cohabitent dans un domaine sans échappatoire où ils ne font que boire et se disputer pour cacher leur malheur. Puisque cette première expérience l’a enchanté, Jacques Weber a décidé de la prolonger. Lors du tournage d’Atelier Vania, il a vu en François Morel, l’interprète de l’oncle Vania, un parfait Cyrano de Bergerac. Il ne lui en a pas fallu plus pour lancer Atelier Cyrano dans la foulée, adaptée de la pièce d’Edmond Rostand puis Atelier Misanthrope, tourné fin avril, d’après celle de Molière. Ces deux nouvelles captations seront diffusées prochainement.
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May 23, 2021 7:17 PM
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Par Guillaume Lasserre dans son blog - 16 mai 2021 Dans le huis clos de son appartement, une femme reçoit la visite d’un père qu'elle n’a pas vu depuis dix ans. Les retrouvailles, glaciales, vont être l'occasion d'un dernier affrontement, un règlement de compte arbitré par les bouteilles qui se vident et s'amoncèlent. Le tête à tête, rythmé par les passages de l’amant, trouvera son dénouement dans une ultime supplique. Avec pour décor l’intérieur d’un appartement, plus exactement d’une cuisine, le plateau se veut domestique. L’espace intime est celui d’une femme, nerveuse au point de se servir un verre d’alcool alors qu’on frappe à la porte. Un vieil homme vêtu d’un pardessus et affublé d’une petite valise fait alors son entrée. Ce père, elle ne l’a pas revu depuis le décès de sa mère il y a dix ans. Les retrouvailles ne sont manifestement pas à l’initiative de la fille qui garde en elle une rancœur immense. D’emblée, les échanges fusent, cinglants. À l’amertume de la fille répond l’enfilade de clichés du père : « Une femme qui boit c'est vulgaire », l’entend-on dire, alors qu’un homme c’est pas pareil, bien sûr. Plus tard, il l’interroge : « Tu n’es pas marié ? Tu n’as pas d’enfant ? » Ce à quoi elle répond invariablement : « Cela ne te regarde pas ». Très vite, on comprend que l’alcool sera l’arbitre de la soirée. Pour elle comme pour lui, il semble être un vieux compagnon. Du premier mot au dernier, aucun répit ne sera accordé, aucune invective épargnée. Dans ce huis clos de plus en plus suffocant, aucune échappée ne sera permise, aucune stratégie d’évitement – nous passons notre vie à réfléchir méticuleusement à la meilleure façon d’esquiver ce qui nous gène : ne pas croiser le regard du SDF, ne pas entendre la radio annoncer un nouveau naufrage en Méditerranée, ne pas voir, surtout ne pas savoir – ne pourra être déployée. Si le plateau figure le décor de la cuisine, c’est bien face à un ring de boxe que se trouve le public. L’humour vient alors désamorcer le pathos. C’est lorsque le père sort pour se rendre au bar d’en face après qu’elle lui a annoncé ne pas avoir prévu de repas qu’entre en scène Ric, l’ami de celle-ci. Il part à la rencontre du père lorsqu’elle lui annonce où se trouve celui-ci. D’où il vient, on ne laisse pas les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars. Ce troisième personnage, le seul affublé d’un prénom, réapparait régulièrement, ponctuant la joute verbale familiale qu'il tente de tempérer. Chacun alors va, au cours de cette nuit, tenter de dire à tout prix sa vérité, quitte à faire appel à une certaine mauvaise foi pour maladroitement essayer de combler les trous de la mémoire. L’humour s’inscrit précisément à cet endroit. Carole Thibaut fait de ces à-côtés permanents les déclencheurs d’un rire salutaire venant désamorcer le pathos, donner de l’air à un drame au bord de la suffocation. Fin de partie Sept tableaux correspondant à sept moments volés à cette nuit fatale, suivent le cours de la chronologie pour donner à voir l’évolution de la relation filiale, sept plans séquences rapprochés dans une unité de lieu – la cuisine de la protagoniste –, de temps – une nuit –, d’action. Avec la création de la version scénographiée pour l’itinérance, le public occupe une position quadrifrontale qui accentue considérablement l’impression du ring de boxe. Les comédiens évoluent dans ce carré formé par les spectateurs, comme des animaux en cage. L’espace unique qui est celui de la fille, à la fois moderne et froid, beau et vide, « l’appartement de quelqu’un qui gagne très correctement sa vie, qui a réussi » assène-t-elle d’un ton sec, est celui de la représentation des projections sociales des personnages. « Je suis venu parce que je suis malade » annonce le père. À sa fille lui demandant ce qu’il attend d’elle, il lui répond : « Ce que n’importe quel père est en droit d’attendre de sa fille en pareil cas ». C’est bien connu, prendre soin est une affaire de femmes, surtout dans le milieu familial, au même titre que faire les courses et autres tâches domestiques. Elle lui conseille alors de se rendre chez son frère mais pour lui ce n’est pas pareil. Elle s’emporte alors : « Le fils, c’est pour les discussions viriles, les fins de repas cigare aux lèvres et cognac réchauffé au creux des mains. La fille, elle, c’est pour les soins patients, la compassion, la douceur et la tendresse, c'est le bâton de vieillesse. C’est pour ça qu’on les fait les filles non ». Peu à peu se dévoile la souffrance de la fille dans la perversité du père. Celui-ci n’est pas seulement malade. Il se sait condamné et vient lui demander de l’aider à mourir, dix ans après leur dernière entrevue. C’est là, dans la petite valise, que se trouve le poison liquide qui le fera passer de la vie au trépas. À la fille revient l’euthanasie du père. La pièce prend alors l’allure d’une cérémonie dans laquelle le père tente de libérer la fille de lui-même, un rite de passage qui « parle de transmission et de mort, de ce qu’il convient de laisser derrière soi et de ce qu’il convient de réparer ou d’effacer[1]». Mais s’émancipe-t-on vraiment tout à fait de cette partie hautement constitutive de soi qu’est l’enfance, le temps de l’apprentissage et de l’éducation, l’endroit où se construit l’identité ? Combat d’amour et de haine Cette lutte contre le père est aussi un combat contre elle-même, contre ce passé qui semble ressurgir, et avec lui ces terreurs nocturnes qui l’assaillent à plusieurs reprises lors de cette dernière nuit. Car c’est malgré tout un attachement inextricable qui lie la fille et le père, une dépendance qui oscille entre l’amour et la haine. Malgré la réussite de la fille et la mort du père, les fantômes du passé ne disparaissent pas. Il faut apprendre à vivre avec. Dans cette tragédie familiale, laisser partir les morts est un préalable pour tenter de réparer les vivants. Carole Thibaut interroge nos capacités de résilience et de pardon qu’elle envisage comme un état à atteindre lentement, semi inconsciemment, plutôt qu’une impossible diatribe que l’on déclame. Lorsque les mots sont vidés de leur substance, ont perdu leur puissance incantatoire, ils ne peuvent être prononcés, devenus inutiles, inaudibles. C’est dans la chair que sont enracinées les choses. On ne saura pas précisément ce qui sera pardonner ici. La distribution trouve des résonances quasi familiales. Le comédien Olivier Perrier, qui incarne le père, est l’un des fondateurs historiques[2] du Théâtre des Ilets à Montluçon que dirige Carole Thibaut depuis 2016 et où est créée la pièce. « Je suis un instituteur qui s’est mis à faire du théâtre pour changer le monde, pas pour devenir une star[3] » rappelait-il en 2015. À 80 ans, Perrier retourne sur scène « à domicile ». La filiation est ici géographique. Mohamed Rouabhi, qui interprète Ric, est aussi un habitué des lieux. Artiste auteur associé, il y a récemment créé plusieurs de ses spectacles[4]. Le rôle féminin est interprété en alternance par Valérie Schwarcz, artiste associée au Théâtre des Ilets depuis 2016, et Carole Thibaut elle-même qui n’a pu se résoudre à abandonner complètement le personnage. Le texte, achevé en 2007, est sans doute le premier de l’autrice à aborder le douloureux rapport père-fille, thème qui sera récurant par la suite et dont les racines intimes se trouvent explicitées dans « Longwy Texas » (2016). Cette conférence performée sur l’histoire de l’industrie lorraine est aussi un bouleversant monologue[5] dans lequel l’autrice se met à nu en racontant son enfance dans un milieu où la domination masculine niait aux femmes une existence propre, découvrant au détour d’entretiens menés avec son père lorsqu’elle rassemble une archive documentaire en vue d’une création théâtrale, la trahison de celui-ci, trente-six ans après la fermeture des hauts-fourneaux. Comment se relève-t-on de son enfance ? Entre fiction et réalité, entre intime et politique, dans cet espace domestique où projection mentale et situation réelle se confondent, Carole Thibaut installe un rituel, une cérémonie nocturne de vie et de mort dans laquelle l’ivresse s’empare des corps. L’épuisement de la lutte aidant, le temps va se distendre pour se faire flottant, comme suspendu, propice au silence qui pourtant semblera déchiré par le murmure de l’ultime parole, du dernier mot prononcé. Sans doute n’est-il qu’une illusion de l’esprit, une répétition mentale. Au cours de cette nuit, chacun aura pris une décision qui va bouleverser sa vie. « Tu n’aimes pas être seul avec moi. C'est gênant pour un père d'être seul avec sa fille » avait-elle dit un peu plus tôt. L’ogre qui dévorait autrefois l’enfant s’est tu. En pardonnant à son père, la fille peut enfin commencer à vivre. [1] Carole Thibaut, « Notes dramaturgiques », Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ? Dossier de presse, p.7. [2] De 1980 à 2003, il codirigea avec Jean-Paul Wenzel, le Théâtre des Fédérés à Montluçon, installé à partir de 1985 au Théâtre des Ilets, devenu centre dramatique national en 1993. [3] Cité dans Tanguy Ollivier, « L’acteur auvergnat Olivier Perrier : Je sui surpris qu’on m’appelle encore », La Montagne, 22 juillet 2015, https://www.lamontagne.fr/venas-03190/loisirs/lacteur-auvergnat-olivier-perrier-je-suis-surpris-quon-mappelle-encore_11527500/ Consulté le 14 mai 2021. [4] Alan en 2018, puis Moi Jean-Noël Moulin, président sans fin en mars 2020. La création des Hortensias a été reportée à la saison prochaine en raison de la pandémie de coronavirus. [5] Guillaume Lasserre, « Qui a tué Longwy », Le club de Mediapart / Un certain regard sur la culture, 1er juin 2018, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/120518/qui-tue-longwy Guillaume Lasserre FAUT-IL LAISSER LES VIEUX PERES MANGER SEULS AUX COMPTOIRS DES BARS - texte et mise en scène Carole Thibaut • avec Olivier Perrier, Mohamed Rouabhi & en alternance Carole Thibaut & Valérie Schwarcz • scénographie Camille Allain-Dulondel • création lumières et vidéo Julien Dubuc • création son Margaux Robin assistée de Karine Dumont • costumes Gwladys Duthil • construction Frédéric Godignon, Sébastien Debonnet, Jérôme Sautereau •régie générale Pascal Gelmi, Frédéric Godignon • régie son Pascal Gelmi & Karine Dumont en alternance • régie lumières Florent Klein & Thierry Pilleul en alternance Du 20 au 21 mai. Création de la version sénographiée pour l'itinérance. Du 13 au 16 octobre. Représentations en plateau. Théâtre des Ilets -Centre dramatique national de Montluçon Espace Boris Vian - 27, rue des Faucheroux 03 100 Montluçon Le 22 mai à la Salle des fêtes de Nizerolles (à confirmer) Le 14 juillet à Hérisson (à confirmer) Le 17 juillet à la Salle de fête de Ainay-le-Château (à confirmer)
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Le spectateur de Belleville
May 22, 2021 5:08 PM
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David Geselson, lors de l'enregistrement de "Doreen"• Crédits : @Alice Kachaner - Radio France David Geselson et Laure Mathis nous invitent à partager une incroyable intimité : celle d’un couple qui, au bout de 58 ans de vie commune, décide de partir ensemble, de mettre un point d’orgue à leur amour.
Dans sa Lettre à D., André Gorz, de son vrai nom Gérard Horst, écrit à sa femme, Dorine : "J'ai besoin de reconstituer l'histoire de notre amour pour en saisir tout le sens. C'est elle qui nous a permis de devenir qui nous sommes, l'un par l'autre et l'un pour l'autre." Reconstituer une vie, redire un amour pour toujours, revivre toutes les fois où on est tombé amoureux l’un de l’autre. Notre présent est fait de tout notre passé… Avec une grande délicatesse, les comédiens David Geselson et Laure Mathis nous invitent à partager une incroyable intimité : celle d’un couple qui, au bout de 58 ans de vie commune, décide de partir ensemble, de mettre un point d’orgue à leur amour. Tranquillement installés dans une maison à la campagne, Gérard et Doreen se racontent et, peu à peu, surgissent tous les lieux de leur vie. Cette création joue de l’alternance entre les moments du passé reconstitués et le présent de la narration, son émotion, son immédiateté, sa douceur infinie.
Un Atelier Fiction créé à partir de Doreen, un spectacle de David Geselson Ecouter la fiction
Réalisation : Laurence Courtois et David Geselson Conseillère littéraire : Pauline Thimonnier Création sonore : Loic Le Roux Prise de son, montage, mixage: Manon Houssin et Manuel Couturier Assistante à la réalisation: Alice Kachaner
"Radiodrama" est une collection diffusée dans les programmes de fictions. Une collection imaginée et proposée depuis 2013 par le réalisateur Alexandre Plank. L’idée est claire et originale : ouvrir la production de fictions à des compagnies et des collectifs de théâtre, opérer des croisements entre réalisateurs et metteurs en scène, trouver ensemble des variations radiophoniques à partir de spectacles créés au théâtre. Radiodrama rompt délibérément avec la notion de « captation ». C’est une occasion unique de croiser théâtre et radio, de réinventer des pratiques, enjamber les cadres de nos disciplines réciproques et façonner ensemble des émissions dans lesquelles s’éprouvent des histoires de notre temps à travers la voix, le son et un texte. > En septembre 2016, Le chagrin, création radiophonique signée par Alexandre Plank, Caroline Nguiela et Antoine Richard, produite dans le cadre de « Radiodrama », a reçu le prestigieux Prix Italia. Ce prix nous a convaincus de la pertinence de cette collection atypique. > En cinq saisons, Radiodrama a évolué et s’est renouvelé. Progressivement, réalisateurs et metteurs en scène ont délaissé les studios et les émissions en direct. Ils ont pris le large, enregistrant « en extérieur », à la manière de la « Nouvelle vague » au cinéma : dans la ville, dans les maisons, les appartements, les lieux publics. Ainsi, « l’air du temps » s’est invité peu à peu dans cette collection. > Autour d’Alexandre Plank, d’autres réalisateurs ont rejoint la collection : Laure Egoroff, Cédric Aussir et cette année, Laurence Courtois pour la création radiophonique de Doreen, créé au Théâtre de la Bastille ce printemps.
Blandine Masson, Conseillère de programmes de Fiction
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Le spectateur de Belleville
May 21, 2021 3:11 PM
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Tribune signée par plus de 150 professionnels du spectacle vivant, publiée le 21 mai 2021 dans Sceneweb L’affaire Yoann Bourgeois secoue le monde du cirque depuis qu’une vidéo anonyme intitulée L’usage de l’œuvre a fait son apparition sur les réseaux sociaux en février, montrant des similitudes entre des créations de Yoann Bourgeois et celles d’autres artistes de cirque. Nous avons eu l’occasion d’en parler ici. Aujourd’hui plus de 150 artistes, directrices, directeurs, universitaires signent une tribune “Pour en finir avec l’affaire Yoann Bourgeois” mais aussi pour demander aux institutions (la DGCA, la DRAC, la Ville de Grenoble) de sortir du silence. Voici cette tribune, et les premiers signataires. Depuis le mois de février et la publication d’une vidéo intitulée “L’usage des œuvres”, traitant des ressemblances entre le travail de Yoann Bourgeois et celui de sept autres auteur·es, une partie des acteur·rices du spectacle vivant retient son souffle devant les révélations qui sortent au gré des enquêtes journalistiques [Sceneweb, Libération, Le Monde, Le Temps] ou de témoignages éclairants sur les réseaux sociaux [entre autres indispensables celui de Chloé Moglia, et celui du Collectif petit travers]. Cette vidéo peut être perçue comme une calomnie anonyme, mais aussi comme un travail de documentation méticuleux et un signal d’alerte, lancé en dernier recours après des années de doutes, de soupçons et d’histoires qui se répètent. Elle révèle un système : celui de l’appropriation par une seule personne d’un ensemble de fragments d’œuvres, de séquences, aux dépens de toute une communauté. Aucun plagiat n’est assumé par Yoann Bourgeois : le système qu’il défend pour s’affranchir de toute responsabilité juridique comme morale consiste à jouer de la frontière parfois ténue entre les idées (de libre circulation) et leur concrétisation en œuvres (intrinsèquement protégées par le droit d’auteur). Par la masse de son activité et sa sur-exposition médiatique Yoann Bourgeois – en faisant de ces matières sa signature, son identité – a fini par écraser ses pairs et les déposséder de leur propre travail. L’usage et l’éthique veulent que lorsqu’un·e auteur·e souhaite utiliser une musique, un texte, une image, une vidéo ou une autre œuvre pré-existante dans une création originale, cette utilisation est déclarée, soumise à un accord, et les auteur·es concerné·es perçoivent des droits. Par un glissement sémantique, en qualifiant le travail des autres de “motif”, Yoann Bourgeois s’arroge le droit de l’utiliser comme si c’était le sien, sans accord ni rétribution, en leur déniant même leur qualité d’auteur·e. Par ce principe il méprise l’éthique de la création, ainsi que la loi. Les réponses de Yoann Bourgeois dans Artcena et Le Petit Bulletin Grenoble montrent une ligne de défense dans le déni, inflexible, surplombante, usant de procédés rhétoriques malhonnêtes [cf publication Adrien Mondot] et en total décalage avec la réalité manifeste de sa pratique révélée par la vidéo. Le silence des institutions est éloquent : ni la DGCA, ni la DRAC, ni la Ville de Grenoble n’ont souhaité apporter de commentaires, pas plus que les lieux qui l’ont programmé. Les réactions des autres institutions sont tout en prudence et semblent s’extraire de toute forme de responsabilité [communiqué de territoire de cirque], en s’abstenant d’aborder le fond du problème. Ce silence a trop duré : il devient un message, il signifie qu’il n’y a pas de problème. Il signifie que Yoann Bourgeois peut poursuivre quelle qu’en soit la violence, son processus “de l’usage des œuvres” (des autres), sans que ni sa réputation, ni son parcours n’en souffrent, voire même qu’il soit présenté comme un “modèle” de réussite, ce qui pour nous – et les générations qui suivront – serait parfaitement intolérable. Nous nous inquiétons de ce que sa position dans le paysage institutionnel suppose d’inévitables rapports de force. Comment les artistes peuvent-ils garder leur liberté de parole et de création si la confiance est rompue ? Nous voulons interpeller celles et ceux qui soutiennent Yoann Bourgeois, en le subventionnant ou en le programmant. Nous leur demandons une prise de position. Nous ne pouvons pas attendre les verdicts d’éventuels procès dont nous ne savons pas s’ils auront lieu. Nous ne voulons pas que le préjudice qui atteint toute une profession s’éteigne dans l’indifférence. Certain·es artistes ne pourront plus aller chercher le soutien du CCN de Grenoble car, aller voir son directeur pour lui présenter les idées de leur prochain spectacle, comporte désormais le risque de finir transformé en “motif“. Yoann Bourgeois ne peut pas continuer au CCN de Grenoble avec l’aval de l’État et des collectivités territoriales. Que penser d’une institution chorégraphique, l’une des plus importantes en France, dont la première mission est la création, qui aurait à sa tête un directeur qui traite ainsi les créations des autres ? Pour signer cet appel écrire un mail à signature-appel@privacyrequired.com en précisant Prénom Nom, et fonction. Signatures au 21 mai 2021 (163), par ordre alphabétique du nom : Pierre-Jerôme Adjedj, photographe auteur, ancien metteur en scène Fabien Alea Nicol , artiste musicien Frédéric Arsenault, acrobate, auteur et metteur en piste Guillaume Amaro, artiste de cirque Mathieu Antajan, directeur de l’école nationale de cirque de Chatellerault Fanny Austry, circassienne Celine Aubry, administratrice de production au sein de la Cie Vilcanota Antonin Bailles, artiste de cirque auteur et interprète Laurent Ballay, directeur délégué à Baro d’evel Claire Bardainne, autrice et metteure en scène Thomas Barrière, musicien Pernette Bénard, régisseuse générale Guilhem Benoit, artiste chorégraphique Géraldine Berger, artiste performeuse Mathieu Bleton artiste de cirque, auteur Lauren Bolze, interprète, danseuse Stéphane Bonnard, auteur, metteur en scène Aurélien Bory, metteur en scène Sylvain Bouillet, professeur des écoles – artiste chorégraphique / Naïf Production Mathieu Bouvier, artiste, chercheur, auteur Cédric Bréjoux technicien du spectacle Simon Bruyninckx, auteur, acrobate Laure Caillat, directrice de producion Fred Cardon , président de l’association Zart et de plusieurs compagnies de cirque Marion Carriau, chorégraphe-interprète François Chat, metteur en scène, danseur-jongleur Camille Chatelain, autrice, circassienne Julia Christ, autrice de cirque Santiago Codon, danseur, b-boy, chorégraphe Marion Collé, artiste de cirque, auteure Collectif XY Juliette Correa, collectif Malunés Natacha Costechareire, costumière Jacques-Benoît Dardant, éclairagiste Pauline Dau, artiste de cirque pluridisciplinaire autrice et interprète Sebastien Davis-VanGelder, artiste de cirque Olivier Debelhoir, artiste de cirque Sigolène de Chassy, artiste, scénographe Camille Decourtye, artiste, autrice et metteuse en scène à Baro d’evel Grégoire De Martino, comédien Naïma Delmond, conceptrice sonore Kurt Demey, illusioniste, mentaliste Hervé Diasnas, danseur, chorégraphe, pédagogue, musicien Peggy Donck, directrice de production Isabelle du Bois jongleuse Denis Dulon , acrobate porteur Agathe Dumont, enseignante-chercheuse en cirque, danse et arts du spectacle Grégory Edelein, artiste Yann Ecauvre, directeur artistique du cirque inextremiste Loïc Faure artiste de Cirque Grégory Feurté, artisan circassien/danseur Jérôme Fevre, créateur sonore et régisseur général Côme Fradet, danseur Alexandre Fray, Porteur acrobatique, directeur artistique Yann Frisch, magicien Raphaël Gacon Wenger artiste de cirque Miguel Garcia Llorens, artiste chorégraphique et fasciathérapeute Matthieu Gary, acrobate, auteur cie Lavolte-cirque Fanny Gayard, metteuse en scène Fragan Gehlker, artiste de cirque Thomas Guérineau, auteur, metteur en scène, jongleur Jonathan Guichard artiste de cirque Antoine Guillaume, artiste de cirque Jean-Michel Guy, auteur, dramaturge, ex-ingénieur de recherche, retraité de la fonction publique Pascale Henry, autrice et metteuse en scène Demis Herenger, cinéaste Thomas Hoeltzel, artiste de cirque Luke Horley, artiste de cirque Santiago Howard, artiste de cirque Maud Hufnagel, marionnettiste Juan Ignacio Tula, auteur, metteur en scène Bogdan Illouz, artiste de cirque Nathan Israël, auteur, jongleur Sylvain Julien, artiste de cirque Stefan Kinsman, auteur, circassien Maksim Komaro artistic director Circo Aereo Finland Grégory Korchia, saltimbanque magicien jongleur Lulu Koren, artiste de cirque, co directrice artistique de la compagnie attention Fragile Heini Koskinen, artiste de cirque Anaïs Lafont, comédienne musicienne Bastien Lambert, artiste de rue Valérie Lamielle, danseuse et chorégraphe Jonathan Lardillier. Jongleur, directeur artistique de L’expédition Mélusine Lavinet Drouet artiste de cirque Tanya Lazebnik, danseuse et chorégraphe contemporaine et aérienne Claire Latarget, artiste marionnettiste Erwann Le Berre, comédien Jonas Leclère, artiste de cirque Julien Le Cuziat, artiste Interprète Jules Leduc , danseur interprète Coraline Leger, artiste de cirque Sébastien Le Guen, fildeferiste, auteur de cirque johann Le Guillerm, directeur artistique du cirque ici Carlos Lima, artiste de cirque, musicien Eric Longequel, jongleur Nicolas Longuechaud, Jongleur, auteur de cirque Samantha Lopez, artiste, trapéziste, chanteuse Audrey Louwet, auteure et metteure en scène de cirque Isabelle Magnin, chorégraphe David Maillard, technicien son musicien Matthieu Malgrange, auteur, directeur de l’Atelier du Plateau Étienne Manceau, comédien de cirque Pascal Marconato, animateur Pepe Martinez Chanteur, musicien, comédien Blaï Mateu Trias, artiste, auteur et metteur en scène à Baro d’evel Nicolas Mathis, jongleur, auteur, metteur en scène Coline Mazurek, artiste de cirque Phia Menard, autrice, performeuse, metteure en scène Elsa Michaud performeuse Chloé Moglia, autrice, performeuse, suspensive Marie Molliens, autrice et metteuse en scène de cirque Adrien Mondot, auteur et metteur en scène Bambou Monnet, artiste de cirque Christine Morquin : co-directrice de l’Essieu du Batut, Atelier de fabrique artistique Marie Münch, administratrice de production Raphaël Navarro, Magicien Lucie Nicolas, metteure en scène Satchie Noro, chorégraphe et artiste de cirque Jani Nuutinen, directeur artistique de la compagnie Circo Aereo Agathe Olivier, compagnie « Les Colporteurs “, artiste fildefériste, auteure Michaël Pallandre, porteur acrobatique, metteur en scène Martin Palisse, artiste jongleur et directeur du Sirque, pôle national cirque à Nexon Nouvelle Aquitaine Olivier Palmer, jongleur, auteur Sylvain Pascal, co-directeur artistique du collectif protocole et de la cie les dessous de Barbara Denis Paumier, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie Les Objets Volants Pierre Pélissier, artiste de rue Oceane Pelpel, artiste de cirque Odilon Pindat, acrobate Bruno Pradet, chorégraphe João Paulo Pereira dos Santos, artiste de cirque au mât chinois, directeur artistique de la Cie O Ultimo Momento Sidney Pin, acrobate auteur interprète / La Volte-cirque Jérôme Planche, directeur de production Léonie Pons, étudiante aux beaux arts Norbert Pons, Président de l’association Dynamogène Sally Poulin, spectatrice Neil Price, artiste de rue, technicien, constructeur Thierry Renault, directeur technique de cirque et rue Antoine Rigot co-directeur artistique Cie Les Colporteurs Marlène Rostaing, cie Body ! Don’t Cry Sébastien Roux, programmation Marlène Rubinelli Giordano femme de cirque, auteur, metteur en piste Christophe Ruetsch, musicien / compositeur Etienne Saglio, magicien Christophe Sechet, compositeur Jonas Seradin, auteur acrobatique Arthur Sidoroff, auteur et circassien Maxime Steffan, artiste de cirque Johan Swartvagher, jongleur, auteur Antoine Terrieux, artiste Magicien, co-directeur de la Cie Blizzard Concept Jérôme Thomas, auteur de cirque-maître jongleur Titoune, artiste de cirque Nickolas Van corven – artiste de cirque Mathilde Van Volsem directrice artistique de la Cie Aléas / co-fondatrice du Festival Les Fantaisies Populaires Gilles Verièpe chorégraphe Analía Vincent, artiste du cirque julien Vittecoq, photographe Mélissa Von Vépy, autrice et metteuse en scène Marek Vuiton, administrateur de compagnie Nino Wassmer, jongleur, danseur, auteur Géraldine Werner co-directrice ay-roop, scène de territoire cirque, Rennes Elena Zanzu, autrice, performer, chercheuse Martin Zimmermann, auteur, metteur en scène, scénographe et artiste de cirque Francesca Ziviani, danseuse
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Le spectateur de Belleville
May 20, 2021 3:13 PM
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Fasciite nécrosante, un texte de Wajdi Mouawad À celles et ceux qui, innombrablement innombrables, ne comprennent pas grand-chose, ni à la non-ouverture de certains théâtres, ni aux mouvements de contestation qui les occupent, ni à ce qui les oppose, ni à ce qui les relie. Dans la famille des streptocoques, il en est un, fasciite nécrosante, mieux connu sous l’appellation de bactérie mangeuse de chair, qui correspond assez bien à la situation. Une dévoration née du piège dans lequel nous, directions des théâtres et occupants, sommes tombés, piège dont nous sommes en grande partie responsables, celui de devoir sacrifier soit le théâtre soit la révolte. Reprendre les activités de l’un, c’est diminuer la nécessité de l’autre, privilégier la force de l’autre, c’est empêcher l’un. À croire que c’est une faiblesse de l’orgueil humain, sa démesure, dont les auteurs grecs n’ont eu de cesse de nous mettre en garde, qui nous conduit à retomber sur cette idée christique du sacrifice, ce streptocoque de la destruction qui exige que pour que quelque chose puisse exister, il faille nécessairement égorger quelque chose d’autre. Pour lutter contre fasciite nécrosante, il faut amputer le membre gangrené. Sacrifions ceci pour sauver cela, disent les uns et les autres, sans se douter que tout sacrifice finit toujours par se payer au retour de ce qui a été sacrifié. Toujours dans la chute, dans l’amertume et le cynisme. Nous avons pourtant, autant les occupants que les directions des théâtres, tenté de faire preuve d’intelligence pour relier théâtre et révolte et ainsi, non seulement éviter le sacrifice, mais tenter d’inventer quelque chose de nouveau, né de la chance offerte par les occupations pour les théâtres et par les théâtres pour les occupants. Nous avons essayé. Ce fut un échec. Pour tous. Que ce soient ceux qui ont fait intervenir les forces de l’ordre, que ce soient les lieux dont les occupants sont partis du jour au lendemain sans donner d’explication, que ce soient les lieux qui ont trouvé un arrangement tiède pour le mouvement ou pour le théâtre, ou ceux qui n’ont trouvé aucun arrangement. C’est un échec d’autant plus visqueux que tout cela n’intéresse personne au-delà des protagonistes qui y jouent leur bien triste rôle. La cote d’écoute est à un niveau glaciaire, digne d’un film en latin sous-titré en gothique, avec une mauvaise réception sur un poste de télévision de l’année 68, en noir et blanc, où l’image saute régulièrement. Pour la plupart de nos contemporains dont nous prétendons vouloir le bien, nous, théâtres prodiguant des spectacles et des tonnes de bonnes pensées et les occupants, dans cette bataille pour tout le monde qui ne rassemble pas grand monde (à La Colline, hier, ils étaient quatre) prodiguant tout autant de bonnes intentions, nous sommes ineptes et sots. Gravement ridicules. Tous. Chacune et chacun, lui et elle, luielle eului eulelle, çuelles et huile. Tou.t.e.s et tou.s. À croire que nous sommes beaucoup plus religieux que nous le pensions et que nous ne pouvons pas imaginer une solution sans qu’un sacrifice ait lieu. Nous qui nous réclamons d’une grande laïcité, nous qui prétendons être ouverts à l’autre, nous n’avons fait qu’entériner, jour après jour, tous autant que nous sommes, une triste messe faite de quiproquos, de malentendus, d’accusations maladroites et de calculs indignes de ceux qui se réclament des mots et de la poésie. Des curés qui s’ignorent. « Nous croyons savoir et nous ne savons pas que nous croyons ». Nous avons communié à l’hostie de nos « entre-soi ». Tous. Jolie branlette à laquelle la majorité de nos concitoyens ne comprend strictement rien et surtout pas le plaisir que l’on peut tirer d’un tel onanisme. Mais c’est ainsi. Chaque époque a les engagés qu’elle mérite. Et c’est nous, les engagés. Ça en dit beaucoup sur l’époque. Triste époque. Au moins, ayons l’élégance de reconnaître que nous n’avons pas su être brillants. Alors fasciite nécrosante. Et nous nous dévorons. « Où sont les poètes ? » interroge avec à propos un post-it collé dans le hall de La Colline. Les poètes ? Je crois qu’il faut leur foutre la paix. On ne mérite pas de prononcer un tel mot. Ils sont, je crois, morts de rire. Ce qui aurait été beau, évidemment, oui, c’est d’arriver, de ces théâtres et de ces révoltes, à faire un théâtre révolté. Mais pour l’instant, personne n’est prêt à faire le pas vers l’autre pour abandonner ce qui lui est cher. Les directions ne prennent pas part aux revendications des occupants et les occupants n’ont pas grand-chose à faire des conséquences des fermetures. Les uns disent comprendre les revendications des autres, les autres affirment comprendre la tristesse des uns. Bon. C’est chouette. On se comprend. C’est cool. On est ouvert. On a de l’empathie. Nous sommes épatants. Bon. Pourtant, certains crient victoire lorsqu’un théâtre voit les occupants partir, certains crient victoire lorsque l’on voit un nouveau théâtre bloqué. Dialogue de sourds comme on dit. Mais sourd à quoi ? À ce qui sourd bien entendu et qui ne dit pas son nom de l’insatisfaction générale qui s’est emparée du monde. Fragmenté, atomisé, chacun fait son magasinage au supermarché des chagrins : « ça, c’est mon malheur : je prends ; ça ce n’est pas mon malheur, je m’en fiche. Tiens ! Un malheur en solde ! Je prends, on ne sait jamais… » Et on passe à la caisse : fasciite nécrosante, quel bras va-t-on se couper pour payer son marché de chagrins ? Atomisation des intérêts, atomisation d’un monde qui n’accepte que de parler de soi. Jamais de l’autre. Le Rassemblement National a gagné du terrain et nous sommes, nous, directeurs et occupants, ses meilleurs représentants, puisqu’au-delà de toutes nos postures, nous faisons jour après jour de l’identité notre position, le ferment, le fer de lance de notre existence. Je suis un précaire, tu es un nanti, je suis un intermittent, je suis un chômeur, je suis un artiste, je suis un handicapé, je suis un noir, je suis un arabe. Depuis Molière la France est le pays des catégories : l’avare. Le tartuffe. Le médecin. Les précieuses. Le bourgeois. On prend une catégorie et on se fout de sa gueule. Quatre cents ans plus tard, quelques révolutions, des abolitions, des guerres mondiales, des collaborations et des résistances, des J’accuse, des Communards, des Vichystes, des bourreaux plus tard, nous en sommes encore à je suis cégétiste, je suis jeune, je suis étudiant-précaire, je suis nudiste-en-position-de-fragilisation, je suis bourgeois-précarisé-mais-en-voie-de-transformation, je-suis-futur-voltigeur-chômeur-mais-dandy-à-caractère-assexué-mais-que-pour-le-IVe-arrondissement-sauf-le-dimanche-où-j’élargis-jusqu’au-XIe-mais-pas-au-delà-du-boulevard-Voltaire, etc etc. Catégories, fragments, chacun dans son groupe, chacun dans son coin et, le plus drôle, c’est que chacun prétend se battre pour les intérêts de tout le monde. Atomisation des altruismes. Si la véritable bataille est celle de la collectivité, de l’être ensemble, alors cette bataille nous l’avons complètement perdue. Occupants et directions, nous sommes battus par nos identités qui ne disent pas leurs noms. Dans cette situation, impossible d’arriver à autre chose qu’à la tentation d’accuser l’autre camp d’être la cause du malheur. Le conflit israélo-palestinien ne raconte pas autre chose, en beaucoup plus terrible est-il nécessaire de le dire et je n’oserais pas comparer les situations ne serait-ce que par respect pour Issam et Elie, deux copains palestiniens avec qui je zoome et qui habitent la bande de Gaza. Ils suivent notre aventure comme on suivrait une série et, chaque nuit, ils me demandent de leur faire un point sur la situation des théâtres et du mouvement car ça leur change les idées et, surtout, ça les fait rigoler, ça leur fait beaucoup de bien d’entendre mes récits au milieu de leur malheur (surtout quand je leur dis que « nous aussi nous sommes occupés » ce qui déclenche chez eux une hilarité extraordinaire !). Et avant-hier, racontant nos négociations entre occupants et directions, Elie a eu les larmes aux yeux (nous étions un peu éméchés) et m’a dit « Ha ya Wajoud ! C’est pour ça qu’on se bat depuis trois générations ! Pour que nous puissions un jour avoir vos problèmes ! ». Alors non, je n’oserais pas comparer, mais je ne peux pas m’empêcher d’y penser. Et penser que dans toutes les situations de conflit, petit ou grand, beau ou minable, le nerf de l’humiliation est toujours celui auquel on accorde le moins d’importance bien qu’il soit le plus douloureux. Et, en ce sens, les Yitzhak Rabin finissent toujours assassinés. La métaphore pour parler de ce qui nous occupe ne peut donc pas être celle de ce conflit fraternel qui ensanglante le Moyen-Orient, mais bel et bien fasciite nécrosante dévoreuse de chair. Voilà pourquoi le théâtre de La Colline n’ouvre pas ses portes. Ce n’est pas parce que « ils » nous bloquent ou parce que « nous » ne les écoutons pas, mais c’est tout simplement parce que nous n’avons pas encore l’intelligence pour inventer le monde dont nous prétendons, si prétentieusement, si malhonnêtement, être les rêveurs. - Wajdi Mouawad le 20 mai 2021 Ps : Et l’État demanderaient certains ? L’État ? Eh bien l’État étage. De bas en haut. Et sans ascenseur : au rez-de-chaussée il ne se préoccupe pas des occupants, au 1er, il veut que les théâtres cessent d’être occupés, au deuxième, il a donné de l’argent à la culture et, tout en haut, dans les anciennes chambres de bonnes, il ne débat pas sur la réforme de l’assurance chômage dont le mouvement d’occupation exige le retrait.
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