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Avec la Scala et Jérémy Ferrari, les arts du rire font école 

Avec la Scala et Jérémy Ferrari, les arts du rire font école  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 16 mars 2024

 

Le directeur de la célèbre salle de théâtre, Frédéric Biessy, fait équipe avec l’artiste pour lancer une formation privée dédiée à l’humour à la rentrée 2024. L’occasion d’interroger le peu d’ouverture des écoles publiques d’art dramatique à ce pan de la création en pleine ébullition.

 

 

C’est l’histoire d’un mec, autodidacte, devenu humoriste à succès, qui veut aujourd’hui transmettre et qui s’estime «sincère». «Sincère», répète Jérémy Ferrari devant un parterre de professionnels et de journalistes, «ce n’est pas faire croire aux élèves qu’ils seront tous des stars en sortant de l’école», ce n’est pas «leur faire croire qu’on peut apprendre à être drôle» mais plutôt «leur apprendre à repérer quand ils le sont», les aider à trouver leur écriture mais aussi à comprendre les enjeux de production, de diffusion, de relations aux médias, de rhétorique, de suivi de la presse, bref, à comprendre un métier. Jérémy Ferrari se dit bien placé pour réfléchir à ce que pourrait être une formation idéale : il «déteste l’école» et n’en a fait aucune. «J’ai arrêté l’école en première. A 18 ans j’ai travaillé à mi-temps vingt heures par semaine pour pouvoir me payer les cours Florent, que j’ai arrêtés au bout d’un an et demi, en premier lieu parce que je trouvais ça trop cher au vu du nombre d’heure – neuf heures par semaine pour 350 euros par mois.»

 

Assis sur un tabouret – accessoire incontournable du standupeur – sur la scène de la Scala à Paris, aux côtés des codirecteurs des lieux, l’humoriste lançait jeudi 14 mars la future Ecole supérieure des arts du rire (Esar), dont il sera le directeur artistique. Non pas une «énième école de stand-up qui propose six heures de cours avec un parrain prestigieux», jure-t-il, mais une formation diplômante de trente heures par semaine sur deux ans. 26 élèves par promotion avec une première année passée à Avignon dans le fief de «Scala Provence», et la seconde à Paris, riche en intervenants à l’instar des humoristes Vincent Dedienne, Arnaud Tsamère ou de la philosophe Cynthia Fleury.

Folklore underground

Evidemment, l’Esar n’est pas la première école d’humour, convient le codirecteur Frédéric Biessy : «Si je dis ça, je me ferai des ennemis.» A l’échelle internationale, une référence existe à Montréal : l’Ecole nationale de l’humour, une formation avec laquelle la Scala pensait d’ailleurs créer des ponts, avant qu’une divergence d’objectifs ne fasse tomber à l’eau le partenariat. Pique de Frédéric Biessy : «Ils veulent former des stars. Nous on veut former des artistes, des comédiens, pourquoi pas des auteurs et producteurs.» La formation de Montréal est par exemple celle qu’a suivie l’humoriste Roman Freyssinet, qui dit trouver «super» le nouveau projet de la Scala. Quant à Paris, les formations privées essaiment depuis déjà des années, de l’Ecole du one man show, à la Paris Stand Up School (des cours du soir), jusqu’aux célèbres cours Florent qui proposent désormais un cursus dédié, charriant son lot de controverses sur la «récupération» marchande d’une pratique culturelle qui bichonne son folklore underground : le stand-up ne s’apprend-il pas aussi et surtout dans la confrontation directe au public des petites scènes des comedy clubs, pépinières autant qu’irremplaçables laboratoires de jeu ?

 

«L’un n’exclut pas l’autre», répond Pierre Hillairet, 24 ans, actuellement en formation à l’Académie d’humour, une autre école lancée en 2021 par Aude Galliou, Melissa Rojo et Perrine Blondel, par ailleurs directrice de la Petite Loge, microscène tremplin de la capitale. «Pendant dix mois j’ai appris en autodidacte, en jouant dans des caves pourries devant trois personnes, en lisant The Comedy BibleStep by Step ou The Comic Tool Book», raconte le jeune humoriste. Aujourd’hui, la formation qu’il suit coûte 5 200 euros l’année, une bourse lui permet de réduire le coût de moitié : «Mais vu le secteur, où il y a beaucoup de boîtes à fric, moi je suis super content de cette formation.» Et celle lancée par la Scala ? «Je trouve ça cool. Meilleures seront les écoles, meilleur sera le niveau dans le milieu. Après, il y aura toujours des détracteurs pour dire que l’humour ne s’apprend pas, etc.» En 2016, dans un papier du Monde, cette voix réfractaire était portée par Kader Aoun, ancien comparse de Jamel Debbouze et metteur en scène, avec des arguments bien connus depuis des siècles et qui concernent finalement tous les arts (en résumé : quelle digue entre vocation et profession, don et apprentissage ? Le talent s’enseigne-t-il ? Vous avez trois heures).

Coût élevé

Retour en salle, à la Scala : «Je peux faire l’avocat du diable ? Est-ce que vous n’allez pas créer des promotions de malheureux, vu que les comedy clubs sont déjà saturés, que c’est un secteur super concurrentiel ?» Jérémy Ferrari, circonspect : «Evidemment que c’est un monde cruel, de pouvoir, d’argent, de notoriété. Mais je ne vois pas en quoi une formation rend ce parcours plus difficile.» Il sera plus cher, par contre. Un an de formation à l’Esar coûte 9 000 euros. De quoi «non pas faire des profits, mais rester à l’équilibre»,  assure Frédéric Biessy. Sur une cinquantaine d’élèves recrutés, une dizaine pourra bénéficier des bourses mises en place grâce aux mécènes de la Scala et à la Sacem.

 

Dans la rue voisine, à Strasbourg-Saint-Denis, l’historique Ecole internationale Jacques-Lecoq, qui centre son enseignement davantage sur le masque, le clown et le corps que sur le texte, propose des formations professionnelles à 8 350 euros l’année. Le cursus «Stand Up» du cours Florent, coûte 3 400 euros, sans bourses possibles, avec moins d’heures de formation. Sur la question des critères économiques, Jérémy Ferrari assure que l’équipe continuera d’y travailler : «Il n’y a pas de projet parfait. On essaie de faire au mieux avec les cartes qu’on a, mais on est malheureusement dans un monde capitaliste. Nécessairement, certains ne pourront pas venir, mais c’est mieux que de ne rien proposer du tout.»

 

D’autant que les alternatives côté écoles publiques n’existent quasiment pas. Si, malgré son coût élevé, l’Esar de la Scala déclenche l’enthousiasme d’une partie du secteur de l’humour, c’est que les formations nationales ou régionales laissent un boulevard aux privés. A commencer par les écoles supérieures d’art dramatique – moins chères et très prestigieuses – qui tardent encore et toujours à intégrer à leur cursus des modules d’enseignements dédiés à ce pan de la création pourtant en pleine ébullition. Et cette indifférence paraît d’autant plus énigmatique si l’on rappelle, en outre, que les écoles publiques s’acharnent désormais toutes à favoriser la diversité socio-économique dans leur filière et que le stand-up attire justement beaucoup les jeunes des classes populaires.

Diplôme national d’artiste-humoriste

«Dans les écoles publiques, la place faite à la comédie bouge mais très timidement», confirme Corinne François-Denève, universitaire membre du groupe de recherche RIRH – sur le rire, donc – coordinatrice de l’ouvrage collectif la Chaire est triste – humour et enseignement (L’Harmattan). A Lyon, à l’Ecole nationale des arts et techniques du théâtre (l’Ensatt, anciennement Ecole de la rue Blanche à Paris), Mireille Losco-Lena lançait récemment un programme de recherche-création intitulé «Au risque de faire rire», après avoir constaté, explique-t-elle, la pauvreté des jugements esthétiques – disons la difficulté à en formuler – dans la sphère médiatique après la série la Meilleure Version de moi-même de Blanche Gardin en 2021. Au Théâtre national de Strasbourg (TNS), sous l’impulsion de la nouvelle directrice Caroline Guiela Nguyen, les équipes se disent elles aussi concernées et justement en plein travail sur le sujet : «C’est la question de l’écriture du stand-up qui nous intéresse particulièrement dans la réflexion en cours autour de l’école», fait savoir le TNS.

Guillaume Meurice, lui, n’a jamais vu l’intérêt d’un cursus distinct, a-t-il déjà fait savoir : chaque fois qu’il le peut, l’humoriste star de France Inter conseille plutôt aux élèves d’intégrer des écoles de théâtre plus classiques, qui entraînent à s’interroger sur les textes… Dont les auteurs sont très rarement des humoristes. «Il serait temps que ces écoles nationales s’ouvrent davantage à ce champ, je sais que certains élèves préfèrent en partir pour préférer des privées qui proposent des cursus humour», note Geneviève Meley-Othoniel, directrice générale de la future formation, longtemps référente sur les écoles d’art au ministère. «Peut-être vont-elles un jour vouloir nous copier ? lance, bravache, Frédéric Biessy. Ce serait super !» Geneviève Meley-Othoniel ambitionne même de faire reconnaître le diplôme de la Scala par l’Etat dès 2025, de l’inscrire dans le circuit licence-master-doctorat, et d’imaginer un jour, peut-être, un diplôme national d’artiste-humoriste. Face aux sourcils qui se froncent jusque dans le plus petit comedy club du Grand Paris, elle ajoute : «Pour asseoir enfin et pleinement la légitimité artistique de ce domaine.» Première promotion de l’école attendue dès septembre 2024.

 

 
 

Légende photo : L'humoriste Jérémy Ferrari jure ne pas lancer une «énième école de stand-up qui propose six heures de cours avec un parrain prestigieux».

 

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Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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Père du Trident, ex-directeur de l’Orchestre de Normandie, Pierre-François Roussillon est décédé

Père du Trident, ex-directeur de l’Orchestre de Normandie, Pierre-François Roussillon est décédé | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Noémie BAUDOUIN et Raphaël FRESNAIS - Publié le 13/05/2025 

 

De Cherbourg (Manche) à Mondeville (Calvados), la Normandie vient de perdre une des figures artistiques de ce dernier quart de siècle avec la disparition, samedi 10 mai 2025, de Pierre-François Roussillon. Fils du comédien Jean-Pierre, ce clarinettiste de talent avait choisi la voie de la musique avant de diriger trois scènes nationales à Cherbourg, Bourges et Malakoff. Dernier directeur du feu Orchestre régional de Normandie, il venait de reprendre le chemin des concerts avec sa clarinette.

 

 

Pierre-François Roussillon est né en 1962 pour être artiste. Fils du grand comédien Jean-Paul Roussillon, metteur en scène et sociétaire de la Comédie française, sa destinée s’impose à lui comme une évidence. « J’ai grandi dans les couloirs de la Comédie française, je les connais comme ma poche » confiait, dans un habituel sourire affable, celui qui a rendu son dernier souffle, samedi 10 mai 2025, du côté de Cherbourg, où ses obsèques devraient être célébrées prochainement.

 

La musique puis le théâtre

Plutôt que le théâtre ou le cinéma, Pierre-François Roussillon choisit d’abord la musique : la clarinette et le saxophone. Il crée des ensembles, joue sur de grandes scènes, mais lui vient l’envie « de s’engager en devenant directeur de théâtre » , se souvient son amie Isabelle Charpentier.

 

C’est ainsi que ce Parisien débarque dans le Cotentin en 2001 pour prendre, d’abord, la direction du théâtre de la Butte à Octeville, puis celle du théâtre national de Cherbourg-Octeville, après la fusion des communes et des deux établissements culturels. « Il a procédé à cette fusion avec beaucoup d’intelligence, d’humanité et de délicatesse, rappelle son amie. C’était un véritable tour de force. »

 

Il avait baptisé le Trident

C’est lui qui nomme le théâtre Le Trident et développe, autour de ce lieu culturel, tout un univers marin, symbole de Cherbourg. « C’était un paradis professionnel. Il nous faisait confiance, on s’est beaucoup amusés et on a été très créatifs. Il a fait venir de grandes pointures comme l’Ensemble intercontemporain. Pour Cherbourg, c’était une grande ouverture culturelle. »

Bourges, Malakoff, puis l’Orchestre régional

En 2006, il quitte la région pour diriger la Maison de la Culture de Bourges (Cher), puis le théâtre 71 de Malakoff (Île-de-France) en 2010. Retour aux sources en 2019, à la tête de l’Orchestre régional de Normandie (ORN) à Mondeville, près de Caen (Calvados).

 

 

Un orchestre de dix-huit musiciens qu’il rêvait de « faire rayonner au niveau national » nous confiait-il à son arrivée. On connaît la suite : à la rentrée 2024, l’ORN a fusionné avec l’Opéra de Rouen et Pierre-François Roussillon s’en est allé.

 

Cette fois, c’est pour de bon. Mais ce grand amateur de jazz laissera le souvenir d’un faiseur de liens, de dresseur de ponts entre les disciplines qu’il aimait tant « croiser ». Des ponts qu’il aurait mérité de dresser un peu plus longtemps. « Il venait de relancer sa carrière de musicien, regrette son ami Patrick Foll, directeur du théâtre de Caen, où il a livré un de ses derniers concerts fin avril. C’était un brillant clarinettiste, quelqu’un de rare. »

 

 

 

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Au Théâtre de l’Atelier, Hortense Belhôte amuse en prof d’histoire pointue autant que décalée

Au Théâtre de l’Atelier, Hortense Belhôte amuse en prof d’histoire pointue autant que décalée | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama le 12 mai 2025

 

Dans “1664”, sa nouvelle “conférence extraordinaire”, la performeuse et historienne de l’art convoque Colbert comme... Cyndi Lauper. Un cours d’histoire de France original, à voir jusqu’au 17 juin.

 

Réservé aux abonnés

 

Au Théâtre de l’Atelier, où elle présente deux de ses spectacles, l’étonnante Hortense Belhôte amuse autant qu’elle instruit. Dans 1664, la performeuse, historienne de l’art de formation, nous raconte cette année charnière pour la France, particulièrement marquée par l’absolutisme de Louis XIV. Et par l’apparition, à Strasbourg, de la bière qui porte le même nom. Vêtue d’un survêt aux singuliers motifs – baroques et dorés –, l’artiste nous conduit au château de Vaux-le-Vicomte, qu’elle connaît bien – elle lui a consacré son mémoire de recherche et y a tourné un film, à une époque où elle se cherchait et se consumait à grandes flammes.

 

D’anecdote en anecdote, elle retrace avec malice, vidéoprojecteur en main, l’histoire de France et l’histoire de l’art au XVIIe siècle qu’elle aime tant, mêlant à cette « conférence spectaculaire », autobiographique et enjouée, des éléments de son propre parcours. On y croise pêle-mêle ses amis, Colbert, Fouquet… et la chanteuse Cyndi Lauper. Et l’on redécouvre une forme à la croisée des genres, légère, profonde et habitée.

 

Kilian Orain / Télérama

 
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Le stand-up s’invite au Théâtre national de Strasbourg : « Pourquoi n’avons-nous pas considéré qu’il pouvait être un élément important de la culture commune ? »

Le stand-up s’invite au Théâtre national de Strasbourg : « Pourquoi n’avons-nous pas considéré qu’il pouvait être un élément important de la culture commune ? » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 9 mai 2025

 

 

Pour la première fois, un théâtre public, le TNS, met le genre à l’honneur pendant une semaine, du 10 au 15 mai. Rencontre avec la directrice du lieu, Caroline Guiela Nguyen, et Merwane Benlazar, l’un des humoristes invités de l’événement.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/09/le-stand-up-s-invite-au-theatre-national-de-strasbourg-pourquoi-n-avons-nous-pas-considere-qu-il-pouvait-etre-un-element-important-de-la-culture-commune_6604449_3246.html

Du 10 au 15 mai, le Théâtre national de Strasbourg (TNS) ouvre ses portes au stand-up, avec le TNS Comedy Club. Cette initiative inédite, voulue par la directrice de cette institution théâtrale, Caroline Guiela Nguyen, marque une étape importante dans la reconnaissance de cet art de la parole et de la vanne, souvent considéré comme un sous-genre par les théâtreux.

 

Le programme, composé en collaboration avec l’équipe de Madame Sarfati, le comedy club parisien créé par l’humoriste Fary, offre un échantillon éclectique de la scène actuelle du stand-up. Laura Domenge, Panayotis Pascot et Merwane Benlazar y présenteront leur spectacle. Le Plato, comedy club strasbourgeois, organisera une soirée mêlant artistes émergents et confirmés. Enfin, des élèves de l’école du TNS qui ont suivi un module consacré à l’écriture du stand-up roderont leurs blagues devant le public.

C’est la première fois que des stand-upeurs vont se produire sur une scène de théâtre public. Que représente cette expérience inédite pour chacun d’entre vous ?

Caroline Guiela Nguyen : J’ai toujours travaillé avec la volonté de battre en brèche l’idée qu’il existerait une hiérarchie, une classification des cultures. C’est profondément ce qui crée du mépris social et, surtout, ce qui nous empêche d’accéder à des formes d’art puissantes, parce que l’on estime que telle création relève du théâtre public et telle autre du théâtre privé, sous prétexte que cette dernière serait commerciale et pour le peuple.

 

En tant qu’artiste, directrice d’institution et d’école, mon travail est de totalement rebattre les cartes. Il était temps qu’on franchisse cette nouvelle étape parce que, en vérité, l’institution est en retard. Il s’agit d’être dans une égalité d’estime.

Dans notre programmation, nous avons des artistes comme Eric Feldman, qui a écrit On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie [en 2024], ou Laurène Marx, avec Pour un temps sois peu [2021] : ce sont des formes solos qui s’adressent directement au public.

 

Pourquoi ces spectacles-là ont-ils leur place dans des théâtres nationaux et pas le stand-up ? Parce que le stand-up c’est de l’humour ? Parce qu’il aborde des sujets très contemporains ? Parce qu’il est grand public ? La question qu’on devrait poser est : pourquoi, pendant très longtemps, n’avons-nous pas considéré que ce genre pouvait être dans des théâtres publics et un élément important de la culture commune ?

 

Merwane Benlazar : Jouer dans des comedy clubs, devant un public d’habitués, c’est une chose. Aller sur la scène du TNS, prêcher « au-delà de ma paroisse », devant un public qui n’a pas l’habitude de cette forme d’art, me donne le sentiment de faire pleinement mon travail.

Pourquoi y a-t-il cette hiérarchisation de la culture, pourquoi l’humour a-t-il longtemps été considéré comme quelque chose de moins noble ?

C. G. N. : Intuitivement, je dirais que c’est lié à la question de l’émotion. Je fais beaucoup de spectacles où les gens pleurent et, ça aussi, c’est considéré comme moins noble. Comme si l’émotion ne pouvait pas laisser la place au sérieux du politique, à la distance brechtienne qui permet de comprendre, d’analyser ; elle ferait bifurquer la pensée. Peut-être faudrait-il aussi regarder comment est né le stand-up et comment ceux qui le pratiquaient étaient alors considérés.

M. B. : Lenny Bruce [1925-1966], l’un des premiers stand-upeurs américains, a fait plusieurs séjours en prison parce qu’il évoquait des sujets très tabous pour l’époque. Officiellement, on lui reprochait sa vulgarité, et la police venait l’arrêter lors de ses shows. C’est ça, la base du stand-up : le principe même était de déranger. Il n’y avait pas encore de comedy clubs, le public le découvrait dans des clubs de jazz. On n’avait pas l’habitude, peut-être, de rire fort, de faire du bruit, d’être choqué, d’avoir toutes ces émotions.

En tant que stand-upeur, quel est votre rapport au théâtre ?

M. B. : Je suis né et j’ai grandi en Seine-Saint-Denis, où, grâce à l’école, j’ai pu découvrir des pièces au théâtre public Gérard-Philipe de Saint-Denis. Quand j’étais jeune, je trouvais le théâtre rigide, la lecture n’étant pas mon fort. Alors, quand je devais lire des pièces dans un français ancien, cela me demandait beaucoup d’efforts. Lorsque j’allais au théâtre avec le collège, cela m’intéressait, mais je n’avais pas la capacité de me concentrer sur les dialogues qui étaient datés, tout simplement parce que je n’avais pas le bagage culturel.

A 12-13 ans, j’ai découvert le stand-up grâce au « Jamel Comedy Club » à la télévision : dans sa façon de parler et de faire des blagues, cette troupe me ressemblait, je m’identifiais plus facilement. Le stand-up est davantage venu à moi que la dramaturgie classique.

 

Donc le théâtre est devenu, pour moi, l’endroit où j’allais voir du stand-up, et c’était dans des théâtres privés ou des salles municipales. J’ai suivi des cours d’improvisation au Studio Théâtre de Stains [en Seine-Saint-Denis], avec, comme premier professeur, le stand-upeur Kheiron et, à 16 ans, j’ai fait ma première scène de stand-up. Avec Caroline, nous faisons la même chose : le stand-up, c’est beaucoup de texte, d’écriture.

Et vous, Caroline Guiela Nguyen, quel est votre rapport au stand-up, comment l’avez-vous découvert ?

C. G. N. : C’est présent dans ma vie depuis longtemps. Je viens d’une famille où l’humour est très important. Je regardais à la télé le Jamel Comedy Club, mais aussi Gad Elmaleh, Elie Semoun, etc. Et j’ai continué. Par exemple, avec mon frère, des cousins ou des amis férus de ce genre, on s’envoie quotidiennement une dizaine de vidéos d’extraits d’humoristes trouvés sur Instagram. Puis on se rappelle, on se redit les punchlines et on mesure à quel point le choix des mots a un sens qui fait que soit ça passe, soit ça ne passe pas. C’est ténu.

 

Le stand-up, c’est vraiment de l’écriture. C’est ça que j’adore. En tant qu’autrice, quand j’écoute du stand-up, je suis dans un rapport très simple d’humour, mais aussi parfois dans la pensée politique. Réussir à écrire sur des sujets très actuels, en trouvant l’endroit où ça peut nous faire rire sans que ça flingue toutes les personnes autour, je trouve que c’est une prise de risque assez dingue.

Le stand-up a amené dans les salles de spectacle un public jeune et très diversifié…

C. G. N. : La question des publics, c’est mon obsession. J’ai toujours fait du théâtre en me disant : je veux que ce soit un lieu hospitalier, dans lequel ma mère se sente totalement à sa place. Je ne veux pas qu’elle entre dans la salle avec la peur au ventre, en ayant l’impression que ce n’est pas pour elle. Il ne s’agit pas uniquement d’accueillir du stand-up pour qu’il y ait des jeunes, des publics divers, mais de dire à ces publics-là : ce que vous aimez a de la valeur. Pour moi, il n’y a rien de plus violent, dans la vie, que d’attaquer les gens sur leurs goûts, de leur dire que ce qu’ils aiment n’est pas culturellement admissible.

 

Je suis très heureuse que le public qui ne va pas voir habituellement du stand-up, qui n’en connaît pas les codes, puisse y participer, mais aussi côtoyer un autre public, qui, lui, est très habitué à cette discipline. Il s’agit, finalement, de créer une nouvelle communauté dans la salle.

 

M. B. : S’agit-il aussi pour vous de questionner votre public d’habitués sur ce qu’ils pensent ne pas aimer ? Le type de stand-up que vous avez choisi pour ce TNS Comedy Club ne repose pas sur l’improvisation, mais sur l’écriture. Peut-être faudrait-il l’appeler « monologue comique », pour qu’il soit considéré différemment.

Cette initiative du TNS Comedy Club va-t-elle inspirer d’autres théâtres publics ou craignez-vous qu’elle soit critiquée parce que relevant, selon certains, du divertissement et du commercial ?

C. G. N. : Je n’ai pas peur de la critique, je fais les choses telles qu’elles me paraissent justes. Qu’est-ce qui fait que ça ne serait pas acceptable ? Qu’est-ce qu’un acte de théâtre ? Qu’est-ce qu’il doit y avoir, ou ne pas y avoir, dans un théâtre national ?

Si ma démarche soulève des questions, ce que je peux comprendre, c’est très bien. Allons-y, discutons, ça nous fait avancer. Pour être tout à fait sincère, je n’ai pas non plus envie que ça passe crème, comme si c’était normal. Je ne dis pas que j’ai envie que ça soit la révolte et que tout d’un coup on m’enlève mes subventions, je dis juste : réfléchissons tous ensemble.

 

Il y a quand même des choses qui avancent. Regardez Par les villages, mis en scène par Sébastien Kheroufi [en 2024], avec la rappeuse Casey dans la distribution. Il y a quinze ans, on se serait étonné de voir une femme qui fait du rap sur la scène de théâtre public. En fait, ça y est, tout est en train de se brouiller un peu. Les choses sont déjà en marche et nous, en tant qu’institution, il faut juste qu’on puisse être dans le même tempo.

En choisissant de faire du stand-up, quel est votre objectif premier sur scène ?

M. B. : Sans prendre le rôle de quelqu’un d’autre ou de m’adapter au public, j’essaie de changer le regard par le rire. Quand les gens rient avec moi, j’ai l’impression d’avoir servi à quelque chose, d’avoir mis une petite graine.

Mon spectacle s’est politisé sans le vouloir, notamment lorsque j’ai évoqué mon expérience de tournée en France, lorsque je faisais les premières parties de Panayotis Pascot ou de Roman Frayssinet. Les gens avaient un peu peur de voir arriver un barbu avec une capuche ! Finalement, après mon passage, pendant lequel ils avaient ri parce que je faisais des blagues sur le regard que je suscitais, peut-être se disaient-ils : « Ce n’est pas lui qui fait peur, c’est moi qui suis ridicule. » Si j’arrive à ça, c’est que j’ai fait mon travail.

Sur les préjugés et l’apparence physique, il y a eu la polémique suscitée par votre passage, le 31 janvier, dans l’émission « C à vous », sur France 5. Vous avez été accusé d’être un salafiste à cause de votre tenue et d’échanges de tweets. Que vous inspire cet épisode ?

M. B. : C’était un épisode malheureux, mais, finalement, quelle occasion formidable de faire mon travail ! Je suis évidemment meurtri par cette histoire, parce que j’aime mon pays, mais je suis content d’avoir pu montrer, à travers un sketch, toute l’absurdité de cette polémique. Et, finalement, les salles se remplissent très vite. Peut-être que, pour une fois, en me virant de la télévision, le ministère de la culture a bien fait son boulot. Ils ont mis la lumière sur un très bel artiste ! [rires]

 

C. G. N. : Franchement, cette polémique était surréaliste. C’est sidérant qu’on n’ait pas compris immédiatement que la seule chose dont il s’agissait, c’était de faire tomber un artiste parce qu’il est arabe et qu’il porte une barbe.

M. B. : Je pense que, à ce moment-là, les gens se moquaient de la vérité.

C. G. N. : Exactement. C’est devenu une attaque en règle sur ce que tu représentes. Evidemment, je suis allée vérifier dans les échanges de tweets si tu avais tenu des propos misogynes. Il n’y a pas de sujet. Tu l’expliques très bien dans le sketch que tu as fait pour répondre à la polémique, tu es sorti de cette histoire de façon digne. Ton sketch a plié le game !

L’arrivée du stand-up dans la programmation a-t-elle un impact sur la formation au sein de l’école du TNS ?

C. G. N. : Pour la section jeu du concours du TNS, on a changé les intitulés pour le premier tour de sélection. Les élèves peuvent présenter des textes classiques, mais aussi du stand-up.

 

 

TNS Comedy Club, du 10 au 15 mai, au Théâtre national de Strasbourg.

 

 

Sandrine Blanchard / LE MONDE

 

Légende photo : Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre national de Strasbourg, à Strasbourg, le 25 janvier 2025. SMITH/MODDS

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May 9, 10:49 AM
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«La Défense» de Lorraine de Sagazan : devant le tribunal de Paris avec des avocats, refaire justice hors les murs 

«La Défense» de Lorraine de Sagazan : devant le tribunal de Paris avec des avocats, refaire justice hors les murs  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 8 mai 2025

 

 

A partir du samedi 10 mai et pendant six jours, des pénalistes réunis par la metteuse en scène offrent symboliquement à d’anciens prévenus le temps de plaidoirie qu’ils n’ont pu avoir en comparution immédiate.

 

Est-ce la justice telle qu’elle devrait être, et pourrait être si notre système actuel versait moins dans l‘exaltation de la répression ? C‘est en tout cas la défense que Khallaf Baraho, aujourd‘hui comédien, hier «serial» détenu, aurait «adoré avoir» il y a vingt-et-un ans au tribunal de Dijon. En mars dernier, loin des salles d‘audience et devant les spectateurs d‘un centre d‘art (le Mac Val de Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne), l’avocat Raphaël Kempf rejouait la défense de l‘ancien prévenu, en lui offrant ce à quoi il n’avait pu prétendre en comparution immédiate en 2004 : la possibilité de rencontrer son conseil plus de six minutes, de lui détailler son histoire, d‘écouter ensuite une plaidoirie minutieusement préparée et longuement argumentée.

 

La Défense est une œuvre d‘une drôle de nature, inventée par l‘artiste Lorraine de Sagazan. Un rituel de conjuration original, puisqu’il s’agit de rejouer une audience passée de manière symbolique. Une expérience critique du système judiciaire actuel, aussi, qui voit les comparutions immédiates se normaliser, là où cette procédure était, au début des années 2000, censée rester exceptionnelle. La performance s’inscrit dans un vaste projet mis en place par l‘artiste depuis quatre ans autour des défaillances du système judiciaire, nourri d‘un travail de documentation et d‘enquête auprès de magistrats, de détenus, de sociologues, de philosophes, et qui se décline aujourd‘hui en pièce de théâtre (Léviathan, au festival d‘Avignon l‘an passé et actuellement au théâtre de l‘Odéon jusqu’au 23 mai, dans laquelle joue d‘ailleurs Khallaf Baraho), en installation plastique (le très beau Monte du Pietà avec des textes de la poète Laura Vazquez) et en tables rondes données en marge des représentations, fédérant chaque fois différents maillons de la chaîne judiciaire.

«Qu’une défense au rabais»

 

Il y a vingt-et-un ans, donc, c‘était l‘histoire banale d‘une conduite en scooter sans permis et sans casque sur un parking. L‘histoire d‘une récidive, d‘un flagrant délit et d‘un jugement expédié. Après sa garde à vue, Khallaf Baraho était jugé en comparution immédiate et se souvient bien de débarquer à son audience après deux nuits passées en geôle, «pas douché, puant, hagard», en ayant rencontré l‘avocat d‘astreinte en coup de vent. Durée totale de la procédure, vingt minutes «à tout casser», se souvient l‘intéressé. «La problématique des comparutions immédiates, c‘est le temps.» Elle concerne aussi les avocats, unanimement critiques envers cette procédure, en dépit de leur orientation politique. Avec parfois cinq clients à défendre lorsqu’ils sont de permanence l‘après-midi, «ils ne peuvent construire qu’une défense au rabais», poursuit Khallaf Baraho. Lui a pris six mois ferme. A 24 ans, ça l‘a «désocialisé à nouveau», dit-il.

 

Khallaf connaissait déjà la prison depuis l‘adolescence, comme tous les jeunes de son quartier dijonnais, «je traînais dans la rue la plus criminogène du quartier le plus criminogène de la ville. La prison, ici, c‘est la norme, à 18 ans, t’es déjà vacciné. Je n’ai pas un seul de mes amis et voisins qui n’y soit passé. C‘est con, mais c‘est un truc de mimétisme social : si tout le monde avait joué de la harpe, j’aurai fini harpiste. Ici, tout le monde passait en prison, alors…» Il a enchaîné les braquages. Il ne cache rien de son parcours : «Tout est sur Google quand on tape mon nom ! J’ai honte de mon passé mais c‘est mon passé.» Le présent, lui, il le doit à l‘association pour la réinsertion Wake up café, à une prof d‘atelier théâtre extraordinaire à Laon (Aisne), Aurélie Adamiak, aux auteurs dévorés quand il animait la bibliothèque de la prison («tous les Bourdieu, les Derrida et tout…»). A Lorraine de Sagazan, aussi : «Quand j’ai été choisi pour participer à la pièce de théâtre Léviathan, c‘était un peu comme si je jouais en D2 et que d‘un coup, j’étais recruté au PSG.»

 

Il a pu raconter tous les détails de son parcours à Raphaël Kempf, cet avocat connu comme défenseur d‘activistes, de gilets jaunes et de victimes de violences policières. Durant le processus de création de la Défense, le pénaliste n’a cessé de s’interroger : «Que veut dire exactement rejouer cet épisode puisque la peine de prison a déjà été effectuée ? En comparution immédiate y a une forme d‘incomplétude, la sensation de n’avoir pu simplement exercer son travail. Donc, se dire «reprendre le temps», «re-déplier ce que nous n’avons pas pu faire au tribunal», cela m‘apparaît comme symboliquement fort, confie aujourd‘hui Raphaël Kempf. Ça ne va pas réparer des mois de prison mais ça permettra sans doute de remettre des mots sur une souffrance subie. Et moi, ça me fait considérer autrement ma pratique.» En rencontrant Khallaf Baraho, l‘avocat s’est rendu compte, entre autres, qu’un «aspect majeur de son histoire n’avait pas pu être développé. Non parce que [sa] consœur avait mal fait son travail à l‘époque, mais parce que les conditions systémiques dans lesquelles elle a travaillé rendaient tout développement impossible.»

 

«Une défense de rupture»

Face public au Mac Val, l‘avocat et l‘ancien détenu reproduisaient en mars les sept minutes de rencontre chronométrées normalement accordées à cette procédure. Puis, un hors-champ se dégageait, ouvrant l‘espace sur le récit manquant, celui qui n’avait pu se déployer à l‘époque dans l‘espace-temps usuel des comparutions immédiates. Ensuite seulement commençait la nouvelle plaidoirie, longue, une vingtaine de minutes. Aujourd‘hui, Khallaf Baraho dit de Raphaël Kempf qu’il lui a offert «une défense de rupture, superbe, qui insistait sur l‘idée qu’on avait moins jugé les faits à l‘époque que des éléments de [s] on passé.» Dans quelques jours, une troisième plaidoirie à partir de son dossier d‘antan verra le jour, cette fois sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris. Là-bas, six anciens détenus et six avocats (dont Arié Alimi, très associé aux recherches de Lorraine de Sagazan) rejoueront six versions alternatives et utopiques d‘audiences passées.

 

Khallaf Baraho, lui, jouera en parallèle dans la pièce Léviathan. Vendredi 2 mai, il invitait pour la première représentation parisienne sa prof d‘atelier théâtre de Laon, des membres de l‘association pour la réinsertion Wake up café et quatre amis qui ont eu comme lui un passé carcéral et ne sont jamais venus au théâtre. Il participe également à une autre œuvre de Lorraine de Sagazan, elle aussi en tournée. Monte di Pietà réunit pour une exposition des objets symbolisant tous une injustice pour leurs propriétaires. «Un abri pour chagrin», dit l‘artiste. Sur les cimaises sont suspendus ici un justaucorps de patinage artistique ou là une cassette audio de l‘année 1987.

 

Les objets de la douleur ne sont pas encadrés, ils sont crucifiés au mur avec des pieux. Comme pour tuer des vampires. «Dans les monts de piété, les objets laissés en gage étaient suspendus à des clous», précise Lorraine de Sagazan. L‘installation, déjà montrée à la Collection Lambert d‘Avignon en juillet 2024, à la Biennale d‘art contemporain de Lyon à l‘automne 2024 sera aussi reprise à la Biennale de Venise l‘an prochain. Parmi tous les objets cloués au mur, auxquels sont accrochées de petites étiquettes nominatives comme dans les morgues, l‘un est lié à Khallaf Baraho. «Lorraine m‘a fait une surprise : elle a cloué au mur, avec une étiquette à mon nom, une bombe lacrymogène.» L‘objet pour lui fondateur d‘une partie de vie passée en détention. Aujourd‘hui mis à bonne distance, exorcisé sur un mur de musée.

La Défense de Lorraine de Sagazan, de samedi jusqu’au 16 mai à 17 heures ou 18 h 30 sur le parvis du tribunal de Paris. En marge des représentations de Léviathan, au théâtre de l’Odéon jusqu’au 23 mai.
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May 8, 8:35 AM
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« L'Hôtel du Libre-Echange », les (très) drôles d'oiseaux de Feydeau et Nordey

« L'Hôtel du Libre-Echange », les (très) drôles d'oiseaux de Feydeau et Nordey | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Amélie Blaustein Niddam dans Cult.news - 7 mai 2025

 

 

Sur le papier, le roi de la radicalité et celui du vaudeville ne pouvaient pas se rencontrer. Voici un stéréotype bien ancré sur le théâtre public : il serait très austère. Eh bien non ! On peut y rire !  Plongez dans l’écriture au cordeau de Feydeau, porté par la direction marathonienne des acteurs et des actrices de la troupe de Nordey. Vous y laisserez sans doute quelques plumes semées par Raoul Fernandez  entre deux portes qui claquent. Ciel ! C’est génial !

 

« On vous a défié de prendre un amant, et bien, je relève le défi ! »

Régulièrement, les plus grands metteurs en scène montent des Feydeau pour en montrer la finesse et l’exigence, loin de l’idée d’un théâtre de boulevard, un théâtre du divertissement bête. Sivadier en 2009 faisait voler les portes à claquer dans La Dame de chez Maxim, et Nordey déjà en 2003 explorait La Puce à l’oreille. Plus de vingt ans après, il revient donc à Feydeau en reprenant les mêmes motifs scénographiques. La première scène s’ouvre dans le texte. Nous sommes face à un mur qui porte les premiers mots de la pièce et ses didascalies.  Les murs sont pleins de mots. La scène, elle, est plutôt épurée. Dans l’espace blanc, on trouve une table d’architecte, deux portes, une chaise, un grand élément non identifiable recouvert d’un drap. Nous voici dans le cabinet d’entrepreneur de Monsieur Pinglet (Cyril Bothorel), Angélique son épouse (Hélène Alexandridis) le retrouve rapidement pour lui parler chiffon. La pièce a commencé depuis moins de cinq minutes que déjà, les joutes ont commencé. Il est odieux, misogyne et macho, il la méprise et lui parle très mal. Elle se défend délicieusement, « vous n’avez pas de goût » lui dit-elle. Entre eux deux, la routine et son lot d’aigreur a remplacé la passion des débuts. Il en va de même pour l’architecte et sa femme, monsieur et madame Paillardin (Marie Cariès et Claude Duparfait) et leur neveu Maxime (Damien Gabriac).  S’ajoutent, Victoire, la bonne très directive (Anaïs Muller) et la visite d’un ami de province et de ses quatre filles aux noms de fleurs, (Laurent Ziserman, Tatia Tsuladze, Sarah Plume, Ysanis Padonou et Alexandra Blajovici). Rapidement, une dispute arrive entre les deux couples, car Paillardin doit découcher pour le travail. Il doit aller passer la nuit à l’hôtel du Libre Échange, 220, rue de Provence, pour une expertise : le lieu serait hanté, il faut démêler le vrai du faux. Par des hasards absurdes, absolument tous nos protagonistes se retrouvent dans cet hôtel de passe dirigé par Bastien, un drôle d’oiseau de cabaret campé par Raoul Fernandez. Le premier acte est là, dans sa composition, pour poser les gongs des 197 portes à claquer dans le second acte. 197 !

« Dans le lit, un homme !»

De Paris à la Province, mais aussi des quartiers chics de Paris à ceux populaires, Feydeau et Nordey nous baladent dans les faux-semblant de la bourgeoisie qui s’ennuie, utilise ses domestiques comme des esclaves corvéables et manipule à coup de corruption les fonctionnaires. La critique est aussi clinique que le texte est rapide,  demandant à la troupe de jouer à un rythme fou en suivant à la fois les demandes de Feydeau et celles de Nordey, tous les deux finalement d’accord à quelques décennies d’écart sur le fait qu’un texte, ça se porte avec le corps. Mais alors que la grivoiserie est de mise, Raoul Fernandez aux costumes, choisit de couvrir ces corps justement avec des allures de poussins blancs aux jambes maigrichonnes. Tous et toutes se promènent avec une robe en forme de cloche qui paraît s’envoler, c’est hautement délicieux ! Dans une alliance du classique et du contemporain, les crinolines sont suggérées tout comme les basques qui soulignent les hanches.

 

«Dieu ! Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ? Mon Mari !»

On se jette dans ce plaisir de les suivre se planter, se cacher derrière ces portes qui ne cachent rien. Les filles mènent le jeu malgré la puissance des hommes. Ce sont elles qui négocient avec leurs consentements et deviennent malgré elles des spectres permettant aux idées solides de s’effondrer. On rit aux éclats en même temps qu’on est subjugué par le talent et la dextérité conjointe de la mise en scène, de la scénographie et de ces courts dialogues, incisifs. Au XXIe siècle, on pourrait dire que Feydeau est le roi de la punchline. On entend  «On ne peut pas demander à un manchot de jouer du violon » par exemple. Et ça fuse, et ça n’arrête pas. Le texte joue aussi du comique de répétition, et s’amuse à nous manipuler, nous spectateurs et spectatrices, nous tordant de rire avant qu’une scène inévitable advienne. Seule la jeunesse s’en sort dans cette histoire, libre de se barrer du couvent ou de vivre un amour en se foutant des classes sociales.

En alliant la beauté à l’humour, le cynique au burlesque, Nordey donne à entendre la part engagée de ce texte. Il révèle au-delà du rire une caricature cinglante d’une époque de domination pas si éloignée de la nôtre, où des puissants se croient au-dessus des lois. Mais chez Feydeau, les méchants chutent et les gentils gagnent, dans un énième éclat de joie.


Jusqu’au 13 juin au Théâtre de l’Odeon - 6è

Visuel : ©Jean-Louis Fernandez

 

Amélie Blaustein Niddam / Cult.news

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May 8, 3:30 AM
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Guillaume Gallienne, Caucase départ 

Guillaume Gallienne, Caucase départ  | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 

L’acteur et sociétaire du Français, en proie aux colères comme à la mélancolie, retrouve ses racines géorgiennes.

 

Il dit tout, dans le Buveur de brume, alors ne répétons pas ici ce que vous y lirez, ni ce que vous savez grâce au film les Garçons et Guillaume, à table !. Le sociétaire de la Comédie-Française s’est longtemps glissé dans la peau des femmes. A l’école, on le traitait de «tapette», de «pédale», et ses parents ne lui venaient pas en aide. Au contraire, son père «paranoïaque», écrit Gallienne, distribuait à sa progéniture (six enfants dont une fille) des coups de ceinture. Sa mère était «drôle» mais «sans tendresse». A 12 ans, le futur comédien fit une dépression. Dans ces pages autobiographiques ne pointent ni l’amertume ni le pathos, mais se répète la crainte de sombrer à nouveau dans une mélancolie déguisée en paresse, comme chez Oblomov. Alors il bataille contre la chute et lorsque la souffrance rejaillit, il explose. Ce volume de la collection Ma nuit au musée surprend car l’autoportrait n’y est pas flatteur.

 

 

Avant de rencontrer l’acteur dans un restaurant géorgien dont il est un habitué, près de la place de la République, j’avais des réserves. M’agaçait l’orgueil qui se dégageait de ce qu’il appelle de façon désuète son «lignage». L’acteur, par sa mère, descend d’une famille géorgienne aristocratique à laquelle il est très attaché. Le Buveur de brume se passe en partie à Tbilissi, où il se rend pour contempler  le portrait de son arrière-grand-mère surnommée Babou, peinte par le portraitiste Savely Sorine. Cette hérédité, écrit Gallienne, confère «une légitimité inscrite», «un honneur venu de très loin». Il consacre de surcroît plusieurs paragraphes à son propre caractère, colérique. Comment serais-je accueillie si je débarque au mauvais moment ? Il m’attend au restaurant, avec le sourire. La rencontre me restera en mémoire. Guillaume Gallienne est un écorché vif, précieux, grande diva, fébrile, généreux, singulier, très attachant.

 

 

L’heure et demie passée avec lui m’a «retournée», me fait remarquer le chef des pages «Portraits». J’ai bu deux verres de vin blanc en partageant un hatchapuri, délicieux pain fourré au fromage. Un peu ivre à la sortie, j’adressais par SMS au chef la liste des qualités de ce fils de l’Orient compliqué, chaleureux et sensuel dont la Géorgie est la fille. Le lendemain, je reprenais mes esprits mais demeurais enthousiaste. A deux reprises au cours de la conversation, Gallienne a littéralement ravalé un sanglot : la première fois en se souvenant de sa sœur et de son frère décédés, la seconde en évoquant le spectacle d’Alex Lutz sur son père - Sexe, Grog et rocking chair qui reprendra au Cirque d’hiver, à Paris, en juin.

 

 

Ancien sociétaire de la Comédie-Française, Philippe Torreton a peu fréquenté Gallienne, mais il l’apprécie : «Il existe plusieurs familles de comédiens. Vilar imaginait qu’il y avait les princes et les rois, distinguait les comédiens cérébraux, lunaires, ascétiques, des comédiens plus ancrés dans le sol, plus concrets. Pour moi, Guillaume est un peu le trait d’union ou le chaînon manquant entre ces deux catégories. Il y a chez lui du cérébral et en même temps un jeu puissant, du courage. Il y va, comme on dit. Ça passe ou ça casse, mais il y a une mobilité chez lui que j’admire. Son enfance protéiforme l’a fait emprunter des chemins singuliers. Il est mouvant et par là, pour moi, très émouvant.»

 

Gallienne s’est converti à la religion russe orthodoxe et s’est marié selon le rite avec Amandine Guisez, styliste spécialiste des couleurs. Ils ont prénommé leur fils de 18 ans Tado, diminutif de Thaddée. Saint-Thaddée aurait évangélisé le Caucase. Le Buveur de brume est dédié à Tado : «J’avais envie de lui dire : “Les archives, tu n’es pas obligé de te les trimballer. On n’est pas forcément prisonnier d’un truc préétabli.”» Pourtant Gallienne insiste : ses ancêtres l’«obligent», y compris son père. Je fais la moue. «Je vous assure que c’était un mec bien, très intelligent.» Jean-Claude Gallienne, très cultivé, comme son épouse, avait lui aussi fait les frais, enfant, d’une violence intergénérationnelle. Il dirigeait une entreprise de transports dont les bus circulaient en Seine-Saint-Denis et dans le Sud de la France : «Il était sur le terrain et fréquentait des hommes politiques de tous bords, même si on était plutôt à gauche.» Des politiques, son fils en côtoie également, mais il refuse de citer des noms et de dévoiler ses opinions : qu’apporterait ce déballage, se demande-t-il ? Bien que la situation française l’intéresse, il est «très concentré» sur la Géorgie, «parce qu’on a un gouvernement corrompu, reconnu par personne à part la Russie, la Corée du Nord et le Nicaragua. Le parti au pouvoir, Rêve géorgien, est une dictature déguisée à la solde totale de Poutine, et qui très vite sera à sa botte. J’ai un cousin de 20 ans qui est Rêve Géorgien. Il a la morgue des vainqueurs.»

 

 

Après son bac, Guillaume Gallienne étudie l’anglais et l’histoire. Sa cousine Alicia, qu’il adore, meurt en 1990, à 20 ans, d’une maladie du sang. C’est pour le jeune homme un tel tremblement de terre, qu’il ose parler à ses parents de ce qui le sauvera, lui : faire du théâtre. Entré à la Comédie Française, il incarne des personnages de Tchekhov et de Molière, dont un excellent Malade imaginaire. Il a été Lucrèce dans Lucrèce Borgia. Il s’est mis dans la peau de cette femme à un point tel qu’il a vécu dans sa chair la haine des autres personnages envers elle. Il travaille à un rythme soutenu. En ce moment, il tourne une comédie de Rémi Bezançon avec Lætitia Casta et Gilles Lellouche, réalise Cyrano de Bergerac en film d’animation avec des animaux, et depuis le 7 mai, reprend le Bourgeois gentilhomme au Français dans la mise en scène de Christian Hecq.

 

 

L’appartement parisien qu’il habite avec sa femme et leur fils lui plaît : il fallut cinq déménagements pour que l’acteur, enfin, se sente chez lui. Ils ont fui le bruit, le manque de lumière et le voisinage : «C’était la France en 1940. Je disais à Amandine : “Si l’Occupant débarque, on se retrouve au Vel d’Hiv dans la seconde.” Pour la première fois, I feel at home.» Adolescent, Gallienne a connu une parenthèse enchantée dans un pensionnat anglais, quitté à contrecœur à 16 ans. Il lui en reste une maîtrise parfaite d’une langue dont il parsème à petites doses son français.

Quand il ne travaille pas, il lit et emmène son fils à l’opéra, cet «endroit où les metteurs en scène sont libres de toutes les audaces». Récemment, Guillaume Gallienne était l’invité de la Conférence du stage, qui a pour tradition de convier un artiste. Les avocats candidats à ce concours de rhétorique devaient répondre en douze minutes à ces deux questions, adaptées à la personnalité  de leur hôte : «L’imaginaire est-il malade ?» et «Le genre est-il un jeu ?». «J’avais envie de leur crier : “Vas-y !”.» A Tado, il dit : «Prépare ta chance, fais des rêves, balance-les dans l’univers et ils te reviendront. Irradie de désirs, même fous.» A propos des fous, dont il dresse l’éloge, il cite Michel Audiard : «J’aime les fêlés, ils laissent passer la lumière.»

 
 

8 février 1972 Naissance à Neuilly-sur-Seine.

 

1998 Entre à la Comédie Française.

 

2014 Réalisation de les Garçons et Guillaume, à table !

 

Mai 2025 Le Buveur de brume (Stock).

 
Légende photo : Guillaume Gallienne à Paris, le 29 avril 2025. (Martin Colombet/Libération)
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May 5, 7:12 PM
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Stanislas Nordey caracole sur les mots de Feydeau, avec « L’Hôtel du Libre-Echange », au Théâtre de l’Odéon

Stanislas Nordey caracole sur les mots de Feydeau, avec « L’Hôtel du Libre-Echange », au Théâtre de l’Odéon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Toulouse ) pour Le Monde - 5 mai 2025

 

 

Le metteur en scène donne à voir un ballet étourdissant et burlesque où le langage se fait révélateur de l’inconscient des personnages.

 


Lire l'article sur le site du "Monde"
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/05/au-theatre-de-l-odeon-avec-l-hotel-du-libre-echange-stanislas-nordey-caracole-sur-les-mots-de-feydeau_6603127_3246.html

 

 

Au Théâtre de l’Odéon, à Paris, la saison se termine dans le plaisir. Stanislas Nordey, plus coutumier d’un registre empreint de gravité, s’offre un retour à Georges Feydeau (1862-1921), vingt ans après avoir monté La Puce à l’oreille. Et nous fait le cadeau d’une légèreté bienvenue dans la pesanteur ambiante, avec cet Hôtel du Libre-Echange qui caracole avec une liberté folle dans l’univers du grand vaudevilliste français. Lequel, décapé de ses afféteries bourgeoises, retrouve toute sa fraîcheur, sa folie, sa dimension fantastique et surréalisante.

 

Chez ce Feydeau-là, le plaisir vient d’abord de voir le délire, la panique, monter en tourbillon à partir des situations et des fantasmes les plus communs – fantasmes tenant en un mot : coucher, dans une société reposant sur l’institution du mariage. Soit, donc, une équation simple au départ : deux couples vivant sur le même palier, les Pinglet et les Paillardin. Monsieur Pinglet, à qui sa femme, Angélique, donne visiblement peu de satisfactions au lit, rêve de faire la chose avec Marcelle, la femme de Paillardin – le mal nommé, puisqu’il est de toute évidence peu allant de ce côté-là.

 

Au milieu de ces exaspérations conjugales arrive un prospectus publicitaire vantant les charmes de l’Hôtel du Libre-Echange : « Sécurité et discrétion ! Hôtel du Libre-Echange, 220, rue de Provence ! Recommandé aux gens mariés… ensemble ou séparément !… ». Ni une ni deux, Pinglet propose à Marcelle de s’y retrouver le soir même, pour goûter aux folles joies de l’adultère. La mécanique est enclenchée, qui verra tous les protagonistes de la pièce se retrouver dans cet hôtel de passe au cours d’une nuit totalement dingue, avec – entre autres – quelques fantômes et quatre jouvencelles de Valenciennes tout juste sorties du couvent.

Qu’est-ce qui peut bien intéresser Stanislas Nordey là-dedans, lui qui est plus coutumier de Pasolini et des écritures contemporaines les plus pointues ? Le langage, d’abord, que Feydeau, bien avant Jacques Lacan, manie comme un révélateur de l’inconscient des personnages, avec un pouvoir comique sans égal. Et la dimension kafkaïenne de cet étourdissant ballet où les protagonistes ne savent plus qui ils sont, où ils sont, où la réalité se dérobe sous leurs pas, où la mécanique bourgeoise bien huilée se détraque, où des fantasmes pas bien méchants – néanmoins empreints d’une misogynie crasse – débouchent sur une vision cauchemardesque du monde.

Costumes iconoclastes

Ce qui ne signifie aucunement que le metteur en scène en rajoute dans la noirceur. Tout au long du spectacle se distillent une légère distanciation, un sens du burlesque, tout autant qu’un regard qui ne déshumanise pas ces personnages affolés, dans le miroir qu’ils nous tendent. Exit le décor réaliste et chargé décrit par les longues didascalies de la pièce, dont le texte s’imprime sur les murs blancs du décor, avant que ne se déploient les ors et les rouges un peu miteux du fameux hôtel.

Le plaisir théâtral se déploie aussi dans les costumes iconoclastes signés par Raoul Fernandez, à l’image de la robe-lampadaire d’Angélique Pinglet, qui ne saurait mieux dire à quel point cette femme n’est rien de plus qu’un meuble, un élément de décor, dans le regard de son mari. Ou encore de ces capes de plumes dont sont revêtus ces drôles d’oiseaux lors de la folle nuit à l’hôtel, et qui résonnent avec la photo d’une tête d’autruche, affichée plus tard dans le spectacle.

 

Se mettent-ils la tête dans le sable, ces êtres qui incarnent une société vieillie, privée de vraie pulsion vitale, puisque l’acte sexuel, ici, reste jusqu’au bout inassouvi ? Ils font face en tout cas à une jeunesse à la vitalité éclatante, à l’instar de Victoire – qui ne porte pas son prénom pour rien –, la femme de chambre des Pinglet : c’est elle qui mène le jeu, dans cette mise en scène qui laisse clairement voir que le dernier mot revient à la jeunesse, au plaisir, et à ceux que cette société considère comme inférieurs.

Cette Victoire aussi affûtée que les soubrettes de Molière est formidablement interprétée par Anaïs Muller. Mais toute la distribution est à l’unisson : les acteurs portent haut le type de jeu particulier de Stanislas Nordey, qui projette le langage dans l’espace notamment dans les mouvements des bras. Un jeu superbement incarné dans les corps, par jeux de résonances et de contrastes. Cyril Bothorel (Pinglet), démesurément long et mince, s’oppose à ce tanagra qu’est Marie Cariès (Marcelle Paillardin). Claude Duparfait, comme toujours, n’a pas son pareil pour donner chair au névrosé Paillardin, affligé de tics et de spasmes divers. De même qu’Hélène Alexandridis en Angélique Pinglet, dont la déstabilisation se lit dans tout son être. Avec Feydeau vu par Nordey, c’est le libre-échange entre les mots et les corps qui gagne.

 

 

Voir le teaser vidéo

du spectacle

 

L’Hôtel du Libre-Echange, de Georges Feydeau. Mise en scène : Stanislas Nordey. Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 6e. Du 6 mai au 13 juin.

 

 

Fabienne Darge (Toulouse ) / Le Monde 

Légende photo : « L’Hôtel du Libre-Echange », de Georges Feydeau, mis en scène par Stanislas Nordey, le 6 mars 2025. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

 

 

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May 4, 5:03 PM
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Avec «Makbeth», le Munstrum crie sur tous les rois 

Avec «Makbeth», le Munstrum crie sur tous les rois  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération -  4 mai 2025

 

Le classique de Shakespeare est mis à jour dans une interprétation spectaculaire et masquée où la pyrotechnie gestuelle crée des images inouïes.

 

 

 

Macbeth avec un K, il suffirait d’une lettre pour tout faire exploser ? En tout cas c’est le programme du Munstrum, compagnie «pleine de bruit et de fureur», qui déborde cette fois la pièce monstre de Shakespeare, n’en déplaise aux «universitaires» dénoncés sur scène dans un aparté inutilement démago. On a bien compris que l’académisme convenu n’aurait pas sa place dans cette version clownement funèbre, peuplée de figures aux masques de résine, qui sont à chaque fois, ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait des autres ; prenez les deux sculptures de la pochette The Division Bell des Pink Floyd et vous aurez le couple Lionel Lingelser en Lady et Louis Arene en Macbeth.

 

 

Alors pour exister dans un monde où chacun⋅e est tous les autres à la fois, bourreaux et victimes, il faut forcer le trait et tout donner. Derrière leurs masques, les interprètes du Munstrum ne s’économisent pas. Chorégraphies, courses, roues circassiennes, scènes de combat, les corps exultent dans une pyrotechnie gestuelle sur plus de deux heures, véritable marathon pour ces athlètes activistes qui se vautrent joyeusement dans l’esthétique élisabéthaine de Shakespeare. Et puis ça gueule à tout va, pas une prise de parole qui ne soit pas hystérisée dans ce théâtre de tradition expressionniste, au fond plus «universitaire» qu’il ne le croit. Crier comme pour se débarrasser de la parole, krier avec un K, et pourquoi pas.

Gang bang de créatures texturées goudron

Makbeth, c’est ici l’histoire d’un tyran à double tête, couple queer et machine de morts qui cherche la paix de son pays dans l’extermination. D’abord supprimer le corps du pouvoir, le roi Duncan, puis dans une logique paranoïaque de coup d’Etat, se débarrasser de tous les autres. On les comprend, c’est drôlement beau le sang qui gicle en jets d’hémoglobine à chaque coup porté dans les ventres ballons de baudruche, tellement plastique ce corps musclé immaculé noyé dans un gang bang de créatures texturées goudron, tellement spectaculaire ce plateau fusillé de lasers pour mieux mourir sur scène…

 

Et c’est peut-être là que la pièce fonctionne le mieux, quand on n’y entend plus rien, que le texte crié disparaît au profit d’un théâtre d’images inouïes : un fou sanguinaire en tutu et coiffé de chaussettes, perché sur une chaise d’arbitre dégoulinante de sang, qui fait des bulles. Oui, Makbeth est bien cette «histoire racontée par un crétin, pleine de bruit et de fureur», mais c’est quand Munstrum lâche ses klowns qu’on l’entend le mieux.

Makbeth, d’après Shakespeare, par le Munstrum Théâtre. Au Théâtre public de Montreuil jusqu’au 15 mai. Les 22 et 23 mai à La Filature, à Mulhouse, du 10 au 13 juin au Théâtre du Nord à Lille. Puis à partir d’octobre : Malakoff, Bruxelles, Paris. Au théâtre du Rond-Point du 20 novembre au 13 décembre.

 

Laurent Goumarre  /  Libération

 

Légende photo «Makbeth», par le Munstrum Théâtre. ( photo © Jean-Louis Fernandez)

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May 2, 5:10 PM
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La metteuse en scène Lorraine de Sagazan taille des brèches dans le théâtre et le réel

La metteuse en scène Lorraine de Sagazan taille des brèches dans le théâtre et le réel | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 mai 2025

 

La dramaturge, qui a fondé il y a dix ans sa propre compagnie, La Brèche, présente au Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier son spectacle « Léviathan », sur les audiences en comparution immédiate.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/02/la-metteuse-en-scene-lorraine-de-sagazan-taille-des-breches-dans-le-theatre-et-le-reel_6602326_3246.html

Des Ateliers Berthier, où l’on retrouve Lorraine de Sagazan une après-midi d’avril, le tribunal de Paris n’est qu’à deux pas. Dans ce quartier de la porte de Clichy, la cité judiciaire jouxte quasiment la deuxième salle de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans laquelle la metteuse en scène présente, jusqu’au 23 mai, son Léviathan, créé au Festival d’Avignon 2024. Un spectacle qui s’est en grande partie inventé là, dans les salles d’audience en comparution immédiate de la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Théâtre et justice, une vieille histoire. De même que les rapports entre art et réel, dont Lorraine de Sagazan rebat les cartes depuis quelques spectacles.

 

 

 

Grande, fine et blonde, la jeune femme semble toujours porter sur elle une gravité, une forme de sensibilité inquiète, malgré les succès de ces dernières années. A 38 ans, elle s’est imposée comme une des metteuses en scène les plus passionnantes de sa génération, ouvrant des brèches d’exploration inédites dans le théâtre français. Contrairement à ce que son patronyme, désormais célèbre grâce à sa cousine (éloignée) Zaho de Sagazan, pourrait laisser supposer, elle n’est pas née avec une cuillère artistique en or dans la bouche.

 

Ce parcours, nul ne l’a mieux résumé qu’elle, en introduction de son spectacle L’Absence de père (2019), inspiré du Platonov, de Tchekhov. « Mon père vient d’une famille de la vieille noblesse française désargentée. Ma mère, issue d’un milieu modeste et d’un père orphelin, a toujours été complexée de ce qu’elle allait pouvoir transmettre à ses enfants. Mon père rêvait de faire un métier artistique, mais dans son milieu ce n’était pas admis. Je suis la première femme de ma famille à ne pas avoir été mère au foyer et à avoir eu la possibilité de choisir ma vie. Actrice était le seul métier artistique qui pour une femme nous était venu à l’esprit. Je l’ai compris assez tard, mais j’ai détesté jouer, j’ai détesté cette position d’être plus désirée que désirante. »

« Une autorisation »

Lorraine de Sagazan n’est pas restée si longtemps actrice. Rapidement, elle a compris que c’était à l’endroit de la mise en scène qu’elle allait trouver son terrain d’expression. Après s’être formée à l’école du Studio-théâtre d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), qui a aussi vu l’éclosion de Julie Deliquet ou de Sylvain Creuzevault, elle a poussé la porte des salles de répétition de Thomas Ostermeier, à Berlin, ou de Romeo Castellucci, à l’Opéra de Paris. Une figure de la constellation familiale avait été importante, dans ce parcours pour tenter de se faire une légitimité dans un art, le théâtre, auquel elle s’est accrochée dès l’enfance : celle du plasticien et performeur Olivier de Sagazan, lointain cousin de son père. « C’est un artiste qui m’a beaucoup inspirée. Dans l’émancipation dont il a pu faire preuve, c’est comme s’il m’avait délivré une autorisation », note-t-elle.

 

Elle a fondé sa compagnie, La Brèche, en 2015, en mettant en scène Lars Norén, Ibsen ou Tchekhov, avec une énergie contemporaine, une intensité proches de celle du maître Thomas Ostermeier. « Mais c’était comme si je ne lâchais pas complètement la rampe, constate-t-elle. Ce qui m’intéressait, c’était d’aller vers le spectacle comme expérience vécue, et non plus comme une représentation du réel. Les arts plastiques, la philosophie et la performance, portés par des artistes femmes notamment, ont été déterminants dans ma vie, et je voulais pousser ma réflexion sur la création d’actes, de formes, susceptibles de bouleverser réellement, d’opérer des déplacements chez les spectateurs. »

 

Le déclic est venu de la crise due au Covid-19 et de la fermeture des théâtres, pendant de longs mois. Quand la pandémie a surgi, la metteuse en scène travaillait à une adaptation du Décalogue, de Krzysztof Kieslowski. L’électrochoc suscité par le Covid-19 l’a menée à une tout autre démarche. « J’ai eu une sorte de crise dans mon rapport à la fiction, détaille-t-elle. Je ne comprenais plus pourquoi je faisais du théâtre, ce que voulait dire représenter le réel à l’heure des séries télévisées, du cinéma documentaire et d’Internet. J’avais un sentiment d’inutilité, et je ne pouvais plus demander à des acteurs de faire semblant d’être pauvres ou malades : cela n’avait plus aucun sens pour moi. »

Cérémonie cathartique

Lorraine de Sagazan a alors proposé aux théâtres qui devaient accueillir sa création un « protocole performatif » : rencontrer « autant de personnes que de jours gâchés par la crise, pour parler avec eux de la notion de réparation ». Avec l’auteur qui l’accompagne,  Guillaume Poix, elle a mené près de 400 entretiens. « Ces personnes issues de tous milieux ont parlé de deux sujets majoritairement : l’absence de prise en charge de la mort pendant la crise sanitaire, l’impossibilité des funérailles collectives et des réunions familiales, la mort vécue, seuls, par les anciens et les plus fragiles. Et la justice, plus précisément la manière dont l’institution judiciaire a du mal à générer un sentiment de justice, soit que ces personnes aient ressenti la violence de l’institution, soit qu’ils disent subir ses manques. J’ai su que j’allais travailler sur ces deux sujets. »

Le premier a donné lieu à un spectacle magnifique, qui a pris le tour d’une cérémonie cathartique d’une puissance rare : Un sacre, créé en 2021. Le second est ce Léviathan qui place les spectateurs, sans échappatoire, face à la réalité de cette justice expéditive que sont les audiences de comparution immédiate : une parodie de justice qui « déshumanise » et « efface » une population déjà marginalisée, selon la metteuse en scène.

 

 

 

Et c’est bien une brèche de première importance qu’elle a ouverte dans le théâtre français avec ces deux spectacles – de même qu’avec Le Silence, créé en janvier 2024 à la Comédie-Française. Faire éprouver le réel, chez Lorraine de Sagazan, ne se conçoit pas sans une recherche formelle hautement sophistiquée et pensée. « La fiction, l’imaginaire, le lieu théâtral lui-même sont devenus pour moi des “contre-espaces”, des “contretemps”, analyse-t-elle. Il ne s’agit plus de passer par la représentation, insuffisante ou fausse, du réel, mais de créer de manière performative un acte équivalent au réel. » De vivre, autrement dit, le théâtre comme une hétérotopie, ce concept inventé par Michel Foucault en 1967. Le philosophe français citait alors, comme exemples de ces espaces concrets pour héberger l’imaginaire, les cabanes d’enfant ou… les théâtres.

 

 

Léviathan, par Lorraine de Sagazan. Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Paris 17e. Du 2 au 23 mai.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE

 

Légende photo ; Lorraine de Sagazan, à la Villa Médicis, à Rome, en 2023. BENJAMIN THOLOZAN

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May 1, 3:52 AM
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Le numéro 2 du Festival d’Avignon, Pierre Gendronneau, va quitter son poste après des signalements pour violences sexistes et sexuelles 

Le numéro 2 du Festival d’Avignon, Pierre Gendronneau, va quitter son poste après des signalements pour violences sexistes et sexuelles  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Radidja Cieslak et Sonya Faure dans Libération - 30 avril 2025

 

Le directeur délégué du Festival n’occupera plus ses fonctions à partir du mois de juin, selon une information donnée par «Télérama» confirmée à «Libération». Le ministère de la Culture a saisi le procureur de la République alors que deux anciennes salariées l’accusent de violences et harcèlements sexistes et sexuels.

 

 

Agitation à la veille de la grand-messe du théâtre. Le départ de Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon depuis février 2023, a été annoncé pour début juin selon les informations de Télérama, confirmées par la direction du festival à Libération. Très peu de temps, donc, avant l’ouverture de l’édition 2025, le 5 juillet. Ce retrait intervient dans un contexte de tensions autour de faits supposés de violences et harcèlements sexistes et sexuels qui se seraient déroulés au Festival d’Avignon, mais aussi au Festival d’automne, il y a plusieurs années, lorsque Pierre Gendronneau, 35 ans aujourd’hui, y occupait là encore les fonctions de directeur délégué.

 

 

Le nom de Pierre Gendronneau a été signalé au ministère de la Culture par deux femmes, salariées au moment des faits par le «in» d’Avignon pour l’une et par le Festival d’automne pour l’autre, pour des problématiques relatives aux violences sexistes et sexuelles (VSS), comme le rapporte Télérama. Conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, le ministère en a informé le procureur de la République qui décidera des suites judiciaires à donner à ces accusations – dont on ne connaît pas la teneur exacte, les deux femmes tenant à ne pas rendre public leur témoignage.

Une première enquête avec un cabinet indépendant

Le directeur du Festival, Tiago Rodrigues, assure ne pas avoir eu connaissance des faits présumés avant ces signalements. «La direction du Festival en a été informée le 6 novembre 2024 par le ministre de la Culture dans le cadre de la procédure de l’article 40, explique-t-il à Libération. Le festival a décidé dans les deux jours qui ont suivi d’embaucher un cabinet indépendant [Egaé, dirigé par Caroline de Haas et spécialisé dans la lutte contre les violences sexuelles], qui a enquêté de novembre à décembre. Celui-ci a effectivement remonté des cas d’accusations visant Pierre Gendronneau», poursuit-il.

 

«Rassurés de savoir que la justice avait connaissance de faits sur lesquels elle allait prendre la décision de poursuivre ou non des investigations, nous avions de notre côté à envisager les suites possibles en tant qu’employeur», dit encore Tiago Rodrigues. Qui s’entoure alors de plusieurs avocats et juristes du droit du travail. «Ceux-ci ont estimé que les cas remontés ne relevaient pas de faits de harcèlement ou de violences sexuels», assure-t-il, permettant à Pierre Gendronneau de rester à son poste jusqu’à aujourd’hui.

Néanmoins, «le climat de suspicion et les rumeurs persistantes ne lui ont pas permis de remplir pleinement ses fonctions», souligne Tiago Rodrigues. «C‘est pourquoi d’un commun accord avec la direction, son départ a été annoncé ce mercredi. Il sera effectif début juin». Pierre Gendronneau ne pourra être remplacé qu’à partir de l’automne, lors du prochain conseil d’administration du festival.

Le 13 janvier 2024, l’administratrice du Festival d’Avignon, Eve Lombart, avait été entendue par la commission d’enquête relative aux violences commises dans la culture dirigée par la députée écologiste Sandrine Rousseau. Elle rapportait avoir reçu 9 signalements de VSS en 2024, 11 en 2023. Aucun ne concernait Pierre Gendronneau, selon Tiago Rodrigues. Qui assure que chacun de ces signalements a provoqué une enquête interne, et parfois des sanctions disciplinaires. Comme de plus en plus de structures, le Festival s’est également doté d’une cellule d’écoute et de référents chargés d’accompagner et d’orienter les personnes victimes de violences sexuelles.

 

 
 
Légende photo :  Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d'Avignon, à Avignon 1er août 2023. (Angelique Surel/Le Dauphine. MAXPPP)
 
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April 30, 6:27 PM
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Molières ? Œillères oui ! 

Molières ? Œillères oui !  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Lucile Commeaux dans Libération - 29 avril 2025

 

Alors que le Syndeac s’alarmait cet après-midi d’une «nouvelle annulation de crédits de 48 millions d’euros» sur le «programme création» du ministère de la Culture, Rachida Dati tentait dans la foulée de rassurer la petite famille du théâtre dans des mots convenus et une vidéo crispée, tenant davantage du faire-part de condoléances que de l’invitation festive. Les Molières s’ouvrent sous de sinistres augures, mais commencent dans la liesse d’une reprise des Misérables : «A la Volonté du peuple» chante-t-on, en voilà un super programme ! De fait on y solde en chœur l’idée même de la résistance : la barricade elle reste dehors avec les râleurs, merci. Caroline Vigneaux, maîtresse de cérémonie pour la deuxième fois - c’est tellement sympa il faut dire - enchaîne en Marianne sur un air jazzy et c’est parti. Rachida Dati bonsoir !

Lyrisme triste

Ce soir les Folies semblaient particulièrement Bergères : peu de moutons noirs et bien peu de loups pour hurler à la faillite, alors que les chiffres sont au rouge, le nombre de productions en baisse, que des directeurs désespérés démissionnent et de plus jeunes se résignent, et que le théâtre privé peine à retrouver sa fréquentation d’avant COVID. On bâche un peu, mais ça reste sympa : pas de gueulantes, mais de gentils vœux pieux, des jeux de mots vieillots («à gogo» sic), et toujours ce petit air jazzy. Consacré meilleur metteur en scène dans le théâtre public pour son Soulier de satin qui remporte en tout cinq récompenses, Éric Ruf se lance dans une tirade policée, teintée d’un lyrisme triste et découragé quand il appelle «à aider Madame la Ministre». L’ironie qu’il y glisse est inaudible : il est apparemment acquis qu’elle fait ce qu’elle peut, la pauvre. La plus longue ovation sera pour Thomas Jolly récompensé par un molière d’honneur, l’enfant chéri des JO, mais surtout d’un système subventionné en danger, comme il le rappelle dans une longue tirade mi-engagée mi-mégalo. Thomas Jolly dont la stature désormais indéboulonnable aurait sans doute autorisé à davantage de virulence.

Les intervenants et les récipiendaires se succèdent sur le plateau ; on baille. C’est fou comme ces types dont la scène est le métier bataillent avec l’exercice, et s’empêtrent dans le sérieux de références vides et de pénibles remerciements. Sketchs, danses et numéros viennent rompre le défilé, disparates et parfois franchement ratés ; on grimace.

 

On remarque comme chaque année à quel point le grand raout national privilégie les artistes d’un théâtre largement privé. Alain Françon, Caroline Guiela Nguyen, Mohammed El Khatib ou Ariane Mnouchkine n’ont pas fait le déplacement, et les grands gagnants du théâtre public jouent à l’Atelier et à la Comédie Française - aucune mention des autres maisons subventionnées. Jean-Philippe Daguerre accumule cinq molières avec un spectacle sur les corons des années cinquante (Du charbon dans nos veines), qu’il tente avec un peu de conviction de faire résonner avec notre temps présent.

Clones

Un temps présent et ses urgences largement gommés ce soir ; c’est bien pratique. Ainsi il semble qu’en dehors de quelques artistes chargés de faire la blague entre deux remises de prix, l’écrasante majorité des nommés et des gagnants est blanche, voire absolument identique - trois nommés dans la catégorie de la révélation masculine sont des clones du jeune premier type : même coupe, même sourire, même boucle à l’oreille. Dans cette boîte or et velours un peu étouffante, un clip contre le harcèlement et les violences sexuelles ou l’intervention silencieuse de la comédienne sourde Emmanuelle Laborit, paraissent soudain anachroniques. Plus tard - très tard - Didier Brice de la CGT joue au clown triste, voix et main tremblante devant un parterre qui joue moyennement le jeu. «C’est faux» dit la ministre, sereine, assise devant un Nagui quasi goguenard. Et voilà c’est fini. C’était le «moment syndical». «Mollo sur le budg’!»: ce mot glissé par un comédien sonne à la fin de cette cérémonie moins comme une blague qu’un avertissement : on est résigné, donc ?

 

Lucile Commeaux / Libération

Le Palmarès complet

 

Molière du Théâtre Privé :

Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre

Molière du Théâtre Public :

Le soulier de satin De Éric Ruf à la Comédie Française

Molière de la Comédie :

The loop de Robin Goupil, Théâtre des Béliers parisiens

Molière de la Création Visuelle et Sonore :

Le soulier de satin d’Éric Ruf, Costumes Christian Lacroix, Lumière Bertrand Couderc.

Molière du Spectacle musical :

Les Misérables De Alain Boublil, Claude-Michel Schönberg, Ladislas Chollat d’après Victor Hugo, Théâtre du Châtelet

Molière de l’Humour :

Paul Mirabel dans Par amour.

Molière du Jeune public :

Ulysse, l’Odyssée musicale d’Ely Grimaldi, Igor de Chaillé et Guillaume Bouchède au Théâtre des Variétés

Molière du Seule en scène :

Christine Murillo pour Pauline & Carton, de Charles Tordjman, La Scala Paris et Artistic Athévains.

Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre public :

Denis Lavant dans Fin de partie de Samuel Beckett et Jacques Osinski.

Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre public :

Marina Hands Dans Le soulier de satin d’Éric Ruf

Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre privé :

Guillaume Bouchède Dans Les marchands d’étoiles de Anthony Michineau et Julien Alluguette.

Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre privé :

Delphine Depardieu Dans Les Liaisons dangereuses de Arnaud Denis d’après Pierre Choderlos de Laclos

Molière du Metteur en scène dans un spectacle de Théâtre public :

Éric Ruf Pour Le soulier de satin à la Comédie française.

Molière du Metteur en scène dans un spectacle de Théâtre privé :

Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre

Molière de la Révélation féminine :

Juliette Béhar Dans Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre

Molière de la Révélation masculine :

(Romy Alizée/Libération)

Molière du Comédien dans un second rôle :

Laurent Stocker Dans Le soulier de satin De Éric Ruf

Molière de la Comédienne dans un second rôle :

Raphaëlle Cambray Dans Du charbon dans les veines De Jean-Philippe Daguerre

Molière de l’Auteur francophone vivant :

Jean-Philippe Daguerre Pour Du charbon dans les veines

 




 

Légende photo : Marina Hands, molière de la meilleure actrice d'une pièce jouée dans un théâtre public pour son rôle dans «le Soulier de satin». Pour ce spectacle Eric Ruf, a également reçu le molière du meilleur metteur en scène. (THOMAS SAMSON/AFP)

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April 28, 4:59 PM
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A la tête du Munstrum Théâtre, Louis Arene et Lionel Lingelser lâchent les monstres

A la tête du Munstrum Théâtre, Louis Arene et Lionel Lingelser lâchent les monstres | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 28 avril 2025

 

Le duo d’artistes ose le grotesque et le port du masque, notamment dans un « Makbeth » aux accents kafkaïens.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/28/a-la-tete-du-munstrum-theatre-louis-arene-et-lionel-lingelser-lachent-les-monstres_6600973_3246.html

C’est étrange. On s’étonnerait presque, à rencontrer Louis Arene et Lionel Lingelser, de découvrir leurs vrais visages. Lesquels semblent s’offrir en miroir inversé, comme si leur amour du contraste se vivait dans leur propre chair. Anguleux, yeux bleus, cheveux roses, pour l’un. Douceur des traits, yeux bruns, cheveux bruns, pour l’autre. Silhouette athlétique, dans les deux cas. Débarrassé des masques qu’il porte dans ses spectacles, le duo à la tête du Munstrum Théâtre provoque encore le trouble. Comme si Louis Arene et Lionel Lingelser portaient sur eux les potentialités de métamorphose qu’ils ne cessent d’explorer d’une création à l’autre.

 

 

Depuis quelques années, leurs spectacles remportent un succès fou partout où ils passent, notamment auprès des jeunes, qui plébiscitent ce théâtre superlatif et queer, ultraphysique et visuel, aux accents postapocalyptiques et pourtant totalement jouissif. Et qui, surprise, remet sur le devant de la scène le bon vieux masque de théâtre, objet un peu oublié et ici redécouvert dans ses infinies possibilités.

 

Aujourd’hui, les voilà qui s’attaquent à Makbeth, avec ce petit k qui vient se glisser dans le titre original. K comme Kafka, k comme punk : un Macbeth comme on ne l’a jamais vu, qui lâche les monstres, ose le grotesque, fait suinter le mal de partout et, par là, réussit le tour de force de rendre cette pièce maudite et immontable à nouveau audible et passionnante pour aujourd’hui. C’est peu de dire qu’avec eux le théâtre élisabéthain retrouve son essence brute, âpre et flamboyante, souvent lissée par des visions académiques.

« Créer du mystère »

Les deux compères, nés respectivement en 1985 et en 1984, se sont rencontrés au Conservatoire de Paris, à la fin des années  2000. Louis Arene, Parisien et fils d’architectes, travaillait déjà, depuis tout jeune, dans la troupe d’Emmanuel Demarcy-Mota. Lionel Lingelser avait « un parcours plus provincial » : venu de Kingersheim, une banlieue de Mulhouse (Haut-Rhin), il avait, à l’adolescence, croisé la route des Arts Sauts, la troupe de voltigeurs créée par Stéphane Ricordel et Laurence de Magalhaes (aujourd’hui directeurs du Théâtre du Rond-Point). Un premier « choc poétique » qui a « changé [sa] vie ».

 

 

Et, d’emblée, ils se sont retrouvés sur un théâtre physique, le clown, l’improvisation. Et sur l’art du masque, transmis par Christophe Patty et Mario Gonzales. Lionel Lingelser est parti deux ans à Genève (Suisse) pour travailler au Teatro Malandro d’Omar Porras, un des rares metteurs en scène, en Europe, à travailler encore avec cet outil ancestral. Louis Arene, lui, est entré dans la troupe de la Comédie-Française. En 2012, ils ont créé leur compagnie : « On voulait continuer ce laboratoire et creuser cet art archaïque du masque, qui nous a tellement bouleversés, mais qui était devenu poussiéreux et décrié », se souvient Lionel Lingelser.

 

« On trouvait qu’il y avait quelque chose de magnifique dans cet outil qui est l’objet théâtral par excellence depuis la nuit des temps. Mais la manière dont il nous a été transmis, ce masque en bois, très lourd, ou en cuir, avec des archétypes très marqués de la commedia dell’arte, ces masques très grotesques qui, tout de suite, imposent une expressivité, un type de caractère, cela nous encombrait dans le travail, précise Louis Arene. On voulait aller vers un objet qui puisse aussi exprimer l’étrangeté, l’inquiétude, l’angoisse. On s’est orientés vers un masque plus épuré, pour prendre cet objet dans sa capacité à effacer, à enlever, à créer du mystère, à faire du visage une surface de projection pour l’imaginaire des spectateurs. »

« Des humains d’après, augmentés »

Louis Arene s’est mis alors à sculpter les masques qui font l’identité du Munstrum, avec une résine médicale servant à réaliser des prothèses orthopédiques. Un masque-casque, sans cheveux, sans couleurs ni ornements, qui laisse toute sa place à l’expressivité du regard, dégage le bas du visage et permet de respirer. Le vecteur parfait pour le théâtre qu’ils voulaient inventer : un « théâtre physique, sensuel, brut, des antagonismes entre le rire et l’effroi ».

 

 

Et l’outil dramaturgique par excellence d’un théâtre de la catastrophe, de l’identité et de la métamorphose, où la forme plastique en dit souvent plus sur notre monde que les mots. « Avec cet outil, il y a l’idée, kafkaïenne, et qui court dans tout notre travail, que l’on ne sait pas si l’autre n’est pas soi, en fait. Et comme le masque nécessite un jeu un peu extraordinaire, cela crée d’emblée des figures extra-humaines, ou des humains d’après, augmentés. Il y a une puissance totémique qui se dégage de ces objets-là. »

Après un premier essai peu concluant – de leur propre aveu –, le Munstrum a trouvé sa voie avec Le Chien, la Nuit et le Couteau, qui a immédiatement créé le buzz quand il a été présenté à Avignon, au Théâtre de la Manufacture, en 2017. Sorte d’Alice au pays des merveilles horrifique, le spectacle a posé les bases de ce théâtre pétrissant la chair d’une humanité monstrueuse, travaillée par la défiguration – les duettistes ont aussi une passion pour le peintre britannique Francis Bacon (1909-1992).

« La joie, notre fer de lance »

Mais l’atout maître du Munstrum, c’est d’inscrire ces cauchemars dans une jubilation théâtrale féroce, avec une vitalité sans appel, en n’hésitant pas à pousser les curseurs du kitsch et du mauvais goût, ou supposés tels. La réflexion queer est passée par là, qui montre que le féminin et le masculin, le beau et le laid, ne sont bien souvent que des constructions sociales, et qu’elles peuvent à l’endroit du théâtre être joyeusement dynamitées. Les costumes délirants et l’hémoglobine, les faux nez et les ventres postiches, les hybrides mi-homme mi-animal de Zypher Z (2021) et les créatures transgressant toutes les frontières, y compris celle de la vie et de la mort, de Copi dans 40 degrés sous zéro (2019), dessinent les contours d’un nouveau baroque, unique dans le théâtre français.

« La vérité de notre travail, elle est dans ces zones de tension entre le comique et le tragique, le sacré et le profane, l’ombre et la lumière, le kitsch et le sublime », appuie Lionel Lingelser. « Mais la joie, c’est notre fer de lance, précise Louis Arene. Pour nous, elle est ce qu’il y a de plus politique aujourd’hui. Arriver à reconvoquer cette vitalité, cette flamme, cette force primordiale, dans la génération qui nous suit, malgré un monde qui s’effondre et qui, dans cet effondrement, cherche à aspirer comme un vampire cette vitalité de la jeunesse. Comme tout le monde, nous avons le sentiment de ne plus savoir comment agir face à cette folie, cette barbarie qui monte. Mais nous sommes convaincus que le spectacle, l’art, peuvent nous redonner des forces poétiques. C’est un des derniers bastions où on peut résister à cette violence qui nous contamine, où peut se vivre la fameuse catharsis. »

 

Cette dimension de « montreurs de monstres », contenue dans le nom même qu’ils se sont choisi pour leur compagnie – où ils sont tous deux acteurs et initiateurs des projets, tandis que Louis Arene seul assume la mise en scène –, devait inévitablement les mener vers Macbeth, la pièce par excellence qui convoque les forces du mal. Mais, avant cela, il y a eu un détour par la Comédie-Française, où ils ont proposé en 2022 un détonnant Mariage forcé, où l’outil du masque et l’inversion des rôles féminins et masculins rendaient à ce petit bijou de Molière toute sa cruauté et son actualité.

« Des clowns tragiques »

Macbeth, pour ces amoureux de David Lynch et de Romeo Castellucci, s’est imposée comme un défi qu’il était temps de relever, et une nécessité. « Malheureusement, la pièce fait terriblement écho aux temps sombres dans lesquels on est à nouveau entrés, observent-ils. On avait envie de se confronter à ce théâtre élisabéthain qui casse le quatrième mur entre la scène et la salle, et qui permet de faire expier les monstres, aussi. D’où le parti pris grotesque, qui était vital pour nous : les personnages sont des clowns tragiques. »

 

 

La pièce maudite de Shakespeare glisse le plus souvent entre les doigts des metteurs en scène, surtout quand elle est montée de manière trop sage, comme si l’insondable du mal inscrit au cœur de l’humain échappait à la représentation. Dans ce petit déplacement entre Macbeth et Makbeth s’inscrit la proposition forte du Munstrum, entre des scènes de bataille d’un réalisme saisissant, qui font éprouver la violence comme rarement au théâtre, et l’imagination débridée au pouvoir dans l’esthétique et les costumes, qui voit notamment Lady Macbeth porter une robe à crinoline réalisée avec une tente Quechua.

Last but not least, les duettistes jouent eux-mêmes le couple fatal, Lionel en Lady, Louis en Macbeth. « C’est un cadeau que nous nous sommes fait, s’amusent-ils. L’idée, c’était d’en faire un monstre à deux têtes. » Pour les deux têtes du Munstrum, la boucle est bouclée.

Makbeth, d’après Shakespeare, par le Munstrum Théâtre. Théâtre public de Montreuil (Seine-Saint-Denis), du 29 avril au 15 mai. Puis tournée jusqu’en avril 2026, notamment au Théâtre du Rond-Point, Paris 8e, du 20 novembre au 13 décembre. Reprise du Mariage forcé, de Molière, à la Comédie-Française

 

Fabienne Darge /  Le Monde

Légende photo : Louis Arene et Lionel Lingelser, devant l’Hôtel du Sentier, à Paris, le 14 octobre 2024. LÉO KELER
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May 13, 5:27 PM
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Au Festival « off » d’Avignon, toujours plus de spectacles

Au Festival « off » d’Avignon, toujours plus de spectacles | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 12 mai 2025 

 

La manifestation, dont les dates coïncideront cette année avec celle du festival officiel, programme 1 724 spectacles dans 139 lieux.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/12/au-festival-off-d-avignon-toujours-plus-de-spectacles_6605516_3246.html

 

 

Le Festival « off » d’Avignon reste plus que jamais le plus grand marché du spectacle vivant en France. La 59e édition, qui se tiendra du 5 au 26 juillet, affiche des chiffres toujours aussi impressionnants. Avec, à son programme, 1 724 spectacles (contre 1 666 en 2024) donnés dans 139 lieux (qui regroupent 241 salles), ce vaste rendez-vous théâtral confirme, dans un contexte économique morose, qu’il reste un passage incontournable pour les compagnies à la recherche de visibilité et de dates de tournée. Au total, sur toute la durée du festival, 2,6 millions de billets seront mis en vente pour plus de 27 400 levers de rideau.

 

Cette année, pas de Jeux olympiques ni de dissolution de l’Assemblée nationale (sauf surprise de dernière minute) pour perturber le calendrier et la fréquentation de ce rendez-vous. Une fois n’est pas coutume, les dates du « off » et du festival officiel (longtemps appelé « in ») coïncident cet été, ce qui n’était pas arrivé depuis vingt-cinq ans. « Cet alignement, voulu par les collectivités locales, la préfecture, Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon, et par nous-mêmes, a vocation à être pérenne », souligne Harold David, coprésident de l’Avignon Festival et Compagnies (AF & C), association coordinatrice du « off ».

 

Sur les 1 724 spectacles d’ores et déjà inscrits, 490 sont des créations (contre 536 en 2024) et 181 des propositions pour le jeune public. Afin de mieux répondre à l’accueil des familles, un nouveau village, en plus du traditionnel village du « off », sera créé dans la cité des Papes. Appelé Tadamm et dédié aux enfants, il proposera, notamment, des ateliers de médiation et de pratique artistique.

Une billetterie « solidaire »

La répartition géographique des 1 170 compagnies françaises inscrites au festival témoigne, comme chaque année, d’une prépondérance de la région parisienne : plus de 38 % sont issues d’Ile-de-France, 19 % de la région Sud et 10 % d’Occitanie. Quant aux 170 compagnies étrangères, 35 % d’entre elles viennent de Belgique et 13 % de Suisse. Après Taïwan en 2024, l’« invité d’honneur » du « off » sera, cette année, le Brésil, avec la présence, notamment, de 11 compagnies venues de ce pays.

 

 

Lire l’enquête (en 2024) : Article réservé à nos abonnés Dans le « off », à Avignon, jouer quitte à perdre de l’argent
 

Autre nouveauté 2025, un point de vente Ticket’off sera installé dans le village du « off ». Proposée par l’AF & C, jusqu’à présent uniquement via une plateforme numérique, cette billetterie « solidaire » abonde, à hauteur de 95 centimes par place vendue, le fonds de professionnalisation créé en 2017 pour soutenir la jeune création. Doté, cette année, de 250 000 euros, il a permis d’aider plus de 200 artistes à participer au festival. Mais, largement concurrencé par l’achat direct auprès des théâtres et par des plateformes de billetterie privées, Ticket’off n’a représenté, en 2024, qu’un peu plus de 10 % de la globalité des ventes. Cette présence « physique » a pour objectif de mieux la faire connaître.

 
 

Enfin, dans cette jungle avignonnaise, un nouveau logo « Label’off » sera posé sur l’entrée de 36 théâtres qui ont obtenu une certification de bonnes pratiques professionnelles (dispositifs techniques et scéniques, conditions d’accueil du public et des compagnies, etc.). « Notre objectif est de certifier plus de 50 % des salles d’ici à la fin de l’année », annonce la direction de l’AF & C.

 

 

Sandrine Blanchard / Le Monde

 

 

Légende illustration :

L’affiche du Festival « off » d’Avignon 2025. FESTIVAL OFF AVIGNON
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May 12, 10:04 AM
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Nuit et sang rythment le « Makbeth » du Munstrum théâtre 

Nuit et sang rythment le « Makbeth » du Munstrum théâtre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 6 mai 2025

 

 

Dans  « Makbeth », le Munstrum théâtre fait un K et un casse de la pièce de Shakespeare « Macbeth en s’en tenant à l’essentiel : les meurtres nocturnes. Un spectacle sombre et saignant.

 

Dans l’indépassable Shakespeare notre contemporain, le Polonais Jan Kott écrit : « Le sang, dans Macbeth, n’est pas seulement une allégorie ; il est matériel, physique, il coule des corps massacrés. Il se dépose sur les visages et les mains, sur le stylets et les épées. Mais ce sang ne saurait être lavé, ni des mains, ni des visages, ni des stylets. Macbeth commence et s’achève par un carnage ». Il en va ainsi de bout en bout dans le Makbeth du Munstrum théâtre, adaptation librement échevelée de la pièce de Shakespeare. Dans son non moins indépassable ouvrage Le proche et le lointain consacré à Shakespeare et au théâtre élisabéthain, Richard Marienstras consacre onze pages à « l’image du sang » dans Macbeth.

 

 

Jan Kott poursuit : « Les scènes, pour la plupart, se déroulent pendant la nuit. A toutes les heures de la nuit : tard dans la soirée, à minuit et à la blême lueur de l’aube. La nuit est constamment présente, sans cesse et obstinément rappelée et appelée dans les métaphores (de la pièce) ». Et il en va ainsi aussi tout au long de Makbeth, masques et gags à l’appui. Entre la nuit et le sang il y a les meurtres, Kott y voit le thème premier de la pièce de Shakespeare, c’est aussi un thème récurrent du spectacle du Munstrum qui le retourne dans tous les sens. « L’histoire y est ramenée à sa forme la plus simple, à une seule image, à un seul partage : entre ceux qui tuent et ceux qui sont tués » poursuit Kott,  le premier de ces meurtres « par lequel commence l’histoire , est l’assassinat du roi. Ensuite, eh bien, il faut tuer ». » Dans Makbeth on tue à tour de bras. Du début à la fin. C’est du brutal et c’est un festival d’inventivités joyeuses.

 

 

Dès lors, les sorcières qui ouvraient le bal sont remisées en coulisses où elles tapent du pied. Dès lors la forêt ne marche plus toute seule puisqu’il n’y a plus d’arbres et que tout est noir, calciné, Lucas Samain signe le texte de de cette traduction-adaptation en collaboration avec Louis Arène qui signe la mise en scène. Arène est l’un deux fondateurs du Munstrum théâtre, l’autre c’est Lionel Lingelser. Les deux sont sur le plateau en compagnie de Sophie Botte Olivia Dalric et François Praud (présent.e. s depuis le début de l’aventure du Munstrum), Delphine Cottu (qui a rejoint la compagnie lors de l’inoubliable Clownstrum), Anthony Martine (nouvelle recrue) et Erwan Tarlet (qui a rejoint la compagnie en 2021). Ça dépote, ça déménage, ça n’arrête pas.

 

 

« Comment ne pas reconnaître dans l’ensauvagement des conflits mondiaux actuel l’escalade meurtrière du héros shakespearien ? » avance Louis Arène. En matière d’escalade meurtrière et sauvage, du premier ministre d’Israël au président de la Russie, on a le choix. Au théâtre, les morts se lèvent pour venir saluer et dans Makbeth ça se bouscule au portillon.

 

Spectatrices, les sorcières de la pièce s’inclinent devant la prestation du Munstrum. Tenues de rester en coulisses, en vieilles spécialistes de l’épouvante nocturne et des nerfs à vif, elles apprécient la performance.

 

Jean-Pierre Thibaudat / Balagan

 

 

Créé à Chateauvallon en février, le spectacle poursuit sa tournée au Théâtre Public de Montreuil jusqu’au 15 mai puis les 22 et 23 mai à La Filature de Mulhouse et du 10 au 13 juin au Théâtre du Nord de Lille. D’autres dates suivront dont à Paris le Théâtre du Rond Point cet automne.

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May 11, 4:38 AM
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Les Lauriers 2025 du Théâtre Indépendant Français

Les Lauriers 2025 du Théâtre Indépendant Français | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Sceneweb à partir du dossier de presse - 11 mai 2025

 

Créés par Laurent Leclerc, organisé par Barouf et décernés par l’Union du Théâtre Indépendant, les Lauriers récompensent les spectacles portés par Les Compagnies françaises indépendantes qui produisent et diffusent un théâtre de création sur tout le territoire français en poursuivant – avec les moyens du bord, c’est-à-dire plus de passion que de moyens – dans la lignée de Charles Dullin, Jean Vilar ou Louis Jouvet le travail de la décentralisation théâtrale impulsé il y a près de 80 ans par Jeanne Laurent puis André Malraux.

 

Les lauréats des Lauriers du Théâtre Indépendant sont désignés par un Jury indépendant composé de professionnel.le.s du monde du spectacle vivant.

 

La cérémonie distingue, au travers de ses 24 prix, les meilleurs projets qui sont portés à sa connaissance et récompense aussi bien les interprètes, les auteurs, les metteurs en scène et les techniciens.

Les Critères d’Éligibilité pour les Candidature aux Lauriers 2025

— Faire un théâtre de création, un théâtre d’art, un théâtre de recherche, inventif, créatif, dans un esprit de troupe

— Ne pas être en contrat pluriannuel avec le ministère de la Culture

— L’aide de l’état n’excédera pas 50% de la production

— Avoir totalisé 10 représentations au moins, hors scènes labellisées et théâtre privé, en coréalisation (pas de contrat de location)

 

— La metteuse en scène ou le metteur en scène est via sa compagnie, le producteur exécutif de son spectacle ou au moins coproducteur de son spectacle à hauteur de 50% au moins

— L’apport en nature de la Cie est important

— Pour cette Ed. 2025, tous les évènements réalisés entre 2023 et 2025 peuvent concourir

— Un même spectacle peut être présenté 2 fois à la sélection si son évolution est remarquable ou en cas de re-création

— Les actions culturelles menées autour du spectacle, les ateliers de théâtre dans les écoles ou le fait d’oeuvrer comme Clown à l’hôpital par exemple doivent être être signalés et comptent dans la décision de sélection.

Les Catégories

Les Lauriers concernent toutes les personnes qui pratiquent un art du spectacle sur le territoire français en professionnel et décerne aussi un prix du spectacle amateur et récompenses les meilleurs productions de spectacle vivant dans les catégories suivantes :

Toutes les discipline sont représentées – Artistiques et Techniques – dont 11 qui n’existent nulle part ailleurs dans les récompenses françaises

Lauriers de la Mise en scène • Lauriers du Texte de Théâtre • Lauriers de l’Adaptation théâtrale • Lauriers d’Interprétation féminine • Lauriers d’Interprétation masculine • Lauriers de la Scénographie • Lauriers de la Création Lumière • Lauriers de la Création des Costumes • Lauriers de la Création sonore et musicale • Lauriers de la Création vidéo • Lauriers de la Régie générale • Lauriers du Seul.e en scène • Lauriers du Spectacle Musical • Lauriers du Spectacle Jeune public • Lauriers de la Performance théâtrale • Lauriers du Spectacle de Rue • Lauriers du Spectacle de Marionnette • Lauriers du Spectacle de Cirque • Lauriers du Spectacle de Magie • Lauriers du Spectacle de Danse • Lauriers du Spectacle Amateur • Lauriers Spécial du Jury • Les Laurier d’Or • Les Lauriers d’Honneur • Grand Prix Barouf-EMS.

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May 11, 1:49 AM
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A la MC93 de Bobigny, avec « Le Seigneur des porcheries », rien ne résiste à la voracité du théâtre

A la MC93 de Bobigny, avec « Le Seigneur des porcheries », rien ne résiste à la voracité du théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 10 mai 2025

 

Paul Balagué adapte le roman de Tristan Egolf, dans un spectacle organique et démesuré, qui force l’adhésion.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/10/a-la-mc93-de-bobigny-avec-le-seigneur-des-porcheries-rien-ne-resiste-a-la-voracite-du-theatre_6604808_3246.html

Voilà une rencontre fracassante, entre la démesure de l’écrivain américain Tristan Egolf et l’avidité du metteur en scène Paul Balagué. A la MC93 de Bobigny, le théâtre retrousse ses manches et entame l’une de ces cavalcades insensées dont il a le secret lorsqu’il décide que rien ne doit le freiner dans sa course : ni la durée de la représentation (cinq heures, avec un entracte de vingt minutes), ni l’ampleur du texte adapté (les quelque 600 pages du roman Le Seigneur des porcheries). Ni les dimensions initiatiques, christiques, politiques et shakespeariennes de l’histoire racontée, ni les titubations finales, aussi enthousiastes qu’épuisées, du public.

 

Propulsé dans la grande salle de la MC93 (la directrice, Hortense Archambault, fervent soutien du travail de Paul Balagué, y tenait), ce spectacle se déploie dans un espace bricolé en trois semaines et demie de répétitions sur le plateau. Des sacs-poubelle emballent les rares éléments de décor (panneaux et chaises). Au sol, une immense bâche noire. Depuis les cintres tomberont, en cours de représentation, de longs voilages sombres qui suggèrent des forêts, des géants, ou bien encore des pierres tombales. Plus tard, la bâche lacérée se redressera de toute sa hauteur, offrant aux regards la vision désolante d’un infranchissable mur en lambeaux. A la cour, un musicien (Grégoire Léauté) donne le coup d’envoi d’un grattement sec de sa guitare, sons discordants et monologue oppressé. Le mot « chaos », asséné avec force, en est la pierre angulaire.

 

Ce préambule crépusculaire est très vite contredit par l’éclairage pleins feux de la salle. Sept comédiens se postent en avant-scène. Deux femmes, cinq hommes, sapés à la rude (entre l’esprit des Deschiens et celui du groupe de disco Village People), entreprennent de décrire ce qu’ils s’apprêtent à jouer. Des faits vieux de dix ans, une grève des éboueurs, un meneur à leur tête, la mort de ce leader assassiné par une meute décérébrée : l’entrechoquement des résumés sème la confusion. La suite sera pourtant d’une limpidité édifiante.

Hamlet contemporain

Ce qui est déroulé à marche forcée par les sept comédiens, dont l’énergie se double d’une précision de jeu redoutable ? La naissance, la vie et la mort d’un héros qui va être sacrifié sur l’autel de la violence, de la bêtise, du racisme, de l’alcoolisme et de la précarité. Tel est le sort réservé à John Kaltenbrunner par les habitants de sa ville natale, Baker, située dans la Corn Belt (la « ceinture de maïs », terre agricole des Etats-Unis). Interprété à tour de rôle par presque tous les acteurs de la troupe, le garçon, fruit du viol de sa mère, Viviane, par son père, un archéologue enseveli sous les décombres d’une grotte, va faire l’apprentissage d’un monde livré à la sauvagerie. Un chemin de croix que ne tempère aucune possibilité de rédemption. John s’offre à la barbarie meurtrière en conscience.

 

La mise en scène par Paul Balagué de sa trajectoire suicidaire rive le personnage aux pas du Hamlet de Shakespeare. Un Hamlet contemporain, qui se débat entre la crédule idéalisation de son père et son pendant : le mépris de sa mère. Un Hamlet visionnaire, doué pour le commerce, qui réussit là où les autres échouent : il assainit son terrain et y élève des poulets. Un Hamlet persécuté, banni de Baker, mais qui y revient pour se venger. Devenu chef des éboueurs, il déclenche une grève si monumentale que la ville croupit sous les immondices. Il y a quelque chose de pourri au royaume des Etats-Unis : la métaphore shakespearienne devient une réalité « fictionnée » par un écrivain américain né en 1971 et mort à l’âge de 33 ans seulement. Tristan Egolf s’est suicidé.

 
 
 

« Ce roman a tout pour être théâtral », affirme Paul Balagué, qui porte ce projet depuis quatre ans. Exact. Même si, pour transformer les 600 pages du récit en un spectacle organique qui emprunte ses formes au punk, à la bande dessinée, à la parodie, et surtout à l’enfance ludique des cours de récréation, jamais rassasiée de « faire comme si », quitte à user les patiences, le metteur en scène a pris des libertés et inventé avec son complice, Paul-Eloi Forget, des dialogues qui n’existent pas. Il crée ainsi sur mesure pour le héros trois alter ego avec lesquels il peut débattre de ses états d’âme : ces voix intérieures sont incarnées par trois comédiens.

 

Le procédé est habile. Il accentue la solitude d’un protagoniste enfermé dans ses doutes et guetté par une folie qui se traduira par sa perdition et la chute de Baker. La noirceur radicale du propos, dans lequel Balagué engouffre, à gros bouillons, des allusions à l’actualité politique américaine ou française, devrait désespérer. Il n’en est rien. Parce que le théâtre, ici, est célébré avec un appétit inouï qui consacre l’apocalypse. Parce qu’il est consommé avec une sorte de voracité sidérante qui le dédouane de ses débordements et emporte ses failles et ses faiblesses (il y en a) dans plus fort : les pulsations contagieuses d’une troupe qui croit mordicus à la toute-puissance du jeu.

 

 

Le Seigneur des porcheries, d’après le roman de Tristan Egolf (Gallimard, 1998, traduction de Rémy Lambrechts). Adaptation et mise en scène de Paul Balagué. Avec François Chary, Lucas Goetghebeur, Ghislain Decléty, Martin van Eeckhoudt, June van der Esch, Sandra Provasi, Damien Sobieraff. MC93 Bobigny, jusqu’au 18 mai.

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

 

Lors des répétitions du « Seigneur des porcheries », mis en scène par Paul Balagué, à la MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 19 avril 2025. ACHILE BIRD

 

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May 9, 10:35 AM
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Footballeur, texte de Simon Diard , mise en scène d’Arnaud Vrech, au Théâtre de La Tempête. 

Footballeur, texte de Simon Diard , mise en scène d’Arnaud Vrech, au Théâtre de La Tempête.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 5 mai 2025

 

 

 

Le comédien et metteur en scène Arnaud Vrech conçoit Footballeur, un spectacle librement inspiré de la vie de son grand frère.  Alors que celui-ci s’engage dans une carrière de footballeur professionnel, il apprend qu’il est atteint de rétinite pigmentaire: il perd progressivement la vue, lâche le ballon, et la conscience de son être-là au monde change, devient autre et s’enrichit.

Parmi les infirmités sensorielles, la cécité a souvent été vécue comme une épreuve divine. Or, celui qui en souffre, accorde plus d’importance à la vie intérieure qu’aux apparences changeantes. La perte de la vue se solde souvent, dans l’imaginaire collectif, d’un développement des autres sens – ainsi, le thème de l’aveugle musicien et surtout de la vision intérieure.

 

L’aveugle est celui qui peut savoir ce que nul ne connaît, l’infirmité étant compensée par des dons particuliers. Le modèle de l’aveugle voyant est le grec Tirésias qui perdit les yeux pour avoir vu le corps nu de la déesse Athéna: « Ayant payé de ses yeux son don de double vue, se tenant au point de passage du visible et de l’invisible, de la lumière et des ténèbres. Il connaissait du même regard ce qui est présent aux yeux de tous sur cette terre, ce qui est dissimulé dans le passé, ce qui se prépare en secret pour l’avenir. (J-P Vernant, Ulysse en personneDans l’oeil du miroir).

Avec Footballeur, chacun s’épanche sobrement sur ce que l’un ressent pour l’autre, comme sur ce que se sentir vivre et exister veut dire, quand on évalue  ce qu’on a déjà éprouvé, recensant peurs et craintes enfantines. Ne pas vouloir que tel événement survienne, tout faire pour l’éviter, alors que, chemin faisant, on réalise que tout était déjà inscrit en soi, en dépit de tout. La dimension existentielle de la pièce de Simon Diard apporte la consolation.

 

Le texte évoque avec pudeur et simplicité les relations des deux frères, du point de vue du plus jeune, apprenti de la vie pour lequel l’aîné est une icône du ballon rond, déjà responsabilisé dans le monde des grands. Aujourd’hui, à partir du regard du cadet, les rapports de pouvoir se sont comme inversés, le puiné aspirant à protéger l’aîné qu’il a peu côtoyé. Or, les deux s’aiment l’un l’autre, sans jamais avoir osé le penser ni se l’avouer, encore moins se le dire dans un milieu familial où exprimer ses sentiments n’est pas de bon ton.

 

A l’occasion d’un tournoi de foot, dans un vestiaire de sous-sol désuet et bruissant non seulement d’un système de souffleries, mais de cuivres encore, un trio espiègle échappé d’une fanfare avec sa maîtresse de musique et de chant, les deux frères se parlent pour la première fois, dépassant la pudeur du cercle familial. Né du compagnonnage avec l’auteur Simon Diard, Footballeur raconte l’histoire de la découverte du handicap. 

Arnaud Vrech ouvre un nouveau champ de vision au regard, transcendant le corps royal du sportif et de son rêve lumineux d’enfant – réalités à présent obsolètes. Le spectacle épuré et minimaliste donne paradoxalement à voir d’autres sensations, non plus seulement visuelles mais tactiles et auditives encore, à travers un travail de composition musicale, de son et de lumière. 

Les bandas, les célébrations festives, les fanfares joyeuses des stades pénètrent la scène, convoquent le souffle et la force des cuivres joués en live, de fascinants instruments à air, une belle extension de soi et du collectif. 

 

La musique – joie et sentiment allègre d’un monde habité de lumière et de vie – appelle naturellement le mouvement, la danse, la conscience d’un déplacement, comme un rituel, une échappée dans le choeur des interprètes, une énergie qui comble l’espace entre les corps et les mots. (Arnaud Vrech)

 

 

Clément Durand est celui qui sollicite l’aîné, Johann Weber, auprès de la cheffe de choeur et âme soeur, Cecilia Steiner, à l’écoute attentive de la compagnie burlesque des cuivres chaleureux de Flavio Mendes (trompette), de Constant Sajaloli (trombone) et de Romane Vanderstichele (cor).

 

 

Un spectacle plein d’humour – recul et distance, respect de l’autre et de soi -où le public ne se contente pas de regarder mais voit et entend l’être en vie.

 

Véronique Hotte / Hottello

 

Crédit photo: Charles Leplomb

 

Footballeur, texte de Simon Diard (éditions Petits Pièges), mise en scène d’Arnaud Vrech. Avec Clément Durand, Cecilia Steiner, Johann Weber et les cuivres Flavio Mendes, Constant Sajaloli, Romane Vanderstichele. Scénographie, costumes Arnaud Vrech, dramaturgie, costumes Franziska Baur, lumières Anne Vaglio, son, régie générale Mathieu Barché, musique Sophie Sand, direction musicale postcréation Théo Kaiser, regard chorégraphique Vincent Dupuy,couture Charlotte Le Gal

 

 

Du 3 au 25 mai 2025, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30 au Théâtre de La Tempête Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre 75012 – Paris, www.la-tempete.fr Tél: 01 43 28 36 36.

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May 8, 8:21 AM
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Procès des cyberharceleurs de Thomas Jolly : “Aucune interprétation malveillante ne saurait justifier la haine”

Procès des cyberharceleurs de Thomas Jolly : “Aucune interprétation malveillante ne saurait justifier la haine” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Télérama, avec AFP    Publié le 05 mai 2025

 

Le tribunal correctionnel de Paris a rendu, ce lundi, son jugement au procès des sept personnes accusées de cyberharcèlement à l’encontre du directeur artistique de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques, en juillet 2024.

 

 

La justice a infligé lundi des peines d’amendes et de prison avec sursis à l’encontre de sept personnes poursuivies pour avoir envoyé en juillet dernier des messages haineux à Thomas Jolly, le maître d’œuvre de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Paris 2024.

 

« Le verdict rendu aujourd’hui par le tribunal marque un signal fort sur ce qu’est le cyberharcèlement en France : un délit qui ne reste pas impuni, a réagi Thomas Jolly auprès de TéléramaLe tribunal rappelle ainsi que l’on ne peut pas impunément se livrer au lynchage numérique d’une personne pour ses engagements publics, sa personnalité et que la liberté de création ne peut être attaquée […] Ce jugement apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel dans la lutte contre les discriminations et le harcèlement sur Internet. Il envoie un message clair : la liberté de création doit être défendue, et aucune interprétation malveillante ne saurait justifier la haine. »

Ces sept personnes, dont une seule était présente à l’audience, devront en outre chacune verser 1 euro de dommages et intérêts à Thomas Jolly. Le tribunal correctionnel de Paris a infligé des amendes de 2 000 à 3 000 euros, assorties du sursis, à trois des prévenus et des peines d’emprisonnement de deux à quatre mois avec sursis aux quatre autres. Les sept prévenus, dont une femme, âgés de 22 à 79 ans, devront effectuer un stage de citoyenneté de cinq jours, a également décidé le tribunal, qui a ordonné la suspension pour six mois des comptes X de deux des prévenus.

 

 

« C’est une victoire pour toutes les victimes de cyberharcèlement aujourd’hui.»    Thomas Jolly

 
 

Thomas Jolly a également exprimé sa « gratitude envers le travail remarquable de la brigade chargée de l’enquête, dont l’efficacité et la détermination ont permis d’aboutir à ce résultat ». Il a également dit « [sa] solidarité et [son] soutien aux autres artistes de la cérémonie qui ont été injustement ciblés par ces attaques », et rappelle que « le cyberharcèlement, sous toutes ses formes, et notamment celui qui touche durement la jeunesse, est un fléau contre lequel nous devons tous collectivement nous mobiliser ».

 

« Il nous reste encore beaucoup de chemin, mais cette décision participe au fait que nous sommes sur la bonne voie, c’est une victoire pour toutes les victimes de cyberharcèlement aujourd’hui », conclut-il.

 

Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, avait déposé plainte le 31 juillet, quelques jours après le début des Jeux, affirmant « être la cible, sur les réseaux sociaux, de menaces et d’injures à caractère homophobe ou antisémite ».

 

Alors que la créativité de la cérémonie d’ouverture a été saluée par de nombreux spectateurs, le tableau intitulé « Festivité » a alimenté l’été dernier une polémique dans certains milieux conservateurs chrétiens et d’extrême droite.

 

Télérama, avec AFP

 

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May 6, 4:53 AM
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«Le Beau Monde», ce que l’avenir nous préserve 

«Le Beau Monde», ce que l’avenir nous préserve  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Copélia Mainardi dans Libération - 5 mai 2025

 

Tendre et ingénieuse, la pièce d’anticipation, prix Impatience en 2022, imagine l’héritage de notre civilisation : des fragments de récits et de coutumes que nos descendants sont chargés de déchiffrer.

 
 

Sur le plateau, ils sont trois plantés là, un peu gauches, un peu guindés, à reproduire les gestes de coutumes qu’ils ne comprennent pas vraiment, comme un vêtement qu’on enfilerait sans trop savoir comment le porter. Les leurs, de vêtements, sont d’ailleurs à l’envers, étiquettes apparentes, et ce détail dit tout du déplacement dont il va être question : en observant depuis un pas de côté ce qui compose notre quotidien, le Beau Monde rend à la fois étrange et étranger ce qui nous est profondément familier.

Que restera-t-il de notre monde dans celui d’après, quand tout ce qui fait notre civilisation aura disparu ? Dans un futur lointain, des «rituels de mémoire» se tiennent tous les soixante ans pour étudier les fragments du passé et transmettre ainsi les dernières traces d’une société éteinte. De ces porteurs de rituels on ne saura rien, ni qui ils sont ni d’où ils viennent : tout juste leurs expressions, interactions et langages corporels sont-ils suffisamment autres pour signifier l’absence de référentiel commun à notre culture contemporaine.

Notion de relativité

Des pierres blanches de différentes tailles matérialisent ces fragments de mémoire, cailloux de Petit Poucet qui ont traversé l’histoire. Elles jonchent le sol du plateau, principal élément d’un décor épuré. Tour à tour, les comédiens s’en saisissent et libèrent ces précieuses bribes de souvenirs. Ce peut être «le football», «l’alpinisme» ou «le théâtre», mais aussi «le vote», «le baiser», «l’héritage». De ces 427 fragments, seuls 46 ont subsisté, que les personnages chérissent en archéologues consciencieux, malgré leur perplexité manifeste devant certains de ces mythes. Car le «système de santé», ce sont des verres qui s’entrechoquent au son d’un «tchin» collectif. Le «paradis» ? La dernière case de la marelle, qu’on atteint à cloche-pied. Le «baccalauréat» ? Notre «p‘tit bac».

 

Rien de tout ça n’est tout à fait faux – rien n’est vraiment juste non plus. A la fois simple et ingénieux, ce dispositif pousse à son paroxysme la notion de relativité, éprouvée physiquement avant d’y réfléchir. De là naît le vertige : du décentrement permis par le théâtre, qui permet l’expérience concrète et corporelle d’un concept, court-circuitant les arguments moraux, historiques ou philosophiques. C’est par le corps qu’on sent qu’il suffit de pas grand-chose pour que le sensé paraisse dérisoire, un changement d’angle de quelques degrés à peine qui déplace l’évidence. Les effets de cette adhérence immédiate, qui opère presque à notre insu, se dissipent bien après le salut final.

Préservation fragile de l’héritage

Prix Impatience en 2022, programmé à Avignon l’année suivante, le Beau Monde a vocation à se jouer partout : de sommaires gradins en bois accompagnent le spectacle, permettant de le déployer dans d’autres espaces. Le demi-cercle qu’ils forment autour du plateau fait pleinement partie du rituel, convoquant l’imaginaire d’un amphithéâtre grec ou romain. La petite jauge renforce aussi l’intimité avec les comédiens, à quelques mètres des premiers spectateurs. Avec Simon Gauchet (scénographe et regard extérieur), Blanche Ripoche, Arthur Amard et Rémi Fortin ont tissé collectivement cette écriture, travaillant chacun différents fragments ensuite mis en commun.

 

Le spectacle évite l’écueil de l’effet catalogue par un jeu sur la longueur (certains de ces rituels durent une poignée de secondes, d’autres sont des saynètes plus conséquentes), la forme (des gestes, des mots, des sons) et les registres ; car si certains sont loufoques, parfois désopilants (mais jamais ridicules), d’autres, plus graves, forment autant d’appels à un sursaut – politique, écologique, métaphysique. Cette collecte documentaire faite d’archives vivantes s’incarne aussi dans des chants polyphoniques qui en accentuent la beauté éphémère, la préservation fragile d’un héritage pas forcément glorieux, mais qui est tout ce que nous avons.

 

Le Beau Monde revendique un théâtre complice et accessible qui n’a besoin de rien – ni boîte noire, ni moyens, ni grands discours. Les interprètes, virtuoses (Marianne Deshayes parfaite dans cette reprise de rôle), ont trouvé un langage de corps décalé, d’une maladresse naïve qui ne verse pas dans la gestuelle robotique souvent plaquée sur les fictions futuristes. Ni critique acerbe ni ode nostalgique à notre temps, c’est un regard tendre et vigilant sur ce que nous sommes – on en sort bousculés, rafraîchis, mais ceux qui cherchent des réponses peuvent passer leur chemin : «307. “Le sens de la vie”. Fragment perdu.»

Le Beau Monde d’Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet et Blanche Ripoche (l‘Ecole parallèle imaginaire). Les 6 et 7 mai à la Comédie de Reims, du 4 au 7 juin au Quai à Angers, le 28 juin à Rothau (festival les Scènes sauvages).

 

Copélia Mainardi / Libération

 

 

Légende photo : Prix Impatience en 2022, programmé à Avignon l’année suivante, «le Beau Monde» a vocation à se jouer partout. (photo : Christophe Raynaud de Lage)
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May 4, 5:12 PM
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« Maintenant je n’écris plus qu’en français » : le cri du cœur d’un comédien ukrainien qui a fui Moscou

« Maintenant je n’écris plus qu’en français » : le cri du cœur d’un comédien ukrainien qui a fui Moscou | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 3 mai 2025

 

Au théâtre de Belleville, à Paris, Viktor Kyrylov raconte, dans un seul-en-scène captivant en forme de confession, ses tourments de jeune exilé.

Lire l'article sur le site du "Monde" :

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/03/maintenant-je-n-ecris-plus-qu-en-francais-le-cri-du-c-ur-d-un-comedien-ukrainien-qui-a-fui-moscou_6602620_3246.html

 

Au matin du 24 février 2022, la vie de Viktor Kyrylov est devenue, dit-il, « absurde ». Cet Ukrainien alors âgé de 20 ans est réveillé par un coup de téléphone de sa mère qui lui annonce que la Russie a déclaré la guerre à son pays, que des bombardements frappent sa ville natale d’Odessa. « Surtout ne rentre pas », le supplie-t-elle. Viktor Kyrylov vit à Moscou où, depuis trois ans, ce passionné de culture russe mène la vie dont il rêvait. Etudiant au Gitis, prestigieuse école de théâtre, il doit jouer son premier spectacle le 25 février, La Mouette, de Tchekhov.

 

 

« Mon rêve fait de moi un traître pour les Ukrainiens et un ennemi pour les Russes, ma vie n’a plus de sens », résume le comédien. Où aller ? Doit-il faire la guerre contre ceux chez qui il voulait vivre ? Doit-il fuir ? Trois ans plus tard, sur la scène du Théâtre de Belleville à Paris, Viktor Kyrylov raconte, dans un seul-en-scène captivant en forme de confession, ce cas de conscience bouleversant.

 

Il a appelé son spectacle Maintenant je n’écris plus qu’en français. La langue russe, il veut « l’oublier », la langue française, qu’il maîtrise désormais parfaitement, est devenue son refuge. Viktor Kyrylov fait le récit d’un exil avec l’ardeur de celui qui a besoin de lever l’ambivalence (combattre ou s’enfuir) qui lui a longtemps serré la poitrine. Il a le besoin à la fois de s’expliquer et de comprendre comment son histoire s’inscrit dans la grande histoire. Sur la scène, des cartes de l’Ukraine, de la Russie et de l’ex-URSS sont projetées sur un grand écran. Derrière toute cette géopolitique et ces frontières mouvantes, combien de destins ont été changés ?

« C’est quoi la bonne décision ? »

Parfois, le grand écran se retourne et devient un miroir. Viktor Kyrylov s’y retrouve face à lui-même et se confie. « C’est quoi la bonne décision ? », s’interroge-t-il. Comment ne pas culpabiliser de ne pas aller combattre. « Je ne t’ai pas fait pour que tu meures à la guerre. Vis ! », lui implore sa mère, infirmière. « Entre la patrie et ma mère, j’ai choisi ma mère », explique son fils. Au lendemain de sa première représentation de La Mouette, dans un théâtre où ses copains russes ne parlent pas de guerre mais d’« opération militaire », il décide de partir. « Je quitte la Russie, ce pays qui me fascinait. La Russie de Tolstoï et de Tchekhov n’existe pas. » Le jeune comédien prend la direction de la Lettonie, puis de l’Estonie où il arrive le 3 mars 2022 et se fait enregistrer comme réfugié. Mais impossible d’avoir un titre de séjour. Une fois encore, où aller ? Il choisit la France, il n’a jamais vu Paris, il ne connaît pas la langue.

 

Ensuite ? Viktor Kyrylov a fait le choix judicieux d’arrêter son récit au jour de son arrivée à la gare routière de Bercy après deux jours de voyage via la Pologne. Son adaptation et son intégration à un nouveau pays, c’est un autre sujet, qui fera sans doute l’objet d’un prochain spectacle. Pour l’heure, il a préféré, dans ce premier seul-en-scène, se concentrer sur la guerre et ses bouleversements. C’est Eric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française qui l’a encouragé à écrire son histoire. Accueilli à son arrivée de Moscou au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, le comédien a intégré, la saison dernière, l’académie de la maison de Molière. Et il est vraiment fait pour le théâtre.

 

Grâce à sa présence intense sur scène, la qualité de son écriture et la profondeur de ses réflexions, Viktor Kyrylov, 23 ans, nous ébranle et nous questionne car on ne peut s’empêcher de se mettre à sa place et de se demander : qu’aurions-nous fait ? Parce qu’il parle d’ici et maintenant, de l’Europe et de la guerre, son spectacle ne s’oublie pas.

 

 

Maintenant je n’écris plus qu’en français, texte et interprétation Viktor Kyrylov, sous le regard amical d’Eric Ruf. Au Théâtre de Belleville, Paris 11ᵉ. Jusqu’au 29 juin.

 

Sandrine Blanchard

Légende photo : Viktor Kyrylov dans « Maintenant je n’écris plus qu’en français », en mars 2025. PAULINE LE GOFF

 

 

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May 2, 5:38 PM
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«Portrait de Ludmilla en Nina Simone» : scène de résistance en Louisiane 

«Portrait de Ludmilla en Nina Simone» : scène de résistance en Louisiane  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkineenvoyée spéciale à La Nouvelle-Orléans et à Lafayette (Louisiane) publié par Libération le 1er mai 2025

 

Les représentations du spectacle du Français David Lescot, vibrant hommage à l’artiste afro-américaine, ont secoué le public de La Nouvelle-Orléans et de Lafayette. «Libé» a suivi sa tournée américaine dans un Etat au passé esclavagiste et menacé par la croisade de Donald Trump contre l’éducation et la culture.

 

Un tout petit spectacle français peut-il prendre le pouls de la tragédie politique qui traverse les Etats-Unis ? Et plus spécifiquement la manière dont l’investiture de Trump corrode les droits civiques en amplifiant les discriminations tout en les légitimant ? Une immense star internationale telle Nina Simone est-elle plus subversive en 2025 que dans les années 1960 ? Que se passerait-il si elle revenait aujourd’hui pour arpenter la scène comme elle l’a fait à Harlem (New York) en 1969 lors d’un concert en plein air, en reprenant les mots du poète David Nelson : «Etes-vous prêts, les Noirs ? Vous êtes prêts à faire ce qu’il faut ? Vous êtes prêts à tuer s’il le faut ? Vous êtes prêts à démolir le monde blanc ? A incendier les bâtiments ? Vous êtes prêts à construire un monde noir ?»

Oui, que lui arriverait-il sous l’ère Trump qui, tout occupé soit-il à obtenir «la paix» dans le monde, trouve encore le temps de se faire nommer président de la prestigieuse salle de spectacle Kennedy Center à Washington car «c’est fini le wokisme dans ce pays» ? Et que se passe-t-il lorsque la comédienne et chanteuse Ludmilla Dabo, en narrant cet épisode qui a fait date, la cite in extenso sur une scène de La Nouvelle-Orléans – ville-exception antitrumpiste en Louisiane – à l’Acadiana Center for the Arts, un théâtre à Lafayette, où la grande majorité des habitants a donné ses voix au président actuel ?

 

La tournée américaine 2025 de Portrait de Ludmilla en Nina Simonedébutée à Vancouver en mars, et poursuivie à Seattle et Los Angeles, avec pour point d’orgue quatre concerts en Louisiane, témoigne de la destinée joyeusement imprévisible de ce spectacle fait avec presque rien, initié par la Comédie de Caen en 2017 qui passait commande à différents artistes sur une figure obsédante ou inspirante. Huit ans plus tard, ce double portrait d’une icône et de son interprète, qui n’avait pas été conçu pour durer et encore moins pour sillonner la planète, s’est joué un peu partout, sur trois continents et dans tous lieux – théâtres, prisons, écoles – et n’en finit pas de s’enrichir de nouvelles strates, nouvelles résonances, y compris pour ses deux acteurs – Ludmilla Dabo et David Lescot. Autrement dit, rien ne se répète, tout se découvre – «plus on joue un spectacle, plus on est libre de se laisser traverser par l’inattendu»,  remarque David Lescot contre l’idée reçue de l’usure par la routine.

 

Un trouble saisit l’assistance

Ce qui rend particulièrement mouvant ce double portrait, alors que ni le texte ni la musique ne changent, c’est sa porosité à l’instant présent, sa manière de tourner vers la salle un miroir, et d’un soir à l’autre, le reflet n’est jamais le même. A sa création en France, on se laissait bouleverser par le récit de Ludmilla Dabo qui se souvenait des éclats de rire qu’elle suscitait au Conservatoire national d’art dramatique lorsqu’elle disait rêver de jouer Agnès dans l’Ecole des femmes. Ainsi, à Paris il y a seize ans, il allait de soi qu’une jeune actrice à la peau noire ne pouvait avoir accès aux rôles du répertoire sans tordre les pièces. «On disait qu’il fallait que le choix ait un sens, se souvient David Lescot. Il y avait une grande inertie à représenter la société telle qu’elle est.» Ce qui pour le coup, sidère les étudiants et les comédiens américains.

 

«Vous êtes prêts les Noirs ? Vous êtes prêts à vous lever ?» A chaque fois, un trouble saisit l’assistance. Tiens, deux personnes ulcérées et livides quittent la salle du théâtre Lupin de l’Université Tulane, à La Nouvelle-Orléans. Electricité dans un rang où une bande d’une quinzaine de jeunes filles racisées se regardent incrédules. Leur intime-t-on pour de bon de se lever ou reste-t-on dans un espace fictionnel et symbolique ? Elles hésitent. Pour la très grande majorité d’entre elles, qui sont venues par l’intermédiaire  de l’association Operation Restoration – l’organisme a pour mission d’aider les familles de détenus et les femmes incarcérées –, il s’agit de leur première expérience théâtrale. En revanche, certaines ont déjà mis les pieds à Tulane, toujours par le biais de l’organisme qui y organise des cours.

 

Subventions «gelées»

Tulane : impressionnante ville dans la ville, avec ses magasins, ses cafés, ses salles de sport, ses sweats et peuplée en grande partie par la jeunesse aisée californienne ou new-yorkaise – sans bourse, il faut tout de même compter 80 000 dollars (plus de 70 000 euros) l’année d’étude ! Une doctorante qui travaille sur le genre et la sexualité dans la littérature marocaine raille : «On ferait mieux de rendre la fac plus accessible à la jeunesse de La Nouvelle-Orléans, plutôt que de réagir aux annonces incessantes de Trump, invalidées cinq minutes plus tard. Ça distrait de l’essentiel.»

 

 

Certaines annonces sont cependant bien à effet immédiat. Operation Restoration voit déjà la plupart de ses subventions «gelées», telles celles accordées par le département de la Justice et le National Endowment for the Arts, une agence culturelle fédérale indépendante. Entre le temps du reportage et sa parution, le poste dédié à la recherche des fonds publics a d’ailleurs été suspendu tout simplement parce qu’il ne servait plus à rien. Sans compter la difficulté de rédiger les appels sans utiliser les mots qualifiés désormais de suspects tels que ceux de «femme», «LGBT», «équité» selon une liste qui en comprend plus de 200.

 

A Tulane comme ailleurs, le programme en faveur de la diversité a modifié son intitulé dans l’espoir de ne pas disparaître. L’université, à la pointe de la recherche médicale, voit un budget de plusieurs millions de dollars «en suspens». Une enseignante à l’université de Washington à Seattle, où la petite équipe a donné deux représentations salle comble et un workshop, ne cache pas son désespoir : «Je serais bien naïve de ne pas ressentir le danger. A l’origine, l’enseignement supérieur était réservé aux hommes blancs et riches. Les enseignants ont passé des décennies à le rendre accessible à tous, mais aujourd’hui, le Président a signé le décret exécutif pour démanteler le ministère de l’Education, ce qui affecte à la fois l’enseignement supérieur et les écoles. De moins en moins de personnes auront accès au savoir, et le savoir disponible sera incomplet. Il y a une tentative continue de blanchir à la fois l’histoire et le présent.»

 

Entre autres exemples, elle constate la disparition de la page web du Pentagone consacrée aux Navajos «code talkers», ces quelques dizaines d’Amérindiens recrutés par l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale pour mettre au point un langage codé. Hasard ou pas, le Noma (le musée d’art de La Nouvelle-Orléans) qui propose une exposition sur les masques modernes par des artistes venant du Cameroun, du Sénégal et du Burkina Faso, vient d‘apprendre qu’il perdait la majorité de ses subventions publiques, la dotation de la Louisiane pour les arts étant amputée de 600 000 dollars. En raison de son tropisme multiculturel ?

Incarcération de masse

Vite, les jeunes conduits par Opération Restoration filent, leur référente les attend, et le bus aussi. Echange rapide à la sortie avec deux d’entre elles, Maddie, 15 ans, et Chloé, 17 ans, dont les parents sont incarcérés, et qui bossent tout en étant lycéennes. C’est la première fois que Chloé va au théâtre – la deuxième seulement pour Maddie – et si c’est ça le théâtre, elle y reviendra pour découvrir d’autres grandes figures. Ce qui les a le plus marquées ? Une unique séquence silencieuse où l’actrice change à vue de costume et coiffe ses cheveux sous un turban. Un moment de suspension et de légère attente, l’identité n’étant jamais fixée dans cette pièce où Ludmilla Dabo n’imite pas Nina Simone, mais offre le sentiment rare que c’est Nina Simone qui a pris ses traits et sa voix. L’association Operation Restoration, fondée en 2016 par Syrita Steib, elle-même ancienne détenue, n’est pas arrivée dans la salle de spectacle par hasard. Si ses missions ont trait à l’accès au logement, aux soins et à l’éducation, elle a noué depuis quelques mois un partenariat avec l’Alliance française de La Nouvelle-Orléans, à l’initiative de son nouveau directeur, Alan Nobili.

Ah bon ? Mais on croyait que l’Alliance française, partenaire essentiel des tournées françaises à l’étranger, était surtout fréquentée par une peuplade d’expatriés avides de se retrouver ? Alan Nobili envisage un peu différemment sa mission en Louisiane, en raison de l’importance croissante et symbolique du français dans la région en ouvrant ses portes à celles et ceux qui, jusque-là, ignoraient son existence. Pour beaucoup des habitants de cet Etat du sud, même si seuls leurs parents ou grands-parents parlaient cette langue (ou un créole mâtiné de cajun) elle reste associée à leur histoire spécifique et parfois même à un mouvement de résistance contre l’envahisseur yankee.

 

 

Dans la petite ville de Lafayette qui use de sa propre langue créole du Bayou, le kouri-vini, le nom des rues est de nouveau en français et les annonces à l’aéroport également, ce qui ne manque pas de surprendre. La quarantaine d’écoles publiques – environ 5 500 enfants – où le français est enseigné dès la maternelle est en augmentation. Alain Nobili explique que «traditionnellement, les Alliances s’appuient sur la culture des lieux où elles sont implantées». A La Nouvelle-Orléans, il y a bien sûr la communauté des Black Indians qui chaque année démontre sa vitalité par d‘extraordinaires manifestations dans toute la ville, les célèbres parades hebdomadaires, la musique que les enfants pratiquent comme une langue ou le foot dès la maternelle, un esprit hédoniste et festif qui n‘a rien d‘un cliché. Mais aussi l’incarcération de masse dans des prisons à but lucratif et très rentables d‘une population essentiellement noire. Championne du monde de l’emprisonnement, la Louisiane n‘a pas encore abandonné le travail forcé de prisonniers rémunérés 2 à 5 cents par heure (soit 0,1 à 0,4 euros) depuis la fin de l’esclavage.

C’est une médecin-urgentiste française qui nous explique cette persistance du passé esclavagiste en Louisiane lors d’un raout chez un mécène de l’Alliance française, tandis que Ludmilla Dabo et David Lescot jouent dans un brouhaha – comme Nina Simone s’est elle-même parfois produite au début de sa carrière. Le mécène chez qui se déroule la soirée a contribué à hauteur de  4000 dollars aux deux représentations de La Nouvelle-Orléans.

 

Dans un pays où la culture n’est pas un service public – et l’éducation de moins en moins –, les levées de fonds privées mises en œuvres par les Alliances françaises sont des impératifs même lorsque la tournée se déroule en partie dans des campus qui possèdent leur propre théâtre.

Contrairement aux scènes privées soumises au box-office, ces scènes universitaires n’ont aucune obligation de billetterie. Pour autant que le département théâtre de l’université ne dépende pas des subsides locaux ou fédéraux, cette marge de manœuvre leur permet d’inviter des formes peu mainstream, qui ne pourraient pas se produire ailleurs. C’est particulièrement vrai dans des villes de taille moyenne comme La Nouvelle-Orléans (360 000 habitants hors faubourgs, 700 000 en les incluant), qui compte beaucoup de scènes musicales mais peu de théâtre comme nous l’explique Victor Holtcamp qui dirige le département théâtre de Tulane.

Travail forcé, travail rentable

«Pas de boulot», marmonne Stéphanie, conductrice afro-américaine,  dans son Uber. Elle est informaticienne, mais la boîte pour laquelle elle travaillait a fermé pendant l’épidémie de Covid. Elle dit que depuis Trump, c’est juste le «mess» (bordel), et que les discriminations, elle n’a connu que ça depuis l’enfance. «Faut attendre les prochaines élections présidentielles, c’est tout.»

Effet surprenant, lorsqu’on passe devant le cimetière de la ville : les caveaux dépassent pour moitié de l’enceinte, ils sont surélevés afin que les morts ne soient pas emportés en cas d’ouragan. Le traumatisme de Katrina, qui a pourtant eu lieu il y a déjà vingt ans, ne se laisse jamais oublier : depuis, la ville a perdu environ 200 000 habitants, et assurer sa maison ou voiture est devenu inaccessible au commun des mortels. Les habitants ne s’assurent plus, ils prennent le risque de tout perdre ou quittent la ville qui se vide, faute également d‘attractivité économique. Autre étonnement : on a beau s’en approcher, le Mississippi demeure invisible, le fleuve mythique se cache derrière de hautes digues, construites par des esclaves puis encore et toujours par des détenus.

On roule avec Alan Nobili dans le grand quartier des prisons qui ne cesse de s’étendre. Le tribunal jouxte l’une d’elles, aucun temps perdu – la plus connue d’entre elles, surnommée Angola, est plus grande que Manhattan. Alan Nobili le répète : «Grâce à leur main-d‘œuvre gratuite, les prisons remportent une grande partie des marchés auxquels elles candidatent.» Travail forcé, travail rentable. Les termes utilisés sont évocateurs : bien que le «convict leasing system» (qu’on peut traduire par «système de location de prisonniers») soit officiellement interdit depuis des décennies, on parle bien de «louer» à des entreprises une main-d‘œuvre gratuite, qui redisons-le, n‘a pas le droit de refuser de travailler.

«Du reste, poursuit Alan Nobili, quand l’esclavage a été aboli, le 13e amendement décrétait : “Personne ne peut être soumis à l’esclavage sauf en cas d’activité criminelle.”» L’Etat fédéral racheta les anciennes plantations qu’elle transforma en prisons, et tout naturellement, les anciens contremaîtres devinrent gardiens de père en fils, qui continuèrent à surveiller la récole du coton et la culture de la canne à sucre.

«C’est très provocateur»

La déambulation nous ramène à Nina Simone. A Lafayette, où s’enchaînent deux représentations à l’Acadiana Center for the Arts, Ludmilla Dabo est prise de vertige pendant qu’elle chante  Mississippi Goddam, l’une des compositions les plus célèbres de Simone, censurée à sa création en 1964 dans les Etats du sud et par de nombreuses radios. Ici, dans ce paysage, sur cette scène, elle a été envahie par ce que décrit cette chanson et qu’elle n’avait jamais autant charnellement perçu, alors qu’elle la chante depuis l’enfance. L’interprétation des deux dernières représentations à Lafayette se teinte de la couleur d’un manifeste.

 

 

Brandon Motz, le directeur artistique du théâtre, note avec bonheur et surprise qu’il y a dans la salle foule de spectateurs qu’il n’a jamais vus dans le théâtre – des affiches ont été posées dans les commerces avoisinants : une bande d’adolescents noirs sourds et muets au dernier rang avec une accompagnatrice qui leur traduit la représentation en langage des signes, des femmes à la peau noire ultra-réactives, une ambiance joyeuse… Peut-on citer le directeur artistique sans le mettre en danger ? C’est le propre des Etats qui basculent dans le totalitarisme que de susciter ce type de questionnements et de mises en garde.

 

 

Non, Brandon Motz n’avait pas vu le spectacle avant de le programmer, même en vidéo. Il introduit la deuxième représentation par un discours à la sincérité intense. Evidemment, pour une oreille européenne, il paraît plus qu’étrange qu’accueillir aux Etats-Unis un spectacle français sur une icône noire américaine des années 1960 puisse être un acte de courage. Et pourtant, le mot «courage» est bien prononcé à plusieurs reprises dans l’assistance, et parmi les spectateurs, le chanteur Zachary Richard, qui a fait de la culture cadienne le combat de sa vie, est visiblement ébranlé : «C’est très provocateur.» Après un silence, il ajoute : «Dans le bon sens du terme.» On lui demande de préciser : «Ça provoque la pensée.»

 

 

Une partie des mécènes qui composent le conseil d’administration ont voté Trump, et Brandon Motz doit, nous explique-t-il, «les ménager». Pour autant, si c’était à refaire, il reprogrammerait  «évidemment» ce double portrait. Contrairement aux habitudes du public américain qui d‘ordinaire applaudit brièvement et quitte la salle prestement, une partie des spectateurs demeure pour le bord plateau, et rechigne même à sortir du théâtre si bien qu’entre les deux représentations pourtant épuisantes, Ludmilla Dabo et David Lescot ne rejoignent pas la coulisse. Une femme est en pleurs. La deuxième représentation elle aussi se clôt par des prises de paroles qui se poursuivent ensuite pendant une bonne heure par des conversations privées sur la scène avec les interprètes.

 

 

Anne Diatkine / Libération

Portrait de Ludmilla en Nina Simone de David Lescot. En tournée en France 24 mai au Théâtre de la Ville, festival des places à Paris, le 28 juin au festival confluences à la Garde (Var) , les 16 et 17 octobre à Vélizy (Yvelines), le 21 novembre à Vigny, le 6 décembre à Vétheuil, le 13 ou le 20 février 2026 à Champagne-sur-Oise, le 27 mars à Vauréal, le 28 mars à Ezanville (Val-d’Oise), les 8 et 9 avril à Quimper.
Légende photo : Ludmilla Dabo au Lupin Theater à l’Université Tulane à La Nouvelle-Orléans, le 18 mars 2025. (Camille Farrah-Lenain/Libération)
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May 2, 4:16 AM
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Pierre Gendronneau, le numéro deux du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions après des signalements de violences sexuelles sur un précédent poste

Pierre Gendronneau, le numéro deux du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions après des signalements de violences sexuelles sur un précédent poste | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Le Monde avec AFP - 30 avril 2025

 

 

Le départ du directeur délégué est prévu le 13 juin, a annoncé Tiago Rodrigues, le directeur du Festival. Une enquête interne a été menée en novembre et décembre par le cabinet spécialisé Egaé, après que le ministère de la culture a saisi le procureur de la République pour des signalements à son sujet.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/30/pierre-gendronneau-le-numero-deux-du-festival-d-avignon-va-quitter-ses-fonctions-apres-des-signalements-de-violences-sexuelles-sur-un-precedent-poste_6602035_3246.html

Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions le 13 juin, à la suite « d’accusations » de violences sexuelles et sexistes alors qu’il occupait un poste dans une autre organisation, a annoncé, mercredi 20 avril, le directeur du Festival, Tiago Rodrigues.

 

« Nous avons annoncé aujourd’hui à l’équipe du Festival le départ de Pierre Gendronneau des fonctions de direction délégué, pour des raisons personnelles et pour poursuivre d’autres horizons professionnels », a déclaré à l’Agence-France Presse M. Rodrigues, confirmant une information de Télérama. Ce départ « a été pris d’un commun accord », a-t-il précisé, sans confirmer s’il s’agit d’une rupture conventionnelle. M. Gendronneau avait été nommé en février 2023.

 

Une enquête interne a été « menée en novembre et décembre » par le cabinet spécialisé Egaé, dirigé par Caroline De Haas. « Plusieurs avocats indépendants », sollicités par le Festival, ont conclu que « l’enquête ne révélait pas de faits avérés de harcèlement ou de violence de la part de Pierre Gendronneau pendant sa période de travail au Festival », a précisé Tiago Rodrigues.

 

 

Des signalements étaient parvenus à propos de M. Gendronneau au ministère de la culture, qui avait déclenché l’article 40 du code de procédure pénale, et informé le procureur de la République pour qu’il décide des suites judiciaires à donner à ces accusations. Le Festival a été informé de ces signalements début novembre, a expliqué M. Rodrigues, et a décidé de lancer cette enquête interne dans les « deux jours » qui ont suivi.

Une enquête menée également au Festival d’automne

A la suite de l’enquête d’Egaé, « Pierre Gendronneau a continué à son poste. Cependant, le fait qu’il y ait des accusations envers lui antérieures à son arrivée au Festival d’Avignon et d’autres enquêtes déclenchées a créé un climat de suspicion à son égard. Cela devenait impossible pour lui de mener sa mission », a encore déclaré M. Rodrigues.

 

Le Festival d’Automne à Paris, où M. Gendronneau a été l’adjoint du directeur Emmanuel Demarcy-Mota, a confirmé une information de Télérama selon laquelle le cabinet Egaé a également été mandaté pour une enquête. « Près de deux ans après son départ, soit à l’automne 2024, m’ont été signalés par une salariée qui disait en avoir été victime des faits de harcèlement sexuel de la part de Pierre Gendronneau », a expliqué à l’Agence France-Presse M. Demarcy-Mota.

 

 

« Un signalement a été fait au ministère. J’ai demandé à pouvoir en parler avec tous les membres de l’équipe du Festival, et nous avons mis en place une procédure pour parvenir à un diagnostic. Mais Pierre Gendronneau n’étant plus salarié, il n’y a pas de contradictoire, et pas de sanction possible au sein du Festival d’Automne », a-t-il ajouté.

Avant 2023, Pierre Gendronneau a aussi été chargé de production à la Scène nationale de Sénart et directeur de production au Centre dramatique national de Montreuil. La 79e édition du Festival d’Avignon est prévue du 5 au 26 juillet 2025.

 

 

 

Le Monde avec AFP

 
Légende photo : Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon, à Avignon (Vaucluse), le 1ᵉʳ août 2023. ANGÉLIQUE SUREL/PHOTOPQR/LE DAUPHINE/MAXPPP
 
 

 

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April 30, 6:58 PM
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Malaise à Avignon : un pilier du festival sur le départ, après des signalements de plusieurs femmes

Malaise à Avignon : un pilier du festival sur le départ, après des signalements de plusieurs femmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 30 avril 2025

 

 

 

INFO TÉLÉRAMA – Pierre Gendronneau, numéro 2 du festival de théâtre avignonnais, va quitter son poste au mois de juin. Neuf signalements de VSS ont été comptabilisés au sein de l’organisation en 2024, dont plusieurs toucheraient le même homme.

 


Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/malaise-a-avignon-un-pilier-du-festival-sur-le-depart-apres-des-signalements-de-plusieurs-femmes-7025451.php

 

Malaise à Avignon : un pilier du festival sur le départ, après des signalements de plusieurs femmes

INFO TÉLÉRAMA – Pierre Gendronneau, numéro 2 du festival de théâtre avignonnais, va quitter son poste au mois de juin. Neuf signalements de VSS ont été comptabilisés au sein de l’organisation en 2024, dont plusieurs toucheraient le même homme.

 

Cest l’histoire du départ très secret, énigmatique et soudain, de Pierre Gendronneau, 35 ans, de la direction déléguée du Festival d’Avignon. Annoncé ce mercredi 30 avril, il est prévu au début du mois de juin. Juste avant que n’y commencent les festivités théâtrales. Mais pour les préparer jusqu’au dernier moment, tant Tiago Rodrigues, patron d’Avignon, vante les compétences tout terrain de l’ex-directeur adjoint d’Emmanuel Demarcy-Mota au Festival d’automne, qui maîtriserait à merveille depuis quinze ans les rouages de la production et de la diffusion des artistes en France et à l’étranger. Publié par le collectif féministe Collectives sur Instagram, le 17 octobre 2024, un appel à témoignage avait bel et bien intrigué. Il concernait « un cadre de direction d’un festival de théâtre, la trentaine ». S’ajoutait à leur message en fines lettres blanches « Si tu penses reconnaître ton agresseur, tu peux nous contacter » ; Collectives propose en effet de mettre en relation les victimes d’un même offenseur potentiel.

 
Certes, il n’y a pas tant de festivals spécifiquement consacrés au théâtre. Mais aucune rumeur n’était encore remontée. Même si on avait été surpris de l’audition embarrassée d’Ève Lombart, administratrice générale du Festival d’Avignon, devant la Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. À l’Assemblée nationale, face à la présidente Sandrine Rousseau et à la demande du rapporteur Erwan Balanant, elle comptabilisait en effet neuf signalements de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) dès le début du Festival 2024 (contre onze en 2023, un en 2022, deux en 2021). Sans plus de précisions sur le ou les auteurs suspectés. Mais Erwan Balanant avait temporisé : « Ce n’est pas nécessairement mauvais signe, mais signe que les gens parlent et ont la capacité d’être entendus»

Un puzzle difficile à recomposer

Questionnée sur la difficulté de traiter ces signalements, Ève Lombard, qui dirige seule ces enquêtes internes, avait pourtant répondu après un silence : « Le traitement de ces signalements est en soi difficile parce qu’il interroge des situations de travail qui sont douloureuses pour les personnes qui viennent les signaler. Elles sont parfois délicates à explorer, parce qu’il y a beaucoup de peur, et cette peur, d’après les autrices des signalements, est celle des représailles et du collectif, du regard du collectif sur les signalements qu’elles font. C’est la raison pour laquelle elles demandent de la confidentialité, et cette confidentialité, nous devons la respecter. Nous nous y engageons. C’est un gage de confiance qui fait que nous continuons d’avoir des signalements. »

La confidentialité a été respectée. Les personnes à l’origine des signalements ont refusé de nous parler, et Pierre Gendronneau aussi, qu’elles ont signalé au ministère de la Culture pour VHSS après en avoir informé leur patron, Emmanuel Demarcy-Mota pour l’une, Tiago Rodrigues pour l’autre. Même leurs avocats ne se sont pas laissé approcher. Au ministère aussi les deux jeunes femmes avaient réclamé l’anonymat. Mais la chose y est impossible, quand, après un signalement, il s’agit de déclencher l’article 40 du Code de procédure pénale et de saisir sans délai le procureur de la République. Qui décidera seul s’il faut donner suite au dossier. Pour refuser si catégoriquement de faire entendre sa souffrance, la crainte doit être forte d’être stigmatisée dans son métier et dans sa vie privée…

 

Le nom de Pierre Gendronneau a été bien gardé. Et le puzzle difficile à recomposer. Sans l’aide de Françoise Nyssen, ex-ministre de la Culture et présidente du Conseil d’administration du Festival d’Avignon, qui s’agaça même qu’on lui pose la question. Sans l’aide de Tiago Rodrigues, qui se réfugia derrière le droit du travail et du légitime devoir du patron de protéger la dignité de ses salariés, victimes alléguées ou prétendus coupables. Tout juste admit-il dans sa volonté affichée d’exemplarité en matière de VHSS au Festival d’avoir demandé à Caroline de Haas et son agence Egaé de mener une enquête interne de deux mois après les neuf signalements. Dont plusieurs toucheraient le même homme. Elle a rendu son rapport après Noël. Au moment même où Pierre Gendronneau se mettait en télétravail et ne réapparaissait plus. Pour raisons de santé, selon Tiago Rodrigues, qui devrait annoncer un départ aujourd’hui même, négocié sous forme de rupture conventionnelle. À croire que ce poste est maudit. Après y avoir été nommée par Tiago Rodrigues dès son arrivée, Anne de Amézaga ne le quitta-t-elle pas elle aussi, rapidement, en 2023 ?

Personne n’ose parler

Côté Festival d’automne, les langues ne se sont déliées que lentement, près de deux ans après le départ de Pierre Gendronneau. Et parce que les deux victimes alléguées se sont rapprochées l’une de l’autre lors du Festival d’Avignon 2024. Au point de déposer ensemble leur signalement au ministère. Emmanuel Demarcy-Mota a donc aussi mandaté Caroline de Haas pour poser un diagnostic en matière de VHSS au Festival d’automne. Elle l’a rendu voilà trois semaines. Y seraient évoqués des harcèlements sexuels et sexistes. De toute façon, impossible à Emmanuel Demarcy-Mota d’entamer une procédure contre un ex-bras droit, qui ne travaille plus rue de Rivoli.

 

La rumeur a peu à peu enflé, même si personne n’ose parler. C’est fréquent quand les postes des potentiels agresseurs sont haut placés et les suites de carrière menacées. Alors ? Pourquoi ce départ si aucune plainte ne semble déposée et si la personne à l’origine des signalements d’Avignon continue d’y travailler ? Pierre Gendronneau choisit-il, et de son propre chef, de quitter le Festival d’Avignon pour ne pas entacher la réputation de ce dernier ? Et comment bien faire en effet son travail de directeur délégué dans un tel climat de suspicion et de méfiance ?

Tiago Rodrigues, qui a accepté ce départ, craindrait-il aussi d’être affaibli par cette affaire, peu de mois avant que soit renouvelé son propre mandat à la direction du Festival ? Il se décide d’ordinaire au Conseil d’administration qui suit la troisième édition confiée au directeur, donc à l’été 2025. C’est à ce moment-là aussi qu’on devrait nommer le prochain directeur délégué. Car c’est toujours un duo que choisit le CA pour diriger le Festival. Le nom d’une femme serait désormais dans les tuyaux. Peut-être moins de risques.

 

Fabienne Pascaud/ Télérama 

Légende photo : Le Palais des papes, à Avignon. Photo Agathe Poupeney/Alamy

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Avec « Journée de noces chez les Cromagnons », Wajdi Mouawad signe une tragédie en huis clos

Avec « Journée de noces chez les Cromagnons », Wajdi Mouawad signe une tragédie en huis clos | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Lee Monde - 29 avril 2025

 

En cinq actes rugueux menés au pas de charge, l’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, livre une fable corrosive sur la famille.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/29/avec-journee-de-noces-chez-les-cromagnons-wajdi-mouawad-signe-une-tragedie-en-huis-clos_6601724_3246.html

C’est la pièce des commencements, celle qui précède les succès à venir et qui préfigure les fresques déliées articulant passé et présent, réel et fiction, France, Canada et Liban. Bien avant la trilogie Littoral (1997), Incendies (2003) et Forêts (2006), bien avant Tous des oiseaux (2017) ou Racine carrée du verbe être (2022), et enfin bien avant qu’il ne dirige le Théâtre de la Colline, à Paris, l’artiste libano-canadien Wajdi Mouawad a écrit Journée de noces chez les Cromagnons.

 

 

 
 

Le texte originel date de 1991, mais n’avait jamais été monté jusqu’à 2024 où, lors du Printemps des comédiens à Montpellier, Wajdi Mouawad en crée une version remaniée. Proposée, à partir du mardi 29 avril, sur le grand plateau de La Colline, la trame en est actualisée par l’insertion d’un double de l’auteur convoqué au temps de son exil canadien. Un ajout qui ne surprend pas, le dramaturge ayant l’habitude d’installer un narrateur omniscient au cœur de ses histoires. Mais le geste, cette fois, manque de naturel et, sauf à vouloir tempérer la brutalité quasi ontologique de Journée de noces…, cette irruption tardive d’un tiers personnage ne s’imposait pas.

 

Cette réserve mise de côté, la fable est sidérante d’humour désespéré et de violence corrosive. Cette violence irrigue les mots, les actions, les relations et les situations que traverse la famille de Neel, jeune héros fragile qui cohabite avec ses parents et sa sœur dans un appartement menacé par les bombes.

 

C’est en se souvenant de ces bombes détruisant le quartier où se trouvait sa maison à Beyrouth que Mouawad, à l’âge de 23 ans seulement, a expulsé de lui une tragédie qui coche tous les codes du genre. Unité de lieu (l’appartement familial), de temps (une journée), d’action (les préparatifs d’un mariage). Jusqu’à la présence d’un chœur, assumé par une future mariée, qui demeure longtemps invisible, dissimulée dans une boîte opaque et coulissante. Rapatriée des rives antiques, cette Cassandre de circonstance décrit la guerre, horreurs et beautés confondues.

Un habitacle hermétique

A l’exception de ce regard porté sur un au-dehors chaotique, la scène n’autorise aucune échappatoire. Un caisson de bois clair, conçu par le scénographe Emmanuel Clolus, enferme les protagonistes dans un huis clos ravageur, à peine troublé par les irruptions d’une voisine et d’un mouton égorgé sur le seuil de la porte d’entrée. L’habitacle hermétique où tout, du lit à la table, est posé de travers, pourrait être un refuge protecteur. Il n’en est rien. Une tragédie ne se résout que par la mort. Celle-ci s’invite en fin de parcours : Neel est atteint par une balle.

 

En cinq actes rugueux menés au pas de charge, ce spectacle saisissant, qui manie avec rudesse le rire et l’effroi, parvient à dépasser la psychologie pour accéder à l’archétype. Pas un des protagonistes qui ne se dissolve dans un flou interprétatif. La mère est tyrannique et surprotectrice. Le père est viril et colérique. La sœur qui souffre de narcolepsie répète les mêmes questions en boucle et attend un fiancé qui n’existe pas (croit-on), puisque son mariage est une pure invention des parents. Piégé dans cette toile d’araignée affective et mentale, le fils s’évade en pensant à son frère, Walter, grand absent et victime probable du conflit.

 

Le texte est joué en arabe libanais surtitré en français. Une langue qui claque d’autant plus que les acteurs ont du coffre. Décibels poussés au maximum pour une farce qui solde les restants de civilité dans des assauts de sauvagerie. Les salades s’écrasent sur le plateau. Le mouton sanguinolent est suspendu par les pattes. Le fils humilie la voisine. Le père insulte la mère. La mère hurle. Pourquoi feindre la délicatesse et simuler la douceur quand, au-dehors, les rues se jonchent de cadavres ? Le décor (comme l’appartement) est à deux doigts de l’explosion. Quant à la cellule familiale, elle implose.

Zones pulsionnelles

A l’intérieur de ce dispositif hystérisé, les comédiens (tous excellents, à commencer par Aly Harkous, le fils, et Aïda Sabra, la mère) modulent leurs notes avec brio. Ils ne crient pas en pure perte au point de saturer les oreilles. Ils hissent le volume de leurs paroles au niveau même où sont situés des sentiments exacerbés et radicaux.

 

 

Rage, chagrin, joie, désespoir, peur : pas ou peu de place pour la nuance. La noce, on le rappelle, doit se tenir chez les Cromagnons. Cette mention est spécifiée dans le titre. C’est dire les zones pulsionnelles, voire primitives, où se rive la représentation. Et pourtant ne ressort de ce spectacle qu’une évidence : la force admirable et inaltérée de l’amour qui se faufile, lui aussi, avec exacerbation et radicalité, dans les replis des mots et des gestes.

 

 

 

Wajdi Mouawad, qui quittera la direction du Théâtre de la Colline en mars 2026, ferme le ban sur un spectacle puissant et original qui en raconte long sur là d’où il vient, en tant qu’écrivain et, peut-être aussi, en tant qu’homme.

 

Journée de noces chez les Cromagnons. Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad. Avec Fadi Abi Samra, Jean Destrem, Layal Ghossain, Aly Harkous, Bernadette Houdeib et Aïda Sabra. Théâtre de la Colline, Paris 20e, du 29 avril au 22 juin.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

Légende photo : « Journée de noces chez les Cromagnons », de Wajdi Mouawad, lors de la création au Printemps des comédiens, à Montpellier, le 6 juin 2024. SIMON GOSSELIN
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April 28, 11:14 AM
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Adaptation de Tchekhov : la Comédie-Française n’en perd pas une «Mouette» 

Adaptation de Tchekhov : la Comédie-Française n’en perd pas une «Mouette»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux dans Libération - 28 avril 2025

 

A la Comédie-Française jusqu’au 15 juillet, Elsa Granat explose le classique fataliste d’Anton Tchekhov, y injectant justesse et compassion dans une mise en scène puissante.

 

Sur la scène, Arkadina goguenarde se demande si le spectacle que vient de donner son fils Treplev est une «plaisanterie» ou un «manifeste», et c’est comme une oscillation qui meut tout le spectacle d’Elsa Granat, un spectacle énergique, généreux, et d’une intelligence littéraire qui dérouille efficacement le ressort méta-théâtral du texte. Une mouette se fracasse sur la scène de la Comédie-Française, ses ailes démantibulées et sanglantes ont quelque chose de ridicule et de terrifiant à la fois. On en sort un peu sonné, étourdi par la puissance des moyens déployés, et tremblant de la peine qu’on a éprouvée pour des personnages dont on a cessé pourtant de nous dire qu’ils n’étaient que ça : des personnages.

Prétention grosse comme un cormoran

Théâtreux intransigeants et tchékhoviens de collège, passez votre chemin. Cette Mouette d’Elsa Granat explose le texte, supprime figures et dialogues, pour mieux concentrer la matière dans un spectacle qui peut paraître éparpillé, mais dont la complexité est une nécessité dramatique. La Mouette, on en a soupé. Sans doute faut-il pour qu’on l’entende la débarrasser de toutes les mythologies qui souvent l’encombrent, et font planer sur cette histoire triste un sérieux sinistre et une prétention grosse comme un cormoran. Tchekhov y campe un groupe de personnages qui se retrouvent en villégiature au bord d’un lac. Irina, une actrice célèbre, y a pris ses quartiers, accompagnée de son amant Trigorine, un auteur à la mode, de son fils Treplev, aspirant écrivain torturé qui est tombé amoureux de la jeune voisine, Nina, de son vieux frère, d’un médecin raisonneur et d’un instituteur qui poursuit de ses assiduités la fille du régisseur, elle-même amoureuse de Treplev depuis toujours. Chacun y cherche un chat qu’il chasse en vain : les amours se croisent sans se trouver, les ambitions se frottent douloureusement les unes aux autres, les espoirs et les innocences s’évaporent au gré des saisons.

 

 

Elsa Granat organise le drame en quatre séquences bourrées d’effets sonores, lumineux et scénographiques, dont la première perturbe d’emblée le spectateur. Recréé à partir d’autres textes du dramaturge, ce prologue raconte à la fois l’après et l’avant de cette histoire : dans un clair-obscur et le son d’un bourdon électronique, une Irina fantomatique hante la scène et se rappelle sa jeunesse, c’est-à-dire son fils petit qui la réclame en vain, sa carrière et ce qu’elle a exigé de sacrifices, ce que c’est qu’être acteur, la jouissance et la peine. Le théâtre, le bois du plateau, les ors de ses murs et la souplesse de ses toiles peintes sont désignés et malmenés, le public parfois violemment éclairé : sans cesse on nous rappelle où nous sommes, et le danger qu’il y a d’y être.

 

Biffé, outré et malmené

On craint d’abord que cette qualité méta théâtrale, c’est-à-dire la sempiternelle réflexion sur le caractère fictif et joué de toute existence, n’engouffre et n’assèche toute la pièce, mais c’est paradoxalement l’inverse qui se produit. Il semble que chair et émotions adviennent précisément à la condition qu’on n’en oublie jamais le factice. Voici des personnages qui sont hypervivants dans la manière même qu’ils ont de se vider de leur vie. Ils s’en vident à la fois parce qu’ils la ratent, ou anéantissent celles des autres, mais aussi parce qu’on les désigne sans cesse comme des personnages, des pantins figés, clowns tristes, Bérénice vociférantes.

 

Au fil du spectacle le prologue apparaît moins comme une mascarade intello maligne que comme le moyen paradoxal de bazarder tous les artifices du méta, et trouver la moelle sensible du texte de Tchekhov, une tragédie sans transcendance dans laquelle les hommes sont responsables de leur douleur, un vaudeville cruel qui échoue à arrimer qui que ce soit à l’objet de son désir. Elsa Granat fait ainsi le pari qu’on trouvera dans le surplus la quintessence et la simplicité. Le plateau paraît encombré et se meut sans cesse sous les pas des acteurs qui arpentent à grande vitesse toute la gamme des tons et registres – parfois burlesques, parfois tragédiens – et trouvent dans ce vertige une justesse psychologique très singulière et souvent déchirante. Mention spéciale à Adeline d’Hermy, qui compose une Nina ardente et brutale comme une jeune fille, mais surtout à l’immense Marina Hands et à Loïc Corbery, qui campent respectivement une Irina minaudante et monstrueuse, et un Trigorine inédit – ce personnage d’écrivain médiocre anéantisseur de la mouette dans lequel Elsa Granat active un potentiel comique particulièrement jouissif.

 

 

Dans ce Tchekhov biffé, outré et malmené, on entend enfin quelque chose qu’on n’avait jamais entendu : le cri de la Mouette débarrassé de ses modulations conventionnelles, un cri organique, qui sonne haut et qui arrache véritablement le cœur.

Une mouette. Adaptation et mise en scène Elsa Granat d’après la Mouette d’Anton Tchekhov. Avec Marina Hands, Loïc Corbery, Julie Sicard, Bakary Sangaré, Adeline d’Hermy, Julien Frison… A la Comédie-Française jusqu’au 15 juillet.

Légende photo : La pièce est débarrassée de ses modulations conventionnelles. (RAYNAUD DE LAGE Christophe)

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