 Your new post is loading...
 Your new post is loading...
Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre
Quelques astuces pour tirer profit de tous les services de la Revue de presse théâtre Les publications les plus récentes se trouvent sur la première page, mais en pages suivantes vous retrouverez d’autres posts qui correspondent aussi à l’actualité artistique ou à vos centres d’intérêt. (Navigation vers les pages suivantes au bas de la page) Les auteurs des articles et les publications avec la date de parution sont systématiquement indiqués. Les articles sont le plus souvent repris intégralement. Chaque « post » est un lien vers le site d’où il est extrait. D’où la possibilité de cliquer sur le titre ou la photo pour lire l’article entier dans son site d’origine . Vous retrouverez la présentation originale de l'article : les titres, les photographies et les vidéos voulues par le site du journal ou l’auteur du blog d’où l’article est cité. Pour suivre régulièrement l’activité de la Revue de presse : vous pouvez vous abonner (bouton bleu turquoise INSCRIPTION GRATUITE ) et, en inscrivant votre adresse e-mail ou votre profil Facebook, recevoir des nouvelles par mail des publications les plus récentes de la Revue de presse Vous pouvez aussi, si vous êtes inscrits sur Facebook, aller sur la page de la revue de presse théâtre à cette adresse : https://www.facebook.com/revuedepressetheatre et vous abonner à cette page pour être tenu à jour des nouvelles publications. sur X (anciennement Twitter), il y a un compte "Revue de presse théâtre" qui propose un lien avec tous ces posts, plus d'autres articles, brèves et nouvelles glanés sur ce réseau social : @PresseTheatre https://twitter.com/PresseTheatre Vous pouvez faire une recherche par mot sur 12 ans de publications de presse et de blogs théâtre, soit en utilisant la liste affichée ci-dessus des mots-clés les plus récurrents , soit en cliquant sur le signe en forme d’étiquette à droite de la barre d’outils - qui est le moteur de recherche de ce blog ("Search in topic") . Cliquer sur l'entonnoir et ensuite taper un mot lié à votre recherche. Exemples : « intermittents » (plus d’une centaine d’articles de presse comportant ce mot) « Olivier Py» ( plus de cinquante articles ), Jean-Pierre Thibaudat (plus de cent articles), Comédie-Française (plus de cent articles), Nicolas Bouchaud (plus de cinquante articles), etc. Nous ne lisons pas les "Suggestions" (qui sont le plus souvent jusqu'à présent des invitations, des communiqués de presse ou des blogs auto-promotionnels), donc inutile d'en envoyer, merci ! Bonne navigation sur la Revue de presse théâtre ! Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso
Publié sur le site d'ARTCENA - 6 décembre 2023 Le nouveau directeur du Centre dramatique national d’Angers articulera son projet autour de la pluridisciplinarité, de l’ouverture sur l’international et de la transmission à l’échelle européenne. Alors que Marcial Di Fonzo Bo achevait son mandat à La Comédie de Caen, Thomas Jolly quittait prématurément la direction du Quai à Angers. Désireux de continuer à œuvrer au sein du théâtre public auquel il est très attaché, le comédien et metteur en scène franco-argentin saisit immédiatement l’opportunité qui lui était également offerte de demeurer dans l’Ouest, territoire très engagé dans la défense de la culture sur lequel il se forma – à l’École du Théâtre national de Bretagne – puis dirigea un Centre dramatique national. « De par sa configuration hors normes, avec un forum, deux lieux de représentation, des salles de répétition et les locaux du Centre national de danse contemporaine (CNDC), Le Quai constitue surtout un magnifique outil de travail au service d’une aventure artistique unique en France », se réjouit Marcial Di Fonzo Bo, qui entend conforter la mission pluridisciplinaire de cette maison de création. Suffisamment large, « afin d’accueillir différents types de publics », la programmation embrassera toutes les disciplines du spectacle vivant : le théâtre, avec une attention toujours soutenue aux écritures dramatiques actuelles, la danse, les arts de la marionnette, le cirque, la magie nouvelle, le jeune public (en introduisant des productions conçues pour de grands plateaux dans une offre, déjà bien étoffée, de 12 propositions chaque saison), ainsi que les musiques, contemporaine et du monde. « Un tel bâtiment exige d’être investi par une multiplicité d’artistes, de la scène comme plasticiens, d’ouvrir sans cesse le regard et de croiser les esthétiques », fait valoir le nouveau directeur. Ce décloisonnement s’incarnera également dans des collaborations avec d’autres acteurs culturels de la ville, comme le festival cinématographique Premiers Plans (la création jeune public M comme Méliès imaginée par Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo sera présentée en même temps que la prochaine édition, en janvier 2024) ou Angers Nantes Opéra pour la diffusion de spectacles lyriques. Mais c’est sans doute dans le développement de la dimension internationale, chère à Marcial Di Fonzo Bo et à son directeur délégué, Jacques Peigné, que la coopération prendra tout son sens. Outre intégrer le futur Pôle européen de production en Pays de la Loire aux côtés du Grand T, du Lieu Unique, scène nationale de Nantes, du Centre chorégraphique national de Nantes et du Centre national de danse contemporaine d’Angers, Le Quai s’attachera à accentuer la diffusion des œuvres et artistes étrangers ; certes en s’inscrivant dans des tournées, mais aussi grâce à un dispositif permettant de proposer des versions d’un même spectacle dans des langues différentes, selon sa destination. À titre d’exemple, Le Quai programmera Portrait de l’artiste après sa mort, mis en scène par Davide Carnevali (qu’il a coproduit avec le Piccolo Teatro de Milan, La Comédie de Reims et le Théâtre de Liège), en français, avant sa présentation en catalan à Barcelone. « Accueillir un spectacle en langue étrangère, surtitré, constitue une charge qui implique que celui-ci ne soit joué que deux ou trois fois. Une recréation dans la langue locale autorise en revanche des séries de représentations, comme cela sera le cas au Quai, puis au Théâtre de la Bastille à Paris », explique Marcia Di Fonzo Bo. Une excellente façon de repenser la circulation des œuvres, dans une visée plus cohérente et donc écoresponsable puisque limitant l’impact carbone des déplacements. En demeurant plus longtemps dans un lieu, les artistes pourront, de surcroît, aller à la rencontre des habitants d’une ville ou d’une région. Cette permanence artistique, si importante pour ancrer un projet sur son territoire, sera également assurée par six artistes associés : la metteuse en scène Tiphaine Raffier, adepte des grands formats réunissant de nombreux comédiens, musiciens et danseurs ; l’auteur et metteur en scène Gurshad Shaheman dont le théâtre explore la sphère intime tout en possédant l’ampleur d’un geste épique ; le Suédois Marcus Lindeen et la traductrice de textes norvégiens et suédois, Marianne Ségol-Samoy ; enfin, deux créateurs régionaux, Nathalie Béasse et le Nouveau Théâtre populaire, organisateur à La Fontaine-Guérin d’un festival très apprécié du public local, régional voire national. « Ils insuffleront leur énergie à l’ensemble de l’activité, mèneront, selon leurs envies et leurs domaines de prédilection, des actions culturelles et des résidences de plusieurs semaines in situ, et participeront aussi à la transmission, autre volet central de mon projet », précise Marcial Di Fonzo Bo. Comme en témoigne la présence en ses murs de l’École du CNDC, Le Quai ambitionne en effet de devenir un Pôle de formation supérieure sur le plan européen. À cette fin, il ouvrira en 2025 une Académie européenne axée sur la professionnalisation et l’insertion des artistes-interprètes, qui aura pour spécificité d’accorder une place importante à la transversalité, notion de plus en plus prégnante sur la scène actuelle. Durant 12 ou 18 mois, cette formation expérimentale abritera un groupe composé d’une douzaine d’artistes, pas tous issus du théâtre ni de régions françaises, qui partageront, entre autres, des enseignements avec les élèves du CNDC, s’enrichiront de la diversité de leurs langues et cultures respectives, se nourriront aussi d’échanges avec tous les créateurs qui habiteront la maison. Un projet très ambitieux, dont Marcial Di Fonzo Bo travaille actuellement à la traduction budgétaire. Car, en cette période d’inflation et de contraction des finances, diversifier les ressources propres, solliciter des subventions fléchées ou encore optimiser les coopérations apparaissent comme des impératifs. Surtout pour un équipement tel que Le Quai, dont le fonctionnement, très lourd, impacte inévitablement les marges artistiques. Réduire la programmation n’est cependant pas une option retenue par le directeur qui, tout en s’avouant « extrêmement inquiet », compte bien faire de sa nature optimiste la meilleure des armes.
Par Joëlle Gayot / Le Monde - 5 déc. 2023 Dans « Baùbo – de l’art de n’être pas mort », la metteuse en scène Jeanne Candel secoue le public avec un spectacle sur les passions humaines. Lire l'article dans le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/12/05/baubo-de-l-art-de-n-etre-pas-mort-jeanne-candel-fulgure-l-amour-au-theatre-de-l-aquarium_6204032_3246.html Entre le tiède et le brûlant, Jeanne Candel a tranché : elle est du côté des passions électriques. Qu’elles soient christiques ou païennes, érotiques ou mystiques, tristes ou joyeuses, peu importe, pourvu que le nerf du vivant ne déserte pas les salles. La directrice du Théâtre de l’Aquarium met en scène Baùbo – de l’art de n’être pas mort, un spectacle savamment désarticulé à la manière d’un rêve délivrant ses énigmes, ses fulgurances et ses incohérences. Un songe d’une beauté éruptive où s’exposent les illuminations de l’artiste sur l’amour, sa fin et son regain. Jeanne Candel veut aimanter les spectateurs. Ce n’est pas un hasard si Baùbo s’achève avec la disparition de trois actrices qui s’arrachent d’une paroi où étaient agrafés leurs vêtements pour s’engouffrer dans un trou de souris : elles réclament nos regards jusqu’à l’ultime minute de leur présence en scène. Nous attestons de leur existence autant qu’elles légitiment la nôtre. Une fois le trio hors champ, le noir se fait. Le courant est coupé, le sang ne circule plus. L’amour, c’est aussi voir cet autre qui nous fait face. Ce spectacle inclassable plaide pour la nécessité des passions quelles qu’elles soient. Démonstration en trois étapes : la naissance et la fin d’un amour, racontés par l’actrice Pauline Huruguen, assise sur une chaise devant un rideau fermé. Puis, sur la scène ouverte, la pantomime de la perte, revisitée lors d’une cérémonie mutique et cocasse. Vêtus de crêpe noir, les interprètes en deuil tentent d’inhumer le sentiment défunt joué par un acteur (qui ne se laisse pas faire). Enfin, le retour de la vitalité, avec la convocation d’un mythe grec parodié par les interprètes : la déesse Déméter, qui pleure sa fille perdue, renoue avec la joie lorsque sa nourrice, Baùbo, exhibe son sexe devant elle. Esquisses de fesses, de doigts, d’œil et d’oiseau Les corps et les musiques escortent des pulsions de vie et de mort qui cheminent entre exaltation et chagrin. Il y a peu de paroles, mais beaucoup d’images qui surgissent par éclats saugrenus : l’homme qu’on enroule dans un tapis pour procéder à son enterrement, les musiciens dissimulés sous des feuilles de papier, les postérieurs féminins qui nettoient le mur où sont crayonnées des esquisses de fesses, de doigts, d’œil et d’oiseau. Ou encore la performance irrésistible de Jeanne Candel elle-même, qui, grimpée sur un lit, effectue, en guise d’interlude, un jubilatoire numéro de bateleur. Comme souvent avec la metteuse en scène, l’écriture est un rébus, plus visuel que textuel, parfois indéchiffrable et parfois lumineux. La musique jouée en direct (sous la direction de Pierre-Antoine Badaroux) est du compositeur allemand Heinrich Schütz (1585-1672). Les œuvres de l’écrivain autrichien Robert Musil (1880-1942) ont inspiré son travail. Mais, en réalité, on pense bien davantage à cette définition attribuée au psychanalyste Jacques Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Dans cet interstice propice à l’imaginaire s’ancre un spectacle déluré qui gagne en poésie à mesure qu’il choisit d’être concret, voire trivial. Les accessoires semblent provenir d’un magasin de bricolage (agrafeuses, ciseaux, poubelle en osier, pelles, adhésif). Pas de flou hamiltonien, pas de pathos ni de trémolos. Au besoin même, un solo de batterie supplante les vocalises de la superbe cantatrice Pauline Leroy. La rudesse est un muscle, l’humour vache une bouffée d’oxygène. Les passions n’étant pas éthérées, inutile d’entraîner le public dans le vague à l’âme de pensées vaporeuses. Le but est de le cueillir, à vif, avec des scènes qu’il ne s’explique pas toujours mais qui le revigorent. Comme est à vif ce Baùbo, dont l’impact se résume en un mot : fulguré. C’est le nom (rappelle Pauline Huruguen) donné à ceux qui ont survécu à la foudre. « Baùbo – de l’art de n’être pas mort ». Conception et mise en scène de Jeanne Candel. Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie, 2, rue du Champ-de-Manœuvre, Paris 12ᵉ. Jusqu’au 9 décembre ; puis du 2 au 10 février dans le cadre du festival Bruit. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : « Baùbo – de l’art de n’être pas mort », mise en scène de Jeanne Candel, au Tandem scène nationale Arras-Douai - Théâtre d’Arras, le 28 janvier 2023. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
Par Véronique Hotte dans WebThéâtre - 4 déc. 2023 Hors des faux-semblants et des préjugés, la réalité retrouvée grâce au conte. La forêt est au théâtre le lieu des fées et des esprits où se réalisent, à la manière shakespearienne, les renversements de situation, les scènes de travestissement, les changements de sexe, la ré-appropriation inconsciente et révélée enfin des désirs cachés. Figure du désordre, de la profusion et de l’exubérance - vision mythique d’une nature romantique -, la forêt recèle les animaux en communication possible avec les hommes, paradis d’avant la chute, et jardin des origines du début de l’humanité, selon Rousseau. Sur le plateau de Neige - saluons la scénographie d’Emmanuelle Roy -, des troncs nus d’arbres hivernaux sont plantés haut, avec un feuillage vert au lointain où passent des images fantastiques irréelles et magnifiques - un cerf, un loup, des meutes bestiales à fourrure issues de bois oniriques, grâce au vidéaste et magicien Clément Debailleul. Neige pour la conceptrice inventive Pauline Bureau est un conte ; un teen movie sur le passage de la petite fille en jeune fille puis en femme. Après s’être projetée sur Blanche-Neige qui meurt et renaît dans le conte, elle prendrait à présent les atours de la mère et de la belle-mère au long manteau androgyne, adulte qui a du mal à voir en sa petite fille une jeune rivale nouvelle dans cette épreuve fondatrice d’être à la fois enfant et parent. Marie Nicolle pour le rôle maternel est juste de fébrilité, d’assurance et de fragilité mêlées - l’âme s’étant perdue dans une activité professionnelle effrénée, portant inattention à sa fille. Neige est l’histoire d’une jeune fille qui fugue, échappe à l’aventure prévue pour elle par ses parents, tissant des liens personnels qui la dévoilent à elle-même, obligeant sa mère à pénétrer aussi la forêt afin qu’elle se reconnaisse dans un lien mère/fille enfin apaisé. Camille Garcia incarne Neige, facétieuse et vraie à la fois, joliment enfantine et mature. Yann Burlot est le père absent, inexistant, désengagé, qui se métamorphosera pourtant. Retrouver ainsi l’innocence initiale, là où les êtres vivent et sont, loin de la société, dans l’errance - un refuge -, tels les enfants perdus comme Blanche-Neige pour échapper à un pouvoir mauvais, s’opposer à la loi hors de la cité car le temps éloigne progressivement les hommes de la voie juste, et pour recouvrer celle-ci, la retraite est obligée. Ce qu’a compris le Chasseur, un ermite qui vit à l’écart de l’Histoire, installé dans la forêt pour connaître la vérité, ayant mis à bas toutes les fausses certitudes, dans un lieu archaïque. Régis Laroche est ce solitaire lumineux qui a quitté son poste d’ingénieur agronome, inassimilable aux autres, préférant la forêt où ne sévissent ni classements ni hiérarchies. Pour s’orienter hors des repères spatiaux et temporels, on marque son chemin de signes stables, la citerne installée à cour, à l’orée de la forêt, pour la fugueuse Neige, munie d’une carte géographique, qui se repère bien plus vite que par GPS… Ses amis sont des jeunes gens en errance comme elle, à l’affût vif de leur propre être-là : Anthony Roullier et Claire Toubin sont des âmes damnées mais positives qui mèneront à bien la fable. Le chasseur, l’eau, les bois, le brouillard, la nuit, la neige font advenir le rêve vivant : sur l’écran, les effets de miroir, de reflet et de transparence - vidéo subaquatique de jeunes gens plongeurs entre inconscient et réalité, dans la citerne d’eau ressourçante - bébé dans le liquide amniotique ou active baignade alanguie de deux amants ou de deux amies. Un spectacle enchanteur invitant les petits et les grands à éprouver les pouvoirs de la forêt. Véronique Hotte - Webthéâtre Neige, texte et mise en scène de Pauline Bureau, scénographie et accessoires Emmanuelle Roy, costumes Alice Touvet, composition musicale et sonore Vincent Hulot, dramaturgie Benoîte Bureau, vidéo et magie Clément Debailleul, lumières Jean-Luc Chanonat, maquillages et perruques Julie Poulain, collaboratrice artistique Valérie Nègre. Avec Yann Burlot, Camille Garcia, Régis Laroche, Marie Nicolle ; Anthony Roullier, Claire Toubin. Du 1er au 22 décembre 2023, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30, mardis 5 et 12 décembre à 14h30 et 19h30, jeudis 7 et 14 décembre à 14h30 et 20h30, à La Colline - Théâtre National. Dès 10 ans. Les 11 et 12 janvier 2024 au Bateau feu – Scène nationale de Dunkerque. Le 25 janvier 2024 au Cratère - Scène nationale d’Alès. Les 5 et 6 février, à la Scène nationale 61 – Alençon-Flers-Mortagne au Perche. Les 11 et 12 avril 2024 à L’Espace des arts – Scène nationale de Chalon-sur-Saône. Les 17 et 18 avril 2024 au Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper.
Propos recueillis par Anne Diatkine / Libération 4/12/2023 Photos Martin Colombet L’infatigable metteure en scène, fondatrice du mythique théâtre du Soleil qui invite Richard Nelson à monter cet hiver «Notre Vie dans l’art», garde foi dans la création et la nécessité de sa transmission face aux convulsions du monde. Nous voici à Chicago en 1923, lors d’un dîner avec la troupe mythique du théâtre d’Art de Moscou dirigée par Konstantin Stanislavski. Nous voici au théâtre du Soleil à Paris où onze comédiens de la troupe répètent Notre Vie dans l’art sous la direction de Richard Nelson, metteur en scène et dramaturge américain célébrissime outre-Atlantique, mais, à 73 ans, encore bizarrement inconnu en France, où il est invité pour la première fois, à l’instigation d’Ariane Mnouchkine. Et nous voici assis sur les gradins conçus pour les Ephémères, spectacle chéri entre tous, créé il y a dix-sept ans par le théâtre du Soleil. Les jeux de mémoires, les citations, qu’on les perçoive ou non, forment comme un berceau où le dîner historique et festif, aussi paisible que l’eau qui dort, aussi imprévisible qu’elle, a lieu. Le théâtre d’Art de Moscou ? Stanislavski ? En 1923, le groupe d’artistes légendaires, qui créa entre autres les chefs-d’œuvre que Tchekhov écrivit pour eux, est torpillé en Union soviétique, vilipendé, car considéré comme bourgeois par le nouveau pouvoir révolutionnaire en place – mais soupçonné de bolchevisme par les Américains. Avec cette nouvelle pièce, d’abord écrite pour le grand metteur en scène russe Lev Dodine avant que l’invasion de l’Ukraine rende caduc son projet, Richard Nelson restitue en recoupant divers documents un dîner réel où le théâtre d’Art fête ses 25 ans d’existence. Ariane Mnouchkine découvre son travail à New York, s’enthousiasme, le rencontre, et s’entend lui demander : «Ça vous intéresserait de travailler avec nous ?» Une telle invitation est exceptionnelle. En près de soixante ans, les comédiens du Soleil n’avaient jusqu’alors joué que deux fois avec un autre metteur en scène que la fondatrice. Cette matinée de répétition, Ariane Mnouchkine s’est installée discrètement en haut des gradins. Elle observe, ne dit rien, veille à tout. Qu’éprouve-t-elle à regarder ses comédiens dirigés par un autre qu’elle ? «Un immense soulagement. Pour moi, Richard Nelson est vraiment l’arrière-petit-fils de Tchekhov. Il a cette profondeur qui vous attrape par surprise. On est dans le quotidien, puis tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi, on est ému aux larmes. Je sais que les comédiens sont très heureux, qu’ils travaillent d’une manière à mille lieues de ce qu’on fait d’ordinaire, qu’ils élargissent leur spectre…» La magie du théâtre du Soleil ne cesse d’opérer, comme l’exprime encore le photographe de Libé, à la Cartoucherie pour la première fois. «C’est magnifique. Ça me fait beaucoup de bien d’être ici.» Retour sur la genèse de cette magie, avec son inventrice. Les principes du théâtre du Soleil n’ont pas changé depuis sa création en 1964. Certains sont-ils tombés en désuétude ? On avait une rigidité de jeunesse dans leur application qui j’espère n’est plus la même. Je ne peux pas nier que lorsque j’ai créé le théâtre du Soleil avec quelques amis, j’étais inflexible comme on peut l’être à 25 ans. Aujourd’hui, j’ai appris à les défendre avec peut-être plus de compréhension envers les situations individuelles, sans que cela n’entame l’intérêt commun. Encore maintenant, les décisions susceptibles de changer le cours de notre histoire sont prises collectivement mais on ne se réunit plus pour décider de l’achat d’un crayon. Ce qui me frappe, c’est que ces principes ont beau être acceptés par tout le monde, ils doivent néanmoins être rappelés très souvent. Peut-on les énumérer rapidement ? Il y a notamment l’égalité de salaire pour tous y compris pour vous… Je crois que cette égalité est le socle qui nous a fait tenir. On aurait explosé sinon. Il y a aussi l’égalité entre les hommes et les femmes, qui n’a jamais été érigée tant elle est évidente. Simplement, lorsqu’elle n’était pas respectée, cela donnait lieu à des batailles. On a toujours été paritaire, avec certains moments où il y avait sensiblement plus de femmes que d’hommes. L’égalité et la parité sont des principes inhérents qui n’ont pas besoin d’être dits sauf lorsque quelqu’un s’oublie, ou à des personnes qui arrivent d’un pays dont la culture s’y oppose. En général, le chemin est fait et ces personnes demeurent dans la troupe. Beaucoup de vos pièces sont des créations collectives mais vous avez aussi mis en scène des pièces du répertoire où les grands rôles sont en général masculins. J’ai beaucoup monté Shakespeare où la plupart des rôles peuvent être joués indifféremment par des femmes ou des hommes sans torsion ni réflexion sur le genre. Je ne vois rien dans ce que disent les personnages de résistants dans Macbeth qui les empêcherait d’être des femmes…. L’autre principe essentiel, c’est l’accueil du public. A chaque fois, vous imaginez un nouveau décor, un nouveau menu, en lien avec le spectacle joué. Vous êtes à la porte, vous continuez à déchirer le ticket d’entrée. On est même en perpétuelle recherche de progrès. A chaque fois, quand j’ouvre la porte du théâtre, et que je vois une file qui va jusqu’aux «roulottes», j’ai une émotion : «Ah vous êtes là ! Malgré la grève, malgré la fatigue du soir… Vous êtes venus…» Ces dernières années, depuis peut-être deux spectacles, l’extrême gentillesse des spectateurs à mon égard me surprenait. J’ai compris soudainement que ce qu’ils exprimaient ainsi, c’est leur contentement que je ne sois pas morte. Ça m’a bouleversée. J’ai dit à quelques acteurs : «Vous vous rendez compte, que chaque soir, les spectateurs me parlent en fait de ma mort» Votre croyance en ce que peut le théâtre s’est-elle modifiée avec les années ? Quand j’ai débuté, on croyait que la vie ne pouvait qu’aller mieux. Aujourd’hui, il faut lutter pour imaginer que le pire n’est que temporaire. On peut se demander à quoi on a servi depuis soixante ans. Au théâtre du Soleil, entre ceux qui ont 20 ans et d’autres comme moi, plus proches de mes 84 ans, le spectre d’âge est très étendu. La plupart du temps, j’oublie la différence d’âge. Ce n’est plus possible ces derniers temps. Il y a un gouffre entre eux et moi lié à l’histoire. Auquel je n’aurais pas fait attention si ça n’était pas aussi douloureux. J’ai la mémoire des bombardements, des Allemands dans les rues de Bordeaux, de la perte de mes grands-parents paternels à Auschwitz. J’ai vécu la guerre d’Algérie. Je sais où j’étais quand Kennedy a été assassiné. Eux n’étaient pas nés. Ces différences n’ont pas du tout compté pendant des décennies… Mais depuis l’invasion de l’Ukraine, la guerre en Israël, je suis obligée d’y penser. La prochaine création collective dont les répétitions débuteront en mars devrait nous forcer à combler ce fossé. Mais votre croyance dans les pouvoirs du théâtre a-t-elle changé ? Je peux perdre foi en moi, en nous, mais je n’ai pas la prétention qu’il faudrait avoir pour perdre foi dans le théâtre. Par ailleurs, les gens qui commettent des horreurs ont-ils été nourris de théâtre, de poésie ? Je pense que tout est pire là où il n’y a pas de théâtre, là où l’on ne raconte plus d’histoires aux enfants… L’art humanise la plupart d’entre nous. Et puis il y a ceux dans lesquels le mal, qui est en chacun d’entre nous, trouve un territoire pour s’installer sans être jugulé. Avec quinze comédiens, historiques ou très jeunes, et deux réalisateurs, vous avez mené à Kyiv, en mars et avril, une «école nomade». Pendant douze jours, 120 élèves de toutes les régions d’Ukraine se sont retrouvés. Qu’est-ce qui a déclenché ce voyage ? Nous n’en pouvions plus de rester les bras ballants devant la télévision. Je n’ai plus l’âge de prendre les armes et de partir me battre. Je cherchais ce que nous pouvions faire pour manifester notre totale adhésion, solidarité‚ fraternité, soutien, avec le peuple ukrainien. A un moment donné, je me suis entendue dire : «Il faut qu’on fasse une école nomade.» Tout de suite, du côté des Ukrainiens, l’idée a été saisie. Et ils ont trouvé le théâtre et les gens qui pouvaient travailler avec nous. Dans le fond, votre question aurait pu être autre : pourquoi n’irait-on pas à Kyiv faire une école nomade ? Qu’est-ce qu’une école nomade ? L’école nomade, c’est nous ! Mais elle prend différentes formes et durées. La première, à Kaboul, en 2005, alors même que les talibans interdisent le plateau aux femmes, nous a permis de participer à la fondation du théâtre Aftaab qui signifie Soleil en dari. Depuis cette expérience, beaucoup d’acteurs afghans ont intégré la troupe. Au Chili, à Santiago, après une école nomade d’un mois en 2015 avec plus de 300 stagiaires, des troupes sont nées, tout comme l’ouverture d’une classe option théâtre. On laisse des traces parfois minuscules qui ne se mesurent pas. Une poignée de semences est lancée, tout dépend où elles tombent. Mais on y vit toujours un moment réciproque de bonheur et de surprises. Le théâtre du Soleil a-t-il déjà joué en Israël ? Oui, à Tel-Aviv, quand le pays fêtait ses 40 ans, avec l’Indiade, une pièce d’Hélène Cixous, sur la naissance du Pakistan. On avait fait paraître dans les journaux israéliens un texte qui marquait notre opposition à l’appropriation des Territoires palestiniens. Et organisé un atelier tenu par les militants de la Paix maintenant, à l’un des endroits où a eu lieu la barbarie du 7 octobre. Avez-vous pensé à concevoir une école nomade en Israël ou en Cisjordanie ? Aujourd’hui, en Israël, la douleur est telle que ça n’aurait pas de sens. Et je suis moi-même dans un tel état que je ne serais pas capable d’apporter ce qu’il faut pour faire du théâtre là-bas, après le 7 octobre. Et en Cisjordanie, la situation est telle, que nous serions manipulés par nos propres indignations. Quand on joue, on devient l’autre. C’est lui qu’on cherche, qu’on laisse entrer en soi. Sur un plateau, la première vertu, c’est l’écoute. Il ne faut pas seulement savoir que l’autre est humain, mais être capable de travailler avec cette connaissance. Je me flatte de savoir, souvent, transmettre ce que j’ai appris. Mais transmettre à des gens qui viennent de voir leurs enfants démembrés, leur fille violée ou brûlée vive par le Hamas en Israël, ou, en Cisjordanie, leur maison et famille détruites par les colons messianiques, non. Je crois qu’il y a un temps pour tout, pour la colère, pour la guerre. Puis, peut-être pour un début de guérison, de consolation. Et plus tard, beaucoup plus tard, éventuellement, pour les générations futures, de pardon. Je ne sais pas. J’espère. On pourrait imaginer que le théâtre permette à des gens qui ne peuvent pas se rencontrer dans la vie de le faire sur scène, sur un plateau… La scène permet toutes les rencontres. Mais pour les rendre possibles, il faut une liberté d’écoute et oublier toute opinion. Avez-vous eu envie de prendre la parole au sujet de la guerre israélo-palestinienne ? Pour dire quoi ? C’est presque impossible d’imaginer ce qui a eu lieu le 7 octobre. On ne laisse pas le temps aux images insoutenables, destructrices de se poser que déjà les propos les plus horribles circulent. Le relativisme quant à ce qui s’est passé le 7 octobre m’invite à me taire. Je ne supporterais pas qu’on me réplique la nécessité de contextualiser, de trouver des raisons à ce pogrom moyenâgeux. Je n’arrive pas à l’entendre. Quand j’ai reçu le texte sur la marche blanche, j’ai d’abord refusé de signer cette pétition. J’ai pensé : «Pas de marche blanche à propos d’un massacre.» Puis, l’appellation a été changée pour «marche silencieuse». Ce qui n’est pas tout à fait pareil. J’ai relu le texte et j’ai vu que le collectif faisait très attention de ne blesser personne et à éviter le vulgaire dos-à-dos. J’ai signé parce que j’estime le rêve proposé. Mais comme tout rêve, il est prématuré. Beaucoup de metteurs en scène sont admiratifs de l’utopie en acte qu’est le théâtre du Soleil. Quel dialogue avez-vous avec eux ? Est-ce qu’on a un dialogue ? On accueille un grand nombre de jeunes metteurs en scène. En essayant de leur donner ce que nous avons eu le privilège d’avoir. C’est-à-dire de naître à une époque, 1964, où l’on pouvait encore avoir les clés d’un lieu pour travailler – en l’occurrence la Maison de la culture de Montreuil. On nous faisait confiance. On partait à 4 heures du matin, et effectivement une fois sur deux j’oubliais de les remettre à leur place. Mais on nous les prêtait à nouveau. Je ne peux pas dire que j’ai un vrai dialogue avec les tout jeunes. Mais on essaie de leur donner les clés. Pour beaucoup d’entre eux, avoir un lieu à soi, et une troupe, est une utopie inaccessible. C’est sur l’aboutissement de ce rêve qu’ils souhaitent vous entendre. Les jeunes gens savent qu’il faut être un groupe pour tenir le coup. Et c’est paradoxalement ce qu’on leur interdit. Quand je suis allée voir Gabriel Garran, qui a fondé le théâtre de la Commune, il m’a dit : «C’est très bien que tu fasses une troupe. Parce que dans ce métier, la solitude, c’est la mort.» On avait aussi toqué à la porte du bras droit de Jean Vilar, Sonia de Beauvais. On était personne mais elle nous avait reçus. Pendant cinq heures, elle nous a raconté sa passion pour Vilar, comment il avait procédé. On buvait ses paroles. Il y avait quand même quelques personnes qui refusaient de nous parler, pour qui nous étions une bande d’amateurs. Ce que nous étions d’ailleurs. Mais à chaque fois que je parle avec des jeunes gens, je m’aperçois à quel point c’est beaucoup plus difficile pour eux que pour nous. Car nous étions attendus. On ne nous disait pas : «Mais vous êtes beaucoup trop nombreux ! Disparaissez !» Les inspecteurs du ministère de la Culture se déplaçaient pour voir notre travail. J’ai l’impression que nous étions désirés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, qu’on soit jeunes ou vieux. Les jeunes gens savent qu’il faut être un groupe pour tenir le coup. Et c’est paradoxalement ce qu’on leur interdit. Quand je suis allée voir Gabriel Garran, qui a fondé le théâtre de la Commune, il m’a dit : «C’est très bien que tu fasses une troupe. Parce que dans ce métier, la solitude, c’est la mort.» On avait aussi toqué à la porte du bras droit de Jean Vilar, Sonia de Beauvais. On était personne mais elle nous avait reçus. Pendant cinq heures, elle nous a raconté sa passion pour Vilar, comment il avait procédé. On buvait ses paroles. Il y avait quand même quelques personnes qui refusaient de nous parler, pour qui nous étions une bande d’amateurs. Ce que nous étions d’ailleurs. Mais à chaque fois que je parle avec des jeunes gens, je m’aperçois à quel point c’est beaucoup plus difficile pour eux que pour nous. Car nous étions attendus. On ne nous disait pas : «Mais vous êtes beaucoup trop nombreux ! Disparaissez !» Les inspecteurs du ministère de la Culture se déplaçaient pour voir notre travail. J’ai l’impression que nous étions désirés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, qu’on soit jeunes ou vieux. Vous êtes la seule en France à avoir créé au XXe siècle une troupe aussi pérenne. En Europe, seule la troupe d’Eugenio Barba au Danemark a duré aussi longtemps, mais les comédiens sont très peu nombreux. Même Jean Dasté, Jouvet, qui sont quand même des héros, la vie ne leur a pas permis de durer cinquante-neuf ans. Nous existons grâce au concept de «théâtre, service public», forgé par Jean Vilar et battu en brèche aujourd’hui. Nous sommes le résultat du Conseil national de la Résistance ! Cette politique a commencé avant la guerre, grâce à Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts dans le gouvernement du Front populaire qui déjà subventionnait le Théâtre national populaire. Nous faisons partie de cette histoire qui n’aurait pas été possible sans une politique culturelle. Souvent, les femmes artistes font état de discriminations. Vous n’en parlez jamais. L’égalité homme-femme dans la troupe exige très souvent de petites rectifications sur les conduites. Mais en tant que metteure en scène, j’aurais scrupule à dire que j’ai subi des discriminations. La seule fois où elles ont été manifestes, c’est à Cannes, où mon film Molière était sélectionné. Beaucoup d’hommes exprimaient leur fureur à ce que ce soit une femme, encore jeune, qui ait bénéficié d’un si gros budget. Sinon, je n’ai jamais eu le sentiment de devoir plus me battre qu’un homme pour avancer. Ce qui ne tiédit en rien l’expérience des autres femmes. De ma part, il y avait aussi une certaine insouciance ou naïveté… Peut-être est-ce aussi parce que vous avez créé un monde. Il est difficile d’être exclue de son propre monde. Avez-vous vécu aussi simplement l’homosexualité ? Je l’ai vécue avec beaucoup d’insouciance mais j’ai été rappelée à l’ordre très vite. Même à l’intérieur de la troupe, ça a été compliqué. Puisque tout peut être facteur de crise, à moi de savoir les éviter sans les fuir. A l’époque, dans les années 60, il y avait une vraie peur de l’homosexualité. Heureusement, pas de la part de mes parents, et c’était l’essentiel. Ils avaient sans doute des inquiétudes pour moi, par rapport à mes choix. Mais pas de jugement. Et j’ai été très protégée par mes amis. En fin de compte, qu’est-ce qu’un metteur en scène ? Aujourd’hui, je n’écris plus «mise en scène par» dans le programme, mais «une création collective dirigée par…» Car après tout, je donne une direction. Les comédiens créent des scènes que je reconstruis ou pas – parfois certaines propositions sont tellement belles qu’elles arrivent six mois plus tard sur le plateau presque à l’identique. Les comédiens me donnent une image qui en provoque d’autres. Je dis souvent qu’un acteur ou une actrice, c’est quelqu’un qui a gardé sur scène une crédulité de son enfance. Tandis que le metteur en scène est doté d’une autre crédulité. Il croit à ce que lui donne l’acteur. Je suis là pour croire. Et quand je ne crois pas, je le dis. Notre Vie dans l’art de et avec Richard Nelson au théâtre du Soleil, à la Cartoucherie (75012) du 6 décembre au 3 mars dans le cadre du Festival d’automne à Paris. Voir sur le site du Théâtre du Soleil Légende photo : Ariane Mnouchkine, le 23 novembre au Théâtre du Soleil. (Martin Colombet/Libération)
Par Hélène Kuttner dans Artistik Zero - 3 déc. 2023 Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Julie Bertin et Jade Herbulot, qui animent le Birgit ensemble, réalisent un très beau spectacle autour des lettres envoyées par des membres de familles juives en France durant l’occupation allemande à l’administration du régime de Vichy. Salomé Ayache, Marie Busnel, Pascal Cesari et Gilles Privat incarnent ces fantômes rendus terriblement vivants par la magie du théâtre. Bouleversant.
Pourquoi eux ? Entre 1941 et 1944, des milliers de lettres de personnes juives ou de proches des victimes de la persécution sont adressées au CGQJ, le Commissariat général aux questions juives, ou directement au Maréchal Pétain. À ces lettres, nommées « suppliques » par l’historien Laurent Joly, qui a élaboré autour d’elles un immense travail de recherche et de mise en lumière, avec la collaboration de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, l’administration de Vichy répond laconiquement au début, et cesse ensuite définitivement d’y répondre, alors que les rafles de Juifs se multiplient en juillet 1942 ainsi que les départs vers les camps. Ces suppliques racontent, avec des détails précis et des circonstances détaillées, comment l’inexorable étau se resserre sur des vies bouleversées, comment, en se déclarant lors d’un contrôle de police, un père ne reviendra plus, comment une insouciante lycéenne, ayant déposé sa veste portant l’étoile jaune sur un banc par grosse chaleur, laisse sa famille sans nouvelle. La vie à travers des mots Après le documentaire réalisé par Laurent Joly et Jérôme Prieur et diffusé sur France TV en 2022, c’est au tour de la version théâtrale de voir le jour grâce à la délicatesse de Julie Bertin et de Jade Herbulot qui se sont saisies de six destins, ceux d’Edith Schleifer, de Gaston Lévy, de Renée Haguenauer, d’Alice Grunenbaum, de Léon Kacenelenbogen et de Charlotte Lewin. Seuls les deux derniers, Léon et Charlotte, le premier en s’évadant des camps français et en se réfugiant à Madrid, la seconde en survivant miraculeusement à la traque et à l’horreur des camps, sont revenus. Dans un espace bi-frontal, ouvert de chaque côté au public, deux jeunes comédiens, Salomé Ayache et Pascal Cesari, font face aux comédiens plus âgés, Marie Busnel et Gilles Privat. Une table est dressée au milieu, et les comédiens endossent chacun un destin en extrayant une vieille valise, des papiers, un livret de famille, des vêtements placés dans des pochettes en plastique transparent. Objets prisonniers, confisqués, qui reprennent vie en même temps que leurs propriétaires. Des vies bouleversantes Et c’est tout à l’honneur des autrices, avec la collaboration de l’historien Laurent Joly, de redonner vie à ces personnages, avant et après la catastrophe, à travers des scènes reconstituées simplement, des paroles familières échangées en famille. Pourquoi ces Français juifs, et ceux qui n’ont pas encore eu le temps d’être naturalisés, amoureux des valeurs de liberté et de fraternité héritées de la Révolution et des Lumières, originaires de Pologne ou de Roumanie, ont-ils été trahis, manipulés par le gouvernement de Vichy, qui a même anticipé et durci les mesures d’exclusion imposées par le Reich ? Alice, Renée, Léon, Gaston, Charlotte et Edith, à Paris ou Bordeaux, en zone libre ou dans le centre de la France, n’ont hélas pas bénéficié de la tempérance des gendarmes français. A part la toute jeune Charlotte qui a pu s’échapper avant d’être enfermée dans le Vélodrome d’Hiver lors de la rafle, ils ont tous été dénoncés et capturés, de manière la plus zélée possible, par les forces de l’ordre du Maréchal Pétain. La mise en scène, empreinte de la chorégraphie de Thierry Thieû Niang, fait glisser les personnages comme des ombres revenues à la vie, dans les belles lumières de Jérémie Papin. Les acteurs sont d’une justesse impressionnante, rendant justice à ces êtres ordinaires de tous âges, fauchés par l’injustice et le racisme. Leurs lettres sont d’une puissance folle, rédigées dans une langue ciselée et parfaite. Un spectacle d’une force bouleversante, qui s’inscrit pleinement et pour tous dans notre histoire. Hélène Kuttner Auteur : Julie Bertin et Jade Herbulot d’après les lettres d'Édith Schleifer, Gaston Lévy, Renée Haguenauer, Alice Grunebaum, Léon Kacenelenbogen et Charlotte Lewin. Metteur en scène : Julie Bertin et Jade Herbulot / Le Birgit Ensemble Distribution : Salomé Ayache, Marie Bunel, Pascal Cesari, Gilles Privat Et les voix de Bénédicte Cerutti et Eric Charon Tournée 2023-2024 : - 14 au 16 novembre 2023 (3 représentations) - création : Le Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon (85) - 1er au 17 décembre 2023 (15 représentations) : Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint Denis (93) - 18 au 20 janvier 2024 (3 représentations) : Théâtre Chatillon-Clamart (92) - 23 au 25 janvier 2024 (3 représentations) : Comédie – CDN de Reims (51) Production Le Birgit Ensemble Coproductions La Générale de Production, Le Grand T-théâtre de Loire-Atlantique, Le Grand R scène nationale de La Roche-sur-Yon, Théâtre Châtillon-Clamart, Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis, Comédie – CDN de Reims Résidences Le Grand R scène nationale de La Roche-sur-Yon, Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis, Théâtre Public de Montreuil – CDN, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne. Avec le soutien de la Direction Générale de la Création Artistique – DRAC Ile-de-France, de la Région Ile-de-France, de L’École de la Comédie de Saint-Étienne / DIESE # Auvergne-Rhône-Alpes et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National Remerciements à l’atelier costumes du Théâtre National de Strasbourg La compagnie Le Birgit Ensemble est conventionnée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile-de-France et le Conseil départemental du Val-de-Marne. Julie Bertin et Jade Herbulot sont artistes associées au Grand R scène nationale de La Roche-sur-Yon. TGP SaintDu 01 Déc 2023 Au 17 Déc 2023 Réservations par téléphone : 01 48 13 70 00
Par Joëlle Gayot (Strasbourg) dans Le Monde - 30/11/2023 Stanislas Nordey adapte avec génie le roman de Christine Angot et permet au public de percevoir l’inouïe capacité de destruction du comportement pervers d’un père.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/11/30/avec-le-voyage-dans-l-est-au-theatre-national-de-strasbourg-une-deflagration-autour-de-l-enfer-de-l-inceste_6203235_3246.html
On ne doutait ni de l’intelligence du metteur en scène Stanislas Nordey ni de la puissance de l’écrivaine Christine Angot, mais on était loin d’imaginer la déflagration générée par le spectacle associant leurs deux noms au Théâtre national de Strasbourg. Il y aura un avant et un après Le Voyage dans l’Est. Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Paru en 2021, chez Flammarion, Le Voyage dans l’Est revient vers cet inceste qui obsède l’œuvre de Christine Angot et dont on croyait, lectures à l’appui, connaître l’essentiel. Mais c’était compter sans la mise en scène magistrale de Stanislas Nordey, qui fait émerger des icebergs de sens dont on ne soupçonnait pas l’existence. Pendant les deux heures trente que dure une représentation portée par sept comédiens et comédiennes, les prises de conscience succèdent à l’évidence. On pensait tout savoir ? On se trompait. Ce mouvement de révélation a la force d’une lame de fond qui transforme la surface des flots en une vague scélérate à laquelle personne n’échappe. A commencer, sans doute, par la romancière elle-même, dont les mots claquent dans un décor d’un bleu océanique parsemé d’écume blanchâtre et surmonté d’un immense écran vidéo : la peur, la honte, la tristesse, la culpabilité et la rage désespérée, face à un mur qu’elle tentera tant de fois de franchir. Elle veut avoir avec son père des relations normales. « Vous ne vous rendez pas compte de ce que ça fait d’avoir un père qui refuse que vous soyez sa fille », entend-on proférer avec une insistance qui signale à quel point ce déni paternel est une voie royale vers un inceste banalisé. La logique en est aussi révoltante qu’imparable. Puisque le père (même s’il lui donne son nom à l’état civil) « refuse » que sa fille soit sa fille, pourquoi, dès lors, s’interdirait-il de coucher avec elle ? Un manuel de survie Depuis le temps que Christine Angot le martèle dans ses textes, on aurait dû le comprendre. On aurait dû noter en capitales, pour mieux le graver dans nos têtes, que l’adolescente sous emprise ne pouvait échapper aux mécanismes implacables d’une prédation sexuelle, affective et intellectuelle. Noter aussi de quelle manière, à 13 ans, elle n’a pas eu d’autre choix que de se dissocier intérieurement pour ne pas se perdre totalement. Et pourquoi Le Voyage dans l’Est est un manuel de survie. Une enquête éprouvante menée par l’écrivaine vers les « points de vue » qui étaient les siens à 15, 20 ou 30 ans, et qu’elle invoque en les nommant ou nomme en les invoquant. Peu importe. Ils sont ce qui, en elle, a résisté au massacre et qu’elle sauve du néant en le mettant au jour. Elle ne romance pas mais elle se réinvente. Elle se réempare d’elle-même par et dans la littérature. Elle devient un sujet pensant, pas une victime chosifiée. « Ce “voyage dans l’Est” est aussi un voyage vers l’être, encore et toujours, vers le réel, encore et jamais », expliquait ainsi Camille Laurens dans Le Monde, à la sortie du livre, en 2021. Si cette entreprise incroyable nous parvient avec une indéniable clarté, c’est que le théâtre fait place nette sur la progression de l’écriture. L’ample plateau est une boîte à jeu découpée par des ronds de lumière. Sur l’écran, le visage pensif de Cécile Brune filmée dans un train ouvre la représentation. Elle se rend à Strasbourg. C’est là que travaillait, au Conseil de l’Europe, le père de Christine Angot. La comédienne, terrienne et tragédienne, incarne « Christine aujourd’hui ». Plus tard, sur ce même écran, s’imposeront les traits floutés et néanmoins très expressifs de Carla Audebaud, prometteuse jeune actrice qui incarne « Christine 13-25 ans ». Enfin Charline Grand interprète la feinte maîtrise de la maturité, elle est « Christine 25-45 ans ». Sentiment du vrai En démultipliant la figure de la romancière qu’il divise en trois identités distinctes, en alternant séquences vidéo et proférations au plateau, en projetant du texte écrit (les extraits du Journal tenu par Angot) et de l’image filmée, Stanislas Nordey (qui adapte pour la première fois un roman au théâtre) opère un coup de génie. Il désincarcère la parole des à-plats dans lesquels l’enferment les pages imprimées, et fait surgir à la verticale, saillants et nets, ces « points de vue » indispensables au ressaisissement convoité. La narration se glisse de corps en corps et sillonne, sans se diluer, les époques, les géographies, les gestes et leurs souvenirs, la mémoire. Dans le rôle du père, l’exceptionnel Pierre-François Garel, ton tranchant, raideur arrogante, regard évanescent, s’offre à la détestation du public. Dans celui de Claude (compagnon de Christine), Claude Duparfait draine une émotion à fleur de peau. Jamais les comédiens ne se touchent. Ils restent, la plupart du temps, à bonne distance les uns des autres. Il faut que l’air circule et que, dans ses courants, s’immisce la possibilité pour une femme de se rassembler et de se (re) constituer, et pour le public de se débarrasser d’un fatras intime où s’emmêlent jugements hors de propos et idées toutes faites. A quoi accède-t-on en fin de compte ? Au sentiment du vrai. Vérité des faits et du dire. Vérité de l’inceste dont on réceptionne avec une rare lucidité l’inouïe et durable capacité de destruction. Vérité de la nasse dans laquelle a été enfermée l’autrice. Vérité, enfin, du combat des mots pour desserrer l’étau. Aux deux tiers du spectacle, le père de Christine Angot lui suggère : « Tu devrais écrire sur ce que tu as vécu avec moi… C’est intéressant. C’est une expérience que tout le monde ne vit pas. » Alors arrive (enfin) une séquence libératrice. Elle se traduit par un éclat (de rire ou de colère) de l’écrivaine traitant de « pauvre con » celui qui lui conseille de s’inspirer de Robbe-Grillet. « Con, connard, pauvre con » : l’insulte est en page 160 d’un roman qui en compte 215. Là où s’affirme le désir d’écrire, là où le père, jamais, n’aura l’ascendant. Le Voyage dans l’Est est un texte majeur sur l’enfer de l’inceste. Désormais, et grâce au théâtre, on le sait mieux que jamais. Le Voyage dans l’Est, de Christine Angot. Adaptation et mise en scène : Stanislas Nordey. Avec Carla Audebaud, Cécile Brune, Claude Duparfait, Pierre-François Garel, Charline Grand, Moanda Daddy Kamono et Julie Moreau (en alternance avec Claire Ingrid Cottanceau). Théâtre national de Strasbourg. Jusqu’au 8 décembre. Puis à Nanterre-Amandiers, du 1er au 15 mars 2024. Joëlle Gayot(Strasbourg) Légende photo : Carla Audebaud, à l’écran, et Pierre-François Garel, Cécile Brune et Julie Moreau, sur scène, dans « Le Voyage dans l’Est », de Christine Angot, adapté et mis en scène par Stanislas Nordey, au Théâtre National de Strasbourg, le 27 novembre 2023. Photo © JEAN-LOUIS FERNANDEZ
Par Guillaume Lasserre dans son blog - 19 nov. 2023 La grande marée ou la dérive des imaginaires Au Théâtre de la Bastille, Simon Gauchet met en scène un voyage métaphysique au cœur de l’intime et de l’inconscient collectif à partir du mystère de l’Atlantide, qui fait écho aux bouleversements actuels. On est submergé par l’immense beauté de cette « Grande marée » qui est aussi une formidable leçon de théâtre où réinventer tient de l’acte politique. Ils sont quatre, une femme et trois hommes, dormant allongés sur une immense toile de décor d’opéra déployée à même le sol de la scène. Celle-ci figure ce que l’on devine être une immense étendue d’eau, un océan. Une voix masculine, émanant d’un répondeur téléphonique, évoque la côte normande et des gens qui courent affolés sur la plage. La voix parle d’une audition, de trouver une tempête pour pouvoir jouer dedans. L’homme raconte son rêve pendant que les comédiens se réveillent doucement. La seule protagoniste se lève alors et se saisit d’une éponge qui, imbibée d’eau, devient l’outil lui permettant d’écrire en lettres capitales sur le grand mur du fond transformé en tableau noir, le premier mot d’une phrase qui sera complétée par chacun des comédiens : « ESSAYE DE TE SOUVENIR OU À DÉFAUT INVENTE ». L’évanescence d’une écriture simplement tracée à l’eau renforce d’emblée ce sentiment de précarité humaine qui rend la vie si précieuse, la conjuguant au présent par urgence : être ici et maintenant. Ils se racontent leur rêve de la nuit précédente. L’exercice est simple : réussir à attraper le songe avant qu’il ne s’évanouisse avec le réveil, synonyme de retour à la réalité. Mais le spectacle est double. Au premier, qui a lieu sur une scène de théâtre avec des interprètes en chair et en os, répond un second qui aura lieu plus tard dans la nuit suivante : celui des rêves des spectateurs que la pièce aura fait naître – ils peuvent d’ailleurs être racontés, comme celui qui ouvre le spectacle, en appelant un numéro de téléphone indiqué dans la feuille de salle. Se souvenir ou inventer On ne l’attendait pas à cet endroit mais c’est bien Brigitte Salino qui est convoquée dans le récit à venir. La critique de théâtre du journal Le Monde devient une figure exotique, le fil rouge de la pièce, à la faveur d’un article écrit en 1989 relatant sa rencontre à Berlin avec le philosophe Ulrich Sonnemann et l’anthropologue Dietrich Kamper, se dénommant eux-mêmes « anthropologues de l’imaginaire » car travaillant sur la façon dont les mythes, qu’ils soient réels ou inventés, affectent notre inconscient collectif. Ils ont réuni un groupe de scientifiques de la Freie Universität de Berlin, le « groupe Atlantis », qui œuvre à la préparation d’une expédition de recherche de l’Atlantide, île mythique de la taille d’un continent que seuls deux écrits de Platon mentionnent : « Écoute donc, Socrate, une histoire très étonnante qui est pourtant extrêmement vraie, comme l’a racontée autrefois Solon » écrit le philosophe grec dans le dialogue du Timée (360 avant notre ère) alors qu’il commence le récit de l’Atlantide. « En l’espace d’un seul jour et d’une nuit terribles, tout ce que vous aviez de combattants rassemblés fut englouti dans la terre, et l’île Atlantide de même fut engloutie dans la mer et disparut » poursuit-il dans le Critias où l’essor et la chute de la cité mythique sont largement développés. Il la situe faisant face aux colonnes d’Hercule, c’est-à-dire face à l’actuel détroit de Gibraltar. Son engloutissement correspondrait, selon le groupe Atlantis, à la catastrophe initiale à l’origine de notre fascination inconsciente pour la fin du monde. Trente ans plus tard, Simon Gauchet et ses comédiens partent explorer les lieux qui portent en eux la part d’un monde englouti, plongeant au large de Santorin, île des Cyclades dans la mer Égée, explorant la rade de Lorient, traversant la baie du Mont-Saint-Michel, dormant dans un site mégalithique… Le metteur en scène, qui inscrit la nature et ses éléments au cœur de son travail, explore ce qui gît, englouti, au fond de l’inconscient de l’humanité. Sa « grande marée » part de cette expédition du groupe de philosophes allemands pour retrouver l’Atlantide, qui fut avortée à l’automne 1989 faute de navire et de financement, mais aussi en raison de la chute du mur de Berlin – actant la disparition de Berlin-Ouest, cet îlot, en même temps que celle de la RDA –, pour se transformer en voyage métaphysique, s’étendre à une quête à la fois intime et universelle des origines. « Pourquoi sommes-nous tentés de revenir à la source, comme les saumons remontent la rivière pour mourir là où ils sont nés ? » interroge-t-il. Cocréateur de l’École Parallèle Imaginaire (l’ÉPI), lieu sans lieu concevant des expériences dans des théâtres, des musées, dans l’espace public et pour des territoires, Simon Gauchet invente des processus singuliers qui viennent interroger nos capacités d’imagination et nos rites collectifs. Ici, l’illusion théâtrale s’approche du merveilleux tant les inventions scéniques invitent à la contemplation. Prenant des allures d’installations-performances, elles tutoient le sublime, déclenchant chez le spectateur un effet de sidération. Ainsi, à l’aide de grandes toiles d’opéra manipulées tour à tour, apparaissent la mer et les vagues. On est fasciné par tant de trouvailles, par la beauté du passage d’une toile à l’autre, par les comédiens qui se transforment en spéléologues au fur et à mesure que le voyage se fait intérieur, explorant des grottes dont les parois abritent les premières représentations de l’humanité, devenant cavités nouvelles qui ne sont autres que l’intérieur de nos propres corps. Faire du théâtre comme on mène une expédition Dans un monde déjà parcouru de long en large, déjà découpé, cartographié dans ses moindres recoins, partir à la recherche de territoires imaginaires semble la seule façon de créer des failles dans la réalité. C’est ainsi qu’en 2016, Simon Gauchet est parti, en compagnie d’une dizaine de navigateurs, à bord d’un radeau de bois pour un voyage qui dura neuf mois, à la recherche de l’île d’Utopie, la société idéale selon Thomas More décrite dans son ouvrage de 1516[1]. Quatre ans plus tard, recevant l’article de Brigitte Salino sur l’expédition allemande avortée, il part avec l’auteur Martin Mongin à sa recherche, prenant contact avec les trois scientifiques du groupe Atlantis encore en vie qui leur avouent que l’expédition n’a jamais eu lieu, les incitant à la mener à bien à leur place. « L’impulsion du voyage, présente dans beaucoup de mes créations, est d’abord liée à un désir d’enfance : lorsque mes parents me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je répondais ‘aventurier’[2] » explique Simon Gauchet qui a rêvé un temps de devenir anthropologue. « Ma façon de faire du théâtre est encore très liée à cette envie d’aller voir ailleurs, d’explorer l’inconnu » Par goût de l’aventure et d’un imaginaire exalté, ils font le choix de pouvoir déceler dans un certain nombre de lieux autre que l’Atlantide « cet ‘ombilic du monde’ en tant qu’il pourrait être la cicatrice originelle de notre civilisation[3] ». Ils se racontent leurs rêves pour préparer leur spectacle exactement comme les explorateurs du groupe Atlantis se racontaient les leurs pour préparer leur expédition. Parmi ceux-ci, l’un d’eux les a particulièrement frappés, un rêve d’anti-déluge, une grande marée, devenue métaphore du spectacle qui se joue ici : « Un jour, la mer se retire et dévoile ce qui était caché », des territoires jusque-là invisibles. Aller voir ce qui se joue dans l’estran, cette partie du littoral découverte puis recouverte au fil des marées, entre le visible et le caché, le connu et l’inconnu, à cet endroit précis où la curiosité s’engouffre dans la moindre brèche aussi sûrement que l’imagination, là, dans cette zone interstitielle, pour approcher ce qui gît, enfoui, dans l’inconscient de l’homme et du monde. « Alors que nous assistons, face aux impératifs toujours plus impérieux d’un prétendu ‘réalisme’, à un appauvrissement et un assèchement sans précédent de nos imaginaires, la quête de ce point primal, comme une comète traversant le ciel, nous permettra de renouer avec l’impossible et de tisser des liens nouveaux avec le mystère, et l’inouï qui y sommeille » écrit Simon Gauchet dans sa note d’intention. En multipliant les récits d’explorations pour mieux les entremêler, « La grande marée » agglomère un ensemble de visions qui toutes interrogent notre rapport au caché, et donc à notre origine lointaine dans le lien inextricable qu’elle entretient avec la mer en tant que lieu de surgissement de la vie, de sortie de l’eau du vivant. Considérant le théâtre comme le lieu de représentation de ce qui ne peut être montré, Simon Gauchet fait de l’espace scénique le double imaginaire de ce lieu originel inconnu et inaccessible à la faveur d’une quarantaine de toiles peintes issues de différents théâtres et opéras européens. Chacune, provenant de spectacles différents, représente l’irreprésentable. Telles des archives de notre histoire commune, ces images sont autant de strates de la réalité qui, dévoilées, imbriquées, mélangées, autorisent la réunion de l’espace et du temps, liant ainsi des récits fragmentaires provenant de lieux et d’époques différentes. En cheminant parmi elles, le spectateur prend alors conscience que les images du passé, telles des oracles se confondant ici avec autant de Cassandre prédisant tous les malheurs de Troie et ne suscitant que doute et indifférence, annoncent notre futur. La catastrophe à venir révélée, lui seul peut agir. En tutoyant le sublime, « La grande marée » propose d’augmenter le récit de l’engloutissement par son contre-champ, le retrait des eaux. Et si, comme l’a affirmé le psychanalyste hongrois Sándor Ferenczi dans son fameux article[4] de 1924 sur la théorie de la génitalité, l’humanité était l’aboutissement d’une série de catastrophes passées qui auraient marqué l’inconscient tant individuel que collectif ? Bien avant l’Atlantide, à l’ère du Paléozoïque, la vie sous-marine fut contrainte de sortir des mers à cause de leur asséchement. Être terrestre ne serait-il pas notre plus grand traumatisme ? Chaque naissance ne serait alors que la répétition de la grande catastrophe de la sortie des eaux des mammifères, reproduisant inlassablement dans le ventre maternel le cycle de l’évolution avant notre arrivée tragique sur terre, violemment expulsés du placenta originel. Dans son ouvrage « Manières d’être vivant[5] », Baptiste Morizot explique que c’est pour retrouver le goût de l’océan que nous aimons habiter en bord de mer ou que nous salons nos plats. Une chose est sûre, cet espace intermédiaire entre deux catastrophes dans lequel inconsciemment nous nous tenons relève plus de l’évasion onirique que de la science, une géographie des rêves que Simon Gauchet convoque brillamment sur scène. Guillaume Lasserre [1] Thomas More, L’Utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement, Louvain, Dix-sept provinces, 1516, réed. Garnier-Flammarion, 1993. [2] Entretien avec Simon Gauchet, propos recueillis par Victor Roussel pour le Théâtre de la Bastille, 2023. [3] Simon Gauchet, « Une exploration de ce qui-gît, englouti, dans l’inconscient de l’humanité », in La grande marée, texte d’intention. [4] Sándor Ferenczi, « Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité », Œuvres complètes Psychanalyse - III, 1919-1926, Payot, coll. Sciences de l’homme, 2006. [5] Baptiste Morizot, Manières d'être vivant : Enquêtes sur la vie à travers nous, Arles, Actes Sud Nature, 2020, 332 pp. LA GRANDE MARÉE - Conception et mise en scène Simon Gauchet Texte Martin Mongin. Collaboration artistique Eric Didry. Interprétation Cléa Laizé, Rémi Fortin, Gaël Baron, Yann Boudaud. Musique Joaquim Pavy. Scénographie Olivier Brichet et Simon Gauchet Son Manuel Coursin. Lumière Claire Gondrexon. Régie lumière Claire Gondrexon et Anna Sauvage (en alternance). Régie générale et régie plateau Ludovic Perché et Lucile Réguerre (en alternance) Production Grégoire Le Divelec et Anaïs Fégar - HECTORES. Diffusion Céline Aguillon. Accompagnement et conseil Frédérique Payn. Production L’Ecole Parallèle Imaginaire Co-production Le Théâtre de Lorient - Centre Dramatique National, le Canal - Théâtre de Redon, la Comédie de Caen - CDN de Normandie, La Passerelle - Scène nationale de Saint-Brieuc, le Théâtre de la Bastille, La saison culturelle de Dinan Agglomération, la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel – Normandie, les Théâtres de Saint-Malo. Spectacle vu le 13 novembre 2023 au Théâtre de la Bastille à Paris. Théâtre de la Bastille du 9 au 24 novembre 2023, TU-Nantes du 28 novembre au 1er décembre 2023 (en co-réalisation avec le Grand T), La Passerelle Scène nationale de Saint-Brieuc du 13 au 14 décembre 2023.
Par Gilles Renault dans Libération - 29 nov. 2023 Dans le troisième volet de son «Cabaret de l’exil», la troupe de Bartabas incarne d’antiques Scythes foudroyant la tyrannie masculine, dans un hommage brûlant d’actualité aux Afghanes et Iraniennes en lutte. Soyons francs : ancré dans l’âpreté de la banlieue nord de Paris, dont l’écrasante majorité des visiteurs ignore les difficultés du quotidien, Aubervilliers n’est pas la plus chatoyante des destinations. Pourtant, juste à la sortie du métro, s’y dresse contre vents et marées un sémaphore culturel où s’incarne – au sens le plus fort du verbe – l’intransigeante singularité du maître de céans. Conçu à la fin des années 80 par l’architecte Patrick Bouchain, le théâtre équestre Zingaro est d’abord une immense bâtisse de bois où l’on peut se restaurer, englouti dans la foultitude d’éléments de décors, d’objets, d’images qui, au fil des décennies, ont forgé l’infalsifiable identité du site. Un sas aussi, qu’il faut traverser, avant d’accéder à l’antre circulaire sur lequel règne Bartabas, omnipotent démiurge d’une saga où, devenu thérianthrope, l’homme poursuivrait avec le cheval (mais aussi l’âne, le paon et l’oie) une seule et même quête artistique. Sauf qu’en la circonstance, il serait plus judicieux de parler des femmes, l’hôte roide ayant l’élégance de se faire aussi discret que possible, à l’heure de la dernière création en date portant sa griffe. Escouade de mollahs-jockeys L’idée directrice est celle d’une trilogie, baptisée «Cabaret de l’exil» car centrée sur des communautés vouées à l’errance. Après deux premiers volets, respectivement dédiés fin 2021 à la culture yiddish, puis fin 2022 aux Travelers irlandais, le troisième chapitre célèbre les «Femmes persanes». A savoir, depuis le tréfonds de la civilisation scythe (où prendrait sa source le mythe des guerrières amazones), une ode à toutes les Afghanes et les Iraniennes qui, aujourd’hui, paient parfois au prix de leur vie un désir pourtant inaliénable de liberté et d’équité. Quelle idée saisissante, déjà, que cette piste déserte, transformée en un étang dont la rougeur du liquide répandu suggérera aussi bien le sang du combat, que celui des menstruations. Une surface étale au centre de laquelle trône une si modeste chaise d’écolier qu’on retrouvera plus tard, avec d’autres, renversées cette fois, afin de symboliser, entre autres forfaitures, cet accès à l’éducation bafoué par l’obscurantisme d’une tyrannie masculine, ici rétrogradée à une escouade de mollahs-jockeys juchés sur des ânes. Jongleuses de feu Néanmoins, entre-temps, ce sont bien les femmes qui ont pris le pouvoir, à la fois écuyères hors pair, conformément à l’ADN d’un de ces «spectacles de contrebande où la pensée se glisse par effraction» (dixit Bartabas), mais aussi danseuse soufie abîmée dans un mouvement rotatif éperdu, chanteuses et musiciennes ravivant l’instrumentarium traditionnel (tombak, setâr, santûr…) ou, dans un registre plus circassien, acrobate capillotractée s’élevant dans les airs et jongleuses de feu. Toutes unies au service d’un plaidoyer majeur, altière liturgie à la fois grave et farfelue qui n’oublie pas, à intervalles réguliers, de convoquer la parole. Comme celle-ci, qui érige la poésie en mantra : «Me voici /Je suis moi /Je suis femme /Je suis monde /Et sur mes lèvres passe /Le chant de l’aube blanche.» Cabaret de l’exil. Femmes persanes au théâtre équestre Zingaro, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 31 mars. Légende photo : Dans le troisième chapitre du «Cabaret de l’exil», les femmes ont pris le pouvoir. (Crédit photo : Hugo Marty)
Par Fabienne Pascaud dans Télérama -29 nov. 2023 Dans “Une journée particulière”, à voir en décembre au Théâtre de l’Atelier à Paris, tout les oppose. Pourtant, dans la vie, les deux comédiens ont bien plus en commun. Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/roschdy-zem-et-laetitia-casta-au-theatre-le-duo-glamour-d-une-journee-particuliere-7018275.php?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1701273353-1 Lilo Baur, la metteuse en scène, leur avait pourtant déconseillé de revoir cette Journée particulière de l’Italie fasciste qu’Ettore Scola (1931-2016) avait tournée en 1977 et qu’elle allait, pour eux, adapter pour la scène ; après que les metteurs en scène Françoise Petit (1982), Jacques Weber (1998), Christophe Lidon (2013) s’y furent collés. Mais Laetitia Casta l’avait déjà vue quatre fois et n’a pu résister à trois autres visionnages, en comédienne bosseuse, fascinée par le jeu de Sophia Loren dans cette Antonietta qu’elle allait jouer : une mère inculte de six enfants, épouse d’un odieux fonctionnaire fasciste qui la trompe, à Rome, en 1938. « De toute façon, on ne peut imiter Sophia Loren : ce serait imiter un Van Gogh », sourit-elle. Son partenaire, Roschdy Zem, a désobéi aussi. Pour admirer encore l’audace d’incarner un homosexuel banni par le régime machiste qu’avait eue Marcello Mastroianni (1924-1996), au sommet de sa gloire de séducteur hétéro. « Jouer un homosexuel n’est pas le problème, on peut tous l’être, et après tout, j’ai grandi dans l’admiration folle des hommes, mes premiers héros : mon père, mes frères, Superman, Spider-Man, Bruce Springsteen. M’importe ici de casser mon image d’homme viril marmoréen et macho à la Ventura ou Gabin. Dans ma famille, je suis un clown, mais sensible et vulnérable. Je dégage à l’écran une assurance que je n’ai absolument pas. Je ne veux plus tricher. » Ce 6 mai 1938, Benito Mussolini reçoit triomphalement Adolf Hitler. Toute la ville est conviée à la prestigieuse parade devant sceller l’amitié entre l’Italie et l’Allemagne. Fervente admiratrice du Duce, Antonietta est quand même restée nettoyer l’appartement modeste où elle vit. Le mélancolique Gabriele est lui aussi seul dans l’immeuble. Ex-journaliste à la radio d’État, mis à pied parce que opposant au régime et homosexuel, il attend la police pour être déporté. Antonietta laisse maladroitement fuir son mainate de sa cage ; l’oiseau se pose sur la fenêtre de Gabriele. Elle part le chercher. Deux êtres que tout oppose, sauf leur sentiment d’abandon, vont se découvrir, s’écouter. Peut-être s’aimer… « Antonietta me touche dans son ignorance, confie Laetitia Casta. C’est un diamant qui n’a pas été taillé. Gabriele va la révéler à elle-même et elle pourra mieux vivre, lire… Comme elle, j’ai arrêté l’école à 14 ans, et ma soif de savoir est devenue obsessionnelle, j’ai toujours peur de passer à côté de l’essentiel. Bien sûr, j’ai lu, rencontré des gens brillants, mais cette frustration me taraude depuis… mes 4 ans. L’ambition de ma famille à mon égard était si grande. Il fallait réussir. Il y a quelques années, j’aurais sûrement refusé le rôle de cette femme, trop proche de moi dans son inculture, j’étais encore trop complexée. Maintenant j’assume. D’autant que j’ai eu l’occasion, lors d’un duo avec Christophe, un de mes chanteurs préférés, de découvrir qu’avec tout son génie il ne savait pas lire les notes. » Roschdy Zem confirme combien sa partenaire travaille. Elle arrive dans sa loge quatre heures avant le spectacle, lui deux heures avant seulement, pour repasser son texte, puis discuter avec l’entourage. « Laetitia s’enferme au contraire dans une bulle, un mouchoir sur le visage, dans le noir. Personne ne doit la déranger. Elle se coiffe seule, se maquille seule. Quand elle arrive en scène, elle n’est plus la même. Et ça me booste de la voir si habitée. C’est elle qui donne le ton et le tempo du spectacle, comme un chef d’orchestre. Et je suis. Notre metteuse en scène, Lilo Baur, nous a fait beaucoup improviser ; il fallait trouver la voix du personnage, ses attitudes. C’était intimidant, Laetitia et moi nous connaissions peu et nos deux personnages ont une relation plus physique qu’intellectuelle. En plus, sur scène, à l’inverse du cinéma, on ne peut rien dissimuler : tout est en plan large, pas de contrechamp. Or quoi de plus difficile qu’écouter le partenaire, être présent sans rien faire ? Dans cette proximité du théâtre, je ne peux jouer qu’avec quelqu’un de sérieux, que je respecte dans le travail : à l’heure, sachant son texte, mesurant le privilège d’être devant un public qui a payé de 30 à 40 euros pour le regarder. » Pas de triche sur les planches Le texte, Laetitia Casta le dissèque, heureuse du temps que lui laisse le théâtre pour chercher encore et encore. Ainsi a-t-elle remarqué que le langage d’Antonietta se transforme au fil de sa relation avec l’intellectuel Gabriele : « Elle s’exprime mieux à la fin de la pièce. Sa parole, plus délicate, se libère. Je l’ai compris en respectant scrupuleusement l’écriture de mes répliques, qui me semblaient au départ trop saccadées. Lilo Baur vient de la danse, elle nous a surtout fait travailler physiquement, en passant par l’animal qui est en chacun de nous. Comme mannequin, j’ai déjà appris à travailler ainsi, sous la lumière. Le théâtre est juste venu poser une voix. Devrais-je arrêter aujourd’hui d’être top model ? Pourquoi se défaire de ce qu’on a été ? Au moins, je ne cherche plus à être dans une permanente représentation de moi-même, je l’ai tellement fait. » Roschdy Zem et Laetitia Casta viennent d’autre part. C’est leur force et leur fragilité. Lui qui prépare déjà son septième long métrage, d’après Romain Gary, elle qui reste dans la mode et tourne des films. « Le cinéma n’est qu’astuces, on triche tout le temps, selon Roschdy Zem. On peut faire une déclaration d’amour à un bout de scotch parce qu’on n’a pas la place d’installer le partenaire dans le décor. Au théâtre, l’autre est indispensable. On se prend la main et on saute ensemble. » Laetitia Casta surenchérit : « Au théâtre, non seulement on s’éprouve soi-même et on est totalement libre pendant la représentation, mais on fabrique quelque chose vraiment ensemble. Ça n’existe nulle part ailleurs. » En plus, cette Journée particulière leur évoque à tous deux la dangereuse montée des populismes en France, aujourd’hui. Comme à leur productrice Valérie Six, qui s’est battue pour monter le spectacle, contacter Lilo Baur, les enrôler. La comédienne avoue encore penser aux Afghanes et aux Iraniennes, à l’éducation dont on les prive. Selon elle, Sophia Loren jouerait quand même Antonietta moins tristement en 2023. « Sa profonde mélancolie est aussi liée au sort des femmes des années 1970. Ici, heureusement, les choses ont changé. » Une journée particulière, d’après Ettore Scola, mise en scène de Lilo Baur. Du 2 au 31 décembre. Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin, 18e. 22-46 €. Légende photo :Elle incarne Antonietta, mère de famille lessivée. Lui, Gabriele, homosexuel qui attend sa déportation. Photo Patrick Swirc pour Télérama Site du Théâtre de l'Atelier
par Anne Diatkine, envoyée spéciale à Strasbourg publié dans Libération le 29 novembre 2023 Stanislas Nordey adapte au TNS le récit d'inceste de Christine Angot, superbement mis en scène et interprété, et laisse entendre avec force l'écriture de l'autrice.
On lit le Voyage dans l’Est de Christine Angot en se disant que rien n’est représentable, que tout tient à la langue, la scansion, le rythme, la concision, la précision, mais aussi à la manière de forer vers toujours plus de lucidité, de besoin d’élucider comment l’inceste a pu avoir lieu, puis perduré, d’abord secrètement, et ensuite, en toute connaissance des proches. Dans le même temps, on saisit parfaitement que l’enfant qui porte le récit, l’adolescente, puis la jeune femme, étudiante brillante, qui a pu se croire un moment «passée entre les gouttes» comme elle dit, est à la recherche d’une relation «normale», et qu’elle n’y renoncera pas tant que persiste un filet d’espoir entretenu par les promesses de son père. Dès lors, dès qu’il y a rencontre, il y a un risque que cela se reproduise. Cela : l’inceste.
Une conscience clairvoyante et voilée L’immense réussite de la mise en scène de Stanislas Nordey au théâtre national de Strasbourg est de ne jamais faire oublier qu’il s’agit d’un livre, de ne pas chercher à adapter les parties narrées en dialogues, de montrer au contraire la matérialité de l’écriture, le journal intime projeté par exemple. Ce qu’on reçoit, ce que font entendre les acteurs formidablement bien, est donc le texte d’Angot, légèrement élagué. Et ce que la mise en scène rend éclatante, c’est l’épaisseur des trames temporelles qui, sur le plateau coexistent grâce aux différentes actrices qui interprètent Christine à des âges différents, ainsi que les jeux de sa conscience – comme on laisse du jeu et de la souplesse à une corde – clairvoyante et voilée simultanément. La scène est divisée en deux horizontalement : il y a d’abord un espace nimbé de hiéroglyphes indéchiffrables sur les murs, aux couleurs bleutées, neutre comme un hall d’hôtel moderne, sans que la scénographie ne verse dans l’illustration. Au-dessus, une projection. D’abord la narratrice dans un train, jouée par Cécile Brune, presque une vision de ce que pourrait être «Christine» dans dix ou quinze ans, on comprendra plus tard où la mènent le train et ses pensées. Puis l’adolescente (Carla Audebaud) au visage flouté dont on distingue la distorsion des traits, son effroi, ou son sourire. Le flou, recouvrement de la mémoire, difficulté de se percevoir enfant, évite aussi à l’actrice d’avoir à singer l’enfant. Un rôle impossible Le récit est bourré de pièges pour qui l’adapte et pas seulement parce que les scènes d’inceste sont irreprésentables. C’est magnifique de voir comment les acteurs, comme souvent chez Stanislas Nordey, décalés, stylisés, avec des mouvements aux antipodes de tout réalisme, atteignent une vérité vivante dans leur abstraction. Avec la même intelligence, le père, Pierre Angot, rôle impossible et formidablement tenu par Pierre-François Garel, n’est pas un monstre, mais un homme à la suffisance et au contentement de soi communs, qui exhale jusqu’au moindre battement de cils la certitude de sa supériorité de classe, de sexe. On le voit souvent de biais, dans des postures légèrement en torsion, le coude sur son genou par exemple, l’imposture qui sourd, sous des manières policées. Claude, le mari, joué par Claude Duparfait, se dévoile à la fin, et l’acteur est génial, infiniment émouvant, dans son étrangeté qui fait entendre la sincérité douloureuse de celui qui ne pouvait pas comprendre la demande non dite de sa compagne, alors qu’il était le témoin auditif et capital de l’inceste. Continuons à citer les acteurs, Moanda Daddy Kamono, Charly, en bonnet rose, et la beauté de cette mise en scène est qu’elle n’a besoin de presque rien pour faire imaginer la sortie de la gare de l’Est où il attend Christine adulte. Mais aussi Charline Grand, qui joue Christine de 25 à 45 ans, tranchante et nette, amazone les mains dans les poches de sa jupe, en dépit de sa perte. Le Voyage dans l’Est, mise en scène de Stanislas Nordey, au TNS jusqu’au 8 décembre puis au théâtre Nanterre-Amandiers du 1 au 15 mars. https://www.tns.fr/LeVoyageDansLEst Légende photo : «Christine» est incarnée par plusieurs actrices à des âges différents. (Jean-Louis Fernandez/Jean-Louis Fernandez)
La pièce explore le quotidien d’un hôpital psychiatrique et de ses patients abîmés par la vie. Avec humour et une forme de légèreté apportée par la danse et le cirque.
« Black March, c’est l’endroit où Beethoven rencontre un zèbre », indique malicieusement la jeune autrice Claire Barrabès, « l’endroit où un grand pianiste fait face à une jeune mère, où flottent des nuggets, des steaks trop cuits, des chaussettes, des mégots, où l’odeur du tabac froid et de l’alcool évoquent Gainsbourg… »
Black March, c’est un spectacle qui explore, à travers un humour teinté d’absurde et de poésie, le quotidien en hôpital psychiatrique de personnages endommagés par la vie. Bertrand, Minona, Ralph essaient de remonter la pente, de donner un nouveau sens à leur existence.
La mise en scène de Sylvie Orcier convoque les énergies du théâtre, de la musique, de la chanson et de la danse pour éclairer avec force les mécanismes de la violence qui structurent notre société. Ici, le jeu se déploie dans toute sa profondeur et son expressivité. Black March nous fait rire et nous émeut, réveille la part de sensible, de ridicule et d’utopie qui sommeille en nous.
Black March Une ode aux êtres abîmés, rugueux, fragiles, drôles. De Claire Barrabès Mise en scène Sylvie Orcier Avec Djibril Mbaye, Aline Le Berre, Pablo Elcoq, Patrick Pineau, Lauren Pineau Orcier, Eliott Pineau Orcier
Musique – Pablo Elcoq
Production : Compagnie Pipo, Théâtre-Sénart – Scène nationale, Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique.
La compagnie Pipo est conventionnée par la Région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle ainsi que par le ministère de la Culture et de la Communication DRAC Île-de-France.
Par Philippe Lançon dans Libération - 28/11/2023 Dans une mise en scène sanglante au théâtre de l’Odéon, Stéphane Braunschweig livre avec virtuosité une version féministe de la tragédie aux amours frustrés. Andromaque, une histoire féministe d’après-guerre ? C’est la vision chic et choc de Stéphane Braunschweig à l’Odéon. Commençons par la guerre. La mise en scène la suggère sans dentelle. Sur le plancher de l’immense scène noire, il y a cette table blanche avec trois chaises blanches, dont deux renversées, signe que celle de Troie a eu lieu, avec ses désordres et ses massacres, son côté fin de banquet assassin. Au milieu, un grand cercle humide de sang où les personnages en longs vêtements sombres font floc floc en bottes et pataugas, s’aspergeant parfois dans le genre gore. Leurs postillons finissent dans la flaque, miroir humide de leur drame et de leurs dilemmes, comme les jurons du capitaine Haddock. Ce cercle d’une guerre toute fraîche rappelle l’exergue bouddhiste du Cercle rouge, le film tragique de Melville : quels que soient leurs chemins, au jour dit, inéluctablement, les hommes «seront réunis dans le cercle rouge». C’est l’endroit où, comme dit Oreste avant de conclure la pièce en devenant fou, «mon malheur passe mon espérance». C’est l’enfer. Mais la langue de Racine, dans sa troisième pièce, merveille de virtuosité transparente, sans ride et sans pitié, continue tel Orphée à fasciner ces animaux tranquilles que sont les spectateurs. Grand classique de l'âme humaine Malgré les flocs flocs et les postillons, les comédiens la disent plutôt bien, voire très bien, cette langue : «J’ai vu mon père mort, et nos murs embrasés, /J’ai vu trancher les jours de ma famille entière, /Et mon époux sanglant traîné sur la poussière, /Son fils seul avec moi réservé pour les fers.» C’est Andromaque, la femme d’Hector, qui parle à Céphise, sa suivante qui mime la douleur impuissante avec des battements d’albatros. Elle et son fils Astyanax sont prisonniers de Pyrrhus, fils d’Achille, lequel a tué Hector. Ils sont un butin de guerre. Pyrrhus, tout jeune, a beaucoup égorgé dans Troie envahie par les Grecs. Maintenant, à la fureur de ceux-ci, il rejette Hermione, fille d’Agamemnon et sa promise, et il veut épouser cette prisonnière qui a toutes raisons de le haïr. Il le sait et le lui dit avec un cynisme tranquille : «La haine, le mépris, contre moi tout s’assemble. /Vous me haïssez plus que tous les Grecs ensemble. /Jouissez à loisir d’un si noble courroux.» Convoiter à mort l’objet interdit : un grand classique de l’âme humaine. Le marché que Pyrrhus propose à Andromaque est simple : ou tu viens dans mon lit, ou je livre ton fils à mes potes grecs qui le tueront, en tant que dernier rejeton des Troyens. Aujourd’hui, on appelle ça du chantage, du harcèlement, du viol, bref, une manifestation criminelle du patriarcat. En 1667, Racine est plus nuancé. Dans sa célèbre épître à Madame, belle-sœur de Louis XIV, il affirme avoir adouci «un peu la férocité de Pyrrhus». Pourquoi ? Parce que les héros tragiques ne doivent être «ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants». Racine pense qu’il ne faut pas «qu’ils soient extrêmement bons, parce que la punition d’un homme de bien exciterait plutôt l’indignation, que la pitié du spectateur ; ni qu’ils soient méchants avec excès, parce qu’on n’a point pitié d’un scélérat. Il faut donc qu’ils aient une bonté médiocre, c’est-à-dire, une vertu capable de faiblesse, et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute, qui les fasse plaindre, sans les faire détester». Peut-on sauver le soldat Pyrrhus ? Il y a vingt, trente ans, on le faisait encore sans problème. Mais maintenant ? Alexandre Pallu y parvient. Géant, barbu, à la fois tendu et puissant, maître de lui et hors de lui, c’est une masse d’ambiguïté sauvage ; c’est le clou du spectacle. Des femmes puissantes et impuissantes La pièce a été longtemps réduite à la fameuse phrase : Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime un mort. C’était la tragédie politique des amours frustrés, toutes catégories confondues. On n’a pas forcément évolué en amour, mais on perçoit autrement ses manifestations, et, surtout, les rapports de force entre hommes et femmes. Il n’y a pas, dans Andromaque, un seul type d’amour – si amour il y a. Oreste aime Hermione comme un masochiste plaintif et désespéré. Il gémit plus qu’il n’agit. Hermione aime Pyrrhus comme une princesse orgueilleuse et humiliée. Elle finit par une leçon de mauvaise foi qui fait rire le public en détruisant Oreste. Pyrrhus n’aime Andromaque que pour la posséder. Il n’y a guère qu’Andromaque dont l’amour soit digne, mais celui qu’elle aime a rejoint le territoire fantasmatique des souvenirs. Si les absents ont toujours tort, les morts ont souvent raison. Le choix que la veuve doit faire est impossible : ou bien elle couche avec le tortionnaire de sa famille, ou bien elle sacrifie son fils. Elle décide d’épouser, puis de se tuer avant la nuit de noces. L’assassinat de Pyrrhus par les soldats d’Oreste lui évite le suicide tout en lui procurant un nouveau statut de veuve en colère, qu’elle accepte. Andromaque : deux fois vertueuse, deux fois veuve. Braunschweig insiste sur l’aspect «femmes puissantes» des deux héroïnes de la pièce, c’est de saison. De fait, Hermione et Andromaque le sont : puissantes, et impuissantes. Hermione est en tenue «sport» noire et se balade sur scène les mains les poches, d’une rage super cool, comme si elle sortait d’un café d’Oberkampf pour entrer dans un restaurant de Belleville. Cependant, plus la pièce avance, meilleure elle est. La scène où elle manipule ce souffre-douleur d’Oreste pour l’inciter à tuer Pyrrhus («Vengez-moi, je crois tout»), Chloé Réjon qui l’incarne la réussit. Celle où elle reproche au même un meurtre qu’elle a pourtant commandité devient presque un moment de comédie. Comment Racine le voyait-il, en écrivant : «Ah ! Fallait-il croire une amante insensée ? /Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ? Et ne voyais-tu pas dans mes emportements, /Que mon cœur démentait ma bouche à tous moments ? Quand je l’aurais voulu, fallait-il y souscrire ?» Bonne psychologue, Hermione ; mais à la Pyrrhus : un peu tard, et vainement. Andromaque, enfin, est jouée par Bénédicte Cerruti. C’est la plus tragédienne de la troupe, la plus vibrante, la seule qui soit vêtue de blanc. Hermione se tue, Pyrrhus est tué, Oreste devient fou. La voilà seule, sur scène, face à nous, une poupée dans les bras, survivant à tout et à tous, comme rarement la vertu. Philippe Lançon / Libération Andromaque de Racine, mise en scène de Stéphane Braunschweig, au théâtre de l’Odéon. Jusqu’au 22 décembre. https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2023-2024/spectacles-2023-2024/andromaque-23-24
|
Article de Fabienne Pascaud dans Télérama - 8 décembre. 2023 Malgré une programmation audacieuse et des taux de remplissage plus que satisfaisants, le metteur en scène ne souhaite plus diriger le Théâtre de l’Europe, à Paris. Que signifie sa brusque défection ? Et s’il y avait désormais quelque chose de pourri au royaume du théâtre public, où les cinq institutions nationales seraient toutes aujourd’hui en déficit ? Comme il l’a annoncé ce matin à son conseil d’administration, et comme il l’avait écrit voilà trois semaines à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, le metteur en scène et scénographe Stéphane Braunschweig, 59 ans, n’a pas souhaité être reconduit le 15 janvier 2024 à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, qu’il dirige depuis 2016. Ne lui ayant donné aucune nouvelle sur son avenir depuis des mois, alors que pointait la fin de son mandat – un signe ? – Rima Abdul Malak n’a pas insisté pour retenir celui qui fut le premier directeur du Centre dramatique national d’Orléans (1993-1998), ex-directeur du Théâtre national de Strasbourg (2000-2008) et du Théâtre national de la Colline (2010-2016). Trente ans au service du théâtre public, dont trois théâtres nationaux, méritaient mieux que ce silence. Mais le ministère est hélas coutumier de ces atermoiements à la tête de nos institutions culturelles, du Château de Versailles au Parc de la Villette. Parce que le président de la République les retarde abusivement pour y mettre le nez sans faire confiance aux choix de sa ministre ? Signalons, entre autres, que Wajdi Mouawad n’est toujours pas officiellement renommé (ou non) à la tête du Théâtre national de la Colline et assure son propre intérim depuis le… 28 mai 2023. Que signifie réellement la brusque défection de Stéphane Braunschweig, alors que sa programmation 2023-2024 est passionnante et audacieuse, les salles remplies à 83 % de public payant, sa dernière mise en scène – Andromaque –, une réussite, et qu’en février 2023, toujours désireux de poursuivre l’aventure de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, il faisait encore le tour des conseillers culture du Président, du Premier ministre et des services de Rima Abdul Malak pour annoncer ses intentions Et s’il y avait désormais quelque chose de pourri au royaume du théâtre public, où les cinq institutions nationales – dont Chaillot, La Colline, le TNS de Strasbourg, la Comédie-Française – seraient toutes aujourd’hui en déficit ? Une politique du théâtre public dépassée Stéphane Braunschweig a pris sa décision en découvrant que l’Odéon-Théâtre de l’Europe n’avait plus la moindre marge artistique, la saison prochaine, pour produire des spectacles, alors que celle-ci était encore de 1,5 million en 2017, et de 3 millions lorsque son prédécesseur, Olivier Py, avait pris le poste en 2007. Autrement dit : la subvention de l’État (12 930 000 euros) ne couvre aujourd’hui que le fonctionnement du théâtre. Or dès 2022, l’augmentation de la masse salariale annuelle cadrée par le ministère (sans que des subventions supplémentaires soient accordées pour la réaliser), l’inflation généralisée, l’augmentation des coûts liés à l’électricité, la sécurité, provoquèrent à l’Odéon un déficit de 2 millions, puis de 1,8 million en 2023. Mais grâce aux aides de l’Etat reçues pendant le covid, le théâtre a pu aussi constituer des réserves lui permettant de les résorber et de poursuivre sa programmation ambitieuse. Une nouvelle génération de femmes metteuses en scène y a fait ses preuves – à l’Odéon, elles sont désormais à l’affiche à parité avec leurs confrères –, des coproductions à l’international ont permis de remplir la mission européenne attachée au nom même du lieu, et de jeunes créateurs en devenir ont été découverts. Autant d’objectifs irréalisables la saison prochaine, l’État exigeant de réduire drastiquement le déficit et condamnant Stéphane Braunschweig à déplacer au printemps 2025 une création prévue à l’automne 2024. Comme d’annuler, vraisemblablement, son propre spectacle – La Mouette, de Tchekhov – prévu à la rentrée. À quoi bon diriger un théâtre national qui ne pourra plus remplir ses missions essentielles ? Redistribuer ses moyens financiers pour soutenir ses artistes associés, mieux irriguer le vivier des compagnies émergentes intéressantes et des créateurs européens. Sans compter que cet établissement-là n’est pas facile à gérer, véritable fer de lance des luttes syndicales du spectacle vivant quand ce n’est pas de la France entière. Vingt-deux jours de grève en 2022, dix-sept en 2023, avec autant d’annulations de représentations. L’heure n’est plus aux mesurettes La décision de Stéphane Braunschweig est un signal. Elle devrait inciter le ministère à repenser, refonder enfin une politique du théâtre public dépassée, depuis trop longtemps en crise et condamnée à un déficit chronique, des théâtres nationaux jusqu’aux Centres dramatiques nationaux (CDN). L’heure n’est plus aux mesurettes, telle cette récente « Relève » annoncée par la ministre en veine de communication. Certes, il n’y a plus guère de vocations nouvelles pour diriger nos scènes nationales et autres théâtres publics, mais c’est justement parce que la tâche y est à redéfinir, et des choix politiques courageux à faire. Y a-t-il trop de lieux mal financés ? Est-ce à un artiste de diriger forcément un théâtre national, un CDN ? Et avec quels moyens, quelles missions nouvelles dans la société française de 2024 ? Seulement, le courage nécessaire à cette mise à plat-là, avec les risques sociaux qu’elle comporte, pour réinventer un système jusqu’alors fécond que le monde entier nous envie, personne ne l’a. Fabienne Pascaud / Télérama Photo Julien Pebrel/M.Y.O.P.
Par Véronique Hotte dans WebThéâtre - 6 déc. 2023 Qu'est-ce que l'acte de création ? Entre l'oeuvre d'art et l'acte de résistance, s'impose une affinité, tel est le constat deleuzien. L'acte de création s'oppose aux injonctions du pouvoir, selon Deleuze,et le spectacle Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? est un « acte de résistance » dans un contexte de crise des libertés. Le spectacle serait une histoire autour de la discussion qu’on peut engager avec une pensée philosophique complexe, une conférence philosophique projetée sur un plateau de théâtre. Qu’est-ce que l’acte de création ? Entre l’oeuvre d’art et l’acte de résistance, s’impose une affinité, tel est le constat deleuzien. L’acte de création s’oppose aux injonctions du pouvoir, selon Deleuze, et le spectacle Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? est un « acte de résistance » dans un contexte de crise des libertés. Le spectacle serait une histoire autour de la discussion qu’on peut engager avec une pensée philosophique complexe, une conférence philosophique projetée sur un plateau de théâtre. Inspirée de la conférence de Gilles Deleuze le 17 mars 1987 à la Fémis et du film Les Sept Samouraïs de Kurosawa, le spectacle immersif de Margaux Eskenazi, Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?, ouvre un dialogue entre gens de théâtre et spectateurs, réunis pour inventer ensemble de nouveaux récits. La conférence se révèle salvatrice et pallie à une crise de foi de la metteuse en scène durant la pandémie, ouvrant un dialogue avec Kurosawa, Villon, Shakespeare, Virginia Woolf, des paysans japonais du XVI è siècle, des lignes basses, Bach et le public confiné. Le spectacle immersif met en question le doute, à travers celui des Sept Samouraïs de Kurosawa dont les personnages médiévaux japonais s’interrogent sur leur utilité. Ils acceptent de défendre un village pour trois bols de riz, pas pour la fortune donc, ni pour la gloire. Pourquoi ? Parce que derrière la question apparente d’une urgence, s’en cache une autre plus intense, un rêve à soi. Et le comédien Lazare Herson-Macarel - narrateur et personnage à la fois de Margaux Eskenazi et de Gilles Deleuze - s’adresse aux spectateurs assis à côté de lui ou plus loin, s’explique, prépare le terrain. Il se rêve en samouraï d’un Japon médiéval en période de crise 2020, incarnant ce jeune homme qui rêve de devenir samouraï et suit un vieux maître pour une initiation révolue puisque seigneurs et paysans se défendent contre les brigands seuls à présent, sans leur aide. Se pose ainsi la question existentielle : « être ou ne pas être », entre Shakespeare et L’Idiot de Dostoïevski. La conceptrice est tout à tour le jeune apprenti samouraï et elle-même, jouant sa quête sur scène. S’installe un dialogue à trois voix entre le film, la conférence et le public attentif, dans l’approximation des relations, identifications, jeux scéniques sur le plateau, et la musique en live. La scénographie dessine une forme ovale de refuge, comme dans le film de Kurosawa : des piliers de bois brut suspendus, quelques rondins en guise de sièges à même la terre, des stores et paravents japonais de bambou qui tiennent lieu d’écran de cinéma pour la projections des scènes significatives du film culte, une palissade à claies, un treillage duquel surgit une lumière tamisée. Des branches de cerisiers en fleurs, des cordes pour signifier le territoire, des épis de foin et de paille jetés sur le plateau, une atmosphère rustique d’un autre temps, sombre et lumineuse. Le bassiste Malik Soarès joue de la Lap Steel : ambiance américaine des grands espaces sur laquelle se greffe la musique de western des Sept Samouraïs - un tissage scénique, musical et visuel pour une compréhension intellectuelle, sensible et physique du rapport de l’art au monde. L’ouverture bercée d’espaces poétiques, sonores et visuels à travers une attention active dans la proximité du public, des acteurs et techniciens. Entendre, voir, sentir et imaginer. L’art résiste : « il y a un rapport si étroit entre l’acte de résistance et l’oeuvre d’art. Tout acte de résistance n’est pas une oeuvre d’art, bien que d’une certaine manière elle en soit. Toute oeuvre n’est pas un acte de résistance et pourtant d’une certaine manière, elle l’est. » (Gilles Deleuze) La Ballade des pendus de François Villon fait entendre son leitmotiv lors de la performance scénique, musicale, poétique et cinématographique : « Frères humains, qui après nous vivez, N’ayez les coeurs contre nous endurcis, (…) Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » La communication est la transmission et la propagation d’informations qui ne sont que des mots d’ordre dans une sphère sociale éclatée ; les XX è et XXI è siècles se perdent dans une crise de tous les milieux d’enfermement - prison, hôpital, usine, école, famille : le monde est à réinventer. Lumières tamisées, ombres, débris de paille, tenue de samouraï appropriée, espace poétique et discours - philosophie, cinéma et littérature, voilà un vrai plaisir de spectateur -, où les questions d’enfermement restent d’actualité avec la coexistence de clôtures contemporaines et sociales qu’il faudrait savoir transcender pour s’émanciper enfin de toute aliénation : rêver une société autre. Et sauver l’existence, s’appliquer à réfléchir et créer dans les interstices faufilés de l’art et de soi. Véronique Hotte / WebThéâtre Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?, conception et mise en scène de Margaux Eskenazi, avec des extraits de la conférence de Gilles Deleuze « Qu’est-ce que l’acte de création ? » réalisée à la Fémis en 1987 et publiée aux Editions de Minuit dans Deux régimes de fous et autres textes (1975-1995), et inspirée des Sept Samouraïs de Kurosawa. Dramaturge de Chloé Bonifay, Guillaume Clayssen, espace Julie Boillot-Savarin, composition musicale et son Malik Soarès, vidéo Jonathan Martin, lumière Marine Flores, costumes Sarah Lazaro, photo et vidéo Loïc Nys-Sileks. Avec Margaux Eskenazi, Lazare Herson-Macarel et Malik Soarès. Du 8 au 17 décembre 2023, du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30, au Théâtre de la Tempête - Cartoucherie - 75012 Paris. Tél : 01 43 28 36 36, www.la-tempete.fr Crédit photo :Loïc Nys
Par Gérald Rossi dans L'Humanité - 1er déc. 2023 Politique et poétique, « À huis clos » de Kery James, mis en scène par Marc Lainé, pointe violences policières et errements judiciaires, à la façon d’un polar. Monsieur le juge est là, dans son appartement cossu des beaux quartiers de Paris, dans son bureau où le soir il travaille encore. Une fois de plus Nicolas Rittner vient de dire à sa fille, au téléphone, qu’elle fait un mauvais choix en voulant vivre avec ce musicos qu’il ne peut pas voir en peinture. Quand un coursier sonne à l’interphone, Monsieur le juge ouvre la porte. Puis tout bascule. Le voilà face à un homme qu’il ne reconnait pas, et surtout face au pistolet braqué sur lui. Ce n’est pas un cambriolage. Le rappeur, cinéaste, auteur Kery James (Franco-Haïtien, il est Alix Mathurin pour l’état civil) entame ainsi son dernier opus, « À huis clos ». Il en est l’un de deux interprètes, avec une belle assurance, en compagnie de Jérôme Kircher, parfait également. Kery James, que l’on a pu entendre il y a quelques années à la Fête de l’Humanité, ou encore dans une soirée de solidarité avec Salah Hamouri et que l’on sait proche des Gilets jaunes, ne veut pas être fiché comme un militant contre les inégalités, mais bien davantage comme un passeur d’idées. « À vif » sa première pièce (2017) revendiquait son caractère politique en confrontant deux avocats représentant chacun une France opposée l’une à l’autre. Dans son film, « Banlieusard », vu plus de deux millions et demi de fois sur Netflix, le même thème était présent. Densité de la situation Cette fois, Kery James est toujours dans la peau de l’avocat Soulaymaan Traoré. Mais il fait face à un juge. Pas n’importe lequel. Nicolas Rittner a présidé la cour d’Assises qui a disculpé le policier ayant abattu son grand frère d’une balle tirée dans le dos pendant sa fuite. Les deux garçons n’avaient pas suivi le même chemin, l’un celui du deal, l’autre celui des prétoires. La robe d’avocat sur la scène n’empêche pas le citoyen Kery James de dire dans une interview : « Quand je suis dans ma voiture et que je croise une patrouille de police je suis un Noir comme un autre. » Ce qui en dit long, et explique combien, forcément, « la pièce est politique ». Sans jouer la carte partisane, mais pour faire tomber des barrières. D’ailleurs « si les gens se parlaient réellement, ils se trouveraient plein de points communs ». On pourrait, certes, objecter que « À huis clos » est un spectacle bavard. Ce qui serait un peu injuste, tant les échanges, certes très denses entre les deux personnages, sont porteurs non seulement de leurs différences, mais aussi de leurs espoirs enfouis, de leurs questionnements intimes. La mise en scène précise est signée Marc Lainé. Deux caméras téléguidées tournent sur des rails autour du plateau, produisant en permanence une image projetée au dessus de la scène ce qui ajoute à la densité de la situation. Soulaymaan cite en exemple l’Allemagne où « en dix ans la police a tué une personne lors d’un refus d’obtempérer » alors qu’en France « rien qu’en 2022 elle en a tué quinze ». Le propos n’est pas neutre. La pièce non plus. Le soir de la première, la salle s’est levée pour applaudir. Jusqu’au 3 décembre, Théâtre du Rond-Point, Paris 8e, téléphone : 01 44 95 98 21; theatredurondpoint.fr . En tournée dès le 8 décembre : Le Creusot, Vénissieux, Colombes, Caluire, Grenoble, Annecy, le Mans, etc. Légende photo : Kery James et Jérôme Kircher dans « À huis clos ». © Koria
Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 4 décembre 2023 Au TNP de Villeurbanne, le cinéaste italien s’empare de deux courtes pièces de Natalia Ginzburg sur le couple, sans trouver sa voie entre sérieux et légèreté.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/12/04/avec-diari-d-amore-nanni-moretti-manque-son-premier-rendez-vous-avec-le-theatre_6203858_3246.html
Nanni Moretti pouvait-il faire mieux ou autrement ? A l’issue de Diari d’amore, diptyque de Natalia Ginzburg présenté au TNP de Villeurbanne (Rhône), on cherche, un peu dépité, les raisons qui ont persuadé le cinéaste de troquer les plateaux de tournage pour les planches de théâtre. Agé de 70 ans, l’immense réalisateur italien signe sa toute première mise en scène. Un pari audacieux, mais une opération risquée, dont le résultat désarçonne. Moretti, qui sait si bien traquer les intimités, et dont la caméra révèle, avec délicatesse et humour, l’humanité des êtres, passe à côté des possibles de la scène. Le problème est qu’il ne suffit pas de bien diriger des comédiens pour que naisse le théâtre. Et qu’on ne s’improvise pas au débotté metteur en scène. D’autant moins lorsque les textes créés se dérobent à l’évidence. Peu jouée en France, Natalia Ginzburg (1916-1991), écrivaine italienne dont l’œuvre brasse romans, poésie, essais, est mise à l’honneur avec deux courtes pièces qui ne sont pas de la première jeunesse. La première, Dialogo, un huis clos conjugal écrit en 1970, se passe entièrement dans le lit d’un couple. Une configuration inédite qui condamne les acteurs à exposer, à l’horizontale, leurs soucis : créativité en berne de l’époux et infidélité de sa femme. Le second temps du diptyque élargit les perspectives vers un salon bourgeois équipé d’un canapé chic scindé en deux parties. Un portrait de groupe succède au huis clos. Paru en 1966, Fragola e panna parle, là encore, d’un couple, dont la déroute sentimentale a pour témoins la maîtresse du mari, la sœur de l’épouse et la bonne de la maison. Représentation aseptisée Au-delà d’un comique de situation qui aime faire son miel des aveux d’adultère, on sent pointer la nature plus rugueuse du propos. Le couple est un vernis fragile qui dissimule des fissures infectées. Les femmes rêvent d’émancipation mais ne quittent pas le domicile conjugal. La médiocrité des maris n’a d’égale que leur misogynie. Les conflits larvés entre classes sociales affleurent. Les rêves d’élévation des protagonistes se heurtent à une réalité indépassable. Tous ces thèmes circulent sous la plume de l’autrice dans un spectacle qui file à la vitesse de l’éclair : pas plus d’une heure trente entre le premier et le dernier mot. C’est assez pour qu’on ne sache jamais avec certitude sur quel pied danser, la représentation hésitant constamment entre deux options : explorer avec rigueur les intériorités tourmentées des héros ou transformer leurs doutes en rire franc, dans un geste boulevardier assumé. Ce pas de deux d’une proposition écartelée entre sérieux et légèreté finit par desservir Natalia Ginzburg, dont on ne retient, en bout de course, que l’écume. Mais on attendait sans doute trop de ce premier rendez-vous du cinéaste avec les planches. Tétanisé par le cadre de scène, il livre une représentation aseptisée. En lieu et place des profondeurs qui vibrent dans ses films, le manque de relief d’un plateau privé de courant électrique. Aucune torsion de rythme ne muscle une durée étale. A défaut de lumières qui la métamorphoseraient, la scène accuse une terne esthétique. La parole s’écoule continûment dans un flot qui submerge les sens plus qu’il ne les sculpte. En dépit du jeu irréprochable d’acteurs aguerris, Nanni Moretti échoue à faire théâtre de son désir de théâtre. Diari d’amore (Fragola et panna/Dialogo), textes de Natalia Ginzburg, mise en scène de Nanni Moretti. Avec Valerio Binasco, Daria Deflorian, Alessia Giuliani, Arianna Pozzoli, Giorgia Senesi. TNP, Villeurbanne (Rhône). Jusqu’au 7 décembre. Tnp-villeurbanne.com ; à L’Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, Paris 9e, du 6 au 16 juin. Joëlle Gayot Légende photo : Giorgia Senesi et Daria Deflorian dans « Diari d’amore », de Nanni Moretti, au Teatro Stabile, à Turin (Italie), en octobre 2023. ALBERTO NOVELLI ------------------------------------------ Nanni Moretti met amoureusement en scène des courtes pièces de Natalia Ginzburg Double première : une fois n’est pas coutume, le cinéaste Nanni Moretti fricote avec le théâtre en mettant en scène sous le titre « Diari d’Amore » deux pièces de l’italienne Natalia Ginzburg inconnues en France Les romans de l’écrivaine italienne Natalia Ginzburg, pour la plupart, ont été édités en traduction française (chez Denoël ou Flammarion le plus souvent), tout comme son récit autobiographique Les mots de la tribu (Grasset) qui lui valut en Italie le prix Strega (l’équivalent du Goncourt) en 1963. En France, certains de ces textes ont été adaptés au théâtre mais aucune de ses pièces ne semble avoir été traduite. C’est donc une double curiosité qui nous anime en allant voir les débuts au théâtre comme metteur en scène du cinéaste Nanni Moretti lequel, avec des actrices et des acteurs italiens aguerris, met en scène deux courtes pièces de Natalia Ginzburg : Dialogo (Dialogue) et Fragola e panna (Fraise et chantilly) non traduites comme les autres. Deux pièces écrites il y a un demi siècle : l’une à la fin des années 60, l’autre au début des années soixante dix. On se grattant le ciboulot on peut y voir une vague, très vague parenté avec des écrivains de l’époque : Harold Pinter, Sam Shepard, Françoise Sagan, par exemple. Par ailleurs, on est loin, très loin du théâtre de boulevard. Disons que cela butine plutôt dans les allées des nouveaux désordres amoureux et familiaux. Un théâtre qui pianote une gamme de sentiments variées. Rien de tragique. Mais un lot de tracas. Décor sommaire (ici un lit ici, là un double canapé) tout est dans le jeu et le dire C’est le matin, Francesco et Marta sont dans leur lit et s’y attardent. Le bébé dort dans la pièce d’à côté, la bonne ne va pas tarder à arriver. Marta a quelque chose à dire à son mari , mais elle hésite, retarde le moment. Alors on se chamaille gentiment sur une histoire de chien, des questions domestiques (la baignoire pleine de linge sale, le pain devenu dur), la bonne Concetta qui les énerve, Francesco qui a perdu son travail mais travaille à un roman, l’argent qui manque pour faire des folies et inviter leurs amis les plus proches Elena et Michele (lui aussi écrit, mais ses livres sont publiés) et Angelina, la sœur d’Elena qui énerve tout le monde . Marta finira par lâcher le morceau : elle entretient une liaison avec Michele et veut refaire sa vie avec lui. Mais les couples légitimes ; forts en atavisme, ont la vie dure comme on le verra à l’épilogue. C’est vif, plaisant, bien mis en scène et très bien joué par Valerio Binasco, Alessia Giuliani en compagnie de Giorgia Senesi et Arianna Pozzoli . On retrouve une structure proche dans Fraise et chantilly : une femme, Flaminia, son mari, l’avocat Cesare. L’ amie Letizia et Tosca la domestique Le couple n’a plus grand chose à se dire et n’a pas d’enfant. Cesare trompe son épouse et ne s’en cache pas. Tout commence par l’arrivée d’une autre femme, Barbara. Elle a 18 ans et déjà un enfant d’un an et demi. Elle vient de quitter son mari violent dans la nuit en sautant par la fenêtre. Elle veut voir l’avocat. Barbara connaît Cesare. Ils ont eu une relation, elle l’a avoué à son mari qui l’a battue, etc. Que faire avec cette jeune femme battue et perdue ? Laeticia suggère un établissement de religieuses qu’elle connaît. A peine arrivée, Barbara s’enfuit. Que va-t-elle devenir elle qui aimait tant les glaces à fraise avec de la chantilly? Et son enfant ? Vivant dans un autre monde, l’ avocat, sa femme, et leur amie ne s’en soucient pas. Ils partent en croisière. Un théâtre de l’aigre-doux qui n’a pas prie une ride et que restituent parfaitement les comédiens sobrement dirigés par Nanni Moretti Jean-Pierre Thibaudat / Balagan TNP de Villeurbanne, jusqu’au 7 déc, du mar au sam 20h, dim 15h30, sf lun. Puis Théâtre de Châteuvallon les 12 et 13 déc, Théâtre de la criée à Marseille du 15 au 17 déc, Maison de la culture d’Amiens les 25 et 26 janv, Théâtre de l’Athénée du 6 au 16 juin
Article de Guillaume Lasserre dans son blog - 02/12/2023 Carole Thibaut, femme chevalière Dans son nouveau spectacle solo, Carole Thibaut explore la question du genre et du pouvoir à partir de son expérience personnelle. Comédienne, autrice, metteuse en scène, mais aussi directrice d’institution, elle s’interroge sur la façon de ne pas être récupérée par le pouvoir. Comment sortir du système ? « Ex machina » prend alors des allures de performance d’empowerment.
C’est elle qui accueille les spectateurs en bord de scène fermée par un rideau de velours rouge au charme suranné. Carole Thibaut est comédienne, autrice, metteuse en scène et dirige depuis 2016 le Théâtre des Ilets à Montluçon, plus petit Centre Dramatique National de France. En tant que directrice, elle vient présenter le spectacle, rappelle les règles à respecter pour vivre cette soirée ensemble, demande que l’on éteigne nos téléphones portables, entre autres. La liste est un peu plus longue que d’habitude mais il est important parfois de prendre le temps pour nommer, avec beaucoup d’humour, des évidences qui ne le sont pas pour tout le monde. C’est aussi ça le rôle d’une directrice. Et pour honorer la tradition, elle propose le « petit sas rituel » du théâtre dans lequel vous vous trouvez, une chanson « qui entre en écho avec la thématique du spectacle[1] ». Les premières notes de musique sont familières, puis la voix de Nicole Croisille chante une véritable déclaration d’amour à celui qui « la fait se sentir femme (…) parce que tu es un homme et que tu es gentil ». Sortie en 1975, en plein mouvement féministe, alors que Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos mènent leurs enquêtes caméra au poing, la chanson « Une femme avec toi » est un immense succès, le plus gros de la carrière de la chanteuse. La relecture des paroles[2] peut aujourd’hui prêter à sourire tant elles sont emplies de béatitude, à la limite de la mièvrerie. Mieux vaut en rire qu’en pleurer dit l’adage, pas si sûr, surtout lorsqu’on connait un tant soit peu l’œuvre de Carole Thibaut. En tout cas, la comédienne-directrice l’interprète avec une fougue un peu trop appuyée pour être honnête, avant de rester interdite, laissant Nicole Croisille continuer seule. Sous la directrice semble déjà bouillir la comédienne. Elle quitte la scène. La chanson, choisie à dessein, donne le ton de ce qui vient. « Je suis une chevalière » Lorsque le rideau se relève, le décor est planté : côté cour, devant un second rideau de velours rouge si long qu’il déborde sur le plateau, une baignoire à pattes de lion dans laquelle est installée la comédienne, côté jardin, une petite télévision à tube cathodique rythme le récit, diffusant après le titre de chaque séquence, un flot d’images documentaires ou tirées d’archives familiales. Elles se brouilleront à mesure que le récit avance, au moment où sera arraché le rideau de velours rouge, métaphore du sang autant que du théâtre et de l’habit d’apparat. Pour le moment, un être anthropomorphe, tête de cerf et cape carmin, observe la scène. « Je suis une chevalière » dit-elle. « Juchée sur mon lion préféré, je parcours la plaine immense ». L’ambiance est médiévale. Elle félicite « gardiennes » et « soldates ». Dans cette dimension sans doute parallèle à la nôtre, le féminin l’emporte sur le masculin, le monde est inversé. C’est alors qu’une fille « rouge » se rue vers elle de manière bien peu protocolaire pour dénoncer : « Les garçons ils nous tirent vers le bac à sable, et là ils nous soulèvent la jupe et nous baissent la culotte ». Gagnée par la colère, la chevalière est prête à s’élancer pour donner l’assaut quand la petite fille lui rétorque : « Pfff ! Tu comprends rien », et repart pour se livrer elle-même « aux mains terribles de nos ennemis ». Estomaquée sur son lion, elle s’en va. Sur scène, Carole Thibaut parle maintenant de son père. « Dans chacun de mes textes j’ai parlé de mon père. Au fond je n’ai pas cessé de parler de mon père » avouera-t-elle. En l’occurrence, il est le personnage central de « Longwy Texas », bouleversant seul-en-scène autobiographique dans lequel elle raconte par l’intime la fin du bassin minier dans une région ne s’étant jamais remise de la disparition de la sidérurgie qui assurait sa fortune. Les souvenirs de la petite fille qu’elle était alors vont venir se fracasser sur la cruelle réalité des archives familiales[3]. Il est carrément dans le titre de « Faut-il laissé les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars[4] ? », pièce qu’elle a montée deux fois, pour l’instant, dans laquelle une femme reçoit la visite de son père qu’elle n’a pas vu depuis la mort de sa mère, dix ans auparavant, venu lui demander une ultime et terrible faveur. Dans « Ex Machina », elle parle de lui : « Papa croit aux valeurs travail. Au mérite individuel. A l’autorité. Le monde de Papa est un monde bien ordonné ». Elle avoue que chez elle, on ne parle de rien, exception faite des résultats scolaires, seuls échanges qu’elle entretient avec lui. Il affirmait encore : « Une femme qui travaille c’est la honte du mari. Cela signifie qu’il ne gagne pas assez pour entretenir sa famille ». Sa femme, la mère de celle qui est sur scène, avait cessé de travailler après leur mariage. Dans la famille, c’est le chef, le commandeur, le juge. Elle est la fille ainée, celle sur qui tombe régulièrement sa colère. « Avoir été la fille de ce père est une malédiction et une chance » dit-elle. « Mon père a été mon grand initiateur au royaume de la domination. C’est une chance d’être initiée tôt dans la vie ». De fait, lorsqu’elle parle domination, violence, injustice, elle parle de son père. Lorsqu’elle parle d’oppression des femmes, de luttes ouvrières, de révolution, elle parle de son père. Mais elle balbutie, se ravise. Ce n’est pas de son père qu’il s’agit, du moins, pas tout à fait. Il faudrait inclure tous les autres. « Sororité fait loi » Elle s’épanche, se dit qu’elle aurait dû faire une conférence, « quelque chose de sobre, de tenu ». Mais à trop vouloir écouter les conseils de son ami chorégraphe lui reprochant d’être trop cérébrale, elle se laisse – un peu trop à son goût – traverser par les émotions de son corps. Le récit se délite alors. La fiction et la réalité se confondent. La représentation se heurte à ses propres cadres. Est-on encore dans le spectacle ? Celui-ci bascule dans la performance. C’est à ce moment que les images de petit écran se brouillent. La musique, quasi décorative depuis le début, devient terrain de jeu, engendrant un être grotesque et monstrueux, seule façon pour dépasser la représentation de soi et réinvestir le récit. « Ça déborde, ça glisse » écrit Carole Thibaut dans sa note d’intention de mise en scène. Comment s’extraire de la machine ? « Toute vie est traversée par l’expérience de la domination » dit-elle avant de préciser : « Plus l’expérience est traversée tôt plus elle s’inscrit de façon indélébile dans nos chairs et notre âme qui poussent autour, avec, et l’englobent, comme l’écorce d’un jeune arbre recouvre la plaque de fer qu’on y a vissé. Sous l’écorce le fer rouillé, vissé à la chair de l’arbre ». Le corps, épuisé, laisse place à la parole. D’objet, elle redevient alors sujet. La possibilité de l’émancipation est partout à ce moment. « Il serait temps d’apprendre à compter au-delà de deux. Il serait temps d’embrasser nos multitudes, de rassembler notre puissance. Il est temps d’articuler notre parole. De hisser haut nos émotions et notre colère ». Le théâtre de Carole Thibaut navigue entre le réel et le poétique, entre l’intime et le politique. Depuis des années, elle amasse notes, pensées, réflexions, lectures, sur les mécanismes de domination et de pouvoir et les questions de genre. De cette mise en jeu d’elle-même qui est aussi une mise à nu, elle fait émerger un récit éloquent, une fable initiatique. Elle interroge le télescopage du genre et du pouvoir, de la petite fille élevée dans la tradition patriarcale à le jeune femme devenue actrice, à l’autrice et la metteuse en scène évoluant alors dans un milieu presque exclusivement masculin, à la directrice de compagnie et de théâtre qu’elle est devenue et ce rapport paradoxal au pouvoir, subi depuis ses débuts et maintenant exercé. Un peu plus tôt, elle avait usé de ce pouvoir sur un jeune homme. En inversant les rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes dans une société patriarcale, elle révèle le malaise. On se souvient encore du discours coup de poing qu’elle prononça lors de la fausse cérémonie des Molières organisée le 13 juillet 2018 pendant le Festival d’Avignon. « Je suis désolée. J’avais commencé à écrire un truc rigolo. Un de ces trucs pour lesquels on fait appel à moi de temps en temps. Oh tiens si on invitait Thibaut. Elle est rigolote Thibaut. C’est une excitée rigolote. Elle nous casse bien un peu les coucougnettes avec ses histoires d’égalité femmes-hommes, mais elle est rigolote. Elle pique des gueulantes rigolotes, bien brossées. Et puis elle met des jolies robes. Elle porte bien. Elle fait désordre policé. On devient vite le clown de service. Le bouffon du roi. Et ici le roi, comme ailleurs, c’est la domination masculine. Il a beau faire GENRE, le roi, il est et reste la domination masculine. Et moi j’en ai ma claque d’être la bouffonne de service de la domination masculine[5] ». Ce texte fort disait son agacement en même temps que sa lassitude de voir que rien ne bouge, qu’année après année, discours après discours, les pièces présentées dans le in sont toujours écrites par des hommes – en l’occurrence 90% l’année du discours. « Ex Machina » prolonge en quelque sorte ce discours, car il doit hélas être prolonger. Il est heureux de constater que, loin de s’assagir ou d’abdiquer en vieillissant, Carole Thibaut est toujours debout, toujours en colère. Et elle prouve à nouveau qu’il est de saines colères, de celles qui se transforment en énergie de création. Viols et agressions sexuelles sont racontés par fragments, laissant entrevoir l’effroyable banalité de l’exercice de la domination masculine sur le corps des femmes. Piétiner le patriarcat devient alors performatif. À chaque bribe de témoignage, elle plonge frénétiquement sa tête dans l’eau maintenant glacée de la baignoire, scène de torture auto-infligée pour tenter sinon de matérialiser, du moins de s’approcher du resenti que doit provoquer cette violence sourde, indicible. Dans un déchainement corporel, Marylin, monstre difforme et grotesque, chantera une dernière fois que son cœur appartient à papa. Plus personne ne rira. Guillaume Lasserre [1] Ex Machina est publié avec Longwy-Texas par Lansman Éditions, Manage, Belgique, 2023, 76 pp. [2] À l’origine, c’est un tube italien de Mia Martini sur la musique et les paroles d’Alfredo Ferrari et Vito Pallavicini, la même année Pierre Delanoë en écrit l’arrangement en français qui sera interprété par Nicole Croisille. Extraits : « Tu étais gai comme un italien/ Quand il sait qu'il aura de l'amour et du vin Et moi pour la première fois/ Je me suis enfin sentie/ Femme, femme, une femme avec toi » ou encore : « Tu ressemblais un peu à cet air d'avant/ Où galopaient des chevaux tous blancs/ Ton visage était grave et ton sourire clair Je marchais tout droit vers ta lumière ». [3] Guillaume Lasserre, « Qui a tué Longwy », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Mediapart, 1er juin 2018, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/120518/qui-tue-longwy [4] Guillaume Lasserre, « L’adieu au père de Carole Thibaut », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Mediapart, 16 mai 2021, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/070521/ladieu-au-pere-de-carole-thibaut [5] Extrait du texte écrit par Carole Thibaut et lu au jardin Ceccano le 13 juillet 2018, à l’invitation de David Bobée pour le feuilleton Madame, Monsieur et le reste du monde dans le cadre de la programmation du festival in d’Avignon – séance « Première Cérémonie des Molières non raciste et non genrée », https://www.arnaudmaisetti.net/spip/interventions-communes/article/carole-thibaut-la-domination-masculine-est-la-honte-de-tout-le-milieu-culturel
Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 1/12/2023 Dans une mise en scène sobre et efficace, Lilo Baur met en miroir la montée actuelle des populismes et celle des années 1930. Avec Laetitia Casta et Roschdy Zem en brillants interprètes d’Antonietta et Gabriele. Après Sophia Loren et Marcello Mastroianni, brûlants de sensibilité à vif, de solitude blessée dans le film d’Ettore Scola (1977), nombre d’acteurs de théâtre, dès 1982, se sont affrontés à cette Journée particulière du 8 mai 1938 ; quand, pour célébrer l’entente avec l’Allemagne et la présence de Hitler, son ami Führer, Mussolini organise dans Rome en liesse un immense défilé militaire. Jacques Weber s’y est collé plusieurs fois, et même à la mise en scène, Françoise Fabian et Corinne Touzet furent de très honorables et passionnelles Antonietta. Sans le charme énigmatique, la grâce feutrée, troublante et troublée qu’ont aujourd’hui la rayonnante et lumineuse Laetitia Casta et son sombre et tourmenté partenaire, Roschdy Zem, dirigés par la metteuse en scène suisse Lilo Baur. On n’attendait pas forcément sur un plateau ce duo-là, davantage porté sur le septième art que sur les planches. Mais leurs incertitudes mêmes, leurs doutes, leur fragilité quant à la manière d’y jouer en font un couple rare, émouvant et proche. Qu’a donc le film de Scola (1931-2016) pour séduire autant les comédiens ? Le sens du théâtre, sans doute, que manifeste dans tant de films (Affreux, sales et méchants, La Terrasse, Le Bal, Le Dîner) une unité de lieu propice aux huis clos, aux affrontements dramatiques ou comiques. Et cet art du scénario, aussi, des dialogues qui gueulent autant qu’ils cachent, qui découvrent autant qu’ils recouvrent. Il y a bien des silences et des secrets dans la vie d’Antonietta et de Gabriele. Elle, mère de famille modèle de six enfants, douce, inculte, fervente admiratrice du Duce, épouse d’un odieux et machiste fonctionnaire fasciste qu’elle sait la tromper allègrement. Lui, ex-journaliste à la radio d’État, intellectuel un peu snob, brutalement mis à pied parce que homosexuel soupçonné d’opposition au régime, et qui attend dans son appartement bien rangé que la police vienne le chercher pour le déporter à San Domino. Vivant dans le même immeuble d’un quartier populaire, aucun des deux n’est allé au défilé du Duce. Elle a trop de ménage à faire encore, il n’ose plus sortir. Et ces deux êtres si différents que rien n’unit vont se rencontrer, apprendre à se respecter, à s’écouter, à s’aimer, par le caprice d’un oiseau qui s’échappe de sa cage chez Antonietta pour se poser sur la fenêtre de Gabriele. Échanges d’abord banals, intimidés, puis curieux de l’autre, puis avides de l’autre, de sa présence dans le froid de l’absence qu’ils traversent chacun. Elle subit l’indifférence de sa propre famille endoctrinée, il est rejeté par la société. Le temps de cette journée si particulière, Antonietta et Gabriele vont juste goûter au bonheur du partage, du droit d’être différent ensemble dans un monde où grondent les populismes liberticides et mortifères. C’est d’ailleurs ce qui a poussé les deux productrices (Valérie Six et Claire Béjanin) à reprendre une fois de plus ce texte, finement traduit par Huguette Hatem : alerter sur les dangers qui aujourd’hui nous menacent, avec la montée de nos droites populistes qui se mettent si fort à ressembler à celles de 1938. Ce qu’exprime sobrement, délicatement, cette Journée particulière avec ses deux sacrifiés de la grande Histoire. Laetitia Casta, une onde de joie La mise en scène simple et directe de Lilo Baur le suggère sans pathos dans l’intimité d’un décor pauvret. Mais que Laetitia Casta éclaire constamment de sa spontanéité charnelle, de sa beauté sensuelle. Elle prend la lumière comme personne, bouge comme personne, avec une générosité de jeu, une évidence confondantes. Peu d’actrices dégagent en scène pareil rayonnement. Quand s’achève le spectacle, celle qui a avoué savoir à peine écrire prend ces Trois Mousquetaires que lui a offerts Gabriele et commence à les lire laborieusement. Elle est entrée soudain, grâce à lui, dans un autre monde, dont la voilà gourmande. Laetitia Casta apporte au rôle une onde de joie que n’offrait pas Sophia Loren. Mélancolique et taiseux, Gabriele disparaît et Roschdy Zem s’évanouit tragiquement dans les ténèbres. Elle reste, et devient notre espérance. Fabienne Pascaud / Télérama TT Une journée particulière, de Lilo Baur, d’après Ettore Scola, traduction Huguette Hatem, 1h30. Jusqu’au 31 décembre, Théâtre de l’Atelier, Paris 18e, tél. : 01 46 06 49 24. Puis du 10 au 12 janvier à Nice, du 19 au 20 à Châteauvallon, du 23 au 31 à Aix-en-Provence…
par Amélie Blaustein-Niddam dans cult.news, le 1er déc. 2023
La fresque européenne de Julien Gosselin arrive enfin à Paris, après une tournée monstre, au Théâtre de la ville dans le cadre de la programmation Hors les murs des Amandiers et au Festival d’automne. Une plongée démente, voir gore dans les méandres du pourrissement de notre civilisation. Magistral ! « Et si nous nous mettions à penser avec les corps ? » Comme le veut l’air du temps post-covid, le spectacle se fait avec les spectateurices. C’est donc sur scène que tout commence. Nous sommes à Rome, en 1983. Nous sommes en boite de nuit avec un open-bar, deux DJ au centre, et nous tout autour. Le public choisit d’aller où il veut, et comme dans un vrai club, on croise du monde, on se parle, on danse. Le son est techno, totalement 2023. Et puis vient l’image, caméra à la main, un homme suit plus particulièrement une grande femme blonde dans la foule devenue extrêmement compacte. La fiction arrive comme ça, comme un miracle. Et nous, les clubbers ébahis, nous scotchons sur l’écran et nous regardons cette fille chercher sa copine, elle est trop bourrée et donc très lyrique sur l’état du monde et de l’amour. Elle dit des choses sublimes du style : « Me voici mon amour, toi que j’ai tant attendu, prends-moi ». Les langues, l’allemand et le français, se mélangent. Les jeux sont très différents. Voir le naturalisme de la troupe du Volksbühne et le second degré de la compagnie « Si vous pouviez lécher mon cœur » est manifeste. « Les mots deviennent des yeux pour nous fixer » Gosselin nous ordonne de fixer justement, de regarder derrière les ombres. La pièce mélange des textes de Thomas Bernhard, Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler. Il y opère des mouvements dans le temps et l’espace. Nous sommes en 1983, puis à Vienne en 1913 – juste avant – et enfin de retour à Rome, aujourd’hui. À chaque fois, l’écran, comme au cinéma, est central. Mais Gosselin, en esthète du détail, sait exactement où nous faire regarder, fixer donc. La pièce est un faux triptyque. Elle se déroule en fait en un seul grand temps de 2h30 précédé d’un prologue et succédé d’un épilogue. Le tout est une critique acerbe et la beauté époustouflante des idées nauséabondes. Le tout dure cinq heures et prend des allures de voyages dans le temps. La séquence viennoise est une leçon de spectacle vivant. C’est éblouissant. Nous voici quelque part entre Eyes Wide Shut et L’année dernière à Marienbad. C’est chic et décadent à en crever (au premier degré !). Gosselin agrège les mots d’Arthur Schnitzler. Nous voici dans une maison aristocrate où nous suivons les ébats et les débats de Else, Albertine et Fridolin, Aurélie et Falkenir… Les mots sont tirés des récits La Nouvelle rêvée, de La Comédie des séductions et de Mademoiselle Else. C’est beau n’est-ce pas ? Du mouvement à l’expression en passant par le cinéma et le théâtre, Gosselin utilise tous les ressorts pour nous faire voir, entendre et comprendre les pensées pessimistes de Thomas Bernhard, Hugo von Hofmannsthal et Arthur Schnitzler. L’utilisation de la vidéo est époustouflante. En noir et blanc pour la partie viennoise, l’illusion d’être etouffé.es par le monde d’avant est totale. Elle vous dévore, vous oblige. Le niveau de jeu est merveilleux dans sa diversité de tessitures. Les allers-retours entre la scène où jouent les acteurices et le grand écran qui surplombe le plateau dont les décors sont à vue est un exercice qui nous fait réfléchir aux rebonds entre les nationalismes du siècle dernier et ceux de maintenant. Et quand les mots arrivent, purs, ils sont plus violents que toutes les scènes de drogue, de fête et d’orgie qui ont précédé. Nous entendons la racine du mal tirée des lignes d’Auslöschung de Thomas Bernhard dans un seule en scène en gros plan, où la haine se mue en puissance. Comme en 1913, comme en 1983, comme en 2023, Des temps incertains nous guettent. Majeur ! Amélie Blaustein-Niddam / cult.news Voir la vidéo : Teaser du spectacle "Extinction" Visuel : © Christophe Raynaud de Lage
Par Stéphane Capron dans Sceneweb - 30 nov. 2023 Woman of the year, comédie musicale de Broadway inédite en France est à l’affiche du Théâtre de la Renaissance à Oullins avant une tournée en France. L’histoire d’une journaliste vedette de la télévision qui rencontre un dessinateur de presse. Katherine Hepburn a joué ce rôle au cinéma en 1942, puis Lauren Bacall en 1981 sur les planches à Broadway. Ludmilla Dabo reprend le rôle, de cette comédie romantique « à l’américaine » tombée aux oubliettes. Cette comédie musicale est l’oeuvre de deux grands maitres de Broadway. John Kander pour la musique et Fred Ebb pour les paroles. « Ils ont écrit Cabaret et Chicago, deux grands tubes qui sont joués partout dans le monde » explique Jean Lacornerie, le metteur en scène. « La chose encore la plus connue, c’est peut être New York, New York, la chanson dans le film de Scorsese. Ils ont fait plein d’autres choses, certaines été des flops, et d’autres sont passées à la trappe comme ce Woman of the year qui a pourtant été un grand succès et remporté 5 Tony Award en 1981. Le spectacle dans la mise en scène de Robert Moore a été joué plus de 700 fois.» Avant de devenir un succès à Broadway au Palace Theatre, Woman of the year a d’abord été un film sorti en 1942, réalisé par George Stevens avec Spencer Tracy et Katharine Hepburn. A Broadway, c’est Lauren Bacall qui interprétait le rôle de Tess Harding. Dans la version cinéma, elle est journaliste de presse écrite et tombe amoureuse de Sam Craig, écrivain sportif. Dans la version de Broadway, qui se déroule dans l’Amérique de Reagan, elle est une star d’une show télé matinal et tombe amoureuse d’un dessinateur de presse. Ludmilla Dabo se place dans les pas de ces deux grandes stars américaines. « Ce sont des figures d’actrices emblématiques des Etats-Unis qui ont eu une carrière importante, non seulement comme comédiennes de théâtre et de cinéma, mais aussi du music hall » explique la comédienne. « J’ai pris comme un honneur cette proposition de Jean Lacornerie. C’est fou pour moi d’avoir cette proposition de création. On a trouvé quelque chose de singulier et qui appartient aussi à notre manière de pouvoir faire de la comédie musicale à la française, mais avec des moyens qui imaginent Broadway.» Ludmilla Dabo partage la scène avec Jacques Verzier, dans le rôle du dessinateur Sam Craig, et avec Dalia Constantin et Quentin Gibelin, dans des arrangements signés par Gérard Lecointe, le directeur de la Renaissance (qui quitte la direction du théâtre à la fin de l’année) pour seulement 4 musiciens mais qui sonnent comme un grand orchestre. « Ce qui nous intéresse, c’est de voir quelles œuvres supportent cette réduction » explique Jean Lacornerie. « Cela nous permet d’être centré sur les personnages et l’histoire du couple. On garde l’essence de l’œuvre.» Une production qui donne envie à Ludmilla Dabo de poursuivre dans le champ des comédies musicales. « On peut le faire avec beaucoup de force, de dignité, de puissance, de lumière, tout en ne trahissant pas nos métiers » conclut la comédienne, comme toujours rayonnante sur scène. Stéphane Capron / Sceneweb Woman of the year comédie musicale en français et en anglais surtitré créée au Palace Theater à New York le 29 mars 1981 livret Peter Stone chansons Fred Ebb musique John Kander basé sur le film MGM de Ring Lardner et Michael Kanin direction musicale et arrangements Gérard Lecointe mise en scène Jean Lacornerie chorégraphie Raphaël Cottin images Étienne Guiol scénographie Bruno de Lavenère costumes Marion Bénagès lumières Romain de Lagarde régie Générale Emmanuel Sauldubois administration de production Caroline Chavrier Avec Ludmilla Dabo :Tess Jacques Verzier : Sam Dalia Constantin Quentin Gibelin Sébastien Jaudon piano Arthur Verdet claviers Jérémie Daillet percussions Luce Perret Trompette-bugle Production : Mahagonny-Cie. Coproduction : Théâtre de La Renaissance – Oullins Lyon Métropole, Théâtre Scène nationale de Saint-Nazaire, Château Rouge – Annemasse, ACB Scène nationale – Bar-le-Duc, L’Azimut – Antony Châtenay-Malabry. Coréalisation : La Poétique des Signes. Soutien : Ats Studio, Spedidam, Adami. Woman Of The Year est présenté en accord avec Concord Theatricals (concordtheatricals.com) et l’Agence Drama – Paris (dramaparis.com). 30 novembre, 1er et 2 décembre Théâtre de la Renaissance Oullins Lyon Métropole 13 et 14 décembre 2023 Château Rouge Annemasse 20 et 21 décembre 2023 Le Grand R Scène Nationale de La Roche sur Yon 10 et 11 janvier 2024 Maison de la Culture de Bourges 30 janvier 2024 Le Rive Gauche St Etienne du Rouvray 3 février 2024 ACB Scène Nationale de Bar le Duc 7 et 8 février 2024 L’Azimut Antony Châtenay Malabry 19 et 20 mars 2024 Le théâtre de Saint Nazaire Scène Nationale
Par Armelle Héliot dans son blog - 29 nov. 2023 Dans la petite salle du Rond-Point, elle propose «Un état de nos vies », jeu de définitions avec Olivier Lambert, sous le regard d’Emmanuel Noblet.
Cela tient de la rencontre intime et de la performance amicale. Dans la salle Roland-Topor, en proximité touchante, une longue table est installée devant un grand panneau écran translucide derrière lequel, un moment, se dessinera la jeune femme, en ombre chinoise. Lola Lafon, l’air d’une adolescente, avec sa longue natte blonde, sur le côté, s’installe à une extrémité. De l’autre côté, en face d’elle, assez loin, devant un ordinateur, Olivier Lambert. Compositeur et ici partenaire, interprète. On joue ici aux définitions. Il tire des mots et les soumet à la comédienne-écrivain. Lola Lafon est une auteure très fertile qui, s’appuyant sur ses livres (sept romans), a donné de jolis et touchants spectacles. Avec Un état de nos vies, aucun roman ne précède la matière théâtrale. L’artiste a travaillé à partir de notes et manipule un grand cahier, avec des pages marquées de différents papillons de papier de toutes couleurs. Il lui lance des mots. Elle répond avec fluidité, une certaine assurance, un don du style personnel. Lui, regard intense, longue silhouette, diffuse une sereine autorité. On part en fusées aux directions différentes, pour se concentrer à la fin sur la question de la violence faite aux femmes. Les traits sont fins. Pas de discours pesants, mais une précision efficace fardée en conversation naturelle. C’est en cela que l’on reconnaît l’auteure. Emmanuel Noblet a veillé sur ses amis et signe des lumières bien définies. Un petit moment d’intelligence, de sensibilité, d’émotion. Armelle Héliot Théâtre du Rond-Point, du mardi au vendredi à 20h00, samedi à 19h00. Durée : 1h00. Jusqu’au 9 décembre. Puis du 21 au 31 mai 2024. Tél : 01 44 95 98 21. Site :https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/un-etat-de-nos-vies/ Tournée : le 20 janvier à Malakoff, le 20 février à la Roche-sur-Yon, le 8 mars à Reims.
Publié par Sceneweb le 29 nov. 2023 (d'après le dossier de presse) Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, après avoir consulté Karine Franclet, maire d’Aubervilliers et Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, annonce la nomination de Frédéric Bélier-Garcia à la direction de la Commune, Centre Dramatique National d’Aubervilliers. Il prendra ses fonctions le 1er janvier 2024 et succède à Marie-José Malis. Formé à la philosophie avant de se diriger vers le théâtre, Frédéric Bélier-Garcia est tout à la fois metteur en scène de théâtre et d’opéra, scénariste et réalisateur. Il a dirigé de 2007 à 2019 le Centre Dramatique National des Pays-de-la-Loire et mené la création de l’EPCC Le Quai à Angers, où il a su conduire un projet de théâtre ouvert et populaire, fidélisant un large public et produisant de nombreux projets de la jeune scène française. Pour le théâtre de la Commune, Frédéric Bélier Garcia entend déployer une programmation où le théâtre dialogue avec l’image, la danse, la musique, le cinéma, ou encore le stand-up. Il compte faire du théâtre un lieu de vie, de partage d’émotions, ouvert à toutes les générations, avec une attention particulière au jeune public et aux familles. Son projet pour la Commune se déploie autour de 5 axes structurants pour réinventer l’héritage de ce CDN emblématique : Les Pavillons d’Aubervilliers Tous les deux mois, un artiste, une institution, une discipline, un festival mais aussi des partenaires économiques et sociaux du territoire seront mis en valeur. Théâtre des jeunesses Une priorité sera donnée aux enfants et aux jeunes avec la programmation des “pavillons jeune public” et les temps forts “samedis en famille”. Une action spécifique sera proposé aux adolescents afin de les investir dans la vie du théâtre et de la création, notamment sur les périodes des vacances scolaires. La petite Commune itinérante Frédéric Bélier Garcia souhaite développer un petit théâtre mobile modulable pour déployer des actions hors les murs, dans les quartiers, les écoles, les parcs, les places publiques, en lien étroit avec un réseau de partenaires. La Commune augmentée Chaque année en juin et juillet, Frédéric Bélier Garcia proposera à deux institutions du territoire (Les Labos d’Aubervilliers, les Ateliers Médicis pour débuter) de travailler avec le CDN autour d’un thème commun, créant une convergence entre les ateliers amateurs et les initiatives développées par les artistes durant la saison. Le nouveau front digital Frédéric Bélier Garcia veut porter une politique numérique volontariste (podcasts, images, vidéos, …) au service du renouvellement des publics. ---------- Communiqué de presse du ministère de la Culture : Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, après avoir consulté Karine Franclet, maire d’Aubervilliers et Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, annonce la nomination de Frédéric Bélier-Garcia à la direction de la Commune, Centre Dramatique National d’Aubervilliers. Formé à la philosophie avant de se diriger vers le théâtre, Frédéric Bélier-Garcia est tout à la fois metteur en scène de théâtre et d’opéra, scénariste et réalisateur. Il a dirigé de 2007 à 2019 le Centre Dramatique National des Pays-de-la-Loire et mené la création de l’EPCC Le Quai à Angers, où il a su conduire un projet de théâtre ouvert et populaire, fidélisant un large public et produisant de nombreux projets de la jeune scène française. Pour le théâtre de la Commune, Frédéric Bélier Garcia entend déployer une programmation où le théâtre dialogue avec l’image, la danse, la musique, le cinéma, ou encore le stand-up. Il compte faire du théâtre un lieu de vie, de partage d’émotions, ouvert à toutes les générations, avec une attention particulière au jeune public et aux familles. Son projet pour la Commune se déploie autour de 5 axes structurants pour réinventer l’héritage de ce CDN emblématique : - Les Pavillons d’Aubervilliers : tous les deux mois, un artiste, une institution, un grand théâtre européen ou de région, une discipline, un festival mais aussi des partenaires économiques et sociaux du territoire métamorphosera le lieu à son image.
- Théâtre des jeunesses : une priorité sera donnée aux enfants et aux jeunes avec la programmation des “pavillons jeune public” et les temps forts “samedis en famille”. Une action spécifique sera proposée aux adolescents afin de les investir dans la vie du théâtre et de la création, notamment sur les périodes des vacances scolaires.
- La petite Commune itinérante : Frédéric Bélier Garcia souhaite développer un petit théâtre mobile modulable pour déployer des actions hors les murs, dans les quartiers, les écoles, les parcs, les places publiques, en lien étroit avec un réseau de partenaires.
- La Commune augmentée : Chaque année en juin et juillet, Frédéric Bélier Garcia proposera à deux institutions du territoire (par exemple Les Labos d’Aubervilliers, les Ateliers Médicis) de travailler avec le CDN autour d’un thème commun, créant une convergence entre les ateliers amateurs et les initiatives développées par les artistes durant la saison.
- Le nouveau front digital : Frédéric Bélier Garcia veut porter une politique numérique volontariste (podcasts, images, vidéos, …) au service du renouvellement des publics.
Frédéric Bélier-Garcia prendra ses fonctions le 1er janvier 2024, succédant ainsi à Marie-José Malis dont Rima Abdul Malak salue l’action et l’engagement.
Par Nadja Pobel dans Le Petit Bulletin - Publié le 15/3/2023 Théâtre / En HP, les cabossés ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Dans "Black March", Sylvie Orcier tisse les liens entre soignants et soignés en faisant résonner un double de la voie abîmée de Gainsbourg. Belle incursion dans nos failles. Personne ne marche vraiment droit dans Black March. Ou alors avec des pas trop saccadés, témoignant d’une détermination enragée. Dans les deux cas, rien ne va. D’un bout à l’autre d’un espace bi-frontal, deux soignants tentent de créer un dialogue avec des patients épuisés d’être là et un nouvel arrivant ne parvenant pas à aligner deux mots. Nous sommes dans un hôpital psychiatrique. Claire Barrabès aime écrire sur des sujets inflammables, rugueux voire violents (Smog…). Et Sylvie Orcier ne laisse pas d’air à ses personnages cernés de tous côtés. L’autrice suggère que Minona a commis un infanticide, que Bertrand a bousillé sa carrière de grand musicien classique dans l’alcool. Bien sûr, tout n’est pas aussi binaire mais c’est au gré de scènes très concrètes qu’ils se rencontrent : piquer la bouffe de l’autre au self, se laisser tomber la tête dans un bol de purée. Parfois un peu étrange avec une scène d’accouchement hors sol ou à d’autres moments tendant vers le catalogue (oui les personnels hospitaliers, surtout dans ces unités psy, ont trop peu de moyens et n’ont pas le temps de regarder leurs collègues à la dérive – ici Joël va commettre des violences conjugales), ce travail n’en demeure pas moins solide sur le plateau. Sweet sweet Parce que s’insèrent dans le théâtre la musique et le chant via la présence presque fantomatique (il se déplace discrètement) et puissante aussi de Pablo Elcoq, Gainsbourg troublant (Black March est une de ses compositions de la bande originale du film L’Eau à la bouche). Alpha Blondy, le Wu-Tang Clan et même les Beatles (I’m so tired) ont le temps durant cette heure vingt de passer par là. Les parenthèses chorégraphiées sont aussi une composante très à propos tant le corps est un langage fondamental de ces patients. Nonobstant un clin d’œil en forme de private joke que l’on devine moqueur (et bienvenu !) à propos du Livre de la jungle boursouflé de Bob Wilson au Châtelet, Black March est aussi une formidable fable notamment dans la partition offerte à ce grand acteur qu’est Patrick Pineau entouré ici de ses deux enfants. Pineau et Orcier cheminent ensemble depuis plusieurs décennies. L’été dernier, à l’ombre de la Comédie Odéon, dans le cadre des Nuits de Fourvière, ils donnaient naissance à un très exigeant et singulier spectacle de Serge Valletti, John a-dreams. Les revoici en nombre. Bonne nouvelle. Nadja Pobel
----------------------------- Critique de Véronique Hotte (extrait) Sylvie Orcier met en scène Black March de la jeune auteure Claire Barrabès. L’espace laboratoire inventé et sensuel d’un hôpital psychiatrique, au milieu des fumigènes, une atmosphère fantastique de convivialité et d’amusement s’installe, entre amitié et résilience, entre empathie et contemplation. La parole acidulée de Claire Barrabès est servie au mieux à travers le jeu empressé et contrôlé d’acteurs admirablement engagés, entre corps et verbe incisif, chorégraphie, musique suggestive et sensibilité à un monde cocasse et cruel. Un spectacle fort et envoûtant, joueur et ludique, critique perspicace de nos réalités. Véronique Hotte - Hottello théâtre BLACK MARCH
Par Maïté Darnault dans Libération 28 nov. 2023 L’équipe du Théâtre Nouvelle Génération s’apprête à annoncer mardi 28 novembre le dépôt d’un recours au tribunal administratif afin de contester la légalité de la décision de l’exécutif de Laurent Wauquiez. La punition a coûté cher au Théâtre Nouvelle Génération (TNG) de Lyon : le 28 avril, la région Auvergne-Rhône-Alpes avait annoncé lors d’une conférence de presse l’amputation complète de la subvention de fonctionnement de ce centre dramatique national, qui emploie une trentaine de personnes. Le manque à gagner s’élève à 149 000 euros, qui devaient lui être accordés en 2023. Or son équipe s’apprête à annoncer, ce mardi, le dépôt le 17 novembre d’un recours au tribunal administratif afin de contester la légalité de la décision de l’exécutif de Laurent Wauquiez. De manière étonnement transparente, elle avait été présentée comme une punition en réponse aux propos tenus par Joris Mathieu, le directeur de ce théâtre, dans une tribune publiée le 18 avril sur le site du Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), majoritaire dans la profession. «Culture de la peur» Membre de son bureau national et délégué aux labels, également vice-président de l’association des CDN, l’auteur et metteur en scène à la tête du TNG avait dénoncé une région «gouvernée par une culture de la peur» menant sous couvert d’un «projet de réorientation» ce qui s’apparente à «une entreprise délibérée de déstabilisation du fonctionnement d’institutions publiques culturelles». Ce théâtre lyonnais est notamment financé par une convention triennale d’objectifs au titre de ses missions de service public. C’est la dernière en date, co-signée en septembre 2022 par la ville de Lyon, la région Auvergne-Rhône-Alpes et l’Etat qui a ainsi été dénoncée de manière unilatérale, à peine un an plus tard, par l’équipe du très droitier Laurent Wauquiez – lequel ne cache plus ses ambitions pour l’élection présidentielle de 2027. «Pour contester cette décision, qu’elle considère totalement arbitraire et infondée, la direction du centre dramatique national a tout d’abord adressé au mois de juillet, à la présidence de région, un recours indemnitaire gracieux» afin de proposer «une résolution amiable», rappelle le TNG dans un communiqué de presse. Car «si le principe de libre administration donne toute latitude à la collectivité pour décider de l’usage de ses crédits, ses décisions par contre, dès lors qu’elles sont motivées explicitement, ne doivent pas contrevenir à l’intérêt général et ne peuvent, en aucun cas, traduire une volonté manifeste de sanctionner une prise de parole politique ou une expression syndicale», ajoute ce document. «Rééquilibrage solidaire et équitable» réclamé par la gauche Deux mois avant de saquer Joris Mathieu, la région avait déjà annoncé réduire drastiquement les subventions accordées à nombre d’institutions culturelles, en majorité situées dans les métropoles de Lyon et de Grenoble, dirigées par les écologistes et la gauche, invoquant un «rééquilibrage solidaire et équitable», afin «d’irriguer la culture jusque dans les territoires les plus éloignés». Dotée d’un budget annuel pour la culture de 60,2 millions d’euros en 2022, l’Auvergne-Rhône-Alpes se situe en avant-dernière position des douze régions françaises. La part allouée à chacun de ses 8 millions d’habitants est de 8,44 euros par an, contre une moyenne nationale de 12 euros. Mi-mai, lors du vote de ces coupes budgétaires durant la commission permanente, Stéphanie Pernod-Beaudon, première vice-présidente chargée de l’économie, avait expliqué que si en France, «la culture vivait sur le nombre d’entrées qui était réalisé par les spectacles, peut-être que finalement, la vérité populaire serait faite sur l’intérêt ou pas d’un spectacle culturel qui se tient». Ces propos avaient suscité le satisfecit du chef de file local du Rassemblement national. Quelques jours plus tard, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, dont la marge de manœuvre reste très limitée concernant les décisions d’une collectivité régionale, avait tout de même averti qu’elle compte surveiller de près «quel va être le budget [culturel] à la fin» dans le fief de Wauquiez. Le recours déposé au tribunal administratif par le TNG sera jugé au fond dans un délai de douze à dix-huit mois. Maïté Darnault, correspondante à Lyon de Libération
Publié sur le site d'Artcena - 27 novembre 2023
Une artiste pour diriger Les Ateliers Frappaz à Villeurbanne Arts de la rue LIEU Première créatrice nommée à la tête d’un Centre national des arts de la rue et de l’espace public, Nadège Prugnard mettra l’accent sur la transmission des savoirs et l’accompagnement des artistes, en particulier les auteurs.
Autrice et metteuse en scène atypique dont l’art embrasse toutes les disciplines du spectacle vivant – le théâtre, les arts de la rue, la musique, la danse et le cirque – Nadège Prugnard n’est pas novice en matière de programmation. Au sein de la Compagnie Magma Performing Théâtre, elle a toujours eu à cœur d’organiser, parallèlement à ses créations, des événements qui associent actes artistiques et pensée politique, parmi lesquels « Qu’ils crèvent les artistes ? » à l’orée des années 2000, « Du possible sinon j’étouffe » et « Les Invisibles ». « Prendre la tête d’un lieu représente une suite logique dans mon parcours et synthétise en quelque sorte toutes mes expériences passées », confie celle qui devient la deuxième artiste (après l’auteur et metteur en scène Jean-Raymond Jacob au Moulin Fondu) et surtout la première femme à diriger un Centre national des arts de la rue et de l’espace public (CNAREP). Dans un contexte particulièrement tendu sur les plans de la production et de la diffusion, Nadège Prugnard y voit un atout certain. Privilégiant l’écoute et la bienveillance à l’égard de ses camarades, elle fera de l’accompagnement des artistes et de la transmission des savoirs des axes forts de son projet. Outre créer une troupe composée d’amateurs et de semi-professionnels, la nouvelle directrice des Ateliers Frappaz mettra en place des dispositifs pédagogiques (conseils dramaturgiques, techniques, sur le plan de la production...) à l’intention des artistes émergents comme en formation initiale. Les accueils en résidence représenteront un autre cadre privilégié de dialogue avec des metteurs en scène français et internationaux, que Nadège Prugnard conviera à des rendez-vous collectifs trimestriels pour échanger sur leurs besoins et difficultés, mais aussi des scénographes (le CNAREP possède un atelier de construction de décors), et des auteurs. Justifié par « cette révolution de la parole et du texte en espace public » observée depuis plusieurs années, le soutien apporté aux auteurs constituera en effet un volet important de l’activité des Ateliers Frappaz. « Nous développerons une spécificité autour de l’écriture, avec des résidences, des workshops, ainsi que des commandes, entre autres sur le passé ouvrier, industriel et migratoire, très riche, de Villeurbanne », explique sa directrice. Essentielle pour améliorer la connaissance des textes par les publics, la question de l’édition sera également creusée. Par ailleurs, des auteurs originaires de l’Europe et d’autres continents, notamment d’Afrique subsaharienne via un programme intitulé « Textes en rue » initié avec le Centre culturel de rencontre international John Smith au Bénin, viendront diffuser leurs œuvres en rue. Les autrices et créatrices, quant à elles, bénéficieront d’une attention particulière, grâce à des ateliers de recherche autour du matrimoine des arts de la rue en collaboration avec Aurore Évain et HF Auvergne-Rhône-Alpes. Nadège Prugnard prévoit aussi de reproduire un événement conçu en 2014 lorsqu’elle était associée au Théâtre d’Aurillac et consistant à rassembler 12 heures durant toutes les autrices-créatrices dans l’espace public. Concernant la diffusion, Les Ateliers Frappaz s’appuieront sur la troupe, appelée à « revitaliser » la ville et la région, et bien entendu sur « Les Invites », manifestation d’envergure régionale et nationale dont Nadège Prugnard entend accroître encore la visibilité. La première nouveauté apportée au festival résidera dans l’organisation de « débats spectaculaires » sur des thématiques esthétiques, sociales, sociétales, environnementales (les enjeux écologiques traverseront l’ensemble du projet du CNAREP) et politiques, alimentés par des interventions artistiques décalées et joyeuses et des surgissements poétiques. En outre, en marge de la programmation arts de la rue, des auteurs et autrices seront invités à « performer » leur parole dans des bars et des lieux non dédiés de Villeurbanne. Outil au service des artistes, le CNAREP sera aussi pleinement ancré dans la vie des habitants du territoire. Comme sous la direction de Patrice Papelard, qui a beaucoup œuvré dans ce sens, il mobilisera les populations lors de projets participatifs et en fera les moteurs de créations qui mettront en valeur leur histoire, leurs savoir-faire et leurs racines. Une démarche qui s’accorde parfaitement à la personnalité de Nadège Prugnard, constamment en quête de partage artistique. Crédit photo : ©Alex Nollet
|