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Le spectateur de Belleville
March 22, 2020 4:57 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog, 16 mars 2020 Il s’était fait connaître d’une manière éclatante, il y a quarante ans, avec « Essayez donc nos pédalos », fantaisie audacieuse sur l’homosexualité. Comédien, compositeur, metteur en scène sensible d’ouvrages lyriques comme de pièces de théâtre, il était à part. Il s’est éteint le 9 mars, à Rio de Janeiro.
C’est son cœur qui a lâché. Son cœur grand et tendre d’artiste très doué, hyper sensible, fidèle en amitié, son cœur d’éternel gamin imaginatif, doué, rieur, très cultivé, et audacieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas en lui un fond de mélancolie tenace.
Alain Marcel s’est éteint le 9 mars dernier, d’une crise cardiaque, à Rio de Janeiro, au Brésil, un pays qu’il aimait particulièrement. C’est son ami Jean-Marie Besset, qui l’avait engagé dans plusieurs de ses spectacles, qui nous l’a aussitôt annoncé. On a attendu car on ne sait pas, en ces cas-là, si les familles sont prévenues, si des amis plus proches ne vont pas être bouleversés d’apprendre ainsi, par un article, la disparition d’un camarade.
Alain Marcel était né en 1952 dans une petite ville du sud-est d’Alger, à la lisière de la Kabylie, non loin de Sétif. Il avait gardé au cœur son pays de naissance et avait d’ailleurs écrit en 2009, Algérie chérie.
Mais sa patrie d’élection, c’était le spectacle vivant. Il aimait les planches. Il avait un vrai talent d’inventeur qu’il soit simple interprète, ou qu’il écrive, compose, mette en scène des opéras très sérieux ou des fantaisies comme il savait si bien en concocter.
Il est rentré d’Algérie avec sa famille et a suivi ses premiers cours d’art dramatique à Tours, avant Paris et le conservatoire où il va suivre la classe d’Antoine Vitez signer son premier spectacle, Scènes de chasse en Bavière de Martin Sperr dont le thème est la violence adressée à un jeune homosexuel.
Il connaît ses premiers engagements de comédien : il est à l’affiche du Sexe faible d’Edouard Bourdet mis en scène par Jean-Laurent Cochet dès 74 et de Les Papas naissent dans les armoires pièce à personnages nombreux, adaptée de l’Italien, portée par une troupe brillante avec Robert Hirsch, Rosy Varte, Michel Robin, plein de monde et aussi Jean-Paul Muel, tous dirigés par Gérard Vergez. Ce fut à la Michodière, en 78-79, un vrai succès !
Mais ce qui va le projeter au-devant de la scène, justement avec Jean-Paul Muel et un autre artiste aux dons multiples, Michel Dussarrat, c’est Essayez donc nos pédalos au Théâtre Fontaine ! Ils sont auteurs et acteurs. On n’a pas idée de cette comédie musicale de proportions raisonnables mais portée par une réjouissante folie et un désir d’en finir avec les hypocrisies lénifiantes sur l’homosexualité alors et pour plusieurs années encore, un délit ! On ne disait pas encore « gay » couramment, sauf si on traversait souvent l’Atlantique ! Mais c’était très gai ! Et à la sortie des spectacles, les trois comédiens, en tutus, vendaient un disque inoubliable. Triste de se souvenir que c’est la jeune Tonie Marshall, qui s’est éteinte le jeudi 12 mars, vaincue par un cancer, qui signait la chorégraphie pour ses amis.
Seul, Alain Marcel écrit le texte et les chansons d’une autre comédie musicale de poche et la met en scène : Rayon femmes fortes, vers 1983. Il y a les trois compères de la compagnie « Coulisse et piston » et des demoiselles de talent : Elisabeth Catroux, Catherine Davenier, Bernadette Rollin !
Ensuite, au théâtre, comme au cinéma ou à la télévision, où il était rare, on le perd de vue car il signe des mises en scène lyriques en France, en Suisse, en Belgique. Rossini, Donizetti, Mozart, Offenbach, Verdi, notamment. Le fantaisiste est un musicien exigeant et il a le sens des œuvres, connaît très bien les chanteurs, et aime la gravité.
A New York il va monter une version bilingue des Mariés de la tour Eiffel de Jean Cocteau.
Mais c’est aussi avec de grands spectacles musicaux, adaptés ou écrits par lui, qu’il va marquer les scènes. La Petite boutique des horreurs, qu’il crée en français au Dejazet, Peter Pan, Kiss me Kate, My Fair Lady, et même La Cage aux folles version « musical » de Broadway, en 1999, à Mogador.
Ces dernières années, d’une part il avait renoué avec des formes plus légères, sur des textes et musiques souvent composés par lui : Le Paris d’Aziz et Mamadou et surtout L’Opéra de Sarah, magnifique évocation d’une femme, Sarah Bernhard, bien sûr, qu’il admirait et dont il connaissait la vie, les travaux et les jours avec une passion érudite et émerveillée.
Les ultimes fois qu’on a applaudi cet être si généreux, c’est dans des textes de Jean-Marie Besset. Perthus en 2008, Rue de Babylone en 2012, Le Banquet d’Auteuil en 2014. Entretemps, Alain Marcel avait présenté Encore un tour de pédalos au Rond-Point, il y a dix ans ! Légende photo : Ils sont jeunes, beaux, drôles, ils sont courageux ! Pochette du disque que nos trois amis vendaient eux-même à la sortie des spectacles. DR
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Le spectateur de Belleville
January 2, 2020 10:33 AM
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Retour sur l’œuvre du metteur en scène Claude Régy Suivre ce lien : http://kebekmac.forumprod.com/mort-de-l-homme-de-the-tre-claude-regy-t14276.html Claude Régy, furieusement lent, France Culture, 27/12/2019 à partir de 39 min 15, Arnaud Laporte un extrait joué particulièrement étonnant de la chevauchée sur le lac de constance entre 42 min 40 et 43 min 45 https://www.franceculture.fr/emissions/ ... -de-lamour La Théorie par Mathilde Serrell, 27/12/2019, 3 min : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... embre-2019 Claude Régy : un dernier silence, France Culture, Olivia Gesbert, 27/12/2019, 35 min https://www.franceculture.fr/emissions/ ... r-la-perte -------------------------------------- https://www.lemonde.fr/culture/article/ ... _3246.html https://www.lefigaro.fr/culture/dispari ... e-20191226 https://next.liberation.fr/theatre/2019 ... se_1771105 ---------autres liens sur France Culture----------- 2012, Claude Régy, autoportrait d'un maître qui ne voulait pas l'être - Laure Adler, Hors champs, 5 X45 min https://www.franceculture.fr/emissions/ ... -pas-letre 2011 Claude Régy : un paradoxe vivant, Mercredis du Théâtre, accompagné de Jean-Claude Ameisen 60 min https://www.franceculture.fr/emissions/ ... oxe-vivant 2016 Vibrer jusqu’à l’indécence avec Claude Régy 31 min https://www.franceculture.fr/emissions/ ... laude-regy https://www.franceculture.fr/theatre/mo ... du-silence --------------kebekmac ------------------ film à trouver : La Chevauchée sur le lac de Constance (1974) pièce de théâtre de Peter HANDKE, mise en scène par Claude RÉGY filmo-avec-delphine-seyrig-1954-1990-cinema-tv-t10881-40.html#p43296 Delphine Seyrig, Portrait d'une comète (2000), avec sa participation delphine-seyrig-portrait-d-une-comete-2000-j-veuve-t10928.html#p43584 --------------ailleurs ------------------ (pièce radio) Denis Diderot - Claude Régy - Les amours de Jacques - 1958 [MP3 192kbps] https://www2.yggtorrent.ws/torrent/eboo ... p3+192kbps Leçon de l’Université "Le bruit du monde " avec Claude Régy Metteur en scène https://www.canal-u.tv/video/universite ... cene.12530 https://www.theatre-contemporain.net/sp ... entretiens https://www.theatre-contemporain.net/vi ... -d-Avignon -------livres----------------- Le corps, le sens - seuil 2007 - Françoise Héritier, Jean-Luc Nancy, André Green, Claude Régy, Jean Claude Ameisen - pdf 12Mo http://libgen.unblockall.org/book/index ... F26C3F85D8 livret d'un dvd http://wents-users.cccommunication.biz/ ... dvd-21.pdf extraits de le théâtre, sensation du monde, 2002, Laure Adler, Claure Régy https://books.google.fr/books?id=PT23Dw ... &q&f=false à propos de son livre Espaces perdus, 19 août 2018 Par Denys Laboutière https://blogs.mediapart.fr/denys-labout ... ces-perdus ---------------biographie--------------------- https://www.theatre-contemporain.net/bi ... aude-Regy/ https://www.theatre-contemporain.net/bi ... critiques/ --------------------------------- Surpris par la nuit : « Cycle de metteurs en scène européens. Claude Régy Rencontre en Avignon », le 13 juillet 2002 (par Alain Veinstein), 55ème Festival d’Avignon. Les invités de Claude Régy: Eric Lacascade, Jean Claude Ameisen, Valérie Dréville, Michel Cassé, Leslie Kaplan, Bulle Ogier, Paul Veyne, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Retransmis les 15, 16, 17 juillet 2002, rediff. le 22/07/2003, de 22h30 à minuit 3 x 90 min 3 x 42,8 Mo mp3 160 liens non premium : 1/3 : https://uptobox.com/1opga1u5osky 2/3 : https://uptobox.com/vodk6nma6z5n 3/3 : https://uptobox.com/68ryl5vslb29
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Le spectateur de Belleville
December 27, 2019 10:47 AM
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Emmanuelle Giuliani dans La Croix le 26/12/2019 Intégrité, sens du mot et du silence… les mises en scène de Claude Régy, mort le 26 décembre, en imposaient par leur rigueur parfois austère. Mais, longtemps après que le rideau était tombé, la force de sa vision du théâtre vous habitait profondément.
Pour lui, le théâtre était un état d’âme et d’intelligence et certainement pas un divertissement. Le texte, tout le texte, rien que le texte. Pas tout à fait cependant, tant les ombres et la lumière, le travail sur le silence et les timbres des voix des comédiens apportaient à ses spectacles une sensualité certes retenue mais entêtante. Sans doute parce que Claude Régy faisait confiance au spectateur, exigeant beaucoup de sa capacité à se laisser prendre par la magie du théâtre et le pouvoir de l’imaginaire. L’amour des textes contemporains Né à Nîmes en 1923 dans une famille de la bourgeoisie protestante, le jeune homme tâte du droit et des sciences politiques avant que l’art dramatique ne le détourne de l’université, au grand dam de ses parents. À Paris, il suit notamment l’enseignement de Charles Dullin avant de devenir l’assistant d’André Barsacq au Théâtre de l’Atelier. S’il se frotte aux textes classiques, sa prédilection le porte vers la littérature contemporaine, celle de Marguerite Duras ou Nathalie Sarraute dont la prose forge son style à l’esthétique janséniste. Les comédiens l’apprécient, de Delphine Seyrig à Michel Bouquet. Un certain Gérard Depardieu, inconnu de 24 ans, débute sous sa direction et sera à l’affiche de six pièces mises en scène par Claude Régy, dont La Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke. Infatigable malgré le grand âge - il avait encore monté Rêve et Folie de Georg Trakl en 2016 - Claude Régy évoquait la mort avec noblesse et familiarité : « J’ai toujours vécu en intimité avec la mort. J’ai travaillé autant sur elle que sur la vie. Peut-être plus encore. L’origine du théâtre, l’organisation du monde imaginaire, la poésie sont totalement dans sa dépendance. » À lire aussi
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Le spectateur de Belleville
December 27, 2019 6:20 AM
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par Stéphane Capron dans Sceneweb 27/12/2019 Le metteur en scène Claude Régy est mort hier à l’âge de 96 ans. L’un des plus grands metteurs français du 20e siècle. Un homme respecté. Il était l’apôtre du silence et de la radicalité. Claude Régy avait lancé la carrière de Gérard Depardieu. Il a connu d’immenses succès avec Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Michel Bouquet, Jean-Pierre Marielle ou Pierre Brasseur. Isabelle Huppert qui avait joué dans deux de ses spectacles, Jeanne au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger en 1992 à l’Opéra Bastille et 4.48 Psychose de Sarah Kane en 2002 aux Bouffes du Nord.
Que conservez-vous de votre travail avec Claude Régy et de ces deux pièces ? Son exigence, sa liberté et le confort qu’il donnait à ses acteurs. Ce mot peut peut-être surprendre, le confort quand on sait à quel point il étaIt radical. Il exigeait beaucoup. Son engagement avec les acteurs était tel sur les textes que l’on se devait d’atteindre son niveau d’exigence.
On disait de lui qu’il faisait un théâtre de recherche, mais il était aussi très populaire. est ce que vous le ressentiez comme cela ? Oui, je suis très contente que vous parliez de théâtre populaire à propos de Claude Régy. Car il y avait beaucoup d’émotion et de sensibilité dans ses spectacles. J’ai rencontré beaucoup de gens qui n’avaient pas l’habitude d’aller au théâtre et qui sont sortis bouleversés par 4.48 Psychose. Son théâtre n’était pas sec. Il savait mêler l’abstraction et la sensibilité.
Et il imposait le silence. Oui et le noir, tout ce qui fait sens au théâtre. Il fuyait le sens premier, l’explication immédiate car il faisait confiance aux spectateurs. C’est magnifique d’écouter un silence au théâtre. Et il le proposait aux spectateurs, il ne l’imposait pas.
Les hommages dans le monde sont unanimes. Aviez-vous mesuré sa popularité ? J’ai eu la chance de faire une très grande tournée avec 4.48 Psychose, à New-York, à Los Angeles, à São Paulo, à Montréal. Et partout c’était le même étonnement. Son théâtre était surprenant mais il utilisait tous les artifices du théâtre. Ce n’était pas un théâtre pauvre, au rabais, au contraire. Il utilisait au maximum toutes les possibilités techniques du théâtre dans son artificialité, dans son choix de lumières notamment. C’était radical mais très riche.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr Légende photo : Isabelle Huppert dans Psychose, dans la mise en scène de Claude Régy
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Le spectateur de Belleville
December 26, 2019 1:31 PM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde du 26 décembre 2019 Le grand homme de théâtre est mort à Paris, dans la nuit du 25 au 26 décembre, à l’âge de 96 ans. Il signait en 2016 son dernier spectacle, « Rêve et folie », de Georg Trakl.
Il disait que ce serait son dernier spectacle : quand Claude Régy a créé Rêve et folie, de Georg Trakl, en septembre 2016, au Théâtre de Nanterre-Amandiers, il avait 93 ans, il allait bien, mais il sentait venir la fin. Rien ne semblait mieux adapté à l’adieu de ce metteur en scène que les mots d’un poète tutoyant la mort annoncée et l’interdit incandescent. Le spectacle bouleversa, et son souvenir bouleverse plus encore alors que l’on apprend la mort de Claude Régy, à Paris, dans la nuit du 25 au 26 décembre, à l’âge de 96 ans : ce spectacle testamentaire menait aux « frontières ultimes de notre esprit », pour reprendre les mots de Georg Trakl, dits sur scène par Yann Boudaud. Mais tout autant que la voix du comédien, ancrée dans une obsédante lenteur, c’était la lumière qui, dans Rêve et folie, hypnotisait : elle semblait venir d’un monde interstellaire, d’un espace infini et pourtant clos par le chemin entre la naissance et la disparition. Maintenant qu’est venu le temps du souvenir, une image s’impose : un vieil homme regarde le mont Fuji, au loin. Il est debout sur une terrasse, de dos, dans une maison au milieu des arbres. De sa voix lente, il dit : « Je me demande comment j’ai pu créer un nouveau spectacle à peu près chaque année, pendant soixante ans. Pour moi, c’est un mystère absolu. » Cet homme, c’est Claude Régy, tel qu’il apparaît dans Du régal pour les vautours, le beau film d’amour testamentaire qu’Alexandre Barry a tourné quand le metteur en scène a créé Intérieur, de Maeterlinck, à Shizuoka, en 2013. Le grand âge n’empêchait pas alors Claude Régy de suivre ses spectacles en tournée soir après soir, où qu’ils se jouent en France et à l’étranger, ni de grimper par les escaliers en haut d’un ancien hôtel particulier, au cœur de Paris, où il habitait un tout petit appartement monacal, dans le ciel. C’est là qu’il recevait, toujours élégant, précis dans sa conversation, et souvent drôle, contrairement à l’image que le monde renvoyait de lui : il y avait tant d’admiration autour de Claude Régy, une telle aura autour de ses spectacles, que tout humour semblait écarté. L’homme s’en amusait, mais il était très ferme quand il parlait de ses choix, qui ont engendré un théâtre inoubliable. Voir un spectacle de Claude Régy, c’était vivre une expérience, entrer dans une salle où rien d’extérieur ne pénétrait, et approcher l’inatteignable de la sensation, ce moment où la parole, les corps et l’espace ne font qu’un. Personne n’a autant laissé place au silence entre les mots, à l’immobilité dans le mouvement, à l’obscurité dans la lumière. Personne n’a travaillé autant d’auteurs contemporains majeurs, français et étrangers, que souvent il a fait découvrir. Et personne ne peut aligner une si belle liste d’acteurs. Lire l’entretien : Claude Régy : « La mort sculpte du vivant » Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Harold Pinter, Peter Handke, Botho Strauss, Arnold Wesker, Edward Bond, Jon Fosse, Sarah Kane… Delphine Seyrig, Jeanne Moreau, Gérard Depardieu, Michael Lonsdale, Michel Piccoli, Michel Bouquet, Sami Frey, Madeleine Renaud, Bulle Ogier, Isabelle Huppert, Valérie Dréville… Un tel bouquet d’exceptions est unique. Claude Régy, quand le grand âge fut venu, s’en étonnait presque, dans Du régal pour les vautours : « J’aurais pu avoir une autre vie. J’aurais pu sans doute aussi faire du théâtre en créant des œuvres tout à fait différentes. J’aurais pu avoir de toutes autres préoccupations. » Mais, ajoutait-il, « on ne sait pas de quoi est fait ce qui nous arrive, et de quoi est fait ce qui ne nous arrive pas ». Ce qui est arrivé dans sa vie, en tout cas, c’est une enfance et une adolescence loin de tout théâtre. Né le 1er mai 1923 à Nîmes, dans une famille bourgeoise protestante, Claude Régy grandit sous l’ombre austère d’un père militaire, qui voudrait faire de lui un administrateur civil au Maroc. Après le baccalauréat, il vient à Paris pour étudier le droit et faire Sciences Po. Ce qu’il aime, c’est la littérature, découverte à l’adolescence, en particulier à travers Dostoïevski. Mais il ne connaît pas le théâtre, sinon par la lecture de la revue La Petite Illustration, et les pièces entendues à la radio. Un soir de 1944, il va voir Les Mouches, de Jean-Paul Sartre. Le lendemain, il s’inscrit au cours de Charles Dullin, qui ont lieu dans le grenier du Théâtre Sarah-Bernhardt (l’actuel Théâtre de la Ville), que les Allemands ont rebaptisé Théâtre de la Cité parce que Sarah Bernhardt était juive. « Jeune animateur » « De l’école, on passait à l’amphithéâtre. J’ai vu ainsi les spectacles de Dullin, en particulier Le Roi Lear, de Shakespeare, en 1945, qui a sans doute été déterminant pour ma façon de travailler. Et j’ai compris que c’était bien de désobéir à ses parents », nous disait Claude Régy en 2010. Car les études sont finies. Commence l’apprentissage du théâtre. Le jeune élève reste au fond de la salle, et regarde les autres, par timidité peut-être, et sans doute parce qu’il préfère l’ombre. Michel Vitold, proche de Charles Dullin, le repère, et lui demande de devenir son assistant à la mise en scène. En 1952, Claude Régy signe son premier spectacle : Dona Rosita, de Garcia Lorca, avec Silvia Monfort. Deux ans plus tard, il dirige Tania Balachova dans La vie que je t’ai donnée, de Pirandello. Il a choisi cette pièce – l’histoire d’une mère qui a perdu son fils –, après le suicide de son compagnon, à 23 ans. Lire la critique (2015) : Vivre l'expérience du temps et de la lumière avec Claude Régy Dans les journaux, on parle de ce « jeune animateur », ou de ce « réglant », des appellations qui en disent long sur une époque où le metteur en scène n’est pas encore devenu le roi qu’il sera. Déjà, des critiques pointent dans ses spectacles, « une certaine lenteur », qui deviendra un pivot essentiel de son travail, jusqu’à s’étirer sans fin, rendant certains rétifs à son théâtre, tandis que d’autres n’auront de cesse de s’y abandonner. « Je ne pense pas que c’était conscient », expliquait Claude Régy au Monde. « Je me disais qu’il y avait sans doute une autre manière de s’y prendre que celle que je voyais. J’ai peut-être aussi essayé cette lenteur parce qu’immédiatement je me suis rendu compte qu’elle faisait entendre l’écriture d’une manière tout à fait différente, et que ça ménageait des plages de silence essentielles. » Claude Régy creuse ainsi lentement son sillon. Il connaît un succès d’estime jusqu’au milieu des années 1960. Le triomphe vient en 1965, avec La Collection et L’Amant, de Harold Pinter. Lire la critique (2002) : Claude Régy, la mise en scène de l'impalpable Le futur Prix Nobel de littérature a été monté une fois en France, mais ce fut un flop. Claude Régy décide de lui donner une seconde chance, parce qu’il cherche des auteurs hors de ceux qui ont déjà leurs metteurs en scène, Samuel Beckett, Eugène Ionesco ou Arthur Adamov. Pour jouer La Collection et L’Amant, il réunit Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Michel Bouquet et Bernard Fresson. Le public accourt, à cause de la distribution, et il découvre un jeune théâtre britannique en rupture avec l’avant-garde des années 1950 : nulle tentation métaphysique, chez lui, mais un renouvellement du théâtre psychologique. L’année suivante, alors qu’il est invité à faire l’ouverture de saison de trois théâtres, Antoine, Les Mathurins et le Théâtre de Paris, Claude Régy choisit trois auteurs britanniques : James Saunders, avec La prochaine fois je vous le chanterai, John Osborne, avec Témoignage irrecevable, et Harold Pinter, avec Le Retour. La révolution Là encore, on retrouve Delphine Seyrig, Jean Rochefort et Michel Bouquet qu’accompagnent Jean-Pierre Marielle, Claude Piéplu, Emmanuelle Riva, Pierre Brasseur et Claude Rich. Claude Régy a le don de « réunir les meilleurs acteurs de Paris dans les meilleurs spectacles », écrit Nicole Zand dans Le Monde. Pendant trois ans, la troupe – qui n’en est pas une au sens courant parce que Claude Régy veut laisser leur liberté aux comédiens – fait les beaux soirs du théâtre privé. Elle pratique même l’alternance au Théâtre Antoine (en jouant à la fois James Saunders et Luigi Pirandello), où la directrice, Simone Berriau, s’est assurée du concours de Claude Régy. Lequel reconnaissait, longtemps plus tard, que, dans ces années-là, il était beaucoup plus facile de trouver des aides ou des mécènes. En 1968, Claude Régy fait sa révolution : il reprend sa vie itinérante, passe dans le théâtre public, et monte L’Amante anglaise, de Marguerite Duras, au Théâtre national populaire de Chaillot. Il a déjà présenté la pièce, dans la première version, Les Viaducs de Seine-et-Oise, en 1963. Depuis, Marguerite Duras a remodelé son texte, qui ne la satisfaisait pas, et lui a donné une forme radicale : elle a écrit un roman dialogué, aux antipodes des formes conventionnelles du théâtre, avec un interviewer, Michael Lonsdale, et deux interviewés, Claude Dauphin et Madeleine Renaud. Elle, c’est la femme qui a tué sa cousine, infirme, sans mobile apparent. Lui, c’est le mari, qui ne comprend pas l’acte de sa femme. Lire la critique (2010) : Claude Régy dans la beauté et l'innocence du monde « Le dialogue tout entier repose sur des impressions tremblantes et des mots tremblés », écrit Bertrand Poirot-Delpech dans ces colonnes. Pour Claude Régy, c’est une révélation : « Il n’y avait rien à mettre en scène, rien à voir, juste un dialogue entre deux personnes », se souvenait-il, en 2012. « Mais quand on discutait avec les spectateurs, après le spectacle, on découvrait qu’ils avaient vu un film, véritablement. Ce qui voulait dire que le texte avait créé des images. Là, j’ai vu, matériellement parlant, la force de l’écriture en tant qu’élément dramaturgique principal. Ce qui n’est pas d’habitude considéré comme tel par les gens de théâtre. » De gauche à droite, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale, Sami Frey, Gérard Depardieu et Delphine Seyrig dans la pièce mise en scène par Claude Regy sur la scène de l'Espace Cardin à Paris, France en décembre 1973. KEYSTONE/GAMMA-RAPHO A partir de ce moment-là, un monde s’ouvre : rien n’est plus comme avant, pour Claude Régy, qui n’aura de cesse de creuser l’imaginaire provoqué par le texte, et d’en faire la matière même de ses spectacles. Soit déthéâtraliser le théâtre pour le rendre plus théâtral. Entrer en contact avec une vérité que le monde ne rend pas toujours visible. Faire sienne en scène cette parole de Nathalie Sarraute, un de ses auteurs de cœur, dont il présentera Isma, en 1973 : « Les mots servent à libérer une matière silencieuse qui est bien plus vaste que les mots. » Gérard Depardieu joue dans ce spectacle, un an après avoir créé Saved, d’Edward Bond, et un an avant de créer La Chevauchée sur le lac de Constance, de Peter Handke. Encore deux pièces qui n’ont jamais été jouées en France. Au côté de Gérard Depardieu, il y a Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Sami Frey et Michael Lonsdale. Des spectacles qui ont marqué Rêvons un peu. Entre 1974, année de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, et 1981, année de celle de François Mitterrand, Claude Régy met en scène Nathalie Sarraute (C’est beau), Marguerite Duras (à nouveau, L’Amante anglaise, puis L’Eden Cinéma, avec Madeleine Renaud et Bulle Ogier, et Le Navire Night), Peter Handke (une nouvelle création en France, Les gens déraisonnables sont en voie de disparition, toujours avec Gérard Depardieu), et Botho Strauss, dont il fait découvrir Trilogie du revoir, avec en particulier Rudiger Vogler, le comédien d’Au fil du temps, de Wim Wenders. Autant de spectacles qui ont marqué même ceux qui ne les ont pas vus, et à qui on a raconté, par exemple, qu’il n’était pas possible d’oublier Gérard Depardieu se tapant la tête contre le mur d’un décor, qui en tremblait. Et Madeleine Renaud, « petite Madeleine » comme on l’appelait, elle aussi, comment oublier cette merveille quand on l’a vue dans L’Amante anglaise, souvent repris ? Elle est là, au cœur des souvenirs. Dans ces années où les auteurs de langue allemande ont pris le pas sur les britanniques, Peter Handke et Botho Strauss reviennent, l’un avec Par les villages, chronique d’une vallée sous l’arc du temps, l’autre avec Grand et petit, chronique de l’errance d’une femme morcelée, Lotte, dans une Allemagne divisée. Lotte, avec Claude Régy, c’est Bulle Ogier, autre merveille, toujours un peu à part, toujours un peu décalée, toujours drôlement juste. On la retrouvera en 1986 dans Le Parc, de Botho Strauss. Deux ans avant, Claude Régy est invité pour la première fois à la Comédie-Française, où il laisse les auteurs contemporains pour Tchekhov, qu’il a monté une seule fois, dans sa jeunesse. Son Ivanov, sublime, réunit Miloud Khétib, Jean-Paul Roussillon, Roland Bertin, Christine Fersen. Là encore, un sans-faute dans la distribution. Claude Régy retrouve la Comédie-Française en 1990 pour Huis clos, de Sartre. Sans convaincre, cette fois. « Le Parc » de Botho Strauss, au Théâtre national de Chaillot en 1986. Brigitte ENGUERAND Poésie pure Sartre est trop éloigné de Claude Régy, dont les terres sont poétiques. En 1988, il l’a montré d’une manière admirable, avec Trois voyageurs regardent un lever de soleil, de Wallace Stevens, au Théâtre de la Bastille. Trois Chinois ont quitté Pékin pour venir en Pennsylvanie. C’est la nuit, il y a un arbre, et trois Noirs américains. Il ne se passe rien ou presque, dans les quelques pages portées à la scène : une méditation, des souvenirs, l’imagination. Michel Cournot parle de l’art de Claude Régy, « sculpture vivante, silence criant, plénitude des sens ». Tout est dit, et peut s’appliquer à la façon dont le metteur en scène aborde Maurice Maeterlinck (Intérieur, en 1985, La Mort de Tintagiles, en 1996, et à nouveau Intérieur, en 2013, en japonais, cette fois). Il n’y a plus alors de « stars », dans les spectacles du metteur en scène, à l’exception, phénoménale, d’Isabelle Huppert, qui joue 4.48 Psychose, de Sarah Kane, en 2005. Plantée droite, sans bouger un instant ses pieds, sur le plateau nu des Bouffes du Nord et dans le nu déchirant de la vie, à l’heure ultime avant la mort. A partir des années 1990, Claude Régy travaille avec des comédiens à la lisière ou à part, Valérie Dréville, Axel Bogousslavsky, Jean-Quentin Châtelain, Yann Boudaud. Il continue à faire découvrir des auteurs, Viktor Slavkine (Le Cerceau), Gregory Motton (La Terrible Voix de Satan), Arne Lygre (Homme sans but), et Jon Fosse, le Norvégien nobélisable (né en 1959) avec qui il entretient un compagnonnage intime, sur cette crête ou l’absence et la présence sont irrémédiablement liées : Quelqu’un va venir, Melancholia, Variations sur la mort. Lire la critique : L’ultime geste de Claude Régy « Ce que la silhouette d’un corps dans l’ombre peut révéler de l’être, voilà ce qui m’importe », déclare Claude Régy quand il met en scène Carnet d’un disparu, de Janacek, en 2001, au Festival d’Aix-en-Provence – il a fait quelques incursions à l’opéra. Avec le temps, la lumière devient primordiale, dans ses spectacles. Il la soigne comme le silence souterrain et l’immobilité mouvante, sans lesquels la scène ne peut devenir l’« immensité rêvée » à laquelle il aspire. Quand Claude Régy présente ses derniers spectacles, Ode maritime, de Pessoa, Brume de Dieu et La Barque le soir, de Tarjei Vesaas, et surtout Intérieur de Maeterlinck et Rêve et Folie, de Georg Trakl, on ressent la même émotion que face à des installations de James Turrell : une poésie pure, un absolu. L’aboutissement d’un chemin dans l’art, et d’une vie, dont Claude Régy nous disait : « J’ai eu de la chance. Elle a été quand même plutôt intéressante. » Claude Régy en quelques dates Dates 1er mai 1923 – Naissance à Nîmes 1952 – Garcia Lorca, Dona Rosita 1965 – Harold Pinter, La Collection et L’Amant 1968 – Marguerite Duras, L’Amante anglaise 1974 – Peter Handke, La Chevauchée sur le lac de Constance 1988 – Wallace Stevens, Trois voyageurs regardent un lever de soleil 1999 – Jon Fosse, Quelqu’un va venir 2002 – Sarah Kane, 4.48 psychose 2013 – Maurice Maeterlinck, Intérieur 2016 – Georg Trakl, Rêve et folie 26 décembre 2019 – Mort à Paris Brigitte Salino Légende Photo : Claude Regy, photographié en mai 2013 chez lui à Paris. Lea Crespi / Pasco
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Le spectateur de Belleville
October 11, 2019 6:35 PM
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Hommage à Jacques Nichet
Le grand metteur en scène a disparu en août denier à Béziers ( voir Le Théâtre du Blog) . Un hommage lui sera rendu ce dimanche 13 octobre au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes. Au programme: de 15 h au 17 h: Hommage suivi d’un verre amical. Et à 18 h, Thierry Bosc interprètera Compagnie de Samuel Beckett que mit en scène Jacques Nichet. Ce fut son dernier travail.
Ph. du V.
Confirmer votre présence ( nombre de places limité) à :hommagejnichet@gmail.com
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Le spectateur de Belleville
September 1, 2019 5:26 AM
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Propos recueillis par Nedjma Van Egmond dans Marianne Publié le 30/08/2019 Le sociétaire de la Comédie-Française évoque son illustre aîné, avec qui il a tourné au cinéma dans « Palais Royal » de Valérie Lemercier. Marianne : Quelle relation partagiez-vous avec Michel Aumont ? Denis Podalydès : J’ai connu l’acteur très jeune, et l’homme sur le tard, il y a une dizaine d’années. Alors qu’il avait quitté la troupe de la Comédie-Française dans les années 90, il y venait régulièrement et était parfaitement au courant de tout ce qui s’y passait. Comme la plupart des sociétaires honoraires, qui y ont consacré une immense part de leur vie, il y était toujours très attaché. Je l’ai vraiment connu pendant le tournage du film de Valérie Lemercier, « Palais Royal », à Londres. J’étais frappé par l’immensité de son talent autant que par sa modestie. Il était très humble, réservé, contemplatif. Hors des prises il se faisait oublier, ne demandait rien à personne, attendait, comme un enfant qui s’ennuie. Sage et mélancolique. J’aimais m’asseoir à côté de lui, et qu’il ne se passe rien… Après trente ans au Français, il y avait tant de joies et de peines à raconter ou à taire. Il restait silencieux. Il attendait tranquillement, puis, quand on lui faisait signe de jouer quelque chose, soudain en lui s’allumait la bête de scène.
"Il avait aussi une façon – c’est très rare pour un acteur – de ne jamais ramener tout à lui"
Vous avez joué comme lui un certain nombre de grands rôles du répertoire, au premier rang desquels Harpagon dans l’Avare. Vous a-t-il guidé ? Jamais. Michel ne se voulait pas pédagogue, et il était tout le contraire d’un donneur de leçons. Il avait aussi une façon – c’est très rare pour un acteur – de ne jamais ramener tout à lui. Les acteurs vieillissants sont toujours pétris d’anecdotes sur leur vie, leur carrière, ils ont une façon parfois systématique de dire du mal des autres, d’évacuer des rancœurs pour épater la galerie. Lui pas du tout. J’en reviens à sa délicatesse et sa discrétion.
Il possédait pourtant un grand talent comique. Absolument. Un humour hyper délicat, mais qui se voit immédiatement à l’écran. Un œil taquin. Une malice immense et un don pour la comédie dont il ne se servait pas entre les prises. Il refusait de faire le malin. Je l’ai découvert dans « Le Jouet ». Il a joué dans quantité de films de Francis Veber où il s’est montré hilarant. Il avait une vraie « vis comica ».
LIRE AUSSI Mort de Michel Aumont, l'hommage de Jacques Weber : "Sa maison mère était le théâtre" Que ce soit au théâtre ou au cinéma, il a souvent été distribué dans les mêmes emplois... Oui, c’était un bon soldat, qui jouait le jeu du Français. Tantôt incarnant de petits rôles, tantôt de grands rôles. Mais c’était un acteur vedette, il ne se plaignait jamais. Au théâtre, les rôles de jeunes premiers n’ont jamais été pour lui. Il était voué aux « grimés » : ces jeunes acteurs qui offrent des compositions de personnes âgées. Des Barbons. On ne sortait pas des conventions héritées du XVIIe siècle. Pour un jeune homme, ce pouvait être blessant, mais il a encaissé. Puis un jour son âge a rattrapé l’âge des barbons. Au cinéma, il avait une propension à jouer les méchants. Souvent les comédiens de théâtre avec une certaine allure, une certaines voix incarnent des politiques, des avocats marrons, des médecins médiocres, des faire valoir des héros, un peu veules, un peu lâches… Il les a multipliés Il avait aussi une fascination pour la banalité. Les personnages les plus ternes, les plus médiocres l’intriguaient, lui donnaient l'occasion d'exprimer son talent d'acteur.
Il a construit un compagnonnage au long cours avec l’acteur et metteur en scène Jean-Paul Roussillon… Oui, ils ont été longtemps frères de scène à la Comédie Française et amis. Je me souviens d’une pièce exceptionnelle qu’ils ont jouée ensemble, « Abel et Bela » de Robert Pinget, à la fin de leur parcours à la Comédie Française. Ce fut un magnifique duo de clowns. En plus de l’amour du théâtre, ils partageaient beaucoup de choses : il était tous deux fils de régisseurs, et avaient en commun une longue histoire avec l'alcool. Ils avaient la mélancolie des anciens buveurs, qui se sont résignés à ne boire que de l’eau ou ne peuvent plus faire autrement. Je l’ai déjà vu, pendant un dîner regarder mon verre de vin du coin de l’œil avec une certaine nostalgie, alors que lui était à l’eau claire. Je suis touché par le rapport entre l’alcool et les acteurs… Cela pourrait faire l’objet d’un livre passionnant.
"Cet homme discret a traversé l’existence sans faire de bruit. Ceux qui allaient le voir au théâtre étaient plutôt âgés et ses films ne sont plus forcément diffusés à l’écran"
Comment expliquer que les jeunes générations ignorent aujourd’hui le nom, le visage de Michel Aumont ? C’est un acteur qui fut consacré dans son âge mur, par de nombreuses nominations aux César et Molière. Cet homme discret a traversé l’existence sans faire de bruit. Ceux qui allaient le voir au théâtre étaient plutôt âgés et ses films ne sont plus forcément diffusés à l’écran. Donc un pan du public ne le connaît pas, hélas. A l’époque, les acteurs de théâtre étaient des stars de l’ORTF et le grand public les connaissait aussi ainsi.
Vous êtes passionné par la voix, à laquelle vous avez consacré un livre. Que vous inspire celle de Michel Aumont ? Elle a la franchise d’un timbre très net, très sonore, très délié, une qualité d’inflexion liée à la formation classique de la Comédie-Française. Sa présence vocale est très forte, il affiche un très beau phrasé dans tous les registres. Il y a plus de réflexion, de sens que de volume ou d’effet de voix dans sa façon de jouer. C’est un acteur à la fois mesuré et démesuré. Je me souviens d’une Dame de chez Maxims que j’ai vue en 1981. Il incarnait Lui faisait le personnage de Mongicourt, en partie avec des improvisations et voguait, en grand clown sur les rires de la salle. Sa voix faisait merveille.
A-t-il des « héritiers » au sein de la Comédie-Française ? Il n’a pas de descendance directe, mais peut être un mélange de Serge Bagdassarian, Laurent Stocker, et je me mettrais dans le lot en toute modestie. Pour la souplesse scénique et la mélancolie du phrasé. Denis Podalydès, propos recueillis par Nedjma van Egmont pour Marianne Crédit photo : AFP
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Le spectateur de Belleville
August 29, 2019 12:26 PM
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Par Bertrand Guyard dans Le Figaro le 29/08/2019 DISPARITION - Immense comédien de théâtre et acteur recherché pour sa capacité à se fondre dans les rôles les plus antipathiques, le sociétaire honoraire de la Comédie-Française s’est éteint dans la nuit de mercredi à jeudi à l’âge de 82 ans. Sur la scène de la Comédie-Française il avait joué plus de deux cents fois, mais toujours avec la même délectation, L’Avare de Molière. Le comédien Michel Aumont vient de nous quitter à l’âge de 82 ans dans la nuit du 28 au 29 août. La triste nouvelle a été confirmée par sa fille Catherine Aumont et par l’agent du comédien. » LIRE AUSSI - Michel Aumont, un vieil Alceste apaisé Né le 15 octobre 1936 à Paris, Michel Aumont est passionné de théâtre. Il n’a pas encore vingt ans, le 1er septembre 1956, quand il est engagé comme pensionnaire à la Comédie-Française. Il devient sociétaire en 1965 puis, honneur suprême pour lui qui voyait la maison de Molière comme son refuge, sociétaire honoraire en 1994. La passion des planches Sur les planches, il jouera tous les grands rôles du répertoire classique. L’avaricieux Harpagon donc, plus de deux cents fois, mais aussi Cyrano de Bergerac de Rostand, Le Songe de Strindberg, Périclès de Shakespeare... Ce goût de la scène ne le quittera jamais puisqu’en 2015, il reprenait encore avec jubilation Le Roi Lear au théâtre de la Madeleine. Sa science et sa connaissance de l’œuvre de Molière seront utilisées jusqu’à l’envi par la télévision qui lui confie à partir des années 1970 la responsabilité des adaptations sur le petit écran. Parmi ses plus belles réussites, on peut citer encore et toujours L’Avare mais aussi George Dandin et Le médecin malgré lui. Le cinéma ne pouvait oublier un acteur aussi doué. Michel Aumont fait ses grands débuts en 1972 sous la direction de Michel Deville dans La Femme en bleu. Il devient ce grand second rôle dont les cinéastes ont besoin pour enrichir leur scénario. Georges Lautner lui confie après Claude Chabrol et Claude Zidi un rôle de commissaire... véreux. Sur le grand écran comme sur la scène, le comédien français s’ingénie à jouer les contre-emplois avec une rare justesse. Dans les années 1980, ses apparitions cinématographiques se font plus rares mais elles n’en sont pas moins remarquées. On le voit dans Les Compères de Francis Veber en 1983 puis une année plus tard dans Un dimanche à la campagne de Tavernier. Une comédie puis une dramatique qui mettent en lumière toute la panoplie de jeu de Michel Aumont, grand frère mal aimé, épris d’ordre et de bienséance. Deux fois Molière du meilleur comédien La décennie 1990 consacre son immense talent. On le revoit plus vrai que nature dans un rôle de commissaire véreux dans Ripoux contre ripoux de Claude Zidi. Il reçoit en 1993 le Molière du meilleur comédien pour sa composition dans le Macbett de Ionesco. Le trophée est à sa mesure puisqu’en 2000, il est de nouveau couronné pour Un sujet de roman. Francis Veber, qui se souvient avec bonheur de sa performance d’acteur dans Les Compères, lui donne un rôle dans presque tous ses films à partir de 2000. On le verra dans Le Placard,Tais-toi!, La Doublure et L’Emmerdeur. Malgré cette belle présence sur grand écran, Michel Aumont ne délaisse pas ce qui reste sa seule vraie passion: les planches. En 2007, il s’attaque à Puzzle de Woody Allen. En 2010, il joue la pièce de son ami Niels Arestrup, Les Heures Blanches. Et signe du destin, il reprend Le Roi Lear de Shakespeare en 2015. Une apothéose pour ce formidable saltimbanque qui aimait à dire: «Je veux toujours recommencer comme si j’étais un petit élève d’un cours de théâtre.» ● Michel Aumont et Isabelle Adjani dans "L’école des femmes" de Molière (lien vers la vidéo Youtube)
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Le spectateur de Belleville
August 27, 2019 10:48 AM
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Disparition de Jacques Nichet : Hommage des journalistes
Armelle Héliot dans son blog : Jacques Nichet, la discrétion et l’audace Metteur en scène, directeur de grandes institutions, il s’est éteint des suites d’une longue maladie. Il avait 77 ans. Il laisse une très forte empreinte. Il aimait la même histoire que celle que Jean-Louis Trintignant adore raconter dans ses spectacles. Jacques Nichet, lui, en avait fait la chute de sa leçon inaugurale au Collège de France (chaire de création artistique, 2009-2010). Il aimait dire, divertir. Il aimait les ellipses : « Un jour, un homme vint trouver le directeur d’un cirque et lui demanda si par hasard il n’avait pas besoin d’un imitateur d’oiseau. « Non », répondit le directeur du cirque. Alors l’homme s’envola à tire d’aile par la fenêtre. » Jacques Nichet s’est envolé. Il s’est éteint le 29 juillet, vaincu par une longue maladie qu’il avait traitée avec distance, sinon indifférence. Il s’y était abandonné, comme las, hanté d’un insondable chagrin. De nos jours, 77 ans, cela sonne jeune, surtout pour un artiste toujours curieux de lectures et de découvertes. Les circonstances font que l’on a connu le tout jeune agrégé de Lettres Classiques qui, à peine sorti de l’Ecole Normale supérieure, avait choisi d’enseigner au Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, cette fac née en plein bois, quelques mois après mai 1968. On disait que seuls des professeurs qui n’avaient plus rien à prouver s’aventuraient dans … l’expérience…Michel Deguy, Michel Foucault, Lucette Finas, la très jeune et très brillante Hélène Cixous –une thèse remarquée sur James Joyce et un roman prix Médicis, Dedans. Il y avait aussi le jeune Nichet, déjà épris de théâtre puisqu’il avait monté Les Grenouilles d’Aristophane du temps de l’ENS, avec une compagnie qui se nommait déjà L’Aquarium. Il allait faire comme les étudiants : tracer sa route à travers bois, pour aller de la fac à la Cartoucherie où régnaient déjà Jean-Marie Serreau et le Théâtre de la Tempête, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil. Et ce fut, en 1973, l’installation du Théâtre de l’Aquarium avec deux artistes comme lui très épris de haute littérature, audacieux et fédérateurs : Jean-Louis Benoit et Didier Bezace. Des années durant, l’Aquarium fut marqué par ce trio très entreprenant, soucieux de son temps et qui dépasse très vite les frontières de l’ancien terrain militaire : Les Marchands de ville à Paris, monté tandis que les travaux se déploient à la Cartoucherie, puis, en 1976, un spectacle en lien avec le combat des « Lip », à Besançon, La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras. En 1986, il fut nommé à la direction du centre dramatique national de région de Languedoc-Roussillon : le théâtre des Treize Vents à Montpellier. Il monte Lorca et Calderon de la Barca, Diderot et Marivaux, mais aussi Euripide, Synge, Eduardo De Filippo, Javier Tomeo, Bernard-Marie Koltès et son cher Serge Valletti. Certains de ces spectacles sont présentés ensuite en tournée dans toute la France et à Paris, Théâtre de la Ville, Colline, ou la ceinture parisienne. Aux Gémeaux de Sceaux, à la Commune d’Aubervilliers, plus tard. Il y créera même des spectacles, les dernières années. Juillet 1996 marque une grande date : il met en scène, pour la cour d’Honneur du palais des Papes d’Avignon La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire. Un spectacle magistral, inoubliable donné sous la direction de Bernard Faivre d’Arcier. En octobre 1998, Jacques Nichet prend la direction du Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, dans un bâtiment tout neuf. Il inaugure ce nouveau chapitre avec Serge Valletti, montant de nombreux contemporains : Keene, Koltès, Alexievitch dont il crée Les Cercueils de zinc. Il met également en scène Nicolaï Erdman et Dario Fo, un homme de théâtre qui correspond à ses préoccupations et à son goût d’un théâtre aussi actif que poétique. Dans chacun des choix de Jacques Nichet, dans chacune de ses mises en scène, on retrouve une délicatesse et une acuité, une profondeur et un souci du bonheur du public. Il est très fin, très subtil, très aigu, mais il ne s’enferme jamais : il pense au spectateur, il pense à transmettre, à émouvoir et à éveiller. « J’évite avant tout d’éblouir le public, ce serait l’aveugler : je souhaite lui suggérer ce qui se joue dans l’ombre » disait-il encore dans la première leçon au Collège de France. A 65 ans, en 2007, il avait quitté l’institution. Avec détermination, lucidité, sens du partage et des plus jeunes générations. Il y aurait beaucoup à raconter sur cet homme qui était un artiste ultra-sensible et avait un grand sens du service public. Jusqu’à ces derniers mois, il avait monté des spectacles. On n’oublie pas, en 2009, sa sublime version de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, à la Commune. Il avait même dit des textes de Leopardi. Il était revenu au TNT en 2018 pour diriger Thierry Bosc dans Compagnie de Samuel Beckett. Une cérémonie d’adieux a lieu le 1er août, à 9h00, en la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse. L’inhumation aura lieu le lendemain, 2 août, au vieux cimetière de Béziers, à 13h00. Une soirée d’hommage sera organisée plus tard à Paris. ---------------------------------------------------------------------- Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan, paru le 2 aôut 2019 : Jacques Nichet aura été l’une des grandes figures nées du théâtre universitaire. Au théâtre de l’Aquarium, lui et toute la troupe allaient inventer une autre façon de faire du théâtre où le travail collectif, en prise sur le réel, allait être primordial. Par la suite, il devait diriger ,avec brio mais plus classiquement, le théâtre des Treize-vents à Montpellier puis le TNT à Toulouse. Un cancer foudroyant aura abrégé à 77 ans la riche vie de Jacques Nichet ce 29 juillet. Une longue histoire qui traverse plus de cinquante ans de théâtre. "Un style nouveau, un répertoire original" Tout commence dans les années 60. Élève à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Jacques Nichet y fonde le groupe 45 . En 1964, le groupe monte Le sacrifice du Bourreau de René de Obaldia et vient avec ce spectacle au festival de théâtre universitaire de Nancy créé l’année précédente par le jeune Jack Lang (qui, lui, anime le Théâtre Universitaire de Nancy) C’est la grande époque du théâtre universitaire en France (et dans le monde entier) d’où sortiront, pour ne citer qu’eux, Patrice Chéreau et Ariane Mnouchkine. Les groupes de théâtre universitaires sont affiliés à la FNTU (-Fédération Nationale de Théâtre Universitaire). Jacques Nichet deviendra un temps président de cette fédération succédant à Patrice Chéreau. Le 4 janvier 1965, le groupe 45 devient le Théâtre de l’aquarium (c’est le nom que les élèves de l’ENS donne à la guérite en verre du gardien) . Nichet en est le directeur et en devient le metteur en scène sans que ce titre soit revendiqué. Aux Grenouilles d’Aristophane succède Et les chiens se taisaient d’Aimé Césaire, spectacle qui tourne dans les villes du sud. Pour la première fois , la troupe rencontre un public non -universitaire. En 66 retour au Festival de Nancy avec Monsieur de Pourceaugnac de Molière La troupe se présente ainsi dans le programme : « nous travaillons dans l’esprit de la fédération nationale de théâtre universitaire : gardant l’anonymat, nous évitons de plagier les professionnels et nous recherchons un style nouveau ou un répertoire original ». L’année suivante Les guerres picrocholines d’après Rabelais reçoit le grand prix au Festival international de théâtre universitaire de Zagreb. Ce qui vaut au spectacle d’être joué cinq fois au théâtre du Théâtre du vieux Colombier et d’être prolongé, aux frais de la compagnie, mais le public répond présent. En 1968, l’Aquarium précède les événements avec un spectacle d’après Les Héritiers de Bourdieu et Passeron. Titre : L’Héritier ou les étudiants pipés écrit par Nichet et un peu par Bourdieu Au fil des spectacles, la troupe se renforce.Jean-Louis Benoit la rejoint pour une tournée en Amérique Latine, Didier Bezace viendra un peu plus tard Comme les meilleurs troupes universitaires qui perdurent, L’Aquarium est de moins en moins universitaire et de plus en plus professionnelle. Le collectif reste le maître mot. Et il se produit une chose qui parait incroyable aujourd’hui : alors que la troupe est en grande difficulté financière, Pierre Cardin programme leur nouvelle création Les évasions de monsieur Voisin, texte écrit par Nichet à partir de documents et d’improvisations. C’est à la fois un style nouveau et un répertoire original qui vont faire les beaux jours et les belles nuits du Théâtre de l’Aquarium lorsque la compagnie s’installera à la Cartoucherie en 1972 à l’invitation d’Ariane Mnouchkine déjà là avec le Théâtre du Soleil Jean-Marie Serreau ne tardera pas à venir occuper d’autre bâtiments auxquels il donnera le nom de Théâtre de la tempête). Tout est à faire dans les locaux de l’Aquarium qui servaient d’entrepôts à Jean-Louis Barrault pour ses décors. Les murs, la verrière, le plateau, les coulisses les toilettes, l’électricité, les bureaux, tout. Chacun s’y met selon ses compétences réelles ou autoproclamées. L’une des actrices de la jeune troupe , Karen Rencurel, excellente photographe, a immortalisé ce chantier. Entre ruelle et brouette on reconnaît Jean-Louis Benoît,Thierry Bosc, Bernard Faivre, Louis Mérino, Martine Bertand, l’administrateur Bruno Genty, j’en oublie. Troupe et triumvirat Et la troupe imprègne les murs à jamais. Égalité de salaires, AG souveraine (comme cela sera le cas du quotidien Libération qui commence à paraître de temps en temps l’année suivante), travail collectif, discussions infinies, sujets d’actualité, une utopie en acte. Jacques Nichet est officiellement le seul directeur de l’Aquarium ( le ministère de la culture ne veut voir qu’une tête) , mais un triumvirat -Nichet, Benoit, Besace- va progressivement s’imposer. Chacun supervise ou initie tel ou tel projet. Cette histoire qu’il faudrait nuancer et préciser a été racontée par le menu dans deux ouvrages La Cartoucherie, une aventure théâtrale par Joël Cramesnil (Les éditions de l’Amandier ,2004) et L’Aquarium d’hier à demain par François Rancillac (Editions Riveneuve.Archimbaud, 2018). En arrivant dans le lieu comme directeur, Rancillac a voulu en connaître l’histoire, il la restitue à travers une pièce documentée et recomposée qui, joliment met en scène les personnages de cette histoire. Jacques Nichet qui en signe la postface conclut : « Tu a écrit, mieux que moi, cher François , l’art poétique implicite de notre théâtre « à brûler », comme disait notre ami Dario Fo. J’espère que mes copains de l’Aquarium auront la même chance que moi de découvrir un tel texte judicieux et jubilatoire! Ils s’y retrouveront, j’en suis sûr, et de tout mon cœur te remercieront : puisse cette page nous permettre de renouer les uns avec les autres, ce serait un joli miracle , un vrai coup de théâtre ! » Car, effectivement, après des années fastes et intenses, des spectacles inoubliables, un esprit sans pareil, l’aventure unique de l’Aquarium, première manière, allait petit à petit se déliter -sans pour autant s’essouffler- comme souvent les aventures où le collectif prime sur l’individu (lequel renaît toujours de ses cendres). Des spectacle comme Les marchands de ville (le titre résume son contenu) -accueilli par Georges Wilson au TNP salle Gémier, puis le premier à être donné à la Cartoucherie Gob (sur la presse et le fait divers de Bruay en Artois) ou encore Tu ne voleras point (un spectacle sur la justice en forme de cabaret), La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras (autour de l’entreprise), La sœur de Shakespeare (sur le rôle de la femme, six mois de représentations à l’Aquarium, cinq mois de tournée en France et à l’étranger) sont signés par toute la troupe, même si le rôle de Nichet, en coulisses est prépondérant (mise en forme, écriture, synthèse) après un travail collectif tout azimut. Le acteurs s’affirment, les personnalités aussi, Nichet reste, dans l’ombre , la tête la mieux pensante ? Le collectif connaît de nouvelles recrues mais les collectifs meurent plus vit que ceux qui les ont engendré .Jean Louis Benoît et Didier Bezace portent de bout en bout des projets formidables comme Un conseil de classe pour le premier ou Pépé pour les deux. Nichet (qui lui-même signe la mise en scène d’Ah Q , une pièce chinoise que lui a fait connaître Jean Jourdheuil), n’en prend nullement ombrage. Au collectif succède un collège d’artistes. De Montpellier à Toulouse En 1986, Jacques Nichet laisse l’Aquarium à Didier Bezace (qui sera nommé plus tard au Théâtre de la commune d’Aubervilliers) et à Jean Louis Benoit (qui sera nommé plus tard au théâtre de la Criée à Marseille). Il est nommé à la direction des Treize vents, le CDN de Montpellier, douze ans plus tard il prend la direction du TNT (théâtre National de Toulouse) qu’il quittera en 2007 avec ces mots : « Dans le métier, il est de coutume d’exercer jusqu’à 70 ans. À 65 ans, j’ai senti qu’il fallait boucler un cycle, j’ai décidé de me surprendre moi-même en forçant le destin… La vie n’est intéressante que si elle est surprenante ! » Durant ces longs mandats, ils nous aura surpris et ravi plus d’une fois. En montant de nombreux classiques mais aussi Sik-Sik – Le Haut-de-forme d’Eduardo de Filippo, Monstre aimé de Javier Toméo , Le jour se lève Léopold de Serge Valetti, Faut pas payer ! de son ami Dario Fo ou encore adaptant au théâtre Les cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch. Grand moment, il fera entrer dans la cour d’honneur du Palais des papes au festival d’Avignon la parole d’Aimé Césaire en mettant en scène La tragédie du roi Christophe (1996). Cet agrégé de lettres classiques qui enseigna longtemps à Paris VIII devait tenir au Collège de France la chaire de création artistique en 2009-2010. Son dernier spectacle aura été en 2018 un Beckett mettant en scène Thierry Bosc (un vieux compagnon de l’Aquarium) dans Compagnie, un mot qui résume la vie de cet homme par ailleurs discret voire secret, un demi-sourire accroché en permanence aux lèvres. L’inhumation aura lieu aujourd’hui à 13h au cimetière de Béziers Un hommage lui sera rendu à Paris à la rentrée au théâtre de l’Aquarium Jean-Pierre Thibaudat -------------------------------------------------------------------- Franck Riester, ministre de la Culture : Le communiqué de presse : http://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Hommage-de-Franck-Riester-ministre-de-la-Culture-a-Jacques-Nichet --------------------------------------------------------------------- Jean-Claude Raspiengeas dans La Croix :
http://sco.lt/6V30pk Le metteur en scène de théâtre Jacques Nichet est mort le 29 juillet à 77 ans. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de lettres, il avait cofondé avec Didier Bezace et Jean-Louis Benoit, le Théâtre de l’Aquarium, à la Cartoucherie de Vincennes.
Il incarnait une forme de douceur et d’érudition. Ses mots étaient pesés, son regard bienveillant, son sourire encourageant. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de lettres, Jacques Nichet avait débuté en 1965 par une mise en scène de la pièce d’Aristophane, Les Grenouilles. Dans la foulée et les ardeurs de Mai 68, jeune Turc de la scène, il avait fondé une troupe universitaire, la Compagnie de l’Aquarium. Quand Ariane Mnouchkine avait posé son Théâtre du Soleil sur le site militaire désaffecté de la Cartoucherie, dans le bois de Vincennes, Jacques Nichet l’avait rejointe pour créer, avec Didier Bezace et Jean-Louis Benoit, le Théâtre de l’Aquarium.
Le trio ébouriffant monte des spectacles hors du répertoire, créations collectives issues de l’autogestion et, bien dans l’air de ce temps-là, des pièces politiques et grinçantes, écrites après enquêtes sur le terrain. « Des formes bâtardes, souvent réalisées en peu de temps et sans trop d’argent qui affirmaient leur originalité et d’autres façons d’inventer le théâtre », rappelait Jacques Nichet, lors de sa conférence inaugurale au Collège de France où il occupa la saison 2010-2011 la Chaire de création artistique, après quarante ans d’expériences au Théâtre de l’Aquarium, au Théâtre des Treize Vents, au Théâtre National de Toulouse, puis à la Compagnie l’Inattendu.
Peu à peu, le Théâtre de l’Aquarium revient aux grands auteurs, Kafka, Ferdinando Camon, Lu Xun. Au milieu des années 1980, Jacques Nichet quitte la capitale et repart vers sa région d’origine, l’Occitanie. Il pose ses valises à Montpellier où il succède à Jérôme Savary à la tête du Centre dramatique national du Languedoc-Roussillon, rebaptisé par lui « Théâtre des 13 Vents », qui met en valeur les textes classiques de Lorca, Calderon, Euripide, et fait connaître des auteurs contemporains comme Serge Valletti.
En 1996, invité au festival d’Avignon, Jacques Nichet fait entendre dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes une mémorable adaptation du grand texte d’Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe.
« La vie n’est intéressante que si elle est surprenante » En 1998, nouveau départ à la direction du Théâtre national de Toulouse. Il y monte des œuvres de Shakespeare, Dario Fo, Bernard-Marie Koltès, Sophocle, Georges Perec et une adaptation du livre de témoignages sur la guerre en Afghanistan que mènent les Russes, Les Cercueils de zinc, de Svetlana Alexievitch, futur Prix Nobel de littérature. Il s’engage aussi dans la création du Centre international de traduction théâtrale.
En 2007, à la surprise générale, il fait valoir ses droits à la retraite. Il a 65 ans. « Plus on tarde, plus on s’accroche », explique-t-il. Il quitte l’institution et repart sur ses propres chemins de liberté. « La vie n’est intéressante que si elle est surprenante », disait-il. Il met sur pied une nouvelle compagnie, L’Inattendu. Le dernier spectacle de Jacques Nichet, en 2018, était une mise en scène d’un texte de Beckett dont le titre, rétrospectivement, semble boucler le parcours de sa vie : Compagnie. Derrière ce mot, un ancrage et la nécessité d’être avec les autres, toujours.
Comment définissait-il son art, sa voie poétique ? « Cristalliser, saisir quelque chose du temps que nous vivons ensemble. Regarder notre réalité pour y voir plus clair. » ----------------------------------------------------------------------------------------- Brigitte Salino dans Le Monde : (cliquer ici pour accéder à l'article) ------------------------------------------------------------- Gilles Costaz dans Webthéâtre :
Décentralisation, deuxième génération Né à Albi en 1942, Jacques Nichet est le co-créateur du théâtre de l’Aquarium, avec Jean-Louis Benoit et Didier Bezace, fondé en 1970. Avant d’être élève de l’Ecole normale supérieure rue d’Ulm, où fut créée la première version de cette troupe, Nichat avait déjà fait des débuts remarqués à Grenoble quand il était étudiant en hypokhâgne : sa mise en scène du Médecin malgré lui, dans l’amphithéâtre du lycée Stendhal, avait déjà les qualités de farce explosive qu’il devait développer plus tard. Ayant installé l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes, non loin du Soleil d’Ariane Mnouchkine, le trio fit des étincelles en revendiquant de le principe de la création collective, mais chacun avait une personnalité qu’on a vue se distinguer au fil des années : fièvre comique et satirique chez Nichet, ironie politique chez Benoit, goût de la traversée du miroir chez Bezace. Nichet fit vite preuve de ses dons farcesques avec Les Guerre picrocolines d’après Rabelais, qui restera l’une des grandes références de l’Aquarium. Mais les autres spectacles historiques de l’Aquarium sont collectifs et politiques : Marchands de ville (1972) dénonce la spéculation immobilière, Tu ne volerais point (1974) traite des détournements de fonds publics et La Jeune Lune (1976) des occupations d’usines. Le trio Benoit-Bezace-Nichet se sépare en 1986, Nichet étant appelé à diriger à Montpellier le Centre dramatique national de Montpellier, au domaine Gramont qu’il rebaptise le théâtre des Treize-Vents. Belles années jusqu’en 1998, où l’inspiration préférée de Nichet – le théâtre du Sud, les auteurs du Sud – prend une place majoritaire. On se souviendra particulièrement de La Savetière prodigieuse de Garcia Lorca, du Magicien prodigieux de Calderon, de Domaine ventre de Valletti, de Monstre aimé de Javier Tomeo, avec des incursions dans d’autres veines du patrimoine mondial : Le Rêve de d’Alembert de Diderot, Le Baladin du monde occidental de Synge, Sik-Sik de De Filippo... En 1990, il crée à Montpellier avec Jean-Michel Déprats la Maison Antoine Vitez, Centre international de traduction théâtrale, structure extrêmement vivante et productive, qui a toujours un rôle premier plan dans la circulation et la découverte de textes de tous pays. En 1996, il donne au festival d’Avignon une mémorable Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire En 1998, il succède à Jacques Rosner à la tête du Théâtre national de Toulouse. Toujours la même politique de textes ardents et de passion du public : Valletti, Dario Fo, Keene, Horvath, Alexievtich… Ensuite, il avait choisi la discrétion, à la tête d’une compagnie modeste, l’Inattendu, qui faisait un spectacle de temps à autre (Braises et Cendres, d’après Cendras, 2014). Auteur de deux livres, Je veux jouer toujours, Le théâtre n’existe pas (belle contradiction des titres !), réalisateur d’un film, La Guerre des demoiselles, titulaire de chaire au Collège de France à la fin de sa vie, Jacques Nichet était un homme à la fois chaleureux et réservé, assez différent des autres artistes, d’une nature généralement extravertie. C’était sa manière d’être l’un des grands personnages du théâtre français, l’une des figures de proue de cette seconde génération la décentralisation qui a pris la place des Vilar et autres Planchon pour faire un théâtre plus chahuteur et moins obsédé par les classiques. ----------------------------------------------------------------------- Jérôme Gac dans Blog Culture 31 : Le bâtisseur de théâtres ----------------------------------------------------------------------- Stéphane Capron dans Sceneweb :
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Le spectateur de Belleville
August 25, 2019 1:59 PM
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Par Didier Bezace, publié dans Télérama le 31 juillet 2019 Le metteur en scène et réalisateur Jacques Nichet a disparu lundi 29 juillet 2019, à l’âge de 77 ans. Son ami Didier Bezace, avec qui il avait créé le théâtre de l’Aquarium, a rédigé une lettre d’adieu que nous publions ici.
Habité par son amour du théâtre, Jacques Nichet (1942 – 2019) y a consacré sa vie entière. Dès les années soixante, lorsque, encore étudiant à l’École normale supérieure, il fonde et dirige la troupe universitaire du Théâtre de l’Aquarium. La même qui précédera le théâtre éponyme, créé en 1972 par un collectif auquel appartenaient notamment ses amis Jean-Louis Benoît et Didier Bezace. Le lieu, qui fonctionne toujours aujourd’hui, est l’un des cinq théâtres composant la Cartoucherie de Vincennes, voisin des théâtres du Soleil d’Ariane Mnouchkine, de la Tempête, de L'Epée de bois et de l'Atelier de la chorégraphe Carolyn Carlson.
De 1986 à 1997, Jacques Nichet a dirigé le Théâtre des 13 vents – Centre dramatique national de Montpellier, avant de s’installer à la tête du Théâtre National de Toulouse jusqu’en 2007.
Didier Bezace a rédigé une lettre d’adieu adressé à son ami disparu, que nous reproduisons ici.
« Cher Jacques,
Télérama a la gentillesse de nous permettre de saluer ta mémoire. Tu as disparu, il y a quelques heures seulement, tu es parti discrètement, tu nous as surpris par ce dernier tour de magie — que tu appréciais tant — malheureusement il s’agit là de magie noire et nous sommes victimes d’une illusion trop vraie. Abracadabra ! Tu n’es plus là ; mais où es-tu ? J’entends quelque part autour de nous ton rire clair et joyeux, celui d’un blagueur de talent. Le tour est réussi, j’écris en mon nom et au nom de mes camarades aussi désemparés que moi, Jean-Louis [Benoît, co-créateur du théâtre de l’Aquarium, ndlr], Thierry, Jean-Loup, Bernard, Louis, Karen, Philippe, Martine, Françoise, Bruno et tant d’autres qui ont eu la chance de te connaître et de t’aimer.
Nous saluons celui qui a su nous entraîner dans une aventure humaine et artistique passionnante, celle du Théâtre de l’Aquarium installé en 1973 à la Cartoucherie de Vincennes à l’invitation d’Ariane, qui elle aussi a appris la nouvelle de ton décès avec une grande tristesse.
Nous saluons celui qui nous a formés, dirigés avec clairvoyance et précision, inculqués le sens d’un théâtre exigeant et généreux, riche en émotion, en humour et en humanité, et partagé avec un public fervent et aujourd’hui endeuillé.
Avec toi, nous avons appris le combat politique, nous l’avons mené à notre manière, modestement, conscients d’être dans le monde et d’avoir à se battre pour le changer.
Dans quelques jours, nous serons à tes côtés pour t’accompagner jusqu’à ta dernière demeure, un trou noir qu’une lourde pierre va fermer à tout jamais, nous laissant encore plus seul(e)s !...
Pour l’instant, la tristesse efface les mots mais plus tard nous parlerons, nous dirons à tous ceux qui ne t’ont pas connu ton talent, ta discrète générosité, ton amitié solide et souvent réconfortante.
Salut Jacques. »
A lire – L’Aquarium, d’hier à demain, de François Rancillac, (Ed. Riveneuve, 120 p., 15 euros)
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Le spectateur de Belleville
August 12, 2019 2:59 PM
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Jacques Nichet, explorateur et pionnier discret
Jacques Nichet (1942-2019) - a participé au premier collectif de metteurs en scène assurant conjointement la direction d’un théâtre en France (Le Théâtre de l’Aquarium installé en 1973 par Didier Bezace, Jean-Louis Benoit et Jacques Nichet à la Cartoucherie) - a été un des premiers en France à s’intéresser au théâtre du dramaturge israélien Hanoch Levin (Marchands de caoutchouc, 1994), à l’œuvre du dramaturge australien Daniel Keene (Silence complice, 1999), du britannique Mike Kenny (La chanson venue de la mer, 1998), et de l’autrice franco-roumaine Alexandra Badea (Pulvérisés, 2014) - a monté Maeterlinck à une époque où cet auteur n’attirait aucun metteur en scène, sauf Claude Régy et Henri Ronse (L’intruse, 1984) - a fondé en 1991, avec Jean Lebeau et le traducteur Jean-Michel Déprats, la seule institution française dédiée à la traduction théâtrale : la Maison Antoine-Vitez, qui sera basée durant ses premières années à Montpellier, à quelques pas du Théâtre des Treize-Vents qu’il dirigeait alors. https://www.maisonantoinevitez.com/fr/historique.html (Merci à Irène Bonnaud) - a monté le théâtre d’Eduardo de Filippo à une époque où le milieu théâtral en France rejetait cet auteur considéré comme représentant d’un certain folklore napolitain (Sik-Sik, et le Haut-de-forme, 1991) - a été, avec Daniel Mesguich, parmi les premiers metteurs en scène français à distribuer l’acteur belge Christian Hecq (1991) et aussi un des premiers à avoir dirigé Charles Berling dans un rôle important avant que le cinéma révèle l’acteur au grand public (Monstre aimé, de Javier Tomeo, 1988) - Le premier metteur en scène à proposer le texte d’un auteur noir à la Cour d’honneur du Palais des papes (La Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire, Festival d’Avignon 1996) - A été sans doute le seul directeur d’institution à avoir présenté un montage poétique (auteurs multiples, parfois inconnus) dans le cadre du programme officiel du Festival d’Avignon (La prochaine fois que je viendrai au monde, 2000) - a créé dans les années 70 un spectacle conçu à partir de témoignages d’ouvriers en lutte : ce spectacle est resté six mois à l’affiche à la Cartoucherie, et la critique de ce spectacle a paru en « une » du Monde (La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras, 1976) - a été, jusqu’à ce jour, le seul praticien du théâtre à avoir occupé la Chaire de création artistique du Collège de France, fondée en 2005. On peut trouver l’enregistrement de sa leçon inaugurale, en janvier 2010, sur le site de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/college-de-france-40-lecons-inaugurales/jacques-nichet-le-theatre-nexiste-pas - a monté Marivaux, Euripide, Feydeau, Beckett, Garcia Lorca, Synge, Shakespeare, Tennessee Williams, Koltès, Valletti, Dario Fo ... mais aussi Daniel Danis, Giovanni Macchia (Le Silence de Molière) Giacomo Leopardi (Petites œuvres morales, et Le Commencement du bonheur), Quint Buchholz (Le Collectionneur d’instants) Etc. (À compléter ou corriger si nécessaire) Sources : Les Archives du spectacle et Wikipedia, et souvenirs personnels nombreux (Alain Neddam)
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Le spectateur de Belleville
June 17, 2019 4:37 PM
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Le Monde avec AFP Publié le 19 juin 2019 Epoux de la comédienne Geneviève Mnich, Maurice Bénichou a joué dans une quarantaine de pièces et une cinquantaine de films sous la direction des plus grands réalisateurs, dont Henri Verneuil, Raoul Ruiz et Yves Robert.
Il était cet adulte qui retrouvait, dans une cabine téléphonique, la boîte à trésors de son enfance retrouvée par une certaine Amélie Poulain. Devant la caméra de Michael Haneke dans Caché, il s’égorgeait sous les yeux effrayés de Daniel Auteuil. Le comédien Maurice Bénichou, second rôle discret mais prolifique au théâtre et au cinéma, est mort samedi 15 juin à l’âge de 76 ans, a-t-on appris lundi auprès de son agent.
Dès 1968, Maurice Bénichou a été mis en scène par Patrice Chéreau dans Le Prix de la révolte au marché noir, avant de devenir l’un des comédiens récurrents des créations de Peter Brook. En 1974, il était ainsi à l’affiche de Timon d’Athènes de William Shakespeare, au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. En 1985, Peter Brook confiait à Maurice Bénichou les rôles de Ganesha et Krishna dans Mahabharata, un spectacle de 9 heures qui reste l’un des grands événements du Festival d’Avignon.
Epoux de la comédienne Geneviève Mnich, Maurice Bénichou a joué dans une quarantaine de pièces et une cinquantaine de films sous la direction des plus grands réalisateurs, dont Henri Verneuil, Raoul Ruiz et Yves Robert avec, notamment, Un éléphant ça trompe énormément, en 1976.
« L’instant exigeait un grand jeu d’émotion » En 1981, Elie Chouraqui le recrute pour Qu’est-ce qui fait courir David ? Sous la direction de Jean-Jacques Zilbermann, il tourne aussi dans Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes. Après Drôle de Félix d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau en 2000, Jean-Pierre Jeunet offre à Maurice Bénichou ce court rôle d’adulte un brin nostalgique qui l’a popularisé dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Dans un entretien à l’Agence France-Presse, le réalisateur confiait : « Je l’avais découvert dans une pièce de Peter Brook et dans “Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes”. Pour “Amélie Poulain”, il était idéal pour la scène de la boîte aux souvenirs. L’instant exigeait un grand jeu d’émotion. Il était très tendu avant la scène et euphorique juste après. C’est touchant de voir de supers acteurs, comme lui, confrontés à chaque fois au trac. »
En 2005, Michael Haneke l’a dirigé dans Caché, long-métrage récompensé par le prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Ces dernières années, Maurice Bénichou a aussi campé l’avocat Jacques Vergès dans Omar m’a tuer de Roschdy Zem. Plusieurs fois nommé aux César sans être récompensé, Maurice Bénichou a été distingué toutefois en 1988 par le prix du syndicat de la critique.
Egalement metteur en scène, Maurice Bénichou a signé une adaptation des Trois Sœurs de Tchekhov et a notamment dirigé Suzanne Flon dans Une absence de Loleh Bellon. A la télévision enfin, Maurice Bénichou a été au casting de nombreuses séries et téléfilms, dont Madame le Proviseur, PJ, et Doom-doom de Laurent Abitbol et Nicolas Mongin.
Légende photo : Maurice Bénichou avait été fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, le 19 juin 2013. PIERRE ANDRIEU / AFP
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April 2, 2019 1:48 PM
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Par Christine Friedel dans Théâtre du blog 31 mars 2019 Agnès Varda et le T.N.P. : Bon pour le cahier-photos... Nous étions enfants, nous avions de la chance : le lycée, car les privilégiés que nous étions- les professeurs n’arrêtaient pas de nous le rabâcher- nous offrait l’occasion extraordinaire d’aller en groupes organisés au T.N.P., pardon: au Théâtre National Populaire installé au Palais de Chaillot. Et de pouvoir nous évanouir de bonheur -c’était avant les yéyés et les idoles- en admirant Gérard Philipe dans Le Cid, en se laissant traverser par sa voix (qu’on trouve moins écoutable aujourd’hui). Le programme était gratuit mais on pouvait acheter le texte de la pièce, qu’on avait parfois déjà, mais en “petits classiques“. Ce qui en donnait une lecture toute différente : ils étaient vieillots mais les livrets du T.N.P. étaient modernes, avec le beau graphisme de Jacno qui signait aussi les fameuses affiches des spectacles. Mais, quelquefois, nous devions attendre le cahier-photos d’Agnès Varda. Car, en ce temps-là, il fallait développer les photos, les imprimer et les opérations techniques étaient longues. Et alors, aux premières représentations, le texte paraissait seul mais on y trouvait un bon pour obtenir ces photos en noir et blanc. Et on les aimait d’autant plus qu’on les avait ainsi attendues. Notre Gérard était-il aussi beau que dans nos propres yeux ? Peu importe ; nous ne savions rien de l’art de la photo, mais nous sentions quelque chose, ces images étaient vivantes. La signature : photos Agnès Varda signifiait qu’on était dans la vraie vie, sur le plateau et à côté. Jean Vilar, répétant sous le soleil à Avignon, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, en salopette de travailleur, Jean Vilar en profil de médaille, en parallèle avec celui de Maria Casarès, c’est tout le théâtre, artisanal et hiératique, cousu main et sacré. Et tout le chemin entre l’un et l’autre et la traversée d’un personnage par un comédien (et réciproquement), et le verre qu’on boit ensemble, toute cette vie est captée, reçue par l’œil et la boîte noire de cette petite bonne femme qui rencontra Jean Vilar et sa bande et qui les a aimés. Photos Agnès Varda : nous aussi, on l’aimait. C’était bien la première fois, à douze ans, qu’on avait une pensée pour la photographe, cette chanceuse si proche des comédiens, au-delà de la photo à faire signer par le magnifique acteur, à la sortie des artistes. On donnera, pour finir, la parole à Jean Vilar, le bâtisseur de théâtre, c’est à dire d’édifices faits d’une réalité volatile qui peut animer longtemps les mémoires. « Si la mort plaque sur le visage du comédien le masque d’une vérité sans illusions, sans flatterie, si ce visage cruel et vrai ment à nos songes, ainsi la réalité crue fait, au théâtre, le désert en nos cœurs. Elle heurte ce besoin d’une imagination qui nous flatte, elle heurte ce gai souci de se croire autre que nous ne sommes. Car le théâtre est, me semble-t-il, irréalité, songe, magie psychique, mythomanie ; et s’il est aussi réalité, du moins il faut qu’elle nous dope, nous enivre, nous jette hors du théâtre le cœur vif, l’esprit plein de merveilles, le cœur vivant. » De la tradition théâtrale (1950). Couvrez donc le visage du comédien mort. Christine Friedel Les obsèques d’Agnès Varda auront lieu, mardi 2 avril, à 14 heures, au cimetière du Montparnasse à Paris. Un hommage lui sera rendu ce même 2 avril à 11 h, à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, Paris (XII ème).
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Le spectateur de Belleville
January 6, 2020 11:24 AM
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Message de l'équipe des Ateliers Contemporains. À vous tous qui, de près ou de loin, avez touché, apprécié, participé au travail de Claude Régy, Où que vous soyez demain mardi 7 janvier 2020, Merci d'avoir une pensée particulière pour lui et ceux qui seront une dernière fois autour de lui à 13h30 sous la coupole du crématorium du cimetière du Père Lachaise. Bertrand Krill et l'équipe des Ateliers Contemporains. (...) dans vos crises de désespoir vous avez peut-être constaté que vous n'êtes pas du tout désespérés. Désespérés, vous seriez déjà morts. On ne peut pas renoncer ; ne jouez donc pas les solitaires intempestifs : car si vous continuez à avoir de l'inclination pour vous-mêmes, ne voyez-vous pas dans l'abandon où vous êtes une lueur des dieux ? Par les villages, Peter Handke Les Solitaires Intempestifs un imaginaire partagé avec Claude Régy Les Solitaires Intempestifs sont apparus dans l'univers de Jean-Luc Lagarce grâce à Claude Régy et c'est grâce aussi à Claude Régy que des auteurs comme Pascal Rambert ou Jean-Luc Lagarce ont pu trouver la place qui est la leur aujourd'hui dans le catalogue. En 1983 Jean-Luc Lagarce écrit dans son Journal après avoir assisté à la représentation de Par les villages à Chaillot dans la mise en scène de Claude Régy : Un spectacle très difficile (4 heures 20) sans presque un mouvement tout fait d’équilibres où les acteurs ne se déplacent qu’à peine… une main, un pied… pour dire une histoire superbe et terrible de deux frères et d’une sœur. Handke (Gregor) revient au village où il a vécu, où vivent encore sa sœur et son frère. Son frère est ouvrier, sa sœur est vendeuse. Et c’est l’affrontement et la difficile preuve d’amour. La volonté de donner sans faire mal, et donner, c’est déjà faire mal. C’était difficile. Je suis sorti de là broyé, rompu. L’attention nécessaire au texte, l’intelligence de la mis en scène (la tragédie qu’elle met en scène). Plus de la moitié de la salle (et c’est immense) est sortie, et c’est compréhensible Mon incapacité à écrire ça (Retour à la citadelle). Mon incapacité à parler de et à mon frère et ma sœur. Le pouvoir des mots. J’en reparlerai. (Peut-être ou peut-être pas. C’est entré dans mon esprit et ça va y faire son chemin.) Refusé comme assistant mais encouragé dans son parcours artistique par Claude Régy, ce n'est qu'en 1990 que Jean-Luc Lagarce écrira Juste la fin du monde où il reprend la thématique du texte de Peter Handke. Jean-Luc Lagarce décède en 1995 et nous poursuivons l'aventure éditoriale. En 1998 j'apprends qu'un livre important de ma bibliothèque est épuisé et ne sera pas réédité : Espaces perdus. Inconscience de la jeunesse je prends contact avec Claude Régy qui non seulement me donne son accord pour une réimpression mais me confie un nouveau texte : L'ordre des morts. Les Solitaires intempestifs ne présentent alors que 12 titres dans leur catalogue, mais les ventes des textes de Claude Régy permettent la publication de deux quarantenaires sans succès : Pascal Rambert et Jean-Luc Lagarce. Les rencontres avec Claude furent toujours joyeuses et drôles, sa confiance et son exigence nous ont aussi portés toutes ces années et elle resteront comme une croyance profonde en l'Art du théâtre et en la nécessité du texte. François Berreur
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Le spectateur de Belleville
January 2, 2020 9:36 AM
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Par Alexandre Demidoff dans Letemps.ch Publié le vendredi 24 février 2017 Il a magnétisé les plus grands acteurs, Gérard Depardieu, Michael Lonsdale et Isabelle Huppert. A 93 ans, le metteur en scène français signe son ultime spectacle, «Rêve et folie», à l’affiche du Théâtre de Vidy dès mardi. Rencontre à Paris avec un alchimiste de la nuit Sous les toits, Claude Régy attend son visiteur comme le hibou dans sa forêt. Il est là, laineux sur l’escalier qui conduit à son repaire parisien, ce nid dissimulé dans les hauteurs d’un immeuble patricien. Il vous embrasse de ses petits yeux plissés où passe souvent la lueur d’un étonnement. Comme si dans chaque chose, même la plus triviale, il y avait toujours une faille, la possibilité de l’inconnu. Mais on entre dans sa pièce de travail, ce belvédère ordonné où il rêve depuis si longtemps, chasse l’inutile, s’harmonise en vieil enfant. Claude Régy, 93 ans, vit comme un moine taoïste. Sur une table, des livres, dont «Les Démons» de Dostoïevski qu’il relit, mais aussi un recueil de poèmes de Georg Trakl, ce jeune homme hanté qui enjambe les interdits, dans les bras de sa sœur adorée, dans l’extase des paradis artificiels, dans l’espérance d’un accomplissement. D’une apocalypse au fond qui le sauverait du désespoir. Une œuvre qui a valeur d’odyssée intérieure Georg Trakl meurt à 27 ans, en 1914, dans un hôpital à Cracovie, épouvanté par ce qu’il a vécu sur le champ de bataille. Symbole: c’est à un desperado, encore un, que Claude Régy consacre son ultime chant. A l’affiche du Théâtre de Vidy dès mardi, «Rêve et folie» est la dernière station d’une œuvre qui a valeur d’odyssée intérieure. «Je fais un spectacle par an depuis soixante ans, je n’ai plus la force pour continuer», pose doucement Claude Régy. Ce hibou-là, si peu doué pour les relations sociales, comme il l’avoue dans «Du régal pour les vautours», le film* délicat qu’Alexandre Barry lui consacre, aura réussi à entraîner les plus grands comédiens de l’époque au-delà des ténèbres. Il aura magnétisé Delphine Seyrig, Michael Lonsdale, Jeanne Moreau, Gérard Depardieu, Isabelle Huppert, Yann Boudaud aujourd’hui. «L’acteur est un excitant, d’un ordre érotique», écrit Claude Régy. Le Temps: Pourquoi Georg Trakl, cet enfant déchiré de l’empire austro-hongrois? Claude Régy: Je l’ai découvert il y a deux ans en lisant son histoire qui m’a fasciné, notamment sa passion incestueuse pour sa sœur. Je me suis plongé ensuite dans ses poèmes et j’ai eu la conviction qu’il fallait faire un spectacle sur son écriture, sur ce qu’elle souffle. Trakl a lu Arthur Rimbaud grâce à sa gouvernante, il s’inscrit dans son sillage. – Qu’ont-ils en commun? – Tous deux bouleversent l’interdit pour accéder à l’inconnu. Mais Georg Trakl est une contradiction vivante. Il a mûri pour cet inceste qui a illuminé toute sa vie une culpabilité conventionnelle. Il est exceptionnel parce qu’il secoue tous les tabous de la bourgeoisie, ceux qui concernent le sexe, l’alcool, les drogues. Mais il n’échappe pas à son éducation chrétienne. – Quelles qualités doit posséder un acteur pour s’engouffrer dans cette matière? – J’ai avec Yann Boudaud une relation particulière. Il a beaucoup joué pour moi à une époque et puis il en a eu assez. Il me trouvait trop obsessionnel. Il a changé de métier, il s’est tourné vers la maçonnerie, il a construit des maisons. Quelques années plus tard, il est revenu et ne m’a plus quitté. Ses qualités? Une puissance physique très grande, une voix particulière, une folie suffisante surtout pour affronter Trakl. Une petite folie, ce serait sans intérêt: il s’agit ici de toucher à des zones graves de l’âme. – Que faites-vous le premier jour de répétition? – Je ne demande pas à mes acteurs de connaître par cœur leur partition. Il faut la laisser flotter, travailler sur les égarements possibles. Le premier jour donc, nous lisons le texte à haute voix, j’apporte des commentaires, je suggère des images, mais je n’ai aucune idée de la suite. Pour aller loin, il faut être ignorant. – N’avez-vous jamais de vision préalable du spectacle? – J’espère bien que non. Je suis d’une école de gens qui ne savent pas. Sinon, comme explorer? – La lumière, c’est-à-dire chez vous cette ligne de crête avant la nuit, est capitale dans vos spectacles. A quel moment la déterminez-vous? – Elle naît d’une manière secrète, instinctive. Il est important que le son, le corps, l’ombre s’interpénètrent. L’élément essentiel à mes yeux est le texte. Et à partir de là, l’acteur et donc le public. L’ambition est de constituer une identité de l’écriture, de l’interprète et du spectateur. – Vous dites privilégier le gros plan au théâtre. Pourquoi? – On ne peut pas vivre certaines expériences dans des salles de mille spectateurs. Il faut préserver une intimité. D’où le rôle de la lumière. Quand j’ai monté «Ode maritime» de Pessoa avec Jean-Quentin Châtelain en 2009, je me suis aperçu que le travail de l’acteur était plus sensible s’il n’était pas éclairé. J’essaie de créer cette zone-là, impalpable, entre l’ombre et le jour. Les deux éléments se mêlent et à partir de là des images peuvent naître pour le spectateur. – Vos acteurs ne jouent pas un rôle au sens convenu du terme. Ils sont conducteurs d’une parole, à la limite de la tonalité parfois. – L’acteur est comme l’auteur, il est traversé. Je veux dire par là qu’il est d’abord un passeur, il s’abandonne aux forces qui l’animent. L’écrivain Peter Handke affirme que quand il se met à sa table, il ne sait pas ce qu’il va écrire. Ça devrait être la même chose pour l’interprète. – Quelles sont les indications que vous lui donnez? – On ne peut pas le dire. Il faut là aussi préserver le non-savoir, le non-agir, ces notions qui font partie du tao, cette philosophie qui est une des découvertes de ma vie. C’est parce qu’on est passif d’abord, immobile et silencieux, qu’une action et une parole seront possibles. – Vous avez noué des liens forts avec d’immenses écrivains, Peter Handke, Nathalie Sarraute, Jon Fosse, Marguerite Duras. Qu’est-ce que cette dernière vous a apporté? – C’était dans les années 1960, j’étais un inconnu et je lui ai demandé si je pouvais monter sa pièce «Les Viaducs de la Seine-et-Oise». Elle m’a dit oui et elle est venue à toutes les répétitions. Elle s’est retirée ensuite pour écrire un roman, «L’Amante anglaise». Elle m’appelle quelque temps plus tard et me dit: «Je crois qu’on peut faire du théâtre avec ça.» Ce qu’elle m’a appris ce jour-là, c’est que le théâtre, ce n’est pas une pièce, mais une écriture. – A 18 ans, comment imaginiez-vous votre vie? – Je ne pouvais pas penser que je ferais du théâtre. Je viens d’une famille bourgeoise protestante très conventionnelle. Mon père était officier, il voulait que je sois fonctionnaire dans l’administration coloniale. Il m’avait interdit de faire du théâtre: «Si tu tombes là-dedans, tu ne seras qu’un raté et un aigri.» J’ai donc fait du droit pour lui obéir, jusqu’au jour où un de mes camarades m’a lancé à Paris: «Pourquoi te consacrer au droit si tu ne penses qu’au théâtre?» J’ai traversé la Seine et j’ai poussé la porte du Théâtre Sarah Bernhardt alors dirigé par Charles Dullin, un maître. Son école était au dernier étage, tout en haut du bâtiment. Le soir, nous passions par le grenier pour accéder en catimini au poulailler et assister à ses spectacles. – Avez-vous été heureux? – Je ne crois pas au bonheur. On franchit le mur de l’impossible, sinon à quoi bon vivre. Et surtout à quoi bon faire ce genre de métier. – Vous êtes intéressé par la science, par ce qu’écrit notamment Jean-Claude Ameisen, ce médecin et biologiste, producteur sur France Inter de l’émission «Sur les épaules de Darwin». En quoi est-ce inspirant pour vous? – Il dit que la mort est une façon de sculpter le vivant. Parce qu’à chaque seconde, un million de cellules meurent, parce qu’elle est donc présente dans notre organisme, jusque dans la vie fœtale. De cette mixité entre la vie et la mort je me suis toujours occupé. On les dit antinomiques, or elles coexistent. Chercher dans cette direction donne beaucoup de force. – «Rêve et folie» est-il vraiment l’acte ultime? – Je le reprendrai sans doute avec «Intérieur» de Maeterlinck que j’ai monté en 2013 avec des acteurs japonais. Mais il n’y aura plus de création. J’ai l’impression d’être allé au bout de quelque chose et peut-être au-delà. légende photo : Claude Régy: «J’essaie de créer une zone, impalpable, entre l’ombre et le jour.» © JOEL SAGET / AFP PHOTO
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December 27, 2019 9:17 AM
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Par Jean-Pierre THIBAUDAT dans Libération — 17 avril 2004 (mis à jour le 26 décembre 2019 )
En 2004, le metteur en scène Claude Regy parlait à Libération de sa conception du théâtre. Nous republions l’article à l’occasion de sa disparition, à l'âge de 96 ans, ce jeudi.
Né en 1923, Claude Régy reste l’un des plus jeunes metteurs en scène, par son indépendance, ses audaces et son attention aux écritures nouvelles ou pas. A l’automne dernier, il a monté Variations sur la mort de Jon Fosse. Son parcours, commencé au sortir du cours de Tania Balachova, est jalonné de rencontres d’acteurs (Seryg, Huppert, Dréville, etc.) et d’auteurs comme Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Peter Handke, Botho Strauss, Gregory Motton, et de traducteurs-poètes comme Henri Meschonnic. Il est aujourd’hui un exemple pour une nouvelle génération de metteurs en scène. Il a publié Espaces perdus, l’Ordre des morts, l’Etat d’incertitude (éditions les Solitaires intempestifs). A LIRE AUSSI : Claude Régy en 2001 : «Il faudrait supprimer Avignon»
Partons d'un apparent paradoxe : vous ne cessez de dire à vos acteurs de ne pas faire de théâtre, vous-même dites que vous n'en faites pas alors que vous passez pour l'un des hommes de théâtre les plus conséquents de son temps. Quel est ce théâtre que vous ne faites pas et cette chose que vous faites et qui n'en est pas ? C'est une manière de trouver mon territoire personnel. Quand on fait ce métier de longues années, il est important de travailler sur des territoires qui ne sont pas ou peu occupés par d'autres. J'ai donc cherché le mien. Assez vite j'ai refusé Brecht, et surtout le brechtisme français. Au moment du théâtre de l'absurde, je débutais à Paris et il y avait d'excellents metteurs en scène comme Blin qui se chargeait de Beckett ou de Genet. Bien sûr, j'ai croisé des gens qui avaient été influencés par Brecht ou Beckett comme Jon Fosse qui le cite très souvent. Tout cela m'a amené à me détourner de ce qui était incontournable à l'époque : le théâtre proprement politique, le théâtre de message, qui croyait détenir une vérité, trier le bien du mal. Ce théâtre-là a été cassé avec beaucoup d'autres choses en 1968. C'est l'époque où Peter Handke a commencé à prendre position pour l'attaquer comme étant une simplification, donc un mensonge.
Avant de rencontrer Handke, il y a eu l'expérience de l'Amante anglaise avec Marguerite Duras, un tournant dans votre parcours. Cela s'est fait empiriquement. J'étais assistant au Théâtre de l'Atelier, chez André Barsacq. J'ai lu les Viaducs de la Seine-et-Oise, Duras m'a donné les droits de cette pièce, on a monté ça au Théâtre de Poche, pas trop mal. Et puis Duras s'est rendu compte qu'elle avait cédé à des schémas théâtraux conventionnels : trois décors, des personnages secondaires, on racontait l'histoire. Elle s'était contrainte à cela. Sans ces beautés, ces éclats de folie qui sont la marque de ce qu'elle écrit. Alors elle est rentrée chez elle et elle a écrit l'Amante anglaise, un livre de questions-réponses. On a décidé de monter ça comme une revanche sur les Viaducs. Si on veut trouver quelque chose, il faut partir vers ce que l'on ne connaît pas. En répétant l'Amante anglaise, on a bien vu que l'on ne pouvait pas faire circuler les acteurs comme d'habitude. Il n'y avait pas de «théâtre», mais un contact direct, à travers l'acteur, entre la matière de l'écriture et le spectateur. Dès lors, il m'est apparu très vain de dépenser en décors, en costumes, en déploiement de techniques compliquées. J'ai découvert que si on écoute l'écriture, si on ne la distrait pas par des images, si on fait jouer les acteurs de telle façon qu'ils ne jouent pas mais laissent le texte jouer, alors on transmet des sensations aux spectateurs, on leur donne la force de créer des images.
C'est donc un autre rapport aux spectateurs ? Il faut que les acteurs soient proches des spectateurs, dans un même lieu, ce qui m'a conduit à une sorte de révolution de l'architecture théâtrale et d'abord un refus des théâtres à l'italienne qui coupent, encadrent, surélèvent le spectacle. Ce qui m'a ouvert l'esprit, c'est, dans les années 50, le Festival de Paris devenu très vite le Théâtre des nations. Tout à coup, on a vu arriver le bunraku et le nô du Japon et d'autres formes extraeuropéennes ; on a vu les mises en scène de Visconti, de Lawrence Olivier, les spectacles de Brecht. On était dans les tulles de Raymond Rouleau, les mises en scène pointillistes de Jean Mercure, ce fut une explosion. Dont Jean Vilar a profité. Je l'avais vu pour la première fois au Théâtre de Poche où il jouait la Danse de mort de Strindberg devant une salle contenant moins de cent personnes. Et la vie a fait qu'il est passé des petits théâtres à la cour d'Honneur du palais des Papes, puis il a cherché un lieu fermé qui corresponde à cette cour, et ce fut cette salle épouvantable de Chaillot plus faite pour la musique (il y avait un grand orgue dans le fond de la scène).
Ce que j'ai appris de Vilar, c'est que les acteurs peuvent entrer indifféremment à gauche ou à droite. Maria Casarès raconte qu'elle demandait : «Jean, je rentre par où ?», et il répondait : «Fais comme chez toi, rentre où tu veux.» Ce qui les préoccupait, c'est qu'il fallait entrer par le fond, c'est plus beau, descendre vers le public et venir devant parler de face, car dès que l'on se met de profil à Chaillot, on n'entend plus rien. Or, si on parle de face, le public devient immédiatement partenaire, ce n'est plus un dialogue privé entre des gens sur une scène. C'est ce que l'on a fait pour l'Amante anglaise, et je l'ai toujours gardé. On a appelé ça la non-représentation, ce qui est évidemment stupide, comme toutes les appellations, car il y a toujours représentation, même un plateau vide est représentation.
Le vide, justement. Vos spectacles travaillent de plus en plus avec le vide, le silence, la lenteur. Le vide rend présents tous les possibles qui restent en suspens. Les Chinois nous disent que le plein n'atteint sa plénitude que par le vide qui l'entoure. Si on ne respecte pas une juste proportion entre le plein et le vide, si on fait du remplissage, de la mise en scène à tous crins, du jeu crié, suractivé, on empêche toute vraie respiration, le plein se trouve asphyxié. J'ai travaillé là-dessus. Peut-être ai-je exagéré parfois dans la non-représentation, et certains textes en ont souffert. Cela dit, la déclamation du discours français, mais aussi la façon de faire de la narration avec des personnages psychologiques, de jouer le texte en pléonasme avec un sens unique et en le tartinant de sentimentalité sont aussi des manières de détruire l'écriture. Le naturalisme tue l'écriture. Les écrivains ne s'y trompent pas, ils vont d'ailleurs peu au théâtre parce qu'ils n'entendent pas la voix de l'écriture . Les Chinois disent que le vide doit précéder le trait et doit le prolonger. C'est exactement ce que je fais avec ce vide que j'appelle le silence dans le bruit du texte. Si une phrase n'est pas précédée et prolongée par le silence, elle ne peut pas dégager ce qu'elle contient vraiment, c'est-à-dire sa ligne intérieure. Et en même temps le silence doit être inclus à l'intérieur même de la phrase. Les Chinois disent aussi que le vide doit demeurer dans le trait lui-même. Les acteurs qui parlent sans silence ne font que du bruit, on n'entend pas la source. Il faut essayer de trouver une manière de faire le bruit de la parole qui en même temps fait entendre le silence.
Ce qui, pour un esprit français, ne va pas de soi. Les scientifiques nous disent que nous sommes entrés dans un monde de possibles et non de certitudes, que la réalité n'est pas scientifique. Ils en viennent à parler de présomption de présence. Je ne sais qui a parlé des théories scientifiques comme de quelque chose qui s'est construit sur des pilotis qui reposeraient eux-mêmes sur de la vase, cela me plaît beaucoup. C'est cela qui a troublé une partie des spectateurs des Variations sur la mort de Jon Fosse : une représentation qui ne repose pas sur quelque chose de stable et de définissable. C'est une autre révolution : les choses contradictoires ne s'excluent pas. Ce qui m'a surpris, après beaucoup d'années où j'ai fait ça en tâtonnant, c'est que toutes ces choses que l'on m'a reprochées comme le vide, ou la lenteur, qui est une manière d'agir sur le temps et l'espace rejoignent la physique quantique. Les scientifiques osent dire que le vide n'est pas vide, qu'il est rempli d'énergie, qu'il contient des particules virtuelles. Et cette énergie du vide sert à transmettre le souffle. Le vide permet à la fois l'intériorisation et la totalisation, c'est-à-dire le passage d'une entité à une autre. Il n'y a plus d'entités opposées, il n'y a donc plus de personnages, mais dans chaque entité la virtualité de l'autre. Nous vivants sommes virtuellement morts et virtuellement non-nés sommes vivants, pas encore nés et déjà morts. A propos de sa pièce 4.48. Psychose, Sarah Kane dit écrire pour les morts et les non-nés. L'un peut devenir l'autre. Tous les paramètres de la représentation sont mis en doute.
Comment jouer cela ? Au moment de la Mort de Tintagiles de Maeterlinck, j'ai commencé à dire aux acteurs : «Je ne peux pas vous expliquer, je ne sais pas, je ne comprends pas et vous ne pouvez pas le savoir non plus, mais cela ne nous empêche pas de travailler dessus.» Quand un écrivain écrit, au moment de l'acte d'écrire, l'inconscience se manifeste énormément et envahit tout jusqu'au choix des mots, leur accouplement, les sonorités c'est-à-dire l'organisation du langage qui est proprement la poésie et qui, elle, fait sens. Il s'agit de jouer tous les sens et, en même temps, de faire entendre ce qui n'est pas dit, écrit, ce qui n'est pas conscient. Il faut donc déceler ce qui n'a pas été conscient chez l'écrivain en train d'écrire pour que cela rejoigne quelque chose sur quoi nous travaillons et dont nous ne sommes pas vraiment conscients et qui doit atteindre des régions à peu près similaires chez le spectateur. C'est une matière infinie, un champ d'expérimentation immense, mais peu abordé au théâtre car on aime travailler sur du connu, du définissable. Si un acteur ne peut pas montrer sur une scène qu'il existe et qu'il n'existe pas, il ne fait rien de valable. Or, le plus souvent, poussés par des metteurs en scène, les acteurs s'essoufflent à nous prouver qu'ils existent, c'est d'une pauvreté navrante.
Vous parlez de lenteur, de silence, mais le spectateur arrive gavé de bruit. Si on faisait passer le public par un sas sans que cela devienne un rituel où on lui demande d'arrêter de parler, de s'agiter, si on l'habituait à une lumière moindre, s'il avait le temps de faire le vide en lui, il serait plus aisément atteint par le spectacle. Le public doit travailler. S'il ne travaille pas, c'est un art de digestion, de distraction. Si on veut que le théâtre soit sacré, c'est-à-dire qu'il s'adresse à la totalité de l'humain, y compris à l'inconscient, cela suppose un travail. C'est un effort de découvrir un livre qui parle de choses inconnues, de lire la science, la philosophie, assister à un spectacle aussi si cela doit nous faire atteindre d'autres choses. Je joue avec les seuils de perception. On perçoit des choses différentes si on perçoit des sons bas et si on doit faire un effort pour les entendre.
On dit que les tableaux s'assombrissent en vieillissant. Il semble qu'il en aille de même pour votre théâtre. Cela s'est fait de façon empirique. J'ai d'abord eu en horreur tous ces contre-jours dans lesquels je voyais une concession à l'esthétisme. Il faut éclairer un acteur de face. Il faut lire le texte sur le visage. Pendant les répétitions des Couteaux dans les poules de David Harrower, je me suis aperçu que certains textes en pleine lumière ne passaient pas beaucoup mais passaient dès lors que l'on baissait la lumière. Que certaines scènes dans l'ombre exprimaient beaucoup plus. Alors j'ai essayé de ne pas opposer l'ombre et la lumière. Il faudrait inventer un terme, équivalent à «être», qui englobe à la fois le corps et l'esprit. Il y a une sorte de lumière dans l'ombre. L'obscurité développe les possibles. Et en même temps le corps doit avoir des forces d'irradiation. C'est pourquoi j'aime aussi me servir de surexposition comme dans 4.48. C'est en faisant cela que l'on voit qu'il n'y a pas un état du réel mais plusieurs et que le réel se modifie à chaque instant. C'est pourquoi les lumières sont devenues de plus en plus mouvantes et se transforment pendant toute la durée de la représentation en harmonie avec la part vivante du texte.
Jean-Pierre THIBAUDAT Légende photo : Claude Régy, en compagnie de Jeanne Moreau et Pierre Cardin en janvier 1974 à l'Espace Cardin, à Paris. ©Leemage
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December 26, 2019 4:26 PM
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Par Philippe Chevilley / Chef de Service dans Les Echos | Publié le 26/12/2019
L'un des maîtres du théâtre est décédé dans la nuit du 25 au 26 décembre 2019 à l'âge de 96 ans. Metteur en scène des plus grands textes, dirigeant les plus grands acteurs, il a marqué de son empreinte la scène depuis les années 1950, cultivant l'épure et le mystère jusqu'au sublime. L'homme aimait créer la nuit sur scène. Parfois, il suffisait d'une simple petite flamme pour que les acteurs irradient, silhouettes éphémères prêtes à disparaître. Il tenait au silence aussi. Celui du public, mais aussi celui du texte, contenu dans toutes les virgules, les points de suspensions, la moindre ponctuation. Et les mots, aussi beaux soient-ils, se dissolvaient in fine dans le vide. Claude Régy s'est éteint. Les dieux du théâtre ont soufflé doucement sur la petite flamme qui vacillait encore en lui, en ce lendemain de Noël 2019. A 96 ans, le metteur en scène est parti sans fracas. Tout avait été dit, consommé... Il y a trois ans, il avait préparé sa sortie, déclarant que sa mise en scène de « Rêve et folie », de l'Austro-hongrois George Trakl, serait sa dernière. La dernière d'une longue liste : plus de 80 depuis ses débuts en 1952.
CHEMIN INÉDIT Claude Régy a vécu un temps long de théâtre, traçant son chemin inédit sans se préoccuper des modes, des tendances, toujours actuel, juste toujours. A la recherche du mystère qui crée l'art et qui bouleverse. Le premier réflexe serait de dire qu'il n'était pas assez connu du grand public. Mais quand on considère la liste des écrivains que ce fou de textes a mis en scène et magnifiés (Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Harold Pinter, Peter Handke, Fernando Pessoa, Gregory Motton, Jon Fosse, Sarah Kane, Tarjei Vesaas) et les stars qu'il a dirigées (Delphine Seyrig, Michel Bouquet, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Gérard Depardieu), on mesure combien il a marqué, forgé notre culture.
Né à Nîmes en 1923, dans une famille protestante, il n'était pas destiné au théâtre, entamant même des études de droit et de sciences politiques. Mais très vite, il a été atteint par le virus des planches. A Paris, il prend des cours avec Charles Dullin puis devient l'assistant du metteur en scène André Barsacq au Théâtre de L'Atelier. A l'aube de ses 30 ans, il signe son premier spectacle « Dona Rosita » de Garcia Lorca au Théâtre des Noctambules. En 1965, il crée « La Collection » et « L'Amant » de Pinter au Théâtre Hébertot ; en 1968, « L'Amante anglaise », de Marguerite Duras, à Chaillot. Un de ses spectacles les plus mythiques reste « La Chevauchée sur le lac de constance », de Peter Handke, présenté 1974 à L'Espace Cardin. En 2002, c'est le choc : « 4.48 psychoses », de Sarah Kane, aux Bouffes du Nord. Isabelle Huppert était un déchirant fantôme dont seul le visage était éclairé.
EXIGENCE ET TENDRESSE Jusqu'à sa dernière création, Claude Régy aura repoussé les limites du dépouillement et de l'épure, privilégiant des décors aussi sobres qu'impressionnants (notamment ceux signés par Daniel Jeanneteau), tels l'immense ponton fondu au gris de son « Ode au Maritime » ou le paysage montagneux esquissé derrière un vélum de « La Barque, le soir ». Des univers insaisissables pour des textes flirtant avec l'indicible. Le public de Régy sortait de ses spectacles en se demandant s'il ne les avait pas rêvés, chacun méditant ses propres interprétations, ses propres émotions. L'artiste cultivait l'exigence. Le spectateur était sommé de respecter un silence absolu dès son entrée en salle. Et l'acteur, souvent seul en scène, devait s'investir dans chaque geste, dans chaque mot, prendre le risque d'étirer le phrasé pour exprimer de chaque texte la poésie, la passion, la tendresse même.
Car il y avait énormément de tendresse dans ce grand oeuvre en apparence austère. Claude Régy nous chuchotait la force des mots. Ses clairs-obscurs nous revêtaient d'un chaud manteau de nuit. De nombreux metteurs en scène des générations qui ont suivi la sienne ont rêvé et rêvent encore aujourd'hui d'atteindre ce dépouillement, cet éther où le théâtre tutoie le sublime. Le maître n'est plus. Son mystérieux héritage demeure.
@pchevilley Légende photo : Jusqu'à sa dernière création, Claude Régy aura repoussé les limites du dépouillement et de l'épure. © Joël SAGET / AFP
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October 20, 2019 8:15 AM
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Par Salomé Jégout dans Le Journal des femmes 18/10/2019 De chirurgien-dentiste à metteur en scène en passant par acteur dans la série "Profilage" : Jean-Michel Martial a vécu mille vies... avant de s'éteindre le 17 octobre des suites d'une longue maladie. Bouleversées, les célébrités lui ont rendu hommage en masse.
C'est avec une grande tristesse que nous avons appris la mort du comédien Jean-Michel Martial, décédé à 67 ans, des suites d'une longue maladie, dans la nuit du 17 octobre, a partagé France Info. L'acteur était surtout connu du grand public pour son rôle emblématique du commissaire Grégoire Lamarck, dans la série Profilage. Il était l'un des rares comédiens à être apparu dans chacune des dix saisons du feuilleton. Né à Madagascar en 1952, Jean-Michel Martial, d'origine guadeloupéenne, n'était pas tout à fait prédestiné à faire carrière en tant qu'acteur. Il commence d'abord à travailler en tant que chirurgien-dentiste, à Paris et en Guyane, avant de tout plaquer… pour tenter sa chance devant la caméra ! Audacieux, le jeune homme a les dents longues. Il ferme donc son cabinet de Cayenne en 1983 pour tester son talent sur les planches. Après des années au théâtre, l'acteur en herbe est remarqué dans le film L'homme sur les Quais, de Raoul Peck, présenté en sélection officielle du Festival de Cannes, en 1993.
Quelques années plus tard, le frère aîné de l'acteur Jacques Martial fonde sa propre compagnie de théâtre, baptisée l'Autre souffle. En parallèle, il enchaîne les petits rôles au cinéma ou à la télévision dans les séries Les Cordier, juge et flic, Plus Belle La Vie ou Malone. Il se découvre également un talent pour le doublage et prête sa voix à Marsellus Wallace dans Pulp Fiction, en 1994, et au chef de South Park, le film, en 1999.
Jean-Michel Martial, sur tous les fronts C'est en 2009 que le succès frappe à la porte : Jean-Michel Martial est choisi pour incarner le commissaire Grégoire Lamarck dans la série Profilage, aux côtés d'Odile Vuillemin ou Vanessa Valence. La série est diffusée dans 83 pays (rien que ça). C'est la consécration.
De 2016 à 2018, il revient à ses premières amours en incarnant M. Honoré dans la pièce Edmond, d'Alexis Michalik, récompensée de cinq prix aux Molières. Sur tous les fronts, Jean-Michel Martial devient également président du Conseil représentatif des Français d'outre-mer. La dernière année de sa vie, Jean-Michel Martial apparaît dans quelques épisodes de la série à succès Plan Cœur… avant de tirer définitivement sa révérence.
Bouleversées par son décès précoce, moult personnalités, de Christine Lagarde à Shy'm, ont tenu à rendre hommage au défunt acteur sur les réseaux sociaux.
Salomé Gegout
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September 1, 2019 5:35 AM
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Propos recueillis par Nedjma Van Egmond dans Marianne Publié le 29/08/2019 Comme lui il a joué Harpagon. Jacques Weber rend hommage à Michel Aumont, immense acteur de théâtre, de cinéma et de télévision, figure de la Comédie-Française, qui vient de mourir à l'âge de 82 ans. Marianne : Quels souvenirs garderez-vous de Michel Aumont ? Jacques Weber : Je n’aime généralement pas évoquer les sentiments que m’inspire la disparition des gens, je préfère les garder pour moi, et je n’adore pas ceux qui se répandent en hommages, mais je fais volontiers une exception pour Michel Aumont. Bien moins connu que Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle ou Philippe Noiret, disparus récemment, il fait pourtant partie de ces immenses artisans dont la maison mère est toujours restée le théâtre. Le cinéma, il en a fait beaucoup bien sûr, mais comme des parenthèses de plaisir ou pour gagner sa vie. Pourtant c’était un homme de scène, et quel comédien ! Son passage à la Comédie-Française dans la génération des Hirsch, Duchaussoy, Piat a été exceptionnel.
Étrangement, vous n’avez jamais joué ensemble… Jamais ! Ce qui est drôle, c’est que quand j’étais au Conservatoire, tous les potes de ma génération, Bernard Giraudeau, Patrick Chesnais, Jacques Villeret et les autres, on allait boire des verres au bistrot d’en face, le Sherwood. Là, on croisait les « anciens » qu’étaient Michel Aumont ou Jean-Paul Roussillon, pour lesquels on avait une admiration sans bornes, leur talent était monstrueux, il fallait s’en inspirer. Ils partaient souvent dans des délires fous et, très sincèrement, ne marchaient pas seulement à la tisane !
Il avait une une humanité, un naturel et à la fois un grand respect, une élégance. Enfin, une façon ample, et claire de servir les textes, à la façon d’un Depardieu.
J’ai d’ailleurs une anecdote amusante : moi-même, pas franchement innocent par rapport à la bouteille, je décide un jour d’entrer dans un magasin type « La vie claire » où les gens qui ont des gueules de cadavre vous intiment de prendre soin de votre santé. La dame me dit : « Justement on a un autre grand acteur client du magasin ». Michel s’était, comme moi, obligé à passer à l’eau. Je me souviens d’ailleurs d’une soirée dans mon théâtre à Nice avec Roland Blanche - tous deux étaient des compagnons de la bouteille - où on n'a roulé qu’à l’eau minérale, et c’était très beau. Il ne faut pas confondre les fortes natures et l’obligation pour qu’elles existent de boire un coup de trop.
Quels sont les rôles de Michel Aumont qui vous ont le plus marqué ? Son Richard III était exceptionnel, tout comme son Alceste dans "Le Misanthrope", mais il a aussi campé un Harpagon formidable, bien sûr que j’ai moi-même joué. Je l’ai observé scrupuleusement, longuement pour essayer de saisir d’où son talent venait. C’est toujours mystérieux cet équilibre entre l’artisanat et le moment de grâce, le travail et l’art sauvage. Dans les films qu’on a tous vus avec Belmondo et Delon en vedette, quand Aumont jouait les méchants, on y croyait vraiment comme quand Harry Baur joue Jean Valjean, Il avait une méchanceté exacerbée, une voix métallique et derrière tout ça la fêlure qui est celle de tous les grands acteurs. Puis une humanité, un naturel et à la fois un grand respect, une élégance. Enfin, une façon ample, et claire de servir les textes, à la façon d’un Depardieu. Et puis ses passages à la télévision ont marqué toute une génération. C’était l’Ecole des Buttes Chaumont et le moment où l’arrivée des gens de théâtre a apporté une charpente différente, une ossature solide, de bois, un frémissement dru, et fort au petit écran. Crédit photo : Patrick Camboulive / Photo 12
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August 29, 2019 2:51 PM
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Par Stéphane Capron dans Sceneweb - 29.08.2019 Michel Aumont est mort à l’âge de 82 ans après plus de 60 ans de carrière dont plus de 20 ans à la Comédie-Française. Son dernier rôle aura été Le Roi Lear en 2015 au Théâtre de la Madeleine.
“Je suis très heureux après avoir eu peur de jouer. La pièce m’emballe !” nous avait déclaré dans sa loge en décembre 2015 Michel Aumont, avant de rentrer sur scène au Théâtre de la Madeleine pour incarner Le Roi Lear de Shakespeare sous la direction de Jean-Luc Revol. Le théâtre français perd l’un de ses géants qui a incarné les plus grands rôles pendant 20 ans au sein de la Comédie-Française dont il était sociétaire honoraire depuis 1994.
Né le 15 octobre 1936 à Paris, il entre à 18 ans au Conservatoire national d’art dramatique et obtient deux ans plus tard un premier prix de comédie moderne avant d’être engagé à la Comédie-Française. Récompensé de quatre Molières, son plus beau souvenir sur scène est Richard III, à Avignon en 1972, où il triomphe en reprenant le rôle tenu par Robert Hirsch. Il joue tout, de Shakespeare à Woody Allen, en passant par Feydeau et Beckett et les plus grands metteurs en scène le demandent : Jean-Paul Roussillon, Antoine Vitez, Jean-Pierre Vincent…A son départ de la Comédie-Français il poursuit sa carrière sur les plus grands scènes du théâtre public et du théâtre privé.
En interprétant Lear, son dernier rôle, il avait réalisé un rêve car “la descente du rôle pour un acteur est intéressante” nous avait-t-il confié. “Elle se fait graduellement. Et à chaque nouvelle scène on voit qu’il a descendu quelques marches et qu’il s’avance lentement mais sûrement vers la fin.”
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr Crédit photo : Christopher Vootz
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August 29, 2019 11:52 AM
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Notice sur le site de la Comédie-Française : Michel Aumont appartient à la confrérie des comédiens de l'inconfort, prêts et aptes à interpréter les emplois les plus exigeants de l'entre-deux, tout à la fois déchirant ou goguenard, naturel ou composé, inquiétant ou amusant. Au Conservatoire national d'Art dramatique, il suit les classes de Denis d'Inès et de Jean Debucourt. Il obtient au concours de 1956 un premier prix de Comédie moderne dans Le Tragique malgré lui de Tchekhov et un premier accessit de Comédie classique dans le rôle du Docteur de La Jalousie du barbouillé de Molière. À sa sortie du Conservatoire, il est engagé comme pensionnaire à la Comédie-Française, le 1er septembre 1956, devient sociétaire le 1er janvier 1965, puis sociétaire honoraire en janvier 1994. Son contrat stipule qu'il interprétera les rôles de « composition », c'est-à-dire les vieux barons, ce qu'il fait avec brio en dépit de son jeune âge. Il est donc familier des Géronte (Les Fourberies de Scapin, Le Médecin malgré lui, Le Légataire universel de Regnard), mais c'est dans Harpagon (L'Avare de Molière), rôle qu'il a joué pendant vingt ans, qu'il révèle toute la richesse de son jeu. Parmi ses principaux rôles, beaucoup de personnages de Molière mais aussi ceux de Shakespeare, Beaumarchais, Feydeau, Labiche, Courteline, Balzac, Becque, jusqu'aux personnages d'auteurs contemporains comme Giraudoux, Ionesco ou encore Beckett qu'il affectionne particulièrement. Il sort peu à peu de la composition grâce à son ami Jean-Paul Roussillon et dégage son vrai visage du maquillage et des postiches pour apparaitre « au naturel ». La simplicité et la profondeur prennent alors le pas sur le trucage. À la Comédie-Française, il a notamment travaillé avec Roger Blin, Jean-Paul Roussillon, Terry Hands, Antoine Vitez, Claude Régy, Jean-Pierre Vincent, Jorge Lavelli. En 1972, il reprend le rôle tenu par Robert Hirsch dans Richard III à Avignon, ce qui lui vaut un triomphe dans un rôle tragique. Il crée de nombreux rôles à la Comédie-Française, Salle Richelieu ou à l'Odéon : Amalric (Partage de midi de Claudel, 1975), Jean Puntila (Maître Puntilla et son valet Matti de Brecht, 1976), Bérenger (Le roi se meurt de Ionesco, 1975), Vladimir (En attendant Godot de Beckett, 1978), Trigorine (La Mouette de Tchekhov, 1980), Hamm (Fin de partie de Beckett, 1988), Garcin (Huis clos de Sartre, 1990), Mercadet (Le Faiseur de Balzac, 1993). Son compagnonnage avec Jean-Paul Roussillon a donné naissance à des spectacles d'une intensité mémorable, tels Amorphe d'Ottenburg de Jean-Claude Grumberg, La Nostalgie, camarade... de François Billetdoux, Abel et Belo de Robert Pinget. Il joue, en 2005, dans Dieu est un steward de bonne composition d'Yves Ravey mis en scène par Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point, en 2007 dans À la porte de Vincent Delecroix mis en scène par Marcel Bluwal au Théâtre de l'Œuvre et dans Puzzle de Woody Allen mis en scène par Annick Blancheteau et Jean Mourière au Théâtre du Palais-Royal et, en 2010, dans David & Edward de Lionel Goldstein mis en scène par Marcel Bluwal au Théâtre de l'Œuvre. Au reste, Michel Aumont mène en parallèle au théâtre, et sans la moindre discontinuité, une étourdissante carrière « d'excentrique » du cinéma, où ce sont sans surprise les meilleurs amateurs de figures qui le sollicitent : Michel DevilIe, Claude Chabrol, Bertrand Tavemier, Francis Veber, Pascal Thomas. Il joue dans Palais Royal ! de Valérie Lemercier (2005), La Doublure de Francis Veber (2006), Bancs publics (Versailles Rive-Droite) de Bruno Podalydès (2009) et, en 2010, dans Comme les cinq doigts de la main d'Alexandre Arcady, Imogène McCarthery d'Alexandre Charlot et Franck Magnier, Un balcon sur la mer de Nicole Garcia. Il donne une humanité et une présence à ses personnages qui le font remarquer en toutes occasions, y compris dans la figuration.
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August 25, 2019 3:23 PM
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Disparition de Jacques Nichet : Hommage des artistes
Jean-Louis Benoit : 1er août 2019 Avec Jacques Nichet. Le théâtre aujourd'hui compte un homme en moins: Jacques Nichet est mort. Il aura signé parmi les plus belles mises en scène du siècle passé. L'homme était silencieux, il ne faisait pas de bruit et travaillait à voix basse. J'avais 22 ans quand je l'ai connu. Pendant quinze ans je fus emporté par lui et son théâtre de l'Aquarium. La Cartoucherie de Vincennes fut mon école. J'y ai appris avec Jacques la spécificité de l'écriture théâtrale."Il n'y a pas de théâtre. Il y a des théâtres." J'ai appris à comprendre des choses simples: que la mise en scène était avant tout un point de vue, que le moteur des grands spectacles s'appelait "paradoxe" et que le sens du théâtre n'était pas le texte. Et pendant quinze ans Jacques m'a entrainé dans un théâtre "arraché" à la littérature. Le sens de ce théâtre était bel et bien l'action, et non le verbe. En ces années 70, années extraordinairement créatives dans les arts et les éditions diverses, les spectacles dont le sens n'était pas "porté" par le texte dominaient tous les programmes des festivals et d'ailleurs. Ce théâtre-là, foisonnant, très politisé à gauche et à son extrême, était une arme dirigée contre les institutions culturelles de tout poil, les ornières bourgeoises, les habitudes meurtrières. C'est Jacques Nichet, ce jeune homme propre et net, issu d'une famille bourgeoise catholique impeccable, élève brillant de l'Ecole Normale Supérieure, jeune homme grandi dans les livres compliqués, c'est lui qui m'a montré comment renverser les tables. Ces 15 années splendides passées avec lui et le collectif Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes, parfois tumultueuses, terribles une fois par semaine, assassines une fois par mois, étaient surtout pleines d'espoir. Jacques était un optimiste. Il aimait Rabelais, Diderot et Aristophane. On pouvait changer le monde avec notre théâtre, et je pensais comme lui. Jacques était jeune. Alors, si l'on me demandait aujourd'hui comme on le fit souvent, ce qu'il me reste de "tout ça", de ces années 70 au théâtre de l'Aquarium-Cartoucherie de Vincennes, je répondrais, maintenant que j'accompagne mon ami Jacques au tombeau: la certitude d'avoir eu une jeunesse. Jean-Louis Benoit ------------------------------------------------------------------------------------- L'hommage de Sébastien Bournac : Pour Jacques. Je suis arrivé à Toulouse, au mois d’août 1999, il y a très exactement 20 ans à l’invitation de Jacques Nichet, alors nouveau directeur du Théâtre de la Cité - Théâtre National de Toulouse. J’avais rencontré Jacques seulement quelques mois auparavant au Théâtre des Amandiers de Nanterre où je travaillais ponctuellement. Il était venu déjeuner avec le directeur du lieu, Jean-Pierre Vincent, autre figure du théâtre importante pour moi. Nous avions tout de suite échangé chaleureusement. Il m’avait parlé avec enthousiasme des débuts de l’aventure au Théâtre de la Cité. Il cherchait un.e nouveau/nouvelle collaborateur.trice. . Sarah Hirschmüller allait partir... Deux heures plus tard, dans le RER qui nous ramenait à Paris et que nous avions pris ensemble, il me proposait la place ! Il était très attentif aux personnes qui avaient le même profil que lui : l’ENS, l’Université et le désir fort de plonger dans l’expérience théâtrale... Cela m’a toujours amusé.... La proposition était inattendue et généreuse. Nous nous connaissions à peine. Jacques a toujours été curieux de nouvelles rencontres et il a toujours fait le pari de la jeunesse, ce qui n’était pas la moindre de ses qualités. Il savait magnifiquement s’entourer pour développer ses projets et il avait l’art de faire des distributions souvent très brillantes. J’ai travaillé pendant un an à ses côtés comme collaborateur proche, et puis il m’a confié la responsabilité de l’Atelier Volant - atelier de formation et d’insertion de jeunes comédiens au sein du CDN , ce qui était une opportunité formidable pour moi. Je n’avais pas 30 ans ! C’était mon chemin. Je suis resté 4 années à la Cité. C’était merveilleux l’effervescence qu’il y avait alors et l’ambition poétique et populaire que Jacques donnait au théâtre. Toute l’équipe le respectait infiniment et l’aimait beaucoup. C’était une grande époque du théâtre à Toulouse portée par la création de ce vaste et bel édifice. Jacques m’a associé à cette aventure et je lui en suis infiniment reconnaissant. Ça a été très important pour moi. La rencontre avec Jacques a changé ma vie. Depuis 20 ans, il n’a cessé de m’accompagner. La dette est conséquente. Une grande partie de ce que je suis au théâtre a été déterminée et nourrie profondément par ma relation avec Jacques. Dans la fougue de ma jeunesse et dans l’impatience, je n’ai pas forcément mesuré sur le moment la pertinence et l’acuité de son savoir-faire de théâtre. Aujourd’hui c’est une inspiration forte. Le dialogue n’a pas toujours été évident car il était tout aussi exigeant pour les autres que pour lui-même. Il se méfiait des pièges et des facilités des idées reçues, des réflexions trop alambiquées ou abstraites, des pensées paresseuses, des recettes et des ficelles du métier... Il n’avait jamais de certitudes mais des intuitions très fines et très justes. C’est lui qui avait raison et c’est là que réside précisément son audace : tenir sans relâche la voie du simple, de la poésie des mots, et retrouver sur scène la puissance d’imaginaire d’un art théâtral rendu à la pauvreté de ses moyens et à l’essentiel : le jeu. Ainsi Jacques n’a cessé de vouloir jouer avec nous, de nous inviter à jouer avec lui. Il y a toujours eu beaucoup d’enfance et de mystère dans sa manière de faire du théâtre. J’ai appris ça avec lui. Et aussi qu’il faut chercher à travailler sa propre voie dans le métier, ne pas chercher à imiter ni s’adonner à faire de quelconques « plans de carrière » mais plutôt affirmer peu y peu sa différence, construire avec intransigeance et douceur sa singularité. Jacques n’a cessé avec bienveillance et amitié, ces dernières années, lorsque j’ai créé la compagnie Tabula Rasa et puis après avec la direction du Sorano, de m’encourager à œuvrer dans ma direction, à affirmer « mon théâtre », à écrire mon histoire personnelle, singulière, dans ma vie et au théâtre. J’y travaille. Être soi-même. Sans tricher. Ce que lui a si humblement et subtilement réussi. Avec intelligence et une très touchante sensibilité. C’est peut-être cela être un grand artiste. Aujourd’hui je suis traversé par tellement de souvenirs de lui, avec lui, de ses spectacles. Je me souviens d’Alceste d’Euripide, le premier choc esthétique avec son travail ; je me souviens de Myriam Boyer et François Chattot qui « recommencent leur bonjour » dans Le Retour au désert ; je me souviens du bus qui se dresse dans la cour du Palais des Papes dans La Tragédie du Roi Christophe. Je me souviens d’une séance de travail dramaturgique pour le montage poétique de La Prochaine fois que je viendrai au monde sur le tarmac de l’aéroport international de la Martinique Aimé Césaire où nous étions en transit. L’avion pour Pointe-à-Pitre avait 2 heures de retard et avec Jacques, il ne fallait jamais perdre de temps... Nous étions épuisés par les 15 heures de voyage, pas lui ! Combien de fois l’avons-nous fait et refait ce montage ! Je me souviens des répétitions de Silence complice de Daniel Keene avec Claude Duparfait et Alain Mergnat. Je venais d’arriver à Toulouse. Il y a eu des moments mémorables... Je me souviens de la fabuleuse Nuit-Poème dont tu avais confié la direction artistique à Richard Mitou et où, avec toi, j’ai appris à mieux lire et à comprendre l’œuvre de Pessoa à laquelle tu revenais toujours. Je me souviens en 2002 de la première de Pylade de Pasolini que je mettais en scène avec les jeunes comédiens de l’Atelier Volant. C’est un souvenir douloureux mais il fait aussi partie de notre histoire. Je me souviens d’une nuit de réglages lumières au Cloître des Carmes à Avignon pour La prochaine fois que je viendrai au monde. Le ciel était constellé d’étoiles et tu étais heureux... Des croissants et du café à 6h du matin, je me souviens aussi. Je me souviens que ces dernières années je te croisais souvent rue Croix-Baragnon ou dans le quartier des Carmes. Ta silhouette changeait. Nous allions quelques fois prendre un café... Mais tu rentrais vite auprès de Didi. Je me souviens tout le temps de ces phrases qui désormais m’accompagnent comme des sésames et que tu répétais : « La poésie est inutile comme la pluie » (René-Guy Cadou) ; « Il n’y a pas de poèmes en soi mais en toi en moi » (Octavio Paz) ; « Le théâtre n’existe pas ».... La nouvelle de ton départ m’a surpris au moment où je préparais mes bagages pour le Pérou. Sur le moment, je n’ai pas vraiment réalisé, je crois. Pas voulu. Je suis allé à l’aéroport et suis monté dans l’avion avec un sentiment bizarre. Je suis maintenant quelques heures plus tard perdu dans Lima, seul au milieu de la foule. Loin. Je pense à toi. J’ai la manie de ne pas effacer de mon répondeur les messages téléphoniques importants ou laissés par des personnes qui comptent pour moi. Je retrouve tous les tiens. Je n’ai pas effacé les messages de vœux que tu me laissais chaque 1er janvier (ou dans les environs) ces dernières années. Et je les réécoute aujourd’hui au Pérou. C’est une expérience étrange et troublante. Ta voix qui s’affaiblit, de plus en plus fatiguée au fil des ans. Tes mots toujours les mêmes, amicaux, pleins d’élan, d’encouragement et de fierté. Tout est présent ici au Pérou. Tellement présent. Et toi tu n’es plus là. Je suis maintenant profondément bouleversé et ému par ta disparition. Il m’a fallu le temps du voyage pour prendre la mesure du vide que tu laisses. De ton absence désormais. Je pense à Dominique, à Vivian, à toute ta famille, à tes proches, à tous les amis... Je leur adresse mes plus vives condoléances. Et puis ici, à Lima, au Pérou, je pense à toi, je pleure et je relis ce poème de Pentti Holappa « Programme de principe » dont tu as choisi les premiers mots comme titre à ton spectacle : La prochaine fois que je viendrai au monde. Parce que, tu le disais, il n’y a que la poésie pour nous apprendre à revenir au monde. MERCI POUR TOUT, CHER JACQUES. « La prochaine fois que je viendrai au monde ici je transcrirai chaque minute depuis le début. Je n’en consommerai pas une seule sans réfléchir d’abord, et le cas échéant j’arrêterai le temps afin qu’il attende ma décision. Je choisirai les jours de calme, le travail, les nuits ardentes, les proches les plus sages, mes amours les plus belles et les plus fidèles. Avant la scène de l’amour, pendant et après, ni mon partenaire ni moi-même ne devrons nous sentir étrangers. Jamais, si la vie dépérit et avec elle toutes les choses, je ne me dirai que demain il sera trop tard. » Extrait de : La bannière jaune (1988). Dans : Les mots longs, poèmes (1950-1994). Traduction du finnois par Gabriel Rebourcet, Poésie Gallimard. Écrit sur mon IPhone. Lima. 31.07.19 Sébastien Bournac, metteur en scène, directeur du Théâtre Sorano (Toulouse). Texte publié sur sa page Facebook le 31 juillet
------------------------------------------- Didier Bezace, texte publié dans Télérama : « Cher Jacques, Télérama a la gentillesse de nous permettre de saluer ta mémoire. Tu as disparu, il y a quelques heures seulement, tu es parti discrètement, tu nous as surpris par ce dernier tour de magie — que tu appréciais tant — malheureusement il s’agit là de magie noire et nous sommes victimes d’une illusion trop vraie. Abracadabra ! Tu n’es plus là ; mais où es-tu ? J’entends quelque part autour de nous ton rire clair et joyeux, celui d’un blagueur de talent. Le tour est réussi, j’écris en mon nom et au nom de mes camarades aussi désemparés que moi, Jean-Louis [Benoît, co-créateur du théâtre de l’Aquarium, ndlr], Thierry, Jean-Loup, Bernard, Louis, Karen, Philippe, Martine, Françoise, Bruno et tant d’autres qui ont eu la chance de te connaître et de t’aimer. Nous saluons celui qui a su nous entraîner dans une aventure humaine et artistique passionnante, celle du Théâtre de l’Aquarium installé en 1973 à la Cartoucherie de Vincennes à l’invitation d’Ariane, qui elle aussi a appris la nouvelle de ton décès avec une grande tristesse. Nous saluons celui qui nous a formés, dirigés avec clairvoyance et précision, inculqués le sens d’un théâtre exigeant et généreux, riche en émotion, en humour et en humanité, et partagé avec un public fervent et aujourd’hui endeuillé. Avec toi, nous avons appris le combat politique, nous l’avons mené à notre manière, modestement, conscients d’être dans le monde et d’avoir à se battre pour le changer. Dans quelques jours, nous serons à tes côtés pour t’accompagner jusqu’à ta dernière demeure, un trou noir qu’une lourde pierre va fermer à tout jamais, nous laissant encore plus seul(e)s !... Pour l’instant, la tristesse efface les mots mais plus tard nous parlerons, nous dirons à tous ceux qui ne t’ont pas connu ton talent, ta discrète générosité, ton amitié solide et souvent réconfortante. Salut Jacques. » A lire – L’Aquarium, d’hier à demain, de François Rancillac, (Ed. Riveneuve, 120 p., 15 euros) (Paru dans Télérama du 31 juillet) --------------------------------------------------------------------------------- Jean-Claude Berutti :
« Tristesse ce matin: Jacques Nichet est mort ! Un éminent collègue nous quitte, aussi important que discret, sachant ce que l'exigence sur les grands textes veut dire, connaissant les secrets de la traduction, mais aussi ceux de l'art de l'acteur. Les souvenirs de ses beaux spectacles affluent, ceux du traitement qu'il apportait à Lorca, Césaire, Fo, Diderot et bien d'autres demeurent vivaces. Sa bonté manquera. » Jean-Claude Berutti (Publié sur sa page Facebook) Jean-Claude Berutti et metteur en scène, ancien co-directeur de la Comédie de Saint-Etienne, directeur de l'Opéra de Trier ------------------------------------------- Guy Zilberstein , sur Facebook : « C’est plus qu’une grande figure du théâtre contemporain qui disparaît, c’est un penseur et un praticien éminent de l’Art dramatique. De l’Aquarium au Collège de France, son trajet poétique et intellectuel décrit un homme d’exception, utile, essentiel à son siècle et à son Art. » Guy Zilberstein (Publié sur sa page Facebook) ------------------------------------------- Le comédien Dan Artus, sur Facebook : Ceci n’est pas un hommage à Jacques Nichet. Celui qui m’a fait découvrir Aimé Césaire dans La Tragédie du Roi Christophe quand j’avais 20 ans et qui m’a fait dire : je veux faire du théâtre toute ma vie ! 14 ans plus tard il m’appelait alors que j’étais entrain de faire un barbecue dans mon jardin pour me dire : vous êtes libre pour reprendre un rôle dans La Ménagerie de Verre ? en une fraction de seconde je parcourais 14 ans de ma vie. Cet homme qui n’acceptait pas que je rate un mot à la première répétition et qui m’a fait progresser comme personne. Cet homme qui aujourd’hui n’est plus et qui fait que je ne me sens pas orphelin mais lié avec tout ceux qui ont travaillé avec lui. Je n’arrive pas à avoir de peine ni de larme, je ne sais pas pourquoi… Peut-être parce je garde une des plus belles parole sur le théâtre et il faut l’entendre. ------------------------------------------- La comédienne Isabelle Candelier : Jacques. Tu es parti sans que je puisse te reparler, te revoir. Tu es le premier à avoir cru en moi, à avoir confié un role magnifique à une toute jeune fille inconnue et inexpérimentée. Tu m’as donnée cette confiance qui peut révéler un acteur. Le révéler à lui même. Ton imaginaire, qui a rencontré le mien. Tes images, “...tu pourrais te passer du citron sur les bras....”, ta voix douce. Tu m’as fait découvrir ce que c’est qu’une troupe de théâtre, cette merveille, ce grand bonheur, cette famille là. Unis pour toujours. La Savetiere Prodigieuse. Ancrée dans mon corps à jamais. Ton regard m’a fait decouvrir l’actrice que j’etais. Pour toujours merci. Que c’est triste. Isabelle Candelier ------------------------------------------- La metteuse en scène Cécile Backès : RIP Jacques Nichet, à qui le théâtre doit tant d’aventures audacieuses sur des routes inconnues. J’en garde deux en tête, celles qui m’ont guidée : le Théâtre de l’Aquarium et ses metteurs en scène - le partage de l’outil, déjà - et la découverte de Hanokh Levin avec « Marchands de caoutchouc », Levin, immense auteur israélien que j’ai mis en scène plusieurs fois. Merci à vous ! Cécile Backès, metteuse en scène, directrice de la Comédie de Béthune - CDN ------------------------------------------- Jean Varela, sur le site du Printemps des Comédiens : « Je montre la vie » Adieu à Jacques Nichet Jacques Nichet qui fut le Directeur du Théâtre des Treize vents à Montpellier, le Centre Dramatique National de la Région Languedoc Roussillon de 1986 à 1998 vient de nous quitter. Metteur en scène (interprète et non créateur ajoutait-il avec modestie), artiste, universitaire, Jacques Nichet aura consacré toute sa vie au théâtre. Elève de l’Ecole Normale Supérieure où il prépare l’agrégation de lettres classiques, il y crée en 1965 le Théâtre de l’Aquarium « une troupe universitaire » qu’il dirige jusqu’en 1968. Professeur à l’Université Paris VIII, il installe l’Aquarium qui se professionnalise à la Cartoucherie de Vincennes, encouragé par Ariane Mnouchkine. Voilà l’entreprise « condamnée au succès pour pouvoir vivre ». Jean Louis Benoit et Didier Bezace sont de l’aventure dès le début. Ils cherchent à mettre en scène un théâtre nouveau, original, immédiat et visuel en prise directe avec l’actualité, proche du documentaire de terrain. En 1986, Jacques Nichet prend la direction du Centre Dramatique National de Montpellier que dirigeait Jérôme Savary (qui avait dû quitter Béziers en 1983 pour cause de changement municipal). Il lui donne le nom de Théâtre des Treize Vents. Les spectateurs gardent encore le souvenir des pièces qu’il va mettre en scène et des auteurs qu’il va faire découvrir, comme La Savetière prodigieuse (Lorca), Le rêve de d’Alembert (Diderot), Monstre aimé (Toméo), Le Baladin du monde occidental (Synge) avec Jacques Echantillon, Domaine ventre (Valletti). Jacques Nichet assure aussi à cette époque et jusqu’en 1990 la programmation du Théâtre municipal de Béziers, dernière attache du Centre Dramatique avec la Ville qu’il a dû quitter. A la demande de Gérard Saumade, le Président d’alors du Conseil général, il met en scène le « Triomphe de l’amour » de Marivaux pour la seconde édition du Printemps des Comédiens en 1988 qui le conduit du Domaine d’O jusqu’au lycée de Saint Pons qui l’accueille en « décentralisation ». En 1996, un an avant de quitter les Treize Vents, il est accueilli à Avignon avec la « Tragédie du Roi Christophe » d’ Aimé Césaire. En 1997, Jacques Nichet quitte Montpellier pour s’installer à Toulouse où il prend la direction du Théâtre National de Toulouse Midi Pyrénées, le TNT. Il va, fidèle à sa méthode, y proposer, mettre en scène et faire découvrir des auteurs contemporains comme Koltès « Combat de nègre et de chiens » ; Svetlana Aleksievitch (future Prix Nobel de Littérature) avec « Les cercueils de zinc » ou encore son cher Dario Fo « Faut pas payer ». Après 10 ans passés au TNT, Jacques Nichet reprend sa route avec des haltes au Théâtre de la Commune (Aubervilliers), en tournée avec « La Ménagerie de verre » une des premières pièces de Tennessee Williams. Il crée une nouvelle compagnie « L’inattendu » et donne aussi un cours au Collège de France sur la création artistique au théâtre. Il était revenu à Béziers pour l’hommage que l’équipe de sortieOuest avait tenu à rendre à Jacques Echantillon, Directeur des Tréteaux du Midi, le Centre Dramatique National alors installé à Béziers. L’église Saint Félix avait réuni tous les anciens amis de la belle aventure des Tréteaux et l’esplanade au pied de « la chapelle » avait reçu le nom de Jacques Echantillon pour que vive en ces lieux, la mémoire d’un homme de théâtre, qui avait façonné la vie culturelle biterroise. Esprit brillant, homme de culture, toute sa vie Jacques Nichet s’est passionné pour la création théâtrale. Attentif à toutes les nouvelles formes d’expression, il aimait citer Zola : « Le théâtre n’existe pas !! A chaque fois qu’on voudra vous enfermer dans un code en déclarant : ceci est du théâtre, ceci n’est pas du théâtre, répondez carrément : Le théâtre n’existe pas. Il y a des théâtres et je cherche le mien ». Dans « La savetière prodigieuse » que Jacques Nichet « ressuscita » grâce à une nouvelle traduction du texte de Lorca, le savetier revient chez lui, incognito. Il s’invente sur le champ une profession artiste, homme de théâtre et il prononce ses mots qu’on pourrait attribuer à Jacques Nichet : « C'est un métier de peu d’apparence et de beaucoup de science : Je montre la vie ». Adieu Jacques Nichet. Merci de nous avoir tant de fois permis de regarder notre réalité en face « pour y voir plus clair ». Jean Varela, directeur du Printemps des Comédiens (Montpellier) ---------------------------------------------------------------------------------
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Le spectateur de Belleville
August 13, 2019 12:17 PM
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Par Jean-Claude Raspiengeas, dans La Croix le 04/08/2019 Portrait Le metteur en scène de théâtre Jacques Nichet est mort le 29 juillet à 77 ans. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de lettres, il avait cofondé avec Didier Bezace et Jean-Louis Benoit, le Théâtre de l’Aquarium, à la Cartoucherie de Vincennes.
Il incarnait une forme de douceur et d’érudition. Ses mots étaient pesés, son regard bienveillant, son sourire encourageant. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de lettres, Jacques Nichet avait débuté en 1965 par une mise en scène de la pièce d’Aristophane, Les Grenouilles. Dans la foulée et les ardeurs de Mai 68, jeune Turc de la scène, il avait fondé une troupe universitaire, la Compagnie de l’Aquarium. Quand Ariane Mnouchkine avait posé son Théâtre du Soleil sur le site militaire désaffecté de la Cartoucherie, dans le bois de Vincennes, Jacques Nichet l’avait rejointe pour créer, avec Didier Bezace et Jean-Louis Benoit, le Théâtre de l’Aquarium.
Le trio ébouriffant monte des spectacles hors du répertoire, créations collectives issues de l’autogestion et, bien dans l’air de ce temps-là, des pièces politiques et grinçantes, écrites après enquêtes sur le terrain. « Des formes bâtardes, souvent réalisées en peu de temps et sans trop d’argent qui affirmaient leur originalité et d’autres façons d’inventer le théâtre », rappelait Jacques Nichet, lors de sa conférence inaugurale au Collège de France où il occupa la saison 2010-2011 la Chaire de création artistique, après quarante ans d’expériences au Théâtre de l’Aquarium, au Théâtre des Treize Vents, au Théâtre National de Toulouse, puis à la Compagnie l’Inattendu.
Peu à peu, le Théâtre de l’Aquarium revient aux grands auteurs, Kafka, Ferdinando Camon, Lu Xun. Au milieu des années 1980, Jacques Nichet quitte la capitale et repart vers sa région d’origine, l’Occitanie. Il pose ses valises à Montpellier où il succède à Jérôme Savary à la tête du Centre dramatique national du Languedoc-Roussillon, rebaptisé par lui « Théâtre des 13 Vents », qui met en valeur les textes classiques de Lorca, Calderon, Euripide, et fait connaître des auteurs contemporains comme Serge Valletti.
En 1996, invité au festival d’Avignon, Jacques Nichet fait entendre dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes une mémorable adaptation du grand texte d’Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe.
« La vie n’est intéressante que si elle est surprenante » En 1998, nouveau départ à la direction du Théâtre national de Toulouse. Il y monte des œuvres de Shakespeare, Dario Fo, Bernard-Marie Koltès, Sophocle, Georges Perec et une adaptation du livre de témoignages sur la guerre en Afghanistan que mènent les Russes, Les Cercueils de zinc, de Svetlana Alexievitch, futur Prix Nobel de littérature. Il s’engage aussi dans la création du Centre international de traduction théâtrale.
En 2007, à la surprise générale, il fait valoir ses droits à la retraite. Il a 65 ans. « Plus on tarde, plus on s’accroche », explique-t-il. Il quitte l’institution et repart sur ses propres chemins de liberté. « La vie n’est intéressante que si elle est surprenante », disait-il. Il met sur pied une nouvelle compagnie, L’Inattendu. Le dernier spectacle de Jacques Nichet, en 2018, était une mise en scène d’un texte de Beckett dont le titre, rétrospectivement, semble boucler le parcours de sa vie : Compagnie. Derrière ce mot, un ancrage et la nécessité d’être avec les autres, toujours.
Comment définissait-il son art, sa voie poétique ? « Cristalliser, saisir quelque chose du temps que nous vivons ensemble. Regarder notre réalité pour y voir plus clair. » Légende photo : Jacques Nichet. LIONEL BONAVENTURE/AFP
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Le spectateur de Belleville
August 12, 2019 12:30 PM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde le 1er août 2019 Jacques Nichet, metteur en scène, fondateur du Théâtre de L’Aquarium, est mort Après des débuts aux côtés d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes, il crée son propre théâtre, avant de s’installer à Montpellier puis Toulouse dont il dirige le théâtre national pendant près de vingt ans. Il est mort le 29 juillet, à 77 ans.
Son nom restera lié à l’histoire du Théâtre de L’Aquarium : le metteur en scène Jacques Nichet, qui est mort à Toulouse le 29 juillet 2019, à 77 ans, était encore élève à l’Ecole normale supérieure quand il a créé une troupe universitaire qu’il a appelée « le Théâtre de l’Aquarium ». C’était en 1964, une année fertile, où Ariane Mnouchkine et Philippe Léotard ont créé le Théâtre du Soleil, issu lui aussi de l’université. Huit ans plus tard, quand elle s’est installée à la Cartoucherie de Vincennes, dans les hangars d’un site militaire désaffecté où tout était à construire et à inventer, Ariane Mnouchkine a incité Jacques Nichet à la rejoindre avec sa troupe.
Ainsi, comme Le Soleil, L’Aquarium devient un théâtre en dur, bâti dans une nef de cinquante mètres de long. Dans cet après-1968 hautement politique, Jacques Nichet, qui revendique un théâtre militant dans la lignée de Jean Dasté, Jean-Marie Serreau ou Gabriel Monnet, n’arrive pas seul à la Cartoucherie : il est accompagné par Didier Bezace et Jean-Louis Benoit. Ensemble, ils bâtissent un projet en accord avec une génération qui n’a pas envie « d’être parlée » – pour reprendre le langage de l’époque –, mais de « parler elle-même ». Autrement dit : pas de recours au répertoire, mais des spectacles écrits par le trio à partir d’enquêtes et de documents, comme Gob ou le journal d’un homme normal (1973) ou La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras (1976).
« Il y a des cycles dans la vie, et dans le théâtre. Je sens que je suis arrivé au bout de quelque chose et que je ne ferai pas mieux »
Si le succès public est au rendez-vous, les finances restent précaires, mais l’Aquarium tient bon, et il ne se fige pas dans un procédé. Dans les années 1980, il évolue vers un théâtre inspiré par la littérature non dramatique, avec de réels bonheurs, tels Correspondance (d’après Kafka et Vittorini) et Les Heures blanches (d’après Ferdinando Camon). Mais Jacques Nichet sent qu’il doit quitter L’Aquarium. Pour une raison simple : « Le théâtre, c’est quand même le nomadisme », déclare-t-il quand, en 1988, il part pour Montpellier, où il prend la succession de Jérôme Savary à la tête du centre dramatique national du Languedoc-Roussillon, qu’il rebaptise du joli nom de « Théâtre des 13 Vents ».
A partir de ce moment, l’Albigeois de naissance, qui est revenu aux textes classiques en signant une de ses meilleures réussites, La Savetière prodigieuse, de Lorca, en 1986, se recentre sur la culture méditerranéenne. Il met en scène Calderon (Le Magicien prodigieux), De Filippo (Sik-Sik, le maître de magie et Le Haut-de-forme), Javier Tomeo (Monstre aimé), Serge Valletti (Domaine ventre), ou Euripide (Alceste). En 1996, il fait entrer Aimé Césaire dans la cour d’honneur du palais des Papes d’Avignon, avec La Tragédie du roi Christophe.
Des choix d’auteurs éclectiques Deux ans plus tard, il quitte Montpellier pour Toulouse, où il prend la direction du tout nouveau bâtiment du Théâtre national. Le choix des auteurs qu’il met en scène est éclectique : Shakespeare (Mesure pour mesure), Dario Fo (Faut pas payer !), Koltès (Combat de nègre et de chiens), Svetlana Alexievitch (Les Cercueils de zinc), Sophocle (Antigone), Perec (L’Augmentation), Erdman (Le Suicidé)…
En 2007, Jacques Nichet peut demander un renouvellement de son mandat. Il ne le fait pas. Contrairement à beaucoup de metteurs en scène-directeurs, qui s’accrochent à leur place, il trouve très bien de partir, à 65 ans, et de passer le relais à la génération suivante : il cède son poste à Laurent Pelly, 45 ans, et Agathe Mélinand, 46 ans. « Il y a des cycles dans la vie, et dans le théâtre, explique alors cet homme posé. Je sens que je suis arrivé au bout de quelque chose et que je ne ferai pas mieux. (…) L’important, c’est de bouger et de transmettre un théâtre quand il marche bien. »
Transmettre : ce mot était cher à l’agrégé de lettres, qui a enseigné pendant une quinzaine d’années à Paris-VIII, à ses débuts, et qui, en 1991, a été avec d’autres, dont Jean-Michel Déprats, à l’origine d’une idée magnifique : la création du Centre international de traduction théâtrale. Jack Lang a soutenu cette démarche, placée sous le patronage d’Antoine Vitez, qui fut un grand traducteur, et qui a donné son nom au centre, devenu la Maison Antoine-Vitez. Quant à Jacques Nichet, il a continué à transmettre son art et son amour du théâtre, d’une manière espacée. Sa dernière mise en scène fut, en 2018, une pièce de Beckett : Compagnie. Le mot d’une vie.
Jacques Nichet en 5 dates 1er janvier 1942 Naissance à Albi (Tarn)
1972 Création du Théâtre de L’Aquarium
1986 « La Savetière prodigieuse », de Lorca
1996 « La Tragédie du roi Christophe », d’Aimé Césaire
29 juillet 2019 Mort à Toulouse
Brigitte Salino
Crédit photo : Le directeur du Théâtre National de Toulouse Jacques Nichet, en décembre 2005. LIONEL BONAVENTURE / AFP
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Le spectateur de Belleville
April 17, 2019 8:45 AM
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Par Christiane Chaulet Achour 16 avril 2019 dans Diakritik Aziz Chouaki Nous venons d’apprendre la mort brutale d’Aziz Chouaki, ce mardi 16 avril 2019, à l’âge de 67 ans. En hommage au dramaturge et écrivain algérien, Diacritik republie l’article que Christiane Chaulet-Achour lui avait consacré en novembre dernier. Connu dans les milieux algérois dès la publication de son premier recueil, Argo (1983) puis le roman Baya en 1988 (réédité en novembre 2018 aux éditions Bleu Autour), Aziz Chouaki est certainement l’écrivain algérien le plus inclassable. Sa pièce la plus récente, Nénesse (2017, éd. Les Cygnes), brocarde âprement homophobie, racisme et antisémitisme, farce tragique de notre monde contemporain. Il a aussi écrit deux pièces qui touchent à des actualités brûlantes : les migrants et les soldats coloniaux de la Grande Guerre. Les migrants « Europa (Esperanza) », a été mis en scène par Hovnatan Avédikian et joué au mois de septembre au Lavoir moderne parisien, dans le 18e. Elle sera de nouveau à l’affiche dans les prochains mois. Le texte lui-même, sous le titre Esperanza (Lampedusa) a été publié aux éditions Les Cygnes. C’est une commande du théâtre Nanterre-Les Amandiers liée au long et fructueux compagnonnage de 15 ans d’Aziz Chouaki avec Jean-Louis Martinelli qui confiait en 2017 que c’était sa façon « de faire danser les mots » qui l’avait séduit. Pour parler des migrants, Aziz Chouaki se focalise sur des Algériens, ceux qu’on appelle les « Harragas » et installe son lecteur-spectateur dans la barque de fortune qui emmène vers Lampédusa une brochette improbable d’hommes et de femmes déterminés à quitter le pays pour l’Eldorado de l’Europe. Ils échangent leurs rêves, ce qu’ils espèrent pouvoir faire dès leur arrivée… où ? : « Même Israël ça me va mec, tout ce que tu veux, évite-moi juste les Arabes, les Africains, les pauvres, les grenouilles crépues et tous les Ben Laden possible ». C’est sur ce ton à la fois de désespoir, de dérision et de blague que se déroule la traversée entre érudition (l’un d’eux est appelé Socrate, c’est dire…), religiosité (une voix dit des versets du Coran plus ou moins édulcorés) et parlers du quotidien de celles et ceux qui n’ont plus rien à perdre. Ils essuient toutes les péripéties, finissent par perdre l’un des leurs et… vogue la galère ! la pièce s’achève sans que l’on connaisse l’issue de l’échappée. Les Coloniaux (1914-1918) En janvier 2009, le théâtre des Amandiers à Nanterre avait proposé une autre pièce d’Aziz Chouaki, Les Coloniaux, pièce à un seul personnage avec en quasi voix off, « le figuier » joué par le dramaturge lui-même avec une mise en scène par Jean-Louis Martinelli. Ce fut un moment d’écoute exceptionnel et une véritable prouesse d’acteur – ici Hammou Graïa –, que de jouer du Chouaki ! Avant même une thématique ou une histoire, ce qui est la saveur absolue de ses créations est la langue, insolite, rythmée, déjantée. Dans Les Coloniaux, il parvenait à un équilibre déjà approché avec sa première pièce jouée en France, Les Oranges. La réalisation était encore plus accomplie ici entre l’hermétisme d’une trop grande recherche dans les mots et les références, le recours à la langue française que nous parlons et entendons au quotidien et les interférences avec les parlers algériens. Mohand Akli n’a guère envie d’être enrôlé en ce mois de 1914 : « Bon, ce jour-là, j’étais dans mon douar, dix-sept ans, douce lumière grise, farouche Kabylie, octobre granit, ballon de chiffon, on jouait au foot avec Zizou, non, c’est un autre, pieds nus, gandouras sales, des yaouleds, quoi, couleur sépia ». Mais le figuier lui donne l’ordre d’obéir pour aller reprendre Douaumont car, admirateur des Pieds Nickelés, il veut qu’il les rejoigne : « Et moi, je lui dis, ça veut dire quoi, « je reprends Douaumont » ? Il me dit que le fort de Douaumont a été pris par des guerriers allemands et qu’il faut le reprendre puisque les Pieds Nickelés sont de la partie. J’essaie de trouver une logique post-euclidienne dans ce caramel choucroutement couscoussé, les Pieds Nickelés ? Mais c’est des personnages ? Comment ? C’est juste une image, du courage, ça n’existe pas, un personnage. Là-dessus, il me hurle, le figuier, que je ferais mieux d’arrêter mes âneries, qu’il y a des choses bien au-delà de ma petite tête de Mohand Akli. Et que, puisque les Pieds Nickelés sont là-bas, je dois y être aussi, rompez, fin de discussion. Ça va, ça va, que je lui réponds, et donc je fais quoi ? » L’épopée est lancée pour une heure et demie sur le ton de la parodie, de la dérision et de la tendresse tout terrain… Aziz Chouaki joue de toutes les gammes pour traiter l’héroïsme et son contraire, les poilus honorés et les combattants oubliés. Car, c’est bien à ces derniers que sa pièce est dédiée, ces « coloniaux » qui désignent les colonisés appelés au front pour sauver la « mère patrie » qui n’en aura que peu de reconnaissance symbolique et financière ! A défaut de la voir, la pièce peut être lue car elle a été publiée aux éditions des Mille et une nuits en 2009, comme Les Oranges, de multiples fois mis en scène. Aziz Chouaki l’écrivait, dans sa « semaine », en mai 2006 dans Libération, ce texte répond à une commande officielle pour la commémoration de Verdun : « (…) les tirailleurs sénégalais, les spahis, toute la très coloniale iconographie sépia des musées militaires, sanctuarisée, embaumée dans le bienfaisant ronron du bon P(ét)ain (…) ces braves coloniaux sont venus héroïquement défendre la France (…) Protéger la tendre blondeur de la France(…) Du coup, caisse à outs’, petits tournevis, clef à mollette, et j’ai corrigé l’angle, le bloc moteur. Car, comment moi, petit-fils d’un de ces coloniaux, vais-je pondre un neuneuf assez valide pour éviter la prise d’otage ? (…) Alors, la France, responsable ou bien coupable ? » Fellag a lu ce texte sur le site pour le 90è anniversaire de la bataille de Verdun en juin 2006 : un texte vraiment peu conventionnel pour une commémoration officielle ! Malgré sa volonté de décentrement, Aziz Chouaki marche sur des œufs : s’il ridiculise gentiment l’état-major de Pétain, il traite avec égard le vainqueur de la Première guerre ; il « humanise » par le rire les clichés sur les différentes catégories de colonisés et des autres combattants et écarte, avec esprit, repentance et dette : « Non, non, sans aller jusqu’à la presque comparaison, ça fait revanchard, et puis c’est très mauvais pour la vésicule biliaire […] soyons urbain, de grâce, un peu de fringance d’âme, s’il vous plaît, quoi. […] J’ai envie de demander à la France, en fait, c’est juste un tout petit peu de mémoire. Mais de la vraie active, de celle qui dégrafe les commémorations, au-delà des cymbales et des symboles, foin de tous les artifices de la représentation. Nulle charité, nulle componction, surtout pas de repentance car, tout compte fait, coin de frigo, des restes de justice feraient très bien l’affaire. Plus une mémoire du cœur, alors, oui, une mémoire bien étale, à ras de langue, à simple hauteur d’âme. C’est ça que j’ai envie de dire à la France, toute blessure a deux lèvres, avers et revers, que les petites mains reprisent tranquille, de grâce, loin du fracas du verbe ». Les lectures parallèles de fictions autour d’un même sujet aident toujours à mieux le comprendre. Et en ce mois de septembre 2018, en relisant Les coloniaux, on peut lire aussi Frère d’âme de David Diop (dans la dernière sélection du Prix Femina 2018), qui s’attaque aussi à « la très coloniale iconographie sépia des musées militaires » et active la vraie mémoire (une part de celle-ci), « celle qui dégrafe les commémorations »… Plus d’humour, plus de rire ; un jeu de langues différent mais aussi perturbateur. David Diop fait revivre une figure de tirailleur sénégalais – comme l’avait fait son compatriote Sembène Ousmane, dès 1965, dans Vehi-Ciosane, avec le personnage de Tanor revenu comme une loque de la Grande guerre –, Alfa Ndiaye. Après avoir vu son frère d’âme, Mademba Diop tué à la sortie de la tranchée, il se surpasse en sauvagerie, allant au-delà de ce qui était demandé par les supérieurs de l’armée. Comme l’écrit Camille Thomine dans Le Nouveau Magazine littéraire : « Les lieutenants toubabs attendaient de leurs recrues « chocolat » qu’elles jouent les sauvages, qu’elles se ruent sur l’ennemi coupe-coupe en main, hurlant et roulant des yeux fous ». Alfa Ndiaye entre totalement dans le « jeu ». La critique caractérise ce récit comme « une mélopée sorcière » qui nous entraîne, page après page, dans l’horreur jusqu’au bout, jusqu’au dernier acte. La plume inclassable d’Aziz Chouaki Avec Aziz Chouaki, quelle que soit la thématique dont l’écrivain s’empare, tout se joue dans la langue donc, non comme exercice de style mais comme manifestation d’un être-au-monde qui, partant de « racines » stérilisantes parce que définies dans l’étroitesse et l’obligation, s’en échappe pour s’inventer dans le chaos maîtrisé d’un « chaloupage » linguistique constant. Et en s’inventant, ce chaos maîtrisé s’extirpe de l’assignation à « résidence » pour prendre une dimension qui échappe aux définitions étroites de la nation. C’est certainement un auteur surprenant et hors norme. Camus étant l’écrivain français le plus connu des lecteurs, rappelons un extrait du texte absolument original qu’il lui consacre en 2003, « Le Tag et le royaume » où il tente de cerner son rapport à cet aîné : « Dans ce grand concert des écritures du soleil, c’est la figure de Camus le tatouage, la matrice, le tag. A la fois aval et amont, en tout cas toujours transversal, ce tag n’est jamais qu’une présence, agile à taire le secret de son chiffre. (…) Oui, j’ai envie de dire avec lui, oui, Camus, l’Algérie n’est pas que arabe, ni que française, ni que berbère, ni que quoi que ce soit de correctement exclusif d’ailleurs. Il y a simplement autant d’Algéries qu’on peut en concevoir. (…) j’ai corrigé l’angle de saveur par rapport à lui quand j’ai perdu la nation (au sens où l’on dit : j’ai perdu la foi). Quand me sont poussées, tout d’un coup, ces lianes vivantes qui font de moi réseau, à présent. » Par rapport à l’héritage, revendiqué ou mis à distance, assumé ou rejeté, tout écrivain fait un choix d’expression qui l’oblige et oblige son lecteur à « changer de route », du moins à se poser autrement les questions de son origine, de son présent et de son futur. Dans un entretien avec Violaine Houdart-Merot, Aziz Chouaki expliquait : « Je crois que toute écriture suit une biographie. En l’occurrence, mon écriture me ressemble, si l’on veut. Elle est arabe, berbère, anglo-saxonne, française. De par ma culture musicale, elle est jazz, funk, contemporaine, plastique. Maintenant, l’écriture dramatique resserre la parole, parce qu’il n’est question que de ça, dans une pièce. Des comédiens parlent. C’est la parole qui construit le drame. Or, dans le roman, il y a une distance, dans la mesure où il y a plus d’amplitude. Le temps du roman est horizontal, celui du théâtre vertical. En ce qui concerne mon travail, je travaille beaucoup le signifiant, j’essaye de trouver du goût au-delà du sens, travailler sur les sons, les correspondances ». On voit ici que l’histoire de l’individu, de ses acquis artistiques et culturels, s’ouvre sur une recherche incessante de créativité quand il s’agit de transformer le matériau entendu, dit, observé, en œuvre d’art. Présentant, en 2000, son roman Aigle, Aziz Chouaki affirmait écrire « en français, certes, histoire oblige, mais à bien tendre l’oreille, ce sont d’autres langues qui se parlent en moi, elles s’échangent des saveurs, se passent des programmes télé, se fendent la poire. Il y a au moins, et surtout, le kabyle, l’arabe des rues et le français. Voisines de palier, ces langues font tout de suite dans l’hétérogène, l’arlequin, le créole. On avait ça dans Les Oranges, ce côté patché, rhapsodie – Au sens étymologique des coutures. Il y a aussi écrire le monde, « le technocosme » (comme dirait Jeff) qui moule notre perception, s’emparer de ses codes. Écrire avec et non contre les médias et les technologies. C’est en tout cas l’enjeu majeur dans Aigle, Revendiquer l’hybride et le contemporain. Je suis un Oriental, avec tout le jasmin et la vase, Mais aussi un parfait clone de la colonisation. Gosse, j’ai pleuré Blandine dans nos vieux livres jaunes à gravures ; à l’école communale j’admirais Bayard, sans peur et sans reproche, parmi les fumets de chorba du ramadan. Aujourd’hui l’histoire, le drame, L’exil. Et l’écrire toujours là, à adoucir les mœurs… » A Ariel Kenig, pour Zone littéraire, il disait que « Les jeunes Algérois chantent en arabe mais avec un son complètement américain. Ils sont déchiquetés entre les images formatées du monde occidental et le vide de leur cité. Leur identité culturelle n’est pas définie, surtout à cause de cet état de schizophrénie linguistique : à l’école, comme à la télé, on utilise un arabe qui ne se parle pas du tout. Les gens passent leur temps à décoder. Tout le monde joue au théâtre par rapport à la langue officielle. Les jeunes n’ont pas d’image valorisante à laquelle s’accrocher, à part un peu en musique. Des groupes algériens comme Micro Brise le Silence, renforcent admirablement le mythe en tournant en France ou en signant avec Virgin, mais les gens s’identifient davantage à Michael Jackson ou aux fast-food. Moussa Massy [héros de L’Etoile d’Alger], c’est l’exemple parfait du creuset des débris de mythologie occidentale. Il fait le ramadan pour se bourrer la gueule deux secondes après. Un aller-retour continuel et quasiment primitif, mais qu’il assume. » L’Etoile d’Alger, son premier roman, lui a donné une reconnaissance littéraire certaine. Aziz Chouaki n’est pas le premier romancier algérien à mettre en fiction un jeune Algérois des quartiers populaires. Mais ce n’est pas tant le référent qui est original que la langue pour le dire. A l’ouverture du roman, Moussa rentre d’une soirée qu’il a animé comme chanteur : « Mal de crâne, quelle soirée ! La fête s’est bien passée, en gros, bonne organisation, bien payé en tout cas, 20 000 balles dont 8000 pour bibi. Normal : la vedette. C’est pas rien de chanter pendant plus de cinq heures avec juste un petit entracte. Répertoire type de mariages : tu mets un peu d’algérois au début, pour détendre, puis tu attaques direct au bas ventre, le plat de résistance, la chanson kabyle moderne, la spécialité du chef. Il y avait même un journaliste d’Algérie Actualité, grosses moustaches, on a pris rendez-vous, peut-être une interview ? Faut dire que je me suis défoncé, tout le monde a dansé jusqu’à l’aube. Le violoniste a fait quelques fausses notes mais ça va. Ensuite, on a veillé avec les copains, l’orchestre, jusqu’à l’aube, trente-six cafés au lait, sandwich, au Terminus. Clientèle de petit jour, musiciens, danseuses de cabaret. Puis, vers 7 heures, retour à la cité avec Djelloul, le chauffeur du groupe. Je fais exprès de rentrer au petit matin. Comme ça c’est mieux, comme ça tu tombes de fatigue direct, comme ça tu vois un peu moins. Quatorze personnes dans trois pièces (…) Moussa se déshabille à tâtons, puis se jette sur son matelas mousse à même le sol et sombre dans le sommeil. » Ce travail sur la langue se retrouve dans l’ouverture des Oranges : « – De loin ça fait comme un ruban blanc, cerné de bleu en bas, avec des touffes de vert en haut. Et puis c’est poivré, menthe fraîche et jasmin. C’est ça Alger. Brune lascive aux yeux olive, étalant sa blanche langueur au lécher du soleil. Et moi j’aime ça, oh oui. Petit matin, au balcon, prendre un bol de soleil direct. Hum. Cris d’enfants, la rue bruisse, le petit Krimo, qu’est-ce qu’il joue bien, regarde, regarde comme il te dribble ça, hop, hop, et toc, la boîte de conserves entre les jambes du goal, ilié !! Petit pont, pauvre goal, c’est Hamdane le fils de Moussa le boucher, quinze ans, déjà quatre-vingt kilos… C’est quoi, ça ? Cette odeur, oui, qui soudain gifle, heureuses, mes narines ?! C’est la mer, que je vois en bas du ciel, entre le café du Chihab et le kiosque à journaux. La mer, bien sûr. » Cette écriture est déconcertante pour beaucoup de lecteurs, plus à la lecture qu’à l’écoute d’ailleurs. Elle mime l’oral à l’écrit. Les phrases nominales sont privilégiées ainsi que les ruptures, parfois les coqs-à-l’âne et souvent les jeux de mots. Cette liberté et en même temps cette recherche linguistique sont parties prenantes de la complexité et du désordre d’une situation car manifestement pour le personnage principal des Oranges ainsi que pour Moussa Massy, rien ne peut être simple au pays « où l’indépendance est arrivée » ! Pourquoi la langue serait-elle domestiquée ? Par la langue du texte, l’histoire est interpellée et n’entre plus dans les créneaux déjà dessinés par les écrits antérieurs qu’ils soient algériens, français ou autres. Sa langue use d’onomatopées, d’une ponctuation abondante qui s’explique aussi par le discours direct du personnage, par un lexique particulier (qui mériterait toute une étude), par une élimination quasi systématique du premier terme de la négation. Tout cela est fortement construit et concerté pour « représenter » le jeune du quartier, pour essayer de transmettre ce qu’on pourrait appeler la « culture houmiste » et réussir à le faire. Si le lien était déjà très clairement fait entre les jeunes Algérois et les jeunes des banlieues, il est presque systématiquement présent à l’esprit du lecteur qui voit jouer ou qui lit Une virée (2003). Inutile d’insister sur le fait que, comme pour toute pièce de théâtre, il vaut mieux la voir que la lire, ou la lire seulement après. En effet, la mise en scène de Jean-Louis Martinelli, proposée au Théâtre des Amandiers de Nanterre en 2004, a soutenu de façon magistrale le texte par le décor, la musique et le jeu époustouflant des trois acteurs. On peut dire, une fois encore que la langue d’Aziz Chouaki dépasse le mimétisme et est véritablement une langue de création. Travail concerté et non relâchement stylistique : « Il s’agit moins de dénoncer que de donner à voir, on est toujours dans l’espace du théâtre, la convention. La langue que pratiquent les personnages est inventée, c’est une langue alternative, forme et contenu se perlent en défiant les règles de la parole normée. Ils sautent de l’arabe à l’anglais, au français, sans se poser de question. C’est presque une langue d’aéroport, cosmopolite. En fait, ils utilisent là, inconsciemment, la matrice de l’occident, sa technologie domestique, les médias, la télé, le cinéma. Donc d’un point de vue esthétique, c’est une richesse savoureuse ». La quatrième de couverture présente Une virée en quelques mots : « Trois larrons en bordée, une plongée dans l’interzone des bas-fonds d’Alger. Ça pourrait se passer dans le Bronx ou n’importe où ailleurs ». Sur scène, trois jeunes Hittistes, dans l’Alger des années 90. Ils sont à la dérive, sans travail, sans domicile, sans femmes et ils observent un monde en plein chaos, frôlant sans cesse la mort ou l’intégrisme et vivant dans la détresse. Pour y échapper, il y a l’alcool, la drogue et les amphétamines, premiers bagages d’une « virée » qui finit en tragédie. D’un « bar pourri d’Alger » (premier panneau), les trois amis, Mokhtar, Lakhdar et Rachid, passent à un autre lieu, « devant une espèce de mur au bas duquel un soupirail grillagé. C’est Tabessrassek, clando d’alcool » (deuxième panneau) puis, quand le bar ferme, « Front de mer, baie d’Alger (…) Alger-Vegas (…) les trois larrons sont dans une voiture » (troisième panneau) pour finir (quatrième panneau) au grand air : « Plage, rochers, lune, étoiles, mer. Les trois larrons sont calés contre des rochers, un post-cassette diffuse Boney M. Chacun devant son bouzelouf, ils mangent, s’ouvrent des bouteilles ». Échange d’informations, de ragots, de désespérances et de rêves, bagarres, tout est amorce et espace de violence. L’un après l’autre ils racontent leur histoire, histoire de malchance, d’abandon et de malvie sur fond de musique chaâbi. Au fur et à mesure de la soirée, les trois amis sont de plus en plus shootés. La dérision, sous l’effet conjugué de la drogue et de l’alcool, atteint son sommet autour des têtes de mouton qu’ils dégustent. La tension monte, ils ne sont plus maîtres d’eux-mêmes : Mokhtar et Rachid se disputent : tout tourne au drame, latent depuis le début de la pièce. C’est Rachid qui est tué. Cette trame narrative est perceptible à la représentation mais ne se reconstitue vraiment qu’à la lecture. Car, au moment du jeu, le premier rôle est tenu par la langue : langue du patchwork et du mélange perpétuel faite de télescopages incongrus et savoureux, elle mobilise l’attention et s’impose ; langue rythmée par des mots récurrents dont celui de « niquer » qui est le mot-vedette des conversations des « trois larrons », invention, en quelque sorte, d’un nouveau degré zéro de l’expression qui serait sa dégradation faite des bribes linguistiques enregistrées à tout instant et qui font sens par leur tricotage et juxtaposition. A son propos, Aziz Chouaki explique : « Les personnages d’Une Virée ne fonctionnent qu’avec « deux neurones », c’était une de mes contraintes de départ, je voulais explorer cette zone des « deux neurones ». Dans Les Oranges, les personnages sont érudits, brillants, ils ont une pensée, un projet de destin. Dans Une virée, c’est le point mort de trois destins. De la langue ils ne possèdent que des débris. Alors ils ne sont que dans la digression, la violence, le sexe : celui qui a raison, il nique l’autre, pour résumer comme eux ». On peut en donner un exemple lorsque Mokhtar apprend que Djaffar Clinton, un musicien du groupe, est « tombé FIS » : « Putain, Djaffar Clinton, la prière ? L’écume des bars d’Alger, fils des frites et du vin. Tout de suite te vend le vent pour how much, oualou. C’est bon, mec, rideau. Belcourt de nos pieds nus de gosses à dribbler miettes d’oiseaux, une deux, hop amorti pied gauche et reprise de volée droite, but, en plein cœur l’arc-en-ciel, le soleil. Et les vagues, la paresse, rochers léchés salaces, retours de plage en stop, ouais Djaffar, du côté de Zéralda ». Chouaki parvient à faire de ces « débris » de langue un véritable festival linguistique. Pourtant, il n’y a pas que cela. Ce trio de larrons ne peut pas ne pas rappeler à tout lecteur de la littérature algérienne, l’œuvre matrice qu’est Nedjma de Kateb Yacine où quatre jeunes gens – Lakhdar, Mourad, Mustapha, Rachid –, entrecroisent leurs histoires et leurs destins, sur fond de décolonisation et à la recherche de l’Algérie. Les allusions à l’œuvre antérieure sont nombreuses et appuyées et déviées de son sens initial comme pour mieux souligner filiation et inaccomplissement du destin du pays. Ainsi, au début du « troisième panneau », alors qu’ils sont dans la voiture sur le front de mer et que Mokhtar leur fait admirer les étoiles où il voit scintiller des dollars, Lakhdar, en aparté, enchaîne : « Ouais, mais il en manque une. Celle qu’il a perdue, Mokhtar. (Il entonne Wandering star) Il a perdu l’étoile, la verte, Nedjma au couteau. Brune giroflée, Nedjma, l’Italie en noir et blanc. Niqué, depuis, Mokhtar, niqué total plombé. Parce qu’elle l’a largué, Nedjma au couteau, Mokhtar. Au fer rouge, schsch, son cœur, le sceau de l’étoile. Pour un gros con d’émigré, carte de séjour on sait jamais s’est dit la belle, quitter le radeau. Ça fait trois mois, le pauvre… » La langue et la référence ne sont pas simples clins d’œil complices mais ont un sens qu’il faudrait chercher du côté du naufrage du radeau « Algérie ». Autre référence, autre œuvre matrice de la littérature algérienne, L’Étranger d’Albert Camus : cette fois, ce n’est plus un « Meursault » qui tue, sous l’effet du soleil, un Arabe mais un jeune Algérois qui en tue un autre de la même communauté, par accident, sous l’effet de l’alcool, de la déveine et de la drogue, à la clarté de la lune : « Finito football, l’Algérie ». Avec la langue d’Aziz Chouaki, nous sommes vraiment dans la créolisation linguistique, en présence d’une langue nouvelle et imprévisible. Nous retrouvons le métissage tel que défini par Alexis Nouss, en 2002, avec deux composantes liées, l’hétérogène et l’ambiguïté : « Ambivalence : à la fois noir et blanc ; ambiguïté : noir puis blanc, s’ouvrant à l’alternance : noir puis blanc puis noir puis blanc, ad libitum. Échiquier du devenir métis qui pose un territoire pour en défaire les limites ». Un des personnages des Oranges déclarait déjà « la guerre » au chiffre « Un » mis à l’honneur depuis l’indépendance de l’Algérie, le chiffre « du fascisme absolu. Un parti, UNE langue, UNE religion » et ajoutait : « Un jour, j’ai pris un mètre cube de terre d’Algérie, et je l’ai analysée avec Djaffar, un copain chimiste, qui a un ordinateur. On a déduit que dans un mètre cube de terre d’Algérie il y a du sang phénicien, berbère, carthaginois, romain, vandale, arabe, turc, français, maltais, espagnol, juif, italien yougoslave, cubain, corse, vietnamien, angolais, russe, pied-noir, harki, beur. Voilà, c’est ça la grande famille des oranges. Donc quoi ! Donc c’est faux : UN. Etoile en fracture, autant d’éclats de miroir où chacun s’intercepte et se traque en même temps ». La réponse de l’écrivain est sans ambiguïté : « Quand on écrit dans une langue, on fait appel à toutes les langues du monde. Refuser l’identique c’est respecter le divers. Et forcément quand une langue domine, il y a résistance, et là où ça résiste, il y a du sens, c’est justement revenir à l’âge pré-Babélien, celui du pluriel. Pour moi, faire dans l’hybride du langage, c’est contrer l’homogène du discours, et, partant, le subvertir ». Cette proposition de l’écrivain rencontre celle du philosophe qui affirme l’inexistence de l’homogénéité linguistique : « Pas de noyau pur, de centre intact. Une langue est hétérogène et produit de l’hétérogène. Structurellement, elle fonctionne grâce à un système de paliers d’articulation interdépendants. Sémantiquement, les mots ne prennent sens que dans la variabilité infinie des emplois et des contextes et ne créent des significations que dans l’alliance : syntagmes, propositions, phrases, textes ». En suivant Alexis Nouss, on peut dire qu’Aziz Chouaki se situe dans la grande lignée des Joyce ou Beckett, « dans une logique de l’hétérogénéité métisse ». Il ne se fige pas dans une position d’exilé ; il fait de cette position un positionnement – qu’on peut éclairer par son parcours personnel –, « un espace médian (…) où se déploie un imaginaire sans frontières, sans limites, pouvant à ce titre accueillir toutes les appartenances ». Multilinguisme et créolisation sont les « armes miraculeuses » de cette création toujours en devenir.
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