Le complexe d’Hanford a produit la plupart du plutonium de l’arsenal nucléaire des États-Unis. À l’arrêt depuis les années 1980, cet ensemble d’installations désaffectées est contaminé. Sa dépollution devrait coûter au moins 60 milliards de dollars.
L’histoire a surtout retenu Los Alamos. C’est dans ce laboratoire secret du Nouveau-Mexique que Robert Openheimer et son équipe ont mis au point les bombes qui ont fait capituler le Japon, en 1945. Mais un autre site a joué un rôle tout aussi central dans l’élaboration des premières armes nucléaires. Direction le nord des États-Unis, à environ 300 km de Seattle, dans l’État de Washington. C’est à Hanford qu’était extrait le plutonium nécessaire à la fabrication de « Fat Man », la bombe qui a été larguée sur Nagasaki, et de ses descendantes. Quatre-vingts ans plus tard, le complexe, perdu au milieu de vastes étendues désertes, est toujours considéré comme le site le plus contaminé du continent américain, bien que la production soit stoppée depuis 1987.
Le projet Manhattan
Tout démarre pendant la Seconde Guerre mondiale. Albert Einstein adresse un courrier au président des États-Unis Franklin Roosevelt. Le physicien fait part de son inquiétude de voir l’Allemagne nazie mettre à profit les avancées de la science afin de concevoir des armes d’une puissance encore jamais vue. En réaction, le projet Manhattan est lancé. Objectif : mener des recherches à vitesse grand V pour produire la première bombe atomique. Jusqu’à 130 000 personnes sont mobilisées.
En 1942, se pose la question du plutonium. Le général Leslie Groves, qui dirige l’opération, fait appel à l’entreprise DuPont pour mettre sur pied un complexe dédié. Le choix de l’implantation s’arrête sur Hanford, qui colle au cahier des charges : de l’eau à profusion, un sol stable, de l’approvisionnement en électricité, peu de population et de grands espaces pour construire différentes installations, tout en respectant des distances de sécurité entre elles. Une décision qui nécessite tout de même d’exproprier et de reloger les 1 500 habitants d’Hanford, ceux de quelques villages alentour et les natifs Wanapums qui vivaient là depuis bien plus longtemps.
En septembre 1944, le premier réacteur destiné à la production de plutonium est mis en route. En novembre, il sort son premier gramme de plutonium, obtenu à partir de la transformation de l’uranium. À son pic d’activité, au début des années 1960, en pleine guerre froide, le complexe d’Hanford dispose de neuf réacteurs et de cinq unités pour séparer l’uranium et le plutonium des produits de fission. Le tout est entouré d’environ 900 bâtiments. « Et puis, il y a les citernes. Enfouies sous terre. Invisibles. On en compte 177. Elles contiennent deux milliards de litres de déchets chimiques et radioactifs, dont on ignore la composition, à force de les avoir retraités, transvasés, mélangés », écrivait en 1996 Libération .
Le site, qui s’étend sur 1 500 m², «soit quinze fois Paris », compare Sciences et avenir , a permis de produire la grande majorité des 60 000 ogives nucléaires de l’arsenal américain, précise RFI . De quoi laisser en héritage 204 000 m3 de déchets à très haute activité, toujours entreposés de manière provisoire.
Un désastre environnemental caché
Derrière la raison d’État et la compétition avec l’URSS, se cache un désastre environnemental. Des dizaines de citernes fuient et la radioactivité a contaminé le sous-sol et ses eaux.
En 2024, Kate Brown, professeure de science, technologie et société au Massachusetts Institute of Technology (MIT) consacrait un livre à une étude comparée d’Hanford et de Maïak, dans l’Oural. Elle racontait comment les habitants ont été exposés à la radioactivité pendant des années. Elle dénonçait même des expérimentations menées sur la population. « S’il n’est pas surprenant que l’URSS néglige l’information et la protection des habitants d’Oziorsk et des environs, le lecteur découvre que les États-Unis n’ont pas fait mieux, diffusant des discours rassurants sur les effets de la radioactivité, écrivait Le Monde, à la sortie de l’ouvrage. C’est même dans ce pays que les humains servent de cobayes à leur insu, avec, par exemple, un largage volontaire de fumées radioactives, ou que des expériences de « nucléaire offensif » (comment certains radioéléments peuvent servir à nuire aux populations) sont élaborées. »
Une opacité que confirme la journaliste Chelsea Haney, qui a grandi dans la région. « Pendant des décennies, l’histoire d’Hanford – son ampleur, son secret, ses conséquences – est restée une simple impression, une intuition que je n’ai jamais vraiment comprise, écrit-elle dans New Atlas. Ce n’est que bien plus tard, longtemps après mon départ, que j’ai commencé à comprendre l’ampleur de ce silence. » Son article évoque les inquiétudes de la population, les cancers dont on se demande s’ils n’ont pas été causés par la radioactivité. « Grandir près de Hanford, c’est apprendre à vivre avec des questions qui resteront sans réponse. »
Si le complexe fait rarement parler de lui, il a néanmoins fait les gros titres en 2017, lorsqu’un pont s’est effondré. L’accident avait nécessité, selon Radio-Canada, le confinement de 3 000 travailleurs. Les autorités avaient assuré que personne n’avait été blessé ni exposé à des radiations excessives.
Une fois mis à l’arrêt, les réacteurs ont été enfermés dans du béton, façon Tchernobyl. Le chantier pour traiter les déchets radioactifs est colossal. Coût estimé : 60 milliards de dollars, selon les dernières estimations, qui datent déjà d’il y a plusieurs années. Le ministère de l’Énergie a lancé les opérations, avec un budget de 2 milliards de dollars par an. Depuis les années 1990, le pompage et le traitement des eaux souterraines contaminées sont en cours.
Cette année, une autre étape a été franchie, avec la mise en service de l’usine de traitement de déchets. Selon un procédé proche de celui appliqué dans l’usine de La Hague, en Normandie, les matières radioactives sont fondues avec du verre. « Une fois refroidi, le mélange se solidifie en bûches de verre qui sont scellées dans des conteneurs en acier inoxydable conçus pour résister des milliers d’années », décrit Chelsea Haney.
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Selon le gouverneur démocrate Bob Ferguson, il s’agit d’une grande nouvelle pour l’État de Washington. « Il est difficile de surestimer l’importance de cette étape dans le processus de dépollution du site de Hanford, a-t-il déclaré, dénonçant la volonté du gouvernement fédéral de renoncer à ses obligations. La mobilisation unie des travailleurs, des entreprises et des élus a fait la différence. Nous avons marqué l’histoire aujourd’hui. » Des propos qui seront à apprécier sur le temps long. La fin du chantier était initialement annoncée pour 2035.
Après les BD, les légos. Tout est bon pour faire de la propagande auprès des jeunes ... tout en faisant oublier les risques du nucléaire !