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October 8, 2021 5:18 AM
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«Huit heures ne font pas un jour», pièce de haute lutte

«Huit heures ne font pas un jour», pièce de haute lutte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 7 octobre 2021

 

Légende photo : Sur scène, un banquet façon kermesse. (Pascal Victor/©Pascal VICTOR/ArtComPress)

 

 

Le feuilleton allemand de Fassbinder, repris sur scène par Julie Deliquet, restitue avec bonheur les tribulations d’une dizaine d’ouvriers dans les années 70.

 

La metteuse en scène Julie Deliquet, nommée à la tête du théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis pendant le premier confinement, aime les échanges transgénérationnels et le fourmillement des acteurs sur scène, tout ce qui permet au spectateur de régler lui-même sa propre focale sur tel personnage ou action parallèle. Vania d’après Tchekhov, Fanny et Alexandre d’après Bergman, Un conte de Noël tiré du film d’Arnaud Desplechin : autant de spectacles qui prouvent une aptitude rare à faire advenir la jubilation de l’instant présent sur un plateau de théâtre, comme en témoigne le nom de sa compagnie, In Vitro, fondée il y a une douzaine d’années. Huit heures ne font pas un jource beau titre d’un feuilleton de Fassbinder – on ne disait pas série – commandé par la télévision allemande en 1971 au cinéaste de 27 ans qui avait déjà tourné huit longs métrages, ne fait pas exception.

 

Durant trois heures vingt, on suivra les tribulations d’une dizaine d’ouvriers et d’une famille, qui vont progressivement lever tous les freins qui entravent leur quotidien, trouver des solutions à leurs problèmes personnels perçus pour ce qu’ils sont : des questions politiques. Un exemple : Monika (lumineuse Lina Alsayed) veut travailler. Elle le dit sur tous les tons. Or l’absence de crèches et le fonctionnement de l’école allemande obligent les mères à rester à la maison sous peine d’être qualifiées de «mère corbeau». Au début des années 70, les revendications de ce personnage n’étaient pas si fréquemment problématisées dans les œuvres, pas plus qu’au sein de la société. De même le matraquage des hommes sur leur épouse que dénonce Monika frappée par son mari, était considéré jusqu’à peu comme une question intime relevant de la sphère domestique. Ici, Luise, la grand-mère, (fantastique Evelyne Didi), ne s’embarrasse pas de difficultés. Elle décide de squatter une bibliothèque municipale abandonnée, pour y installer une garderie sauvage.

 

Cellule de dégrisement

Utopique ? Peu importe, car jusqu’à l’entracte, la frénésie de problèmes aussitôt posés, très vite résolus, provoque un optimisme ravageur, comme si toute la salle était shootée aux euphorisants. On a envie d’y croire. Suivre Luise quand elle veut fonder «une agence immobilière pour personnes âgées» même si sa famille est plus dubitative. Ne pas ciller quand le nouveau contremaître, recruté à l’extérieur de l’usine, est d’accord avec les ouvriers : son recrutement est lamentable, les patrons auraient été mieux inspirés de choisir l’un d’entre eux, et d’ailleurs, il va aider l’aspirant à se former aux mathématiques. Excepté le personnage de la grand-mère intempestive qui n’hésite pas à jeter son venin, ou celui de la tante Klara (irrésistible Hélène Viviès) qui n’apprécie ni les mésalliances ni les ouvriers, les relations interpersonnelles sont exceptionnellement non conflictuelle chez Fassbinder. Le cinéaste n’a tourné que cinq épisodes de son épopée acidulée – nettement plus dark, les trois derniers restés dans les tiroirs auraient sans doute colorisé différemment l’ensemble. Un geste subversif demeure : la télévision n’avait pas prévu que la saga familiale commandée aurait lieu dans une usine, à l’époque où la moitié des actifs allemands étaient ouvriers.

 

Lors de sa diffusion, le succès populaire fut total, et les critiques vinrent de la droite et de l’extrême gauche jugeant la fable désespérément peu réaliste. Durant la première partie, les ouvriers doivent néanmoins lutter pour que leur prime de rendement leur soit accordée. Que se passe-t-il, pour qu’après l’entracte, on ait eu le sentiment d’être placée dans une cellule de dégrisement, tandis que Julie Deliquet, Fassbinder, et la quinzaine d’acteurs sur le plateau continuaient leur montée en puissance fabuleuse ? Certes, il y a un banquet, façon kermesse, et le groupe investit l’atelier pour la transformer en salle des fêtes. Certes, Monika est bien isolée lorsqu’elle répète combien sa vie est insupportable, et que tante Klara la renvoie à son statut de prolétaire qui a épousé un cadre. Et certes, les ouvriers sont les premiers surpris de la simplicité avec laquelle ils obtiennent le droit de s’autogérer sans la moindre résistance de la part de la direction. «Franchement, nous pensions que nous allions devoir nous battre», expliquent-ils à la cheffe d’atelier (excellente Julie André) toute trépignante de perdre son autorité.

«Débrouille»

Le dénouement idyllique, sans casser d’œuf, ni l’ombre d’une lutte, frustre le spectateur d’une étape essentielle si bien que la pièce en devient, par un hasard du calendrier, le contrepoint de 7 Minutes, le huis clos de Stefano Massini qui montre précisément un moment de bascule, la prise de décision collective de onze femmes en colère, spectacle que l’on peut encore découvrir au théâtre du Vieux-Colombier. Quelque chose chiffonne : pourquoi donc mettre sur scène la saga de Fassbinder aujourd’hui, quand nombre d’usines ont fermé ? Rencontrée dans un café après avoir vu la pièce, Julie Deliquet défend au contraire la forte actualité du feuilleton adapté avec Florence Seyvos et Julie André pendant le confinement. «Durant cette période, en Seine-Saint-Denis, on a vécu la débrouille à tous les étages et la solidarité intergénérationnelle. A travers cette pièce, j’ai eu envie de montrer cette capacité à s’auto organiser, quand les politiques défaillent. Oui, les solutions sont provisoires mais elles existent.»

 

 

Comme toujours avec Julie Deliquet, le processus de création a tout autant compté que le résultat. Ici comme jamais, les acteurs, dont certains font leurs premiers pas sur scène, ont été au service de la dramaturgie plutôt que du parcours de leur personnage.

 

Hanna Schygulla, actrice fétiche de Fassbinder et spectatrice le même jour que nous, a reconnu sur scène l’énergie et le sens du groupe du cinéaste frénétique mort à 37 ans. La solaire Marion fut l’un de ses premiers rôles, le tournage se déroulait dans une usine, et elle osait à peine porter la voix pour ne pas déranger les ouvriers qui travaillaient en même temps.

Huit jours ne font pas un jour, mis en scène par Julie Deliquet, d’après R.W. Fassbinder jusqu’au 17 octobre au TGP, à Saint-Denis, puis grande tournée. Sept minutes de Stefano Massini, mis en scène par Maëlle Poésy, jusqu’au 17 octobre, au théâtre du Vieux-Colombier.
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October 7, 2021 5:55 AM
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Dépasser les frontières du théâtre : projet et vision artistique de Maëlle Poésy, directrice du théâtre Dijon-Bourgogne

Dépasser les frontières du théâtre : projet et vision artistique de Maëlle Poésy, directrice du théâtre Dijon-Bourgogne | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Morgane Macé  dans Profession-Spectacle | 7 Oct, 2021

 

Pluridisciplinarité, transmission, ouverture des frontières du théâtre, accueil d’auteurs associés et de projets internationaux… Maëlle Poésy, nouvelle directrice du théâtre Dijon-Bourgogne, dévoile sa vision et ses ambitions pour le centre dramatique national de Bourgogne.

 

 

Après neuf ans sans changement de direction au Centre dramatique national – théâtre Dijon-Bourgogne (TDB), vient le temps du passage à témoin. Benoît Lambert est nommé directeur de la Comédie de Saint-Étienne, quand la metteuse en scène Maëlle Poésy, qui connaît bien le TDB pour y avoir été artiste associée depuis 2016, en devient la première femme directrice, à trente-sept ans.

Les remaniements du festival Théâtre en Mai et des différents dispositifs d’accompagnement à la création sont prévus, avec notamment l’accueil inédit de trois auteurs et autrices associés à la direction. Focus sur le parcours et les ambitions de Maëlle Poésy pour cette maison au budget total de 3,6 millions d’euros, engagée pour favoriser l’émergence et l’éducation artistique.

 

Un temps fort de passation

Le lancement de saison s’est déroulé début septembre, un moment symbolique à plus d’un titre, en cette période de retour aux spectacles. L’occasion pour Benoît Lambert de présenter son ultime programmation de saison au sein de cette structure et pour Maëlle Poésy d’annoncer les grandes lignes de son projet artistique, en présence du public et des tutelles, dont la ville de Dijon, la région et la DRAC Bourgogne-Franche-Comté.

La pièce 7 minutes de Stefano Massini, que Maëlle Poésy a mise en scène, est jouée à Paris depuis le 15 septembre à la Comédie-Française. « C’est un peu particulier en ce moment car ma présence est partagée entre Dijon et Paris, reconnaît-elle. Mais après je pourrai me plonger à 200 % dans le théâtre. »

Une plongée qui ne sera pas difficile, puisque la metteuse en scène a déjà l’expérience d’une collaboration avec Benoît Lambert. « Je connais bien le TDB, confirme-t-elle. Toutes ces années m’ont permis de travailler sur des formes très différentes puisque j’ai fait par exemple une création pour des lycées qui a tourné pendant deux ans, j’ai monté Inoxydables, dans le cadre d’I-Nov-Art, qui n’a hélas pas été joué comme on l’aurait souhaité durant le confinement, et j’ai mené un travail de long terme, avec l’implantation de ma compagnie Crossroad en 2011. »

 

Porter un langage invisible au théâtre

 

Son père Étienne Guichard, directeur du Théâtre du Sable, et sa mère enseignante de lettres ont transmis aux filles Poésy – car sa sœur n’est autre que l’actrice Clémence Poésy –, ce même amour pour la comédie. Avant d’intégrer l’École supérieure d’arts dramatiques du Théâtre national de Strasbourg, Maëlle Poésy a suivi les formations des chorégraphes Damien Jalet et Hofesh Shechter.

 

Une pratique de la danse contemporaine qui l’inspire encore aujourd’hui… « Le travail sur la tenue des corps et les énergies sur un plateau permet de prendre en charge tout un langage invisible et inconscient, explique-t-elle. C’est quelque chose que j’aime beaucoup intégrer au cœur des mises en scène. » Également enseignante à l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille, elle promeut un théâtre pluridisciplinaire : « Je souhaite défendre l’hybridité des formes qui peuvent être parfois proches de la danse et du cinéma, poursuit Maëlle Poésy. Utiliser en tout cas des écritures de plateau faisant appel à différents médiums. »

Ces projets hybrides seront confiés aux artistes associés tels que Tamara Al Saadi, Julie Berès, Yngvild Aspeli et David Geselson. « Il y aura des temps de résidence sur le territoire, avec la participation des habitants, et pour fil rouge : “histoire des lieux et histoire des gens”, détaille la nouvelle directrice du TDB. Ces créations pourront prendre la forme d’un spectacle écrit, d’une performance ou encore d’une session radiophonique. »

 

 

Programmation internationale, “Passes murailles” et auteurs associés

 

Pluridisciplinarité et transmission demeurent ses priorités, dans le prolongement du travail mené par Benoît Lambert sur le soutien à l’émergence, en ouvrant cette fois le festival Théâtre en Mai aux compagnies internationales.

Dans une volonté d’une plus large diffusion, le dispositif “Passes murailles” fera intervenir six acteurs issus d’écoles nationales supérieures d’arts dramatiques, engagés en contrats de professionnalisation, pour travailler pendant un an en création dans les lycées : « On souhaite faire tourner les spectacles dans les lycées, mais aussi dans des lieux non théâtraux, et les ouvrir à une diffusion nationale, précise Maëlle Poésy. C’est moi qui prend en charge la première mise en scène et ce sera Gloire sur la Terre, de Linda McLean, une autrice écossaise. »

Si la metteuse en scène privilégie le mélange des formes, elle n’en délaisse pas pour autant le matériau littéraire. Le TDB accueillera en effet trois auteurs et autrices associés à la direction. Il s’agit de Gustave Akakpo, Julie Ménard et Kevin Keiss : « J’aime beaucoup leurs écritures, s’enthousiasme-t-elle. C’est important de pouvoir leur proposer cet ancrage au sein d’une maison et de mettre leur art au service du territoire. Nous les soutiendrons pendant quatre ans, ce qui va leur permettre d’avoir un cadre et aussi une inscription dans l’économie de la société du spectacle. »

 

La direction au fabricant

Maëlle Poésy, qui ne néglige pas d’autres enjeux tout aussi centraux comme la volonté d’inscrire le TDB dans un développement autour de l’écologie, en faveur d’une transition forte, se considère à sa juste place en tant qu’artiste.

« Il se trouve que les scènes nationales, historiquement parlant, ne sont pas des lieux qui sont dirigés par des artistes. Pourtant, en dirigeant un CDN, je suis tout à fait à ma place d’artiste et de directrice !, confie-t-elle amusée. Je dirais qu’en tant qu’artiste, ce serait même ma seule place de direction possible. Je trouve assez passionnant, de toute façon, de développer un projet artistique au sein d’une structure. Mais je pense que c’est véritablement l’histoire que nous avons entre la compagnie et ce lieu, ainsi que cet ancrage qu’on a sur ce territoire, qui ont vraiment fondé ma décision. »

Pluridisciplinarité, transmission et ouverture des frontières du théâtre par une diffusion hors-les-murs et nationale des créations, ainsi que l’ouverture du festival Théâtre en Mai aux compagnies internationales, tels sont les axes de la nouvelle directrice du Théâtre Dijon-Bourgogne, avec pour valeur ajoutée, l’accueil d’auteur et d’autrice associés.

 

 

Morgane MACÉ

Correspondante Bourgogne-Franche-Comté

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September 22, 2021 4:27 AM
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« 7 minutes » à la Comédie-Française : la lutte ouvrière en théâtre épique

« 7 minutes » à la Comédie-Française : la lutte ouvrière en théâtre épique | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 22 septembre 2021

 

Légende photo : Claude Mathieu, Françoise Gillard, Anna Cervinka, Elise Lhomeau, Elissa Alloula, Séphora Pondi, Maïka Louakairim, Mathilde-Edith Mennetrier et Lisa Toromanian, à la Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, le 14 septembre 2021. VINCENT PONTET

 

 

Au Vieux-Colombier, à Paris, Maëlle Poésy met en scène le thriller social de Stefano Massini, un huis clos autour de onze femmes en colère.


 

La rentrée serait sociale ou ne serait pas, avaient prédit certains observateurs. Il n’est pas sûr qu’elle le soit dans la vraie vie, mais s’il y a un endroit où la condition ouvrière et ses combats refont surface, en cette entrée de saison, c’est bien au théâtre. Au Vieux-Colombier, la deuxième salle de la Comédie-Française, la jeune metteuse en scène Maëlle Poésy signe un spectacle à voir absolument en ce début d’automne : 7 minutes, ou comment faire d’une réunion de comité d’usine un grand moment de théâtre épique. Au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Julie Deliquet, elle, va proposer, à partir du mercredi 29 septembre, une adaptation de Huit heures ne font pas un jour, le formidable feuilleton de Rainer Werner Fassbinder qui suit la vie et les luttes d’une famille ouvrière allemande des années 1970.

Prenons dans un premier temps la direction du Vieux-Colombier, où nous attendent dix femmes, ouvrières ou employées d’une entreprise dénommée Picard & Roche. On les saisit au moment où elles guettent, avec une appréhension croissante, le retour de leur porte-parole, Blanche, qui négocie leur avenir avec les repreneurs de l’usine dans laquelle elles travaillent.

« 7 minutes » est un grand moment de théâtre sur le débat démocratique, ses ressorts et ses exigences

Quand Blanche réapparaît enfin, après des heures de négociation, elle est dans un drôle d’état. Non pas parce que les nouveaux patrons lui ont signifié la fermeture de l’usine ou des suppressions d’emplois. Tout semble aller pour le mieux, au contraire. Les dirigeants, ou « les cravates », comme elles les appellent, expriment juste une demande qui semble presque anodine : tous les emplois seront sauvés à condition que chacune accepte de réduire de sept minutes son temps de pause quotidien – un temps de pause qui est alors de quinze minutes.

 
 
 

Les onze femmes présentes dans cette pièce vont devoir voter, au nom des deux cents salariées de l’usine, pour ou contre cette proposition. Elles ont une heure trente pour le faire. S’enclenche alors un thriller social haletant, d’une intensité jamais démentie, qui tient tout entier dans ces sept petites minutes qui n’ont l’air de rien, une concession sans douleur, à l’heure où tant d’usines ferment.

 

Toutes sont donc sur le point de voter, comme une seule femme, l’abandon de ces sept minutes de temps non productif. Toutes, sauf Blanche. Quelque chose la chiffonne, dans cette histoire. Elle décide de voter contre. « Pas pour les sept minutes, dit-elle. Pour ce qu’elles représentent. » Dans le huis clos de la salle où elles sont réunies, la tension et le suspense montent, les esprits s’échauffent, les arguments s’aiguisent, les convictions se retournent, pour finir par faire de 7 minutes un grand moment de théâtre sur le débat démocratique, ses ressorts et ses exigences.

Grande proximité

Cette pièce, c’est Stefano Massini qui l’a écrite, et c’est le retour éclatant de cet auteur italien de 45 ans, qui s’était fait connaître en 2014 avec Chapitres de la chute. Saga des Lehman Brothers, impressionnante épopée du capitalisme. Massini s’est inspiré pour écrire 7 minutes de plusieurs histoires réelles, et notamment de celle des ouvrières de Lejaby, et de la lutte qu’elles ont menée en 2010 à la suite de l’annonce d’un plan social. La grande force de ce texte, derrière son apparente simplicité, c’est d’inscrire, comme c’était déjà le cas avec Les Frères Lehman, une histoire réelle, contemporaine, dans une dimension bien plus vaste, mythologique, qui lui donne la même valeur que des tragédies beaucoup plus anciennes.

Lire aussi : Stefano Massini invente les contes du monde actuel

Et il n’y a rien de banalement réaliste non plus dans le spectacle que signe Maëlle Poésy, qui orchestre le huis clos de ces onze femmes en colère avec un art consommé. La metteuse en scène a choisi un dispositif bifrontal, qui induit une grande proximité entre les spectateurs et le plateau : on est avec elles, avec ces femmes, presque comme si on était parmi elles, assises dans un coin de la salle, sous les bobines de fil coloré, avec l’envie rageuse de prendre la parole.

La pièce analyse en filigrane, avec beaucoup de finesse, les mécanismes impitoyables de la peur et de la division dans le système capitaliste

 

On est d’autant plus avec elles que chacune existe dans toute sa singularité, avec une densité humaine saisissante. Dans ce groupe de onze femmes qui composent le « comité d’usine » (un système de représentation qui existe en Italie, mais pas en France, et qui ne relève pas de la délégation syndicale), les profils sont très différents.

 

Ces femmes n’ont pas le même âge, pas la même histoire, entre celles qui sont sur le point de partir à la retraite et celles qui viennent d’arriver, entre celles qui sont d’origine étrangère et celles qui se vivent comme étant « d’ici ». Et pourtant leurs oppositions ne sont jamais montrées de manière manichéenne : chacune d’elles a ses raisons, dans ce théâtre qui analyse en filigrane, avec beaucoup de finesse, les mécanismes impitoyables de la peur et de la division dans le système capitaliste.

Plusieurs générations de comédiennes

S’il en est ainsi, c’est que Maëlle Poésy a choisi et dirige, de main de maître, un ensemble d’actrices exceptionnel. Plusieurs générations de comédiennes du Français sont réunies ici, dans une choralité subtilement chorégraphiée, qui laisse sa place au talent de chacune. Du côté des doyennes de la troupe, Véronique Vella trouve avec le personnage de Blanche le plus beau rôle de sa carrière. Elle est tout simplement magnifique, incarnant non pas seulement un personnage, mais un combat, contre de nouvelles forces du mal. A ses côtés, Claude Mathieu est tout aussi bouleversante.

Maëlle Poésy a choisi et dirige, de main de maître, un ensemble d’actrices exceptionnel

 

Françoise Gillard, tendue comme un arc dans ce qui est sans doute le rôle le plus ingrat de la pièce, Anna Cervinka, Elise Lhomeau jouent également formidablement leur partition, tandis que les deux nouvelles recrues de « la Maison de Molière », Elissa Alloula et Séphora Pondi, ont tout le loisir d’exprimer d’éclatants tempéraments d’actrice. Quatre jeunes femmes extérieures à la maison, et tout aussi douées, Camille Constantin, Maïka Louakairim, Mathilde-Edith Mennetrier et Lisa Toromanian, complètent la distribution.

 

Tout est incarné avec force, avec une véracité qui n’a rien de misérabiliste, dans ce qui est bien du théâtre politique au sens le plus noble du terme, jamais didactique, qui laisse chacun, comme dans toute grande œuvre théâtrale, face à ses choix. Un choix que Stefano Massini laisse d’ailleurs en suspens, comme pour dire : attention, le monde peut toujours basculer d’un côté ou de l’autre, en un clin d’œil, ou presque. En bien comme en mal.

 

 

 

7 minutes, de Stefano Massini. Mise en scène : Maëlle Poésy. Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, 21, rue du Vieux-Colombier, Paris 6e. Tél. : 01-44-58-15-15. Jusqu’au 17 octobre, mardi à 19 heures, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures. De 11 € à 33 €.

 

Fabienne Darge

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September 19, 2021 6:42 PM
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La purge bienfaisante d'Emeline Bayart

La purge bienfaisante d'Emeline Bayart | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos  - Oct. 2020

 

La comédienne confirme son génie comique dans « On purge bébé », qu'elle joue, met en scène - et en chansons - au Théâtre de L'Atelier. Sans écraser ses partenaires, elle fait des étincelles en mégère survoltée et transforme le vaudeville de Feydeau en joyeux cauchemar.

Une présence inouïe, un humour dévastateur mix de Jacqueline Maillan et de Valérie Lemercier, le tout enrichi d'une solide expérience du théâtre public (sous la férule de Christophe Rauck, Denis Podalydès ou Clément Poirée) : Emeline Bayart s'affirme comme une des grandes actrices comiques de notre époque. Elle connaît ses classiques, sait de plus chanter… et mettre en scène - comme le démontre sa version au vitriol du vaudeville de Feydeau « On purge bébé » (1910), créée au Théâtre Montansier de Versailles et désormais à l'affiche du Théâtre de l'Atelier à Paris.

 

 

Celle qui fut Bécassine à l'écran fait des étincelles dans le rôle de Julie Follavoine, qui s'escrime à faire absorber un purgatif à Toto, son petit diable de 7 ans, tandis que son mari, fabricant de porcelaine, tente de vendre ses pots de chambre à un fonctionnaire du ministère de la Guerre dénommé Chouilloux. Emeline Bayart met de la démesure dans son personnage de mégère obsessionnelle, mais elle n'écrase pas pour autant ses principaux partenaires - Eric Prat (Bastien Follavoine), Manuel Le Lièvre (Chouilloux) et Valentine Alaqui (Toto et la bonne), tous trois excellents. Plutôt que tirer le fil scatologique et un brin trash de la pièce, elle pousse la satire du couple bourgeois, voulue par Feydeau, jusqu'à la transe cauchemardesque.

Accents de cabaret

La farce est d'autant plus intense qu'elle est musicale - ponctuée de chansons Belle Epoque, volontiers grivoises et grinçantes, finement choisies par la metteure en scène. Accompagnés du pianiste Manuel Peskine, les comédiens s'en donnent à cœur joie. C'est bien sûr Emeline Bayart, dotée d'un joli vibrato, qui donne le « la ». Son interprétation mutine de « Ca ne vaut pas la tour Eiffel » (crée en 1900 par Marguerite Daval) en guise de prologue est un délice.

 

Dans un décor d'époque stylisé (un appartement… avec vue sur la tour Eiffel), le vaudeville aux accents de cabaret se déploie à un train d'enfer, jusqu'au crash final où Madame Chouilloux débarque avec son amant, alors que son mari vient juste d'apprendre qu'il est cocu… Cruelle gorgone, Bayart/Follavoine, survoltée plus d'une heure durant, a allumé toutes les mèches possibles et traverse les flammes sans broncher. Une sacrée purge comique, à ingurgiter sans tarder.

 

 

 

ON PURGE BÉBÉ

Théâtre

de Georges Feydeau

Mise en scène d'Emeline Bayart

Paris, Théâtre de l'Atelier , 01 46 06 49 24

Théâtre de l’Atelier 21H. Dimanche 17H

 

Durée : 1 h 20

Philippe Chevilley

 

 

 

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September 13, 2021 5:10 AM
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Dans les os de « L’Etang »  - Gisèle Vienne au Festival d'Automne

Dans les os de « L’Etang »  - Gisèle Vienne au Festival d'Automne | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 13 septembre 2021 

 

 

Le Festival d’Automne consacre un opportun portrait en sept épisodes au travail multiple de l’artiste franco-autrichienne Gisèle Vienne. Le voyage s’ouvre avec « L’Etang », un texte intime de jeunesse signé Robert Walser, extraordinairement gisèleviennisé par ses deux actrices, Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez.

 

Au théâtre Paris-Villette comme ailleurs, on prend place dans une salle de spectacle frontale Tout va se dérouler là, devant nous, sur une scène dépourvue de rideau. Dans l’ombre, on devine un ensemble autour ou sur un lit. Des personnages. Des acteurs ? La lumière se renverse : ce sont des poupées à visage et corps humains. On se doute qu’elles ont été fabriquées par celle qui signe L’étang, Gisèle Vienne, formée à l’école fameuse de Charleville Mézières. Un machiniste vient et emporte les marionnettes à taille humaine, une à une, entre ses bras. Parfois il replie un bras, une jambe. Reste un lit, à demi défait, les pliures des draps disent les corps qui s’y sont allongés. Un présent gorgé de passé. Alors dans l’espace blanc, entrent les deux actrices, Adèle Haenel, tennis et tenue enveloppante blanche genre jogging, Ruth Vega Fernandez en tenue sobre (jean, pull). Leurs pas sont lents comme lourdement lestés de tout ce que ces corps ont à dire, à expulser. Le corps du spectateur, sa vue, son ouïe, son ventre, s’imprègnent de tout cela, de tout ce qui s’est accumulé en quelques minutes, des pistes autant que des sensations. La plongée dans L’étang est commencée.

 

Un spectacle ? En apparence, assurément. Mais le mot s’avère vite inadéquat tant les règles de jeu du spectacle sont brouillées : pas de dialogues, pas de monologues, pas d’adresse (au spectateur, à la partenaire), pas de corps à corps, pas de coup de théâtre, tout ce dont on sera abreuvé le lendemain en allant voir une pièce de Pirandello à l‘Odéon. Rien de cela. Mais une intensité constante, diffuse et diffractée des composantes de tout spectacle : voix, corps, musique (Stephen O’ Malley & François. Bonnet)., lumière ( Yves Godin), dramaturgie et scénographie (Gisèle Vienne). Une vague profonde, un remuement qui racle les fonds boueux. Tout cela s’intensifie au fil des minutes ou/et bien c’est notre écoute visuelle et sonore qui co-produit ce mouvement. Le spectateur poursuit une traversée solitaire, réarme sans cesse regard, écoute et vibrations de l’être. Gisèle Vienne parle d’ »expérience »

« L’étang est un texte de jeunesse que Walser offrit à sa sœur sous forme manuscrite. C’est la seule œuvre que Walser ait écrite en dialecte. Elle met en scène le suicide simulé d’un adolescent, le jeune Fritz, qui ne se sent aimé de personne et voudrait reconquérir l’amour de sa mère » informent les éditions Zoé qui publient le texte traduit de l'allemand par Gilbert Musy avec Félix, un ensemble de dialogues et monologues des années 1925 à l’époque où Robert Walser travaillait à ses microgrammes. Les mêmes éditions, basées a Genève ont publié de nombreux textes du Suisse Walser, parmi lesquels, en poche, un ensemble de microgrammes (chacun ayant pour titre le début du texte), sous le titre Le territoire du crayon. Ainsi ce microgramme qui commence ainsi et parle, par anticipation, du spectacle L’étang de Gisèle Vienne ou, à tout le moins, de la position du spectateur que je fus : « La contemplation du paysage à la fenêtre me permet de noter que ce qui fuit peut dépasser en grâce, en beauté, en noblesse, ce qui est fixé, ou qui résiste ». Et plus loin : «  qui dit entendre, dit murmure, qui dit murmure, dit remuement et qui dit remuement dit cette concrétude qui est plantée quelque part et qui prend son essor à partir d’un point. »

 

Dans le texte de L’étang, les prénoms du père et de la mère sont ceux du père et de la mère de Walser. L’auteur avait confié le texte manuscrit à sa sœur. La fin du texte tourne implicitement autour de l’inceste. Fritz est un adolescent. Gisèle Vienne est là en terrain familier, jamais domestiqué, jamais épuisé.

 

Adèle Haenel « est » (quel verbe ? « incarne » serait bien pire, « accompagne » peut-être ou pourquoi pas « escalade »?) à la fois Fritz et ses frères et sœurs, Ruth Vega Fernandez, le père et la mère. On se perd, mais ce n’est pas grave. Gisèle Vienne opère par ce qu’elle nomme des « déplacements perceptifs ». Diffraction, torsions, amplifications des voix, des corps, des silences. Une écriture où les mots -qui ne sont qu’un aspect non dominant de la partition-, multiplient les possibilités de compréhensions sensibles, sensations et émotions. Chacun les siennes (le public chez Gisèle Vienne est un ensemble d’individus isolés). Plus que simple metteure en scène, Gisèle Vienne agit à la fois comme un chef d’orchestre, un ingénieur des sons et lumière, un peintre abstrait qui travaille les contrastes et les alliances contre nature. Ses actrices (qu’elle entraîne dans ses abris et méthodes) sont des solistes à l’écoute de cette écriture multiple et personnelle au rebours des règles traditionnelles du jeu théâtral. Sauf celle des saluts où, pour applaudir les actrices, le spectateur s’extirpe de l’étrange torpeur où ce qu’il vient et de voir et d’entendre l’a plongé.

Gisèle Vienne a plusieurs fois travaillé avec Dennis Cooper (Jerk, etc). Il serait étonnant qu’elle ne revienne pas un jour auprès de Robert Walser. Fin du microgramme cité plus haut faisant écho post mortem à L’étang selon Gisèle Vienne : « Dans un silence inaudible, la plus majestueuse des notions s’éloigne, soufflée par la bouche archaïque du vent. En attendant, l’immobile, le tenace, tout ce qui offre ou oppose une résistance à ce vivant, le palpable comme l’impalpable, tous sont là, semblant se connaître et se compléter de la plus exquise façon. »

 

 

 

Théâtre Paris-Villette, 20h, jusqu’au 18 septembre. Puis tournée, 29 et 30 sept, Marseille dans le cadre d’Actoral, 14 & 15 oct NNowy teatr (Varsovie), 21 & 22 oct Bergen (NO), 25 & 26 oct, Oslo (NO), 10 au13 nov Comédie de Genève, 18 au 20 nov Kaaitheater Bruxelles, 24 au 27 nov Le Maillon (Strasbourg), 19 au 22 janv Comédie de Clermont, 25 au 29 janv Comédie de Caen, puis Mulhouse, Valence, Rennes, Nantes, Nanterre pour finir à Cergy Pontoise début juin.

 

Crédit photo  Estelle Hanania

 

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July 27, 2021 6:58 PM
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Kingdom, écriture et mise en scène d’Anne-Cécile Vandalem

Kingdom, écriture et mise en scène d’Anne-Cécile Vandalem | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean Couturier dans Théâtre du blog le 27 juillet 2021

 

Festival d’Avignon

 

Kingdomécriture et mise en scène d’Anne-Cécile Vandalem

 

 

« Il faut aujourd’hui cesser l’oppression de l’homme sur la Nature, dit la metteuse en scène. il faut arrêter d’opposer l’homme à l’animal ; nous sommes un ensemble du vivant qui cohabitons dans un même espace, le destin du vivant, nous, humains, nous le mettons en danger. »

 

Kingdom nous parle du monde actuel, avec une nature en souffrance qui risque de disparaître. Ce dernier volet de sa trilogie, après Tristesses et Arctique, (voir Le Théâtre du blog) est librement inspiré de Braguino où la communauté impossible, de Clément Cogitore : un documentaire et une exposition sur une communauté exilée en Sibérie Orientale. Ici, un drame shakespearien se joue entre des familles voisines, en pleine nature hostile, sous le regard des enfants. Autour de Philippe, le patriarche, l’une entretient un rapport animiste au monde et vit au contact intime avec la Nature et les fantômes de ses disparus. L’autre clan détruit l’environnement en permettant la chasse sur ses terres.

 

 Dans cette mise en scène hyper-réaliste, chaque détail compte : l’arrivée d’un loup auquel succèdent deux chiens ; une barque naviguant sur une petite rivière à l’avant-scène ; des arbres que l’on coupe, une cabane en bois avec de vraies pièces,… Tout concourt à relater cette expérience en direct et une équipe de cinéma vient faire un reportage sur cette communauté.

 

 Les acteurs sont formidables, en particulier les quatre enfants. Comme dans ses précédents opus, la vidéo est très présente. «J’utilise la caméra comme outil d’écriture, dit Anne-Cécile Vandalem. J’écris avec la lumière, la musique, le texte et la vidéo. Ici, la caméra intervient tôt, c’est un personnage, l’histoire n’existe pas si le réalisateur ne vient pas dans cette famille. »  Mais cette partie, décevante, est moins étrange que ses précédents spectacles. Et le final, avec un trop long monologue de Laurent, le fils de Philippe, est peu lisible. Reste le message à toujours répéter: «Il faut cesser l’oppression de l’homme sur l’ensemble du vivant. »

 

 

Jean Couturier

 

 Spectacle vu le 14 juillet, cour du lycée Saint-Joseph, 62 rue des Lices, Avignon.

Du 19 au 22 octobre, Théâtre du Nord, Lille.

Du 10 au 13 novembre Le Quai / Centre Dramatique National d’Angers, du 18 au 19 novembre théâtre de Lorient

Du 9 au 10 mars, Le Volcan-Scène nationale du Havre ( Seine-Maritime). Du 30 mars au 3 avril, Les Célestins -Théâtre de Lyon,

Et du 10 au 29 mai, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris.

 

Photo © Ch. Raynaud de Lage

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May 13, 2021 4:03 AM
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Pauline Masson met en scène un fils face à la démence de son père 

Pauline Masson met en scène un fils face à la démence de son père  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 12 mai 2021

Photo : François Clavier et Claude Guedj © Claire HALOUCHER

 

Servie par deux formidables acteurs, pour son troisième spectacle, Pauline Masson adapte avec tact « Le Vieux Roi en son exil », récit autobiographique de l’écrivain autrichien Arno Geiger resserré sur l’histoire d’un couple que forme un fils, Arno, et son père, August, atteint de la maladie d’Alzheimer.

 

« Puis, un jour, ce devait être vers 2004, il cessa d’un coup de reconnaître sa propre maison. Cela se produisit avec une vitesse surprenante, frappante, de sorte que nous ne pûmes d’abord y croire. Longtemps nous refusâmes d’accepter que notre père pût avoir oublié quelque chose d’aussi évident que sa propre maison. A un moment, je ne supportais plus ses instances et ses supplications, il répétait toutes les cinq minutes qu’on l’attendait à la maison, c’était intolérable. Alors je l’entraînais dans la rue et lui annonçais: La voici, ta maison ! » Ainsi dans Le Vieux Roi en son exil, l’écrivain autrichien Arno Geiger parle-t-il de son père sur lequel il voit progresser la maladie d’Alzheimer.

 

Après avoir mis en scène Les Epiphanies (lire ici), poème d’Henri Pichette réputé injouable et d’ailleurs peu joué depuis sa création par Gérard Philipe et Maria Casarès, puis adapté Entre ciel et terre, le roman de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson (lire ici), Pauline Masson, resserrant le texte initial, s’offre un nouveau tête-à-tête d’une belle intensité entre un fils, Arno, et son père, August. Rôles respectivement interprétés avec force par François Clavier et Claude Guedj. La scénographie, volontairement non réaliste, dit simplement le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur des lieux et des êtres.

 

Le fils est aussi le narrateur qui nous raconte la vie rude de son père né en 1926 dans une famille de paysans de dix enfants où seul « l’Ancien avait droit à du miel, sauf le dimanche où c’était miel pour tous ». A 18 ans, il sera envoyé sur le front de l’est, fait prisonnier par l’Armée rouge, rêvant de revenir à la maison, maison où bien plus tard, quitté par son épouse après trente ans de vie commune et de nombreux enfants bientôt, malade, il dira vouloir être dans sa maison tout en y étant déjà. Le fils est tour à tour le récitant, l’observateur et le partenaire du père, lequel se dérobe, là et pas là, insaisissable, désarmant. Ce qui nous vaut d’étonnants et drôlatiques dialogues dignes du théâtre de l’absurde.

 

Comment retrouver ce père qui est devenu autre, qui se dérobe au point d’apparaître parfois comme un étranger ? Comment renouer ? Comment atteindre une complicité qui n’avait peut-être jamais existé entre ces deux êtres ? C’est cette quête, finalement victorieuse mais précaire, que nous raconte le spectacle. A travers cette vie d’un vieil homme qui perd ses repères, Geyser entend dire « la maladie du siècle », un siècle qui a vu ses bases voler en éclats, « tous piliers effondrés ». La détresse de l’un engendre celle de l’autre, cependant leur union façonne leur force commune. L’éloignement les rapproche. L’empathie va grandissante bien que trouée, friable et fragile, elle est une conquête, par delà la démence, elle aussi grandissante.

 

Vient le moment où, après dix ans, frères et sœurs décident de mettre le vieux père en maison de retraite. Le fils vient le voir. « Ces heures-là s’étirent, et j’ai le temps de prêter attention à bien des détails. Rares sont ceux qui échappent à ma vigilance, j’ai l’esprit net et lucide, toutes les choses affluent en moi, précises, comme si une vive lumière m’entourait soudain. C’est une singulière configuration. Ce que je donne à mon père, il ne peut pas le retenir. Ce qu’il me donne, je le retiens de toutes mes forces. » 

 

Spectacle créé début mai lors de deux représentations données devant un public de professionnels au Théâtre municipal Berthelot à Montreuil où il sera repris la saison prochaine lors d’une tournée en cours de construction.

 

 
 
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May 6, 2021 9:07 AM
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« Antoine et Cléopâtre » : quatre heures d’amour fou et de guerres fratricides 

« Antoine et Cléopâtre » : quatre heures d’amour fou et de guerres fratricides  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 6 mai 2021

 

Photo : Scène de "Antoine et Cléopâtre" © Marion Lefebvre

 

Irène Bonnaud a traduit « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare avec la collaboration de Célie Pauthe enrichissant le texte de poèmes et de chansons venus d’Egypte. Dans la lignée de sa « Bérénice » et de ses séjours en Irak, Célie Pauthe met magistralement en scène cette histoire entre deux mondes et deux visions du monde.

 

 

 

Un buste de César. En pierre, en plâtre, peu importe. Il est là, posé sur une table, pesant de tout son poids de symbole et regardant comme nous la lutte pour le pouvoir suprême qui se dispute sous nos yeux avec l’amour comme mouche du coche. Le buste fait partie du décor puisqu’il est là. Mais on ne sait trop quoi faire de ce buste. Il encombre. On le déplace, on le met par terre, on le remet sur une table. Et puis, quand cela se corse, quand on se dispute la suprématie du « vaste monde », vingt ans après l’assassinat de Jules César, quand ça devient sanglant, le buste disparaît du paysage.

 

Un oiseau en bois coloré. On reconnaît un ibis. Oiseau qui, dans l’Egypte ancienne, tenait lieu de tête au dieu Thot, dieu de l’écriture, scribe des dieux et veilleur de la justice. L’oiseau se pose dans le décor quand les affaires de Cléopâtre et de son amant Antoine traversent une période de trouble qui s’achèvera par leur double suicide, mais pas ensemble, l’Histoire est mal faite. L’oiseau se pose dans le décor vers l’avant-scène, regarde du côté de Cléopâtre d’un air que l’on peut imaginer protecteur. Et puis, lui aussi s’envole, disparaît.

 

Le buste et l’oiseau

Entre la masse de pierre sculptée à la couleur terne et la légère sculpture en bois de l’oiseau bariolé, il y a tout un monde. Celui qui sépare Rome d’Alexandrie, deux empires et, entre les deux, l’arc tendu d’une histoire d’amour. Ces deux objets – au théâtre, on parle d’accessoires – sont inutiles, ils ne jouent aucun rôle dramatique, ils ne sont nullement déterminants dans le déroulement de la pièce et le cours du spectacle. Ils sont posés là. Shakespeare n’a pas besoin d’eux pour écrire Antoine et Cléopâtre, l’une de ses plus longues pièces. Mais Célie Pauthe a besoin du buste et de l’oiseau pour parachever sa mise en scène fourmillante de détails. Le buste et l’oiseau sont comme des talismans, des symboles, des indices, des porte-bonheurs, pourquoi pas. César et Ibis veillent au grain tout comme Isis. Ils participent au charme infini de ce spectacle, le plus accompli, le plus libre, le plus inventif jusqu’à aujourd’hui des spectacles mis en scène par Célie Pauthe (mais je n’ai pas tout vu) laquelle dirige de main de maître le CDN de Besançon.

 

La partie n’était pas gagnée d’avance car Antoine et Cléopâtre est une pièce monstre, rarement mise en scène. Pour l’apprivoiser, Célie Pauthe a demandé à Irène Bonnaud une nouvelle traduction de la pièce et a collaboré avec elle.

 

Tout est parti d’un de ses précédents spectacles, Bérénice (lire ici). En voyant évoluer sur le plateau, Mélodie Richard (Bérénice) et Mounir Margoum (Antochius), elle les a vus dans Cléopâtre et Antoine, poursuivant autrement et plus violemment le frottement entre l’Orient et l’Occident. Fortifiant cela, il y eut son expérience irakienne. Célie Pauthe a effectué plusieurs séjours à Bagdad en liaison avec l’association Siwa et décisive fut sa rencontre avec le foudroyant metteur en scène irakien Haythem Abderrazak (dont les grands festivals français continuent d’ignorer l’existence) autour de l’Orestie d’Eschyle (lire ici). Ce travail lui a « ouvert une porte vers Antoine et Cléopâtre », dit-elle. De là à enrichir le spectacle d’éclairages musicaux orientaux faisant écho à la pièce, il n’y avait qu’un pas, vite franchi, avec Cléopatra, chanson extraite d’un opéra égyptien (inspiré par la pièce La Mort de Cléopâtre d’Ahmed Chawqi) immortalisée par le chanteur et roi de l’oud Mohamed Abdel-Wahab. Ou encore la célèbre chanson Ya Habibi taala chantée dans les années trente par Asmalah. A cela s’ajoutent trois poèmes de Constantin Cavafy, le grand poète grec né en Egypte à Alexandrie, des poèmes faisant écho à l’histoire d’Antoine, traduits, bien sûr, par Irène Bonnaud.

 

Garce et bouffon

Cléopâtre, aux yeux des Romains ? Une métèque, une bougnoule (ces mots n’y sont pas, ils n’existaient pas encore mais c’est tout comme). Une « putain », dit Démétrius au tout début de la pièce qui voit son « capitaine » Antoine, l’« un des trois piliers du monde », il y a peu, flamboyant au combat sous sa cuirasse, « changé en soufflet et éventail pour refroidir les chaleurs d’une garce d’Egypte », cet homme qu’il admire est devenu le « bouffon d’une putain ». Antoine lui-même est pris au piège de son amour pour cette « reine ensorceleuse », dit-il, sa clairvoyance a laissé la place à ce qu’il nomme son « indolence ». Rome l’appelle, ses partisans l’appellent, Octave l’appelle, une guerre se prépare contre Sextus Pompéee qui tient « l’empire des mers ». Octave va informer Cléopâtre de son départ.

 

Elle apparaît, grande, élancée, son corps légèrement enveloppé dans des tissus vaporeux aux couleurs délicates, entourée des fidèles Iras ( Mahshad Mokhberi, actrice iranienne, qui jouait Phénicie dans Bérénice), Charmian ( Dea Liane, passée par l’école du TNS) et l’eunuque Mardian (Bénédicte Villain, violoniste). Plus tard, un témoin nous racontera la première rencontre entre Antoine et Cléopâtre sur une rivière, il la voit allongée dans une barque à la proue d’or martelé, aux voiles pourpres « si parfumées que le vent en était malade d’amour ».

 

A Rome, le sortilège de l’« ensorceleuse » s’estompe quelque peu. L’épouse d’Antoine, l’« indomptable » Fulvie, étant morte, on fait en sorte que le veuf épouse Octavie (Maud Gripon) , une sœur d’Octave (Eugène Marcuse). Ainsi Octave et Antoine scellent-ils leur « réconciliation ». Cela ne durera pas, sinon Shakespare n’aurait pas été chez Plutarque choisir cette histoire.

Toute la pièce oscille ainsi entre deux pôles : les couleurs flamboyantes et festives, le triomphe féminin de l’Égypte et de l’amour d’un côté, de l’autre l’empire romain affairiste, conquérant les pays et les marchés dirigés par des hommes (aucune femme et une bonne dose de misogynie). Tous, Octave le premier, en manteaux gris d’aujourd’hui , prêts à entrer dans un conseil d’administration du CAC 40. Subtils costumes signés Anaïs Romand (pléiade de merveilles pour Cléopâtre) et bel espace ouvert du scénographe Guillaume Delaveau où chaque accessoire a valeur de signe.

 

Antoine et Cléopâtre

D’un côté, un lit vaporeux (qui, plus tard, laissera place à un tombeau) entouré de coussins, de l’autre une table et des chaises spartiates. D’un côté l’amour et l’indolence, de l’autre le pouvoir politique ourlé d’une stratégie d’empire. D’un côté le chaud, de l’autre le froid. Et entre les deux, un Antoine à la fois indécis et déterminé, aux tenues un peu débraillées, courageux mais sur mer « abandonnant la bataille au moment crucial » pour rejoindre la flotte enfuie de Cléopâtre. D’où ce dialogue d’une rouerie sublime :

 

« CléopâtreOh mon seigneur, mon seigneur,/ Pardonnez mevoiles pleines de peur, jn’auraijamais pensé /Que vous me suivriez.

 

AntoineEgypte, tu ne le savais que trop bien/ - Mon coeur était attaché par des cordes à ton gouvernail - / Que tu me trainerais après toi. Sur mon esprit/ Tu connaissais ton pouvoir absolu, et qu’au moindre ./Geste de toi, j’en oublierais les ordres des dieux.

 

CléopâtreOh je demande ma grâce ! » 

 

 

Octave, stratège hors pair, aveuglée de politique, ne croit pas à la possibilité de l’ amour fou. Antoine plus lucide sait que son temps est passé, se sachant « sur le déclin ». Vaincu, devenu moins que rien, dernier coup de rein de l’ancien monde, il se retourne contre Cléopâtre, la traite de tous les noms, avant de se tuer, croyant, ultime stratagème de la reine d’Egypte, que Cléopâtre vient de se suicider. Il mourra dans les bras de la reine éperdument aimée, comme un vieil acteur retrouve son talent d’antan pour mourir en scène dignement (extraordinaire Mounir Margoum)  . A Cléopâtre (Mélodie Richard qui grandit et atteint les sommets au fur et à mesure que la pièce avance), celle qu’Antoine aimait à surnommer « mon serpent du vieux Nil », il ne reste plus qu’a offrir son sein au poison d’un aspic comme, avant et après elle, ses plus proches amies. Les derniers mots. c’est le devin (envoûtant Lounès Tazaïrt) qui les dira. Un poème de Constantin Cavafy, qui comme ses deux autres poèmes dits par le même acteur au fil de la pièce, se souviennent d’Antoine, de Cléopâtre, des enfants de cette dernière et d’Alexandrie.

 

Ce voyage inouï, ponctué de stupeurs et de tristesses, que nous offrent Shakespeare dans cette nouvelle traduction, la mise en scène de Célie Pauthe, le travail fantastique des treize actrices et acteurs et de la nombreuse équipe technique, n’aura duré que quatre heures.

 

Spectacle vu au CDN de Besançon en janvier lors d’une séance réservée aux professionnels et aux journalistes. Antoine et Cléopâtre devait être ensuite à l’affiche du CDN de Valence du 3 au 5 février, puis à la scène nationale d’Albi le 13 avril. Le spectacle devait enfin être à l’affiche du Théâtre de l’Europe-Odéon à Paris de ce 5 mai jusqu’au 5 juin. Toutes ces représentations ont été annulées Reprise et tournée la saison prochaine : du 11 au 14 janv 2022 au Théâtre de la Cité - CDN de Toulouse et d’Occitanie ; du 10 au 16 mars 2022 au Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté ; les 22 et 23 mars 2022 à la Maison de la Culture de Bourges: du 9 mai au  5 juin à l’Odéon-Berthier; les 13 et 14 avril 2022 à la La Comédie de Valence, Centre dramatique national de Drôme-Ardèche.

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April 26, 2021 4:49 AM
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Intimité familiale et migrants perdus en mer : "Abysses" de Davide Enia, mise en scène Alexandra Tobelaim

Intimité familiale et migrants perdus en mer : "Abysses" de Davide Enia, mise en scène Alexandra Tobelaim | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gérald Rossi dans L'Humanité - 26 avril 2021

 

Alexandra Tobelaim met en scène Abysses, un texte de Davide Enia. Elle donne la parole aux sauveteurs qui repêchent des corps autour de l’île de Lampedusa.

 

Àl’image du monde dont il est question, le plateau d’ Abysses est plongé dans le noir, à l’exception de quelques étoiles rougeoyantes qui se signalent parfois. Le comédien Solal Bouloudnine et la chanteuse-musicienne Claire Vailler se partagent l’espace. Elle avec sa guitare baryton, lui avec sa seule présence, son jeu sobre mais vibrant, comme celui d’un passeur des mots du dramaturge italien Davide Enia, qui s’est déjà illustré dans des aventures de théâtre-récit. Ici, le jeune comédien est un témoin, fidèle à plusieurs personnages incarnés. « Ce qui est beau dans ce texte, comme dans la vie, c’est qu’il est construit de petites choses de rien, d’actes du quotidien. Rien d’héroïque », explique Alexandra Tobelaim, la metteuse en scène.

Une humanité sincère et quotidienne

Ce spectacle aurait dû être créé en novembre 2020 au Nest, le centre dramatique transfrontalier de Thionville-Grand-Est. La pandémie ne l’a pas permis et Abysses a été présenté seulement à quelques professionnels, fin mars à Paris, dans la grande salle des Plateaux Sauvages, où il était initialement aussi programmé. Quant à parler de « petites choses » comme le fait la nouvelle directrice du Nest, ce n’est qu’une tournure de langage. Car c’est de drames humains qu’il est question. Ceux que vivent des femmes et des hommes de tout âge, qui tentent de fuir la guerre, la misère… dans leurs pays, sur le continent africain et sur les rives sud de la Méditerranée, et qui souvent ne rencontrent que la mort.

Ce texte, à la fois sensible, poignant, profondément humain, sans donner de leçons, est traduit par Olivier Favier, qui en 2018 l’a transmis à Alexandra Tobelaim, qui s’avoue très vite « prise dans la force de ce récit ». Il ne s’agit pas de donner la parole, comme cela a été fait souvent, aux migrants, ou si peu, mais aux sauveteurs. De faire vivre ce drame depuis leur regard, leurs gestes. Sans donner aux uns ou aux autres plus de valeur, plus de brillant qu’ils n’en méritent. Comme pour rester au niveau d’une humanité sincère et quotidienne.

 

Les sauveteurs racontent comment cela se passe en mer, quand ils « repêchent » les corps, ceux des survivants et ceux des autres, ces derniers étant alors confiés au gardien du cimetière qui leur offre en toute simplicité une juste sépulture. Le drame, sans cesse répété depuis des années, se déroule autour de la petite île italienne de Lampedusa, pas loin de la Sicile. À ces drames, comme en parallèle, pour entretenir les feux à plusieurs voix, Davide Enia ajoute un récit (peut-être) autobiographique. Celui des débats entre un père quasi mutique et son fils, qui tous les deux, dans une tendresse filiale non dite mais transparente, se ­retrouvent témoins et modestement acteurs. Sur la scène, au côté de Solal Bouloudnine, Claire Vailler ne se contente pas d’accompagner ces récits parfois bouleversants. Elle interprète des chants populaires napolitains, qui n’illustrent rien, mais deviennent des éléments indispensables au spectacle. Pour participer à cet envoûtement qui conduit au fond de la mer comme au plus profond des intelligences humaines, forcément secouées par l’âpreté de ces désastres dont les images seulement dites, sans aucun accessoire ni quelconque projection, sont cruellement visibles de tous. Et là, comme le dit encore Alexandra Tobelaim « le théâtre est juste, nécessaire et joyeux dans cette fonction-là ».

 

Gérald Rossi 

 

Tournée en reconstruction, et halte à Thionville (Moselle) dans les prochains mois.
 
Légende photo : Solal Bouloudnine, un jeu sobre et vibrant. © Éric Chenal
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April 11, 2021 3:41 PM
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Les Petites Filles, texte et mise en scène de Marion Pellissier.

Les Petites Filles, texte et mise en scène de Marion Pellissier. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 9 avril 2021

 


La petite fille traditionnelle est une enfant de sexe féminin jusqu’à l’âge nubile, une fillette, une gamine, une gosse, une « mignonne petite ». Selon le roman de la comtesse de Ségur, Les Petites Filles modèles, elles sont des poupées vivantes, plus ou moins porteuses de manières policées, jouant encore aux petites alors qu’elles sont prêtes à devenir grandes, si on leur marque de la considération, en faisant appel à la raison.

 

Le titre des Petites Filles de Marion Pellissier, une antiphrase moqueuse, ne correspond pas à l’imagerie attendue des tableaux académiques et paisibles dont les enfants jolis sont obéissants.

 

L’enfance – prouesse et menace – est un monde autre, le reflet parfois effrayant de l’adulte et non symbole d’innocence. Au romantisme succède la désillusion des enfants malfaisants, dénoncée par la tradition classique : il « naît chargé comme une bombe à fragmentation », portant « toute la crapulerie des générations précédentes… des grenades dégoupillées. » (B. Blier, Existe en blanc.)

 

Au XXI ème siècle, on déplore dans l’enfance l’héritage des générations porteuses de mal. L’enfant, considéré déjà au XIX ème siècle comme piégé par l’hérédité, est le réceptacle involontaire des passions, des préjugés, des fureurs adultes. En état provisoire, il est impertinent, passe de la privation de la parole à la destruction et à la dispersion de sa parole d’enfance.

 

Les petites filles de Marion Pelissier sont fanfaronnes, aimant jouer aux gendarmes et aux voleurs, représentant chacune une singularité, les tenantes d’une griffe particulière – la demande âcre et volontaire d’une reconnaissance existentielle et d’une place admise et accordée dans la société. Pour y parvenir, elles jouent du coude, rivalisent de coups bas et bousculent les codes de la bienséance : seul compte le rapport de pouvoir de l’une sur l’autre, de l’une sur toutes les autres, le désir d’en finir avec celle qui est considérée comme une concurrente, une ennemie, un danger.

La dernière arrivée est appréciée d’emblée comme la femme à abattre et elle ne doit pas résister.

 

Disputes, prises de bec, engueulades dans l’oubli de soi et des règles en société, le paysage humain qu’offre au regard ces Petites Filles – de jeunes femmes plus ou moins adolescentes – n’est guère réjouissant : têtes fortes, comportements brutaux et durs, verbe grossier et sans tenue.

 

L’une, un peu maladroite et nigaude, parle par dictons et expressions toutes faites non maîtrisées, inversées ou entremêlées – une belle dimension comique. L’autre veut être la cheffe et ne s’exprime qu’en fulminant, braillant et hurlant, sans la moindre considération de ses interlocutrices. 

D’autres encore sont davantage nuancées, formant duo ou bien trio avec leurs compagnes, jouant les petites filles des « puissantes », telle la figure de la mère – femme sensuelle et provocatrice.

 

Ces six femmes vivent ensemble, vêtues d’une même blouse bleue de pensionnat d’une époque révolue, dans un lieu indéfinissable dont la scénographie attire l’attention. L’avant-scène du plateau tient lieu de hall d’entrée, de long vestibule, séparé sur le lointain par les parois et les vitres transparentes de la cuisine et de la chambre attenantes, installées en quinconce à l’entrée d’une petite porte qui ouvre sur les deux territoires que se partagent les locataires, malgré elles. 

 

Ces deux pièces ne sont pas visibles directement, le regard n’y pénètre que grâce à la vidéo. A la construction du décor, Camille Burnod, à la vidéo Nicolas Doremus, Nicolas Comte, Florian Bardet, à la lumière Jazon Razoux, au son Thibault Lamy. Et aussi à la composition Jean-Baptiste Cognet.

 

Au début de la pièce, les jeunes femmes viennent toutes s’adresser au public, en rangée ordonnée, peu claires sur leur situation, hésitantes et emplies de doutes, n’autorisant pas que l’une ou l’autre prenne le dessus sur le groupe – parole ou pouvoir. En l’absence de quatrième mur, le public est présent, qui les regarde, comme obligé à une « surveillance » qu’il n’a pas demandée. 

Les spectateurs sont là, malgré eux, participant aux  « journées des visiteurs » pour regarder les protagonistes visiblement préparées à l’arrivée du public et expliquant tant bien que mal qu’elles s’adresseront à lui, toutes ensemble ou pas du tout. Un acte solidaire qui leur semble nécessaire.

 

Malgré cette promesse, chacune viendra trahir sa parole et s’entretenir en privé quelques instants avec les spectateurs qui l’écoutent sans jamais émettre eux-mêmes avis ou conseil, forcément. Celles-ci, en cachette des autres, tentent de se mettre en avant, comme par hasard. Dans ce jeu de masques, ces femmes Petites Filles, vont s’écorcher à vouloir saisir leur place dans la société.

 

Pour l’autrice et metteuse en scène Marion Pellissier, le spectacle correspond à un scénario d’anticipation dans lequel la durée des peines de prison n’existe plus. Ces six femmes sont enfermées dans une maison comme dans une prison autogérée, sans promesse de sortie, car les crimes ne sont pas punis par une durée d’emprisonnement mais un enfermement pur et simple.

Dans ce nouveau système carcéral, le peuple, selon la conceptrice, serait appelé à choisir celle qui est apte à réintégrer la société, lors de ces « journées de visiteurs », temps d’observation de ces détenues : une situation d’inconfort et d’effroi des protagonistes sollicitant l’attention du public

 

Ce groupe de jeunes filles ainsi sélectionnées dans un lieu clos est observé en permanence par des caméras de surveillance, en alternance avec la représentation théâtrale scénique. Est reconnaissable le dispositif élémentaire du cinéma, ou plus exactement de la télé-réalité qui enferme des personnages, acteurs ou pas, dans un cadre et un décor, le temps de prises longues.

Si ce n’est que les spectateurs semblent appelés à voter non pas pour exclure du jeu en cours l’une de ces femmes, mais pour choisir en échange celle qui pourrait prétendre à la liberté et s’enfuir de cet enfermement mortifère qui les frustre de pouvoir mener une vie « normale ».

 

La télé-réalité provoque une utilisation dénaturée de l’émotion dans un jeu approximatif et contrôlé, genre télévisuel suivant artificiellement, en feuilleton et par le biais de la fiction, les situations de la vie quotidienne ou ordinaire d’anonymes sélectionnés pour participer à une émission télévisuelle. 

Ici, l’ambiguïté prévaut entre une situation théâtrale classique de huis-clos avec vidéo et la possibilité d’y échapper via la télé-réalité qui emprunte également à la danse et à la chorale. Le jeu des comédiennes est parfois excessif puisqu’il s’agit de se mettre en valeur face aux visiteurs. Il est peut-être la métaphore des efforts démultipliés que les femmes nouent encore avec l’Autre – le public, l’homme -, sujet et objet de conquête individuelle et sociale et de rêve érotique.

 

Les comédiennes Charlotte Daquet, en alternance avec Carole Costantini, Jessica Jargot, Zoé Fauconnet, Julie Mejean, Savannah Rol, Marie Vires, ne ménagent pas leurs efforts, jouant le rôle qu’elles se sont approprié avec force et constance, des personnalités identifiables et attachantes.

 

Véronique Hotte

 

 

Présentation professionnelle du 7 avril au Théâtre Jean Vilar, 1 Place Jean Vilar 94400- Vitry-sur-Seine. Tournée 2021/2022 : du 30 novembre au 7 décembre au Hangar Théâtre à Montpellier. Le 9 décembre au Théâtre de Narbonne – Scène Nationale.

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April 8, 2021 1:50 PM
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Claire Ingrid Cottanceau, l'ange collaboratrice de Stanislas Nordey

Claire Ingrid Cottanceau, l'ange collaboratrice de Stanislas Nordey | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore dans L'Oeil d'Olivier - 8 avril 2021

 

Artiste plasticienne, metteuse en scène et performeuse, Claire Ingrid Cottanceau mène de front ses propres projets à la confluence des arts vivants tout en collaborant avec Stanislas Nordey depuis 2006. Travaillant au TNS sur les créations de Berlin mon garçon de Marie NDiaye et de Au bord de Claudine Galea, elle espère pouvoir poursuivre la tournée de Rothko, untitled#2 avec Olivier Mellano, objet visible et sensible créé en février 2020 au TNB.

 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant?


Mon premier souvenir est un spectacle dont j’ai oublié le nom, mais je sais que c’était un spectacle de Georges Lavaudant. J’y suis allée avec mon collège de l’époque. Je devais donc avoir 13 ou 14 ans.
Je savais déjà que le plateau allait être mon espace de vie, sans rien en connaître véritablement. Ce spectacle m’a certainement conforté dans mes intuitions. Ce qui m’a frappé à l’époque étaient les lumières, l’architecture des corps dans l’espace, les changements à vue qui donnait à voir les qualités de corps différents. La fable, le texte n’était pas au premier plan, mais bien la machinerie, tout ce qui fait théâtre et illusion.

 

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?


La question de la vérité. « La parole familiale » étant complexe, mon obsession enfant était de découvrir la vérité des mots, des relations, et il m’a semblé très tôt que seul l’art vivant pouvait y répondre.

 

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être artiste plurielle ?
Je me présente aujourd’hui hui comme artiste – artiste comprenant mes endroits de travail et de recherche en tant qu’ actrice-performeuse, metteuse en scène, plasticienne et collaboratrice artistique de Stanislas Nordey. Les rencontres et la nécessité à ouvrir des champs de recherche m’ont conduit à cet ensemble d’écriture. Chaque espace de travail contient le tout. Chaque espace de travail révèle l’amplitude des écritures.

 

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier spectacle professionnel auquel j’ai participé était Celle dans l‘ombre de Marie-Louise Fleisser, mise en scène par le théâtre de la Chrysalide à Lyon dirigé par Daniel Pouthier et Françoise Coupat. Le spectacle se composait de 3 monologues incarnant Marie Louise Fleisser (maitresse de Bertolt Brecht). J’étais la Fleisser jeune (j’avais 17 ans). C’est un merveilleux souvenir. J’ai eu la chance de partager ce travail avec ces deux metteurs en scène, des vrais chercheurs à l’époque et de partager le plateau avec Frederic Leidgens (que je retrouve encore souvent aujourd’hui IMMENSE ACTEUR) et Françoise Coupat.


Beaucoup d’images sont encore présentes en moi, mais je citerai celle de la visite de Daniel Emilfork et ses conseils. Une vraie leçon de vie.

 

Votre plus grand coup de cœur scénique ?


incontestablement Pina Bausch.

 

Quelles sont vos plus belles rencontres ?


La plus belle rencontre c’est celle avec Stanislas Nordey, tant artistiquement qu’humainement. Et puis bien sûr Antoine Vitez qui a été mon maître à l’école de Chaillot. 
mais il y a aussi Matthias Langhoff, Jean Luc Nancy, Szusza hantai, Olivier Mellano, Kari et Suzanna, Marguerite Duras, et mon fils ! Felicien Cottanceau… Et d’autres encore acteurs artistes chercheurs…la liste est longue.

 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?


Je ne considère pas avoir un « métier », mais plutôt un art de vivre singulier. Chercher est une nécessité, une visée contre la disparition.

 

Qu’est-ce qui vous inspire ?
La nature, la marche, la lumière, les ciels, mes fantômes- mes disparus, Bach, la vie toute entière.

 

De quel ordre est votre rapport à la scène ?


Le plateau est pour moi un grand atelier pour réfléchir au monde. Un lieu de recherche, un espace poétique et par la poétique politique. La scène s’étend pour moi aux espace naturels, elle est pour moi le trou noir, l’espace mental qui permet le vivant.

 

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?


Les yeux, le regard, l’ouïe, la peau, la texture de la voix, le silence.

 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?


Je ne sais pas… les plus vieux, les plus jeunes… toutes disciplines confondues.

À quel projet fou aimeriez-vous participé ?
Ceux que je ne connais pas encore.

 

Si votre vie était une œuvre, qu’elle serait-elle ?
Aujourd’hui, Une peinture de Mark Rothko demain je ne sais pas.

Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore

Au bord de Claudine Galea, autrice associée au TNS
Répétitions en mars 2021 au TNS
Reporté du 23 juin au 3 juillet 2021 

Qui a tué mon père d’Édouard Louis
la Colline – Théâtre national

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez et © Félicien Cottanceau

 

 

 

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December 19, 2020 5:18 PM
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Chloé Dabert, de l'ombre à la lumière

Chloé Dabert, de l'ombre à la lumière | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Vincent Bouquet pour la série d'articles Génération sceneweb (12/30). Publié le 12/12/2020

 

Au long d’un parcours plus progressif qu’il n’y paraît, la metteuse en scène a patiemment gravi les marches, du CDN de Lorient à la Comédie de Reims qu’elle dirige aujourd’hui.

 

 

Chloé Dabert aura pris son temps pour éclore. Entre sa sortie du Conservatoire, en 2002, et le prix du jury du festival Impatience, décroché en 2014 pour Orphelins de Denis Kelly, la metteuse en scène aura ménagé sa monture, appris à se faire confiance et à dompter son art. « A l’époque, il y avait beaucoup moins de lieux d’émergence qu’aujourd’hui et il était assez compliqué de faire de la mise en scène en étant comédienne, se souvient-elle. J’avais déjà une petite compagnie, je montais des pièces à côté, mais il était difficile, au milieu des figures de mise en scène impressionnantes du moment, de montrer ce travail et d’avoir de la visibilité. »

Pour faire ses armes, et gagner en assurance, Chloé Dabert trouve alors refuge au CDN de Lorient où, pendant sept ans, elle anime des ateliers à destination des jeunes et des amateurs. Jusque ce que Bénédicte Vigner, alors directrice artistique du lieu, l’aide à monter une tournée pour Orphelins, et que le directeur du Centquatre-Paris, José-Manuel Gonçalvès, la repère. « Cette période m’a permis de me construire à l’abri de la pression et je crois que j’en avais besoin pour dissiper mon trac naturel, analyse-t-elle. Le spectacle a aussi rencontré le public au bon moment de mon travail, qui avait gagné en maturité et esquissait un tournant artistique. » Comme pour rattraper le temps passé, la metteuse en scène ne s’est depuis plus arrêtée, de Nadia C. à Girls and Boys, en passant par J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne au Vieux-Colombier et Iphigénie au Festival d’Avignon.

La famille d’abord

Au-delà de son compagnonnage avec Denis Kelly, et exception faite de son incursion chez Racine, Chloé Dabert trace sa voie parmi les auteurs contemporains, dans l’univers de ceux qui ont, à un endroit ou un autre, une parole qui résonne. « Je cherche des auteurs qui questionnent, plus qu’ils n’assènent, car, pour moi, le théâtre sert, avant tout, à se poser des questions ensemble, 

précise-t-elle. Mais je fonctionne aussi beaucoup sur l’écriture puisque, à mon sens, le fond est aussi important que la forme. » Outre le texte, à qui elle ménage toujours une place de choix, la metteuse en scène accorde aussi beaucoup d’importance à la collégialité, aux apports de cette famille artistique qui la suit de spectacle en spectacle. « Je me vois comme l’élément qui fait le lien entre plusieurs créateurs très investis et toujours force de proposition, assure-t-elle. Il est très important que nous cherchions ensemble, notamment avec les acteurs, pour occasionner une rencontre et voir comment le texte nous déplace. »

 

Un sens du collectif qu’elle cultive désormais à la tête du CDN de Reims. Mue par la volonté de rendre ce qui lui a été donné lorsqu’elle était à Lorient, elle a ressenti le besoin d’être implantée afin de tisser un lien avec un endroit, une équipe et des spectateurs. « En plus des relations avec les artistes associés, en résidence, ou simplement accompagnés, que nous soutenons plus que jamais dans cette période compliquée où nous devons tout faire pour réussir à sauver ce qui devait voir le jour, j’aime avoir un contact avec le public, avec des personnes qui ne font pas de théâtre, histoire de rester dans la vie. » Preuve que, même en pleine lumière, Chloé Dabert garde la tête solidement vissée sur les épaules.

 

Vincent Bouquetwww.sceneweb.fr

 

 

Photo Ben Pi

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October 2, 2020 9:54 AM
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La Loi de la gravité, texte d’Olivier Sylvestre, mise en scène de Cécile Backès

La Loi de la gravité, texte d’Olivier Sylvestre, mise en scène de Cécile Backès | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello le 2 octobre 2020

 

 

La Loi de la gravité, texte d’Olivier Sylvestre (Editons Hamac, Québec), mise en scène de Cécile Backès, dès 11 ans.

Cécile Backès, metteure en scène et directrice de la Comédie de Béthune, CDN Hauts-de-France, crée La loi de la gravité de l’auteur québécois Olivier Sylvestre.

La question du genre se pose parfois à l’adolescence de façon très cruelle, une occasion scénique rêvée d’interroger et de mettre en question tous les préjugés.

« Fred (Frédéric) – D’abord, qu’est-ce que t’es ?

Dom (Dominique) – ça dépend des jours.

Un cactus, un oiseau.

Je veux pouvoir changer quand ça me tente, être l’un pis l’autre en même temps, ni l’un ni l’autre quand ça me tente plus pis m’habiller comme je veux. »

Cécile Backès, attentive aux écritures significatives qu’elle met en scène – Marguerite Duras, Annie Ernaux…-, a été interpelée par la langue québécoise et musicale d’Olivier Sylvestre et par la jeunesse de ses jeunes gens contemporains.

Dans les années 2020, on évoque d’emblée le « profil » de chacun sur les réseaux sociaux, à distinguer d’une « vraie vie » dans sa life, soit une dualité des données, métaphorique de l’intériorité des deux adolescents en souffrance – trouble expressif de l’ambiguïté de la fille/garçon ou du garçon/fille, justesse d’un regard instable.

Douze courtes séquences font apparaître Dom et Fred, deux jeunes élèves scolarisés qui traînent dans une zone indéterminée, Presque- La-Ville.

L’une préfère sécher les cours d’abord, alors que le second serait plus assidu.

Chacun des deux hésite sur son genre, explore les jeux à jouer pour être fille ou garçon, et laisse paraître son malaise, ses doutes et incertitudes. Et s’il ne fallait pas obligatoirement choisir entre les deux pour chercher finalement le non-binaire ? Etre l’un et l’autre à la fois, ou bien l’un puis l’autre, ce sera selon l’humeur du moment.

L’auteur évoque la non-binarité comme l’un des derniers tabous, à travers une histoire d’amitié, de complicité et de confidences qui aident à tenir debout et à oser affronter le monde ensemble et non plus seul, à marcher vers lui, précise Cécile Backès. On n’accepte tout simplement pas que quelqu’un soit « entre les deux ».

La Loi de la gravité propose un théâtre où ce qui est énoncé devient possible, du moment qu’on le profère. Par le récit, le dialogue ou la voix intérieure.

Tenter de passer le pont qui relie la Presque-Ville à La Grande Ville, un vrai projet.

Les deux acteurs – Marion Verstraeten qui joue Dom et Ulysse Bosshard Fred – correspondent exactement à la justesse de cette confusion de genre assumée.

Autant l’une paraît décidée, porteuse d’une belle colère rebelle éloquente, autant l’autre semble disposer d’une conscience de soi et des autres plus intériorisée.

Or, tout cela n’est que fantômes et fantasmes, l’un et l’autre éprouvent une même difficulté à communiquer avec leurs semblables, qui ne se ressentent pas différents.

Autour d’eux, dans un espace situé à la lisière de Presque-La-Ville et de la Grande Ville, les oiseaux tournent et le vent se lève, selon une nature intensément présente.

A chaque fois que Dom fait un pas, il lui semble que La Ville s’éloigne. Pourtant, elle a rencontré une autre élève, sans lendemain. Quant à Fred dont la mère est décédée, il souffre, et consent parfois à ce que Dom le maquille. Il a mal à l’âme : il faut qu’il « décrisse » : la langue québécoise est savoureuse.

Est reconnaissable la voix universelle de qui se pose la question du genre et des stéréotypes concernant le genre, ainsi le dernier roman de Camille Laurens, Fille.

Aussi Fred fait-il ce commentaire douloureux et clairvoyant sur ses sensations :

« Tous les jours… y a un comédien qui prend possession de mon corps, il est là, il est tout le temps là, c’est un gars qui joue au gars, qui essaie d’être plus grand, plus fort, plus viril, qui aime tout ce que les gars aiment, qui se prend une voix grave… »

La mise en scène de Cécile Backès est joyeuse et lumineuse au possible, apte à détecter dans sa direction d’acteurs la force propre à ces figures juvéniles joliment peintes, pleines à la fois de niaque et de réserve, de quant à soi et d’ouverture.

Le jeu de Marion Verstraeten pour Dom est inénarrable tant le rôle lui colle à la peau, vive et imprévisible, tant du côté de la haine ou de la hargne que de l’émotion celée.

Quant à Fred qu’incarne Ulysse Bosshard, il représente la face solaire de ce couple improbable, si on estime que Dom en est la face ténébreuse et mystérieuse : l’un et l’autre tissent entre eux une toile solide de correspondance éthique et esthétique.

Justesse, précaution et attention, ils multiplient les égards mutuels et réciproques.

Leur salle de bal est plutôt bien agencée dans la scénographie de Marc Lainé et Anouk Maugein, un échafaudage à un étage – une sorte de coursive dominant les eaux avec ses barrières de métal qui simulent le parapet du fameux pont à franchir.

Des escaliers des deux côtés, des parois ou volets qui ouvrent et ferment l’espace, telles des fenêtres d’immeubles avec ses centres d’achat, ses cinémas. Des espaces muraux peints, tagués et colorés, propres à nos espaces urbains d’aujourd’hui.

Les interprètes n’en finissent pas de monter et descendre, de se poser à peine sur un chemin de cailloux de Petits Poucets enfantins, dessinant une courbe mouvante.

Au bas du pont, entre ses piles, en alternance le musicien Arnaud Biscay ou la musicienne Héloïse Devilly qui dispense ses bruits d’ambiance – cris des oiseaux, souffle du vent, feuillages en mouvement et bruits incertains d’une nuit insaisissable.

Le musicien ou la musicienne n’hésite pas à monter sur l’entrée du pont quand les protagonistes descendent du panorama pour se rapprocher en bas de leur douleur.

Et la liberté qu’ils portent en eux rappelle les droits mis enfin au jour des Premières Nations et Inuit, comprenant au Québec cinquante communautés autochtones, des figures métaphoriques, emplumées et magnifiques de l’entre-deux de tous les temps.

Un joyaux scénique scintillant d’éclats noirs mélancoliques et de lumières joyeuses.

Véronique Hotte

Le Palace – Comédie de Béthune – CDN des Hauts-de-France, du 1er jusqu’au 9 octobre à 20h, et aussi le 9 octobre à 14h30 et le 10 octobre à 18h30. Reprise du 24 au 27 novembre à 20h, le 27 novembre à 14h30. Tél : 03 21 63 29 19.

Théâtre de Sartrouville – CDN Yvelines, du 17 au 20 novembre. Comédie de Saint-Etienne – CDN, du 1erau 3 décembre. Scènes du Golfe, Théâtres Arradon-Vannes, les 17 et 18 décembre.

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October 7, 2021 6:34 PM
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L’Île d’Or, création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine 

L’Île d’Or, création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Agnès Santi dans La Terrasse - 29 septembre 2021

 

À partir de leur escale au Japon, Ariane Mnouchkine et les siens créent L’Île d’Or, utopie imprégnée des chagrins et des colères de l’époque, célébrant la vie autant que  le théâtre. Une création à découvrir au Théâtre du Soleil à compter du 3 novembre.

 

« Qu’on nous donne une île et sans tarder nous créerons un nouveau monde. » écrit Hélène Cixous le 11 mars 2021, mois de confinement et restrictions au plus fort de la crise sanitaire. Une fois de plus, suite à une phase de recherche et de mûrissement, le Théâtre du Soleil fait naître une création, trace avec ténacité son chemin de vérité et de liberté, qui tente « d’éclairer le chaos du monde et d’illuminer les nids et les coins de bonheur et de promesse. » Cette Ile d’Or se trouve dans les eaux du Japon, où Ariane Mnouchkine a voyagé toute jeune, où elle fut subjuguée par la prestation d’un jeune acteur sur une scène minuscule du quartier Asakusa à Tokyo, illuminée aussi par un Nô en plein air à Kobe qui la laissa « foudroyée par la puissance, la splendeur, la majesté d’une telle forme. » C’est ce qu’elle a notamment confié lors de son discours de réception du prestigieux  Kyoto Prize Arts et Philosophie qui lui fut décerné en 2019.

 

L’or du cœur comme moteur politique

Comme l’Inde bien sûr et comme Bali, le Japon est habité par l’esprit du théâtre. « Il y a là tout ce qu’il faut à la Grande Cérémonie : Sado, une petite île, scène des exils, des bannissements et relégations, expulsions, pertes du paradis, enfer bientôt renversé en son contraire, et alors scène des sublimations, mines d’un or qui dit aussi l’or du cœur. » Des intellectuels furent ainsi exilés sur l’île de Sado, de même que le célèbre acteur de théâtre Nô Zeami Motokiyo (1363-1443). Plus tard, en 1601, un filon d’or y fut découvert et exploité. Rare et précieux, indifférent aux dogmes et aux modes, le Théâtre du Soleil est aussi à Paris abrité sur une île, un refuge forgé en toute indépendance, vivant au rythme de créations nées de voyages tutélaires. Comparé souvent à un esquif, entraîné par un « élan amoureux », le Théâtre du Soleil n’est jamais dans le commentaire ou l’explication de son action. Il est tout simplement. Il est et il fait, nourri d’une multitude de mémoires, de désirs, irrigué par l’énergie et la détermination de tous ceux et celles qui le façonnent. Ariane Mnouchkine est le capitaine du navire, qui cette fois a fait escale au Japon.

 

Agnès Santi

 

L’Île d’Or
du Mercredi 3 novembre 2021 au Jeudi 5 mai 2022
Théâtre du Soleil
Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre, 75012 Paris.

À partir du 3 novembre 2021. Tél : 01 43 74 24 08.

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October 2, 2021 6:40 PM
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Rainer Werner Fassbinder et Julie Deliquet : une rencontre au sommet 

Rainer Werner Fassbinder et Julie Deliquet : une rencontre au sommet  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 2 oct.  2021 

 

Scène de "huit heures ne font pas un jour" © Pascal Victor/Opale

 

 

 

Nouvelle directrice du TGP de Saint Denis, Julie Deliquet signe « 8 heures ne font pas un jour » de Rainer Werner Fassbinder, une œuvre jusqu’alors non traduite. Une saga magnifique au cœur du monde ouvrier où l’utopie et la lutte, l’humour et l’amour s’épaulent, où les quatorze actrices et acteurs réunis forment une formidable troupe. On rit, on rage, on rêve. Quel bonheur !

 

 

C’est Claire Stavaux, la jeune et dynamique directrice des éditions de l’Arche qui a parlé à Julie Deliquet de ce texte méconnu (en France) de Fassbinder 8 heures ne font pas un jour, une série écrite et réalisée (en partie, 5 épisodes sur 8) pour une chaîne de télévision allemande et qui connut à l’époque ( début des années 70) un beau succès. Le texte, traduit par Laurent Muhleisen, paraît ces jours-ci à l’Arche pour accompagner le spectacle de Julie Deliquet qui s’en tien aux cinq premiers épisodes (ceux filmés par Fassbinder). Le volume, plus de trois cents pages, va jusqu’au huitième et dernier épisode écrit. Une plongée dans la vie ouvrière, côté privé et côté boulot, que Julie Deliquet entrelace avec la complicité de Julie André et Florence Seyvos pour la version scénique du texte, Zoé Pautet pour la scénographie, Pascale Fournier et Richard Sandra pour la collaboration artistique.

Et je m’en voudrais d’attendre pour citer les quatorze actrices et acteurs qui portent haut et fort cette aventure collective à la mise en scène revendiquée. Plusieurs sont membres du collectif In vitro, la compagnie dirigée par Julie Deliquet (Julie André, Eric Charon, Olivier Faliez, Agnès Ramy, David Seigneur, Hélène Viviès) riche en beaux souvenirs. D’autres sont issus d’une promotion de l’école de Saint-Etienne dont Julie Deliquet a été la marraine (Lina Alsayed, Ambre Febvre, Brahim Koutari, Mikaël Treguer). Enfin y figurent des comédiens qui ont roulé leur bosse comme Christian Drillaud ou Zakariya Gouram. Last but not least, Evelyne Didi ( Théâtre éclaté d’Annecy auprès d’Alain Françon, riches années Jean-Pierre Vincent au TNS, proche de Matthias Langhoff, etc.) qui, dans le rôle de Luise (dont on fête les soixante ans) , est comme la mascotte du spectacle, son bienveillant porte-bonheur, portant allégement, au-delà des luttes et des disputes, une vision tonique de l’art de vivre ensemble, bénissant de son sourire le couple qui se forme sous nos yeux entre Jochen et Marion, veillant à maintenir à flot le joyeux et frondeur humanisme qui innerve la soirée, trois heures durant (bref entracte) sans le moindre temps mort.

 

 

Les sphères familiales, amoureuses, amicales et ouvrières se mêlent. On oscille entre vie personnelle et vie professionnelle. Kâthe (Julie André), la fille de Luise est mariée avec l’ouvrier râleur de l’usine Wolf (Eric Charon), ils ont deux enfants Jochen (Mikael Treguer) et Monika (Lina Ajsayef) laquelle a épousé Harald (Olivier Fallez) ; tante Klara (Hélène Viviès) est l’autre fille de Luise ; Marion (Ambre Febvre) devient, sous nos yeux, la petite amie de Jochen, Manfred (Brahim Koutari) est le meilleur ami de ce dernier et son collègue à l’usine, il est aussi un amour de jeunesse de Monika ; Irmgarg ( Agnès Ramy) est une collègue de bureau (petites annonces) et amie de Marion ; Franz (David Seigneur) est l’ouvrier qui, encouragé et soutenu par ses camarades deviendra contremaître; Grégor (Christian Drillaud) est le vieil amant souffreteux de Luise. Enfin intervient aussi une enfant, Sylvia (plusieurs se relaient de soir en soir), fille de Monika et Harald. A tout le moins, trois générations.

 

 

 

Ce listing, un peu fastidieux à l’écrit, est fluide et on ne peut plus lisible à la scène. Notons en passant le beau travail des costumes signés Julie Scobeltzine. La série de Fassbinder comporte une cinquantaine de personnages, Deliquet s’en tient à une vingtaine. Tout cela façonne un nuancier d’êtres humains loin des personnages réduits à quelques traits avec lesquels se contentent nombre d’auteurs dès qu’ils entendent mettre en scène des ouvriers et des émigrés. Au demeurant, on serait bien en peine de trouver une telle série sur les chaînes françaises et en Allemagne, elle reste une exception. Elle n’avait jamais, outre Rhin, et ailleurs, fait l’objet d’une adaptation théâtrale, c’est donc à une première mondiale à laquelle nous assistons au TGP.

 

La scénographie active ces perpétuels passages entre les appartement et l’usine, les cabinets et la rue, le coin douche à l’usine et le coin chambre, l’espace centrale pouvant tout à tour celui de l’usine où on se réunit pour discuter et celui des fêtes, l’anniversaire de Luise et plus tard le mariage de Jochen et Marion. Les scènes collectives dominent mais la scénographies comme le texte de Fassbinder offrent des flashes d’intimité salutaires.

Si la question de la suppression possible d’une prime de rendement crispe les ouvriers de l’usine et met en lumière leur dissensions, ils ne campent jamais dans des positions classiques (grève, débrayage) qu’auraient proposé les syndicats (ils sont inexistants ou hors champ comme dans 7 minutes la pièce de Massini, lire ici). Ils optent pour de petits sabotages, mettent au point un système inventif d’organisation du travail ou poussent à ce que que l’un d’eux devienne, leur contremaître. On pense à ces rêves d’autogestion en vogue dans ces années là, Lipp and co.. Dans la sphère privée les femmes s’émancipent, mais le machisme bande encore orgueilleusement et met à mal certains couples lesquels se font ,se défont ou se rabibochent. A la recherche d’appartement ou au déménagement de certains correspond le changement d’emplacement imminent pour l’usine . L’interface est constant et donne son rythme binaire à la représentation où la femme n’est ni l’avenir ni la chose de l’homme, mais son égal et quand ce n’est pas le cas , le couple tend à vaciller. L’ homme, la femme, le monde sont transformables nous dit Fassbinder nullement dupe de sa volontariste naïveté. Fassbinder aime aussi illustrer le vieux tube de la classe ou ouvrière « l’union fais la force » ( qui engendrera plus tard le « tous ensemble ») que cela soit au sein de l’entreprise ou à l’heure de récupérer une bibliothèques désaffectée pour, sans autorisation, en faire une garderie pour enfants sous l’impulsion de la vieille Luise, toujours à l’affût.

 

 

Pour finir, saluons le travail de mise en scène et de direction d’acteur de la phénoménale Julie Deliquet. A la fois cheffe d’entreprise, de bande et de troupe, patronne et copine, brasseuse d’utopie et amoureuse du petit détail qui fait vibrer les cœurs les plus endurcis. Son aventure à la tête du théâtre Gérard Philipe de Saint Denis, retardée par le Covid,  commence par un bel éblouissement.

 

 

L’intégralité des huit épisodes de Huit heures ne font pas un jour est publiée par L’Arche Éditeur., 304p, 19,50 euros

Spectacle durée : 3h20 (entracte compris)

Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis jusqu au 17 o

 

 

Puis tournée : Domaine d’O, Montpellier du 5 au 7 janv ; Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge le 14 janv ; Théâtre des Célestins, Lyon du 19 au 23 janv ; MC2 Grenoble, du 2 au 4 fév ; La Coursive, scène nationale de La Rochelle les 9 et 10 fév ; ThéâtredelaCité, Toulouse du 16 au 18 fév ; Comédie de Colmar, les 24 et 25 fév ; Châteauvallon -Le Liberté, Toulon les 4 et 5 mars ; Théâtre Joliette, Marseille du 10 au 12 mars ; Théâtre de l’Union, Limoges les 17 et 18 mars ; Comédie de Reims du 23 au 25 mars, ; Comédie de Caen, les 6 et 7 avril.

 

 

 

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September 20, 2021 3:28 PM
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« 7 minutes » : onze femmes en colère au Français

« 7 minutes » : onze femmes en colère au Français | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 20 septembre 2021

 

Légende photo : Les comédiennes, criantes de vérité, nous bouleversent. Au premier plan, Françoise Gillard en virago à fleur de peau. (© Raphael GAILLARDE/GAMMA-RAPHO)

 

Maëlle Poésy met en scène avec une sensibilité et une énergie sans faille le thriller social de Stefano Massini au Vieux-Colombier. Suspense, émotion, réflexion portés par onze actrices virtuoses. Bienvenue à l'usine en lutte de la Comédie-Française.

 

Deuxième salle de la Comédie-Française, le Vieux-Colombier réserve toujours des surprises : un jour transformée en sous-marin (« 20.000 lieues sous les mers »), un autre en datcha (« Vania ») ou en studio (« Les Ondes magnétiques »)… En cette rentrée, le public est convié à l'usine. Dans l'espace de stockage de l'entreprise textile Picard & Roche, onze femmes à cran, représentantes du personnel, vont bientôt savoir à quelle sauce elles seront mangées après l'arrivée d'actionnaires étrangers.

 

A peine le temps de s'installer (en vis-à-vis, dans un dispositif bifrontal) et les spectateurs sont plongés dans l'ambiance, les tympans vrillés par un bruit de machine. Il ne faudra pas « 7 minutes » (titre de la pièce de Stefano Massini) pour qu'ils soient happés par le spectacle.

Condition féminine et précarité sociale

On devait déjà à cet auteur italien surdoué la fabuleuse trilogie des « Lehman Brothers ». Avec « Sept minutes », il aborde les sujets brûlants de la précarité sociale, de la condition féminine en entreprise et de l'épuisement des luttes ouvrières. L'argument est diablement malin. Lorsque la porte-parole sort de la réunion avec la direction, elle est a priori porteuse d'une bonne nouvelle : aucune des 200 salariées ne sera licenciée. La seule concession qui leur est demandée est de réduire de 7 minutes leur temps de pause quotidienne.

 
 

D'abord enthousiastes, les représentantes du personnel sont ébranlées par le refus de leur négociatrice : n'est-ce pas mettre un doigt dans un engrenage fatal ? Quel exemple vont-elles donner à l'extérieur ? Quid de leur dignité ? Petit à petit, leur accord qui semblait acquis devient de plus en plus incertain…

Vérité des actrices

Maëlle Poésy aborde de front, avec clarté, avec un sens du rythme et une énergie sans faille ce thriller social à rebondissements. La metteuse en scène, directrice du Théâtre Dijon-Bourgogne , mise tout sur la qualité de ses interprètes - un mix de sept comédiennes du Français et de quatre jeunes actrices extérieures. Respectueuse de leur sensibilité, elle fait en sorte que les rôles semblent avoir été écrits pour elles.

 

Les aînées sont magnifiques : Véronique Vella en porte-parole désabusée ou Françoise Gillard en virago à fleur de peau. Les novices savent aussi nous bouleverser, notamment les trois nouvelles pensionnaires, Séphora Pondi, Elissa Alloula et Elise Lhomeau. L'implication, la vérité, l'émotion de ces onze actrices en colère gomme les côtés un brin roublards du texte. Sans donner de leçon, ces « 7 minutes » nous tiennent en haleine une heure et demie durant, distillant leur message humaniste de combat, lucide, rude, mais pas désespéré.

7 MINUTES

Théâtre

de Stefano Massini

Mise en scène de Maëlle Poésy

Paris, Comédie-Française, Vieux-Colombier (01 44 58 15 15)

Jusqu'au 17 octobre, 1 h 35.

 

Philippe Chevilley

 
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September 19, 2021 1:39 PM
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7 minutes : 11 femmes en colère

7 minutes : 11 femmes en colère | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hélène Kuttner dans Artistik Rezo - 19 septembre 2021    

photo ©Vincent PONTET

 

C’est un spectacle brûlant d’intensité qui nous est présenté par la Comédie Française dans la salle du Vieux-Colombier. Ecrit pour onze comédiennes de tous âges, « 7 minutes » de l’auteur italien Stefano Massini, qui nous avait régalé avec La Saga des Lehman Brothers, plonge dans les affres d’un vote pour sauver une usine en passe d’être rachetée. Maëlle Poésy, nouvelle directrice du CDN de Dijon-Bourgogne, nous fait vivre l’histoire en temps réel. Comme un coup de poing.

 

Dilemme

 

Dix ouvrières, de la plus ancienne à la nouvelle jeune recrue, attendent fébrilement le résultat d’une réunion de « cravates » -dirigeants masculins en costume-cravate- avec l’une d’entre-elles qui fait office de porte-parole. Le décor représente une salle de stockage qui pourrait aussi être une salle de passage, où les femmes prennent leur mal en patience en épiant la porte d’où surgira Blanche, chargée de leur délivrer la sentence. Il est ici question de survie, de travail, pour ces ouvrières qui représentent elles-mêmes les 200 employées de l’usine. On fait connaissance, on se jauge, on plaisante à moitié, évaluant chez l’autre la part d’ancienneté, de complicité avec Blanche, mais aussi la part de courage, de pragmatisme, de peur, face au diktat de l’industrie. Les heures passent, la tension monte, et on commence à perdre patience quant Blanche surgit avec une nouvelle plutôt rassurante, mais qui contient, dans une lettre adressée à chacune, la condition de leur survie dans l’usine. Qu’il s’agira de mettre au vote.

 

La loi du plus fort

 

On l’aura compris, la pièce évoque habilement celle de Reginald Rose  Douze hommes en colère , dont Sydney Lumet réalisa le célèbre film avec Henry Fonda. Dès lors que les filles tiennent cette lettre en main, il va leur falloir procéder au vote de cette condition, qui de prime abord paraît à toutes, sauf à Blanche, dérisoire. La force du texte tient dans cette plongée au cœur de la psychologie de chaque ouvrière, de son parcours de vie et de son âge, qui fait jaillir brutalement sa parole. Loin de toute lourdeur ou parti-pris, Massini nous montre, à travers les réactions de toutes ces femmes, qui parfois viennent de très loin pour trouver un travail, comment la société, dans sa logique de prédation économique, peut grignoter les acquis sociaux gagnés pour garantir, à minima, des emplois. Jusqu’où accepter que son confort au travail soit rogné ? Certaines serrent les dents, d’autres crient à la suppression de liberté, et les plus jeunes avalent des couleuvres qui sont celles d’un nouveau monde tricoté de compromis et d’arrangements.

 

Onze actrices sur le grill

 

Le travail collectif des onze comédiennes, qui ne quittent jamais le plateau configuré en bi-frontal, est remarquable. Véronique Vella interprète la déléguée du personnel, Blanche, Cassandre de l’usine. Elle fait preuve d’une finesse prodigieuse, tour à tour maternelle, protectrice, gardienne de phare, et lanceuse d’alerte d’une lucidité politique féroce. Plus vraie que nature, elle démontre une fois encore la richesse de son engagement et de son talent dans un rôle complexe et singulièrement actuel. Claude Matthieu incarne superbement Odette, la plus âgée, la plus raisonnable, alors que Françoise Gillard est une Arielle toute en révolte. Anna Cervinka (Rachel), Elise Lhomeau (Sabine) et Elissa Alloula (Mireille), qui font toutes deux parties des nouvelles pensionnaires recrutées, forment avec Séphora Pondi, la dernière arrivée, des jeunes femmes en colère et à la tête bien faite. Camille Constantin (Zoëlie), Maïka Louakairim (Sophie), Mathilde-Edith Mennetrier (Agnès) et Lisa Toromanian (Mathab) complètent la belle distribution de ce spectacle qui emporte.

 

 

Hélène Kuttner

 

7 minutes

Auteur : Stefano Massini

Metteur en scène : Maëlle Poésy

Distribution : avec la troupe de la Comédie-Française
Claude Mathieu, Véronique Vella, Françoise Gillard, Anna Cervinka, Élise Lhomeau, Élissa Alloula, Séphora Pondi
et Camille Constantin, Maïka Louakairim, Mathilde-Edith Mennetrier, Lisa Toromanian

 

Du 15 Sep 2021
Au 17 Oct 2021

Tarifs :
de 12€ à 32€

Réservations en ligne

Réservations par téléphone :
01 44 58 15 15

Durée : 1h40

 

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September 7, 2021 5:15 PM
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Gisèle Vienne : « Mon art dit le combat que je mène »

Gisèle Vienne : « Mon art dit le combat que je mène » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Rosita Boisseau dans le Monde  - 7 sept. 2021

Gisèle  Vienne à la Fondation Camargo, à Cassis, le 26 juin 2021. PATRICK GHERDOUSSI POUR LE MONDE

 

Six pièces de la chorégraphe franco-autrichienne sont présentées au Festival d’automne, qui lui consacre un « Portrait ».

Depuis 2000, Gisèle Vienne, 45 ans, mène une investigation intransigeante sur le réel et l’identité qui hybride danse, théâtre et marionnette. Confrontant personnages vivants et poupées le plus souvent grandeur nature, l’artiste franco-autrichienne, passée par l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières à la fin des années 1990, a mis en scène une quinzaine de pièces remarquables, sur les thèmes de l’apparence et de la vérité de soi, du désir sexuel, de l’érotisme et de la mort. Six d’entre elles, dont son premier opus, Showroomdummies   (2001),co-créé avec Etienne Bideau-Rey autour des stéréotypes féminins, composent le « Portrait » hanté de multiples fantômes proposé pour le Festival d’automne.

Quel trait majeur de votre recherche ressort de ce « Portrait » ?

Mon travail trouve sa source dans la philosophie, la musique et les arts plastiques, que j’ai étudiés. J’ai éprouvé très tôt la nécessité d’aller voir du côté du corps, de penser à partir de lui, ce qui m’a menée vers la danse et la chorégraphie. Au cœur de ma recherche, il y a la question de la perception, comment elle se trouve culturellement construite. Je tente de décoder ce système, de comprendre les hiérarchies perceptives et de les déplacer dans ce qu’elles ont de plus normatif. Mon langage artistique déplie donc des strates qui interrogent l’expérience du réel. Je convoque une synergie de formes différentes qui laissent surgir des dissociations. Pour L’Etang, à partir d’un texte de Robert Walser, nous jouons des dissociations entre les corps des personnages et leurs voix multiples, entre ce qu’ils expriment et ce que, physiquement, ils semblent vivre.

 Lire aussi  Adèle Haenel dans les eaux incestueuses de « L’Etang »

Vos personnages tiraillés, en particulier des adolescents, sont toujours au bord d’un drame. Pour quelles raisons ?

Il s’agit de comprendre la violence sociétale qui s’exerce sur les corps. On me dit souvent que j’ai l’air doux. Mais en fait, je déporte dans mon travail une énergie de création et de destruction. J’ai beaucoup mis en scène des personnages adolescents qui sont dans un mal-être, avec un désir vital de détruire cette société et d’en construire une autre.
La question de la fluidité des genres, du rejet de toute assignation, que j’évoque de longue date, est aiguë chez eux qui découvrent cette lutte avec les injonctions qu’on nous impose. Il y a dans les personnages de mes pièces une sorte de viol intime de la société dont je montre la lutte.

Quelle place prennent les poupées qui signent votre univers depuis vos débuts ?

« Les poupées sont des outils formels critiques pour parler du corps, des perceptions que l’on en a et des rôles qu’on lui assigne »

 

 

Les poupées sont des outils formels critiques pour parler du corps, des perceptions que l’on en a et des rôles qu’on lui assigne. Lorsque je les fabrique, c’est pour moi un travail de sculpture, de peinture et de mise en scène. C’est très long mais c’est une pratique manuelle que j’aime tout particulièrement. Les poupées que je mets en scène représentent à une majorité écrasante des adolescent(e)s et des femmes. Principalement de taille humaine, principalement silencieuses et immobiles. J’essaie de comprendre davantage, à travers mes travaux, cette violence du regard désincarnant qui provoque la présence ou l’absence d’un être à son corps. Ce sont autant de tentatives de questionner les regards que nous pouvons porter sur notre corps et ceux des autres.

 

Quelle est votre méthode de travail avec les comédiens et danseurs ?

Je travaille beaucoup à partir de différentes pratiques somatiques. Elles permettent une approche du corps dans sa globalité pour que les interprètes puissent être le plus à l’écoute de ce qu’ils sont et de leur environnement. Dans mes pièces, je les invite, comme moi d’ailleurs, ainsi que les spectateurs, à vivre une expérience dans toute sa physicalité. Ils traversent une fiction et une structure très écrite dont ils ont appris la langue, avec ses enjeux techniques, formels et intellectuels. Cette langue comprend son vocabulaire gestuel, ses états de corps complexes, son rapport au temps, à l’espace. Chaque pièce est un jeu spécifique qu’il s’agit d’abord de construire et d’apprendre à parler.

Le mot langue revient beaucoup quand vous parlez de vos spectacles. Que mettez-vous derrière ?

Je développe sur scène des langues différentes, autant d’écritures formelles, qu’elles soient chorégraphique, théâtrale, visuelle ou marionnettique, qui vivent ensemble. Tout chez moi est question de traduction, appréhendée comme un déplacement de la pensée. J’ai grandi en parlant allemand. J’ai du plaisir physique à passer de l’allemand à l’anglais et au français et à entendre toutes les autres langues. Grandir entre différentes langues a été mon expérience fondatrice.

Où vous situez-vous artistiquement ?

Je me situe dans l’histoire de la danse et de l’art moderne et contemporain. Je me sens aussi proche du théâtre de Tadeusz Kantor, des danses urbaines, pop, des travaux de Pina Bausch et Maguy Marin et de la contre-culture. Je travaille en abordant une pièce selon différents processus : comme une chorégraphe, une musicienne, une plasticienne… L’art et le spectacle sont des moyens de réflexion très stimulants qui permettent de penser à partir de l’expérience physique du monde. Lorsque je regarde mes pièces, j’ai la sensation que mon art me crie au visage, dit le combat que je mène, ce que j’accepte et ne veux pas accepter, l’orientation de mes désirs, les déplacements sociétaux que j’ambitionne. J’ai depuis longtemps mis en scène les différents rapports de pouvoir qui structurent notre société.

 

Vous avez collaboré, entre autres, avec l’écrivain américain Dennis Cooper. Quelle est l’importance du texte dans l’élaboration de vos pièces ?

Le texte, dans notre culture, fait le plus souvent autorité. La hiérarchie mots et corps est pour moi un enjeu politique car on tente de maîtriser le corps par les mots. Dans mes pièces, je tente de rendre ces rapports plus lisibles. J’essaie aussi de rendre audibles le silence et le texte dans ses différentes strates. L’expérience artistique peut déplacer le spectateur : il y apprend à lire ce que nous ne sommes pas toujours éduqués à entendre. Le mutisme, par exemple, est l’expression d’un corps et il faut apprendre à l’écouter. La littérature permet de déplacer notre rapport à la langue, et c’est en ce sens que nous expérimentons depuis dix-sept ans avec Dennis Cooper.

Quels sont les enjeux de la performance qui sera présentée à La Station-Gare des Mines, porte d’Aubervilliers, les 24 et 25 septembre ?

La Station est un lieu de fête qui a été fermé à cause de la crise sanitaire. C’est un lieu où la danse et la musique se pratiquent, s’inventent, et où se déploient des enjeux sociétaux passionnants. J’y ai vécu des soirées très fortes. Je vais donc tenter de retrouver cet espace de sociabilité dont nous avons besoin de manière essentielle. On va y présenter une performance avec trois interprètes de Crowd en travaillant sur l’absence des corps, le manque et le besoin vital de la foule.

Vos pièces sont aussi des cérémonies. Que représente le rituel dans votre recherche ?

« La question du rituel est omniprésente lorsque l’on s’intéresse à l’art, à la danse et au théâtre »

La question du rituel est omniprésente lorsque l’on s’intéresse à l’art, à la danse et au théâtre. Les rapports entre l’art et le religieux ont été développés par des penseurs qui me passionnent, comme Roger Caillois et Georges Bataille. La scission entre les expériences artistiques et religieuses reste récente, et le rôle de l’art dans un système capitaliste néolibéral se retrouve fortement déprécié, encore davantage lorsqu’il s’agit de dépenses improductives. J’ai photographié de nombreux rituels que j’ai suivis depuis des années, principalement en Autriche, mais aussi en Espagne, en Suisse, en Indonésie. En 2017, je suis partie avec le chorégraphe Arco Renz à Bali, où j’ai assisté à une trentaine de cérémonies qui se déroulaient tôt le matin et jusque tard dans la nuit. J’avais besoin de voir, de vivre et de mieux comprendre la transe dont on parle tant sur les scènes contemporaines, ainsi que les problématiques liées au théâtre joué et vécu développées dans le livre de Michel Leiris La Possession et ses aspects théâtraux chez les Ethiopiens de Gondar (1958). Ces questions se trouvent au cœur de mon travail.

Vous êtes également photographe. Qu’apporte à votre démarche la photo, en particulier celles que vous réalisez à partir de vos poupées ?

Je prépare une exposition pour le Musée d’art moderne de Paris dans laquelle seront présentées les poupées que je fabrique, ainsi que les photographies que j’en fais. Les corps photographiés sont une expérience centrale dans notre culture. Les poupées et toutes les représentations de corps, comme la photo donc, permettent de comprendre les cadres perceptifs qui structurent les sociétés et les rapports de pouvoir qui commencent par le regard.

 

 

 

« L’Etang », du 8 au 18 septembre à 20 heures au Théâtre Paris Villette.

Performance les 24 et 25 septembre à 18 heures à La Station-Gare des Mines.

« Kindertotenlieder », du 6 au 9 octobre à 20 h 30 au Centre Pompidou.

« Showroomdummies #4 », du 11 au 14 novembre à 20 h 30 (dimanche à 17 heures) au Centre Pompidou.

 

« GISÈLE VIENNE TRAVAUX 2003 – 2020 », du 18 novembre au 13 janvier 2022 au Musée d’art moderne de Paris.

« Crowd », du 15 au 18 décembre à 20 heures (samedi 18 heures) à la MC93-Maison de la culture de Seine-Saint-Denis.

« This is how you will disappear », du 6 au 8 janvier 2022 à 20 heures à la Maison des arts de Créteil.

 

 

Ce supplément a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Festival d’automne à Paris.

 

Rosita Boisseau

 

 

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July 18, 2021 10:04 AM
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Sur scène à Avignon, riz, banane et chocolat racontent le colonialisme

Sur scène à Avignon, riz, banane et chocolat racontent le colonialisme | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Sur le site de France 24 - le 18 juillet 2021

 

L'auteure et metteuse en scène franco-ivoiro-malienne Eva Doumbia, le 15 juillet 2021 au Festival d'Avignon Nicolas TUCAT AFP

Avignon (AFP)

Un spectacle qui se termine par la dégustation d'un mafé, mais pas seulement pour le plaisir des papilles: au Festival d'Avignon, riz, banane ou chocolat sont racontés à travers des histoires de colonisation et d'exploitation.

En entrant dans la salle, une odeur de nourriture titille les narines: le public, assis des deux côtés de la scène, peut voir le chef-comédien Alexandre Bella Ola découper sur une grande table carottes, courgettes et autres légumes qu'il fera mijoter dans une grande casserole fumante, où il ajoutera du soumbala (condiment très utilisé dans la cuisine africaine) et surtout la sauce arachide, communément appelée mafé.

Pourquoi le mafé?

Pour l'autrice et metteuse en scène franco-ivoiro-malienne Eva Doumbia, le projet est parti d'une histoire personnelle.

Dans les années 80, "mon père immigré a ouvert sans doute l'un des premiers restaurants africains (au Havre, Normandie) avec un associé tunisien qui faisait du couscous. Lui préparait le mafé et j'ai longtemps pensé que ce plat était traditionnel. Or c'est récent et lié au colonialisme: le riz ne poussait pas en Afrique, la pâte arachide a été importée par le colon des Etats-Unis", explique-t-elle à l'AFP.

"Cette nourriture s'est imposée sur le continent, notamment en Afrique de l'Est, et les habitudes alimentaires ont été modifiées", ajoute-t-elle.

- "Pas pour accuser" -

"Autophagies. Histoires de bananes, riz, tomates, cacahuètes, palmiers. Et puis des fruits, du sucre et du chocolat": voici le titre du spectacle, ou plutôt de cette "eucharistie documentaire" comme elle préfère l'appeler.

"On se réunit pour se nourrir ensemble, pour se remémorer" ces histoires "d'exploitation qui continuent jusqu'à aujourd'hui", précise Eva Doumbia.

La performance mélange danse, musique, chants mais aussi des images filmées en Afrique et diffusées sur un écran où l'on peut voir un planteur de cacao en Côte-d'ivoire qui gagne à peine pour subvenir aux besoins de sa famille.

Dans la salle, chaque spectateur reçoit un morceau de chocolat "équitable" fabriqué en Côte d'Ivoire. Présente sur le plateau aux côtés du chef, de deux autres comédiennes et d'un danseur, Eva Doumbia demande au public de remercier ceux qui ont "semé, planté, nourri, arrosé, transporté" cet aliment.

Ce voyage historico-culinaire, qui évoque également le sort oublié des Indochinois réquisitionnés en 1939 pour relancer la riziculture en Camargue, "n'est pas pour accuser" qui que ce soit, tient-elle à souligner.

"Il souhaite être un début de réflexion, on pose un constat, pas une solution, en espérant que les gens auront plus conscience que la plupart de ce qu'on mange au quotidien provient de l'exploitation d'êtres humains sous-payés sur d'autres continents ou de migrants qui travaillent dans des conditions déplorables. +On mange des gens+, d'où le mot +autophagies+ (se manger soi-même)", dit-elle.

La question des origines culinaires a pris de l'ampleur ces dernières années, comme en témoigne le succès du documentaire diffusé ce printemps sur Netflix, "High on the Hog", qui retrace l'influence des traditions alimentaires et culinaires africaines dans la gastronomie américaine, en évoquant notamment l'apport des esclaves aux Etats-Unis.

- Qui raconte les récits -

"La prise de conscience est encore limitée à des gens informés", estime Eva Doumbia, qui a effectué plusieurs voyages culinaires en Afrique et à la Nouvelle-Orléans.

L'artiste, qui se définit comme "afropéenne", est cofondatrice du collectif d'artistes "Décoloniser les arts" qui appelle à repenser les narrations dans le spectacle vivant et les arts en général.

Dans ses spectacles, elle interroge sans cesse la manière dont les rapports raciaux hérités du colonialisme s'expriment encore en société. Il y a dix ans, dans "Mon cheveu et moi", un spectacle-cabaret sur l'histoire du traitement du cheveu crépu, elle racontait une histoire d'aliénation au modèle occidental, avec des femmes noires voulant se lisser à tout prix leurs cheveux.

Elle préfère ne pas commenter sur la "crispation" en France entre universalistes et racialistes.

"Les choses ont bougé ces cinq dernières années grâce à beaucoup de volontarisme, mais il faut faire un effort au niveau des récits et (de) ceux qui les racontent", déclare l'artiste.

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May 9, 2021 2:38 PM
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Adèle Haenel plongée dans la nuit d’«Etang»

Adèle Haenel plongée dans la nuit d’«Etang» | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Ève Beauvallet dans Libération - 7 mai 2021

Légende photo : Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez dans «l'Etang» de Gisèle Vienne, au théâtre Vidy-Lausanne. (Estelle Hanania)

 

Attendu de longue date, le spectacle de Gisèle Vienne avec la comédienne et Ruth Vega Fernandez pousse le spectateur à s’aventurer dans un royaume d’ambiguïtés, à questionner ses perceptions et à se confronter au tabou de l’inceste.

 
 
 

Au fin fond du rêve dans le rêve, au sous-sol du subconscient, là où trois secondes durent trente ans, il y a une grande pièce avec une armoire noire à double fond. Derrière la porte de l’armoire, une petite boîte secrète attend d’être ouverte. Nous voilà dedans. La blancheur et le vide, ici, projettent une lumière illimitée et aveuglante. Les molécules d’air n’ont pas leur pesanteur habituelle. Le son est déréglé, certains mots créent une réverb de dingue. Les gens parlent à vitesse normale mais leur corps semble bouger dans une matière épaisse comme des sables mouvants. Ce «white cube» est magnifique et effrayant, il contient une maquette échelle réelle de chambre d’adolescent. On doit être quelque part dans les années 90, puisque Adèle Haenel, dans la boîte, porte un survêtement Sergio Tacchini, un sweat Fila et écoute de la techno hardcore style gabber néerlandais. Elle a l’air complètement défoncée. Et le spectateur aussi puisqu’il a probablement atterri dans son cerveau en pleine activité, une boîte à fantasmes qui pue le shit et l’éther, et qui tente de se remémorer un épisode clé. La serrure est dure à trouver : dans quelle strate du passé a t-on bien pu tomber ? L’histoire qu’on nous raconte dans la boîte blanche, une histoire d’inceste, probablement, c’est un fantasme, une fiction, un rêve ou la réalité ? Fritz /Adèle, l’adolescent, est-il un enfant violé ? Ou est-il un menteur ? Regardez-le, ce taré, il jouit quand il pense à sa sœur. Et puis il a fait semblant de se suicider pour tester le degré d’amour de sa mère. C’est bien la mère, au fait, cette bombe incendiaire, cette brune hollywoodienne, l’actrice Ruth Vega Fernandez, qui circule lentement autour de Fritz comme un satellite ? A moins que ce ne soit la sœur, ou même… Adèle Haenel regarde la créature de cinéma avancer lentement vers elle, la reconnaît enfin, effrayée : «Mais, c’est le père qui parle, là ?!»

 
 

Dans l’Etang, pièce sans doute la plus attendue de la saison passée, et empêchée par les circonstances qu’on sait, les fantômes adorent se déguiser. A moins que ce ne soit plutôt la psyché collective, celle de toute une société, qui s’obstine à leur coller des masques pour mieux les dissimuler. Notre propension à camoufler la merde, et les conditions réunies pour qu’elle surgisse enfin, sont précisément le sujet de ce spectacle chatoyant comme un bonbon Haribo et violent comme un shoot. Elles lui inspirent surtout sa forme très ludique, dans laquelle les sons, les couleurs, la vitesse des mouvements et la trajectoire des mots disjonctent pour mimer les mécanismes de la perception. Le court-circuit produit une œuvre parmi les plus intenses et parfaitement sophistiquées de sa créatrice, Gisèle Vienne, cette metteure en scène, chorégraphe, marionnettiste étrange – à laquelle le Festival d’automne, à Paris, consacrera un grand portrait dès septembre – qui veille depuis des années sur un royaume fantastique un peu délaissé, celui de l’ambiguïté et des zones grises, des perversions et des désirs inconvenants.

 

Iconographie Hammer

Au cinéma, ce royaume a un prince glaçant, Michael Haneke. Le froid polaire de sa caméra n’a rien du baroque horrifique de Gisèle Vienne, mais il ne posait pas des questions si éloignées de l’Etang dans Caché (2005), film qui traitait d’un tabou national – non pas l’inceste mais le massacre d’Algériens en France en 1961 – et qui lui aussi, comme son titre l’indiquait, parlait surtout du regard. Sur le mode du jeu du chat et de la souris entre auteur, acteurs, spectateurs, voyeurs, c’était un dispositif de dissimulation et de révélation qu’on nous présentait. Il y a un autre référent que Gisèle Vienne semble ici révérer, et il est signé par un autre seigneur du royaume, côté théâtre cette fois, Romeo Castellucci. Ceux qui eurent la chance de voir le traumatisant et sublimissime Purgatorio (2008), repenseront sûrement à ce qui reste pour nous comme le plus grand chef-d’œuvre sur l’inceste (malheureusement jamais cité ces derniers mois sur le sujet). Le metteur en scène italien y posait la question du pardon – «L’insupportable, c’est que la victime puisse pardonner au bourreau», écrivait-il. Il jouait surtout sur la dissociation entre l’action visible sur scène dans le petit kammerspiel et celle, terrifiante, qui était dissimulée en hors-champ.

 

 

Avec l’Etang, Gisèle Vienne s’assoit donc dans ce voisinage, en déposant sur la couronne ses réminiscences de cinéma bis et d’iconographie Hammer. Dans la pièce, Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez suivent une partition très technique. Elles incarnent, jouent, métamorphosent ou fantasment plusieurs voix d’une même famille – ce qui leur a demandé de bosser la ventriloquie, cet art de la dissociation savante que la metteure en scène a souvent mis au service de petits contes détraqués comme Jerk, son «tube» traumatisant écrit avec l’écrivain Denis Cooper. Elles ressemblent à la fois à des personnages hyperréalistes – le phrasé de l’ado est tout à fait contemporain – et à des figures abstraites, marchant dans un ralenti extrême. Sur le plateau blanc comme un cauchemar, les deux comédiennes nous poussent à regarder sous les masques, mais elles nous invitent aussi à aller voir sous le texte. Car l’Etang est adapté d’une œuvre de fiction méconnue de Robert Walser. Mais la pièce l’articule en fait à deux sous-textes, produits à près d’un siècle d’écart.

Poupées gigognes au carré

Le premier, c’est la destinée intrigante du texte dramatique l’Etang, probablement écrit en 1902, qui n’avait pas vocation à être publié et encore moins mis en scène. C’est une œuvre privée, en forme de pièce de théâtre, que l’écrivain suisse Robert Walser a écrite pour sa sœur Fanny, auprès de qui il aurait toujours joué le rôle de conteur. Elle n’a révélé l’Etang que bien après sa mort. «Cette pièce de théâtre, qui n’en est peut-être pas une, explique Gisèle Vienne en note de présentation, m’apparaît comme la nécessité d’une parole trop difficile à exprimer sous une autre forme.» Certains s’étonnaient aussi qu’elle fut le seul texte que Robert Walser ait écrit en dialecte suisse-allemand. Un texte crypté, dit-on, dans lequel il est question d’un fils, Franz, qui simule un suicide pour conquérir sa mère, et que les commentateurs de l’œuvre de Walser ont vu comme l’évocation du tabou de l’inceste. La «vraie» mère, elle, dépressive, meurt alors que l’écrivain n’a que 16 ans.

 

Le second sous-texte est celui des coulisses du spectacle. Gisèle Vienne a commencé à travailler sur l’Etang en 2016, avec la comédienne Kerstin Daley Baradel. Deux ans plus tard, Adèle Haenel rejoint le projet – une «rencontre artistique extrêmement importante pour l’une et pour l’autre, et le début d’une longue collaboration, on l’espère», précise Gisèle Vienne. En juillet 2019, la «chère amie et collaboratrice» Kerstin mourait prématurément. Encore quelques mois et Adèle Haenel, à la faveur d’un témoignage mondialement relayé, décidait d’ouvrir grand une petite boîte longtemps maintenue fermée, dénonçant dans Mediapart les agressions sexuelles qu’elle aurait subies du réalisateur de son premier tournage, et appelait à mettre à plat la fabrique du pouvoir et les mécanismes du patriarcat. Puis, fin 2020, alors que l’Etang n’en finissait pas d’être reporté, une autre sœur dévoilait au public un secret dont un frère n’avait pu se libérer. Camille Kouchner publiait la Familia Grande et obligeait toute une société à chercher au fond de l’armoire quel démon la dévorait. La pièce, elle, fut finalement donnée pour la première fois en public la semaine passée dans le fief du producteur Vincent Baudriller (le Théâtre Vidy-Lausanne), celui qui révéla au grand public Romeo Castellucci et Gisèle Vienne lorsqu’il codirigeait le Festival d’Avignon. Et c’est ainsi qu’une clé lancée au début du XXe siècle semblait enfin trouver sa serrure en 2021. Comme si le spectacle de Gisèle Vienne avait attendu un inter-texte ou un contexte pour achever sa forme de poupées gigognes au carré. L’une d’elles semblait nous interpeller, à l’heure où les salles françaises s’apprêtent à rouvrir : au fait, quel genre de spectacles nous a ou ne nous a pas manqué ? Quel genre de théâtre nous pousse à mieux regarder ?

L’Etang, de Gisèle Vienne, d’après Robert Walser, les 15 et 16 juin à Douai, du 23 au 25 juin à Grenoble, les 5 et 6 juillet à Reims, les 8 et 9 juillet à Nancy, du 8 au 18 septembre à Paris dans le cadre du Festival d’automne (puis en tournée).
 
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May 6, 2021 6:37 AM
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« Nous avons plus que jamais besoin de théâtre… »

« Nous avons plus que jamais besoin de théâtre… » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Baudouin Eschapasse dans Le Point - 6 mai 2021

ENTRETIEN. Un festival de théâtre d’un nouveau genre se tiendra les 6 et 7 mai à Bordeaux. Catherine Marnas évoque sa genèse et sa programmation.

 
Catherine Marnas entend « transformer son théâtre en une ruche bourdonnante d'artistes en répétition... » © Frédéric Desmesure

 

 

Ce sera un festival en petit comité… comme une répétition générale avant la grande reprise du 19 mai prochain. « Focus », la manifestation dédiée à la création contemporaine qui se tient cette semaine au théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TnBA) n'en devrait pas moins permettre aux jeunes troupes invitées de montrer enfin leur travail au public. À l'origine de ce nouveau festival, Catherine Marnas, directrice de ce centre dramatique national, en explique le principe.

 

Le Point : Le festival Focus, dont vous organisez la première édition les 6 et 7 mai prochains à Bordeaux, intervient juste avant la réouverture des salles de spectacle. Allez-vous pouvoir accueillir du public avant les autres théâtres ?

 

Catherine Marnas : Non. Nous ne pourrons malheureusement pas ouvrir nos portes au grand public. Cette édition sera réservée à un auditoire restreint de professionnels : programmateurs et directeurs de salle. Si l'une des propositions sera montrée en extérieur, ce ne sera que dans le cadre d'un protocole sanitaire très strict. Mais nous avons bon espoir que les spectacles qui seront montrés au TnBA pourront tourner dans l'Hexagone la saison prochaine. Comme tous les théâtres de France, nous attendons le 19 mai avec impatience…

 

Comment avez-vous vécu la saison dernière ?

 

Nous n'avons pu jouer que 19 fois sur la saison 2020-2021, là où, d'habitude, nous proposons entre 170 à 180 représentations par an. Mais nous avons quand même beaucoup travaillé. C'est tout le paradoxe de la crise que nous traversons. Notre lieu avait beau ne pas accueillir de spectateurs, nous n'avons pas cessé de répéter dans les trois salles de notre centre dramatique national. Si j'osais une image, je dirais que nous avons réalisé un travail de Pénélope. Comme la femme d'Ulysse, nous détricotions le soir ce que nous avions tissé pendant la journée. Certains de nos spectacles ont été repoussés quatre fois ! Cela veut dire que nous devions être prêts à la date dite, mais que les circonstances nous ont, chaque fois, contraints à retarder le moment où nous pourrions montrer le résultat de notre travail. Alors, nous reprenions les répétitions…

 

À LIRE AUSSI Scène – L'art de se réinventer

 

Le festival que vous créez cette année est-il une réponse à la crise que nous traversons ?

 

Je l'ai imaginé avant la pandémie. Son objectif est de mettre en avant la création contemporaine. Je suis engagée de longue date dans ce projet qui vise à aider une nouvelle génération d'hommes et de femmes de théâtre à émerger. Je suis entourée de beaucoup de jeunes compagnies. Je dirige l'École supérieure de théâtre de Bordeaux Aquitaine (Estba), d'où sortent, tous les trois ans, quatorze diplômés. Si j'aime l'idée qu'ils se frottent à la vraie vie en sortant de chez nous, je souhaite néanmoins leur offrir la possibilité de montrer ce qu'ils font ici. Nous avons en Aquitaine de nombreux créateurs de talent, nous avons conduit avec eux de nombreux entretiens par vidéo pendant le premier confinement. Et tous nous ont dit la même chose : les conditions de production et de distribution sont de plus en plus difficiles.

Pourquoi ?

Les temporalités sont cruelles. Il faut deux ans en moyenne pour mettre sur pied un projet, pour réunir une coproduction, répéter et trouver des dates. Or, le monde change à une telle vitesse que ces jeunes ont envie de partager immédiatement leur travail. L'idée du festival Focus est de leur permettre de montrer une forme, même inaboutie, de ce qu'ils préparent. Un peu comme si un peintre organisait une journée « portes ouvertes », pour qu'on voie où il en est.

 

Vous allez montrer neuf spectacles, à différentes étapes de leur réalisation. Le premier d'entre eux fait penser à une chanson de Dominique A puisqu'il s'intitule Le Courage des oiseaux

Oui. C'est une lecture-performance de Baptiste Amann. Ce sera un geste en forme de « making-of » de la trilogie qu'il a écrite et qui sera programmée au Festival d'Avignon cet été. Cela va bientôt faire sept ans que Baptiste développe ce projet intitulé « Des territoires ». C'est une exploration géographique et générationnelle de la scène qui vise à répondre à une question : quelle histoire écrire lorsque'on est, comme ses personnages, héritiers d'un patrimoine sans prestige et représentants d'une génération que l'on décrit comme désenchantée ?… Les deux premiers spectacles ont été créés en 2015 et 2017. Baptiste ne présentera pas ici le troisième opus de ce projet, mais un spectacle où il racontera les sept années qu'il a passées sur les routes pour créer ces trois œuvres. Je ne sais pas encore très bien la forme que cela prendra. Je peux juste vous dire qu'il a demandé un piano sur scène et que je ne doute pas que cela sera très abouti.

 

Est aussi annoncée une lecture de Jérémy Barbier d'Hiver. De quoi s'agit-il ?

Ce sera un texte très personnel que Jérémy a écrit : le monologue d'un homme qui parle à la tombe d'un père qu'il n'a pas connu. Cette pièce dont le titre provisoire est Mine de rien est en quelque sorte une suite à la « carte blanche » que notre théâtre lui avait déjà proposée. Ce sera son premier spectacle personnel. Il en proposera une lecture au plateau…

 

Cet ancien élève de l'Estba est aujourd'hui membre du collectif « Les Rejetons de la reine » qui sera également programmé cette semaine.

 

Effectivement. Ce collectif, constitué outre de Jérémy, de Clémentine Couic, d'Alyssia Derly et de Julie Papin, s'est formé au cœur de l'Estba en 2019. Il présentera sa première création : Un poignard dans la poche. Un texte de Simon Delgrange qui sera d'ailleurs à l'affiche du TnBA en octobre 2021. L'histoire se développe autour d'un repas de famille. On y parle beaucoup de politique et cela dégénère très vite. C'est du théâtre contemporain de l'absurde que je situerais volontiers entre Roland Dubillard et Roger Vitrac.

 

Une table ronde, organisée le vendredi 7 mai, de 9h30 à midi, permettra aux « compagnons » du TnBA de partager avec le public la manière dont ils envisagent les « nouvelles relations entre équipes artistiques et lieux culturels ».© Pierre Planchenault

 

Quels seront les autres temps forts du festival ?

Julien Duval, fondateur du Syndicat d'initiative, proposera une forme courte, avec son acolyte Carlos Martins, autour d'une formule bien connue de Voltaire qui résonne étrangement par ces temps de Covid : « Il faut cultiver son jardin. » Une pièce qui est susceptible d'être jouée en appartement. Le collectif Os'o composé par des élèves de la première promotion de l'école (Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard, Roxane Brumachon et Tom Linton. Denis Lejeune étant « invité » pour l'occasion) mettra en scène un spectacle « jeune public » qui parlera d'ovnis et de science-fiction (Qui a cru Kenneth Arnold ?). Une pièce qui sera proposée, à la rentrée, dans les écoles du territoire. De son côté, Aurélie Van Den Daele adaptera La Chambre d'appel de Sidney Ali Mehelleb, un beau texte qui parle de mémoire. Enfin, Monique Garcia, cofondatrice du Glob Théâtre qu'elle dirige avec Anne Berger, jouera dans la rue une pièce étonnante (Fortune Cookie) à l'attention d'un seul spectateur à la fois. Pour ce faire, elle l'embarquera pour quelques minutes dans un tuk-tuk pour une parenthèse enchantée où il sera question de divination et de magie.

 

Les deux dernières propositions du festival présentent la particularité d'être très biographiques…

Yacine Sif El Islam et son compagnon, Benjamin Yousfi, raconteront l'agression homophobe dont ils ont été victimes en septembre 2020 et qui les a conduits à l'hôpital. En jetant ce choc sur le papier, en partageant les comptes rendus médicaux et l'avancée de l'enquête de police, Yacine met à distance ce traumatisme et signe un spectacle touchant (Sola Gratia) qui met en perspective cet événement avec des moments de son enfance.

 

Reste votre propre pièce qui raconte le destin d'un hermaphrodite du XIXe siècle, Herculine Barbin. Pourquoi avoir choisi d'adapter sur scène le destin de cette femme, devenue homme ?

J'étais partie pour adapter Le Rouge et le Noir, mais la pandémie m'a poussée à reporter ce projet. En racontant la vie d'Herculine, née femme en 1838, puis « réassignée » homme en 1860, sous le nom d'Abel, après examen médical, j'ai l'impression de traiter d'un sujet brûlant dans notre société. Lorsque je participe aux jurys qui doivent départager les 750 jeunes qui déposent un dossier pour intégrer notre école, je me rends compte que cette question de genre taraude cette génération. Je ne compte plus les candidats et candidates qui évoquent devant nous ce sujet lors des oraux. Or, c'est cela le théâtre pour moi : traiter dans l'urgence d'une question, à chaud. Partager avec des spectateurs, le temps d'une cérémonie païenne, une expérience qui nous bouleverse.

 

Allez-vous modifier votre programmation pendant l'été ?

Bien sûr. Nous allons prolonger les spectacles tout au long de l'été. Et jouer dehors s'il le faut. Le square en face du théâtre nous le permet. Nous avons plus que jamais besoin de théâtre…

2021ENTRETIEN. Un festival de théâtre d’un nouveau genre se tiendra les 6 et 7 mai à Bordeaux. Catherine Marnas évoque sa genèse et sa programmation.

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April 19, 2021 5:20 PM
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"La culture n’est pas qu’une distraction", affirme Muriel Mayette-Holtz, directrice du TNN

"La culture n’est pas qu’une distraction", affirme Muriel Mayette-Holtz, directrice du TNN | Revue de presse théâtre | Scoop.it
PAR ALICE PATALACCI dans Nice Matin Mis à jour le 15/04/2021 à 23:26 Publié le 15/04/2021 à 22:38

Muriel Mayette-Holtz est prête à ouvrir le Théâtre national de Nice pour le 15 mai. Eric Ottino

Arrivée en novembre 2019 à la direction du TNN, Muriel Mayette-Holtz doit faire face aux aléas de la crise sanitaire et, depuis mi-mars, à l’occupation du théâtre. Interview.

Çela fait un mois que le théâtre national de Nice (TNN) est occupé, comme plus de 90 autres en France. Une mobilisation que la directrice du théâtre, Muriel Mayette-Holtz, soutient, tout en préparant la saison estivale.

Pourquoi vous êtes-vous opposée à la première tentative d’occupation, le 12 mars ?

 
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Une occupation, ça s’organise. Nous avons donc pris le temps de l’organiser avec eux, sereinement, dès le lundi [le 15 mars, ndlr]. On essaie d’accompagner leurs besoins, tout en continuant à travailler. Il est important que cette occupation ne vienne pas perturber l’engagement des intermittents, de l’autre côté. Ce n’est pas ce qu’ils souhaitent, donc tout se passe bien.

Il y a donc toujours une activité au sein du théâtre ?

Le théâtre ne s’est jamais arrêté, et les gens ont beaucoup de mal à le comprendre. Un spectacle, ça prend des mois, avant d’arriver à maturité. Il y a une étude dramaturgique, une distribution, une construction, des répétitions… Tout ce travail, on ne l’a pas interrompu. Nous avons emmagasiné des spectacles qui n’attendent qu’une chose : le rendez-vous avec le public. On continue aussi à intervenir dans 26 lycées et collèges.

En ce moment, les acteurs de la troupe du TNN portent le projet Lettres à mon père, pour lequel les jeunes écrivent une lettre imaginaire à un père. On devait organiser un marathon des lettres, sous le kiosque de la Coulée verte, ce lundi, qui va être reporté. On a aussi accueilli beaucoup de compagnies régionales, pour leur faire profiter des locaux.

 

Il a aussi fallu reprendre la programmation...

On a reprogrammé, décalé des spectacles, on en a annulé d’autres, procédé à des remboursements… Pour refaire un programme la saison prochaine. Ce travail de l’ombre n’a jamais cessé.

 

Les administratifs et les artistes sont donc mobilisés ?

Dans tous les centres dramatiques nationaux, il y a une partie administrative et une partie technique. C’est rare qu’il y ait des troupes, mais je l’ai imposé, et ça nous a notamment permis d’être plus mobiles. En période Covid, on a pu faire de vraies propositions vidéos, que l’on peut voir sur notre site et notre page Youtube.

On a, à l’année, six comédiens, un pianiste-musicien, un metteur en scène-écrivain et moi. Sur certains projets, des artistes et techniciens peuvent se greffer. Entre mars et juin, j’avais envisagé 10 000 heures d’intermittents, pour compléter les acteurs qui sont ici. Ça permet aussi de donner des heures aux intermittents. C’est un des grands sujets de cette crise : que font les artistes et comment peuvent-ils vivre sans travailler ?

 

Des rendez-vous, cet été ?

L’an dernier, on a inventé les Contes d’apéro, un peu en urgence. Du fait de leur succès, on les reprendra cette année, du 1er juillet au 15 août. Tous les soirs, à 19 heures, il y aura un spectacle gratuit au kiosque. Je vais aussi monter L’école des mères, de Marivaux. On donnera quatre représentations au château, à partir du 19 août. Le maire a offert ces représentations aux vallées sinistrées. On partira donc en tournée fin août. On finira à Aspremont, Villefranche-sur-Mer et Beaulieu-sur-Mer.

 

Vous seriez prête à rouvrir le théâtre, si c’était possible ?

Quand on démarre dans une ville où on ne vous connaît pas, une première saison compte. Moi, je n’ai pas pu la dérouler. Si on peut rouvrir à partir du 15 mai, on est prêts. En plus des Contes d’apéro, on a rebasculé une programmation ambitieuse des spectacles qu’on n’a pas pu donner pendant cette saison, en juin-juillet. Et le maire nous a dit que, quoi qu’il arrive, on ouvrira le 15 septembre.

 

Fermer les théâtres n’était pas forcément une bonne idée ?

C’est normal d’être vigilant sur la sécurité sanitaire. Mais je trouve absolument incompréhensible que nos théâtres restent fermés, alors que nous sommes à même d’accueillir du public, et de le gérer. Mon métier, avant de faire de la programmation, c’est de recevoir. C’est ce qu’on a fait dans les rares périodes où on a été ouverts, sans déplorer le moindre cluster. Pourtant, nous allons dans les écoles, faire des spectacles sous des préaux ou dans des gymnases, avec une sécurité plus difficile à faire respecter que dans nos salles.

Il me semble qu’il aurait été bon de proposer une date où nous rouvrions tous les théâtres de France, dans les respects des règles. Rester fermés n’est, à mon avis, pas une bonne solution.

 

La culture semble peu abordée, dans les allocutions gouvernementales...

Je suis inquiète de ne pas assez entendre l’importance de la culture. On a l’impression que ce serait un plus. Or, c’est l’école de la vie. Il n’y a pas plus ancestral que ce rendez-vous d’êtres humains devant d’autres, pour raconter le monde. Sur un plateau, on peut tout dire, aborder tous les sujets, avec cette distance du faux, qui nous permet de magnifier les sujets et d’oser les regarder. Rien ne peut remplacer ça. C’est le début de la liberté.

 

Surtout en période de crise ?

C’est fondamental, car on est menacé par le repli sur soi-même. Il faut que l’on soit pédagogique, pour expliquer l’importance de la culture. Surtout quand on voit à quel point nos vies peuvent se renfermer. On se lève, on mange, on travaille, on mange, on dort… Et ça recommence. L’émotion, la beauté, l’ouverture, le partage manquent.

Le théâtre, c’est tout ça. C’est un rendez-vous quotidien nécessaire, et pas seulement une distraction.

Soutien "modéré" pour les occupants
 

Si Muriel Mayette Holtz dit soutenir les occupants du TNN, eux, sourient à l’évocation de cette idée. "Il y a des théâtres où le directeur a dormi avec les occupants, dans un sac de couchage. Ça, c’est du soutien !", pose Jean-Louis Ruf, membre du bureau régional du Syndicat français des artistes-interprètes (SFA-CGT).

Les occupants évoquent aussi des problèmes pour franchir les grilles et sortir du parvis du TNN, le week-end. "Pour se doucher, on doit prévenir le vigile, sortir, aller à l’entrée des artistes et monter à l’étage. Sans parler du robinet mis à disposition pour faire la vaisselle, d’où coule un faible jet ", ajoutent-ils.

Muriel Mayette-Holtz est prête à ouvrir le Théâtre national de Nice pour le 15 mai. Eric Ottino
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April 8, 2021 7:10 PM
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Buster Keaton, conception et mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier

Buster Keaton, conception et mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe du Vignal dans Théâtre du blog - 8 avril 2021

 

Buster Keaton  conception et mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier, textes d’Agnès Desarthe, Leslie Kaplan, Federico Garcia Lorca, Florence Seyvos, Yoann Thommerel, Tanguy Viel et Steven Wallace

 

Les metteurs en scène avaient obtenu M comme Méliès le Molière de la meilleure création Jeune Public il y a deux ans. Ils réitèrent avec ce Buster Keaton où ils veulent nous faire découvrir l’univers de cet immense artiste du cinéma muet d’il y a un siècle. Il fut à la fois acteur et aussi scénariste pour ses nombreux courts, moyens et longs-métrages et pour ceux d’autres réalisateurs comme Samuel Beckett. Merveilleux athlète-acrobate virtuose d’abord rompu encore très jeune enfant à la scène de cabaret par des parents qui se servaient de lui pour des cascades. “ J’ai appris à tomber quand j’étais petit. J’ai aussi appris quelques trucs acrobatiques comme le saut périlleux arrière et d’autres trucs simples.(…) Ce que je sais, c’est contrôler mes muscles. Quand vous vous trouvez en train de voler dans les airs, votre tête est votre gouvernail, c’est elle qui indique la direction que vous allez prendre. »

 

 

Ce merveilleux clown triste et burlesque à la fois, en costume trois-pièces gris, aux chaussures vernies et canotier vissé sur le tête ne sourit jamais. Maladroit souvent empêtré dans le temps et l’espace d’une machinerie industrielle contemporain, il a un rapport difficile avec les objets et a le plus grand mal à maîtriser un environnement hostile, que ce soit celui de la Nature ou celui de la mécanique industrielle imaginée par ses contemporains. Mais impassible et toujours solitaire, il arrive pourtant à faire face à des situations absurdes et/ou des catastrophes. Malgré une succession d’échecs, il réussit à s’adapter tant bien que mal à un monde violent qui le rejette. Grâce à son imagination, à sa persévérance et à un corps d’une résistance exceptionnelle.Un fondamental chez lui comme chez d’autres comiques: la course-poursuite où Buster Keaton se révèle magistral…

 

La réalisation sur une scène de théâtre d’un film muet avait aussi été le thème de M comme Méliès et des Naufragés du Fol-Espoir, mise en scène d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil (2010) et de nombreux spectacles où on montre le déplacement de la caméra et la réalisation d’effets et de gags. Spectacle ou pseudo-tournage d’un film ? Les deux avec le plaisir de voir le travail de dizaines de collaborateurs sur un plateau et la naissance d’une vraie scène de film…

 

Ici, de nombreux éléments de décor -ce qui devient rare par les temps qui courent, comme une petite scène dans le fond, des façades de gratte-ciels de New York remarquablement dessinés et peints par Catherine Rankl. Et un travail d’interprétation au cordeau par Louis Benmokhtar, Pierre Bidard, Samy Caffonnette, Michèle Colson et May Hilaire, issus du Jeune Théâtre National Mais aussi une direction d’acteurs scrupuleuse, des perruques et masques remarquables signés Cécile Kretschmar. Bref, il y a tout pour que ce soit dans l’axe mais ce travail honnête et soigné avec de belles images est un peu sec et ne fonctionne pas bien. D’abord à cause d’une dramaturgie approximative et d’un manque de rythme évident: on a du mal à comprendre ce qu’ont voulu nous raconter Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier. Réaliser une mise en abyme  d’une scène comique de film muet sur un plateau de théâtre est assez casse-gueule, alors que nous avons tous en mémoire de magnifiques  moments de théâtre… au cinéma. Les concepteurs de ce Buster Keaton ont-ils voulu rendre un hommage au grand acteur et réalisateur avec de courtes scènes  de tournage d’un film, avec aussi de temps à autre, des projections de films de Fatty Arbuckle, Buster Keaton, Bob Fosse, Friedrich Murneau, Sergueï Eisenstein, Jean Epstein… Fritz Lang.

 

Il y a ainsi le wagon de tête avec les acteurs debout de métro aérien sur la scène, alors que défile sur l’écran, une vue panoramique prise dans la cabine du conducteur d’un métro filant entre les buildings dans New York (dont parle avec terreur Charles Bukowski quand il avait été embauché sans protection pour réparer des traverses à quelque quinze mètres de hauteur… Cela pourrait être réussi, si on avait monté cette tête de wagon sur un pivot pour donner l’illusion qu’il suive les sinuosités des rails.
Et les meilleurs moments sont paradoxalement ces extraits de films mythiques projetés où on voit notamment ce grand comique résistant à une violente tempête ou en équilibre sur une échelle posée elle-même en équilibre sur un mur. Comme cette très belle scène finale où les jeunes acteurs, tous costumés en Buster Keaton, réussissent à être tous les  cinq debout sur une planche. Mais c’est bien tout et à l’impossible, nul n’est tenu… Réalisé avec des moyens corrects mais fondé sur un pari impossible, ce spectacle honnête mais sans véritable unité nous a paru bien longuet et pas vraiment drôle. Même s’il était joué devant une centaine de spectateurs (dont des enfants) soit un public limité mais un vrai public… plaisir rarissime en ces temps de pandémie!

Philippe du Vignal

 

Représentation pour les professionnels vue le 27 mars, au Montfort Théâtre, 106 rue Brancion, Paris (XVème)

Sous réserves:

Du 18 au 21 mai, Théâtre National de Bretagne, Rennes.

Les 2 et 3 juin, Grand Théâtre de Lorient.

Les 8, 9 et 10 juin, Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie (Calvados)

 

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January 26, 2021 2:01 PM
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Jean-René Lemoine: lettre à la mère morte  -  Critique de "Face à la mère", mise en scène Alexandra Tobelaim

Jean-René Lemoine: lettre à la mère morte  -  Critique de "Face à la mère", mise en scène Alexandra Tobelaim | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 25/01/21

 

Chronique des créations en voie de disparition (4). Alexandra Tobelaim, nouvelle directrice du Centre dramatique national de Thionville, met en scène avec tact la très belle pièce de Jean-René Lemoine, « Face à la mère ».

 

 

« il aura fallu trois années de parenthèse, trois années de coma profond, pour pouvoir vous donner rendez-vous dans ce lieu ombragé, devant l’assemblée silencieuse ». C’est la fin du court prologue de Face à la mer, la troisième pièce de Jean-René Lemoine publiée en 2006. Et c’est cette année là que l’auteur la joua, seul, à la MC93. « L’assemblée silencieuse », c’est nous, les spectateurs. Le « rendez-vous », c’est celui de l’auteur, du fils, avec ce « vous » qui est sa mère morte. Cadre et adresse étant posés, la pièce peut commencer.

 

Dès le début, on apprend le décès de la mère (le fils vient pour les funérailles), plus tard, au détour d’une phrase, cette précision : « assassinée », dans sa maison « saccagée ». Chez elle, là-bas, dans l’île lointaine jamais nommée (Haïti), qu’elle avait quittée il y a longtemps avec ses deux enfants et où elle avait fini par revenir après avoir vécu en Afrique et en Belgique.

 

C’est une pièce à la première personne, sans noms, sans locuteur désigné. Un monologue, intérieur, si l’on veut, ou l'encre de chaque mot est ancrée dans les larmes à jamais inassouvies (« Après le funérailles, je me réveillais chaque jour en sanglots »).

Trois ans après, maintenant que les larmes sont taries, leur ressouvenance ensorcelle le chant des mots d’un baume de beauté âpre, dépouillé du moindre artifice. Se disant « happée par le sujet, la rondeur des mots et leur simplicité », Alexandra Tobelaim revenait sans cesse à cette pièce avant de se décider enfin à la mettre en scène. Il n’y a pas lieu de le regretter, au contraire.

« J’ai volontairement omis de donner un nom à celui qui parle, car il y a deux (ou plusieurs?) voix qui se répondent, se contredisent, s’écoutent, se mêlent, au fil du monologue » précise dans une note Jean-René Lemoine. C’est ainsi que la pièce nous revient chez Tobelaim : sous une forme chorale.

 

Trois acteurs (Stéphane Brouleaux, Geoffrey Mandon et Olivier Veillon) se partagent les mots, trois musiciens (Astérion, contrebasse, Yoann Buffeteau, batterie, et Lionel Laquerrière, guitare et voix) les accompagnent dans un jeu de prolongements et de contrepoints musicaux permanents signés Olivier Mellano.

Traversant plus d’une fois le texte, on observe un jeu de reprises qui appelle, induit cette choralité. Citons, un seul exemple : après les funérailles, le narrateur et sa sœur vont dans la maison de la mère. « Nous avons ouvert toutes les portes- persiennes et la lumière a envahi le salon » écrit Jean-René Lemoine. Le paragraphe suivant commence en reprenant cette même phrase.

 

Comme un passage de relais, de témoin, comme si un épuisement était suivi d’une remise en route. Par ailleurs,

la narration passe très vite du discours indirect à l’adresse faite à la mère morte « Nous l’avions quitté ensemble, ce pays, moi hurlant dans vos bras, je n’avais que deux ans ». Un pays meurtri et corrompu où l’enfant, devenu adulte et ayant grandi ailleurs, pensait ne jamais revenir. Quand sa mère était retournée dans l’île, il était venu la voir, puis dix ans s’étaient écoulés avant qu’il ne revienne. Cette fois-là, il ne la reconnaît pas Les temps se mêlent tout le temps , jusqu’à celui du présent de l’écriture : « oui, il faut écrire ce livre/ Gratter la mémoire jusqu’à l’os ».

 

Alors Jean-René Lemoine gratte. Il laisse « remonter les souvenirs et inventer ce qu’on ne sait pas ». Ce n’est pas une pièce documentaire qui s’en tient aux faits, ce n’est pas une autofiction ni une confession, c’est une célébration, un poème dramatique et une offrande faite à cette mère aimée et rejetée, disparue brutalement sans adieux.

 

A force de ranimer cet être disparu et de lui parler, la mère redevient présente. Elle accompagne l’écriture qui panse les manques et les regrets. Elle aide le fils à retrouver son souffle, sa respiration. Elle est celle qui se penche et, par dessus son épaule observe sans rien dire ce que le fils écrit. Lui attend qu’elle pose sa mains sur yeux, pour mieux voir. C’est l ‘Afrique, Kinshasa où le père est en poste, il part seul pour un autre poste à Kaboul puis Islamabad. La mère et les deux enfants s’installeront plus tard en Belgique. C’est l’âge où le narrateur adolescent, commence à dire non à tout, à son père revenu donc mais d’abord à sa mère avec laquelle il n’a cessé de vivre, il ne supporte pas ses lectures et ne partage pas ses goûts . Et plus encore « je ne supportais plus que vous m’embrassiez, que vous me touchiez » lui qui, plus petit, allait se réchauffer dans le lit de sa mère. La mort est source de remords. « Pourquoi ne m’avez vous pas parlé ? demande-il, et,plus loin : »Pourquoi est-ce que je ne vous ai pas parlé ? »,C’est le moment de combler les événements manquants, de combler les pointillés en réinventant le crime et de laisser la mère morte écrire une lettre à son fils où elle lui demande de « la laisser partir ».

Ainsi va cette pièce où chaque page ou presque donne le frisson. Non celui de l’effroi, quoique, mais d’abord celui l’amour. La mort et la beauté ici sont sœurs. L’auteur ayant épuisé « la cargaison de mots », vient l’heure du pardon pour lui comme pour elle . La mère peut doucement disparaître.

 

Chaque acteur donne une couleur à la voix du narrateur, l’un est souvent dans l’émotion contenue, le second plus rêveur est comme en retrait, le troisième s’avère offensif et cinglant mais tout peut se renverser : les trois acteurs forment une mosaïque. La musique interprétée par les trois musiciens est comme ici le miroir, là arrière-cour des propos, une digue dressée sur le front de mer pour contenir et envelopper les vagues de larmes.

 

 

Spectacle vu en janvier au Théâtre de la tempête devant un public confiné de professionnels et de journalistes. Le spectacle devait y être donné du 14 jan au 14 fév, puis le 19 fév aux Bords deux scènes de Vitry le François, les 24 et 25 fév à Saint Denis de la Réunion. Toutes ces représentations sont annulées.

La pièce est publiée aux Solitaires intempestifs, 64p, 10€

 

 

Légende photo : Scène de "Face à la mère" © Gabrielle Voinet
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December 14, 2020 11:45 AM
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Agnès Jaoui: «La culture vit des moments tragiques»

Agnès Jaoui: «La culture vit des moments tragiques» | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Léna Lutaud dans Le Figaro 13/12/2020

 

Ce lundi, l’actrice dévoile au studio 104 de Radio France sa première comédie musicale, On va se quitter pour aujourd’hui. L’occasion de revenir sur cette année si particulière et sur le féminisme.

 

 

 

Des notes de jazz s’échappent du studio 109 de la Maison de la radio à Paris où Agnès Jaoui répète sa première comédie musicale. Deux sœurs, Constance et Vera, jaillissent de l’arrière d’un paravent. La scène se passe dans un bar. L’une fait semblant d’attraper une coupe de champagne. «C’est fou le monde qu’il y a», lâche-t-elle. Sous la houlette du directeur musical Alexis Pivot, le trio piano contrebasse et claviers accélère le tempo. Près du pianiste, un certain Boris s’avance et se met à chanter : «Elle me regarde pour la première fois.»

 

Assise bien en face de ses comédiens, Agnès Jaoui, dûment masquée, se lève : «On la refait.» Avec beaucoup de bienveillance, elle conseille d’ajouter un geste à tel moment, d’exagérer un regard surpris à un autre. Des petits riens mais qui tirent indéniablement la troupe vers le haut. Avec On va se quitter pour aujourd’hui, Agnès Jaoui et Alexis Pivot ont créé un petit bijou. Une élégante comédie musicale à la française sans esbroufe. Drôle, poétique, bien écrite, bien jouée et chantée. Une création dans la lignée de 31, de Virginie Lemoine, succès de la saison 2016-2017 et d’Une femme se déplace, de David Lescot, couvert d’éloges par la critique en 2020.

 

Trois des quatre comédiens-chanteurs viennent du jazz. Connue pour son Scarlet Swing Band, Clara Brajtman est la coordinatrice artistique du Cabaret de poussière, à Paris. Pablo Campos est l’un des meilleurs chanteurs et pianistes de la jeune scène de jazz. Élise Caron, récompensée par une Victoire du jazz en 2010, a doublé Virginie Ledoyen dans Jeanne et le garçon formidable. Repérée par Bob Wilson, Emma Liégeois, la plus jeune, s’est spécialisée dans le théâtre musical. Ce quatuor a eu très peu de temps pour être prêt. La première et unique représentation de cette comédie musicale aura lieu ce lundi 14 décembre en direct du studio 104 de la Maison de la radio. Dans cette grande salle de 900 fauteuils, il n’y aura pas de public à cause des règles sanitaires. Les spectateurs regarderont la retransmission de chez eux, sur le Facebook et la chaîne YouTube de France Musique.

2 heures 30 de bonheur

Ce 14 décembre, c’est le grand rendez-vous annuel de la comédie musicale organisé par Laurent Valière*, producteur et animateur de l’émission «42e Rue» sur France Musique. Soit 2 heures 30 de bonheur pour les amateurs du genre. Sur scène, se succéderont dix-sept troupes, dont beaucoup auraient dû dévoiler leurs créations le 16 décembre. Finalement, les théâtres ne rouvriront pas. Le rideau se lèvera sur tous ces spectacles quand la situation sanitaire le permettra. Ce lundi soir, chacun présentera un extrait de sa comédie musicale, accompagné par le grand orchestre de «42e Rue», sous la direction de Thierry Boulanger et Patrice Peyrieras.

On découvrira, entre autres, Les Producteurs, d’Alexis Michalik,   Joséphine B, de Xavier Durringer, Chantons sous la pluie, d’Ars Lyrica, The Black Legends, de Valéry Rodriguez, Mars-2037, de Pierre Guillois, Charlie et la chocolaterie, de Philippe Hersen, The Music Man, par Meredith Willson. «Je suis tellement heureux de montrer la créativité de tous ces artistes, confie Laurent Valière. Avec un grand orchestre en fosse, du monde sur scène qui chante et qui danse, la comédie musicale est à l’arrêt depuis neuf mois. C’est un genre compliqué à monter en période de pandémie.»

 

La comédie musicale est un genre qui me plaît beaucoup. Il réunit tout ce que j’aime, le théâtre et la musique. Quand c’est réussi, c’est une joie contagieuse

Agnès Jaoui

À son programme s’ajoute «une création produite en interne que j’ai confiée cette année à Agnès Jaoui, poursuit-il. Comme Michel Fau, Laurent Lafitte et bien des invités que je reçois dans mon émission, elle avait envie de monter une comédie musicale.» Les deux y pensaient depuis deux ans, mais Agnès Jaoui avait trop d’engagements. Le confinement en mars, avec l’arrêt net de ses tournages et de ses concerts, lui a permis d’accepter. «C’est un genre qui me plaît beaucoup. Il réunit tout ce que j’aime, le théâtre et la musique. Quand c’est réussi, c’est une joie contagieuse, explique-t-elle en se rappelant avec nostalgie les cours au Théâtre des Amandiers de Patrice Chéreau. Nous étions tous partis à Broadway, c’était dément.»

Points de vue

Elle qui sait si bien écrire, jouer et chanter aurait-elle pu se lancer plus tôt? «C’est un genre peu aimé en France. Les auteurs ont peu d’occasions pour en écrire. Face au public et au théâtre, c’est un risque, car cela coûte un peu cher, regrette-t-elle. Le cloisonnement entre acteurs et chanteurs, qui n’existe pas dans les pays anglo-saxons, est un souci. Il y a soixante ans, à l’époque de Bourvil et de Gabin, ce n’était pas comme ça. Chanter et jouer, c’est pourtant le même métier. À Londres, dans le West End, j’ai vu Judi Dench dans Little Night Music. Elle ne chante pas parfaitement certes, mais c’était fabuleux. Elle faisait passer plein d’émotions.»

On a besoin de culture. Ce n’est pas essentiel, c’est vital. Les gens ont besoin d’autre chose que de regarder des plateformes. C’est aussi une économie importante en France qu’on est en train de tuer

Agnès Jaoui

Pour écrire et composer les chansons d’On va se quitter pour aujourd’hui, elle est partie à la campagne pendant le premier confinement avec Alexis Pivot. Son livret repose sur des malentendus, des différences de points de vue. Une psychothérapeute se rend compte que l’homme dont lui parle une patiente est peut-être son mari. Évidemment, elle reconsidère sa vie. «L’idée du jazz, c’est le choix d’Alexis Pivot qui est un jazzman brillant, raconte Agnès Jaoui. Je l’ai rencontré sur le film La Maison de Nina, il y a quinze ans et nous sommes restés amis. Je suis souvent allée l’écouter en concert. Enfin, j’ai adoré son travail sur le théâtre immersif Close

 

 

Écrire, puis avoir l’occasion de faire ces répétitions, lui a fait beaucoup de bien. «Cela montre que même sans public présent physiquement, c’est possible, souligne Agnès Jaoui. Ce qui se passe pour la culture est tragique. Je n’avais jamais été traitée de “non essentielle” et en plus, ce n’est pas vrai. Là, je suis tout le temps masquée, je fais très attention. On a besoin de culture, martèle-t-elle en soupirant. Ce n’est pas essentiel, c’est vital. Les gens ont besoin d’autre chose que de regarder des plateformes. C’est aussi une économie importante en France qu’on est en train de tuer. Apprendre que les théâtres, musées, cinémas ne rouvriront pas avant janvier est le coup de trop.»

Étrange année

Depuis le premier confinement, elle a pu tourner «entre les gouttes» deux films. Compagnons, de François Favrat avec Pio Marmaï, et À l’ombre des filles d’Étienne Comar avec Alex Lutz. À cause de la pandémie, «je ne sais pas quand ils sortiront», soupire-t-elle. Cette année étrange ne l’a pas particulièrement inspirée pour écrire. «C’est trop tôt. C’est une expérience de vie complètement folle et riche de remise en cause. On a pu réfléchir sur notre rythme de vie, sur les relations humaines, de qui on avait besoin. Il y a eu plein de premières fois. C’était la première fois qu’une telle épidémie avait lieu en même temps dans le monde entier. La première fois qu’on paye les gens même s’ils ne travaillent pas. J’ai besoin d’une période plus longue pour digérer. Dans un premier temps, c’est comme les attentats, cela assèche ma plume. Il me faut du temps pour comprendre.»

Les jeunes générations sont étonnantes. Il n’y a pas très longtemps, il y a sept ans, se dire féministe c’était comme si on se disait paléontologue

Agnès Jaoui

Évidemment, impossible de ne pas lui parler des Assises pour l’égalité, la parité et la diversité dans le cinéma organisé par Le Collectif 50/50, le 25 novembre dernier. Agnès Jaoui y a prononcé un discours très fort sur la place des femmes. Elle est revenue sur son enfance, marquée par les agressions sexuelles, puis sur son rapport au cinéma et au théâtre. «Mon texte m’est venu d’une traite. Je n’avais jamais publiquement parlé de ce qui m’était arrivé étant petite. C’était l’occasion. J’ai eu la sensation que cela allait avec mon parcours, sur la façon dont on peut prendre sa place malgré les embûches. S’il y avait eu davantage de films et de dessins animés où les filles se défendent, peut-être que j’aurais mieux su répliquer.»

 

Aujourd’hui, les choses évoluent, «car les jeunes générations sont étonnantes. Il n’y a pas très longtemps, il y a sept ans, se dire féministe c’était comme si on se disait paléontologue, plaisante-t-elle. Tout à coup, il y a une prise de conscience fabuleuse. Cela dit, dans les faits, cela change très lentement. Regardez les femmes en politique, les écarts de salaires. C’est fou, quand même. Il y a des résistances mais je préfère rester optimiste.»

 

*Les Plus Belles Comédies musicales, livre-disque, 27,99 €, Éditions Radio France.


Agnès Jaoui lors des répétitions de la comédie musicale On va se quitter pour aujourd’hui, à la Maison de la radio, le 8 décembre à Paris. Radio France / Abramowitz Christophe

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