 Your new post is loading...
 Your new post is loading...
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 25, 2018 4:07 PM
|
Publié le 25 novembre dans Libération 25.11.2018 Disparition. Ancien secrétaire général puis conseiller artistique de la Comédie-Française, un temps producteur de l'Atelier de création radiophonique sur France Culture et dramaturge au Conservatoire national supérieur d'art dramatique, Jean-Loup Rivière est mort à l'âge de 70 ans. Cursus : Producteur à France-Culture Atelier de création radiophonique, (1973-1983). Chargé d’études au Centre Georges Pompidou (1977-1980). Critique dramatique au journal Libération(1981-1982). Secrétaire général de la Comédie-Française 1983-1986. Conseiller littéraire et artistique de la Comédie-Française (1986-2001). Fonctions actuelles : Professeur Emérite à l’École Normale Supérieure de Lyon. Etudes théâtrales. Professeur de dramaturgie au Conservatoire national supérieur d’art dramatique à Paris. Directeur de l’EA 7410 PSL/SACRE. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Loup_Rivi%C3%A8re
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 18, 2018 4:24 PM
|
Par Sabrina Champenois photo Yann Rabanier pour «Libération» — 18 novembre 2018
Le costume de scène est un terrain d’expression idéal pour l’ex-couturier à la fibre romanesque, autant amateur de littérature que d’astres. La Princesse de Clèves qu’il illustre pour Gallimard, avec exposition afférente, est le prétexte. Beau livre taille XL, alliage piquant du chaud-froid (l’exubérance baroque versus la dissection cérébrale par Madame de La Fayette), il devrait cartonner sous le sapin. Mais rencontrer Christian Lacroix était de toute façon dans nos tablettes. Car il paraît depuis la chute aller très bien. Mieux, même. Anomalie en ces temps de «moi» triomphant exposé ad libitum, où le carrosse redevenu citrouille est «le» scénario catastrophe.
C’était en 2009. Quatre ans après la vente de sa maison par LVMH aux frères américains Falic, le couturier chouchou des années 90 sortait de la mode par la petite porte, celle des revers commerciaux, des «in» devenus «out». Rideau (rouge sang, bien sûr, l’homme est héraut en couleurs). Un auto-effacement garboesque était plausible : se draper dans le mystère pour esquiver la défaveur. Or non, Lacroix n’est pas parti se terrer à Arles où il est né et a grandi. Lacroix a relooké des tas d’hôtels, des rames de TGV, de tramways, des salles de cinéma, dessiné des affiches… Surtout, Lacroix est devenu un as du costume de scène, à en virer globe-trotter, de la Comédie-Française ou le Palais Garnier à la Monnaie à Bruxelles, en passant par l’Opéra du Rhin à Strasbourg, ceux de Berlin, Munich, Francfort. Et on ne lui connaît aucun mot de regret ou de dépit. Pas crucifié pour un sou.
Il confirme, dit : «Je n’ai même pas pleuré le dernier jour passé dans ma maison de couture alors que j’ai la larme facile.» Pas triomphaliste pour autant : «Je n’ai pas non plus pleuré lors de l’enterrement de ma mère, ça n’est venu que des années plus tard.» A l’équilibre, Lacroix. Et suffisamment affranchi du «foutu cartésianisme aussi vain que sarcastique des fameux "Gaulois"» pour défendre en fougueux l’astrologie («pas celle des horoscopes quotidiens et fatalistes qui parlent de gain au loto ou de coup de foudre, mais celle de l’astrologie humaniste, celle des grands cycles sans prédiction, celle étudiée par Jung et que je trouverais à sa place partout, auprès des psys - que je n’ai jamais visités - et même des profilers, enquêteurs»). Le taureau ascendant lion kiffe aussi la numérologie («mon chiffre, c’est le "1", d’ailleurs, j’adore commencer, pas du tout finir»). Physiquement, pareil, 67 ans pimpants, regard charbon brillant, petit foulard noué au cou. Le salon de la rencontre chez Gallimard a un côté «avec vue sur la grandeur patrimoniale française», son affabilité l’allège. Et Lacroix est généreux, poursuit l’échange par mail, nous «embrasse en ce jour des défunts qui est joyeux pour [lui], "ils" sont là, et les Toussaints du Sud manquent, quand tout le monde astique et fleurit les tombes, debout sur les marbres avec balais, serpillières, Miror pour les cuivres, brosses pour la pierre». Envolée écrite en lettres majuscules. On retrouve la faconde de Qui est là ? autobiographie protéiforme (textes, collages, dessins, photos). Sur le papier, son écriture est reconnaissable entre mille, entrelacs d’arabesques au feutre épais. Olivier Saillard, historien de la mode et ami de vingt ans, analyse parfaitement l’étoffe : «Christian est absolument romanesque, un excentrique de son ordinaire.»
Rococo tendance occultiste et littéraire, Lacroix n’est pas perché pour autant, accro à l’actualité suivie entre radio et journaux. Elevé à gauche, «dans le culte de Mendès et Jaurès», il «reste à gauche», a voté Macron pour ne pas s’abstenir face à Le Pen, parle avec affection de Hollande, raconte ravi cette anecdote : «Je l’ai rencontré une fois, vite fait. Il m’a lancé : "La prochaine fois qu’on se voit, c’est pour ma robe !"» A l’inverse, «cette période très ambivalente où des garçons ou des filles peuvent se marier entre eux ou elles et dans le même temps se font toujours tabasser» assombrit le bi, «tout à fait dans les théories gender fluid», pro-PMA et GPA pour tous, que le film Girl (sur un danseur en transition) a bouleversé.
Denis Podalydès, qui lui confie les costumes de ses mises en scène depuis 2006, loue «un homme contemporain que travaille la mémoire, une culture classique très moderne». C’est de fait une constante constitutive. Fils d’un dessinateur industriel et d’une mère secrétaire (de son père), Lacroix a tenu dès l’enfance un «journal de mode» où il consignait des silhouettes croisées dans la rue. Mais l’approche était déjà historicisante, le gamin procédait en «anthropologue forcené du passé», aimanté par les greniers et les photos d’amateurs dénichées sur les marchés. Autant de tremplins pour des scénarios intérieurs - qu’est-il arrivé au jeune homme maladif qui a soudain cessé d’immortaliser le monde ? Le grand-père Adrien, dandy désargenté qui vaquait à vélo couleur or, lui parlait plus que ses pairs fans de foot, énigme à laquelle «[il] ne comprenai[t] rien». «Le spectacle, le théâtre, le cinéma, les festivals», la fiction quoi, «pour [lui], c’était ça, la vraie vie !».
Latin-grec, histoire de l’art à Montpellier, puis à l’Ecole du Louvre : devenir prof ou conservateur était le programme, jusqu’à ce que Lacroix se fasse «étendre au concours des musées». Et puis il y a eu cette rencontre chamboule-tout, Françoise, belle rousse à peau laiteuse. Elle était mariée mais bientôt les deux ont fait la paire - et la font toujours. Françoise, force motrice, est notamment à l’origine du tandem avec Jean-Jacques Picart, alors patron d’un bureau de presse et futur oracle de Bernard Arnault (LVMH), qui a mis l’Arlésien sur orbite, de stage chez Hermès en nomination chez Patou, jusqu’au lancement de sa propre maison de couture. On connaît la suite.
Alors on propose : saut périlleux réussi, vitalité retrouvée. Lacroix parle plutôt de réunion. Avec lui-même. «En réalité, je n’étais pas vraiment fait pour la mode. Dès le départ, c’est le théâtre, la mise en scène qui m’ont intéressé, et ce que je savais faire, c’était embellir, j’aurais été incapable d’inventer une silhouette, comme l’a fait Hedi [Slimane]. D’ailleurs, mon premier molière [en 1995, pour les costumes d’un Phèdre à la Comédie-Française, ndlr] m’a infiniment plus touché que mon premier dé d’or, reçu avec un sentiment d’imposture.» Et de se décocher cette flèche au curare : «On m’arrêtait dans la rue mais on ne me portait pas.» Saillard relativise : «Même brièvement, Lacroix a été porté et il demeure du point de vue populaire, avec Jean Paul Gaultier, le grand charisme de la mode française.» Podalydès l’élit «costumier le plus à l’écoute du metteur en scène», dit leur collaboration «joyeuse, facile». Ciel au beau fixe, solaire. Saillard nuance, dit les cumulonimbus réguliers. «Christian est aussi tourmenté, se complique la vie, aime bien un peu souffrir…» Croire aux astres permet entre autres de trouver des raisons aux désastres.
16 mai 1951 Naissance à Arles. 1973 Paris. 1986 Dé d’or. 1987 Création de sa maison. 1995 Molière. 2004 Qui est là ? (Mercure de France). 2009 Arrête la mode. Octobre 2018 Illustre la Princesse de Clèves.
Sabrina Champenois photo Yann Rabanier pour «Libération»
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 4, 2018 9:23 AM
|
Par Jean Talabot dans Le Figaro Publié le 02/11/2018 SÉLECTION -La Locandiera au Français, le retour de Yasmina Reza sur scène, Éric Cantona au théâtre Antoine... La rentrée à peine digérée, le rythme des spectacles continue bon train. Passage en revue des spectacles les plus attendus.
● La Locandiera à la Comédie-Française
Après la Trilogie de la villégiature en 2012, Alain Françon met en scène une nouvelle comédie du «Molière italien», Carlo Goldoni, place Colette. Cette Locandiera conte les aventures douces-amères de Mirandolina (Florence Viala), une belle aubergiste aux multiples prétendants. L'occasion de voir Michel Vuillermoz en aristocrate pingre, Hervé Pierre en faux noble parvenu, Stéphane Varupenne en jeune chevalier se moquant bien des femmes, ou Laurent Stocker en laquais amoureux. C'est subtil, très drôle, et mélancolique. Jusqu'au 10 février 2019.
●Joueurs, Mao II, Les Noms à l'Odéon
La pièce fleuve de Julien Gosselin atterrit au Théâtre de l'Europe après un accueil mitigé au Festival d'Avignon. Pour un spectacle qui s'étale sur dix heures sans entracte (c'est quasiment inédit), le jeune et brillant metteur en scène français a adapté trois romans sans liens particuliers de l'Américain Don DeLillo: des États-Unis des années 1960 à l'orée des années 1990 dans le bassin méditerranéen. L'utilisation de la vidéo, comme à son habitude, est omniprésente. Quitte à déranger le spectateur. C'est peut-être le but. Du 17 au 22 novembre.
● Dans la luge d'Arthur Schopenhauer à la Scala
Dix ans après sa création, le spectacle mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia revient sur la nouvelle scène de la Scala (Xe). Contrairement à «Art», le texte n'était pas destiné au théâtre, mais fut un succès sur les planches. Et comme souvent chez l'auteure, deux couples s'y confrontent, tiraillés entre la vision positive de l'humanité de Spinoza, et celle, plus pessimiste, de Schopenhauer. Avec Yasmina Reza dans le rôle de Nadine Chipman. Jusqu'au 24 novembre.
● Tous mes rêves partent de la gare d'Austerlitz au Théâtre 13
Mohamed Kacimi anime depuis quelques années un cycle d'ateliers d'écriture à la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. De cette expérience, il a tiré le texte quasi documentaire Tous mes rêves partent de la gare d'Austerlitz, mis en scène par Marjorie Nakache, aujourd'hui au Théâtre 13. Les tribulations de ces cinq détenues se donnant rendez-vous à la bibliothèque, mêlées à la lecture d'On ne badine pas avec l'amour, feront le sel de cette «tragi-comédie carcérale». Du 6 au 18 novembre.
● Inflammation du verbe vivre, au Théâtre de la Colline
Paru en 2016, c'est le sixième texte que Wajdi Mouawad consacre aux tragédies antiques de Sophocle. L'auteur d'origine libanaise la présente cette année en sa demeure, le Théâtre national de la Colline. Un spectacle sur «le deuil et l'ébranlement» autour de la figure de Philoctète, compagnon d'Ulysse et d'Héraclès. Du 8 au 30 novembre.
● Sopro, au théâtre de la Bastille
Tiago Rodrigues ne manque pas de souffle. Nous sommes en 2080. Sur la scène du théâtre Bastille, le plancher d'un théâtre en ruine ne laisse s'échapper quelques bribes de parole. Cristina Vidal, dans une mise en scène conceptuelle et émouvante de l'auteur portugais, raconte ce métier invisible, son métier, qu'est souffleur. Un hommage magnifique au théâtre et à ceux qui le font. Du 12 novembre au 8 décembre.
● Ivanov au théâtre de l'Athénée
Après La Mouette, Oncle Vania, Trois Sœurs, et La Cerisaie, Christian Benedetti continue de gravir le mont Tchekhov. Ivanov, ou la dépression fatale d'un monsieur-tout-le-monde en quatre actes, n'en est pas son sommet le plus gai. Faussement austère, fidèle à sa méthode, le metteur en scène signe ici un spectacle relativement court (1h50). Il faut s'attendre à un débit de mitraillette, à un rythme d'enfer, qui ont jusqu'ici toujours très bien marché avec les précédentes lectures du dramaturge russe par Benedetti. Du 7 novembre au 1er décembre. ● Un instant, au théâtre Gérard Philipe (Saint-Denis)
Après avoir superbement traduit Rabelais au présent dans Paroles gelées , Jean Bellorini, à la tête du CDN de Saint-Denis depuis cinq ans, s'attaque à une autre légende française: Marcel Proust. Des milliers de pages qui composent La recherche du temps perdu, il ne conserve que la relation entre l'auteur avec sa mère et sa grand-mère. Pour un duo qui promet, avec Hélène Patarot et Camille de La Guillonnière. Du 14 novembre au 9 décembre. ● Lettres à Nour, au théâtre Antoine
Pour sa quatrième expérience au théâtre, Éric Cantona joue un beau-père de djihadiste. L'argument, à lui seul, vaut le détour. Dans cet échange épistolaire signé Rachid Benzine, l'ancienne gloire de Manchester United incarne un père veuf, dont la fille, éprise d'un lieutenant de Daech, disparaît un beau jour pour l'Irak. «Il faut écouter les arguments des uns et des autres et laisser tomber nos certitudes», expliquait le comédien lors de la présentation de rentrée du théâtre Antoine. Du 22 novembre au 29 décembre.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 1, 2018 11:20 AM
|
Propos recueillis par Stéphane Capron dans Sceneweb 31.10.2018 La sociétaire de la Comédie-Française se partage entre deux théâtres et trois pièces en cette automne. Elle est Anna et Raquel dans Après la répétition de Bergman au Théâtre de la Bastille en fin d’après-midi. Puis le soir elle enchaîne soit avec La Nuit des Rois de Shakespeare ou Britannicus dans la salle Richelieu de la Comédie-Française. Rencontre avec la 531e sociétaire.
Quand vous avez créé Après la répétition en 2013 au Théâtre Garonne à Toulouse, que représentait Bergman pour vous ? Je ne le connaissais pas bien. Je le connaissais qu’en tant que cinéaste. J’ai découvert l’auteur. J’ai ensuite dévoré ses films. Jouer un texte de Bergman est un cadeau inouï car il travaille pour les acteurs. Vous jouez les deux rôles, celui de la mère Raquel et celui de la fille Anna. Est ce que cela a été difficile ? C’était un pari, l’idée de jouer avec une autre comédienne nous a traversé, mais est restée cette volonté de rester tous les deux au plateau. Sur scène, c’est beau proposer avec plus de distance le rôle de Raquel qui est tout de même très dur, ce qui est moins le cas de celui d’Anna. C’est un texte sur l’art de mettre en scène. Etes-vous en phase avec lui ? Bergman parle à travers le personnage de Vogler. Il parle du théâtre shakespearien et de ces petites torches que l’on mettait sur scène pour représenter la nuit. Cela rejoint à plein d’endroits le théâtre de tg STAN dans cette aventure qui est juste la parole, le comédien et le spectateur. On a finalement besoin que de cela pour que le miracle se produise. Entre 2013 et aujourd’hui il y a eu le mouvement meetoo. La pièce évoque une relation amoureuse entre le metteur en scène et une comédienne. Jouez-vous différemment le spectacle aujourd’hui ? C’est énorme. Je l’ai dit tout de suite à Frank. On vérifie depuis la reprise à Paris combien le spectacle résonne différemment. J’ai beaucoup réfléchi à la façon de jouer. Ici les deux personnages affirment un désir. C’est clair. On n’est pas dans une situation d’abus ou de mise en fragilité d’une actrice. J’essaye de ne pas être dans cette zone grise, le doute n’est pas permis. Et Bergman est très clair. Vogler dit non. Il met une barrière, et ne veut pas profiter de la jeunesse de la fille ou de la fragilité de la mère. Mais quand Frank évoque le producteur, il en fait plus que d’habitude et les spectateurs ont bien vu de qui il voulait parler. Entre 2013 et 2018, il s’est passé du temps, êtes vous différente dans l’approche des rôles ? Je sens que je me situe entre Anna et Raquel. J’avais 25 ans à la création, j’en ai 32. Ma vie me fait prendre de la maturité, les choses résonnent différemment. C’est comme un bon livre que l’on reprend, on découvre de nouvelles subtilités. Sur scène ce n’est peut-être pas visible, mais à l’intérieur je le ressens. Et le peur est moins tétanisante. Quelle rentrée. Vous alternez cette pièce avec Britannicus et La Nuit des Rois dans la salle Richelieu de la Comédie-Française. C’est la folie ! Je le fais par amour du théâtre. Je bois du citron chaud et je me couche dès je rentre à la maison. Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 30, 2018 5:11 AM
|
5 mars 1996, le comédien Eric Génovèse perd sa mère et joue la première de Mithridate à la Comédie-Française Publié par Zoé Varier sur la page de son émission "Une journée particulière" sur France Inter Ecouter l'émission (54 mn) Ce jour-là, dans la matinée, le comédien part à Nice pour aller enterrer sa mère, et le soir même, il arpente les planches du "Français" pour la Première de Mithridate de Jean Racine mis en scène par Daniel Mesguich. Il y joue, dans un état second, le rôle de Xipharès, le fidèle fils du roi.
Un moment totalement hors du temps
« J’avais été éduqué théâtralement dans l’idée que, quoiqu’il arrive, on joue. J’étais en équilibre comme sur un fil durant toute la pièce. Un critique qui se trouvait ce jour-là dans la salle a deviné l’état dans lequel je me trouvais, écrivant dans son papier qu’il n’avait jamais vu un acteur habité d’une telle affliction tragique » Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française, ne garde aucun souvenir de cette première, sauf les bouquets et les petits mots d’amitié trouvés dans sa loge à l’issue de la représentation.
Le célèbre critique théâtral Michel Cournot signe dans Le Monde un article élogieux de cette mise en scène-événement de Mithridate : « Les acteurs nous donnent à entendre un quintette de poésie d’une luminosité prodigieuse. Il faut dire qu’ici Racine s’est surpassé. Mais grâce à l’oreille absolue de Mesguich les comédiens nous font découvrir que chacun de tous les vers de la pièce est à lui seul un trésor. C’est sidérant, jamais à notre connaissance une pièce de Racine n’a respiré, n’a battu comme cela. »
Simplicité et limpidité du vers racinien
Daniel Mesguich a fait travailler ses acteurs de manière très rigoureuse sur la diction des alexandrins, respectant scrupuleusement les longues, les brèves, les césures. Pour lui, ce sont eux, bien avant l’intrigue, qui font la tragédie. Idem pour Eric Génovèse : « la langue racinienne est totalement jouissive à interpréter car au final tout est dit, sans aucun sous-entendu et avec une adéquation parfaite entre le son et le sens. »
2002, une rencontre déterminante avec Anatoli Vassiliev Le metteur en scène russe travaille avec la troupe du « Français » sur l’Amphitryon de Molière. Eric Génovèse y joue La Nuit qui, à la demande de Neptune, couvre de son voile les ébats de Jupiter et Alcmène. Vassiliev, personnage clivant, adulé ou détesté, oblige ses acteurs à un travail physique harassant, remettant en cause tous les apprentissages antérieurs. « Un excellent pédagogue » se souvient enthousiaste le comédien. Paradoxalement cet homme déstabilisant, déroutant, et exigeant lui redonne le goût de jouer.
D’autres figures marquantes De Marguerite Duras, décédée en mars 1996, qui incarne, aux yeux de l’acteur, « la grâce, un art de la simplicité, du rythme des mots » ; à Marcello Mastroianni, mort la même année ; en passant par Louis Jouvet dont Eric Génovèse s’est inspiré pour interpréter en 2004, le Tartuffe mis en scène par Marcel Bozonnet. Louis Jouvet qui recommandait de ne pas faire de Tartuffe quelqu’un d’ignoble, mais au contraire « un garçon charmant, inquiétant et très intelligent ». « Adepte du trouble », Génovèse joue de l’ambiguïté du personnage, qui, tel le héros du film de Pier Pasolini Théorème, «séduit » toute la famille, et met à jour les contradictions des uns et des autres.
Pour aller +loin : L'actualité d'Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française :
Il joue actuellement le rôle de Frontin dans «L'heureux stratagème», de Marivaux, au Théâtre du Vieux-Colombier Horaires : du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h, dimanche à 15 h. Jusqu'au 4 novembre 2018 Les Oubliés. Alger-Paris, une création collective du Birgit Ensemble, dans une mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot. Du 24 janvier au 10 mars 2019 au théâtre du Vieux-Colombier Électre/ Oreste d’Euripide mis en scène par Ivo van Hove. A la Salle Richelieu puis en tournée au Théâtre antique d’Épidaure en Grèce. Du 27 avril au 3 juillet 2019 Et enfin on le verra dans deux reprises : il interprétera Wolf von Aschenbach dans Les Damnés d’après Visconti mis en scène par Ivo van Hove (Salle Richelieu) et Philinte dans Le Misanthrope de Molière par Clément Hervieu-Léger (Salle Richelieu). Vous avez pu entendre :
Un extrait de : Mithridate, de Jean Racine, mis en scène en 1996 par Daniel Mesguich à la Comédie-Française un extrait du CD : Marguerite Duras, le ravissement de la parole, mise en ondes par Jean-Marc Turine (Editions Radio-France, 2016) Un extrait du Bel Antonio, un film de Mauro Bolognini (1960) avec Marcello Mastroianni (DVD disponible aux Editions Montparnasse) Et les titres diffusés à l'antenne :
"Killing Me Softly with His Song", The Fugees (1996) "Il fait soleil", Silvain Vanot (2002) "American Dream", J.S. Ondara (2018) Les invités Eric Génovèse Comédien sociétaire de la Comédie Française, metteur en scène Légende photo : "Mithridate", 1996, Eric Génovèse et Claude Mathieu © Pedro Lombardi
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 18, 2018 6:37 PM
|
Par Anne Diatkine Dans Libération — 18 octobre 2018 à 19:06 Dans le monologue «Clouée au sol», la comédienne incarne une pilote de l’air dépressive car déclassée et affectée au maniement de drones.
Sur scène, la comédienne et metteure en scène Pauline Bayle n’est pas clouée au sol mais bien plantée, ses pieds ne se déplacent quasiment pas, et c’est son souffle, sa respiration abdominale, la manière dont elle s’empare physiquement du texte, dont elle accélère, dont tout son corps s’émeut, qui sont la base de ce spectacle minimaliste, où une femme lutte contre la dépression par le survoltage, l’emballement du langage, et la minutie. Le sommeil cesse évidemment quand les mots se mettent en boucle sans possibilité d’appuyer sur la touche stop. Et c’est cette excitation de la pensée, ces ruptures de rythmes, l’enthousiasme désespéré de celle qui ne va pas tarder à chuter, que Pauline Bayle réussit particulièrement à transmettre, sans exagération. La crise maniaque peut ne pas être spectaculaire.
Minimaliste ? Une actrice, un éclairage quasi unique, quelques bruitages imperceptibles dont on note la présence lorsqu’ils se calment à la manière d’un réfrigérateur qui cesse de ronronner : la mise en scène de Gilles David, sociétaire de la Comédie-Française, a besoin de peu pour faire entendre ce drôle de monologue de George Brant, dramaturge américain inédit en France, qui nous exhorte à nous intéresser aux drones et au stress post-traumatique des militaires chargés de les surveiller. La déflagration psychique est d’autant plus importante que le geste du militaire est déconnecté de sa conséquence. Autrement dit, c’est par un mouvement de manette effectuée dans une base à Las Vegas qu’il tue en Irak, en Afghanistan, ou ailleurs, dès lors qu’un «ennemi» bouge. Les mots de George Brant nous immergent donc dans la voix d’une des très rares femmes pilotes au sein de l’US Air Force, obligée de renoncer à son rêve «de ciel bleu» pour cause d’amour et d’enfantement, car elle est ensuite déclassée, enfermée toute la journée «dans une caravane climatisée», aux commandes d’un drone, le regard constamment fixé à l’ordinateur, qui montre «le gris du sol», à la place «du bleu du ciel». Si la femme est chargée d’abattre des humains à la manière d’un jeu vidéo, c’est sans armes égales avec l’ennemi, qui ne peut pas riposter. De là à se prendre pour «l’œil de Dieu», il n’y a qu’un pas, que la militaire renvoyée à son rôle de mère de famille franchit, tout en s’occupant de sa fille qu’elle embarque dans les grandes surfaces ultra filmées, et de son mari, vigile dans un casino. La manière dont les caméras de surveillance envahissent tout l’espace du couple est paradoxalement bien rendue par l’absence de vidéo dans la mise en scène. La facilité aurait été de projeter des images de drones ou de caméra de surveillance.
Pauline Bayle, 30 ans, fait partie des metteures en scène à l’ascension rapide. Elle s’était attaquée à l’épopée d’Homère au Théâtre de la Bastille à Paris, il y a un an, spectacle que Libération n’avait apprécié qu’avec modération. C’est cependant avec la même économie de moyens qu’elle l’avait conçu. On la retrouvera en 2019 à la Comédie-Française, au Studio-Théâtre, où elle adaptera le best-seller et prix Goncourt de Leïla Slimani, Chanson douce.
Anne Diatkine Clouée au sol de George Brant m.s. Gilles David. Les Déchargeurs, 75001. Jusqu’au 3 novembre. Légende photo : Pauline Bayle en femme pilote dans «Clouée au sol». Photo iFou pour Le Polle Media
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 9, 2018 6:27 PM
|
Par Sophie Jouve Rédactrice en chef adjointe de Culturebox, le 09/10/2018
C’est une pièce rarement jouée de Marivaux qui est montée pour la première fois par les comédiens du Français au Théâtre du Vieux-Colombier. "L‘Heureux stratagème" est une sorte de Dom Juan au féminin, cruel et impeccablement interprété par Claire de La Rüe du Can et ses camarades. "L'Heureux stratagème", c’est du Marivaux à l’os, désencombré des quiproquos habituels sur les mariages arrangés et les questions d’argent. Un Marivaux où les hommes sont des marionnettes et où le sort des valets dépend plus que jamais du bon vouloir des maîtres. Une féministe avant l'heure La Comtesse lassée de Dorante tombe dans les bras du Chevalier Damis, un beau Gascon un peu beauf. La Marquise, délaissée par son amant le Chevalier, propose à Dorante de feindre de s’aimer pour raviver la flamme des infidèles. Toute la pièce tourne autour du personnage de la Comtesse, qui se laisse guider par les atermoiements de son cœur, ses émotions, avec une liberté et une désinvolture totale. Une féministe avant l’heure, interprétée par la jeune Claire de La Rüe du Can, avec une candeur aussi désarmante que cruelle. Car la Comtesse se moque éperdument des ravages que produit son attitude sur ceux qui l’entourent, et particulièrement sur les plans amoureux des domestiques. Le féminisme du début tourne à un égoïsme absolu, d’autant plus terrible qu’il a le visage lisse et ingénu de la comédienne. Une distribution aux petits oignons Le metteur en scène Emmanuel Daumas réunit, autour de Claire de La Rüe du Can, une distribution aux petits oignons. Jérôme Pouly est un Dorante digne et touchant manipulé par une Julie Sicard très juste en Marquise obsédée par sa vengeance. Laurent Laffitte campe un Damis tordant. Nicolas Lormeau est un père soucieux de préserver sa fille Lisette. Jennifer Decker, Eric Génovèse et Loïc Corbery (lui qui nous a si souvent habitué à être du côté des petits marquis) donnent tout le désarroi souhaité aux valets, désarmés, manipulés comme des animaux de compagnie, acculés à se rebeller. Des valets traités commes des animaux de compagnie Marivaux a toujours parlé en filigrane des relations entre les valets et les maîtres, qu’ils prennent l’ascendant ou qu’ils soient réduits à leur condition. Voici un texte où le mépris de classe est traité avec une acuité qui nous fait bien comprendre les bouleversements à venir de la Révolution. Le dispositif bi-frontal nous fait ressentir le moindre frémissement des comédiens, pris dans une course folle déclenchée par les seuls états d’âme de la Comtesse. Dans un décor sans grâce, blanc et épuré, fermé à chaque extrémité par des bâches en plastique, les valets s’affolent comme des mouches aveuglées par la lumière. La langue de Marivaux dite avec un naturel confondant Mais au-delà de cette mise en scène vive, la grande réussite, qui tient autant au metteur en scène qu’à ses acteurs, est le naturel confondant avec lequel la troupe se fond dans cette langue de Marivaux. Une langue qui fait partie de leur ADN, mais cet "Heureux stratagème" n’est pas le texte le plus facile à défendre, et ils le font merveilleusement pour notre plus grand plaisir. INFOS PRATIQUES - "L'Heureux stratagème" de Marivaux
- Théâtre du Vieux-Colombier
- 21 rue du Vieux-Colombier, Paris VIe
- Du 19 septembre au 4 novembre 2018
- 20H30 du mercredi au samedi, 19h les mardis, 15h les dimanches
- De 12 à 32 euros
- 01 44 58 15 15
- Site de la Comédie-Française
Légende photo : Claire de La Rüe du Can (La Comtesse) et Jérôme Pouly (Dorante) © Christophe Raynaud de Lage/Comédie-Française
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 28, 2018 5:28 PM
|
Par Fabienne Pascaud Publié le 28/09/2018. Mis à jour le 28/09/2018 à 15h29.
A la Comédie-française, l’Allemand Thomas Ostermeier célèbre la cocasserie et la profondeur de Shakespeare avec “La Nuit des rois ou Tout ce que vous voulez”, interprétée par Georgia Scalliet, Denis Podalydès, Laurent Stocker...
Qu’est-ce donc qu’une grande mise en scène ? Un geste artistique qui empoigne le texte, lui fait rendre gorge et en révèle des échos insoupçonnés ? La prise de pouvoir d’un directeur d’acteurs qui pousse ses comédiens dans leurs ultimes retranchements, transforme à plaisir ?
La Nuit des rois ou Tout ce que vous voulez, monté par l’Allemand Thomas Ostermeier, est tout à la fois. On joue rarement en France cette comédie excentrée, toute en abîmes, blagues et jeux perpétuels, écrite en 1602 par Shakespeare (1564-1616) à l’occasion du Carnaval, cette fête où depuis l’Antiquité on aime tant à se costumer, brasser les relations de pouvoir et les identités. L’œuvre est encore contemporaine de Hamlet.
Les deux héros — Viola et le mélancolique prince de Danemark — n’y prennent-ils pas plaisir à se déguiser ? Elle en femme, et c’est le point de départ d’une hystérique histoire d’amour, de sexe, de désirs, de genres ; lui simule la folie, et c’est un dangereux et très politique jeu de la « vérité ».
En ces années-là — Renaissance ou pas —, l’Occident commence en effet à perdre sérieusement la boule avec les observations et travaux des astronomes et physiciens Copernic et Galilée. La Terre, par exemple, n’y apparaît plus comme le centre de l’Univers. Et la scène n’est plus le centre du spectacle du patron de la Schaubühne de Berlin, Thomas Ostermeier. Une longue passerelle sur laquelle arrivent, partent et jouent les comédiens surplombe en effet les sièges d’orchestre, à hauteur des têtes des spectateurs. Un espace traversant, à l’image de toutes les conventions sociales que traverse et bouleverse cette folle Nuit des rois, romanesquement et burlesquement, traduite par l’écrivain Olivier Cadiot.
Dès le départ, Ostermeier nous installe dans une ambiance dérangeante et incongrue. Sur le plateau, deux singes s’étirent mollement sur une plage de sable blanc éclairée au néon. Où est-on ? Au début ou à la fin du monde ? Plutôt en royaume d’utopie, dans cette terre d’Illyrie (l’Albanie actuelle) qu’a choisie l’homophile Shakespeare pour y situer son intrigue ; sans doute parce qu’il savait qu’entre le vie et le XIVe siècle le mariage homosexuel catholique et orthodoxe était là-bas admis.
Shakespeare démonte crûment la machine de nos pulsions amoureuses. C’est que sa pièce conjugue hardiment les sexualités amoureuses. Qu’on en juge. Après un naufrage où elle s’imagine avoir perdu son frère jumeau, Sébastien, la jeune Viola (interprétée avec une sensualité ambiguë et ténébreuse par l’éblouissante Georgia Scalliet) prend l’apparence de ce dernier — se rebaptisant Césario pour la circonstance —, histoire de s’approcher aisément du duc Orsino (Denis Podalydès) qu’elle aime en secret. Celui-ci l’engage. Mais pour plaider sa cause auprès de la comtesse Olivia (toujours frissonnante et sensible Adeline d’Hermy), qui depuis longtemps se sert du deuil de son père et de son frère pour refuser ses avances. Et voilà que ladite Olivia éprouve un coup de foudre pour le travesti Césario… Imbroglio des genres, des identités ; hypocrisie des postures idéologiques et sociales aussi : un très puritain conseiller de la comtesse, Malvolio, n’est-il pris au piège de son hypocrisie (comme plus tard le Tartuffe de Molière) par une bande de joyeux drilles constamment éméchés (Laurent Stocker, culotté, en tête, et l’imprévisible Christophe Montenez).
Bien avant les travaux de la philosophe américaine Judith Butler, Shakespeare montre ici combien le masculin et le féminin se construisent via les normes sociales et culturelles, les représentations de soi, de son sexe qu’impose la société. Viola les déjoue, qui parvient à se faire aimer d’Olivia, jusqu’à en être troublée elle-même. En même temps qu’elle saura se faire désirer du duc Orsino. En garçon peut-être, puis bien sûr en fille… Qu’aime-t-on en l’autre ? Un genre sexuel affiché ? Ou une matière humaine brute, complexe, multiple et finalement indifférenciée ? Shakespeare démonte crûment la machine de nos pulsions amoureuses. Comme il n’hésite pas, encore, dans cette Nuit des rois à représenter comme jamais la passion homosexuelle qui lie Antonio et Sébastien, le jumeau de Viola.
Shakespeare redéployé ici dans toutes ses interrogations. Qu’il a le génie d’incarner avec un sens de l’intrigue débridé, du jeu de mots constant, proche de la mise en pièces de la langue. De la même manière qu’il fracasse nos conceptions de l’identité sexuelle, prônant un être multiple, il concasse la langue dans toutes ses virtualités, ses illusions et ses mensonges. A l’époque élisabéthaine, le public du Globe était, en plus, apostrophé par les comédiens. Shakespearien jusqu’au bout des ongles — qu’on se rappelle ses Hamlet, Othello, Mesure pour mesure, Richard III —, Ostermeier réédite l’exercice : les acteurs du Français improvisent et défient comme ils peuvent les spectateurs sur la politique, etc. Tout est jeu. Mise en scène. Le fou ne clame-t-il pas : « Une phrase se retourne comme un gant de chevreau, très souple — la doublure se retrouve vite à l’extérieur. »
Il n’existe plus guère de certitude quand s’achève cette Nuit des rois-là. Même notre sens du beau y est attaqué de front par les si vilains costumes de Nina Wetzel ; alors qu’une délicieuse et sophistiquée musique baroque — avec haute-contre et théorbe — ponctue à même le plateau les égarements sentimentaux du mélomane Orsino. Choc des contraires. Non seulement la plupart des comédiens mâles sont — on ne sait pourquoi — cuisses nues et revêtus de slip à poche ou boxer short qui les avantagent peu, même les femmes ont les jambes à l’air (plus gracieuses) et des vêtements transparents peu seyants. Ostermeier veut-il suggérer une sensualité offerte à tous vents, à l’image des singes bonobos qui ouvrent le spectacle entre deux palmiers de carton-pâte ? Renverser nos modes et esthétismes, fruits de pures conventions eux aussi, comme nos amours peut-être, et nos identités troublées, en reconquête d’autres modes d’existence, appartient aussi à ce spectacle chamboule-tout. Dont on sort en vrac. Joyeux et survolté. ------------------------------------- Extrait : Dialogue entre Olivia et Viola O : — Reste… dis-moi toi ce que tu penses de moi. V : — Que vous pensez être ce que vous n’êtes pas. O : — Si je pense ça, je pense la même chose de vous. V : — Vous pensez juste. Je ne suis pas ce que je suis. O : — Je te voudrais tel que… je voudrais que tu sois. V : — Ce serait mieux, Madame, que… ce que je suis ? Ce serait mieux sans doute, parce que là, vous me prenez pour un idiot. La Nuit des Rois ou Tout ce que vous voulez de William Shakespeare Mise en scène Thomas Ostermeier. A la Comédie-française (Paris) jusqu’au 22 fevrier 2018
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 27, 2018 8:15 PM
|
Par David Rofé-Sarfati dans Toutelaculture.com 26.09.2018 Thomas Ostermeier propose dans la Salle Richelieu une lecture graveleuse et gauloise de la comédie de Shakespeare: La nuit des Rois. Les avis sont partagés.
Laurent Stocker déguisé en polichinelle et Christophe Montenez déguisé en Iggy pop s’approchent de deux micros blancs sur pieds et avec capotes (sic), les deux passablement saouls et un verre de champagne à la main. Dialogue : – Santé ! – Mais pas des pieds! Suivra un florilège de blagues anti-macron sûrement piqué à des zincs ou sur des murs Facebook d’amateurs de téléréalité. Thomas Ostermeier a révisé notre pays en regardant les émissions de feu Coluche, mais n’est pas Coluche qui veut. L’esprit est amer même si les rires gras et violents d’une partie du public parviennent à recouvrir sous un voile de honte la consternation du reste de la salle.
L’intrigue est à la comédie, le biais serait légitime. Toutefois, Eric Ruf qui a tant désiré ce spectacle irait-il monté à Berlin Roméo et Juliette au sein d’une fête de la bière? Pas sûr. Il reste que Ruf a eu raison car qui ne risque rien…
L’intrigue est simple car allégorique. Le duc Orsino, Denis Podalydés est amoureux de la belle et riche comtesse Olivia Adeline d’Hermy. Cette dernière est en deuil et repousse ses avances. A la suite d »un naufrage Viola Georgia Scalliet et son frère jumeau Sébastien, Julien Frisson survivent mais échouent à deux endroits différents de la côte, chacun croyant son jumeau mort. N’étant plus sous la protection de son frère, Viola se déguise en homme et se présente à la cour d’Orsino sous le nom de Césario. Elle devient le page du duc et plaide sa cause auprès d’Olivia. Alors qu’elle est secrètement amoureuse du duc, elle éveille l’amour chez Olivia. L’arrivée de Sébastien dont l’extraordinaire ressemblance avec Césario provoque une suite de quiproquos, assure une fin heureuse Viola épousera le duc et Olivia épousera Sébastien.
Le message de Shakespeare est double. L’anatomie est le destin cependant que la femme est un homme comme les autres. L’égalité des sexes est totale, la différence anatomique harmonise les appariements sans les contraindre. De ce magnifique manifeste féministe et anti machiste moderne révolutionnaire et visionnaire, Ostermeier en construit une proposition libidineuse à l’inverse de la pensée princeps. Les hommes présentent leur gonades gonflées et fières dans des caleçons moulants tandis que les femmes portent des robes fendues à l’arrière. Même avec l’humour comme alibi, Ostermeier rumine encore la primauté pathétique du pénis.
Nous ajouterions que la scénographie a pris le parti de griffer par son milieu la corbeille de la salle Richelieu pour expliquer que la pièce est à éviter. Sauf que la troupe de la Comédie Française sauve Shakespeare, sans malheureusement sauver Iggy Pop. Erratiquement, nous retrouvons le texte et ces moments sont délicieux. Denis Podalydes est inoubliable dans son rôle de Duc fatigué mais amoureux. Laurent Stocker est un bonheur de spectateur par sa création du personnage de Sir Toby Haut le Coeur fin de race fêtard, ivrogne et non conformiste. Scalliet en Viola/Césario est magique, Adeline d’Hermy est une comtesse authentique calculatrice et amoureuse. Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern ou Christophe Montenez composent avec talent des personnages en transgression. Pour eux la pièce est à découvrir.
La nuit des rois ou Tout ce que vous voulez
de William shakespeare
adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier.
Crédits Photos Jean-Louis Fernandez
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 26, 2018 7:57 PM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde | 26.09.2018 La pièce de Shakespeare, mise en scène par Thomas Ostermeier à la Comédie-Française, est dominée par les prodigieuses Georgia Scalliet et Adeline d’Hermy.
Des chimpanzés sur la scène de la Comédie-Française. Il s’amuse bien, Thomas Ostermeier. Et le mieux, c’est sans doute de s’amuser avec lui, dans cette version de La Nuit des rois, de Shakespeare, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle était très attendue, et qui s’ouvre donc avec de – faux – primates qui vous observent d’un air entendu.
Le directeur de la Schaubühne de Berlin, devenu à 50 ans un des maîtres incontestés de la mise en scène en Europe, n’était jamais venu dans la Maison de Molière, où il était ardemment désiré. Il a choisi de prendre le public traditionnel du Français – ou ce qu’il imagine être ce public – à rebrousse-poil. Au risque de signer une mise en scène un peu potache par moments et qui, de fait, a défrisé une partie des spectateurs, lors de la première du spectacle, lundi 24 septembre.
Lire l’entretien avec Thomas Ostermeier : « Shakespeare pose la question du genre »
Il serait dommage, pourtant, de ne pas entrer dans le jeu, plus complexe qu’il n’en a l’air, mis en place par l’artiste allemand dans cette mise en scène qui prend d’assaut la virilité et la notion de genre, et qui ne craint pas d’aller vers la franche comédie, voire vers la farce, avec des passages irrésistiblement drôles. La présidence Macron en prend ainsi pour son grade, au fil de quelques improvisations piquantes.
Un réjouissant jeu de rôles C’est une version tout à fait contemporaine du vertigineux jeu de doubles inventé par un Shakespeare qui retourne toutes les identités, notamment sexuelles, comme « un gant de chevreau très fin et très souple ». Sur un rivage d’Illyrie (l’Albanie actuelle) ont échoué après une tempête, chacun de son côté, un frère et une sœur jumeaux, Sébastien et Viola. Pour survivre, Viola se travestit en homme, et entre au service du duc Orsino, qui se languit d’amour pour la pure et vertueuse Olivia.
Orsino, pourtant, ne sera pas tout à fait insensible aux charmes de son jeune page, non plus que la comtesse Olivia. Le premier aime donc bien une femme alors qu’il croit être troublé par un jeune homme, la seconde tombe amoureuse d’une demoiselle alors qu’elle pense être séduite par un garçon. Sans compter les multiples variations ouvertes par Shakespeare dans ce réjouissant jeu de rôles.
LA PREMIÈRE BELLE IDÉE DE THOMAS OSTERMEIER, C’EST D’AVOIR CRÉÉ UN DISPOSITIF QUI ÉVOQUE CELUI DU THÉÂTRE ÉLISABÉTHAIN La première belle idée de Thomas Ostermeier, c’est d’avoir créé un dispositif qui évoque celui du théâtre élisabéthain et notamment du fameux Globe de Londres, où les spectateurs sont très proches des acteurs. Une passerelle traverse ainsi en leur milieu les rangs de l’orchestre, sur laquelle défilent les acteurs avec des clins d’œil marqués à la Fashion Week.
Et quand on parle de défilé, on n’exagère pas, tant Ostermeier et son équipe ont joué sur le kitsch et le grotesque, avec des costumes tout à fait délirants. Avec la présence des corps des comédiens, aussi, pour cette pièce qui ne parle que du désir. Tou(te)s sont donc au minimum à moitié dénudés, le pompon étant remporté par le puritain Malvolio, qui fait une apparition fracassante en bas jaunes et slip doré à prothèse sexuelle intégrée, en une performance incroyable de Sébastien Pouderoux.
Une dégaine à la Iggy Pop La comtesse Olivia d’Adeline d’Hermy, elle, appelée « madonna » dans la pièce, n’est pas sans évoquer une autre madone, avec ses corsets hyper-sexys à la Jean-Paul Gaultier. Laurent Stocker s’en donne à cœur joie en sir Toby, affublé d’une cuirasse bling-bling à la Astérix, tandis que Christophe Montenez, tout aussi génial dans le registre comique qu’en jeune premier romantique, s’est fait une dégaine à la Iggy Pop.
Pour autant, la pièce, telle que traduite de manière claire et efficace par Olivier Cadiot, est là, et bien là, dans son interrogation sur l’amour, le narcissisme, l’image et la représentation de l’autre. Et elle l’est parce qu’elle est très bien jouée, notamment par Georgia Scalliet (Viola) et Adeline d’Hermy (Olivia), qui sont prodigieuses de grâce, de subtilité, d’émotion. L’ensemble de la compagnie est à l’avenant, Anna Cervinka en tête en fine-mouche se payant le puritain Malvolio. Tou(te)s sauf, et c’est le bémol le plus inattendu de la soirée, Denis Podalydès : trop âgé pour le rôle du jeune duc Orsino, le célèbre sociétaire semblait comme absent le soir de cette première, comme en attente de trouver son personnage.
Autant se laisser aller, alors, à ce mauvais genre et à cet humour berlinois acide et grotesque, qui après tout renvoie l’époque à sa vulgarité, à son narcissisme et à son inculture satisfaite d’elle-même. Que faire d’autre que s’en moquer, dans ce monde où l’apparence a gagné sur – presque – tous les fronts, par rapport au mentir-vrai de l’art et singulièrement du théâtre ? Ne boudons pas notre plaisir, même si ce Shakespeare au Français n’a pas la dimension des grandes mises en scène signées par Thomas Ostermeier pour Hamlet, Mesure pour mesure ou Richard III.
La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez, de William Shakespeare. Mise en scène : Thomas Ostermeier. Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 28 février 2019. www.comedie-francaise.fr
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 25, 2018 7:14 PM
|
Par Yvon Le Scanff dans le numéro de Septembre 2018 de la Revue Etudes Construire un feu de Jack London Mise en scène de Marc Lainé - Studio-Comédie française - Du 15 septembre au 21 octobre 2018
Pour mettre en scène la nouvelle de London, il aura fallu d’abord pour Marc Lainé, plasticien, scénographe, réalisateur et donc aussi metteur en scène, construire un jeu. Il ne s’agit pas en effet d’une adaptation illustrative et linéaire de la nouvelle de London, même si elle lui est en tous points fidèle au sens où sa construction épouse la pression cumulative des événements qui vont conduire l’imprudent voyageur à sa perte, comme une longue montée chromatique vers la catastrophe présagée.
Adapter au théâtre une nouvelle qui évoque les grands espaces glacés du grand Nord constitue une véritable gageure, d’autant plus dans un lieu tel que le Studio. De multiples paradoxes questionnent le spectateur lors de la découverte du dispositif scénique : d’abord le contraste entre le bâti artificiel de la mise en scène et l’illusion de la grande nature sauvage ; ensuite les changements incessants d’échelles entre l’intime et l’infini, entre les maquettes miniatures et les vastes panoramas reproduits sur écran à l’instar de la production d’un film épique. Ces décalages donnent à voir la difficile et précaire construction d’un spectacle confronté à un défi spatial qui semble figurer ainsi à un autre niveau ce que la nouvelle raconte : le difficile et périlleux cheminement d’un trappeur et de son chien-loup en direction d’une concession dans le Yukon aux confins du Canada et de l’Alaska. Le plateau est en effet partagé entre images construites (machineries scénographiques) et images produites (projection sur écran), entre un espace de l’illusion et un espace de la représentation ; entre les deux, un troisième espace partagé entre deux comédiens-narrateurs (l’un pour le trappeur : Pierre-Louis Calixte et l’autre pour le chien : Alexandre Pavloff) et un comédien-acteur qui accomplit les actions-physiques du héros (Nazim Boudjenah). Resterait enfin bien entendu l’espace imaginaire du spectateur qui fait le va-et-vient entre ces différents espaces, sa mémoire et son imagination.
Et c’est bien à investir ce lointain intérieur que nous invite de concert London et Lainé. En mettant en scène un héros précisément dépourvu de toute imagination selon une logique d’écriture blanche, sèche, clinique, le spectateur ne manque pas de produire du sens. Le récit de ce héros cheminant lentement mais surement vers son destin, vers ce qui le dépasse (l’espace, le temps), dans une épure quasi emblématique (l’homme, l’animal, la nature) convoque inéluctablement des histoires originaires de l’enfance de l’homme et de l’humanité : le mythe, l’aventure, le héros, le tragique. Le trappeur forme une sorte d’avatar américain du héros post-cornélien, hanté par la volonté de maîtrise de soi, de l’adversité (« Je suis maître de lui comme de l’univers » rappelle Auguste dans Cinna) ou du sujet cartésien (mais l’ambition de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » résonne ici comme une ironie tragique). De fait, le spectacle montre un homme sûr de lui et pourtant inexpérimenté, très lucide et pourtant imprudent, qui ne fait confiance qu’à la moitié de lui-même, cette part de la raison instrumentale qui calcule, ajuste, observe et déduit et surtout cette part de la conscience qui semble contrôler tout, notamment une volonté qui semble elle-même sans limite. Le trappeur campe un héros solitaire qui ne semble n’avoir confiance qu’en ses propres capacités de réflexion : la nature n’est plus une part de lui-même qu’il écoute mais un milieu hostile dans lequel il évolue. Le texte montre par exemple combien le chien incarne en quelque sorte une conscience qui n’a pas fait sécession : son instinct le préserve et le prévient. Un beau passage du spectacle évoque cette unanimité naturelle : le sang de l’homme et le mouvement du loup réagissent identiquement face au froid extrême. À la manière d’un Tirésias encore plus impénétrable, le regard du chien-loup devine le danger et en dit long sur ce que présage l’entêtement orgueilleux du trappeur. Mais cela, l’homme ne le sent pas, ne le voit pas, trop occupé à fonder son salut sur la réussite opératoire de ses actions coordonnées et la parfaite opiniâtreté de sa volonté. Parfait héros en proie à l’hybris tragique, le trappeur ne cesse de relier son destin à celui d’Icare en rappelant les conseils du vieux sage de Sulphur Creek dont les paroles rappellent celles du prudent Dédale : trop loin, trop haut. Le finale, éminemment scandaleux, ne sauve pas l’homme mais ne le condamne pas davantage. Certes, il rappelle bien évidemment la clausule de L’appel de la forêt et scelle aussi le différend entre l’homme et le règne naturel mais il opère également un renversement de perspective qui réconcilie l’homme avec l’adversité. Le spectacle instaure dès lors une toute autre forme d’héroïsme, certes en mode mineur mais de façon sublime : résigné mais serein, et comme apaisé, l’homme accepte son destin avec une impassibilité qui le fait recouvrir et peut-être même découvrir le véritable héroïsme d’être un homme - vivant et mourant dans l’immensité.
Photo Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 25, 2018 11:55 AM
|
Par Stéphane Capron dans Sceneweb 25-09-2018 La Nuit des Rois ou Tout ce que vous voulez de Shakespeare, première mise en scène de Thomas Ostermeier à la Comédie-Française C’est l’un des événements de la rentrée théâtrale : la première mise en scène à la Comédie-Française de Thomas Ostermeier. Il revisite la comédie de Shakespeare, La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez dans une nouvelle traduction d’Olivier Cadiot et installe un joyeux capharnaüm dans la salle Richelieu. De Shakespeare, il a monté avec sa troupe de la Schaubühne, Richard III ou Hamlet – des tragédies politiques – mais jamais Thomas Ostermeier ne s’était attaqué à la comédie. Une première pour le metteur en scène allemand qui peut s’appuyer sur une troupe de la Comédie-Française prête à tout pour entrer dans son délire. Les comédiens s’en donnent à cœur joie, poussant même un peu plus les limites au grand étonnement du géant de Berlin qui n’en demandait pas tant. Ivo van Hove et Christiane Jatahy sont passés par l’institution française, lâchant la bride d’une troupe totalement en phase avec le théâtre de son époque. Il n’est donc pas étonnant de voir débouler sur le plateau deux gorilles, de voir courir Denis Podalydes en pantoufle et en string ficelle, et d’entendre du rap à fond les gamelles. William Shakespeare écrit au début du 17e siècle cette comédie endiablée sur la liberté sexuelle. Les imbroglios amoureux libèrent cette jeunesse guidée par leur seul désir, sans se soucier du poids des conventions. Avant-gardiste, Shakespeare écrit cette comédie sur le genre et le travestissement, 400 ans avant le mariage pour tous. Il balaye les conventions et laisse les personnages vivre en laissant tomber les préjugés de la société. Christophe Montenez ®Jean-Louis Fernandez Tous les comédiens sont en slip kangourous ou en caleçon ultra moulant, au nez et à la barbe des spectateurs, car ils jouent souvent sur une passerelle qui sépare les fauteuils de l’orchestre. Une proximité qui fait monter la température dans la salle Richelieu surtout avec la présence des deux ivrognes de la pièce, Sir Andrew Gueule de Fièvre – Christophe Montenez et Sir Toby Haut – Laurent Stocker. Ils sont irrésistibles. Christophe Montenez est survolté, il se dandine tel le Iggy Pop de la grande époque. Sébastien Pouderoux n’est pas en reste dans le rôle de Malvolio, l’intendant d’Olivia, dans sa scène de folie, bas jaunes et jarretières croisées, sexe turgescent. Il y a des moments beaucoup plus calmes dans le spectacle avec des cantates de Vivaldi ou de Monteverdi magnifiquement interprétées par un contre-ténor, et des scènes montées de manière beaucoup plus classique. Ces moments de répit ont tendance à faire retomber un peu trop l’ambiance de cette comédie transgressive et orgiaque dont la grande réussite repose sur la qualité de jeu exceptionnelle de la troupe de la Comédie-Française. Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr LA NUIT DES ROIS OU TOUT CE QUE VOUS VOULEZ de William Shakespeare Adaptation et mise en scène : Thomas Ostermeier Traduction : Olivier Cadiot Scénographie et costumes : Nina Wetzel Lumière : Marie-Christine Soma Musiques originales et direction musicale : Nils Ostendorf Travail chorégraphique : Glysleïn Lefever Réglage des combats : Jérôme Westholm Dramaturgie : Christian Longchamp Assistanat à la mise en scène et dramaturgie : Elisa Leroy Assistanat à la scénographie et aux costumes : Charlotte Spichalsky Avec Denis Podalydès Orsino, duc d’Illyrie Laurent Stocker Sir Toby Haut le Coeur, parent d’Olivia Stéphane Varupenne Feste, fou d’Olivia Adeline d’Hermy Olivia, comtesse Georgia Scalliet Viola, déguisée sous le nom de Césario Sébastien Pouderoux Malvolio, intendant d’Olivia et Prêtre Noam Morgensztern Antonio, marin, ami de Sébastien et Valentin, gentilhomme de la suite d’Orsino Anna Cervinka Maria, suivante d’Olivia Christophe Montenez Sir Andrew Gueule de Fièvre, ami de Sir Toby Julien Frison Sébastien, frère jumeau de Viola Yoann Gasiorowski Curio, gentilhomme de la suite d’Orsino, le Capitaine du vaisseau naufragé, ami de Viola et Officier au service d’Orsino Durée: 2h45 Comédie-Française Salle Richelieu DU 22 SEPTEMBRE 2018 AU 28 FÉVRIER 2019 Photo Jean-Louis Fernandez
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 24, 2018 5:57 PM
|
Depuis 2009, la Comédie-Française accueille chaque saison des jeunes diplômés des grandes écoles supérieures d’art qui bénéficient ainsi d’un complément unique de formation :
six comédiens, sélection sur audition puis entretien avec l’administrateur général et depuis 2015 :
un(e) metteur(e) en scène-dramaturge/ une autrice-dramaturge un(e) scénographe un(e) costumier(e) sélectionnés sur dossier puis entretien avec l’administrateur général et le directeur en charge de leur spécialité à la Comédie-Française.
L’idée est déjà ancienne : chaque théâtre aurait en son sein une école. Ces écoles se distingueraient l’une de l’autre comme les théâtres eux-mêmes.
ANTOINE VITEZ L’Académie leur offre une expérience pratique unique aux côtés de la Troupe, mais aussi des metteurs en scène invités et des équipes de la Maison. Ensemble, au cœur de la Comédie-Française, leurs bancs d’école se déplacent entre le plateau, les ateliers décors et costumes, ainsi que dans tous les services de nos trois salles.
DE L’ÉCOLE À LA RÉALITÉ, UNE FORMATION DIPLÔMANTE Pendant onze mois, en participant concrètement à la vie bourdonnante de la Ruche, ils mettent à l’épreuve de la scène la somme de leurs acquis théoriques et esthétiques reçus dans les écoles de théâtre. Un véritable bain de réalité.
Sous la direction des grands artistes invités (Alain Françon, Ivo van Hove, Christian Lacroix, Christiane Jatahy, Jacques Gabel, Ezio Toffolutti…) et grâce aux enseignements dispensés par l’IGS, l’Académie de la Comédie-Française leur permet d’acquérir un MBA en développement de projets culturels.
LA PROMOTION 2018-2019 Les comédiens/comédiennes Peio Berterretche, Pauline Chabrol, Thomas Keller, Olivier Lugo, Noémie Pasteger et Léa Schweitzer L'autrice-dramaturge Béatrice Bienville La costumière Magdaléna Calloc'h Le scénographe Jordan Vincent
Portraits : Stéphane Lavoué
Avec le mécénat de la Caisse d’Épargne Ile-de-France et du Groupe IGS et le soutien de Madame Hermand.
|
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 19, 2018 5:46 PM
|
Par Véronique Hotte dans son blog "Hottello" 19.11.2018 La Petite Sirène, d’après Hans Christian Andersen, adaptation et mise en scène de Géraldine Martineau – Festival d’automne à Paris
La Petite Sirène, d’après Hans Christian Andersen, adaptation et mise en scène de Géraldine Martineau – Festival d’automne à Paris
Surmonter la réalité et s’exposer à avoir les jambes coupées, dure nécessité obligée, même si on est une jolie petite sirène que le confort familial de la vie ne satisfait pas.
Confrontée à la peur des adultes, à l’éveil du sentiment amoureux et à la violence du monde, l’héroïne de la Petite Sirène d’Andersen s’émancipe à travers une danse corporelle instinctive qui subjugue les humains, éblouis par cette ode à la différence.
Capable d’abandonner non seulement sa queue de sirène mais encore sa sœur et sa grand-mère et la mer – une part de soi initiale mais inaccomplie -, la jeune fille prouve en même temps qu’elle est capable de se transformer pour rencontrer autrui.
Risquant sa vie si elle n’épouse pas le Prince – un Charmant qu’elle a sauvé et dont elle est tombée amoureuse, à partir duquel il lui plairait de découvrir le monde -, elle a joué son va-tout, faisant le don à la fois de sa queue et de sa voix qui enchante les hommes.
Or, le bonheur lui est volé à cause de quiproquos qui ne sont pas de son fait. Faute en est à la mauvaise lecture de la réalité par des êtres approximatifs et menteurs.
La Petite Sirène a renoncé à tuer l’aimé, un crime qui l’aurait maintenue en vie, témoignant d’une bonté et d’une humanité qui lui accordent le statut de Fille de l’air, belle étoile reconnue et autorisée à découvrir la poésie du monde, de cœur à cœur :
« Nous soufflons un vent frais sur les enfants fiévreux. Nous réchauffons les cœurs gelés par les grands froids. Enveloppons les corps en manque de douceur. »
La metteure en scène de La Petite Sirène, Géraldine Martineau, analyse le conte comme un chemin initiatique à dimension universelle et intergénérationnelle, une affirmation de soi passant par la modification pour plaire ou être accepté par l’autre.
« La Petite Sirène engage à vivre ses désirs sans céder aux peurs dans le respect bienveillant de soi et des autres », précise la conceptrice qui a adapté fidèlement le conte à travers la poésie et la musique douce des alexandrins libres et non rimés.
Géraldine Martineau ne pouvait faire l’impasse sur les problèmes contemporains – écologie, géopolitique et migrations des hommes et femmes qui fuient l’horreur. Quand on parle des fonds marins, résonnent les urgences du temps, la pollution des océans ; quand on évoque les bateaux des migrants errant sur les mers, on ne peut pas ne pas évoquer, en même temps, la difficulté à accueillir l’étranger, l’Autre.
Les jeunes gens dans la mise en scène incitent leurs parents à ne pas se résigner : le père du Prince – remarquable Jérôme Pouly, un pêcheur enjoué et bon enfant mais mélancolique, est poussé par son fils à regarder plus loin, à s’ouvrir aux autres.
Humour et beauté, mais aussi désenchantement cruel, le conte diffuse sa magie.
La scénographie de Salma Bordes installe les fonds sous-marins dans des couleurs bleues et froides que des cordes suspendues et dorées éclairent, à la manière de Klimt – femmes peintes aux longues chevelures rousses et ondulées, encadrées de piliers d’or. Les figures féminines marines – la Petite Sirène et sa sœur – sont suspendues sur des balançoires, comme si elles baignaient, immergées dans l’eau.
Le monde humain est représenté par le jardin du palais du prince, une terrasse en bois de maison contemporaine avec ses arbres en pot – feuilles vertes rassurantes. Le père du prince parle de recettes culinaires – poissons donnant l’eau à la bouche.
La Petite Sirène vit sa métamorphose à vue – belle chorégraphie de Sonia Duchêne, mêlant danse classique et hip-hop, imaginant des mouvements gracieux, à partir du piano et du synthétiseur de Simon Dalmais. Quant à la voix chantée de Judith Chemla elle sert de fil d’or, l’écho d’une voix intérieure qui ne quitte la conscience.
La merveilleuse Petite Sirène ne pouvait qu’être interprétée par Adeline d’Hermy – silhouette vivante et désirante à la voix sucrée, s’abandonnant à la féérie de son rôle.
La jolie sœur est tout autant facétieuse et amusée, jouée par Claire de la Rüe du Can ; Danièle Lebrun, une grand-mère généreuse, coupant sa chevelure pour sauver son petit « plancton ». Quant à Julien Frison, il est Prince scénique et charmant.
Un voyage bienfaisant dans l’imaginaire doré d’un conte dont nous relevons tous.
Véronique Hotte
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, 99 rue de Rivoli 75001 Paris, du 15 novembre 2018 au 6 janvier 2019 à 18h30, relâche le lundi et mardi. Tél : 01 44 58 15 15 Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 5, 2018 10:07 AM
|
Par Stéphane Capron dans Sceneweb 5 novembre 2018
Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française et Martial Poirson, professeur d’histoire et d’études théâtrales, racontent en 300 pages la passionnante histoire de la Comédie-Française, le plus ancien théâtre d’Europe, né en 1680. Le livre, Comédie-Française, une histoire du théâtre est paru aux Editions du Seuil. Il manquait “un livre généraliste et grand public” sur l’histoire de la Comédie-Française, écrit Eric Ruf, l’actuel administrateur de l’institution dans sa préface. C’est chose faite avec ce condensé en 300 pages de l’histoire de ce théâtre hors du commun, né en 1680 de la fusion des trois troupes parisiennes du Théâtre du Marais, de l’Hôtel de Guénégaud et de l’Hôtel de Bourgogne. Louis XIV entend mettre fin à la concurrence, et “veut assurer une emprise politique et un contrôle sur les spectacles“. Le pouvoir du Prince. On dit de la Comédie-Française qu’elle est la maison de Molière. Mais l’auteur l’acteur n’aura jamais vu de son vivant la naissance du Théâtre-Français puisqu’il meurt le 17 février 1673. Ce sont ses comédiens de sa troupe nommée “Hôtel de Guénégaud” (Baron, La Champmeslé, Armande Béjart, Melle Beauval) qui sont invités à fusionner avec les comédiens du Théâtre du Marais le 18 août 1680. La Grange, comédien chez Molière assure implicitement la direction de cette nouvelle troupe qui donne sa première représentation le 25 août. Elle est placée sous la tutelle monarchique. Elle joue sur la scène de l’Hôtel de Guénégaud (9,75 mètres d’ouverture) -la salle peut accueillir 1324 spectateurs – puis dans le nouveau théâtre du Jeu de paume de l’Etoile, rue des Fossés-Saint-Germain, édifié en 1689 pour une jauge de 1500 spectateurs. Le Théâtre tel qu’on le connait aujourd’hui est inauguré le 15 mai 1790 à l’issue de quatre ans de travaux. Il subit un gigantesque incendie en 1900, et doit être totalement reconstruit. Les deux auteurs retracent donc les grandes phases de l’histoire de ce théâtre à travers 230 documents, dont beaucoup sont inédits. Le Théâtre-Français a suivi tous les soubresauts de l’histoire de France sur ces quatre derniers siècles. Pendant la Révolution Française, la troupe se déchire pour se refonder en 1798. Pendant la guerre de 1870, le foyer sert de refuge pour les blessés. Au cours de la première guerre mondiale, les acteurs sont “mobilisés” pour jouer au front au sein du Théâtre aux Armées et divertir les soldats. Sous l’occupation, le théâtre reste ouvert, mais “les sociétaires “gênants” sont discrètement limogés“. L’ouvrage raconte les hauts et les bas de l’Institution, devant subir au cours de son histoire la concurrence d’autres théâtres, notamment au début du 19e, où les vedettes ne sont pas au Théâtre-Français, mais à l’Odéon ou sur le Boulevard du Crime (Frédérick Lemaitre, Marie Dorval) et les auteurs en vogue, Dumas, Vigny, Hugo sont joués autant sur les grands boulevards – au Théâtre de la Porte Saint-Martin ou au Théâtre de la Renaissance – qu’au Palais-Royal. Mais finalement, l’institution résiste à tous les effets de mode. Si le style “Comédie-Française” a pu être assimilé au “goût français”, aujourd’hui la maison qui emploie 450 salariés a su se renouveler. Elle le doit à tous les administrateurs comédiens ou metteurs en scène depuis 1960: Maurice Escande, Pierre Dux, Jacques Toja, Jean-Pierre Vincent, Antoine Vitez, Jacques Lassalle, Jean-Pierre Miquel, Marcel Bozonnet, Muriel Mayette-Holz et Eric Ruf. Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr Légende photo : la Comédie-Française, photo Arthur Lenoir
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 3, 2018 7:39 AM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde Georgia Scalliet et Franck Vercruyssen bouleversent dans la pièce inspirée d’Ingmar Bergman.
C’est un petit miracle de théâtre qui advient dans la salle de poche du Théâtre de la Bastille, à Paris. Georgia Scalliet, de la Comédie-Française, et Frank Vercruyssen, du tg STAN, jouent Après la répétition, d’après Ingmar Bergman. Après Infidèles et Atelier, c’est le troisième volet d’un ensemble composé par le collectif belge autour de la figure du cinéaste, metteur en scène et auteur suédois (1918-2007), dont on célèbre en cet automne le centenaire de la naissance.
Lire la critique d’« Infidèles » : Les passions bergmaniennes prises dans les jeux de rôles de deux collectifs belges
Pourtant, comme tout véritable miracle sans doute, il n’a rien de spectaculaire. La cage de scène est à nu, le décor quasiment inexistant, qui consiste en une table, deux chaises ordinaires et un vieux canapé marron. Quand vous arrivez, l’actrice et l’acteur sont déjà là. Ce sont donc les spectateurs qui apparaissent, sur le petit plateau qu’ils sont obligés de traverser pour rejoindre leur place, et les comédiens qui attendent. Et ce retournement, en soi, en dit déjà beaucoup sur cette merveilleuse variation sur le théâtre et la vie qui va se jouer devant vous.
Complexité des passions humaines Elle prend pour point de départ le scénario d’Après la répétition, un film de télévision réalisé par Bergman en 1984. Comme il le confiera sans détours dans Laterna magica, sa formidable autobiographie, l’artiste suédois s’y met en scène sans fard, sous l’identité d’Henrik Vogler, un célèbre metteur en scène de théâtre. Pour la cinquième fois de sa carrière, Vogler met en scène Le Songe, d’August Strindberg – la pièce que Bergman lui-même a le plus montée, y revenant une dizaine de fois.
Il a choisi, pour jouer le rôle de la fille d’Indra, fondamental dans la pièce, une jeune comédienne, Anna, qui n’est autre que la fille d’une grande actrice, Raquel, géniale et fracassée, que Vogler a aimée et repoussée vingt ans auparavant. Un soir, après la répétition, Anna et Vogler restent dans le théâtre, et parlent. Ils tomberont amoureux, bien sûr, mais que désireront-ils, en désirant l’autre ? A partir de cette forme simple, vieille comme l’art dramatique, Bergman multiplie avec une transparence humaine incomparable les mises en abîme, les entrelacements infinis entre le théâtre et la vie.
C’est cela que Georgia Scalliet et Frank Vercruyssen interprètent avec un art tout bergmanien de l’acteur, qui ne consiste pas à se livrer à une performance destinée à épater la galerie, mais bien à traduire, avec ces instruments que sont leurs âmes et leurs corps, la profondeur et la complexité des passions humaines. Ces passions que l’on se joue, dans la vie, souvent sous la forme d’un mauvais théâtre.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Bergman-Vogler se met en scène lui-même mettant en scène cette pièce incroyable qu’est Le Songe, de Strindberg. La jeune Anna, que joue la jeune Georgia Scalliet, y interprète donc Agnès, la fille du dieu védique Indra, qui descend sur terre pour comprendre, et donc pour éprouver, les souffrances humaines – la pauvreté, la cruauté, la routine abrutissante de la vie de famille… Quelle plus belle métaphore du métier de comédien, et du théâtre lui-même ?
Un jeu très inventif et expressif Et quelle délicatesse, quelle grâce dans la manière dont Georgia Scalliet et Frank Vercruyssen s’emparent de ce matériau humain infiniment vivant, brûlant et fragile. La jeune sociétaire de la Comédie-Française, qui est par ailleurs prodigieuse dans La Nuit des rois, de Shakespeare, que l’on peut voir parallèlement à la Comédie-Française dans la mise en scène de Thomas Ostermeier, confirme ici un talent exceptionnel. Plus qu’un talent : une recherche de ce que le métier d’acteur a de plus fondamental et de plus nécessaire, une mise en jeu de son être même, une manière d’offrir sa « livre de chair », pour reprendre la métaphore shakespearienne, pour mieux permettre à qui la regarde d’y lire une humanité commune.
Ce qu’elle donne ici est donc d’une valeur rare, à travers un jeu très inventif et expressif, qui, outre celui de Liv Ullmann, n’est pas sans évoquer celui de Gena Rowlands, en moins expressionniste. Enfantine et fatale, elle est à la fois Anna et Raquel, sa mère, en un vertigineux jeu de rôles avec ces histoires familiales complexes que Bergman a connues mieux que personne.
RIEN NE PÈSE, TOUT EST JUSTE, VRAI, TOUT EST REÇU DE MANIÈRE VIBRANTE PAR LES SPECTATEURS Mais face à elle, Frank Vercruyssen, qui depuis vingt ans, avec ses compagnons du tg STAN, n’a fait rien moins qu’inventer une nouvelle manière de jouer, n’est pas en reste. Sans jamais incarner Vogler au sens classique du terme, il le traduit, il le présente, il le représente, à travers un geste, une attitude.
Rien ne pèse, tout est juste, vrai, tout est reçu de manière vibrante par les spectateurs, dans la très grande intimité avec les acteurs que permet la petite salle du Théâtre de la Bastille. « C’est ce que je préfère : la table, la chaise, la scène, la lumière de travail, les comédiens en habits de tous les jours, des voix, des gestes, des visages. Le silence. La magie », écrivait Bergman dans Laterna magica. Tout est dit.
Lire le récit : tg STAN, le théâtre à quatre bandes
Après la répétition, d’après Ingmar Bergman. De et avec Georgia Scalliet, de la Comédie-Française, et Frank Vercruyssen, du tg STAN. Festival d’automne, Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, Paris 11e. A 18 heures ou 19 h 30, jusqu’au 14 novembre. De 17 € à 27 €. Durée : 1 h 15.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 31, 2018 12:23 PM
|
Par Armelle Héliot dans Le Figaro Mis à jour le 30/10/2018 MORCEAU CHOISI - À la Comédie-Française, Alain Françon donne à La Locandiera les nuances sourdes d'un monde qui s'efface. C'est beau, c'est fin, c'est subtil. C'est drôle, très drôle. C'est admirablement incarné par un groupe d'interprètes intelligents et profonds, qui se plient, aériens et mobiles, au rythme vif imprimé à la représentation. Dans les costumes harmonieux du maître Renato Bianchi, un décor à transformations idéales de Jacques Gabel, sublimés par les lumières de Joël Hourbeigt, cette Locandiera est un bijou brillant, poli à la perfection. Mais l'éclat, ici, est toujours assourdi d'on ne sait quelle mélancolie qui dit les vies ratées, les destins ligotés, les mensonges d'hommes et de femmes qui sont entraînés vers la fin d'un monde. Jamais on n'avait ressenti avec autant de clarté que les aventures de la merveilleuse Mirandolina, la délicieuse aubergiste dont tout le monde est amoureux, sont amères. La musique de Marie-Jeanne Serero le laisse entendre furtivement. Alain Françon, qui signe cette mise en scène, et son dramaturge, David Tuaillon, n'étouffent en rien la comédie, son efficacité. Ils s'appuient sur la traduction scrupuleuse et inventive de la regrettée Myriam Tanant, dont ce fut le dernier travail. Universitaire et femme de théâtre complète, elle avait appris auprès de Giorgio Strehler à écouter Goldoni. On pense au maître de Milan en saluant les comédiens, tous parfaits. Ici, on prend le public à témoin. Sans cesse. Rien de démonstratif pourtant, mais la vie même et ses mensonges Deux heures durant, c'est à la salle que les personnages s'adressent. Ici, on prend le public à témoin. Sans cesse. Rien de démonstratif pourtant, mais la vie même et ses mensonges. Un vrai aristocrate fauché, grande baderne (aigu Michel Vuillermoz), un faux noble perclus d'argent (Hervé Pierre, épatant), un jeune chevalier qui n'aime que son plaisir (Stéphane Varupenne, ultrasensible) et son valet lui aussi épris de l'aubergiste (Noam Morgensztern, précis), deux comédiennes tapageuses et pauvres (Coraly Zahonero, Françoise Gillard, cocasses) jacassent et se disputent les faveurs de Mirandolina (superbe Florence Viala), femme indépendante qui a hérité l'auberge de son père, avec promesse d'épouser son serviteur, Fabrizio (Laurent Stocker, remarquable). Ici, la révolution c'est que le chevalier dit ne pas aimer les femmes et que Mirandolina, metteur en scène, va tout faire pour le rendre fou d'amour et réussira. Mais à quel prix! Tout le monde perd et sort brisé. Un monde s'efface. Une société se dissout. On rit, le cœur serré. Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu'au 10 février. Tél.: 01 44 58 15 15. Durée: 2 heures.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 24, 2018 8:15 PM
|
Par Thierry Jallet dans Wanderersite 24.10.2018 Portant souvent le titre de « Maison de Molière », la Comédie-Française met régulièrement à l’honneur les pièces du patron de la maison. Cela étant, Eric Ruf reconnaît lui-même qu’il « n’est jamais simple de monter Molière » et, même si « les acteurs de cette maison entretiennent avec ce répertoire (…) une proximité », il convient de reconnaître la gageure que recouvre pareil projet. Denis Podalydès a pourtant accepté de relever ce défi la saison dernière en mettant en scène Les Fourberies de Scapin. La pièce figurant au nombre des dernières écrites et jouées par l’auteur se caractérise par un retour aux origines de la comédie moliéresque où l’influence de la farce et des comédiens italiens en particulier ressurgit significativement. Même si elle ne rencontra que peu de succès du vivant de Molière, elle reste aujourd’hui l’une des plus connues du grand public. Sans doute, cela augmente-t-il le risque de se fourvoyer et de déplaire. Admettons aussi qu’il peut y a voir quelque chose de stimulant à constater la vivacité d’un tel classique. Wanderer était donc au théâtre des Célestins de Lyon pour assister à une représentation de la tournée reprise cette saison.
« Parola non trova, parola non trova… » Plus de mots, la chanson s’achève. Scapin émet un sifflement aussi aigu que bref et disparaît dans les dessous de scène, sautant par la trappe qui avait permis son entrée au début de la représentation. C’est qu’il n’a plus rien à dire, la machine est jouée, le spectacle est terminé. Libre, il peut se retirer alors qu’il se trouve au sommet de son art, sous les applaudissements instantanément nourris du public des Célestins. Car c’est bien de son art dont il est question ici. Plus qu’un simple ressort théâtral, sa fourberie est précisément le sujet qu’a souhaité développer Denis Podalydès en s’appuyant sur une solide réflexion à la fois dramaturgique et philosophique pour faire ressortir la singularité de ce personnage qui, selon l’étymologie de son nom, s’échappe – nous échappe continuellement peut‐être ?
Benjamin Lavernhe qui campe avec maestria le célèbre valet apporte un éclairage sur son entrée en scène au début de la pièce. Pour le jeune pensionnaire de la Comédie‐Française, Scapin « a besoin des autres, du regard des autres (…) c’est pour cela que cela parle de l’acteur (…) Et il n’existe que par son art. » Ainsi, il confirme la dimension aussi méta‐théâtrale que métaphysique que recèle la pièce. Dans la première scène de l’acte I, affranchi de toute contrainte, ad hoc il surgit par cette ingénieuse trappe, entendant les plaintes d’Octave. Comme naissant du théâtre lui‐même. S’extirpant de l’orifice, on le découvre avec surprise et amusement dans le plus simple appareil. Parce que Denis Podalydès souhaitait initialement qu’il vienne de la mer. Parce que c’est aussi un moyen sans doute de montrer l’acteur nu sur le point de revêtir les oripeaux de son personnage.
Au‐delà de la simple mise en abyme, arrêtons‐nous sur les choix qui ont efficacement permis l’enluminure des galanteries ingénieuses de Scapin. La scène est à Naples, comme l’indique la didascalie liminaire. Et l’éclatante scénographie d’Eric Ruf en propose une vision assez novatrice, tout en verticalité. En effet, à l’opposé de Scapin, les autres personnages arrivent par un échafaudage qu’ils descendent, entrant ainsi « par en haut ». Et chacun nous entraîne vers la scène, en plongée. On « s’aventure dans des bouges du port, les culs de basse‐fosse et les lieux interlopes de docks au commerce illicite » comme l’indique Eric Ruf dans sa note d’intention. Le spectateur découvre ainsi un espace s’apparentant à un môle quelque peu abandonné, entre structures métalliques et palissades, poulies et filets disposés ça et là, laissant apparaître dans un interstice étroit, une plage tout aussi étroite. Dès le début de l’acte II, cette dernière ouvre sur un imposant panneau représentant un tableau coloré d’Auguste Mayer intitulé Scène de la bataille de Trafalgar descendu avec force fracas, ce vacarme reproduisant celui des activités portuaires. Image d’un monde au‐dessus de celui du plateau, devenu le niveau plaisamment limbesque où Scapin va régner en maître pour venir en aide à ceux qui ont besoin de lui.
Les premiers d’entre eux sont les fils, Octave et Léandre, tombés amoureux et vivant clandestinement leurs relations avec leurs bien‐aimées, sans se préoccuper jusque‐là de leurs pères, Argante et Géronte, retenus à distance. Mais les voilà de retour. Et les fils redeviennent des enfants : vulnérables, sans défense contre la violence paternelle autoritaire. Ce sont justement les gémissements d’Octave – convaincant Birane Ba – qui attirent l’attention de Scapin. En bon ouvrier de ressorts et d’intrigue, le valet va alors mettre son talent au service du jeune homme, lui faisant répéter son rôle face à son père – sans grand succès – dans une scène extraordinaire de théâtre dans le théâtre, dynamique et drôle en diable. Il y a dans le jeu de Benjamin Lavernhe quelque chose qui évoque presque le surnaturel de la fiction, tant le Scapin qu’il campe a quelque chose d’un personnage follet. Un djinn napolitain se déchaînant sur scène !
Sous le regard admiratif de Silvestre, le valet inverse, Scapin bondit, monte sur la palissade, en redescend aussitôt, réfléchit, organise, s’agite en tous sens, suivant une rythmique paradoxalement très précise : celle du fourbe, aigrefin manipulateur et facétieux, usant des pouvoirs illimités de la parole maîtrisée.
Pourtant, sa condition de valet se rappelle douloureusement à lui quand Léandre – Jean Chevalier – pensant avoir été trompé, le menace dangereusement et l’oblige à la faveur du quiproquo à avouer ses précédents méfaits. Dans cette scène mouvementée où le maître tente de noyer le serviteur, c’est finalement Carle qui renverse opportunément le rapport de forces en annonçant que Zerbinette est retenue prisonnière. Il n’en faut pas plus à Scapin pour reprendre le dessus sur les deux jeunes maîtres réduits à le supplier à genoux, au pied de la palissade à la cime de laquelle il triomphe une fois encore, s’adressant d’un ton ferme à l’un, repoussant négligemment la tête de l’autre. C’est que le monde de Scapin est littéralement à l’envers. Certes la tradition de la comédie moliéresque a vu de nombreux valets et servantes, impertinents au verbe haut. La mise en scène de Denis Podalydès souligne à quel point Scapin les surpasse tous, devenant littéralement maître à la place des maîtres.
Dans une démarche guerrière, ourdissant sa machine, il attend les pères rendus furieux, debout face au public, la tête haute, en héros majestueux. Et son art fait le reste pour leur soutirer leur argent. Le sympathique Argante qu’interprète Gilles David ne reconnaîtra pas le grossier Silvestre – désopilant Bakary Sangaré sous un masque grotesque en mailles rouge vif – qui joue le frère belliqueux de la jeune épouse d’Octave, suivant les indications de son maître de comédie : Scapin lui‐même. Au comble d’une frayeur aussi incroyable que ridicule, Argante finit tremblant la tête dans un seau. Le public jubile, de connivence avec l’aimable gredin qui anime cette « folle journée ».
Ne taisons pas la place du rire dans la pièce, très largement respectée ici. Relevant autant de la transgression farcesque – avec par exemple l’utilisation des crustacés en plastique mis dans la culotte de Scapin par Léandre – que des lazzi de la commedia dell’arte, ces Fourberies provoquent les éclats du public avec grande efficacité. Sans doute la fameuse scène du sac, mise en œuvre par un Scapin assoiffé de vengeance contre le père de Léandre, en est la plus criante illustration. Le travail scénographique est particulièrement réussi avec l’utilisation du bras articulé dans la tour sur scène qui permet manuellement de soulever le sac. Benjamin Lavernhe est fascinant tant il paraît littéralement ensorcelé en jouant le valet qui contrefait voix et accents, gesticule, cabriole sans retenue afin de rudoyer Géronte. Ce dernier formidablement interprété par Didier Sandre, se retrouve ensanglanté, poussé à l’agonie à la fois par les coups reçus que par la découverte de la tromperie dont il a été victime. Après que Scapin s’est échappé une fois de plus, le vieillard ridiculisé a à peine le temps de panser ses plaies dans la scène suivante qu’il se retrouve sous les moqueries de la rieuse Zerbinette – Elise Lhomeau – écho sur scène de nos propres rires.
La comédie s’achève par le dénouement‐coup de théâtre attendu : les pères reconnaissent les filles, acceptent les noces des deux couples de jeunes amoureux enfin au grand jour. Tout est bien qui finit bien, si ce n’est le sort de Scapin revenu au rang de subalterne et exposé aux représailles de Géronte voulant qu’il « lui fasse raison de la pièce qu’il [lui] a jouée ». Dans une ultime entreprise hasardeuse, baroud d’honneur du serviteur condamné, il joue au sens propre du terme son va‐tout en mettant en scène sa propre agonie, atteignant peut‐être de cette façon le point culminant de son talent d’histrion, entouré de tous, dans un ballet où maître et valet, agrippés l’un à l’autre s’agitent une dernière fois. Avant le temps du pardon qui advient. Avant la sortie de tous par le haut de l’échafaudage, jetant un dernier regard vers Scapin achevant sur les notes de son requinto. « Parola non trova, parola non trova… »
C’est donc une mise en scène révélant la vigueur de la pièce dans le répertoire moliéresque qui est portée par la troupe de la Comédie‐Française. Le personnage principal dont la complexité apparaît avec netteté, y prend même les faux airs d’un authentique héros épique. Il y a en effet quelque chose d’Ulysse dans ce Scapin plein de mètis dans la proposition de Denis Podalydès. Pour autant, il n’en reste pas moins humain. Comédien autant qu’amateur de comédie. Rieur parmi les rieurs que nous sommes. Légende photo Argante (Gilles David), Scapin (Benjamin Lavernhe) et Sylvestre (Bakary Sangaré) Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 18, 2018 6:09 PM
|
Dans le monologue «Clouée au sol», la comédienne incarne une pilote de l’air dépressive car déclassée et affectée au maniement de drones. Sur scène, la comédienne et metteure en scène Pauline Bayle n’est pas clouée au sol mais bien plantée, ses pieds ne se déplacent quasiment pas, et c’est son souffle, sa respiration abdominale, la manière dont elle s’empare physiquement du texte, dont elle accélère, dont tout son corps s’émeut, qui sont la base de ce spectacle minimaliste, où une femme lutte contre la dépression par le survoltage, l’emballement du langage, et la minutie. Le sommeil cesse évidemment quand les mots se mettent en boucle sans possibilité d’appuyer sur la touche stop. Et c’est cette excitation de la pensée, ces ruptures de rythmes, l’enthousiasme désespéré de celle qui ne va pas tarder à chuter, que Pauline Bayle réussit particulièrement à transmettre, sans exagération. La crise maniaque peut ne pas être spectaculaire.
Minimaliste ? Une actrice, un éclairage quasi unique, quelques bruitages imperceptibles dont on note la présence lorsqu’ils se calment à la manière d’un réfrigérateur qui cesse de ronronner : la mise en scène de Gilles David, sociétaire de la Comédie-Française, a besoin de peu pour faire entendre ce drôle de monologue de George Brant, dramaturge américain inédit en France, qui nous exhorte à nous intéresser aux drones et au stress post-traumatique des militaires chargés de les surveiller. La déflagration psychique est d’autant plus importante que le geste du militaire est déconnecté de sa conséquence. Autrement dit, c’est par un mouvement de manette effectuée dans une base à Las Vegas qu’il tue en Irak, en Afghanistan, ou ailleurs, dès lors qu’un «ennemi» bouge. Les mots de George Brant nous immergent donc dans la voix d’une des très rares femmes pilotes au sein de l’US Air Force, obligée de renoncer à son rêve «de ciel bleu» pour cause d’amour et d’enfantement, car elle est ensuite déclassée, enfermée toute la journée «dans une caravane climatisée», aux commandes d’un drone, le regard constamment fixé à l’ordinateur, qui montre «le gris du sol», à la place «du bleu du ciel». Si la femme est chargée d’abattre des humains à la manière d’un jeu vidéo, c’est sans armes égales avec l’ennemi, qui ne peut pas riposter. De là à se prendre pour «l’œil de Dieu», il n’y a qu’un pas, que la militaire renvoyée à son rôle de mère de famille franchit, tout en s’occupant de sa fille qu’elle embarque dans les grandes surfaces ultra filmées, et de son mari, vigile dans un casino. La manière dont les caméras de surveillance envahissent tout l’espace du couple est paradoxalement bien rendue par l’absence de vidéo dans la mise en scène. La facilité aurait été de projeter des images de drones ou de caméra de surveillance.
Pauline Bayle, 30 ans, fait partie des metteures en scène à l’ascension rapide. Elle s’était attaquée à l’épopée d’Homère au Théâtre de la Bastille à Paris, il y a un an, spectacle que Libération n’avait apprécié qu’avec modération. C’est cependant avec la même économie de moyens qu’elle l’avait conçu. On la retrouvera en 2019 à la Comédie-Française, au Studio-Théâtre, où elle adaptera le best-seller et prix Goncourt de Leïla Slimani, Chanson douce.
Clouée au sol de George Brant m.s. Gilles David. Les Déchargeurs, 75001. Jusqu’au 3 novembre.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
October 5, 2018 11:56 AM
|
Par Pierre Lesquelen dans I/O Gazette 5 octobre 2018
La boîte blanche qu’édifie Nina Wetzel pour cette nouvelle production française de Thomas Ostermeier, après « La Mouette » et sa cage grise en 2016, offre une utopie scénographique à cette antichambre claire du théâtre qu’est « La Nuit des rois », où toutes les machines optiques sont mises à l’épreuve. Annonciatrice selon le metteur en scène d’une « crise de la représentation » moderne, à la fois théâtrale et sociale, la comédie de Shakespeare est située ici à l’orée de la culture humaine, au plus proche des singes (incarnés par deux peluches géantes) et des signes dont les personnages performent le crépuscule (à l’exception d’un Malvolio aux lingeries racoleuses, qui finira pendu aux cintres de la vieille boîte noire.) Si les notes d’intention léguées par Ostermeier, copieuses et filandreuses, laissaient craindre un parti pris flottant, le spectacle condense brillamment la puissance carnavalesque et populaire de l’esprit shakespearien, ranimé entre autres par des apartés contemporains et un dance battle plutôt croustillants. Habitué aux approches sociologiques du drame moderne, Ostermeier ne force pas la lecture dégenrée de Shakespeare que l’on aurait pu attendre (à l’heure où même « Iphigénie » serait devenue, selon Olivier Py, une pièce pré-féministe.) L’artiste explore plus naïvement la puissance défigurante de l’art dramatique et de la farce, sur ce plateau insulaire où tout est déjoué par le théâtre et dans le théâtre, Ostermeier déchirant comme dans « Richard III » le cadre italien feutré, cette fois-ci par un praticable transversal. Si la performation ludique du genre permettrait selon Judith Butler de défaire le langage culturel, le spectacle trouve alors, au-delà de son humeur blagueuse, toute une raison d’être politique. Il est toutefois regrettable que seules Adelyne d’Hermy et Georgia Scalliet convoquent cet au-delà du visible promis par la fable shakespearienne, en insufflant lorsqu’elles sont réunies, parmi la joyeuse bande braillarde et virtuose du Français, cette part d’indicible et de mystère qui manquerait à un théâtre sans double et à un genre sans trouble.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 28, 2018 11:31 AM
|
Par AFP dans Libération — 26 septembre 2018 à 08:22
En Chine, un géant du théâtre allemand devient «un ennemi du peuple» En invitant le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier pour présenter «Un ennemi du peuple» d’Ibsen, les autorités chinoises ne s’attendaient certainement pas à voir des spectateurs scander des slogans pour la liberté d’expression. C’est pourtant ce qui s’est passé un soir de début septembre lorsque la pièce -- dont le héros est un médecin qui se bat contre la corruption des autorités locales -- a été présentée à l’Opéra de Pékin, près de la place Tiananmen, assure le directeur de la Schaubühne de Berlin, une des scènes les plus créatives d’Europe. La version d’Ostermeier, le plus célèbre des metteurs en scène allemands, connu pour ses relectures radicales de Shakespeare et d’Ibsen, comprend une interaction entre les acteurs et le public. «Lorsque les autorités s’en sont rendu compte (à l’issue de la première des trois représentations prévues à Pekin, ndlr), elles ont tout fait pour que le scandale n’éclate pas (...) mais ça s’était déjà répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux», affirme M. Ostermeier dans un entretien avec l’AFP à Paris à l’occasion de sa présence à la Comédie-Française où il monte une pièce. - L’acteur a «perdu sa voix» - Par la suite, précise-t-il, «ils ont éliminé tout ce qui s’est dit sur la pièce sur les réseaux». Les autorités chinoises encadrent étroitement le web local pour en expurger tout contenu jugé sensible, comme les critiques politiques, un contrôle qui s’est drastiquement renforcé sous la présidence de Xi Jinping. Ostermeier et sa troupe sont allés des dizaines de fois en Chine, mais sa version d'«Un ennemi du peuple», une pièce de l’écrivain norvégien Henrik Ibsen, a touché une corde sensible. «Nos amis directeurs de festivals et de théâtre nous disaient que monter la pièce en Chine +ce n’était pas possible+», selon lui. En recevant l’invitation de l’Opéra, M. Ostermeier a cru au départ que les autorités voulaient montrer une image d’ouverture. «Puis on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas vu à l’avance la pièce! De leur point de vue, ils avaient commis une erreur», indique-t-il. Les autorités ont alors demandé à enlever la scène de l’interaction. «Nous avons pris la décision de rester car si nous étions partis tout de suite, personne n’aurait vu la pièce en Chine», explique le metteur en scène. Comment montrer qu’il y a eu censure? Un message a été adressé au public lors de la représentation suivante: «Nous voudrions avoir une discussion avec vous, mais l’acteur en charge de cela a perdu sa voix. Avez-vous connu une situation similaire?». «Puis toute la troupe est montée sur scène et nous avons respecté deux minutes de silence. Le public a compris immédiatement», souligne M. Ostermeier. - «Voir qui a pris la parole» - Soudain, ce que les autorités craignaient le plus arriva. «Dans le silence, des membres du public se sont mis à crier en faveur de la liberté d’expression et des libertés individuelles», se rappelle-t-il. La pièce a été par la suite annulée alors qu’elle était programmée deux soirs dans la ville de Nankin, où le théâtre a invoqué des «problèmes techniques». Le régime chinois, qui réprime sévèrement toute velléité d’opposition, se méfie des mouvements contestataires. Dans «Un ennemi du peuple», l’une des pièces plus célèbres d’Ibsen, un médecin découvre que les eaux de la station thermale de son village sont contaminées. Il tente de révéler le scandale mais il est finalement chassé de chez lui, accusé de vouloir provoquer la ruine du village. Montrée dans une quarantaine de pays depuis qu’elle a fait sensation à Avignon en 2012, la pièce, notamment la scène de la prise de parole, est filmée dans chaque ville, en vue d’un documentaire qui s’intitulera «Mapping Democracy» (la démocratie cartographiée). Pékin n’a pas été une exception. «C’est délicat car ils ont confisqué notre matériel», indique Ostermeier, tout en précisant disposer d’une copie du film. «Ils ont regardé pour voir qui a pris la parole». AFP Légende photo Thomas Ostermeier le 19 septembre 2018 à la Comédie-Française à Paris Photo STEPHANE DE SAKUTIN. AFP
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 27, 2018 7:49 PM
|
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault pour le blog "Un fauteuil pour l'orchestre" 24 sept. 2018 L’heureux stratagème, de Marivaux, mise en scène d’Emmanuel Daumas, Théâtre de Vieux Colombier, Paris
© Christophe Raynaud de Lage, coll.CF
Une jolie et jeune comtesse est amoureuse d’un homme très bien et va l’épouser. Mais elle se dit qu’après-tout les hommes décident bien trop souvent, n’arrangent pas tout, trompent et mentent. Alors, pour s’amuser, passer le temps, et montrer que l’égalité existe sans doute pour de vrai, elle annonce à son futur mari, Dorante, déjà inquiet par les informations que lui apporte son valet Arlequin, (oui, elle parle et rit avec un autre homme) qu’en fait, oui elle l’aime bien, lui, c’est un chic type, mais le chevalier, mon dieu quel homme et qu’elle l’aime pour de vrai et va l’épouser. Na ! Ne reste plus qu’à annoncer ça au chevalier en question, qui explose d’un bonheur un tantinet prétentieux, vive lui, et vire fissa sa douce légitime Marquise. Celle-ci pour récupérer son amoureux propose à Dorante, tout triste aussi, de faire comme s’ils étaient fous d’amour l’un pour l’autre. L’affaire est lancée. Et la servante de la comtesse n’en revient pas d’une telle chic idée et décide qu’elle va faire la même chose et faire languir, voire quitter Arlequin dont elle est folle, mais c’est une femme, elle doit faire ce qu’elle veut après tout. Rien que des bonnes idées, qui vont faire rire, hurler, anéantir, espérer, désespérer, aimer.
L’heureux stratagème, comédie en trois actes et en prose, fait partie de ses pièces très peu connues de Marivaux. Très bonne idée de la mettre en scène, très bon travail d’Emmanuel Daumas et des sociétaires et pensionnaires de la Comédie Française, dans un décor d’une pureté superbe. Comme souvent chez Marivaux tout va et vient, l’amour joue, sautille. On est complètement emportés dans ces complots, on s’y attache, près à devenir complices, pourquoi pas. Les sentiments changent de camps, sont à deux doigts de renaître ailleurs, drôle de surprise, et puis tout craque. Les femmes, comtesse, marquise et bonne rendent les hommes fous, de joie ou de désespoir, ce pauvre Arlequin est le seul à n’en pas rire.
Le contemporain et le dix-huitième siècle se mêlent, se superposent, s’infusent dans la blancheur forte du décor, qui reprend et soutient même le thème de la comédie, toute cette blancheur innocente ou cruelle qui s’éparpille, inonde ou ne bouge plus, comme ça, juste pour la splendeur ou tout simplement pour voir qui va l’emporter. Les comédiens sont à nos côtés, débarquent et s’enfuient de la scène centrale en longeant les rangées de spectateurs, ils font partie de nous, elles sont là, nous appartenons à ces cacophonies du cœur, de l’ennui, qui nous pousse à jouer. Le vrai, le faux, l’amour ou le temps qui passe, allez savoir. Une musicalité rebondissante dans cette pièce, même si lorsque le chant arrive sur scène il est lent, sombre peut-être, en anglais allez-savoir pourquoi mais efficace.
L’heureux stratagème porte un titre juste et double : le titre de la pièce de Marivaux et celui dans lequel vous vous serez lancés pour passer presque deux heures inattendues, poussant à la reconnaissance devant un tel splendide travail.
L’heureux stratagème, de Marivaux Mise en scène Emmanuel Daumas Scénographie et costumes Katrijn Baeten et Saskia Louwaard Lumières Bruno Marsol Son Gérald Kurdian Collaboration Artistique Vincent Deslandres Maquillages et coiffures Catherine Bloquère
Avec Éric Génovèse, Jérôme Pouly, Julie Sicard, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Claire de La Rüe du Can
Du 19 septembre au 4 novembre 2018 Durée : 1h45 Réservations 01 44 58 15 15
Théâtre du Vieux-Colombier 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris
www.comedie-française.fr
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 26, 2018 6:17 PM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde - 26.09.2018 A 76 ans, le metteur en scène reprend un formidable « George Dandin » à la MC93 de Bobigny, avant de partir en tournée.
Soixante ans de théâtre, il faut croire que cela conserve. A 76 ans, Jean-Pierre Vincent est en pleine forme. L’œil vif, la moustache batailleuse si besoin. Ses derniers spectacles attestent que l’on peut continuer à remettre l’ouvrage sur le métier, et l’améliorer de jour en jour. Après En attendant Godot, de Beckett, créé en 2015, qui a triomphé à travers la France pendant deux ans, après Iphigénie en Tauride, de Goethe, en 2016, le metteur en scène signe un passionnant George Dandin, de Molière, visible à la MC93 de Bobigny, avant de repartir lui aussi pour une longue tournée.
Lire la critique : George Dandin, ce dindon de la farce
C’est comme si son heure était venue. Non pas que l’homme soit tout à fait inconnu, qui a dirigé le Théâtre national de Strasbourg (1975-1983), la Comédie-Française (1983-1986), le Théâtre des Amandiers de Nanterre (1990-2001), et signé près de cent spectacles depuis 1958. Mais Jean-Pierre Vincent était resté légèrement dans l’ombre de toute une génération de metteurs en scène qu’il a contribué à promouvoir et à produire. Moins star que Patrice Chéreau, moins « arty » que Claude Régy, moins génialement maudit que Klaus Michael Grüber, moins inventif qu’André Engel, moins à la mode que ne l’ont été Georges Lavaudant ou Jean-Marie Villégier…
Lire la critique : Jean-Pierre Vincent ramène Iphigénie sur nos rivages
Mais beaucoup plus présent sur la scène politico-culturelle que le discret Alain Françon, qui poursuit lui aussi un parcours artistique exemplaire. Du coup, Jean-Pierre Vincent est devenu, de l’avis de tous les observateurs, le « patron » du théâtre français. C’est lui qui monte au créneau, à coups de tribunes dans la presse, ou de prises de parole publiques, pour défendre le modèle d’un théâtre public toujours à reconstruire, et dont il est l’incarnation.
JEAN-PIERRE VINCENT, METTEUR EN SCÈNE : « JE SUIS PROFONDÉMENT PASSIONNÉ PAR L’HISTOIRE, VISCÉRALEMENT, DEPUIS TOUJOURS, MAIS J’AI HORREUR DU PASSÉ » Quand on lui demande s’il a mis beaucoup de lui dans ce George Dandin joué par un excellent Vincent Garanger, Jean-Pierre Vincent sourit. L’histoire du paysan parvenu qui se fait rouler dans la farine par un couple de nobliaux de province qui lui vendent leur fille, Angélique, qu’il sadise en retour, n’est pas la sienne, non. « Dans mes travaux, surtout ces dix dernières années, tout est personnel et rien n’est personnel. C’est-à-dire que tout est personnel et rien n’est autobiographique. Ce que je mets dans mes spectacles, ce sont mes pensées, mes intérêts sur la vie et notamment la vie publique, l’histoire, et ma place, notre place, avec mon groupe d’amis, dans cette histoire. »
Lire la critique : Le « Godot » idéal est arrivé, à Marseille
A la limite, il se serait plutôt mis dans Angélique (incarnée par la jeune et prometteuse Olivia Chatain), personnage qu’il révèle sous un nouveau jour, en une lecture féministe qui fait prendre un sacré coup de vieux à toutes ces mises en scène qui montraient la donzelle comme une péronnelle usant de ses attributs de classe pour humilier le pauvre Dandin. Comme à chaque fois qu’il se plonge dans une pièce, Jean-Pierre Vincent s’est passionné pour cette redécouverte, dans ce processus de réinterprétation permanent qu’est le théâtre. « Quand on choisit une œuvre, c’est pour la donner aux spectateurs, pour dire aux gens ce qu’ils sont, ce qu’ils ont été, ce que leurs parents ont été. Je suis profondément passionné par l’Histoire, viscéralement, depuis toujours, mais j’ai horreur du passé. Je travaille pour que le passé serve le présent, et pas l’inverse, comme dans la culture réactionnaire française bien calée, bien traditionnelle, catholique et cuistre. »
« Une enfance miraculeuse » L’homme est ainsi : la parole vigoureuse et gouailleuse, engagé dans le présent de la rencontre, de la discussion et du débat. Son histoire épouse celle de la France de l’après-guerre. « J’ai eu une enfance assez privilégiée et miraculeuse, note-t-il. Mon père était un petit employé du Palais de justice de Paris – il s’occupait du matériel : les chaises, les crayons et les buvards des magistrats. Mais le miracle, c’est que ce poste était logé dans le Palais de justice. C’était la fonction publique de la IIIe République… Et donc mon école, c’était celle de la rue du Pont-de-Lodi, où habitait Pierre Dux et où Picasso avait son atelier, mon collège c’était Montaigne, mon lycée Louis-le-Grand. Aujourd’hui, avec le statut de mes parents – ma mère était couturière à la maison –, il serait impossible d’accéder à un tel établissement… »
JEAN-PIERRE VINCENT : « LE THÉÂTRE FRANÇAIS DE L’ÉPOQUE ÉTAIT HORRIBLE, POUR NOUS – CES MARIVAUX JOUÉS AVEC L’ACCENT DU 7E ARRONDISSEMENT… » C’est bien là qu’elle a commencé, cette histoire d’ores et déjà entrée dans les annales du théâtre français. En 1958, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent et quelques autres – Jérôme Deschamps, Michel Bataillon… – rejoignent le groupe théâtral du lycée Louis-le-Grand. Chéreau est le plus jeune, il a 15 ans à peine, mais c’est lui qui est devant, déjà. « Il avait rencontré Roger Planchon grâce à son père, qui était peintre, et du coup le chemin vers Brecht s’était ouvert, se souvient Jean-Pierre Vincent. A 16 ans, il prenait le train à travers la RFA et la RDA pour aller au Berliner Ensemble, et en rentrant il nous racontait. On s’est mis à lire Brecht comme des fous, et Meyerhold, qui n’était pas encore traduit. Le théâtre français de l’époque était horrible, pour nous – ces Marivaux joués avec l’accent du 7e arrondissement… On était méchants, on voulait bouffer le monde ! »
Lire l’entretien avec Jean-Pierre Vincent : « Dans “Godot”, plus c’est drôle, plus c’est tragique »
Quelque chose est né là, dans ce regard porté vers l’est de l’Europe, où le théâtre a toujours été bien plus pris au sérieux qu’en France. « C’est aussi l’époque où Roland Barthes a publié son livre Mythologies, que j’admire encore follement, poursuit Jean-Pierre Vincent. Barthes y analyse cette “francité” que l’on voyait à l’œuvre dans le théâtre et qui se résumait à une forme de dilettantisme artistique plus ou moins brillant. Le théâtre, c’était “on va passer une bonne soirée”… On a fait nôtre la première phrase de Petit organon pour le théâtre, le grand texte programmatique de Brecht :“Le théâtre est un divertissement, c’est la meilleure définition qu’on puisse en donner. Mais…” Et le mais a toute son importance… “… il y a divertissement simple, et divertissement complexe”. »
Un classique trempé dans la modernité Ce quelque chose a changé la face du théâtre français, dans ces années 1960 à 1980, âge d’or qui a vu fleurir les aventures de Patrice Chéreau, d’Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil, de Peter Brook… Jean-Pierre Vincent est allé au front. A 32 ans, il a accepté de diriger le Théâtre national de Strasbourg, inventant, avec son fidèle dramaturge Bernard Chartreux, une nouvelle forme de drame historique, notamment avec Vichy-Fictions et Violences à Vichy, dans une France giscardienne qui commençait à peine son travail de mémoire.
A 40 ans, François Mitterrand à peine élu à la présidence de la République, Jack Lang l’envoie souffler sur la poussière qui recouvre alors la Comédie-Française. Jean-Pierre Vincent claquera la porte au bout de trois ans, jugeant, en une formule fracassante, que le poste d’administrateur du Français est « le plus difficile avec celui de Matignon ».
POUR JEAN-PIERRE VINCENT, LE POSTE D’ADMINISTRATEUR DU FRANÇAIS EST « LE PLUS DIFFICILE AVEC CELUI DE MATIGNON » Puis il y aura Nanterre, où Chéreau l’appelle pour lui succéder à la tête du Théâtre des Amandiers. Jean-Pierre Vincent y restera dix ans, faisant venir à ses côtés Stanislas Nordey, actuel directeur du Théâtre national de Strasbourg, qui, avec Denis Podalydès, est un de ses grands héritiers. Avant de revenir aux joies simples – si l’on peut dire – de la mise en scène, avec bonheur, alternant les pièces du répertoire et les auteurs contemporains.
Lire le zoom biographique : Jean-Pierre Vincent en quatre dates
Aujourd’hui, il fait figure de classique, mais un classique trempé dans la modernité, qui n’a rien concédé à un théâtre bourgeois et dix-neuviémiste qui repointe sérieusement son nez ces temps-ci, y compris chez d’anciens jeunes gens en colère. Il a envie de revenir à Heinrich von Kleist, qui fut à l’origine de son parcours de metteur en scène, avec sa Cruche cassée. Allers-retours franco-allemands, toujours. Histoire de continuer, inlassablement, à renvoyer à la France le miroir de ses grandeurs et de ses petitesses.
George Dandin, de Molière. Mise en scène : Jean-Pierre Vincent. MC93 de Bobigny, Jusqu’au 7 octobre. Puis tournée jusqu’en 2019.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 25, 2018 7:00 PM
|
Par Patrick Sourd dans Les Inrocks 26.09.2018
Pour sa première mise en scène avec la troupe de la Comédie-Française, le directeur de la Schaubühne de Berlin électrise La Nuit des rois. Lorsqu’on l’interroge sur le choix de monter une œuvre de Shakespeare pour sa toute première mise en scène à la Comédie-Française, Thomas Ostermeier commence par éclater de rire. “Personne ne me croit, tout le monde pense qu’il s’agit d’une commande de l’institution. Mais je persiste à dire que mettre en scène La Nuit des rois est un choix personnel. J’aime profondément cette pièce et cela fait longtemps que je travaille dessus."
"Comme toujours, je me suis préparé en amont en organisant des ateliers et, s’agissant de La Nuit des rois, la pièce a fait l’objet d’un stage que j’ai mené avec des comédiens au Brésil, puis de deux autres à Rome et à Berlin, autant d’occasions qui m’ont permis de débroussailler ses multiples possibles pour préciser l’angle et la manière de l’aborder au Français.”
L’étonnement venant du fait qu’il s’agit d’une comédie amoureuse parmi les plus folles de Shakespeare, ce pas de côté vers un répertoire auquel ne nous a pas habitués le directeur de Schaubühne s’explique aussi par le fait qu’il avoue n’être pas certain d’avoir les comédiens pour la monter à Berlin. En réunissant Denis Podalydès, Laurent Stocker et la pépinière de talents de la jeune troupe de la Comédie-Française, Thomas Ostermeier se réjouit d’une distribution qu’il considère comme “optimale” pour mener à bien son projet.
L’amour questionné sous toutes ses formes
“Nous vivons des temps extrêmement sombres mais je revendique aussi le droit à l’amusement pour apprendre quelque chose du monde sans tomber pour autant dans la futilité. J’adore l’opportunité de cette création qui me permet de faire passer par les rires le message d’intelligence et de lucidité porté sur la société par Shakespeare. Bertolt Brecht disait qu’il était impossible de jouer des comédies dans des ambiances sombres… Pour que cela soit drôle, on a besoin des pleins feux. J’aime le principe d’inscrire cette Nuit… en pleine lumière sur le plateau de la salle Richelieu.” Avec La Nuit des rois, Shakespeare questionne l’amour sous toutes ses formes, dans un chassé-croisé nourri d’ambiguïté où la séduction de l’autre se joue des faux-semblants du travestissement. Tout commence par le naufrage d’un navire qui sépare des jumeaux en vue des côtes du royaume d’Illyrie.
Se croyant seule rescapée et forte de sa ressemblance avec son frère, Viola prend des habits d’homme pour continuer l’aventure et devenir Césario. Elle se retrouve bientôt à plaider la cause du duc obsédé par les charmes de la comtesse Olivia, sans avoir imaginé que la belle puisse tomber amoureuse d’elle sous les traits de ce messager qu’elle prend pour le plus séduisant des garçons.
Presque une année de traduction pour Olivier Cadiot
Thomas Ostermeier a confié la traduction du texte à l’auteur et metteur en scène Olivier Cadiot, qui collabore de longue date avec lui sur les textes de ses travaux en français. Au-delà d’une intrigue où l’on ne cesse de se faire passer pour qui l’on n’est pas, cette nouvelle version française va relever le défi que s’était lancé Shakespeare de créer une langue neuve en anglais pour rendre compte de la folie de l’action et provoquer les rires.
Nous allons ainsi découvrir un texte où les expressions et les proverbes inventés par Shakespeare pour coller à l’étrange singularité du monde de l’Illyrie vont trouver, grâce aux propositions poétiques concoctées par Olivier Cadiot, des équivalences dignes du surréalisme.
"Un ouvrage de précision qui vise à chaque fois le mot juste"
“Ce fut une énorme tâche qui a demandé près de sept mois de travail à temps plein à Olivier, un ouvrage de précision qui vise à chaque fois le mot juste pour témoigner de cette fièvre d’amour qui contamine les protagonistes sans se préoccuper des normes. Shakespeare fait de l’Illyrie un royaume de fantaisie. Mais ce pays a bel et bien existé, il correspond aux côtes de l’Albanie, et nous savons que les églises catholique et orthodoxe y ont pratiqué, du VIe au XVe siècle, le rite sacré de l’adelphopoiia pour y célébrer des mariages entre deux hommes ou deux femmes."
"Ceci nous ramène à des questions très contemporaines sur la construction culturelle du genre. Je pense en l’occurrence aux écrits de la philosophe américaine Judith Butler, qui développe le concept très théâtral d’un genre se construisant comme le résultat d’une performance répétée. Ce sont ces mêmes mécanismes qu’explore la pièce de Shakespeare en questionnant le désir au-delà des apparences et du travestissement.”
Un fin ponton qui s’avance droit dans la salle
Alors que la répétition reprend, on découvre un décor unique aux allures de chambre d’écho immaculée qui sert d’écrin à la représentation. Au plafond, un luminaire rayonnant symbolise le soleil. Des rochers de carton-pâte et des palmiers découpés dans les pages d’un magazine complètent l’image d’une plage de sable blanc pensée comme une invite idéale pour transformer une grève sauvage en un lieu de sensualité propice aux fantasmes.
Sans oublier le fin ponton qui s’avance droit dans la salle et permet aux comédiens de jouer au milieu du public, la scénographie de Nina Wetzel, qui signe aussi les extravagants costumes, se joue des charmes graphiques d’une heroic fantasy de pure fiction.
On reprend à l’acte III pour se lancer dans la scène décisive où Olivia (Adeline d’Hermy) a le coup de foudre pour Viola déguisée en Césario (Georgia Scalliet). Assis dans un fauteuil du parterre, Thomas Ostermeier gagne vite le plateau pour commenter le travail.
En longues tirades passionnées, ses indications commencent toujours en français et se finissent souvent en allemand. Charge alors à Elisa Leroy, son assistante qui ne le quitte pas d’une semelle, de traduire en simultané la fin de ses propos.
L’obsession des humains de se soumettre à leur désir
La jubilation du metteur en scène est communicative quand il alterne les rôles pour donner la réplique à l’une et à l’autre et donne chair à ses intentions. Le réglage de cette scène d’anthologie où la comtesse drague avec la détermination d’un homme celle qui ne pense qu’à lui cacher son secret d’être en vérité une femme tient alors d’un travail d’orfèvre qui puise au sens de chaque mot pour inventer un langage des corps apte à révéler le désir qui aimante les deux personnages.
Comme une traduction musicale de ce trouble, la voix du contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian (en alternance avec Paul Figuier) cristallise ces émotions depuis la salle. Tout au long de la représentation, que le chanteur soit accompagné au théorbe ou à la guitare électrique, c’est lui qui accorde le spectacle aux battements des cœurs des protagonistes en interprétant une suite de morceaux choisis du répertoire baroque italien du XVIIe siècle, de Monteverdi à Cavalli en passant par Legrenzi et Gesualdo.
"S’accorder à la délirante pression d’un univers d’addiction qui décide des règles du jeu"
“Contrairement à l’adage, je ne pense pas que cette musique adoucisse les mœurs, et j’en fais un horizon d’exigence amoureuse. Dans ce monde où la raison raisonnante est absente, j’ai d’ailleurs fait mienne la phrase de Francisco Goya, ‘Le sommeil de la raison engendre des monstres’. La plupart des protagonistes sont accros à l’amour et les autres sont ivres tout le temps. Ici, nous devons faire avec une réalité qui bat sans cesse de l’aile pour s’accorder à la délirante pression d’un univers d’addiction qui décide des règles du jeu.”
Nous rappelant que l’obsession des humains de se soumettre à leur désir implique souvent un abandon des batailles à mener sur le terrain du politique, Thomas Ostermeier s’amuse d’une drolatique pirouette en forme d’ultime coup de griffe pour faire de cette terre où règne l’hédonisme un paysage où la nature a repris ses droits. On ne s’étonne donc pas qu’une bande de grands singes s’y sentent comme chez eux, tandis que l’humanité se questionne sur la nature du sexe des anges en n’ayant d’yeux que pour son nombril.
La Nuit des rois ou Tout ce que vous voulez de William Shakespeare, mise en scène Thomas Ostermeier, avec la troupe de la Comédie-Française, jusqu’au 28 février à la Comédie-Française (Paris Ier), salle Richelieu, en alternance Légende photo : Le metteur en scène Thomas Ostermeier avec Denis Podalydès © Jean-Louis Fernandez
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
September 24, 2018 7:58 PM
|
Par Armelle Héliot dans Le Figaro Mis à jour le 17/09/2018 Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Marc Lainé transpose de manière originale Construire un feu, le terrible récit de l'écrivain. Loin de son réalisme.
On frissonne en pénétrant dans la petite salle du Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Sur le plateau recouvert de neige, des sapins aux branches qui ploient mais, surtout, de part et d'autre, deux tables adossées à des écrans et portant des paysages miniatures du Grand Nord. Un autre écran, plus important, surplombe la scène. Deux caméras sur leurs hauts pieds complètent le dispositif. On connaît la manière de Marc Lainé, scénographe formé aux Arts décoratifs qui, depuis quelques années, élabore des spectacles dans lesquels la vidéo et la musique sont aussi essentielles que le texte et les comédiens.
La radicalité de cette transcription scénique ajoute à la cruauté de London
On pense notamment à Vanishing Point. Les deux voyages de Suzanne W. avec le groupe Moriarty, Marie-Sophie Ferdane, Sylvie Léonard. On y pense parce que cela se passait dans le Grand Nord… Ici, Marc Lainé adapte le poignant récit de Jack London Construire un feu. Un récit bref, vraiment terrible dans sa deuxième version, datant de 1908. Un trappeur dans la solitude glacée accompagné d'un chien. Il chemine dans les étendues gelées par une température extrêmement négative.
Il est un «chechaquo», un nouveau venu dans la région. C'est son premier hiver. Et Jack London écrit: «Ce qui lui faisait défaut, c'était l'imagination.» Il fait moins 50 degrés Fahrenheit et il éprouve le froid et l'inconfort, mais il ne médite pas sur la fragilité de l'humain note l'écrivain. C'est peut-être ce qui va le perdre. Il n'a pas peur. Il pense qu'il rejoindra le camp et ses camarades.
Seuls les gestes «parlent» Emmitouflé, barbe et visage gelés, Nâzim Boudjenah est cet homme à qui le metteur en scène ne donnera la parole qu'à la toute fin. Il agit. Marche (mais sur place), tente de manger son casse-croûte puis de faire du feu. Seuls son regard et ses gestes gourds «parlent». À ses côtés, le narrateur en pull-over, Pierre Louis-Calixte, et, tignasse longue, gilet et pantalon de jean, Alexandre Pavloff, le chien. Eux portent le récit et filment. Rien qui cherche le réalisme.
Autant l'admettre, l'exercice, ainsi décrit, pourrait sembler complètement artificiel. Et d'une certaine façon, il l'est. Mais, et c'est le miracle de ce spectacle pensé, maîtrisé et admirablement interprété par trois artistes aux voix exceptionnelles et aux personnalités aussi puissantes que sensibles. On est saisi par l'écriture même de Jack London, sa science de la précision, ici traduite par Christine Le Bœuf. Son pessimisme devant la solitude de l'homme et celle du chien.Construire un feuest l'un des récits du Klondike, du nom de la rivière canadienne, dans l'ouest de la région du Yukon. L'Appel de la forêt se situe également là. Dans cette région où Jack London rêva de trouver la fortune de l'or et attisa celle de l'écriture. La radicalité de cette transcription scénique ajoute à la cruauté de London. On frissonne en sortant.
Construire un feu, Studio-Théâtre de la Comédie-Française (Paris Ier), du mercredi au dimanche à 18 h 30. Durée: 1 h 10. Tél.: 01 44 58 15 15. Jusqu'au 21 octobre. Traduction Christine Le Bœuf, Actes Sud, 5,90 €. Légende photo : Alexandre Pavloff et Nazim Boudjenah, des personnalités puissantes et sensibles. - Crédits photo : Pascal Victor/ArtComPress
|