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Le spectateur de Belleville
March 13, 2023 8:11 PM
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Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - 13/03/2023 RENCONTRE L’écriture de la dramaturge et romancière, qui présente « Des femmes qui nagent » au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, ausculte l’emprise et les effets de la domination masculine au cœur même de sa forme. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/13/pauline-peyrade-une-prose-combat-contre-les-violences-faites-aux-femmes-portee-sur-la-scene_6165323_3246.html
Dans ce qu’elle écrit, il y a de la forêt et de la nuit, du silence, des terreurs enfantines qui reviennent s’inviter dans nos vies d’adultes. Pauline Peyrade a 37 ans, elle est dramaturge, tout nouvellement romancière, et c’est une des écrivaines dont on parle, en cette fin d’hiver. Sa dernière pièce, Des femmes qui nagent, est à voir au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 19 mars, avant de poursuivre sa tournée. Son premier roman, L’Age de détruire (éditions de Minuit, 160 p., 16 €), trace sa route, porté par sa puissance de saisissement et un bouche-à-oreille flatteur. Du plus loin qu’elle s’en souvienne, Pauline Peyrade a toujours voulu écrire : « Dès l’âge de 4 ou 5 ans, je prenais des feuilles de papier que je pliais en deux, comme pour fabriquer des livres, avec des petites histoires inscrites à l’intérieur, raconte-t-elle, amusée. J’ai eu depuis la petite enfance une fascination pour l’écriture et les écrivains. » Elle a fait des études brillantes, mais le théâtre s’est invité tard, alors qu’elle était en khâgne au lycée Henri-IV à Paris. « C’est arrivé par la découverte de Jean Genet et de ses pièces Les Bonnes et Le Balcon, se souvient-elle. Cette lecture a été pour moi foudroyante, d’une importance capitale : à la fois pour la puissance d’évocation de Genet, pour son travail sur les rapports de domination, mais aussi pour toute sa pensée sur une forme de métathéâtre, sur la manière dont l’écriture se pense tout en écrivant. » La figure tutélaire de Genet ne l’a jamais quittée au fil de son parcours, qui s’est poursuivi à la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres, où elle a fait d’autres découvertes importantes, au premier rang desquelles Sarah Kane et Edward Bond. Pauline Peyrade a ensuite intégré l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) de Lyon, dans la même section dramaturgie où, aujourd’hui, elle accompagne de jeunes aspirants à l’écriture théâtrale. C’est donc armée d’un solide bagage théorique et intellectuel qu’elle a commencé à écrire ses textes, qui très vite ont été remarqués, notamment par le metteur en scène Cyril Teste. « Reprendre les armes » Pauline Peyrade détonne dans le paysage, où les écritures sociologiques plates et sans mystère se sont multipliées comme des petits pains ces dernières années, un peu trop faciles à fabriquer et à vendre aux programmateurs. D’emblée, ce qu’elle a proposé, avec des textes comme Bois impériaux, Poings ou A la carabine (tous publiés aux éditions Les Solitaires intempestifs en 2016, 2017 et 2020), c’était tout autre chose : de vrais dispositifs formels, des sortes d’enquêtes intimes explorant avec autant de sensibilité que de maîtrise l’intériorité de femmes en butte à différentes formes de violence. Car elle a su d’emblée que c’était cela qu’elle allait écrire : des histoires de la violence, et de celle qui s’exerce de manière spécifique, « systémique », dit-elle, sur les femmes et sur les petites filles. Pauline Peyrade parle d’une voix douce, sa sensibilité et sa timidité affleurent à chaque instant dans la conversation, mais cela n’enlève rien à la netteté de son regard et de sa parole. « Mes textes ne parlent pas de moi, mais ils partent de moi, détaille-t-elle. Je suis une femme, j’écris à partir de là, et chaque texte combat une oppression, une aliénation ou un empêchement. A chaque fois, et là encore Genet me guide, la recherche formelle est l’enjeu central de cette démarche qui consiste à reprendre les armes, à se demander comment on les prend, et pourquoi c’est si difficile de les prendre. » Quand on lui demande d’où vient cette hypersensibilité sur ces questions, Pauline Peyrade répond simplement qu’ « il ne s’agit pas d’un souci extérieur ». On n’en saura pas plus, mais la dramaturge insiste sur un point : « Comme beaucoup de femmes, j’ai eu conscience très tôt de l’inégalité de traitement entre les filles et les garçons. Et, comme beaucoup de femmes, cette prise de conscience, je ne l’ai pas menée jusqu’au bout, dans un premier temps. La plupart des petites filles et des adolescentes voient et nomment la différence de traitement qu’elles subissent, et le fait que ce ne soit pas juste. Mais elles ne prennent pas les armes contre le système ou elles les prennent mal. Parce que tout concourt à leur faire admettre que cette injustice est normale, qu’elle fait partie de la vie. » Ecriture du corps et du détail Cette violence masquée, effacée, recouverte par d’autres récits, et donc difficile à lire, à déchiffrer, est au cœur de ce que la jeune femme opère au sein même de l’écriture, au fil de textes qui sont marqués du sceau du fait divers et du conte. Même si ceux-ci ne subsistent le plus souvent qu’à l’état de traces. Dans Bois impériaux, écrit en 2015, elle était partie de l’histoire de Florence Rey et Audry Maupin, ces Bonnie and Clyde fin de siècle qui tuèrent cinq personnes dans leur cavale en 1994. Pour aller voir au final du côté d’Hansel et Gretel. Dans A la carabine, texte de 2019, le point de départ de l’écriture est l’histoire – vraie – d’une enfant de 11 ans qu’un tribunal français a estimé consentante à son propre viol. Portrait d’une sirène (2018) rassemble trois contes noirs, Princesse de pierre, Rouge dents et Carrosse, centrés autour d’une adolescente victime de harcèlement scolaire, d’une jeune femme aux prises avec les injonctions mercantiles qui veulent façonner son corps et d’une mère qui s’abandonne à la pulsion infanticide. Dans tous les cas, Pauline Peyrade procède comme si elle nous faisait entrer dans la forêt mentale des personnages, obscure, épaisse, touffue. Son écriture du corps et du détail, ses enquêtes intimes, quasi psychiques, à la temporalité éclatée, ne s’offrent pas avec facilité, mais c’est bien le but recherché par l’écrivaine. « J’assume que ce soit un défi à lire, à déchiffrer, de même que pour le personnage central, c’est dur de déchiffrer le réel, à cause de l’état de choc, d’aliénation, de domination, de sidération, de peur, qu’elle subit. Opérer une lecture opaque, c’est rendre sensible le fait que d’une part c’est difficile de le lire, quand on est victime de ce type de violence, et d’autre part de trouver la sortie », explique-t-elle. Des femmes qui nagent vient s’inscrire assez différemment de ce qui précède, de même que ce premier roman, L’Age de détruire, dont le titre, qui pourrait résumer tout le travail de Pauline Peyrade, est emprunté à Virginia Woolf. « Avec l’écriture romanesque, quelque chose s’est déplacé, même si les deux sont encore des histoires de la violence », note-t-elle. Quand la metteuse en scène Emilie Capliez lui a passé commande d’une pièce, l’autrice a eu envie de tourner son regard vers les actrices, qui, et cela n’a rien d’un hasard, sont à la naissance du mouvement #metoo. « Les actrices sont évidemment au cœur de ce que le cinéma a charrié comme représentation des femmes depuis sa naissance, rappelle l’autrice. J’ai eu envie de travailler l’image dans l’écriture elle-même, sans l’analyser. C’est très proche du roman, pour moi : il s’agit de décrire, et par le parcours de la description, raconter ce moment que l’on vit, où quelque chose se défait de ce grand rêve du cinéma, et s’interroger sur cette question du regard. » Pour écrire la pièce, elle a revu des dizaines et des dizaines de films et travaillé sur la question du « male gaze », ce concept qui fait le constat que le regard dominant au cinéma a été longtemps celui de l’homme, reconduisant voire renforçant ainsi la domination des femmes. Et elle dit avoir éprouvé un certain vertige en constatant que son propre regard « était lui-même fait de male gaze autant que de female gaze ». Avec Pauline Peyrade, on rentre bien dans l’âge de détruire un certain nombre de représentations elles-mêmes dévastatrices. Avec les armes de l’art. Lire aussi la critique : « Des femmes qui nagent », mille et une histoires de femmes de cinéma s’invitent au théâtre Fabienne Darge / Le Monde Crédit photo : MATHIEU ZAZZO Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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Le spectateur de Belleville
February 26, 2023 4:47 AM
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Par Laurent Carpentier et Aureliano Tonet dans Le Monde - 26/02/23 Accusées de sexisme ou de postcolonialisme, dans les écoles d’art, de cinéma et de théâtre, les icônes d’hier sont aujourd’hui « déconstruites » et la parole des enseignants est remise en question.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/26/quand-les-etudiants-deboulonnent-godard-koltes-ou-tchekhov_6163345_3246.html
Lundi 5 décembre 2022, à la Fémis, la grande école parisienne de cinéma, Nicole Brenez tient un cours sur l’art et la manière de conclure un film. La directrice du département Analyse et culture cinématographique projette la fin de Sombre (1998), de Philippe Grandrieux : un féminicide, analyse-t-elle, après avoir averti que l’extrait contenait des images violentes. Tollé des étudiants qui quittent la salle. « Le viol n’est pas un motif narratif, il n’est pas un pivot dramaturgique, il n’est pas une pulsion de mort qui existe en chaque être humain », écrivent, deux jours plus tard, les élèves de première année, dans un long mail interpellant l’ensemble de la Fémis. « Le viol est une construction sociale largement acceptée, normalisée, esthétisée et érotisée. Il est temps d’en parler comme tel. » Signé : « Les femmes de la promotion Kelly Reichardt… » Anecdotique ? Pas vraiment. L’événement raconte un mouvement que l’on retrouve dans la plupart des lieux où s’enseigne la culture. A la Fémis, dans l’urgence, la direction organise un débat, vendredi 9 décembre 2022. « Trois heures de dialogue de sourds, entre deux générations irréconciliables », juge une étudiante. « Un échange fructueux, assure, au contraire, Nathalie Coste-Cerdan, la directrice générale, pour qui tout est rentré dans l’ordre. Un groupe de réflexion, dont font partie certaines étudiantes de la pétition, s’est réuni plusieurs fois : comment mieux encadrer et contextualiser les représentations violentes, sans les interdire ? » Fin janvier, au bar Le 61, un café parisien près du canal de La Villette, Nicole Brenez dédicace le livre qu’elle vient d’écrire, Jean-Luc Godard (De L’incidence éditeur, 336 pages, 9 euros). La petite salle grouille de cinéphiles venus l’écouter. Emue, elle parle mezza voce, tout son corps semble s’excuser d’être là, un tout petit peu dans la lumière : « Dans ma génération, on s’intéressait plus aux œuvres qu’aux gens. Je suis une formaliste, j’ai été éduquée comme ça. Alors que je suis une groupie de Godard, je n’avais pas lu une biographie et n’avais jamais imaginé le rencontrer », raconte la critique devenue une proche du réalisateur. On cherche à lui parler. On évoque la Fémis. Sa voix se tarit, submergée de tristesse. Tout juste balbutie-t-elle : « Tout mon principe de base existentiel, structurant, idéologique, m’empêche de me battre contre mes élèves. J’ai toujours été pour la liberté de la parole, la remise en question, je suis là pour les aider. On est dans une absurdité totale… » Lire aussi Article réservé à nos abonnés Un vent de diversité souffle sur les écoles de cinéma Aux Beaux-Arts de Marseille, c’est Le Mépris (1963), de ce même Godard, qui a mis sur la sellette Didier Morin, professeur de cinéma et de lettres pendant un quart de siècle. « Depuis quelque temps, pendant les projections, j’entendais un brouhaha dans le fond de la salle, je croyais que c’était de l’inattention, mais, ce jour-là, j’ai compris… » Ce jour-là, « elles » se sont levées et ont débranché le projecteur. C’était en 2019. Exit Brigitte Bardot dans le plus simple appareil roucoulant « Tu les aimes mes fesses ? Et mes seins ? ». Spécialiste de Pier Paolo Pasolini et de Jean Genet, Didier Morin pousse un soupir sans fin : « Et encore, je n’ai jamais montré Une sale histoire (1977), de Jean Eustache, où Michael Lonsdale raconte comment il est devenu voyeur grâce à un trou percé dans les toilettes des femmes… Je me serais fait incendier. » « Une génération hypersensible » Partout, des profs sur le gril. En février 2020, à Paris-VIII, une historienne travaillant sur les représentations de l’affaire Dreyfus met le film de Roman Polanski à son programme. La séance est interrompue. Un an plus tôt à la Sorbonne, Les Suppliantes, d’Eschyle, sont bloquées parce que le metteur en scène, Philippe Brunet, spécialiste de la Grèce antique dont il dit suivre la tradition, a maquillé une Danaïde couleur cuivre : délit de « blackface ». Ici, c’est un linguiste tenant une conférence anti-écriture inclusive qui est arrosé d’urine ; là, une professeure qui écrit « chère madame » à ses élèves se retrouve attaquée parce que le « chère » est jugé familier. « C’est une génération hypersensible », se désole un professeur confronté à une étudiante horrifiée par la photo de Richard Avedon, Dovima with Elephants (1955), qui heurte ses convictions animalistes. Combat de nègre et de chiens (1979), la pièce de Bernard-Marie Koltès, reste elle en travers de la gorge d’élèves de Paris-III. La liste est sans fin. L « Juste de la hargne contre notre autorité de la part de quelques harpies débiles », s’emporte un professeur d’histoire de l’art. Attaqué pour ses manières d’un autre âge – du genre à dire à une étudiante qu’elle est « jolie comme une sculpture de porcelaine » –, il a fini, poussé par son administration, par partir à la retraite bien avant ses 64 ans. Au commissariat de police où il avait été convoqué, l’inspectrice lui avait signalé : « Vous montrez des nus dans vos cours ! » Il en rigole encore. « Je travaillais sur l’arte povera et l’art brut, je n’ai jamais montré de nus, mais je lui ai conseillé d’aller faire un tour au Louvre. » Convoqué au commissariat, Didier Morin l’a été lui aussi. L’homme qui, aux Beaux-Arts de Marseille, faisait étudier Le Mépris aurait, à la cantine, touché avec son plateau-repas les fesses d’une élève. Non-lieu judiciaire, opprobre public. Il a quitté l’enseignement. Ce que, dans leur texte, les « femmes de la promotion Kelly Reichardt » de la Fémis reprochent à leur professeur, au-delà d’avoir montré quelque chose qu’elles considèrent comme du « male gaze » (le regard masculin érotisant le corps des femmes), c’est de ne pas les avoir mieux averties du contexte, de n’avoir pas actionné de « trigger warning » (« avertissement en amont »)… Né sur les campus américains, le lexique « woke » (le « réveil » des consciences) a gagné l’université française. « Cancel culture » (dénonciation publique et annulation d’événements comme méthode de lutte), « safe place » (lieu où l’on ne tolère pas les comportements stigmatisants), « blackface » (grimage du visage en noir)… Lire aussi Article réservé à nos abonnés Le péril largement exagéré d’une jeunesse « woke » en rupture « On sait bien ce que produit le “trigger warning” aux Etats-Unis : de l’injustice, de la censure, s’inquiète un professeur de Paris-III qui a longtemps travaillé outre-Atlantique. Là-bas, les élèves sont des clients. Ils paient et il faut les satisfaire. Chez nous, c’est moins le cas. » A voir. Là où l’école publique, laïque et obligatoire avait sanctifié la parole du maître, l’autonomie grandissante des établissements du supérieur et l’optimisation financière qui va avec sont en train de changer la donne. L’élève, qu’il paie chèrement ses études ou qu’il soit boursier, devient une variable économique, un consommateur à satisfaire. Le professeur, autrefois systématiquement soutenu par l’institution, est remis en question. Ajoutez la caisse de résonance des réseaux sociaux : désormais, la voix des élèves n’est pas seulement écoutée, elle est entendue. Comme le raconte Emma, en cinquième année d’un cursus de médiation culturelle à Bordeaux : « A nous, on a appris qu’on avait le droit de parler et que notre parole avait un sens. » En 2022, un de leurs professeurs tenait des propos « sexistes et racistes ». Les élèves sont allés voir la direction. Il a disparu des effectifs. Enseignement en jeu Un changement de paradigme salutaire pour les jeunes générations. Qui laisse, de l’autre côté, les enseignants parfois bien seuls face à la vague. Spécialiste de l’essai documentaire et du montage cinématographique, Bertrand Bacqué, 58 ans, est professeur associé à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD) de Genève (Suisse). En avril, il travaille avec ses élèves sur un texte de Johan van der Keuken datant de 1967, « La vérité 24 fois par seconde » – référence à une formule de Godard, une fois de plus. Comme il le fait depuis dix ans, Bertrand Bacqué diffuse un extrait d’un film de l’auteur, Lucebert, temps et adieux (1994). « C’est un montage très serré, des travailleurs sous le soleil, un dictateur grimaçant, une chèvre qu’on égorge, et puis une fête en Espagne avec les Rois mages, dont Balthazar, le visage peint, raconte un élève. Une étudiante noire a jugé que c’était négrophobe, elle s’est couchée sur sa table. Le prof a essayé de lui expliquer que van der Keuken était de son côté. Rien n’y a fait. » L’élève ne vient plus aux cours, le professeur ne valide pas son semestre. Le voilà bientôt convoqué par l’administration pour diffusion d’images racistes. C’est que la HEAD est à la pointe de la lutte contre les discriminations. Il y a quatre ans, son président a nommé un « déléguex » à l’inclusivité – le « x » désigne le non-genré. Transgenre, Nayansaku Mufwankolo est en effet, tel que l’explique sa bio sur le site de l’université, « unx poetx et chercheurx en art contemporain diploméx d’un master de l’université de Lausanne en anglais avec spécialisation en new american studies et en histoire de l’art ». A Bertrand Bacqué, on demande de suivre une formation sur ces questions. « Ça a l’air futile, raconté comme ça, mais si l’écriture inclusive fait autant peur, c’est qu’elle questionne le pouvoir », réagit Iris Brey, 37 ans. Avec son essai Le Regard féminin. Une révolution à l’écran (Ed. de L’Olivier, 2020), cette critique de cinéma est devenue un modèle pour les élèves qui se clament « déconstruit.e.s ». « On est à un endroit de fracture et de scission. C’est un moment d’inconfort, qui peut créer des situations ubuesques, mais je pense que ça va déboucher sur une vision fructueuse du cinéma. A l’image de ce qu’a fait le mouvement structuraliste dans les années 1960, réfléchir aujourd’hui à travers une grille féministe ne peut que générer de la pensée. Godard ne disparaîtra pas, mais il rencontrerait moins de résistance si, à côté de ses films, on étudiait un peu plus ceux de Chantal Akerman. » Helléniste, venue au cinéma par la littérature et le mythe de Médée, longtemps enseignante à la New York University, Iris Brey se veut conciliatrice : « Nicole Brenez est, pour moi, une des plus grandes critiques qui existent, qui a beaucoup apporté à la compréhension d’un cinéma queer. Mais, à la Fémis comme ailleurs, c’est moins la question du “trigger warning” que celle de l’enseignement qui est en jeu. Dans les listes de films recommandés par le corps professoral, je vois une absence criante de réalisatrices ou de cinéastes issus de minorités. » Nathalie Coste-Cerdan insiste, elle, sur la marche vers davantage de parité et de pluralité qu’a entreprise son établissement : « Ce socle, coconstruit avec les étudiants, ne s’érige pas en un jour. » Iris Brey en convient : revoir sa façon d’enseigner exige du temps. « Quand j’ai commencé à donner des cours, ayant programmé A bout de souffle, j’ai vu des étudiantes me montrer des choses – le regard sur la femme enceinte, la façon dont le corps est cadré, le mépris qui en ressort –, que je n’avais pas perçues alors que je me pensais plutôt déconstruite et féministe. La nouvelle génération a un prisme qui est beaucoup plus vif sur les questions de sexisme. » Risque de l’autocensure Lisa Quiesse, 19 ans, et Enora Giboire, 21 ans, sont en deuxième année de licence de cinéma à La Sorbonne - Saint-Charles. « On est en colère depuis le début de l’année », dit l’une. « Ça fait plaisir de voir que c’est en train d’éclore un peu partout », confirme l’autre. « Par exemple, ce matin, en cours de postproduction, un élève a présenté un film sur une femme trans. Et le prof ne savait pas comment en parler. Il ? Elle ? Il parlait de transsexualité au lieu de transidentité, s’étonne Lisa. Les profs auraient besoin d’une mise à niveau. » La première vient de Caen, l’autre de Rennes. Elles sont toutes deux cisgenres et « elles » (dans le monde « déconstruit », on annonce son pronom pour mieux inclure les personnes trans et non binaires). Parents brodeuse, sculpteur, architecte… ouverts à la discussion. Elles aussi. Révoltées certes (« Entre les déconstruits et les autres élèves, il y a une rupture »), capables de tenir la dragée haute aux mandarins ou de passer à l’action (laquelle, elles ne le savent pas encore), mais aussi promptes à s’émerveiller qu’on les écoute. « On a compris que ça n’allait pas, grimace Enora, quand une prof, à qui on suggérait qu’il y avait un peu plus de réalisatrices importantes que les trois qu’elle citait, nous a répondu : “Ça fait trente ans que je fais le même cours, je ne vais pas le refaire.” » Et Lisa d’embrayer : « On a un doctorant, on dirait qu’il n’aime qu’un seul film : La Vie d’Adèle ! Quand on fait remarquer que Kechiche pose un regard masculin, que D. W. Griffith a aidé le Ku Klux Klan, que Polanski a été accusé de viol, on nous renvoie toujours au contexte. Il a bon dos, le contexte. Eux, ils ne se remettent pas dans le contexte ! » Un vent de panique passe sur l’université. A Toulouse, un colloque est organisé en mars 2022 sur « Les Nouvelles Censures ». Simple journée d’études réservée aux doctorants ? Quand nous avons voulu en savoir plus, les organisatrices ont pris peur : « Il ne faut pas en parler. D’ailleurs ce n’est pas ouvert au public », ont-elles botté en touche. « Le vrai risque derrière tout ça, c’est l’autocensure, relève une professeur de philosophie qui préférera, tout compte fait, rester anonyme. Tzvetan Todorov racontait comment, avant la chute du rideau de fer, les intellectuels bulgares s’étaient rués sur le structuralisme. Parce que c’était un sujet neutre. On parlait de forme, ça évitait les ennuis… C’est compréhensible de ne pas vouloir aller en cours la peur au ventre. » « Des pyramides de pouvoir » C’est ainsi que les rebelles d’hier, dans leur refus de tout diktat, se retrouvent en première ligne : « Quand le wokisme est arrivé, j’étais plein d’espoir, cela allait apporter de l’air frais, témoigne le plasticien Jean-Luc Verna, qui enseigne le dessin aux Beaux-Arts de Cergy (Val-d’Oise). Puis c’est devenu une idéologie, et enfin du marketing. Cela donne des groupes fermés, beaucoup d’entre-soi, les queers avec les queers, les racisés avec les racisés. Ces gens non binaires ont une vision très binaire. Quid du droit au flou ? Je n’en peux plus des “alphabet people” [référence à l’acronyme LGBTQIA+ : lesbiennes, gay, bisexuels, transexuels, queer, intersexe, asexuel]. C’est le monde d’Internet, des catégories, qui crée de la souffrance pour ceux qui n’entrent pas dans le cadre… Tout ça, ce sont des élèves qui érigent des pyramides de pouvoir. Plus ils réclament de l’horizontalité, plus ils recréent de la verticalité. » Enorme chaîne noire sur sa combinaison noire, couvert de tatouages qui ruissellent depuis le sommet du crâne qu’il a rond et lisse, un sourire brillant de dents métalliques, Jean-Luc Verna n’est pas du genre à se cacher derrière son petit doigt : « Entre profs, on ne parle plus que de ça. Il y a quelque temps, on a reçu une circulaire. Règle 1 : pas d’interaction physique. Donc si quelqu’un pleure, on ne peut pas lui toucher le bras ?, commente-t-il. J’ai rassuré les étudiants : je n’aime pas les corps de jeunes. » Il prend une pose pour minauder : « J’ai 57 ans, mais j’en parais 37 », avant de reprendre : « Règle numéro 2 : des interactions “mates”. Pas d’humour, quoi. C’est dommage parce que, pour moi, c’est le lubrifiant pédagogique numéro 1. » Il en rit, mais ces « ligues de vertu » le mettent en colère. « A Cergy, mes collègues blancs, hétéros, de plus de 50 ans, rasent les murs. Ils sont considérés comme des agresseurs potentiels, suppôts du patriarcat. Le fait que je sois solidaire et que je le dise en public, ça ne passe pas. » En octobre 2022, il était invité à donner une conférence devant trois cents personnes à la Villa Arson, à Nice, où il a passé vingt-cinq ans. « Moi qui suis une vieille pédale maquillée, qui leur ai pavé le chemin, j’ai senti du flottement quand j’ai dit qu’avant d’être homosexuel, j’étais un homme, et avant d’être un homme, un artiste. Que je n’étais pas fier d’être homosexuel : je ne l’ai pas choisi, comme je n’ai pas choisi d’être blanc. Et que j’accepterai de porter le drapeau arc-en-ciel lorsqu’il comprendra une couleur pour les hétérosexuels… » Le Niçois s’est pris une bronca. « Une voie à suivre » Un mois après, une autre ancienne de l’école, l’artiste égyptienne réputée féministe Ghada Amer se voit, elle aussi, reproché de n’être « pas assez ». « C’est beaucoup plus agressif qu’aux Etats-Unis », raconte celle qui vit et travaille désormais à New York. De passage en France cet hiver, elle donne quelques conférences dans les écoles d’art. A Marseille, la voilà prise à partie. « Je suis inclusive, pas exclusive, #metoo est devenu ça. » Elle rit mais son rire sonne tristement. « Ils dogmatisent une pensée qui est importante pour moi, sur laquelle, pendant trente ans, j’étais seule à me battre. » Jointe au téléphone, elle évoque ce professeur qui, lorsqu’elle étudiait à la Villa Arson, à la fin des années 1980, refusait aux femmes l’accès à son cours de peinture. « C’est lui qui m’a réveillée. J’ai été à la bibliothèque et vu le peu de place fait aux femmes dans les arts plastiques… En Egypte, j’avais dû me battre pour le corps, en France, pour la tête. C’était angoissant, mais j’en ai fait une arme. » Lorsqu’elle revient à la Villa Arson, en décembre 2022, l’amphithéâtre est plein. De nouveau, on l’interpelle : « Quel est votre rapport au postcolonialisme ? » Elle répond qu’elle fait de l’art… « C’est comme si j’avais dit “Dieu n’existe pas” à des religieux. » La salle insiste : « Que pensez-vous du racisme systémique de la Villa Arson ? » Elle ne comprend pas. « Le directeur était là, il aurait dû réagir… », s’étonne-t-elle. Les élèves ont quitté le lieu. « Qu’une génération nouvelle s’affirme en rupture, c’est un mécanisme assez classique, considère Sylvain Lizon, le directeur de l’école. En France, il y a une histoire particulière des relations entre le pouvoir, les artistes et les œuvres que cette génération bat en brèche, revendiquant ses propres repères. On vit un moment particulier et passionnant qui invite toute la communauté à se déplacer. Après, c’est vrai que ça nous demande d’être agiles. » De l’agilité, Claire Lasne Darcueil en a : « Le tout, c’est de ne pas monter dans les tours, si vous voulez que l’autre n’y aille pas non plus », dit en souriant la directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique qui quitte son poste fin juin. « On assiste à la remise en cause d’un héritage par des gens qui n’en sont pas très contents. Si on est honnête, est-ce que l’on peut l’être de ce que nous leur laissons ? On a bouffé des fraises en hiver et on a vécu une liberté de création qui repose sur des injustices fondamentales… Je ne comprends pas les gens qui utilisent le mot de “censure” n’importe comment. Quand je passe dans la classe internationale, en écoutant les Afghanes, je pèse ce que c’est vraiment. » Lire l’enquête : Article réservé à nos abonnés Dans les écoles de théâtre, les pédagogies brutales ont toujours cours La photo des élèves du Conservatoire, témoigne-t-elle, a changé en dix ans. « On est passé de 15 % de boursiers à quelque chose comme 60 % aujourd’hui. Nous enseignons à des personnes qui ont lutté pour être là. Et qui doutent que le monde du théâtre et du cinéma les attende à bras ouverts… » Claire Lasne Darcueil est de celles et ceux qui prennent ce mouvement « comme une chance, une voie à suivre ». « Dès que des gens protestent fort, on dit qu’ils protestent trop fort, et mal, qu’ils sont dangereux. Alors que j’ai en face de moi des gens qui me font découvrir des choses. Même sur Tchekhov, mon auteur, mon chéri… » Et de citer l’acte III d’Oncle Vania, lorsque Astrov arrache un baiser à Elena Andréevna : « C’est le classique “Tu me dis non, mais tu veux dire oui.” Il y a encore trois ans, ça ne me faisait rien. Aujourd’hui, ça me saute aux yeux. Du coup, on l’a travaillé. Quinze versions différentes, quinze interprétations, c’était très riche. La question, c’est d’interroger le répertoire, pas de le mettre à la poubelle. » « Un désir de justice » Latiniste et helléniste, Pierre Vesperini, 45 ans, replace ces soubresauts dans le temps long. « A la fac, quand j’enseignais le viol de Lucrèce, l’événement fondateur de la République romaine, j’avais à l’esprit qu’il était tout à fait possible qu’une ou plusieurs de mes étudiantes aient subi un viol. Je faisais attention à la façon dont j’en parlais. C’était il y a vingt ans, bien avant #metoo. Mais il suffisait d’avoir un minimum de décence et de respect pour y penser. » L’historien ne nie pas un fossé entre des professeurs « engourdis » et des étudiants « démunis », les premiers prisonniers d’un « savoir sacralisé et sclérosé », les seconds manquant de recul, faute d’avoir reçu « un enseignement suffisamment riche pour les initier à la complexité de l’histoire de la culture européenne ». « La génération de 68 voulait en finir avec le puritanisme, au nom de l’autonomie du règne esthétique. Il fallait choquer le bourgeois, en brandissant Sade, Bataille… La nouvelle génération ramène de la morale, un désir de justice qu’il faut écouter. » Lui qui, dans Que faire du passé ? Réflexions sur la cancel culture (Fayard, 2022), rappelle que les Romains érigeaient des statues à leurs ennemis, d’Hannibal à Cléopâtre, en est persuadé : « L’esthétique doit pouvoir dialoguer avec l’éthique. » Sur quel art, quel cinéma, quel théâtre, tout cela ouvre-t-il ? Telle est la question qui travaille ces enseignants mis au défi de leur propre déconstruction. Aux Beaux-Arts de Paris, où il enseigne, le cinéaste et plasticien Clément Cogitore n’est pas inquiet, bien au contraire : « De tout ça, on me parle beaucoup, de ces échanges violents. Moi, je n’y suis pas confronté. Mes étudiants pensent la complexité, et cela me donne une grande foi en l’avenir. Parce que, entre un paternalisme qui regarde le monde d’un point de vue dominant et des slogans qui simplifient, le vrai sujet est là : celui de la complexité, souligne l’artiste de 39 ans. Tout mouvement important crée sa radicalité ; il n’en reste pas moins important. » Laurent Carpentier et Aureliano Tonet / Le Monde Illustration : SÉVERIN MILLET Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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Le spectateur de Belleville
December 8, 2022 6:32 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 8/12/2022 La réalisatrice Valeria Bruni-Tedeschi a fait jouer à son compagnon, Sofiane Bennacer, un ancien amour – mort – de la cinéaste. La frontière entre le réel et la fiction, ainsi mise en jeu, est troublante. D’autant que l’acteur, parallèlement accusé de viols et violences, est ardemment défendu par la cinéaste.
Lire l'article dans le site du Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/08/les-amandiers-au-risque-de-la-confusion-entre-mise-en-scene-et-vraie-vie_6153469_3232.html
Analyse. Le théâtre, dit-on, est l’art des fantômes. Celui de convoquer les morts, de faire passer leur souffle, leurs mots, leur âme, à travers la chair vive et l’esprit d’êtres bien vivants, présents dans l’espace et le temps partagés de la représentation. La métaphore parfaite de cet art des fantômes, c’est Hamlet, où Shakespeare fait vivre sur scène le spectre du père du héros – et sans doute celui de son propre père, mort peu de temps avant qu’il n’écrive la pièce maîtresse de tout le théâtre occidental. Le théâtre est aussi, comme le cinéma, qui en est directement issu, un jeu de désirs, de fantasmes, de projections, qui circulent entre un metteur en scène et des acteurs. Un jeu qui, jusqu’à une période récente, a principalement eu lieu entre un metteur en scène homme et des actrices, souvent bien plus jeunes que leur pygmalion. Tout cela, Valeria Bruni-Tedeschi ne l’ignore pas. C’est même un des sujets de son film Les Amandiers, sorti en salle le 9 novembre, et qui se trouve aujourd’hui au cœur d’une tempête médiatique, à la suite des accusations de viols et de violences dont fait l’objet l’acteur qui joue le principal rôle masculin de son film, Sofiane Bennacer. Les Amandiers est un film de fantômes, qui convoque un certain nombre de figures disparues, comme Patrice Chéreau ou Pierre Romans, qui dirigeaient l’éphémère école d’acteurs du Théâtre des Amandiers, à Nanterre. Lire aussi : Affaire Sofiane Bennacer : ce que l’on sait des accusations de viols contre l’acteur des « Amandiers » Sofiane Bennacer y incarne un jeune comédien, Thierry Ravel, mort d’une overdose en 1991, à 28 ans, et qui était alors l’amoureux de Valeria Bruni-Tedeschi, quand tous deux faisaient partie de cette troupe d’élèves acteurs. Jusque-là, rien d’extraordinaire : nombre d’artistes invitent dans leurs œuvres les figures de leurs morts. Valeria Bruni-Tedeschi l’avait déjà fait elle-même avec un personnage directement inspiré de son frère, dans son film Un château en Italie ; on peut penser aussi à Patrice Chéreau, évoquant son père dans Ceux qui m’aiment prendront le train. Interrogations vertigineuses Ce qui a troublé dans l’affaire Sofiane Bennacer, c’est l’information selon laquelle le jeune acteur – âgé de 25 ans – est le compagnon actuel de la cinéaste. Là encore, en apparence, rien d’extraordinaire : l’histoire du théâtre et du cinéma regorge d’exemples de metteurs en scène qui ont des histoires d’amour avec leurs actrices ou leurs acteurs. Valeria Bruni-Tedeschi, qui, à 58 ans, est une femme puissante et séduisante, n’aurait fait que retourner le vieux schéma patriarcal, ce qui peut d’ailleurs être vu comme une avancée. Et pourtant, cette information amène à des interrogations vertigineuses. Ce qui se joue ici est, à notre connaissance, tout à fait inédit. Sofiane Bennacer ne se contente pas d’incarner Thierry Ravel ou un personnage qui lui ressemble, ce qui est son travail d’acteur. Il vit, dans la vie réelle, une histoire d’amour avec la cinéaste. Il est, dans son film, le fantôme de Thierry Ravel. A l’image de ce qu’il est lui se superpose inévitablement l’image de celui qu’il incarne. A l’image de ce qu’elle est se superpose son incarnation, jeune, dans le film (par l’actrice Nadia Tereszkiewicz). Que rejoue Valeria Bruni-Tedeschi avec cette histoire, avec ces vases communicants entre la fiction et le réel, entre la vie et la mort ? Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Les Amandiers » et l’affaire Sofiane Bennacer, « une incroyable mise en abyme entre le film et la réalité » Les frontières entre les deux, fiction et réel, se brouillent de manière dérangeante et explosive, dans cette réincarnation, par être vivant interposé, d’une histoire d’amour tragiquement avortée. Et cette transgression de frontières interroge : le théâtre – ou le cinéma – est certes un art des fantômes, mais, dans la plupart des cas, la frontière entre le réel et le symbolique est tout à fait claire ou, si elle est poreuse, elle le reste dans des limites vivables pour les artistes. Opération un peu vaudoue On connaît des acteurs qui se sont abîmés dans l’identification à leurs personnages, ou abîmés dans les complexités existentielles que peut mettre à nu le théâtre. Mais ils sont finalement peu nombreux, et un gros travail a été fait depuis trente ans dans la formation des jeunes comédiens pour rendre claire dans leur esprit la frontière entre fiction et réel, pour leur apprendre à poser la distance entre eux-mêmes et les personnages qu’ils jouent. Valeria Bruni-Tedeschi, elle, dans la lignée de Chéreau, est d’une autre école, qui prône un art profondément poreux avec la vie – et inversement –, ce qui donne souvent des résultats formidables en matière d’intensité de jeu. Ce dont témoigne d’ailleurs Les Amandiers. Mais, à partir de là, on s’interroge sur le rôle de Sofiane Bennacer, dans cette opération un peu vaudoue, consistant pour Valeria Bruni-Tedeschi à redonner vie à l’histoire d’amour de ses années Nanterre, non seulement dans son film, mais dans sa propre vie. Dans quelle étrange circulation du désir et de la mort le jeune acteur a-t-il été pris ? Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Mona Chollet : « Valeria Bruni-Tedeschi n’a pas analysé les rapports de pouvoir qui se jouaient aux Amandiers » Toutes ces interrogations, sans doute, seraient restées dans un tiroir, si Sofiane Bennacer n’était pas apparu sur le devant de la scène pour de tout autres raisons que son talent, qui éclate avec évidence dans le film. Mais, au-delà de ce dont il s’est rendu coupable ou non auprès des jeunes femmes qui l’accusent, et qui est du ressort de la justice, cette interrogation en amène une autre. Si Valeria Bruni-Tedeschi défend bec et ongles « son » acteur face aux accusations qui le visent, est-ce parce qu’elle sait qu’elle lui a fait jouer un rôle bien plus complexe que celui de simple acteur, et qu’elle en ressentirait une forme de culpabilité ? L’affaire Sofiane Bennacer n’a sans doute pas fini de propager ses ondes de choc : pas seulement concernant l’avancée du mouvement #metoo, mais aussi sur la manière dont un artiste peut manipuler cette matière hautement inflammable et fragile qu’est la vie des autres. Fabienne Darge / LE MONDE Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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December 2, 2022 10:20 AM
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Chronique de Michel Guerrin parue dans Le Monde - 2 décembre 2022 Dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », souligne les mises en abyme saisissantes entre le film de Valeria Bruni Tedeschi, qui montre une bande de jeunes apprenant le métier de comédien dans les années 1980, et la réalité, entre les époques, entre les acteurs et leur double à l’écran. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/02/les-amandiers-et-l-affaire-sofiane-bennacer-une-incroyable-mise-en-abyme-entre-le-film-et-la-realite_6152690_3232.html
Il est difficile d’aller voir Les Amandiers sans penser à l’affaire qui, depuis quelques jours, met le film dans la tourmente. A son acteur principal, Sofiane Bennacer, accusé de viols et de violences par d’anciennes compagnes. A la cinéaste Valeria Bruni Tedeschi, qui le soutient. Aux autres comédiens, plutôt discrets en ce moment. Aux producteurs niant avoir couvert ce que certains nomment un « scandale ». A toutes celles qui dénoncent le jeune comédien. Chacun sa vérité. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’affaire Sofiane Bennacer embarrasse le cinéma français Les Amandiers montre une bande de jeunes, dans les années 1980, apprenant le métier de comédien – la vie aussi – dans une école adossée au mythique Théâtre des Amandiers, à Nanterre, dirigé par le non moins mythique Patrice Chéreau. Constatons l’incroyable mise en abyme qui se joue dans ce drame. Entre le film et la réalité. Entre les époques, entre les acteurs et leur double à l’écran. Dans la vraie vie, Sofiane Bennacer, 25 ans, est accusé d’avoir commis des viols en 2018 et 2019, alors qu’il étudiait le théâtre à Mulhouse (Haut-Rhin) et à Strasbourg. Dans le film, il joue un des jeunes des Amandiers, mais au profil d’outsider : il parle avec un fort accent de banlieue, vit un peu en marge, se drogue, est violent et jaloux, s’emporte vite. Son amoureuse, également aux Amandiers, est alertée par ses copines – il est dangereux. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Les Amandiers », de Bruni Tedeschi : à l’école de Patrice Chéreau, un espace de rêve avant-gardiste Après la révélation de sa mise en examen pour viol, par Le Parisien, le 23 novembre, Sofiane Bennacer, originaire d’une famille ouvrière de Marseille, a publié un communiqué sur Instagram dans lequel, tout en clamant son innocence, il pousse la carte de l’exclu qui n’a pas les clés de la notabilité. « On m’a bien fait comprendre que ma place n’était pas dans ce milieu. » Il aurait même reçu des messages racistes, écrit-il. Un symbole d’échec Dans un monde culturel qui éprouve les pires difficultés à impliquer les classes populaires – sur scène et dans le public –, où les écoles d’art cherchent la diversité, cette affaire sonne comme un symbole d’échec. Quelles que soient les suites judiciaires, Sofiane Bennacer est déjà condamné socialement et il est probable qu’on ne le verra pas de sitôt à l’écran. Alors que son nom a été retiré des Césars 2023, Libération a clos le débat, le 26 novembre, en illustrant sa « une » accompagnant une enquête décisive, fouillée et contradictoire, sur le « cas Bennacer » d’une photo de l’acteur arborant des yeux exorbités et des doigts ensanglantés de prédateur. Autre mise en abyme, Les Amandiers est un film qui célèbre le théâtre, mais c’est dans le théâtre qu’on s’en est pris au film. Des voix dans la mouvance du collectif #metoothéâtre ont dénoncé un tournage où « l’on savait ». Le paradoxe est que les producteurs des Amandiers, sans doute meurtris mais sûrs de leur bonne foi, incarnent le cinéma d’auteur français, avec en prime une réputation d’humanisme et d’éthique. Et sans doute, dans un cinéma français déjà peu en forme, la plaie mettra du temps à se refermer. Le cas le plus stupéfiant est celui de Valeria Bruni Tedeschi. Pourquoi n’a-t-elle pas voulu changer d’acteur quand elle a su qu’il y avait des plaintes pour viol ? Sofiane Bennacer est son compagnon, sauf que leur relation a commencé quand le film était fini. Et si elle le défend mordicus, le fait qu’elle invoque la présomption d’innocence n’explique pas tout. Il faut voir Les Amandiers pour comprendre : Sofiane Bennacer y est excellent. Différent. Il a un côté James Dean avec la tête baissée et les yeux relevés. La cinéaste jure qu’elle ne pouvait pas faire le film avec un autre, et on la comprend. Jusqu’où le choix esthétique de l’artiste doit primer, à chacun de trancher. Une position « vertigineuse » Revenons à la mise en abyme. Et cette fois il faut regarder le documentaire Des Amandiers aux Amandiers, sur Arte.tv, chronique du tournage, à la fois hagiographique et passionnante. Valeria Bruni Tedeschi y reconnaît que sa position est « vertigineuse ». Etudiante aux Amandiers en 1986, elle renaît dans le film à travers les traits de l’actrice Nadia Tereszkiewicz. Et revit sur pellicule l’histoire d’amour qu’elle a eue avec un autre étudiant, Thierry Ravel, mort d’une overdose en 1991 à l’âge de 28 ans. Qui est incarné par Sofiane Bennacer. Valeria Bruni Tedeschi a donc vu mourir son amour de jeunesse et voit aujourd’hui la mort sociale de son compagnon. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Cannes 2022 : Valeria Bruni Tedeschi et les années Amandiers, époque bénie du théâtre Ce n’est pas pour la plaindre, c’est juste un constat. Qui va plus loin. Dans son film, la cinéaste dessine un Patrice Chéreau (joué par Louis Garrel, son ancien compagnon) en gourou qui embrasse de force un étudiant et humilie une étudiante. Valeria Bruni Tedeschi ne dénonce pas Chéreau, elle fait la même chose durant le tournage de son film, tient les acteurs sous emprise, les martyrise gentiment, les fait parler de choses intimes. « Cette génération est beaucoup plus précautionneuse que la mienne, et vraiment ça m’a fait plaisir de les malmener », remarque-t-elle. Suivant un mécanisme bien repéré, elle fait subir ce qu’elle a subi. « Je voulais être cassée », confie à un moment l’actrice-cinéaste. Entendez : être poussée dans mes retranchements. Elle est persuadée que c’est la seule façon de faire un bon film et de dégager une parole juste. Voilà pourquoi elle écrit que le travail devant la caméra avec Sofiane Bennacer la rend « tout à fait confiante sur ses qualités humaines : lorsque l’on filme quelqu’un, on “voit” qui l’on a en face de soi. » On n’est pas obligé de la suivre. En fait, Valeria Bruni Tedeschi, 58 ans, rend hommage avec ses Amandiers aux années 1980, qu’elle voudrait ininterrompues, revivre, tant elle a adoré la liberté phénoménale et les conventions malmenées. C’est une époque où la notion d’emprise, on n’en parle même pas, où il semblait inconcevable qu’un viol soit commis au sein du couple. « Par rapport à un personnage violent avec une femme, je voudrais ne pas être politiquement correcte », dit-elle dans le film. Elle est sincère. Michel Guerrin
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November 27, 2022 5:40 PM
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Enquête de Cassandre Leray dans Libération - 27 nov. 2022 Au surlendemain de la publication de l’enquête sur les accusations visant Sofiane Bennacer et leurs conséquences sur le tournage du film, «Libération» apporte de nouveaux éléments. Des «rumeurs». C’est en ces termes que les producteurs des Amandiers et sa réalisatrice Valeria Bruni-Tedeschi évoquent ce que d’autres autour du film qualifient d’alertes. Suite à la parution de notre enquête, le 24 novembre, les réactions s’enchaînent. Patrick Sobelman d’Agat Films et Alexandra Henochsberg d’Ad Vitam production – les deux sociétés qui produisent les Amandiers – le répètent : «A aucun moment la production ne savait avant de l’engager», a martelé le premier sur France Inter vendredi. Avant d’ajouter que, une fois découverte l’existence d’une plainte, «il était absolument impossible d’arrêter le tournage et de virer Sofiane, pour une raison très simple : nous n’avions aucune base juridique pour faire ça». Dans un long communiqué publié samedi, les deux producteurs du film le certifient : «Il n’y a pas de scandale les Amandiers», en référence à la une de Libé de vendredi. Climat d’omerta Dans nos pages, une partie de l’équipe du film affirme que la production et la réalisatrice ont «protégé» l’acteur Sofiane Bennacer, alors qu’ils auraient été alertés d’accusations de violences sexuelles à son sujet. Ils racontent les coulisses du tournage des Amandiers à l’été 2021, dans un climat d’omerta, que la production réfute, alors que plusieurs témoignages décrivent ce sentiment d’être «enfermés dans ce secret dont il ne fallait pas parler», selon une technicienne. Une alternante raconte même que «[Valeria Bruni-Tedeschi] nous a dit qu’il ne fallait pas que Sofiane sente que l’équipe était au courant ou que ça change nos comportements». Une plainte pour viol contre Sofiane Bennacer a été déposée le 5 février 2021 par Romane (1), une de ses ex-petites amies, soit plusieurs mois avant le début du tournage. Trois autres anciennes compagnes de Sofiane Bennacer ont depuis été entendues par les gendarmes de la section de recherche de Strasbourg chargée de l’enquête, et deux d’entre elles décrivent des faits de viol. Outre sa mise en examen pour «viols» et «violences», le comédien a été placé sous statut de témoin assisté pour des faits de «viol sur conjoint», précise la procureure de Mulhouse, Edwige Roux-Morizot. La magistrate ajoute que «d’autres [plaintes] ont été recueillies au cours de l’enquête préliminaire puis sur commission rogatoire». Lui conteste systématiquement les faits, aussi bien auprès de Libération que sur son compte Instagram. Au cœur du débat, plusieurs questions : qui était en possession de quelles informations, et à quel moment ? Plusieurs jours après la parution de notre enquête, nous faisons le point et révélons de nouveaux éléments. Une comédienne «forcée» à auditionner Selon nos informations, une première alerte à l’égard de l’acteur Sofiane Bennacer aurait été formulée fin mars 2021. A l’époque, les auditions pour le film les Amandiers sont en cours. Anna (1), étudiante à l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS) – où Sofiane Bennacer a aussi étudié avant de démissionner en février 2021 – tente elle aussi sa chance pour le long métrage. Dans la même promotion que Romane, elle connaît les accusations portées à l’égard de Sofiane Bennacer. Lorsqu’elle apprend qu’elle devra donner la réplique au comédien pour la suite des essais, elle refuse, et dit à l’assistante de casting qu’il est «accusé de violences sexuelles». Elle ne donne pas plus de précisions, et nous indique qu’elle a été «forcée» à auditionner avec le comédien malgré tout. La production, tout comme Valeria Bruni-Tedeschi elle-même, le reconnait : des «rumeurs» circulaient bien concernant le comédien, et ce avant le début du tournage. Le duo de producteurs explique avoir entendu parler d’une «rumeur concernant une soirée avec son ancienne petite amie du TNS, qui aurait mal tourné avec un comportement violent de Sofiane». Ces échos leur viennent dès le mois de «février ou mars», alors que le casting «commençait à se resserrer sur Sofiane». «Fin mai», d’après la production, décision est alors prise de joindre Stanislas Nordey, directeur de l’école du TNS. Contacté, Stanislas Nordey confirme cet appel : «J’ai dit que c’était deux jeunes gens qui étaient en couple, avant le début de l’école. J’ai dit que Sofiane était venu me dire qu’il était accusé à tort de viol, qu’on a convoqué la jeune fille qui nous a dit qu’elle confirmait les accusations.» Le directeur du TNS décide toutefois de ne pas mentionner la plainte de Romane, dont il avait connaissance, arguant qu’il se devait de respecter «le secret de l’enquête». La production, de son côté, dément fermement avoir entendu Nordey parler de «viol», et déplore que celui-ci ne leur ait pas parlé de la plainte. Il aurait seulement évoqué une «histoire» et aurait traité le sujet «à la légère». Selon Catherine Le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, il est pourtant possible de faire état de l’existence d’une plainte sans contrevenir au secret de l’enquête «en respectant l’anonymat des plaignantes et sans donner des informations sur les faits». «Agressée physiquement, moralement, verbalement» Pour la production, «sur le seul fondement d’une rumeur», rien n’empêchait d’engager Sofiane Bennacer. Une position fermement défendue par Valeria Bruni-Tedeschi dans un communiqué diffusé vendredi : «J’ai été impressionnée artistiquement par Sofiane Bennacer dès la première seconde du casting de mon film et j’ai voulu qu’il en soit l’acteur principal malgré des rumeurs dont j’avais connaissance», écrit la réalisatrice. «Mes producteurs ont exprimé des craintes et des réticences, mais je leur ai indiqué que ces rumeurs ne m’arrêtaient pas et que je ne pouvais pas envisager de faire le film sans lui», souligne-t-elle encore. Sur la même ligne, Valeria Bruni-Tedeschi et les producteurs assurent n’avoir découvert l’existence d’une plainte pour viol que deux jours après le début du tournage, le 5 juin 2021. Un témoignage contredit cette version. Mathilde (1), l’une des jeunes femmes mettant en cause Sofiane Bennacer pour des faits de violences sexuelles et physiques dans notre enquête, a elle aussi tenté d’alerter l’équipe du film. Le 16 mai 2021, elle contacte une des actrices du film via Facebook. Dans un échange, elle écrit que «Sofiane est accusé de viol» et que «le procès est en cours et n’a pas encore été classé». Elle ajoute qu’elle aurait, elle aussi, «été agressée par Sofiane. Physiquement, moralement, verbalement» et qu’elle aurait «reçu un appel d’une autre fille qui souhaitait [lui] raconter son histoire, si proche de la [sienne]». Une semaine plus tard, la comédienne lui répond : «Oui, la production est au courant et la réalisatrice a quand même décidé de l’embaucher.» Et ajoute : «J’ai parlé à la réalisatrice et j’ai exigé que le procès de Sofiane et son accusation de viol soient connus par toutes les filles du tournage […] et elle nous a donc réunies pour nous en parler […] Vu ma position, je ne sais pas quoi faire de plus.» Nous sommes le 24 mai 2021, les répétitions sont en cours mais le tournage n’a pas encore commencé. Dans un communiqué paru à la suite de notre enquête, le duo de producteurs répète malgré tout avoir découvert l’existence d’une plainte pour viol alors que le tournage était déjà entamé. Et explique avoir échangé avec Valeria Bruni-Tedeschi à ce sujet : «Mettant en avant la présomption d’innocence, celle-ci n’envisage pas de continuer le film sans ce comédien. Nous n’avons alors que peu de solutions : à ce stade, rien dans le droit du travail ne nous permet de justifier son licenciement, il pourrait se retourner contre nous.» «Rien à redire» Un dilemme dont les producteurs avaient déjà fait part. Que faire pour l’employeur face à un salarié qui est accusé et fait l’objet d’une plainte mais qui n’est pas jugé et donc présumé innocent ? La juriste Catherine Le Magueresse – sans commenter le cas précis des Amandiers – estime qu’il n’est pas impossible pour un employeur de mettre fin au contrat d’un salarié suite à la découverte d’une plainte contre celui-ci. «Un licenciement pour cause réelle et sérieuse est envisageable», argumente-t-elle. «La dissimulation de l’existence d’une plainte pour viol par un candidat constitue un manquement au devoir de loyauté et de bonne foi. Dans un contexte de moindre acceptation sociale des violences sexuelles, elle est en outre susceptible de nuire à l’employeur qui pourrait être suspecté d’indifférence sur ce sujet.» Faire marche arrière et changer l’un des principaux rôles d’un film n’est pas sans conséquence pour un projet d’une telle ampleur. Alexandra Henochsberg et Patrick Sobelman expliquent ainsi que, s’ils avaient mis un terme au contrat de Sofiane Bennacer, ils auraient aussi dû «arrêter le tournage et licencier les 89 salariés sur le plateau sans justifications légales valables». Pour Catherine Le Magueresse, «il est certain qu’une telle situation est compliquée. Mais dans une ère post MeToo, il est difficilement envisageable de ne pas agir. Ce n’est pas seulement une question de droit, mais une question de morale». Les producteurs auraient alors fait avec les «armes» dont ils disposaient, expliquent-ils: convocation de Sofiane Bennacer afin de lui demander de prendre un avocat, présence quotidienne sur le plateau de tournage… Ils affirment également avoir échangé avec l’une des coprésidentes du collectif 50/50 – sans se souvenir de son nom –, qui leur aurait indiqué qu’elle ne voyait «rien à redire» quant aux décisions prises. Contacté, le nouveau conseil d’administration du collectif explique que si les producteurs ont contacté l’une des anciennes présidentes, «c’est à titre privé et non au nom du collectif». Et tient à préciser : «Il est extrêmement choquant que de pareils agissements continuent de prendre place au sein des domaines du cinéma et de l’audiovisuel, qu’un régime de silence soit encore en faveur dans certaines productions, que des tournages se déroulent en présence de personnes qui représentent un danger pour leurs collègues.» (1) les prénoms ont été modifiés. Légende photo : Louis Garrel, Valéria Bruni-Tedeschi, Sofiane Bennacer et une partie de l'équipe des «Amandiers» lors de la montée des marches du Festival de Cannes, le 22 mai. (David Boyer/ABACA)
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Le spectateur de Belleville
November 27, 2022 4:35 PM
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Par Zineb Dryef, Clarisse Fabre, Gilles Rof(Marseille, correspondant) et Nathalie Stey (Strasbourg, correspondance) dans Le Monde , publié le 26 novembre 2022 A l’affiche du film « Les Amandiers », de Valeria Bruni Tedeschi, l’acteur de 25 ans fait l’objet de trois mises en examen, deux pour viol sur des anciennes compagnes et une pour violence sur conjoint. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/11/26/l-affaire-sofiane-bennacer-embarrasse-le-cinema-francais_6151736_3246.html
C’est une affaire qui plonge la profession dans l’embarras. A l’affiche du film Les Amandiers, réalisé par Valeria Bruni Tedeschi, l’acteur Sofiane Bennacer, 25 ans, fait l’objet de trois mises en examen, deux pour viol sur des anciennes compagnes et une pour violence sur conjoint, comme l’ont révélé Le Parisien et Libération. Dans un long message posté sur Instagram, il clame son innocence : « La présomption d’innocence existe-t-elle encore ? Ou sommes-nous dans un Etat de non-droit, un Etat où la simple accusation sans fondement peut détruire une vie ? » Lire aussi : Affaire Sofiane Bennacer : ce que l’on sait des accusations de viols contre l’acteur des « Amandiers » « Un pur lynchage médiatique », a dénoncé Valeria Bruni Tedeschi, sa compagne, dans un communiqué, vendredi 25 novembre, qui assume avoir choisi ce jeune acteur tout en ayant eu vent de rumeurs à son sujet. « Mes producteurs ont exprimé des craintes et des réticences, mais je leur ai indiqué que ces rumeurs ne m’arrêtaient pas et que je ne pouvais pas envisager de faire le film sans lui. » Elle poursuit : « Pour ma part, j’avais depuis quelques mois appris à connaître Sofiane Bennacer dans le travail, notamment pendant la longue période de répétitions, et à être tout à fait confiante sur ses qualités humaines : lorsque l’on filme quelqu’un, on “voit” qui l’on a en face de soi. » Sélectionné dans la liste des trente-deux comédiens présélectionnés pour les Césars des révélations féminines et masculines, Sofiane Bennacer en a finalement été exclu. L’Académie des César a fini par prendre acte des « informations publiées par la presse concernant la mise en examen de l’acteur et le contrôle judiciaire qui lui est imposé ». Alertes répétées C’est précisément cette absence de réactions, malgré des alertes répétées, depuis le casting jusqu’à la réception du film, qui est aujourd’hui dénoncée. Deux cinémas – L’Ecran de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et Le Concorde à La Roche-sur-Yon (Vendée) – ont d’ores et déjà annoncé avoir retiré Les Amandiers de leur programmation, alors que des appels au boycott commencent à circuler sur les réseaux sociaux. Sur Instagram, le collectif #metoothéâtre, très actif, a dénoncé l’« omerta » de la profession : « La structuration de nos métiers et de la société est construite sur la protection des agresseurs et la “silenciation” des victimes. Une fois encore, ce système se vérifie dans cette affaire avec une production qui se défausse de ses responsabilités afférentes au droit du travail. » Sur Instagram, le collectif #metoothéâtre, très actif, a dénoncé l’« omerta » de la profession C’est sur les planches que tout a commencé. En janvier 2021, au Théâtre national de Strasbourg (TNS), Sofiane Bennacer est accusé de viol par l’une de ses camarades. Les faits qu’elle dénonce remontent à 2018, lorsqu’ils étaient tous deux étudiants à La Filature à Mulhouse (Haut-Rhin). Ils étaient alors en couple. La direction de l’établissement affirme n’avoir recueilli à l’époque « aucun témoignage, aucune information qui aurait pu nous mettre la puce à l’oreille ». A Strasbourg, Stanislas Nordey, le directeur du TNS, explique au Monde qu’il a été mis au courant par Sofiane Bennacer lui-même : « Un jour, Sofiane débarque dans mon bureau, en larmes, m’expliquant qu’il est accusé de viol. Je ne suis pas un violeur, dit-il. Je convoque la jeune fille et lui pose la question. Elle me répond qu’elle n’avait pas l’intention de venir me parler, mais elle confirme l’accusation. Les élèves du TNS ont commencé à s’en mêler, et les réactions se sont déchaînées sur les réseaux sociaux. Au vu du climat, je propose alors à Sofiane de prendre trois semaines de congé. Quand il revient, il m’annonce qu’il démissionne. Sofiane est parti, a quitté Strasbourg, et je pensais que l’affaire était close. » « Rumeurs » Il entend de nouveau parler de lui lorsque la production des Amandiers, Alexandra Henochsberg (Ad Vitam) et Patrick Sobelman (Agat Films), le contacte pour vérifier des « rumeurs ». Stanislas Nordey évoque des soupçons d’agressions sexuelles : « Je n’ai pas dit qu’il était accusé de viol comme l’écrit Libé. En tout cas, cela m’étonnerait beaucoup que j’aie utilisé ce mot. J’ai essayé d’être le plus factuel possible. Je n’ai pas non plus précisé aux producteurs que j’avais effectué un signalement au procureur de la République, car je suis tenu au devoir de réserve. » Enfin, lorsque les producteurs lui demandent s’il a connaissance d’une plainte déposée par la comédienne, Stanislas Nordey répond qu’il ne sait pas. « Je savais qu’une plainte avait été déposée, mais la jeune actrice m’avait demandé de ne pas le dire. J’ai donc respecté son choix. Par ailleurs, Agat Films aurait pu interroger directement la jeune actrice… car celle-ci avait été auditionnée pour Les Amandiers », ajoute le directeur du TNS. En effet, avant que l’affaire éclate, Stanislas Nordey et l’équipe du TNS avaient été sollicités en vue du casting des Amandiers : « La direction du casting souhaitait avoir quelques noms d’élèves du TNS susceptibles de passer les auditions. Nous avons alors transmis plusieurs contacts, parmi lesquels ceux de Sofiane Bennacer et de la jeune fille. » En juin, des remous agitent le TNS lorsque Stanislas Nordey accepte d’accueillir l’ancien élève dans le cadre de représentations du spectacle Superstructure produit par la compagnie Diphtong. A l’époque, face à la réaction très vive des étudiants, il s’était retranché derrière le principe de présomption d’innocence pour maintenir le spectacle. Des mesures conservatrices avaient été adoptées : une grande partie des élèves de l’école avait été déplacée à Eymoutiers (Haute-Vienne) et à Montreuil (Seine-Saint-Denis), durant la période des représentations, pour éviter tout risque de rencontre entre le comédien et ses victimes présumées. Le planning de travail d’une salariée avait également été adapté pour que les deux ne se croisent pas. « Nous étions obligés, pour des raisons juridiques, de le programmer et nous l’avons fait après consultation du ministère de la culture », explique Stanislas Nordey. « Pas de scandale “Les Amandiers” » A Aix-en-Provence, où Sofiane Bennacer a suivi sa formation de théâtre après avoir grandi dans un milieu populaire à Marseille, l’annonce des accusations laisse sous le choc les équipes du Deust théâtre d’Aix-Marseille Université et leur responsable, Louis Dieuzayde, également président du Théâtre Antoine-Vitez. « C’est extrêmement douloureux, car cela concerne un de nos anciens étudiants et un acteur dont on suit la carrière, témoigne l’enseignant. Sofiane était une intelligence et un acteur que l’on appréciait beaucoup lorsqu’il était étudiant. D’autant plus méritant qu’il est rare de voir un jeune de sa classe sociale choisir cette voie dans notre région. » Le théâtre avait prévu d’organiser un événement autour de lectures de ses propres textes, encore inédits, par Valeria Bruni Tedeschi, au début de février 2023. Une programmation qui laisse désormais l’équipe aixoise dans l’embarras. « Je ne vous cache pas que cette soirée est fortement compromise, mais nous souhaitons prendre un peu de temps avant d’acter une décision définitive », poursuit Louis Dieuzayde. Les producteurs du film, Alexandra Henochsberg et Patrick Sobelman, disent avoir averti, deux jours après le début du tournage, Valeria Bruni Tedeschi, qui a refusé de se séparer de son acteur Pour sauver leur film, Alexandra Henochsberg et Patrick Sobelman plaident, dans un communiqué, que « s’il y a une affaire Sofiane Bennacer, il n’y a pas de scandale Les Amandiers ». Ils reconnaissent avoir appris, deux jours après le début du tournage, qu’une plainte pour viol avait été déposée contre le comédien. Ils disent avoir averti Valeria Bruni Tedeschi, qui a refusé de se séparer de son acteur : « A ce stade, rien dans le droit du travail ne nous permet de justifier son licenciement, il pourrait se retourner contre nous (…). Nous organisons alors une réunion sur le plateau avec toute l’équipe, Valeria prend la parole pour expliquer la situation. Nous proposons à ceux que la situation rend mal à l’aise de quitter le tournage sans aucune pression ni conséquence. » Ils interrogent : « Aujourd’hui, comment notre expérience pourrait-elle servir à améliorer la position des producteurs face à ce type de situation ? Comment répondre légalement au nécessaire devoir d’exemplarité ? » Pour ne pas risquer une affaire Polanski bis – la remise du prix de la meilleure réalisation à Roman Polanski en 2020 avait secoué le cinéma français – les César prévoient aussi de plancher sur la question : que faire d’un film dont un participant est poursuivi pour viol et violences sexuelles ? Lire aussi Article réservé à nos abonnés L’Académie des Césars critiquée pour ses pratiques opaques et ses choix contestés Zineb Dryef, Clarisse Fabre, Gilles Rof(Marseille, correspondant) et Nathalie Stey(Strasbourg, correspondance) ------------------------------------------------------- Affaire Sofiane Bennacer : ce que l’on sait des accusations de viols contre l’acteur des « Amandiers » Article publié par Le Monde avec AFP, le 25 nov. 2022 Le comédien, mis en examen en octobre, a été placé sous contrôle judiciaire. Alors qu’il dément les faits qui lui sont reprochés, la réalisatrice du film, Valeria Bruni-Tedeschi, lui a apporté son soutien vendredi, dénonçant un « lynchage médiatique Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/cinema/article/2022/11/25/affaire-sofiane-bennacer-ce-que-l-on-sait-des-accusations-de-viols-contre-l-acteur-des-amandiers_6151662_3476.html
Il partage la tête d’affiche du film Les Amandiers, réalisé par Valeria Bruni-Tedeschi, sorti en salles le 16 novembre et encensé par la critique. L’acteur Sofiane Bennacer, âgé de 25 ans, se retrouve toutefois dans la lumière pour tout autre chose depuis le 22 novembre : ses mises en examen pour viols et violences sur ex-conjointes. Alors que ce dernier conteste les faits et a reçu le soutien de la réalisatrice du film vendredi, Le Monde revient sur ce que l’on sait de cette affaire. Accusé par quatre anciennes compagnes, l’acteur est triplement mis en examen Sofiane Bennacer a été mis en examen en octobre par le parquet de Mulhouse (Haut-Rhin) pour viols présumés sur deux anciennes compagnes et pour « violences sur conjoint » concernant une troisième, a fait savoir la procureure de la République Edwige Roux-Morizot mardi, confirmant des informations du Parisien. Le comédien a par ailleurs été placé sous le statut de témoin assisté dans le cadre d’une quatrième plainte déposée par une autre ex-compagne, qui l’accuse de viol. Les faits allégués se seraient produits « entre 2018 et 2019 » à Mulhouse, à Strasbourg et à Paris, et les victimes présumées évoluent « dans le monde du théâtre », a détaillé Edwige Roux-Morizot. Selon Le Parisien, l’acteur a connu l’une de ses accusatrices à l’école de théâtre La Filature, à Mulhouse, où « le couple se serait formé ». Les victimes présumées « décrivent une liaison sous emprise, au cours de laquelle des relations non consenties auraient eu lieu », écrit le quotidien. Lire aussi : L’acteur Sofiane Bennacer mis en examen pour viols et violences sur d’anciennes compagnes Le Théâtre national de Strasbourg (TNS), l’école où Sofiane Bennacer avait été admis en 2019, avait saisi le ministère de la culture pour des faits « de violences sexistes, sexuelles et de harcèlement dont [il] avait été informé », selon le journal. Le ministère avait ensuite fait un signalement à la justice, a déclaré Edwige Roux-Morizot, sans préciser la date. Benjamin Morel, administrateur du TNS, a dit mercredi à l’Agence France-Presse que c’est ensuite le jeune comédien lui-même « qui a pris la décision de démissionner le 19 février 2021 ». La procureure de Mulhouse a fait savoir mardi que l’acteur a été placé sous contrôle judiciaire depuis sa mise en examen, sur demande du parquet. Il lui est interdit de se rendre en région parisienne, à Strasbourg ainsi qu’à Mulhouse. Il est également interdit à M. Bennacer de rencontrer les plaignantes tout comme les témoins du dossier, parmi lesquels figure Valeria Bruni-Tedeschi, qui serait, selon la procureure, citée par Libération, l’actuelle « compagne » du comédien. L’Académie des Césars a retiré son nom des « révélations » Dans la soirée de mercredi, l’Académie des Césars a annoncé le retrait du nom de l’acteur de la liste des révélations masculines 2023, estimant que « les informations publiées par la presse (…) commandaient, sans préjudice de la présomption d’innocence et par respect pour les victimes présumées, de le retirer de la liste ». Lire aussi : Article réservé à nos abonnés 5 ans après #metoo, les avancées et les limites de la prévention dans le cinéma, le théâtre ou la danse L’institution du cinéma français a par ailleurs précisé qu’elle entamait « une réflexion afin d’envisager une modification du règlement qui régit l’organisation de la cérémonie des Césars, qui ne prévoit pas, à ce jour, l’hypothèse d’une mise en cause judiciaire d’un·e participant·e à un film éligible ». Le comédien clame son innocence Sofiane Bennacer a réagi mercredi, dans un long message posté sur Instagram, en clamant son innocence : « La présomption d’innocence existe-t-elle encore ? Ou sommes-nous dans un Etat de non-droit, un Etat où la simple accusation sans fondement peut détruire une vie ? ». Dénonçant « de faux témoignages », il a ajouté : « Je vais peut-être me faire boycotter par le cinéma. De toute façon, je me suis fait humilier au plus profond de mon âme. (…) Je vais être libre dans quelques mois, car je n’ai rien fait. (…) S’il y avait la moindre preuve contre moi, pas de simples témoignages bidon, des vraies preuves, je serais déjà en prison. » Face à ces dénégations, Grégoire Mehl et Anne Lassalle, avocats de l’une des plaignantes, ont annoncé que leur cliente « maintient intégralement les propos et les positions déjà exprimés devant les services enquêteurs ». Une « omerta » durant le tournage des « Amandiers » ? Mais que s’est-il passé sur le tournage du film ? Est-ce que tout le monde savait ? Selon une enquête publiée par Libération jeudi, dans laquelle le journal explique avoir interrogé une trentaine de personnes, dont une quinzaine de professionnels présents lors du tournage, celui-ci se serait déroulé dans un climat d’« omerta », tant la réalisatrice tenait à travailler avec Sofiane Bennacer, décrit comme son « coup de cœur » artistique. Réalisé à l’été 2021, le film voit très vite naître des rumeurs au sujet de violences sexuelles qu’aurait commises M. Bennacer, qui occupe le premier rôle masculin du film. Des alternants et stagiaires ayant pris connaissance d’un premier dépôt de plainte disent avoir alerté la réalisatrice trois jours après le début du tournage. Valeria Bruni-Tedeschi aurait alors réuni l’équipe pour défendre le comédien en son absence, « comme à chaque fois que son cas sera abordé sur le tournage ». L’une des témoins de Libération avance : « Elle nous a dit qu’il ne fallait pas que Sofiane sente que l’équipe était au courant ou que ça change nos comportements. » Après la démission de deux personnes, une chappe de plomb s’installe, selon Libération, autour d’un « secret dont il ne fa[ut] pas parler » : la production et la réalisatrice maintiennent coûte que coûte l’acteur, et les rumeurs, bien que confortées par le dépôt de plaintes, sont reléguées à leur simple rang. Patrick Sobelman, l’un des deux producteurs du film, a réagi vendredi matin à la publication de cette enquête. « A aucun moment la production ne savait avant de l’engager, et à aucun moment la production n’a orchestré la moindre omerta pour faire en sorte que rien ne sorte de cette histoire », a-t-il déclaré sur France Inter, précisant qu’« il était absolument impossible d’arrêter le tournage et de virer Sofiane pour une raison très simple : nous n’avions aucune base juridique pour faire ça ». « Il ne s’est rien passé de répréhensible pendant tout le tournage du film », a-t-il poursuivi, tout en reconnaissant qu’il y a pu « y avoir une ambiance compliquée pour certains parce qu’ils se retrouvaient dans une situation qu’ils n’avaient pas voulue et ça jetait comme ça un doute, une ombre ». « Nous avons appris sa mise en examen il y a un mois [et] qu’il y a eu quatre plaintes différentes. Ce n’est pas la même chose : nous ne savions pas et nous l’avons appris en même temps que tout le monde », a-t-il répété. Valeria Bruni-Tedeschi dénonce un « lynchage » médiatique La réalisatrice du film Les Amandiers est sortie du silence vendredi pour dénoncer un « lynchage médiatique », après la parution de l’enquête de Libération. « A ce jour, tout le monde sait qu’il n’a pas été jugé, et un tel procédé relève, selon moi, d’un pur lynchage médiatique, procédé très éloigné d’une volonté d’informer de façon objective et impartiale », écrit Valéria Bruni-Tedeschi dans un communiqué. Elle s’y dit « indignée qu’un journal comme Libération puisse piétiner à ce point la présomption d’innocence ». Cette dernière confirme toutefois avoir eu « connaissance » des « rumeurs » dont faisait l’objet le jeune comédien pendant le tournage. « Mes producteurs ont exprimé des craintes et des réticences, mais je leur ai indiqué que ces rumeurs ne m’arrêtaient pas et que je ne pouvais pas envisager de faire le film sans lui », avance-t-elle en soulignant avoir été « impressionnée artistiquement par Sofiane Bennacer dès la première seconde du casting » de son film. « Plus tard, nous avons eu connaissance du fait qu’une plainte avait été déposée », explique-t-elle encore. A propos des victimes présumées, l’actrice assure avoir « un immense respect pour la libération de la parole des femmes », mais elle insiste sur la « présomption d’innocence » en confiant avoir été elle-même « abusée dans [son] enfance » et en affirmant connaître « la douleur de ne pas avoir été prise au sérieux ». Valeria Bruni-Tedeschi a ensuite reçu le soutien de sa sœur, Carla Bruni. Dans un long post sur Instagram, l’épouse de Nicolas Sarkozy a réagi vendredi pour défendre la « présomption d’innocence » et apporter son « soutien total et absolu à [sa] sœur », s’en prenant directement à Libération. L’actrice et danseuse Andréa Bescond, réalisatrice du film Les Chatouilles – où elle revient sur les violences sexuelles dont elle a été victime enfant – a répondu à Carla Burni au micro de LCI. Elle a apporté directement son soutien aux victimes présumées et lancé : « C’est une féministe en carton. (…) J’ai répondu [en commentaire à sa publication] en disant qu’il fallait un peu de respect pour les victimes, elles sont quand même quatre, il y a des mises en examen. » Le Monde avec AFP -------------------------------------------------------- Affaire Sofiane Bennacer : pour la productrice des “Amandiers”, “il n’y a pas eu d’omerta sur le tournage” Par Hélène Marzolf dans Télérama - 27 nov. 2022 Alexandra Henochsberg, coproductrice et distributrice du film “Les Amandiers”, réagit pour “Télérama” aux révélations concernant Sofiane Bennacer, l’acteur principal du film de Valeria Bruni Tedeschi, mis en examen pour viols et violence sur conjoint. Une onde de choc secoue le cinéma français, après les mises en examen de Sofiane Bennacer, l’acteur principal des Amandiers, de Valeria Bruni-Tedeschi, dans des affaires de viols et de violence sur conjoint. Mise en cause dans une enquête du quotidien Libération, la production du film a publié, le 25 novembre, un communiqué, et se défend d’avoir fait régner l’omerta sur le plateau. Co-productrice et distributrice du film à travers sa société Ad Vitam, Alexandra Henochsberg s’explique. Avec ce communiqué, votre coproducteur, Patrick Sobelman (Agat Films), et vous-même, avez cherché à répondre à Libération… L’article de Libé nous ayant paru très à charge, nous avons voulu donner notre point de vue, rétablir notre vérité. Nous traversons une période très dure, et il nous paraissait important, dans ce texte, de retracer le plus clairement possible la manière dont les choses s’étaient passées. Lire aussi : Affaire Sofiane Bennacer : Valeria Bruni Tedeschi répond, des cinémas déprogramment “Les Amandiers”3 minutes à lire Vous y précisez n’avoir pas été mise au courant d’une plainte pour viol au moment d’engager Sofiane Bennacer. En revanche, des bruits circulaient déjà concernant une possible agression sexuelle. Au moment du casting, nous avons eu en effet connaissance d’une rumeur concernant le comportement violent qu’aurait eu Sofiane envers une jeune comédienne deux ans avant d’avoir intégré le Théâtre national de Strasbourg (TNS). Patrick Sobelman a alors contacté le directeur de l’école, Stanislas Nordey, qui a confirmé avoir convoqué Sofiane suite à ces accusations, et lui avoir conseillé de quitter l’établissement. Mais - et je tiens à insister là-dessus - à aucun moment Stanislas ne nous a parlé de plainte pour viol - alors qu’elle existait déjà - ni d’un signalement auprès du procureur de la république. Dans un article du Monde, il reconnaît d‘ailleurs avoir omis volontairement de mentionner ces éléments, et en explique les raisons [Stanislas Nordey argue d’« un devoir de réserve », et dit aussi avoir respecté la volonté de la plaignante qui ne voulait pas que l’affaire s’ébruite, ndlr]. Quant à cette histoire de signalement, nous l’avons découverte il y a seulement quelques jours, dans Le Parisien. Que Stanislas ne nous ait rien dit, c’est son droit, je ne vais pas l’attaquer là-dessus. Mais la conséquence, c’est qu’on s’en prend plein la figure aujourd’hui. “Depuis ma place de productrice, cela me paraissait impossible de dire : ok, arrêtons le tournage.” Après avoir été avertie, comme toute l’équipe, de l’existence de cette plainte, par une jeune alternante présente sur le plateau des Amandiers, vous avez été accusés, ainsi que la réalisatrice, d’avoir fait régner l’omerta.. Je ne peux que contester ce terme d’omerta ! Dès que nous avons découvert cette plainte – au bout de deux jours de tournage –, nous avons fait une réunion avec les jeunes alternants, nous avons énormément discuté avec l’équipe et les comédiens. Franchement, j’estime que nous n’avons pas minimisé l’onde de choc que cette affaire suscitait, ni fait régner la terreur. Émotionnellement, je comprends que cela ait été compliqué pour tout le monde. Parmi les jeunes, certains auraient voulu qu’on licencie Sofiane dans l’heure. Je comprends cette position, elle est tout à fait défendable. Mais depuis ma place de productrice, cela me paraissait impossible de dire : ok, arrêtons le tournage, immédiatement, mettons 90 personnes au chômage. Patrick et moi avons une responsabilité vis-à-vis des dizaines de personnes que nous avons engagées. Nous nous sommes retrouvés dans une situation impossible, d’autant que notre réalisatrice n’envisageait pas de continuer le tournage sans Sofiane. Avez-vous néanmoins senti un malaise au sein de l’équipe ? La jeune fille qui nous avait avertis de la plainte a préféré partir dès le début du tournage, ainsi qu’une autre étudiante en alternance de la Cinéfabrique qui travaillait comme assistante-monteuse. En dehors de cela, l’ambiance était bonne et il arrivait que les jeunes fassent la fête entre eux. Après le papier de Libé, j’ai parlé avec les chefs de poste qui, eux aussi, sont tombés des nues en découvrant la teneur de l’article. Alors bien sûr, la présence de Sofiane n’était pas anodine, et a pu mettre des gens mal à l’aise. Mais lors de la fête de fin du tournage, tout le monde était présent. Et depuis, nous sommes tous restés en contacts, nous échangeons sur des fils WhatsApp, nous avons assuré une projection pour l’équipe avec 200 personnes dans la salle parisienne du Silencio des Prés, nous avons organisé une avant-première… Lire aussi : Sofiane Bennacer accusé de viols : ce que disent les théâtres qui l’ont formé Entre le tournage à partir de juin 2021 et le premier article du Parisien, le 23 octobre 2022, vous n’avez entendu parler de rien ? Nous savions depuis mai que Libé enquêtait, car la journaliste nous avait contactés, Patrick Sobelman, moi-même, la réalisatrice, et une partie de l’équipe pendant le festival de Cannes. Elle nous a expliqué par mail qu’elle était en train de recueillir un certain nombre de « témoignages à charge », mais nous n’avions à cette époque-là aucune idée de la nature de ces charges, ni des témoignages… Elle nous a posé des questions précises sur les conditions de tournage, questions auxquelles nous avons répondu. Je ne savais absolument pas à cette époque qu’il y avait plusieurs plaignantes, et je ne l’ai découvert que ces derniers jours dans la presse. Et à ce moment-là, Sofiane n’avait pas encore été convoqué par la police. Comment s’est passée la promotion du film dans ce contexte ? Sofiane, en octobre, nous a signalé qu’il n’y participerait plus, car l’enquête avait démarré [il a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, ndlr], ce qui m’a soulagée. Et avant cela, il a été tenu, le plus possible, à l’écart de la promotion. Il est venu à Cannes, mais brièvement, il n’était pas présent au Festival de la Rochelle où le film a été présenté, ni à un certain nombre d’autres événements. “Ce qui s’est passé avec l’affaire Polanski, sous l’ancienne direction, semble ne plus pouvoir se reproduire aujourd’hui.” Pouvez-vous comprendre que dans ce contexte, le fait que Sofiane ait été placé sur la liste des comédiens retenus pour les Révélations des César ait été problématique, d’autant que la directrice de casting des Amandiers, Marion Touitou, fait partie du comité de sélection ? Oui, mais je ne veux pas commenter ça, ce n’est pas mon rôle. Ce que je peux dire, c’est que je suis heureuse que l’académie des César ait réagi dès qu’elle a su que Sofiane était poursuivi, dès les révélations du Parisien. Son nom a été immédiatement retiré de la liste, et l’Académie réfléchit à un changement de son règlement.. Je trouve positif qu’au moins, ce type d’affaires puisse permettre de faire changer les choses. Ce qui s’est passé avec l’affaire Polanski, sous l’ancienne direction, semble ne plus pouvoir se reproduire aujourd’hui, et je trouve ça très bien que l’institution évolue. Plusieurs cinémas ont déprogrammé Les Amandiers. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Cela me chagrine, mais je peux le comprendre. Si des cinémas se sentent mal à l’aise à l’idée de programmer Les Amandiers, je respecte ce choix, et j’ai d’ailleurs envoyé un communiqué aux exploitants dans ce sens. Ils sont confrontés au public tous les jours, ils ont vis-à-vis de lui une responsabilité, doivent lui rendre des comptes, et je conçois que ce soit compliqué pour eux de mettre à l’affiche un film dont l’acteur principal est accusé de viol. Je n’ai aucun souci avec ça. De la même manière que je n’ai aucun souci avec le fait que des gens, pendant le tournage, aient voulu quitter le plateau. Je trouve tout cela malheureux pour le film mais je le comprends. Comment envisagez-vous la suite ? Patrick (Sobelman) et moi-même avons reçu énormément de messages de collègues producteurs qui, comme nous, se demandent comment gérer ce type de situations à l’avenir. Pour l’instant nous n’avons pas de pistes, nous sommes sous le choc, mais je pense en effet qu’il faut entamer, tous ensemble, une réflexion collective. ------------------------------------------------ Affaire Sofiane Bennacer : Sandra Nkaké, au casting des “Amandiers”, “sous le choc et en colère” Par Valérie Lehoux dans Télérama - 27 nov. 2022 Sandra Nkaké, chanteuse et comédienne, figure au générique des “Amandiers”, le film de Valeria Bruni Tedeschi dont l’acteur principal, Sofiane Bennacer, est mis en examen pour viol. Pour elle, cette affaire illustre une fois de plus le peu de cas que l’on fait de la parole des femmes. Chanteuse et comédienne, Sandra Nkaké a participé au tournage des Amandiers, film de Valeria Bruni Tedeschi au centre d’un scandale – l’un de ses acteurs principaux, Sofiane Bennacer, étant accusé de viols et de violences, visé par une plainte et mis en examen. La réalisatrice y a répondu dans un communiqué, brandissant la présomption d’innocence. Elle assume pleinement le fait d’avoir confié un rôle central au comédien de 25 ans, même si, dit-elle, elle avait eu vent de « rumeurs » à son sujet ; quant au dépôt d’une plainte à son encontre, elle l’avait appris juste après le début du tournage. Valeria Bruni Tedeschi qui dénonce par ailleurs un « lynchage médiatique », l’affaire ayant fait, ce vendredi 25 novembre, la une du quotidien Libération. Le même jour (en l’occurrence, la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes), Sandra Nkaké publiait sur Instagram une vidéo et un texte, dans lesquels elle explique avoir été victime d’inceste durant l’enfance : « Personne ne m’a protégée, personne ne m’a écoutée… » Réagissant au scandale des Amandiers, elle nous dit sa stupeur et sa colère. Lire aussi : “Les Amandiers” déprogrammé d’un cinéma : “On ne peut plus montrer le film de manière anodine”3 minutes à lire « Je suis sous le choc. Sous le choc, parce qu’encore une fois des victimes sont niées dans leurs souffrances. Sous le choc, parce que tourner avec Valeria Bruni Tedeschi a été un travail intense, incarné et profond. Je lui suis reconnaissante de la confiance qu’elle m’a portée. Mais cette reconnaissance a aujourd’hui un goût amer. Je n’étais pas au courant de ces accusations, je n’en ai pris connaissance qu’en écoutant la radio avant-hier. Si je l’avais été, je n’aurais pas pu accepter le rôle. Et je suis en colère. La violence subie fait partie de ma vie. Découvrir ces accusations ainsi, soudainement, après le tournage, est une chose très violente. Tout le monde me pose la question : “Est-ce que tu savais ?” J’ai tourné quatre jours et devant moi, cela n’a jamais été évoqué, ni en rendez-vous, ni en répétitions, ni pendant le tournage. À aucun moment. J’apprends que des personnes, qui étaient au courant, ont quitté le projet et l’ont fait en silence, parce qu’elles n’ont pas été accompagnées. Nous portons une responsabilité collective sur la manière dont nous nous engageons dans la vie et dans le travail. Quand je constitue une équipe pour une tournée, cela fait partie de nos toutes premières discussions : avant même de parler de musique, de planning, de cachets, nous nous demandons dans quel environnement nous voulons travailler, avec quel genre de partenaires, quelles règles de comportement… C’est un préalable important. Et cela me fait mal au ventre de penser qu’on peut jouer ensemble, faire une fête de fin de tournage, se retrouver sur les marches de Cannes… Alors que beaucoup savent, et ne parlent pas. C’est insupportable. Cette histoire pose une fois de plus la question de la prise en compte de la parole des victimes présumées. Elles ne sont jamais mises au rang de sujets, ou très peu. Cinq ans après #MeToo, il est important de continuer de nous fédérer, et de lutter. Les choses avancent-elles trop lentement ? Au regard de nos exigences, peut-être. Mais si l’on remet tout cela dans la perspective de l’Histoire, si on les regarde à travers le prisme de siècles et de siècles où la parole des victimes a été niée, alors oui, on avance. Lentement. Mais on avance. » Lire aussi : Sofiane Bennacer accusé de viols : ce que disent les théâtres qui l’ont formé3 minutes à lire Sofiane Bennacer accusé de viols : ce que disent les théâtres qui l’ont formé L’acteur de 25 ans à l’affiche du film “Les Amandiers” est mis en examen pour viols sur des ex-compagnes, dont au moins une comédienne. Y a-t-il eu une faille dans le système ? Stanislas Nordey, qui a encadré Sofiane Bennacer au TNS, assure avoir activé tous les leviers à sa disposition. Mis en examen en octobre pour viols et violences sur d’anciennes compagnes, l’acteur Sofiane Bennacer (25 ans), découverte du film de Valéria Bruni Tedeschi Les Amandiers, vient de voir son nom retiré de la liste des révélations concourant aux César 2023. Ainsi en a décidé une académie des César soucieuse de ne pas revivre l’onde de choc qui avait suivi, en février 2020, le sacre de Roman Polanski. « Sans préjudice de la présomption d’innocence et par respect pour les victimes présumées », l’académie a donc fait le choix de la prudence. Désormais placée sous les feux des projecteurs, « l’affaire » Sofiane Bennacer aurait débuté dans l’intimité d’un couple. En septembre 2018, le jeune Marseillais intègre la classe préparatoire qui vient d’être créée au sein du théâtre La Filature, à Mulhouse. Il y rencontre Juliette, étudiante originaire de la ville. « Il semblait clair qu’entre eux se nouait une relation amoureuse », témoigne Monica Guillouet-Gélys, ex-directrice de la Filature qui se dit aujourd’hui « très triste de ce qui se passe ». Ni elle ni son équipe n’ont « été témoins de quoi que ce soit ». Dès la fin des cours, rappelle-t-elle, les élèves étaient priés de quitter les locaux. « Si quoi que ce soit avait eu lieu chez nous, nous l’aurions vu. » Le viol présumé aurait eu lieu à cette époque sans que Juliette en fasse alors état auprès de l’établissement. Deux plaintes supplémentaires À l’automne 2019, le jeune couple est séparé. Sofiane rejoint l’École du Théâtre national de Strasbourg où il vient d’être admis. Juliette, recalée, redouble avant de finalement réussir, un an plus tard, ce même concours du TNS. « Réaliser qu’on n’est pas consentant à un acte sexuel, cela peut prendre du temps. Est-ce de retrouver Sofiane deux ans après les faits qui a réactivé chez Juliette certaines choses ? » s’interroge Stanislas Nordey. Disant hériter d’une « situation privée entre deux adultes », le directeur du TNS assure avoir activé tous les leviers à sa disposition. « Dès que Juliette m’a dit vouloir porter plainte, j’ai immédiatement fait, comme nous y oblige la loi, un signalement au procureur de la République. J’ai alerté les associations et le ministère de la Culture. J’ai conseillé à Sofiane de s’éloigner pour apaiser les esprits. Il a pris des congés. Lorsqu’il est revenu, il a donné sa démission. Pour nous qui nous étions assurés que Juliette n’était plus en danger, l’histoire s’arrêtait là. » L’institution n’aurait donc pas failli dans sa prise en charge. Mais aujourd’hui, deux femmes de plus ont, elles aussi, porté plainte, a-t-on appris dans Le Parisien. Lire aussi : Étincelante dans “Les Amandiers”, Nadia Tereszkiewicz, l’étoile polaire2 minutes à lire Le TNS aurait-il dû aller plus loin et en avait-il les moyens ? « Certains élèves me demandaient de virer Sofiane mais je n’en ai pas le droit. Nous ne sommes pas force de justice ou de police », explique Stanislas Nordey, qui n’avait jamais eu à gérer ce genre de situations. Il a donc suivi à la lettre les préconisations du ministère de la Culture. Mis en place par Roselyne Bachelot-Narquin en novembre 2021, un « Plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans le spectacle vivant » conditionne désormais le versement des subventions au respect de certaines obligations. Parmi celles-ci, la mise en place de cellules d’écoute et la présence de référents dans les établissements nationaux du spectacle vivant. “C’est lorsqu’on se croit en sécurité que le danger peut revenir” Est-ce suffisant pour rassurer les élèves et éviter le dérapage qui voit un mot déplacé se transformer en geste inacceptable ? « Non. Il faut aller bien au-delà », répond Claire Lasne Darcueil. La directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) dispose d’une cellule d’écoute interne et d’une seconde, externe, au sein de l’université Paris Sciences et Lettres. À l’en croire, c’est une chance : « Notre maison est petite. Les choses se savent vite. Il faut une adresse au-dehors pour que les élèves s’expriment en toute liberté. » La patronne du CNSAD est par ailleurs de celles qui tranchent dans le vif : « C’est lorsqu’on se croit en sécurité que le danger peut revenir. La meilleure façon de sécuriser réellement les jeunes acteurs qui viennent parler, c’est parfois d’avoir le courage de demander aux incriminés de partir. Même si ça m’a coûté, je l’ai fait à quatre reprises au sein du Conservatoire. » La mesure est radicale mais, précise Claire Lasne Darcueil, « elle est autorisée par le Code l’éducation dont disposent les directeurs, et qui permet, après commission de discipline, la suspension temporaire ou définitive en cas de mise en danger des étudiants ». Si cette mesure a le mérite de désamorcer les problèmes en leur coupant d’emblée l’herbe sous le pied, elle peut aussi passer pour très expéditive. Pour éviter d’en arriver là, c’est à la racine du problème qu’il faudrait pouvoir s’attaquer : « Éduquer nos garçons et faire en sorte que les filles parlent plus vite », souffle Monica Guillouet-Gélys. Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma" ------------------------------------------ Légende photo : L’acteur Sofiane Bennacer au Festival de Cannes, le 23 mai 2022, pour la présentation du film de Valeria Bruni Tedeschi, « Les Amandiers ». STÉPHANE MAHE/REUTERS
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Le spectateur de Belleville
October 19, 2022 7:44 AM
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Par Sandrine Blanchard, Rosita Boisseau et Clarisse Fabre dans Le Monde - 10 octobre 2022 Cellules d’écoute, formations à la prévention, référents harcèlement sont des outils désormais bien installés, même si la libération de la parole reste compliquée.
Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/10/metoo-cinema-theatre-danse-les-avancees-et-les-limites-des-dispositifs-de-prevention_6145107_3224.html Dans le milieu culturel, tout le monde l’appelle la « cellule Audiens ». Depuis sa création, en juin 2020, la cellule d’écoute psychologique et juridique réservée aux professionnels du spectacle vivant et enregistré, pilotée par l’organisme de protection sociale Audiens, a reçu plus de 320 appels – émanant à 82 % de femmes, 68 % des faits dénoncés sont commis par des supérieurs hiérarchiques. Parmi ceux recueillis, il y a celui d’Enora (les prénoms ont été modifiés), jeune talent en musique urbaine qui se dit victime d’« attouchements et d’agressions sexuelles » par son directeur artistique. Ou de Mathilde, jeune employée au guichet d’un théâtre, qui relate être quotidiennement confrontée « aux remarques dégradantes, humiliantes et offensantes » de son directeur. Ou encore de Théo, comédien, qui a été, lors d’un tournage, « harcelé moralement puis sexuellement » par le réalisateur. Lancée à l’initiative de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac), cette cellule vient d’être élargie aux secteurs du jeu vidéo et du livre. En contactant la plate-forme, les victimes, essentiellement des intermittents du spectacle, cherchent les moyens de se défendre, mais redoutent souvent qu’une action en justice les pénalise dans le métier. « Nous sommes dans un secteur où il y a beaucoup de précarité et où la cooptation et les réseaux sont très importants pour décrocher une embauche. Les femmes victimes se disent : “Est-ce que je parle, au risque de devoir me reconvertir, ou est-ce que je serre les dents et je fais carrière ?” », déplore Claire Serre-Combe, responsable du collectif Femmes-mixité à la fédération CGT Spectacle. « Crainte d’être black-listé » Le 16 octobre 2021, seules quelque deux cents personnes avaient participé à la manifestation organisée après le lancement du mouvement #metoothéâtre. Et dans les rangs des manifestantes, très peu acceptaient de donner leur nom. « On a tellement peur de perdre une place, dans ce milieu où tout se sait très vite, que l’on se tait », témoignait une jeune comédienne. « On a tellement peur de perdre une place, dans ce milieu où tout se sait très vite, que l’on se tait », une comédienne Ce sont probablement ces peurs qui freinent les témoignages et les dépôts de plainte des professionnels du théâtre et de la danse. « La crainte d’être blacklisté est un vrai sujet, constatent les responsables de la cellule Audiens. La plupart des victimes n’osent pas dénoncer ces violences, dans un milieu où tout le monde se connaît. La notoriété de certains des auteurs semble aussi être un frein à toute procédure à leur encontre. » Cela explique sans doute que peu de témoignages débouchent sur des suites juridiques. Ainsi, seules six appelantes ont déposé une plainte au pénal, une a déposé une main courante, une autre a intenté une action devant les prud’hommes et enfin deux mises en demeure ont été adressées à des employeurs. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés #metoo, cinq ans après : à l’Ecole supérieure d’art dramatique du Nord, le consentement en étendard Violences sexuelles, sexistes ou harcèlement de la part d’un « patron » ou d’un collègue, attouchements et propos sexistes, « il arrive que la victime n’ose pas réagir sur le coup, car cela bloquerait le tournage ou les répétitions, donc elle continue à travailler avec le harceleur, ce qui génère de la culpabilité », remarquent les assistantes sociales, psychologues ou avocats vers lesquels les appelantes sont orientées. Signe des temps, quatorze partenaires sociaux de la branche des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac, Les Forces musicales, Profedim, etc.) ont signé un accord sur « la prévention et les sanctions des violences sexuelles et des agissements sexistes au travail ». Applicable au 1er novembre, il sera intégré à la convention collective du secteur et renforcera, notamment, les moyens des référents harcèlement. Et le Syndeac indique que 90 % des équipes de direction des scènes publiques ont désormais été formées. C’est aussi l’obligation affichée pour les professionnels du cinéma. Depuis le 1er janvier 2021, les producteurs et exploitants ne peuvent plus prétendre aux fonds du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) s’ils n’ont pas au préalable suivi une formation de prévention pilotée par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes sur le lieu de travail (AVFT). Environ 3 100 producteurs et 513 exploitants, sur un total de 7 400 professionnels éligibles à la formation, ont suivi la session de sensibilisation. Taiseux et mécontents « Il y a une prise de conscience des deux côtés, dominants et dominés », observe Séraphine Angoula, coprésidente du Collectif 50/50 (qui promeut l’égalité entre les femmes et les hommes). Souvent, les gens arrivent à ces formations en traînant les pieds. « J’ai eu l’impression d’aller en camp d’entraînement, pour obtenir le label de bon dirigeant non sexiste. Mais finalement j’ai pris conscience de ma responsabilité de patron », raconte avec un brin d’autodérision le producteur Frédéric Dubreuil (Envie de tempête). Lors de ces formations, il y a aussi les taiseux et les mécontents. On y mesure les résistances de certains et la difficulté à faire changer certaines pratiques. « A l’issue d’une session, Dominique Besnehard [producteur qui avait pris la défense de Gérard Depardieu, en 2018, après le dépôt d’une plainte pour viol d’une jeune femme], mécontent d’être là, a pris le micro et tenu des propos provocateurs », se souvient la déléguée générale de l’AVFT, Marilyn Baldeck. Le milieu de la danse semble à part dans le secteur du spectacle vivant. Si l’affaire Jan Fabre, en Belgique, et celle du chorégraphe Guilherme Botelho, en Suisse, ont fait parler d’elles, le phénomène #metoodanse n’a pas soulevé de vagues dans le contemporain en France. Lire aussi : #metoo : « Le Monde » retrace les grandes étapes de cette révolution cinq ans après ses débuts Pour le sociologue Pierre-Emmanuel Sorignet, auteur de Danser, enquête dans les coulisses d’une vocation (La Découverte, 2010), les raisons invoquées sont nombreuses. Il évoque la présence importante des femmes aux postes de responsabilité, qui limiterait les risques de harcèlement sexuel, tout comme la sensibilité particulière du milieu aux problématiques LGBTQI+ et à celle de l’égalité des sexes. Il insiste aussi sur les spécificités du métier : « Cet art, dont le corps est l’enjeu et où le contact physique est permanent, permet une forme d’émancipation du corps féminin. L’auto-contrôle à travers l’apprentissage de gestes millimétrés vis-à-vis du partenaire y est plus fort qu’ailleurs. » Il faut néanmoins souligner qu’« il n’y a pas eu de vedettes qui ont témoigné et permis de libérer la parole de celles qui sont moins protégées, tempère la danseuse et chercheuse Hélène Marquié. Les danseuses vident leur sac en privé, entre elles, mais peu passent au stade de la dénonciation publique. La précarité, qui tient notamment à l’interchangeabilité des femmes, pèse encore beaucoup. » « Un vrai changement des mentalités » Le Conservatoire national de musique et de danse de Paris a mis en place des formations pour les étudiants et les enseignants comme pour le personnel administratif. « Il y a un vrai changement des mentalités, et ces prises de parole sont beaucoup plus considérées et entendues qu’auparavant », assure Cédric Andrieux, directeur des études chorégraphiques. Parallèlement, un dispositif de signalement des comportements inappropriés a été créé. « Il faut bien dire que, depuis cinq ans, alors qu’il était quasiment impossible, impensable même de discuter de ce sujet, ça commence à bouger », insiste Hélène Marquié. #metoo, les cinq ans d’une révolution Il y a cinq ans éclatait l’affaire Harvey Weinstein aux Etats-Unis, provoquant une onde de choc mondiale qui allait libérer la parole contre les violences sexistes et sexuelles. Dans une série d’articles, Le Monde décrypte l’ampleur du phénomène et son impact sur nos sociétés. - Cinq ans après #metoo, l’onde de choc : ce qui a changé dans les familles, à l’école, au tribunal…
- « On constate un écart entre l’image des violences sexuelles et leur réalité »
- Malgré des revers, la déferlante #metoo a profondément changé l’Amérique
- A Hollywood, les femmes tiennent le haut de l’affiche
- L’inflexion titanesque des scénarios de films français
- #metoo, le « moteur colère » des militantes féministes
- Comment la vague #metoo a percuté le monde politique
- Cinq ans après, six jeunes adultes racontent comment le mouvement a forgé leur rapport aux autres
- « Aujourd’hui, tous les jeunes adultes ont déjà entendu parler de consentement »
- A Saint-Denis, le difficile #metoo des quartiers populaires
- Dans les partis de gauche, un fossé demeure entre féministes et directions
- En Afrique francophone, le difficile combat des féministes face aux violences sexuelles
- Avant #metoo, le mouvement #niunamenos mobilisait l’Amérique latine
- Face au mouvement, les résistances persistent au Japon et en Corée du Sud
- Cinéma, théâtre, danse : les avancées et les limites des dispositifs de prévention
- L’Ecole supérieure d’art dramatique du Nord, le consentement en étendard
- Dans les entreprises, une lutte difficile contre les actes sexistes et le harcèlement sexuel
- Dans les cas de harcèlement sexuel en entreprise, la transaction amiable est souvent privilégiée
- Dans la publicité, #metoo a fait bouger quelques lignes, sans supprimer l’impunité
- Chez Google, la « grande marche » de 2018 a permis des avancées mais des tensions persistent
- Dans l’intention de rabaisser et de contrôler les femmes, un « continuum » de violences
- Cinq ans après #metoo, l’antiféminisme prospère sur les réseaux sociaux
- « Le Droit au sexe », d’Amia Srinivasan : pour une vraie libération sexuelle
- « Des femmes » : Louise Dupin, #elleaussi
- Après #metoo, comment les parents éduquent leurs enfants (et sont éduqués par eux)
- A l’école, l’éducation à la sexualité toujours en quête de moyens
- La prescription, une notion au cœur des affaires les plus médiatisées depuis cinq ans
- #metoo face à une contre-révolution venue de l’antiféminisme comme du féminisme
- « #metoo ?… Rafraîchissez-moi la mémoire… » Rencontre avec des hommes, concernés un peu beaucoup ou pas du tout par cette vague féministe
- Ivan Jablonka, historien : « Certains hommes découvrent le potentiel émancipateur de #metoo »
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Sandrine Blanchard, Rosita Boisseau et Clarisse Fabre dans Le Monde Légende photo : Lors d’une projection de film au festival Berlinale Summer Special, à Berlin, le 12 juin 2021. STEFANIE LOOS/REUTERS Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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Le spectateur de Belleville
June 26, 2022 10:17 AM
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par Ève Beauvallet dans Libération - publié le 26 juin 2022 Après la condamnation du chorégraphe à dix-huit mois de prison avec sursis pour agression sexuelle sur une de ses danseuses, la compagnie Troubleyn s’est vue retirer ses subventions. Une décision inévitable, mais qui intervient dans un contexte extrêmement tendu pour la culture flamande, soumise par le gouvernement à des pressions budgétaires effarantes. Le 29 avril, Jan Fabre, chorégraphe et plasticien flamand de renommée internationale, était condamné à dix-huit mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel d’Anvers pour agression sexuelle contre l’une des danseuses de sa compagnie Troubleyn, et pour violences ou humiliations à l’égard de cinq autres. Depuis l’émergence du mouvement #MeToo, cette condamnation d’un artiste pour des faits de violences sexuelles ou morales dans le cadre du travail est à notre connaissance la première à advenir dans le milieu du spectacle vivant. La précision n’est pas anodine. Car dans le cas du théâtre ou de la danse en particulier se pose inévitablement, dans la foulée du procès, la question de la mort programmée des œuvres (la fameuse «cancel culture», comme les polémistes l’appellent). En effet, si le spectateur peut toujours choisir de revoir ou non, en conscience, les films de Woody Allen, de Roman Polanski, ceux produits par Harvey Weinstein – ceux, en somme, d’hommes impliqués dans des scandales de violences sexuelles – il ne verra probablement plus les spectacles créés par Jan Fabre depuis trente ans, lesquels étaient pourtant considérés avant que le scandale n’éclate comme des jalons incontournables de l’histoire de la scène. Poubelle ? Avis défavorable Pour que ce répertoire continue à exister, il aurait fallu d’une part que des danseurs acceptent de remonter sur scène, que des directeurs de théâtre tiennent à programmer une œuvre entachée par la signature de l’artiste (quand bien même Jan Fabre n’accompagne plus les tournées des danseurs depuis longtemps). Il aurait fallu, surtout, que cette compagnie employant une quarantaine d’employés fixes et de nombreux intermittents survive financièrement au jugement. Fin mars, la commission d’évaluation chargée d’examiner les dossiers de demandes de subventions dans le secteur culturel flamand avait rendu un avis défavorable pour la compagnie Troubleyn. Comme attendu, le cabinet du ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA), responsable de la culture, a confirmé ce vendredi que la structure de Jan Fabre ne percevrait pas d’argent public pour la période 2023-2027. Voilà donc qui devrait intéresser les historiens et sociologues de l’art et donner une autre stature aux archives vidéo. Contexte de stress maximal Sur le dossier Fabre, la décision gouvernementale semble évidemment légitime. Elle intervient néanmoins dans un contexte de stress maximal pour le milieu de la culture flamand, soumis à des pressions budgétaires alarmantes qui ne sont pas sans rappeler le carnage opéré en France notamment par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez. En avril, rappelait la RTBF, le secteur culturel flamand avait lancé une campagne sous le hashtag #ambitieuzerdandit («plus ambitieux que cela») pour demander au gouvernement régional d’investir davantage de moyens dans la culture, à l’heure où un organisme sur quatre était menacé de perdre ses subsides. Ces organismes en question sont bien connus en France pour avoir produit, soutenu, accompagné cette fameuse «nouvelle vague» flamande enviée de la part le monde. Des artistes de la stature de Jan Lauwers – qui avait conquis le festival d’Avignon avec son blockbuster la Chambre d’Isabella en 2004 – étaient dans le viseur d’un «comité d’experts», mais aussi la célèbre Toneelhuis d’Anvers dirigée par le metteur en scène très souvent diffusé en France Guy Cassiers, ou encore l’ensemble de musique contemporaine Ictus. Finalement, le gouvernement a repêché neuf de ces organisations dont la Toneelhuis, laquelle se dit «soulagée, malgré les avis négatifs, de recevoir 2,6 millions de subventions. Avec ce montant, la Toneelhuis peut garantir son fonctionnement, mais cela nécessite une révision approfondie des plans et des budgets proposés. Nous allons nous y atteler dès demain». Eve Beauvallet / Libération Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma" Légende photo : Répétition générale du spectacle «The Power of Theatrical Madness» par la compagnie Troubleyn, au Burgtheater de Vienne le 17 juillet 2012. (Herwig Prammer/REUTERS)
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Le spectateur de Belleville
May 13, 2022 10:03 AM
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Par Caroline Châtelet dans Sceneweb - 13 mai 2022 Avec SCUM rodeo, la metteuse en scène Mirabelle Rousseau donne à entendre le manifeste féministe culte de Valerie Solanas, en admettant et en jouant de sa radicalité. Une charge portée avec une énergie puissante par Sarah Chaumette. C’est en 2013 que la metteuse en scène Mirabelle Rousseau crée pour la première fois avec Sarah Chaumette, dans le cadre des Sujets à vif – dispositif organisé conjointement par la SACD et le festival d’Avignon – SCUM Rodeo, d’après le SCUM Manifesto de Valerie Solanas. Autant dire qu’à l’époque, Valerie Solanas demeure vraiment une figure confidentielle, inconnue en France au-delà des cercles féministes. En 2019, au Théâtre du Nord, Christophe Rauck créait La faculté des Rêves de Sara Stridsberg qui mettait en scène l’activiste féministe. Mais de 2013 à 2022, de l’eau a coulé sous les ponts. Les violences sexistes comme la domination patriarcale ne cessent d’être épinglés, du mouvement #metoo aux collages dénonçant les féminicides ; du départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des Césars 2020 aux toutes récentes prises de paroles de vingt femmes témoignant dans l’enquête judiciaire contre PPDA. Ce mouvement aux vagues successives a permis de (re)découvrir l’intellectuelle américaine et féministe radicale Valerie Solanas (1936-1988). Pour autant, lorsqu’on la cite, c’est d’abord pour son coup d’éclat – et ses coups de feu ratés : le 3 juin 1968, Valerie Solanas tirait à bout portant sur Andy Warhol, laissant l’artiste plusieurs jours entre la vie et la mort. Ce geste, que l’autrice justifia en reprochant à Warhol un trop grand contrôle sur sa vie était, également, lié à plusieurs différents : outre que Warhol avait perdu un manuscrit de pièce que Solanas lui avait soumis, ce dernier avait écorché son nom dans le générique d’un film dans lequel elle jouait (et n’avait pas effectué les corrections). Mais cette tentative d’assassinat est intrinsèquement lié à un autre geste : l’écriture du SCUM Manifesto. Dans ce pamphlet féministe radical (publié en 1967 à compte d’auteur et repris par une maison d’édition dès la fin de l’année 68), Solanas appelle à l’usage de la violence pour se débarrasser des hommes et instaurer une société sans mâles. Dès la conférence de presse improvisée qui suivit son acte envers Warhol, Solanas renvoyait à la lecture du SCUM. En somme, le texte annonce et conceptualise le geste meurtrier, il le planifie et l’explicite : une démarche performative qui ne peut que l’amener à trouver brillamment sa place sur une scène de théâtre… D’autant que Mirabelle Rousseau de la compagnie Le T.O.C., metteuse en scène rompue aux écrits ardus, saisit subtilement toute la performativité du texte dans sa mise en scène. Le spectacle débute avec l’entrée en scène de Sarah Chaumette par une porte à cour, légèrement en-deçà du plateau. Vêtue comme pourrait l’être une conférencière estivale, manipulant ses lunettes – seul le vernis bigarré de ses ongles dénotant dans sa mise impeccable et classique –, elle débute par la lecture du texte (document accessible au public et dont le graphisme lie propos et intitulé). Une lecture qu’elle suspend quelques instants pour présenter l’américaine et les différents sens de « SCUM » : terme d’argot signifiant « crasse, excrément, racaille, ou salaud », l’expression est en général renvoyée à Society for Cutting Up Men (« Association pour émasculer les hommes ») – cela alors même que Solanas a rejeté cette définition. L’on saisit ici que quelque chose résiste dans le texte comme dans la personnalité de Valerie Solanas et que le « rodeo » ne sera pas feint. C’est bien à un exercice de maîtrise que va se livrer Sarah Chaumette. Rejoignant la scène, la comédienne va, dans un geste vif et ramassé, enfourcher la langue multiple et riche de Solanas, les sinuosités et paradoxes parfois de son raisonnement, le baroque de ses enchaînements. De l’annonce de la nécessaire éradication du mâle, le SCUM déplie les tares affectant le sexe masculin comme son besoin de domination par tous les moyens (la guerre, la paternité, etc.) ; liste les dominations subies par les femmes et les moyens d’y échapper. Ce cheminement, Sarah Chaumette le donne à voir en lâchant sa position distante, abandonnant veste et lunette, jouant avec le micro – qui devient une régulière métaphore phallique – pour terminer sur une haute chaire de conférencière. Évoquant notamment ce dont les femmes doivent se libérer (la sexualité, la vénération de l’art et de la culture, les « Fifilles à Papa »), revendiquant le nécessaire passage à la criminalité plutôt qu’à la désobéissance civile (« tactique [admettant] globalement le bien-fondé du système et [n’étant] utilisé que pour le modifier légèrement ») le texte se termine sur une tonalité plus proche de la science-fiction, avec l’arrivée de l’automatisation. Cette échappée se traduit par l’électrisation de la chevelure de Sarah Chaumette qui, ainsi transfigurée, évoque une singulière pythie annonçant la toute-puissance des femmes par le choix de la marge. Si d’aucuns trouveront que l’interprétation de Sarah Chaumette pourrait être un peu plus dans la retenue, l’on préférera plutôt voir dans cette incarnation entière une jubilation. Celle d’une actrice en plein corps-à-corps avec une œuvre complexe, ravageuse, paradoxale parfois, traversée d’élans de fureur mais aussi de traits d’humour. Un humour parfois involontaire dans l’écriture, mais que la mise en scène et la direction d’acteurs exploitent judicieusement. Et au-delà de son côté dérangeant, grinçant, de son extrémisme extravagant, ce SCUM rodeo résonne avec une vitalité particulière aujourd’hui. D’abord parce que face aux violences sexistes omniprésentes et au backlash, soit au retour de bâton masculiniste à l’œuvre, les positions décapantes de Solanas questionnent et ne laissent personne indifférent. Ensuite parce que ce qu’appelle Valerie Solanas à détruire, ce n’est pas seulement le patriarcat, mais bien l’entièreté du monde capitaliste et de ses structures. Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr SCUM rodeo A partir du manifeste de Valerie Solanas Traduction Blandine Pélissier Un projet de Mirabelle Rousseau et Sarah Chaumette Avec Sarah Chaumette Collaboration artistique Leo Lorenzo Théâtre La Reine Blanche, Paris Les 12, 14, 17, 19, 21, 24, 26, 28 mai 2022 à 21h, Le 13 mai 2022 à 20h30, FRAC Centre-Val de Loire, Orléans Légende photo : Sarah Chaumette dans SCUM rodeo © Hervé Bellamy
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Le spectateur de Belleville
March 27, 2022 3:16 PM
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Par Fabienne Arvers dans Les Inrocks - 17 mars 2022 La folle énergie et la sincérité des interprètes de “La Tendresse“ questionnent avec finesse les nouveaux contours de la masculinité.
Toute la salle du TGP de Saint-Denis debout pour une standing ovation à la fin de La Tendresse : c’est dire l’adéquation entre le public et le spectacle de Julie Berès, qui opère comme un miroir pour évoquer ce que c’est qu’être un homme aujourd’hui, après #Metoo, après des siècles de patriarcat, avec les bagages culturels que l’exil charrie avec lui.
Deuxième partie du diptyque démarré avec Désobéir, qui donnait la parole à de jeunes femmes, La Tendresse réunit huit jeunes hommes d’horizons différents – Afrique, Arménie, France, Iran.
“On ne naît pas homme, on le devient” Si l’écriture du spectacle a été précédée d’une large documentation, ce qui frappe et séduit d’emblée, c’est la spontanéité et le naturel avec lesquels cette bande de jeunes hommes parle de la sexualité, de leur rapport à la masculinité et à la virilité tels qu’ils les ont reçues en héritage et la remise en cause qu’ils en font. La langue est crue et n’oblitère aucun thème (le viol, la violence, la paternité, l’amour, la guerre, les bastons, l’homosexualité, l’initiation au sexe via les pornos, la drague) sans oublier de donner aussi la parole au corps. Danse classique et break dance font plus que rythmer le spectacle. La chorégraphie des corps dans l’espace, conçue comme une machine à jouer aux allures de toboggan, est aussi une manière d’assumer son identité en donnant libre cours à la beauté du geste, à l’énergie de la jeunesse et à ses valses hésitations que Julie Berès résume d’une phrase, empruntée à Simone de Beauvoir : “On ne naît pas homme, on le devient.“ La Tendresse, de Kevin Keiss, Julie Berès, Lisa Guez, avec la collaboration d’Alice Zeniter. Mise en scène Julie Berès. Chorégraphie Jessica Noita. Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Schneider et Mohammed Seddiki. Au TGP de Saint-Denis jusqu’au 1er avril. Les 4 et 5 avril 2022, Festival Mythos, L’Aire Libre, Rennes. Les 7 et 8 avril, Le Quartz de Brest. Les 12 et 13 avril, Théâtre de Bourg-en-Bresse. Le 22 avril, Théâtre de Châtillon. Les 28 et 29 avril, Châteauvallon-Liberté de Toulon. Du 4 au 22 mai, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
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Le spectateur de Belleville
February 6, 2022 12:55 PM
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Par Eve Beauvallet dans Libération - 6 février 2022 Evoquant des «pressions de différentes natures» dans une lettre à ses partenaires que «Libération» a pu consulter, l’artiste visé en 2019 par une plainte pour viol a renoncé à jouer «Un qui veut traverser» après des semaines de polémique et une mobilisation pour sa déprogrammation. «C’est une immense victoire contre les violences sexistes et sexuelles au théâtre», a déclaré samedi, sur les réseaux sociaux, Marie Coquille-Chambel, à la tête du mouvement #MeTooThéâtre. Après une mobilisation mi-octobre pour sa déprogrammation et plusieurs semaines de polémique, le spectacle du metteur en scène Jean-Pierre Baro, Un qui veut traverser, co-produit par trois des cinq théâtres nationaux – le théâtre de la Colline, le Théâtre national de Strasbourg et le Théâtre national de Bretagne – et attendu pour mai à l’affiche de la Colline (XXe arrondissement de Paris), est finalement annulé. La décision n’émane pas des co-producteurs (Wajdi Mouawad, Stanislas Nordey et Arthur Nauzyciel), mais de l’artiste lui-même, lequel envoyait vendredi une lettre à ses partenaires mentionnant les «pressions de différentes natures» qu’eux-mêmes subiraient, un climat trop dégradé pour «présenter ce spectacle et assurer le respect d’une œuvre et d’une équipe artistique». Dans le document que Libération a pu consulter, il écrit : «Vous m’avez tous fait part de vos craintes face à cette situation et à ses probables conséquences sur la réception du spectacle. […] Suite à nos échanges et en accord avec vous, je décide de suspendre la création de ce spectacle. J’ai lutté jusqu’au dernier moment contre cette décision. Mais il m’est humainement impossible de travailler à ce projet tout en protégeant ma famille et mes proches de cette pression incessante.» Accusations graves et vague de protestations Fin 2018, le metteur en scène d’aujourd’hui 41 ans, alors directeur du théâtre des Quartiers d’Ivry, était visé par une plainte pour viol. L’affaire était classée sans suite (déficit de preuves) en mars 2019 mais un post de blog hébergé par Mediapart venant relayer quelques mois plus tard d’autres accusations graves à l’encontre de Baro, l’artiste fut poussé à la démission. Deux ans ont passé. Et début octobre, alors qu’enflait la vague de protestation contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du théâtre sous le drapeau #MeTooThéâtre, le nom de Jean-Pierre Baro a ressurgi. On apprenait que sa prochaine création serait hébergée en répétition au théâtre national de la Colline, au moment même où Wajdi Mouawad, directeur de l’institution, déclenchait lui-même les foudres des militants en invitant Bertrand Cantat à signer la bande-son de son spectacle Mère. Une «provocation», selon les militants et certains salariés du théâtre. Stanislas Nordey, co-producteur d’Un qui veut traverser, l’assurait à Libé : le projet de co-production de ce spectacle est antérieur aux faits survenus en 2018. De son côté, Wajdi Mouawad justifiait son soutien au spectacle de Baro dans un long communiqué : «L’attention due aux paroles des plaignants conjuguée à la lenteur des procédures judiciaires m’amène à penser que, si une personne programmée ou invitée au théâtre se trouve engagée dans une procédure judiciaire, je l’inciterai à se retirer de la programmation jusqu’à ce que le travail de la justice ait été mené à son terme, écrivait-il. A ce jour, personne ne se trouve dans cette situation dans la programmation du théâtre de la Colline. Je ne vois donc pas en quoi je devrais changer quoi que ce soit, ou demander à qui que ce soit de se retirer.» Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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Le spectateur de Belleville
December 19, 2021 7:01 PM
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Par Eve Beauvallet dans Libération - 20 décembre 2021 Alors qu’enfle la vague de protestation dans le milieu du spectacle, la question de déprogrammer des metteurs en scène accusés de violences sexuelles agite le secteur, qui cherche la juste articulation entre respect de la présomption d’innocence et soutien aux combats féministes. Faut-il déprogrammer la pièce de Michel Didym ? Faut-il «canceller» Jan Fabre ? Faut-il suspendre la production du spectacle de Jean-Pierre Baro ? Ces trois hommes ont en commun d’être metteurs en scène, diversement reconnus sur le plan international, mais aussi d’être ou d’avoir récemment été accusés de violences sexuelles. Trois dossiers donc, pour trois tempos judiciaires différents : alors que Jan Fabre, superstar de la scène flamande, doit comparaître en mars devant le tribunal correctionnel d’Anvers pour «violence», «harcèlement sexuel au travail» et «attentat à la pudeur», une enquête préliminaire a été ouverte à la suite des accusations pesant sur l’ancien directeur du Centre dramatique national de Nancy Michel Didym. Concernant Jean-Pierre Baro, la plainte pour viol déposée à son encontre a beau avoir été classée sans suite en 2019, le sort réservé à ses œuvres agite également le secteur. Derrière ces hommes, en effet, des spectacles, en tournée ou en cours de production. Et derrière ces spectacles, des directeurs de théâtre soumis à des dilemmes éthiques en forme de nœuds de cerveaux. «Putain, quel merdier, nous souffle un programmateur. J’aimerais pas être à leur place.» Et quel merdier, en effet, semble être devenu celui de la liberté de création et de programmation dans une période abrasive qui voit certains militants féministes appeler à la déprogrammation des œuvres. Début octobre, tandis que gonflait le mouvement #MeTooThéâtre à la suite de l’enquête de Libération sur les agissements présumés de Michel Didym, son spectacle Habiter le temps était en tournée dans plusieurs salles. D’autres dates de représentation, ailleurs, étaient en cours de négociation. A la demande de l’équipe (qui réunit douze personnes dont la comédienne Irène Jacob), Michel Didym envoyait immédiatement un communiqué aux différents théâtres partenaires informant qu’il se retirait de la tournée. Le metteur en scène écrivait : «Les artistes et techniciens qui se sont intensément investis dans la création de ce spectacle ne peuvent être pénalisés dans l’exercice de leur métier par des accusations qui me sont strictement personnelles.» «Le spectacle est une affaire collective» Rien n’y a fait. Le 15 octobre, on apprenait que le théâtre des Célestins à Lyon déprogrammait la pièce (plus exactement «reportait» les dates), estimant que «la gravité des accusations» n’était pas conciliable avec les valeurs de l’établissement. Une décision accueillie comme une victoire, sur Twitter, par Marie Coquille-Chambel, doctorante en théâtre et militante à la tête du mouvement #MeTooThéâtre. Depuis, selon nos informations, la Comédie de Caen a renoncé à présenter la pièce cette année dans l’attente des résultats de l’enquête, le théâtre de Liège (Belgique), coproducteur du spectacle, attendra lui aussi l’issue de l’affaire et plusieurs structures de diffusion, hier intéressées par le spectacle pour leur prochaine saison, n’ont plus donné suite aux sollicitations de la compagnie Boomerang (du nom de l’association de Michel Didym). «Le spectacle est une affaire collective, se désole la compagnie, au téléphone. Il n’a pas à être marqué au sceau de l’infamie !» Voici donc reposés, d’une part, l’indétricotable débat de la distinction entre un homme et son œuvre. Et d’autre part, l’indérouillable articulation entre respect de la présomption d’innocence et soutien aux combats féministes. En pleine mer, deux caps éthiques bien distincts : d’un côté une ligne légaliste qui prône la diffusion des œuvres tant que l’artiste n’est pas condamné, de l’autre, une ligne morale qui entend composer avec un contexte de profonde mutation sociétale. Dans le milieu du théâtre, le rapport de force entre ces deux bataillons n’est pas né il y a deux mois avec l’affaire Michel Didym, mais il y a trois ans avec l’affaire Jan Fabre, premier séisme #MeToo du secteur qui n’en finit pas de diviser les programmateurs. Début 2019, deux pièces du Flamand étaient accueillies à Paris, l’une au théâtre de la Bastille, l’autre à la Villette. Une lettre ouverte, cosignée par une vingtaine de ses collaborateurs et relatant des faits de violences sexuelles, circulait alors depuis quelques mois et une enquête ministérielle était ouverte. A l’époque, et contrairement aux revendications d’aujourd’hui, les militantes et militants féministes ne réclamaient pas la déprogrammation des pièces. Ce que demandait la Permanence – une association de veille sur les violences sexuelles dans le spectacle vivant –, c’était d’informer les spectateurs en publiant la lettre ouverte accusatoire dans le programme de salle. Jean-Marie Hordé, au théâtre de la Bastille, et Frédéric Mazelly, à la Villette, avaient fermement refusé. Aujourd’hui, en revanche, la Villette a cessé toute collaboration avec l’artiste, nous informe Mazelly. C’est qu’entre-temps, en effet, l’Auditorat du travail d’Anvers (une instance qui, en Belgique, représente le ministère public sur ces dossiers) a renvoyé le dossier devant le tribunal correctionnel à l’issue de trois ans d’enquête. «Présomption d’innocence» Déprogrammation uniquement si enquête judiciaire en cours. C’est également le cap tenu par Wajdi Mouawad, auteur, metteur en scène, directeur du théâtre national de la Colline. Accusé d’avoir soufflé sur les braises de la censure en invitant dans la même saison Bertrand Cantat d’une part mais aussi Jean-Pierre Baro – tous deux vus par les activistes comme des «symboles» des violences faites aux femmes en dépit de situations judiciaires radicalement différentes –, Wajdi Mouawad précisait sa conception de la liberté de programmation dans un long et ardent communiqué. Il y rappelait son respect du droit à la réinsertion pour Cantat et celui des conclusions de l’enquête pour Baro. Ici, cependant, il concédait à la morale : «Ceci étant, l’attention due aux paroles des plaignants conjuguée à la lenteur des procédures judiciaires m’amène à penser que, si une personne programmée ou invitée au théâtre se trouve engagée dans une procédure judiciaire, je l’inciterai à se retirer de la programmation jusqu’à ce que le travail de la justice ait été mené à son terme.» Cette ligne était récemment défendue par plusieurs directrices d’institutions dans le Monde. Interrogées sur la tournée en cours de la pièce de Michel Didym, elles parlaient d’une seule voix : bien sûr qu’elles aussi auraient déprogrammé, comme l’a fait le théâtre des Célestins à Lyon ! Ce positionnement, pourtant, divise. Et bien au-delà des genres ou les générations. «Est-ce si clair ? questionne Courtney Geraghty, jeune directrice du théâtre de la Croix-Rousse à Lyon. Je m’interroge sur la méthode. Evidemment, je souhaite que toutes les victimes de violence soient entendues et justice rendue. Mais à partir du moment où la pièce est programmée, ne faut-il pas l’assumer au nom de la présomption d’innocence ? Je contextualiserais cette programmation, pour ma part, avec une carte blanche proposée en parallèle aux associations de lutte contre les violences et aux militantes féministes. Personnellement, je crois que l’enjeu fondamental est de faire évoluer notre système judiciaire pour que ces accusations aboutissent plus souvent à des condamnations.» «Mort professionnelle» Directeur de la scène nationale de Toulon, Charles Berling se crispe immédiatement au téléphone. «Bien sûr que nous présenterons comme prévu la pièce de Michel Didym en janvier.» Ulcéré par l’article du Monde qui n’interrogeait que des femmes sur le mouvement #MeToo – «une façon de nous assigner à notre genre, de nous exclure du combat» –, il entend renvoyer le milieu à ses contradictions prétendues : «Quand on va faire des projets en prison, on n’a pas le droit de connaître les peines, et on y va car on est attaché à la question de la réinsertion. Comment puis-je mener ces projets en prison et interdire d’une même main à un présumé innocent de travailler ?» Une ligne de défense se dessine également autour des œuvres de Jan Fabre qui, lui, est en procès. Même si beaucoup des anciens partenaires de diffusion ont choisi de mettre la collaboration en veilleuse, sa compagnie Troubleyn peut toujours compter sur des soutiens. Entre autres, la biennale Charleroi danse en Belgique, ou Bonlieu, scène nationale d’Annecy en France, qui programmaient toutes deux cette année la nouvelle création de l’artiste (qu’il n’accompagne pas en tournée). Sous la pression des militants, les représentations furent annulées en Belgique. Elles se sont tenues sans heurts à Annecy. Salvador Garcia, directeur de Bonlieu, par mail : «Je ne crois pas que le fait de programmer ou de produire un artiste nous rende complice de ses éventuelles exactions, pas plus que je ne crois que les interprètes participant à son œuvre ne le soient.» En l’absence d’enquête en cours, le dilemme des programmateurs semble moins cornélien concernant la circulation des œuvres de Jean-Pierre Baro. Pourtant, en sourdine, certains professionnels jugent la «mort professionnelle» de cet artiste de 41 ans inéluctable. Après que des militants ont exigé du théâtre national de la Colline qu’il déprogramme Un qui veut traverser – prochaine création de Baro prévue pour le printemps 2022 –, le metteur en scène accusé écrivait dans un communiqué. «Je suis innocent. […] A combien d’années d’exil loin des plateaux estimez-vous ma peine ? Sur combien de partenaires souhaitez-vous encore exercer votre chantage pour me faire disparaître ?» L’ avocate de la plaignante, Me Anne Lassalle, nous envoyait ces précisions : «Il importe de rappeler qu’un classement sans suite ne signifie pas une relaxe ou un acquittement et que l’enquête peut tout à fait être réouverte à l’aune de nouveaux éléments.» Pour l’heure, l’enquête ne l’est pas. Au théâtre de la Colline, Wajdi Mouawad n’a pas cillé. Et les autres ? «Que faire ? Censurer quelqu’un qui n’a pas été condamné ?» A la MC93 de Bobigny, la directrice Hortense Archambault confirme, de son côté, être toujours «en discussion» avec Jean-Pierre Baro pour un prochain projet. Stanislas Nordey, directeur du théâtre national de Strasbourg est, lui, coproducteur de la pièce Un qui veut traverser avec le théatre national de la Colline, donc, mais aussi le théâtre national de Bretagne (Baro est là-bas artiste associé). Il entend clarifier : «Le projet de Un qui veut traverser remonte à cinq ans environ [soit avant que n’éclatent publiquement les accusations, ndlr]. Maintenant, que faire ? Censurer quelqu’un qui n’a pas été condamné ? C’est une ligne rouge que nous ne franchirons pas. Ça créerait un précédent désastreux. Après, nous savons que le spectacle ne sera jamais regardé comme les autres et qu’il sera peut-être perturbé.» Ainsi, les trois coproducteurs «discutent» avec Jean-Pierre Baro, poursuit Nordey : de l’éventualité de présenter la pièce entourée de débats, du climat parfois houleux à gérer au sein de leurs maisons… Jean-Pierre Baro finira-t-il par se retirer sous la pression ? Et que dit sa tutelle, en l’occurrence le ministère de la Culture ? Roselyne Bachelot a récemment condamné les tentatives de censure de la musicienne Anna von Hausswolff par des catholiques ultras. Mais concernant la vague de pressions émanant des militants de gauche, le ministère (qui n’a pas répondu à nos sollicitations) a pudiquement plongé la tête sous l’eau. Eve Beauvallet
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Le spectateur de Belleville
December 10, 2021 6:59 AM
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Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 10/12/2021 Le théâtre français est loin de la parité. Mais une nouvelle génération d'autrices et de metteuses en scène surdouées s'impose sur les planches. Avec le soutien du public. De Pauline Bureau à Nathalie Béasse, revue de troupes. Les femmes ont encore du pain sur la planche pour imposer leur voix dans le théâtre. Une double actualité le rappelle de manière cinglante. La première dissipe l'illusion d'un milieu artistique exemplaire protégé des violences masculines : quatre ans après le mouvement de révolte dans le cinéma, s'est créé fin octobre un « MeToo théâtre » visant à dénoncer les agressions sexuelles et harcèlement dont sont victimes des comédiennes. La seconde montre que le secteur est encore loin d'atteindre la parité : selon une enquête publiée tout récemment par le Syndeac (syndicat des entreprises artistiques et culturelles qui regroupe les théâtres publics) auprès de plus de 300 établissements, les spectacles mis en scène par des femmes représentent seulement 35% de la programmation. Toutes et tous rêvent d'un rééquilibrage sur les planches et dans les coulisses qui permettrait d'assurer une expression artistique équilibrée, tout en prévenant les dérives d'abus de pouvoir et de domination machiste. Programmation paritaire à Avignon Ce rêve n'est peut-être pas une utopie. Car malgré les pesanteurs de la tradition, les choses bougent… Depuis quelques années, les révélations théâtrales sont le plus souvent féminines. Alors que pendant longtemps, Ariane Mnouchkine faisait figure d'exception dans le panthéon du théâtre français, la liste des metteuses en scène renommées n'en finit plus de s'allonger. Preuve récente, Olivier Py et son équipe artistique n'ont pas eu à se forcer pour proposer une programmation paritaire lors de la dernière édition du Festival d'Avignon. Plus personne n'invoque une politique du quota quand est annoncée la nomination de telle ou telle à la tête d'une institution publique. Signe que les temps changent vraiment : dans les écoles de théâtre, les classes de mises en scène sont souvent majoritairement féminines. Ce basculement nous a inspiré un inventaire du théâtre au féminin aujourd'hui. Une sélection non exhaustive de dix artistes à suivre. Par leurs styles, très différents, elles ont bouleversé, bousculé ou enchanté le public. Elles sont à l'affiche dans les semaines et mois à venir. L'amorce d'une salutaire prise de pouvoir. Pauline Bureau, la vie en pièces Elle nous avait charmés en 2014 avec le chant de ses « Sirènes » , un envoûtant conte marin, mélange d'onirisme et de réalisme social. Elle ne nous a pas déçus depuis. La jeune autrice et metteuse en scène n'a pas peur de se colleter aux phénomènes de société : le scandale du Médiator avec « Mon Coeur » (2017) , la longue marche pour le droit à l'avortement - « Hors-la-loi » (en 2019, à la Comédie-Française)- , l'avènement du foot féminin - « Féminines » (2019) -, la GPA - Pour autrui » (2021) . En cultivant un mélange d'aplomb et d'innocence, Pauline Bureau réinvente un théâtre populaire, spectaculaire et militant qui émeut, faire rire ou frémir. « Pour autrui », tournée en France jusqu'en mars 2022. Julie Deliquet, en écran large Sa passion du cinéma a mené cette artiste de 41 ans au théâtre. Et elle parvient magnifiquement à transformer des films cultes en « bêtes de scènes » : ses adaptations limpides et fluides de « Fanny et Alexandre », de Bergman (en 2019 au Français), d' « Un conte de Noël », de Desplechin (en 2020 à l'Odéon) et de « Huit heures ne font pas un jour », de Fassbinder (en 2021 au TGP de Saint-Denis) ont marqué les esprits. Mais Julie Deliquet connaît aussi ses classiques : sa version resserrée d' « Oncle Vania », de Tchekhov a bouleversé le public de la Comédie-Française en 2016. Avec sa compagnie « In Vitro », elle a développé un style de jeu naturel qui fait mouche. Depuis mars 2020, elle a pris les rênes du Théâtre Gérard-Philipe de Saint Denis. « Huit heures ne font pas un jour », tournée en France de janvier à mars. Maëlle Poésy, justesse et précision Elle a conquis le Vieux-Colombier en septembre avec « 7 minutes », drame social à suspense de Stefano Massini situé dans une usine textile. Mise en scène précise, sens du tempo, direction d'actrices au cordeau (il n'y avait que des femmes dans la distribution)… Tentée d'abord par la danse, Maëlle Poésy a rejoint l'école du TNS en 2007. Après trois mises en scènes prometteuses, elle fait coup double en 2016 avec deux Tchekhov, « Le Chant du cygne » et « L'Ours » finement enchaînés au Studio de la Comédie-Française, et un drame politique apocalyptique « Ceux qui errent ne se trompent pas », de Kevin Keiss à Avignon. En juillet 2021, elle est nommée à 36 ans directrice du Théâtre Dijon-Bourgogne. Célie Pauthe, à fleur de peau Depuis 2013, elle dirige le CDN Besançon Franche-Comté. Célie Pauthe, 46 ans, est une metteuse en scène subtile qui brasse un vaste répertoire, souvent hors des sentiers battus. Elle impressionne en 2011 au Théâtre national de La Colline avec un « Long Voyage du jour à la nuit » d'Eugene O'Neill, spectacle ultrasensible. Elle maîtrise aussi bien les textes contemporains ( « Yukonstyle », de Sarah Berthiaume en 2013, « Un amour impossible », d'après Christine Angot en 2016) et les classiques (« Bérénice », de Racine en 2018). Sur scène, elle déploie un univers en clair-obscur, intense, à fleur de peau. Créée à huis clos début 2021, sa mise en scène d'« Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare apparaît des plus prometteuses. « Antoine et Cléopâtre », tournée à partir de janvier. Du 7 mai au 5 juin 2022 à l'Odéon. Julie Duclos, la passion en clair-obscur Elle a été formée par Alain Françon et Dominique Valadié au Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris. On ne pouvait rêver mieux pour entamer une vie de théâtre. Julie Duclos nous avait emballés avec « Nos serments » , adaptation libre du film « La Maman et la Putain », de Jean Eustache, à La Colline en 2015. Essai transformé dans le même théâtre en 2016 avec « MayDay », de Dorothée Zumstein, cérémonie sauvage autour d'une sombre affaire d'infanticide. À Avignon en 2019, elle donnait une version onirique de « Pelléas et Mélisande », de Maeterlinck . On attend beaucoup de sa dernière création, « Kliniken », de Lars Noren, créée début novembre au TNB de Rennes. « Kliniken », tournée de février à mai. Du 10 au 26 mai 2022 à l'Odéon. Pauline Bayle, l'alchimiste L'«Iliade » et l'«Odyssée » d'Homère emballées en trois heures chrono, « Illusions perdues » de Balzac en deux heures trente…, le tout avec une poignée de comédien(e)s aux rôles interchangeables et pratiquement pas de décor. Pauline Bayle n'a pas son pareil pour s'emparer des textes classiques, les élaguer et produire avec sa jeune troupe surdouée un théâtre à cru. Qui dit scénographie minimale ne dit pas absence de mise en scène. La jeune artiste crée des effets de théâtre avec un rien. Plébiscitée pour son travail de passeuse de texte accessible à tous et à toutes, elle a été nommée directrice du Nouveau Théâtre de Montreuil à la mi-octobre. « Illusions perdues », tournée en France jusqu'en juin 2022. Séverine Chavrier, l'audace en bandoulière Musicienne formée hors du sérail des écoles dramatiques, Séverine Chavrier a fait une entrée fracassante dans le théâtre en s'emparant avec audace de chefs-d'œuvre de la littérature mondiale. Hachant menu les grands textes pour en extraire l'essence, elle déploie un théâtre de plateau « total », où se bousculent les acteurs et objets, où explosent la musique et les vidéos. Son adaptation fulgurante des « Palmiers sauvages », de William Faulkner (2014), puis celle du « Déjeuner chez Wittgenstein », de Thomas Bernhard, devenu « Nous sommes repus, mais pas repentis » (2016), ont fait sensation. Son dernier spectacle, daté de 2019, est « Aria Da Capo » une chronique musicale intimiste. En 2022, elle présentera une nouvelle création, « Ils nous ont oubliés » d'après « La Plâtrière » de Thomas Bernhard. Depuis 2017, elle est directrice du Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre. « Ils nous ont oubliés », les 24 et 25 mars au Tandem Arras-Douai, puis du 12 au 27 avril, à l'Odéon, Paris. Jeanne Candel, l'invention permanente Avec ou sans Samuel Achache, Jeanne Candel - directrice du théâtre de l'Aquarium depuis 2020 - est la créatrice d'Otni (Objets théâtraux non identifiés) réjouissants. Image drolatique d'un homme skiant sur une montagne de gravats dans une adaptation délirante de « Didon et Enée », de Purcell , gags en série dans un « Orfeo », de Monteverdi tout aussi débridé : l'actrice et metteuse en scène convoque dans chacun des spectacles coécrits avec son complice l'étrange et inédit. Dans ses créations en solo, l'extravagance est encore plus poussée. En témoignent ce « Goût du faux », puzzle surréaliste et musical de deux heures écrit en 2014 et ce « Tarquin » (2019), où le dernier roi de Rome est transformé en général tortionnaire reclus dans la jungle amazonienne. Caroline Guiela NGuyen, créatrice d'émotions À 40 ans à peine, Caroline Guiela N'Guyen est un phénomène. Son théâtre à la fois social, intime et spectaculaire bouleverse le public qui suit ses spectacles les larmes aux yeux et l'acclame debout aux saluts. Minutieuse (elle prépare ses spectacles pendant des mois), adepte d'un théâtre de plateau où tout s'invente en « live », elle excelle dans la création d'atmosphères surréelles et signe des scénographies d'une rare élégance. Tant pis si son écriture reste brouillonne et le jeu des comédiens un brin approximatif : « Saïgon », spectacle sentimental dédié aux exilés franco-vietnamiens (2017) et « Fraternité. Conte fantastique » , sa fresque d'anticipation compassionnelle (2021) ont triomphé à Avignon et ailleurs. Fraternité. Conte fantastique, en tournée jusqu'en mai. Nathalie Béasse, l'ensorceleuse L'art de Nathalie Béasse touche à l'indicible. Certains spectateurs n'y verront qu'un feu doux. Et pourtant le théâtre-danse de la jeune créatrice brûle d'une flamme intérieure ardente. Ses spectacles phares, « Le bruit des arbres qui tombent » (Théâtre de la Bastille, 2017) et « Ceux-qui-vont-contre-le-vent » (Avignon, 2021) mixent bribes de grands puissants (Duras, Dostoïevski, Stein), beaux gestes et musique en un troublant patchwork poétique. Les objets s'animent au contact d'énigmatiques acteurs danseurs, comme possédés par les fantômes de Pina Bausch et de Tadeusz Kantor. Nathalie Béasse nous ensorcelle avec une infinie douceur. « Ceux-qui-vont-contre-le-vent », tournée jusqu'à fin mars. Paris, Théâtre de la Bastille, du 3 au 18 février. Par Philippe Chevilley / Les Echos Légende photo : Mathilde Mery dans une adaptation de l'«Iliade» mise en scène Pauline Bayle d'après Homère. (©Blandine Soulage)
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Le spectateur de Belleville
February 26, 2023 4:51 PM
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" Par Laurent Carpentier dans Le Monde 25/11/22 La comédienne de 43 ans prête sa voix aux mots de Vanessa Springora au théâtre. Dans les locaux de l’école de cinéma Kourtrajmé, à Montfermeil, où elle dirige la section acteurs, elle trinque à la bière et à la diversité.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/11/25/un-apero-avec-ludivine-sagnier-weinstein-m-a-invitee-au-ritz-mais-je-n-avais-d-yeux-que-pour-le-buffet_6151654_4497916.html
Montfermeil, entre chien et loup. Une pluie d’hiver enveloppe ce plateau de l’Est parisien et ses immeubles battus par les vents. Après les émeutes de 2005, l’Etat a massivement investi ici, dans ce territoire de Seine-Saint-Denis. Ludivine Sagnier ouvre la porte du petit hangar moderne où elle a donné rendez-vous. Une table, quelques chaises pliantes, noix de cajou, tomates cerises, un pack de bières ; sur le frigo, des stickers (« Essonne Antifas ») ; et, dans le four de la cuisinière, quelques brochettes au fromage qu’elle a mises à chauffer. Bienvenue à l’école de cinéma Kourtrajmé. Lorsque, il y a quatre ans, Ladj Ly (Les Misérables, 2019), pilier de ce collectif (avec Romain Gavras, Kim Chapiron – qu’elle a épousé –, Toumani Sangaré ou Oxmo Puccino…), crée ici, aux Ateliers Médicis, une école pour former, chaque année, une dizaine de scénaristes et de réalisateurs, l’actrice lui lance : « A l’heure où on dit manquer de représentation des minorités sur scène, ce n’est pas cohérent. Il faut aussi une formation pour les acteurs… » Réponse : « Tu sais quoi ? Tu vas t’en occuper. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Ludivine Sagnier, personnelle qualifiée C’est ainsi que Ludivine Sagnier se retrouve, bénévole et ravie, à la tête d’une page blanche : de 500 à 800 candidatures chaque année, douze étudiants à l’arrivée pour une formation – gratuite – de six mois. « Une forme d’engagement politique », souligne-t-elle en décapsulant les bouteilles qu’on biberonne au goulot. Sur le bâtiment, côté rue, traînent les traces de l’ancien occupant des lieux. « Un fabricant de croquettes. C’était dégueulasse. Des crottes de rats partout. On a tout nettoyé nous-mêmes », raconte-t-elle. A l’étage, une demi-douzaine de lits peuvent héberger les plus démunis. En bas, dans le coin cuisine, on trinque à la beauté du système D, de la précarité et de l’esprit collectif, qui sont la matière première de la tribu Kourtrajmé. Pas une victime Depuis, Ludivine Sagnier fait le grand écart entre, d’un côté, Montfermeil et, de l’autre, les châteaux de Maintenon et de Chantilly, où elle donne la réplique à Michael Douglas, dans une série sur Benjamin Franklin dont elle interprète la bonne amie. Et puis, aujourd’hui, le Théâtre de la Ville, à Paris, où sur la scène de l’Espace Cardin, jusqu’au 30 novembre, elle donne à entendre ces mots de Vanessa Springora : « Un père aux abonnés absents. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies… » En 2020, dans Le Consentement, l’écrivaine racontait sa liaison sous emprise, dans les années 1980, avec l’écrivain Gabriel Matzneff, qui avait fait de son amour pour les très jeunes filles sa fierté et sa gloire : « A 14 ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, souffle, seule sur scène, Vanessa-Ludivine, pour se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter… » C’est ici, à Montfermeil, qu’elle a répété. « Ce que Vanessa Springora a vécu adolescente, elle le raconte à 45 ans. Il m’a fallu refréner mon empathie pour me rapprocher non pas de la victime mais de la résiliente », explique-t-elle. Ludivine Sagnier choisit ses mots. Elle se sent si peu légitime pour parler, préfère porter la parole des autres. Celle de la chanteuse Mai Lan, la sœur de Kim, par exemple. « Ce spectacle, dit-elle, est une façon d’apporter ma pierre à l’édifice de guérison qu’elle a commencé à dresser. » Il y a deux ans, sa belle-sœur a publié un livre pour enfants dans lequel elle raconte son combat avec le loup. En l’occurrence, un grand-père incestueux, aimé, au fantôme d’autant plus redoutable. On peut militer pour #metoo et ne pas figurer parmi les victimes. C’est le cas de Ludivine Sagnier. Bien avant de rencontrer, à 19 ans, François Ozon, dont les films (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, Huit femmes, Swimming Pool) la propulseront en haut de l’affiche, elle travaille, toute jeune, pendant trois semaines, sur le doublage de Natalie Portman dans Léon, de Luc Besson (accusé de violences sexuelles par une actrice, il a bénéficié d’un non-lieu sur lequel la Cour de cassation doit encore se prononcer) : pas un geste déplacé ou un mot de travers. Harvey Weinstein l’invite à petit-déjeuner au Ritz : « Mais je n’avais d’yeux que pour le buffet, je n’étais intéressée que par la bouffe. En tout cas, il ne s’est rien passé. » Elle fronce les sourcils. « Au cinéma, l’ambiguïté, on vit avec… Entre le désir qu’éprouve un réalisateur de filmer quelqu’un et celui, pour les acteurs, de s’ouvrir au maximum, il y a prise de risque. Et la nécessité d’une distanciation… Après, les hommes grossiers et les gros cons, je ne les compte plus. Ni, quand j’étais petite, les exhibitionnistes. La première fois, j’ai eu peur : il m’avait coincée dans une rue, j’ai crié [elle met ses mains en porte-voix] : “Dégaaage ! Tu n’as pas hooonte ?” Il est parti. Ensuite, ça m’a aidée. L’exhibitionniste est peut-être un vaccin contre le prédateur… » Elle rit. La babtou de la bande L’actrice a grandi à Sèvres, au bord du parc de Saint-Cloud. La face bourgeoise de la banlieue parisienne. Le grand-père flûtiste à l’ORTF – « Même à la retraite, il avait un rapport rigoureux à la musique qui me terrorisait. » Elle dit avoir choisi le théâtre pour fuir le piano. Le père travaille au service de l’immigration à la préfecture de Nanterre et la mère se dépense dans les actions sociales. « Je me considère très privilégiée, mais j’ai toujours senti que, pour mon équilibre mental, il me fallait une diversité sociale. Les Quilapayun [groupe chilien réfugié en France après l’assassinat par la junte de leur leader] venaient jouer à la maison, mais l’image des gens faisant la queue à la préfecture est restée inscrite chez moi. Ladj, Kim, Oxmo, Romain, ils portent tous les stigmates de l’immigration. » C’est Vincent Cassel, rencontré en 2008 sur le biopic de Mesrine, qui lui présente Kim Chapiron et la bande de Kourtrajmé : « Ici, je suis la babtou. » La Blanche. « J’ai une grande confiance dans la génération qui arrive » Elle allume une cigarette. On frappe à la porte. C’est Sébastien Davis, l’ami d’enfance, qui dirige la section acteurs avec elle. Frigo. Nouvelle tournée de Heineken. Dans la cosmogonie de « Lud » – comme il l’appelle –, Sébastien Davis, c’est le grand frère. A l’époque où Bernard Pivot invitait Gabriel Matzneff sur le plateau d’« Apostrophes » (elle imite l’animateur, levant le menton d’un air goguenard : « Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans les lycéennes et les minettes ? »), « Lud » et « Seb » sont déjà sur les planches d’un cours privé, dans un garage de Sèvres. Elle a 9 ans, il en a trois de plus. Sur la photo de 1988, on peine à reconnaître l’actrice sous les joues rondes. Les deux enfants jouent Le Satyre de la Villette, une histoire de pédophilie sur le ton de la farce dénonciatrice, écrite en 1963 par René de Obaldia. Grimace amusée : « C’est incroyable qu’on soit là, trente-cinq ans plus tard, à jouer Le Consentement. » Car c’est lui, Sébastien Davis, qui met en scène la pièce. Et c’est un autre copain des fêtes adolescentes, Dan Levy, le guitariste de The Dø, qui signe la musique. A Montfermeil, l’an passé, une des élèves a rejoué un viol qu’elle a vécu dans son enfance. « Les jeunes qui suivent la formation ont souvent des histoires personnelles douloureuses. Face à ça, on ne tient aucun discours. Il y a juste entre eux un mélange de respect de la souffrance, de dignité et de joie de vivre, comme un antidote au malheur », témoigne-t-elle en entassant les bouteilles dans la poubelle. Dehors, la pluie a redoublé. Elle sourit. « J’ai une grande confiance dans la génération qui arrive. Je les vois avec de meilleurs acquis que nous, avec une vraie conscience », dit celle dont les trois filles – 17, 14 et 8 ans – assistaient à la générale du Consentement, dimanche 20 novembre. « Une société ne peut pas changer du tout au tout du jour au lendemain. C’est comme un jardin, il faut replanter, mettre éventuellement en jachère, et attendre. » Laurent Carpentier Ludivine Sagnier, dans les locaux de répétition de l’école Kourtrajmé, à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), le 18 novembre 2022. EMMA BURLET POUR « LE MONDE » Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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Le spectateur de Belleville
December 8, 2022 8:52 AM
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Rébecca Chaillon garde de ses années de collège un souvenir amer, lié à la stigmatisation de son corps, de sa sexualité et de ses origines. De cette rage, elle fait un poème performatif collectif, destiné à réparer les émotions violentes que les adolescentes et adolescents traversent souvent à l’aveugle. Dans la lignée de ses performances autour du corps, du désir et des discriminations, l’artiste s’adresse pour la première fois aux jeunes pour décrire l’intime en construction et en tempête. Premières fois, hormones en ébullition, tabous familiaux, conduites à risque, rejet de tout… Elle transmet à de jeunes performeuses et performeurs ses outils scéniques, du body painting à la nourriture, pour inventer des métamorphoses susceptibles d’ouvrir un chemin vers la réconciliation avec soi-même et la fabrication d’une famille choisie. Entretien avec Rébecca Chaillon autour de Plutôt vomir que faillir Comment ce projet s’inscrit-il dans votre parcours ?
Il est né de l’envie de réunir mon expérience de performeuse, travaillant sur des questionnements autour du désir, du corps, des discriminations de genre, de sexualité, de race et celle acquise pendant des années dans la compagnie de théâtre-forum Entrées de jeu, avec un projet pédagogique très cadré, dans des classes de collège. Le collège est dans mon souvenir une période atroce. Le fait de pouvoir nommer les émotions, la découverte du corps et de la sexualité, la compréhension même du fait d’être noire, de l’origine et de l’histoire de ma famille, du rapport de la Martinique avec la France… Tout ça est arrivé très tard. Je me dis qu’il n’est pas possible aujourd’hui de laisser les jeunes gens dans le doute, dans l’absence de dialogue. Il y a dans mes spectacles un rapport à la consolation, à la réparation de l’adolescente que j’ai été et qu’il s’agit cette fois d’adresser aux plus jeunes. On va donc disséquer et mettre en performance tous ces événements hyper violents traversés par les ados, sans regarder ailleurs, sans faire semblant.
Comment qualifier votre adolescence ?
J’ai grandi à Beauvais en Picardie dans une famille à la fois nombreuse et assez explosée. Je baignais dans la culture martiniquaise. La question de l'intégration se posait selon une dynamique un peu différente de celle de parents d’origine africaine : avec une potentielle légitimité parce que la Martinique, c’est la France. Néanmoins la culture présente à la maison n’était pas forcément la culture dominante. Je ne me retrouvais pas non plus dans les livres éducatifs que je lisais sur la crise d’adolescence, qui était un luxe à mes yeux : j’avais la sensation qu’il fallait tenir un cadre et obéir. J’ai donc eu l’impression de vivre une adolescence sinon calme, du moins en retenue, malgré du harcèlement, que je ne pouvais pas identifier à l’époque. Et puis je voyais tout le monde avoir des relations amoureuses alors que je ne me sentais pas attirante. C’est le théâtre qui m’a ouvert une voie de libération. Cela me semble juste aujourd’hui de lui rendre la monnaie de la pièce.
Dans cette adolescence difficile, qu’est-ce qui a construit l’artiste que vous êtes devenue ?
Au collège à Beauvais, il y avait peu de personnes noires ou arabes. On était stigmatisées et cette sensation de marginalité et d’étrangeté, avec son lot d’insultes mais aussi de fétichisme, a beaucoup nourri mon écriture. D’ailleurs c’est drôle, je n’avais pas de bonnes notes à mes dissertations, qui étaient jugées peu claires. Vingt ans plus tard, je me rends compte que j’avais déjà une manière d’écrire un peu poétique, qui est valorisée aujourd’hui. C’est tellement dommage que l’Éducation nationale n’encourage pas la différence. Il m’a fallu vingt ans pour me consoler. Le collège, ce fut aussi la découverte du théâtre en 5e. La vie quotidienne n’était pas forcément facile mais dans cette troupe très exigeante qui demandait beaucoup d’heures de présence, je me sentais bien : j’étais acceptée et j’avais des beaux rôles. Enfin, bizarrement, tout en me sentant décalée, j’ai toujours été déléguée de classe ! C’était sans doute une façon de me faire accepter. Finalement, j’ai été leader de cette manière.
« Il s’agit de trouver un pont entre nos générations car les traumas sont communs, même si le contexte diffère. »
Comment avez-vous découvert la performance ?
J’ai fait partie dès mes 18-19 ans des CEMEA (Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active), un mouvement d’éducation populaire partenaire depuis très longtemps du Festival d’Avignon. Je découvre au festival en 2004 des formes qui m’ont retournée : Thomas Ostermeier, Jan Fabre, Romeo Castellucci ou Rodrigo Garcia. J’accède à ces spectacles qui mélangent danse et théâtre, écriture poétique et corps en action, où la lumière et le son deviennent des personnages. Par ailleurs, à la fac, en arts du spectacle, j’ai des cours sur le body art et la body performance : Orlan, Chris Burden, Michel Journiac qui fait du boudin avec son sang, Marina Abramovic… Je n’y comprends rien mais cela me secoue profondément et cela m’intéresse. Vient ensuite un stage en 2010 avec Rodrigo Garcia, dont les spectacles me font rire et comprendre des enjeux politiques. Je me retrouve avec des gens qui travaillent sur l’inceste, les prostituées, les règles, etc. Rodrigo Garcia accompagne et parraine nos essais. Ainsi après avoir été spectatrice, j’ai pu éprouver concrètement ce que j’avais à faire et à dire.
Quels sont les défis de ce spectacle qui s’adresse à des jeunes gens ?
La nudité ne pose pas de problème car le body painting, le maquillage, la transformation ou des effets spéciaux fascinants comme les prothèses sont des outils très plastiques qui permettent de contourner cette question. L’enjeu est plus de ne pas trop fantasmer les collégiens d’aujourd’hui, car j’ai quitté le collège il y a vingt ans et arrêté le théâtre forum depuis cinq ans. Heureusement je peux observer dans mon entourage proche des collégiens et je recrute des performeurs et performeuses entre 18 et 25 ans, qui sont moins éloignés que moi de l’adolescence et ont un rapport fort au numérique. Or c’est important aujourd’hui pour parler de harcèlement ou de sexualité. En définitive, il s’agit quand même de trouver un pont entre nos générations car les traumas sont communs, même si le contexte diffère.
Quel est votre processus de travail ?
Je vais transmettre quelques outils performatifs comme le maquillage et la nourriture mais il faut que je les aide à trouver leur propre esthétique. Je vais aussi écrire des textes en amont sur ces sensations obscures que l’on éprouve quand on est un ado en construction et que l’on n’est pas accompagné. À mon époque, on était gothique, hip hop, ou métal, et trois ans plus tard on avait changé de look. C’était quelque chose d’assez extérieur. Aujourd’hui on se définit par ce qu’on ingère (est-ce que tu es vegan, végé ?), par des questions de genre (est-ce que tu es cis, trans, non binaire, queer ?) et de race. Tout cela m’interroge. Cela m’intéresse de travailler sur ces nouvelles étiquettes et ces nouvelles communautés, sur les chemins empruntés pour se trouver des familles choisies.
« La « faille » est un mot qui me parle beaucoup. Il s’agit de laisser voir ses failles sur scène, de montrer sa vulnérabilité et d’en faire une force. »
De quels univers viennent les performeurs ?
Je n’ai pas forcément une discipline en tête, mais je priorise les personnes non blanches et queer qui ont moins de visibilité sur les plateaux et moins d’espaces pour raconter leurs récits. Enfin pour la rencontre avec les collégiens, j’ai besoin d’une équipe qui réfléchisse les choses politiquement et humainement avec moi et qui soit dans la transmission.
Un mot sur le titre ?
Il peut effrayer or je pense qu’il est important de ne pas éviter la violence de ce que les ados vivent. « Vomir » traduit un organisme qui se protège, de l’alcool, d’un trop-plein de nourriture ou d’une angoisse : la protection plutôt que la mort ou la chute. La « faille » est un mot qui me parle beaucoup. Il s’agit de laisser voir ses failles sur scène, de montrer sa vulnérabilité et d’en faire une force.
Propos recueillis par Olivia Burton en avril 2022. Présenté à la MC93 du 7 au 10 décembre 2022 https://www.mc93.com/saison/plutot-vomir-que-faillir
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Le spectateur de Belleville
December 3, 2022 5:16 PM
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TRIBUNE par Mona Chollet publiée dans Le Monde - 3/12/2022 La journaliste et essayiste revient sur la polémique résultant du choix de la réalisatrice du film de maintenir l’acteur Sofiane Bennacer, désormais son compagnon, dans le rôle principal, alors que des accusations de viol pesaient sur lui. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/03/mona-chollet-valeria-bruni-tedeschi-n-a-pas-analyse-les-rapports-de-pouvoir-qui-se-jouaient-aux-amandiers_6152780_3232.html
Les Amandiers, le film de Valeria Bruni-Tedeschi, et les polémiques qui l’entourent semblent être en train de cristalliser un conflit de générations au cinéma et au théâtre. La réalisatrice y reconstitue son expérience d’élève à l’école fondée, dans les années 1980, au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, par les metteurs en scène Patrice Chéreau et Pierre Romans. Nadia Tereszkiewicz y joue le rôle de Stella, le double de la cinéaste, tandis que Sofiane Bennacer interprète Etienne, inspiré de Thierry Ravel, l’ancien compagnon de Bruni-Tedeschi, également élève de l’école, mort d’une overdose, en 1991. Le 22 novembre, Le Parisien a révélé que Sofiane Bennacer avait été mis en examen en octobre pour « viols et violences sur conjoints » à la suite des plaintes de quatre femmes. Peu après le début du tournage, peut-on lire dans Libération du 25 novembre, la production des Amandiers avait déjà appris qu’une plainte pour viol avait été déposée contre son acteur principal, mais la réalisatrice avait insisté pour travailler avec lui malgré tout. Bruni-Tedeschi continue à défendre celui qui est entre-temps devenu son compagnon, invoquant la « présomption d’innocence » et parlant d’un « lynchage médiatique ». Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’affaire Sofiane Bennacer embarrasse le cinéma français Au-delà de l’affaire elle-même, les accusations portées contre le comédien et la façon dont Bruni-Tedeschi y réagit amplifient certaines questions soulevées par le film. Doté d’un charme et d’une vitalité indéniables, Les Amandiers montre l’utopie théâtrale que fut cette école, l’euphorie des élèves d’avoir été choisis, les amitiés et les amours qui naissaient entre eux, leur enthousiasme, leur fantaisie, leur exubérance, leur admiration pour leurs mentors, le côté touchant et parfois enfantin de ces derniers. On sourit, on rit beaucoup. Mais, de temps en temps, une scène fait sursauter. On voit Chéreau (Louis Garrel) forcer un élève à l’embrasser, un soir, alors qu’ils sont les derniers dans les locaux. On voit aussi sa brutalité envers Anaïs (Léna Garrel), qu’il humilie publiquement en lui assénant qu’il n’a jamais voulu d’elle dans l’école. Un baiser forcé Le personnage d’Anaïs est vraisemblablement inspiré d’Agnès Jaoui. En 2018, retraçant l’épopée des Amandiers, dans Le Monde du 3 août, Clément Ghys écrivait : « Le machisme règne et elles [les apprenties actrices] se prennent des savons monumentaux en cas de retard ou d’oubli de répliques. Quand il ne s’agit pas de réflexions sur le physique. Assez vite, Agnès Jaoui n’en peut plus, et, ulcérée par l’emprise de Chéreau sur tout le monde, songe à quitter l’école. » Beaucoup de critiques ont salué le fait que Valeria Bruni-Tedeschi ne dresse pas un portrait idéalisé de Chéreau, qu’elle a pourtant vénéré. Sauf que le statut de ces scènes démystifiantes n’est pas du tout clair. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Les Amandiers » et l’affaire Sofiane Bennacer, « une incroyable mise en abyme entre le film et la réalité » Interrogée par Télérama (daté du 22 mai) sur celle du baiser forcé, la réalisatrice commentait : « A l’époque, on trouvait ça normal, on rigolait de Chéreau qui essayait d’embrasser des jeunes gens dans un couloir – Chéreau avait des élans mais ne faisait pas de harcèlement, de chantage. Je ne raconte pas cette scène de façon scandaleuse, c’est un moment de gêne pour Baptiste et de solitude un peu ridicule pour Chéreau. » Sa désinvolture, et celle de ses camarades à l’époque, témoigne du fait qu’un baiser forcé n’est souvent pas perçu comme une agression sexuelle, alors qu’il répond juridiquement à cette définition. Quand c’est une femme qui le subit, on le minimise parce qu’on estime plus ou moins consciemment que le corps des femmes est une chose publique, appropriable par n’importe qui ; et quand c’est un homme, on le traite effectivement sur le mode de la plaisanterie, comme si un homme adulte n’était pas censé se formaliser pour si peu, ni avoir une intégrité physique et sexuelle qu’il prétendrait faire respecter. Modèle de séduction virile Une autre chose laisse perplexe : le traitement de l’histoire d’amour entre Stella et Etienne. Au-delà des accusations qui pèsent sur Sofiane Bennacer, son personnage apparaît comme extraordinairement malsain et toxique. Dans une scène, Adèle (Clara Bretheau) met d’ailleurs en garde Stella. Mais le film reste en quelque sorte au milieu du gué : il continue à traiter Etienne comme un jeune premier romantique et torturé avec qui l’héroïne vit une histoire d’amour certes un peu mouvementée et éprouvante, mais si intense. En plus de se montrer violent et jaloux, Etienne est lourdingue et antipathique ; on a vraiment du mal à voir ce qui séduit Stella chez lui. Le cliché est si énorme qu’il en naît presque un effet de comique involontaire. La référence à Marlon Brando, c’est-à-dire à un acteur notoirement maltraitant, tant dans ses rôles que dans sa vie, est éloquente sur les origines de ce modèle de séduction virile, que le film n’interroge pas. Le film documentaire « Des Amandiers aux Amandiers » montre une réalisatrice enfermée dans son rêve, dans sa nostalgie L’attirance de la jeune femme semble se résumer à un syndrome du saint-bernard : Etienne l’attendrit parce qu’il a eu une enfance difficile et parce qu’il « souffre » – souffrance qu’il étale à chaque réplique, ou presque. « Ce qui me touche dans un personnage violent, c’est sa douleur, c’est d’où vient la violence ; c’est cette tragédie enfantine, c’est son impuissance à s’exprimer autrement que par la violence, dit la réalisatrice dans le making of du film documentaire Des Amandiers aux Amandiers. Je vois l’enfant, en fait. Moi, par rapport à un personnage violent avec une femme, je voudrais ne pas être politiquement correcte. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La fréquentation des « Amandiers » freinée par l’affaire Sofiane Bennacer On ne peut s’empêcher de penser que Valeria Bruni-Tedeschi n’a pas analysé les rapports de pouvoir qui se jouaient aux Amandiers, que ce soit entre élèves ou entre élèves et professeurs. Dans une interview exhumée par le making of, quand on lui demande ce qu’elle attend d’un metteur en scène, la jeune Valeria répond : « Qu’il m’aime, avant tout – même si je trouve que je n’ai pas tellement de raisons d’être aimée. Et puis qu’il me casse, aussi. Qu’il me casse. Qu’il me casse bien. Qu’il me casse tout. Qu’il me casse ! Qu’il me casse en deux, qu’il me casse, mes défenses et tout ça. » Abus de pouvoir Ces lieux communs masochistes, elle ne les a pas inventés : ils sont omniprésents au théâtre et au cinéma, où ils justifient toutes sortes de maltraitances. On pourrait comprendre et même respecter cette difficulté de la cinéaste à remettre en question la formation qu’elle a reçue. On le pourrait d’autant plus que, dans le communiqué qu’elle a publié en réaction à l’enquête de Libération, elle dit avoir été « abusée dans [son] enfance » et connaître « la douleur de ne pas avoir été prise au sérieux ». Sauf qu’ici d’autres personnes sont impliquées. Lorsqu’elle décide de faire jouer sa jeunesse à ses acteurs, en se mettant elle-même dans le rôle que tenait Chéreau à l’époque, elle s’expose à reproduire les travers qui ont marqué sa formation. On retrouve ce raisonnement déconcertant selon lequel, si on refusait les abus de pouvoir, la vie deviendrait sinistre. Naïvement, on a envie de demander : pourquoi ? Des Amandiers aux Amandiers montre une réalisatrice enfermée dans son rêve, dans sa nostalgie. On n’y trouverait rien à redire – mettre les autres au service de son rêve, c’est la définition de la mise en scène – s’il n’y avait pas chez elle un tel aveuglement aux abus de pouvoir, les siens comme ceux des autres. Ces abus de pouvoir sont admis et même jugés admirables lorsqu’ils sont le fait de metteurs en scène masculins et blancs, et ne sont en général dénoncés que lorsqu’ils sont pratiqués par une femme ou par une personne non blanche (se souvenir de l’affaire Kechiche après La Vie d’Adèle), dont la tyrannie est considérée comme moins légitime. Mais cela ne les rend pas moins problématiques dans tous les cas. Sur le tournage, tel que le montre Des Amandiers aux Amandiers, Bruni-Tedeschi soumet ses acteurs à un bombardement de directives psychologisantes et intrusives, qui pourrait n’être qu’agaçant, mais qui dérape quand elle les pousse à révéler devant toute l’équipe leurs secrets les plus intimes. On a très mal pour Vassili Schneider, en particulier. « Le film a été un petit peu comme une thérapie parfois, et parfois comme une antithérapie : on essaie de creuser les choses qui nous détruisent le plus », commente le jeune homme (23 ans), sans qu’on voie en quoi ce jeu de massacre serait indispensable à la réussite d’un film. Un partage inégal du droit à la parole Des Amandiers aux Amandiers est, à l’évidence, conçu comme une hagiographie de la cinéaste – il est coréalisé par Karine Silla Perez, épouse de Vincent Perez, qui fut le camarade de Bruni-Tedeschi aux Amandiers et le compagnon de sa sœur, Carla Bruni. Souvent débutants, les jeunes acteurs qui y sont interrogés ne sont pas en position de formuler autre chose que des louanges au sujet d’une réalisatrice confirmée qui est aussi, rappelons-le, une femme immensément riche et la belle-sœur d’un ancien président de la République. L’une dit tout de même, en termes très diplomatiques, que le tournage a été difficile : « Mon caractère n’est pas vraiment compatible avec (…) cette manière de me bousculer. » Ainsi l’interdiction faite à l’équipe (selon Libération du 25 novembre) d’évoquer les accusations pesant sur Sofiane Bennacer – une omerta seulement brisée, une nuit, par l’intervention de colleuses féministes au courant de l’affaire – semble n’avoir fait que prolonger un partage inégal du droit à la parole sur le tournage, recoupant des hiérarchies professionnelles, sociales, générationnelles. Des Amandiers aux Amandiers montre une réalisatrice engagée dans un combat pour réhabiliter les valeurs de sa génération. Ce serait anodin si elle se contentait d’expliquer à ses jeunes acteurs ce que représentait Coluche dans les années 1980. Mais cela s’accompagne d’imprécations contre l’époque actuelle, qui serait trop morale. « Je trouve cette génération beaucoup plus précautionneuse que la nôtre, et vraiment ça m’a fait plaisir de les malmener », fanfaronne-t-elle. Avec le tollé que suscite aujourd’hui la façon dont elle protège son acteur, il se produit un retour de boomerang : cette génération à laquelle elle prétendait faire la leçon lui tient tête et affirme avec force son refus de tolérer les violences sexuelles. Au lieu de s’attendrir sur la « douleur » de l’homme violent, d’en faire une excuse, elle clame sa volonté de prendre plutôt en compte la douleur des femmes qui l’accusent. Faute d’examen critique, la bulle de rêve et de nostalgie a volé en éclats. « Aujourd’hui, une telle école ne pourrait plus exister. Tant mieux. Mais alors, cette liberté et cette folie-là ne peuvent plus exister non plus. Cette absence totale de limites nous emmenait dans des endroits… intéressants », disait encore Bruni-Tedeschi à Télérama en mai. Ici, on retrouve ce raisonnement déconcertant selon lequel, si on refusait les abus de pouvoir, la vie deviendrait sinistre. Naïvement, on a envie de demander : pourquoi ? Pourquoi ne pourrait-on pas garder la liberté, l’exubérance, la fantaisie, tout en s’assurant que cette liberté est bien la liberté de tout le monde, tout en refusant d’infliger ou de tolérer des violences sexuelles, physiques, psychologiques ? Le tri n’est pas si difficile à faire. Et, même s’il l’était, cela vaudrait la peine de s’y atteler. Sous peine de continuer à passer des bataillons de comédiennes et comédiens par pertes et profits. Mona Chollet est journaliste et essayiste, autrice du livre « D’images et d’eau fraîche » (Flammarion, 192 pages, 19,90 euros, 2022). Ce texte est la version raccourcie d’un billet paru sur son blog. Après la publication en ligne de ce texte, Vassili Schneider a répondu sur Instagram (30 novembre) : « En ce qui me concerne, il n’y a eu que du positif. Valeria nous a aidés à nous dépasser, à sortir de nos zones de confort, mais toujours avec énormément de bienveillance. Oui, j’ai dit qu’“on essaie de creuser les choses qui nous détruisent le plus”, mais ça fait partie du travail d’acteur. Tout acteur essaie de se mettre émotionnellement le plus à nu. C’est notre travail et je trouve injuste d’accuser Valeria sur sa manière de nous avoir guidés dans ce processus. Si j’ai eu envie de me livrer ce jour-là devant Valeria et la caméra de Karine Silla, c’était de manière lucide et consentante. » Mona Chollet Journaliste et essayiste En complément de ce texte, il est utile d'écouter l'émission "Signe des temps" diffusée le 4 décembre sur France Culture Lien pour l'écoute de l'émission -
Sa sortie en salle le 16 novembre dernier s’est vu parasitée une semaine plus tard par les révélations du Parisien selon lesquelles l’un de ses acteurs principaux, Sofiane Bennacer, 25 ans, originaire d’une famille ouvrière de Marseille, se trouve sous le coup de quatre procédures judiciaires pour viols et violences sur des ex-compagnes qui auraient été commis entre 2018 et 2019, alors qu’il étudiait le théâtre au Théâtre Nationale de Strasbourg. Libération a fait sa Une de l’affaire en publiant des témoignages de techniciens et alternants accusant la production et la réalisatrice d’avoir embauché Sofiane Bennacer en connaissance de cause, et organisé sur le tournage ce que Libération appelle une Omerta sur ces accusations. Sofiane Bennacer, aujourd’hui compagnon de Valeria Bruni-Tedeschi qui soutient son choix de l’avoir fait travailler a nié dans un communiqué la véracité de ces accusations. Le débat qui fait rage depuis rebondit ce week-end avec la publication dans Le Monde d’un texte de Mona Chollet d’abord publié sur son blog et dans lequel la journaliste fait le lien entre ces accusations de viol, qu’elle prend pour argent comptant, et la direction d’acteurs de Valeria Bruni-Tedeschi qui reposerait selon elle sur des méthodes devenues intolérables depuis MeToo. Les invités du jour Marc Weitzmann reçoit : - Marc Citti, comédien et auteur de Les enfants de Chéreau : une école de comédiens paru aux éditions Actes Sud en 2015
- Michel Guerrin, rédacteur en chef au journal Le Monde
- Coraly Zahonero, comédienne, et notamment dans Les Trois Sœurs, téléfilm de Valeria Bruni Tedeschi, d’après l’œuvre de Tchekhov
metteuse en scène, sociétaire de la Comédie française
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November 28, 2022 9:51 AM
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Par Mona Chollet dans son blog La Méridienne - 28/11/2022 Il y a quelque chose de fascinant dans la façon dont Les Amandiers, le film de Valeria Bruni-Tedeschi (sorti le 16 novembre), et les polémiques qui l’entourent semblent être en train de cristalliser un conflit de générations au cinéma et au théâtre. La réalisatrice a reconstitué dans ce long-métrage son expérience d’élève comédienne à l’école fondée dans les années 1980 au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, par les metteurs en scène Patrice Chéreau et Pierre Romans. Nadia Tereszkiewicz y joue le rôle de Stella, le double de la cinéaste, tandis que Sofiane Bennacer interprète Étienne, inspiré de Thierry Ravel, l’ancien compagnon de Bruni-Tedeschi, également élève de l’école, mort d’une overdose en 1991. Autour d’eux, une joyeuse bande de jeunes acteurs campent des personnages librement inspirés d’autres camarades de promotion de la réalisatrice, dont beaucoup sont devenus célèbres : Eva Ionesco, Marianne Denicourt, Agnès Jaoui, Thibault de Montalembert, Vincent Perez… Le 22 novembre, Le Parisien a révélé que Sofiane Bennacer avait été mis en examen en octobre pour « viols et violences sur conjoints » à la suite des plaintes de quatre femmes. L’Académie des Césars a alors annoncé le retrait du nom de l’acteur de la liste des révélations masculines 2023. En 2021, moins d’une semaine après le début du tournage, peut-on lire dans Libération (25 novembre), la production des Amandiers avait déjà appris qu’une plainte pour viol avait été déposée contre son acteur principal, mais la réalisatrice avait insisté pour travailler avec lui malgré tout. Bruni-Tedeschi continue aujourd’hui à défendre celui qui est entre-temps devenu son compagnon, invoquant la « présomption d’innocence » et parlant d’un « lynchage médiatique ». Libération a illustré son enquête d’une photo saisissante, prise lors de la présentation du film à Cannes, sur laquelle Bennacer se tient entre Valeria Bruni-Tedeschi et Nadia Tereszkiewicz ; il met sa main devant les yeux de la réalisatrice, comme pour l’aveugler. Au-delà de l’affaire elle-même, il est frappant de voir comment les accusations portées contre le comédien, et la façon dont Bruni-Tedeschi y réagit, amplifient certaines questions soulevées par le film. Doté d’un charme et d’une vitalité indéniables, Les Amandiers montre l’utopie théâtrale que fut cette école, l’euphorie des élèves d’avoir été choisis, les amitiés et les amours qui naissaient entre eux, leur enthousiasme, leur fantaisie, leur exubérance – leurs poses et leur narcissisme, aussi, parfois –, leur admiration pour leurs mentors, le côté touchant et parfois enfantin de ces derniers. On sourit, on rit beaucoup. Mais, de temps en temps, une scène fait sursauter. On voit Chéreau (interprété par Louis Garrel) forcer un élève à l’embrasser, un soir, alors qu’ils sont les derniers dans les locaux. On voit aussi sa brutalité envers Anaïs (Léna Garrel), qu’il humilie publiquement en lui assénant qu’il n’a jamais voulu d’elle dans l’école, que c’est Pierre Romans qui a insisté pour la prendre et que lui, il n’est « pas ému par elle ». « Le machisme règne et les apprenties actrices se prennent des savons monumentaux en cas de retard ou d’oubli de répliques » Le personnage d’Anaïs est vraisemblablement inspiré d’Agnès Jaoui. En 2018, retraçant l’épopée des Amandiers dans Le Monde, Clément Ghys écrivait : « Pour les apprenties actrices, la donne est différente. Le machisme règne et elles sont moins complices de Chéreau et Romans, se prennent des savons monumentaux en cas de retard ou d’oubli de répliques. Quand il ne s’agit pas de réflexions sur le physique. Assez vite, Agnès Jaoui n’en peut plus, et, ulcérée par l’emprise de Chéreau sur tout le monde, songe à quitter l’école. Marianne Denicourt résume : “Il fallait être un bon petit soldat quand on était une fille.” Et de tempérer : “Au moins, ça changeait du traitement que les hommes du métier réservent aux jeunes comédiennes” [1]. » (Traduction : au moins, Chéreau, étant homosexuel, n’agressait pas sexuellement les jeunes femmes.) Beaucoup de critiques ont salué le fait que Valeria Bruni-Tedeschi ne dresse pas un portrait idéalisé de Chéreau, qu’elle a pourtant vénéré. Sauf que le statut de ces scènes démystifiantes n’est pas du tout clair. Certaines choquent une partie du public, mais… pas la réalisatrice. Interrogée par Télérama sur celle du baiser forcé, elle commentait en mai dernier : « À l’époque, on trouvait ça normal, on rigolait de Chéreau qui essayait d’embrasser des jeunes gens dans un couloir – Chéreau avait des élans mais ne faisait pas de harcèlement, de chantage. Je ne raconte pas cette scène de façon scandaleuse, c’est un moment de gêne pour Baptiste et de solitude un peu ridicule pour Chéreau [2]. » La seule chose qu’elle trouve grave dans le comportement de Chéreau et de Romans, c’est qu’ils se droguaient (cocaïne, héroïne) et donnaient ainsi un mauvais exemple à des élèves qui les idolâtraient. On peut voir dans la désinvolture de la réalisatrice, et de ses camarades à l’époque, une illustration de plus du fait qu’un baiser forcé (« volé », selon un euphémisme révélateur) n’est souvent pas perçu comme une agression sexuelle, alors qu’il répond juridiquement à cette définition. Quand c’est une femme qui le subit, on le minimise parce qu’on estime plus ou moins consciemment que le corps des femmes est une chose publique, appropriable par n’importe qui ; et quand c’est un homme, on le traite effectivement sur le mode de la plaisanterie, comme si un homme adulte n’était pas censé se formaliser pour si peu, ni avoir une intégrité physique et sexuelle qu’il prétendrait faire respecter. Une autre chose laisse très perplexe : le traitement de l’histoire d’amour entre Stella et Étienne. Au-delà des accusations qui pèsent sur Sofiane Bennacer, son personnage dans Les Amandiers apparaît comme extraordinairement malsain et toxique. Dans une scène, Adèle (Clara Bretheau) met d’ailleurs en garde Stella contre la violence d’Étienne, ainsi que contre sa propre tendance sacrificielle à vouloir le « sauver » de sa toxicomanie. Mais le film reste en quelque sorte au milieu du gué : il continue à traiter Étienne comme un jeune premier romantique et torturé avec qui l’héroïne vit une histoire d’amour certes un peu mouvementée et éprouvante, mais si intense. En plus de se montrer violent et jaloux, Étienne est lourdingue et antipathique ; on a vraiment du mal à voir ce qui séduit Stella chez lui. Le cliché est si énorme qu’il en naît presque un effet de comique involontaire et pathétique. La « souffrance » de l’homme violent L’attirance de la jeune femme semble se résumer entièrement à un syndrome du Saint-Bernard : Étienne l’attendrit parce qu’il a eu une enfance difficile et parce qu’il « souffre » – souffrance qu’il étale complaisamment à chaque réplique, ou presque. La référence à Marlon Brando, c’est-à-dire à un acteur notoirement maltraitant, tant dans ses rôles que dans sa vie, est éloquente sur les origines de ce modèle de séduction virile, que le film n’interroge pas. « Ce qui me touche dans un personnage violent, c’est sa douleur, c’est d’où vient la violence ; c’est cette tragédie enfantine, c’est son impuissance à s’exprimer autrement que par la violence, dit la réalisatrice dans le making-of du film, Des Amandiers aux « Amandiers ». Je vois l’enfant, en fait. Moi, par rapport à un personnage violent avec une femme, je voudrais ne pas être politiquement correcte. » On ne peut s’empêcher de penser que Valeria Bruni-Tedeschi n’a pas tiré toutes les conclusions de l’expérience qu’elle a vécue aux Amandiers, ni analysé les rapports de pouvoir qui s’y jouaient, que ce soit entre élèves ou entre élèves et professeurs. Tout le monde ne peut pas avoir la lucidité précoce d’une Agnès Jaoui. Il y a de quoi être glacée par ces images d’archives (reprises dans le making-of) d’une interview dans laquelle, quand on lui demande ce qu’elle attend d’un metteur en scène, la jeune Valeria répond : « Qu’il m’aime, avant tout – même si je trouve que je n’ai pas tellement de raisons d’être aimée. Et puis qu’il me casse, aussi. Qu’il me casse. Qu’il me casse bien. Qu’il me casse tout. Qu’il me casse ! Qu’il me casse en deux, qu’il me casse, mes défenses et tout ça. » Ces lieux communs masochistes, elle ne les a pas inventés : ils sont omniprésents au théâtre et au cinéma, où ils justifient toutes sortes de maltraitances. On pourrait comprendre et même respecter cette difficulté de la cinéaste à remettre en question la formation qu’elle a reçue, difficulté dans laquelle il pourrait bien entrer un syndrome de Stockholm (son positionnement en rappelle un autre dans le cinéma français : celui de Maïwenn). On le pourrait d’autant plus que, dans le communiqué qu’elle a publié en réaction à l’enquête de Libération, elle dit avoir été « abusée dans [son] enfance » et connaître « la douleur de ne pas avoir été prise au sérieux ». Sauf qu’ici, d’autres personnes sont impliquées. Lorsqu’elle décide de faire jouer sa jeunesse à ses acteurs, en se mettant elle-même dans le rôle que tenait Chéreau à l’époque, elle s’expose à reproduire les travers qui ont marqué sa propre formation. « On essaie de creuser les choses qui nous détruisent le plus » Des Amandiers aux « Amandiers » montre une réalisatrice enfermée dans son rêve, dans sa nostalgie ; le fait qu’elle soit apparemment tombée amoureuse de l’acteur qui jouait son amour de jeunesse ne fait que le confirmer. Rien de cela ne serait problématique – mettre les autres au service de son rêve, c’est la définition même de la mise en scène – s’il n’y avait pas chez elle un tel aveuglement aux abus de pouvoir, les siens comme ceux des autres. Ces abus de pouvoir sont bien sûr très courants ; ils sont admis et même considérés comme admirables lorsqu’ils sont le fait de metteurs en scène masculins et blancs, et ne sont en général dénoncés que lorsqu’ils sont pratiqués par une femme ou par une personne non blanche (se souvenir de l’affaire Kechiche après La Vie d’Adèle), dont la tyrannie est considérée comme moins légitime. Mais cela ne les rend pas moins problématiques dans tous les cas. Sur le tournage, tel que le montre Des Amandiers aux « Amandiers », Bruni-Tedeschi soumet ses acteurs à un bombardement de directives psychologisantes et intrusives, qui pourrait n’être qu’agaçant, mais qui dérape franchement quand elle les pousse à révéler devant toute l’équipe – et, par la même occasion, devant la caméra des réalisateurs du making-of – certains de leurs secrets les plus intimes. On a très mal pour Vassili Schneider, en particulier. « Le film a été un petit peu comme une thérapie parfois, et parfois comme une anti-thérapie : on essaie de creuser les choses qui nous détruisent le plus », commente le jeune homme (23 ans) avec une placidité résignée, sans qu’on voie en quoi ce jeu de massacre consternant serait indispensable à la réussite d’un film. Des Amandiers aux « Amandiers » met d’autant plus mal à l’aise qu’il est à l’évidence conçu comme une hagiographie de la cinéaste – il est coréalisé par Karine Silla Perez, épouse de Vincent Perez, qui fut le camarade de Bruni-Tedeschi aux Amandiers et le compagnon de sa sœur Carla Bruni. Souvent débutants, les jeunes acteurs qui y sont interrogés ne sont pas en position de formuler autre chose que des louanges au sujet d’une réalisatrice confirmée qui est aussi, rappelons-le, une femme immensément riche (c’était le sujet de son premier film, Il est plus difficile pour un chameau…) et la belle-sœur d’un ancien président de la République. L’une dit tout de même à mots couverts, en termes très diplomatiques, que le tournage a été difficile : « Mon caractère n’est pas vraiment compatible avec (…) cette manière de me bousculer. » Ce n’est peut-être pas un hasard si le seul qu’on voit se rebeller ouvertement contre le flot de directives incessant de la réalisatrice est Louis Garrel, qui, en plus d’être son ancien compagnon, de faire partie des acteurs plus âgés et d’avoir déjà une prestigieuse carrière derrière lui, appartient à l’un des clans les plus puissants du cinéma français. Ni si la seule à qualifier frontalement la méthode de la réalisatrice de « violente » est une autre Garrel : Léna, demi-sœur de Louis. Ainsi, l’interdiction faite à l’équipe d’évoquer les accusations pesant sur Sofiane Bennacer – une omerta seulement brisée, une nuit, par l’intervention de colleuses féministes au courant de l’affaire – semble n’avoir fait que prolonger et amplifier un partage inéquitable du droit à la parole sur le tournage, recoupant des hiérarchies professionnelles, sociales, générationnelles. C’est seulement aujourd’hui que des actrices du film peuvent dire dans Libération, sous couvert d’anonymat, combien il leur a pesé de devoir travailler avec un homme accusé de viol [3], ou qu’une autre, Sandra Nkaké (Susan), peut clamer sa colère [4]. « Je trouve cette génération beaucoup plus précautionneuse que la nôtre » Des Amandiers aux « Amandiers » montre une réalisatrice qui semble engagée non seulement dans une reconstitution de sa jeunesse, mais aussi dans un combat pour réhabiliter les valeurs de sa génération. Ce serait anodin si elle se contentait d’expliquer à ses jeunes acteurs ce que représentait Coluche dans les années 1980 ou de leur enjoindre de visionner La Maman et la Putain. Mais cela s’accompagne de fréquentes imprécations contre l’époque actuelle, qui serait trop « morale ». À l’appui de ce reproche, elle cite les interrogations dont lui a fait part une collaboratrice quant au traitement de l’avortement de Stella dans une conversation entre Stella et Adèle – une scène à laquelle il n’y a effectivement rien à redire. Mais elle ne pouvait pas ne pas avoir en tête, à ce moment, une contestation beaucoup plus sérieuse à laquelle elle avait été confrontée : les accusations contre Sofiane Bennacer, qu’elle choisit de passer sous silence. « Je trouve cette génération beaucoup plus précautionneuse que la nôtre, et vraiment ça m’a fait plaisir de les malmener », fanfaronne-t-elle. Avec le tollé que suscite aujourd’hui la façon dont elle protège son acteur, il se produit un spectaculaire retour de boomerang : cette génération à laquelle elle prétendait faire la leçon lui tient tête, et affirme avec force son refus de tolérer les violences physiques et sexuelles. Au lieu de s’attendrir sur la « douleur » de l’homme violent, d’en faire une excuse, cette génération clame sa volonté de prendre plutôt en compte la douleur des femmes qui l’accusent. Faute d’examen critique, la bulle de rêve et de nostalgie a volé en éclats. « Aujourd’hui, une telle école ne pourrait plus exister. Tant mieux. Mais alors, cette liberté et cette folie-là ne peuvent plus exister non plus. Cette absence totale de limites nous emmenait dans des endroits… intéressants. Des endroits où les élèves du Conservatoire n’allaient pas », disait encore Bruni-Tedeschi à Télérama en mai [5]. Ici, on retrouve ce raisonnement pour le moins déconcertant selon lequel, si on refusait les abus de pouvoir, la vie deviendrait sinistre. (Cela rappelle un peu ces gens qui redoutent que le rire disparaisse de la surface de la Terre si on arrête de faire des blagues racistes ou sexistes.) C’est aussi le réflexe qu’ont parfois des femmes qui vivent une relation d’emprise : elles semblent persuadées que la violence est le prix à payer pour les qualités qu’elles trouvent par ailleurs à leur compagnon. Naïvement, on a envie de demander : pourquoi ? Pourquoi ne pourrait-on pas garder la liberté, l’exubérance, la fantaisie, tout en s’assurant que cette liberté est bien la liberté de tout le monde, tout en étant attentifs aux rapports de pouvoir et en refusant d’infliger ou de tolérer des violences sexuelles, physiques, psychologiques ? Le tri n’est pas si difficile à faire. Et, même s’il l’était, cela vaudrait la peine de s’y atteler. Sous peine de continuer à passer des bataillons de comédien-ne-s par pertes et profits. Il faut que je l’avoue : le travail d’inventaire auquel Valeria Bruni-Tedeschi se refuse avec tant de force, j’ai moi-même besoin d’y procéder. Patrice Chéreau a été une grande figure de mon adolescence, et même de mon enfance. Quand elle était comédienne, ma mère a joué dans plusieurs spectacles de son ami Claude Stratz, metteur en scène genevois devenu par la suite, de 1981 à 1988, l’assistant de Chéreau aux Amandiers. Elle-même avait pour Chéreau une immense admiration, qu’elle m’a transmise. Gamine, j’ai vu à la télévision une rediffusion du Ring, l’opéra de Wagner monté en 1976 au Festival de Bayreuth par Chéreau et Pierre Boulez, qui m’a énormément marquée [6]. J’ai vu son Hamlet, avec Gérard Desarthe, au Festival d’Avignon, en 1987. J’ai vu sa magistrale interprétation, en duo avec Pascal Greggory, de la pièce de Bernard-Marie Koltès Dans la solitude des champs de coton, en 1995. J’ai vu le fascinant documentaire qui le montrait répétant Shakespeare avec des élèves du Conservatoire national d’art dramatique de Paris, en 1999. Au cinéma, j’en ai pris plein les yeux avec La Reine Margot, Ceux qui m’aiment prendront le train, Intimité… Mais, par ce qu’il montre de lui, et par les exhumations dont il est l’occasion, le film de Valeria Bruni-Tedeschi me fait prendre conscience des limites et des travers du personnage. Il me sort de l’idéalisation – et tant mieux, puisque ce n’est jamais une bonne idée d’idéaliser un être humain ; c’est toujours un abandon de souveraineté. Voilà peut-être la tâche qui s’impose à ma génération et aux précédentes : revisiter – sans forcément les renier entièrement – les admirations qui nous ont construites, en ouvrant les yeux sur les abus de pouvoir que nos « grands hommes » pratiquaient au nom de l’Art. Et en s’efforçant de ne pas les perpétuer ni les cautionner.
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Le spectateur de Belleville
November 27, 2022 5:10 PM
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Enquête de Cassandre Leray publiée dans Libération le 24/11/22 «Libération» a recueilli les témoignages de jeunes femmes qui mettent en cause le comédien à l’affiche des «Amandiers» de Valeria Bruni-Tedeschi. Elles décrivent des violences sexuelles et physiques, et l’accusent d’avoir fait pression sur elles, les menaçant de nuire à leur carrière. Il a été mis en examen pour «viols et violences sur conjoint». Les Amandiers sont partout. Sur les panneaux d’affichage, dans les kiosques à journaux et sur les devantures des cinémas. Le film, qui figurait en compétition officielle au Festival de Cannes au printemps, est sorti en salles le 16 novembre sur près de 250 écrans, solidement soutenu par une importante campagne de promotion et un relais critique enthousiaste (y compris dans nos colonnes) sur cette peinture du climat délétère qui régnait dans la légendaire école de théâtre dirigée par Patrice Chéreau dans les années 80. A l’affiche du nouveau long métrage de Valeria Bruni-Tedeschi, le visage de Sofiane Bennacer. Malgré son rôle central, il est resté absent des plateaux radio et télé. Et pour cause. En octobre, l’acteur a été mis en examen pour «viols et violences sur conjoint» par un juge d’instruction de Mulhouse, comme l’a révélé le Parisien mardi 22 novembre, une information confirmée à Libération par la procureure Edwige Roux-Morizot. En réaction à ces informations, l’Académie des césars a décidé de retirer Sofiane Bennacer de la liste des 32 révélations pour la cérémonie de 2023. Plusieurs anciennes ex-compagnes entendues par les gendarmes Le parquet avait initialement requis un mandat de dépôt, pour «éviter toute pression au regard de témoins ou potentielles victimes non encore entendues». L’acteur a finalement été placé sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention. Il lui est ainsi interdit de se rendre dans les villes de Strasbourg, Mulhouse et Paris ainsi qu’en région parisienne, zones géographiques correspondant aux lieux de domiciliation de témoins et plaignantes. Sofiane Bennacer a également l’interdiction de rencontrer sa «compagne» − selon le terme de la procureure − Valeria Bruni-Tedeschi, entendue dans le cadre de l’enquête, ainsi que l’ensemble des plaignantes et témoins du dossier. Romane (1) a déposé plainte pour «viol» contre Sofiane Bennacer le 5 février 2021 au commissariat de Strasbourg. Dans sa plainte, que Libération a pu consulter, l’étudiante alors âgée de 23 ans raconte avoir été violée à plusieurs reprises par le comédien entre 2018 et 2019, pendant qu’elle était en couple avec lui. Trois autres anciennes compagnes de Sofiane Bennacer ont été entendues par les gendarmes de la section de recherche de Strasbourg chargée de l’enquête, et deux d’entre elles décrivent des faits de viol. Outre sa mise en examen pour «viols» et «violences», le comédien a été placé sous statut de témoin assisté pour des faits de «viol sur conjoint», précise Edwige Roux-Morizot. Elle ajoute que le comédien a été mis en examen à la suite d’une première plainte, puis que «d’autres ont été recueillies au cours de l’enquête préliminaire puis sur commission rogatoire». Pendant huit mois, Libération a enquêté, après de nombreuses alertes de plusieurs militantes féministes concernant Sofiane Bennacer. Nous avons pu rencontrer Romane et recueillir les témoignages de deux autres femmes. Elles l’accusent de violences sexuelles et physiques. Sofiane Bennacer dément fermement les accusations portées par Romane et affirme qu’elle aurait «quémandé des témoignages» auprès d’ex-compagnes. Libération a recueilli la parole de deux femmes qui mettent en cause le comédien, par ailleurs visé par d’autres plaintes. «Il la dévalorisait constamment» Lorsque l’on rencontre Romane dans un café strasbourgeois en février 2022, un peu plus d’une année s’est écoulée depuis le dépôt de sa plainte, mais l’instruction n’est pas encore ouverte. Une tasse de café dans les mains, la comédienne en formation à l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS) pèse chacun de ses mots. Elle l’affirme à plusieurs reprises : «Je n’ai pas du tout envie de le détruire.» La comédienne craint aussi des représailles du comédien, qui l’aurait déjà menacée au cours de leur relation : «Il connaît du monde dans le milieu, il disait toujours “si je veux détruire quelqu’un je le fais direct” ou ”quand je serai une star, je te le rendrai, mais si t’es pas avec moi t’es contre moi”.» Si elle ne souhaite pas s’exprimer médiatiquement à ce jour, nous avons pu consulter la plainte déposée par la comédienne. Celle-ci fait état de plusieurs viols au cours de sa relation avec Sofiane Bennacer, entre 2018 et 2019. Une relation d’emprise au cours de laquelle des violences psychologiques auraient eu lieu est également dépeinte. Romane rencontre Sofiane Bennacer à l’été 2018, alors que tous deux entament une formation au théâtre de la Filature, une classe préparatoire aux concours des écoles de d’art dramatique à Mulhouse. S’en est suivie une relation amoureuse. Leïla (1), comédienne de 25 ans et camarade de promotion à Mulhouse, se souvient de «crises de violence» dont elle a été témoin. Notamment une, en pleine répétition : «J’entendais hurler, j’ai vu [Sofiane] choper [Romane] par le bras pour la forcer à faire ci ou ça. Il lui donnait des ordres.» Avec du recul, elle estime que Romane était «très fortement sous l’emprise de Sofiane. Il la dévalorisait constamment, j’ai remarqué qu’elle avait perdu beaucoup de poids…» Au fil du temps, elle devient peu à peu l’une des confidentes de Romane. A l’été 2020, plus de six mois avant que la plainte ne soit déposée, cette dernière racontait déjà à Leïla «que leurs rapports sexuels étaient méga violents, […] qu’il la forçait». «Petit à petit, Romane a pris conscience de plus en plus de choses» Au printemps 2019, Sofiane Bennacer met fin à la relation. Il entre à l’école du Théâtre national de Strasbourg, tandis que Romane reste étudier à Mulhouse. Un an plus tard, Romane est à son tour admise au TNS. En juin 2020, peu avant la rentrée, elle parle pour la première fois de ce qui s’est passé avec Sofiane Bennacer à sa meilleure amie Claudia (1). Contactée par Libération, cette dernière, proche de Romane depuis le lycée, se souvient de l’échange. Elle confirme avoir recueilli les confidences de son amie, bien avant qu’une plainte ne soit déposée ou que le comédien ne soit casté pour le premier rôle des Amandiers. «Je n’ai jamais vu quelqu’un avoir peur d’une autre personne comme ça. Petit à petit, Romane a pris conscience de plus en plus de choses, dont les violences sexuelles.» En janvier 2021, Romane confronte Sofiane Bennacer à sa sortie des cours et lui décrit les violences qu’elle aurait subies au cours de leur relation. Dans la foulée, Sofiane Bennacer se rend auprès de la directrice des études du TNS pour dénoncer les «accusations diffamatoires» de Romane, selon l’administrateur de l’établissement, Benjamin Morel, contacté par Libération. Romane, qui n’envisageait pourtant pas de faire remonter les faits au sein de l’école, est convoquée. Face à la direction, elle maintient ses propos. Le 5 février 2021, Romane dépose plainte, fait dont la direction de l’école confirme avoir été informée. Sofiane Bennacer, de son côté, démissionne du TNS le 19 février 2021. L’établissement précise à Libération avoir procédé à un signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code pénal – qui oblige tout fonctionnaire ou toute autorité à dénoncer à la justice un crime ou délit dont il aurait connaissance – le 31 mars 2021. Une information confirmée par le parquet de Mulhouse. Si Romane a porté plainte contre Sofiane Bennacer, alors qu’elle n’en avait pas l’intention initialement, c’est parce qu’elle a découvert qu’elle n’était «pas seule». En janvier 2021, après avoir confronté Sofiane Bennacer, elle contacte plusieurs ex-compagnes de l’acteur. En quelques jours, elle reçoit des témoignages dépeignant un vécu similaire au sien : ces femmes lui décrivent des violences psychologiques, parfois physiques, mais aussi des violences sexuelles. Auprès de Libération, deux d’entre elles affirment avoir été violées par le comédien en 2019. Débordée par ces récits, Romane porte plainte. Encore aujourd’hui, la jeune femme martèle sa volonté de «laisser la justice mener son travail», refusant ainsi que des détails de son témoignage soient relayés dans la presse – raison pour laquelle l’enquête de Libération n’avait pas encore été publiée. Ses avocats, Anne Lassalle et Grégoire Mehl, déplorent la parution d’articles dans la presse «révélant des informations sur le contenu de sa plainte ainsi que son identité sans son consentement», qui contraignent la plaignante à «supporter la médiatisation» : «Romane a été très choquée et ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet qui fait l’objet d’une instruction.» «C’est la première fois que je raconte tout à quelqu’un» Pour Anaïs (1), 24 ans, une autre femme mettant en cause l’acteur, parler serait une manière de s’assurer que Sofiane Bennacer «ne puisse pas recommencer». Elle est étudiante en art à Mulhouse lorsqu’elle rencontre le comédien, début 2019. A l’époque, Anaïs traverse de graves problèmes familiaux et pense que boire un verre lui changera les idées. Par peur de rentrer seule à pied en pleine nuit, elle accepte d’aller chez Bennacer, qui «insiste». Une fois chez lui, le jeune homme commence «à la toucher et l’embrasser» et la «pénètre avec sa main». «Je disais non, j’enlevais sa main, il souriait et la remettait, décrit Anaïs. C’est du viol. A partir du moment où j’ai clairement exprimé le non et qu’il le faisait quand même, c’était comme si je ne pouvais rien faire.» Ce soir-là Sofiane Bennacer aurait également pénétré la jeune femme avec son sexe sans préservatif, sans son consentement. Elle ne le revoit jamais et plonge dans une «profonde dépression». Contactée par un gendarme dans le cadre de l’enquête ouverte après la plainte de Romane, elle décide de ne pas porter plainte, de peur que sa famille apprenne ce qui lui est arrivé. Aujourd’hui encore, elle confie n’avoir presque jamais parlé de cette histoire à ses proches, tant elle avait «honte». «C’est la première fois que je raconte tout à quelqu’un», dit-elle, se refusant à témoigner dans le cadre de la procédure judiciaire pour l’instant. Mathilde (1), elle non plus, n’a pas souhaité porter plainte. Elle a toutefois témoigné dans le cadre de l’enquête menée par les gendarmes de la section de recherche de Strasbourg. Si elle accepte de parler à Libération, c’est pour dénoncer un «système» qui dépasse son histoire personnelle et la «protection» dont Sofiane Bennacer a bénéficié en travaillant sur le tournage du film les Amandiers. Au cours de l’été 2019, l’étudiante en art voit Sofiane Bennacer épisodiquement à Paris. Elle décrit des violences sexuelles répétées : «Sur le fait de vouloir ou pas vouloir, sur le fait de se protéger ou non, sur comment ça doit être fait, on n’a pas le choix. Si je disais non, soit il l’ordonnait physiquement soit il jouait sur la culpabilisation.» Preuve de son trouble et de ses craintes, elle prend même l’habitude «d’envoyer sa géolocalisation à ses amis» avant de rejoindre Sofiane Bennacer. «Plusieurs fois, il m’a étranglée ou a été violent avec moi.» «C’est un des moyens de pression les plus forts qu’il ait utilisés» Quand la jeune femme décide de mettre un terme à sa relation avec Sofiane Bennacer, quelques mois après leur rencontre, elle craint immédiatement qu’il ne s’en prenne à sa carrière : «C’est un des moyens de pression les plus forts qu’il ait utilisés», souligne Mathilde, âgée de 24 ans au moment des faits. A l’époque, elle travaille sur un projet artistique important pour lequel Sofiane Bennacer la soutient. Quand elle lui annonce vouloir cesser de le fréquenter, l’acteur l’aurait alors menacée : «Il m’a dit que si mon projet fonctionnait, c’était grâce à son réseau, qu’il allait tout faire péter.» Un récit qui fait écho à celui de Romane. Alors que les deux jeunes femmes évoluent dans le milieu culturel, l’acteur aurait joué de ses contacts pour faire pression sur elles, dans un milieu où la peur d’être blacklisté est omniprésente. Libération a retrouvé la trace de trois autres femmes qui accusent Sofiane Bennacer de violences sexuelles, psychologiques ou physiques. Elles n’ont pas souhaité s’exprimer dans cette enquête. Nous avons également recueilli les témoignages de plusieurs anciens camarades de promotion de Sofiane Bennacer, qui retracent le parcours du comédien. Plusieurs comédiens et comédiennes ayant croisé son chemin le décrivent en des termes similaires : l’une parle d’un homme «charismatique» et ayant régulièrement recours à «l’intimidation», tandis qu’un ancien camarade de Mulhouse dépeint Sofiane Bennacer comme une personne «agressive», avec un côté «manipulateur» et qui aurait tendance à «prendre les femmes pour des objets». Contacté par Libération dès le mois de mai, Sofiane Bennacer s’est exprimé dans un long mail dans lequel il dément formellement les accusations de Romane. Il affirme qu’elle serait allée «quémander de témoigner» contre lui auprès de plusieurs ex-compagnes, «en leur disant qu’il y avait déjà six filles qui avaient porté plainte contre moi, chose qui est complètement fausse». Des accusations qu’il a réitérées sur son compte Instagram mercredi. Libération a pourtant pu consulter des messages envoyés par Romane aux jeunes femmes ayant fréquenté Sofiane Bennacer. Aucun ne fait état de ces éléments. Concernant les deux autres témoignages le mettant en cause pour des faits de violences sexuelles et physiques, à propos desquels Libération lui a transmis plusieurs questions, le comédien est resté vague mais affirme qu’il n’a «jamais violé ni frappé personne». Contactée par Libération, son avocate, Jacqueline Laffont, n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce stade. Dans un SMS envoyé mercredi à Libération, Sofiane Bennacer se dit «innocent» avant d’ajouter : «Je défendrai toujours les femmes de ces actes horribles.» (1) Les prénoms ont été modifiés. ----------------------------------------------------- Enquête Libé Sur le tournage des «Amandiers», «on avait l’impression d’être enfermés dans ce secret» Au sein de l’équipe, certains avaient eu vent dès les auditions d’accusations de violences sexuelles visant l’acteur Sofiane Bennacer. Des techniciens et alternants racontent l’omerta sur le plateau. par Cassandre Leray dans Libération publié le 24 novembre 2022 Le temps de quelques minutes, l’omerta vole en éclats. Lundi 5 juillet 2021 au petit matin, Margot (1) découvre des lettres tapissées sur la Maison des arts de Créteil. Pendant la nuit, des militantes féministes ont collé des messages sur les abords du théâtre, occupé par le tournage du film les Amandiers. «Production complice» sur un camion ou «un loup dans la bergerie» dans les escaliers… Sur les façades du bâtiment, d’autres phrases en lettres noires sur papier blanc : «Une plainte en cours ils n’en ont cure.» Puis un message nominatif : «Sofiane Bennacer acteur-violeur.» Les mots ciblent le jeune acteur qui incarne le premier rôle masculin du nouveau long métrage de Valeria Bruni-Tedeschi, les colleuses ayant appris qu’il est visé par une plainte pour viol déposée en février 2021 par une ex-petite-amie, Romane (1). Margot sait immédiatement à quoi ils font allusion. La technicienne de 26 ans a découvert les accusations à l’égard du comédien quand elle a commencé à travailler sur le tournage, en juin 2021. Discrètement, elle prend une photo des collages avec son smartphone. Très vite, la régie décolle les lettres des décors, mais Margot se sent soulagée : «Le monde extérieur nous voyait d’un coup, alors qu’on avait l’impression d’être enfermés dans ce secret dont il ne fallait pas parler.» Valeria Bruni-Tedeschi réunit l’équipe du film et se lance dans un discours pour défendre son acteur, absent, parlant de «présomption d’innocence». Margot ne l’écoute que d’une oreille. Pour elle, trois mots résument cette scène : «Une honte absolue.» Pendant huit mois, Libération a plongé dans les coulisses du long métrage, interrogeant une trentaine de personnes dont une quinzaine de professionnels sur le tournage. Nombre d’entre eux accusent la production et Valeria Bruni-Tedeschi d’avoir «protégé» Sofiane Bennacer en connaissance de cause. «Une rumeur» Que savaient vraiment les producteurs et la réalisatrice des accusations visant Sofiane Bennacer, avant et pendant le tournage ? Dès les auditions, une comédienne crache le morceau, fin mars 2021. Anna (1) passe le casting des Amandiers. Elle est au courant pour Sofiane Bennacer : elle connaît la plaignante, Romane, dont elle est camarade de promotion à l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Le jeune comédien était aussi étudiant au TNS avant d’en démissionner en février. Quelques semaines après que Romane a confirmé à la direction du théâtre avoir été violée par Sofiane Bennacer lorsqu’ils étaient en couple, avant leur entrée au TNS. L’établissement précisera d’ailleurs à Libération avoir fait un signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code pénal fin mars 2021. Lorsqu’Anna apprend qu’elle devra donner la réplique à Sofiane Bennacer lors de son audition, elle appelle l’assistante de casting pour expliquer pourquoi elle refuse : «J’ai dit qu’il était accusé de violences sexuelles.» Contactés par Libération en mai, Alexandra Henochsberg, d’Ad Vitam Production, et Patrick Sobelman d’Agat Films – les deux sociétés qui produisent les Amandiers –, confirment avoir entendu parler d’une «rumeur concernant une soirée avec son ancienne petite amie du TNS qui aurait mal tourné avec un comportement violent de Sofiane». «Fin mai 2021», décision est prise d’appeler Stanislas Nordey, qui dirige le TNS. Un appel confirmé par le directeur du théâtre qui aurait alors expliqué que le comédien était accusé de «viol». La production dément l’avoir entendu parler de viol. En plus d’avoir omis l’existence de la plainte, le directeur n’aurait pas non plus mentionné le signalement au procureur, assurent les producteurs à Libération : «A ce moment-là, on n’a aucun autre moyen de savoir s’il y a plainte ou pas. C’était lui notre interlocuteur.» Sofiane Bennacer est embauché car, «sur le seul fondement d’une rumeur, rien ne nous empêchait» de l’engager. Le tournage débute le 3 juin 2021. Le long métrage raconte l’histoire de comédiens de 20 ans fraîchement acceptés au sein de l’école des Amandiers, à Nanterre (Hauts-de-Seine), fondée à la fin des années 80 par deux figures du théâtre français : Patrice Chéreau et Pierre Romans. En haut de l’affiche, les acteurs Nadia Tereszkiewicz et Sofiane Bennacer. Le film raconte leur histoire d’amour, inspirée de la relation entre la réalisatrice et le comédien Thierry Ravel, mort d’overdose. «Confiance totale envers son casting» Ce 3 juin, Coline (1), 21 ans, débarque pour son premier jour de travail. Peu de temps avant, elle a appris par des amies que Sofiane Bennacer était accusé d’agression sexuelle. Dès son deuxième jour, l’étudiante à la CinéFabrique – une école de cinéma lyonnaise – décide de s’en ouvrir auprès de ses collègues, dont plusieurs camarades de promotion, eux aussi présents sur le projet. Une première rencontre a lieu entre les cinq alternants de son école et les producteurs. «Ils disaient qu’ils avaient eu vent de rumeurs et qu’ils ne se sentaient pas légitimes à refuser à quelqu’un de travailler à cause de rumeurs», résume Nina (1), en alternance à la technique. Sauf que Coline n’en démord pas. Elle mène sa propre enquête, contacte une amie, étudiante au TNS, retrouve la trace de Romane et découvre qu’elle a déposé plainte pour viol. Deux jours plus tard, Coline déballe tout ce qu’elle sait : il ne s’agit pas d’une simple «rumeur d’agression sexuelle» mais d’une «plainte pour viol». Impensable de maintenir Sofiane Bennacer dans son rôle : les alternants le disent très clairement à la réalisatrice. «On lui a expliqué que ce n’était pas un taf anodin, qu’il y allait avoir une répercussion médiatique et que c’était valider le fait d’engager des mecs accusés de violences sexuelles, relate Elise (1), alternante. Valeria a été très claire : elle nous a dit qu’elle était en accord avec son choix, que, pour elle, il n’y avait aucun problème.» Devant l’ensemble de l’équipe technique et en l’absence de Sofiane Bennacer, comme chaque fois que son cas sera abordé sur le tournage, la réalisatrice assure avoir une «confiance totale envers son casting». «Elle nous a dit qu’il ne fallait pas que Sofiane sente que l’équipe était au courant ou que ça change nos comportements, ajoute Elise. C’était une bonne claque dans la gueule de voir comment les choses se passent dans ce milieu-là.» Coline tente le tout pour le tout. Ne supportant pas l’omerta, elle pense organiser une grève sur le tournage mais se rabat sur une réunion avec les actrices. Une seule osera se présenter. La coupe est pleine. Coline finit par quitter le plateau. Elle lâchera même complètement le cinéma : «Je préfère être au chômage que bosser pour des personnes comme ça.» Louise (1), stagiaire de 22 ans au montage, va suivre la même trajectoire : elle démissionne après un mois, même si elle sait que sa décision signe probablement la fin de sa carrière dans le cinéma. Peur d’être blacklisté Deux démissions puis le silence. Sur le plateau, le sujet Bennacer passe en sourdine. Le tournage se poursuit sans encombre jusqu’au jour des collages féministes. Mais, malgré les accusations qu’il nie en bloc, le «coup de cœur» de Valeria Bruni-Tedeschi, comme on dit autour d’elle, reste en place. La réalisatrice «souhaitait absolument travailler avec lui», raconte Matthieu (1), technicien quadragénaire. Sur le plateau, ne subsistent que des chuchotements entre collègues. Certains «outrés», «mal à l’aise», d’autres détachés, car «on est là pour faire notre travail avant tout», estime Matthieu. Plusieurs jeunes femmes se font la promesse d’éviter l’acteur autant que possible. «Il ne pouvait que le sentir, une bonne partie des jeunes de son âge ne lui parlait jamais», souligne Margot, technicienne. Du début à la fin du tournage, la ligne de Valeria Bruni-Tedeschi ne va jamais varier : la «présomption d’innocence». «Je comprends qu’on ne puisse pas condamner quelqu’un sans décision de justice, commente Hugo (1), régisseur. Mais on n’avait pas à subir le fait de travailler avec lui sans savoir.» D’autant que l’enquête judiciaire est alors en cours, rappelle Nina, alternante à la technique : «S’il avait purgé sa peine, ce serait différent. Mais là, la justice n’a pas été rendue.» «Valeria disait que c’était aussi le sauver lui, lui donner une chance et le propulser dans ce milieu, et qu’elle croyait en son talent», se souvient Noémie (1), de l’équipe caméras. Cette quadragénaire perçoit comme une fracture dans l’équipe : les anciens d’un côté, de l’autre la «nouvelle génération» qui a vu la naissance de #MeToo et est allée demander des comptes. «Avec les techniciens de mon âge, on se disait : “On n’est pas d’accord, mais on est là pour travailler, alors on ferme un peu les yeux.”» La décision de maintenir ou non Sofiane Bennacer sur le film était entre les mains de trois personnes : les producteurs et la réalisatrice. Contacté par Libération, le duo Henochsberg-Sobelman admet s’être retrouvé dans une situation «extrêmement compliquée à gérer», découvrant la plainte pour viol deux jours après le début du tournage, comme tout le monde. La production l’aurait alors convoqué afin de lui demander de prendre un avocat et d’aller «de lui-même se confronter à la justice». Même s’ils l’avaient voulu, argumentent les producteurs, il aurait été impossible de se séparer de l’acteur : «Le droit ne nous permet pas de licencier un employé sur ces allégations, il pourrait légitimement nous attaquer en justice.» «Valeria a embarqué tout le monde dans cette histoire» Valeria Bruni-Tedeschi, que Libération a relancée plusieurs fois afin de fixer une rencontre, n’a pas donné suite à nos demandes à ce jour. Plus d’un an après le tournage, elle a été entendue en octobre comme témoin dans l’enquête judiciaire visant Sofiane Bennacer. Dans un mail adressé au journal en mai dernier, juste avant la projection des Amandiers à Cannes, elle racontait avoir été elle-même «victime de violences dans [s]on enfance». «Je connais la souffrance de ne pas être entendue. Mais je ne crois pas que le combat pour les droits des femmes et des plus démunis doive s’accommoder de la violation de la présomption d’innocence», écrivait-elle. Quid de l’équipe ? Aurait-elle dû quitter le plateau ? Le dilemme est grand entre l’évidente nécessité de «gagner des sous», le «tremplin professionnel» que ce tournage représentait et la peur d’être blacklisté. Claquer la porte, c’était risquer «d’enterrer sa carrière», selon la formule de Romain (1), apprenti technicien qui, à moins de 30 ans, en tire une triste leçon professionnelle : «Si on fait passer l’éthique en premier, je crois que ce n’est pas possible de travailler dans ce milieu.» Aucun doute : s’il part, il sera remplacé en un claquement de doigts. Toutes et tous le savent. Certains ont «honte», regrettent de n’avoir rien dit. «Valeria a embarqué tout le monde dans cette histoire sans mettre les gens au courant, lâche Alicia (1), la trentaine et technicienne. Quand on a découvert les faits, on était déjà engagés.» D’autres racontent aussi l’attachement au film et à sa réalisatrice. L’une des actrices, Lucie (1), la vingtaine, revoit les centaines de candidats évincés au fil des semaines d’auditions. «On a réussi à arracher une place dans ce film qui nous faisait rêver. Partir ou rester, c’est une question de l’ordre du sacrifice, déclare la jeune femme. Je ne vois pas pourquoi des actrices devraient sacrifier leur carrière pour des acteurs accusés de viol.» Pour Agathe (1), qui joue aussi dans les Amandiers, «c’est Sofiane qui n’aurait pas dû faire ce film». Aujourd’hui, Lucie et Agathe, les deux seules actrices à avoir répondu à Libération, ont une peur : que «ce qu’a fait Sofiane nous éclabousse tous». «Pour moi, ce n’est pas du tout normal de l’avoir recruté, s’énerve Agathe. Mais ce n’est pas parce qu’on est restés que nous sommes des complices.» Cassandre Leray, Libération (1) Les prénoms ont été changés.
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Le spectateur de Belleville
November 24, 2022 9:09 AM
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Propos recueillis par Thierry Cheze dans Première - 20 nov. 2022 Avec Les Amandiers, la cinéaste replonge dans cette école dirigée par Patrice Chéreau qui l’a formée au métier d’actrice. L’occasion idéale d’échanger sur son processus de création, devant comme derrière la caméra, et la manière dont on se libère ou non d’un tel mentor. Cet entretien est paru à l'origine dans le numéro 534 de Première, toujours disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne. PREMIÈRE : À la fin de l’été, une courte séquence extraite du documentaire Il était une fois 19 acteurs, que François Manceaux a consacré à l’école des Amandiers, a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Vous êtes jeune et quand on vous demande ce que vous attendez d’un metteur en scène, vous répondez « qu’il m’aime et qu’il me casse ». Vous diriez la même chose aujourd’hui ? VALERIA BRUNI TEDESCHI : « Qu’il me casse », je ne le dirais plus. La vie est passée depuis et je n’ai vraiment pas besoin de ça ! Quant à « qu’il m’aime », je dirais plus « qu’il m’accueille ». C’est en tout cas ce que j’essaie de faire avec mes acteurs. Et c’est un grand bonheur pour moi. Car je le fais peu dans la « vraie » vie. Je suis trop peu attentive aux autres, trop autocentrée. Mais lorsque je mets en scène, je me transforme en grand sage. J’ai la sensation d’être dans une position d’adulte alors qu’en tant qu’actrice, je me sens plus enfant ou adolescente ; quelqu’un qui a envie de se faire aimer alors que l’adulte aime. Je préfère cette place de protectrice. Au fond, pour moi, c’est plus gai d’être adulte que d’être enfant.
Quand vous jouez dans vos propres films, vous devenez schizophrène ? Cette question, je me la suis posée avant mon premier film, Il est plus facile pour un chameau. Et je suis allée demander conseil à Patrice Chéreau pour savoir comment combiner les deux. Il m’a dit une chose qui m’accompagne depuis : « Surtout, ne te dé- double pas. C’est la même personne qui joue et qui réalise. Unis-toi. » Exactement le contraire de ce que j’aurais fait spontanément! Depuis, il n’y a jamais de frontière entre le personnage que je joue et la réalisatrice qui dirige les autres. Cette possibilité d’effacement des frontières entre la vie et le travail est sans doute la chose la plus précieuse que nous a enseignée l’école des Amandiers. Pour rendre le travail très vrai et pas uniquement technique. Pour mêler ses propres émotions et celles de son personnage. LES AMANDIERS : VALERIA BRUNI-TEDESCHI REVISITE BRILLAMMENT SES ANNÉES CHÉREAU [CRITIQUE] On sait que ce mélange peut se révéler dangereux. Vous n’avez jamais eu peur de vous y perdre ? Bien sûr qu’on peut s’y perdre. Et j’ai conscience que l’école des Amandiers ne nous a pas vraiment donné les armes pour gérer tout ça, pour nous aider à nous retrouver une fois la pièce ou le tournage terminés. Mais on nous a offert autre chose : l’envie et les instruments pour nous perdre, afin de faire cadeau de ce déséquilibre, de cette fragilité, à nos personnages. Comment se débrouille-t-on pour retomber sur ses pieds ? Pour ma part – et c’est pour cela que j’ai tenu dans Les Amandiers à évoquer Lee Strasberg à travers un voyage à New York – c’est en travaillant, après l’école des Amandiers, avec des grands coachs américains de la Méthode comme Susan Batson. C’est auprès d’eux que j’ai trouvé des instruments pour ne plus me mettre en danger, sauf sur scène. J’y ai appris – et compris – qu’il ne faut jamais abîmer l’instrument qu’est son corps. La Méthode m’a ouvert des horizons, mais uniquement comme complément à cette expérience de vie et de travail que j’avais connue avec Chéreau. Vous n’avez jamais eu le sentiment d’être écrasée par la figure de Chéreau ? Une fois que vous étiez sortie de l’école, n’a-t-il pas pris à certains moments plus de place que vous ne le souhaitiez ? Pendant l’école, j’étais vraiment l’élève qui essayait de faire au mieux. Et c’est vrai que, par la suite, j’ai eu du mal à me défaire de ce rapport-là. Le fait que je n’ai jamais encore osé mettre en scène du théâtre vient sans doute du fait que je suis, sur ce terrain-là, encore écrasée par lui. Mais un tournant a eu lieu sur le tournage de Ceux qui m’aiment prendront le train où je le vouvoyais encore. Un jour, il m’a prise à part pour me dire : « Tu n’es plus mon élève. » Cette phrase m’a autorisée à changer mon rapport à Chéreau. Il m’a fait là un cadeau énorme car il au- rait pu rester dans la position confortable du mentor qui vous guide, certes, mais vous écrase aussi de sa puissance. On a pu entendre récemment un autre son de cloche chez Agnès Jaoui, élève des Amandiers elle aussi, qui expliquait avoir eu affaire à un gourou, à quelqu’un qui avait besoin de diviser pour mieux régner. C’est quelque chose que vous pouvez entendre ? Évidemment. Chacun a sa perception de ces années où tout était sans cesse en mouvement. Où, selon les jours, on était plus ou moins aimé et du coup on aimait plus ou moins Patrice comme Pierre [Romans, metteur en scène qui enseignait aussi aux Amandiers], qui était tout aussi important que lui. Tout cela créait de la tension, du malaise, de l’inconfort... Mais toujours dans certaines limites. Lesquelles ? Chéreau ne nous malmenait pas. Il pouvait rentrer dans de grandes colères quand on ne se mettait pas assez en danger à ses yeux. Mais ce n’était ni un sadique ni un pervers. Y compris dans sa façon de draguer : il n’y a jamais eu de chantage au rôle par exemple. Il pouvait tomber très amoureux d’un homme hétérosexuel en sachant qu’il ne se passerait jamais rien, sans que cela ne change rien aux rôles qu’il lui proposait. Et j’espère vraiment qu’on le ressent dans mon film. Quand on plonge dans ses souvenirs, comment faire pour éviter justement d’enjoliver les choses, de taire les moments moins glorieux ? C’est très simple pour moi, car quand je fais des films, j’ai envie de parler des douleurs. Je galère bien plus à trouver les moments de bonheur ! (Rires.) Y compris dans votre manière de raconter un homme qui a tant compté pour vous. Ça n’affecte pas votre création en vous censurant, consciemment ou non ? Je vais être honnête. Oui, ça a été difficile pour moi de critiquer le personnage de Chéreau. Dans la première version du scénario, il était très bien élevé, très sérieux. Sauf que Chéreau lui-même aurait dé- testé qu’on accole son nom à un personnage lisse car il les haïssait. Ce qu’il aimait dans l’être humain, c’était son côté obscur. Je me suis donc sentie obligée pour lui rendre hommage... de ne pas lui rendre hommage! C’est étrange car je le sens très présent depuis sa disparition. Récemment, Marthe Keller m’a dit une phrase que je trouve extrêmement juste : « Patrice est le plus vivant de tous nos morts. » Pour- tant, j’ai perdu énormément d’êtres chers. Mon frère est mort, mon père est mort... Mais Patrice, c’est autre chose. Il fait partie des fantômes qui peuplent le film, avec ceux de Pierre Romans, de Luc Bondy, de Bernard-Marie Koltès, de Michel Piccoli et de tous les élèves qui ne sont plus là. La drogue et le sida ont fait des ravages durant ces années. On avait conscience de côtoyer la mort au quotidien. J’ai tenu à le raconter dans Les Amandiers. Montrer qu’on avait à la fois l’inconscience de la jeunesse et la conscience de cette tragédie qui fauchait nos proches. Créer pour vous passe par l’évocation ou la reconstitution de moments que vous avez traversés, y compris tragiques. Je pense à la scène de l’enterrement du personnage inspiré par le comédien Thierry Ravel, qui était votre compagnon à l’époque. Comment vivez-vous ce type de moment ? Comme une souffrance ? Une catharsis ? Écrire crée chez moi un filtre, un antidote à la nostalgie, alors que je suis très mélancolique et nostalgique dans la vie. L’autre antidote, dans le cas des Amandiers, ce sont les jeunes comédiens que j’ai réunis. Soudain, il ne s’agit plus des gens d’il y a trente ans mais d’eux. Donc quand je suis au cimetière, les images du passé ne me reviennent pas, je suis totalement dans le présent des scènes. Je me vis vraiment comme un artisan qui essaie de faire le plus beau des meubles. Et je fais volontiers miens les mots de Woody Allen : « Le travail est un subterfuge à l’angoisse. » Et un endroit où vous semblez aussi beaucoup vous amuser. Dans Des Amandiers aux Amandiers, le documentaire que Karine Silla Perez et Stéphane Milon ont consacré à l’aventure de votre film, on vous voit ainsi jouer toutes les scènes devant vos comédiens. Cela fait toujours partie de votre processus de création ? Non, ce n’est pas systématique. Si je l’ai fait autant sur le plateau des Amandiers, c’est sans doute parce que je ne joue pas moi-même et que je dirige de jeunes comédiens. C’est ma façon de les prendre par la main. En leur parlant pendant les scènes, c’est comme si je me glissais à l’intérieur d’eux. Mais je ne fonctionne pas de la même manière avec tous. Je chuchotais beaucoup plus dans les oreilles de Nadia [Tereszkiewicz] que dans celles de Sofiane [Bennacer] avec qui j’ai vite senti que je ne devais pas être trop intrusive. Que ça n’allait ni l’aider ni lui faire du bien. Certains sur le plateau m’ont d’ailleurs demandé pourquoi j’avais l’air de moins le diriger que les autres. Mais je ne le dirigeais pas moins, je le dirigeais autre- ment. En l’accueillant les bras grands ou- verts. Alors que Nadia, il fallait l’accueillir mais aussi la bousculer. Vous exprimez d’ailleurs dans le même documentaire le besoin et le plaisir de malmener vos comédiens... Malmener mais pas maltraiter ! Et là encore, pas tout le monde et pas de la même manière pour tous. Parfois, c’est même l’inverse d’ailleurs. Louis [Garrel, qui interprète Patrice Chéreau] par exemple, j’ai compris que je devais le laisser me malmener. Que c’était son plaisir et ma façon de le diriger. Je l’ai laissé se moquer de moi devant tout le monde. Car ainsi, il me donnait des choses plus précieuses que ce qu’on avait écrit. Vous avez déjà été malmenée en tant qu’actrice ? Non, jamais. Une fois, j’ai pu me sentir mal aimée. J’en ai d’ailleurs tiré un film en 2007, Actrices. Comment pensez-vous que vous réagiriez si c’était le cas ? Je pense que je n’aimerais pas... (Silence.) Quoique je sois sans doute assez maso pour en avoir envie et finir par aimer ça ! (Rires.) Mais alors, il faut que ce soit avec un génie. J’aurais bien voulu être dirigée par Pialat. Et je veux bien tourner avec Kechiche qui a la réputation d’être dur. Une chose est sûre : je ne pourrais me mettre en souffrance que dans un imaginaire qui m’inspire. Les Amandiers. De Valeria Bruni-Tedeschi. Avec Nadia Tereszkiewicz, Sofiane Bennacer, Louis Garrel... Durée 2h06. Sortie le 16 novembre 2022
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Le spectateur de Belleville
October 10, 2022 7:23 AM
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Par Sylvia Zappi ( Lille - envoyée spéciale) dans Le Monde - 10 octobre 2022 Six jeunes apprentis comédiens du Théâtre de Lille racontent leur vision du mouvement #metoothéâtre et ce qu’il a changé pour eux.
Lire l'article sur son site d'origine : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/10/metoo-cinq-ans-apres-a-l-ecole-superieure-d-art-dramatique-du-nord-le-consentement-en-etendard_6145121_3224.html Les débuts de #metoo, il y a cinq ans, sont un peu flous dans leurs souvenirs. Peu, parmi les six apprentis comédiens rencontrés au Théâtre du Nord, à Lille, jeudi 6 octobre, se rappellent ses premières manifestations sur les réseaux sociaux : ils étaient encore au lycée ou tout juste sortis du bac et ont grandi dans un nouveau contexte des rapports amoureux. Quand ils sont arrivés dans le monde du théâtre, la libération de la parole des femmes semblait une évidence. « On n’a pas connu un milieu replié sous les effets de la peur », constate Jessim Belfar, 24 ans, élève référent harcèlement de la promotion, qui a fait une classe préparatoire égalité des chances à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Iris Laurent, élève autrice, est peut-être la seule à se remémorer les nombreux témoignages qui avaient alors fleuri : « J’étais sidérée et je me disais que ce n’était pas un milieu facile », témoigne la jeune femme, qui confie être « plus vigilante et moins tolérante » depuis. « On voit bien qu’on est encore au milieu du chemin… » Iris Laurent, élève autrice Mieux informé que les générations précédentes, plus conscient aussi des enjeux d’égalité, le petit groupe de 20 comédiens de l’école du Nord assure vivre sa deuxième année d’apprentissage en toute sérénité. Selon David Bobée, qui dirige l’Ecole supérieure d’art dramatique et le théâtre du centre de Lille, les règles ont été fixées dès les premiers jours de septembre 2021. Une réunion sur les violences et le harcèlement sexuel et sexiste est venue compléter, en septembre, la formation. « On leur a donné les outils juridiques et montré les situations de violence possibles », assure le directeur, qui souligne que la promo est parrainée par l’écrivaine Virginie Despentes et la metteuse en scène Eva Doumbia. Les élèves, eux, disent simplement qu’ils ont la chance d’être un « groupe bienveillant » : « On passe notre vie ensemble, on peut voir, interagir et dire “ça ne va pas”, c’est banalisé », relate Jessim. « On a appris à dire “je ne suis pas à l’aise avec cette situation” », renchérit Loan Hermant, 22 ans, intégré après une prépa égalité des chances à Béthune (Pas-de-Calais). Pour ces jeunes à peine entrés dans le milieu, la notion de consentement est une évidence, un prérequis. Dans une pratique où la proximité sur le plateau est grande, les corps souvent très proches et les gestes parfois invasifs, des codes ont été établis. « Il y a le réflexe de toujours demander avant de toucher une ou un comédien. Tous les profs le font, c’est tellement plus sain ! On se débarrasse de l’idée que le théâtre doit être violent », explique Ambre Germain-Cartron, comédienne passée par le conservatoire de Rennes. « La pression pèse plus sur les épaules des responsables pédagogiques. Ils doivent se dire : “Faut pas qu’on merde !” », glisse, presque amusé, Sam Chemoul, qui assume que sa génération ait « un regard plus aiguisé ». Profonde dépression Tous savent que les violences sexuelles ont encore cours dans le milieu. Certains ont connu dans d’autres écoles ou sur des tournages – beaucoup font de la figuration dans le cinéma − une ambiance bien moins « safe », selon leur mot. Poline (elle a préféré ne pas donner son nom de famille) a les mots qui butent quand elle parle de l’atmosphère des trois années qu’elle a passées au Cours Florent, à Paris. « Durant le confinement, des témoignages sont sortis sur un compte Instagram, et je me suis rendu compte de ce que j’avais subi », confie cette jeune femme blonde de 25 ans, évoquant sobrement les attouchements vécus dans les couloirs de l’école. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés #metoo cinéma, théâtre, danse : les avancées et les limites des dispositifs de prévention Loan, lui, parle d’un viol ou plutôt de plusieurs endurés en 2018. Un réalisateur l’avait sollicité pour son film et lui avait proposé de l’héberger chez lui avec d’autres acteurs, le temps du tournage, le jeune homme n’ayant alors pas de logement à Paris. Il taira son nom, hésitant encore à porter plainte. Le jeune homme raconte avoir mis un an à sortir d’une profonde dépression, s’enfermant chez ses parents. C’est grâce à une association d’aide aux jeunes en difficulté qui lui fait découvrir le théâtre qu’il parviendra à sortir de son isolement. « Là où il y a du pouvoir, il y a de l’abus de la part des hommes. Je n’ai jamais connu de propos ou de gestes déplacés de la part d’une femme », assène ce grand garçon blond aux yeux bleus. A l’école de Lille, élèves comme enseignants connaissent l’histoire de Loan. Il a pu en parler, sans cacher son traumatisme. Mais ce dernier prévient : « Ce n’est pas parce qu’ici on est en sécurité qu’on doit baisser la garde. » Car même dans cette école où tous assurent qu’il n’y a eu aucun problème, lui se souvient d’un acteur invité qui avait importuné Iris. La jeune autrice hésite puis évoque un vieux comédien « trop tactile », ajoutant qu’alertée, la direction avait veillé à ce qu’il ne soit plus en contact avec les jeunes apprentis. A ce souvenir, Iris convient que le travail de prise de conscience est loin d’être terminé : « On voit bien qu’on est encore au milieu du chemin… » Un constat partagé par l’ensemble du petit groupe qui insiste : les écoles de théâtre revendiquent désormais toutes une action antiharcèlement mais elle reste encore difficilement mesurable. #metoo, les cinq ans d’une révolution Il y a cinq ans éclatait l’affaire Harvey Weinstein aux Etats-Unis, provoquant une onde de choc mondiale qui allait libérer la parole contre les violences sexistes et sexuelles. Dans une série d’articles, Le Monde décrypte l’ampleur du phénomène et son impact sur nos sociétés. Sylvia Zappi (Lille - envoyée spéciale) Légende photo : De gauche à droite : Sam, Poline, Loan, Ambre, Jessim et Iris, six élèves de deuxième année de l’Ecole professionnelle supérieure d’art dramatique du Théâtre du Nord, le 6 octobre 2022, à Lille. LUCIE PASTUREAU/HANSLUCAS POUR « LE MONDE »
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Le spectateur de Belleville
May 31, 2022 3:42 AM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 31 mai 2022 La version festive de « Comme il vous plaira » a été la plus primée dans la catégorie théâtre privé, et « Les gros patinent bien » a été sacré meilleur spectacle dans le public. La question des violences sexuelles et du sexisme a été abordée à plusieurs reprises. Des troupes, des femmes, des sujets graves et quelques moments d’humour : pour son retour, après deux années perturbées par le Covid-19, la Nuit des Molières, retransmise lundi 30 mai sur France 3 et élégamment présentée par l’humoriste Alex Vizorek, a vu beaucoup de monde défiler sur la scène parisienne des Folies-Bergère. Comme un pied de nez à la morosité qui laisserait croire qu’il n’y a plus de place, en raison de la situation économique du théâtre, pour des projets avec une large distribution, plusieurs spectacles de troupe ont été récompensés. Et comme s’il fallait, alors que la fréquentation est en baisse dans de nombreuses salles, convaincre le public que « ce n’est pas en restant devant nos écrans à attendre les livreurs de repas que nous triompherons de nos angoisses » – selon les mots de la présidente de cette 33e édition, la comédienne Isabelle Carré –, ce sont essentiellement des comédies qui ont remporté les suffrages. Ainsi, la version festive de Comme il vous plaira, de William Shakespeare, a été la plus primée en remportant quatre statuettes dans la catégorie théâtre privé : meilleur spectacle, meilleure mise en scène pour Léna Bréban, meilleure comédienne pour Barbara Schulz, et meilleure comédienne dans un second rôle pour Ariane Mourier. Ne comptant pas moins de seize comédiens, chanteurs et danseurs et sept musiciens, la comédie musicale burlesque et virevoltante Les Producteurs, mise en scène par l’incontournable Alexis Michalik, a décroché deux Molières, celui du meilleur spectacle musical et de la révélation masculine pour Benoît Cauden. Quant au Molière de la meilleure comédie, il a été attribué à Berlin Berlin, de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras, pièce pour laquelle Maxime d’Aboville a obtenu le Molière du meilleur comédien du théâtre privé. Dans le théâtre public aussi, c’est la légèreté, la fantaisie et l’esprit décalé qui ont triomphé. L’enthousiasmante adaptation du Voyage de Gulliver, imaginée par le talentueux duo Christian Hecq et Valérie Lesort, a raflé deux statuettes (création visuelle et mise en scène). Et l’incroyable cabaret de carton, Les gros patinent bien, sorti de l’esprit espiègle de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan, a été sacré meilleur spectacle. Heureusement que ces deux comédiens étaient là pour clore, en beauté, une interminable cérémonie (plus de trois heures). Dans l’esprit de leur spectacle, cartons en main, le duo a brandi une proposition, loin d’être saugrenue, à l’attention de la nouvelle ministre de la culture, Rima Abdul Malak : « En ces temps moroses, pourquoi ne pas considérer le rire comme une grande cause nationale. Le rire peut/doit être un acte poétique. Créez s’il vous plaît de toute urgence un théâtre national dédié à la comédie. » « #metoo n’est pas un concept » La nouvelle locataire de la Rue de Valois, dont c’était la première sortie théâtre, a souri. Mais d’autres demandes, pas du tout festives, lui ont été adressées. Une vingtaine de militantes du collectif #metoothéâtre, emmenées par Marie Coquille-Chambel et Séphora Haymann, et rejointes par l’actrice Adèle Haenel et la conseillère municipale de Paris Alice Coffin, se sont rassemblées devant les Folies-Bergère, estimant avoir été censurées par Jean-Marc Dumontet, président des Molières, alors qu’elles auraient dû s’exprimer sur scène. Mais, à l’intérieur, leur message a été plusieurs fois relayé avec gravité. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Violences sexuelles : le retour des Molières entaché par une polémique Isabelle Carré a montré leur livre, #MeTooThéâtre (Libertalia, 192 pages, 10 euros), rassemblant des témoignages, qui sortira le 3 juin. « En parlant d’elles, a souligné la comédienne, ces femmes courageuses sont un peu parmi nous ce soir. » Pauline Bureau, sacrée meilleure autrice francophone pour son spectacle Féminines, a dévoilé : « [j’ai été] agressée sexuellement comme, je pense, la plupart des actrices de ma génération. Et puis de moins en moins à mesure que j’ai gagné en pouvoir. Le pouvoir, c’est notamment l’argent. 18 % de l’argent public va à des compagnies dirigées par des femmes, c’est mon cheval de bataille et j’espère, madame la Ministre, que ça va devenir le vôtre. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Théâtre : Pauline Bureau, une plume contemporaine sur les ailes d’un ange Nathalie Mann, au nom de l’association Actrices et acteurs de France associés (AAFA), a appelé les directeurs de théâtre à « nommer un référent ou une référente » pour les violences sexuelles et sexistes, comme c’est le cas sur les tournages de cinéma. Le sujet a aussi tourné au conflit de générations. La comédienne Andréa Bescond n’a pas hésité à tancer Fabrice Luchini. Lors de son hommage rendu à Michel Bouquet, en début de cérémonie, le comédien a considéré que « #metoo était un concept » pour la veuve de l’acteur, Juliette Carré, puisque le couple ne s’était jamais disputé. « Je suis contente pour elle, mais #metoo n’est pas un concept pour les femmes victimes de viol Monsieur Luchini », a rétorqué la réalisatrice des Chatouilles. #metoothéâtre : « Prendre la parole représente le risque d’être blacklistée » LE PALMARÈS DES MOLIÈRES 2022 Molière du théâtre public Les gros patinent bien, cabaret de carton, conception et mise en scène Pierre Guilllois et Olivier Martin-Salvan, compagnie Le Fils du grand réseau. Molière du théâtre privé Comme il vous plaira, de William Shakespeare, mise en scène de Léna Bréban, Théâtre de la Pépinière. Molière de la comédie Berlin Berlin, de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras, mise en scène José Paul, Théâtre Fontaine. Molière de la création visuelle et sonore Le Voyage de Gulliver, d’après Jonathan Swift, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort, scénographie Audrey Vuong, costumes Vanessa Sannino, lumière Pascal Laajili, musique Dominique Bataille et Mich Ochowiak, marionnettes Carole Allemand et Fabienne Touzi dit Terzi, Théâtre des Bouffes du Nord et la Compagnie Point fixe. Molière du spectacle musical Les Producteurs, de Mel Brooks, mise en scène Alexis Michalik, Théâtre de Paris. Molière de l’humour Vincent Dedienne, dans Un soir de gala, de Juliette Chaigneau, Vincent Dedienne, Anaïs Harté et Mélanie Lemoine, mise en scène Juliette Chaigneau et Vincent Dedienne. Molière du jeune public J’ai trop d’amis, texte et mise en scène David Lescot, Théâtre de la Ville, Paris et Compagnie Kaïros. Molière du seul/e en scène Marc Arnaud dans La Métamorphose des cigognes, de Marc Arnaud, mise en scène Benjamin Guillard, La Scala et Théâtre Comédie Odéon. Molière de l’auteur/trice francophone vivant/e Pauline Bureau, pour Féminines. Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public Jacques Gamblin, dans Harvey, de Mary Chase, mise en scène Laurent Pelly. Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public Clotilde Hesme, dans Stallone, de Fabien Gorgeart, Clotilde Hesme et Pascal Sangla, d’après Emmanuèle Bernheim, mise en scène Fabien Gorgeart. Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé Maxime d’Aboville, dans Berlin Berlin, de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras, mise en scène José Paul. Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé Barbara Schulz, dans Comme il vous plaira, de Shakespeare, mise en scène Léna Bréban Molière du metteur en scène dans un spectacle de théâtre public Christian Hecq et Valérie Lesort, pour Le Voyage de Gulliver, d’après Jonathan Swift. Molière du metteur en scène dans un spectacle de théâtre privé Léna Bréban, pour Comme il vous plaira, de Shakespeare. Molière de la révélation féminine Salomé Villiers, dans Le Montespan, de Jean Teulé, mise en scène Etienne Launay. Molière de la révélation masculine Benoît Cauden, dans Les Producteurs, de Mel Brooks, mise en scène Alexis Michalik. Molière du comédien dans un second rôle Nicolas Lumbreras, dans La Course des géants, texte et mise en scène Mélody Mourey. Molière de la comédienne dans un second rôle Ariane Mourier, dans Comme il vous plaira, de Shakespeare, mise en scène Léna Bréban. Sandrine Blanchard / Le Monde Crédit photo (c) GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
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Le spectateur de Belleville
April 29, 2022 5:05 PM
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Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant) pour Le Monde - 29 avril 2022 Le tribunal correctionnel d’Anvers a prononcé une peine de dix-huit mois de prison avec sursis contre l’artiste flamand. Ses excuses, tardives, formulées par écrit, invoquant sa liberté créatrice n’auront pas suffi : le chorégraphe et plasticien flamand Jan Fabre a été condamné à une peine de prison de dix-huit mois avec un sursis de cinq ans par le tribunal correctionnel d’Anvers, vendredi 29 avril. L’artiste de 63 ans était absent, comme lors des deux premières audiences du procès que lui ont intenté onze anciennes danseuses de sa compagnie, Troubleyn. Le tribunal a estimé que la moitié des accusations étaient insuffisamment prouvées, ou prescrites, mais il a retenu un cas d’agression sexuelle et cinq autres de violences et humiliations, des faits qui se sont déroulés entre 2012 et 2015. « C’est une reconnaissance et une étape importantes, pas seulement pour les femmes courageuses qui ont témoigné, mais pour d’autres victimes qui se demandaient si de tels comportements étaient punissables, a commenté Me An-Sofie Raes, l’une des avocates des jeunes femmes. Le juge a estimé que M. Fabre avait créé, durant des années, un environnement de travail nuisible, hostile et insultant. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En procès pour harcèlement sexuel, le chorégraphe Jan Fabre se défend par lettre interposée Si le ministère public avait réclamé une peine de détention de trois ans ferme, l’avocate du créateur avait, elle, demandé la relaxe de son client. Me Eline Tritsmans s’est toutefois dite satisfaite d’un jugement qui, d’après elle, ramène l’affaire à de « justes proportions ». Parlant de l’agression sexuelle retenue par le tribunal comme d’un baiser appuyé – et « consenti » – et des violences imputées au chorégraphe comme d’une simple atteinte au « bien-être de travailleurs » – au sens d’une loi belge adoptée en 1996 –, l’avocate a opposé les témoignages des plaignantes à ceux de 169 autres membres de Troubleyn. Ils ont contesté que le directeur de la troupe se soit comporté de manière tyrannique ou ait créé une atmosphère délétère. Quant à la formule « No sex, no solo », utilisée depuis 2018 pour résumer l’affaire, elle ne serait qu’un « cancan », selon Me Tritsmans : son client n’aurait jamais exercé aucun chantage de ce type sur ses danseuses. Privation des droits civiques Le procès, et les détails qu’il a fournis à propos de moqueries, d’insultes ou de séances de photos très intimes, a, en tout cas, fait chuter de son piédestal un créateur mondialement célèbre, apprécié jusqu’au palais de Buxelles, où il s’était vu confier par la reine Paola la décoration d’une salle. Le fait que la condamnation prononcée vendredi soit assortie d’une privation, durant cinq années, des droits civiques de l’intéressé pourrait peser lourdement sur l’avenir de la compagnie, dont plusieurs productions ont déjà été annulées ou reportées. En mars, une commission d’avis du ministère régional de la culture a émis un avis négatif sur le renouvellement de la subvention (923 000 euros) qui devait être octroyée à Troubleyn pour la période 2023-2027. Une décision provisoire, mais qui, si elle était confirmée, mettrait en péril la compagnie. L’ancien ministre de la culture avait déjà exigé qu’elle se dote d’un nouveau comité de direction et d’une charte éthique, ce qui lui avait permis de continuer à percevoir de l’argent public. Selon Me Tritsmans, interrogée vendredi, la condamnation de Jan Fabre pourrait n’avoir « absolument » aucune conséquence sur le travail de l’artiste. « Il espère pouvoir le poursuivre, et rien n’indique que cela ne puisse être le cas », a déclaré l’avocate. Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant) Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma" Légende photo : Jan Fabre, le 29 mars 2016, à Athènes. LOUISA GOULIAMAKI/AFP
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Le spectateur de Belleville
March 19, 2022 10:49 AM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 19 mars 2022 Crédit photo: Jean-Louis Fernandez
La Faculté des rêves, texte de Sara Stridsberg, traduction Jean-Baptiste Coursaud, adaptation et dramaturgie Lucas Samain, mise en scène de Christophe Rauck, scénographie Aurélie Thomas, vidéo Pierre Martin, lumières Olivier Oudiou, son Xavier Jacquot.
Avec Claire Catherine, Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu, Marie-Armelle Deguy, David Houri, Pierre-Henri Puente Le metteur en scène et directeur de Théâtre Nanterre-Amandiers s’est attaché au roman de Sara Stridsberg, La Faculté des rêves, un récit-fiction, un voyage dans l’intimité de Valérie Solanas. Dans une Amérique en pleine guerre du Vietnam, s’impose un monde puritain, conservateur et patriarcal, dans lequel « les hommes les plus progressistes considèrent la femme comme inférieure » – terrain de prédilection – ironie – où se débat et combat la féministe radicale, Valérie Solanas, entre coups de gueule, éclats de révolte, insultes et injures à l’égard des hommes et de leur société. D’abord, dénoncer les expériences ignobles du viol, bien avant #metoo – l’autrice a été victime d’ « abus » paternels – euphémisme – répétés, dès l’âge de 9 ans dans la balancelle du jardin, que sa mère n’a pas voulu « voir ». Elle porte plainte pour les épreuves d’exclusion ou d’oppression, critique convaincue du « patriarcat ». Le corps de la femme est son champ d’expérimentation et les études de la jeune femme en psychologie confortent le développement de sa théorie à propos des gènes et des comportements. Suite à l’agression sur Andy Warhol en 1968, elle a été internée pendant plus d’une dizaine d’années, meurt dans la solitude d’un petit hôtel crasseux des faubourgs mal famés de San Francisco : son corps abandonné sera découvert cinq jours après sa mort, à l’âge de 52 ans. Puisque la mère de Valérie Solanas a brûlé tous ses écrits, subsiste seul l’ouvrage S.C.U.M. Manifesto (Society for Cutting Up Men, c’est-à-dire Société pour la castration des hommes). Et S.C.U.M a marqué d’un scandale en son temps (1968-1971), l’histoire d’un mouvement. L’auteure – junkie et prostituée de l’undergound, est alors en prison pour avoir agressé l’artiste Andy Warhol qu’elle a blessé sérieusement -tentative de meurtre. Elle propose l’assassinat de tous les hommes pour épilogue d’une fiction délirante où les femmes se font les « maîtres du monde ». Lucas Samain a adapté le roman de Sara Stridsberg pour la scène en cinq parties – de 1988 à 1945 puis à 1967,1968 et à 1969 – qui toutes débutent par des scènes du procès de la tentative d’assassinat sur Andy Warhol, des archives, et explorent les relations de l’un à l’autre. La scène passe de l’âge adulte à l’enfance et revient au temps d’une jeunesse à la fois radical et mortifère. La folle période productive des films de La Factory d’Andy Warhol est suggérée, via la scénographie lumineuse et chic qui fait appel non seulement à des images d’archives pour la reconstitution des années 1960/1970, mais aussi à un travail élaboré sur les formes, les lignes et les couleurs – sérigraphie, photo, cinéma, espace urbain, installations vidéo. Sur le plateau de scène, trône un Priva Lite, grand écran vitré composé de cinq vitres qui s’opacifient une par une, ou pas. Ainsi, du texte et des images sont projetés sur les vitres et écrans; un jeu vif s’installe à partir des transparences et les rayons fluo d’un Pop Art renouvelé. L’univers formellement parfait – couleurs, lumières et images – nuit à l’invention de radicalité et d’extrémisme de l’imaginaire de l’héroïne féministe, tel un magazine de luxe de papier glacé que le public feuillèterait, ce qui, certes, sert l’esthétique d’Andy Warhol, mais met à mal la réalité trash d’une figure destroy – look et argumentation odieuse, blessante, provocatrice et insultante. Cécile Garcia-Fogel – belle voix grave et présence contrôlée – semble bien trop clean pour correspondre à l’anti-héroïne et à sa subversion – mépris, détestation du monde et des hommes. Il est par ailleurs lassant d’entendre sur un plateau de scène, comme dans la vie – mais la vie c’est la vie – la vanité crasse des répétitions et récurrences verbales triviales, telles les expressions « de merde », « merdique », « chiatique », « suceur de bite », un ressassement qui réduit le propos. La mise en scène semble prisonnière d’une figure dont l’incarnation théâtrale est hasardeuse. Véronique Hotte Du 17 mars au 8 avril 2022, mardi, mercredi 19h30, jeudi, vendredi 20h30, samedi 18h, dimanche 15h au Théâtre Nanterre-Amandiers 7, avenue Pablo Picasso – Nanterre. Tél: 01 46 14 70 00 nanterre-amandiers.com
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Le spectateur de Belleville
January 24, 2022 6:16 AM
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Par Sandrine Blanchard (Lyon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 22 janvier 2022 La journaliste Giulia Foïs et le metteur en scène et comédien Etienne Gaudillère, lors de la représentation de « Grand Reporterre », le 20 janvier 2022, au Théâtre du Point du Jour, à Lyon. THÉÂTRE DU POINT DU JOUR Le projet confronte les regards d’un metteur en scène et d’une journaliste féministe sur les réactions aux agressions sexuelles dans le secteur culturel.
La « règle du jeu » est simple et affichée à l’attention des spectateurs : un(e) metteur(se) en scène, un(e) journaliste, un sujet d’actualité, une semaine de répétitions. Quand le rideau s’ouvre, jeudi 20 janvier, au Théâtre du Point du Jour, sur les hauteurs de Lyon, le fond de scène est recouvert, en grand format, de publications ayant agité récemment le débat public : s’y côtoient Le Consentement, de Vanessa Springora (Grasset, 2020), la couverture des Inrockuptibles célébrant le retour musical de Bertrand Cantat, des « unes » de Libération telles que « Césars, le grand fossé », mettant face à face les visages de Roman Polanski et d’Adèle Haenel, etc. « Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? », vont alors s’interroger le jeune metteur en scène et comédien Etienne Gaudillère et la journaliste Giulia Foïs, spécialiste des questions féministes, dans une « mise en pièce de l’actualité » sur les violences sexuelles et le mouvement #metoo. « Il s’agit davantage d’une performance que d’un spectacle », expliquent Angélique Clairand et Eric Massé, codirecteurs depuis trois ans du théâtre contemporain du Point du Jour. Soucieux de construire une programmation qui « questionne le réel », ils ont eu l’idée de mêler vision artistique et expertise documentaire, en demandant à des metteurs en scène et à des journalistes de croiser leurs regards et leur temporalité. Le projet a pour nom Grand Reporterre et se développe, depuis janvier 2020, à raison de deux propositions par saison. Soucieux de construire une programmation qui « questionne le réel », les codirecteurs du Point du Jour, ont eu l’idée de mêler vision artistique et expertise documentaire Après s’être penché sur la désobéissance civile, le cyberféminisme, les mouvements de protestation citoyenne non violente et les enjeux des industries énergétiques face aux impératifs de développement durable, ce nouveau Grand Reporterre, cinquième du genre, s’interroge sur la nécessité de séparer l’homme de l’artiste et de son œuvre. Le choix de ce sujet revient à Etienne Gaudillère. Artiste associé au Théâtre du Point du Jour, ce trentenaire a éprouvé le besoin de se questionner sur son positionnement face aux multiples accusations médiatisées de violences faites aux femmes. « Quand les directeurs m’ont proposé de travailler sur un “Grand Reporterre”, quelques jours plus tard Polanski recevait le César du meilleur film pour J’accuse, lors de cette saisissante cérémonie où Adèle Haenel quittait la salle. J’ai réalisé que je ne m’étais pas rendu compte de l’ampleur de l’affaire », explique en introduction Etienne Gaudillère. Puis il interpelle le public : « Qui a vu J’accuse de Polanski ? Qui refuse de le voir ? Qui pense qu’il ne faut rien dire tant que la justice n’a pas fait son travail ? Qui considère qu’il faut séparer l’homme de l’artiste ou l’œuvre de l’homme ? Qui se dit comme moi : je me sens un peu paumé dans toutes ces histoires ? » Militantisme assumé Pour mener à bien cette performance, le metteur en scène a tenu un journal de bord tout au long de ses recherches et des sursauts de l’actualité qui n’ont pas manqué (#metoothéâtre, affaires PPDA et Nicolas Hulot, etc.), et a surtout fait appel à Giulia Foïs. L’animatrice de l’émission « Pas son genre » sur France Inter et autrice de Je suis une sur deux (Flammarion, 2020), essai autobiographique sur le viol qu’elle a subi à l’âge de 20 ans, a tout de suite accepté l’aventure : « Cette exploration théâtrale est une autre manière de sensibiliser le public. » Lire aussi Article réservé à nos abonnés #metoothéâtre : « Prendre la parole représente le risque d’être blacklistée » Sur scène, elle interprète son propre rôle, éclairant avec faits et chiffres les interrogations et les réflexions d’Etienne Gaudillère. Leur échange est entrecoupé de saynètes illustrant les polémiques suscitées par les accusations portées dans le milieu culturel. Deux comédiens, Marion Aeschlimann et Jean-Philippe Salério, s’emparent des tribunes de Catherine Deneuve (« Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », publiée par Le Monde le 9 janvier 2018) et de Virginie Despentes (« Désormais on se lève et on se barre », parue dans Libération le 1er mars 2020), confrontent leurs points de vue – « Tu es comédienne, tu galères un peu, un jour où on te propose un casting pour un grand rôle dans un film de Polanski, tu fais quoi ? » Puis se disputent sur « la zone grise entre désir et consentement », et discutent du sort des œuvres une fois l’artiste accusé : « On garde ou on jette ? » « Là, on mélange tout, réagit Giulia Foïs, il ne faut pas effacer mais expliquer. » Au fur et à mesure de cette « mise en pièce », la neutralité de la question initiale laisse place à des certitudes et à une forme de militantisme assumé. A l’issue de son cheminement, Etienne Gaudillère considère que « le flou n’existe pas ». Reprenant la chanson Basique d’Orelsan, il martèle : « Pourquoi on ne sépare pas l’homme de l’artiste quand l’artiste n’est pas connu ? » ; « Dénoncer le tribunal médiatique dans les médias, c’est n’importe quoi » ; « Dans “présumé innocent”, on n’entend jamais le mot “présumé” » ; « Y a pas plus faux de dire “qui ne dit mot consent” ». C’est, selon lui, « simple, basique ». Et ça clôt le débat. Grand Reporterre. Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?, dimanche 23 janvier au Théâtre du Point du Jour à Lyon et les 13, 14 et 15 avril au Théâtre de Villefranche-sur-Saône (Rhône). Sandrine Blanchard (Lyon, envoyée spéciale)
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December 13, 2021 12:34 PM
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Par Cassandre Leray dans Libération - 13/12/2021 «Libération» a appris lundi que la ville de Rennes a décidé de prononcer une sanction de révocation à l’encontre de V., l’enseignant mis en cause. Elle engendre une radiation des effectifs de la collectivité. Un peu plus d’un an après la parution de notre enquête concernant les agissements de V. (1), professeur de théâtre au conservatoire de Rennes, la ville a décidé de prononcer une sanction de révocation à l’encontre de l’enseignant, a appris, lundi, Libération. Ce type de procédure engendre une radiation des effectifs de la collectivité et plus largement des cadres de la fonction publique. Le 25 septembre 2020, Libération révélait des témoignages sur les agissements de l’enseignant. Dans la foulée, la ville de Rennes avait commandé une nouvelle enquête administrative. Après plus d’une trentaine d’entretiens menés par un enquêteur indépendant, les conclusions dont Libération a pu prendre connaissance sont sans appel. Il y est écrit que V. avait eu un «comportement inadapté, basé sur des violences psychologiques et parfois physiques répétées dans un contexte pédagogique anxiogène» et «une conduite incompatible avec la déontologie propre à ses fonctions, en se substituant aux élèves sur certaines scènes particulièrement dures et sexuellement évocatrices sans solliciter de consentement préalable». V. est donc «radié des cadres de la fonction publique, il perd ainsi et aussi sa qualité d’agent de la ville de Rennes». Saisine de la ville Côté justice, l’enquête classée sans suite en juin 2020 avait été rouverte par le parquet de Rennes, sur saisine de la ville. Mais, en juin dernier, le parquet de Rennes a finalement décidé de ne pas poursuivre l’enseignant. Seul un rappel à la loi lui a été adressé pour les faits «caractérisés de harcèlement s’inscrivant dans le cadre de pratiques pédagogiques inadaptées». Les accusations d’agressions sexuelles, elles, ont été jugées insuffisamment caractérisées. Dans notre enquête, les anciens élèves de la promotion 2018-2019 du cycle d’orientation professionnelle (COP) de théâtre du conservatoire de Rennes affirmaient avoir enduré pendant plusieurs mois des violences physiques et psychologiques de la part de leur professeur. Surtout, l’enseignant était accusé d’avoir agressé sexuellement deux élèves, dont l’une était alors âgée de 16 ans. Agissements que le mis en cause avait fermement contestés auprès de Libération par l’entremise de son avocat. Protéger les élèves Cette décision intervient quelques semaines après la naissance du mouvement #MeTooThéâtre. Le 7 octobre, metteuses en scène, comédiennes ou encore autrices se sont rassemblées pour lancer le hashtag #MeTooThéâtre sur Twitter. Un mouvement lancé par le collectif #MeTooThéâtre, en réaction à la sortie de l’enquête de Libération sur le metteur en scène Michel Didym, accusé d’avoir violé et agressé sexuellement plusieurs comédiennes. Ce sont les mots de Marie Coquille-Chambel, critique de théâtre et doctorante, qui sont d’abord venus briser le silence. Elle accuse un acteur de la Comédie-Française de viol. En moins de vingt-quatre heures, plus de 6 000 témoignages ont déferlé sur le réseau social pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du théâtre. Des faits révélés aussi bien dans les salles des plus grands théâtres que dans les écoles d’art dramatique. Le collectif #MeTooThéâtre le souligne : l’enseignement même de cet art est le point de départ de nombreuses violences. Dans sa première tribune, parue le 13 octobre dans Libération, le collectif appelle notamment à la création d’une charte de déontologie professionnelle signée par les enseignants et responsables pédagogiques afin de protéger les élèves «contre toutes formes de harcèlement, violence, et pour lutter contre une banalisation des relations intimes et sexuelles entre enseignants et élèves». En septembre 2020, dans notre article consacré à l’enseignement du théâtre, Petra Van Brabandt, philosophe et membre du mouvement belge contre le sexisme dans les arts EngagementArts, regrettait la façon dont les apprentis comédiens et comédiennes étaient «habitués à la violence» dès leur entrée au conservatoire de théâtre. Elle le rappelait sans détour : pour secouer ce statu quo, l’engagement des personnes aux postes décisionnaires est indispensable : «Ce n’est pas la responsabilité des élèves, des opprimés, de changer les choses. C’est celle des écoles et des professeurs.» (1) L’initiale du professeur a été changée.
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