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Le spectateur de Belleville
October 14, 2023 4:13 PM
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Par Valentin Pérez dans M le magazine du Monde - 13 oct. 2023 A 28 ans, le jeune pensionnaire de la Comédie-Française vient de décrocher son premier rôle principal dans « L’Opéra de quat’sous », mis en scène par Thomas Ostermeier. Quelques mois après avoir fait sensation au cinéma dans « Je verrai toujours vos visages », de Jeanne Herry.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/10/13/les-coups-de-theatre-du-comedien-birane-ba_6194213_4500055.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2cTqEArFZKDD9jkauts2IWNFJEEmkX5wT4o9IK8GMtZjTnKbBIbLpUko8#Echobox=1697247903
Lorsqu’il a appris qu’il jouerait Macheath, dans L’Opéra de quat’sous (1928), de Bertolt Brecht et Kurt Weill – soit son premier rôle principal sur scène –, Birane Ba n’a pas demandé au metteur en scène allemand Thomas Ostermeier pourquoi il l’avait choisi. Pourtant, ce rôle de malfrat échoit souvent à des quadragénaires à l’air louche, quand lui, à 28 ans, dents du bonheur et regard tendre, a les traits d’un gentil garçon. « Je ne demande jamais : “Pourquoi moi ?”, assure Birane Ba. Mais il peut m’arriver de demander : “Tu es sûr” ? » Le jour de l’audition, face notamment au codirecteur du Festival d’Aix-en-Provence – où la pièce a été créée cet été dans le cadre d’un partenariat avec la Comédie-Française, où elle se donne jusqu’au 5 novembre –, le comédien avait choisi, pour prouver qu’il pouvait chanter juste, Tout fout le camp, d’Edith Piaf. Un an de préparation auprès de maîtres de chant lui a été nécessaire pour façonner le rôle de ce magouilleur et voleur qui cherche à sceller son ascension sociale par un mariage avec une fille bien née. Placer la voix, glisser de la mélodie à la réplique, se couler dans des allures de gentleman… Dans cet emploi tout en dualité, Birane Ba impose son habituelle présence lumineuse dans une variation plus trouble. Des personnages complexes Au printemps, le grand public a pu le découvrir en détenu résilient dans le film à succès Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry, ou à la Comédie-Française, incarnant une gueule d’ange bien élevé et canaille qui convertit toute une famille à la luxure, dans une libre adaptation du Théorème, de Pasolini. Comme si, après quelques années d’initiation, on lui réservait les personnages complexes qui permettent de déployer tout son art… Les critiques des journaux l’ont à l’œil. Ils peuvent se montrer louangeurs, et parfois tranchants, envers Birane Ba, qui quelquefois les lit (« Erreur à ne pas reproduire ! »), autant que leurs collègues reporters adorent raconter sa trajectoire aux allures de success story. Fils d’un ouvrier reconverti en médiateur et d’une femme de ménage, tous deux d’origine sénégalaise, il grandit dans un appartement du quartier de la Poterie, à Vernon (Eure). Six sœurs, un frère, lits superposés, balles au prisonnier et parties de foot entre deux épisodes de la série d’animation Olive et Tom. La première suggestion vient de « madame Salomon » (les noms de ses professeurs sont des phares dans la mémoire de Birane Ba), après la récitation d’une poésie : « Tu devrais t’inscrire au club théâtre. » Deux ans plus tard, encouragé cette fois par « monsieur Morio », il saute le pas et débute par du répertoire contemporain : Théâtre sans animaux, de Jean-Michel Ribes, ou Arnaque, cocaïne et bricolage, de Mohamed Rouabhi. Dix ans plus tard, il se liera d’amitié avec ce dernier en jouant un de ses textes à la MC93, à Bobigny : « Tu imagines ! La première pièce que j’ai jouée de ma vie, c’était la tienne ! » Brille chez Birane Ba cette lueur rare de ceux qui rêvent très grand, flamme qui semble ne jamais faiblir sous la bourrasque. A 14 ans, il assiste, à la Comédie-Française, aiguillé par « monsieur Morio », à une représentation de La Grande Magie, d’Eduardo De Filippo, éloge doux-amer de l’illusion théâtrale. Le bâtiment est orné de bâches. « J’ai cru qu’il s’agissait de portraits de comédiens et j’ai pensé : “Un jour, ce sera moi !” » Il s’en donne les moyens. Propulsé place du Palais-Royal Classe théâtre, conservatoire municipal, régional… En parallèle, il entame un BTS commerce international, plus convenable aux yeux de ses parents. « Je ne leur ai pas dit, mais je ne me suis pas présenté aux épreuves du BTS blanc, relate-t-il. C’était le jour du concours de la classe libre du Cours Florent. Je me suis dit : “Mon rêve parisien de devenir comédien, c’est là et maintenant.” » Et il décroche son sésame, puis entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Avant même son diplôme, Eric Ruf, administrateur général du « Français » depuis 2014, le repère dans un Dom Juan au Théâtre de la Tempête, à Paris. Birane Ba se pince de voir la Comédie-Française se rapprocher, mais rate son audition. « Je n’avais pas le bagage technique », convient-il. Il a fallu un second essai, quelques mois plus tard, des premiers pas en tournée en tant qu’auxiliaire (un statut non renouvelable d’apprenti), avant que, début 2019, Eric Ruf ne lui propose de l’engager comme pensionnaire en lui demandant de prendre le temps de réfléchir. Le jeune homme affecte de lui obéir. « Mais, bon, ma réponse était toute faite… » Propulsé place du Palais-Royal, celui qui payait son loyer en étant vendeur chez Bouygues Telecom ou animateur en centre de loisirs, a dû se familiariser avec les codes de l’institution. Accepter les distributions, adopter l’esprit de troupe tout en se montrant autonome. Ce boxeur raconte s’isoler dans les salles de répétition et « se battre avec le texte, comme dans un combat physique », le déclamant afin d’en mémoriser les répliques, jusqu’à ce qu’elles puissent être prononcées sans effort, façon automate, en faisant la vaisselle ou en filant à scooter. « Ici, il ne faut pas avoir d’acquis, constate-t-il. Se faire à l’idée que l’on est toujours sur le fil, au travail. » Des échappées belles sur grand et petit écran Quand il le peut, Birane Ba s’autorise une échappée dans des séries (Sentinelles, de Jean-Philippe Amar, sur OCS) ou au cinéma, chez Cédric Kahn (La Prière, 2018), Jeanne Herry, donc, et bientôt chez son ami le comédien Anthony Bajon, qui tournera, en 2024, son premier film. « Sur grand écran, le personnage est intrinsèquement lié à ton identité de comédien, tandis qu’au théâtre le personnage est toujours là. Sitôt qu’on l’interprète, il se dit : “Tiens ! on m’appelle, j’arrive.” Puis il repart là-haut, comme un esprit avec sa propre vie. À partir de là, être comédien, pour moi, c’est faire surgir fidèlement un être, sans le trahir et surtout sans l’occulter. Tout acteur qui cabotine est une trahison du personnage. » L’amateur de « rap conscient » (Kery James, Youssoupha, Dinos…), devenu seulement le cinquième comédien noir à être pensionnaire d’un théâtre public fondé en 1680, aimerait maintenant jouer du Victor Hugo, « parce qu’il est lyrique et surtout politique », ou se frotter à du Alfred de Musset. En attendant, après Brecht, on le verra cette saison se prêter à du Feydeau (La Puce à l’oreille), du Molière (Les Fourberies de Scapin), ou du Rostand (Cyrano de Bergerac). « J’apprends à être patient », avoue-t-il, conscient qu’il lui faut canaliser son appétit. Que lui souhaiter, maintenant qu’il a atteint le Graal en entrant dans ce temple qu’il fantasmait adolescent et surnomme désormais « la maison » ? « Un rêve qui se réalise donne l’impression d’être irréel. Sitôt que c’est tangible, voilà, c’est fait, et il faut trouver un nouveau rêve auquel s’accrocher… » Si le prochain objectif n’est pas complètement défini, côté rêves, Birane Ba a de la ressource. L’Opéra de quat’sous, de Brecht, mis en scène par Thomas Ostermeier, jusqu’au 5 novembre. La Puce à l’oreille, de Feydeau, mis en scène par Lilo Baur, jusqu’au 1er janvier 2024. comédie-francaise.fr Valentin Pérez / Le Monde
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Le spectateur de Belleville
May 30, 2023 4:41 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 30 mai 2023 L’acteur interprète deux pièces d’Harold Pinter, « L’Amant » et « La Collection », au Théâtre de l’Atelier, à Paris.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/30/laurent-poitrenaux-un-comedien-passeur-des-textes-contemporains_6175479_3246.html
Cheveu brun coupé court, pupille sombre, chemise blanche sous blouson de cuir noir : les couleurs de l’acteur Laurent Poitrenaux sont invisibles à l’œil nu. Pour les trouver, il faut le faire parler, un exercice qu’il pratique volontiers à la ville comme à la scène. Dans les modulations d’une voix qui se balade entre le métallique et l’onctueux surgit alors l’arc-en-ciel des voyelles dont Rimbaud a si bien révélé les naissances latentes. Depuis qu’il s’est lancé dans le théâtre, Laurent Poitrenaux est devenu le passeur des langues contemporaines. Celle de l’écrivain Olivier Cadiot notamment (mais pas exclusivement). Aujourd’hui, celle du britannique Harold Pinter dont il interprète, sous la direction de Ludovic Lagarde, deux pièces au Théâtre de l’Atelier, à Paris (L’Amant et La Collection). Qu’elles soient poétiques, sinueuses, lyriques ou économes, l’acteur s’empare des écritures sans trembler. La peur qui le taraudait à ses commencements l’a quitté avec la maturité (il vient d’avoir 56 ans). A force d’un travail acharné, il s’est aussi débarrassé du sentiment d’illégitimité qui empoisonne les débutants et des mirages de l’inspiration dont se bercent les illusions. Il n’est pas du genre à soupirer en affirmant d’un rôle : « Je le sens. » Arrimé au rythme des phrases, vissé à leurs points et cramponné à leurs virgules, il fuit les « postures romantiques ». Il se situe « du côté de l’établi, de la bouture, de l’encoche, du faire ». Ce goût du détail, du concret et de l’artisanat éloigne le trac et laisse toute sa place à la jubilation. « Elevé dans la joie » Au fil des spectacles joués (une cinquantaine depuis 1990), ce natif de Vierzon (Cher) s’est glissé dans les proses de Samuel Beckett, Roger Vitrac, Luigi Pirandello, Michel Vinaver, Georg Büchner, Anton Tchekhov, Shakespeare, Molière, Racine, Jean-Luc Lagarce, Witold Gombrowicz, Yannick Haenel, Pascal Rambert, Bernard-Marie Koltès. « Ce qui m’excite, c’est de faire sonner les mots », explique le comédien en confessant sa dette : « Ces dramaturges m’ont rendu plus intelligent que je ne le suis. » Il a noué avec eux une liaison amoureuse qui l’occupe à plein temps, au point de vampiriser son cerveau même lorsqu’il fait silence : « Lorsque je marche dans les rues, je suis toujours en train de me redire mes textes dans ma tête, à toute vitesse. C’est ce qu’on appelle faire des italiennes. » Cette méthode n’a rien d’étonnant lorsqu’on songe au titre quasi programmatique de sa première apparition professionnelle. En 1990, il joue dans Pathologie verbale III. L’ordre du discours, une mise en scène de Thierry Bédard, comparse rencontré sur les bancs de Théâtre en actes, une école fondée par Lucien Marchal, dans le 11e arrondissement de Paris. C’est là que Laurent Poitrenaux fait ses classes : « J’ai été refusé aux écoles nationales. Un peu vexé mais pas traumatisé, j’ai dû passer par ailleurs pour apprendre le métier. » Recalé deux fois au Conservatoire national supérieur d’art dramatique et à l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, il ne renonce pas pour autant à son rêve : « Je voulais grandir avec des gens, rencontrer une tribu. Je n’avais aucune appétence pour la figure de l’acteur solitaire. » Son père est chansonnier à ses heures perdues. Sa mère adore l’opérette. Deux passions musicales qui enjolivent le quotidien. S’épanouir dans une famille heureuse est un passeport fiable pour l’avenir : « J’ai eu la chance d’être élevé dans la joie et tellement aimé que j’ai pu supporter les pires situations en étant protégé par cette bulle originelle. » Alors qu’il est adolescent, sa sœur aînée lui offre un séjour au Festival d’Avignon. Il n’en faut pas plus pour provoquer le destin. « J’ai découvert là-bas Le Mahabharata, de Peter Brook, les créations d’Antoine Vitez, Tadeusz Kantor, Merce Cunningham ou Patrice Chéreau. Je me prenais baffe sur baffe. Je ne comprenais pas tout, mais je suis reparti avec une certitude : c’est vers cela que je voulais tendre. J’ai été comblé au-delà de mes espérances. » Demandé et redemandé Voilà trente-trois ans qu’il enchaîne les représentations en évitant les traversées du désert. Laurent Poitrenaux est un acteur demandé et redemandé par les metteurs en scène. Fidèles d’entre les fidèles, Arthur Nauzyciel et Ludovic Lagarde, qui ont démarré avec lui leurs aventures artistiques. Le premier en le distribuant dans Le Malade imaginaire, de Molière (un spectacle qu’ils viennent de reprendre vingt-quatre ans après sa création et qu’ils joueront la saison prochaine au Théâtre Nanterre-Amandiers). Le second en le dirigeant, dès 1991, dans Trois dramaticules, de Beckett, prélude d’une collaboration au long cours à laquelle se greffera la plume d’Olivier Cadiot. En 1999, Le Colonel des zouaves propulse face au public la force pérenne d’une hydre à trois têtes associant l’acteur, l’auteur et le metteur en scène : Lagarde équipe Poitrenaux de micros. La voix démultipliée par des effets sonores, le comédien dévide la parole de Robinson, héros imaginatif d’un récit vagabond. Il impressionne dans ce monologue. Immobile, il se plie aux consignes de la chorégraphe Odile Duboc. Elle lui montre comment « raffiner » ses gestes, économiser ses mouvements, substituer aux gesticulations le haussement d’un sourcil. Lui qui redoutait, l’âge venant, de manquer d’énergie découvre que son corps est un médium expressif qui « n’a pas besoin d’être jeté sur scène pour se faire entendre. » Aujourd’hui, il peut bien l’avouer : « Il y a eu un avant et un après Le Colonel des zouaves. » Cet après est sur le point de devenir un plus jamais. A la manière d’un danseur qui transmet son rôle à plus jeune que lui, il tourne la page du passé. Il confie le personnage de Robinson à Guillaume Costanza, un jeune comédien. Depuis six ans, Laurent Poitrenaux est responsable pédagogique de l’école du Théâtre national de Bretagne aux côtés du directeur Arthur Nauzyciel. Lorsqu’il s’assoit dans le train pour se rendre de Paris à Rennes, il profite des deux heures de trajet pour se replonger dans une de ces « italiennes » qui musclent sa mémoire. « Parfois, je me demande ce que j’aurais fait de tout ce temps passé à dire et à redire des textes si je n’avais pas été comédien ! », s’exclame-t-il soudain. Le trouble le gagne. Comment pourrait-il en être autrement ? II est pour de bon immergé dans les vertiges d’Harold Pinter, ce maître absolu des réalités réversibles qui font passer pour vrai ce qui est faux, et pour faux ce qui est vrai. L’Amant, d’Harold Pinter. Mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux. La Collection, d’Harold Pinter. Mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux. Théâtre de l’Atelier, Paris 18e. Jusqu’au 25 juin. De 21 € à 41 €. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : Laurent Poitrenaux au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, le 10 octobre 2020. LOUISE QUIGNON
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May 9, 2023 6:46 AM
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par Marlène Thomas dans Libération publié le 9 mai 2023 Dans une lettre à «Télérama», l’ancienne comédienne connue pour ses engagements féministes, sociaux, antiracistes et écolos assume et donne du sens à sa rupture avec le 7e art. Adèle Haenel se lève et se casse du cinéma français. Dans une lettre à Télérama, l’ancienne comédienne explique l’arrêt de sa carrière d’actrice : «J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est.» Depuis son départ fracassant des César en 2020 en réaction au sacre de Roman Polanski - visé par plusieurs accusations de viols, sa mue devenait de plus en plus visible. Militante active du Réseau pour la grève générale, présence sur des piquets de grève comme celui de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher en Normandie, soutien aux meetings d’étudiantes, alliée du Comité Adama, immanquable des mobilisations féministes et queers… l’ancienne comédienne de 34 ans est devenue l’un des visages de la lutte intersectionnelle. Un virage amorcé dès novembre 2019 lorsqu’elle a accusé dans une enquête de Mediapart et dans une émission ayant fait date, le réalisateur Christophe Ruggia de l’avoir agressé sexuellement et harcelé sexuellement de ses 12 à ses 15 ans. Adèle Haenel avait choisi sciemment la voie médiatique plutôt que judiciaire. «La justice nous ignore, on ignore la justice», assénait-elle. «Je vous annule de mon monde» Le courrier de l’actrice de Portrait de la jeune fille en feu ou 120 battements par minute à Télérama n’est pas spontané. Il s’agit d’une réponse à une enquête que l’hebdomadaire publie aussi ce lundi. Celle-ci retrace «l’itinéraire d’une artiste en lutte», de cette femme issue d’une famille de classe moyenne politisée ne pouvant plus se contenter d’engagements symboliques, d’un soutien parallèle comme d’autres actrices politisées telles que Delphine Seyrig (connue pour sa lutte pour le droit à l’avortement au sein du MLAC) ou Simone Signoret avaient pu le faire avant elle. Elle veut agir, en être pleinement, se retrouver surtout en accord avec elle-même et avec son cheminement intellectuel engagé depuis plusieurs années. «Face au monopole de la parole et des finances de la bourgeoisie, je n’ai pas d’autres armes que mon corps et mon intégrité. De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde», écrit-elle dans sa lettre. Son ancienne agente Elizabeth Simpson déplore auprès de Télérama qu’après son témoignage à Mediapart «on ne lui a plus proposé que des rôles de femmes abusées, des histoires d’inceste ou des films où elle servait de caution». Adèle Haenel a aussi lâché l’un des derniers rôles qu’elle avait accepté pour L’Empire de Bruno Dumont parce qu’elle jugeait son contenu «sexiste et raciste», souligne l’hebdomadaire. Cette rupture avec le cinéma ne l’éloigne pas totalement des pratiques artistiques, puisque Adèle Haenel explore désormais les champs chorégraphique et théâtral, indique l’hebdo. A l’heure où les enquêtes se multiplient dans les médias pour dénoncer les violences sexuelles et l’omerta du milieu du cinéma (Sofiane Bennacer, Gérard Depardieu…), cette prise de position puissante fera, sans nul doute, une nouvelle fois du bruit. Légende photo : Adèle Haenel, en mai 2022. (Anna Margueritat/Hans Lucas. AFP)
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April 19, 2023 6:29 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 18/04/23 L’acteur, discret et militant de son art, brille sur la scène de l’Odéon dans «Othello». Les cinéastes, les directeurs de casting, les producteurs, les femmes et les hommes politiques, Brigitte et Emmanuel Macron, pléthore d’intellectuels pourtant avertis sont des gens (peu) curieux. Jusqu’à présent, Nicolas Bouchaud, star du théâtre public, n’est jamais entré dans leur champ de vision. Comment font-ils ? Comment font-ils pour ne pas tomber même par hasard sur cette (grande) personne, cheveux en général en bataille, yeux bruns, nez cassé par un ballon de foot, visage avenant et souriant malgré les doutes qui l’assaillent, toujours un ou deux livres dans sa poche dont ces temps-ci le surprenant Traces de l’historien Ernst Bloch, et une capacité beaucoup plus élevée que ses congénères pour établir une relation avec quiconque ? Nicolas Bouchaud n’est pourtant pas invisible. Pour autant qu’on pousse la porte d’un théâtre, aujourd’hui celles de l’Odéon où il fait merveille dans Othello en Iago, on ne voit que lui. Non qu’il éclipserait ses partenaires, ferait son show de son côté, mais plutôt au contraire par sa manière de faire groupe, de lancer la balle, d’établir un lien au présent, ininterrompu, et imprévisible avec la salle, et tout ce qui la traverse. A sa manière, Nicolas Bouchaud est un surfeur. La vague, c’est nous. C’est d’ailleurs à peu près ce qu’il nous dit, chez lui, dans le salon qui surplombe Paris, sans vis-à-vis aucun, ce jour de grève et manif. L’espace théâtral est perméable à tous les soubresauts extérieurs, «tous les mouvements de la société». Il rêve d’ailleurs d’inventer tous les soirs un journal sur un plateau pendant un mois. Ce qui provoque son adrénaline n’est pas le plaisir de la répétition, ni même celui «d’échouer mieux, d’échouer encore» comme aurait dit Beckett, mais cette coïncidence entre lui et le public, qu’il n’arrive jamais à anticiper et qui lui permet de vivre au présent ce qui sinon s’apparenterait à une redite. Il ajoute : «Je peux être fatigué de plein d’aspects du métier mais cette appétence du moment de la rencontre ne se dément jamais.» Avec Mathieu Amalric, Nicolas Bouchaud fait partie de cette minuscule confrérie d’acteurs qui n’auraient jamais songé l’être. Il se voyait exercer une fonction «à l’ombre», sans doute metteur en scène, et n’avait «pas du tout envie d’être regardé». N’éprouvait aucun désir de notoriété, assure-t-il. Sans doute peut-on le croire, puisque, vous qui jetez un œil sur cette page mais n’allez jamais au théâtre, vous constatez que, comme les cinéastes, les producteurs, les directeurs de casting, les hommes politiques, le président la République, son épouse, le pape, vous êtes passé à côté de cet «im-mense acteur», comme on le surnomme pour blaguer dans les couloirs de l’Odéon. Courts-circuits Nicolas Bouchaud n’a jamais travaillé ailleurs que dans le théâtre public – et il n’est pas croisable sur Insta, mais au café, oui, peut-être. Il constate : «Je vis un paradoxe. A Paris, en province, dans un village, que ce soit lors d’une première à l’Odéon ou dans une petite salle en périphérie de la périphérie, je n’ai pas le sentiment que le théâtre n’intéresse plus les gens ou qu’ils le désertent. On a déjà tourné beaucoup Othello, et la reconnaissance du public est immédiate.» En revanche, il remarque une désaffection des politiques à l’égard du théâtre «vivant». «On pourrait ne pas exister, ça ne changerait rien pour eux. On est dans une tout autre époque que celle de Jeanne Laurent, Malraux, Mitterrand, Lang. L’idée d’une culture subventionnée devient une anomalie pour le capitalisme et l’industrie culturelle !» Petit silence. «Et ça, c’est marrant !» On ne s’attendait pas à cette chute. Nicolas Bouchaud s’interrompt comme quelqu’un qui découvre des crabes sous un rocher. Il aime se pencher sur des problèmes insolubles, qu’ils soient engendrés par les textes qu’il interprète, ou par l’étrangeté des situations. «On a l’impression d’être dans une forme totalement archaïque de résistance. Je me demande toujours si les partis politiques qui arrivent au pouvoir ont une petite idée d’à quoi sert de subventionner la culture. Comme ils n’en savent rien, ils deviennent mécènes de choses dont ils n’éprouvent pas l’utilité, et donc, dont ils ne savent ni ne peuvent en parler.» L’heure tourne. Ses «fluctuations internes» se focalisent sur la représentation du soir qui sera peut-être annulée. Ou pas. L’impossibilité de se déterminer crée des courts-circuits. Il s’éprouve pétri de contradictions. Bien sûr qu’il souhaite que la représentation ait lieu. Et bien sûr qu’il est solidaire des grévistes et comprendrait sa suppression. Il vient d’aller à trois manifs de suite, dont la dernière avec «les petites», les deux filles de sa compagne, Marie Vialle, elle aussi comédienne et metteure en scène. Elle était Elvire, lui Dom Juan, ils se sont rencontrés en jouant dans le spectacle de Jean-François Sivadier en 2016. A propos des deux filles : «J’aime bien regarder le monde à travers leurs yeux. Me montrer un peu stratégique pour leur faire découvrir des activités. Ça ne marche pas toujours.» «Le jeu est devenu invisible» Nicolas Bouchaud est un acteur de troupe. Ce qui l’a poussé jeune homme dans une salle de répétition, puis sur un plateau, est le groupe, les amitiés qui se tissent et se solidifient lorsqu’on vit pour un même projet qui ricoche sur un autre et ainsi de suite. Ainsi travaille-t-il depuis toujours avec Véronique Timsit, rencontrée quand ils étaient étudiants – «sur les banquettes du café Wepler», écrit-elle dans une belle préface à un recueil de textes autobiographiques qu’il a écrit – et depuis un quart de siècle avec Jean-François Sivadier. De même, ces projets plus personnels – de la Loi du marcheur d’après des entretiens avec Serge Daney en 2010 au Un vivant qui passe adapté du film de Lanzmann – sont toujours montés avec les mêmes complices. Le secret de cette fidélité ? Véronique Timsit : «Nicolas s’interroge sur lui-même donc il se renouvelle et on ne cesse pas d’avoir envie de travailler avec lui. Il a cette qualité rare de toujours penser le contexte dans lequel on crée un spectacle. Aujourd’hui, il maîtrise son jeu au point de le rendre presque imperceptible. Il ne fait que jouer mais le jeu est devenu invisible.» On avait prévenu l’acteur qu’on s’éloignerait de la maison théâtre. On s’aperçoit que c’est impossible. Non seulement il rencontre amis et amours sur les scènes, mais son enfance s’est également déroulée parmi le brouhaha des plateaux. Sa mère, Danielle Girard est actrice, son père, Jean Bouchaud est scénariste, metteur en scène, auteur et acteur. Tous deux participent à la grande aventure de la décentralisation, notamment à Caen. Adolescent, il découvre ses parents dans un théâtre aujourd’hui disparu : la Cour des miracles, avenue du Maine, où officiait Jean-Michel Ribes. «J’étais très troublé que ma mère n’ait pas la même voix qu’à la maison.» 1966 Naissance à Antony. 1992 Des cercueils de zinc d’après Svetlana Alexievitch. 2002 La Vie de Galilée. 2010 La Loi du marcheur d’après Serge Daney. 2021 Sauver le moment chez Actes Sud. 2023 Othello à l’Odéon mis en scène de Jean-François Sivadier. Légende photo Nicolas Bouchaud au Théâtre de l'Odéon le 17 Mars 2023. (Roberto Frankenberg/Libération)
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April 11, 2023 5:49 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 11 avril 2023 L’acteur, âgé de 24 ans, impressionne dans le rôle muet qu’il joue dans la pièce « Kliniken », de Lars Noren, mise en scène par Julie Duclos. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/04/11/maxime-thebault-un-comedien-au-puissant-magnetisme_6169117_3246.html
Comment expliquer le charme qu’exerce un acteur ? Pourquoi impose-t-il sa présence au risque d’estomper celle de ses partenaires ? Est-ce à la précision de sa profération qu’il doit d’être remarqué plus que ses camarades ? A son physique, son expressivité, sa créativité ? Il y a mille raisons de s’attacher à un comédien ; de guetter ses apparitions quand, grâce à lui, quelque chose se passe, qui sort de l’ordinaire. Maxime Thébault a ce talent, sans doute même ce don. A peine surgit-il que la question ne se pose plus : il est à sa place au théâtre. Il est chez lui sur scène. Cette certitude est d’autant plus troublante qu’elle se fonde sur un silence. Celui de Marcus, héros de Kliniken, une pièce de l’auteur suédois Lars Noren (1944-2021) qui raconte le quotidien de patients enfermés dans un asile psychiatrique. A son aise dans la peau de Marcus, le comédien traverse la représentation sans faire le moindre bruit. Il erre d’une salle blanchâtre à un hall d’accueil blafard : le décor du spectacle est d’un tel réalisme que, s’il tourne le dos au public, Maxime Thébault oublie la fiction au point de se croire cerné par de vrais murs d’hôpital. Membre d’une communauté émouvante réunissant soignants et patients qui parlent, hurlent et parfois même donnent des coups, lui se tait. Il n’a pour exister que l’éloquence de son corps et le tourment de son visage. Mais ce visage est un paysage qui fascine et inquiète. Et ce corps une silhouette obsédante qu’on ne quitte pas des yeux. Créée à Rennes en 2021, cette mise en scène saisissante de Julie Duclos est reprise actuellement au Théâtre des Gémeaux, à Sceaux (Hauts-de-Seine). Formé à l’école du Théâtre national de Bretagne (TNB) de 2018 à 2021, Maxime Thébault, 24 ans, a joué neuf spectacles à ce jour, presque tous accomplis dans le cadre de son cursus. Ancien élève de la promotion 10, il a expérimenté une méthode novatrice élaborée par les directeurs pédagogiques, Arthur Nauzyciel (patron du TNB) et le comédien Laurent Poitrenaux. Le saut dans le vide a démarré dès le concours d’entrée. Il a fallu remplir un dossier, activer l’imaginaire et se livrer à l’introspection. « J’ai eu la sensation que, pour la première fois, on me posait de vraies questions sur qui j’étais. Il était possible de se donner à voir au-delà d’une rédaction sur un bout de papier. » La perche était belle, il s’en est emparé, étoffant ses réponses d’enjeux qui excédaient le cadre officiel : « Je voulais lire un poème de Paul Verlaine. Je savais que, si je le faisais, alors j’enclencherais une sorte de nouveau départ de ma vie. » Apprentissage intensif La vie nouvelle a démarré. L’ancien étudiant en lycée horticole a troqué son BTS de commerce pour une carrière de saltimbanque. Jusqu’en 2018, il ignorait pourtant tout du théâtre. « Je ne lisais que des bandes dessinées, et mes parents mettaient plus d’argent dans le sport que dans la culture. » On ne le dira jamais assez : l’éducation artistique en milieu scolaire est capable de changer le cours d’un destin. La preuve : c’est en participant à un atelier mené par un artiste de Saint-Brieuc, Hubert Lenoir, et en jouant sous sa direction dans Fanny et Marius, d’après Pagnol, que le lycéen a découvert l’ivresse des planches. « Près de trois cents personnes nous scrutaient. La pression était énorme. J’en aurais presque vomi de peur. Mais mes amis m’ont incité à aller plus loin. » Campé à l’écoute de son imaginaire, il s’en remet à son corps pour écrire dans l’espace ce qu’il est en dedans. Le geste est son alphabet, les mouvements sont sa grammaire A Rennes, il s’est plongé dans les affres d’un apprentissage intensif. Il a lu Marivaux, Claudel, Racine. Travaillé les textes d’arrache-pied, apprivoisé la prosodie classique, fait l’expérience du collectif. Il a beaucoup écouté et beaucoup regardé. Parmi ses formateurs, les metteurs en scène Jean-François Auguste et Madeleine Louarn, qui le dirigent en 2020 dans Opérette, du Polonais Witold Gombrowicz. Le spectacle associe élèves du TNB et comédiens en situation de handicap mental de l’atelier Catalyse. Une hybridation fructueuse qui floute les frontières entre vérité de l’être et artifice de l’interprète. La grâce, la fragilité, l’instabilité de Marcus sont-elles nées dans les plis d’Opérette ? L’acteur a su saisir de quoi construire son personnage : « On ne sait jamais comment, ni même si les comédiens de Catalyse vont dire leur texte. Cela met forcément dans un endroit de tension et d’improvisation. Face à eux, pas le choix, il faut être présent à chaque seconde. » Etre présent suppose d’être disponible à ce qui peut arriver chez l’autre mais également en soi, là où l’inconscient n’a aucun besoin de l’articulation sujet-verbe-complément pour se faire comprendre. Raison pour laquelle Maxime Thébault ne ressent pas de frustration lorsqu’il est privé de texte sur le plateau. Répétant le rôle de Marcus, il s’est prêté à l’exercice conçu par Julie Duclos. Il a inventé de toutes pièces une existence à son héros. L’a nourrie à sa sauce, avec de l’amour, des ruptures, des bonheurs, des traumatismes, une famille, des amis, une enfance. Mais il a gardé pour lui ce monologue intérieur. Ce récit sans parole lui sert de colonne vertébrale. Campé à l’écoute de son imaginaire, il s’en remet à son corps pour écrire dans l’espace ce qu’il est en dedans. Le geste est son alphabet, les mouvements sont sa grammaire. Ce processus de construction lui va comme un gant : « Le travail corporel brûle en moi à un endroit plus intime que le théâtre. » Il ne veut s’enfermer dans aucune discipline. Il a l’âge des possibles et des commencements. Hier dirigé par Pascal Rambert (Dreamers), Mohamed El Khatib (Mes parents), Phia Ménard (Fiction Friction), il ignore de quoi demain sera fait. Pour l’heure, il est Marcus, ce « moi imaginaire » qui, en faisant silence dans l’obscurité du théâtre, lui permet, dans la vie, de s’exprimer à haute voix. Kliniken, mise en scène de Julie Duclos. Les Gémeaux, Sceaux (Hauts-de-Seine). Du 12 au 15 avril. De 18 € à 28 €. Les 11 et 12 mai à la Comédie, Reims (Marne). De 6 € à 23 €. Joëlle Gayot Légende photo : Maxime Thébault, à Rennes, en juin 2021. LOUISE QUIGNON
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Le spectateur de Belleville
March 9, 2023 4:40 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde 9/03/23 L’actrice, musicienne et chanteuse, à l’affiche au cinéma de « La Grande Magie » et au théâtre de « Mélisande », bouleverse dans des rôles qui traversent sa propre sensibilité. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/09/judith-chemla-la-vie-et-l-art-emmeles_6164726_3246.html Avis à ceux qui voudraient l’enfermer dans une cage, dans une case, dans un coffret bien scellé, dans un rôle prédéterminé : Judith Chemla s’en échappera toujours. S’échapper, c’est ce que la comédienne, musicienne et chanteuse a fait, pour fuir les violences conjugales infligées par son ex-compagnon, l’acteur et réalisateur Yohan Manca, condamné à huit mois de prison avec sursis en mai 2022. Le 6 juillet de cette même année, elle a pris la parole, sur France Inter, pour raconter ce qu’elle avait subi, et enjoindre aux femmes de ne jamais retirer leurs plaintes face à des hommes violents. Dans un système médiatique comme le nôtre, et dans un temps où l’omerta se craquelle enfin sur ces questions, cette prise de parole lui a valu une célébrité sans commune mesure avec celle qu’elle avait acquise grâce à ses talents d’actrice et de chanteuse lyrique, pourtant reconnus depuis ses débuts. Aujourd’hui, on les retrouve éclatant avec bonheur, aussi bien dans La Grande Magie, le film de Noémie Lvovsky (sorti le 8 février), que dans Mélisande, le spectacle musical que le metteur en scène Richard Brunel et le directeur musical Florent Hubert adaptent de l’opéra de Debussy (à voir au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, à partir du 9 mars). Judith Chemla sera aussi dans Un hiver en été, le nouveau film de Laetitia Masson, qui sort le 22 mars. De tout cela, l’art et la vie, qui pour elle sont toujours allés ensemble et se sont renvoyé de troublants échos, de ses rôles d’actrice libre comme un oiseau et du fait de s’être fait mettre en cage par l’homme qui prétendait l’aimer, elle parle avec une passion et une force qui contrastent avec son allure de brindille diaphane. La vie et l’art se sont mêlés d’emblée chez elle, née en 1983, qui est fille et petite-fille de violonistes, et à qui son père et son grand-père ont transmis « leur amour et leur émotion inaltérables face à la musique et à la beauté ». Une artiste à part entière Judith Chemla a fait des années de piano et de violon, avant de découvrir le théâtre au collège et de ne plus le quitter, conquise d’emblée par sa capacité à « créer un trou au milieu du réel, un espace pour se rêver, se réinventer et questionner le monde ». A 15 ans, elle a suivi un stage au Théâtre du Soleil, admirant sans relâche la capacité des acteurs d’Ariane Mnouchkine à « improviser, chercher, inventer, construire, dans un mélange de liberté, de drôlerie et de travail acharné. C’était exactement ce à quoi j’aspirais, précise-t-elle : être un vrai acteur-créateur, comme Mnouchkine sait les déployer ». Parallèlement elle a toujours chanté, et elle s’est construite, entre les cours de chant lyrique et sa formation au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, avec cette idée qu’une actrice ou une chanteuse est une artiste à part entière, et pas seulement une interprète. Et elle a marqué d’emblée les premiers rôles qu’elle a joués à la Comédie-Française du sceau de sa grâce et de son originalité, que ce soit dans L’Illusion comique, de Corneille, ou, déjà, dans La Grande Magie, d’Eduardo De Filippo, la pièce qui a servi de canevas à Noémie Lvovsky pour son film. Mais, là aussi, Judith Chemla s’est échappée, quittant la Maison de Molière très vite, au bout de quelques mois, en 2009. Elle voulait vivre quelque chose de moins prévisible, de plus fou, de plus créatif, et c’est venu d’abord avec Tue-Tête, en 2010, un spectacle foutraque et bohème qu’elle avait écrit, et créé avec son compagnon d’alors, James Thierrée, inventeur d’un théâtre-cirque unique en son genre. Puis il y a eu Le Crocodile trompeur, variation déjantée et jazzy sur Didon et Enée, de Purcell, signée par Samuel Achache et Jeanne Candel, en 2013. « Un travail de dépouillement » Le spectacle a fait date, dans la recherche alors naissante d’une forme de théâtre musical plus légère, vivante et joyeusement indisciplinaire que l’opéra traditionnel. Judith Chemla y était merveilleuse, aussi bien en tant qu’actrice qu’en tant que chanteuse, et elle s’est inscrite, comme elle le rêvait depuis toujours, comme un élément-clé de cette nouvelle vague du théâtre musical. Après Le Crocodile, il y a eu Traviata, vous méritez un avenir meilleur, magnifique relecture de l’opéra de Verdi par Benjamin Lazar et Florent Hubert, en 2016, dans laquelle elle incarnait Violetta. Lire aussi : Judith Chemla extravagante, gracieuse, libre et bohème « Je ne rejette pas l’opéra traditionnel, qui peut être extraordinaire. Mais je dirais que ce qui lui manque, c’est justement le manque, s’amuse Judith Chemla. L’opéra est une grosse machine, on y attend tellement des chanteurs, ils sont tellement jugés, les spectateurs paient tellement cher pour préserver leurs traditions que les chanteurs se blindent pour être dans des postures de maîtrise totale, qui ne favorisent pas le lâcher-prise. Tout le travail que nous avons fait dans cette constellation, tout ce vers quoi j’ai eu envie d’aller, c’est de trouver le point de jonction entre la pure présence, la pure vérité de l’acteur-chanteur, débarrassé de toute posture préalable qui ferait écran, et l’émotion d’une œuvre écrite par un compositeur habité, transcendé par ses sentiments. C’est un travail de dépouillement, de mise à nu. » Cette recherche de transparence, d’accueil pour laisser une œuvre traverser sa propre sensibilité, Judith Chemla l’a menée également sur les rôles qu’elle a joués dans le théâtre de texte, qu’il s’agisse de celui de Nicole Burnell dans De beaux lendemains, de Russell Banks, mis en scène par Emmanuel Meirieu (2011), ou de Violaine dans L’Annonce faite à Marie, de Claudel, vue par Yves Beaunesne (2014). Mise bout à bout, cette collection de rôles la trouble, quant aux échos qu’ils renvoient à sa vie personnelle. « Personnages sacrificiels » « De Didon à Mélisande en passant par Violetta et Violaine, ce sont des personnages sacrificiels, constate-t-elle. Des personnages entiers, qui ne font aucune économie d’eux-mêmes, qui se livrent absolument à la tragédie de leur monde, de leur condition de femme. C’est intéressant, et très questionnant pour moi, bien sûr. D’autant plus que le théâtre est pour moi un acte sacré, et l’engagement sur scène quelque chose de vital : je ne viens pas faire mon job, je monte sur scène si je sens que ça résonne en moi d’une façon encore mystérieuse mais que je veux comprendre. C’est très étrange, d’ailleurs, mais les rôles que j’ai endossés m’ont renseignée sur ce que j’allais traverser dans ma vie personnelle : c’était presque comme des oracles, des prémonitions… » Judith Chemla reste rêveuse un moment, dans sa cuisine qu’éclaire un beau soleil de fin d’hiver. « C’est comme si j’avais vécu par avance des catharsis de ce qui allait m’arriver plus tard, poursuit-elle. C’est impressionnant, tout de même, à quel point les femmes peuvent mettre leur vie en jeu dans l’amour, et à quel point les héroïnes qui abandonnent tout pouvoir et se donnent à un homme sont glorifiées, mythifiées. » « Judith a un petit côté mystique de l’art et de l’amour », dit d’elle son amie, l’actrice et cinéaste Noémie Lvovsky, qui, elle, ne lui a écrit, de film en film, que des rôles d’émancipation. Notamment dans cette Grande Magie qui voit son héroïne, Martha, profiter d’un spectacle d’illusion pour s’éclipser et fuir un mari jaloux et castrateur. Ce « petit côté mystique » a-t-il joué à Judith Chemla des tours qui, pour le coup, n’ont rien de magique ? « Pouvoir d’illusion » « Avant que la violence d’un homme ne soit visible sur mon visage, je n’arrivais pas à avoir conscience de l’emprise de cette violence sur nos sociétés, et de la nécessité de s’ériger contre ce fléau », analyse la comédienne, qui est depuis très engagée sur ces questions, ainsi que sur celles du féminicide et de l’inceste. Elle dénonce « un système d’impunité dont bénéficient la plupart des agresseurs, détournant la présomption d’innocence en présomption de culpabilité pour des victimes présumées menteuses ». « Comme beaucoup de femmes, je n’ai pas eu conscience, pendant longtemps, de subir des comportements intolérables, précise-t-elle. Les maltraitances, je les minimisais, comme les agresseurs vous apprennent à le faire, en vous faisant croire que ce n’est pas si grave. Jusqu’à ce que cette violence se voie en plein milieu de ma figure, et que je me dise que je ne pouvais plus me regarder en face sans me mentir. Les comportements des agresseurs, l’emprise, la culpabilisation, sont maintenant bien repérés. Et pourtant nous continuons à avoir le plus grand mal à admettre que nous en sommes victimes. » Aujourd’hui, elle joue et chante Mélisande. L’héroïne imaginée par l’auteur symboliste belge Maurice Maeterlinck la poursuit depuis longtemps. Le rôle lui avait été proposé, déjà, par la comédienne et metteuse en scène Julie Duclos dans une version purement théâtrale, et elle l’a incarné dans l’œuvre de Debussy, en 2022, à l’Opéra de Montpellier. Avec ce nouveau projet, elle se glisse dans sa peau en étant portée par une version resserrée autour de son héroïne féminine – d’où son titre, qui a laissé de côté Pelléas. Encore un rôle de victime, serait-on tentée de dire. Mais Judith Chemla la voit un peu autrement. « Ce n’est pas une figure sacrificielle de plus, plaide-t-elle. Certes Mélisande se retrouve enfermée dans un royaume d’hommes nécrosés, prisonnière d’une conjugalité qu’elle n’a pas vraiment désirée et qui l’opprime, mais elle fait un choix, en décidant de vivre envers et contre tout son amour pour Pelléas. Il y a en elle quelque chose qui échappe, dont les hommes ne peuvent s’emparer, qui est sa magie, son humour, sa poésie. C’est une femme qui ne veut pas plier, même si elle ne peut s’évader que dans la mort. » Dans La Grande Magie, Martha, elle, se volatilise dans une vie que l’on devine d’autant plus exubérante qu’elle a auparavant été cadenassée par son mari. « Et cette échappée, souligne Judith Chemla, un sourire lumineux aux lèvres, advient grâce au théâtre, à sa magie, à son pouvoir d’illusion. Comment mieux dire les pouvoirs de la fiction et de l’imagination, ce qu’elles ouvrent comme perspectives dans nos vies ? Nous sommes quand même les créateurs de notre destin, si on veut bien le prendre en main », conclut-elle. Avant d’ajouter dans un souffle : « Même si souvent, pour cela, il faut travailler sans relâche. » Fabienne Darge / Le Monde Mélisande, d’après l’opéra « Pelléas et Mélisande », de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy. Direction musicale : Florent Hubert. Mise en scène et agencement du livret : Richard Brunel. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, du 9 au 19 mars. Légende photo : Judith Chemla, chez elle à Paris, le 1er mars 2023. AUDOIN DESFORGES/PASCO POUR « LE MONDE »
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Le spectateur de Belleville
February 26, 2023 4:51 PM
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" Par Laurent Carpentier dans Le Monde 25/11/22 La comédienne de 43 ans prête sa voix aux mots de Vanessa Springora au théâtre. Dans les locaux de l’école de cinéma Kourtrajmé, à Montfermeil, où elle dirige la section acteurs, elle trinque à la bière et à la diversité.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/11/25/un-apero-avec-ludivine-sagnier-weinstein-m-a-invitee-au-ritz-mais-je-n-avais-d-yeux-que-pour-le-buffet_6151654_4497916.html
Montfermeil, entre chien et loup. Une pluie d’hiver enveloppe ce plateau de l’Est parisien et ses immeubles battus par les vents. Après les émeutes de 2005, l’Etat a massivement investi ici, dans ce territoire de Seine-Saint-Denis. Ludivine Sagnier ouvre la porte du petit hangar moderne où elle a donné rendez-vous. Une table, quelques chaises pliantes, noix de cajou, tomates cerises, un pack de bières ; sur le frigo, des stickers (« Essonne Antifas ») ; et, dans le four de la cuisinière, quelques brochettes au fromage qu’elle a mises à chauffer. Bienvenue à l’école de cinéma Kourtrajmé. Lorsque, il y a quatre ans, Ladj Ly (Les Misérables, 2019), pilier de ce collectif (avec Romain Gavras, Kim Chapiron – qu’elle a épousé –, Toumani Sangaré ou Oxmo Puccino…), crée ici, aux Ateliers Médicis, une école pour former, chaque année, une dizaine de scénaristes et de réalisateurs, l’actrice lui lance : « A l’heure où on dit manquer de représentation des minorités sur scène, ce n’est pas cohérent. Il faut aussi une formation pour les acteurs… » Réponse : « Tu sais quoi ? Tu vas t’en occuper. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Ludivine Sagnier, personnelle qualifiée C’est ainsi que Ludivine Sagnier se retrouve, bénévole et ravie, à la tête d’une page blanche : de 500 à 800 candidatures chaque année, douze étudiants à l’arrivée pour une formation – gratuite – de six mois. « Une forme d’engagement politique », souligne-t-elle en décapsulant les bouteilles qu’on biberonne au goulot. Sur le bâtiment, côté rue, traînent les traces de l’ancien occupant des lieux. « Un fabricant de croquettes. C’était dégueulasse. Des crottes de rats partout. On a tout nettoyé nous-mêmes », raconte-t-elle. A l’étage, une demi-douzaine de lits peuvent héberger les plus démunis. En bas, dans le coin cuisine, on trinque à la beauté du système D, de la précarité et de l’esprit collectif, qui sont la matière première de la tribu Kourtrajmé. Pas une victime Depuis, Ludivine Sagnier fait le grand écart entre, d’un côté, Montfermeil et, de l’autre, les châteaux de Maintenon et de Chantilly, où elle donne la réplique à Michael Douglas, dans une série sur Benjamin Franklin dont elle interprète la bonne amie. Et puis, aujourd’hui, le Théâtre de la Ville, à Paris, où sur la scène de l’Espace Cardin, jusqu’au 30 novembre, elle donne à entendre ces mots de Vanessa Springora : « Un père aux abonnés absents. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies… » En 2020, dans Le Consentement, l’écrivaine racontait sa liaison sous emprise, dans les années 1980, avec l’écrivain Gabriel Matzneff, qui avait fait de son amour pour les très jeunes filles sa fierté et sa gloire : « A 14 ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, souffle, seule sur scène, Vanessa-Ludivine, pour se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter… » C’est ici, à Montfermeil, qu’elle a répété. « Ce que Vanessa Springora a vécu adolescente, elle le raconte à 45 ans. Il m’a fallu refréner mon empathie pour me rapprocher non pas de la victime mais de la résiliente », explique-t-elle. Ludivine Sagnier choisit ses mots. Elle se sent si peu légitime pour parler, préfère porter la parole des autres. Celle de la chanteuse Mai Lan, la sœur de Kim, par exemple. « Ce spectacle, dit-elle, est une façon d’apporter ma pierre à l’édifice de guérison qu’elle a commencé à dresser. » Il y a deux ans, sa belle-sœur a publié un livre pour enfants dans lequel elle raconte son combat avec le loup. En l’occurrence, un grand-père incestueux, aimé, au fantôme d’autant plus redoutable. On peut militer pour #metoo et ne pas figurer parmi les victimes. C’est le cas de Ludivine Sagnier. Bien avant de rencontrer, à 19 ans, François Ozon, dont les films (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, Huit femmes, Swimming Pool) la propulseront en haut de l’affiche, elle travaille, toute jeune, pendant trois semaines, sur le doublage de Natalie Portman dans Léon, de Luc Besson (accusé de violences sexuelles par une actrice, il a bénéficié d’un non-lieu sur lequel la Cour de cassation doit encore se prononcer) : pas un geste déplacé ou un mot de travers. Harvey Weinstein l’invite à petit-déjeuner au Ritz : « Mais je n’avais d’yeux que pour le buffet, je n’étais intéressée que par la bouffe. En tout cas, il ne s’est rien passé. » Elle fronce les sourcils. « Au cinéma, l’ambiguïté, on vit avec… Entre le désir qu’éprouve un réalisateur de filmer quelqu’un et celui, pour les acteurs, de s’ouvrir au maximum, il y a prise de risque. Et la nécessité d’une distanciation… Après, les hommes grossiers et les gros cons, je ne les compte plus. Ni, quand j’étais petite, les exhibitionnistes. La première fois, j’ai eu peur : il m’avait coincée dans une rue, j’ai crié [elle met ses mains en porte-voix] : “Dégaaage ! Tu n’as pas hooonte ?” Il est parti. Ensuite, ça m’a aidée. L’exhibitionniste est peut-être un vaccin contre le prédateur… » Elle rit. La babtou de la bande L’actrice a grandi à Sèvres, au bord du parc de Saint-Cloud. La face bourgeoise de la banlieue parisienne. Le grand-père flûtiste à l’ORTF – « Même à la retraite, il avait un rapport rigoureux à la musique qui me terrorisait. » Elle dit avoir choisi le théâtre pour fuir le piano. Le père travaille au service de l’immigration à la préfecture de Nanterre et la mère se dépense dans les actions sociales. « Je me considère très privilégiée, mais j’ai toujours senti que, pour mon équilibre mental, il me fallait une diversité sociale. Les Quilapayun [groupe chilien réfugié en France après l’assassinat par la junte de leur leader] venaient jouer à la maison, mais l’image des gens faisant la queue à la préfecture est restée inscrite chez moi. Ladj, Kim, Oxmo, Romain, ils portent tous les stigmates de l’immigration. » C’est Vincent Cassel, rencontré en 2008 sur le biopic de Mesrine, qui lui présente Kim Chapiron et la bande de Kourtrajmé : « Ici, je suis la babtou. » La Blanche. « J’ai une grande confiance dans la génération qui arrive » Elle allume une cigarette. On frappe à la porte. C’est Sébastien Davis, l’ami d’enfance, qui dirige la section acteurs avec elle. Frigo. Nouvelle tournée de Heineken. Dans la cosmogonie de « Lud » – comme il l’appelle –, Sébastien Davis, c’est le grand frère. A l’époque où Bernard Pivot invitait Gabriel Matzneff sur le plateau d’« Apostrophes » (elle imite l’animateur, levant le menton d’un air goguenard : « Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans les lycéennes et les minettes ? »), « Lud » et « Seb » sont déjà sur les planches d’un cours privé, dans un garage de Sèvres. Elle a 9 ans, il en a trois de plus. Sur la photo de 1988, on peine à reconnaître l’actrice sous les joues rondes. Les deux enfants jouent Le Satyre de la Villette, une histoire de pédophilie sur le ton de la farce dénonciatrice, écrite en 1963 par René de Obaldia. Grimace amusée : « C’est incroyable qu’on soit là, trente-cinq ans plus tard, à jouer Le Consentement. » Car c’est lui, Sébastien Davis, qui met en scène la pièce. Et c’est un autre copain des fêtes adolescentes, Dan Levy, le guitariste de The Dø, qui signe la musique. A Montfermeil, l’an passé, une des élèves a rejoué un viol qu’elle a vécu dans son enfance. « Les jeunes qui suivent la formation ont souvent des histoires personnelles douloureuses. Face à ça, on ne tient aucun discours. Il y a juste entre eux un mélange de respect de la souffrance, de dignité et de joie de vivre, comme un antidote au malheur », témoigne-t-elle en entassant les bouteilles dans la poubelle. Dehors, la pluie a redoublé. Elle sourit. « J’ai une grande confiance dans la génération qui arrive. Je les vois avec de meilleurs acquis que nous, avec une vraie conscience », dit celle dont les trois filles – 17, 14 et 8 ans – assistaient à la générale du Consentement, dimanche 20 novembre. « Une société ne peut pas changer du tout au tout du jour au lendemain. C’est comme un jardin, il faut replanter, mettre éventuellement en jachère, et attendre. » Laurent Carpentier Ludivine Sagnier, dans les locaux de répétition de l’école Kourtrajmé, à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), le 18 novembre 2022. EMMA BURLET POUR « LE MONDE » Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"
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February 20, 2023 6:06 PM
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Par Jean Couturier dans Théâtre du blog, 18/02/23 https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/portrait-dacteur-eric-genovese# Dans cet entretien animé par Vincent Josse, l’acteur nous parle de sa carrière qui l’a conduit à la Comédie-Française, il y a presque trente ans. A travers quelques photos personnelles projetées, il remonte le fil du temps. A Nice où il vit, il perd son père à six ans et se sent rejeté pendant sa scolarité. Mais il rencontre une dame qui le persuade de suivre un cours pour amateurs et le théâtre devient son objectif : «Cela m’a sauvé : quand je suis arrivé dans ce cours, on m’a regardé et écouté : on n’existe que par le désir des autres. » Avec le soutien de sa mère, il « monte » à Paris et fréquente les cours Simon et Florent. Après un premier échec au Conservatoire national supérieur, il y est admis et aura Pierre Vial et Madeleine Marion comme professeurs. Il y rencontre Stanislas Nordey de la même promotion que lui. Le directeur du Cons, Jean-Pierre Miquel, devenu administrateur de la Comédie-Française, l’engage alors en 93, à quelques mois d’intervalle d’Éric Ruf ! Ce pensionnaire trouve une famille avec ses bons et mauvais côtés, et un esprit de troupe qui rassure l’artiste hypersensible qu’il est. Nommé sociétaire en 98, il est entouré par ses collègues qu’il cite avec une réelle émotion, en particulier Tania Torrens. Il évoque aussi les disparus : Denise Gence, Jean-Luc Boutté et la fragile Dominique Constanza dont il occupe aujourd’hui la loge. Orphelin de père et de mère, il garde précieusement dans sa loge, des objets symboliques : les alliances accolées de ses parents. Lui qui semble entouré de fantômes bienveillants, trouve son bonheur dans l’esprit de troupe, surtout en répétition : « J’aime être un acteur au travail et regarder les acteurs travailler. » Il aime apprendre avec des metteur en scène différents: Marcel Bozonnet, Clément Hervieu-Léger, Brigitte Jaques-Wajeman, Thomas Ostermeier ou Ivo van Hove et dit très justement : « On ne discute pas une interprétation, c’est le travail du metteur en scène. » Ce soir-là, nous avons rencontré ce soir-là une belle personne. Jean Couturier Rencontre vue le 13 février, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). T. : 01 44 58 98 54.
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February 9, 2023 12:39 PM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 8 février 2023 Avec son timbre de soprano et son talent scénique, l’actrice impose sa présence à l’opéra, au cinéma et dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Une femme s’éclipse. Elle s’appelle Judith Chemla, elle est actrice, chanteuse lyrique, le plateau est son domaine, elle semble n’avoir jamais eu à lutter pour s’imposer, sa singularité est une évidence, et toute sa vie est une suite de bifurcations, disparitions, enchantements, flashs, évanouissements, réapparitions. Judith Chemla joue d’ailleurs le rôle d’une femme qui s’enfuit dans la Grande Magie, le dernier film chanté, audacieux, fantaisiste de Noémie Lvovsky d’après la pièce d’Eduardo De Filippo. C’est donc l’histoire d’une femme, Marta, qui profite d’un tour de prestidigitation pour fuir pour de vrai son mari qui la cadenassait dans sa malle psychique. Et d’un mari meurtri de jalousie, joué par Denis Podalydès, qui l’attend, l’attend, et accepte de croire que cette dilatation du temps est un leurre. Judith Chemla dit qu’elle s’est longtemps engouffrée avec bonheur dans toutes les fictions que lui offraient ses personnages, qu’elle était confiante, «éprise de légèreté», et qu’un peu mystérieusement, les histoires qui la nourrissaient étaient toujours un peu avance ou en concordance avec ce qui traversait sa vie. «Ce que j’allais vivre, je l’éprouvais sur scène ou sur un plateau de cinéma. Les œuvres me renseignent sur mon futur proche. Il y a eu des sortes de coïncidence, des collusions.» On boit du thé chez elle, vers 10 heures du matin, son visage aigu est nu, sa peau transparente laisse entrevoir l’enfant qu’elle a été, son physique aérien frappe, elle est un oiseau sur une branche, et si, dans son salon très habité, elle se mettait à voler par la fenêtre d’où monte le brouhaha d’une cour de récréation, on ne serait pas plus étonnée que ça. On dirait tiens, Judith Chemla s’est envolée. Judith Chemla dit qu’effectivement, elle a souvent filé face à la menace «d’une vie trop programmée» qu’on appelle parfois du doux nom de carrière. «J’ai un besoin absolu d’inconnu», dit-elle avec intensité. «Si tout est rempli et qu’il n’y a aucune place pour le surgissement, je fuis.» Lorsqu’elle a quitté en 2009 la Comédie-Française où elle était pensionnaire depuis un an et demi, elle devait être l’Irina des Trois Sœurs, qui veut partir à Moscou. La promesse du rôle a suscité le basculement. «J’ai réfléchi et je me suis dit qu’à la place de jouer un personnage qui rêve de grande vie dans la capitale, j’allais moi-même connaître la grande vie hors cadre, sans sécurité, sans filet. J’étais vraiment heureuse au Français, mais les plannings remplis deux ans à l’avance m’angoissaient.» Cette grande vie espérée, a-t-elle eu lieu ? «Bien sûr ! Avec tous ses dangers, ses aventures, ses fracas, ses beautés. J’ai fait tout ce que j’ai voulu faire, j’ai lié la musique et le théâtre, par exemple.» Elle se ferme soudainement. On traverse une zone de turbulences. Lui poser des questions devient brusquement un parcours d’obstacles. Où que l’on se dirige, se dresse une muraille. Il y a les récits qu’elle tait pour éviter les redites et ceux qu’elle ne peut narrer, faute d’en avoir déjà parlé. Un ange passe, qui se faufile dans les failles de l’aporie. Judith Chemla dit qu’elle ne prémédite rien. Qu’elle est très patiente, mais que plus elle s’impose le silence, plus sa parole risque de surgir en geyser comme une eau souterraine jugulée trop longtemps. Le 4 juillet dernier, elle postait sur Instagram des photos de son visage tuméfié après que le père de sa fille lui a envoyé son portable au visage un an plus tôt. Deux minutes auparavant, elle ignorait qu’elle ferait ce geste. Elle était à bout, n’avait «plus le choix», se refusant d’aller déposer une troisième plainte en un an au commissariat contre un homme qu’elle avait aimé, cinéaste, déjà condamné pour violence à son égard à huit mois de prison avec sursis. Deux jours plus tard, elle explique sa situation sur la matinale de France Inter. Elle reçoit immédiatement une avalanche de messages de soutien, mais aussi de beaucoup d’autres femmes, prises dans des violences et dilemmes analogues. Les journalistes ignorent souvent ce que provoque la médiatisation d’une histoire. Judith Chemla répond : «Depuis cette prise de parole, j’ai compris que je ne pouvais plus me cantonner à la fiction. Qu’il fallait que je joue mes cartes dans le réel.» Elle a notamment découvert combien il était ardu aux mères de protéger leurs enfants en cas de révélation d’inceste, la justice étant plus prompte à les punir pour non-présentation d’enfants, qu’à évaluer les faits incestueux. L’actrice est à l’initiative du comité de soutien à Hanna Dam Stockholm, condamnée en première instance à un an de prison ferme pour soustraction d’enfants. Elle évoque Priscilla Majani, condamnée début janvier par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à deux ans et neuf mois de prison ferme pour les mêmes raisons. Ses sanglots interrompent son récit, deuxième moment suspendu. On rompt le silence en lui disant que c’est souvent par le biais d’un récit personnel, œuvre littéraire ou cinématographique, que l’écoute devient possible, qu’une prise de conscience collective survient. Judith Chemla nous regarde de ses grands yeux bleus : «Oui, c’est vrai, le succès de la Familia grande a des conséquences importantes, et on prête aujourd’hui attention aux récits des adultes ayant été victime d’inceste. Mais les enfants ? Est-ce qu’on accepte de les croire ? Ou on tourne la tête en refusant d’écouter son inquiétude ?» Judith Chemla sait combien les mères sont toujours accusées d’être à la fois trop anxieuses et de manquer de vigilance, lucides et aveugles, les deux n’étant pas incompatibles. Demain, elle sera à Lyon où elle répète une version en réduction de Mélisande de Debussy, rôle qu’elle avait refusé jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que «le personnage pose des actes de liberté un peu partout, même si son ultime échappée, c’est la mort». En septembre, elle reprendra Traviata, vous méritez un avenir meilleur, spectacle devenu culte mis en scène par Benjamin Lazar. Dans la pratique de son art, dit-elle, elle a échappé en partie «aux stéréotypes de l’actrice» malmenée par le metteur en scène. Enfin pas tout à fait. Petite, elle regardait sans se lasser Camille Claudel incarnée par Adjani dans le film de Bruno Nuytten. «Dans sa dévotion à son art et ses efforts désespérés pour exister en tant qu’artiste, je sentais bien qu’elle me parlait de ma lignée… Elle s’est échappée dans la folie, broyée par le monde réel.» Un père violoniste, une mère prof de droit et de gestion, qui sacrifie son désir d’être danseuse : Judith sait très tôt, enfant, comment le manque peut conduire à passer à côté de sa vie. Le goût pour le chant lui est venu vers 17 ans, avec celui du travestissement et le plaisir d’essayer des voix. Récemment, elle a réalisé un film, les Enfants de Bohème, un court métrage où elle joue avec ses deux enfants magnifiques, Ilion Thierrée et Gloria Manca, leur mère sauvage qui se bat contre l’ordre établi avec ses armes : une voix opératique, somptueuse et salvatrice. 6 juillet 1983 Naissance à Gentilly (Val-de-Marne). 2009 La Grande Magie d’Eduardo De Filippo, à la Comédie-Française. 2016 Création de Traviata, vous méritez un avenir meilleur (Benjamin Lazar) . 8 février 2023 La Grande Magie (Noémie Lvovsky) . Février-Mars Mélisande (à Grenoble, à Oullins et à Paris) . 17 avril Chante Debussy et Poulenc accompagnée par Alphonse Cemin, à l’Athénée (Paris). Légende photo : Judith Chemla à Paris, le 3 février. (Camille McOuat/Libération)
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Le spectateur de Belleville
January 14, 2023 6:52 PM
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Propos recueillis par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore pour l'Oeil d'Olivier - 14 janvier 2023 Dans le cadre du Festival azuréen Trajectoires, la comédienne gracile se glisse dans la peau d’un ado de onze ans, qui entre en sixième. Portant au plateau avec deux autres artistes, J’ai trop d’amis de David Lescot, Lyn Thibault, découverte dans la trilogie Des territoires de Baptiste Amann, s’amuse dans ce conte ludique autant que lucide et confirme sa capacité à changer de rôle avec une belle aisance. Rencontre. Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? J’ai l’impression d’être née dedans. Mon premier souvenir d’art vivant, n’en est donc pas vraiment un. J’avais six ans quand je suis allé voir mon premier spectacle de théâtre. C’était le malade imaginaire monté par un club amateur de la petite ville où j’habitais, pendant le spectacle j’ai eu envie de faire pipi, je suis allée aux toilettes, quand je suis revenue un des acteur avait fait une rupture d’anévrisme, il est mort. Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? Des problèmes de concentration à l’école puis à la fac qui m’ont mise en difficulté pour faire des études. " alt="" aria-hidden="true" /> Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ? J’ai choisi d’être comédienne, car j’ai l’impression que c’était la base, le commencement, et que ça pourrait être une manière de m’apprendre à être un humain de manière un peu plus manifestée qu’avant, m’apprendre à jouer à la vie. Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? Je me souviens d’un spectacle de danse auquel participaient mon grand frère et ma grande sœur. Je devais avoir 3 ans. Et je me suis accaparée l’entracte, montée sur scène devant le rideau fermé pour mimer la suite du spectacle qui allait arriver, qui était sur Pinocchio, avec l’évidence et l’urgence qu’il fallait absolument que je leur raconte ce qui allait se passer (parce que j’avais vu les répétitions). Ça m’étonne encore, car j’étais une enfant très effacée, pas du tout communicante. Votre plus grand coup de cœur scénique ? Inferno de Romeo Castellucci à Avignon. Quelles sont vos plus belles rencontres ? Difficile de hiérarchiser… Je choisis certains enfants que je rencontre en ateliers. C’est furtif, mais extrêmement puissant. En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? C’est le besoin d’aller à l’envers de temps en temps pour d’autant mieux continuer ensuite d’aller à l’endroit. Comme le DJ qui scratch le vinyl au lieu de le laisser à la vitesse normale. Qu’est-ce qui vous inspire ? L’amour et Dieu 😉 De quel ordre est votre rapport à la scène ? Métaphysique " alt="" aria-hidden="true" /> À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? Dans le plexus, comme quand on est amoureux. Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? Silvia Costa. Si seulement j’avais été danseuse, j’aurais rêvé de travailler avec Emmanuel Eggermont. Et d’autres, mais je ne les connais pas, car je ne connais pas beaucoup de monde. À quel projet fou aimeriez-vous participer ? Une chorale gigantesque, je ne sais pas 1000 personnes, 10 000… Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? Une peinture. Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore J’ai trop d’amis de David Lescot les 14 et 17 janvier 2023 au TNN / Salle des Franciscains le 24 Janvier 2023 à la Scène 55 Mougins le 27 Janvier 2023 au Théâtre de la Licorne Cannes Mise en scène de David Lescot assisté de Faustine Noguès avec en alternance Suzanne Aubert, Lyn Thibault, Théodora Marcadé, Elise Marie, Camille Roy & Marion Verstraeten Création lumière de Guillaume Roland Costumes de Suzanne Aubert Crédit portrait © Julien Samani Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage et © Sonia Barcet
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Le spectateur de Belleville
November 17, 2022 9:21 AM
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Propos recueillis par Guillemette Odicino pour Télérama Publié le 02/09/22 mis à jour le 07/09/22 Pure tragédienne sur les planches, on l’a vue grave ou drôle au cinéma, chez Sautet, Blier, Bonello ou celui qui l’a fait naître au théâtre, Patrice Chéreau... Seule sur scène, la comédienne reprend avec bonheur “La Douleur”, adapté de Marguerite Duras, son monologue fétiche depuis vingt ans, dans la mise en scène originale de Chéreau. Elle a les yeux de Bette Davis. Et un rire perlé, qui éclate à tout bout de champ pendant l’interview. Qu’on se le dise, Dominique Blanc est une jeune fille de 66 ans rigolote, même si des rôles dramatiques, au cinéma, et surtout au théâtre, en ont fait l’une de nos plus grandes comédiennes, auréolée de quatre Césars et quatre Molières et désormais même au programme du bac 2023 ! Merveilleuse lesbienne libérée dans Milou en Mai, de Louis Malle (1991), gouailleuse môme caoutchouc dans Indochine, de Régis Wargnier (1992), elle reste inoubliable pour son interprétation d’une jalouse -obsessionnelle dans L’Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic (2008), qui lui valut la coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise. Au théâtre, sa carrière est éblouissante, d’Une maison de poupée, d’Ibsen (1998), aux Liaisons dangereuses, jusqu’au récent Angels in America, mis en scène par Arnaud Desplechin à la Comédie-Française, qu’elle a intégrée sur le tard, et en majesté. Sur les planches, c’est avec Chéreau que tout commença, que tout devint d’une intensité sans égale, grâce à une Phèdre mémorable, et La Douleur, adapté de Marguerite Duras, un texte devenu comme une seconde peau, qu’elle reprend au TNP de Villeurbanne à partir du 28 septembre. Cette rentrée est la sienne puisqu’elle sera aussi à l’affiche de L’Origine du mal, le thriller familial et capiteux de Sébastien Marnier (5 octobre), et sur le petit écran dans une série glaçante adaptée d’un roman de Franck Thilliez, Syndrome E. Libre, émue, primesautière, la comédienne se souvient de tout, y compris de drôles de rendez-vous manqués. En fait, la tragédienne est un clown blanc. Vous reprenez La Douleur pour la cinquième fois. Pourquoi au TNP de Villeurbanne, cette fois ? C’est là que j’ai connu Patrice Chéreau. La boucle est bouclée. Je voulais le faire en amont de 2023 et des dix ans de sa mort. Je serai dirigée par Thierry Thieû Niang, son ami chorégraphe, dans la mise en scène d’origine de Patrice. La Douleur est le texte de ma vie. Pour moi, c’est comme un motif de peinture qui évolue au fil du temps, de mon émotion, de ma technique, de mon parcours de femme, et sur lequel je dois revenir sans cesse. En quoi ce texte vous est-il essentiel ? Avril 45, l’ouverture des camps de concentration, comment oublier ça ? Comment oublier la Shoah ? Je suis effarée de la façon dont on oublie l’histoire aujourd’hui. Et puis, il y a ce thème théâtral si intense : une femme, seule chez elle, qui attend, qui espère. Comment l’avez-vous découvert ? En 2003, je joue Phèdre, mis en scène par Patrice. Le climat de répétition a été euphorique, mais jouer à l’Odéon pendant six mois, c’est trop, et j’en sors brisée. D’autant que j’enchaîne avec un rôle d’héroïnomane dans Un couple épatant - Cavale - Après la vie, la trilogie de Lucas Belvaux. Ensuite, je ressens un énorme vide, j’erre d’agent en agent, et je ne reçois aucune proposition. L’homme de ma vie me conseille d’appeler Patrice, qui, me voyant perdue, décide que nous allons nous envoyer des textes et essayer d’inventer quelque chose ensemble. C’est Thierry Thieû Niang qui trouve le texte de Duras. Dès que je le lis, je le sais : ce sera ça et rien d’autre. Je propose à Patrice de me mettre en scène dans un décor minimaliste : juste une femme qui attend, une table, une chaise. La première est prévue en Catalogne dans un tout petit théâtre. Nous partons avec Patrice et Thierry une semaine en avance : répétition tous les après-midi, et tous les soirs, au dîner, Patrice me parle de son enfance. Le samedi de la première arrive, et soudain je panique : je n’y arriverai jamais ! Et je décide de me tirer en douce ! Comme s’il avait deviné, Patrice ne cesse de m’appeler : « Qu’est-ce que tu fais ? Tu es dans ta loge ? Thierry va t’apporter à manger. Tu ne bouges pas, hein ? » Je suis restée, j’ai joué, c’était merveilleux. Ce soir-là, je suis née, à nouveau. Chéreau vous a sauvée ? Il avait dû réaliser qu’il m’avait un peu abandonnée pendant les représentations de Phèdre. Les Américains lui avaient prêté une grande villa avec une grande piscine en Californie pour écrire un film. Il rêvait de son Napoléon avec Al Pacino. Il était parti et m’avait laissée dans une grande solitude avec Phèdre sur les bras. Avec La Douleur, c’est comme s’il avait réparé son absence. Comment l’avez-vous rencontré ? Je faisais partie de la première année de Classe libre du cours Florent, avec deux professeurs, Francis Huster et Pierre Romans, un immense pédagogue dont nous étions tous amoureux, les garçons comme les filles. Avec Pierre, nous montons un spectacle sur Tchekhov pendant trois soirs à l’Espace Cardin, et, le premier soir, Chéreau est là. Au mois de septembre 1980, il laisse un message sur mon répondeur et je crois que c’est une blague ! Il me donne rendez-vous chez lui, où, quasiment aussi intimidé que moi, il me propose de jouer plein de petits rôles dans Peer Gynt, d’Ibsen, au TNP de Villeurbanne, avec Maria Casarès, Didier Sandre et Gérard Desarthe. Ce sera une année de rêve : j’ai 25 ans, je me sens plus à l’aise, nous rions beaucoup, et je crois que ça lui plaît, car, déjà, autour de lui, commence le ballet des courtisans. Je n’ai jamais fait partie de sa cour. “Ma professeure m’encourage à présenter le Conservatoire. Mon père décrète que, dans ce cas-là, je peux prendre la porte.” Ni de son école au sein de son théâtre à Nanterre… Jamais. Pour une raison toute simple : d’après Pierre Romans, Patrice pense à moi pour Les Paravents, de Genet, mais il ne me prendra pas si je présente l’école. Et en effet il m’a appelée pour jouer une petite pute à la fin des Paravents. Puis, à Nanterre, j’enchaîne avec Terre étrangère, sous la direction de Luc Bondy, où je joue la maîtresse de Michel Piccoli. Lors de la première lecture, pour laquelle Luc avait demandé que nous sachions déjà nos textes, Michel tient sa brochure à la main : il n’a pas eu le temps de l’apprendre. Cela m’agace, je lui arrache les feuilles des mains et je les balance ! Michel a adoré mon culot. Dans les coulisses, il vient vers moi : « Dominique, si je fais quoi que ce soit qui vous dérange dans cette scène où nous sommes censés nous toucher, il faut me le dire, car je ne voudrais surtout pas être grossier ou intrusif. » Cet homme était une merveille. Il était l’élégance, l’éthique, l’engagement, l’utopie. Il était mon ami. Quelle petite fille étiez-vous ? Née à Lyon, numéro quatre d’une famille de cinq enfants. Mon père était gynécologue-obstétricien mais il a fini par arrêter les accouchements car, travaillant jour et nuit à l’hôpital, au dispensaire et en cabinet privé, il allait y laisser sa peau. Un jour, j’ai osé dire que, d’une certaine manière, en tant qu’interprète, moi aussi je mettais au monde des êtres. Il n’a pas aimé cette comparaison ! À quel moment naît l’envie de jouer ? Ma mère a un amour fou pour le cinéma italien, que nous regardons à la télévision. Les comédiennes italiennes sont à l’origine de ma passion : des tempéraments incroyables, et des physiques si différents, de Sophia Loren à Giulietta Masina, qui semblent dire que tout est possible. À l’adolescence, je suis mal dans ma peau, je me sens différente de mes frères et de ma sœur. Je convaincs ma mère de m’inscrire dans un cours d’art dramatique. “Lorsque vous nettoyez les chiottes à la turque, pour, ensuite monter sur scène dans le rôle d’une reine, ça glousse.” C’est le déclic ? Rapidement, ma professeure m’encourage à présenter le Conservatoire de Lyon. Mon père décrète que, dans ce cas-là, je peux prendre la porte. C’était violent : une fenêtre de liberté que je n’imaginais même pas s’était entrouverte pour se refermer d’un coup. J’ai passé mon bac scientifique et commencé des études d’architecture. Cent étudiants dont seulement une dizaine de filles et deux Antillais dans une école aux locaux en préfabriqué. Et un prof de géométrie qui déclarait que sa matière était « trop difficile pour les filles et les Noirs ». En deuxième année, pour tenter d’améliorer l’ambiance et les locaux, nous décidons avec des copines de prendre en otage le directeur de l’école. Pardon ? Absolument ! Mortes de peur, nous sommes entrées dans son bureau, avons fermé à clé, et lui avons signifié sa prise d’otage et nos revendications. Il avait un frigo avec une bouteille de champagne à l’intérieur. Après avoir bu son champagne, nous ne savions plus quoi faire et l’avons relâché assez vite ! Évidemment, nous n’avons obtenu aucune amélioration, et mon dossier pour continuer mes études à Paris n’est jamais arrivé à destination… Mais à Paris, vous tentez le cours Florent ? Quand je m’y rends pour la première fois, je suis outrageusement maquillée, je porte une jupe à fleurs et de gros sabots et je me retrouve au milieu d’une jeunesse dorée qui passe des scènes pour rigoler. Pour être acceptée, je présente Dans ma maison, de Jacques Prévert, et je suis tellement engagée physiquement dans mon interprétation que les autres élèves sont atterrés ! Mais François Florent trouve ça intéressant. Pour que je me sente plus à l’aise, il me propose de venir aux cours du soir, avec des gens plus âgés. Et, pour pouvoir payer mes cours, je deviens la femme de ménage du Cours. Au bout de six mois, Florent me donne les clés : c’est moi qui ouvre les salles le matin et les ferme le soir. Quelle fierté ! Sauf que lorsque vous nettoyez les chiottes à la turque, pour, ensuite monter sur scène dans le rôle d’une reine, ça glousse… Seul Florent croyait en moi : « Passe les concours, tu ne les auras pas, mais au moins ils verront ta gueule. » En effet, je n’ai ni Conservatoire, ni Rue Blanche, mais j’ai rencontré Chéreau. Lire aussi : Dominique Blanc : “Le seul qui pouvait m’aider à m’en sortir était Patrice Chéreau”44 minutes à regarder À vos débuts, vous avez connu une drôle d’expérience avec Jean-Luc Godard… Je suis engagée comme figurante dans deux tableaux de Passion [1982]. Pour « Le bain turc », je dois être assise au bord de la piscine et Godard me demande de soupeser mes seins en rythme avec le Requiem de Mozart ! Puis j’apprends que finalement je ne fais plus le tableau de « La jeune fille à l’ombrelle » car il a réalisé que je suis blonde. Je ne veux pas perdre mon cachet. J’ose contester, il finit par céder. J’aurais dû me méfier… Nous sommes le 31 décembre 1980 aux studios de Boulogne, c’est un énorme travelling, j’ai une perruque et un chihuahua dans les bras qui essaie de me mordre le sein. Le directeur de la photographie, Raoul Coutard, derrière la caméra, me crie dessus, et Godard s’y met aussi. Une journée de terreur à la fin de laquelle je dis ma façon de penser à Godard et combien c’est scandaleux de m’avoir maltraitée ainsi. Le lendemain, son assistant m’appelle pour me dire que le maître continue à travailler sur le scénario et qu’il veut que je vienne en Suisse car il écrit pour moi ! J’ai refusé, il ne faut pas exagérer. “La folie des êtres me fascine. L’humain, qu’il soit lumineux ou sombre, m’éblouit.” La 5 octobre, vous serez à l’affiche de L’Origine du mal, de Sébastien Marnier, dans un rôle de matriarche étrange… Cette femme a une part de folie, qui s’exprime par le syndrome de Diogène, la collectionnite aiguë. J’ai tenu à avoir des ongles comme des griffes, car, avec Jacques Weber, nous formons un couple de vieux fauves qui va être réveillé par le personnage qu’incarne Laure Calamy. Ils ont tous un grain dans cette famille. La folie des êtres me fascine. L’humain, qu’il soit lumineux ou sombre, m’éblouit. Vous serez aussi bientôt dans la série Syndrome E, sur TF1. Le rôle est fantastique : cette chirurgienne est une méchante à 400 %. Encore plus folle que la mère de L’Origine du mal ! Comme il est réjouissant d’imaginer un passé, des traumatismes à ce genre de personnage… Pour mon premier jour de tournage, j’étais très concentrée sur le texte, mais la réalisatrice, Laure de Butler, m’a conseillé de prendre du plaisir avant tout, ce qui n’a pas été si courant dans mon parcours de comédienne. C’est-à-dire ? Très vite, au cinéma, on m’a collé la couleur du tragique. Peut-être à cause de mon premier vrai rôle, l’alcoolique de La Femme de ma vie, de Régis Wargnier [1986]. Ensuite les cinéastes ne m’ont plus vue que comme une femme déprimée ou suicidaire ! Pourtant, juste après, quand je jouais Georgette dans Quelques Jours avec moi, de Claude Sautet [1988], j’étais très rigolote, n’est-ce pas ? Mais vous aimez la tragédie ? Évidemment ! Je suis fascinée par les destins tragiques. Quand, au début de La Douleur, Marguerite Duras dit que « la douleur est l’une des choses les plus importantes de ma vie », je m’y retrouve. Sans doute parce que j’ai eu tant de mal à m’imposer. J’avais le sentiment qu’il n’y avait pas de place pour moi dans ce métier. À mes débuts, lors d’une audition, le metteur en scène Jacques Rosny m’avait conseillé de m’orienter vers… les arts martiaux ! Et toutes ces réflexions inouïes que j’entendais sur mon physique : on ne sait pas où vous ranger, vous avez un corps de femme sur un visage d’enfant… Et vous entrez à la Comédie-Française en 2016… La revanche à 60 ans ! Et c’est grâce au Phèdre de Chéreau que j’avais joué treize ans plus tôt avec deux immenses comédiens de la Comédie-Française, Michel Duchaussoy et Éric Ruf, qui restera mon Hippolyte à jamais. Quand le merveilleux Éric est devenu l’administrateur général du Français, il m’a proposé d’intégrer la troupe dans l’Agrippine de Britannicus. Je n’en revenais pas ! Moi qui avais toujours été boudée par les instances officielles et avais tracé ma route toute seule, voilà qu’il m’offrait le collectif, et pas n’importe lequel. “J’espère mourir sur scène. Comme Molière. Ou au moins dans la salle. Mourir entre le réel et le fictif, quoi de plus fabuleux ?” Aviez-vous le trac ? Je me retrouve dans l’arène avec soixante comédiens en pleine activité. Seule manière de se mettre dans le bain ? Travailler. Seul le travail vous apprend à connaître les gens. Pendant cinq ans, j’ai enchaîné les rôles. La tête dans le guidon. Au cinéma, je n’ai pu tourner que Réparer les vivants [2016], où je jouais un toubib, et Patients [2017], pour Grand Corps Malade, où je jouais… un toubib. Puis, en janvier 2021, vous êtes nommée sociétaire. J’ai pleuré pendant la cérémonie… Toute la troupe au complet, masquée à cause du Covid, mais qui vous applaudit à tout rompre pendant dix minutes. Bouleversant. Vous sentez-vous sanctuarisée ? Depuis mon entrée au Français, qui m’a donné une nouvelle visibilité, le cinéma et la télévision semblent me rêver autrement. Et puis, sans le Français, je n’aurais peut-être jamais travaillé avec Christophe Honoré. La vieille marquise de Villeparisis dans Le Côté de Guermantes est si comique ! Ni avec Arnaud Desplechin, que je chassais depuis mon coup de foudre pour son film La Sentinelle [1992]. J’avais traîné dans les restaurants qu’il fréquentait, mais je n’avais jamais osé l’aborder. Avez-vous peur de vieillir ? J’ai mes premiers cheveux blancs, et mon projet est de les garder. Et personne ne touchera jamais à ma figure. Je suis trop curieuse de savoir quelle tête j’aurai à 80 balais. J’aimerais juste ne pas avoir un goitre à la Balladur ! Que faites-vous quand vous ne jouez pas ? Je suis… pénible. Si je devais cesser de jouer, je voyagerais. Mais je ne pourrai jamais arrêter. La formule peut paraître pompeuse, mais je ne suis jamais autant moi-même que sur une scène. J’espère y mourir. Comme Molière. Et si ce n’est pas sur scène, au moins que ce soit dans la salle. Mourir entre le réel et le fictif, quoi de plus fabuleux ? De quoi rêvez-vous pour la suite ? J’aimerais rire. Avec les années, j’ai envie de comique et de burlesque. Travailler avec Roberto Benigni, par exemple. Sortir le clown qui est en moi. Mais, en attendant, avec La Douleur, je ne souffre de rien. Propos recueillis par Guillemette Odicino / Télérama DOMINIQUE BLANC EN QUELQUES DATES 25 avril 1956 Naissance à Lyon. 1986 La Femme de ma vie, de Régis Wargnier, premier grand rôle au cinéma. 1995 L’Allée du roi, téléfilm de Nina Companéez. 1999 Troisième César de la meilleure actrice dans un second rôle, pour Ceux qui m’aiment prendont le train, de Patrice Chéreau. 2001 César de la meilleure actrice pour Stand-by, de Roch Stéphanik. 19 mars 2016 Entrée à la Comédie-Française.
A voir : La Douleur de arguerite Duras, à L'Athénée - Théâtre Louis-Jouvet du 23 novembre au 11 décembre https://www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/la-douleur.htm
Photo Yann Rabanier pour « Télérama »
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October 30, 2022 10:24 AM
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Propos recueillis par Vanessa Schneider dans Le Monde - 29 oct. 2022 ENTRETIEN« Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. A 77 ans, l’actrice revient sur les deuils qui ont marqué son entrée dans l’âge adulte.
Lire cet article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/cinema/article/2022/10/30/la-comedienne-aurore-clement-il-fallait-que-je-vive_6147899_3476.html
Aurore Clément, fille d’agriculteurs modestes, a débuté comme mannequin après avoir travaillé à l’usine. Elle est devenue célèbre en 1974 en incarnant une jeune fille juive dans le film de Louis Malle Lacombe Lucien. Je ne serais pas arrivée là si… Si, quand j’avais 17 ans, mon père n’était pas mort dans mes bras à 23 heures, un soir. Si je n’avais pas eu la responsabilité d’élever ma petite sœur, morte trois ans après, et de prendre soin de ma mère, qui était infirme, dans ce petit village de Buzancy dans le nord-est de la France. Si la vie ne m’avait pas donné la responsabilité de m’occuper de mes deux amours, ma sœur et ma mère, je n’aurais sans doute pas eu le courage d’aller plus loin. Je le dis sans pathos, mais il m’est resté de toutes ces épreuves une tristesse profonde qui m’accompagne encore aujourd’hui. C’était tellement à hurler de douleur que si je ne me relevais pas, ça aurait été la fin. Il fallait que je vive. Quelle était votre vie avant le décès de votre père ? J’ai grandi partagée entre deux mondes. Celui de mes parents, la paysannerie, la ferme, les terres, et celui de ma tante qui m’a plus ou moins élevée, et qui était couturière à Soissons. Elle m’a appris le beau. Elle retaillait des manteaux de fourrure pour des personnes qui étaient revenues des camps et étaient dans le besoin. Elle m’emmenait dîner les vendredis soir chez ces gens merveilleux, rares, affectueux. Cela me changeait du monde de la campagne, si dur. Ces deux milieux m’ont aidée à grandir. D’où venaient vos parents ? Mon père était issu d’une famille de petits paysans dignes et travailleurs dans cette région du Nord-Est qui était sur la route des Allemands. Nous étions à une centaine de kilomètres de Paris qui nous en paraissaient mille. Je suis une enfant de l’après-guerre. Quand j’étais petite, il y avait encore les traces des combats, tout était en ruine, rien n’était reconstruit. On ne s’en rendait pas compte, pourtant. Nous savions que quelque chose de terrible s’était passé, il y avait beaucoup de misère, mais ça allait, nous avions de quoi manger. Et votre mère ? On n’a jamais vraiment su d’où elle venait. De nombreuses légendes couraient dans la famille. On racontait que son père avait été trouvé sur une plage, à Barcelone, je ne sais pas ce qu’il en est exactement. Elle s’appelait Olga Judas et était infirme à la suite d’une blessure mal soignée à la jambe. Elle a toujours souffert et a consacré sa vie à la religion. Elle avait failli entrer dans les ordres. J’ai été élevée dans un univers très croyant. Je me souviens de ma mère travaillant dans les champs malgré son handicap. Elle chantait, elle priait beaucoup et fumait une cigarette par jour. Comment s’est déroulée votre enfance ? Triste et solitaire. J’ai eu très froid. Les vitres de la maison avaient été soufflées par les bombes et n’avaient pas été remplacées. Moi aussi, je travaillais aux champs car mes parents avaient besoin d’aide. Dès que je quittais l’école, à partir de l’âge de cinq ou sept ans, je devais les rejoindre pour arracher les pommes de terre, les betteraves, couper le blé à la faux. Je n’avais pas de copines avec lesquelles échanger, jouer, mais nous avions un cochon qui dormait à côté de ma chambre dans notre ferme dénuée de tout confort. Les jours de repos, ma mère m’obligeait à coudre et à tricoter, de deux heures à six heures, mais je ne me plaignais pas, tout cela me semblait normal. Une enfance à la dure… Oui et avec des gens qui n’exprimaient pas beaucoup d’affection. Mon père ne m’a jamais dit qu’il m’aimait, il n’y avait aucun geste de tendresse, c’était comme ça à la campagne. Le soir était particulièrement triste. Nous n’avions aucun loisir, pas de télévision évidemment, pas de musique, pas de livres à part ceux de prière, rien. Je ne savais pas que les cinémas existaient, ni les restaurants. A l’âge de 14 ans, mon père a décidé de me mettre dans une école catholique, à Soissons, qu’il payait en nature avec des produits de la ferme. C’était un cadre très rigide. Heureusement que ma tante a été là pour me laisser entrevoir un autre monde. J’y rencontrais des gens que je trouvais bien habillés, des femmes avec du rouge à lèvres et des ongles vernis. Ça m’emportait. A la mort de votre père, vous entrez à l’usine… Il ne gagnait pas assez bien sa vie à la ferme. Alors il avait été embauché à la Société des sucreries et distilleries du Soissonnais. Le patron de cette usine était un grand monsieur, riche et très élégant, qui m’a dit quand mon père est mort d’un cancer : « Vous allez quitter l’école maintenant et vous allez apprendre un métier. » Je ne me suis pas posé de questions, là encore, je n’avais pas le choix : il fallait gagner de l’argent pour ma sœur et ma mère. Je me suis retrouvée dans un bureau sous les toits, au service chargé d’imprimer les documents administratifs. La vue de la fenêtre donnait sur le cinéma Le Vox, mais il me semblait inaccessible. Le matin, j’emmenais ma sœur à l’école. J’ai appris à conduire, je prenais la voiture de mon père pour me rendre à l’usine. « Ces 100 kilomètres qui vous arrachent à vos racines est le plus long au monde » Comment en êtes-vous sortie ? Un jour, le grand patron de l’usine, qui aimait beaucoup mon père, m’a proposé de l’accompagner avec sa femme pour assister à un défilé de Christian Dior à Paris. C’était pour moi la plus belle chose au monde. De temps en temps, j’allais acheter Paris-Match, je regardais les mannequins, de très belles filles, de grandes blondes qui faisaient partie de l’agence Catherine Harlé, à Paris. J’étais naïve et je me suis dit en regardant ces beautés : « Et pourquoi pas moi ? » J’ai pris ma voiture, dont le siège avant était cassé. J’y ai installé une chaise à l’aide de cordes et j’ai demandé à ma mère la permission d’aller à Paris voir cette madame Harlé. Je me souviens avoir remonté les Champs-Elysées. J’ai fait le tour de l’Arc de triomphe, j’ai aperçu les stores rouges du Fouquet’s. Je n’étais jamais entrée dans un restaurant ou un café, mais je me suis dit que c’était si beau, je ne pouvais pas passer à côté. Je me suis garée devant, j’ai commandé des huîtres comme mes voisins de table, je n’en avais jamais mangé. J’ai bu l’eau du rince-doigts jusqu’à ce qu’un monsieur très chic me dise très gentiment qu’elle ne servait pas à ça. Je me suis ensuite rendue passage Choiseul pour me présenter à l’agence de Catherine Harlé. Comment avez-vous été reçue ? Je m’en souviens comme si c’était hier. Elle m’a dit : « Vous voulez quoi mon petit ? ». « Je voudrais faire des photos dans des magazines » Elle : « Vous n’y pensez pas ! » Elle s’est saisie d’un stylo pour soulever ma jupe et me montrer mes jambes qu’elle devait trouver trop grosses. « Vous n’avez aucune chance, repartez dans votre usine. » Elle m’a recontactée trois mois plus tard pour me proposer de faire des photos pour des catalogues, ce qui était nettement moins bien considéré, mais j’ai accepté tout de suite. Et vous quittez Soissons… J’ai beaucoup voyagé, mais ce voyage-là, ces 100 kilomètres qui vous arrachent à vos racines est le plus long au monde. Parce que c’était toute la vie qui se jouait là. Je quittais un lieu de naissance et de mort. Je savais que ce départ serait sans retour, j’avais la peur au ventre d’être seule, définitivement seule. A Paris, j’habitais dans une petite chambre rue Saint-Joseph et je gagnais suffisamment pour subvenir aux besoins de ma mère et de ma sœur. J’ai acheté des livres sur Greta Garbo, Marlène Dietrich et Ingrid Bergman, trois stars dont je me suis inspirée. Très vite, j’ai obtenu des couvertures de Vogue. « Je dormais dans le salon de maquillage de Mistinguett. Le soir, on faisait des collages avec Prévert » Quels souvenirs avez-vous de ces débuts à Paris ? Je suis tombée amoureuse d’un étudiant en psychiatrie, Abraham, un homme meurtri de dix-huit ans mon aîné, qui était juif et orphelin d’une famille de déportés. Il m’a emmené rue des Rosiers, m’a raconté l’histoire de ses parents, raflés par les Allemands. Cette première prise de conscience politique a été à la fois terrible et déterminante, elle ne m’a plus quittée. C’est cet homme qui m’a éduquée, m’a appris à lire. Avant, je ne savais rien. Il me forçait à lire Céline et Primo Levi, nous allions au cinéma. Ses amis étaient médecins, avocats, galeristes, ils étaient comme des pères avec moi. Comme il me trompait, je l’ai quitté. J’ai ensuite rencontré Peter Wyss, un photographe suisse allemand de talent, qui a fait les magnifiques photos du livre édité grâce à l’écrivain Mathieu Terence. Nous habitions sur la terrasse du Moulin-Rouge, avec pour voisins Jacques Prévert et la femme de Boris Vian. Je dormais dans le salon de maquillage de Mistinguett. Le soir, on faisait des collages avec Prévert. C’était très joyeux. Grâce aux photos de Peter, j’étais prise partout, ma carrière de cover-girl décollait. Ce furent des années intenses. Et Louis Malle vous repère en couverture du magazine « Elle »… Il m’a contactée. Moi, je n’avais jamais pensé à faire du cinéma ou du théâtre. Peter a dû quasiment m’amener de force chez lui car je ne voulais pas y aller, j’étais terrifiée à l’idée d’essuyer un refus. Louis Malle a commencé à me poser des questions. Il était issu de la famille Béghin et m’a interrogée sur la sucrerie dans laquelle j’avais travaillé. On a répété pendant deux mois chez lui. Un jour, je lui ai dit : « C’est mon dernier jour, je sais que vous voyez d’autres filles pour le rôle. J’arrête. » Il m’a rappelée une semaine plus tard : « Est-ce que vous êtes prête à changer de métier ? » J’étais choisie. J’ai couru dans tout Paris tellement j’étais heureuse. Le succès de Lacombe Lucien a été mondial. Après, on m’a proposé d’autres grands rôles, mais je voulais apprendre le métier et j’ai recommencé au début. Lacombe Lucien m’a conduite aux Etats-Unis où j’ai rencontré au festival de New York Liza Minnelli, et surtout Milos Forman. J’ai appelé Peter à Paris et je lui ai dit : « Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de Milos Forman, viens me chercher. » Il m’a répondu : « Non, tu es une grande fille » et il est reparti vivre à Zurich. Ça a duré quatre ans avec Milos, il ne voulait pas que je le quitte une seconde. J’ai passé tout le tournage de Vol au-dessus d’un nid de coucou à ses côtés. Vous êtes une grande amoureuse… Un jour, Francis Ford Coppola me demande de rejoindre le tournage d’Apocalypse Now aux Philippines. J’ai d’abord refusé car il y avait des scènes de nu. J’avais fait des photos de nu pour gagner ma vie dans les magazines, Louis Malle m’avait également mise nue, je l’avais mal vécu, mais j’ai décidé de faire confiance à Coppola. Je suis partie les rejoindre aux Philippines. Le tournage devait durer quinze jours, il a duré deux mois. Quand je suis arrivée là-bas, la folie régnait partout. Il y avait eu un typhon, Coppola était perdu, il ne savait pas comment terminer son film, Dennis Hopper était devenu fou, Martin Sheen faisait une crise cardiaque, Marlon Brando ne savait plus s’il voulait continuer le film ou pas, j’étais la seule femme là-dedans. Mon rôle a été coupé au montage, mais je n’en ai pas souffert. J’ai ensuite tourné beaucoup en Italie et grâce à Coppola, j’ai rencontré l’homme de ma vie : Dean Tavoularis, son chef décorateur et son frère de cœur. A partir de là vous avez partagé votre vie entre Paris et Los Angeles… J’ai été adoptée par la famille Coppola. Je faisais des allers-retours tout le temps. J’ai eu parfois des regrets. Peut-être aurais-je davantage tourné si j’étais restée en France, mais je ne pourrai jamais le savoir. Jouer a toujours été un plaisir immense. Je suis une personne inquiète et c’est pour cela que je joue : quand je joue, j’ai peur de tout et cela me plaît ; c’est à cet endroit que je suis un peu heureuse. Vous avez également eu de grandes rencontres féminines… Avec Delphine Seyrig notamment, et surtout Chantal Akerman avec laquelle j’ai tourné huit films, une personne fondamentale dans ma vie. Avec elle, c’était instinctif. Nous avions une relation de travail, amicale, familiale, totale. Un jour, j’avais rendez-vous avec Chantal dans notre restaurant habituel, en face de la gare du Nord. J’ai attendu une heure, deux heures, et je suis rentrée chez moi. J’ai appris qu’elle s’était suicidée. J’ai interdit qu’on me dise comment tant ça a été terrible. Aujourd’hui vous vivez à Paris avec votre mari… Nous n’en pouvions plus de tous ces voyages. Je me sens calme, presque heureuse. Je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé, comment cette petite fille de la campagne a pu avoir cette vie. J’ai rompu la solitude sans m’en rendre compte. Je suis très entourée, mais au fond, je reste une femme seule qui regarde par la fenêtre l’obscénité du monde. Livre : « Une femme sans fin s’enfuit, Aurore Clément ». Texte de Mathieu Terence, photographies de Peter Wyss, the (M) éditions, octobre 2022, 84 pages, 450 €. Edition limitée à dix exemplaires numérotés et signés accompagnés d’un tirage unique. Crédit photo : CAROLE BELLAÏCHE POUR « LE MONDE »
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Le spectateur de Belleville
September 19, 2022 6:51 PM
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Par Corinne Denailles dans Webthéâtre - 19 septembre 2022 Entre la vie et la mort Une jeune femme vient d’accoucher. Son bébé, dont les poumons sont insuffisamment développés, est entre la vie et la mort. Une attente insupportable durant laquelle la mère parle dans un flot continu à son enfant, comme pour lui insuffler le désir de vivre, l’aider à déployer les alvéoles pulmonaires pour accueillir l’air et la vie. Cette adresse à sa petite fille l’aide à tromper l’angoisse. Les mots arrivent vite, les idées déboulent, elle n’a pas le temps de trier. Dans l’urgence de la situation elle dresse un portrait du monde qui attend son enfant, dans toutes ses contradictions, ses horreurs et ses beautés, l’absurdité de la société des hommes sans avenir qu’elle devra affronter, mais aussi la chance extraordinaire d’être en vie. L’évocation de désastres planétaires laisse place à la joie des mille premières fois à venir qu’elle égrène dans l’oreille de son petit écureuil (ou suricate, ou castor, etc., c’est selon), comme un hymne à la joie, à la vie. Imaginer les premiers pas, les premiers mots, la première chute, le premier baiser, le premier voyage, etc., c’est projeter l’enfant dans sa future existence et si elle n’entend rien à ce qu’on lui raconte, un jour, elle vivra une de ses premières fois avec une impression de déjà vu, une réminiscence indéfinie. Ainsi de l’ange qui à la naissance efface tout le savoir détenu par le nouveau-né en déposant un baiser au-dessus de sa lèvre supérieure dont cette petite fossette qui nous reste est le témoin. Romane Bohringer porte le texte tendre, terrible et drôle de Sophie Maurer avec beaucoup d’émotion et de tenue. Dommage que Panchika Vélez n’ait pas fait complètement confiance à l’auteur et à la comédienne qu’elle encombre d’une scénographie malvenue et d’une musique superflue, ce qui ne met nullement en cause le talent du musicien. Etait-il nécessaire de s’adresser à une pseudo-couveuse absente qu’on tente de faire exister au milieu d’un matériel vaguement hospitalier, surligné par la projection d’images de couloir d’hôpital (travaillées avec talent par Mélina Vernant) ? Romane Bohringer a suffisamment de présence et de talent pour se passer de ces artifices. Le spectacle et la métaphore qu’il suggère de l’incertitude d’un monde entre la vie et la mort gagneraient en intensité.
Respire de Sophie Maurer, mise en scène Panchika Velez, avec Romane Borhinger et Bruno Ralle. Scénographie et lumières, Lucas Jimenez. Musique, Baloo Productions. Paris, La Piccola Scala, du jeudi au samedi à 19h30 du 15 septembre au 8 octobre 2022 et du 3 février au 1er avril 2023. Tel : 01 40 03 44 13. www.lascala-paris.fr
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Le spectateur de Belleville
September 28, 2023 5:06 PM
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Par Libération et AFP, le 28 septembre 2023 Mercredi soir, le comédien de 78 ans a eu un malaise sur la scène du théâtre Edouard-VII à Paris, où il joue «Lapin» aux côtés de Muriel Robin, qui est suspendue pour une semaine. Le comédien a fait un malaise sur scène, environ vingt minutes après le début de la représentation de «Lapin», une pièce de Samuel Benchetrit. (Photo Lucie Choquet /ABACA) Un bégaiement qui ne fait pas partie de la mise en scène et puis le rideau rouge qui tombe. Le comédien Pierre Arditi, 78 ans, a eu un malaise sur scène mercredi soir à Paris. Il a été hospitalisé mais ses «jours ne sont pas en danger», selon son entourage. «Il est conscient, il a été hospitalisé pour passer des examens», a précisé cette source, selon laquelle il ne s’agit «pas d’un AVC» mais d’un malaise vagal. «J’ai eu un malaise vagal en scène et une hypoglycémie, donc évidemment j’ai perdu le fil… Mais il n’y a pas d’AVC, pas de chose comme ça. Ça fout la trouille quand même, parce que ce n’est quand même pas rien. Mais ça va, c’est fini. Je vais me reposer cinq jours et je recommence à jouer mercredi», a-t-il expliqué jeudi sur BFMTV. Le comédien a fait un malaise alors qu’il était sur la scène du théâtre Edouard-VII à Paris, environ vingt minutes après le début de la représentation de Lapin, une pièce de Samuel Benchetrit. La représentation de cette pièce en duo avec Muriel Robin a été immédiatement interrompue, le rideau a été baissé et les spectateurs invités à quitter la salle. «La pièce est interrompue pour respecter une période de repos et reprendra mercredi soir», a souligné l’entourage du comédien. Pierre Arditi, né le 1er décembre 1944 à Paris, est une figure populaire de la vie culturelle française. Il a plusieurs fois collaboré avec des cinéastes comme Alain Resnais et Claude Lelouch, tout en poursuivant une intense carrière sur les planches et sur le petit écran. Récompensé de deux César et d’un Molière, il est connu pour sa voix grave et ses rôles de séducteur. Il a été vu ces dernières années dans la série le Sang de la vigne, dans la Belle Epoque (2019) de Nicolas Bedos ou plus récemment, dans Maestro(s) (2022), où il jouait un chef d’orchestre aux côtés d’Yvan Attal. Mise à jour à 11 heures avec déclarations de Pierre Arditi, précisions sur le malaise et arrêt de la pièce pour une semaine.
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Le spectateur de Belleville
May 18, 2023 2:05 PM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde 18 mai 2023 Avec « Portraits de famille. Les oublié.es de la révolution française », la comédienne et spécialiste d’histoire de l’art réalise un spectacle atypique. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/18/au-theatre-de-l-atelier-a-paris-hortense-belhote-donne-une-conference-vraiment-spectaculaire_6173889_3246.html
C’est un objet théâtral peu ordinaire que propose Hortense Belhôte. Enseignante d’histoire de l’art et comédienne, elle a choisi de combiner avec ingéniosité ses deux compétences pour créer ce qu’elle appelle, à juste titre, une « conférence spectaculaire ». Soit un concept mêlant vulgarisation historique, vidéoprojection, récit personnel et familial, le tout emmené avec pédagogie, drôlerie et pétulance. En tenue de sport aux couleurs de la France, Hortence Belhôte attend en bordure de scène que le public s’installe. Petite télécommande cachée dans sa main, cette créatrice de Merci de ne pas toucher − une websérie diffusée sur Arte.tv dans laquelle elle décrypte les chefs-d’œuvre de l’art classique européen et en dévoile la puissance érotique − ouvre cette fois un album de famille historique, soit une galerie de douze portraits des « oublié.es de la révolution française ». De Madame du Barry et son page Zamor à Thomas Alexandre Dumas, de Claire de Duras à Marie-Guillemine Benoist, de Jean Amilcar au chevalier de Saint-George et au chevalier d’Eon, tous ont pour point commun de ne pas correspondre aux critères du héros national, soit parce que noirs, soit parce que femmes émancipées, soit parce que non-binaires, bref, parce qu’en dehors des canons de l’historiographie officielle. Un tourbillon de récits Partant de son propre arbre généalogique, une « dynastie de nobodies », Hortense Belhôte bascule dans un tourbillon de récits à la fois très documentés et emballés dans un environnement modernisé mêlant jeux vidéo, chansons contemporaines et « cancel culture ». Organisé façon poupées russes, son spectacle mêle avec adresse petite et grande histoire, culture élitiste et populaire. On y croise aussi bien Mylène Farmer que Le Radeau de La Méduse, de Géricault, ou encore les Pokémons et le karaoké. Même si on peut parfois se perdre entre toutes ces aventures individuelles de « marginaux », « bizarres » ou « perdants » de la Révolution française, la comédienne, au faux air de Camille Cottin, développe une énergie tellement communicative et une mise en scène si truffée d’astuces qu’elle nous bluffe, nous intrigue et nous embarque. Surtout, elle nous fait gamberger : et si nous vivions une époque pas aussi inédite que nous le croyons ? Avec cette « conférence spectaculaire », Hortense Belhôte entend se glisser « dans un rôle de petit trublion qui vient mettre en branle la culture établie ». C’est à la fois instructif, pop, impertinent, gaguesque, et a le mérite de renouveler le genre de la conférence performée. A travers ce format atypique, la comédienne creuse son sillage depuis quelques années. Après l’histoire du football féminin (2019), des graffeuses (2021) et des performeuses de la danse contemporaine (2022), elle s’attaque donc à la révolution française mais toujours avec la même veine féministe. Portraits de famille. Les oublié.es de la révolution française, écrit, conçu et interprété par Hortense Belhôte, création vidéo : Théodora Fragiadakis. Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin, Paris 18e. Jusqu’au 27 mai. Tarifs de 10 € à 25 €. Sandrine Blanchard Légende photo : Hortense Belhôte dans « Portraits de famille. Les oublié.es de la Révolution française », à l’Espace 1789, à Saint-Ouen, le 14 mars 2023. FERNANDA TAFNER
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Le spectateur de Belleville
April 24, 2023 7:34 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 23/04/2023 Nommée aux Molières pour son rôle dans « Music-Hall », de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, la comédienne a cultivé son art sur la frontière entre tragique et comique. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/04/23/catherine-hiegel-clown-magicienne-et-sorciere-la-femme-aux-cent-visages_6170720_3246.html
Lundi 24 avril au soir, après la cérémonie des Molières, Catherine Hiegel aura peut-être ajouté une statuette à toutes celles, nombreuses, qui peuplent son appartement du 6e arrondissement de Paris. Si c’est le cas, il faudra faire de la place sur la cheminée du salon, déjà surchargée de figures, de figurines, de visages, qui essaiment aussi en bande organisée dans les autres pièces de ce repaire d’artiste à l’ancienne, rempli de livres et de secrétaires où se poser pour écrire. La comédienne en plaisante, elle qui ne goûte ni les honneurs ni les récompenses officielles. A 76 ans, elle est toujours aussi peu rangée, aussi joueuse, libre et rebelle, dans son petit pull noir et gris très rock’n’roll, pour ne pas dire un peu punk. Un Molière de plus (elle en a déjà eu deux), ou pas, dans la catégorie meilleure comédienne dans un spectacle de théâtre privé, ne changera pas grand-chose à l’affaire. « Hiegel », comme on l’appelle dans la profession – l’abandon du prénom étant la marque des grands –, est, une fois de plus, géniale dans Music-Hall, la pièce de Jean-Luc Lagarce mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo, dont elle vient juste de terminer la tournée, qui l’a menée partout en France. Géniale, c’est-à-dire aussi bouleversante que flamboyante, avec ses faux cils et sa robe à paillettes, dans cette partition qui s’offre comme une métaphore des grandeurs et des misères du métier d’actrice. De ces grandeurs et de ces misères, elle a tout connu, peu ou prou, depuis ses débuts, à 18 ans à peine, en 1965, dans Fleur de cactus, de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy, les rois du théâtre de boulevard. Elle avait arrêté l’école à 16 ans, encouragée par son père – c’était une autre époque –, qui rêvait de la voir devenir comédienne, lui qui avait eu le désir, déçu, d’être acteur. Pierre Hiegel (1913-1980) était musicologue, producteur pour la radio et directeur artistique de maisons de disques. « J’ai passé mon enfance à m’endormir et à me réveiller dans la musique », raconte Catherine Hiegel. « Une musique intime » Dans le vaste appartement familial passaient aussi bien les chanteuses Lucienne Delyle ou Barbara – d’ailleurs découverte par Pierre Hiegel – que les pianistes Samson François et György Cziffra ou la cantatrice Jane Rhodes. Catherine Hiegel pense que cette présence de la musique dans sa vie « a beaucoup compté » pour la comédienne qu’elle est. « Surtout dans le rapport à la justesse. J’entends quand c’est faux, tout de suite, assure-t-elle de sa voix grave de fumeuse. Tout est musical dans nos vies, et donc en scène aussi, bien sûr : chacun d’entre nous a un rythme personnel, intérieur, une musique intime. Le rapport au corps en scène, au silence, au temps, est aussi important que la phrase. Il faut savoir entendre quand un temps est trop long ou trop court, il faut savoir le mesurer par rapport à la densité de ce qui a été dit ou de ce qui va se dire. » Dans ces triomphantes années 1960, Catherine Hiegel n’en est pas encore à réfléchir sur son métier d’actrice. Elle sait faire rire, elle a depuis l’enfance un côté clown : elle est immédiatement accueillie à bras ouverts par Jean Poiret et Michel Serrault, et d’emblée on la compare à Jacqueline Maillan, qui règne alors sur le vaudeville. La jeune femme à l’air espiègle aurait pu s’en tenir là – « j’avais une autoroute comique devant moi », constate-t-elle –, mais la Comédie-Française l’a appelée et, après avoir longuement hésité, elle est entrée dans la vénérable maison le 1er février 1969. Elle va y rester quarante ans, jusqu’à son éviction absurde, le 6 décembre 2009, par le comité qui préside aux destinées des membres de la Société des comédiens-français. Et elle va y jouer toutes les Toinette, Lisette, Marinette et autres soubrettes du répertoire, de Molière à Marivaux. A l’époque – « mais c’est encore le cas maintenant ! », soutient-elle –, les « emplois » pour les actrices étaient très codifiés, dépendant de critères physiques rigides plus que de la richesse de leur jeu. « Si vous étiez petite, blonde, avec un nez retroussé, eh bien c’était les soubrettes, s’insurge Catherine Hiegel. La jeune première, l’amoureuse, devait forcément être grande, mince et belle selon des critères ultraclassiques. Dans les années 1960, les critères ont commencé à changer pour les hommes, avec l’apparition d’acteurs comme Belmondo, mais pas pour les femmes. Au Conservatoire, je n’avais tout simplement pas le droit de travailler autre chose que des servantes. Ce fut une souffrance, au départ, parce que ce sont des interdits qui vous limitent et qui viennent vous désigner physiquement. Mais rapidement, avec les soubrettes de Molière, de Marivaux et surtout de Goldoni, j’ai vu que la richesse de ces rôles était immense, bien plus complexe que l’emploi de la jeune première qui doit pleurer au bout de trois répliques. » Profondeur humaine inégalée De cette doxa issue d’un autre âge, et particulièrement prégnante en France, Catherine Hiegel a fait une force. C’est en jouant les servantes goldoniennes avec une profondeur humaine inégalée, notamment dans La Serva amorosa, mise en scène par Jacques Lassalle, en 1992, qu’elle va s’installer dans le paysage comme une comédienne majeure. Et qu’elle va être de plus en plus demandée à l’extérieur du Français, pour jouer de tout autres partitions, souvent très contemporaines, et de tout autres rôles. En 1986, Patrice Chéreau l’appelle pour jouer dans Quai ouest, de Bernard-Marie Koltès, au côté de Maria Casarès, qu’elle admire infiniment. Ensuite, il y aura Une visite inopportune, de Copi (1988), ou La Veillée, de Lars Noren (1989), toutes deux par Jorge Lavelli ; J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, de Jean-Luc Lagarce (2005), ou Embrasser les ombres, de Lars Noren encore (2005), avec Joël Jouanneau ; Les Bonnes, de Genet, avec Philippe Adrien (1997), ou Savannah Bay, de Duras, avec Eric Vigner (2002) ; ou encore De beaux lendemains, de Russell Banks (2011), où Emmanuel Meirieu avait su, magnifiquement, mettre en avant sa douceur et sa délicatesse, derrière les armes de la guerrière. Autant de rôles de femmes sauvages et déchirées, ravagées et fortes, généreuses et amoureuses, ou folles et monstrueuses, comme la Vera d’Avant la retraite, de Thomas Bernhard, jouée sous la direction d’Alain Françon, en 2020. Pour Catherine Hiegel, d’ailleurs, la frontière entre comique et tragique est souvent artificielle, tracée de manière bien trop rigide. Pour elle, « le rire vient toujours d’un fond tragique ». Elle a travaillé son art d’actrice inlassablement, au fil des rencontres avec les metteurs en scène qui ont compté pour elle : le corps avec Dario Fo (Le Médecin malgré lui, de Molière, en 1990), le sens du geste juste avec Giorgio Strehler (La Trilogie de la villégiature, de Goldoni, en 1978), l’intelligence du texte, «éblouissante » , avec Patrice Chéreau. Cherchant toujours, jamais satisfaite, dans cet art fragile qu’est celui de l’acteur, lequel est à lui-même son propre instrument et doit apprendre ses secrets, soir après soir, comme un virtuose avec son violon ou sa clarinette. « Une évidence dans le phrasé » Catherine Hiegel a aussi beaucoup regardé les acteurs qu’elle admirait, notamment le grand Philippe Clévenot (1942-2001), que tous les vrais amoureux de théâtre regrettent. « Il y avait, chez lui, une intelligence de l’incarnation, une voix, un phrasé très particuliers, une construction de la pensée simple et dense, se souvient-elle. C’est toujours ce que l’on recherche : arriver à la simplicité de l’incarnation, sans esbroufe. Quand Clévenot entrait en scène et qu’il commençait à parler, on écoutait : il y avait une évidence dans le phrasé, le chemin de pensée, la présence. » On peut en dire autant, mot pour mot, de Catherine Hiegel. Le mystère de cette présence, la comédienne ne sait pourtant pas l’expliquer. « C’est une harmonie, probablement, entre la voix, le corps et la pensée, qui avancent ensemble, se hasarde-t-elle. Ce n’est pas l’envie d’être regardé, je ne crois pas… Mais l’envie d’éprouver, peut-être. Et de partager ce qu’on éprouve, ce qui est essentiel. » Peut-être est-ce là ce qu’elle interroge, dans les multiples visages sculptés qu’elle collectionne, mais aussi les pantins, les marionnettes et autres mannequins de procession ou de parade. Autant de figures, plus ou moins réalistes ou abstraites. Mais pas de masques. Catherine Hiegel les chine dans des brocantes, inlassablement, depuis des années. Elle dit qu’elle ne se lasse jamais de regarder les êtres. Dans la rue, dans le métro, dans les cafés, partout, elle regarde les visages. « Je vois des hommes et des femmes qui pleurent, et j’ai l’impression que je suis la seule à les voir. Souvent, des visages m’apparaissent, aussi, quand je regarde une pierre, ou le sol. » Catherine Hiegel se fait rêveuse. Toute grande actrice est magicienne et sorcière, comme l’était Jeanne Moreau, dont elle est aussi une héritière. « Petite, je fabriquais des marionnettes qui devaient être des princesses, mais se transformaient inévitablement en sorcières », se rappelle-t-elle dans un souffle, avant de jouer mezza voce, rien que pour nous, le monologue final de Music-Hall : « Et jouons quand même et faisons semblant,/ tricheurs aux extrêmes, (…)/ et remplissons le temps,/ faisons semblant d’exister,/ et jouons quand même – j’en pleurerais, n’ai pas l’air comme ça mais en pleurerais et en pleure parfois, mais discrètement, avec lenteur et désinvolture, (…)/ pleure sous maquillage et déguisement, (…)/ triche jusqu’aux limites de la tricherie,/ l’œil fixé sur ce trou noir où je sais qu’il n’y a personne. » Un frisson passe. Tout est dit, dans la caverne aux multiples visages de Catherine Hiegel. Molières 2023 : les nominations Dix-neuf récompenses seront attribuées lundi 24 avril lors de la 34e cérémonie des Molières Molière du théâtre privé : Big Mother, de Mélody Mourey, mise en scène Mélody Mourey Glenn, naissance d’un prodige, d’Ivan Calbérac, mise en scène Ivan Calbérac Oublie-moi, de Matthew Saeger, mise en scène Marie-Julie Baup et Thierry Lopez Les Poupées persanes, d’Aïda Asgharzadeh, mise en scène Régis Vallée Molière du théâtre public : Amours (2), de Joël Pommerat, mise en scène Joël Pommerat Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort (Comédie-Française) Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant, mise en scène Johanna Boyé La vie est une fête, de Jean-Christophe Meurisse et Les Chiens de Navarre Molière de la comédie : Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin, mise en scène Michel Fau No Limit, de Robin Goupil, mise en scène Robin Goupil Le Retour de Richard 3 par le train de 9 h 24, de Gilles Dyrek, mise en scène Eric Bu Une idée géniale, de Sébastien Castro, mise en scène Agnès Boury et José Paul Molière du spectacle musical : Les Coquettes – Merci Francis, de Lola Cès, Marie Facundo et Juliette Faucon, mise en scène Nicolas Nebot Moi aussi je suis Barbara, de Pauline Chagne et Pierre Notte, mise en scène Jean-Charles Mouveaux Starmania, de Michel Berger et Luc Plamondon, mise en scène Thomas Jolly Tous les marins sont des chanteurs, de Gérard Mordillat, François Morel et Antoine Sahler, mise en scène François Morel Molière de l’humour : Florence Foresti dans Boys Boys Boys, de Florence Foresti et Pascal Serieis, mise en scène Florence Foresti Laura Felpin dans Ça passe, de Laura Felpin et Cédric Salaun, mise en scène Nicolas Vital Manu Payet dans Emmanuel 2, de Manu Payet, mise en scène Manu Payet Stéphane Guillon dans Sur scène, de Stéphane Guillon, mise en scène Anouche Setbon Molière du jeune public : Gretel, Hansel et les autres, d’Igor Mendjisky, d’après les frères Grimm, mise en scène Igor Mendjisky Odyssée, la conférence musicale, de Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey, d’après Homère, mise en scène Stéphanie Gagneux La Reine des neiges, l’histoire oubliée, de Johanna Boyé et Elisabeth Ventura, mise en scène Johanna Boyé Space Wars, d’Olivier Solivérès, mise en scène Olivier Solivérès Molière du seul(e) en scène : Coming out, avec Mehdi Djaadi, de Mehdi Djaadi et Thibaut Evrard, mise en scène Thibaut Evrard Il n’y a pas de Ajar, avec Johanna Nizard, d’après Delphine Horvilleur, mise en scène Arnaud Aldigé et Johanna Nizard Thomas joue ses perruques (Deluxe Edition), avec Thomas Poitevin, de Yannick Barbe, Stéphane Foenkinos, Hélène François et Thomas Poitevin, mise en scène Hélène François Tout le monde savait, avec Sylvie Testud, d’Elodie Wallace, d’après Valérie Bacot et Clémence de Blasi, mise en scène Anne Bouvier Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé : Sébastien Castro, dans Une idée géniale, de Sébastien Castro, mise en scène Agnès Boury et José Paul Michel Fau, dans Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin, mise en scène Michel Fau Jean Franco, dans La Délicatesse, d’après David Foenkinos, mise en scène Thierry Surace Thierry Lopez, dans Oublie-moi, de Matthew Saeger, mise en scène Marie-Julie Baup et Thierry Lopez Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé : Marie-Julie Baup, dans Oublie-moi, de Matthew Saeger Catherine Frot, dans Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin Isabelle Gélinas, dans Les Humains, d’Ivan Calbérac Marie Gillain, dans Sur la tête des enfants, de Salomé Lelouch Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public : Jacques Gamblin, dans HOP !, de Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin Christian Hecq, dans Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort Denis Podalydès, dans Le Roi Lear, de William Shakespeare, mise en scène Thomas Ostermeier Laurent Stocker, dans L’Avare, de Molière, mise en scène Lilo Baur Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public : Isabelle Carré, dans La Campagne, de Martin Crimp, mise en scène Sylvain Maurice Sara Giraudeau, dans Le Syndrome de l’oiseau, de Pierre Tré-Hardy, mise en scène Sara Giraudeau et Renaud Meyer Catherine Hiegel, dans Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Marcial di Fonzo Bo Isabelle Huppert, dans La Ménagerie de verre, de Tennessee Williams, mise en scène Ivo van Hove Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé : Marie-Julie Baup et Thierry Lopez, pour Oublie-moi Michel Fau, pour Lorsque l’enfant paraît Mélody Mourey, pour Big Mother Régis Vallée, pour Les Poupées persanes Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public : Jean Bellorini, pour Le Suicidé, vaudeville soviétique, de Nikolaï Erdman Johanna Boyé, pour Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant Christian Hecq et Valérie Lesort, pour Le Bourgeois gentilhomme, de Molière Joël Pommerat, pour Amours (2) Molière de la révélation féminine : Vanessa Cailhol, dans Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant Léa Lopez, dans La Reine des neiges, l’histoire oubliée, de Johanna Boyé et Elisabeth Ventura Anna Mihalcea, dans Les Filles aux mains jaunes, de Michel Bellier Lison Pennec, dans Glenn, naissance d’un prodige, d’Ivan Calbérac Molière de la révélation masculine : Alexandre Faitrouni, dans Smile Thomas Gendronneau, dans Glenn, naissance d’un prodige Mexianu Medenou, dans Tropique de la violence, d’Alexandre Zeff Thomas Poitevin, dans Thomas joue ses perruques (Deluxe Edition) Molière du comédien dans un second rôle Kamel Isker, dans Les Poupées persanes Jérôme Kircher, dans Biographie : un jeu, de Max Frisch Benjamin Lavernhe, dans La Dame de la mer, de Henrik Ibsen Bernard Malaka, dans Glenn, naissance d’un prodige Teddy Mélis, dans Le Voyage de Molière, de Jean-Philippe Daguerre et Pierre-Olivier Scotto Christophe Montenez, dans Le Roi Lear Molière de la comédienne dans un second rôle : Agnès Boury, dans Une idée géniale Manon Clavel, dans La Campagne, de Martin Crimp Marina Hands, dans Le Roi Lear Karina Marimon, dans Big Mother Elodie Menant, dans Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant Josiane Stoléru, dans Glenn, naissance d’un prodige Molière de l’auteur (trice) francophone vivant(e) : Aïda Asgharzadeh, pour Les Poupées persanes Ivan Calbérac, pour Glenn, naissance d’un prodige Léonore Confino, pour Le Village des sourds Elodie Menant, pour Je ne cours pas, je vole ! Mélody Mourey, pour Big Mother Joël Pommerat, pour Amours (2) Molière de la création visuelle et sonore Big Mother, de Mélody Mourey, mise en scène Mélody Mourey Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort Smile, de Dan Menasche et Nicolas Nebot, mise en scène Nicolas Nebot Starmania, de Michel Berger et Luc Plamondon Fabienne Darge
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Le spectateur de Belleville
April 12, 2023 1:07 PM
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Propos recueillis par Marie-Céline Nivière dans le site "L'Oeil d'Olivier" - 12 avril 2023 Au théâtre de l’Odéon, le comédien franco-sénégalais incarne brillamment le Maure de Venise, dans la mise en scène réjouissante de Jean-François Sivadier. Rencontre autour de ce personnage mythique et complexe, qui du haut de ses 419 ans, demeure encore d’actualité. Il est 18h30. Le théâtre s’anime. Nous sommes un mardi, et donc dans l’effervescence d’un lendemain de relâche. Jean-François Sivadier est là, sourire aux lèvres, accueillant. Il règne une joyeuse atmosphère, celle des succès. Le public parisien est au rendez-vous de cet Othello, comme il l’a été dans toutes les villes où le spectacle s’est joué, tel le TNP de Villeurbanne où j’ai découvert le spectacle. Adama Diop me reçoit dans sa loge à la fois moderne et monacale. Le comédien, lauréat l’année passée du Prix du Syndicat professionnel de la Critique du meilleur comédien, pour sa prestation dans La Cerisaie, mis en scène par Tiago Rodriguès, irradie de ce bonheur d’être sur scène, au service d’un texte et d’un metteur en scène. Comment le projet d’Othello est arrivé-il jusqu’à vous ? Jean-François Sivadier m’a vu dans un spectacle mis en scène par Arthur Nauzyciel, Mes frères, écrit par Pascal Rambert. À la sortie du spectacle, après m’avoir complimenté sur mon travail, il m’a dit qu’il avait envie que l’on se rencontre sur un projet commun. Je lui ai répondu, bien évidemment, que j’en serai très heureux. Quelque temps après, il m’appelle. Il pensait monter Othello. Il voulait me proposer ce rôle et me précise que Nicolas Bouchaud serait Iago. Quelle a été votre réaction ? Parce qu’Othello ce n’est pas rien dans sa signification. Le fait que l’on accepte un rôle, comme le fait que cela fasse écho en nous ou pas, dépend du contexte. Il se trouve que là, il y en avait deux. Chacun coïncidait avec mon arrivée en France. Le premier était Jean-François Sivadier. Sa Vie de Galilée fut un des tous premiers spectacles que j’ai vus en arrivant. Un choc. Le second est qu’à cette même époque, j’ai lu pour la première fois ce texte. Cela m’a intéressé de replonger, vingt ans après, sur cet Adama-là qui arrivait en France. Et quel meilleur rôle que celui d’Othello pour questionner son rapport à un pays où l’on n’est pas né, où l’on doit s’affirmer, où l’on doit être soi-même ? J’aime aller vers des projets complexes et difficiles. La facilité aurait été de me dire que c’est une pièce problématique et que j’ai autre chose à faire, que l’on me propose d’autres rôles où la question de la couleur de peau n’est pas du tout une question. Non, j’ai trouvé que cela valait le coup de me coltiner ce sujet-là, avec Jean-François, avec cette troupe. Avec ses scarifications, ses longs cheveux crépus, L’Othello de Sivadier est un personnage qui retrouve ses origines et son passé… Ce qui est passionnant dans notre métier, c’est de pouvoir ramener tous ces grands personnages, ces grandes œuvres, à nous-même. C’est mon histoire personnelle. J’avais envie que cet Othello porte fièrement ses cheveux, ses marques. C’est un homme qui n’a pas de problème avec ce qu’il est et d’où il vient. Son problème est que la société, dans laquelle il vit, ne veut pas de lui. Il y a une notion qui est celle de l’intégration. Cette notion complexe qui impliquerait que pour faire partie de nous, tu dois oublier quelque chose de toi. Je trouvais aussi intéressant qu’il soit un Othello un peu plus insolent. Qui dit fièrement avoir traversé le monde, la mort, l’esclavage pour être là où il en est. Il ne doit aucun compte à personne. Il l’exprime dès le début : « Je tiens ma vie et mon être d’hommes de lignée royale et mes mérites peuvent d’égal à égal prétendre à une fortune aussi élevée que celle que j’ai acquise… » Une manière de dire : je ne rougis, je ne baisse les yeux devant personne ici. Même pas devant le Doge ! Je trouvais cela intéressant que cet Othello d’aujourd’hui, qui correspond à cet Adama de 2023, dise qu’il n’a pas de problème. Et qui continue à parler sa langue maternelle… Quand Jean-François m’a parlé de la question de la langue. Je lui ai répondu que je trouvais que c’était une bonne idée, mais que je ne voulais pas que cela soit utilisé de manière exotique. Il fallait qu’elle ait un vrai impact. C’est pour cela qu’elle est quasi réservée qu’à Desdémone. Cela raconte ce qu’ils partagent dans leur intimité. Justement, un mariage mixte est nourri par cette mixité entre deux cultures. C’est d’ailleurs très joliment traité. Comment avez-vous travaillé cela ? Deux êtres qui se découvrent, se voient, se comprennent, se sentent, c’est au-delà de la couleur de peau, de la langue. Ce n’est pas un frein ! Au contraire, c’est une richesse. Comment cet homme qui est né sur les terres africaines, on suppose la Mauritanie, qui a traversé le monde et la violence, a pu émouvoir une jeune aristocrate qui a priori n’a rien à voir avec son univers ? Ils se reconnaissent dans leur besoin de vivre autre chose. Elle en tant que femme. Tous les deux ont un mépris de la destinée et veulent vivre autre chose. Alors, pourquoi ne pas vivre ensemble ? C’est magnifique. Quant au langage, c’est la possibilité de partager quelque chose qui nous est très intime, qui raconte d’où l’on vient. C’est accepter l’autre profondément, dans sa complexité et dans sa richesse. Lui, il a déjà fait une partie du chemin. Il a appris les codes du monde de Desdémone. C’est donc à son tour de rencontrer, par sa langue et sa culture, le pays d’où il vient. C’est une manière de l’aimer aussi. Ce qui m’a impressionné, c’est que lorsque le Maure de Venise arrive, on est loin de l’image du grand chef, on songe à ces enfants soldats, à ces mercenaires… Ce qui est sûr, c’est qu’il a été au contact de la violence assez tôt. Il dit au tout début : « Depuis que mes bras eurent leurs forces de 7 ans jusqu’à ces neuf derniers moi, ils ont déployé leurs plus précieuses actions dans des camps militaires ». Othello a toujours baigné dans un univers de violence. C’est Desdémone qui lui ouvre les portes d’un monde qu’il n’aurait jamais imaginé pour lui-même. C’est en ça que je trouve cette tragédie terrible. Le bonheur potentiel de ces deux êtres, qui défie le monde qui les entoure, est mis à mal. Parce que lorsque tu grandis avec cette idée que tu n’es pas légitime, que tu ne feras jamais partie d’une société, que tu seras toujours l’autre, et qu’enfin, tu aimes quelqu’un et que l’on te dit que cette personne te trompe, c’est alors le monde qui s’écroule. Et c’est pour ça que le perfide Iago a pu œuvrer ? C’est presque par accident. En-tout-cas, c’est ma lecture. Il me semble que la perfidie de Iago vient toucher un endroit insoupçonné d’Othello. Ce n’est pas une question de jalousie, mais une question d’appartenance, de confiance. J’aime la phrase où Othello dit à Desdémone : « Que le ciel prenne mon âme, si je ne t’aime pas et quand je ne t’aimerai plus, ce sera le retour du chaos ». Avant Desdémone, c’est le chaos. Après Desdémone, c’est le chaos. Et que cette personne-là, qu’il chérit, puisse potentiellement être comme les millions d’autres qu’il a croisés dans sa vie, ceux qui n’ont jamais voulu de lui, cette idée lui est insupportable. À partir de là, c’est foutu ! En vous regardant sur scène avec Nicolas Bouchaud, on sent un plaisir de jouer ces deux grands personnages… Je ne vais pas parler à sa place, mais je pense que Nicolas a eu plus de plaisir à travailler Iago que moi Othello. Encore aujourd’hui, il y a plein d’Othellos. C’était pour moi un combat. Je ne suis pas tout à fait à l’endroit du plaisir. Je reconnais que l’acteur que je suis à la chance d’avoir à interpréter un grand personnage shakespearien. Mais il se trouve qu’il est complexe, qu’il remet en question un système qui existe encore aujourd’hui. Tout ça passe par le travail, qui permet la construction du personnage. Celle-ci se fait en plusieurs étapes qui ne sont pas simples. Nicolas est un comédien extraordinaire. Son Iago est terrible. Il ne dit pas tout de suite : attention, vous allez voir, je suis très méchant. Au début, Iago a l’air presque nul. On a le sentiment qu’il ne sait même pas ce qu’il fait. Or tout cela n’a pour but que de fomenter sa trahison, pour installer ce chaos qui va engendrer tous ces morts. C’est terrifiant. Certains pensent que la pièce aurait dû s’appeler Iago… Non, je ne crois pas. Le sujet qui est au centre des réflexions, c’est Othello. Il n’y a pas d’Othello, il n’y a pas de pièce. C’est mon interprétation. Il y a dans l’œuvre de Shakespeare un personnage extraordinaire, Richard III, qui possède un côté Iago : Je ne suis pas bien alors il faut que je me venge sur le monde. Avant d’arriver à l’Odéon, vous avez joué dans de nombreuses villes de province, quelles ont été les réactions du public et surtout de la jeune génération ? J’ai la sensation que le public a été globalement enthousiaste. J’ai été particulièrement surpris par la réaction très vivace des lycéens. Ils avaient beaucoup d’interrogations et de questionnements, par rapport à ce que draine la pièce : le racisme, la misogynie, le patriarcat, les féminicides. Cette génération porte, sur ces sujets, un autre regard que la nôtre, par exemple. Je trouve que ces lycéens arrivaient à discerner la complexité du personnage. Othello est impardonnable d’avoir commis un féminicide, mais on peut comprendre son parcours et ce qu’il a traversé. À l’inverse, des jeunes, entre 20 et 25 ans, ont trouvé cela inadmissible de voir ça aujourd’hui sur scène. Parce que trop violent, mais surtout parce qu’ils trouvaient qu’il y a trop de rôles masculins et pas assez de féminins. On a dû rappeler que c’est un Shakespeare ! Je trouve ces débats passionnants ! Cela illustre bien, qu’en 2023, les pièces de Shakespeare, comme celle de Molière, peuvent encore nous parvenir… C’est même ça qui est fascinant. Il y une relecture quasi infinie. Propos recueillis par Marie-Céline Nivière Othello de William Shakespeare. Odéon – Théâtre de l’Europe Place de l’Odéon 75006 Paris. Du 18 mars au 22 avril 2023. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Durée 3h20, avec entracte. Traduction de Jean-Michel Déprats.mise en scène de Jean-François Sivadier. Collaboration artistique de Nicolas Bouchaud et Véronique Timsit. Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda et Émilie Lehuraux. Avec la participation de Christian Tirole et Julien Le Moal. Scénographie de Jean-François Sivadier, Christian Tirole et Virginie Gervaise. Lumière de Philippe Berthomé et Jean-Jacques Beaudouin. son d’Ève-Anne Joalland. Costumes de Virginie Gervaise.
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Le spectateur de Belleville
March 16, 2023 12:02 PM
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Par Philippe Chevilley, dans Les Echos 15/03/2023 Le comédien franco-sénégalais enchaîne les grands textes et les grands rôles sous la direction des metteurs en scène les plus en vue du moment. Puissance, clarté, simplicité, mais aussi humilité… l'artiste nous raconte son parcours, sa passion raisonnée du théâtre et ses projets à la veille d'incarner Othello à Paris, à l'Odéon. Par Philippe Chevilley Publié le 15 mars 2023 à 15:00 Woyzeck, Macbeth, Lopakhine, dans La Cerisaie, et maintenant Othello : il est impressionnant dans tous les grands rôles du répertoire et les metteurs en scène les prestigieux se l'arrachent. Pourtant Adama Diop n'a pas la grosse tête. L'acteur franco-sénégalais quadragénaire colle parfaitement à l'idée qu'on se fait de l'acteur cool tout au long de notre entretien qui a eu lieu dans un bistrot de Montreuil, sa ville d'adoption. Une rencontre qui ressemble plus à une conversation nourrie qu'à une interview. Fort de son parcours, on s'imagine qu'il a été très tôt frappé par le virus du théâtre… Et bien, pas du tout. Lorsqu'à l'aube de ses 20 ans, il se voit proposer par l'attachée culturelle de son lycée à Dakar de participer à un festival de théâtre avec un autre étudiant, il y va en traînant les pieds : « Plus pour suivre mon camarade qu'autre chose. Je n'avais pas la vocation. À la base, je voulais devenir journaliste… On dira qu'avec le métier de comédien, j'ai trouvé une autre façon de questionner le monde… » Le déclic Dans la foulée du festival, Adama Diop débarque à Montpellier. « C'est là que le déclic a eu lieu. Lors de la visite du conservatoire, un jeune acteur sénégalais, Babacar M'Baye Fall, devenu un ami très proche par la suite, était en train d'apprendre son rôle. Quand je l'ai vu déambuler dans la cour, son texte à la main, je me suis dit : je veux faire ce métier-là. » Un peu plus tard, il est subjugué par La Vie de Galilée, la pièce de Bertolt Brecht mise en scène par Jean-François Sivadier. Cette représentation inoubliable le confirme dans sa voie. Vingt ans plus tard, la boucle est bouclée : le même Sivadier fait appel à lui pour jouer Othello… Rentré au Sénégal, le jeune Adama a choisi : il deviendra comédien en France. Il prépare le concours du conservatoire de Montpellier qu'il intègre en 2002. Deux femmes de théâtre, Marion Aubert et Marion Guerrero, lui mettent très vite le pied à l'étrier en le distribuant dans leurs spectacles. À l'issue de ces deux années, ses proches lui conseillent de passer d'autres concours. Celui de l'école du Théâtre national de Strasbourg par exemple, où il est accueilli chaleureusement par Stéphane Braunschweig, aujourd'hui directeur de l'Odéon. Mais c'est au Conservatoire national d'art dramatique de Paris qu'il parachève sa formation de 2005 et 2008. « À Montpellier, j'ai appris à être autonome, à être un acteur débrouillard. J'y ai bénéficié d'une grande liberté. J'étais dans l'action, l'apprentissage. Paris a été le temps de la pensée, du questionnement. Qu'est-ce que je veux faire en me consacrant à ce métier ? Je me suis alors essayé à la mise en scène et j'ai créé coup sur coup deux spectacles. » Rencontres et retrouvailles Pas besoin de se démener pour trouver du travail. Les metteurs en scène, intrigués et séduits par ce diamant brut, viennent à lui naturellement. « Tout s'est fait projet par projet, au gré de rencontres », explique-t-il modestement. « Certains m'ont sollicité parce qu'ils m'avaient apprécié dans un spectacle ; d'autres à l'issue de conversations dans un café, comme Julien Gosselin ou Frank Castorf. Avec Stéphane Braunschweig, que j'avais rencontré au TNS, ou Jean-François Sivadier, mon premier coup de cœur théâtral, on peut parler de retrouvailles. » Chacun de ces maîtres l'aide à grandir. Adama Diop évoque sa découverte de Brecht et l'intensité des répétitions avec Bernard Sobel (Sainte Jeanne des Abattoirs). Sous la direction de Julien Gosselin et ses spectacles cosmiques inspirés de grandes oeuvres de la littérature (2666et la trilogie Don DeLillo) ou avec Cyril Teste, chantre du théâtre-cinéma (Sun), il prend conscience que « l'acteur fait partie d'un dispositif, où il est plus ou moins au centre ». Stéphane Braunschweig (Macbeth) le séduit par son intelligence, son obstination « à ausculter chaque vers de Shakespeare, chaque mot pour en exprimer l'essence ». Frank Castorf (Bajazet, Racine) le plonge dans un maelstrom radical, « une forme d'improvisation permanente » où le comédien se débat et triomphe sans filet. Enfin, il apprécie « l'humilité et la bienveillance » de Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du Festival d'Avignon, qui l'a mis en scène dans La Cerisaie de Tchekhov. Adama loue « sa façon de donner simplement des règles du jeu et de laisser toute liberté à l'acteur »… Le comédien s'adapte à tous les registres, à tous les systèmes de jeu. « J'aime bien le double sens du mot interprète. Selon moi, l'acteur a pour mission de traduire la langue du metteur en scène. » Evidence et clarté Il est toujours difficile de définir l'art d'un comédien. Notre premier choc date de 2016, lorsqu'il participe à la grande aventure de 2666, l'adaptation en douze heures flamboyantes (vidéo en « live », déluge de musique techno…) du roman de Roberto Bolano par Julien Gosselin. Voix puissante, diction naturelle, charisme… l'acteur brûle les planches et l'écran dans cette fresque où il doit notamment déclamer un monologue en anglais pendant de longues minutes. Philippe Chevilley / Les Echos Vidéo Adama Diop Avignon 2021 Légende photo : Le comédien Adama Diop photographié à Montreuil, en février dernier. (©Samuel Kirszenbaum pour Les Echos Week-end)
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Le spectateur de Belleville
March 7, 2023 3:04 PM
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Par Valentin Pérez pour M le magazine du Monde - 26 février 2023 De « Un prophète » à « Pour la France », le comédien aux silences pudiques a tracé son sillon pour devenir un des acteurs les plus désirés du moment. Il est à l’affiche de « Goutte d’or », en salle le 1er mars. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/02/26/le-jeu-magnetique-de-karim-leklou_6163331_4500055.html
Quand la directrice de casting Tatiana Vialle a partagé les images de l’audition de Karim Leklou au réalisateur Clément Cogitore pour le rôle principal de Goutte d’or, elle s’est abstenue de tout commentaire. « L’évidence était telle qu’il n’y avait rien à dire », assure-t-elle. Convoqué pour un essai, l’acteur ne savait pourtant pas grand-chose du rôle, sinon qu’il s’agissait d’un médium. Face à la caméra, il s’est présenté muni d’une petite pierre, achetée quelques euros à La Cornaline, une librairie de la rue Saint-Lazare, à Paris, qui concentre textes ésotériques et objets de lithothérapie. « Il possédait une intériorité, une puissance d’évocation que les autres n’avaient pas, souligne Tatiana Vialle. Il paraissait, dans les silences, s’emparer des pensées de son interlocuteur. » En regardant la vidéo, Clément Cogitore, qui a écrit le rôle de ce voyant, manipulateur et cérébral, surnommé « mage » par les commerçants et les migrants des environs, a remarqué « la bonté au fond des yeux » du comédien. « Parce qu’on ne se méfie pas de lui, Karim crée une empathie immédiate avec le spectateur et autorise un éventail de nuances que je n’avais pas complètement imaginé pour le personnage », explique le cinéaste. Ainsi Karim Leklou a-t-il décroché son plus beau rôle à ce jour dans ce « polar mystique urbain », comme il le résume, en salle le 1er mars. Un emploi qui achève d’offrir une épaisseur mélancolique à ce quarantenaire pudique qui s’est fait connaître avec de nombreuses partitions secondaires ces dix dernières années. Se fondre dans des univers Ramsès, son personnage, est un médium qui évolue dans le quartier parisien de la Goutte-d’Or, entre Barbès-Rochechouart et la porte de la Chapelle, et dont les compétences se fondent sur une fouille préalable du smartphone de ses visiteurs et de leurs traces numériques laissées notamment sur les réseaux sociaux. Un rôle qui « n’était a priori pas pour [lui], convient Karim Leklou. Il était décrit comme un flambeur, le prince charmant du quartier. Autant dire que j’étais une contre-proposition », assume-t-il, dans un café près de la place de Clichy. Aussi, pour dessiner une réelle adéquation entre Ramsès et lui, il s’est jeté dans un exercice qu’il affectionne, celui d’une préparation méticuleuse. Un mois et demi d’éclaircissement de dialogues, de documentation, d’essais caméra dans les rues de Paris encore soumises au port du masque contre le Covid-19, de lectures avec un groupe d’enfants, des personnages de gamins des rues, des immigrés venus de Tanger (Maroc) qui percutent la trajectoire de Ramsès… Et d’infinies discussions avec Clément Cogitore et Tatiana Vialle. « On a voulu d’emblée écarter des effets trop spectaculaires, de type harangue de pasteur évangélique américain ou les promesses improbables qui brisaient toute crédibilité, comme j’en lisais sur les flyers récupérés à Barbès, ces voyants qui disaient être capables à la fois de résoudre vos soucis sexuels et de réparer votre PlayStation », s’amuse l’acteur. Au contraire, ils lui ont composé un uniforme jeans-tee-shirt passe-partout, n’en ont fait ni un athlète ni un tombeur, au point de laisser à Karim Leklou le soin de développer une affection pour son anti-héros. « Très vite, je n’ai plus vu le personnage comme un escroc, mais comme un fin psychologue qui console les âmes », dit-il. « Avant et pendant le tournage, je suis un obsessionnel, au point de prendre trop peu de temps pour la vie. » Karim Leklou Visionnage de documentaires, recherches de musique, adaptation de tournures de phrases… En quinze ans de carrière au cinéma, le comédien a développé non pas une méthode – il conteste le terme –, mais un appétit à se fondre dans un univers, à préparer un rôle avec application. Le genre à discuter des semaines avec la costumière (Les Géants, de Bouli Lanners, 2011), à parfaire en phonétique l’arabe qu’il ne parle pas à la ville (La Source des femmes, de Radu Mihaileanu, 2011), à vouloir maîtriser chaque geste médical lorsqu’on lui assigne le rôle d’un chirurgien (Réparer les vivants, de Katell Quillévéré, 2016, ou la série Hippocrate, de Thomas Lilti, diffusée à partir de 2018), à perdre « une vingtaine de kilos » pour se tailler une silhouette de flic alerte (BAC Nord, de Cédric Jimenez, 2020)… « Avant et pendant le tournage, je suis un obsessionnel, au point de prendre trop peu de temps pour la vie », reconnaît-il. « Ce désir de maîtrise, qu’il faut quelquefois canaliser, trahit sa grande insécurité de ne pas être à la hauteur », analyse son ami Thomas Lilti, avec qui Karim Leklou commencera, dans quelques jours, le tournage de la troisième saison d’Hippocrate pour Canal+. « L’implication de Karim est totale au point qu’il est incapable de faire deux choses à la fois. Lorsqu’il est sur un autre projet, il ne m’appelle pas, tant il est concentré. Je n’en prends pas ombrage, car, lorsqu’il revient, je suis toujours très touché de le voir s’adonner à la série à 100 %. » Le cinéma en partage Gamin, le comédien ne s’imaginait pas de métier précis. « Juste m’en sortir. » Timide « indiscipliné », il grandit dans un F2 d’un HLM de Saint-Cyr-l’Ecole, dans les Yvelines, dont son père, Mustapha, originaire d’Algérie, lui a laissé la chambre pour dormir dans le salon. « Ce geste magnifique me hante aujourd’hui », souffle celui qui est devenu père à son tour, il y a quelques mois. Dans cet espace à lui, recouvert de posters des footballeurs Diego Maradona ou Roberto Baggio, une chaîne hi-fi allumée sur RFM, Skyrock ou les commentaires sportifs d’Eugène Saccomano sur Europe 1, il s’évade en rêves. « Je tirais des coups francs imaginaires en Coupe d’Europe, marquant souvent des buts décisifs dans les dernières minutes. En vérité, j’avais deux pieds gauches. » « Il a, à la façon d’un Depardieu, une manière à lui d’occuper l’espace et, dans le regard, quelque chose qui vous traverse. » Hélène Marty, professeure au Cours Florent Lorsque son père, magasinier, revient du travail et lui du collège, ils aiment regarder ensemble, sans trop de commentaires, cinéma américain contemporain (dont Do the Right Thing, de Spike Lee, qu’il cite comme fondateur dans son goût du septième art), westerns, films d’action, comédies familiales, péplums… « J’entends encore mon père prononcer à la française le nom de Steve Reeves – “Riveuss’ !” – qu’on voyait dans Le Fils de Spartacus, rembobine Karim Leklou. Je réalise aujourd’hui qu’il m’a transmis, l’air de rien, cette idée majeure que la culture est une chose importante. » Plus tard, diplômé d’un BTS force de vente (« ou plutôt vente forcée ! ») et d’une licence en ressources humaines, il passera des heures à écumer les sorties en salle, à l’UGC de Saint-Quentin-en-Yvelines ou aux 5 Caumartin, dans le quartier de Saint-Lazare, où il est retourné, le 8 février, pour y introduire avec émotion une séance de Pour la France, le beau film politique de Rachid Hami dont il tient le rôle principal. « Entre 18 et 27 ans, j’ai vivoté. J’ai vendu, en accueil physique ou au téléphone, des abonnements Itineris et Wanadoo, des lignes téléphoniques chez France Télécom, des revues. » Casque et micro sur les oreilles, phrases-types à suivre à la lettre dont il est encore capable de se remémorer : « On vous offre une montre de type Rolex… » Avec lui, chaque job comporte « une durée de vie de trois mois, relève-t-il. Au-delà, je commençais à m’éloigner du texte. Les superviseurs m’entendaient et je me faisais virer. » Comme si seul le cinéma, déjà, l’absorbait, il se mettait alors à improviser des personnages, des répliques, des accents, ou se sabordait franchement en dégainant des punchlines de Scarface à des clients stupéfaits… Rituels d’apprentissage C’est là qu’il se lance, en 2005, des cours du soir au Cours Florent, pour tenter sa chance. « Il ne savait pas trop quoi faire de sa carcasse », se souvient sa professeure Hélène Marty, qui enseigne aujourd’hui au conservatoire départemental de Carcassonne et que Karim Leklou cite souvent comme la première professionnelle à lui avoir inculqué le plaisir de jouer. Ce corps imposant qu’il traîne maladroitement dans une classe où dominent les physiques de jeunes premiers, elle le lui fait appréhender, avec notamment Horace, de Corneille, déclamé à même le sol. « Je me disais : “S’il fait carrière, il fera quelque chose de fort.” Il a, à la façon d’un Depardieu, une manière à lui d’occuper l’espace et, dans le regard, quelque chose qui vous traverse », dit fièrement Hélène Marty. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Cannes 2022 : Karim Leklou « Moi, le cinéma et mon père » Dès ses premières apparitions, comme dans Un prophète (2009), de Jacques Audiard, ou chez la crème des cinéastes émergents des années 2010, comme Katell Quillévéré, Rebecca Zlotowski ou Elie Wajeman, ce sont en effet ce corps et ces yeux singuliers que les cinéphiles remarquent. Une morphologie « d’ours » et des billes « de chien battu », dépeint la presse à ses débuts dans des métaphores animales sans délicatesse. « Son corps bouge dans un rare contraste de brusquerie et de douceur », apprécie Clément Cogitore, qui l’a entraîné, pour Goutte d’or, dans des séquences de tournage physiquement éreintantes, d’errement et de perdition, de 20 heures à 6 heures. Karim Leklou, lui, élude : « L’image que je renvoie m’intéresse peu. Je n’ai pas fait ce métier pour me rapprocher de moi mais pour m’en éloigner. » Chaque nouveau projet commence par le même rituel : l’envoi du scénario à son grand ami Taha Lemaïzi, que Karim Leklou, fils unique au civil, mentionne comme son « frère ». Ces deux-là se sont rencontrés au Cours Florent. Intérêt partagé pour les films de gangsters et les matches de football, ils ont passé ensuite des journées entières à préparer ensemble des auditions, ont débuté au cinéma au même moment, dans les studios de Gennevilliers reconstituant la prison d’Un prophète. Dans un ballet rodé depuis des années, c’est auprès de Taha Lemaïzi donnant la réplique que Karim Leklou apprend ses textes. « En général, on se retrouve dans un café et on répète encore et encore, mais cela peut aussi se faire par téléphone, sur FaceTime… On cherche ensemble. Karim a une clairvoyance du rôle, il capte vite », raconte Taha Lemaïzi, qui a grandi à Wittenheim, en Alsace, et travaille aujourd’hui comme jardinier à Vincennes et ses environs. Un emploi « sans pénibilité » Karim Leklou peut ensuite demander aux cinéastes qui l’emploient d’éclairer un terme, de rendre plus vif un dialogue, partage ses doutes sur une didascalie… « Il a l’intelligence de préférer que son personnage garde le silence plutôt qu’il parle pour ne rien dire », note Guillaume Bureau. Le réalisateur a ainsi écrémé certaines répliques de son premier long-métrage, C’est mon homme, attendu en salle le 5 avril, afin de rendre plus impalpable encore le personnage touchant de soldat brisé par la Grande Guerre qu’incarne Karim Leklou, désiré par deux femmes aux antipodes, interprétées par Leïla Bekhti et Louise Bourgoin. « Comme tout privilège, je sais aussi que c’est fugace, que tout ça peut finir par s’envoler. » Karim Leklou Très demandé, le comédien apparaîtra à nouveau dès le 3 mai, dans Temps mort, d’Eve Duchemin, où il interprète un détenu, puis reviendra, dans les mois à venir, en héros loufoque qui donne à tous ceux qu’il croise l’envie de l’assassiner dans Vincent doit mourir, premier film de Stéphan Castang. « Acteur est un emploi sans pénibilité », loue-t-il, en détachant ce terme qui apparaît au-dehors, dans la rue de Caulaincourt, en lettres noires sur des affiches contre la réforme des retraites. « On connaît tous des gens qui encaissent des vies difficiles et dont les métiers qu’ils font ne sont pas à la hauteur des hommes qu’ils sont… Je sais trop cela pour ne pas comprendre à quel point je suis, dans cette société, un privilégié. Et, comme tout privilège, je sais aussi que c’est fugace, que tout ça peut finir par s’envoler. » Ni fataliste ni tranquille, il dit ne présager de rien, ne pas se figurer de personnages à composer à l’avenir. Avant de se reprendre, hilare : « Ah, si ! ça me ferait marrer de faire un film où je pars dans l’espace ! » Comme pour mieux suggérer qu’il est prêt à tous les voyages. « Pour la France » (1 h 53), de Rachid Hami. En salle depuis le 8 février. « Goutte d’or » (1 h 38), de Clément Cogitore. En salle le 1er mars. « C’est mon homme » (1 h 27), de Guillaume Bureau. En salle le 5 avril. Valentin Pérez / M le magazine du Monde Légende photo : Karim Leklou, à Paris, le 8 février 2023. THOMAS CHENE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
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Le spectateur de Belleville
February 26, 2023 4:59 AM
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ENTRETIEN « Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. La comédienne Ariane Ascaride revient sur ses origines populaires, où elle a puisé une énergie hors du commun pour s’imposer dans un monde dont elle n’avait pas les codes. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/26/ariane-ascaride-il-ne-faut-jamais-laisser-quelqu-un-vous-dire-que-vous-ne-pouvez-pas-faire-quelque-chose_6163336_3246.html
Figure emblématique des films de Robert Guédiguian, son compagnon, Ariane Ascaride a obtenu le César de la meilleure actrice en 1998 pour Marius et Jeannette. A 68 ans, la comédienne multiplie les projets théâtraux. Elle est actuellement sur deux scènes à Paris, au Lucernaire pour des poèmes de Bertolt Brecht et à La Scala pour Gisèle Halimi, une farouche liberté, où elle raconte, au côté de Philippine Pierre-Brossolette, l’itinéraire de la célèbre avocate, une combattante. Comme elle. Je ne serais pas arrivée là si… Si je n’étais pas née dans une famille modeste, la dernière après deux garçons. En quoi cette position dans la fratrie est-elle importante ? Je suis née à Marseille, dans une famille à moitié d’origine italienne, à une époque où les filles, dans un milieu populaire, étaient là pour aider leur mère, apporter le café au lit à leurs frères, et peut-être après se marier. Si elles faisaient des études, on était content, mais ce n’était pas mis en avant. Mon père était heureux d’avoir une fille, mais en arrivant beaucoup plus tard que mes frères, dans cette famille déjà chaotique, j’ai bousculé l’équilibre qui s’était instauré. Ce sentiment de différence entre fille et garçon, l’avez-vous ressenti très tôt ? Je l’ai ressenti presque physiquement, parce qu’un jour mon père m’a coupé les cheveux. Jusqu’à l’âge de 8 ans, j’avais de longues tresses, des jupes plissées et tout le monde disait que j’étais très gentille. Quand ma mère me démêlait les cheveux et me coiffait, je pleurais beaucoup et ça la mettait en retard pour partir au travail. Elle était employée de bureau. Un matin, mon père, ancien coiffeur devenu représentant pour L’Oréal, a lancé : « Ça suffit, je lui coupe les cheveux. » Il neigeait sur Marseille. Ma mère m’avait acheté un pantalon. Je suis sortie dans la rue avec cette tenue et mes cheveux courts. Ce matin-là, la boulangère m’a dit : « Petit, qui tu es ? » J’ai adoré, c’était comme si je transgressais quelque chose. Je pouvais enfin courir comme un garçon. J’ai eu la sensation d’une grande liberté, qui ne m’a jamais plus quittée. Vous évoquez une famille « chaotique » qu’est-ce que cela signifie ? Mes parents ne s’entendaient plus du tout. Mon père avait des maîtresses, il était souvent absent. Cette névrose de couple est passée avant nous. Ils ne discutaient jamais du sort de leurs enfants. Ils étaient dans un combat. Ma mère a toujours aimé mon père, c’était le seul homme de sa vie alors elle s’est fermée, est devenue très dure pour s’en sortir. C’était une époque où on restait ensemble, quoi qu’il en soit. Ils ne se sont jamais quittés. De toute façon, pour ma mère, ce n’était pas possible de partir. Elle n’aurait pas pu s’en sortir financièrement avec trois enfants. Mes parents ne se parlaient plus, sauf pour s’engueuler. Avec mes frères, on a poussé un peu tout seuls. Il fallait juste bien travailler à l’école. Ça, c’était fondamental pour mes parents. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Ariane Ascaride : « Je suis la fille d’une femme entravée » Est-ce parce qu’ils regrettaient de ne pas avoir fait d’études ? Ma mère aurait rêvé d’être institutrice, mais elle a été mise au travail à 15 ans pour que de l’argent rentre dans sa maison. Et mon père a travaillé dès l’âge de 12 ans. Ce sont deux autodidactes. Mon père était curieux de tout, il lisait beaucoup et faisait du théâtre en amateur. Son goût pour le théâtre vient du fait que la réalité était pour lui insupportable. Je dis toujours que je suis la fille de Peter Pan parce que mon père détestait la réalité. C’était un être de fantaisie, avec les défauts et le côté difficile à vivre qui vont avec. Il aurait aimé être chanteur d’opéra. Il nous cassait les pieds à chanter tous les matins ! Il nous obligeait à écouter des émissions de radio sur l’opéra, il était aussi un conteur, avec toute une culture populaire. Il nous racontait les légendes du sud de l’Italie. Tout cela m’a nourrie. Mais il était absolument interdit de parler italien à la maison. Et c’est grâce à votre père que vous découvrez le théâtre… Quand on était petits, avec mes frères, on allait le voir sur scène les week-ends. Quand il jouait, il se grimait. J’avais une fascination pour sa grande boîte à maquillage. Je l’ouvrais pour en respirer l’odeur que j’adorais. C’était un temps où, en province, on parlait du théâtre amateur dans les journaux locaux. Mon père découpait les critiques pour les garder. Un jour, je devais avoir 7 ans, il m’a emmenée, sans rien m’expliquer, à une répétition. Je me suis retrouvée sur une scène. D’un coup, c’était un espace que je maîtrisais complètement. Comme un marin qui met les pieds sur un bateau, j’avais trouvé mon endroit, un endroit où on pouvait faire des choses folles et qui me procurait une sensation de liberté. A 10 ans, j’ai joué un rôle de garçon dans une pièce avec mon père et j’ai décroché un prix d’interprétation au concours national de théâtre amateur. Quel processus vous mène au métier de comédienne ? Au lycée de filles, un de mes profs avait monté un club de théâtre et choisi Le Barbier de Séville. Il m’a imposé de jouer Figaro. Je me suis beaucoup amusée à faire ce rôle. Les enseignants me disaient que j’étais formidable, alors que pour moi ce n’était rien. J’étais adolescente, la question était plutôt d’avoir un copain, de faire un métier de fille. Et puis ça a cheminé tout seul dans ma tête. En dernière année de lycée, je me suis inscrite au concours du conservatoire de Marseille. Je l’ai annoncé à mes parents une fois que j’ai été reçue. Puis j’ai obtenu mon bac. Personne ne m’a accompagnée pour voir les résultats. Mes frères l’avaient eu, donc c’était normal de l’avoir. La gratification, ce n’était pas le genre de la maison, alors que, quand même, merde, j’étais contente de décrocher le bac ! Au conservatoire de Marseille, il n’y avait que des filles de la bourgeoisie. Les parents de mes copines disaient : « Elle a une énergie Ascaride, mais elle est quand même un peu vulgaire. » Je n’étais pas vulgaire, j’étais juste issue d’un milieu populaire. Et je les ai eus, mes premiers prix de classique et de moderne ! A cette époque, j’ai découvert dans une émission de télévision un monsieur qui s’appelait Marcel Bluwal. Sa manière de parler avec un accent parisien insensé, ce qu’il disait sur son métier, tout m’interpellait chez ce metteur en scène. A travers l’écran de télé, c’était comme une rencontre humaine. Quand j’ai su qu’il était professeur au Conservatoire national d’art dramatique de Paris, j’ai décidé de passer ce concours. Je voulais absolument le rencontrer, cela m’était nécessaire. Mais, pour l’heure, je menais, en parallèle du conservatoire de Marseille, mes études à la fac de sociologie. Socio, c’était logique pour la fille d’une famille de gauche. La discussion politique est-elle présente dans votre famille ? Tout le temps. Ça se foutait sur la gueule le dimanche. Mon grand-père français était anarcho-syndicaliste et mon père a été résistant pendant la guerre. Un de mes frères, gauchiste à mort, a occupé la fac d’Aix-Marseille pendant Mai 68. Et puis quand même, merde, je sortais d’un milieu où il n’y avait pas d’argent. Alors, soit vous vous dites « ben c’est comme ça » (je ne supporte pas cette phrase), soit vous considérez que « peut-être, on peut faire quelque chose ». Je suis de ce côté-là. Et c’est grâce à la politique que vous avez rencontré Robert Guédiguian… J’étais en deuxième année de sociologie et adhérente à l’UNEF. Lors de la rentrée universitaire, je fais, auprès des nouveaux étudiants, une intervention en amphithéâtre au nom du syndicat. Au fond de l’amphi, j’aperçois deux mecs. L’un avait de longs cheveux, un casque et un blouson de moto, il était habillé en noir avec une écharpe rouge. Je sors et reste devant la porte avec mes bulletins d’adhésion à l’UNEF. Et lui, il vient me voir et me dit [elle imite l’accent marseillais ] : « Bien parlé ». Je le regarde et je lâche : « Qui est ce con ? » Je crois que ça lui a plu que je dise ça ! Evidemment, il s’est syndiqué à l’UNEF. Il était déjà au PCF. On a d’abord eu une formidable connivence amicale. Il roulait des mécaniques, à un point dont vous n’avez pas idée ! Ça me faisait rire. Il arrivait de l’Estaque, la jouait prolo et il avait sa moto. Il m’a dit : « Toi, tu peux monter sur ma moto. » Il draguait comme un malade. Et vous vous êtes mariés très jeunes… Très, très jeunes. J’avais 20 ans. Lui 21 ans. N’est-ce pas contradictoire avec votre goût pour la liberté ? Vous pensez ça parce que vous ne savez pas comment a été faite la demande en mariage. Dans le cadre de mes cours d’ethnologie, je faisais un stage à Vauvenargues, près d’Aix-en-Provence. On était plus ou moins ensemble, Robert et moi. Un jour, il vient me chercher avec sa moto. On roule et il me dit : « Et si on se mariait ? » J’étais tellement étonnée ! Il ajoute : « Comme ça, on combattra l’institution de l’intérieur. » Cela m’a fait tellement rire que j’ai dit oui. Pour sa mère, j’étais tout le contraire de ce dont elle avait rêvé pour son fils. Puis j’ai passé le concours du Conservatoire national de Paris. Je l’ai réussi à la deuxième tentative. Dans le jury du concours, il y avait notamment Marcel Bluwal et Antoine Vitez. En première année je n’étais pas dans la classe de Marcel Bluwal, mais je pouvais assister à ses cours. Un jour, j’y suis allée. Il travaillait sur Le Cercle de craie caucasien. Dans cette pièce de Bertolt Brecht, il y a une scène où le personnage de Groucha lave le linge au bord d’une rivière. « Ça ne va pas, tu ne sais pas laver », dit Bluwal à son élève. Il se retourne et lance : « Qui veut le faire ? » Je lève le doigt. J’y vais et j’ai le geste juste parce que dans ma famille, il n’y avait pas de machine, on lavait tout à la main. « Eh ben, voilà », dit-il. J’étais tellement contente. Lui et Antoine Vitez m’ont beaucoup aidée. C’étaient des militants du PCF qui voulaient d’autres physiques, d’autres origines que ceux de la bourgeoisie dans les promotions. Avec Jean-Pierre Darroussin et Patrick Bonnel, on est tous entrés la même année au conservatoire et on est tous allés chez Bluwal. Même après ma sortie du conservatoire, on me disait que j’étais atypique. On ne savait pas où me mettre. J’ai eu une conversation avec Marcel Bluwal, il m’a prévenue : « Ça ira quand tu auras 40 ans. » J’ai failli tomber par terre. Mais il avait raison. Sans la bande de Robert Guédigian, je ne sais pas ce que je serais devenue. Cette bande, ce sont des gens qui se sont reconnus et qui ne se sont jamais fâchés. Quel a été votre moteur pour vous faire une place dans le milieu bourgeois du cinéma ? Un orgueil démesuré. L’orgueil n’est pas un défaut. Vous n’avez pas idée à quel point je suis têtue et opiniâtre. Il ne faut jamais laisser quelqu’un vous dire que vous ne pouvez pas faire quelque chose. Jamais. Même si ça semble fou. Il faut essayer. Et j’ai un sentiment de survie extrêmement développé. Qu’est-ce que vous appelez un « sentiment de survie » ? Je suis une survivante. Je ne devais pas naître. Je n’étais pas du tout prévue et pas du tout voulue. A 15 ans, ma mère – qui est un peu directe – m’a dit : « Quand je pense à tout ce que j’ai fait pour ne pas t’avoir ! Mais quand même, maintenant, je suis contente. » Inconsciemment, les discours entendus enfant vous marquent. La mémoire est très importante. Je suis l’héritière de pauvres, de gens qui n’avaient rien, qui ont été obligés de quitter leur pays, de gens qu’on a traités de macaronis d’un côté, de cons, de pauvres de l’autre côté. En seconde, un prof de français m’avait dit : « Oh, mais vous, Ascaride, d’où vous venez, vous ne pouvez pas comprendre. » Je ne l’ai jamais oublié. Alors quand Annie Ernaux, lors de son prix Nobel, a parlé de revanche, de « venger sa race », j’ai adoré, c’est exactement ça. L’attribution de ce prix à Annie Ernaux a aussi suscité des réactions violentes… Cela a été immonde. Honte à ceux qui ont critiqué cette attribution ! On nous raconte que la lutte des classes est une vieille histoire… Tu parles, Charles ! C’est le monde dans lequel on est depuis des siècles. Ce qui s’est passé autour d’Annie Ernaux raconte à quel point nous n’avons pas de place, et quand on arrive à en avoir une, c’est le résultat d’une lutte inimaginable. Parce que la bourgeoisie, elle, ne laisse pas de place. On me dit souvent que je suis une actrice engagée. Non, je suis une actrice citoyenne. Je croyais qu’avec l’âge je me calmerai, mais non, les injustices me mettent de plus en plus en colère. On ne mesure pas à quel point c’est fatigant d’être pauvre, de tout le temps réfléchir à comment on va finir le mois. Que reste-t-il de la petite fille aux cheveux courts que vous étiez à 8 ans ? Je n’ai jamais abandonné mon enfance. Toute ma vie, j’ai essayé de retrouver cette liberté d’enfant. A mon âge, je suis en train d’y parvenir, je me sens beaucoup plus libre. Je suis ce que je suis. Ça a pris du temps. Au moins, je mourrai en étant ce que je suis. Je suis contente de ça. Je vais vous faire une confidence : peut-être qu’un jour je vais tomber, paf, comme ça. Alors je me dis : « Vas-y, fais des trucs, plein de trucs. » « Du bonheur de donner », jusqu’au 5 mars, au Lucernaire (Paris 6e) « Gisèle Halimi, une farouche liberté », jusqu’au 6 avril, à La Scala (Paris 10e) Sandrine Blanchard
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February 13, 2023 12:07 PM
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par Julie Lassale dans Libération 13/02/23 De la Comédie-Française à «Moitié·e·s», réjouissante mini-série sur les couples, l’actrice subtile séduit par sa simplicité et son humour. Quand on interroge Pauline Clément sur sa vie sentimentale, la comédienne de 36 ans force le «très». «J’ai été trèèèèèèèès longtemps toute seule», dit-elle, avec cette voix enfantine reconnaissable parmi mille. En revanche, la timide a toujours aimé écouter les histoires des autres, débattre sans fin de polyamour et de relation libre, se questionner sur cette «forme sociale bizarre» qu’est le couple. Aujourd’hui, elle a un compagnon à la ville depuis neuf ans, et des dizaines à l’écran. Dans les mini-épisodes de sa série Canal + Moitié·e·s, l’actrice et scénariste décline avec finesse et causticité la palette amoureuse de 2023 : relation à distance, relation toxique, plan cul, famille nombreuse, trouple ou encore grouple. Le tout aux côtés de camarades de jeu savamment sélectionnés, de Benjamin Tranié à Jérôme Niel en passant par Laura Felpin. «J’ai choisi mes invités en me disant “je pourrais être avec cette personne”. Je n’ai pas eu mille histoires, donc ça m’amusait de vivre ces vies», analyse-t-elle, le port altier sur le fauteuil d’un cinq étoiles parisien, lieu idéal pour les couples souhaitant se délester d’un smic à la Saint-Valentin. Pas vraiment le dada de celle qui ne l’a jamais fêtée et n’a cédé qu’une fois à l’achat de chaussettes aux motifs cœurs. Moitié.e.s est sa première création, son émancipation du group(l)e. Depuis dix ans, elle incarne la figure féminine des quatre membres du collectif d’humoristes Yes vous aime, créateurs de la pastille Canal + Broute, ces savoureuses vidéos aux millions de vues qui pastichent l’actualité. Pendant la présidentielle, l’électrice de Mélenchon qui voulait voter Poutou a interprété sans crainte une lepéniste ou une macroniste. «J’ai une confiance extrême en cette équipe.» Pour le tournage de Moitié·e·s, autre ambiance : «J’étais tétanisée, j’avais peur que ce soit moins bien parce que c’était ma série», souffle la jeune femme, qui a voulu sortir des schémas hétéronormés. Au risque de susciter le courroux des internautes. Dans l’épisode sur la procréation médicalement assistée (PMA), d’aucuns lui ont reproché de réactiver le vieux cliché des lesbiennes masculines. Celle qui reconnaît «certains mots maladroits» s’est vite remise de la polémique. «Ça n’avait rien à voir avec l’énorme mobilisation de geeks après un épisode de Broute sur le sujet», livre-t-elle avec cet art de l’anecdote décalée. Désormais, quand «la fille de Broute» se promène, les passants l’interpellent pour lui dire «je vous ai déjà vue mais je ne sais pas où ?». «C’est un peu gênant. Je n’ai toujours pas trouvé la bonne blague pour répondre.» Pourtant, son sens de l’humour fait consensus. «En réunion d’auteurs, on se dit souvent “tiens cette blague donnons-la à Pauline, ce sera plus marrant”», raconte son meilleur ami et créateur de Broute Bertrand Usclat, admiratif de son mélange «de candeur, de profondeur et d’intelligence de scène», de son «univers girly avec un vrai second degré». «Le piège, c’est les rôles de fille parfaite, sans personnalité. Quand le mec casse la table à côté d’elle et qu’elle ne bouge pas. C’est moi qui ai envie de casser la table maintenant», confie la féministe, dont la révolte croît de jour en jour. Fitness Pétasse, sa première vidéo seule, parodiait le diktat de la minceur. «Y avait que des commentaires sur mon physique, des “elle est moche”, “elle a des jambes un peu arquées”. J’avais envie d’arrêter Internet.» Aujourd’hui, elle a encore «des pétages de câbles», des moments où elle ne peut «plus [se] voir en vidéo». Au cinéma, où elle a eu des rôles secondaires, notamment chez Nakache et Toledano, n’en parlons pas. Maquillage discret, ensemble noir en velours, l’élégante comédienne de 1,70 m s’excuse presque de son manque «d’efforts» pour le shooting. Pas de fausse modestie, non, juste une non-confiance en elle carabinée. La cadette entourée de deux frères redouble le CE1. On lui diagnostique un trouble de la dyscalculie et de la dysorthographie. Lorsque la fillette a 11 ans, sa mère prof de français et son père médecin décident de quitter son Essonne natale pour le VIe arrondissement parisien, où il y a «plein de choix d’écoles». Rien n’y fait, les chiffres et les lettres lui résistent. «Ma mère essayait de m’aider, je refusais.» En quatrième, on réoriente l’ado rebelle. Direction la maçonnerie et l’électricité. Des garçons partout et des meubles impossibles à monter. En seconde, changement de cap, avec le CAP esthétique. Des filles partout et des chignons trop serrés. Depuis, elle traîne des «lacunes énormes», ne parle pas anglais, ignore les dates historiques, n’a pas son permis de conduire, mais assume d’envoyer des mails truffés de fautes d’orthographe. La suite ressemble à un film dans les beaux quartiers parisiens avec Denis Podalydès. Sans bac ni brevet, Pauline Clément s’inscrit au Cours Florent, puis intègre le conservatoire du VIIIe arrondissement. Elle y rencontre Bertrand Usclat, qui lui conseille de présenter le concours du Conservatoire national. Lors de sa troisième tentative devant le jury, elle incarne une personne stressée qui parle maladroitement… d’amour. Reçue. Bertrand Usclat, qui admet avoir «projeté sur Pauline» ce qu’il «n’osai[t] pas faire» écrit un seul en scène pour elle. Malheur ! Le théâtre où elle se produit tente d’arnaquer les deux étudiants. Un jour, elle reçoit un coup de fil de la Comédie-Française pour passer une audition. Elle présente un texte de Tchekhov, «avec Bertrand», toujours. «Quand ils m’ont dit oui, je venais d’obtenir un rôle avec un metteur en scène que j’adore. Pour la première fois de ma vie, j’avais un choix à faire.» En décembre 2015, celle qui se croyait destinée à «faire des colliers de perles» devient alors pensionnaire du Français. «J’ai pensé : “Ils vont se rendre compte que j’apprends mes textes hyper lentement”, et finalement chacun a sa particularité. J’ai accepté d’être une différente parmi les différents.» Bien sûr, certains l’impressionnent. «Un jour, Denis Podalydès m’a dit : “Je connais pas bien les rappeurs”, et il m’a sorti une liste de vingt noms. “C’est ça que t’appelles pas connaître ?”» A quelques pas de l’hôtel où l’on discute, brillent dans la nuit le Palais-Royal et sa salle Richelieu. Pauline Clément ne va pas tarder à s’y préparer. Depuis quatre ans, elle joue une quadra survoltée en veste léopard dans la Puce à l’oreille, vaudeville de Feydeau qui lui a valu une nomination aux Molières en 2020. «Avant de monter sur scène, elle raconte plein d’histoires, on a des fous rires inexplicables», se réjouit sa partenaire de jeu et amie Anna Cervinka, qui salue son absence de mondanités, sa «planète» bien à elle. Après la pièce, Pauline Clément, qui vit sans Dieu mais apprécie le précepte «aime ton prochain», préfère enfourcher son vélo pour Montreuil, retrouver son amoureux et son bébé, ou se réfugier chez ses parents. Désormais, elle demande à sa mère de lui apprendre ses textes. 8 Novembre 1986 Naissance à Evry (Essonne). 2015 Entre à la Comédie-Française. 2018 Broute. Octobre 2022 Moitié·e·s. Légende photo : Pauline Clément à Paris, le 26 janvier 2023. (Marguerite Bornhauser/Libération)
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Le spectateur de Belleville
January 26, 2023 7:52 AM
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Propos recueillis par Joëlle Gayot / Télérama - 26 janvier 2023 À 89 ans, Françoise Fabian lit, aux côtés du rappeur Oxmo Puccino, des extraits d’“À la recherche du temps perdu”, de Marcel Proust. Un auteur qui habite cette comédienne dont la vie est nourrie de théâtre, de musique et de cinéma. Qui est Marcel Proust pour vous ? Une drogue, une passion ravageuse. J’ai lu huit fois À la recherche du temps perdu. Je pense de la vie exactement ce que Proust en pense. Ses vérités sont les miennes. Je suis, comme lui, sujette à la mémoire involontaire. Un rien ravive en moi des sensations tapies. Un bruit, une image, une odeur : c’est la fameuse madeleine de Proust. Lorsque ces sentiments et ces souvenirs enfouis se réveillent et s’épanouissent, il m’arrive de pleurer sans que personne ne sache pourquoi. Quel est votre plus vieux souvenir ? Je me revois enfant, à Alger, avec ma petite sœur dans une buanderie. Il fait chaud et ma mère nous rafraîchit avec des serviettes trempées avant de nous envoyer à la sieste. Un moment que je déteste, car je trouve que c’est du temps perdu. Il y a tant de choses à faire ! Étiez-vous une petite fille imaginative ? Oui. Mon père, directeur d’école, possédait une immense bibliothèque dans laquelle je piochais des livres sans que jamais il ne contrôle mes choix. Le soir venu, il nous lisait Les Mille et Une Nuits ou Les Misérables. J’étais au conservatoire de musique d’Alger, je jouais du piano et je chantais. Je me racontais beaucoup d’histoires, empêchant ma sœur de dormir ou m’enfermant dans les cabinets pour continuer mes récits tranquillement. Pourquoi avoir arrêté le piano ? Je me suis cassé le poignet en quatre morceaux. Ma main droite ne répond plus, alors que, de la gauche, je pense pouvoir encore interpréter un morceau de Rachmaninov. Le théâtre a-t-il pris toute la place ? Il est devenu très vite important. Mon premier flirt était un comédien. Il m’a convaincue de le rejoindre dans un cours de comédie. Une professeure m’a encouragée à poursuivre dans cette voie. Elle m’a donné des cours, puis a suggéré à mon père de m’envoyer à Paris pour que je fasse le Conservatoire. Je n’avais que 16 ans, mais il a accepté. Il me faisait parvenir un peu d’argent chaque mois, je dormais dans des chambres de bonne, mangeais dans les restaurants universitaires. Et suivais des cours avec Jean-Paul Belmondo, Annie Girardot, Jean-Pierre Marielle. C’est comme ça que j’ai intégré cette bande d’acteurs. Pourquoi n’êtes-vous pas entrée à la Comédie-Française ? L’exemple d’Annie Girardot, qui pendant deux ans n’y a rien fait de réellement important, à part jouer dans une pièce de Cocteau, m’en a dissuadée. Lorsque le metteur en scène Jean Meyer a proposé de m’engager pour jouer au Théâtre de la Madeleine, je n’ai pas hésité. J’ai travaillé avec lui à huit reprises. D’où vient votre goût pour la liberté ? De mon éducation. Mon père m’a toujours fait confiance et j’ai été élevée par une mère coriace qui m’a appris à me défendre. À l’adolescence, dans le bus qui me ramenait à la maison, il arrivait que des hommes se frottent contre moi. Furieuse, elle m’a dit : prends un compas et, s’ils s’approchent trop, pique-les ! Je suis la femme compas ! Vos rôles au cinéma sont souvent ceux d’une femme forte. Êtes-vous ainsi dans la vie ? En réalité, je suis une personne timide. Je n’ai jamais aimé mon physique et j’ai toujours eu l’impression de ne pas être à la hauteur de ce à quoi j’aspirais. Par défense et pour lutter contre cette timidité, je suis devenue insolente. Mais je n’ai jamais été soumise. Ce n’est pas dans mon caractère. “Je suis contente d’avoir mon âge. Ce qui se profile ne m’intéresse pas. Nous vivons dans un monde de fous qui va à sa destruction” La caméra ne vous a-t-elle pas appris à vous aimer ? Vous n’imaginez pas à quel point j’ai haï le cinéma. Lorsque j’ai été engagée pour la première fois, j’étais tétanisée et n’espérais qu’une chose : qu’un incendie consume le plateau de tournage. Je n’aime que le théâtre. Sur les planches, je maîtrise ce qui se passe, je vais au bout de l’histoire. Qu’est-ce qui manque à votre parcours ? Tchekhov et Dostoïevski. J’ai raté ma vie. Les deux m’ont échappé, je ne les ai pas joués. Pourquoi ? Je suis un personnage de Tchekhov ! Et Molière ? Il m’a tout appris. À 12 ou 13 ans, j’avais lu toutes ses pièces. J’en connais des phrases par cœur. Il n’y a pas, chez lui, un geste ou une pensée inutile. Le soir, dans mon lit, je redis certaines de ses répliques. La langue de Molière m’est une seconde nature. Quelle est la plus belle période que vous ayez vécue ? Mai 68. J’étais amoureuse et je manifestais. Quelque chose alors se passait qui valait la peine de se battre. Mais, aujourd’hui, quel avenir attend la jeune génération ? Qu’est-on en train de devenir ? Je suis contente d’avoir mon âge. Ce qui se profile ne m’intéresse pas. Nous vivons dans un monde de fous qui va à sa destruction. Je milite pour l’euthanasie choisie. Si je ne meurs pas de maladie, je me suiciderai probablement. Marcel, mise en scène de Jérémie Lippmann. Du 26 janvier au 4 mars. Du mer. au dim., horaires variables : 15h, 19h, 20h ou 21h. Le 13e Art, centre Commercial Italie 2, place d’Italie, 13e, 01 48 28 53 53. 25-59 €. Légende photo : Françoise Fabian © SMITH / Modds, Paris, Janvier 2023
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Le spectateur de Belleville
November 20, 2022 5:36 PM
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En 2022, Maria Casarès aurait eu 100 ans. Retour sur le parcours de cette actrice qui a marqué le théâtre du 20eme siècle avec Johanna Silberstein, directrice de la maison Maria Casarès à Alloue en Charentes. Ecouter l'entretien en ligne (6 mn) Avec Johanna Silberstein Comédienne et responsable artistique de "La Maison Maria Casarès" depuis septembre 2016. Exilée espagnole, maîtresse ardente d’Albert Camus, Maria Casarès est avant tout une grande actrice de théâtre, une tragédienne qui a marqué de son empreinte si particulière les œuvres qu’elle a incarnées et les spectateurs qu’elle a rencontrés. La comédienne Maria Casarès Après la mort d’Albert Camus, Maria Casarès achète une maison dans les Charentes qui pour elle, selon Johanna Silberstein, directrice de la maison Maria Casarès dans les Charentes, est un refuge, le « chez elle » dont elle avait besoin après avoir fuit l’Espagne. « Dans son autobiographie "Résidente privilégiée", Maria Carasès dit que c’est un lieu pour se réfugier hors du bûcher théâtral. Maria Casarès a brûlé toute sa vie entière sur les planches et a dédié sa vie à défendre un théâtre public, des poètes et des grandes histoires aussi bien classiques dans "Marie Tudor" de Victor Hugo ou dans le rôle de Lady Macbeth chez Shakespeare. Elle a également défendu des auteurs contemporains comme Albert Camus, qui a été sa grande histoire d’amour ; et a inspiré d’autres jeunes auteurs tels que Sartre, Genet, Claudel, Copi ou encore Bernard-Marie Koltès, qui raconte que parce qu’il avait vu Maria Casarès jouer le rôle de Médée, il avait commencé à écrire pour le théâtre. Ce sont des rencontres qui ont changé la face du théâtre du XXème siècle. » Selon Johanna Silberstein, Maria Casarès a participé à de nombreuses aventures qui ont fondé les bases du théâtre d’aujourd’hui, notamment celle de la décentralisation. La comédienne a travaillé avec Jean Vilar, fondateur du Festival d’Avignon et du Théâtre National Populaire à Chaillot ; et a été l’une des premières grandes actrices interdisciplinaires en dansant pour Maurice Béjart dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Maria Casarès continue le théâtre auprès de Patrice Chéreau au Théâtre des Amandiers ou encore avec Bernard Sobel à Gennevilliers. « Elle avait un rapport à son corps d’actrice très particulier. On se souvient d’elle au cinéma comme une très belle jeune comédienne brune et mystérieuse, qui, au fur et à mesure de sa vie, devient de plus en plus androgyne. A la fin de sa carrière, elle joue des rôles comme le Roi Lear chez Shakespeare, et Genet lui écrit des monologues où elle incarne le pape. Maria Casarès est aussi dans cette question transgenre. » « La maison Maria Casarès est un centre culturel de rencontre dédié au théâtre où l'on défend la jeune création théâtrale » Fille du Premier ministre de la République espagnole, Maria Casarès a fui la dictature de Franco quand elle avait quatorze ans. Elle a alors appris le français et est devenue comédienne. En 1961, à la mort d’Albert Camus, Maria Casarès achète le domaine de Lavergne, comptant cinq hectares en Charente. Quand Maria Casarès décède en 1996, elle décide de léguer le domaine et tout ce qu’il contient à la commune d’Alloue pour remercier la France d’avoir été une terre d’asile. Ce domaine est devenu aujourd’hui la maison Maria Casarès, un centre culturel de rencontre dédié au théâtre où l'on défend la jeune création théâtrale avec le dispositif "Jeunes Pousses" qui accueille de jeunes metteurs en scène sortis d’école mais aussi de jeunes auteurs de théâtre. De plus, un Festival d’été se déroule pendant cinq semaines célébrant le patrimoine, le matrimoine, la gastronomie locale et le théâtre. Une année de commémoration 2022 est le centenaire de la naissance de Maria Casarès. Il s’agit, selon Johanna Silberstein, de trouver le bon équilibre entre commémoration et jeune création. « Les différentes directions se sont emparées du legs de Maria Casarès afin qu’elle inspire les jeunes générations et qu'elles assurent la continuité du geste théâtral. Ce centenaire va se déplacer dans plusieurs endroits en commençant à la Corogne, sa ville natale, en Espagne où on redécouvre sa mémoire. Il y aura donc des commémorations mais aussi des colloques universitaires notamment à Barcelone et à Avignon. Cet été aura lieu une lecture au Festival d’Avignon sur Maria Casarès et Gérard Philipe car on célèbre également le centenaire de ce dernier. Cette lecture est programmée par le Festival d’Avignon mais également par la maison Jean Vilar qui va consacrer un grande exposition aux deux comédiens stars des années Vilar du TNP. » « Pendant le Festival de la Maison Casarès, on monte également le parcours sonore de la correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès pour découvrir les jardins du domaine accompagné de différentes lectures. De plus, on va créer une exposition autour des années du TNP de Maria Casarès et chaque année on s'arrêtera sur une année particulière de sa carrière. Actuellement, on est en train d’organiser un week-end de commémoration qui aura lieu en novembre à Alloue avec de jeunes auteurs car ce qui nous intéresse c’est la création d‘aujourd’hui. »
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Le spectateur de Belleville
November 16, 2022 6:27 PM
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Propos recueillis par Olivier Frégaville Gratian d'Amore dans l'Oeil d'Olivier - 5 nov. 2022 Au théâtre 14, dès le 15 novembre 2022, le ténébreux comédien reprend au côté de Yuming Hey, Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution, pièce adaptée par Catherine Marnas du journal intime du premier hermaphrodite français à avoir couché sur le papier son histoire et des écrits de Michel Foucault. Présence poétique autant que romantique, Nicolas Martel habite la scène et donne chair avec une belle authenticité aux différents personnages qu’il incarne. Rencontre. Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? Le Boléro, chorégraphié par Maurice Béjart et dansé par son interprète fétiche, Jorge Donn au Palais des Congrès de Paris. Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? Ce serait plutôt qui, quelqu’un, mon maître de CM2, monsieur Bernardeau qui aimait la poésie. Il nous demandait d’apprendre des poèmes et de venir les réciter sur l’estrade, devant le tableau noir. Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ? Le désir illusoire de vouloir vivre plusieurs vies, d’être plusieurs. Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? Nous nous aimons tellement, écrit et mis en scène par Jean-Michel Rabeux ! Dans lequel je donnais la réplique à Claude Degliame. J’avais 23 ans. Votre plus grand coup de cœur scénique ? Alors, entonnes, projet franco-mexicain dirigé par Catherine Marnas à Mexico et qui a radicalement bouleversé ma vie. Quelles sont vos plus belles rencontres ? Revoir aujourd’hui des amis éloignés depuis 10, 15, 20 ans. Retrouver les mêmes personnes sur différents projets. En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? Je crois tout simplement se sentir le passeur d’une histoire, d’un texte, d’une chanson, d’une danse. Qu’est-ce qui vous inspire ? La confiance. De quel ordre est votre rapport à la scène ? Amoureux. À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? Les entrailles, le plexus solaire. Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? Thomas Lebrun, le chorégraphe, mais ce vœu va se réaliser en 2023. À quel projet fou aimeriez-vous participer ? Sauver la planète. Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? J’aimerais pouvoir répondre comme Simone Signoret qui disait que si elle devait refaire sa vie, elle ne changerait rien, absolument rien, et qu’il faudrait la croire quand elle le dit, j’aimerais pouvoir répondre comme elle, mais … Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution d’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault création au TnBA janvier 2022
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Le spectateur de Belleville
October 28, 2022 7:26 AM
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Portrait par Julie Brafman dans Libération - 27 octobre 2022 Rencontre à Nancy, sa ville, avec l’acteur reconnu tardivement, agréablement surpris que le sort lui ait été favorable. Tous les convives ont déserté le restaurant chic, avec sa moquette moelleuse et sa vue sur la place Stanislas à Nancy. Le déjeuner est terminé, il tombe des trombes d’eau et ne reste plus que cet homme aux yeux couleur ciel sans nuage, assis avec sa «putain de bonne étoile». Celui qui a été amoureux de Sabrina en CM2, qui a passé ses vacances d’enfance dans un camping-car «tout pourri» baptisé «Totor», qui s’est électrocuté le doigt quand il était gamin en voulant changer toutes les ampoules de sa chambre – «le médecin a expliqué que si la décharge était tombée pendant un battement de cœur j’aurais pu mourir mais c’était un silence» –, qui dit «patins» pour «chaussons» et qui emporte toujours sa machine à café en tournage. Celui qui joue à la canasta en ligne dès le réveil (il est classé 460e sur 10 000, tout de même), qui adore le film de la fin des années 80 Papa est parti, maman aussi – son fils s’est approprié la réplique «je n’en veux plus, ça sent la souris» –, qui penche pour les manteaux à capuches plutôt que les parapluies et qui a un yorkshire nommé «Chantal» (on dit «Chanchan»). Au troc des petits bouts de soi, Pierre Deladonchamps préfère le récit de son «métier bizarre» pour lequel «il faut être un peu fou». Si aujourd’hui le cinéma le chérit et les films s’enchaînent (il est actuellement à l’affiche de Vous n’aurez pas ma haine et Reprise en main de Gilles Perret, où il interprète un ouvrier qui veut racheter son usine), ce serait grâce à cette «putain de bonne étoile». Elle a frappé une première fois ici même, enfin plutôt là derrière, à l’angle de la petite rue pavée, vous voyez ? Anne, l’amoureuse de ses 17 ans – qui est aujourd’hui sa meilleure amie – lui avait lancé comme un défi «viens, on fait du théâtre !» et c’est comme ça qu’ils s’étaient inscrits dans le club du centre-ville. «Quelques années plus tard, un de mes potes m’a demandé de lui donner réplique pour le Cours Florent. On a été pris tous les deux», poursuit-il. A l’époque, Pierre Deladonchamps a 23 ans, il est un peu paumé dans «son école de commerce semi-publique» et part pour Paris. La vie se mue en boulots temporaires et castings décevants, rêves de grand écran et petits salaires. En 2010, il bat en retraite. Retour à Nancy. C’était sans compter sur la «putain de bonne étoile» : deux ans plus tard, il décroche le rôle qui va tout changer, celui de Franck dans l’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie. A croire que «les cendres n’étaient pas complètement éteintes», dit-il en souriant. Viendra le césar du meilleur espoir masculin et le début d’une nouvelle ère où le téléphone n’en finit plus de sonner. Pierre Deladonchamps a joué le pédophile dans les Chatouilles, le tueur en série de Vaurien, et puis aussi Jacques, écrivain atteint du sida – merveilleux Jacques avec sa délicatesse qui ne tient qu’à un fil – dans Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré. «Ça a scellé quelque chose. J’aime faire des films utiles, ajoute l’électeur de gauche. Pour moi, l’art est politique et il fait plus avancer les choses que la politique politicienne. Quand je vois l’Italie où triomphe l’extrême droite, je ne peux m’empêcher de faire le lien entre la décrépitude du secteur culturel et des idées.» Quand le cinéaste Kilian Riedhof lui a proposé d’incarner Antoine Leiris, ce journaliste qui a perdu sa femme au Bataclan et a écrit le message devenu viral : «Vous n’aurez pas ma haine», il n’a pas hésité. «Je savais que je le voulais, ce rôle. J’avais été frappé, à l’époque, par l’intelligence et la résilience d’Antoine Leiris.» Dans les interstices de l’interview, ceux où l’on oublie parfois d’être sérieux, Pierre Deladonchamps laisse entrevoir le gamin qu’il nous a décrit, le genre à faire le pitre «et créer des situations comiques». D’ailleurs, son prochain film, Hawaï, sera une comédie, «l’histoire d’une bande de copains réfugiés dans un abri car ils pensent qu’ils vont mourir. Ils se disent leurs quatre vérités. Sauf qu’ils ne meurent pas». Quelle serait sa tirade de fin du monde ? Terrassé par la peur, il ferait plutôt l’amour, répond-il. Classique. Aujourd’hui, il vit seul, entre Nancy et Paris, avec ses deux enfants de 4 et 12 ans en garde alternée (et Chanchan qu’il trimballe en scooter, train et avion). L’aînée vient de tourner dans son premier film, elle veut devenir actrice. Pendant longtemps, Pierre Deladonchamps a pensé que le cinéma le «sauverait de la folie ou du mal-être», que ça «allait le remplir d’amour». Mais «ça n’a pas comblé le vide». A 44 ans, il se «sent finalement davantage soigné par le fait d’être parent qu’acteur». Peut-être parce qu’il en avait assez de tourner autour de lui-même, admet-il. Quand on lui cite Pialat : «Tu crois aimer mais tu attends seulement qu’on t’aime», il réplique avec Jean-Jacques Goldman : «Il y a une question dans “je t’aime” qui demande “et m’aimes-tu, toi ?” Alors sache que je. Sache que je.» Dans sa playlist qui résonne dans le restaurant vide, il y a des dizaines de tubes du chanteur dont Veiller tard. Son passage préféré est celui-ci : «Ces étreintes qu’en rêve on peut vivre cent fois», «parce que finalement, c’est ça être acteur». Et puis aussi Jacques Higelin : «Vois comme les étoiles sont indifférentes au chagrin, au bien au mal» – ou encore A regarder la mer d’Alain Barrière qui accompagnera la scène inaugurale du premier long métrage qu’il est en train d’écrire. Il s’est inspiré de l’histoire de sa famille, «très dé-zoomée», notamment de sa relation avec son frère, Guillaume, qui s’est suicidé à 26 ans. En guise de totem, il n’y aura pas Totor mais le tandem qui les unissait durant l’enfance. Guillaume était «génial, très drôle». Compositeur et musicien, il a laissé à sa famille une quarantaine de textes dont certains chantés par Pierre Deladonchamps en 2005 en première partie de Jacques Higelin. Guillaume était aveugle aussi. «Mais pour moi, c’était comme une couleur de cheveux, un détail mais pas un problème», poursuit-il. Dans la maison de Jarville-la-Malgrange, à côté de Nancy, où il vivait avec son père qui travaillait dans le social, sa mère, institutrice, et trois autres enfants recueillis après le décès de leurs parents dans un accident de voiture, «le regard a eu une importance particulière, il a été conscientisé et chéri». Pierre Deladonchamps est devenu le petit frère qui joue au grand, celui qui passe son temps à décrire le monde, à chuchoter les films dans le fond des salles obscures, à déclamer le catalogue de la Redoute – notamment la section chaînes hi-fi avec tous les détails techniques – et à être fier qu’on ait «besoin de lui». La première fois qu’il a abordé Pedro Almodóvar, l’une de ses idoles – Chanchan a failli s’appeler Kika – c’était pour lui dire à quel point la Mauvaise Education lui rappelait Guillaume. Depuis, ils s’écrivent régulièrement. Finalement, Pierre Deladonchamps trouve que le cinéma, c’est comme le reste, «ça peut arriver à tout le monde». Parfois, on a une «putain de bonne étoile». Ou alors ça s’appelle juste de la patience. 1978 Naissance à Nancy. 2013 L’Inconnu du Lac. 2014 César du meilleur espoir masculin. Octobre et novembre 2022 Reprise en main et Vous n’aurez pas ma haine. Légende photo : Pierre Deladonchamps, à Nancy, le 27 septembre 2022. (Mathieu Cugnot/Divergence pour Libération)
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