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La metteuse en scène Lorraine de Sagazan taille des brèches dans le théâtre et le réel

La metteuse en scène Lorraine de Sagazan taille des brèches dans le théâtre et le réel | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 mai 2025

 

La dramaturge, qui a fondé il y a dix ans sa propre compagnie, La Brèche, présente au Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier son spectacle « Léviathan », sur les audiences en comparution immédiate.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/02/la-metteuse-en-scene-lorraine-de-sagazan-taille-des-breches-dans-le-theatre-et-le-reel_6602326_3246.html

Des Ateliers Berthier, où l’on retrouve Lorraine de Sagazan une après-midi d’avril, le tribunal de Paris n’est qu’à deux pas. Dans ce quartier de la porte de Clichy, la cité judiciaire jouxte quasiment la deuxième salle de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans laquelle la metteuse en scène présente, jusqu’au 23 mai, son Léviathan, créé au Festival d’Avignon 2024. Un spectacle qui s’est en grande partie inventé là, dans les salles d’audience en comparution immédiate de la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Théâtre et justice, une vieille histoire. De même que les rapports entre art et réel, dont Lorraine de Sagazan rebat les cartes depuis quelques spectacles.

 

 

 

Grande, fine et blonde, la jeune femme semble toujours porter sur elle une gravité, une forme de sensibilité inquiète, malgré les succès de ces dernières années. A 38 ans, elle s’est imposée comme une des metteuses en scène les plus passionnantes de sa génération, ouvrant des brèches d’exploration inédites dans le théâtre français. Contrairement à ce que son patronyme, désormais célèbre grâce à sa cousine (éloignée) Zaho de Sagazan, pourrait laisser supposer, elle n’est pas née avec une cuillère artistique en or dans la bouche.

 

Ce parcours, nul ne l’a mieux résumé qu’elle, en introduction de son spectacle L’Absence de père (2019), inspiré du Platonov, de Tchekhov. « Mon père vient d’une famille de la vieille noblesse française désargentée. Ma mère, issue d’un milieu modeste et d’un père orphelin, a toujours été complexée de ce qu’elle allait pouvoir transmettre à ses enfants. Mon père rêvait de faire un métier artistique, mais dans son milieu ce n’était pas admis. Je suis la première femme de ma famille à ne pas avoir été mère au foyer et à avoir eu la possibilité de choisir ma vie. Actrice était le seul métier artistique qui pour une femme nous était venu à l’esprit. Je l’ai compris assez tard, mais j’ai détesté jouer, j’ai détesté cette position d’être plus désirée que désirante. »

« Une autorisation »

Lorraine de Sagazan n’est pas restée si longtemps actrice. Rapidement, elle a compris que c’était à l’endroit de la mise en scène qu’elle allait trouver son terrain d’expression. Après s’être formée à l’école du Studio-théâtre d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), qui a aussi vu l’éclosion de Julie Deliquet ou de Sylvain Creuzevault, elle a poussé la porte des salles de répétition de Thomas Ostermeier, à Berlin, ou de Romeo Castellucci, à l’Opéra de Paris. Une figure de la constellation familiale avait été importante, dans ce parcours pour tenter de se faire une légitimité dans un art, le théâtre, auquel elle s’est accrochée dès l’enfance : celle du plasticien et performeur Olivier de Sagazan, lointain cousin de son père. « C’est un artiste qui m’a beaucoup inspirée. Dans l’émancipation dont il a pu faire preuve, c’est comme s’il m’avait délivré une autorisation », note-t-elle.

 

Elle a fondé sa compagnie, La Brèche, en 2015, en mettant en scène Lars Norén, Ibsen ou Tchekhov, avec une énergie contemporaine, une intensité proches de celle du maître Thomas Ostermeier. « Mais c’était comme si je ne lâchais pas complètement la rampe, constate-t-elle. Ce qui m’intéressait, c’était d’aller vers le spectacle comme expérience vécue, et non plus comme une représentation du réel. Les arts plastiques, la philosophie et la performance, portés par des artistes femmes notamment, ont été déterminants dans ma vie, et je voulais pousser ma réflexion sur la création d’actes, de formes, susceptibles de bouleverser réellement, d’opérer des déplacements chez les spectateurs. »

 

Le déclic est venu de la crise due au Covid-19 et de la fermeture des théâtres, pendant de longs mois. Quand la pandémie a surgi, la metteuse en scène travaillait à une adaptation du Décalogue, de Krzysztof Kieslowski. L’électrochoc suscité par le Covid-19 l’a menée à une tout autre démarche. « J’ai eu une sorte de crise dans mon rapport à la fiction, détaille-t-elle. Je ne comprenais plus pourquoi je faisais du théâtre, ce que voulait dire représenter le réel à l’heure des séries télévisées, du cinéma documentaire et d’Internet. J’avais un sentiment d’inutilité, et je ne pouvais plus demander à des acteurs de faire semblant d’être pauvres ou malades : cela n’avait plus aucun sens pour moi. »

Cérémonie cathartique

Lorraine de Sagazan a alors proposé aux théâtres qui devaient accueillir sa création un « protocole performatif » : rencontrer « autant de personnes que de jours gâchés par la crise, pour parler avec eux de la notion de réparation ». Avec l’auteur qui l’accompagne,  Guillaume Poix, elle a mené près de 400 entretiens. « Ces personnes issues de tous milieux ont parlé de deux sujets majoritairement : l’absence de prise en charge de la mort pendant la crise sanitaire, l’impossibilité des funérailles collectives et des réunions familiales, la mort vécue, seuls, par les anciens et les plus fragiles. Et la justice, plus précisément la manière dont l’institution judiciaire a du mal à générer un sentiment de justice, soit que ces personnes aient ressenti la violence de l’institution, soit qu’ils disent subir ses manques. J’ai su que j’allais travailler sur ces deux sujets. »

Le premier a donné lieu à un spectacle magnifique, qui a pris le tour d’une cérémonie cathartique d’une puissance rare : Un sacre, créé en 2021. Le second est ce Léviathan qui place les spectateurs, sans échappatoire, face à la réalité de cette justice expéditive que sont les audiences de comparution immédiate : une parodie de justice qui « déshumanise » et « efface » une population déjà marginalisée, selon la metteuse en scène.

 

 

 

Et c’est bien une brèche de première importance qu’elle a ouverte dans le théâtre français avec ces deux spectacles – de même qu’avec Le Silence, créé en janvier 2024 à la Comédie-Française. Faire éprouver le réel, chez Lorraine de Sagazan, ne se conçoit pas sans une recherche formelle hautement sophistiquée et pensée. « La fiction, l’imaginaire, le lieu théâtral lui-même sont devenus pour moi des “contre-espaces”, des “contretemps”, analyse-t-elle. Il ne s’agit plus de passer par la représentation, insuffisante ou fausse, du réel, mais de créer de manière performative un acte équivalent au réel. » De vivre, autrement dit, le théâtre comme une hétérotopie, ce concept inventé par Michel Foucault en 1967. Le philosophe français citait alors, comme exemples de ces espaces concrets pour héberger l’imaginaire, les cabanes d’enfant ou… les théâtres.

 

 

Léviathan, par Lorraine de Sagazan. Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Paris 17e. Du 2 au 23 mai.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE

 

Légende photo ; Lorraine de Sagazan, à la Villa Médicis, à Rome, en 2023. BENJAMIN THOLOZAN

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March 28, 10:21 AM
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Au théâtre de la Ville, «Thérèse et Isabelle» en passion complète

Au théâtre de la Ville, «Thérèse et Isabelle» en passion complète | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 
 
Le troisième spectacle de Marie Fortuit adapte le livre longtemps censuré de Violette Leduc sur l’idylle entre deux adolescentes.

 

 

Le premier mérite de Thérèse et Isabelle, créé au Phénix, la scène nationale de Valenciennes, est de faire entendre la langue de Violette Leduc, écrivaine autant reconnue et considérée de son vivant par ses pairs – Simone de Beauvoir, Jean Genet, Jouhandeau, Jean-Paul Sartre – que méconnue aujourd’hui. Le deuxième, plus paradoxal, est de nous faire percevoir combien une adaptation scénique d’une langue aussi singulière et inventive soit-elle qui contient de multiples scènes érotiques ne va de soi, surtout lorsqu’on prend partie d’incarner les passages. Il y a un risque d’illustration mais surtout de redondance. Ce risque de surlignage, Marie Fortuit, dont Thérèse et Isabelle est le troisième spectacle, après l’un, la Vie en vrai, hommage à Anne Sylvestre, et l’autre d’après Jelinek, ne l’évite pas toujours. Est-ce grave ? On verra bien.

Perruque à frange

Cette langue, Violette Leduc la pratique dans des récits de soi – l’autofiction n’était pas encore une catégorie – comme dans ses lettres, et elle écrivait comme elle aimait, sans filtre, avec une grâce dans la concision y compris quand l’écriture est en prise directe avec les sentiments. Violette Leduc ou l’art des incipit : «Ma mère ne m’a jamais donné la main.» C’est le début de l’Asphyxie, son premier récit, publié par Gallimard en 1946, grâce à de Beauvoir. Ou encore, ces premières phrases de la Bâtarde, son livre le plus connu paru en 1964 : «Mon cas n’est pas unique : j’ai peur de mourir et je suis navrée d’être au monde. Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas étudié. J’ai pleuré, j’ai crié. Les larmes et les cris m’ont pris beaucoup de temps.»

 

 

Thérèse et Isabelle, avec Raphaëlle Rousseau et Louise Chevillotte, auquel Marie Fortuit rajoute des lettres amoureuses à Simone de Beauvoir, est un récit paru à part. Il faisait partie de Ravagesque les éditions Gallimard ont consenti à publier en 1955 à condition d’y soustraire 150 pages qui furent publiées à part ! Pourquoi ? Le prétexte donné par le prestigieux éditeur était qu’il était préférable de censurer avant que la censure ne s’en mêle, de crier avant d’avoir mal. Les descriptions de l’amour entre femmes étaient jugées trop explicites, tout comme celles de viols ou d’avortements (à l’époque illégaux). Autrement dit, l’expérience même d’une femme dans sa banalité devait être cachée. Pour Violette Leduc dont le corps se confond avec son écriture, «la censure fait tomber ma maison du bout du doigt. … mon encre : du plasma ; ma plume : un cordon ombilical. Mon texte dactylographié : un nouveau-né. La censure a tout zigouillé». Elle insiste : «Devrais-je ranger mes deux sac rifiées dans un tiroir ? C’est probable. Pourquoi ne s’explique-t-on pas avec la censure ? Pourquoi ne puis-je pas rencontrer les éditeurs ? Je plaiderais la cause de mes deux illuminées. Où dort-elle la censure ?» On aimerait citer le reste du texte, que Raphaëlle Rousseau joue face public après s’être munie d’une perruque à frange et auburn en signe distinctif de l’autrice.

 

Rôle ambigu de Simone de Beauvoir

Sur le plateau, trois lits, d’abord ceux d’un dortoir de jeunes pensionnaires, qui deviendront ceux d’une chambre en hôpital psychiatrique. Des chaussures d’hommes. Les jeunes filles les cirent. Comme on s’est jetée sur les textes de Violette Leduc après avoir vu le spectacle, on comprend a posteriori d’où vient l’obsession  du cirage – sur le plateau, elle apparaît plus anecdotique.

 

Dans cette guerre avec la censure, Simone de Beauvoir joue un rôle ambigu. Elle se charge de plaider la cause du roman de sa protégée chez Gallimard, va même jusqu’à le porter chez d’autres éditeurs mais la conjure d’accepter les coupes. Par des préfaces et son entregent, elle ne ménage pas ses efforts pour faire connaître sa protégée dont elle n’a aucun mal à saisir son talent. Mais la réécrit au besoin pour la rendre plus acceptable – «Violette Leduc ne veut pas plaire. Elle ne plaît pas et même elle effraie», écrit-elle dans sa préface. Laquelle note à propos de son mentor : «Elle me sortait d’un monde où je n’avais pas vécu pour me lancer dans un monde où je ne vivais pas encore.» Simone de Beauvoir, définitive, lance un pronostic : «Vous ne faites pas ce qui se fait, vous faites ce qui se fera !» Elle était optimiste.

Thérèse et Isabelle de Violette Leduc mis en scène par Marie Fortuit du 28 mars au 8 avril au théâtre de la Ville à Paris.

Anne Diatkine / Libération

 

 

Légende photo : «Thérèse et Isabelle» par Marie Fortuit. (Marie Gioanni/Théâtre de la Ville)

 
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March 20, 11:10 AM
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Au Théâtre de l’Odéon, une « Amante anglaise » follement incarnée

Au Théâtre de l’Odéon, une « Amante anglaise » follement incarnée | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 20 mars 2025

 

Emilie Charriot met en scène la pièce de Marguerite Duras avec trois comédiens remarquables qui marchent, s’agitent, ressentent, existent. Un parti pris à rebrousse-poil de la dramaturgie de l’écrivaine.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/20/au-theatre-de-l-odeon-une-amante-anglaise-follement-incarnee_6583756_3246.html

Emilie Charriot n’a pas froid aux yeux. Cette metteuse en scène franco-suisse réunit sur ses planches trois éminents comédiens : Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond s’épanouissent dans une pièce formidable (mais redoutable) de Marguerite Duras. L’Amante anglaise est dans l’air du temps : Jacques Osinski l’a mise en scène à l’automne 2024 au Théâtre de l’Atelier, avec une distribution, là encore, de haut vol : Sandrine Bonnaire jouait Claire Lannes, une meurtrière ayant découpé sa cousine sourde-muette. Grégoire Oestermann était Pierre Lannes, le mari, et Frédéric Leidgens, l’Interrogateur, menant l’enquête auprès du couple.

 

 

Lire la critique (2024) : Article réservé à nos abonnés Dans « L’Amante anglaise », Sandrine Bonnaire au plus près des affects
 

Au Théâtre Vidy-Lausanne, où s’est créé le spectacle d’Emilie Charriot (actuellement repris à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris), Dominique Reymond est Claire, Laurent Poitrenaux, son époux et Nicolas Bouchaud, l’homme qui investigue. C’est lui qui ouvre la représentation par une interpellation du public hors-piste et hors scène. Téléphone portable à la main, il fait entendre une chanson des Stranglers, groupe britannique (explique-t-il) qu’ont inspiré le viol et l’assassinat d’une jeune femme par un étudiant japonais, acharné au point de manger le corps de sa victime.

 
Cette évocation du cannibalisme vient à point. Elle nourrit une métaphore qui éclaire la dynamique du spectacle. Alors qu’elle s’attaque à une icône de la littérature dont l’écriture défie l’incarnation comme la théâtralité, Emilie Charriot ne se laisse pas dévorer par la vénération durassienne. En quelques minutes, elle foule aux pieds la plupart des didascalies de la romancière. La représentation de L’Amante anglaise, qui devrait « être sans décor aucun, sur un podium avancé, devant le rideau de fer baissé, dans une salle restreinte », se déroule loin du podium, sans rideau de fer et dans une vaste salle.

Effets d’attente

La scénographie n’est pas innocente. Un carré de néons d’intensités variables est suspendu dans les airs. Au-dessous se trouve la scène. En son centre, deux chaises se font face sur un revêtement blanc : ces trois cadres qui n’en forment qu’un seul attirent l’attention. C’est là que siège l’espace du jeu et de la profération. Sauf que ce ring sera accaparé par une protagoniste triomphante : Dominique Reymond, qui s’y pose pour ne plus en bouger, alors que ses partenaires semblent n’être que de passage sur ces mètres carrés. Nicolas Bouchaud en tee-shirt et en pull arrive par la coulisse pour se positionner au pied des spectateurs. Laurent Poitrenaux, en chemise, est assis parmi le public. Ils évoluent en périphérie.

 

Jouer cette pièce implique de la déjouer pour éviter les pièges qu’elle tend aux interprètes. Le texte de Marguerite Duras (qui trouve sa source dans un fait divers réel) est retors. Il multiplie les effets d’attente et condamne les deux personnages masculins à n’être que des prologues. Pierre Lannes, parce qu’il est simple témoin, l’Interrogateur, parce qu’il est une suite de questions.

 

Mais la metteuse en scène prend le contrepied de la dramaturgie en ne réduisant pas ces hommes au rang de faire-valoir. Les acteurs marchent, ils s’agitent, ils ressentent, ils existent. Poitrenaux dans une expressivité indignée, Bouchaud dans ses silences vigilants. Aucun ne déserte le champ de la puissance et tous deux cherchent à plier Claire Lannes à leurs définitions et visions. Son émancipation n’en est que plus éclatante.

Stature d’héroïne

Lorsqu’elle surgit enfin, Claire Lannes impose sa stature d’héroïne. Si Duras élabore un drame qui se soucie des possibles de la fiction plus que de la vérité des événements, Emilie Charriot s’empare de cette pseudo-enquête pour accoucher d’une subjectivité féminine impérieuse. La meurtrière assume ses actes. Elle écrit seule son histoire. Ni son mari, ni l’Interrogateur ne seront parvenus à la cannibaliser.

 

Dominique Reymond arrive en robe noire. Elle s’assoit de profil. Son visage est pâle et ses cheveux tirés. La salle retient son souffle. Un mot, un seul et le pouvoir change de camp. L’actrice inscrit d’emblée Claire Lannes hors de portée des desseins (et dessins) masculins. L’actrice ne dit pas son texte, elle le plante. Chacun des mots est un clou sur lequel s’abat le marteau de sa voix. Elle fait sourire et rappelle Zouc, quand elle soupire, un ange passe, si elle durcit le ton, on frissonne. Elle se dérobe à la prise et aux assignations.

Lorsqu’elle se lève, l’Interrogateur, inquiet, s’éloigne. Le mari apeuré rôde en fond de plateau. Elle est d’un bloc et pourtant traversée par mille ironies, mille secrets, mille lucidités. Elle n’avouera jamais où elle a mis la tête coupée de sa cousine sourde-muette. Elle n’est pas dominée, elle domine. « Je n’étais pas assez intelligente pour l’intelligence que j’avais » : dans le silex de la parole, Duras a taillé une pensée sur mesure pour une femme démesurée. Vaincu, Nicolas Bouchaud se couche dans la posture d’un individu tué d’une balle de revolver. Dans le rôle de Claire Lannes, Dominique Reymond vise juste et touche sa cible. A bout portant.

 

 

L’Amante anglaise, de Marguerite Duras. Théâtre de l’Odéon, Paris 6e. Mise en scène Emilie Charriot. Avec Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond. Jusqu’au 13 avril.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

Légende photo :  Laurent Poitrenaux et Nicolas Bouchaud dans « L’Amante anglaise », d’Emilie Charriot, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), en novembre 2024. Photo © SEBASTIEN AGNETTI

 

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November 27, 2024 5:22 PM
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Avec « Ici sont les dragons », Ariane Mnouchkine sur le pied de guerre

Avec « Ici sont les dragons », Ariane Mnouchkine sur le pied de guerre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Reportage de Joëlle Gayot / Le Monde  - 27 nov. 2024

 

RÉCIT

Pour la première fois en soixante ans à la Cartoucherie, la metteuse en scène et directrice du Théâtre du Soleil a accepté d’ouvrir la porte des répétitions à la presse. Immersion dans les coulisses d’« Ici sont les dragons », sa nouvelle création jouée à partir du 27 novembre et inspirée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/27/avec-ici-sont-les-dragons-ariane-mnouchkine-sur-le-pied-de-guerre_6416612_3246.html

En soixante ans de présence à la Cartoucherie du bois de Vincennes, à Paris, jamais la metteuse en scène n’avait ouvert la porte des répétitions à la presse. Cette porte, nous la franchirons semaine après semaine avec d’autres visiteurs : classes de lycéens, amis de passage ou compagnons de route, comme l’autrice Hélène Cixous. Si cette dernière n’a plus écrit de pièces pour la troupe depuis Les Naufragés du fol espoir (2010), elle n’est pas absente pour autant. Conseils ou relectures, elle collabore « en harmonie » aux créations collectives.

 

Fidèles au poste eux aussi, des collégiens venus et revenus en train de Bourgogne, qui, chapeautés par leur professeur de français, ont même dormi dans la place. « Madame Mnouchkine, s’exclame l’un d’eux, même lorsque la répétition est excellente, vous trouvez toujours des problèmes à résoudre. » Cette définition sur mesure du métier de metteur en scène déclenche l’hilarité. Ce mardi 1er octobre, la journée a été fructueuse. L’humeur est bonne. « C’est difficile le théâtre, mais c’est amusant », dit l’artiste avec un sourire.

Ruche hyperactive

Depuis septembre, par temps froid ou soleil vif, du petit matin jusqu’à la nuit tombante, nous avons donc suivi la fabrication du dernier-né de la troupe du Soleil, Ici sont les dragons. Première Epoque. 1917. La Victoire était entre nos mains. Après six mois d’une intensive préparation collective entamée le 1er avril, ce « grand spectacle populaire inspiré par des faits réels » (dixit le programme) sort du bois pour se montrer au public. Etayée par des événements historiques, portée par une forme puissamment théâtrale, la fresque découle en droite ligne de l’actualité : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022.

 

« Comment est-il possible qu’on ait laissé faire ? », s’est demandé Ariane Mnouchkine, bien convaincue que, pour comprendre la nature de l’agression, il fallait scruter de près la naissance des totalitarismes. « Nous aurions pu remonter à l’émergence de l’impérialisme russe, mais février 1917, qui acte la fin d’un monde et le début d’un autre – le nôtre –, s’est imposé. » Elle a donc restreint ses investigations à l’irruption du bolchevisme en Russie et renvoyé à une Seconde Epoque ses incursions vers la seconde guerre mondiale.

 

En 1917, l’Allemagne mène la guerre. A l’ouest contre la France et ses alliés, à l’est contre la Russie que gouverne, pour peu de temps encore, le tsar Nicolas II (il abdique le 15 mars). Hitler est caporal sur le champ de bataille, quant à Lénine, il s’apprête à prendre le pouvoir, à plier la révolution sous sa botte et à tuer dans l’œuf l’utopie de la démocratie. « Pour pouvoir envisager qui est Vladimir Poutine, nous devions comprendre de quel ventre, encore fécond, il sortait », explique Ariane Mnouchkine.

 

 

Le Théâtre du Soleil est devenu l’antre de ce ventre. Une ruche hyperactive où ressuscitent des protagonistes qui ont réellement existé et dont la mémoire a retenu (ou pas) les noms. Vladimir Ilitch Lénine, Léon Trotski, Alexandre Kerenski, Irakli Tsereteli ou encore Félix Dzerjinski : pour le meilleur ou pour le pire, tous ont pesé sur le cours de l’histoire. Quant aux femmes, « il ne manquerait plus qu’elles ne soient pas là », s’indigne la metteuse en scène, 85 ans, qui a pris soin de ne pas les invisibiliser.

 

Toque sur la tête et col de fourrure, la comédienne Shaghayegh Beheshti promène sa silhouette d’aristocrate déchue et digne dans une rue reconstituée de Petrograd : « Je voulais, en évitant les clichés, être une femme qui incarne la perte d’un monde. Même si elle pense que la Révolution russe est celle de paysans, d’ouvriers et de domestiques analphabètes, elle ne maltraite pas sa bonne pour autant. » Un trio de comédiennes assume une narration poétique de la fable. Elles passent, repassent, hantent les lieux de leurs apparitions prophétiques. Repliée entre les gradins et la scène, derrière une table de régie, Hélène Cinque reprend une partition qu’elle connaît bien, pour l’avoir déjà jouée dans Une chambre en Inde (2016) et L’Ile d’or (2021). Elle est Cornelia, le double fictif de Mnouchkine, la clé qui relie passé et présent.

Pratique du circuit court

Le Soleil est un paquebot en surchauffe qui transporte à son bord 76 personnes dont les compétences s’articulent avec fluidité. Pas une pensée, un mot, un geste, qui ne converge vers le plateau. De 9 h 15 (heure à laquelle arrivent les équipes pour s’échauffer aux cours de Pilates) jusqu’à 18 h 30 (voire plus tard lorsque approche la date de la première publique), chacun sait ce qu’il a à faire. Veiller à la bonne marche de la maison : c’est la responsabilité du codirecteur, Charles-Henri Bradier. Assister la metteuse en scène : la mission d’Alexandre Zloto. Cuisiner et sonner la cloche lorsque le déjeuner est prêt : celle des chefs cuistots Karim Gougam et Azizullah Hamrah.

 

 

Déménager, les jours de « chantier », le mobilier inutile qui regagnera l’entrepôt de stockage à Evreux. Repeindre les murs du hall d’accueil pour qu’ils concordent avec la période et le thème traités. Poncer, percer, enduire, souder. De la menuiserie : poussés sur des châssis à roulettes sortent des façades, des palissades, des bunkers enneigés, des guérites, des canapés, des trains et même des encolures de cheval. Concepteur des décors, David Buizard en a construit une dizaine dont certains serviront pour la Seconde Epoque encore en gestation : « Je pars des croquis de Sibylle Pavageau, je dessine les volumes, je bâtis le décor, Eléna Antsiferova le patine avec des couleurs ou des matières. Une fois l’élément validé par Ariane, il repart en peinture. L’atelier est un bel outil qui nous permet de gagner un temps fou. »

 

 

 
 
 

Au Soleil, la pratique du circuit court démontre, en temps réel, son efficacité. A peine la metteuse en scène regrette-t-elle l’absence d’un réverbère qu’il surgit des coulisses. A peine suggère-t-elle d’agrandir une palissade que celle-ci gagne de l’envergure. Personne ne procrastine, et les problèmes, autant que faire se peut, sont résolus dans le quart d’heure. « Lumières, sous-titres, vidéo, jeu, costumes, textes… Ariane règle tout en même temps. C’est un travail total qui évite les pertes de temps », témoigne Arman Saribekyan.

 

Droit devant son micro sur pied, cet acteur bilingue profère, en russe, des mots que les comédiens en scène (qui restent mutiques de bout en bout, Hélène Cinque excepté) n’ont pas à prononcer. Ils en savent pourtant le contenu sur le bout de leurs doigts. Le spectacle est donné en version originale sous-titrée. Anglais, allemand, français, russe, ukrainien, les paroles qui résonnent sont préenregistrées dans les langues originelles.  « Il ne s’agit pas vraiment de play-back, nuance Duccio Bellugi Vannuccini, un pilier historique de la troupe, mais d’un jeu avec nos personnages. Nous travaillons la musicalité. Nous ne sommes pas dans le quotidien. Le corps doit raconter ce que dit la voix, la voix doit dire ce que raconte le texte. »

Un exercice de haute voltige que décuple le port des masques (une tradition à laquelle le Soleil ne déroge pas). Marionnettes consentantes, les acteurs sont les hôtes d’altérités qu’ils adoptent au point que les identités se confondent. C’est après bien des tâtonnements et des ajustements que s’épanouissent les personnages. « Les masques sont capricieux. Il faut les observer, les étudier, fraterniser avec eux pour qu’à leur tour ils guident les comédiens. Ils sont nos maîtres », note Arman Saribekyan.

Savoir historique

Quelques-uns de ces « maîtres » sont conçus par l’équipe de Xevi Ribas. Un commando perché sur une mezzanine à deux pas de la cantine, et qui manie à tour de bras la résine et le silicone. Mais le nec plus ultra des masques (ceux que portent les têtes pensantes de la révolution) surgit des mains d’Erhard Stiefel. Collaborateur du Soleil depuis 1975, le sculpteur suisse n’exerce pas sa créativité au cœur du réacteur. Il opère dans une pièce chaleureuse qui jouxte l’atelier costumes. Le bâtiment, une longue nef blanche, est replié à une centaine de mètres de la maison mère, « et c’est tant mieux, car, là-bas, c’est l’enfer alors qu’ici on travaille au calme ».

 

Les ciseaux de Marie-Hélène Bouvet claquent sous ses doigts habiles. Patrons, découpes et retouches… la couturière improvise avec les moyens du bord. Les uniformes de militaires sont taillés dans de la peau de chameau. La tunique des cosaques ? Des robes de curé customisées par une cape et une toque. « Rien ne se perd, tout se récupère » : telle est la devise des costumières qui gagnent la répétition d’un pas vif pour « savoir ce qu’y dit Ariane » et réagir en conséquence. Autonome, engagée et responsabilisée, l’équipe au grand complet ne se démobilise jamais.

Depuis des mois, les comédiens compulsent des ouvrages historiques et affinent leur connaissance de l’année 1917. Les livres s’entassent dans les loges entre miroirs, poudriers et perruques. Ils colonisent la salle d’étude propice aux cogitations communes. Lénine, l’inventeur du totalitarisme russe, de Stéphane Courtois, Pensées intempestives. 1917-1918, de Maxime Gorki, Mémoires de la grande guerre, de Winston Churchill… impossible de citer tous les titres. Et c’est compter sans les annexes documentaires dont regorge la « marmite », un espace de ressources en ligne qu’alimente l’acteur Sébastien Brottet-Michel, rompu, comme ses camarades, à une étourdissante polyvalence des tâches à mener.

 

 

Les 32 comédiens de la troupe planchent en universitaires et enquêtent en journalistes. Ils ingèrent et digèrent un savoir historique appelé à devenir matière artistique. A eux de transformer la théorie en théâtre et de donner du corps à l’idéologie. A eux d’extirper des pages imprimées la foule d’individus, le flux de propos et le flot d’actions que nécessite la représentation. Dans Ici sont les dragons, pas un propos ne relève de la pure fiction. Discours politiques, courriers intimes, invectives urbaines, tractations de bureau : tout ce qui se proclame sur le plateau a déjà été dit ou écrit à un moment précis de l’histoire. Tout peut donc être sourcé : « La vérité des faits a été trop trahie. Cette histoire est celle d’un mensonge de dimension planétaire dont nous subissons encore les conséquences », affirme Ariane Mnouchkine.

« Fabriquer des micropièces »

Ce processus de travail a ses règles. Parmi celles-ci : le « concoctage ». Un néologisme cousu main pour désigner un temps d’incubation qui peut prendre des jours ou des semaines. Solitaires ou en bande, les interprètes activent leur imagination. Un œil sur la réalité des faits, l’autre sur les possibles de la représentation, ils échafaudent des séquences de jeu qui étaieront la mise en scène en respectant la trame donnée par Ariane Mnouckhine. Quel personnage étoffer, quelle ligne narrative déployer ? Leaders ou seconds couteaux, paysans ou ouvriers, dialogues ou monologues : leurs idées deviennent des visions, et leurs visions des propositions.

 

 

Cooptée lors d’un stage, en avril, Elise Salmon, qui a laissé derrière elle une carrière d’orthophoniste pour devenir actrice, explique la méthode : « Nous fabriquons des sortes de micropièces avec amorces de costumes, de lumières et de décors. Dans l’idéal, elles développent un enjeu, des états forts, des relations entre les personnages, une dynamique, une musicalité. Nous travaillons ces propositions entre nous avant de les présenter à Ariane. » C’est Mnouchkine seule qui a le « final cut ». Pas une image n’apparaît au public qu’elle n’ait, au préalable, améliorée et validée. Pas une phrase énoncée qu’elle n’ait supervisée. Tôt le matin et tard le soir, seule devant son ordinateur, elle examine le manuscrit de la pièce, pourchasse ses approximations, affine ses transitions et va jusqu’à traquer les virgules superflues.

Début octobre. L’équipe fait face à une impasse. Que s’est-il passé exactement en Russie d’avril à octobre 1917 ? « Cette séquence nous pose des problèmes », témoigne le comédien aguerri Maurice Durozier : « Le déroulé des événements est confus, nous ne savons pas comment les raconter. Nous devons trouver une solution théâtrale pour ne pas perdre le fil de l’histoire. » Invité dans la salle d’étude, l’historien Stéphane Courtois fournit des éclaircissements. Deux heures d’échange à l’issue desquelles une piste semble se dessiner : « Ce fameux trou, conclut Mnouckhine, nous pourrions sans doute l’entreprendre par le biais de témoins français, afin que ce soit eux qui nous guident à travers le labyrinthe de la politique russe. »

Substance souterraine

Pas le choix, il faut reprendre son bâton de pèlerin. Lire, réfléchir, concocter. Le résultat est là. 17 octobre à 14 heures : neuf propositions sont sur le feu. « Mais c’est Noël », s’exclame, ravie, la cheffe de bande. « Les acteurs ont pensé que c’était leur dernière chance d’avoir une scène », lui répond du tac au tac la régisseuse (et actrice) Aline Borsari. Le fait est : si certains comédiens sont très bien distribués, d’autres n’auront pas cette chance. « On sait qu’on est au service d’une œuvre collective, nos ego doivent être placés au bon endroit », rappelle, fort de sa longue expérience, Vincent Mangado. Le narcissisme n’a pas sa place dans les murs. Engagé au printemps, Jean Schabel avait peaufiné pied à pied une séquence finalement rejetée, car devenue caduque : « J’espérais jouer l’un des concepteurs des fours crématoires. La seconde guerre mondiale n’étant plus au programme, j’ai dû renoncer. Une fois passée la frustration, j’ai compris qu’il me fallait lâcher prise sur mon désir d’être au premier plan. Ici, j’apprends à ne pas focaliser sur moi-même. »

 



Ces tentatives avortées ne sont pas renvoyées au néant. Qu’elles soient exploitées ou pas dans la Seconde Epoque, elles forment d’ores et déjà la chair d’Ici sont les dragons. Une substance souterraine qui irrigue les muscles et l’esprit de cette première période. « Tout est utile, plaide Ariane Mnouchkine, sauf les scènes au cours desquelles l’acteur succombe au désir de se trouver un rôle plutôt que d’apporter du sens au spectacle. »

Ballet millimétré

Les propositions s’enchaînent sous son regard intraitable, mais toujours bienveillant. Cinq heures quasi ininterrompues de remarques, de critiques et d’encouragements. Pas une seconde, son exigence ne faiblit : « Je n’écoutais plus, je regardais le réverbère, ce qui n’est pas bon signe », dit-elle en soupirant. L’œil collé à sa caméra, Lucile Cocito filme l’intégralité de ce qui se passe. « Toutes les séances sont chapitrées, numérotées et ordonnées. Les comédiens et Ariane s’en servent pour retravailler les scènes. » Dissimulée derrière un moucharabieh, la musicienne Clémence Fougea improvise. Quelques notes de piano, le grondement d’un orage, le souffle du vent. Cette jeune artiste a pris la relève du compositeur historique Jean-Jacques Lemêtre. De sa cabane à musique, elle a, dit-elle, le « nez rivé sur le plateau. » Hors de question de plaquer une partition qui figerait l’influx nerveux de la scène. « J’écoute les indications d’Ariane. Son ton, le sentiment et les couleurs qui traversent sa parole, tout ce qui vient d’elle m’inspire. »

Début novembre. Aussi oppressant qu’insidieux, le tempo s’accélère, la troupe est sur le pied de guerre : « Le compte à rebours a démarré. Nous allons devoir passer des heures à régler les entrées et les sorties, à apprendre à déplacer les décors sans un bruit. » Les bout-à-bout (premières ébauches de représentation) se suivent au pas de charge, bientôt remplacés par des séries de filages durant lesquelles les comédiens jouent le spectacle en intégralité. Les bunkers, les chevaux, les palissades, glissent en souplesse du plateau aux coulisses, où le décor valse, dans le silence ; un ballet millimétré. « Les enfants, ne vous faites pas mal, ne vous énervez pas », implore, maternelle, Ariane Mnouchkine. « Ce toit est sacré. Si vous voulez vous engueuler, allez le faire sur la pelouse. Nos problèmes personnels et nos rages n’ont pas à abîmer notre bien commun. »



20 novembre. Dernière ligne droite avant la première. Malgré les nuits trop courtes, les doutes et l’angoisse, elle garde le cap : « Vilar disait de la répétition qu’elle était l’orgasme de l’esprit. Je tiens avec passion. Je tiens avec plaisir. Il y a dans la troupe ce qu’il faut de jeunesse pour qu’on ait l’énergie et ce qu’il faut d’âge pour qu’on ait la sagesse et la civilité. » Le hall d’accueil est en ordre de marche. Les loges ont rejoint leur habitacle de toujours en dessous des gradins. Chacun, ici, sait ce qu’il a à faire. A commencer par la maîtresse des lieux qui, le 27 novembre, frappera trois coups sur la porte d’entrée, l’ouvrira en grand au public et déchirera les billets. Ainsi le veut la tradition. Loués soient les rituels qui font qu’existe le Théâtre du Soleil.

 

 

Ici sont les dragons. Première Epoque. 1917. La Victoire était entre nos mains. Une création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, en harmonie avec Hélène Cixous. Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e. Du mercredi au vendredi à 19 h 30, le samedi à 15 heures, le dimanche à 13 h 30.

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

Légende photo : Ariane Mnouchkine, lors des répétitions de sa pièce « Ici sont les dragons », au Théâtre du Soleil, à Paris, le 23 octobre 2024. CHLOE SHARROCK / MYOP POUR « LE MONDE »

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November 22, 2024 11:44 AM
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Claire Bretécher en toute intelligence

Claire Bretécher en toute intelligence | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 12 nov. 2024

 

 

Cécile Garcia Fogel en a eu l’idée et se met en scène avec une partenaire épatante, Flore Lefebvre des Noëttes. Elles nous rappellent la merveilleuse indépendance de la dessinatrice en jouant « Poussez-vous, les mecs ! »

N’étaient quelques chansons, tous les mots, ici, sont d’une femme exceptionnelle, morte bien trop tôt, en 2020, il y a un peu plus de quatre ans. Elle était née en 1940, à Nantes. Elle était une artiste reconnue, maîtresse de l’observation de son époque. Elle aurait pu être peintre, et elle a laissé de très beaux portraits de ceux qu’elle aimait. Sa famille, ses amis. Claire Bretécher fut une pionnière. Une des rares artistes femmes ayant su œuvrer dans un domaine dominé alors par les hommes, clôturé par les hommes. Elle y eut pourtant de grands amis, tel René Pétillon, son frère, son confident, son ami. Elle travailla un moment avec René Goscinny, mais il y avait entre eux une paroi générationnelle. Elle traversa bien des univers et aura dessiné pour tous les titres connus alors, les journaux de BD, plutôt destinés à la jeunesse, ou encore la presse « féminine », avant de s’émanciper. Les générations d’aujourd’hui ont accès à de nombreux albums, les plus anciens ne peuvent avoir oublié les dessins publiés par Le Nouvel Observateur.

Il y a tout cela dans le spectacle offert au Lucernaire par Cécile Garcia-Fogel et Flore Lefebvre des Noëttes. Il y a la brune, Cécile Garcia Fogel, qui a déjà, parfois, mis en scène des spectacles, la blonde, Flore Lefebvre des Noëttes, qui a souvent écrit, et notamment des textes autobiographiques, qu’elle a portés elle-même sur un plateau. Elles ont en partage un talent éblouissant.

Cécile Garcia Fogel a été du côté des interviews. D’ailleurs le titre, « Poussez-vous, les mecs ! », vient d’un texte inscrit sur un tee-shirt que la belle Claire Bretécher portait, bien en vue, alors qu’elle était filmée pour un entretien télévisé.  Les deux comédiennes vont et viennent. Elles déplacent elles-mêmes les éléments de décor, d’un canapé à des draps de bain pour plage. Ce qui est très malin dans ce spectacle c’est qu’elles sont bien au-delà de toute psychologie, de toute intention de faire rire à toute force. Comme l’était Claire Bretécher elle-même : son humour était sec, sans complaisance et ses dessins le prouvent à l’envi.

 

Brune, piquante, souveraine, ironique, battante, Cécile Garcia Fogel est merveilleuse, Blonde, volontairement protectrice, mais ne craignant aucun excès et parfois maussade, Flore Lefebvre des Noëttes, est irrésistible, dans une manie à donner des conseils et un voile de crainte.

 

Il ne s’agit pas ici d’un « spectacle » drôle à toute force. Les deux interprètes ont réussi à transcrire sur un plateau la manière très originale de Claire Bretécher, si belle et bouleversante, si intelligente et joyeuse ! L’humour de Claire Bretécher est très particulier. Elle voit. Elle comprend les absurdités, les mensonges, d’un petit monde. Celui qu’elle préfère épingler est celui d’une gauche années 70-90 si contente d’elle qu’elle en perd toute pertinence.

 

Le spectacle est d’autant plus jubilatoire qu’il surgit aujourd’hui, dans un monde brouillon, brouillé, et qui craint toute critique. « Poussez-vous, les mecs ! », mais vous, les filles, faites bien gaffe à vos faiblesses et complaisances.

Ici, une chose est certaine : le plaisir du théâtre ! Avec une belle équipe de scénographie, Luna Rauck, de lumières, Olivier Odiou, de voix off, Eric Challier et David Houry, de son, Laurent Hernieux, et le violoncelle de Louis Albertosi.

 

 

Armelle Héliot

 

 

Lucernaire, à 21h00 du mardi au samedi, à 17h30 le dimanche. Durée : 1h00. Tél : 01 45 44 57 34. Jusqu’au 5 janvier 2025. www.lucernaire.fr

 

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September 30, 2024 11:37 AM
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«Les Grands Sensibles» d’Elsa Granat, parentalité à la Shakespeare 

«Les Grands Sensibles» d’Elsa Granat, parentalité à la Shakespeare  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Sonya Faure dans Libération - 30 sept. 2024

 

Au TGP de Saint-Denis, la metteure en scène donne un Romeo et Juliette revisité, où des enfants trop vieux observent avec sévérité leurs parents immatures. Un spectacle fourmillant d’idées mais aussi de temps morts.

 
 

On y serait de toute façon allé rien que pour le titre. Les Grands Sensibles, ou la déconstruction /reconstruction, façon jeu de cubes, de Romeo et Juliette. Un Shakespeare mâtiné de Mary Poppins et de Maria Montessori : dans le dossier de presse, la metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants.

 

 

«Alors on est venu voir le chaos ?» provoque cette femme en peignoir, face public (Elsa Granat elle-même), qui se présente immédiatement : «Je suis mariée à Capulet.» Ici, les mères, globalement, ne vont pas bien. Frère Laurent est naturopathe et Roméo tient les murs avec Hamlet et Ophélie. Ils s’étonnent quand parfois de la «littérature leur sort de la bouche». Il y a beaucoup de générations sur cette scène, et cela, c’est beau : les parents et les jeunes Montaigu et Capulet donc, mais aussi des vieilles (actrices amatrices) qui passent en fauteuil roulant, brandissant des pancartes : «J’entends rien», et les enfants venus d’une classe du Conservatoire municipal de Saint-Denis. Une bande de putti et de pucks qui vient gaiement et régulièrement troller le spectacle.

Dans ce remake de Romeo et Juliette, des enfants trop vieux observent des parents immatures. Un fil narratif qui deviendra peut être un genre en soi, tant les œuvres sur les parents irresponsables se multiplient en ces temps de quel héritage-avons-nous-laissé-à-nos-enfants. Dans un moment creux du spectacle (il y en a) on a pensé au roman de Lydia Millet, Nous vivions dans un pays d’été. Là aussi, dans une bâtisse fin de siècle en voie d’écroulement, des ados regardent sévèrement leurs géniteurs boire et bavasser quand la planète sombre. Mais dans les Grands Sensibles, la charge politique est faible, et les récriminations des adolescents envers leurs parents sont plutôt de l’ordre de l’intime – ce que reproche surtout Hamlet à sa mère, c’est de coucher avec son oncle. Tandis que les parents, eux, plaident leur cause : n’ont-ils pas tout fait pour que leurs enfants n’aient pas d’allergie au gluten, pour retirer avant qu’ils ne puent les maillots de bain mouillés des sacs de piscines, bref, pour que leurs enfants «se réalisent» ?

 

 

On ne peut vraiment pas dire que le spectacle d’Elsa Granat manque d’idées, et les meilleures donnent lieu à des images éclatantes et folles. Mais les Grands Sensibles est un spectacle décousu avec un peu trop de vide entre les fils. Hyperactif et dissipé, que nous dit-il au final à part qu’il serait bon que chacun retrouve sa part d’enfance ? A la volée on gardera les adresses drôles au public, une vieille nourrice délectable (Bernadette Le Saché), les mères aussi défaites que leurs cheveux (Elsa Granat et Hélène Rencurel). Et leurs mots pour dire le manque terrible qu’elles ont de leurs enfants qui pourtant se tiennent devant elles, enfants qu’elles aiment à la folie mais à qui elles reprochent d’être là (pour tout ce que leur présence a fait à leur vie) et de ne déjà plus y être.

 

 

Les Grands Sensibles, ou l’éducation des barbares d’Elsa Granat, au TGP de Saint-Denis jusqu’au 6 octobre, puis en tournée à Thionville, Limoges, Dijon, Quimper…

 

 

 
 
Légende photo : La metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants. (Christophe Raynaud de Lage)
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June 29, 2024 1:52 PM
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Au Festival d’Avignon, Angelica Liddell : « Je suis une suicidaire sans suicide »

Au Festival d’Avignon, Angelica Liddell : « Je suis une suicidaire sans suicide » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Joëlle Gayot / dans Le Monde - 29 juin 2024

 

La dramaturge met en scène « Dämon. El funeral de Bergman » dans la Cour d’honneur.

L’artiste espagnole Angelica Liddell convoque l’esprit d’Ingmar Bergman dans la Cour d’honneur du palais des Papes avec un spectacle qui rejoue les funérailles du réalisateur suédois.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/29/au-festival-d-avignon-angelica-liddell-je-suis-une-suicidaire-sans-suicide_6245422_3246.html

 

Pourquoi avoir répété une partie de votre spectacle, « Dämon. El funeral de Bergman », à Stockholm, au théâtre Dramaten, que dirigeait Ingmar Bergman ?

Je devais me laisser affecter par ce grand démon qu’était Bergman et me rendre à Stockholm, dans ses murs, pour être à l’écoute de son esprit. J’ai ressenti une émotion extrême en travaillant au Dramaten, en parcourant les corridors, les loges. Comme Andreï Tarkovski, Bergman est une figure tutélaire à l’ombre de laquelle j’ai grandi. Etre chez lui, dans son théâtre, a influé sur mes états d’âme. Nous allons dans la Cour d’honneur pour célébrer ses funérailles. Il en avait lui-même écrit le scénario, qui figure dans son testament. Il avait demandé à un artisan de lui construire le même cercueil que celui de Jean Paul II. Son enterrement était pauvre, élémentaire, sans vanité. Il haïssait le sentimentalisme et ne voulait pas de beaux discours.

Est-ce un hasard si la pièce arrive après deux précédents spectacles consacrés à la mort de vos parents ?

Depuis leur décès, je regarde tout autrement. Je suis dans un temps de funérailles. Et peut-être en train de faire mes adieux, car j’ai en moi la tentation de disparaître du plateau. Mettre en scène l’enterrement de Bergman, c’est ma façon de comprendre ma terreur face à la perte et face à la vie, même si la nécessité de représenter la mort veut dire que l’art est plus important que tout.

 

La scène est-elle l’endroit où vous venez tuer une part de vous-même pour mieux vous réinventer ?

C’est le lieu où je peux me suicider une fois, deux fois, trois fois et puis renaître sans cesse dans un cycle infini. Je suis une suicidaire sans suicide. Je suis lâche et peureuse dans la vie, et cela me contraint à me montrer courageuse et brave au théâtre. Le plateau est le seul endroit où je prends des risques. J’y habite la folie mais, derrière une forme de démence maîtrisée, il y a toujours, chez moi, une réflexion sur l’art. Défendre l’art, c’est passer par un état de destruction et une volonté d’anéantissement. Pour Tarkovski, être confronté à une menace totale d’extinction permet d’entrer en dialogue avec soi-même. Quant à Bergman, il disait que ses démons intérieurs tiraient des chars de combat.

 

La seule façon de survivre, lorsqu’on vit avec ses démons, c’est de se mettre au travail. Nous ne sommes pas faits pour la vie. Nous sommes de pauvres gens qui doivent assumer leur humaine condition. L’instinct de rébellion qui m’anime depuis que je suis enfant se manifestera dans Dämon. Mais au fur et à mesure de la représentation, j’irai vers la compassion, c’est-à-dire vers la reconnaissance et l’acceptation de cet acte manqué que sont les êtres humains. Les gradins de la Cour qui incarnent le monde m’indiquent ce chemin de compassion. Sans doute ai-je en moi quelque chose de l’ordre du repentir, l’envie d’être pardonnée, le désir de mourir en paix. Il m’arrive d’imaginer que je suis en train de jouer et que quelqu’un tire sur moi et me tue. Mais je ne veux pas mourir sur scène. Je préférerais mourir dans mon lit.

 

 

Dämon. El funeral de Bergman. Texte et mise en scène d’Angelica Liddell. Avec David Abad, Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angelica Liddell, Borja López, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois. Cour d’honneur du palais des Papes, les 29 juin, 1ᵉʳ, 2, 3, 4, 5 juillet à 22 heures. Durée : 2 heures.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 

 

Légende photo : Angelica Liddell lors d’une répétition de « Dämon. El funeral de Bergman », le 24 juin dans la Cour d’honneur du Palais des papes. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

 

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May 27, 2024 10:56 AM
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Lisa Guez met en scène Loin dans la mer avec la Compagnie de l’Oiseau-Mouche

Lisa Guez met en scène Loin dans la mer avec la Compagnie de l’Oiseau-Mouche | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie Plantin dans Sceneweb - Publié le 15 nov. 2023

 

 

 

Librement adapté de La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, Loin dans la mer met en scène cinq comédien.nes de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche. Dans une réécriture et une direction signée Lisa Guez, le spectacle aborde des motifs universels et remet au goût du jour son intrigue tout en revenant à sa source. Le résultat, sensible et émouvant, transcende les enjeux de différence liés au handicap de ses interprètes.

 

La troupe de l’Oiseau-Mouche a ceci de singulier qu’elle est constituée de comédien.nes professionnel.les en situation de handicap psychique ou mental. Elle existe depuis déjà plus de quarante ans et cette aventure au long cours est jalonnée de rencontres passionnantes avec des artistes du spectacle vivant, donnant naissance à des créations aux sensibilités et esthétiques à chaque fois différentes. Une aubaine pour les interprètes, sans cesse confrontés à des personnalités singulières, enrichis par leurs univers et méthodes de travail. Une aubaine pour nous qui voyons naître au fur et à mesure des spectacles éclectiques, allant chercher du côté des grands auteurs, de la danse, osant des dramaturgies contemporaines ou piochant dans le vaste répertoire des contes comme cela avait été le cas il y a de ça une petite dizaine d’années avec Un Stoïque Soldat de plomb.

 

 

Cette saison, place à la metteuse en scène Lisa Guez et son écriture de plateau au plus près d’une conscience féministe dans l’air du temps. Après un workshop avec la troupe autour du conte de La Petite Sirène, l’envie lui vient de continuer l’aventure et d’en faire un spectacle. Désir partagé par la compagnie. Les dés sont lancés et la vaillante équipe de se jeter à l’eau dans les vagues de la création et de plonger tête la première dans les profondeurs de la mer. L’histoire sied à merveille à Lisa Guez, familière et friande d’une matière première issue des contes qui lui permettent de se confronter à des récits archaïques, des mythologies anciennes, en les ramenant jusqu’à nous pour mieux en dégager les hiatus et les correspondances. Après Les Femmes de Barbe bleue inspirées par le conte de Perrault, après Celui qui s’en alla, inspiré par un conte de Grimm, c’est au tour d’Andersen de servir de terreau à cette nouvelle création.

 

 

Sur un plateau quasiment nu, constitué de quelques modules d’assise positionnés à l’avant et à l’arrière, les interprètes entrent de part et d’autre, viennent nous faire face en avant-scène, les yeux dans les yeux. Et s’adressent à nous le plus simplement du monde : « est-ce que vous êtes déjà tombés amoureux ? ». Un préambule en forme de prologue qui vient nous chercher dans notre vécu, dépose le leur à nos pieds avant de quitter le réel pour pénétrer la fable et ses abysses. Nul besoin de décor d’océan ni de costume à queue de poisson pour nous faire croire que nous sommes au royaume des fonds marins. Là est la vertu du théâtre, les choses sont dites et nous y croyons. Notre héroïne sirène porte un jogging et des converses, elle s’appelle Céleste (funambule et lunaire Dolorès Dallaire) et veut mettre des épices dans sa vie. La grand-mère est un comédien (magnifique Frédéric Foulon), un filet de pêche sur les genoux, elle « connait le secret des choses » et raconte des histoires de là-haut, du monde des humains, à la jeunesse aquatique qui l’écoute avec dévotion. La sorcière est une vamp en manteau de fourrure léopard et lunettes noires (délicieuse Marie-Claire Alpérine qui exprime sa large palette dans plusieurs rôles). Quant à Chantal Foulon, elle est bouleversante en sœur éplorée, déchirée de voir sa cadette partir.

L’histoire, on la connaît, le Walt Disney est passé par ici, édulcorant sa fin pour mieux conquérir le tout public et ne pas froisser les âmes sensibles. Lisa Guez revient à la source mais elle se permet aussi d’y intervenir, pénétrant la chair même de la narration pour jeter un pavé dans la mare quand la moutarde lui monte au nez. Pour qui se prend-il, ce prince à la vie facile, girouette inconstante, qui retire sa promesse tout juste après l’avoir donnée ? Et brise le destin de celle qui joue sa vie en l’épousant. Mais pour autant, se marier avec une femme que l’on n’aime pas vraiment, les pensées préoccupées par une autre, était-ce la solution ? Non. Kévin Lefebvre campe avec une belle sincérité ce prince aux prises avec ses sentiments contradictoires et ce tribunal improvisé qui s’insurge contre son comportement.

Si elle conserve la trame narrative originelle et rend grâce à sa dimension quasiment mythologique à coup d’airs classiques universels (Prokofiev, Schubert, Beethoven) qui en augmentent la force de frappe émotionnelle, Lisa Guez s’offre des libertés bienvenues et à propos, tordant le cou avec humour aux idées reçues. Depuis l’intérieur même du récit, elle en interroge le déroulé sans jamais perdre le fil de la fiction. La vraie question étant : Pourquoi cette jeune sirène est prête à sacrifier sa voix, sa famille, sa patrie et son indépendance pour suivre un inconnu aperçu une seule fois et sauvé du naufrage ? La légende, romantique et chevaleresque, devient, pour l’autrice et metteuse en scène, un véhicule pour l’imaginaire autant qu’un terreau de réflexion à son sujet. Sans quitter des yeux la fable issue de la culture populaire, elle lui injecte une dimension critique et questionne de l’intérieur la représentation de l’amour.

 

 

Marie Plantin – www.sceneweb.fr

Loin dans la mer
Ecriture et mise en scène Lisa Guez
Avec Marie-Claire Alpérine, Dolorès Dallaire, Chantal Foulon, Frédéric Foulon, Kévin
Lefebvre, interprètes de la Cie de l’Oiseau-Mouche
Lumière, costumes et scénographie Sarah Doukhan
Créateur sonore Thomas Tran
Regard chorégraphique Cyril Viallon
Collaborateur artistique Alexandre Tran
Assistante à la mise en scène Dounia Brousse
Direction technique Greg Leteneur
Régisseur Baptiste Crétel, Julien Hoffmann et Grégoire Plancher (en alternance)
Production Compagnie de l’Oiseau-Mouche
Coproduction Compagnie 13/31, La Comédie de Béthune Centre Dramatique National,
Théâtre de la Ville – Paris

A partir de 10 ans

Durée : 1h10

 

 

9 > 10 novembre 2023
Lieux Culturels Pluriels – Le Grand Sud Lille

14 novembre 2023
Studio 4 Marquette

07 > 09 déc. 2023 (dans le cadre du Festival Ad Hoc)
Le Volcan – Scène nationale du Havre Le Havre

06 > 16 février 2024
Comédie de Béthune CDN / Itinérance Béthune

14 > 15 mars 2024
Le Canal Théâtre du Pays de Redon Redon

27 mars 2024
Conservatoire de la Baie de Somme Abbeville

28 mai > 2 juin 2024
Théâtre de la Ville Paris

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April 9, 2024 3:58 PM
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Notre critique de Trois fois Ulysse au Vieux-Colombier : beau comme l'antique

Notre critique de Trois fois Ulysse au Vieux-Colombier : beau comme l'antique | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nathalie Simon dans Le Figaro - 8 avril 2024

 

L'écrivain Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent L'Odyssée d'Homère à travers un oratorio.

 

Le plateau du Vieux-Colombier est dans la pénombre. Se détache un crâne de cheval monumental avec les silhouettes blanchâtres de ses oreilles dressées. Incendiée, saccagée, Troie est tombée. Une mélopée lancinante et la voix de Clotilde de Bayser fait entendre la parole d'Hécube, qui a vu périr ses enfants et est donnée en « cadeau » à Ulysse. Martyre involontaire, elle harangue « cet ennemi du vrai, cette vipère sans loi »« Pourquoi ne peux-tu pas te passer de moi ? », lui demande-t-elle.

 

Mobile, le décor est retourné par le Chœur Unikanti (issu de la Maîtrise des Hauts-de-Seine), et révèle alors la grotte, sanctuaire de la déesse Calypso (Séphora Pondi en robe bleue), qui propose à Ulysse de « sortir du temps ». Suite à l'injonction d'Hermès, les larmes aux yeux, l'amante du héros grec l'autorise à la quitter après sept ans de vie commune. Enfin, le guerrier sanglant revient à Ithaque et retrouve sa femme, Pénélope (la blonde chanteuse Marie Oppert). Elle l'a attendu sans prendre une ride, mais reste d'abord muette.

 

Dans le très exigeant Trois fois Ulysse (Éditions Espaces 34, représenté par L'Arche), Claudine Galea rend hommage aux femmes de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère. Elle redessine une image du personnage qui n'a rien à voir avec le « héros sans peur et sans reproche » des manuels scolaires. Joué successivement avec ferveur par Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty et Éric Génovèse, l'amant, époux et le combattant est tour à tour violent, hargneux, fougueux et amoureux, faillible, voire « en dépression »« L'art, c'est la beauté quoi qu'on dise. Violence et désordre, mais beauté », assure l'auteur. Il y a tout cela dans ce spectacle plein de soufre, où la cruauté des cœurs le dispute à un infime espoir. Pénélope finit par s'exprimer. Les rôles s'inversent. L'homme dépend de la femme qu'il a cru soumise.

Précision et raffinement

Claudine Galea a travaillé en accord avec Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages, à Paris, qui signe sa première pièce dans la maison de Molière. Cette dernière illustre les intentions de sa consœur à travers une mise en scène d'une précision chirurgicale dans une scénographie d'un raffinement extrême (sur un panneau défilent des soleils rougeoyants et des vagues sombres). Trois séquences immortalisent le destin de trois couples qui, en l'absence des dieux, prennent leurs responsabilités, surtout les femmes.

 

Les acteurs de la Comédie-Française prouvent, s'il en est besoin, qu'aucun registre ne leur résiste et qu'ils savent donner de la voix à tous les sens du mot. Alliant théâtre, musique et vidéo, le texte de Claudine Galea se déploie en majesté avec le risque que la forme prenne le pas sur le fond. Impossible d'être attentif tout du long de cet oratorio où les sentiments humains sont transcendés par la présence du Chœur Unikanti qui déclame aussi bien des chants du XIIe siècle, de l'araméen ou un Tri martolod. Beau comme l'antique !

 

Nathalie Simon / LE FIGARO 

Trois fois Ulysse, au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris 6e), jusqu'au 8 mai. Rés. : 01 44 39 87 00. www.comedie-francaise.fr

 
La

 

 

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March 14, 2024 6:42 PM
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Avec « Cavalières », quatre amazones indomptables sur la scène du Théâtre de la Colline, à Paris

Avec « Cavalières », quatre amazones indomptables sur la scène du Théâtre de la Colline, à Paris | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 14 mars 2024

 

Isabelle Lafon présente une pièce malicieuse, drôle et tendre, qui ouvre la réflexion sur la fabrication d’une démocratie par et avec des femmes.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/14/avec-cavalieres-quatre-amazones-indomptables-sur-la-scene-du-theatre-de-la-colline-a-paris_6222044_3246.html

Des femmes entre elles qui construisent un monde bien à elles sans se faire la guerre. La particularité des spectacles que conçoit et met en scène Isabelle Lafon est double : ils se trament dans la douceur et ils sont inimitables. Avec Cavalières, sa dernière création proposée au Théâtre de la Colline, à Paris (maison qui, depuis 2016, accueille tous ses spectacles), cette artiste rétive aux modes esthétiques réitère un principe de travail intangible. Il repose sur l’équilibre ténu entre le texte su et l’improvisation.

Une gageure pour les comédiennes, qui n’éludent pas leurs hésitations, leurs bafouillements ou leurs répétitions. Cette façon de dire les mots à chaud, sans le filet sécurisant de dialogues tressés à la virgule près, forge un théâtre du présent et de l’immédiateté. Il est ici au service d’une histoire d’apparence banale : quatre femmes, donc, apprennent la cohabitation dans un grand appartement. La fable est de prime abord familière. Elle est pourtant le creuset d’un propos plus universel.

 

Isabelle Lafon vient de franchir un cap : entourée de trois excellentes actrices (Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes), elle bascule du petit au grand plateau du théâtre. Soit 350 mètres carrés, qu’elle ne décore pas mais se contente de draper de lumières et d’habiller de quelques chaises éparses. Les quatre corps qui arpentent cette immensité dépouillée sont ceux d’Amazones qu’aucun homme ne domptera. Elles se partagent la garde de Madeleine, une enfant handicapée, dont Denise (jouée par Isabelle Lafon) a obtenu la tutelle. Le gynécée ainsi constitué obéit à des règles établies par Denise : il faut s’occuper de « Mado », ne pas encombrer la maison avec des meubles ou des accessoires, et avoir un rapport, quel qu’il soit, avec les chevaux. Tel est le prélude d’une représentation malicieuse, drôle et tendre.

Nécessité d’un intime

Un groupe se construit donc dans un espace vide. Un collectif. Or c’est le propre du théâtre que de fabriquer du collectif sur la scène. Et son rêve, ancien et têtu, d’y associer l’assemblée tout entière des spectateurs. Sous couvert de fiction, la représentation parle de cette utopie. Et y adjoint la mention du cheval, dont les multiples évocations trottent au fil des conversations. Pourquoi cette irruption de l’équidé ? La réponse tient dans l’ouverture du spectacle : une chanson (sublime) de Maria Tanase, interprète roumaine, se fait entendre. Elle renvoie en droite ligne vers la biographie d’Isabelle Lafon. Cette dernière a non seulement vécu en Roumanie, mais elle a aussi été, dans une existence antérieure, entraîneuse sur les champs de courses.

 

Nous voici donc dans sa biographie, la part intime de son existence. Elle n’a rien d’exhibitionniste, elle sert ici plutôt de passerelle. Au-delà du cas personnel de la metteuse en scène, Cavalières ouvre la réflexion sur la nécessité d’un intime qui se doit de résister à toutes les ingérences s’il veut être le garant des libertés individuelles. Un intime politique sur lequel rien ne ferait autorité : ni l’Etat ni la société. Un intime féminin qui ose affirmer sa légitimité à investir la démesure des plateaux de théâtre quand, trop souvent, ce sont les metteurs en scène hommes qui les prennent d’assaut.

 

En réalité, l’aventure entreprise par Isabelle Lafon et ses trois complices passe par l’anodin (qui remplit le frigo ? qui va chercher l’enfant à l’école ?) pour penser la fabrication d’une démocratie par et avec des femmes. Avec la présence notable, parmi les personnages, d’une « ingénieure spécialisée dans le ciment » (incarnée par Johanna Korthals Altes). La comédienne étant un pilier (un ciment ?) du travail d’Isabelle Lafon, avec qui elle collabore pour la dixième fois, cette distribution de rôle ne doit (se dit-on) rien au hasard. Ce théâtre-là a beau bafouiller, hésiter, se reprendre, il suit une trajectoire résolue qui mène vers des mondes communs, meilleurs et pacifiés, qu’un peu de bonne volonté et d’intelligence partagée suffiraient sans doute à voir naître.

 

 

Cavalières, conception et mise en scène d’Isabelle Lafon. Avec Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon. Théâtre de la Colline, Paris 20e. Jusqu’au 31 mars. Colline.fr

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

Légende photo : Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes, Sarah Brannens et Isabelle Lafon dans « Cavalières », au Théâtre de la Colline, à Paris, en mars 2024. LAURENT SCHNEEGANS
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November 17, 2023 5:46 PM
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Ambre Kahan s’empare de « L’Art de la joie », et le monde de Goliarda Sapienza déferle sur le plateau

Ambre Kahan s’empare de « L’Art de la joie », et le monde de Goliarda Sapienza déferle sur le plateau | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 17 nov. 2023

 

 

Du livre de la romancière sicilienne sur l’émancipation, la metteuse en scène tire un spectacle d’une maîtrise époustouflante, à voir aux Célestins à Lyon, jusqu’au 26 novembre, puis à la MC93 de Bobigny.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/11/17/ambre-kahan-s-empare-de-l-art-de-la-joie-et-le-monde-de-goliarda-sapienza-deferle-sur-le-plateau_6200777_3246.html

Neuf ans consacrés à l’écriture d’un livre (de 1967 à 1976), deux de plus passés à le corriger, vingt autres à encaisser les refus d’éditeurs italiens : la romancière sicilienne Goliarda Sapienza (1924-1996) meurt avant de voir son manuscrit vendu en librairie. Il faut l’acharnement de son mari, Angelo Maria Pellegrino, qui publie le texte dans son intégralité en 1998, pour que L’Art de la joie rencontre enfin ses lecteurs. Traduit en France en 2005 par Nathalie Castagné pour les éditions Viviane Hamy, ce monument de la littérature contemporaine laisse pantois : déroulée sur plus de six cents pages, de son enfance à sa vieillesse, la vie de l’héroïne, Modesta, est un modèle d’émancipation sociale, sexuelle, intellectuelle et féministe.

 

Alors que s’approche le centenaire de sa naissance, et qu’un documentaire de Coralie Martin (Désir et rébellion, diffusé sur Arte.tv jusqu’au 6 mai 2024) lui rend hommage, Goliarda Sapienza fait son entrée au théâtre par la grande porte. Celle qui mène à un spectacle de très haute volée mis en scène par une artiste de 38 ans : Ambre Kahan. Ancienne élève de l’école du Théâtre national de Bretagne, actrice pour Thomas Jolly, Stanislas Nordey, Eric Lacascade ou Simon Delétang, Ambre Kahan a adapté les deux premières parties d’un récit qui en compte quatre. Ce qui donne près de six heures d’une représentation entrecoupée d’un seul entracte. L’artiste prévoit de raccourcir la durée. Pourtant, à l’issue d’un marathon haletant, le public de Valence (où a eu lieu la création) était en liesse. On le comprend : ce spectacle est bluffant.

 

 

 

Dans un décor de hauts praticables en forme d’arches qui, déplacés à mains nues, structurent une multiplicité d’espaces (maison, chambre, couvent, terrasse, escalier, jardin, etc.), Ambre Kahan fait preuve d’une maîtrise époustouflante de la mise en scène. Images, sons, musiques, lumières, direction d’acteurs : pas une fausse note ne perturbe le cours de sa représentation. Elle s’écoule, accélère, ralentit, s’attarde sur un détail avant de repartir de l’avant. Il n’y a pas de vidéos et pas d’effets spéciaux. Aucune de ces modernités technologiques qui servent souvent de cache-misère. Le théâtre existe pour ce qu’il est : un art et un artisanat qui produit des miracles avec trois fois rien : un rideau rouge qui chute à la verticale, des pas qui foulent un sol de sable doré, une femme qui prend un bain derrière des voilages blancs. Les ambiances fluctuent. On pense aux univers de Tchekhov et d’Ibsen, à la sensualité de L’Amant de lady Chatterley, de D. H. Lawrence. Cette confiance dans l’éloquence de la scénographie rappelle le geste exubérant de Thomas Jolly. Sauf qu’ici une femme signe la mise en scène, ce qui est loin d’être anodin.

Tour de force

Treize formidables comédiens donnent corps à trente-deux personnages. Des hommes jouent des femmes. Des jeunes incarnent des vieillards. Le monde né sous la plume de Goliarda Sapienza déferle sur le plateau. Valse des lieux en première partie, fixité du décor pour la seconde. Ambre Kahan bascule des fondus enchaînés aux plans arrêtés qui font le net sur la société sicilienne des années 1900 : miséreux et puissants, religieuses et prostituées, intellectuels et militaires, réactionnaires et progressistes. Le quotidien des héros trépigne ou s’alanguit, au rythme d’un XXe siècle guetté par le bruit des bottes et des bombes. La première guerre mondiale menace. Au centre des tempêtes individuelles et collective, Modesta se tient droite.

 

 

Lire aussi (2022) : Article réservé à nos abonnés Goliarda Sapienza, un modèle d’émancipation pour les féministes
 

« Et voyez, me voici à 4-5 ans traînant un bout de bois immense dans un terrain boueux » : debout, derrière un pupitre, Noémie Gantier lit les premières lignes de L’Art de la joie. Cette comédienne (vue à plusieurs reprises dans les créations de Julien Gosselin) ne quittera plus jamais le plateau dans les heures qui suivront. Un tour de force qui resterait à l’état de performance si l’actrice ne mûrissait pas avec Modesta, épousant le moindre de ses faits et gestes, mais absorbant surtout, à la manière d’une sœur d’armes, son besoin viscéral de liberté. La métempsycose est totale : on oublie l’interprète pour ne plus voir que l’héroïne.

 

Née pauvre, violée enfant, Modesta est inaliénable et scandaleuse : elle regarde le feu détruire la maison familiale, où vivent sa mère et sa sœur handicapée mentale. Elle provoque la chute mortelle d’une religieuse dans un couvent où elle est hébergée. Elle laisse s’étouffer une vieille princesse qui l’a prise sous son aile et lui confie les clés de sa fortune. Elle aime la caresse des femmes et cherche le plaisir dans les bras masculins. Elle devient la riche patronne d’un domaine princier. Elle enfante. Elle avorte. Elle joue du piano, lit, se cultive, se bâtit une conscience politique. Elle ne s’excuse de rien et ne s’encombre d’aucun tabou. Elle ne parle pas la langue de la morale. Son seul maître est le désir. Son expérience de la vie est vorace. Elle est décuplée par l’ici et maintenant du théâtre qui nous place devant l’évidence : un être humain se constitue à vue, sous nos yeux.

 

A mi-parcours, Modesta se fige : « Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. » Elle a compris le cadenas qu’est une langue enseignée par la famille, la religion, la société, les hommes, induite par les morales, les idéologies et les conventions. Elle entrevoit la tâche qui l’attend : se débarrasser des mots qui aliènent, « les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation ».

 

Ambre Kahan prend l’autrice au pied de la lettre. Mais elle élève sa représentation au-dessus d’une lecture littérale en irisant ce brûlot écrit au XXe siècle de son regard contemporain. Ce n’est pas un hasard si la metteuse en scène élabore avec soin de magnifiques scènes érotiques tout en n’occultant rien de la douleur physique subie lors d’un accouchement. Son spectacle est celui d’une femme qui ne travestit pas le féminin à grand renfort de clichés passéistes. Une femme qui sait que dévoiler l’intime, c’est faire acte politique. Ce qui était aussi le but de Goliarda Sapienza.

 

 

L’Art de la joie, d’après Goliarda Sapienza, adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan. Les Célestins, Lyon 2e. Du 17 au 26 novembre. Theatredescelestins.com ; du 1er au 10 mars 2024 à la MC93 de Bobigny. MC93.com

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

Légende photo : Serge Nicolaï et Noémie Gantier dans « L’Art de la joie », mise en scène d’Ambre Kahan, aux Célestins, à Lyon, en novembre 2023. MATTHIEU SANDJIVY/THÉÂTRE DES CÉLESTINS
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October 20, 2023 6:07 AM
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La parité hommes-femmes est en progression dans le théâtre public 

La parité hommes-femmes est en progression dans le théâtre public  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 19 octobre 2023

 

Dans les Centres dramatiques nationaux (CDN), la parité est quasi atteinte en termes de direction et de programmation. Et elle progresse sur les scènes nationales. On revient pourtant de loin.

 

Ne boudons pas, attrapons les bonnes nouvelles, même lorsqu’elles se présentent sous la forme d’une forêt touffue de chiffres. Longtemps, l’égalité des hommes et des femmes, dans et sur les scènes publiques labellisées, était un genre d’Himalaya supposé inaccessible. Pas assez d’autrices dramatiques, pas assez de metteuses en scène, pas assez d’artistes femmes ayant envie de diriger une structure, prétendait-on pour qu’il soit possible d’envisager des saisons théâtrales paritaires et une direction qui ne soit pas majoritairement masculine. Jusqu’à l’année dernière, les chiffres étaient impitoyables : lorsque les femmes étaient majoritaires, c’était parce que les spectacles dont elles se chargeaient avaient trait à la jeunesse ! Elles restent toujours surreprésentées dans cette catégorie. Pour le reste, ça s’arrange.

 

Deux études dont Libération a eu la primeure indiquent une inflexion, qui prouve que la volonté collective vers moins de discrimination sexuelle est payante. La première provient de l’Association des Centres dramatiques nationaux (ACDN), dont les 38 directions ont signé en 2022 pendant le festival d’Avignon une charte les engageant à œuvrer concrètement en faveur de l’égalité femmes-hommes dans la programmation, les budgets alloués, ainsi que les jauges offertes aux spectacles. L’ACDN s’est associée à une chercheuse doctorante, Inés Picaud Larrandart, qui mène à ses côtés un travail d’analyse sur la mise en œuvre de la parité et explore également les questions de diversité – où tout reste à faire. L’analyse fine de la saison 2022-2023 constitue donc une sorte d’année zéro. Elle montre que dans les Centres dramatiques nationaux, ces structures dont la spécificité est d’être dirigées par un artiste, la parité est quasi atteinte en termes de direction et de programmation. On revient pourtant de loin. En 2006, seulement trois femmes étaient à la tête d’un CDN. Aujourd’hui, elles sont 19, dont 3 co-directrices qui partagent leur mission avec un directeur, sur les 38 structures existantes. Toujours dans les CDN, en termes de programmation, de durée des séries, de jauges allouées, les nouvelles sont bonnes : 50,5% des spectacles ont été mis en scène par des femmes et ils sont programmés aussi longtemps que ceux proposées par des hommes, dans des jauges légèrement plus restreintes, mais légèrement plus remplies

 

Un seul théâtre national dirigé par une femme

 

La metteuse en scène Emilie Capliez, qui préside l’association, incite pourtant à ne pas faire sonner trop vite les youyous de la victoire. Notamment parce qu’une disproportion dans les moyens alloués, nerf de la guerre pour produire des spectacles, est criante. Tout se passe comme si les tutelles acceptaient de nommer des femmes dans des structures à condition qu’elles soient petites, circonscrites, modestes, et qu’elles ne fassent pas trop de bruit. Leur art séculaire de savoir accommoder les restes est-il censé déteindre sur leur pratique et leur permet-il de savoir mieux que leurs homologues masculins comment faire plus avec moins ? Les cinq CDN les mieux dotés sont dirigés par des hommes tandis que quatre des cinq les moins lotis le sont par des femmes !

 

Qu’en est-il dans les autres structures publiques ? Et bien indiquons déjà, ce n’est pas un scoop, que si quatre des cinq théâtres nationaux – la Comédie française, l’Odéon, le Théâtre national de la Colline et Chaillot – sont dirigés par des hommes, un seul – le théâtre national de Strasbourg – l’est par une femme, Caroline Guiela NGuyen, et depuis peu. Si l’on zoome sur le théâtre du Châtelet, joyau de la ville de Paris, rappelons que c’est un homme qui vient d’y être nommé, Olivier Py, alors que la short list était constituée de deux candidatures féminines fortes (Valérie Chevalier et Sandrina Martins).

 

Les 78 scènes nationales qui maillent le territoire français ne sont, sauf infime exception, pas dirigées par des artistes. Elles ont une mission davantage pluridisciplinaire que les CDN, au point que 23 d’entre elles intègrent un cinéma d’art et d’essai en plus de leurs salles de spectacles traditionnelles. Une autre différence de taille les distingue des CDN : la grande majorité des directions à la tête d’une scène nationale sont nommées en CDI, c’est à dire potentiellement pour la vie. Fabienne Loir , secrétaire générale de l’Association des Scènes nationales, observe elle aussi une progression nette des femmes à la tête des structures, qui passe de 26% en 2017 à 39% aujourd’hui – loin de la situation quasiment équilibrée des CDN. Et elle aussi note que les femmes, dernières arrivées, gèrent des structures plus petites et moins bien dotées que les hommes. «Plus les gens sont expérimentés, plus ils peuvent postuler à de grosses structures», constate Fabienne Loir.

 

Nomination attendue à la tête de la Commune, à Aubervilliers

 

On vous avait promis une forêt de chiffres, poursuivons notre promenade, armez-vous d’une machette. Les chiffres globaux de la saison 22-23 délivrés dans le nouveau rapport du Syndeac, principal syndicat des scènes subventionnées toutes catégories confondues, témoignent eux aussi d’une progression des femmes sur tous les terrains. Mais de moindre ampleur que dans les CDN, et ils sont tous en-deçà de la parité. Citons en deux : si 35% des spectacles étaient mis en scène par des femmes dans les structures adhérentes au syndicat en 2019-2020, ils sont 42% deux ans plus tard. Si elles n’étaient que 29% d’autrices représentées en 2019-2020, elles sont 35% en 2021-2022. Les pourcentages cachent de fortes disparités entre les structures, et le Syndeac promet «d’examiner, au cas par cas, la situation des adhérents dont les chiffres sont très éloignés des objectifs afin de trouver des soutions».

 

On peut s’en réjouir : les tutelles – l’Etat, les municipalités, les collectivités locales, la région – prennent garde de nommer des femmes à la tête des structures. Mais savent-elle les renommer ? Autrement dit, les directrices jeunes et moins jeunes peuvent-elle faire fructifier leur expérience ? Ou se retrouvent-elles fatalement «à la rue» après leurs bons et loyaux services ? Pour l’instant, seulement deux femmes metteuses en scène ont pu renouveler leur expérience de directrice de CDN. La salve de nominations récentes – Bérangère Vantusso à la tête du CDN de Tours, Fanny de Chaillé au CDN de Bordeaux, Marcial Di Fonzo Bo au Quai à Angers – ne modifie pas l’équilibre. Restent encore deux lieux à pourvoir : la Comédie de Caen et, de manière imminente, la Commune – CDN d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, lieu emblématique de la démocratisation culturelle. Et où figurent en dernière sélection Célie Pauthe et Laetitia Guedon, toutes deux en fin de mandat. La Commune va donc concentrer tous les regards.

 

Anne Diatkine / Libération

 

Légende photo : Fanny de Chaillé (CDN de Bordeaux), Caroline Guiela Nguyen (Théâtre national de Strasbourg) et Bérangère Vantusso (CDN de Tours). (Frédérick Florin/AFP)

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May 17, 2023 4:20 PM
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Une Médée sans amarres à la Comédie-Française, à Paris

Une Médée sans amarres à la Comédie-Française, à Paris | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 17 mai 2023

 

La pièce réécrite par la metteuse en scène Lisaboa Houbrechts peine à ancrer ses personnages dans la tragédie d’Euripide.


 

Lire l'article sur le site du "Monde" :https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/17/une-medee-sans-amarres-a-la-comedie-francaise-a-paris_6173772_3246.html

Des comédiens qui jouent assis, prostrés ou couchés à terre, ce n’est pas un détail, c’est un écueil de taille. De là à déduire que Lisaboa Houbrechts, metteuse en scène de Médée, d’après Euripide, à la Comédie-Française, veut soustraire son spectacle aux regards du public, il n’y a qu’un pas. On comprendrait qu’il soit franchi par l’assemblée, qui doit se contorsionner pour apercevoir les corps présents sur la scène. Ces corps étant eux-mêmes contraints dans de rigides costumes taillés entre l’antique et le futurisme, la tragédie a bien du mal à se connecter à notre présent.

Les ponts qui la relient au monde contemporain sont pourtant nombreux : quittée par son époux Jason, le père de ses deux fils, chassée de Corinthe par le roi Créon, Médée, fille du roi de Colchide, se venge de la plus terrible des manières. Elle assassine Créüse, nouvelle compagne de son mari (et fille de Créon), puis égorge ses enfants avant de se réfugier chez Egée, roi d’Athènes. Colère d’une amoureuse trahie, rage d’une reine constamment renvoyée à son statut d’étrangère : l’emboîtement des sphères privée et politique redouble l’impact du drame. Sans compter qu’à ce condensé d’ingrédients explosifs, s’ajoute le geste ultime, l’infanticide. Médée est un brasier qui n’attend que l’allumette pour prendre feu.

 

 

Mais l’incendie ne prend pas, en dépit d’une musique apocalyptique dont le volume rivalise avec les hurlements de Médée. A l’image des « si seulement », réitérés par le comédien Bakary Sangaré (il joue la nourrice de la meurtrière), qui suggèrent que ce qui a lieu aurait pu ne pas advenir, le spectacle s’inscrit dans une sorte de conditionnel dubitatif, sans jamais vraiment affirmer l’ici et maintenant du théâtre. La faute à une représentation écartelée entre ses aspirations au sensible et la raideur stylisée de sa forme. La faute aussi à ces corps trop souvent invisibilisés au profit d’images qui cultivent la métaphore.

Spectaculaires cérémonies visuelles

L’œil fixé sur les cintres vers lesquels s’élèvent (ou dont descendent) des éléments de décor (longue traîne bleue, vêtements d’enfants, ballons de baudruche noirs, pluie de sable doré), Lisaboa Houbrechts semble suggérer qu’existe un conflit insoluble entre verticalité (lieu du divin) et horizontalité (siège du terrien, donc de l’humain). Ce qui se passe en altitude l’emportant en beauté, tenue et éloquence, les acteurs et leurs personnages errent sur les planches, l’air de se demander ce qu’ils y font, comme abandonnés par leur metteuse en scène. Si Lisaboa Houbrechts, née en Belgique en 1992, est indéniablement une femme de plateau qui sait organiser de spectaculaires cérémonies visuelles, son rapport à l’acteur reste à préciser.

Un couple a toutefois retenu son attention : Médée et Jason. Coiffée d’une haute coupe en brosse à la Grace Jones époque Jean-Paul Goude, Séphora Pondi est une Médée somptueuse, tour à tour démunie et impitoyable, enjôleuse et féroce, vulnérable et guerrière. Cette récente pensionnaire de la Comédie-Française affiche une force brute, l’aplomb de la jeunesse et un charme qui désarme même au plus fort de l’abjection.

 

 

Lire le portrait : Article réservé à nos abonnés Séphora Pondi, puissante et jeune tempête à la Comédie-Française
 

D’où le regain d’intérêt lorsqu’elle se confronte à Jason, lequel est incarné avec une justesse émouvante par Suliane Brahim. Une femme, donc, pour être tout à la fois mari infidèle, amant ingrat, père distant et homme friable. Jason ne fait pas le poids face à la fureur et l’intelligence de celle qui, en tuant ses enfants, s’est mise hors-jeu de l’humanité. Tandis que Médée quitte le drame, juchée au sommet d’une sculpture (une tête ébréchée, où elle occupe la place du cerveau mis à nu), Jason ploie sous la coulée de sable qui chute depuis les cintres. Décidément, salle Richelieu, il ne fait pas bon vivre au ras du sol.

 

 

Médée, d’après Euripide. Adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts. Comédie-Française, salle Richelieu, Paris 1er. Jusqu’au 24 juillet. De 5 € à 48 €.

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

Légende photos : « Médée », d’après Euripide, mise en scène par Lisaboa Houbrechts avec, de gauche à droite, Bakary Sangaré (la nourrice), Suliane Brahim (Jason) et Séphora Pondi (Médée), à la Comédie-Française, à Paris, le 10 mai 2023. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/HANS LUCAS
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April 18, 4:42 AM
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Une Mouette d'après Anton Tchekhov par Elsa Granat.

Une Mouette d'après Anton Tchekhov par Elsa Granat. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Webthéâtre - le 16 avril 2025

 

Trois femmes en mal d’être conscientes de leurs capacités à se battre.

 

Dans la tradition d’une ré-appropriation des « classiques », Elsa Granat monte La Mouette en jouant, dit-elle, sur sa capacité à toucher un public contemporain - mettant l’accent sur la condition de la femme, ses désirs, ses succès et ses échecs. Artiste associée du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis, la conceptrice regarde sa Mouette sous la dimension historique de la Salle Richelieu, puisant dans la mémoire théâtrale des acteurs la richesse d’incarnation des personnages de Tchekhov.

 

La fougue allègre de la mise en scène donne sa préférence au désir de créativité des femmes, un regard sur-éclairé sur l’affranchissement de celles-ci à travers l’invention personnelle et l’accomplissement de soi si recherché. Aussi Une Mouette débute-t-elle par une « ouverture d’imaginaire » - un préquel - sur le destin d’Arkadina actrice sur le déclin chez Tchekhov.

 

Tel un souffle violent qui viendrait de l’intime dans la rencontre irréversible de soi avec le monde et la vie quotidienne, se répand et s’impose l’amour du théâtre et de la vie, sur les planches, chez une actrice admirée et extravertie que son fils, un peu mis de côté, observe dans le sentiment d’être négligé face à l’Art maternel conçu comme plus grand que tout : cris et déclamations.

L’occasion d’un jeu sur les costumes magnifiques de la diva, la manière de revêtir les parures destinées à un monde onirique et de rêve où tout serait beau : Marina Hands pour Arkadina, l’actrice emblématique, évolue dans le don de son art, à l’écoute de ses seules impressions, loin de son fils Treplev : et les enfants jouent leur partition sur la scène - théâtre dans le théâtre.

 

A côté de la passion littéraire des mots et de l’incarnation scénique, demeure d’abord la dimension incontournable de l’Amour. Quand commence véritablement la pièce, s’épanouit la passion qui unit les personnages - le sentiment liant Arkadina à son amant Trigorine, écrivain en vogue et indécis dans la vie. Loïc Corbery dans le rôle est convaincant, attachant, rêveur et plutôt absent aux autres, un charme auquel la jeune voisine ardente de Treplev, Nina, dont celui-ci est amoureux, n’échappe pas, désirant à son tour jouer la comédie et éprouver le feu des sentiments.
Treplev écrit de son côté et met en scène : art et amour.

 

Nina interprétée par Adeline d’Hermy est juste, tellement vivante et tonique, admirative de la beauté artistique - écrire et jouer -, vivant pour son désir de s’accomplir sur scène, et amoureuse en même temps de Trigorine, l’infidèle.

 

Même Macha, taiseuse et mélancolique, s’exprime ouvertement, faisant le spectacle inédit de ses aspirations et de ses empêchements, en colère contre elle-même et contre le monde dont elle ne réussit pas à suffisamment se démettre. Julie Sicard est une Macha débridée et sortie de ses gonds, mais vraie.

Soit la révolte de trois femmes - Trois Soeurs ? - contre les désirs secrets et frustrés dans un concert sur-joué à trois voix sous influence hystérique et déjà sonorisées - pléonasme. Comme si le pouvoir de crier donnait plus de vérité à la douleur.


Adeline d’Hermy nuance sa prestation entre réserve et expression vive.

La mise en scène d’Elise Granat est malicieuse, ludique et acidulée - des tonalités à la Douanier-Rousseau, avec pour la villégiature à la campagne un paysage estival et verdoyant propice à la sieste et au pique-nique, humour d’un farniente sur des chaises de camping, chemise hawaïenne colorée et bermuda pour les hommes, chapeau de paille et robe légère pour les dames.

Tous les personnages de la petite communauté tchekhovienne sont convoqués avec précision, Bakary Sangaré pour Sorine, l’oncle aimé de Treplev et le frère d’Arkadina, Nicolas Lormeau pour le médecin raisonnable et sensé, Julien Frison pour Treplev tourmenté et en souffrance, Birane Ba pour le maître d’école toujours positif et époux délaissé de Macha, Dominique Parent pour Chamraïev l’intendant ; et de l’académie de la Comédie-Française, Édouard Blaimont et Blanche Sottou, régisseur et costumière…

 

Une Mouette illustrée et démonstrative qui n’en est pas moins appréciée du public, interpellé par tant d’émotions générées par ce désir de réussir sa vie en dépit de tout, et ne jamais abandonner.

 

 

Une Mouette, adaptation et mise en scène Elsa Granat, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, dramaturgie Laure Grisinger, scénographie Suzanne Barbaud, costumes Marion Moinet, lumières Vera Martins, son John M. Warts, conseil à la dramaturgie Jean-Michel Potiron, assistanat à la mise en scène Laurence Kélépikis, de l’académie de la Comédie-Française, assistanat à la mise en scène Aristeo Tordesillas, assistanat à la scénographie Anaïs Levieil, assistanat aux costumes Aurélia Bonaque Ferrat. Avec Julie Sicard, Loïc Corbery, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba, Dominique Parent et de l’académie de la Comédie-Française Édouard Blaimont Nikita, Blanche Sottou, et les enfants en alternance, Abel Bravard, Noam Butel, Sandro Butel, Marcus Grau, Gabrielle Christophorov, Jeanne Mitre Robin, Suzanne Morgensztern, Olympe Renard. Du 11 avril au 15 juillet 2025, en matinée 14h et soirée 20h30, à La Comédie-Française, Salle Richelieu, place Colette 75001Paris.
comedie-francaise.fr

 

Véronique Hotte / Webthéâtre 

 


Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage, Coll. Comédie-Française.

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La comédienne Dominique Reymond ou l’éloge de l’ombre

La comédienne Dominique Reymond ou l’éloge de l’ombre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 20 mars 2025 

 

 

A l’affiche au théâtre avec « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras et au cinéma dans « La Cache », de Lionel Baier, l’artiste fait partie des grandes actrices formées par Antoine Vitez.

 

 

 

 

Dominique Reymond fait son apparition dans le café parisien où on lui a donné rendez-vous, ondoyante et souple comme une liane brune, avec ce quelque chose d’asiatique dans le regard. C’est une de nos plus grandes comédiennes, mais elle reste mystérieuse, insaisissable. Et c’est tant mieux : insaisissable, l’héroïne qu’elle joue sur la scène des Ateliers Berthier à Paris l’est aussi. Ainsi l’a voulue Marguerite Duras, qui, dans L’Amante anglaise, extrait son personnage, Claire Lannes, de la boue du fait divers pour l’élever au rang des grandes figures tragiques. Ce quelque chose en Dominique Reymond de l’ordre de l’oblique, du clair-obscur, ne pouvait mieux convenir à l’opacité travaillée par Duras, celle d’une femme qui tue sans savoir pourquoi.

 

La comédienne est au cœur de ce spectacle signé par la jeune metteuse en scène Emilie Charriot, avec Nicolas Bouchaud et Laurent Poitrenaux. Elle joue, par ailleurs, dans La Cache, le film de Lionel Baier inspiré par le livre de Christophe Boltanski avec Michel Blanc dans l’un de ses derniers rôles. A 68 ans, elle appartient, en compagnie de Valérie Dréville, à la dernière génération des grandes actrices formées par Antoine Vitez, dans les années 1980. « Ce que j’ai appris de Vitez m’a marquée à vie », dit-elle de sa voix ensorcelante, à la fois grave et aérienne, une voix qui vous conduirait sur les chemins les plus obscurs. Ensuite, elle a croisé la route de Klaus Michael Grüber, qui fit d’elle une magnifique Marie dans La Mort de Danton, de Büchner, et celle de Bernard Sobel, de Luc Bondy, Alain Françon, Arthur Nauzyciel ou Daniel Jeanneteau.

 

Mais le théâtre s’était invité bien avant, dans son enfance genevoise. On a du mal à le croire au vu de ce qu’elle est aujourd’hui, mais c’est parce qu’elle était une « enfant insupportable, envahissante, née en colère », que sa mère l’avait envoyée prendre des cours de théâtre. L’oncle de Dominique Reymond s’appelait Thierry Vernet – celui-là même qui fut le compagnon de voyage de l’écrivain Nicolas Bouvier, et qui signa les dessins de ce livre culte qu’est L’Usage du monde (1963). Peintre, illustrateur, Thierry Vernet était aussi décorateur pour la Comédie de Genève. Quand Germaine Montero lui a dit qu’elle cherchait une petite fille pour jouer dans La Maison de Bernarda Alba, de Garcia Lorca, il lui a envoyé sa nièce.

 

Forces secrètes

Le théâtre et la peinture, qu’elle pratique depuis toujours, ont été les anges salvateurs de la jeunesse tourmentée de Dominique Reymond, entre révolte intérieure et timidité maladive à l’extérieur. A 20 ans, on lui a proposé une bourse pour partir à Paris, et elle a pu se glisser, en auditrice libre, dans la classe d’Antoine Vitez au Conservatoire. Puis elle l’a suivi au Théâtre de Chaillot, où elle est devenue une des « reines » – ainsi que Vitez appelait ses comédiennes – du palais enchanté. « Vitez a été le premier à casser les emplois pour les comédiens et surtout les comédiennes, ou plutôt à les dépasser, explique-t-elle. Il lisait en nous au-delà des apparences, il y voyait ce que l’on ne voyait pas nous-mêmes. Quand il m’a proposé de jouer Marthe dans L’Echange, de Claudel, je me suis dit que ce n’était pas moi, que j’étais trop rebelle pour ce rôle. Et pourtant c’était moi, et il l’avait vu : dans le côté indien en phase avec les éléments du ciel et de la terre. Ce qui m’intéresse dans le théâtre, c’est le rapport qu’il entretient avec l’invisible, l’ailleurs, ce qui n’est plus, ceux qui ne sont plus là. Et Marthe est comme ça : c’est une visionnaire. Vitez avait vu chez moi cette curiosité pour l’invisible, avant que je ne la voie moi-même. »

 

 

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés Au Théâtre de l’Odéon, une « Amante anglaise » follement incarnée

 

Dominique Reymond, dont l’art, on ne peut plus subtil et volatil, ne se laisse pas facilement attraper – elle-même n’aime pas beaucoup parler de sa cuisine d’actrice –, sait se laisser conduire par les forces secrètes, qu’elle semble écouter en musicienne ou en sourcière. Ce tropisme s’est renforcé quand elle a travaillé avec Klaus Michael Grüber, et ne l’a plus quittée. « Ce qu’il voulait, c’était voir la grâce, se souvient-elle, rêveuse. Il composait des tableaux, c’était comme si on avait travaillé avec le Caravage. Il dirigeait au geste et à l’image, et le texte coulait de lui-même dans cet écrin magnifique. Il entretenait une forme d’inquiétude, de déséquilibre, qui chassait toute forme de fabrication et rendait chaque moment unique. »

 

Et puis il y a eu la passion de Dominique Reymond pour le Japon, et pour un autre livre culte, Eloge de l’ombre, de Tanizaki (1933), qu’elle a porté au théâtre, sous la direction de Jacques Rebotier, en 1997. « J’aime tout dans ce livre : l’éloge de la méditation, de la contemplation, la manière dont il invite à entrer dans ce qu’on regarde, dans les objets, et dans l’ombre. Le mystère de ce Japon ancien, où les corps étaient cachés, où l’éclairage à la bougie entretenait le clair-obscur. » Depuis, la comédienne a semblé travailler de plus en plus comme un calligraphe oriental, affinant son art notamment dans le compagnonnage avec le metteur en scène Daniel Jeanneteau, lui aussi un grand japonisant.

 

« Un mystère insondable »

Avec Duras, elle entre dans un tout autre univers, dont elle dit n’avoir pas été familière au départ. « Comme beaucoup de gens, j’avais des a priori sur elle, je n’étais pas sensible à cette poésie éthérée qui lui a été attachée et qui est devenue un cliché. Ce que j’aime en elle, c’est ce qu’il y a de dur, de concret. Avec L’Amante anglaise, j’ai l’impression d’être dans un grand classique, qui a quelque chose de racinien. Elle s’attaque à un mystère insondable, et elle le fait avec des mots très simples. Mais ces mots mis l’un à côté de l’autre parlent avec une force incroyable : c’est comme si elle inventait une forme de faux réalisme de la parole de tous les jours. »

Comment aborder une telle héroïne, dont l’acte demeure jusqu’au bout inexplicable ? « Duras ouvre des champs infinis sur la folie, vue sous différents angles, comme diffractée. Jamais elle ne dit que Claire Lannes est folle : elle met en place un jeu qui montre que la folie vient d’en face, d’ailleurs. Il y a une forme d’innocence chez cette femme. Elle a tué, elle le dit, elle le raconte. Elle devrait être détestable, mais elle ne l’est pas. Je trouve très beau ce que Duras dit sur les criminels, cette phrase, notamment : “Dans le sublime fatras des religions anciennes, le crime visite le criminel, opère à sa place et s’en va en le laissant parfois sans mémoire aucune de l’avoir commis”. » Lâcher l’ombre pour la proie ? Très peu pour Dominique Reymond.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE

 

Légende photo :

Dominique Reymond dans « L’Amante anglaise », de Marguerite Duras, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), en novembre 2024. SÉBASTIEN AGNETTI

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February 13, 12:18 PM
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« To Like or Not » : aux Abbesses, le virtuel vampirise le théâtre

« To Like or Not » : aux Abbesses, le virtuel vampirise le théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Joëlle Gayot dans Le Monde - Publié le 13 février 2025

 

Emilie Anna Maillet propose une expérience de spectacle augmenté qui immerge le spectateur dans la vie d’adolescents.


Lire l'article sur le site du "Monde: :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/02/13/to-like-or-not-aux-abbesses-le-virtuel-vampirise-le-theatre_6545374_3246.html

 

Liker ou ne pas liker la proposition d’Emilie Anna Maillet proposée au Théâtre des Abbesses à Paris : là est la question qui se pose face à un « spectacle augmenté sur l’adolescence » qui doit s’appréhender dans sa globalité plus que dans ses détails. Si le projet est passionnant, sa mise en œuvre du point de vue de la théâtralité est, en effet, un peu moins convaincante.

Occupant les lieux du sous-sol au plateau, Emilie Anna Maillet, artiste innovante (ce qui est rare) associée à la MC2 de Grenoble, a conçu un dispositif ambitieux qui conjugue virtuel et réel avec une pincée de fiction. Dans sa ligne de mire se trouve l’adolescence, séquence charnière durant laquelle les jeunes oscillent entre fulgurances exaltées et dépressions insondables, leurs émotions décuplées par l’usage intensif des réseaux sociaux, dont la conceptrice du spectacle maîtrise le langage et pointe les dangers, sans jugement superflu.

 

Voici donc un groupe de dix garçons et filles poétiques et boutonneux. Ils font la fête chez Alma, et cette fête tourne mal. Gabriel, pour qui le smartphone est une sorte de prothèse oculaire, filme tout, de la piste de danse à la salle de bains en passant par les chambres où s’enlacent des couples illicites.

Puissance dévoratrice

Cette fête, le spectateur y participe pleinement au sous-sol des Abbesses grâce à un casque VR qui le téléporte au cœur de la boum. D’une durée de sept minutes, les séquences virtuelles tournées par Emilie Anna Maillet permettent de devenir, au choix, Gabriel, Alma, Isham, Victor ou encore Jules Elie. Autant d’expériences éprouvées en tête à tête avec les subjectivités des personnages. Voyeur avec Gabriel, jaloux avec Jules Elie : c’est dans la peau de ces deux protagonistes que, pour notre part, nous avons rallié le groupe.

 

Cette immersion précède la représentation théâtrale, imaginée comme la suite de cette soirée. Pendant une heure trente, cinq jeunes acteurs, précipités dans un espace surimprimé d’un flot de vidéos, jouent leur texte comme s’ils se jouaient eux-mêmes. Avec la précipitation typique d’ados surexcités, ils parlent fort, crient beaucoup, n’articulent pas, s’interrogent. Fallait-il révéler, à la fête, l’homosexualité de Victor ? Dans leurs excès et leurs maladresses, même si on ne comprend pas toujours ce qu’ils disent, surgit l’essentiel : leurs malaises, leurs solitudes, leurs désirs et surtout leur addiction ravageuse aux jeux vidéo, SMS, Instagram. Leur quotidien s’énonce sur petit écran, leurs identités s’y diluent.

 

Cette troisième dimension est prise au sérieux par Emilie Anna Maillet, qui en restitue la puissance dévoratrice et les dégâts collatéraux afférents. La toile d’araignée que sont les réseaux sociaux contraint les corps, façonne les relations et emprisonne les pensées. Saturé de sons et d’images, le théâtre s’englue lui aussi dans ces mondes virtuels parallèles. Pour le meilleur : on touche du doigt une réalité ultracontemporaine. Pour le moins bon : le jeu (voire les dialogues) laisse à désirer.

Un QCM littéraire

Découpée en chapitres qu’accompagnent des citations déprimées d’écrivains (Georg Büchner, Virginia Woolf ou Shakespeare), la représentation s’ouvre sur les mots du chanteur Orelsan : « Sous l’emprise de l’angoisse des futures blessures, plus j’me cherche des excuses, plus je m’enlise. » La difficulté d’être est une constante de l’humanité. Sauf qu’aujourd’hui elle se commente sous pseudos, en temps réel et en ligne.

 

Pour prolonger cette immersion, Emilie Anna Maillet a fait les choses en grand. Une websérie, des comptes fictionnels Instagram, un QCM littéraire, des mashup vidéo : l’interactivité ne s’arrête pas aux portes du théâtre, mais, pour récupérer le QR code qui donne accès à la totalité, il faut tout de même se rendre aux Abbesses. Prendre le métro, s’asseoir en salle. Couper le téléphone une fois le moment venu. Et liker (ou pas), à la sortie, ce que raconte de l’époque actuelle la perte de ces ados dans les mirages du virtuel.

 

To Like or Not. Conception et mise en scène : Emilie Anna Maillet. Théâtre des Abbesses. Jusqu’au 15 février. Du 26 au 29 mars au TNG de Lyon, et le 8 avril au Théâtre Théo-Argence à Saint-Priest (Rhône).

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

Légende photo : Le parcours immersif précédant la pièce « To Like or Not », mis en scène par Emilie Anna Maillet, au Théâtre des Abbesses, à Paris, en novembre 2024. NOÉ MERCKLÉ
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November 22, 2024 12:04 PM
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« Les Deux Déesses », le mythe conté de Pauline Sales

« Les Deux Déesses », le mythe conté de Pauline Sales | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Caroline Châtelet dans Sceneweb - 22 nov 2024

 

Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Pauline Sales offre une réécriture théâtrale et musicale du mythe de Déméter et Perséphone. Une création travaillant l’univers du conte portée par une troupe à la belle énergie.

 

 

Si Déméter et Perséphone sont loin d’être les figures mythologiques les plus connues aujourd’hui, le mythe qui leur est lié – narrant l’origine des saisons – est, depuis une bonne quarantaine d’années maintenant, étudié et retraversé par diverses théoriciennes et intellectuelles féministes, notamment américaines – citons la poétesse et essayiste Adrienne Rich, la philosophe et psychanalyste Luce Irigaray, ou encore la militante et théoricienne écoféministe sorcière Starhawk. C’est d’ailleurs à la lecture de cette dernière que Pauline Sales décide de se plonger plus avant dans ce mythe et découvre l’« importance considérable [qu’il a eu] pendant l’Antiquité »Choisissant d’en proposer une revisitation, l’autrice et metteuse en scène transpose dans un monde aux références contemporaines l’histoire de cette mère et de sa fille qui, toutes deux violées, réinventeront leur vie chacune à leur manière. Ce faisant, elle déploie avec son équipe un univers proche du conte allant volontiers vers la comédie musicale, où la violence du mythe s’efface au profit d’une fable colorée racontant la nécessaire séparation entre mère et fille.

 

 

Comme dans tout bon conte, il y a un narrateur. En l’occurrence, une narratrice, et c’est du point de vue de Déméter âgée – donc vue de la terre plutôt que de l’Olympe – que cette histoire est portée. Arrivée en scène en fauteuil roulant et installée à jardin auprès d’une partie des musicien.nes – l’autre se trouvant à cour –, Déméter âgée amorce un dialogue avec lesdit.es musicien.nes et offre une plongée dans son histoire et dans celle de sa fille. Déméter, déesse de l’agriculture et protectrice des moissons, fille des Titans Cronos et Rhéa, a (entre autres) deux frères : Zeus, le maître de l’Olympe, et Hadès, le roi des Enfers. Violée par Zeus, elle décide de devenir simple mortelle, et part donner naissance à sa fille et vivre sur Terre – là où, dans nombre d’autres versions du mythe, c’est une fois sa fille enlevée que Déméter quitte l’Olympe.

Ce récit chronologique se joue d’abord sur la petite estrade située au centre du plateau – initialement cachée à nos regards par un léger voile blanc –, puis investit progressivement toute la scène. Un éloignement symbolique qui signale la coupure et le passage de la vie de Déméter sur l’Olympe à celle sur Terre, auprès des humains. Dans un vaste mouvement collectif, enchaînant les tableaux comme les rôles avec fluidité, l’équipe de huit artistes au plateau – qu’iels soient musicien.nes, comédien.nes, chanteur.euses – embrasse la vie de Déméter et une partie de celle de Perséphone. Du viol initial subi par la première à son accouchement à peine arrivée sur Terre, de sa vie épanouie, où elle coule des jours heureux, travaillant la terre et rendant le monde fertile, à la tristesse et la colère qui la rongent lorsque sa fille est enlevée et violée par son autre frère Hadès – l’amenant à empêcher les plantes de pousser –, jusqu’à ses retrouvailles avec Perséphone, puis sa mort, les grandes lignes de leur vie sont abordées.

 

 

La réappropriation propre au mythe, Pauline Sales la réalise, donc, en l’ancrant dans des références très actuelles et en soulignant notamment la volonté des deux femmes de se reconstruire en dépit de ce qu’elles ont subi. Car, entre Déméter et Koré – qui ne prendra le prénom de Perséphone qu’une fois revenue des Enfers –, il y a bien une répétition du même. Une même violence sexuelle, une même domination de la part d’hommes proches d’elles : frère pour Déméter, oncle pour Perséphone. De même, chacune s’invente sa propre existence loin de ce qu’elle a connu. La mise en scène dessine ainsi, dans un dispositif économe – la scénographie étant modestement constituée de petites scènes modulables, de voiles et panneaux mobiles – et à la mise en mouvement ingénieuse et fluide, plusieurs atmosphères. Il y a celles sur Terre, où vivent d’abord Déméter et sa fille, monde joyeux et animé, plein de fêtes et de lumières ; puis les différents espaces aux tonalités plus diverses traversés par Déméter lorsqu’elle tente de retrouver son enfant ; et enfin, les enfers où Hadès embarque Koré-Perséphone. Un univers sombre investi par les morts auxquels la jeune femme s’attache, en les soutenant et en les accompagnant.

 

 

L’ensemble s’amuse avec un plaisir visible à déplacer l’histoire dans un contexte d’aujourd’hui. Outre quelques allusions superficielles à la politique ou à l’écologie, la situation de Déméter est celle d’une mère solo, sa fin de vie aborde succinctement celle des personnes âgées en Ehpad, et Koré est une ado allant camper avec des amies. Autant de choix qui, comme la langue enlevée traversée de pointes d’humour, tendent à rendre accessible le plus directement possible cette histoire. Quitte à ce que cela soit à quelques moments un brin trop appuyé, comme l’écriture cherchant parfois trop la rime, ou que cela se fasse au détriment d’une plus grande complexité dans les rapports entre les personnages. Ce choix de proximité résonne également avec l’univers de la comédie musicale. Composée par Simon Aeschimann et les quatre musicien.nes au plateau, très joliment interprétée par les artistes, la partition, avec ses références évoquant Jacques Demy ou certaines comédies musicales américaines, participe aussi à l’élaboration d’un univers proche du conte, plus ludique et joyeux que tragique et profond.

Le résultat est, donc, une réécriture sacrément séduisante par sa forme rythmée et joyeuse, comme par sa façon de faire du théâtre entre références réalistes et univers stylisé. À cette atmosphère cohérente et maîtrisée, soutenue par une création lumières léchée, l’équipe artistique au plateau n’est pas étrangère. Toutes et tous, qu’iels soient acteur.rices ou musicien.nes, sont dirigé.es dans un même mouvement. Si le spectacle pourrait être resserré, l’élan collectif séduit par sa sincérité. Quant au propos, l’enjeu de celui-ci n’est pas ici de mettre à plat l’ambiguïté des parcours de Déméter et Perséphone, mais bien d’offrir un récit réparateur sur la nécessaire séparation qu’une mère et sa fille doivent réaliser. Pas plus que dans d’autres versions du mythe, la question de la justice n’est posée. Le viol est un état de fait, et chacune fait avec, dans une situation à chaque fois paradoxale : en traçant sa propre route loin de ses origines – la Terre pour Déméter, le retour régulier aux Enfers pour Perséphone –, sans que l’émancipation ne dépasse les assignations de care traditionnellement faites aux femmes – Déméter continuant de nourrir les vivants et Perséphone de prendre soin des morts. Leur liberté, c’est bien dans l’acceptation d’une vie loin de l’autre qu’elles la trouvent.

 

Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr

Les Deux Déesses – Déméter et Perséphone, une histoire de mère et fille
Texte et mise en scène Pauline Sales

 


Avec Mélissa Acchiardi (batterie, percussions), Clémentine Allain, Antoine Courvoisier (clavier), Nicolas Frache (guitare), Aëla Gourvennec (violoncelle), Claude Lastère, Élizabeth Mazev, Anthony Poupard
Musique Mélissa Acchiardi, Simon Aeschimann, Antoine Courvoisier, Nicolas Frache, Aëla Gourvennec
Scénographie Damien Caille-Perret
Lumière Laurent Schneegans
Son Fred Bühl
Costumes Nathalie Matriciani
Maquillage et coiffures Cécile Kretschmar
Travail chorégraphique Aurélie Mouilhade
Assistanat au son et régie son Jean-François Renet
Régie générale Xavier Libois
Régie plateau Christophe Lourdais

 

Production Compagnie À l’Envi
Coproduction Les Quinconces L’espal – Scène nationale du Mans ; La Halle aux grains – Scène nationale de Blois ; Théâtre Jacques Carat, Cachan ; L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège ; la C.R.É.A – Coopérative de Résidence pour les Écritures, les Auteurs et les Autrices, Mont Saint-Michel ; Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis ; Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge ; MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale ; Compagnie Atör
Avec le soutien du Fonds SACD / ministère de la Culture Grandes Formes Théâtre et du Fonds SACD / Musique de scène
Résidences Théâtre Jean Lurçat – scène nationale d’Aubusson ; Théâtre Cinéma de Choisy-Le-Roi

La compagnie À l’Envi est conventionnée par le ministère de la Culture (DRAC Île-de-France). Les Deux Déesses est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

Durée : 1h50

Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis
du 20 novembre au 1er décembre 2024

Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
le 17 décembre

Théâtre Jacques Carat, Cachan
le 19 décembre

L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
le 14 janvier 2025

MC2: Maison de la Culture de Grenoble, Scène nationale
les 5 et 6 février

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November 17, 2024 4:53 AM
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Émilie Rousset, la pensée active

Émilie Rousset, la pensée active | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Entretien avec Marie Plantin pour Sceneweb - 14 nov. 2024

 

Récemment nommée à la direction du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), succédant ainsi à Séverine Chavrier, Émilie Rousset s’inscrit dans un paysage théâtral contemporain qui porte haut des enjeux sociétaux primordiaux, des dramaturgies innovantes hybridant les médiums, un goût pointu pour le travail du son et de l’image, et un rapport singulier à nos oralités. Rencontre.

 

 

Passée par l’École du TNS en mise en scène, voilà dix ans maintenant qu’Émilie Rousset fabrique des formes inédites nourries d’archives et de témoignages récoltés, invente des dispositifs singuliers qui placent la parole au centre et renouvellent le rapport au public, élabore une écriture du montage dans des performances-pensantes qui croisent divers points de vue de spécialistes, élargit ses champs d’investigation à chaque nouvelle création, tisse et met en perspective un réseau de regards experts sur des sujets ciblés, comme autant de portes d’entrée sociologiques pour approcher nos réalités.

Nous l’avons rencontrée dans les sous-sols de Cromot, Maison d’artiste et de production, dans cette période charnière de prise de fonction à la tête du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), alors que viennent d’être repris à Paris deux de ses anciens spectacles : Reconstitution : le Procès de Bobignyune co-création avec Maya Boquet, et Rituel 5 : la Mortune co-création avec Louise Hémon. Deux propositions de tempérament qui viennent déplacer nos systèmes de représentation, deux expériences scéniques ritualisées, hautement représentatives de sa démarche. C’est ainsi qu’est née l’idée de cet entretien multipiste, en fonction des thématiques abordées lors de notre rencontre, montage d’une parole aussi claire que déliée, guidée par une pensée puissante et structurée. Un micro-dispositif en miroir des siens qui sont, à chaque fois, un cadre pertinent pour croiser les regards et les territoires.

Le CDNO – Projet, relation et partage de l’outil

Comment s’est déroulée votre arrivée à la tête du CDNO ?

Émilie Rousset : Pour le moment, j’engage tout juste une relation avec le public du CDNO, je vais présenter une de mes pièces en fin de saison et je prépare la suite. Le CDNO est une institution qui a suivi de près le dynamisme et les transformations de la scène théâtrale en France et en Europe. Son public est sensible aux recherches que proposent les artistes contemporains les plus novateur·rices. Je m’inscris donc naturellement dans la continuité de ce qu’a proposé Séverine Chavrier, tout en souhaitant ouvrir de nouveaux horizons.

En tant qu’artiste, j’aime repousser les frontières du théâtre, autant dans les formes que dans les sujets abordés. Je cherche à explorer d’autres terrains de réflexion, à créer des croisements, à provoquer des déplacements. Le projet pour le CDNO est en adéquation avec ce qui m’anime. Je pense aussi que les lieux de création comme les CDN, dirigés par un·e artiste, doivent être habités et réinventés par les artistes eux-mêmes.

Qu’est-ce qui vous anime dans ce projet ?

À un certain moment de mon parcours, j’ai réalisé que, plus mon travail était reconnu et diffusé, moins j’échangeais avec d’autres artistes indépendants. En réalité, nous évoluons dans des circuits ultra-concurrentiels qui ne sont pas conçus pour favoriser la rencontre et la collaboration. Les tensions économiques et politiques qui secouent la société et notre milieu tendent à exacerber cette situation.

C’est pourquoi le projet que je propose pour le CDNO réunit un collectif d’artistes européen pour penser et déployer le projet collectivement. Ce collectif sera composé des metteur·euses en scène, réalisateur·rices, Lola Arias, Marta Gornicka, Vanasay Khamphommala, Marcus Lindeen et Marianne Ségol-Samoy, Adeline Rosenstein, Gurshad Shaheman, Louise Hémon, ainsi que de la scénographe Nadia Lauro et de la chercheuse et curatrice Madeleine Planeix-Crocker.

Scénographier la rencontre et créer in situ

Concrètement, comment s’envisagent les temps de rencontre ?

Deux temps forts, La Caverne et La Biennale de Printemps, viendront nourrir le projet et rythmer la saison. La Caverne s’articule autour et à l’intérieur d’une scénographie immersive imaginée par Nadia Lauro. Elle proposera un environnement scénographique qui sera investi par des œuvres performatives et discursives. Avec le collectif d’artistes européens, nous y organiserons des rencontres, des débats, des lectures, des tours de chant, des projections de films… La Caverne accueillera les projets qu’on mène en parallèle de la scène, les projets collaboratifs, les projets en cours de recherche. Par exemple, je viens de réaliser une pièce radiophonique cosignée avec Alexandre Plank, réalisateur radio et cofondateur de Making Waves, à la suite d’une résidence proposée par le Festival d’Automne et l’AP-HP dans les services PMA, dons de gamètes et biologie de la reproduction de l’hôpital Jean Verdier à Bondy. Dans La Caverne nous proposerons une écoute de cette pièce audio, jouée en live.

Le deuxième temps fort, sous forme de Biennale au printemps, offrira un parcours d’œuvres créées in situ sur le territoire de la ville et de la région : salles de tribunal, gymnases, parkings, guinguette… J’y créerai avec Caroline Barneaud Alouettes – pièce de champ, une œuvre qui se joue dans un champ avec un·e agriculteur·rice local·e et son tracteur. L’idée de ces deux temps forts, c’est de créer d’autres rapports à l’œuvre et aux publics, en modifiant le dispositif. Sortir de la salle de théâtre et s’inscrire dans des paysages force à inventer d’autres formes et d’autres manières de produire, ça crée d’autres modalités de rencontres.

La co-création, synergies joyeuses

Vous co-signez souvent vos spectacles avec d’autres artistes. Que vous apporte ce processus de co-création ?

Cette liberté de fluctuation et d’alliances, je la trouve non seulement joyeuse, mais aussi dynamisante. Je ne cherche pas à créer des mariages à la vie à la mort. Ce sont plutôt des rencontres sur des désirs communs à un moment donné. Rituel 5 : la Mort est co-signée à l’écriture, à la mise en scène et à la réalisation avec Louise Hémon et nous avons fait ensemble trois pièces et quatre films courts ; Reconstitution : le Procès de Bobigny est co-signée à l’écriture avec Maya Boquet, avec qui j’ai aussi créé une série de performances intitulée Les Spécialistes. Je viens de terminer une tournée dans huit pays européens avec la pièce collective Paysages partagésprésentée en France au Festival d’Avignon 2023. Ce projet est un parcours dans la nature imaginé par Stefan Kaegi et Caroline Barneaud, qui réunit les œuvres de plusieurs artistes européens, et pour lequel j’ai signé l’une des pièces. Pour moi, la pensée émerge dans le dialogue ; il faut des convergences, des expériences et des sensibilités qui se connectent pour que quelque chose advienne de l’ordre de la création. L’image du créateur et du penseur solitaire n’est que l’incarnation d’un pouvoir, il faut s’en méfier.

Dispositifs : hybridation fertile

Dans votre travail, le cadre scénographique est une matrice dramaturgique. Pourquoi et comment élaborez-vous ces dispositifs ?

 

C’est ma manière de travailler, d’écrire et de créer. C’est comme ça que je réfléchis. Je travaille mes pièces autant sur le fond que sur la forme induite par le thème. À chaque fois, j’imagine un dispositif en rapport avec les matériaux et le sujet de collecte. Interroger le sens par le biais du dispositif de représentation s’apparente à des procédés plus caractéristiques de l’art contemporain ou du cinéma documentaire d’auteur·rice·s. Par exemple, chez Agnès Varda, Chantal Akerman, Alain Cavalier ou Peter Watkins, le sujet est exploré par le cinéma, qui est lui-même mis en scène, et le réel est interrogé par le regard du créateur qui s’expose dans un même mouvement.

 

Lorsque j’ai découvert ces films, je me suis sentie à l’aise, car j’ai perçu que le procédé d’écriture et de réflexion donnait les clefs aux spectateur·rice·s ; il portait en lui une certaine éthique, une transparence. Travailler avec des dispositifs implique également un côté très plastique. Je pense des agencements, et si ça marche, le sens s’en dégage. Ma pratique d’écriture emprunte au montage cinématographique. C’est du collage. Cette matérialité-là, cette manipulation des flux m’intéresse parce ce qu’elle est sensible et indissociable du geste. C’est comme dans la démarche documentaire : le corps et la présence sont en jeu dès le départ.

Oralité : ce que véhicule le langage

Le corps et la présence, certes, mais aussi la parole qui semble être un objet d’étude clef de l’ensemble de vos spectacles…

 

C’est l’épicentre de mon travail. Si on le considère uniquement sur l’angle thématique des pièces, on passe à côté de ce biais de lecture. Tout le processus d’écriture repose sur l’oralité et ses spécificités. Mes pièces explorent également, et surtout, ce qu’on ne dit pas dans ce qu’on dit, ce qu’on dit dans ce qu’on ne dit pas, et comment, malgré tout, on parvient à réfléchir ensemble. Quand je m’intéresse à des faits de société, à travers les rituels ou la question de l’avortement, j’utilise le théâtre pour partager mes recherches et ça passe par l’adresse et le langage. La parole, c’est quand même un phénomène ahurissant qui entretient un rapport au sens à la fois flou et mouvant. On parvient à saisir un sens, puis on le perd, puis on le reconquiert, et, finalement, on finit par se comprendre, ou pas. Mes spectacles s’ancrent dans cette perte et cette conquête perpétuelle, et invitent les spectateur·rice·s à en faire l’expérience sensible, mise à la loupe par le théâtre.

L’oreillette pour rejouer l’adresse

Vous utilisez souvent un système d’oreillette qui permet aux comédien·nes d’entendre la parole dont ils deviennent simultanément dépositaires. Pourquoi ce choix ?

 

Ma recherche est stratifiée et se déroule par étapes. Il y a d’une part un travail d’enquête à partir d’archives, un travail documentaire avec les entretiens que je mène, suivi d’un temps de montage fondamental. Ce qui est donné aux interprètes arrive ensuite, une fois les bandes-son montées. Ce sont des partitions qui n’existent pas à l’écrit. Le travail à l’oreillette découle de ce processus. J’aime ce qu’il implique dans la présence de l’acteur·ice parce qu’iels sont dans une action invisible des spectateur·rice·s et pourtant perceptible. L’oreillette influe forcément sur leur incarnation, puisqu’une autre voix est avec eux au même moment.

Néanmoins, iels ne sont pas conviés à rejouer la personne qu’iels entendent, mais à être eux-mêmes, en train de rejouer l’adresse et le mouvement de pensée. Ça les met dans un endroit de travail très particulier que j’explore depuis quelques années et qui interroge aussi spécifiquement cette chose-là : comment pense-t-on avec la personne en face, et comment la pensée serait différente sans elle, et comment cela se formule nécessairement à deux. Ici, je dirais même à trois, puisque le fantôme du document créé des impulsions et des interférences. C’est de la pure pensée vivante et cela n’a rien à voir avec de la pensée écrite. L’oreillette permet de toucher à cette matière : le flux, la pensée parlante, la parole pensante, et cet interstice entre les deux, où il se passe et se dit plein de choses.

Affaires familiales, affaire à suivre…

Vous êtes actuellement en train de composer votre nouvelle pièce, Affaires familiales, dont la création est prévue en 2025. Pourriez-vous nous en dire plus ?

 

Je suis en pleine écriture et mène des entretiens dans plusieurs pays d’Europe autour de cette juridiction, des lois et des pratiques. Il est difficile d’en parler de manière synthétique à cette étape du travail où la note d’intention est bousculée par la recherche. Les projets naissent de stratifications multiples, mais ce qui est certain, c’est que cette pièce découle de Bobigny, non pas tant pour l’aspect judiciaire, mais plutôt en ce qui concerne le rapport entre l’intime et le politique, entre le corps individuel et le corps collectif. Dans la défense du droit à l’avortement se joue le droit de disposer de son corps, et par là, l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour paraphraser la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie « l’avènement d’une réelle société démocratique » se trouve dans cette lutte.

 

Ce qui m’intéresse avec le sujet des affaires familiales, c’est ce trajet des récits entre l’histoire individuelle et l’histoire collective. Ces histoires, qui semblent appartenir à l’intimité du foyer et à des cas individuels, concernent en réalité l’ensemble de la société et la manière dont nous souhaitons nous structurer. Ce n’est pas pour rien que la famille est un des premiers champs investis par l’extrême droite et les conservateurs. Vladimir Poutine a supprimé les violences intrafamiliales du Code pénal, Giorgia Meloni a créé un crime universel pour la GPA, s’opposant ainsi à la reconnaissance des parentalités LGBT+. C’est intéressant de voir ce que nos institutions choisissent de prendre en charge ou refusent d’entendre. Comment nos histoires intimes, en fonction de l’écoute que la société leur accorde, prennent sens ou en perdent.

 

 

Marie Plantin  / Sceneweb

Portrait d'Emilie Rousset © Martin Argyrolo

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September 11, 2024 7:23 PM
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Avec Anne Courel, le théâtre comme expérience et rêve partagés

Avec Anne Courel, le théâtre comme expérience et rêve partagés | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Louise Chevillard dans La Terrasse - 23 août 2024

 

 

Avec cette création, Anne Courel met en jeu la joie, une émotion organique, théâtrale, à la fois éphémère et résistante.   

 

Pourquoi avoir mis en scène ce texte ?

 

Anne Courel : Ce texte de Mariette Navarro, issu de dialogues avec de nombreux enfants, adolescents et adultes, est né en proximité avec un projet que j’ai mené au Théâtre de Saint-Priest de 2010 à 2014. C’est un texte profondément intergénérationnel, né d’un partage unissant des gens qui vivent avec ce qu’ils ont, à savoir un cœur et des relations, et parfois des difficultés à se sentir vivant. La trame narrative déploie six fêtes, la dernière arrivant après une mystérieuse nouvelle qui permet à tous de se rassembler, soulagés et apaisés. Le sentiment de joie que nous célébrons dans ce spectacle est très proche de ce que j’appelle mon cœur de métier.

« CETTE FABRICATION COLLECTIVE DONNE À LA PIÈCE LA COULEUR D’UNE COMPLICITÉ PARTAGÉE. »

De quelle manière mobilisez-vous votre public ?

 

A.C. : J’ai eu envie de travailler en dehors du plateau, de m’éloigner du texte, en allant vers autre chose qu’un récit. D’un point de vue personnel, lorsque je suis mal à l’aise quelque part, je me mets à rendre service, c’est de là qu’est partie cette idée de faire essuyer des verres au public, pour l’aider à ce qu’il trouve sa place. À l’issue de rencontres que l’on a faites en amont, nous faisons intervenir le public au micro. Là aussi c’est périlleux, car c’est un exercice libre pour eux. Ils s’impliquent en tant que personne, dans l’idée qu’on ne peut pas faire de fête sans aller vers l’autre. Ils se laissent porter par les situations et interviennent de manière singulière. Après une représentation à Marseille, j’ai noté des idées que j’ai trouvé très stimulantes. Cette fabrication collective donne à la pièce la couleur d’une complicité partagée.

 

Vos comédiens sont mobilisés sur tous les fronts !

 

A.C. : Je pars de plusieurs situations de vie très différentes. Pour les comédiens, c’est un travail difficile. Cela implique de jouer quelque chose d’intime tout en se rendant totalement disponible pour le public, qu’il s’agit de mobiliser. C’est un sacré exercice qui ouvre sur ce qu’on ne peut pas maitriser. La pièce convoque également le maniement des objets, la musique, le mouvement… Le spectacle a demandé à tous beaucoup de pas de côté. L’écriture de Mariette Navarro est très littéraire, nous l’avons adaptée à la scène en créant un spectacle participatif, accessible à des enfants dès 9 ans – et cela fonctionne !

 

Propos recueillis par Louise Chevillard / La Terrasse

 

 

Six fêtes pour rester vivant
du mercredi 16 octobre 2024 au vendredi 18 octobre 2024
Château Rouge
1 route de Bonneville, 74112 Annemasse

le 16 octobre 2024 à 19h30, le 17 à 14h30 (scolaire) et à 19h30, le 18 à 9h30 et 14h30 (scolaires). Tel : 04 50 43 24 24.

 

Le Grand Angle,

6, rue du Moulinet, 38500 Voiron,

le vendredi 22 novembre 2024 à 14h30 (scolaire) et 20h.

Tel : 04 76 65 64 64.

En tournée en 2025/2026.

 

Légende photo : Anne Courel  ©Crédit : DR 
: 

 
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June 28, 2024 12:18 PM
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Au Festival d’Avignon, aux femmes les grands plateaux

Au Festival d’Avignon, aux femmes les grands plateaux | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde  - 28 juin 2024

 

 

D’Angelica Liddell à Marta Gornicka, cette édition est marquée par plusieurs créations de metteuses en scène, qui investissent les salles les plus prestigieuses.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/28/au-festival-d-avignon-aux-femmes-les-grands-plateaux_6245103_3246.html

Tiago Rodrigues récidive. Un an après avoir invité Julie Deliquet à créer son spectacle Welfare dans la Cour d’honneur du Palais des papes, le directeur du Festival d’Avignon convie deux artistes femmes à investir à leur tour le prestigieux plateau. Avec l’Espagnole Angelica Liddell (Dämon. El funeral de Bergman) et la Polonaise Marta Gornicka (Mothers. A Song for Wartime), le Festival en finit avec des décennies d’occupation masculine des lieux. L’édition 2024 de la manifestation sera celle d’une vague de metteuses en scène qui, de la Cour à la FabricA, en passant par les salles de Vedène ou du Gymnase du lycée Aubanel, plieront les mètres carrés à leurs esthétiques.

 

 

En France, leur capacité à s’approprier les grandes scènes semble désormais actée, même si elle a été longue à s’imposer. « Mis à part Ariane Mnouchkine, nous avions peu d’exemples sous les yeux, témoigne Caroline Guiela Nguyen. Cette rareté nous renvoyait en boomerang la question de notre légitimité. » A 42 ans, la metteuse en scène appartient à une génération qui a dû faire ses preuves avant de conquérir plus d’espace. Son premier spectacle se donnait sur le petit plateau du Théâtre de la Colline, à Paris. « Evidemment que je devais démarrer là, puisque je représentais l’émergence, ironise-t-elle en saluant l’initiative de Tiago Rodrigues. Il faut des actes exemplaires tels que le sien pour que les femmes comprennent de quoi elles sont capables. » Avec Lacrima, présenté au Gymnase Aubanel, elle prend d’assaut une scène de 18 mètres de large et 15 mètres de profondeur pour y développer un sujet étonnant : la broderie de la robe de mariage de la reine d’Angleterre.

 

 

Si elle ne devait citer qu’une image de sa représentation, ce serait « celle des mains de l’artisan qui coud 2 500 000 perles sur du satin ». Le détail pour dire l’humanité, l’envergure d’un lieu pour héberger la diversité des récits et des êtres : le grand plateau est, pour Caroline Guiela Nguyen, l’endroit de l’hospitalité avant d’être celui du pouvoir. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle accepterait la Cour d’honneur. En tout cas, pas tout de suite : « Je fabrique des boîtes noires, j’ai besoin de maîtriser chaque millimètre. Pour le moment, mes représentations rejettent le plein air ou le chant des oiseaux à la tombée de la nuit. »

Cathédrale de tissu rose

Qu’on ne s’y trompe pas. Les femmes n’ont pas un besoin impérieux de démesure pour affirmer leur autorité ou leur puissance artistique. Un relatif détachement qui, mine de rien, désinhibe l’approche qu’elles ont des planches. Il y a dix ans, Lorraine de Sagazan débutait dans le minuscule Théâtre de Belleville, à Paris. « Je suis arrivée dix ans après une génération de femmes qui a pu jouer des coudes et s’installer. La bataille me semble désormais gagnée, même s’il reste des combats à mener. Et même si on exige de nous, sans doute plus que pour les hommes, une forme d’excellence. » Aujourd’hui âgée de 37 ans, elle crée au Gymnase Aubanel Léviathan, un spectacle qui sera repris en 2025 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Une montée en gamme dont elle a maîtrisé le tempo. « J’ai eu de la chance, les choses se sont faites progressivement, j’ai pu petit à petit augmenter mes capacités. »

 

D’autres auraient sans doute la tête qui tourne face aux 16 mètres de large et 15 mètres de profondeur où va osciller, en ouverture de Léviathan, une cathédrale de tissu rose. Mais Lorraine de Sagazan n’est pas la proie « d’un vertige supplémentaire » à l’idée de ce qui l’attend. « Ce qui est au centre de ma démarche, c’est le projet artistique et le rapport qui se noue avec le public. On n’est pas toujours obligées d’aller dans les grandes salles, il faut pouvoir se déplacer, ne pas céder au savoir-faire. » Elle qui aménage des dispositifs bifrontaux, ou même quadrifrontaux, avoue passer son temps à « essayer de sortir du théâtre quand on ne cesse de [l]’y remettre ». La Cour d’honneur si convoitée ne la fait pas (encore) rêver. « On y travaille, en frontal, pour une masse. Tous les spectacles ne peuvent pas fonctionner sur ce mode. »

Cette masse qu’évoque la metteuse en scène est constituée de mille neuf cent quarante-sept personnes (telle est la jauge exacte de la Cour). Mille neuf cent quarante-sept paires d’yeux qui seront ainsi fixées sur la silhouette frêle d’Angelica Liddell, assise seule près d’un cercueil de bois. L’artiste ressuscite les funérailles de Bergman. « La Cour d’honneur est pleine de fantômes. Il n’y a pas à la remplir de décorum. Sa force spirituelle est telle qu’elle se suffit à elle-même, ce n’est pas un édifice mais une âme », constate-t-elle. Familière du Festival d’Avignon, cette performeuse espagnole a déjà foulé les planches du Cloître des Carmes et du lycée Saint-Joseph. Ceux qui, en 2010, ont assisté à sa toute première création avignonnaise, La Casa de la fuerza, n’ont pas oublié l’épreuve de force à laquelle elle se soumettait. Traînant à bout de bras de lourds canapés de cuir, Angelica Liddell donnait le ton : son corps-à-corps avec les scènes exige des volumes à la mesure de sa démesure. « Les lieux trop petits m’asphyxient. J’ai besoin de l’immensité des espaces pour mieux parler de la solitude et expérimenter la terreur de ces surfaces. »

 

 

Séverine Chavrier aurait dû jouer dans cette Cour d’honneur mythique son spectacle Absalon, Absalon ! (d’après William Faulkner). « Dans ma scénographie, il restera des traces de cette rêverie », confie-t-elle. Cette perspective n’ayant pas abouti, elle rapatrie à la FabricA « les fracas de temps, les éclats de souvenirs, le vent, la pluie, les odeurs d’une terre américaine romancée par Faulkner ». L’artiste est de celles dont les fresques au long cours aiguisent les sens du public en pulvérisant les limites de la théâtralité. Aux antipodes d’un dépouillement auquel sont contraints la plupart des artistes par manque de moyens financiers, son travail est un appel insistant aux excès. La preuve qu’existe encore un théâtre qui déborde, dégorge et porte haut l’élan vital des trop-pleins.

Terrains explosifs

« C’est par la matière que je trouve et cherche la bonne forme. Je ne me suis jamais dit qu’il fallait que je fasse un projet pour un grand plateau. Mes bagarres portent plutôt sur les moyens mis sur l’humain, le fait de revendiquer du temps car le temps, c’est de l’argent. Or les femmes aujourd’hui s’interdisent de rêver à certains projets car elles savent qu’elles n’en auront pas les moyens. » Le théâtre de Séverine Chavrier est total. Mais pas spectaculaire. « Je n’aime pas ce mot, rétorque-t-elle. Je parle plus volontiers de mouvements du plateau. Je ne sais pas poser une scénographie et la laisser vivre, j’ai besoin que les choses jouent et se transforment. » Sous sa conduite, les scènes deviennent des terrains explosifs. Le son et la vidéo augmentent l’espace en suscitant des hors-champ. Ou, à l’inverse, ils autorisent l’intimité de plans resserrés. « Ce qui est important, c’est que les femmes artistes soient présentes mais qu’elles fassent autrement », conclut-elle.

 

« Prendre un grand plateau est un acte politique », témoigne, pour sa part, Chela De Ferrari, qui adapte La Mouette, de Tchekhov (La Gaviota), et dirige à Vedène douze personnes, dont neuf sont aveugles. Parce qu’elle est directrice du théâtre La Plaza, à Lima, au Pérou, cette créatrice bénéficie d’une visibilité qui lui donne « reconnaissance et liberté de mouvement ». Au Pérou, ajoute-t-elle, « les femmes accèdent de plus en plus facilement à des espaces qui, il n’y a pas si longtemps, auraient été impensables ». Pour les hommes, cette redistribution des cartes n’est pas simple : « Il existe aujourd’hui une grande confusion chez eux quant à la représentation de leur masculinité. Beaucoup, notamment dans le domaine artistique, se demandent comment exprimer leur virilité. » Le temps n’est pas si loin où ils dirigeaient toutes les grandes scènes. Mais les choses changent, surtout à Lima, précise Chela De Ferrari, où les théâtres indépendants ont été pris en main par des femmes. Une configuration qui ne l’empêche pas de souffrir « du syndrome de l’imposteur », lorsqu’elle pense s’être lancée dans des aventures qui dépassent ses possibilités. « En cours de route, il m’arrive de douter de mes capacités, du projet, de tout ! Mais, heureusement, le besoin de créer et l’émotion que cette position produit en moi finissent par prendre le dessus sur la peur ou l’insécurité. »

En France aussi, les doutes des femmes ont la vie dure. Elles se savent scrutées et n’ont pas droit à l’erreur. Ces inquiétudes se dissiperont-elles lorsque l’artiste polonaise Marta Gornicka et ses vingt et une choristes entreront dans la Cour d’honneur du Palais des papes pour y faire résonner la voix soudée des femmes ? Les interprètes ont de 9 à 71 ans. Elles ont fui la guerre pour se réfugier en Pologne. Ces filles, sœurs, tantes, mères, grands-mères ne trembleront pas lorsqu’il faudra chanter ou hurler les horreurs vécues. « Alors que la guerre en Ukraine disparaît des couvertures de journaux, nous voulons être la voix de cette guerre. Un chœur composé de femmes des pays d’Europe de l’Est, toutes liées par une expérience commune de la violence et de la douleur, fera face à un autre chœur, le chœur des spectateurs d’Europe de l’Ouest. En plein cœur de cette guerre », affirme Marta Gornicka. En programmant Mothers. A Song for Wartime dans le cœur battant d’Avignon, Tiago Rodrigues n’entérine pas seulement l’excellence d’un projet artistique 100 % féminin. Il place l’Ukraine au centre du Festival, de la France et, au-delà, de l’Europe. Un geste fort, une réponse possible au chaos actuel.

 

 

 

Absalon, Absalon ! D’après William Faulkner. Mise en scène de Séverine Chavrier. Avec Pierre Artières-Glissant, Daphné Biiga Nwanak, Jérôme de Falloise, Victoire du Bois, Alban Guyon, Jimy Lapert, Armel Malonga, Annie Mercier, Hendrickx Ntela, Laurent Papot, Kevin Bah « Ordinateur ». La FabricA, les 29, 30 juin, 1ᵉʳ, 3, 4, 5, 6, 7 juillet à 16 heures. Durée : 5 heures.

 

 

Dämon. El funeral de Bergman. Texte et mise en scène d’Angelica Liddell. Avec David Abad, Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angelica Liddell, Borja Lopez, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois. Cour d’honneur du Palais des papes, les 29 juin, 1ᵉʳ, 2, 3, 4, 5 juillet à 22 heures. Durée : 2 heures.

 

 

Lacrima. Texte et mise en scène de Caroline Guiela Nguyen. Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grévellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam. Gymnase du lycée Aubanel, les 1er, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11 juillet à 17 heures. Durée : 2 h 55.

 

 

La Gaviota. D’après La Mouette, de Tchekhov. Mise en scène de Chela De Ferrari. Avec Patty Bonet, Paloma de Mingo Heras, Miguel Escabias, Emilio Galvez, Belén Gonzalez del Amo, Antonio Lancis, Domingo Lopez, Eduart Mediterrani, Lola Robles, Agus Ruiz, Macarena Sanz, Nacho Bilbao (musicien). L’autre scène du Grand Avignon-Vedène, les 15, 16, 18, 19, 20, 21 juillet à 11 heures. Durée : 2 h 15.

 

 

Léviathan. Texte de Guillaume Poix. Mise en scène de Lorraine de Sagazan. Avec Khallaf Baraho, Jeanne Favre, Felipe Fonseca Nobre, Jisca Kalvanda, Antonin Meyer-Esquerré, Mathieu Perotto, Victoria Quesnel, Eric Verdin. Gymnase du lycée Aubanel, les 15, 16, 18, 19, 20, 21 juillet à 18 heures. Durée : 2 h 30.

 

 

Mothers. A Song for Wartime. Mise en scène de Marta Gornicka. Avec Katerina Aleinikova, Svitlana Berestovska, Sasha Cherkas, Palina Dabravolskaja, Katarzyna Jaznicka, Ewa Konstanciak, Liza Kozlova, Anastasiia Kulinich, Natalia Mazur, Kamila Michalska, Hanna Mykhailova, Valeriia Obodianska, Svitlana Onischak, Yuliia Ridna, Maria Robaszkiewicz, Polina Shkliar, Aleksandra Sroka, Mariia Tabachuk, Kateryna Taran, Bohdana Zazhytska, Elena Zui-Voitekhovskaya. Cour d’honneur du Palais des papes, les 9, 10, 11 juillet à 22 heures. Durée : 1 heure.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : « Mothers. A Song for Wartime », de la Polonaise Marta Gornicka, le 28 septembre 2023. BARTEK WARZECHA

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April 10, 2024 4:03 PM
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“Trois fois Ulysse”, sacrée et troublante odyssée autour de la masculinité

“Trois fois Ulysse”, sacrée et troublante odyssée autour de la masculinité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 10 avril 2024

TTT   Très Bien

 

 

L’autrice Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent le mythe. Face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé – Hécube, Calypso, Pénélope – on découvre un Ulysse tiraillé entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour. Jusqu’au 8 mai au théâtre du Vieux-Colombier.

C'est un spectacle-poème, un spectacle-rituel comme on n’en voit peu. Comme peu d’artistes ont le courage d’en rêver, d’en écrire, d’en mettre en scène en nos temps où l’emportent les obsessions et angoisses quotidiennes. Sauf que les mythes disent autant nos tourments que la photographie théâtralisée de nos existences actuelles.

 

Depuis longtemps passionnée par ces légendes visionnaires, Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages à Paris, a l’habitude de commander à des dramaturges des pièces qui s’en inspirent. Ayant déjà travaillé sur la guerre de Troie (Troyennes. Les morts se moquent des beaux enterrements, en 2014), cité rayée de la carte par les Grecs sous prétexte d’y récupérer la belle Hélène, elle a ainsi demandé à Claudine Galéa, un texte sur Ulysse, tiré d’Homère. Et c’est merveille de redécouvrir grâce à la belle autrice féministe, un modèle masculin qu’on a tant dit « rusé, ingénieux, sagace, divin, unique, brillant, vaillant, avisé, subtil et à la langue de miel », et qui se révèle ici face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé — Hécube, Calypso, Pénélope — dans toute sa violence forcenée comme sa vulnérabilité, son désarroi comme sa solitude.

Sur le sable pâle qui couvre la scène, le blanc squelette d’une énorme tête de cheval. Symbole de l’immense statue de bois laissée aux Troyens sur la plage par les Grecs faisant mine de s’enfuir après dix ans à assiéger la ville. Une ruse d’Ulysse : la statue est pleine de guerriers qui ravageront Troie dès qu’elle y sera emportée. Et sur le plateau, le crâne bougera selon les trois femmes confrontées à Ulysse dans une langue à la fois archaïque et pleinement actuelle, brutale et douce, incantatoire et guerrière. Derrière le squelette, un immense écran vidéo, comme un tableau aux couleurs changeantes et lancinantes : Laëtitia Guédon est fille du peintre martiniquais Henri Guédon (1944-2006).

Un héros clé de notre humanité

Tout au long du spectacle, se promènera encore de la salle à la scène le chœur chanté d’Unikanti, pour accompagner la tragédie. Ou plutôt la révéler. Car Hécube (Clotilde de Bayser, impressionnante de puissance meurtrie), Calypso (la spectaculaire Séphora Pondi, éclatante de sensualité), Pénélope (la lumineuse Marie Oppert) vont ici rendre Ulysse à sa vérité trop souvent tronquée. Face à celle qui lui a été donnée en butin comme esclave, Hécube, épouse aux dix-neuf enfants du roi de Troie Priam (la plupart massacrés par les Grecs), le premier Ulysse (Sefa Yeboah, étonnant tragédien) prend conscience de sa rage destructrice et combien l’instinct de mort, la mort même lui sont intimes. Face à l’amante Calypso qui aura su le retenir amoureusement sept ans avant de le laisser repartir, le second Ulysse (Baptiste Chabauty) endure le doute, l’angoisse de la séparation, le questionnement sur le retour, l’amour. Face à Pénélope, enfin, celle qui l’aura attendu vingt ans et sur laquelle, justement, le temps n’a plus de prise, le troisième Ulysse (Éric Génovèse, bouleversant) découvre l’énigme d’une existence : « qu’est ce que nos yeux nous empêchent de voir ? / qu’est-ce que nos paroles remplacent ? / as-tu remarqué : / dans l’obscurité le silence est plus vaste / le repos plus grand », lui murmure l’épouse.

 

Prélude à une vie nouvelle, à la mort ? « Marchons », ainsi Pénélope conclut-elle cette épique traversée, où l’on aura avec beauté redécouvert un héros clé de notre humanité, de ceux qui ont forgé des millions de petits hommes après lui. Au travers de ses femmes délaissées ou maltraitées, Claudine Galea interroge majestueusement la masculinité. Non sans compassion et tendresse pour cet Ulysse ballotté entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour, toujours en quête de femmes protectrices que raconte vaillamment Laëtitia Guédon. Sacrée et dérangeante odyssée…

 

Fabienne PASCAUD - Télérama 

 

2h. Mise en scène Laëtitia Guédon. Jusqu’au 8 mai, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e.

Le texte est publié aux Éditions espaces 34. 13,50 euros.
 
 
 

 

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March 15, 2024 7:46 PM
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«Les Cavalières», seules en selle 

«Les Cavalières», seules en selle  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 15 mars 2024

 

Isabelle Lafon met en scène une histoire extraordinaire de femmes qui se tiennent debout et manient le verbe avec une maladresse touchante.

 

Elles se coupent la parole, digressent comme pas possible, bafouillent de parler vite… Elles ont vraiment le goût du verbe les formidables cavalières d’Isabelle Lafon, quatre femmes d’âge, de milieux différents, en colocation dans un immense appartement avec un minimum de meubles – c’est une des trois règles à respecter. Sur le plateau, ça se limite à une table basse invisible contre laquelle elles ne cessent de buter, et trois tabourets. Voilà pour la scénographie. Impeccable : trois tabourets pour quatre femmes ? Ça veut dire qu’elles ne vont pas s’installer, qu’il n’y a pas la place de le faire à moins de vouloir prendre le pouvoir, ce qui n’est pas le cas de Denise, Saskia, Jeanne et Nora, qui se poseront seulement quelques secondes, parce qu’ici tout se joue debout. Stand Up. Ce sont des femmes verticales qui parlent face public, sans arrêt ; il y a tant de choses à dire.

 

Denise d’abord, propriétaire de l’appartement, dont on apprend qu’elle viendrait de Roumanie, qu’elle est passionnée de chevaux – références biographiques au passé de l’actrice metteuse en scène Isabelle Lafon. Denise, caractère bien trempé, qui longe ses sentiments – ce sera la seule métaphore cavalière qu’on s’autorisera – s’est s’imposée dans l’univers masculin des courses : d’abord premier garçon – il n’y a pas de féminin –, puis garçon de voyage – toujours pas de féminin –, avant de devenir une sacrée entraîneuse. C’est une femme avec enfant, Madeleine, qui lui a été confiée après la mort d’une amie : une enfant qui demande «une attention particulière», pour ne pas dire «avec handicap». Trois autres femmes ne seront pas de trop pour en assurer la garde – deuxième règle de fonctionnement pour la colocation.

Lieu de paroles chaotique

La troisième, c’est d’entretenir un rapport quel qu’il soit avec les chevaux. C’est le cas de Jeanne – Sarah Brannens – la plus jeune, serveuse dans un bar, écrit de la poésie, parieuse expérimentée au turf. C’est aussi l’histoire de Saskia, ex-cavalière de trek – Johanna Korthals – et qui a quitté le Danemark, son mari, son fils, et son boulot d’ingénieure dans le ciment, après un épisode de burn-out version aphasie. Nora – Karyll Elgrichi – fait exception, elle ne pige rien à l’équitation, l’odeur de la sellerie la révulse ; les règles sont faites pour être enfreintes, ce ne sont pas des impératifs catégoriques. Nora a une autre histoire, liée à son métier d’éducatrice auprès d’enfants délinquants ; manifestement il y a eu un gros problème, qu’elle racontera. Ou pas.

 

Parce que chacune a son temps de parole, mais systématiquement  coupé, commenté par les trois autres. Résultat : personne s’installe dans un discours – et qu’est-ce que ça fait du bien au théâtre. Personne ici n’est maître de ses mots, qui ont parfois du mal à venir : Jeanne a tellement à dire qu’elle n’en finit pas ses phrases. Denise a la parole construite, trop, va falloir qu’elle explose. Nora est bouffée par son secret, quant à Saskia, elle reste traumatisée par son «trou» en pleine réunion de travail. Les Cavalières, c’est l’histoire extraordinaire de ces femmes qui se tiennent debout, qui se tiennent tout court, après avoir toutes connu la chute… de cheval, déclassement social, perte d’emploi, crise existentielle, et qui partagent un lieu de paroles chaotique, jamais cadré, qui déborde de partout. Oui les mots les dépassent, mais au moins ça fait une langue avec des motifs qui passent de l’une à l’autre. Et elle est tellement intelligemment travaillée par Isabelle Lafon et ses comédiennes, qu’on a le sentiment que tout s’invente devant nous et pour nous dans un présent absolu. C’est ça être contemporain d’un spectacle. Alors on comprend ce qui peut se jouer de plus spirituel dans la course entre le cheval et la cavalière : ce n’est pas faire corps avec l’animal, mais un jeu de prolongement réciproque quand personne ne guide, que ça avance, et que parfois on gagne. Au théâtre de la Colline, les Cavalières montent leur texte, et lâchent les rênes. Comme on lâche les chevaux.

Les Cavalières au Théâtre de la Colline à Paris, jusqu’au 31 mars.
 
Légende photo : Personne ne s’installe dans un discours. Personne ci n’est maître de ses mots, qui ont parfois du mal à venir. (© Laurent Schneegans)
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December 12, 2023 4:42 AM
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Un samouraï qui lutte avec des concepts

Un samouraï qui lutte avec des concepts | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Léonardini dans L'Humanité - 10 déc. 2023

 

Margaux Eskenazi (compagnie Nova) a conçu et mis en scène Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?, à l’affiche du Théâtre de la Tempête. C’est à partir d’extraits de la conférence de Gilles Deleuze (1925-1995) intitulée « Qu’est-ce que l’acte de création ? » et énoncée en 1987 devant les élèves de la Fémis, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son. L’événement fut filmé. Le texte est paru aux Éditions de Minuit, dans Deux régimes de fous et autres textes.

 

 

On est heureux d’emblée qu’une jeune femme, de nos jours, prenne fait et cause pour celui qui a tellement concouru à créer des concepts tous azimuts, à ses yeux l’essentielle mission du philosophe. Le spectacle est un parfait exercice d’admiration, au cours duquel on voit Margaux Eskenazi se mettre à l’école du bushido intellectuel de l’auteur de Logique du sens, entre autres courants traités qui lui valurent reconnaissance et contestation.

Lazare Herson-Macarel incarne le philosophe avec feu et nous, spectateurs, devenons pour une heure dix les étudiants de jadis. Ils découvraient notamment, grâce à lui, « l’image-mouvement » au vu d’extraits projetés du film d’Akira Kurosawa les Sept Samouraïs  (1954), mis en perspective avec Shakespeare et Dostoïevski, dont le grand cinéaste nippon fut, en actes, l’analyste idéal.

 

L’acteur bondit en scène, comme celui qu’il figure bondissait, de son propre aveu, dans les concepts, les affects et ce qu’il nommait les « percepts ». Cela s’inscrit sur un espace bifrontal avec, au milieu, comme un petit cirque assorti de quatre mâts mobiles. Le musicien Malik Soarès, en robe orange de moine shintoïste, ponctue l’action réflexive des percussions et du chant recto tono, qui maintient sans faillir la note grave.

 

Un vif plaisir d’intelligence en partage s’affirme chemin faisant, au fur et à mesure que se dévoile la maïeutique propre à Deleuze, et sa défense est illustration de l’art envisagé sous l’angle de la résistance résolue, jusque et y compris face à la mort, au lieu que la communication ne consiste qu’en la paresseuse répétition de mots d’ordre.

 

La profération scandée de la Ballade des pendus, de François Villon, dans sa sublime violence médiévale à goût d’éternité, s’avère enfin tel l’exemple cardinal de cette leçon, qui semble toujours inaugurale d’un art poétique au plus haut prix. Gilles Deleuze aimait le théâtre, comme il chérissait toutes les manifestations artistiques aptes à contrebattre « la prétention de l’État à être l’image intériorisée d’un ordre du monde, et à enraciner l’homme ».

 

Jean-Pierre Léonardini -- L' Humanité 

 

 

Jusqu’au 17 décembre, salle Copi du Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Paris (12e). Rens. : 01 43 28 36 36, www.la-tempete.fr. Les 26 et 27 janvier 2024, le spectacle sera joué au Théâtre de Châtillon, à Châtillon, et le 3 mai 2024 au Théâtre Antoine-Vitez à Ivry.

 
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November 11, 2023 10:17 AM
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Catherine Marnas (Metteuse en scène) - Une vie pour la scène. Un entretien radiophonique

Pour ce 127e épisode, j'ai le plaisir de recevoir Catherine Marnas, directrice du Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine, TNBA et de l’école supérieure de théâtre associée au lieu, l'éstba. Catherine est metteuse en scène depuis plus de 30 ans, elle a su se faire une place dans un milieu très masculin à force de persévérance et animée par la passion.

Dans cet épisode on parle de ses choix, parfois à vent contraire, de sa carrière, de ses engagements envers un théâtre accessible et surtout envers les femmes, de l’école évidemment, d’espoir, de la vie et de sa prochaine pièce, dernière en tant que directrice : Le Rouge et le Noir de Stendhal.

Un épisode beau, poétique et plein de douceur. 

Alors je te souhaite une très belle écoute et je t'invite à mettre 5 étoiles ou laisser un avis sur ta plateforme d'écoute préférée ! 😃 Le Pompon se fait connaitre aussi et surtout grâce à toi !

Crédits : 
🗣 Intervenant : Théo Robache  ( 

 / th%c3%a9o-robache  ) - Le Pompon média ( 

 / )   
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July 21, 2023 5:51 PM
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[Avignon 2023] L’agora ambulante de Patricia Allio célèbre l'humanité des exilés

[Avignon 2023] L’agora ambulante de Patricia Allio célèbre l'humanité des exilés | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Igor Hansen-Love dans Les Inrocks, 21 juillet 2023

 

 

L’artiste bretonne Patricia Allio s’empare de la crise des migrant·es, avec une série de témoignages et une mise en scène dépouillée. Un théâtre à la lisière de l’agora citoyenne, qui prend alors une dimension européenne.

On est au théâtre, à en juger par les gradins, mais l’on pourrait être ailleurs. On assiste à un spectacle, à en juger par le programme, mais le terme ne veut rien dire, ici.

 

Dispak Dispac’h, de l’artiste bretonne Patricia Allio, est d’abord prétexte pour s’informer sur l’exil par-delà la Méditerranée, pour écouter des témoignages sur les parcours de ses héros·ïnes et pour (re)trouver le sens d’une effervescence collective à l’heure où la justice et l’humanité se fracassent contre les portes de l’Europe.

Agora citoyenne

Dans l’écrin d’une scénographie quadrifrontale, spectateurs et spectatrices sont invité·es à se déchausser, puis à prendre place aux côtés des acteur·ices. Ici Stéphane Ravacley, l’artisan-boulanger de Besançon, connu pour avoir entamé une grève de la faim empêchant l’expulsion de son apprenti guinéen. Là Gaël Manzi, le fondateur de l’association Utopia 56, œuvrant pour la défense des exilé·es, d’abord à Calais puis partout en France.

De l’autre côté du plateau, Élise Marie, une comédienne hypermnésique, déclamant l’acte d’accusation remarquable émis en 2018 par le Groupe d’information et de soutien des émigrés à l’occasion du Tribunal permanent des peuples, pointant la responsabilité de l’Europe pour des milliers de violations des droits de l’homme. Et bien d’autres encore, qui se relaieront ponctuellement au fil de la tournée de cette agora citoyenne ambulante.

 

 

On n’est pas au théâtre dirons certains, et à raison peut-être. Parce que l’esthétique – franchement inesthétique – est réduite à sa portion congrue : c’est un CRS qui se déglingue sur un techno tonitruante, un pas de danse amateur et plutôt malheureux. C’est dommage, mais passons…

 

 

Car on est au théâtre, malgré tout. Parce que celui-ci provoque l’attention, encourage l’écoute, suscite l’empathie, impose son rythme, permet les échanges de regards, et, peut-être même, engendre une forme de communion envers les oublié·es. Dès lors, la tragédie de l’exil s’incarne, avec des noms, des visages, des anecdotes et des espoirs.

Ainsi, Patricia Alliot prend le relais des médias défaillants et des lieux de débats inexistants.

Et nous voilà aguerri·es.

 

Igor Hansen Love / Les Inrocks

 

Dispak dispac’h Crépuscule européen, par Patricia Allio. À 18 h au Gymnase du lycée Mistral (ce 21 juillet, durée 6 heures).

Dans le cadre du festival Actoral au théâtre la Criée, les 4 et 5 octobre.

 

Légende photo : Dispak Dispac'h” par Patricia Allio © Christophe Raynaud de Lage

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