Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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March 17, 2016 2:13 PM
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Le CDN de Rouen « décolonise » les arts

Le CDN de Rouen « décolonise » les arts | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Plus de minorités, des toilettes unisexe… Le CDN de Rouen « décolonise » les arts

Par Clarisse Fabre pour Le Monde.fr


Vous êtes blanc, noir, asiatique, métisse ? Juif, chrétien, musulman ? Homme, femme, transgenre, hétéro, homo ? Peu importe, ou plutôt si. La diversité sous toutes ses formes est la « colonne vertébrale » du metteur en scène David Bobée. Celle qui selon lui pourrait permettre à la République de se redresser. L’ancien danseur et comédien qui a travaillé avec Pascal Rambert dirige, depuis janvier 2014, le Centre dramatique national de Haute-Normandie. Ce dernier, installé à Rouen, a « absorbé » la scène nationale de Grand-Quevilly et de Mont-Saint-Aignan et irrigue donc trois territoires.

Alors qu’il entame sa « saison 2 », l’artiste trentenaire au look immuable – barbe de quelques jours, blouson en cuir – veut faire de son lieu la tête de proue des « cultures minorées ». Depuis une semaine, et jusqu’au 20 mars, le CDN abrite le festival Art et Déchirure, lequel fête ses trente ans avec des créations en tous genres (arts plastiques, cinéma, théâtre, danse, etc.) menées dans l’univers de la « santé mentale » – soit l’univers psychiatrique. « C’est le plus beau festival que je connaisse. Je l’ai découvert gamin, ayant grandi à Rouen, et j’étais émerveillé. Cette manifestation a compté dans ma vocation de metteur en scène », souligne David Bobée qui a mené plusieurs créations avec des acteurs handicapés. Deux programmateurs passionnés, Joël Delaunay et José Sagit, accompagnés par l’enseignante Marion Quibel Girat, font circuler « l’art hors normes », et permettent à des publics différents, abonnés des théâtres, usagers ou professionnels des hôpitaux, de se rencontrer.

Un « racisme d’omission »

Pour David Bobée, « si le mot République a un sens » , les lieux culturels doivent « proposer une culture commune ». « Or, la scène française est dominée par une majorité blanche, masculine, bourgeoise, hétéro, dit-il. Notre passé colonial nous fait oublier qu’il n’y a quasiment que des Blancs sur scène. Ce n’est pas un racisme de haine, mais un racisme d’omission ». La question des récits a aussi son importance : « Qu’est-ce qu’on raconte sur les plateaux ? L’Histoire de France doit assumer son passé colonial. Actuellement, on fait grandir des jeunes qui se sentent déracinés, et peuvent être tentés par des récits fantasmés. Il ne faut pas s’étonner que certains se tournent vers le FN ou les sectarismes religieux », ajoute-t-il, intarissable sur le sujet.

David Bobée est membre du Collège de la diversité, mis en place en décembre 2015 par l’ancienne ministre de la culture, Fleur Pellerin, à la suite des « Assises de la diversité », qui visaient à identifier les bonnes pratiques dans la culture. Dans cette veine, du 6 juin au 14 août, David Bobée présentera son projet Fées, une ancienne création revisitée avec des jeunes du Conservatoire du Rouen sur le thème suivant : « Avoir 25 ans en France, quand on est musulman ». Les représentations auront lieu dans l’ancienne salle des « nus » de l’Ecole des beaux-arts de Rouen.

Lettre-questionnaire

Un grand débat anime les membres du Collège de la diversité, raconte David Bobée : « l’absence de statistiques ethniques en France, laquelle nourrit l’illusion d’une République une et indivisible ». Cette analyse l’a conduit à rédiger un projet visant à « décoloniser » les arts, avec d’autres artistes et intellectuels – le comédien Yann Gaël, la chercheuse Françoise Vergès, etc. Il s’agit d’une lettre-questionnaire à l’attention des « directeurs et directrices de théâtres, de festivals » et des « responsables culturels ».

Ces derniers sont invités à dresser le portrait-robot de leur équipe, ainsi que le profil des artistes programmés. « Utilisez les critères qui vous semblent les plus justes : blanc ou non-blanc, critères sociaux (…) Faites un trombinoscope pour faire apparaître le monochrome, demandez à vos artistes de s’auto-définir », lit-on dans le document. « L’idée n’est pas de pointer du doigt les un.e.s ou les autres mais de connaître précisément l’étendue du problème et surtout d’éveiller les pratiques vertueuses », ajoutent les auteurs de cette missive.

Résonner avec son époque

Le CDN de Rouen n’échappe pas aux clichés. « J’ai hérité d’une équipe en place. Grosso modo, les femmes sont dans les bureaux, les hommes sur les plateaux », concède-t-il. Quant aux moyens de production donnés aux artistes, ils diffèrent selon le sexe d’appartenance. Pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans les catégories masculine ou féminine, le CDN de Rouen a donc ouvert des toilettes… ni hommes, ni femmes. Une idée trouvée dans un bar en Colombie, raconte David Bobée, qui a travaillé avec des acrobates colombiens, à l’affiche du CDN en octobre 2015.

Pour David Bobée, si le lieu culturel doit résonner avec son époque, il ne doit pas pour autant rejeter le passé ou les œuvres de répertoire. Ni les manifestations « grand public ». Ces dernières, David Bobée les met au goût du jour : par exemple, le partenariat avec le festival Normandie Impressionniste (du 16 avril au 26 septembre) sera l’occasion de réaliser des portraits de « Nouveaux Normands », immigrés ou nouveaux arrivants. Bobée, le jeune Normand, ne lâche jamais.

Clarisse Fabre
Reporter culture et cinéma

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February 19, 2016 1:21 PM
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Théâtre - Bernard-Marie Koltès et l'Afrique : une passion qui dure

Théâtre - Bernard-Marie Koltès et l'Afrique : une passion qui dure | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anaïs Heluin pour Le Point - Afrique

 

  

Bernard-Marie Koltès fut le premier dramaturge français à écrire des rôles pour des Noirs et des Arabes. Cette saison, son théâtre revient en force sur les scènes nationales françaises.

Laurent Vacher, qui vient de créer Combat de nègre et de chiens (1979) – de loin le texte de Koltès le plus marqué par l'Afrique – et a longtemps travaillé et voyagé en Afrique centrale et de l'Ouest, se dit « d'autant plus admiratif de la compréhension de l'Afrique qu'a développée Koltès qu'il y a passé peu de temps ». Quelques mois au Nigeria, puis en Côte d'Ivoire en 1979. « Dans Combat, en particulier, il fait preuve d'une grande finesse dans le traitement de la coopération », poursuit le metteur en scène. Si Koltès affirmait que dans tous ses textes il y avait « un nègre, même petit, même caché », il niait pourtant le caractère africain de Combat de nègre et de chiens. Dans un célèbre entretien avec Jean-Pierre Han paru en 1983 dans la revue Europe, il disait par exemple : « Combat ne parle pas, en tout cas, de l'Afrique et des Noirs – je ne suis pas un auteur africain –, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale. Elle n'émet certainement aucun avis. » Humilité, dit Laurent Vacher. Délicatesse, aussi, et rejet du narcissisme occidental.

Koltès ou la diversité avant l'heure
Dans Théâtre/Public n° 136-137, Koltès affirmait que, pour lui, l'Afrique était « un truc décisif pour tout, pour tout, pour tout ». « Je n'écrirais pas, poursuit-il dans le même entretien, s'il n'y avait pas ça. S'il n'y avait pas cette espèce de souvenir derrière la tête qu'on est d'incroyables privilégiés, qu'on n'est pas intéressants, qu'on n'est rien. » Une posture qui trouve écho dans un mouvement de retour à un théâtre politique sensible depuis quelques années sur la scène française. Bien qu'encore de façon très marginale. Comme Arnaud Meunier, Laurent Vacher porte avec sa compagnie du Bredin un théâtre en dialogue avec différentes cultures. Un théâtre de la mixité, qui a trouvé chez l'auteur de Combat de nègre et de chiens une partition idéale pour poursuivre une exploration de l'Afrique débutée en 1998 avec Les Oranges de l'Algérien Aziz Chouaki. « En vogue en France dans les années 90, l'idée de théâtre public, ancré dans la ville et représentatif de ses réalités, est hélas tombée dans l'oubli. Le théâtre de Koltès s'inscrit dans cet esprit et a la modernité nécessaire pour parler aux sensibilités d'aujourd'hui », exprime le metteur en scène.

Dans le même esprit, Arnaud Meunier attire l'attention sur le fait que « Koltès est le premier auteur de théâtre français à avoir écrit des rôles pour des Noirs et des Arabes. Il y en a eu très peu, depuis ». Très engagé dans le débat sur l'ouverture des institutions théâtrales à la diversité – au sein de l'école de son centre dramatique, il a créé une classe préparatoire destinée à favoriser l'accès au métier de comédien à des jeunes de la région Rhône-Alpes issus de milieux modestes –, le metteur en scène a respecté à la lettre les consignes de distribution très précises données par l'auteur. Contrairement à Muriel Mayette, ancienne directrice de la Comédie-Française, qui créait la polémique en 2007 en refusant d'attribuer le rôle d'Aziz à un comédien arabe.

Certains metteurs en scène osent toutefois s'émanciper des contraintes imposées par Koltès à Patrice Chéreau, qui a monté toutes ses pièces à l'exception de Roberto Zucco (1989), dont on peut voir en ce moment la belle version de Richard Brunel. C'est le cas de Roland Auzet, qui a remplacé les deux personnages masculins de Dans la solitude des champs de coton (1987) par des femmes. Et un Noir par une Blanche.

Un théâtre de l'altérité

Une scène de Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès. © SONIA BARCET

Saluée par François Koltès – frère et ayant-droit de Bernard-Marie Koltès, qui s'était pourtant élevé contre le choix de Muriel Mayette –, cette mise en scène repose sur une vision très large de l'altérité koltésienne. « J'ai voulu traduire la pensée universelle de Koltès, qui peut selon moi être limitée par une opposition entre Noir et Blanc », explique Roland Auzet. Avec Anne Alvaro dans le rôle du vendeur et Audrey Bonnet dans celui de l'acheteur, cette Solitude dit la plus invisible des différences. Celle qui sépare deux êtres occupant un même territoire. « Chez Koltès, la dimension africaine est la part visible d'une réflexion plus large sur l'altérité. » Et sur, dit le dramaturge dans Le Quotidien de Paris du 18 octobre 1988, « le ballottement de l'homme par l'histoire ». *« Un jour, on apprend au Noir qu'il doit aimer la France, de Dunkerque à Brazzaville. Le lendemain, il n'est plus français », développe-t-il dans le même article...

L'autre, chez Koltès, apparaît aussi dans l'écriture elle-même. Dans sa prose connue pour ses longs et brillants monologues, où la spécialiste Anne-Françoise Benhamou voit un « équilibre singulier entre langue parlée et langue écrite ». Dans un entretien avec Hervé Guibert paru dans Le Monde du 17 février 1983, l'auteur de Retour au désert disait lui-même avoir subi « un phénomène d'osmose à force de fréquenter, d'entendre parler des Blacks ». « C'est plus qu'une manière de penser : c'est une manière de parler. Je trouve très belle la langue quand elle est maniée par des étrangers. Du coup, ça modifie complètement la mentalité et les raisonnements. » Grâce à cette forme d'étrangeté par rapport à sa propre langue, Bernard-Marie Koltès a marqué le théâtre de son époque. Et continue de nourrir celui d'aujourd'hui.

Koltès toujours en scène
Le retour au désert, de Bernard-Marie Koltès, mise en scène d'Arnaud Meunier. Présenté les 24 et 25 février à la Comédie de Caen et le 29 février aux Scènes du Jura. Détails de la tournée sur www.lacomedie.fr. Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Roland Auzet, au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris jusqu'au 20 février. www.bouffesdunord.com. Puis en tournée jusqu'en mars. Toutes les dates sur www.actopus.fr. Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès mis en scène par Richard Brunel, au Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis (92) du 29 janvier au 20 février, du 2 au 4 mars au Théâtre de Caen, du 10 au 12 mars au CDN d'Orléans et les 17 et 18 mars à la Comédie de Clermont. Détails de la tournée sur www.comediedevalence.com.

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January 23, 2016 8:42 AM
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Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Laurent Vacher

Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Laurent Vacher | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte pour son blog Hottello :

 

« Ils ne savaient pas où ils allaient, mais savaient d’où ils venaient Aujourd’hui, ils ne savent toujours pas où ils vont mais ne savent plus d’où ils viennent. »

Cité en exergue par Laurent Vacher pour sa mise en scène de Combat de nègre et de chiens, l’artiste béninois Romuald Hazoumé évoque les hommes en général, qu’ils soient blancs, noirs, ouvriers, patrons ou migrants des temps présents.

La pièce mythique de Bernard-Marie Koltès, créée en 1983 par Patrice Chéreau, et gravée dans les mémoires, reste infiniment visionnaire dans cette expression aigue et distanciée du chaos du monde – miroir contemporain, âpre et blafard de notre époque -, entre amour et haine, désir de fuir, égoïsme et lâchetés communes.

«J’avais besoin d’aller en Afrique pour écrire tout, n’importe quoi… pour moi l’Afrique, c’est une découverte essentielle, essentielle pour tout. Parce que c’est un continent perdu, absolument condamné… Et puis il y a un degré de souffrance… », commente l’auteur trop tôt disparu. Trente années se sont écoulées après la création de l’œuvre emblématique, et le continent africain – ce n’est pas le seul – n’en finit pas de se relever des blessures infligées, une succession de mises à terre d’origine ethnique, religieuse, économique et et sociale. Revenu d’un séjour africain sur un chantier de travaux publics où il rejoignait des amis, le dramaturge fait surgir dans la brousse une cité de quelques maisons, entourée de barbelés, avec des miradors et, à l’extérieur, des gardiens, armés tout autour qui surveillent les lieux.

C’est à l’intérieur de ce cadre que Combat de nègre et de chiens fait brutalement se confronter sur la scène une femme blanche, un homme noir et deux autres blancs – des êtres isolés dans un monde étranger – les blancs face aux noirs et vice-versa, puis la femme face aux hommes. Ils sont tous entourés de gardiens et de leurs cris énigmatiques de reconnaissance, soit la délimitation existentielle d’« un territoire d’inquiétude et de solitude ». La pièce dessine un drame « toubab » – appellation commune de l’homme blanc dans certaines régions d’Afrique – qui met au jour à la fois l’étrangeté dont chacun est porteur et celle qu’il pressent chez l’autre.

Un ouvrier noir a été tué sur un chantier, son frère Alboury vient réclamer la dépouille à Horn, le responsable du chantier qui ne peut le lui rendre, surtout pas Cal, le contremaître, alcoolique et borderline. Face à ce trio d’hommes improbables, Léone, femme blanche venue par hasard de France, a suivi Horn aveuglément jusque là : elle est la seule à comprendre – elle parle aussi une langue autre, l’allemand – et elle reste seule à s’ouvrir sans mensonge au frère endeuillé.

Tout racisme repose sur la haine de soi, retraduite en haine de la différence – le rejet instinctif de ce qu’on croit qui ne soit pas soi, un rêve de virtualités approximatives et fantasmatiques jetées à l’infini. Et l’enjeu scénique est d’autant plus exacerbé que le cadre choisi est décrépit, un chantier de travailleurs du bout du monde, avec mobil-home, bidon de fer rouillé sur lequel on joue de l’argent avec la bouteille de whisky à portée de main, à l’ombre des feuillages mouvants de bougainvilliers, un théâtre d’ombre encore derrière des paravents avec les voix lointaines de gardiens.

Les personnages s’affrontent, tendus par une violence sourde et cinglante qui affleure, à travers les pouvoirs de la parole, un verbe haut et fort qui sait cacher les actes bas, manié à loisir par le duo de dominateurs fragilisés pourtant par les humiliations subies à travers une vie précaire et sans lendemains. Horn se sait seul : « Qui a la charge de réparer les conneries des autres ?… Qui doit être ici flic, maire, directeur, général, père de famille, capitaine de bateau ? » Avant de passer à l’acte irréversible, on peut parler et se servir des mots, dit-il à Cal, qui n’est que « grande gueule, flingue dans la poche et goût de l’argent vite », et ne pas tout prendre à l’Afrique sans rien lui donner en échange. Quand Horn encore tente d’adoucir Alboury, venu vainement récupérer le corps du mort, celui-ci rétorque : « Qu’importent aux ouvriers les sentiments des maîtres et aux noirs les sentiments des blancs ? »

Rester à l’écoute des autres, observer le monde et saisir quelques secrets celés pudiquement, telle est la qualité d’un regard porté sur la diversité et les métissages. Laurent Vacher a admirablement dirigé des comédiens d’envergure. Dorcy Rugamba, le frère vindicatif, est une présence qui dégage paix et sagesse. Stéphanie Schwartzbrod aux accents chantants livre sensibilité et empathie face aux souffrances de l’autre; Quentin Baillot interprète Cal à bon escient, petit blanc inquiétant, émotif et hypernerveux, il incarne encore une absence royale de contrôle et de scrupules. Quant à Daniel Martin, il endosse le rôle patient de Horn, homme revenu de tout mais philosophe : « J’en ai marre, vois-tu, l’Afrique je n’y comprends plus rien ; il faut d’autres méthodes, sans doute, mais moi, je n’y comprends plus rien… »

Un moment de théâtre authentique, mené comme un thriller, vif et tendu, troublant et mystérieux.

Véronique Hotte

Théâtre Jean Arp, Scène conventionnée, Clamart, du 19 au 23 janvier. Tél : 01 41 90 17 02

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October 25, 2015 5:39 PM
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Rémunérer les auteurs en festival, maintenant impératif

Rémunérer les auteurs en festival, maintenant impératif | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Rémunérer les auteurs pour leurs interventions durant les manifestations sera maintenant obligatoire. Les foires, salons et autres festivals littéraires qui souhaitent obtenir un financement de la part du Centre national du livre devront répondre à ce nouveau critère. Cela ne concerne pas les dédicaces, et répond à une nécessité contemporaine de paupérisations des écrivains. 


Le Conseil d’Administration du CNL a définitivement adopté la proposition, ce 13 octobre dernier : il sera impératif pour les organisateurs de manifestations soutenues par le CNL, qu’ils procèdent à une juste rémunération des auteurs.

 

« Désormais afin de permettre une juste rémunération du travail des auteurs, les organisateurs de manifestations soutenues par le CNL, comme c’est déjà le cas pour la Sofia et la Scam, devront rémunérer les auteurs qui participent à des rencontres », assure le Centre.

 

Plusieurs organisations avaient diffusé une tribune, pour appeler à instaurer cette mesure, et saluaient également l’engagement du Centre pour leur cause.

 

La décision du Centre national du livre de conditionner, comme la SOFIA et la SCAM, le soutien financier qu’il apporte à 97 manifestations littéraires à la condition de rémunérer les auteurs lors de leur prise de parole va dans le sens d’une reconnaissance de la réalité du travail de l’auteur : un travail qui, au-delà du temps de pure création, s’étend au partage de l’œuvre avec le public. Cette décision s’inscrit par ailleurs dans une entreprise plus vaste de définition du statut de l’auteur de l’écrit dans la France du XXIe siècle. (voir la Tribune)

 

 

Cependant, cette modification n’aurait pas que des avantages : Lionel Davoust, écrivain, faisait valoir au moins deux conséquences qu'engendrerait la mesure. Ainsi, rémunérer les auteurs « pour toucher les (vitales) subventions du CNL » impliquerait par exemple : 

 

• Une augmentation du prix d’entrée (voire un passage du gratuit au payant) – en une époque qui s’efforce de promouvoir la lecture, hausser le prix du ticket d’entrée est une tragédie pour les plus démunis ;

• Surtout, des choix bien plus draconiens et sans risque sur les auteurs au programme.

 

« En d’autres termes, qui va-t-on préférer, favoriser ? Les grands noms, les auteurs très grand public, les coups éditoriaux –, contribuant par là même (et sous la contrainte !) à réduire la diversité culturelle, à contracter toujours davantage le paysage éditorial vers la sécurité, à creuser le fossé entre les très gros vendeurs et les auteurs plus confidentiels ou exigeants, et entre les marchés (roman sentimental contre poésie, par exemple) », poursuivait Lionel Davoust.

 

Une réalité déjà grandement constatée

 

Le CNL indique toutefois que 78 manifestations sur les 95 soutenues rémunèrent déjà les auteurs. Et cette décision ne serait en réalité qu’une manière d’acter un mouvement déjà existant.

 

La grille de rémunération s’appliquera sans distinction aux auteurs français et étrangers. Les auteurs en dédicace n’entreront pas dans ce dispositif, de même que les universitaires qui publient dans leur champ de compétence, et sont déjà payés pour ce travail.

 

— les rencontres centrées sur le dernier ouvrage de l’auteur invité seront a minima rémunérées 150 € HT ;

— les rencontres nécessitant un temps de travail préparatoire seront a minimarémunérées 226 € HT (correspondant au tarif proposé par la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse pour une demi-journée) ;

— les lectures-performances de et par l’auteur seront rémunérées a minima 400 € HT.

 

Plus d’information sur la demande d’aide à la réalisation de manifestations littéraires : http://centrenationaldulivre.fr/fr/organisateur_de_manifestations/subventions_a_la_realisation_de_manifestations_litteraires/

 

On pourra également se replonger dans le manuel proposé pour apprendre comment et sur quels critères rémunérer les auteurs : 

 

 Comment rémunérer les auteurs : http://www.youscribe.com/catalogue/tous/comment-remunerer-les-auteurs-2666466


 https://www.actualitte.com/article/monde-edition/remunerer-les-auteurs-en-festival-maintenant-imperatif/61674#comment-2326198324

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October 2, 2015 7:05 PM
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Valérie Baran / Les dix ans du Tarmac - Journal La Terrasse

Valérie Baran / Les dix ans du Tarmac - Journal La Terrasse | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Crédit photo : Legrand
Par Catherine Robert pour La Terrasse


Le Tarmac est, en France, l’unique théâtre entièrement dédié à la scène contemporaine francophone. Valérie Baran le dirige depuis dix ans : elle y défend, avec obstination, passion et fougue, la diversité créatrice d’une langue aux expressions plurielles.

 

Le Tarmac est le seul théâtre français dédié à la création francophone…

V. B. : Nous partageons cette spécificité avec le Festival des francophonies en Limousin. C’est en effet très peu, même s’il y a de plus en plus de gens, dans la profession, qui s’intéressent à la création internationale. Mais le contexte n’est pas favorable : il faut non seulement déplorer la pression de certaines tutelles, qui exigent parfois un droit de regard sur l’accueil des créations, mais aussi la difficulté à faire venir les artistes de l’extérieur de l’espace Schengen : les lourdeurs administratives pour y entrer sont telles qu’elles constituent un frein pour beaucoup de gens… Or le théâtre francophone s’invente aujourd’hui et pas seulement en métropole. Il interroge les mutations contemporaines. Notre rôle, au Tarmac, est de faire entendre ces voix-là. Mais dans cette période de complexité politique et de racornissement des subventions, c’est beaucoup plus compliqué !

Qu’entendez-vous par « complexité politique » ?

V. B. : Nous sommes dans une période d’extrémisation de la société. Le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, les clivages n’ont jamais été aussi importants. Certes, ces haines sont naturellement ancrées dans la société française, la colonisation a laissé des traces, mais la stigmatisation grandit : il reste un énorme travail à faire, plus encore dans ce moment où les fossés se creusent. Nous devons donner à entendre les conditions d’une réconciliation. Certes, cela fait un moment que nous savons qu’il faut y travailler, mais il est urgent, aujourd’hui, de bouger. Faire venir au plateau ceux qu’on n’y voit jamais, hors d’une vision manichéenne de ce qu’ils sont, et faire venir aussi ces publics qu’on dit « empêchés », pour ne pas les nommer autrement. J’abhorre ce terme, tant il veut tout et ne rien dire. Il est très utilisé par nos tutelles, qui ne sont jamais à court d’inventions lexicologiques pour dire sans dire et ne heurter personne, mais sont bien moins inventives quand il s’agit non pas de faire, mais de permettre aux autres de faire, en les finançant à la hauteur de leurs seuls besoins vitaux.

Cet « empêchement » est-il une ignorance de la diversité sociale ?

V. B. : Lorsque je marche dans les rues de Paris, de banlieue et  dans les rues des villes de France, je reconnais notre public. Mais tous ces gens de la rue se reconnaissent-ils dans les lieux de théâtre ? Contrairement à ce que pensent d’aucuns, les Noirs et les Arabes ne sont pas éloignés des lieux d’art et de culture. Il y en a même qui sont artistes, et quels artistes, que de talents ! C’est vrai qu’on les cherche un peu à la loupe sur les plateaux français ! Heureusement que Koltès a écrit Combat de nègre et de chiens qui se joue encore régulièrement. Pour les femmes et les Arabes, on verra plus tard !  Avec le retour en force, ces derniers temps, des « si contemporains » Molière, Shakespeare, Marivaux et Pirandello, pas sûr que ces artistes trouvent facilement un emploi, ni que les publics ne s’empêchent de fréquenter une fois encore ces lieux pourtant majeurs de la scène française.

Comment résister ?

V. B. : Par exemple en faisant réentendre le Cahier d’un retour au pays natal, que j’ai programmé cette saison ; en faisant connaître les événements qui se passent sur le continent africain, en invitant ces « artivistes » qui, du Sénégal au Burkina Faso, participent à démocratiser leurs sociétés ; en accompagnant les spectacles avec des débats, des conférences, des petits journaux, pour comprendre d’où écrivent ces artistes : notre travail est d’être leur porte-voix ! Et sans être seulement dans l’affliction et la revendication : nous ne faisons pas du théâtre d’intervention ! Notre idée est de porter des paroles artistiques fortes, dans la forme et dans le fond ! En travaillant aussi avec les jeunes, en mixant les publics, les générations, en refusant le communautarisme par le brassage, afin de retrouver dans la salle ceux qu’on croise dans la rue. Au Tarmac, nous avons réussi cette mission : notre public est vraiment représentatif de la diversité francilienne. Travailler sur la mixité des publics, c’est contribuer à apprendre à vivre ensemble. C’est aussi pour cela que nous travaillons avec les enseignants pour les mobiliser autant sur les éléments de compréhension des œuvres que sur les conditions du vivre-ensemble au théâtre. Puisque nous invitons des représentants et des représentations de l’altérité, notre projet artistique touche aussi aux fondements de notre société.

Propos recueillis par Catherine Robert

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July 3, 2015 5:33 PM
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Corriger les inégalités - Journal La Terrasse

Corriger les inégalités - Journal La Terrasse | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Manuel Piolat Soleymat dans La Terrasse :

 

Membre du mouvement Egalité Citoyenne en Acte, la metteure en scène Eva Doumbia dénonce « le népotisme » du théâtre institutionnel français [...]

 

« L’intérêt soudain que suscitent les comédiens non-blancs correspond à une injonction de l’Etat. Or si la représentation de la vraie France sur les scènes de théâtres est politique – je veux dire la France envisagée dans ses différentes composantes – la sémantique utilisée pour en parler l’est aussi. L’institution, comme certains médias, n’arrive pas à nommer : Noirs, Arabes, Racisés, Non-Blancs, Afropéens… ? Le terme « diversité” s’inscrit dans une stratégie tendant à éviter tout ce qui mène au mot race, y compris dans son acception sociologique, historique et politique. L’uniformité ethnique du théâtre français trouve ses racines dans le profond racisme de notre pays, ainsi que dans la méconnaissance, de la part de ses élites progressistes blanches, de l’histoire coloniale. Car si la France ne veut pas affronter son passé, c’est parce que la colonisation n’a pas cessé, tant dans le secteur économique que dans ceux liés aux savoirs et à l’imaginaire. Or nos phénotypes et parfois nos œuvres lui rappellent ce passé/présent.


Lire l'article : http://www.journal-laterrasse.fr/corriger-les-inegalites/



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May 9, 2015 7:10 PM
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Un texte de la comédienne Nanténé Traoré

Un texte de la comédienne Nanténé Traoré | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Africultures  :

 Diversité dans les théâtres : "Ouvrir les esprits, les espaces" -


« C’est pour dire, questionner ces histoires communes et singulières que je fais du théâtre ».

 


La France est et a toujours été un pays élitiste, avec un système pyramidal. Le plus souvent , la parole est donnée aux « têtes », aux « chefs ».Dans le débat sur le manque de diversité dans les théâtres , nous entendons donc essentiellement des metteur(e)s en scène.
Je suis comédienne, d’origine franco-malienne, et j’ai grandi dans les cités de la banlieue lyonnaise (Vaux-en-velin et Vénissieux). Je suis allée au collège dans le quartier des minguettes, où j’ai découvert le théâtre. Je me suis formée à l’université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, dans des cours privés, chez Véronique Nordey et enfin à l’atelier de Didier-George Gabily .Je veux parler ici depuis mon endroit de comédienne.


Si l’apprentissage de la technique, de la diction des vers, de la prose, est un formatage, alors j’ai été formatée. Tant mieux, car pour s’affranchir des règles, il faut d’abord les connaître et les maîtriser parfaitement. Une fois les années de formation terminées, tout mon travail est de faire entendre, sentir ( ressentir), un texte , une pensée, une langue. Je ne pense pas qu’il y ait une « manière » de dire, quel que soit le public auquel on s’adresse. Didier-Georges Gabily a écrit à ses acteurs : « ….Soyez , si c’est possible, et chacun à votre rythme, à votre force, celui qui fait le geste non reconnaissable, soyez la voix inouïe, le corps non repérable en ces temps de fausse sagesse et de vénale ressemblance. » C’est ce à quoi je m’attelle pour chaque création, car je crois profondément que cette voix inouïe, ce geste non repérable, peuvent toucher le cœur et l’esprit de n’importe quel spectateur. Lorsque je joue dans un spectacle, lorsque je dis un texte, mon travail consiste à la fois à être au plus proche de la langue de l’auteur, à me l’approprier avec ma singularité, à tenter de faire entendre ce qu’il y a dans et en-dessous de cette langue, entre les mots, à tenter de rendre palpable cette chose invisible, je me sens passeuse de sens, d’émotions. Et ce sens, cette émotion, j’ai le profond désir de les faire ressentir à chaque spectateur, dans son unicité.

 

C’est pourquoi je ne comprends pas que l’on puisse parler d’un «public des classes populaires. » Qu’est-ce que cela signifie ? Il faudrait donc former les jeunes issus de la diversité à dire les textes d’une certaine manière pour que les « classes populaires » puissent les entendre/comprendre ? Les dites « classes populaires » seraient donc une sorte de masse informe, qui pense, éprouve, ressent, en tous lieux et à tout moment la même chose ? Ils ne seraient donc pas des individus, uniques dans leurs singularités, leurs histoires, leurs désirs, leurs perceptions ? Et ces jeunes comédiens en devenir, parce qu’ils sont issus des minorités, devraient donc être formatés à un « phrasé » (ce mot-là est pour moi un barbarisme car ce qui concerne le travail du comédien, ce qui conduit le plateau, c’est la langue) qui serait « entendable » par les classes populaires ? Ce discours est incroyablement réducteur, enfermant dans des cases inamovibles des gens en raison de leur supposée appartenance sociale, ethnique ou culturelle. Il est de même nature que celui des « bien-pensants » qui affirme qu’un Noir ou un Arabe ne peut pas jouer un rôle dit classique (en fait un rôle appartenant au « patrimoine culturel français »), car « le public n’est pas prêt » .


Il est évident que les plateaux français regorgent de cette reproduction « du même », que l’on entend la plupart du temps les mêmes textes dits sur un même mode par les mêmes interprètes. La question du « comment dire » est essentielle, et il est évident qu’il y a aussi une réflexion à mener sur la formation (et donc sur qui forme les élèves comédiens). Je pense que si il y avait, chez les formateurs , plus d’artistes aux parcours différents, venant d’autres horizons que ceux des institutions, les choses seraient déjà un peu moins figées. Cela a déjà lieu dans certains endroits ( Nadia Vonderheyden par exemple travaille régulièrement à l’Erac). Il suffirait d’ouvrir un peu, les esprits , les espaces. Certains metteurs en scènes français vont donner des stages à l’étranger, généralement en Afrique subsaharienne francophone, ce serait sans doute très apprenant pour les élèves des écoles françaises de travailler avec des artistes venus du continent Africain.

 
J’en viens maintenant à la représentation des minorités ethniques dans nos théâtres. Cette question, éminemment politique, révèle à mon sens, l’impensé d’une partie de l’histoire de France. Pour citer Léonora Miano « les Français Noirs n’apparaissent pas dans les chapitres de la narration nationale. » Là aussi, je veux simplement parler en tant que comédienne métisse ( je le précise car il faut bien comprendre que le taux de mélanine joue également dans cette question de la représentation). Avant tout, je refuse d’être assignée à une place, quelle qu‘elle soit. Je revendique le droit d’interpréter TOUS les textes que je désire. Je désire traverser et être traversée par de grands textes, qu’ils soient classiques ou contemporains. Quand je lis que le directeur du théâtre de la colline déclare, lors du débat du 30 mars que « lorsque l’on distribue un acteur noir dans un rôle habituellement attribué à un blanc il faut que cela soit justifié (il le déplore) », je demande : Qui a énoncé ce diktat ?au nom de quoi ?pourquoi la plupart des metteurs en scènes programmés dans les grands théâtres y souscrivent ? Que veut dire « habituellement attribué à des blancs » ? Le théâtre a-t-il vocation à perpétuer des « habitudes » , aussi discriminantes soient-elles ? L‘art ne doit-il pas troubler, bousculer, déplacer, déranger ?


J’ai, dans mon parcours , eu la grande chance de rencontrer des metteur(e)s en scènes à l’esprit ouverts, curieux des autres, en prise direct avec le monde réel et aimant les acteurs. Gabily en tout premier lieu et aussi Catherine Boskowitz, pour qui j’ai interprété (entre autre) Bérénice de Racine. J‘ai également eu le grand bonheur de jouer des textes de Koffi Kwahulé, Léonora Miano, Guy Régis Jr , mais aussi Eschyle, Sénèque, Heiner Müller. Tous de très grands auteurs, tant sur le fond que sur la forme. Il m’est nécessaire de porter la parole de Léonora Miano, une parole encore jamais entendue sur les plateaux de théâtre en France. Le spectacle «Afropéennes », dans lequel j’ai joué à sa création, est tiré du roman « Blues pour Elise » et de « Ecrits pour la parole ». Ce sont des textes d’une puissance politique et poétique rare, ils expriment, dans une langue limpide et magnifique, toute la complexité de l’histoire des Noirs de France. Léonora Miano nous y parle de cette histoire de France qui nous est commune (français dits de souche ou des immigrations européennes, issus des Caraïbes, descendants de l’immigration post-coloniale) qui, n’en déplaise à certains (nombreux) nous (re)lie depuis plus de 4 siècles et qui fait que la France est ce qu’elle est aujourd‘hui : multiple, dans sa ( ses) cultures, couleurs de peau , religions.

 

Pour autant, je veux pouvoir également jouer Tchekhov ou Claudel. Je ne vois pas pourquoi les acteurs issus des minorités seraient assignés à ne jouer que des personnages auxquels ils seraient censés pouvoir s’identifier. Là encore, on est dans une pensée qui enferme, qui sépare, qui exclut. La question de l’identification est, me semble t-il, extrêmement subjective. Par ailleurs, pour la comédienne que je suis, c’est une fausse question. J’interprète des figures qui sont traversées par des sentiments, des gouffres, des failles, des choses monstrueuses et ce qui m’importe, c’est l’humanité que je vais trouver en elles, pour essayer de la partager. Nous sommes tous porteurs d’histoires, communes et singulières, mais ne sommes-nous pas tous issus de la même espèce … humaine ? C’est pour dire, questionner ces histoires communes et singulières que je fais du théâtre. Ce que je souhaite, c’est de pouvoir avoir le choix. Tout comme les identités, la langue n’est pas figée, elle est vivante, et je veux pour ma part continuer à l’être sans me laisser réduire à ma couleur de peau, ma provenance sociale ou culturelle. Je souhaite tout simplement exercer mon métier de comédienne, comme je l’entends.


Nanténé Traoré

 

(repris par Dieudonné Niangouna sur sa page Facebook, il a été publié par la revue Africultures : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=12903 ;)

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April 11, 2015 8:44 PM
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Eva Doumbia "Décolonisons les scènes"

Eva Doumbia "Décolonisons les scènes" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans Zibeline :

 

Le 30 mars, le théâtre de la Colline, à Paris, accueillait un débat autour de «l’absence de diversité sur les plateaux de théâtre». À l’origine de cette table ronde, un programme, intitulé 1er Acte, où, sous la direction de Stanislas Nordey, se retrouvent «des jeunes ayant fait l’expérience de la discrimination». L’objectif étant de leur proposer deux types d’ateliers : une formation théâtrale ou une préparation aux concours d’entrée des écoles de théâtre. La première promotion d’une quinzaine d’élèves issue de ce programme était présente.

En désaccord avec ce projet, plusieurs artistes, représentants de la diversité, dont notamment Eva Doumbia, comédienne et metteure en scène marseillaise, ont bousculé l’organisation de la soirée afin d’y faire émerger une question de fond : selon eux, l’absence de diversité est avant tout structurelle. Les artistes en activité sont les premiers à la subir et ce type de programme prolonge et entretient cette discrimination systémique. Eva Doumbia s’en explique pour Zibeline.

Zibeline : Comment s’est préparée votre intervention au théâtre de la Colline ?

Eva Doumbia : Tout part de la polémique née en novembre à Saint-Denis, autour d’Exhibit B (ce spectacle du Sud-Africain Brett Bailey, mettant en scène les zoos humains de l’époque coloniale, a provoqué de vives tensions et même l’annulation d’une représentation dans cette commune populaire du 93, NDLR). Au-delà du débat artistique, la question du territoire était pertinente : à quoi bon venir enseigner ce qu’est le racisme à des noirs et des arabes ? Tout ceci a mis en lumière un fait : ce sont toujours des blancs qui parlent de la colonisation, de l’esclavage, et de tout ce qui en découle, l’immigration, le racisme endémique de la France. Or, quand la parole part des concernés, elle est beaucoup plus entendue, plus radicale. Mais un mouvement artistique qui naît des quartiers populaires ou d’une expression post-coloniale n’est pas valorisé, il est immédiatement étouffé et lissé. Partant de ces constats, un réseau s’est bâti avec d’autres artistes et nous avons décidé d’intervenir à la Colline.

Quel message souhaitiez-vous faire passer ?

Déjà, demander pourquoi seuls des blancs sont invités à s’exprimer sur ces problématiques. Dans les débats, on retrouve toujours ces espèces de «spécialistes de nous», qui sont dans une démarche anthropologique insupportable. Parmi les Afropéens de France, nous avons des penseurs, capables de parler de l’expérience, de l’expliciter, l’analyser. Nous avons créé récemment une structure pour pointer cette réalité, établir des statistiques, recenser par exemple tous les chercheurs non-blancs de France.

Cela peut mener à une politique de quotas. Vous y êtes favorable ?

Oui. Prenons le cas du théâtre : en métropole, il n’y a aucun directeur de Centre Dramatique National noir ou arabe. Pratiquons les statistiques ethniques, nous le demandons. C’est illégal, mais alors comment s’organise le programme 1er Acte ? Il ne recrute que sur critères ethniques et exclut les blancs. Si on est dans cette logique-là, proposons des quotas à l’entrée des écoles. Mais cela ne résoudra pas le problème plus profond de notre place sur les plateaux, qui est lié aussi à la difficulté de la France à affronter son histoire coloniale. La décolonisation du pays, y compris des blancs, est nécessaire. On est encore dans un processus colonial de rencontre avec l’autre. Il faudra du temps pour que les organisateurs du projet 1er Acte réalisent à quel point il est raciste, car ils sont persuadés du contraire. Or, s’ils sont si préoccupés par la diversité, pourquoi n’embauchent-ils pas de comédiens noirs et arabes dans leurs spectacles ?

Où en est alors la diversité culturelle de la France ?

Cela fait longtemps que grondent toutes ces questions, liées à la réappropriation culturelle, et elles englobent d’autres champs. Au lieu d’écouter ce qui émerge dans les zones populaires, les élites proposent d’aller porter la bonne parole dans les banlieues… Le Medef le fait aussi ! Dans mon domaine précis, la seule réponse des structures à l’injonction du ministère de la Culture de diversifier les scènes de théâtre français n’est pas de découvrir l’inventivité des quartiers, c’est d’aller apprendre aux jeunes comment faire du théâtre comme eux le font. La vérité est que ce sont quasiment tous des messieurs blancs de plus de cinquante ans qui sont à leur tête, et qu’ils n’ont pas envie de partager le pouvoir. Cela ne m’intéresse pas de diriger un lieu, par contre j’aimerais bien que quelqu’un comme moi le fasse, parce que quand je vais lui parler de mes projets, il ne me répondra pas «c’est communautariste». Si je lui dis que je veux monter l’adaptation de l’autobiographie de Maryse Condé, il saura qui elle est.

La question de la diversité s’articule donc aussi avec celle de la domination masculine ?

Être féministe blanche, noire ou maghrébine ce n’est pas la même chose, on ne va pas être sur les mêmes combats, même si on va se retrouver sur certaines questions. Je ne me suis inscrite dans aucun mouvement parce que c’est tellement intégré à ce que je suis que je n’ai pas besoin d’adhérer à un groupe. Le féminisme m’habite sur tous mes spectacles. J’ai plus à me battre contre le racisme systémique du pays, même si son sexisme a à y voir. Pour moi la défense des femmes est au quotidien ; tout comme l’écologie, ce n’est pas un programme politique, c’est un mode de vie.

 

Propos recueillis par GAËLLE CLOAREC et JAN-CYRIL SALEMI
Avril 2015

 

Le jour de l’intervention à la Colline, une vingtaine d’artistes et intellectuels ont publié dans Le Monde une tribune, intitulée Il faut convoquer des assises culturelles pour encourager les diversités en France.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/30/il-faut-convoquer-des-assises-culturelles-pour-encourager-les-diversites-en-france_4606051_3232.html

 

Dans la continuité de ce débat, Eva Doumbia a également signé une tribune, parue dans Télérama.

http://www.telerama.fr/scenes/le-phrase-qu-on-enseigne-aux-comediens-les-separe-des-quartiers-populaires,125015.php

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April 3, 2015 1:37 PM
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“Il faut se battre pour que la couleur de peau soit dramaturgiquement neutre”, Arnaud Meunier

“Il faut se battre pour que la couleur de peau soit dramaturgiquement neutre”, Arnaud Meunier | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Conscient que les métiers de la scène reproduisent les inégalités, le directeur de la Comédie de Saint-Etienne, mène un projet concret : des classes prépa pour jeunes acteurs issus de milieux populaires. Entretien.

 

 IL fait partie de cette génération de quadras ayant repris avec passion et enthousiasme la direction des théâtres de la décentralisation. Arnaud Meunier dirige depuis quatre ans l'école et la Comédie de Saint-Etienne, l'un des plus anciens centres dramatiques de l'Hexagone. Son projet y est nourri par une expérience d'une douzaine d'années en compagnie, où, de la Seine-Saint Denis aux Yvelines en passant par Amiens, il a toujours mené à côté de sa pratique artistique, des ateliers de transmission en direction des jeunes. Pour preuve, ce spectacle mis en scène en 2011 : 11 septembre 2001, de Michel Vinaver, monté avec quarante-cinq lycéens issus de Seine-Saint-Denis.

A l'automne dernier, il a lancé un nouveau projet pédagogique : des classes prépas intégrées qui devrait renforcer, de manière modeste mais certaine, la variété culturelle de notre paysage théâtral. Il partage avec nous sa réflexion sur le sujet.

 

-  La scène théâtrale française reflète-t-elle la diversité des origines ethniques et culturelles présentes dans notre société ?

 

A l'évidence, non. On voit bien que ce qui est naturel à Peter Brook (un Hamlet noir) ou à Declan Donnellan (Le Cid noir) ne l'est que très partiellement et très rarement pour les metteurs en scène français.

 

-  Doit-elle la refléter, cette diversité, et pourquoi ?

 

Oui, c'est urgent. Notre secteur de l'art et de la culture se revendique constamment de valeurs progressistes et pourtant, il peine à passer de la parole aux actes. Tout en s'en défendant, notre profession reproduit les inégalités, d'abord dans l'accès au métier de comédien, ce qui se retrouvera, ensuite, en toute logique, dans les distributions. Et même si ce n'est plus très à la mode de le dire, nous sommes tout bêtement face à un problème de classe sociale.

La question de couleur de peau est presque secondaire. Si vous êtes fils d'ambassadeur, votre couleur vous sera moins problématique et vous envisagerez plus facilement de pouvoir embrasser une carrière artistique. J'en suis convaincu : plus on vient d'un milieu aisé, plus la possibilité de « tenter sa chance » semble envisageable.

 

 

Lire l'article entier sur le site de Télérama : http://www.telerama.fr/scenes/il-faut-se-battre-pour-que-la-couleur-de-peau-soit-dramaturgiquement-neutre-arnaud-meunier,124956.php

 

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March 28, 2015 4:59 PM
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Lundi 30 mars à la Colline : Soirée « 1er Acte ou comment interroger l'absence de diversité sur les plateaux de théâtre »

Lundi 30 mars à la Colline :  Soirée « 1er Acte ou comment interroger l'absence de diversité sur les plateaux de théâtre » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Soirée « Ier Acte ou comment interroger l'absence de diversité sur les plateaux de théâtre »
lundi 30 mars à 18h00



PROGRAMME DE LA SOIREE
accueil à partir de 17h30

18h-19h30 Table ronde
Introduction par Stéphane Braunschweig
Débat animé par Laure Adler journaliste, écrivain
Quelles difficultés rencontrent les artistes issus de la diversité ?
Comment le public perçoit-il l’homogénéité des équipes artistiques sur les plateaux de théâtre ?
Quelles initiatives développer pour une plus grande mixité ?
Existe-t-il des modèles à l’étranger d'une meilleure représentativité de la diversité sur les plateaux de théâtre?

intervenants de la soirée :
Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg et de l'Ecole, metteur en scène
Jean-Baptiste Anoumon, comédien
Marianne Eshet, déléguée générale de la Fondation SNCF
Éric Fassin, sociologue, professeur à l'Université Paris 8, chercheur au LEGS (Laboratoires d'études de genre et de sexualité)
Frédéric Hocquard, directeur d’ARCADI
Firoz Ladak, directeur général des Fondations Edmond de Rothschild
Zinedine Soualem, comédien (théâtre et cinéma)
(liste des invités non exhaustive)

 

En présence des jeunes acteurs du programme IerActe, des intervenants, des parrains, de nombreux représentants des écoles, d’institutions culturelles, de structures publiques…

20h Lectures de textes par les jeunes acteurs du programme Ier Acte,
mise en voix Stanislas Nordey




 

Le programme Ier Acte, initié par La Colline, les Fondations Edmond de Rothschild et la Fondation SNCF s’adressent à des jeunes acteurs ayant, dans leur parcours artistique, professionnel ou personnel, fait l’expérience de la discrimination. Ces ateliers, dirigés par Stanislas Nordey, ont pour objectif de promouvoir une plus grande diversité dans le recrutement des écoles de formation d’acteurs et sur les plateaux de théâtre.
Retrouvez les acteurs des ateliers Ier Acte sur http://ateliers-1er-acte.tumblr.com/

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March 3, 2016 7:41 PM
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Vers la diversité culturelle au TNS

Vers la diversité culturelle au TNS | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde


PLe dimanche 20 mars, un débat aura lieu au Théâtre national de Strasbourg (TNS) sur le thème : « Quotas, discriminations positives… quels outils pour la diversité dans le spectacle vivant ? » Ce ne sera pas un débat de plus, mais le point d’orgue de Premier acte, une action chère à Stanislas Nordey, qui l’a instituée en 2013 au Théâtre national de la Colline, où il était artiste associé avant de devenir directeur du TNS en 2014. Premier acte réunit des jeunes issus de la diversité qui font du théâtre dans des cours ou des associations et qui voudraient devenir comédiens. Pendant six mois, ils sont accompagnés par des artistes qui les emmènent voir des spectacles, leur donnent des master classes et des conseils, afin de les aider à se retrouver sur un plateau, ou à passer les concours des grandes écoles d’art dramatique.


Le débat du 20 mars clôt le parcours de la saison 2 de Premier acte, qui devient national. La saison 3 est organisée par le TNS, le Théâtre national de la Colline et le Centre chorégraphique national de Grenoble. Stanislas Nordey, qui fait partie du Collège de la diversité créé par Fleur Pellerin quand elle était ministre de la culture et de la communication, considère que son mandat de cinq ans à Strasbourg aura porté ses fruits s’il y a un véritable changement dans le public et parmi les élèves de l’école du TNS, une des plus prestigieuses de France.

Pas de discrimination positive

Avec son équipe, il s’y attelle, en travail sur tous les fronts : création d’une « Autre saison », qui propose des spectacles et des rencontres gratuits, développement des liens avec les acteurs sociaux, les collèges et les lycées, les associations. Cela s’est su et a déjà donné un résultat : en janvier a eu lieu le premier tour du concours d’entrée, pour les élèves comédiens, à l’école du TNS. Sur les 52 candidats, un tiers des reçus sont des jeunes gens et jeunes filles issus de la diversité. Ils n’ont pas été choisis par discrimination positive, mais parce qu’ils étaient bons. Et qu’ils se sont autorisés à se présenter.

C’est ce point qui réjouit le plus Stanislas Nordey. Dans les lettres de candidature, beaucoup ont écrit qu’ils voulaient faire du théâtre, mais qu’ils pensaient que ce n’était pas pour eux, que l’école du TNS leur était interdite, jusqu’au moment où ils ont entendu dire que c’était possible, et même souhaité, de se porter candidat. Combien seront choisis à l’issue du second tour du concours, qui aura lieu au printemps et retiendra le groupe de 12 élèves comédiens qui formera la promotion 44 ? Personne ne peut le dire aujourd’hui, mais Briac Jumelais, le secrétaire général du TNS, espère que, là aussi, un tiers des reçus seront issus de la diversité : « Si c’est le cas, on aura la même proportion que dans la société française. » Et ce serait un fameux bond en avant.

Actuellement, dans la promotion 43, qui compte 25 élèves (en jeu, régie, scénographie costumes, mise en scène dramaturgie), 3 seulement sont issus de la diversité – une expression qu’on rêve de n’avoir plus à employer.

Brigitte Salino (Strasbourg, envoyée spéciale)
Journaliste au Monde

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February 15, 2016 6:21 PM
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Une lettre ouverte pour «la décolonisation des arts et des imaginaires»

Une lettre ouverte pour «la décolonisation des arts et des imaginaires» | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Ce collectif s'appelle rien moins que «Décoloniser les arts». Dans la foulée de nombreux débats sur la la diversité, cette association composée «d'artistes et de professionnels des arts et de la culture, porteurs et porteuses de cultures minorées» a décidé d'interpeller les institutions sur le manque de populations«non-blanches» sur les plateaux de France. Elle vient d'envoyerune lettre ouverte à tous les directeurs de théâtre, de festival et autres responsables culturels, assortie d'un questionnaire et d'une charte. Leur question: «Où sont les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, les Latins, les Français des cultures minorées dans les Théâtres de France? Dans la culture de France?». Et leur proposer d'avancer ensemble «à éveiller des pratiques vertueuses».

 

 


Lettre ouverte aux directeurs et directrices, de théâtre, ou de festival, Aux responsables culturels,

Nous sommes un collectif d’artistes et de professionnels des Arts et de la Culture, porteurs et porteuses de Cultures minorées. Nous agissons au quotidien contre les discriminations ethniques dans le spectacle vivant et les arts. Nous sommes convaincu-e-s de partager nombre de valeurs démocratiques avec la plupart d’entre vous, et c’est pour cela qu’aujourd’hui, nous décidons de vous faire part de certaines de nos réflexions. Celles-ci se construisent à partir du constat d’une réalité alarmante qu’il nous appartient, désormais, de réorienter ensemble.

 

Afin de parfaire les présentations, vous trouverez sur notre page la charte de notre association nommée Décoloniser les arts.

Les nombreux débats sur la diversité qui se sont tenus pendant le dernier festival d’Avignon et un peu partout depuis témoignent des questionnements du milieu culturel sur le manque de représentation des populations « non-blanches » sur les plateaux de France.

La réalité nous invite à une réflexion en profondeur dans nos pratiques : pouvons-nous continuer à affirmer une Culture qui ne ressemble plus à la population française d’aujourd’hui ? Si la Culture est le moyen de lutter contre les replis identitaires, une Culture qui exclut et ne considère pas prend le risque de contribuer à l’apparition de certains identitarismes, nationalismes ou extrémismes religieux de tous crins.

 

Vous êtes en charge d’un lieu culturel : de sa programmation, de ses productions, des rencontres publiques qui s’y tiennent… Votre prise de position aujourd’hui sera dès demain un exemple pour beaucoup. Engagez-vous à donner à voir et à entendre une plus grande diversité dans vos théâtres, faites en sorte que toutes et tous, puissent se reconnaître sur les plateaux ; que les populations liées aux immigrations puissent se sentir racontées, impliquées et considérées ; faites en sorte que la Culture qui s’affirme chez vous s’adresse réellement à toutes et tous et pas seulement à une frange blanche de la population.

 

Vous savez mieux que personne la triste corrélation entre les origines de ceux qui sont sur les plateaux et de ceux que l’on espère dans les salles. Où sont les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, les Latins, les Français des cultures minorées dans les Théâtres de France ? Dans la Culture de France ?

 

Nous savons que les questions de visibilité des minorités sont sensibles et qu’elles peuvent susciter un rejet brutal. Ces enjeux sociétaux majeurs sont fragiles car ils ont à voir avec l’Histoire de France, avec la difficulté à instituer une mémoire partagée entre ceux qui se sont un jour affrontés, et l’on sait que la culpabilité occidentale est un obstacle difficile à dépasser. Or, toute action progressiste passe toujours par une prise de conscience, et celle-ci peut aussi se faire dans la douceur. C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui. Une douce résolution démocratique.

Vous êtes quelques un.e.s à être déjà sensibilisé.e.s à ces questions mais vous conviendrez que tel n’est malheureusement pas le cas du plus grand nombre des décideurs culturels et que souvent les discours ne se traduisent pas en actes.

 

La pratique de notre Culture pourrait pourtant être pour chacun et chacune l’endroit et le moment d’une célébration partagée, d’un lien social renoué, entre les individus quelles que soient leurs classes, leurs origines, leurs religions ou leurs couleurs.

 

L’affirmation des droits culturels pour toutes et tous par la loi NOTRe nous invite à embrasser les devoirs culturels qui sont les nôtres lorsqu’on est acteur du service public. C’est à dire agissant au service du public mais aussi œuvrant à construire de la chose publique, la res publica.

 

Cette mission est passionnante, brûlante et urgente. Traitons-la.

Car si pour les questions de parité entre les hommes et les femmes, les consciences sont aujourd’hui assez ouvertes pour chercher à améliorer une situation toujours loin d’être égalitaire, c’est qu’il a fallu que les mentalités changent radicalement. Ceci est donc une invitation : vous êtes responsables de notre Culture, contribuez de tous vos moyens à faire changer les mentalités et à écrire une histoire plus égalitaire et plus fraternelle pour notre pays.

En France, contrairement au monde anglo/nord-américain et certains pays d’Europe, répertorier les appartenances ethniques est interdit. Avoir peur des listes ethniques, qui sont chez nous de tristes mémoires, empêche une lecture claire de la population française, de sa diversité et de sa représentation dans la culture comme dans les médias. Cette peur nous empêche toute action volontaire et nous enferme dans le fantasme d’une société « Une et indivisible » qui, de fait, tourne le dos à sa diversité et confond laïcité et neutralité. Or, la neutralité n’existe pas, elle est toujours le reflet de la minorité dominante. Nous vous demandons aujourd’hui d’affirmer la complexité de la population française.

 

Ne pouvant pas compter en l’état sur la loi française pour nous obliger à construire une Culture plus juste, nous parions sur votre intelligence et votre bonne volonté.

 

Notre association a commencé à répertorier l’appartenance ethnique perçue des interprètes, des créateurs, des salarié.e.s, dans chaque distribution, chaque spectacle, chaque programmation, dans chaque Théâtre national, Centre dramatique national, chaque Scène nationale… et c’est édifiant.

 

L’idée n’est pas de pointer du doigt les un.e.s ou les autres mais de savoir précisément l’étendue du problème et surtout d’éveiller des pratiques vertueuses. Notre pays en a besoin.

 

Si la notion de « groupe ethnique » en France n’a pas d’existence juridique, que l’état civil ne mentionne aucune caractéristique « ethnique » et que le recensement obligatoire des populations ne permet pas le recueil de ce type d’information, une enquête non-obligatoire peut le faire. Y compris une enquête publique. Il est tout à fait possible de poser des questions dites « sensibles » sous couvert d’anonymat des personnes concernées.

 

Alors, utilisez les critères qui vous semblent les plus justes : blanc ou non-blanc, critères sociaux, liens des concernés à l’immigration, nationalité(s), « appartenance ethnique perçue par le public » (comme le fait le CSA), pays d’origine... Faites un trombinoscope pour faire apparaître le monochrome, demandez à vos artistes de s’auto-définir, leur sentiment de la façon dont ils sont perçus par le public, leur « appartenance ethnique déclarée » (comme l’a fait l’enquête « trajectoire et origines » (TeO) réalisée conjointement par l’INED et l’Insee)...

Inventez vos propres outils, votre propre éthique mais nous vous demandons d’analyser votre équipe et votre programmation : au niveau de la direction, de l’équipe permanente, des artistes interprètes en scène, des créateurs/trices, des technicien.ne.s, des auteur.e.s…

En comptant, nous saurons. En sachant nous agirons.

 

 

Décoloniser les arts, questionnaire.

- Connaissez-vous des non-blancs, non-blanches directeur ou directrice d’institution culturelle publique ?

- Si oui, dans des Scènes nationales ?

- Ou des CDN ?

- En France métropolitaine ou en outre-mer ?

- Dans des Théâtres nationaux ?

- Avez-vous des collaborateurs non-blancs dans votre équipe permanente ?

- Si oui, à quels postes ?

- Partagez-vous ce sentiment que la France est construite et nettoyée par une infra-société invisible et non-blanche ?

- Avez-vous des artistes associé.e.s dans votre théâtre ?

- Quelle est leur couleur de peau ?

- Pourquoi n’y a-t-il que des blanc.he.s dans la plupart des spectacles français ?

- Quel est le sens dramaturgique recherché ?

- Pourquoi les metteur.e.s en scène français ne distribuent-ils pas davantage d’acteurs issus des diversités ?

- Avez-vous déjà invité un artiste que vous produisez à être attentif à la diversité dans sa distribution ?

- Si des « non-blancs » existent sur vos plateaux, c’est dans quelles proportions par rapport aux blancs ?

- S’il y a des Noirs, des Arabes, des Latins, des Asiatiques dans les spectacles que vous programmez, quels rôles ont-ils ?

- Combat de nègres et de chiens de Koltès, Les nègres de Genet, Chocolat clown nègre, sont-ce à votre avis les seules pièces qui permettent en France d’offrir un rôle à un Noir ?

- Dans ce monde là, Othello joué par un blanc parmi les blancs, on valide ?

- Dans votre établissement, les « non-blancs » sont-ils principalement programmés en danse et en musique (domaines de compétences généralement concédés aux noirs dans un imaginaire colonial) ?

- Avez-vous remarqué que le théâtre en France, reste une discipline associée à la parole, à la pensée, à l’intelligence et que dans un imaginaire colonial, sa pratique professionnelle reste réservée aux blancs ?

- S’il y a des non-blancs sur vos plateaux, sont-ils français ou étrangers ?

- Avez-vous remarqué que la plupart des interprètes noirs qui jouent en France, le font dans des productions internationales (américaines, anglaises, sud américaines ou africaines) ?

- Avez vous remarqué que les Afrodescendants français sont, eux, toujours ignorés ?

- Si votre théâtre est implanté en milieu rural, pensez-vous qu’il y a une certaine logique à ne pas beaucoup programmer d’artistes noirs puisque la population issue des immigrations vit essentiellement dans les zones urbaines et péri-urbaines ?

- À quelques exceptions près, dans quelles zones de France vote–t-on massivement pour le Front National ?

- Si des interprètes « non-blancs » ont accès à vos plateaux, accompagnez-vous également les productions de créateurs « non-blancs » : metteurs en scène ou chorégraphes (c’est à dire en position de direction) ?

- Pourquoi si peu ?

- Dans les histoires qui sont convoquées sur vos plateaux, les récits des immigrations, de la traite des Noirs, des colonialismes, des guerres de France, de la politique étrangère française, des minorités, des banlieues, des vies contemporaines et sensibles des personnes issues de ces histoires… sont ils racontés ?

- Par qui ces récits sont-ils racontés ? Des blancs ou des non-blancs ?

- De quelles couleurs de peau, de quelle(s) origine(s) culturelle(s) sont les auteur-e-s de votre saison ?

- Une Culture qui exclut une partie de la population est-elle un peu responsable de son sentiment de non-appartenance à la communauté nationale ?

- La culture peut-elle, encore véritablement, nous rassembler et nous permettre de nous reconnaître malgré nos différences ?

- Ce questionnaire est-il perçu par vous comme un reproche qui vous est adressé ou comme la demande émue d’une partie de la population de n’être plus oubliée ? D’être considérée.

Décoloniser les arts, lexique.

Nous vous proposons maintenant un petit lexique à employer dans toutes publications ou discussions qui pourraient faire avancer l’acceptation de la diversité dans la Culture française :

- Racisé : assigné et réduit à une origine, réelle ou fantasmée, du fait de sa couleur de sa peau, son faciès, ou son patronyme. Plus clairement dit : victime de racisme (qu’il soit de haine, de préjugé ou d’omission). Nous avons employé jusqu’à présent le terme « non-blanc » pour ne pas vous heurter trop vite. Nous lui préférons celui de racisé. En effet on ne saurait définir une population ou des individus pas une négation, « non-blanc ». Certes ce mot, racisé, peut sembler violent. Violence, justement, dont sont victimes les populations racisées.

- Racisation : ensemble de discriminations et de persécutions reposant sur des critères raciaux. Les mots sont durs mais ce n’est pas parce que les races n’existent pas que le racisme ne sévit pas. Il s’agit de savoir le nommer pour pouvoir le combattre.

- Discrimination positive : cela n’existe pas. C’est une mauvaise traduction plus ou moins volontaire de « positive action ». Nous lui préférons donc la traduction d’ « action positive contre les discriminations ». Et d’un seul coup il devient plus facile et plus positif d’être volontaire quand on empêche les détenteurs du privilège blanc de définir notre langage !

- Racisme anti-blanc : arme de défense des groupuscules identitaires pour empêcher la reconnaissance de la diversité du peuple de France.

- Statistiques ethniques : outil indispensable pour comprendre notre société, son évolution et pour adapter la politique à ses besoins. Interdites en France, les pouvoirs publics lui préfèrent des critères sociaux, géographiques ou de nationalité. Or en France, être immigré ne nous situe pas toujours en banlieue, être arabe ne rime pas toujours avec pauvreté et être noir ne veut pas toujours dire qu’on vienne d’ailleurs.

- Racisme par omission : il diffère du racisme de haine (plus identifiable et plus combattable). Le racisme par omission est par définition difficilement visible tant notre regard s’est habitué à la neutralité du blanc. Il nous appartient de modifier notre regard formaté par des siècles de pensée coloniale. Nous sommes nombreux dans la société française à y participer sans en avoir conscience : ne pas faire attention à ceux et celles qui manquent participe, malgré nous, et par effet de retranchement à ce type de racisme.

- Black : il serait préférable de ne pas. À part notre premier ministre, personne ne parle de « white » pour définir les blancs.

- Personnes de couleur : soyons sérieux, nous parlons d’hommes, de femmes et d’enfants, pas de M&M’s.

- Noir : n’est pas un gros mot, aucune gêne à avoir. Un Noir, une Noire.

Décoloniser les Arts, actions.

Et si vous êtes toujours avec nous à ce stade de la lecture, nous aimerions maintenant vous proposer 5 territoires d’interventions possibles dans vos actions publiques :

1. La programmation : Faire travailler des interprètes racisés en scène, pour offrir une exemplarité au public issu des diversités en lui offrant une opportunité de se sentir dit et représenté, et sans doute, l’envie de revenir au théâtre. Nota bene : Un spectacle de cirque viêtnamien ou de danse sud-africaine, pourront certes passionner le public mais ne pourront faire oublier l’absence quasi totale de racisé.e.s dans les productions françaises.

2. La production : Produire et diffuser des œuvres mises en scène par des créateurs ou des créatrices racisé.e.s, afin de permettre en très peu de temps de faire émerger les talents qui par manque de moyens restent aujourd’hui invisibles. Là encore nous avons besoin d’exemplarité, de modèles de metteur.e.s en scène racisé.e.s et, pourquoi pas, de directeurs, de directrices de Centres Dramatiques Nationaux et rêvons encore plus loin, de Théâtres Nationaux.

3. La formation : elle devrait être accessible à toutes et à tous et pourrait bénéficier là aussi d’un volontarisme qui ne reposerait pas seulement sur des critères sociaux mais bel et bien ethniques. Sans pouvoir recourir à une politique de quotas, soyons exemplaires et donc, soyons volontaires.

4. L’emploi: bien entendu il ne s’agira pas de prendre la couleur de la peau comme un critère favorisant mais juste pour voir ce que cela pourrait changer, chaque fois que nous recruterons quelqu’un, posons-nous quand même la question de la couleur de la peau de tous nos collaborateurs qui sont déjà autour de nous.

5. Les récits : assumer, donner à voir et à entendre les récits des racisé.e.s de France qui racontent leur histoire, leur relation complexe et souvent contradictoire à la France. À l’Afrique et aux autres ex-colonies. N’ayons pas honte de notre histoire commune, elle est nôtre avec ses épisodes sombres et ses moments merveilleux. Marchons sans honte pour éviter la colère de ceux qui sont tus. Et n’oublions pas d’inclure des racisé.e.s dans les récits du grand répertoire français. L’histoire de France est celle de toutes et de tous, affirmons-le !

Dans la brochure de votre prochaine saison, nous vous invitons donc à vous engager sur ces questions. Nous avons plus que jamais besoin de la puissance des symboles que la Culture peut offrir.

Vous pouvez faire figurer le logo de notre association Décoloniser les arts (aux côtés de celui de HF par exemple), accompagné d’un petit texte symbole de votre engagement vers un meilleur vivre ensemble avec les communautés qui sont victimes d’un racisme d’omission en France.

La population de racisés en France s’élèverait à 30% selon les plus sérieuses études de statistiques ethniques (qui, stratégiquement, savent en taire le nom). Notre objectif commun sera donc fixé à 30% de représentativité dans chacun des domaines de la Culture française. Le chemin est désormais ouvert.

Nous sommes disposés à avancer dans cette réflexion avec vous, nous sommes ensemble au début d’un long chemin : celui de la décolonisation des arts et des imaginaires. Certains d’entre vous seront sans doute en colère contre cette action, certains, comme souvent, chercherons à nous réduire et nous taire, par courrier, sur le web ou voie de presse, d’autres comprendront notre démarche qui ne vise qu’un peu plus de justice, d’autres enfin la feront avancer plus loin encore vers une société plus égalitaire.

Notre Ministre de la Culture et de la communication a réuni autour d’elle un collège de réflexion et de préconisation sur ces questions de diversités. La volonté politique est bel et bien présente dans les plus hautes sphères. Mais nous sommes en France, nous sommes contraints par une loi qui ne nous permettra pas une politique de quotas. Alors misons sur votre intelligence et sur la volonté collective de changer cette situation insoutenable d’une culture faite par des blancs pour des blancs.

Nous vous prions, Madame la directrice, Monsieur le directeur, d’agréer la formulation de notre plus grand espoir.


PS. Conseillers spectacles vivants du ministère de la Culture, comités d’experts, directeurs régionaux des affaires culturelles, élus municipaux, départementaux et régionaux en charge des questions culturelles, techniciens de terrain des collectivités, directeurs d’écoles publiques d’art dramatique, directeurs de conservatoires, jurys d’admission à ces établissements, et toute personne de bonne volonté, et même spectateurs, qui agissez quotidiennement à la construction de notre Culture, cette lettre vous est également adressée, nous avons, en vos actions imminentes, de grandes espérances.

decoloniserlesartsenfrance@gmail.com

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January 15, 2016 12:31 PM
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Diversité, l’inconnue de la scène

Diversité, l’inconnue de la scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Frédérique Roussel pour Libération


Alors qu’en France, contrairement à la Grande-Bretagne, les non-Blancs sont très peu représentés sur les plateaux, quelques initiatives sont lancées, comme à la Colline, pour former des jeunes acteurs issus de l’immigration.

«Qui veut commencer?», sonde Annie Mercier. La voix a le timbre grave de l’expérience patinée par la cigarette. La comédienne transmet avec jubilation. C’est sa deuxième intervention à «Premier acte», un atelier composé de jeunes issus de la diversité créé au sein du théâtre de la Colline. La dernière fois, elle leur avait demandé d’apprendre des scènes tirées de Tchekhov. Océane et Jordan montent sur le plateau du «petit théâtre» : elle joue la femme qui flambe, lui l’amoureux inquiet de ses bordées nocturnes. Sur le groupe de quinze apprentis comédiens entre 19 et 26 ans, ils sont neuf en cette veille de vacances de Noël. D’origine algérienne, afghane, comorienne, libano-guinéenne, tunisenne-polonaise… «Océane, coupe Annie Mercier, je veux entendre le champagne dans ta voix quand tu dis "Monte-Carlo", donc essaie un éclat de rire.» Pendant quatre heures, elle décortique les échanges, rectifie les postures, demande à Hayat de reprendre son arrivée sur scène. «Pour les concours, ce qui est vraiment casse-gueule, ces sont les entrées», prévient-elle. Certains tentent dès janvier celui du Théâtre national de Strasbourg (TNS) ou, en mars, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) de Paris.

C’est la deuxième saison du programme «Premier acte», imaginé il y a trois ans par l’ex-directeur de la Colline Stanislas Nordey avec Firoz Ladak, délégué général des Fondations Edmond de Rothschild. «Depuis longtemps, j’étais frappé de voir que les "minorités visibles" étaient sous-représentées sur les scènes et dans les salles de théâtre», explique le directeur du TNS depuis 2014. Ce peu de mixité dans la distribution des pièces suscite des débats récurrents. En octobre, la décision de Luc Bondy de donner à Philippe Torreton le rôle d’Othello, soit un Blanc dans la peau du Maure, a ainsi relancé la question de l’emploi des acteurs français non blancs qui ont du mal à trouver des rôles ou qui sont cantonnés à jouer les Noirs ou les Arabes.

Sans préguger de la suite, «Premier acte» a été conçu pour des jeunes, victimes de discrimination, sur auditions, comme un coup de pouce pour accéder aux écoles supérieures. Après une immersion au Festival d’Avignon, au TNS, ils participent à des ateliers avec des professionnels reconnus comme Annie Mercier ou le danseur Rachid Ouramdane. Cette formation intensive semble avoir servi à la première fournée : deux ont intégré le Conservatoire, un autre a décroché un rôle chez Caroline Nguyen et une autre encore a intégré l’Ecole régionale d’acteurs de Cannes (Erac). Fort de ce premier pas, Stanislas Nordey concocte à Strasbourg un programme plus ambitieux sur le Grand Est, l’Ile-de-France et Rhône-Alpes. Pour, petit à petit, changer les mentalités. «Le vrai problème c’est que c’était un non-dit absolu de la vie théâtrale. En Grande-Bretagne, vous pouvez sans problème avoir un Roi Lear blanc et sa fille indienne. En France, dans le théâtre et le cinéma, le poids du cliché de l’emploi n’a pas disparu.»

Prépa.
A la Comédie de Saint-Etienne, Arnaud Meunier a choisi un autre modèle à partir du même constat : «Au concours de l’école, il y avait très peu de candidats issus de la diversité, ou alors très mal préparés et sous-représentés dans les compagnies.» A la rentrée 2014, le directeur a lancé un modèle «égalité des chances» inspiré de Sciences-Po. Il se compose d’une classe préparatoire intégrée pour des 18 à 23 ans issus de la diversité culturelle et sociale en Rhône-Alpes-Auvergne, et des stages «Egalité théâtre» de quatre jours pour des jeunes de la région. A la différence de «Premier acte», le recrutement à la prépa prend en compte le critère social (foyer de moins de 20 000 euros de revenu annuel). Signe que les candidats ne sont pas choisis sur leur couleur de peau. «Cela permet à ces jeunes de milieux modestes d’être dans le théâtre, de voir des spectacles et d’acquérir une vision réelle du métier, explique Arnaud Meunier. A partir du moment où on donne du temps et des moyens, les résultats sont flagrants.» Quatre de la première promo ont intégré une école supérieure et le nombre de candidats issus de la diversité s’est accru au dernier concours de l’école. La plupart des écoles supérieures en ont pris conscience. «Je rappelle que le conservatoire est une école de la République ouverte à tous», souligne Claire Lasne-Darcueil, la directrice du CNSAD. Elle n’a en rien modifié le concours d’entrée, pas question d’enlever la scène imposée en alexandrins. «C’est l’engagement et le talent qui priment.» Son établissement soutient la prépa gratuite ouverte fin novembre par le conservatoire de Bobigny avec la MC93 pour les candidats de Seine-Saint-Denis sur critères sociaux et auditions. Une autre verra le jour à la rentrée en banlieue sud avec le lieu de création Anis Gras à Arcueil et la scène nationale de Sénart.

Les fondations Rothschild et SNCF soutiennent «Premier acte». «C’est une initiative exemplaire et salutaire, estime Marianne Eshet, déléguée générale de la Fondation SNCF, "Premier acte" a l’air de pas grand chose dans son coin mais personne, jusqu’ici, ne l’avait fait.» Même point de vue du côté de Firoz Ladak, qui entend élargir le programme : «C’est une goutte d’eau mais encore plus nécessaire aujourd’hui.» Stanislas Nordey plaide pour une politique plus volontariste, qu’il y ait «une invitation de la part du ministère de la Culture à ce que les théâtres publics prennent davantage en compte la diversité pour que ça bouge». Début prometteur ? Fleur Pellerin a installé le 2 décembre un Collège de la diversité d’une trentaine de membres.

Mais la démarche de «discrimination positive» a aussi ses détracteurs. L’expérience de «Premier acte» a suscité de virulentes critiques lors d’un débat à la Colline le 30 mars. Et ce jour-là, dans une tribune parue dans le Monde, des artistes interrogeait ainsi : «Pourquoi créer des formations et programmes pour Noirs/Arabes/Asiatiques plutôt que d’engager ceux formés par les écoles ? » Car, au-delà des freins à l’accès à la formation, le problème reste presque entier sur le plateau. Peu de couleurs ou d’accents dans les pièces montées. «Le théâtre a du mal à passer le pas, reconnaît Laurent Vacher, qui créée Combat de nègre et de chiens à Annemasse. Or s’il est le reflet de notre société, il doit logiquement être mixte.» Dans sa distribution, il a choisi le comédien rwandais Dorcy Rugamba. «Koltès a ouvert une brèche en créant des rôles pour des Arabes ou des Noirs, poursuit-il. Mais ceux du répertoire classique pourraient tout aussi bien être joués par des artistes issus de l’immigration.»

Immobilisme.
Au Tarmac, vitrine du spectacle vivant francophone, Valérie Baran se demande comment les jeunes peuvent se retrouver aujourd’hui dans un théâtre avec une population exclusivement blanche sur scène et dans la salle. Elle attribue cet immobilisme à une pensée coloniale encore prégnante et dont il faudrait prendre conscience. «Les Français sont très en retard. Il suffit de regarder la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. Chez nous, le Noir continue à représenter un Noir.» La diversité concerne toute la société, selon Valérie Baran, qui préfère dire «nous et les autres». Car la question du public se pose aussi crûment. Au Théâtre Paul-Eluard à Choisy-le-Roi, Cécile Marie positionne cette première scène conventionnée pour la diversité linguistique comme un outil de création sans frontières qui travaille aussi à faire venir une population locale bigarrée. «On a monté une pièce en russe sans surtitrage pour le jeune public (Ils se marièrent et eurent beaucoup), avec des comédiens français et russes, et on a réussi à faire venir un autre public. A Choisy, il y a 80 nationalités et notamment une forte population des pays de l’Est.» Conquérir des spectateurs paraît urgent. «Il faut aller dans les territoires ruraux et périurbains et renouveler le public en profondeur, parie Stanislas Nordey. Il faut être attentif à ce que nos lieux de culture ne soient pas des lieux de l’entresoi.»

Retour dans la salle de répétitions de la Colline. En ce début janvier, c’est au tour de Rachid Ouramdane d’encadrer le groupe. Dans le milieu de la danse, le métissage est moins problématique que dans le théâtre. Sa compagnie compte ainsi 8 nationalités sur 16 danseurs. «J’ai l’impression parfois que les gens n’ont pas réalisé de quoi est faite la France qui les entoure, relève-t-il. Il faut partager l’évidence du monde d’aujourd’hui, qui n’existe pas sur les plateaux.» Et pour cela forcer les choses par des initiatives comme «Premier acte» ? «Je n’aurais pas dit ça il y a dix ans, mais il faut être ostentatoire.» Océane, Lyna, Elan, Ololadé sont d’une certaine façon des pionniers. «S’il faut en passer par là», lâche l’un d’eux. Doit-on pour autant en attendre plus ? Eux ne demandent à être regardés que comme des acteurs.


Frédérique Roussel

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October 14, 2015 3:53 PM
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Sur la (non) diversité sur les plateaux

Sur la (non) diversité sur les plateaux | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde :

 

Dans Battlefield (« Champ de bataille »), le dernier spectacle qu’il signe au Théâtre des Bouffes-du-Nord, Peter Brook fait jouer quatre comédiens, dont trois sont noirs – américain, belge ou britannique –, originaires de divers pays d’Afrique. Sur les scènes françaises, une configuration comme celle-ci reste suffisamment exceptionnelle pour être soulignée. Qui plus est, Carole Karemera, Jared McNeill et Ery Nzaramba n’incarnent aucunement des Africains ou des Afro-Américains, puisqu’ils donnent corps aux multiples créatures – hommes, bêtes et dieux – du grand poème épique indien, le Mahabharata.

Peter Brook a été un des tout premiers, en France, à faire jouer des acteurs de tous pays et de toutes origines, et à confier à des comédiens noirs comme Sotigui Kouyaté ou Bakary Sangaré de grands rôles du répertoire. Il reste aujourd’hui l’un des seuls. Bien peu de rôles, aujourd’hui, sont tenus par des acteurs issus de la « diversité ». Quand c’est le cas, c’est en général pour jouer des rôles d’Africains ou d’Arabes : Christian Schiaretti, le directeur du TNP de Villeurbanne, a ainsi réussi, en 2013, à réunir une belle distribution d’acteurs venus d’Afrique. Mais c’était pour Une saison au Congo, d’Aimé Césaire, pièce qui conte l’ascension et la chute de Patrice Lumumba.

Encore était-ce là une démarche louable. Car les (rares) rôles de personnages noirs, en France, sont rarement joués par des Noirs : ainsi en est-il d’Othello qui, une fois de plus, va être incarné par un acteur blanc – dont le talent n’est pas en cause, puisqu’il s’agit de Philippe Torreton –, dans la mise en scène que Luc Bondy, le directeur du Théâtre de l’Odéon, va signer cet hiver de la pièce de Shakespeare. L’affaire fait déjà polémique. Elle est révélatrice de ce sentiment d’exaspération, de plus en plus aigu, qu’éprouve toute une partie de la population qui ne se sent pas représentée – au sens strict du terme, puisque le théâtre est justement cet art où l’homme se représente, de manière vivante et directe.

Cliché d’art élitiste

En Grande-Bretagne, les acteurs d’origine africaine ou indienne jouent depuis des années les grands (et les petits) rôles du répertoire, qu’il s’agisse des bourgeois alcooliques d’Harold Pinter ou des rois shakespeariens – à l’image de David Oyelowo (l’acteur du film Selma), qui fut Henry VI pour la Royal Shakespeare Company, d’Adrian Lester, qui se glissa dans la peau d’Henry V pour le National Theatre, ou de Nonso Anozie, qui fut Othello sous la direction de Declan Donnellan, dans un spectacle programmé par le Théâtre de l’Odéon, justement, en 2004.

Pourquoi ce hiatus ? Pourquoi en est-on là, aujourd’hui, en France ? Pourquoi un acteur noir ne pourrait-il tenir le rôle d’un architecte dans une pièce d’Ibsen, d’un médecin dans une pièce de Tchekhov, ou d’un petit marquis dans une comédie de Molière ? Quel est donc le problème du théâtre français – qui contribue, par ailleurs, à l’éloigner de toute une partie de la population, et à l’enfermer dans son cliché d’art élitiste pour la classe dominante blanche ?

Les facteurs sont multiples et complexes, qui tiennent d’abord à l’impensé colonial qui, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, est en train d’exploser au visage de la société française. Il y a ensuite la conséquence directe de cette histoire, résumable en une équation mathématique et un cercle vicieux : ce sont surtout les jeunes issus de milieux favorisés qui osent se tourner vers les métiers artistiques, et les populations issues des anciennes colonies appartiennent surtout aux classes défavorisées. Une des raisons souvent invoquées pour justifier ou expliquer cet état de fait est ainsi que les acteurs issus de la diversité ne seraient pas assez « bons » pour incarner les rôles du répertoire, pour « mâcher » une langue raffinée et difficile comme celle de Racine ou de Molière.

Cantonné au rôle d’« étranger », de réfugié ou de domestique

Marcel Bozonnet a été un des rares à essayer de casser ces stéréotypes, quand il a été administrateur de la Comédie-Française, de 2001 à 2006, en engageant Bakary Sangaré dans la troupe, et en lui faisant jouer le rôle d’Orgon dans Tartuffe. Que n’a-t-il pas entendu !… Certes, il y eut Orgon plus convaincant que celui de Sangaré dans ce spectacle – et depuis d’ailleurs, l’« acteur noir du Français », comme on l’appelle, a été réassigné à des rôles supposés mieux lui correspondre, des rôles d’« étranger », de réfugié ou… de domestique.

On pourrait décalquer la célèbre formule de Françoise Giroud à propos des femmes : les acteurs issus de la diversité seront mis sur un pied d’égalité avec les autres quand ils auront le droit de ne pas être obligés d’être deux fois meilleurs que les autres pour obtenir les mêmes rôles – Bakary Sangaré n’étant pas, tant s’en faut, le seul à ne pas avoir été très bon dans un rôle, à la Comédie-Française.

Mais le théâtre français fait face à une autre difficulté, qui tient à sa nature, comme le fait observer Arnaud Meunier, le jeune directeur de la Comédie de Saint-Etienne, lequel est à l’origine d’un dispositif original pour faire entrer dans les écoles d’acteurs des jeunes issus de la diversité : « Dans la tradition française, la mise en scène reste très attachée à la fabrication de signes, et aux “emplois” : une femme est une femme, un Noir un Noir, etc. Dans les pays anglo-saxons, d’obédience shakespearienne, les spectateurs acceptent beaucoup mieux la convention théâtrale, et la couleur de peau arrête de faire sens. » En France, le « grand théâtre du monde » imaginé par le génie élisabéthain est encore à venir.

Fabienne Darge
Journaliste au Monde

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August 20, 2015 4:07 PM
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Théâtre : le "Paris" de David Bobée "sape" les scènes françaises

Théâtre : le "Paris" de David Bobée "sape" les scènes françaises | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Publié par Anaïs Heluin dans Le Point Afrique : Avec cette pièce, monologue d'un éboueur et sapeur congolais, le metteur en scène poursuit avec talent son développement d'un théâtre de la diversité.
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June 11, 2015 1:31 PM
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Les invisibles montent sur scène

Les invisibles montent sur scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Clarisse Fabre pour Le Monde :

 

Les murs des théâtres et des plateaux de cinéma sont en train de se fissurer. Ou bien est-ce le vieux plancher qui grince, ou la porte trop lourde que l’on ne sait plus comment ouvrir ni fermer ? C’est un peu tout à la fois, et les travaux ne font que commencer. Des artistes, des enseignants, des professionnels de la culture remontent les manches, dans les écoles de théâtre, de cinéma. Ne pas rester dans l’entre-moi, faire quelque chose. Et il s’en passe, des choses, à Saint-Etienne, à Paris, à Cannes, et plus largement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il s’agit, ni plus ni moins, de faire émerger sur les planches ou à l’écran les fameux visages dits de la diversité sociale et culturelle, selon l’expression consacrée. La question n’est pas nouvelle. Mais certaines méthodes, très volontaristes, prennent actuellement la profession à rebrousse-poil.

Un dispositif unique en France

Commençons par la plus spectaculaire, qui est aussi la plus discutée. Le metteur en scène Arnaud Meunier, 42 ans, a sorti le marteau-piqueur, et il n’est pas mécontent de faire du bruit dans le ronronnement ambiant. Lassé d’attendre que le slogan « Liberté, égalité, fraternité  » produise ses effets, le directeur du Centre dramatique national (CDN) de Saint-Etienne, La Comédie, a créé un dispositif unique en France : une classe préparatoire intégrée a vu le jour, en 2014-2015, distincte de l’École supérieure d’art dramatique de Saint-Etienne qu’il dirige par ailleurs. Cette prépa, ouverte à cinq jeunes comédiens seulement – car le dispositif coûte cher –, est une sorte de sas qui vise à remettre à niveau des élèves ­ « défavorisés  », en vue de les préparer aux concours si sélectifs des écoles supérieures d’art dramatique (Conservatoire de Paris, écoles de Strasbourg, Lille, Cannes, Rennes, Lyon, Saint-Etienne, Montpellier, etc.).

Lire aussi : « Je m’étais mis un plafond de verre »

L’expérience est prometteuse. « On s’est principalement fondés sur deux critères de sélection : un, les candidats ont un désir fort de théâtre ; deux, ils sont issus de familles très, très modestes. L’enjeu est social, au-delà de la couleur de peau », résume Arnaud Meunier. Les cinq élèves de cette « mini-prépa  » ont entre 20 et 23 ans et sont tous originaires de Rhône-Alpes, sauf un. Et ces jeunes personnes ne sont pas venues pour rien, si l’on peut dire. Si l’une d’elles, une jeune fille, finit de passer les concours (certains établissements du réseau national n’ont pas encore achevé leur processus de sélection), les quatre autres ont été admis à l’une des grandes écoles supérieures d’art dramatique. Bénédicte Mbemba vient d’intégrer le saint des saints, à savoir le Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) de ­Paris  : elle sera l’une des 30 élèves de la promotion, sur un total de près de 1 300 candidats. Romain Fauroux a été admis à l’école de Saint-Etienne. De leur côté, Frederico ­Semedo et Mouradi M’Chinda ont intégré l’Ecole régionale des acteurs de Cannes, l’ERAC – autre établissement national supérieur.

La preuve par le terrain

« Ces deux jeunes sont entrés parce qu’ils avaient le même niveau que les autres. ­Arnaud Meunier a fait le job », salue Didier Abadie, le directeur de l’ERAC. Pourtant, d’autres professionnels voient d’un mauvais œil ce sas aux allures de cocon – les élèves sont fortement soutenus sur les plans financier et pédagogique. Selon eux, il y a une rupture d’égalité entre les candidats devant le concours. Le débat est vif.

Arnaud Meunier, nommé en 2011 à la tête du CDN, a voulu faire la preuve par le terrain. Selon lui, la démocratie culturelle demande des moyens adaptés, sur mesure, grâce auxquels des jeunes en difficulté peuvent réussir. Ce n’est pas faire œuvre sociale, dit-il. La société a besoin de ces nouveaux visages, de ces récits, tout autant que ces jeunes déclassés, blancs, noirs, asiatiques ou arabes, ont besoin d’un coup de pouce réparateur. « On se demandait si on était prêts, s’il ne fallait pas attendre d’avoir plus de moyens. Mais ­Fabien Spillmann, le directeur des études de l’école de Saint-Etienne, nous a dit  : c’est maintenant qu’il faut y aller. Et il a eu mille fois raison  », raconte-t-il. La scolarité de ces cinq élèves a été financée grâce au soutien de la région Rhône-Alpes et de la Fondation ­Culture & Diversité  : celle-ci, qui est déjà à l’origine de partenariats dans d’autres champs artistiques (histoire de l’art, architecture, métiers techniques du spectacle), sensibilise les enseignants pour les inciter à diffuser l’information et repérer les talents.

Le premier objectif, en effet, consiste à faire connaître les dispositifs à des jeunes qui les ignoraient. Ou qui n’imaginaient pas une seconde devenir comédien professionnel  : c’est ce que les experts de la culture appellent l’« autocensure  », d’ordre symbolique. Mais ­celle-ci n’est-elle pas également nourrie par le caractère excluant de certains grands établissements ? Sans parler de la question financière, pratico-pratique  : comment se payer le train et l’hôtel quand on veut tenter différents concours d’école de théâtre, aux quatre coins du pays, afin de maximiser ses chances ? La « classe prépa  » tente de combler ces failles. Mais le message ne passe pas partout. Et les cinq jeunes, quand est venue l’heure des concours, n’ont pas toujours été bien accueillis.

Réserves de fond

A l’Ecole du Nord, à Lille, en particulier, ils ont eu le sentiment d’être davantage interrogés sur leur parcours que jugés sur leur prestation scénique. Le directeur de l’École du Nord, le metteur en scène Christophe Rauck, s’en défend, de même que la comédienne Cécile Garcia-Fogel, qui coprésidait le jury et sera la marraine de la promotion 2015-2018. Surtout, elle émet des réserves de fond sur le dispositif. A-t-on besoin d’une classe prépa­ratoire financée par le privé – une fondation – pour mener la démocratisation culturelle, s’interroge-t-elle ? « Je ne comprends pas pourquoi on crée des classes prépa. On devrait plutôt renforcer les conservatoires de proximité déjà présents sur le territoire. C’est à eux de mener ce travail de repérage et de formation  », dit-elle. Tout le monde est d’accord là-dessus. Mais le problème est que ces conservatoires, municipaux, d’arrondissement ou régionaux, manquent souvent de moyens. La question du soutien des collectivités locales, et surtout de l’Etat, garant de la continuité du service public en cas d’alternance politique, est posée : au cabinet de Fleur Pellerin, on assure que la ministre de la culture et de la communication a pris la mesure de l’enjeu et devrait obtenir de nouveaux moyens pour financer des pratiques collectives, parmi lesquelles le travail théâtral. A voir.

Cécile Garcia-Fogel note un autre écueil : « Avec la crise économique, et ce recul du politique, il y a moins de créations, moins de spectacles. Je connais des étudiants qui sortent de grandes écoles et ne trouvent pas de travail. Je pense à cette comédienne coréenne qui est au RSA. Ces jeunes qui ont eu un parcours difficile vont-ils s’insérer ? Faisons attention à ne pas forcer des vocations. » Le souci de la diversité, rappelle-t-elle, n’est pas né d’hier. Elle cite en exemple la « classe ­libre  » du cours Florent, à Paris : un cursus parallèle au cours Florent privé, sans droits d’inscription, qui prépare depuis trente-cinq ans aux concours des écoles supérieures d’art dramatique.

« On a cinq jeunes de cette classe libre qui entrent à l’École du Nord cette année », pointe Cécile Garcia-Fogel. Le professeur et pilote de cette classe libre, Jean-Pierre Garnier, reconnaît tout de même qu’aucun critère de revenus n’est demandé aux étudiants. On peut donc parfaitement trouver dans cette classe des jeunes gens qui n’ont pas de problèmes d’argent et auraient pu se payer des études ailleurs. « Il n’empêche, la diversité est arrivée dans cette classe libre bien avant que le sujet devienne un enjeu national  », ajoute Jean-Pierre Garnier. Il n’est pas tendre avec la classe prépa de Saint-Etienne, qu’il qualifie de « ghetto  ». « J’espère que les jeunes de cette classe prépa ont été admis pour de bonnes raisons. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas  », assume-t-il.

« Apporter de nouvelles histoires »

Le directeur du CDN de Saint-Etienne, pourtant, se défend de mener une politique de « discrimination positive  » : « En un an, avec cette classe prépa, on essaie de rattraper vingt ans d’inégalités. Ensuite, les élèves passent les mêmes concours que les autres, et non pas une épreuve parallèle. » Arnaud Meunier ajoute : « Soit on considère que tout est figé. Soit on fait le pari qu’une nouvelle génération va changer les plateaux, apporter de nouvelles histoires. Au cinéma, Abdellatif Kechiche ne raconte pas la même chose qu’Arnaud Desplechin. C’est très bien, et j’aime tout autant ces deux cinéastes  », plaide-t-il.

Ne fallait-il pas donner un petit coup de perceuse dans le système républicain, en espérant créer un déclic ? Preuve, en tout cas, que chacun s’interroge et cherche une voie, d’autres chantiers s’ouvrent. Ainsi, une autre initiative a porté ses fruits : le projet « Premier acte  », lancé par le Théâtre national de la Colline, dans le 20e arrondissement de Paris, soutenu – eh oui – par la Fondation Rothschild et la Fondation SNCF. Des jeunes repérés, entre autres, par le conservatoire de ­Bobigny, ont participé à des ateliers d’acteurs dirigés par Stanislas Nordey. Le metteur en scène, qui vient d’être nommé à la tête du Théâtre national de Strasbourg (TNS), dont il dirigera également l’École, n’a rien contre la discrimination positive. Dans l’appel à candidatures de « Premier acte », il était même indiqué que les stages sont ouverts aux jeunes « ayant fait l’expérience de la discrimination  ». « On a reçu des candidats qui se disaient discriminés parce qu’ils sont juifs, d’autres du fait de leur physique  », raconte-t-il. Les vingt jeunes gens sélectionnés sont pour la plupart issus de l’immigration. Deux d’entre eux ont intégré le Conservatoire de Paris : Souleymane Sylla, 23 ans, et Josué Mbemba Ndofusu, 20 ans.

« Le milieu de la culture n’est pas plus avancé qu’ailleurs sur ces questions d’égalité, d’homophobie, de sexisme ou de représentation culturelle, souligne Stanislas Nordey. Au cinéma, un médecin de 50 ans sera presque toujours joué par un Blanc. Et, au théâtre, une femme un peu forte fera plutôt la servante que la jeune première. » Il faut donc expérimenter, car « les évolutions législatives ont souvent été précédées par des mouvements activistes  ». Et puis le temps presse. « Lors de ces stages, à La Colline, on a entendu des jeunes évoquer le modèle anglo-saxon, ajoute le metteur en scène. Leur conclusion, c’est que si ça ne marche pas en France, ils iront à Londres. Au Royaume-Uni, cela ne pose aucun problème que l’une des trois filles du roi Lear soit incarnée par une femme noire. » L’initiative de La Colline fait des émules. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur vient tout juste de décider de mettre en place un dispositif similaire, lequel sera « mis en musique  » par le directeur de l’ERAC de Cannes – celui-là même qui a retenu les deux jeunes de Saint-Etienne.

« Une avancée démocratique puissante »

En fin de compte, si l’on prend comme témoin la promo 2015-2016 du Conservatoire de Paris, de nouveaux visages apparaissent, indéniablement. Il ne s’agit pas que de la couleur de peau, insiste la directrice du Conservatoire, Claire Lasne. Et d’évoquer ce jeune titulaire d’un CAP de serrurerie… qui a réussi à ouvrir les portes de la grande institution. Cette année, seuls quatre étudiants sur trente qui y ont été admis proviennent du cours Florent payant ; vingt viennent de la classe libre ou de divers conservatoires (trois de celui de Bobigny). « On note l’impact des forces conjuguées de la classe libre, de la classe prépa de Saint-Etienne et des stages de La Colline, et du travail remarquable du conservatoire de Bobigny  », détaille-t-elle. Elle interpelle désormais l’Etat pour que soient ouvertes, « dans les trois ans à ­venir, trois nouvelles classes préparatoires publiques en banlieue parisienne, à Bobigny, à Arcueil et à Melun-Sénart ». « Ce serait une avancée démocratique puissante  », insiste-t-elle.

Et dans le cinéma ? C’est au lendemain des émeutes de novembre 2005 que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a créé une aide sélective – Images de la diversité – en vue de soutenir des films qui proposent d’autres représentations. De Bande de filles, de ­Céline Sciamma, à Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako, tous les types d’œuvres sont soutenus – courts ou longs-métrages, animation. « L’aide ne doit être ni cliché ni ghetto  », explique-t-on au CNC. La Femis, prestigieuse école de cinéma à Paris, avait pris conscience des enjeux en créant, dès 2008, un programme dit d’« égalité des chances », avec le soutien de la décidément incontournable Fondation Culture & Diversité.

L’objectif : aider des élèves à combler leurs lacunes culturelles ou sociales, afin qu’ils puissent déposer leur candidature dans « une logique de marchepied  », résume le directeur de la Femis, Marc Nicolas. « Le message est délivré dans les lycées ZEP pour que les jeunes se disent : pourquoi pas moi ? ». Mais pas de quotas, prévient-il ! Et pas question non plus de renoncer au critère du bac + 2, niveau d’études requis pour se présenter. « Chaque année, un ou deux élèves issus de ce programme d’égalité des chances intègrent la Femis, sur la cinquantaine de jeunes admis. Cette école n’est pas aussi excluante que certains le disent  : 25 % à 30 % des étudiants sont boursiers  », souligne encore Marc Nicolas.

Pour certains, il faut aller plus loin. Une nouvelle école de cinéma va voir le jour, à Lyon, en septembre. Son nom ? La CinéFabrique, 100 % publique, pour l’heure, en attendant le complément d’argent privé. Son directeur, Claude Mouriéras, réalisateur, a longtemps enseigné à la Femis. « Il faut interroger l’institution dans ce qu’elle a de bloquant. On parle beaucoup de l’intégration des jeunes depuis Charlie, alors allons-y ! », répète-t-il. La CinéFabrique sera ouverte aux jeunes, qu’ils aient le bac ou non. Un partenariat avec l’université Lyon-II permettra aux étudiants d’établir des équivalences pour accéder à l’enseignement supérieur.

Le chantier est parti pour durer. Se posera ensuite la question des rôles dévolus à ces jeunes, au cinéma ou au théâtre. Souleymane Sylla, jeune comédien d’origine sénégalaise qui vient d’être admis au Conservatoire de Paris, se souviendra toujours de la réponse de Stanislas Nordey lorsqu’il lui a demandé si certains rôles nécessitaient d’avoir un physique particulier. « Nous portons le monde en nous », lui a dit le metteur en scène. Osez, osez Marianne…

Sur le web
1 000 visages, association de Viry-Châtillon (Essonne) qui œuvre à rendre plus visible la « diversité » dans les arts cinématographiques et audiovisuels.
Tribudom, collectif de professionnels du cinéma réalisant des courts-métrages de fiction avec les habitants des quartiers du nord-est de Paris et de sa proche banlieue.

Clarisse Fabre
Reporter culture et cinéma

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April 20, 2015 2:52 PM
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Plus de "diversité" au théâtre ? Césaire et Damas n'ont pas eu besoin "d'aide"

Plus de "diversité" au théâtre ? Césaire et Damas n'ont pas eu besoin "d'aide" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

LE PLUS de l'Obs :

 

.En 2014, le théâtre de la Colline avait sélectionné des acteurs ayant fait l'expérience de la discrimination. Ce programme expérimental s'est terminé fin mars. Quel bilan faut-il dresser ? La culture laisse-t-elle sa place à la diversité ? Pour Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français des Outre-mer, il y a encore du chemin à faire.

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April 7, 2015 6:25 PM
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“Le phrasé qu'on enseigne aux comédiens les sépare des quartiers populaires”, Eva Doumbia

“Le phrasé qu'on enseigne aux comédiens les sépare des quartiers populaires”, Eva Doumbia | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Emmanuelle Bouchez pour Télérama :

 

La plupart des artistes issus de la diversité sont formés aux meilleures écoles mais demeurent dans l'invisibilité. Eva Doumbia s'interroge sur les raisons profondes de ce paradoxe.

 

Franco-ivoirienne, Eva Doumbia, 46 ans, a clamé haut et fort, non sans virulence, le lundi 30 mars à la soirée de La Colline à Paris, son identité « de metteuse en scène française et afropéenne ». Elle vit et travaille aujourd'hui à Marseille, où sa compagnie La Part du pauvre est conventionnée par l'Etat et soutenue par la ville. Elle bénéficie d'une belle reconnaissance mais n'en est pas moins combative. Sans doute parce que la route a été longue depuis qu'enfant, dans la ville alors communiste du Havre, elle est tombée dans le théâtre, naturellement et... gratuitement. Elle raconte tout son parcours dans cette tribune, en analyse les difficultés, et témoigne avec force de ses aspirations.

Eva Doumbia, directrice de la compagnie La Part du pauvre

“ Au manque de diversité ethnique, culturelle et sociale sur les plateaux de théâtre, les directeurs de centres dramatiques et de théâtre nationaux répondent par des formations en direction des publics et jeunes acteurs discriminés. C’est une très bonne chose. Qui ne suffira pas. Et je peux le démontrer à partir de mon expérience personnelle.

 

Lire l'article entier ----> http://www.telerama.fr/scenes/le-phrase-qu-on-enseigne-aux-comediens-les-separe-des-quartiers-populaires,125015.php#nav-left

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April 1, 2015 4:44 PM
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Il faut convoquer des assises culturelles pour encourager les diversités en France

Il faut convoquer des assises culturelles pour encourager les diversités en France | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Nous sommes des Français à part entière mais aussi le résultat de plusieurs cultures. C’est nous que les institutions doivent envoyer sur le terrain en étant nommés à la direction des structures situées sur les territoires où vivent les classes populaires.

 

Nous qui signons cette tribune sommes « artistes et intellectuels descendants de colonisés et d’esclaves ». Pour aller plus vite, nous dirons « artistes et intellectuels français non-blancs ». La polémique liée au spectacle Exhibit B (Brett Bailey) a permis d’envisager le problème français de la représentation des non-blancs : quiconque a une réelle expérience du racisme et de la discrimination sait combien il est absurde de les expliquer à un public qui les subit quotidiennement. Elle a mis à jour la méconnaissance par les élites culturelles de l’histoire coloniale, de ses conséquences.

« Diversités culturelles » est un euphémisme qui signifie « français noirs, arabes, asiatiques, tsiganes ». La vraie diversité culturelle française intègrerait les blancs. Ce paradoxe sémantique révèle les difficultés qu’a l’institution pour affronter les modifications imposées par la présence en France des descendants de colonisés.


Lire le texte complet sur Le Monde :  http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/30/il-faut-convoquer-des-assises-culturelles-pour-encourager-les-diversites-en-france_4606051_3232.html#ZH50PP6UcfoRTHgP.99

 

Signataires : Gerty Dambury, auteure, metteure en scène, comédienne ; Ludmilla Dabo, comédienne, metteure en scène ; Bintou Dembélé, chorégraphe, danseuse ; Rokhaya Diallo, journaliste, essayiste ; Eva Doumbia, metteure en scène ; Paulin Foualem, acteur, metteur en scène ; Karima El Kharraze, auteure, metteuse en scène ; Jalil Leclaire comédien, metteur en scène ; Chantal Loïal, chorégraphe, danseuse ; Nelson-Rafaell Madel, comédien ; Jean-Erns Marie-Louise, comédien ; Karine Pédurand, comédienne ; Mohamed Rouabhi, metteur en scène ; Jenny Meta Mutela, comédienne, danseuse ; Sandra Sainte Rose Fanchine, chorégraphe, danseuse ; Françoise Sémiramoth, plasticienne ; Patrick Servius, chorégraphe ; Maboula Soumahoro, civilisationniste, maître de conférences ; Myriam Tadessé, comédienne, écrivaine ; Françoise Vergès, historienne, politologue

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March 28, 2015 4:50 PM
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Le théâtre de la Colline joue la carte de la diversité

Le théâtre de la Colline joue la carte de la diversité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Marilyne Baumard pour Le Monde :

 

«Tu ne peux pas jouer Dom Juan… Hein, tu me comprends. » Cette phrase hante Ouissem Kazdar, comédien de 25 ans, d’origine tunisienne. Bien qu’adressée à un de ses copains, elle poursuit ce diplômé avec mention du Cours Florent. Le faisant même douter de sa légitimité à devenir acteur.

En France, non seulement une couleur de peau peut priver d’un premier rôle, mais plus sournoisement, ce motif de relégation est toujours tu. Ce qui l’empêche d’émerger comme sujet de débat et a laissé longtemps croire à Ouissem Kazdar qu’il était « juste un peu parano ». Lundi 30 mars au soir, le débat sera ouvert au cours d’une soirée spéciale organisée au Théâtre national de la Colline, à Paris dans le XXe arrondissement, pour clôturer un programme expérimental baptisé « Ier acte ».

En 2014, la Colline a sélectionné 21 jeunes acteurs talentueux ayant, dans leur parcours artistique ou personnel, fait l’expérience de la discrimination. « Nous souhaitons promouvoir une plus grande diversité dans le recrutement des écoles d’acteurs et sur les plateaux de théâtre », rappelle Stéphane Braunschweig, son directeur. « Ce qui se passe aujourd’hui en France en matière théâtrale est l’équivalent du contrôle au faciès dans la rue, regrette pour sa part le metteur en scène Stanislas Nordey, à la tête du programme. On ne va pas tout changer avec Ier acte, mais nous sommes des “ouvreurs” et souhaitons, par notre action, poser haut et fort cette question honteuse de la couleur de peau au théâtre en 2015 », insiste le nouveau directeur du Théâtre national de Strasbourg.

Contrairement aux scènes britannique ou américaine, la française n’a pas fait sa révolution. Pas courant d’y trouver une peau noire ou basanée dans les rôles d’Antigone ou de Juliette, du Malade imaginaire, de Lorenzaccio ou de Phèdre. Les grandes scènes ne s’y risquent guère, confirmant que le théâtre reste une affaire de Blancs, sur les planches comme dans les écoles. « Au concours d’entrée au Conservatoire, j’ai entendu des membres du jury hésiter à sélectionner un excellent comédien à cause de sa couleur de peau. “Ça va être difficile de le distribuer”, plaidaient-ils », regrette le comédien Nicolas Bouchaud engagé dans Ier acte – avec une longue liste de comédiens et metteurs en scène talentueux.

Paris trop discriminant

Ce raisonnement est ancré même chez les plus progressistes et Stéphane Braunschweig le reconnaît. « J’avoue m’être empêché d’opter pour un acteur de couleur en me demandant quel sens on allait donner à mon choix », confie-t-il, persuadé qu’aujourd’hui, « compte tenu de la montée du Front national, il faut avancer ». « Surtout après Charlie », ajoute Firoz Ladak, le directeur général de la Fondation Rothschild.

L’opération menée par la Colline est cofinancée par la Fondation SNCF et la Fondation Edmond-de-Rothschild qui partagent le sentiment que le théâtre reste un lieu sur lequel la discrimination positive n’a pas encore eu prise. Ils ont financé la session 2014 et vont annoncer lundi leur engagement pour une deuxième session.

« On n’est pas prêts en France à avoir des jeunes Noirs qui savent manier la langue », s’est entendu répondre Souleymane Sylla, 23 ans, lors d’un casting. « C’est comme si nous n’étions pas autorisés à porter le répertoire classique français. Comme si les beaux textes n’étaient pas pour nous, se désole Séphora Pondi, 22 ans. J’ai toujours aimé la littérature. Je suis persuadée qu’elle m’a sauvée de la colère qui gronde en moi », sourit la jeune femme. Un remake du « Si je n’avais pas eu l’art je serais devenue terroriste » de Niki de Saint Phalle qui prend un sens tout particulier au lendemain des événements de janvier. Une troisième recrue avoue avoir pensé plus d’une fois « partir à Londres, tenter ma chance », avant d’être sélectionné dans Ier acte.

Paris reste à leurs yeux trop discriminant. Si Yann Gael, né au Cameroun, semble lancé, si deux comédiens noirs jouent en ce moment le Vladimir et l’Estragon d’En attendant Godot de Samuel Beckett, à Vincennes (Val-de-Marne), ils restent des exceptions. Le trombinoscope des pensionnaires et des sociétaires de la Comédie-Française ne montre qu’un visage noir : Bakary Sangaré. Dans l’histoire de ce lieu mythique, un autre artiste à la peau sombre était entré avant lui. Mais Georges Aminel a jeté l’éponge au bout de cinq ans, s’estimant cantonné à des rôles mineurs. C’était en 1972.

Peu de choses semble avoir changé depuis, si l’on en croit Séphora Pondi. Née en banlieue, la jeune comédienne avoue en « avoir assez de jouer la Noire de service ». « Quand on entend un black, on s’étonne qu’il n’ait pas l’accent africain… Quand on a un comédien “rebeu”, on lui refile les rôles de voyou, résume Stanislas Nordey. Il faut en finir avec ces clichés et choisir un acteur pour son talent. »

Maryline Baumard

Brigitte Quinton's curator insight, March 28, 2015 6:39 PM

Qui a dit que le théâtre était un art élitiste ? Sûrement pas Molière...